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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 11 décembre 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 135) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des facteurs ruraux attachés au bureau des postes de Nandrin demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Des habitants de Neufchâteau et de Longlier se plaignent des retards mis par la grande compagnie du Luxembourg à la construction de l'embranchement de Bastogne. »

M. Van Hoordeµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics, et que cette décision soit prise à l'égard de toutes les pétitions ayant le même objet, qui nous sont déjà parvenues ou qui nous parviendront encore. »

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Liège demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

M. Coomans. - Il nous est déjà parvenu différentes pétitions au sujet de la garde civique, dont la réorganisation, dans l'un ou l'autre sens, nous est recommandée.

Comme cette question se rattache évidemment à celle de la réorganisation de l'armée, je crois qu'il serait convenable de renvoyer toutes les pétitions à la section centrale qui sera chargée de l'examen du budget de la guerre.

MpVµ. - Je dois vous faire remarquer que les autres pétitions ont été renvoyées à la commission des pétitions.

M. Coomans. - Je n'ignorais pas que la Chambre avait pris une décision dans un autre sens, c'est-à-dire, avait décidé le renvoi à la commission des pétitions. Cependant, je crois qu'il n'est pas extraordinaire de voir la Chambre revenir sur des décisions de ce genre. Si elle y répugnait aujourd'hui, je me bornerais à demander subsidiairement le renvoi des pétitions à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. Il me paraît que si nous voulons faire quelque chose de sérieux au sujet de ces pétitions et de la grave question qu'elles concernent, c'est une de ces résolutions que nous devons prendre.

- Le renvoi des pétitions à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport est ordonné.


« M. De Heselle fait hommage à la Chambre de 126 exemplaires d'une brochure sur l'impôt, dont il est l'auteur. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. De Smedt, obligé de s'absenter pour un deuil de famille, demande un congé de deux jours. »


« M. Reynaert, retenu à Courtrai par des affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Ordre des travaux de la chambre

motion d'ordre.

MpVµ. - La dernière nomination du président et des membres de la cour des comptes a eu lieu le 18 décembre 1860. Il y a donc lieu de procéder à un renouvellement.

Je propose à la Chambre de fixer cet objet comme le premier à l'ordre du jour de la séance du samedi 15 de ce mois.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi approuvant l'acte d'accession du duché de Saxe-Altenbourg à la convention conclue le 28 mars 1863 entre la Belgique et la Prusse

Vote de l’article unique

« Article unique. L'acte d'accession du duché de Saxe-Altenbourg à la convention conclue le 28 mars 18653 entre la Belgique et la Prusse, pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, des dessins et marques de fabrique, sortira son plein et entier effet. »

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 70 membres présents.

Ce sont :

MM. Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, de Haerne, de Kerchove, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, d'Ursel, Frèrc-Orban, Funck, Gerrits, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jamar, Jonet, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lienart, Lippens, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orts, Preud'homme, Sabatier, Snoy, Tack, Thonissen, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Broustin et Ernest Vandenpeereboom.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1867

Discussion générale

M. Lelièvreµ. - Messieurs, le budget de la justice me donne l'occasion d'émettre quelques considérations que je livre à l'attention du gouvernement.

Au moment où nous allons nous occuper de la révision du Code pénal, je pense que le département de la justice devrait s'occuper d'un projet de loi dans lequel on énoncerait les différentes lois spéciales en vigueur chez nous, auxquelles on jugerait convenable d'appliquer les dispositions de la loi générale en ce qui concerne le bénéfice des circonstances atténuantes et la faculté laissée aux tribunaux de réduire les peines.

Il importe de mettre les lois spéciales en harmonie avec la législation générale. Or, la plupart des lois spéciales ne permettent pas au juge de réduire les pénalités.

Plusieurs de ces lois font dépendre la faculté dont il s'agit de la quotité du préjudice résulté du délit, système condamné par la loi du 15 mai 1849.

Je comprends parfaitement que les circonstances atténuantes ne doivent pas, à l'égard de tous les faits prévus par les lois spéciales, justifier une modération des peines édictées par ces dispositions. C'est pour ce motif que je signale au gouvernement la nécessité d'indiquer, dans un projet particulier, les lois spéciales auxquelles des dispositions analogues à celles énoncées à l'article 6 de la loi du 15 mai 1849 pourront être appliquées, sans qu'il en résulte des inconvénients pour l'intérêt social, au point de vue des besoins de la répression. Semblable projet est indispensable, si l'on veut éviter des anomalies regrettables entre un grand nombre de lois spéciales et la législation générale du Code pénal. Déjà il en avait été question lors de la discussion de la loi de 1849. C'est donc là un travail qui doit faire l'objet des méditations du département de la justice.

Le gouvernement a déposé ces jours derniers des projets importants qui méritent un sérieux examen, mais je dois aussi appeler son attention sur la nécessité de doter le pays d'un nouveau Code rural ; les dispositions de la loi de 1791 en cette matière ne sont plus en harmonie avec nos institutions et les besoins nouveaux qui se sont révélés depuis longtemps.

Une commission a été instituée récemment pour la révision du Code de procédure civile. Ce travail sera d'assez longue durée. Je pense qu'il conviendrait d'inviter cette commission à s'occuper le plus lot possible des dispositions concernant la licitation des biens indivis entre majeurs, ainsi que les ventes dans lesquelles les mineurs sont intéressés. Les (page 136) formalités doivent être simplifiées. Les frais doivent être réduits, si l'on veut sauvegarder d'importants intérêts. L'état de choses existant, qui cause un préjudice notable aux intéressés, ne peut être maintenu plus longtemps. Il me semble qu'il faut détacher du travail général les dispositions relatives à la matière que j'ai indiquée et en faire l'objet d'une proposition de loi particulière. Ne perdons pas de vue qu'il s'agit ici de sauvegarder les intérêts des mineurs et que rien n'est plus digne de notre sollicitude.

Enfin, je prie le gouvernement de vouloir améliorer la position des secrétaires des parquets. Il n'est pas, possible de faire à ces employés, quant au traitement, une situation moins favorable que celle des commis greffiers.

Le traitement dont ils jouissent actuellement est d'une insuffisance qui frappe tous les hommes à même d'apprécier l'importance de leurs travaux. Il y a, sous ce rapport, un acte de justice à décréter, et je viens instamment le réclamer du gouvernement.

Les secrétaires des parquets doivent se livrer à des travaux plus sérieux même que ceux qui font l'objet des occupations des commis greffiers. Comment donc serait-il possible de maintenir la différence de traitements existant actuellement en ce qui concerne ces employés ?

L'on sait du reste que depuis longtemps l'on adresse à la Chambre des réclamations pour appeler son attention sur cet objet, et ces réclamations sont appuyées par les officiers du parquet qui sont le mieux à même d'apprécier combien la rémunération accordée aux secrétaires est peu proportionnée aux services qu'ils rendent à la chose publique. J'espère donc que la Chambre fera droit, cette année, à des plaintes qui ne sont que trop fondées et que, pour y faire droit, elle majorera le chiffre du budget concernant les tribunaux de première instance.

M. Delcourµ. - Parmi les observations que vient de présenter l'honorable M. Lelièvre, il en est une sur laquelle j'insisterai, celle relative à la loi du 12 juin 1816 concernant la vente des biens des mineurs et le partage dans lesquels ils sont intéressés.

Il est inutile de s'arrêter longtemps sur les vices de la législation à cet égard, le rapport de la section centrale les a complètement signalés à l'attention du gouvernement ; elle demande comme nous qu'une réforme soit apportée le plus tôt possible à cette partie de la législation. Si la Chambre doit attendre qu'on lui présente un projet de loi sur la révision du Code de procédure, il est probable que la réforme si vivement sollicitée sera retardée pour longtemps. Le pays ne peut espérer d'arriver à une réforme complète qu'après bien des années.

Je prie donc instamment M. le ministre de détacher du Code de procédure le titre relatif à la vente des biens des mineurs et d'en faire l'objet d'une loi spéciale.

Vous savez tous combien la législation actuelle est préjudiciable aux mineurs.

Dans la séance du Sénat, du 11 mai 1865, à l'époque où cette assemblée discutait l'augmentation des traitements de la magistrature, mon honorable ami M. d'Anethan lui présenta des tableaux de quelques ventes d'immeubles desquels il résulte que les frais se sont élevés à 23, 30 et 40 p. c. ; il a même cité comme exemple un immeuble qui avait été adjugé pour 210 fr. et où les frais s'étaient élevés à 209 fr. 84 centimes.

La Chambre a reçu l'année dernière une pétition émanée d'un notaire, qui a confirmé ces détails. Celle pétition a été renvoyée à M. le ministre de la justice, sur le rapport de mon honorable ami M. Vander Donckt.

Les frais s'élèvent quelquefois à plus de 100 p. c.

Comment porter remède à cet état de choses ?

Plusieurs systèmes sont en présence. Beaucoup d'hommes d'affaires se sont occupés de la question. Je n'entretiendrai pas la Chambre de ces différents systèmes ; le gouvernement fera son choix, et nous examinerons ses propositions. Je dirai cependant que ce ne sont pas les honoraires des notaires qui sont la cause du mal dont on se plaint. L'unique cause du mal est dans la multiplicité des formalités, dans les frais d'expédition des jugements d'homologation, en un mot dans les formalités nombreuses applicables aux partages et aux ventes des immeubles des mineurs.

Une idée m'a été soumise par un homme pratique et je crois devoir la communiquer à la Chambre ; elle pourra peut-être faire son chemin ; la voici :

Si les biens appartiennent exclusivement à des mineurs.il semble qu'on pourrait se contenter de l'avis du conseil de famille, sans exiger l'homologation du tribunal. La délibération du conseil de famille, présidé par les juges de paix, semble offrir une garantie suffisante.

Si les biens sont indivis entre des mineurs et des majeurs, et que les majeurs demandent à sortir de l'indivision, ce qui est en pratique le cas ordinaire, on pourrait également abolir les formalités du jugement, si toutes les parties, tant les majeurs que les représentants des mineurs, sont d'accord sur la nécessité et les avantages de la vente. Le jugement d'homologation pourrait être remplacé par une simple requête, adressée au président du tribunal, signée par toutes les parties ; on pourrait, dans l'intérêt des mineurs, exiger, en outre, l'intervention des subrogés tuteurs. Le président du tribunal, après avoir pris l'avis du procureur du roi statuerait sur la requête, laquelle serait exécutoire sur minute et annexée au cahier des charges.

On éviterait ainsi les frais du jugement, de l'expédition et les frais de l'expédition à fournir par le notaire pour la transcription. Je livre ces idées générales à la Chambre ; je ne les ai pas approfondies ; elles viennent de m'être communiquées par un homme dans la science et l'expérience duquel j'ai une pleine confiance.

Je désire maintenant présenter des observations d'un autre genre.

Le Moniteur du 9 novembre dernier contient un arrêté sur la légalité duquel j'ai des doutes. Je serais heureux que l'honorable ministre de la justice pût me fournir des explications satisfaisantes.

Voici ce dont il s'agit, mais avant, permettez-moi de dire, messieurs, que je ne viens pas faire le procès aux lois qui nous régissent en matière de fondations ; je raisonne d'après la législation existante ; eh bien, dans cet ordre d'idées, je pense que l'arrêté royal dont il s'agit en a fait une application exagérée.

Par testament olographe, en date du 3 avril 1861, Mlle Favier, propriétaire à Familleureux, après avoir légué l'usufruit de tous ses biens à ses frères, fit les dispositions suivantes.

1° Elle lègue la moitié de ses biens à la fabrique de Familleureux sous certaines charges religieuses. Ce legs ne rencontra aucune difficulté ; la fabrique a été autorisée à l'accepter.

2° Après avoir ordonné quelques prélèvements sur la seconde moitié de ses biens, la testatrice lègue le restant de cette seconde moitié au bureau de bienfaisance de ladite commune pour en employer le revenu à l'entretien des religieuses appelées à donner l'instruction aux filles pauvres de la commune.

En présence de la loi de 1842 sur l'instruction primaire et de la loi du 19 décembre 1864, je reconnaîtrai encore si la testatrice n'avait rien ajouté, que l'arrêté royal du 31 octobre dernier a pu considérer la disposition comme étant faite en faveur de l'instruction primaire, et l'attribuer, en annulant la condition, à la commune de Familleureux.

Mais la testatrice est allée plus loin. Prévoyant que la disposition ci-dessus ne serait point exécutée, elle ajouta : « Si des religieuses n'étaient pas chargées de cette instruction, la quotité de biens dont il s'agit sera partagée entre la fabrique de l'église et le bureau de bienfaisance du même lieu, à charge, par la fabrique, de faire dire des messes, et par le bureau de bienfaisance d'en distribuer le revenu aux pauvres de la commune. »

Rien de plus clair que ces dispositions testamentaires. La défunte prévoit deux hypothèses, et, dans le cas où la première hypothèse ne se réaliserait pas, elle supprime le legs en faveur de l'instruction publique et le remplace par un legs nouveau.

Sans cette seconde disposition, je répète que je ne me lèverais pas dans cette enceinte pour critiquer l'arrêté royal du 31 octobre.

Qu'on ne se méprenne pas sur ma pensée. Je n'entends pas approuver le système consacré par la loi de 1864 ; la loi existe. Mais je demande qu'on n'en exagère pas l'application ; il s'agit, après tout, d'une loi qui a rencontré une forte opposition dans l'opinion publique. Je reviens maintenant à la dernière disposition de Mlle Favier. Elle est irréprochable en droit.

A qui attribue-t-elle les biens qu'elle avait d'abord légués ? A un bureau de bienfaisance, avec charge d'employer le revenu à l'entretien des religieuses donnant l'instruction aux filles ?

Elle les attribue en partie à la fabrique de l'église, en partie au bureau de bienfaisance, par conséquent à des institutions publiques capables de recevoir. Il rentre certainement dans la mission des fabriques d'exonérer les charges pieuses, dans les missions des bureaux de bienfaisance de faire des distributions aux pauvres.

Eh bien, M. le ministre ne tient compte d'aucune de ces dispositions.

(page 137) 1° Il attribue à la commune les biens légués au bureau de bienfaisance ;

2° Il supprime la condition d'en employer le revenu à l'entretien des religieuses comme contraire aux lois ;

3° Il supprime enfin la substitution.

En vérité, messieurs, en présence de ce remaniement, que reste-t-il de la disposition primitive ?

J'examine maintenant les motifs invoqués par M. le ministre.

Lorsqu'un legs est fait en faveur de l'instruction primaire, dit M. le ministre, il doit être attribué à la commune, qui est spécialement chargée du service de l'instruction primaire.

Je ne conteste pas le principe ; il est écrit dans nos lois. Mais à côté de ce principe, il en est un autre, fondamental en matière testamentaire, c'est qu'il faut suivre, avant tout, la volonté exprimée du testateur. Encore une fois, si mademoiselle Favier ne s'était point expliquée dans le cas où ces religieuses ne donneraient pas l'instruction primaire, je subirai la décision du gouvernement. Mais elle-même annule la disposition si cette condition n'est point remplie.

Le deuxième motif qu'invoque l'honorable ministre est tiré de l'article 900 du Code civil, portant que la condition impossible est réputée non écrite. Mais, messieurs, quel est le fondement, quelle est la base de cette disposition ? Elle repose uniquement sur la volonté présumée du testateur. Si la loi réputé non écrites les conditions illicites ou les conditions impossibles, c'est parce qu'elle suppose que la condition n'est que l'accessoire de la libéralité et que, dans le doute, la disposition principale l'emporte sur les conditions accessoires.

Mais, si la testatrice elle-même a déclaré le contraire, la présomption tombe ; la volonté du testateur, là est le principe attributif de la propriété dans les legs.

Au lieu d'appliquer l'article 900 du Code civil, M. le ministre aurait dû rappeler l'article 898, le seul qui fût applicable dans l'espèce.

L'arrêté royal du 31 octobre s'appuie sur un troisième motif ; combinant les dispositions de la loi de 1842 sur l'instruction primaire avec la loi du 19 décembre 1864, relative aux fondations en faveur de l'instruction publique, il décide que le legs ne peut appartenir au bureau de bienfaisance, mais à la commune, parce que toute disposition faite en faveur de l'instruction primaire est présumée faite à la commune.

Veuillez remarquer que la loi n'établit qu'une présomption de la volonté du testateur, présomption qui ne saurait l'emporter sur la déclaration contraire. Or, telle est encore notre hypothèse.

La loi de 1864 a fait elle même l'application de ces principes.

Nous lisons dans l'article 4, qu'à défaut de désignation suffisante, les libéralités faites à l'enseignement primaire sont réputées faites à la commune, à moins qu'il ne résulte des circonstances que le testateur a voulu disposer en faveur de l'instruction primaire provinciale, auquel cas la province serait réputée légataire.

Si les seules circonstances peuvent faire tomber la présomption, ne doit-elle pas disparaître, à plus forte raison, quand la volonté contraire du testateur a été clairement manifestée ?

Je le répète, messieurs, l'arrêté royal du 31 octobre me paraît avoir fait une fausse application de la loi La substitution devait être maintenue ; en la supprimant, en attribuant le legs à la commune, l'arrêté a méconnu la volonté vraie de la testatrice.

Avant d'aborder le fond du débat, j'attendrai les observations de M. le ministre.

M. Gerritsµ. - Je ne saurais, messieurs, laisser passer la discussion de ce budget sans protester contre un vice radical qui existe dans l'administration de la justice, au détriment des populations flamandes.

En Belgique, messieurs, où l'on se croit très civilisé et où l'on se dit libre, la première des sécurités dont tout membre d'une société bien organisée est en droit de jouir, la garantie d'une bonne justice, fait défaut à la majorité des citoyens ; ceux de nos compatriotes qui ne comprennent pas la langue française, vous le savez, messieurs, constituent, en effet, le plus grand nombre.

Or, lorsque, devant les tribunaux, même dans les provinces flamandes, ils ont à sauvegarder leur liberté, leur vie, leur honneur, ils ne comprennent ni les développements donnés à l'accusation par le ministère public, ni la défense présentée en leur nom par un avocat, souvent nommé d'office, ni enfin la sentence rendue par le juge.

L'acte d'accusation même, par lequel on doit apprendre au malheureux de quel délit ou de quel crime la société lui demande compte, est rédigé dans une langue qui lui est étrangère.

Si on lui en donne une traduction, cette traduction se fait le plus souvent à l'audience même, de vive voix, donc sans contrôle quant à l'exactitude. Pour l'interrogatoire, il est vrai, on se sert de la langue flamande parce qu'il serait tout aussi impossible de le faire en français qu'en chinois. Mais pour tout le reste du procès, on laisse l'accusé flamand dans une ignorance aussi complète que s'il n'y était intéressé en aucune manière.

- Voix à droite. - C'est très vrai !

M. Gerritsµ. - Je demande à tous les hommes de cœur, je vous le demande, messieurs, n'est-il pas inique, n'est-il pas cruel de mettre un accusé dans l'impossibilité de savoir quels sont les reproches qu'on lui adresse dans le cours des débats, de connaître exactement comment sont narrés, comment sont groupés les faits mis à sa charge, de se rendre compte des arguments invoqués pour prouver sa culpabilité ?

Un mot suffirait peut-être pour montrer que le système de l'accusation repose sur l'une ou l'autre erreur ; et cette parole qui sauverait un innocent ne peut être prononcée parce que l'accusé, lui qui est le principal intéressé, assiste, sans pouvoir y intervenir, aux luttes qui vont décider de son sort.

Le défenseur et l'accusateur peuvent tous les deux s'égarer dans la voie la plus fausse sans que l'accusé s'en aperçoive, sans que, par un mot d'explication, il puisse faire jaillir la vérité.

Eh bien, pour ma part, j'ai la douloureuse conviction que la justice, exercée dans de telles conditions, doit mener à de nombreux abus.

La manière de rendre justice aux populations flamandes est tellement illibérale, qu'on ne la retrouve que chez des peuples, dont un vainqueur impitoyable veut à tout prix détruire le caractère distinctif, la langue, la nationalité.

La Belgique a-t-elle intérêt à imposer, à toute force, la langue française à 3 millions de Flamands ? Pour obtenir ce résultat, d'ailleurs irréalisable, le gouvernement veut-il maintenir l'iniquité dans les tribunaux ? et s'il le voulait, les populations flamandes souffriraient-elles toujours avec résignation l'humiliante injustice qu'on leur inflige, à cause de leur langue ?

Je comprends que la réponse à ces questions me mènerait à traiter des questions d'une nature très délicate. Voilà pourquoi je m'arrête ; mais je vous prie d'y réfléchir et j'espère que vous reconnaîtrez avec moi qu'une réforme est indispensable.

Je sais bien que pour extirper un abus aussi invétéré, on aura à compter avec l'intérêt privé ; mais l'intérêt privé doit céder devant l'intérêt national, devant l'intérêt humanitaire.

Je m'adresse donc à M. le ministre de la justice, et je lui demande de porter son attention sur ce mal ; je lui demande de bien vouloir nous présenter un projet de loi sur l'emploi des langues en matière judiciaire, loi qui, d'ailleurs, a été prévue par l'article 23 de la Constitution.

Si je ne me trompe, M. le ministre de la justice appartient par sa naissance à une province wallonne ; eh bien, c'est un motif de plus pour que je m'adresse à lui. S'il parvient à faire disparaître le principal grief des Flamands, on lui en sera doublement reconnaissant, d'abord pour son équité, ensuite pour son énergie. Et ce n'est pas seulement aux populations flamandes qu'il aura rendu service, il aura rendu service à tout le pays. Il aura montré au monde civilisé que nous savons, chez nous, respecter le principe de la nationalité. A l'extérieur, il aura cimenté l'union des deux races qui existent en Belgique. Cette union, nous la désirons ; mais nous pensons qu'elle ne peut être durable sans le respect mutuel de nos droits.

M. Bouvierµ. - Messieurs, je viens féliciter l'honorable ministre de la justice d'avoir déposé sur le bureau de la Chambre le projet de loi portant abolition de la contrainte par corps. Il est en quelque sorte le corollaire de la loi qui abolit le taux de l'intérêt. (erratum, page 158) Il consacrera bientôt une réforme attendue depuis longtemps par le commerce honnête et loyal, et constituera un immense bienfait dans notre législation.

L'année dernière, à l'occasion du budget de la justice, j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur la loi de ventôse an XI qui détermine le nombre des notaires d'après le chiffre de la population.

En 1848, le chiffre des notaires à Bruxelles était de 20 ; une loi de cette époque l'a élevé à 30. Aujourd'hui ce dernier chiffre n'est plus en rapport avec celui fixé par la loi de ventôse.

En effet, cette loi dispose que la proportion sera d'un notaire pour un groupe de population s'élevant à (erratum, page 158) 6,000 âmes. Il est incontestable cependant que depuis 1848 l'agglomération bruxelloise a pris un nouveau développement et qu'il y a lieu de pourvoir par une loi nouvelle à la lacune que je viens de signaler pour la seconde fois.

(page 138) L'honorable ministre qui venait de prendre possession de son portefeuille au moment où je formulais ma question, avait bien voulu me promettre que la demande que j'avais eu l'honneur de soulever serait l'objet de sa bienveillante sollicitude, et je ne doute pas qu'il ne réalise sa promesse faite l'année dernière.

A la suite des funérailles de notre auguste Monarque, on nous a présenté un projet de loi pour couvrir les dépenses nécessitées dans ces douloureuses circonstances, le chiffre de la dépense globale s'élevait à 275,000 fr., et dans ce chiffre, se trouvait un crédit de plus de 40,000 fr. pour travaux exécutés à la chapelle où sont renfermés les restes de notre regrettée Reine et de notre Roi vénéré.

Eh bien, si les assertions que j'ai lues dans les journaux sont exactes, de nouvelles dépenses auraient été faites dans cette chapelle à l'occasion du service commémoratif pour feu notre Reine.

Ces dépenses sont considérables, il convient d'y mettre un terme. Pour peu qu'on les continue, cette chapelle deviendra une chapelle ardente pour les finances de l'Etat.

C'est d'autant plus regrettable que quand le monument sera achevé, elle devra nécessairement disparaître pour le dégager. Eh bien, à l'heure actuelle, le monument reste à l'état de monument inachevé. On a consulté commission sur commission. Je crois que presque tous les architectes du royaume ont été appelés à émettre leur avis sur la solidité ou la non solidité de l'église de Laeken. Rien n'avance ni ne s'achève ; à l'heure actuelle, vous n'y rencontrerez pas un seul ouvrier. Or, je le demande, dans l'intérêt de la dignité et de la Chambre et du pays, un tel état de choses peut-il continuer à être toléré davantage ?

Il faut nécessairement qu'on en finisse une bonne fois. Voilà presque quatre lustres qu'on a décrété l'exécution de ce monument et pour peu que cela continue, il en faudra encore autant pour arriver à son complet achèvement.

Je l'ai dit, et je le répète, il faut prendre une décision énergique. Il faut que l'honorable ministre de la justice ait le courage de nous demander les fonds nécessaires pour achever cette œuvre de reconnaissance nationale. Il le faut absolument.

J'espère que l'honorable ministre de la justice voudra bien nous donner des renseignements qui deviennent indispensables.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il y a plusieurs années que je ne cesse de réclamer, de la part du gouvernement, une loi sur le domicile de secours. C'est une loi de la plus haute importance. Car, dans l'état actuel de la législation, une quantité de communes rurales se trouvent dans la détresse, rien que par le résultat de cette loi. Ainsi, pour prendre la meilleure supposition, des hommes valides vont travailler dans un grand centre industriel. La vie y est chère : ils n'y font pas d'épargnes ; leur travail est excessif, ils doivent dépenser beaucoup pour leur entretien. Il leur survient une maladie, un accident. Les conséquences de cette maladie, de cet accident retombent directement sur la commune d'origine.

Ainsi la commune d'origine se trouve privée d'un homme valide, dont la présence est très nécessaire à l'agriculture. Car aujourd'hui, dans toutes les communes rurales, on se plaint du manque de bras. Et pour conséquence, cet homme valide qui ne devrait avoir aucun secours s'il restait chez lui, contracte, dans une autre commune, des dettes considérables qui ruinent le bureau de bienfaisance.

Voilà la situation au meilleur point de vue. Mais il y a encore un autre abus qui s'ensuit. Cet homme n'envoie pas de secours à sa femme, n’en envoie pas à ses enfants.

Si, dans une commune il y a un mauvais sujet qui ne désire pas travailler, il va dans une autre commune, il y travaille d'une manière telle quelle, il se fait mettre encore une fois dans un établissement public, elles frais retombent sur l'administration de la commune d'origine.

Les bourgmestres se plaignent de ne plus avoir aucune espèce d'autorité, aucune espèce d'ascendant sur cette classe de gens qui vont contracter des dettes dans une autre commune. Ils en menacent même les chefs d'administration ; ils leur disent ; Si vous ne nous traitez pas bien, si vous ne nous donnez pas ce que nous demandons, nous irons faire des dettes ailleurs, en nous faisant recevoir dans un hospice ou dans un dépôt de mendicité.

Il est donc de toute nécessité pour que les admissions dans les hospices et ailleurs, dans une commune étrangère, ne se fassent pas avec trop de facilité, que le lieu où l'individu a contracté un accident, une maladie, intervienne dans la dépense d'entretien. Alors on y regardera de plus près, et les communes rurales ne seront pas ruinées comme elles le sont aujourd'hui,.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je vais répondre aux diverses interpellations qui m'ont été faites.

L'honorable M. Lelièvre a demandé d'abord au gouvernement de présenter une loi ayant pour but d'appliquer aux lois spéciales le principe général de la loi du 15 mai 1849.

Une loi dans ce but est complétement inutile, si la Chambre adopte le projet de Code pénal tel qu'il a été voté par le Sénat. En effet, l'article 100 de ce projet applique aux lois spéciales la plupart des dispositions du livre Ier du Code pénal, et parmi ces dispositions, se trouvent celles sur les circonstances atténuantes.

D'après un bruit qui est arrivé jusqu'à moi, la commission de la Chambre n'adopterait pas complétement le projet amende par le Sénat. L'honorable M. Lelièvre, lors de la discussion du Code pénal, aura l'occasion de faire valoir ses observations et d'indiquer quel serait, selon lui, le meilleur système.

L'honorable membre a demandé aussi au gouvernement un projet de code rural. C'est là un objet de législation très difficile, très important, et le gouvernement, qui n'a pas un conseil d'Etat à sa disposition, est dans l'impossibilité de pourvoir à toutes les demandes de projets de loi qui lui sont faites par les 124 membres de la Chambre des représentants.

Il y a, en tout et pour tout, au département de la justice une section de législation composée de trois jurisconsultes, et c'est avec ces trois jurisconsultes qu'il faut rédiger tous les projets. Ces fonctionnaires doivent en outre examiner les référés ; ils doivent examiner également toutes les affaires sur lesquelles les autres départements demandent l'avis du département de la justice. Ce n'est donc pas la besogne qui leur fait défaut. Aussi le gouvernement s'est-il vu obligé le plus souvent de recourir à des commissions spéciales pour la rédaction de projets de lois.

L'honorable M. Lelièvre, ainsi que l’honorable M. Delcour, a demandé au gouvernement de distraire du Code de procédure ce qui concerne la licitation des immeubles appartenant à des mineurs et d'en proposer immédiatement la révision.

Les honorables membres pensent qu'il s'écoulera plusieurs années avant que le projet de révision du code de procédure soit élaboré, et que les abus relatifs aux ventes des biens de mineurs sont tellement considérables qu'il faut les faire disparaître immédiatement. Eh bien, messieurs, je ne suis pas de cet avis ; la commission chargée de préparer un nouveau Code de procédure est à l'œuvre ; ses travaux marchent avec rapidité, et je crois qu'il ne sera pas impossible au gouvernement de déposer le projet de réforme de nos lois sur la procédure peut-être avant la fin de la session. Il dépendra ensuite de la législature d'activer l'examen de ce projet.

Les honorables membres disent : Distrayez de ce projet la partie relative à la vente des biens des mineurs. Mais, messieurs, beaucoup de questions de principes se rattachent à cette matière ; je n'en prends qu'une, la question des avoués. Ferez-vous intervenir les avoués dans les demandes en licitation ? Si vous supprimez l'intervention des avoués, vous allez préjuger l'une des grandes questions qui doivent être décidées par la Chambre. Je crois, messieurs, que si l'on veut aboutir à un bon résultat, il est nécessaire d'avoir des vues d'ensemble ; c'est le seul moyen d'arriver à diminuer les abus.

Lorsque le projet de révision sera déposé, la Chambre verra s'il lui convient d'en détacher la partie relative à la vente des biens des mineurs ; quant à moi je ne puis m'engager à formuler un projet séparé avant que la commission du Code de procédure ait terminé son travail.

- Us membre. - Alors nous n'en aurons pas fini de longtemps.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une question pour la Chambre, mais pour la commission j'ai tout lieu de croire que son travail sera terminé dans un bref délai.

Plusieurs membres se sont occupés des secrétaires des parquets, ils ont demandé que le traitement de ces fonctionnaires fût augmenté.

Cet objet a déjà été plusieurs fois discuté dans cette enceinte, sous l'administration de l'honorable M. Tesch, et depuis que j'ai l'honneur de siégera ce banc. Je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit : les secrétaires des parquets sont de véritables commis et ils ne doivent être que des commis. On a dénaturé le but de leurs fonctions et l'on voudrait eu faire des sous-substituts, c'est-à-dire des employés remplissant une partie des fonctions des substituts. La Chambre vient d'augmenter les traitements des magistrats ; l'augmentation des traitements ne doit pas entraîner la diminution de la besogne.

Je connais quelques secrétaires du parquet qui sont dignes du plus grand intérêt ; les greffes des justices de paix leur offrent une perspective (page 139) d’avancement ; mais s'ils restent attachés aux parquets, il faut qu'ils se résignent à leur modeste position.

Il y a des parquets où les secrétaires rédigent les rapports sur les demandes en naturalisation et sur les demandes en grâce.

M. Orts. - Pas à Bruxelles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne dis pas que ce soit leur opinion qui prévale, mais ce sont eux qui font une partie de la besogne qui incombe aux substituts.

Les substituts auraient pourtant avantage à faire eux-mêmes le travail du cabinet, car ils apprendraient ainsi l'administration, tandis qu'ils ne s'occupent le plus souvent que de préparer les affaires qui doivent venir à l'audience.

Je crois donc que la Chambre, qui veut des économies et qui demande encore des dépenses considérables pour beaucoup d'objets, n'augmentera pas les traitements des secrétaires du parquet et ne reviendra pas sur le vote qu'elle a émis à cet égard l'année dernière. La dépense ne serait pas considérable, je le veux bien, mais elle entraînerait d'autres augmentations qui finiraient par devenir importantes.

L'honorable M. Bouvier se plaint de ce que le nombre des notaires, à Bruxelles, soit trop peu considérable eu égard à la population ; cette observation est fondée et le gouvernement devra évidemment proposer à la législature une loi qui augmentera le nombre des notaires dans l'arrondissement de Bruxelles. Je pense que ce projet pourra être présenté dans la session actuelle.

L'honorable membre a demandé ce que le gouvernement compte faire quant à l'église de Laeken. Voilà quatre lustres, dit-il, qu'elle est commencée et il faudra peut-être encore quatre lustres pour l'achever. Je ferai remarquer que beaucoup de monuments ont demandé plus de huit lustres pour être achevés. Bien peu d'églises ont été construites en 40 ans.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire au Sénat, on a singulièrement exagéré les accidents survenus dans la construction de l'église de Laeken.

Il s'est produit des tassements qui ont occasionné des lézardes comme il s'en rencontre dans un grand nombre de monuments ; mais de là à devoir démolir l'église...

M. Bouvierµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On l'a dit. De là à devoir démolir l'église, il y a loin.

Qu'a fait le gouvernement ? Après s'être vu refuser les crédits pour l'église de Laeken, il a nommé une commission dont les membres ont été choisis avec impartialité dans chacune de nos provinces.

L'honorable M. de Brouckere a bien voulu accepter le soin de présider cette commission- Celle-ci est occupée à préparer son rapport ; dès qu'il me sera remis, je le déposerai. Ce rapport, d'après ce que m'a dit l'honorable M. de Brouckere, prouvera que les craintes exprimées quant à l'église de Laeken sont exagérées ; et j'espère que les travaux pourront être repris prochainement.

L'honorable M. de Theux a demandé quand le gouvernement présentera une loi sur le domicile de secours. Cette loi est à l'étude. Depuis longtemps déjà elle a été annoncée par l'honorable M. Tesch, mais j'avouerai très franchement qu'il m'a été difficile d'étudier cet objet au milieu d'une foule de questions qui sont à traiter en ce moment au ministère de la justice.

La révision de la loi sur le domicile de secours présente des difficultés, car si l'honorable M de Theux se place au point de vue des intérêts des communes rurales il importe d'un autre côté de ne pas sacrifier l'intérêt des villes.

Le principe que l'honorable membre voudrait faire prévaloir, principe que je ne discute pas, serait, dans un grand nombre de cas, préjudiciable aux villes.

Il est important de chercher à améliorer la loi en conciliant l'intérêt des villes et l'intérêt des communes.

J'assure à l'honorable membre que je continuerai à étudier cette question et que je ferai mes efforts pour présenter à la Chambre un projet de loi dans le délai le plus rapproché possible.

Un honorable membre, messieurs, s'est plaint de l'administration de la justice en ce qui concerne les populations flamandes du pays.

Il est évident, messieurs, que tout n'est pas parfait, et ce mot peut s'appliquer, non pas seulement à la Belgique, mais à tous les pays. Là où il y a, messieurs, des habitants parlant des langues différentes, il est certain que non seulement dans l'administration de la justice, mais dans toutes les relations de la vie, dans tous les rapports des particuliers avec l'Etat, il y a des froissements, des abus, des inconvénients.

Je ne nie donc point d'une manière absolue l'existence des inconvénients signalés par l'honorable député d'Anvers, mais je crois qu'il a beaucoup exagéré et qu'il est impossible au gouvernement et à l'honorable M. Gerrits lui-même de donner pleine et entière satisfaction à toutes les réclamations qui viendraient à se produire.

Ainsi prenons le cas dont a parlé l'honorable membre. Un Flamand est assigné devant un tribunal wallon.

M. Gerritsµ. - Dans les provinces flamandes aussi.

M. Coomans. - Nous ne parlons que du pays flamand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais rester dans le pays flamand.

Depuis longtemps et depuis l'arrivée au ministère de l'honorable M. Tesch, on n'a plus nommé dans les tribunaux flamands que des personnes sachant le flamand, à quelques rares exceptions près.

M. Teschµ. - Il n'y a pas eu une seule exception.

M. Coomans. - Oui, mais ils ne connaissent pas assez le flamand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si, pour être juge, il ne suffira pas de connaître le flamand de manière à le comprendre, s'il faudra connaître le flamand d'une manière approfondie, la discussion n'est plus sérieuse. Il faut admettre qu'un homme qui connaît le flamand de manière à le comprendre sera parfaitement en état de remplir sa mission.

L’honorable M. Van Wambeke, qui connaît le flamand, me fait signe qu'il en est ainsi.

M. Coomans. - Mais je suis Flamand aussi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes un ultra-flamand.

M. Bouvierµ. - Vous êtes un Flamand de l'opposition.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je parle donc d'un Flamand dans une province flamande pour faire plaisir à l'honorable M. Coomans.

Il est poursuivi à raison d'un délit. Que va-t-il se passer ? Il est interrogé par le juge d'instruction en flamand. Tous les témoins sont entendus en flamand.

M. Gerritsµ. - Pardon.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pardon, à mon tour.

M. Coomans. - Pas tous les témoins.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais l'honorable membre, qui veut la liberté des langues pour tout le monde, voudrait-il forcer les gens qui ne savent pas le flamand ou qui ne veulent pas parler le flamand à parler le flamand ?

Je déclare que les juges d'instruction interrogent en flamand dans le pays flamand toutes les personnes qui veulent être interrogées en flamand ; l'honorable M. Jacobs me fait un signe d'assentiment.

Il m'est passé par les mains un assez grand nombre de dossiers criminels et j'ai vu que les dépositions se faisaient en flamand.

Ainsi donc jusque-là pas la moindre difficulté. L'instruction ne donne aucune espèce de grief à la population flamande.

Nous voici à l'audience du tribunal correctionnel.

Les témoins entendus s'expliquent en flamand. S'il y a des Wallons ou des Français dans l'affaire, il y a un interprète ; si l'on ne se servait pas de l'interprète, il y aurait évidemment des mesures à prendre.

Donc à l'audience pas encore de grief.

Arrivent les plaidoiries. C'est ici que vient le grief. Il faut forcer le substitut du procureur du roi à parler en flamand.

M. Coomans. - Certainement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, soit. En cour d'assises on plaide en flamand. A Bruges, on plaide en flamand. A Bruxelles, on a voulu plaider en flamand. Des avocats flamands, après avoir commencé leurs plaidoiries en flamand, se sont interrompus et ont continué en français.

M. Coomans. - On a empêché des avocats de s'expliquer en flamand.

M. Van Wambekeµ. - C'est un arrêt de la cour d'appel.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Coomans, qui se pique toujours d'exactitude, est-il bien renseigné ? Ne s'agissait-il pas d'un avocat qui avait voulu récuser des membres de la Cour qui ne savaient pas le flamand ?

M. Jacobsµ. - C'est une erreur.

M. Coomans. - On n'a pas laissé parler en flamand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est là un cas unique. Il est possible que l'avocat n'ait pas pu parler à la suite de cette décision, mais j'indique la source de l'arrêt qui était fondé sur ce que deux membres de la cour ne savaient pas le flamand.

(page 140) Je demande pourquoi l'avocat qui voulait s'expliquer en flamand ne s'est pas pourvu contre la décision de la cour ? Qui dit que cette décision ferait jurisprudence ?

Au surplus, l'affaire n'avait pas l'importance qu'on lui a attribuée. Car, en fait, quand un avocat manifeste le désir de plaider en flamand, il plaide dans cette langue.

Je vais, messieurs, vous démontrer l'impossibilité de donner raison à l'honorable M. Gerrits, et de faire disparaître complètement le grief qu'il signale.

Pour qu'il n'y eût plus d'abus, que faudrait-il ?

Une magistrature complètement flamande dans les provinces flamandes, une magistrature complètement française dans les provinces wallonnes, une magistrature allemande pour les populations allemandes, puis à côté de chaque tribunal d'autres tribunaux ayant des membres parlant d'autres langues que celles de la majorité des habitants.

Vous êtes obligés d'en arriver là. (Interruption.)

Vous augmenteriez considérablement le budget de la justice et vous auriez une plus mauvaise justice que celle que vous avez actuellement.

Si vous aviez des juges d'occasion, pour juger uniquement les Flamands dans les provinces wallonnes, vous devriez payer ces juges grassement pour ne rien faire. Donc vous devez admettre que votre réforme est impossible pour le pays wallon et qu'elle est inutile pour le pays flamand, car tous ceux qui ont été nommés dans la magistrature connaissent le flamand.

Maintenant je prétends que si le ministre de la justice obligeait les membres du parquet à plaider en flamand, ce qui, pour le dire en passant, serait une violation de la Constitution, il ne serait pas suivi par le barreau. (Interruption.)

A Gand, à Bruges, les avocats ne plaideraient pas toujours en flamand, et ils ne le feraient pas dans l'intérêt du prévenu qu'ils ont à défendre.

Quand on a fréquenté le barreau et vu fonctionner les rouages de l'administration de la justice, on ne peut prendre au sérieux les plaintes dont M. Gerrits s'est fait très loyalement et très sincèrement l'écho. Ces causes, où un mot suffirait pour sauver l'accusé, et où l'accusé a été condamné faute d'avoir pu dire ce mot, mais elles n'existent pas. A côté du prévenu, il y a l'avocat qui a étudié le dossier, qui connaît tous les détails de l'affaire mieux que le prévenu lui-même et qui ne manque jamais de dire le mot qui doit sauver la situation.

L'avocat a causé avec son client, et il ne laisse pas égarer les débats. Je voudrais qu'on fît une statistique comparée des condamnations dans les pays flamands avec les condamnations dans les pays wallons, afin de pouvoir constater si le nombre des condamnations comparé au nombre des poursuites est plus élevé dans les provinces flamandes que dans les provinces wallonnes. Vous verriez, j'en suis sûr, qu'il n'y a pas de différence. La justice est bien rendue, dans toutes les parties du pays ; chaque fois que cela est nécessaire, il y a un interprète. En dehors de l'interprète, vous ne sauriez trouver un moyen pratique de donner satisfaction aux intérêts que vous défendez, et en supposant que l'arrêt de la cour d'appel auquel il a été fait allusion ne soit pas réformé, votre système ne conduirait qu'à avoir des interprètes pour la traduction des plaidoiries des avocats ?

- Une voix. - Et les réquisitoires ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Or, pas un avocat ne voudrait de ce système. (Interruption.)

La plaidoirie perdrait toute valeur ; est-ce que l'interprète est capable de plaider par voie de traduction ?

En matière civile, vous ne voudriez pas laisser traduire les plaidoiries ; vous ne le voudriez qu'en matière correctionnelle. Vous pouvez présenter un projet de loi dans ce but, et vous verrez l'accueil qu'il recevra. Dans l'intérêt de la population flamande elle-même, un pareil projet devrait être repoussé

Si maintenant les honorables membres veulent me signaler des abus particuliers dans l'administration de la justice, je suis prêt à les examiner et à y porter remède s'ils sont fondés ; mais quant à avoir en Belgique deux justices, l'une française, l'autre flamande, cela est impossible.

- Une voix. - Il faudrait aussi une justice eh allemand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment. Il y a plus. Les juges français ne saisissent pas tout ce que disent les paysans wallons qui viennent déposer devant les tribunaux, de même que les paysans wallons ne comprennent pas tous les procureurs du roi, qui s'expriment en français.

M. Coomans. - Nos paysans comprennent parfaitement les juges.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suis convaincu que les juges les comprennent aussi.

Je terminerai en répondant quelques mois à M. Delcour qui a critiqué un arrêté royal en matière de fondations au profit de l’enseignement primaire. L'honorable membre commence par accepter la législation en vigueur. Il ne la critique pas. Ce n'est pas le moment du reste de la critiquer, mais, dit-il, le gouvernement a fait de cette législation un emploi abusif.

Je crois que l'honorable membre se trompe.

De quoi s'agit-il dans l'affaire qu'il a portée devant vous ? Une demoiselle Favier fait un legs au profit de l'instruction publique ; mais elle se trompe, et elle dit que ce legs sera donné au bureau de bienfaisance à condition que ce seront des institutrices religieuses qui seront nommées pour desservir l'école. Cette disposition d'elle-même est entière, complète, elle est attributive d'une somme déterminée à un service public qui se nomme l'instruction primaire. Mais la demoiselle Favier, à cette clause, en ajoute une autre.

Si, dit-elle, la condition que je viens d'indiquer ne peut être exécutée, je donne la somme indiquée, partie à la fabrique, partie au bureau de bienfaisance.

L'honorable membre blâme le gouvernement de ne pas avoir, en annulant la première clause, approuvé la seconde. Le Roi aurait dû, d'après l'honorable membre, attribuer la somme au bureau de bienfaisance ou à la fabrique. Eh bien, je dis que l'honorable membre manque à ses prémisses. Il dit qu'il accepte la législation en vigueur. Mais en vertu des lois existantes, le gouvernement ne pouvait faire autre chose que ce qu'il a fait, et je vais le démontrer.

Il y a un legs au profit de l'instruction publique, qui est capable ? Il ne s'agit pas ici de la loi de 1864, mais de la loi de 1842. Qui est capable ? Ce n'est pas le bureau de bienfaisance, c'est la commune. Nous ne pouvions donc instituer que la commune.

Mais il y avait une condition, c'était de faire donner l'instruction par des religieuses ; or cette condition était illégale, elle était contraire non à une loi libérale, non à une loi pour laquelle le parti libéral a de l'enthousiasme, mais à une loi qui est l'œuvre de nos adversaires, c'est-à-dire la loi de 1842. La loi de 1842 ne permet pas qu'on fasse des attributions de biens à des communes avec la condition de faire donner l'instruction par des religieuses, et si l'honorable membre le conteste, je lui soumettrai des décisions émanant de membres de son parti.

M. Delcourµ. - J'accorde cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette disposition était donc illicite. Eh bien, que fallait-il faire, aux termes de l'article 900 du Code civil ? Il fallait considérer cette disposition comme non écrite. C'est ce que nous avons fait ; nous nous trouvions dès lors en présence d'une disposition pure et simple au profit de l'enseignement primaire.

Vous prétendez que nous aurions dû prendre la clause subsidiaire. Mais, messieurs, en agissant ainsi, nous aurions admis la légalité de clauses pénales introduites pour assurer l'exécution d'une clause illicite.

Je le répète, messieurs, dans le cas dont s'est occupé l'honorable M. Delcour, nous n'avons fait qu'appliquer l'article 900 du Code civil ; pour défendre la thèse qu'il a soutenue, l'honorable membre s'est mis à côté de cette disposition légale et il s'est laissé entraîner par le désir de corriger une législation que la droite a vivement combattue.

Quant à nous, messieurs, nous ne pouvons reconnaître la validité de clauses qui constituent de véritables clauses pénales dont le but est d'obtenir le maintien de dispositions contraires à la loi.

On ne peut pas violer la loi ; et dès lors il n'est pas possible de prononcer des pénalités contre ceux qui refusent de la violer.

L'intention de la testatrice a été bien manifestement de favoriser l'instruction publique, mais elle avait introduit dans son testament une clause illicite ; pouvions-nous la respecter ? Si la testatrice n'avait pas eu pour but unique de favoriser l'instruction publique, elle pouvait parfaitement disposer en faveur du bureau de bienfaisance ou de la fabrique d'église, le gouvernement eût dû respecter et eût certainement respecté ces dispositions. Mais elle avait formellement disposé en faveur de l'instruction publique et dès lors nous devions repousser toute disposition contraire à cette intention, c'est ce que nous avons fait.

M. de Brouckere. - Je demande la permission d'ajouter deux mois aux explications que vient de donner M. le ministre de la justice relativement à l'église de Laeken.

La commission dont M. le ministre a parlé, après de nombreuses réunions, est bien près d'avoir terminé sa mission.

Elle a nommé deux rapporteurs qui ont terminé leur travail ; de telle manière que la commission a pu être convoquée pour samedi prochain, à l'effet d'en entendre la lecture.

(page 141) A moins d'un incident imprévu, son rapport sera donc incessamment adressé à M. le ministre de la justice ; et je suis charmé de pouvoir vous déclarer dès à présent que les conclusions de ce rapport sont parfaitement rassurantes.

M. Bouvierµ. - J'en suis également charmé.

M. Lambertµ. - Je désire adresser à M. le ministre une interpellation relativement à un point de procédure qui me paraît digne de toute son attention.

Mais avant de formuler mon interpellation, je dirai à mon tour quelques mots des plaintes qui s'élèvent de toute part contre le chiffre considérable des frais de justice, à raison de ventes de biens appartenant à des mineurs soit en cas d'indivision entre eux, soit en cas d'indivision avec des majeurs.

Ces plaintes, messieurs, sont parfaitement fondées.

Les frais dont il s'agit sont extraordinairement considérables et souvent peu en rapport avec l'objet de la licitation. Il y a évidemment quelque chose à faire ; mais le moment de le faire est-il venu ? Pour moi, cela est fort douteux. Ainsi que le disait M. le ministre de la justice, on s'occupe en ce moment même de la révision du Code de procédure et on ne sait pas encore à quoi on aboutira sur le point spécial qui nous occupe et, en outre, messieurs, on ne sait pas quand le nouveau projet de Code pourra être mis en discussion.

Cependant le mal persiste ; toutefois je pense qu'il y aurait un moyen terme qui sera facilement saisi par M. le ministre de la justice. Ce moyen n'entraverait en rien les travaux de la commission chargée de la révision du Code de procédure, et il produirait ce bienfait de mettre un terme à l'état de choses actuel.

Que manque-t-il, messieurs, pour que les frais ne s'élèvent pas trop et soient ramenés à une uniformité parfaite ? Une chose bien simple : une tarification et rien de plus.

Notez, messieurs, que le tarif de 1807 ni aucun autre n'a prévu les devoirs prescrits pour arriver à l'obtention d'un jugement ordonnant la vente de biens de mineurs. Il en résulte qu'à défaut de tarification, d'abord la forme varie à l'infini et ensuite les magistrats taxateurs, se livrèrent à un..... libre mouvement, dirai-je, qui varie également à l'infini, de sorte que si, au moyen d'un simple arrêté royal, M. le ministre de la justice faisait une tarification (et il existe des précédents législatifs qui le permettent), il mettrait fin aux plaintes qui s'élèvent de toute part, et il ferait en cela acte d'excellente administration.

Mon interpellation, messieurs, a pour objet non pas de distraire une partie du Code de procédure pour en faire une loi spéciale, mais d'abroger seulement un paragraphe d'un article du même Code, qui n'est plus en rapport avec nos besoins actuels. <

Messieurs, loin de moi la pensée de faire ici un Code de procédure ; ce serait une œuvre parfaitement ennuyeuse et pour l'orateur et pour ses auditeurs.

Cependant, force m'est bien d'entrer dans quelques détails, que je m'efforcerai d'ailleurs d'abréger autant que possible.

En matière de procédure, la loi fixe les délais d'assignation par devant le tribunal. Ainsi, quand un citoyen belge assigne un autre Belge, il est obligé, d'après la loi, de lui laisser un délai franc de trois jours, augmenté d'un jour par trois myriamètres de distance. C'est fort bien ; mais il est un autre cas, c'est celui où un Belge assigne, devant la juridiction, de son pays, un étranger.

Le Code de procédure date de 1806, si mes souvenirs sont fidèles ; il a donc été fait à une époque où n'existaient pas entre les pays les facilités de communication que nous possédons aujourd'hui ; à cette époque, les communications étaient très difficiles et l'on conçoit qu'il fallait accorder un délai assez long à l'étranger appelé devant la juridiction belge. Mais, messieurs, conçoit-on qu'aujourd'hui encore on accorde à un étranger habitant une commune limitrophe de la Belgique, un délai de deux mois francs plus un jour par trois myriamètres ?

C'est là, il faut en convenir, messieurs, une véritable anomalie que quelques exemples vont vous faire comprendre parfaitement.

Je suppose qu'un commerçant de Bruxelles ait à assigner un Hollandais qui réside à Maestricht ; il l'assigne au moyen d'une lettre chargée à la poste ; le lendemain matin, l'habitant de Maestricht sera en possession de l'assignation et il pourra, dans les huit jours, venir remettre sa cause à un avocat de Bruxelles.

Mais point. Le commerçant de Bruxelles, qui a la preuve que son assignation a été remise, le lendemain de l'envoi, à l'habitant de Maestricht, est obligé d'observer vis-à-vis de la loi un délai de deux mois, plus un délai supplémentaire d'un jour par trois myriamètres.

Evidemment cela n'est plus en rapport avec la situation actuelle. (Interruption.)

Pardon ; il est de jurisprudence constante qu'aucun magistrat ne peut abréger le délai fixé en faveur de l'étranger. Il n'y a pas de discussion possible à cet égard. Il faudrait ajouter au texte de la loi. Il n'y a pas de doute et j'affirme ; j'ai vérifié la chose.

Il y aurait là un point très important à examiner ; il peut résulter de l’état actuel des choses des conséquences très graves ; un étranger peut être, certes, de bonne foi ; mais il peut être aussi de mauvaise foi ; eh bien, s'il est de mauvaise foi, grâce aux deux délais qui lui sont accordés pour comparaître devant la justice, il peut disposer de ses biens, et le jugement qu'on aurait obtenu contre lui deviendra naturellement une lettre morte.

En résumé, la suppression d'un simple paragraphe de l'article 75 du Code de procédure mettrait l'étranger sur le même pied que le régnicole.

C'est peut-être une présomption de ma part de pénétrer dans ce que j'appellerai la question flamande ; cependant il y a un mot qui me fait prendre la parole. L'honorable M. Gerrits, s'adressant à nous, a dit : «V ous êtes des hommes de cœur, et vous voulez sans contredit que la justice soit rendue, comme elle doit être rendue dans tout le pays ; qu'elle soit rendue en faveur des Flamands comme en faveur des Wallons. »

C'est parfaitement vrai. Mais je puis attester une chose, comme appartenant à un barreau qu'on appelle français ou wallon ; chaque fois que des Flamands y ont comparu, ils y ont été entourés des soins les plus complets pour que la justice leur fut rendue, comme elle devait l'être. Il n'est pas à ma connaissance qu'un simple prévenu correctionnel, ne connaissant pas la langue française, n'ait pas été immédiatement assisté d'un interprète qui lui rendait en flamand tout ce qui se disait aussi bien contre lui qu'en sa faveur.

Sans doute, il peut y avoir des abus pour les Flamands, mais il y en a aussi pour les Wallons. Soyez bien certains que nos campagnards wallons ne connaissent pas tous le français ; eh bien, souvent ils sont interrogés et jugés en français, sans qu'ils le comprennent.

Que faire ? Il est évident que vous ne pouvez pas établir des tribunaux wallons ; la chose d'abord serait ridicule en elle-même ; ensuite, elle serait extrêmement dispendieuse.

Il y a plus : je ne sais ce qui se passe chez les Flamands, comme on dit vulgairement ; mais je sais bien que, nous autres Wallons, nous ne nous entendons guère. Si par exemple des magistrats liégeois, et ils parlent tous parfaitement le wallon ou plutôt le liégeois, car c'est une langue, dit-on ; si ces magistrats, dis-je, venaient interroger les Wallons de nos environs, ils ne se comprendraient pas.

Où arriveriez-vous avec des subdivisions de ce genre ? Ce qu'on demande est vraiment irréalisable ; ce que l'on doit chercher, c'est d'obvier le plus possible aux abus qui peuvent exister dans l'état actuel des choses.

Mais avant tout, il faut que les plaintes soient précisées, que les remèdes soient déterminés catégoriquement. Sans ces deux conditions, la discussion ne pourra aboutir.

M. Coomans. - Messieurs, en prenant la liberté d'interrompre M. le ministre de la justice, j'ai dit qu'il était à ma connaissance qu'on avait défendu à des prévenus flamands et à leurs avocats de s'exprimer en flamand. Là-dessus M. le ministre de la justice m'a donné un démenti qui a été immédiatement repoussé par l'assemblée presque tout entière ; il y a un arrêt qui constate le fait auquel j'ai fait allusion.

Ce fait paraît très simple à M. le ministre de la justice. Pourquoi, dit-il, le prévenu à qui on a défendu de parler en flamand, n'a-t-il pas été en cassation ? Ce n'était qu'un premier arrêt. Un autre arrêt aurait pu suivre celui-là.

Mais croyez-vous qu'il soit toujours agréable, qu'il soit toujours possible au public, surtout aux pauvres, d'épuiser les ressources de la haute chicane qui coûte si horriblement cher.

Une chose m'a déplu dans le discours de l'honorable ministre de la justice : c'est d'avoir dit que les phrases de l'honorable M. Gerrits n'étaient pas sérieuses. Eh bien, les paroles prononcées par l'honorable membre sont parfaitement sérieuses, à notre sens à tous, j'en appelle à votre intelligence et à vos cœurs. Plusieurs réclamations de nos compatriotes flamands sont très sérieuses ; mais celle-ci l'est particulièrement. Jamais on ne me convaincra qu'il soit non seulement juste, mais raisonnable, d'empêcher un prévenu de comprendre l'accusation dont il est l'objet.

Je croyais que le premier des droits naturels, surtout dans les pays civilisés, c'était de se faire entendre des gens à qui l'on demande la bourse ou la vie.

(page 142) Quoi ! vous trouvez naturel qu'on puisse condamner un homme sans qu'il ait pu comprendre ! Loin de trouver que l'honorable M. Gerrits a été trop loin, je me servirai d'une expression plus forte ; je dirai que ce régime est odieux, barbare, absurde.

Messieurs, il m'a paru que M. le ministre de la justice plaide beaucoup plus en faveur des juges et des avocats qu'en faveur du public.

Or, je pense que la justice est instituée pour le public et non pas du tout pour messieurs les juges ni pour messieurs les avocats.

D'après M. le ministre, les avocats ne se résigneront pas au rôle qu'on veut leur faire jouer. Mais la liberté du langage dont je suis partisan, c'est la liberté en faveur des contribuables et non la liberté en faveur des fonctionnaires de tout rangs. Je prétends que la liberté de langage n'existe pas pour le fonctionnaire.

Le fonctionnaire doit connaître le langage de ses administrés ; le juge doit connaître le langage de l'accusé. Voilà ce qui est élémentaire et voilà ce qui n'existe pas.

Il est vrai, je le reconnais, la justice avant tout, que le grave abus dont nous nous plaignons a été atténué dans une assez forte mesure depuis un certain nombre d'années ; mais aussi il était temps qu'il fût atténué ; car on avait poussé les choses un peu loin. Je vais vous citer un fait que vous qualifierez avec moi de scandaleux.

Lorsque je fus nommé représentant de Turnhout, pays essentiellement flamand, j'appris avec une surprise que je n'avais jamais ressentie, que le chef de la gendarmerie de l'arrondissement, un lieutenant de gendarmerie, ne connaissait pas un seul mot de flamand. On ne s'en plaignait guère ; d'abord on était habitué à beaucoup de faits de ce genre, et puis cet officier était un très galant homme, un charmant homme ; on était satisfait de lui ; et comme il était très intelligent, il trouvait toujours quelque moyen d'avoir l'air de remplir ses fonctions.

M. Bouvier.µ. - Il avait l'air ?

M. Coomans. - Il avait l'air de remplir en personne ses fonctions, alors qu'il était aidé par des brigadiers ou par des gendarmes flamands.

La première réclamation que je pris la liberté de faire au gouvernement à mon retour à Bruxelles, fut relative à cet objet. Je dis à M. le ministre de la guerre qu'il y avait, dans un pays exclusivement flamand, un fonctionnaire qui ne savait pas le flamand, quoique la connaissance de cette langue fût plus nécessaire à ce fonctionnaire qu'à aucun autre.

M. le ministre de la guerre me répondit assez lestement, comme vient de le faire M. le ministre de la justice, que je me trompais, que cela était impossible, parce que cela était absurde.

Je dis alors : J'en suis enchanté, parce que vous allez remplacer le plus honorablement du monde cet officier, et je vous le recommande beaucoup. Comme je viens de vous le dire, c'était un parfait, un excellent homme et un excellent officier de gendarmerie. C'est ce qu'a fait M. le ministre de la guerre, il a bien fait ; je voudrais que M. le ministre de la justice en fît autant.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - En quoi ?

M. Coomans. - Je vais vous le dire immédiatement. Vous deviez obliger tous les magistrats des provinces flamandes à parler flamand, quand cela est nécessaire ; c'est-à-dire quand les plaideurs ou les avocats le demanderont, et dans le cas où ce magistrat se refuserait à l'accomplissement de ce devoir, vous devriez le déplacer.

- Un membre. - On devrait déplacer les juges ?

M. Coomans. - Il s'agit des fonctionnaires amovibles.

Mais, dit-on, depuis bien des années, nous n'avons plus nommé dans les provinces flamandes, dans les arrondissements flamands, que des magistrats sachant très bien le flamand.

Messieurs, cela n'est pas. Savoir le flamand est un mot très large. Je connais quelques honorables Wallons qui se vantent de savoir le flamand, mais qui seraient fort embarrassés de s'expliquer en flamand, surtout en public. Maint fonctionnaire wallon passe pour savoir le flamand, et permettez-moi de le dire, j'espère que M. l'honorable ministre de la justice ou l'honorable M. Tesch ne s'en fâcheront pas, en fait de flamand je désirerais des certificats plus significatifs que ceux qu'ils signent eux-mêmes. Je le répète, maints fonctionnaires judiciaires et autres ne savent pas le flamand dans nos provinces flamandes.

Mais, messieurs, voici l'objection la plus injurieuse que l'on ait faite aux populations flamandes. Si votre principe est adopté, si vous voulez des tribunaux flamands, par conséquent des fonctionnaires flamands, vous allez doubler le budget ; car il nous faudra aussi établir des tribunaux pour les différentes wallonneries qui existent en Belgique. Il faudra des tribunaux pour les Liégeois, des tribunaux pour les Dinantais, des tribunaux pour les Namurois, pour les Hennuyers, etc. Car, chose singulière, dites-vous, nous ne comprenons pas nous-mêmes nos concitoyens, les Wallons ne s'entendent pas entre eux.

- Des membres. - Et les Flamands non plus.

M. Coomans. - Les honorables membres qui m'interrompent seraient fort embarrassés si je les priais de préciser cette assertion.

M. Allard. - Voulez-vous que je vous cite un fait ? J'étais à Blankenberghe il y a trois ou quatre ans. On demandait ce qui se disait près de moi. Je répondis : je n'en sais rien, je ne connais pas le Flamand. Un homme qui était présent, me dit : Je suis de Bruxelles, je connais le flamand et je ne le comprends pas. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Voilà un fait.

M. Delaetµ. - Qu'est-ce que cela prouve ?

M. Coomans. - Je puis donner à l'honorable membre l'assurance que ce monsieur s'est vanté, qu'il ne savait pas le flamand. Nous autres Flamands nous nous comprenons parfaitement d'un bout de la Belgique à l'autre. (Interruption.)

M. Crombez. - C'est un erreur complète.

M. Coomans. - Il est étrange que les plus affirmatifs sont ceux qui ont le moins le droit de l'être.

M. Allard. - Je vous ai cité un fait.

M. Delaetµ. - Monsieur Allard, ce n'est pas un fait qui prouve quelque chose.

M. Allard. - En voulez-vous un autre ? Un gendarme qui était présent, répondit : Moi, je les comprends, parce qu'ils parlent le flamand d'Ypres. (Nouvelle interruption.)

M. Coomans. - Il n'est pas inutile d'insister sur ce point, car j'ai lieu de croire que la grande cause des injustices beaucoup trop longues que l'on fait subir aux populations flamandes, c'est qu'on ne connaît pas notre langue. Il y a une foule de préjugés qui empêchent qu'on ne lui rende justice.

La vérité est celle-ci : la langue flamande est une. Il n'y a pas un Flamand d'Anvers qui ne comprenne parfaitement le flamand d'Ypres ; il y n'y a pas un Flamand de Dixmude qui ne comprenne parfaitement le flamand d'Anvers. Il y a plus, le flamand de Blankenberghe, c'est tout simplement le flamand de Scheveningen, le flamand d'Amsterdam, le flamand de Dantzig, et puisque l'honorable M. Allard vient de nous raconter une historiette...

M. Allard. - C'est l'exacte vérité.

M. Coomans. - ... voici un fait dont les équivalents pourraient être attestés par beaucoup de personnes. Il y a une vingtaine d'années arrive à Bruxelles un pauvre prêtre des rives de la Baltique, de près de Königsberg ; il ne savait que l'allemand, cependant, il avait besoin de moi, qui ne comprends que le haut allemand ; nous engageons par écrit une conversation en latin, qui dura 5 ou 6 heures et dont il n'eut pas, je crois, à se plaindre ; mais comme cela me fatiguait je lançai quelques mots flamands assez vulgaires exprimant ma vive impatience ; il me répondit sur le même ton et dès ce moment nous parlâmes chacun notre langue, moi la langue des Flandres, lui la langue du Brandebourg et nous nous entendîmes parfaitement.

Eh bien, messieurs, sur toute la côte méridionale de la Baltique, un Flamand peut se tirer d'affaire avec la seule langue flamande.

On dit que pour nous rendre justice il faudrait doubler tous les tribunaux de nos districts, afin de permettre aux populations de ces districts de s'exprimer dans leur langue ; nous ne demandons pas cela, nous demandons simplement des juges qui sachent le flamand ; mais ce qui pourrait être utile, ce serait de doubler le personnel des tribunaux dans les arrondissements mixtes ; Bruxelles en est un et Bruxelles est bien plus flamand que wallon. Eh bien, dans ces arrondissements il faudrait prendre des mesures pour que tout justiciable flamand pût s'exprimer dans sa langue devant ses juges et qu'on ne vît plus se renouveler le scandale d'une haute cour de justice défendant à un citoyen de s'exprimer en flamand.

M. Orts. - Remarquez que c'étaient des juges envoyés du Hainaut.

M. Coomans. - S'ils ne savaient pas le flamand, ils n'avaient pas le droit de figurer dans un tribunal appelé à juger des Flamands.

M. Orts. - Voilà la liberté.

M. Coomans. - Certainement et c'est la liberté, car la liberté est faite pour le peuple et les fonctionnaires sont les serviteurs du peuple. Voilà mon principe ; la première des libertés de pouvoir, c'est parler sa langue et c'est par des arguties seulement qu'on peut repousser une thèse pareille.

La grande thèse de nos aïeux en matière de justice, c'était qu'il fallait (page 143) être jugé par ses pairs ; on a en grande partie maintenu ce principe en maintenant le jury, mais les pairs sont essentiellement ceux qui peuvent nous comprendre ; je tiens bien plus à avoir pour juge un homme qui me comprenne qu'un homme de ma classe et de ma condition. Jamais nos pères n'auraient compris que le fonctionnaire eût la liberté de parler la langue qui lui convient et que le citoyen n'eût pas le droit de parler la sienne.

Vous criez bien souvent et quelquefois avec raison, contre les abus d'un autre âge ; mais il y a eu chez nous pendant plusieurs siècles une prescription fondamentale relative à l'usage des langues. Dans le duché de Brabant, par exemple, qui est mixte au point de vue de la langue, il était défendu de par la Constitution, à n'importe quel fonctionnaire de commencer son office si non seulement il ne savait pas le flamand, mais s'il n'était pas né dans la partie flamande du Brabant. Je ne vais pas jusque-là ; je connais quelques Wallons qui savent très bien le flamand ; mais voilà ce que faisaient nos aïeux : quiconque ne savait pas la langue flamande, y compris même les ministres de l'empereur, n'avait pas le droit d'exercer des fonctions.

C'est écrit dans deux ou trois articles de la joyeuse entrée.

Je vous en prie, messieurs, soyez bien persuadés que les phrases de l'honorable M. Gerrits sont très sérieuses.

Nous apportons une très grande modération dans le soutien des réclamations de nos compatriotes dans le pays flamand, car vous seriez surpris si vous entendiez les commentaires qu'ils font sur les abus dont nous demandons l'abrogation la plus prompte.

Proposition de loi

Dépôt

MpVµ. - Deux membres ont déposé un projet de loi. Il sera immédiatement communiqué aux sections.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1867

Discussion générale

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre vient de se rasseoir en prétendant qu'il apporte une grande modération dans la défense de ses idées.

Je ne sais si l'on peut appeler modération le fait de préconiser un système qui aurait pour but de diviser le pays en deux, d'exclure de toute fonction publique, judiciaire et administrative, d'exclure même du banc ministériel toute personne qui ne saurait pas parler le flamand. Ce serait revenir aux plus beaux jours du régime hollandais. La population flamande s'attribuerait de par la langue le droit de gouverner tout le pays.

M. Coomans. - Si elle savait le français.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais oui, car vous qui vous moquez de la prétention qu'ont beaucoup des Wallons de connaître la langue flamande, vous viendriez demander le monopole de la direction politique et administrative du pays pour les Flamands.

J'ai demandé à l'honorable membre de vouloir bien m'indiquer les réformes qu'il proposerait. Il m'a répondu par chartes de l'ancien temps. Sont-ce ces chartes qu'il veut rétablir ?

M. Coomans. - J'ai dit que non.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, pourquoi les citer alors, si ce n'est que pour établir le contraste entre ce qui existe maintenant et les précieux avantages que vous regrettez.

Il ne suffît pas de venir déclamer contre les abus et de dire que les Flamands sont persécutés.

Je vous ai demandé votre plan. Vous ne me l'avez pas indiqué. Vous n'avez cité qu'une seule affaire, l'affaire Karsman.

Nous avons répondu : C'est un fait isolé. Devant tous les tribunaux flamands, les prévenus ou les avocats peuvent s'expliquer en flamand.

Tous les jours, messieurs, il y a des arrêts dont on peut contester la valeur ; selon moi, la cour aurait pu admettre un interprète pour traduire la plaidoirie de l'avocat. Mais, est-ce que la législature, chaque fois qu'un jugement ou un arrêt sera rendu qui n'aura pas l'approbation de l'un ou de l'autre, devra intervenir ? Ainsi en ce moment, à Anvers, se débat la question du serment. Est-ce que les honorables membres veulent que le gouvernement intervienne ?

L'honorable M. Gerrits viendra-t-il me sommer de porter devant la cour de cassation l'affaire du serment parce qu'un tribunal a ordonné à un particulier de prêter le serment religieux ? Je ne lui ai rien entendu dire de semblable.

Ne venez donc pas prétendre de ce qu'il existe un arrêt qui a défendu à un avocat de s'expliquer en flamand, qu'il en soit ainsi devant tous les tribunaux.

J'ai dit que les avocats, dans l'intérêt même de leurs clients, ne plaideraient pas en flamand. Portez la question devant le barreau et vous verrez ce qu'il vous répondra.

Etablirez-vous des tribunaux spéciaux ?

M. Coomans. - Je vous ai dit qu'il ne faut pas de tribunaux spéciaux, mais des magistrats qui sachent parfaitement le flamand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La loi est en français et l'on fait les études en français.

Je ne puis pas faire naître des jurisconsultes écrivant des ouvrages en flamand.

M. Delaetµ. - On ne plaide donc pas en Hollande ?

M. Orts. - On y cite la loi en français.

M. Coomans. - Il y a un texte officiel.

M. Orts. - Il est mal traduit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable député d'Anvers ne va pas, je pense, forcer les gens à étudier la loi en flamand dans les universités et dès lors tous les avocats apprendront le droit en français.

Vous ne vous plaignez que d'une chose, c'est que les plaidoiries se fassent en français.

Dans les provinces flamandes vous avez des jurés qui savent le flamand. Ce sont des gens pris dans le pays, comme dit l'honorable M. Coomans. A Bruges, j'ai entendu les avocats et le substitut du procureur du roi s'exprimer en flamand.

M. Gerritsµ. - Vous disiez, tout à l'heure que c'était impossible.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai dit qu'il n'était pas impossible de plaider exceptionnellement en flamand, mais vous voulez généraliser. On est libre de le faire et on le fait quelquefois.

M. d’Elhoungneµ. - On le fait dans les petites affaires.

M. Van Wambekeµ. - Le réquisitoire devrait se faire en flamand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voilà tout l'abus : le réquisitoire devrait se faire en flamand ! Peut-on, à cause de cela, dire que la justice n'est pas rendue en Belgique ?

S'il n'y a que cet inconvénient, l'on pourrait faire traduire les réquisitoires. C'est peu de chose. Mais la question flamande ne disparaîtra pas pour cela.

Du reste tout ce qui a lieu à l'audience doit être traduit si l'accusé le demande. C'est un principe de jurisprudence.

On se plaint, messieurs, pour les Flamands. Je pourrais me plaindre pour les Wallons.

Si dans la Flandre occidentale ou dans la province d'Anvers un Flamand comparaît devant la Cour d'assises, toute l'instruction est faite en flamand, les témoins entendus à l'audience peuvent s'exprimer en flamand. (Interruption.) S'il y a des inconvénients, ils sont causés par la différence de nos langues. En France, y a-t-il des tribunaux spéciaux pour les différentes langues qu'on y parle ? (Interruption.)

MfFOµ. - Est-ce que la question de justice n'est pas la même ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous admettez le droit pour le flamand, vous devez l'admettre pour les patois. Mais vous reculez devant la difficulté.

M. Coomans. - Le patois n'est pas dans la Constitution.

MfFOµ. - La Constitution proclame la liberté des langues.

M. Mullerµ. - Est-ce que le flamand serait dans la constitution et le wallon pas ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'est pas besoin de passionner le débat ; j'ai reconnu qu'il y avait des inconvénients actuels, mais il y en a pour tout le monde ; il y en a pour les Flamands, il y en a pour les Allemands.

Je suppose que devant la cour d'assises de Liège comparaisse un Allemand appartenant à la province de Luxembourg, faudra-t-il constituer une cour et un jury spéciaux composés de membres sachant l'allemand ? (page 144) M. Coomans lui-même n'oserait pas le soutenir. Il y a des obstacles naturels devant lesquels il faut s'incliner ; c'est ce que ne veut pas comprendre M. Coomans.

L'honorable membre va jusqu'à prétendre que les lois ne sont pas faites pour les fonctionnaires. Soit, mais elles ne sont pas faites contre eux. Est-ce que les fonctionnaires ne sont pas citoyens, est-ce qu'ils ne le sont pas au même titre que tous les membres de la grande famille belge ; est-ce que vous voulez prononcer contre eux des proscriptions parce qu'ils ne connaissent pas toutes les langues du pays ? Ainsi, parce dans le ressort de la cour d’appel de Bruxelles, il y a la province d’Anvers et une partie du Brabant où l’on parle flamand, les membres des tribunaux et des parquets du Hainaut et de la partie wallonne de la province de Brabant ne pourront jamais devenir membres de la cour !

Si vous soutenez une pareille thèse, vous allez contre la loi, vous allez contre la Constitution qui ne distingue pas entre les langues, et si l'on vous laissait faire, vous rétabliriez, au profit de la langue flamande, des proscriptions contre ceux qui parlent le français. Les Wallons ne se plaignent pas. (Interruption.) Ils sont tout disposés à faire en faveur des Flamands, leurs frères, toutes les concessions possibles. Mais les honorables membres qui protestent ne sauraient indiquer des mesures à prendre ; à peine de tout bouleverser, et d'augmenter le budget dans des proportions considérables, ils ne sauraient réaliser leur programme.

- Voix nombreuses. - A demain !

M. Delaetµ. - Je ne serai pas long, mais je demande à parler tout de suite. Je n'ai pas de raisonnement à faire, je veux simplement exprimer mon indignation de voir ceux qui nous proscrivent se plaindre de la proscription ! Je pose en fait qu'un Flamand qui ne sait que sa langue maternelle n'est rien en Belgique, n'est pas citoyen.

M. Coomans. - Rien du tout.

M. Delaetµ. - Il n'est capable d'être ni président de la cour de cassation, ni conseiller, ni juge, il ne serait pas même capable d'être gendarme. Voilà ce qu'est le citoyen belge qui ne sait que le flamand.

MfFOµ. - Du tout.

M. Delaetµ. - Citez moi un fonctionnaire, le plus humble, de qui vous n'exigiez pas la connaissance du français. Cette fois vous pouvez dire. Il n'y en a pas. Ces mots vous les avez dits un jour à propos de douaniers flamands et M. Tesch l'a dit à son tour tout à l'heure. Je ne voudrais rien préciser quant à présent, mais je sais qu'il y a peu de mois les convoyeurs du bureau de Lillo destinés à convoyer nos petits bateaux flamands et hollandais étaient presque tous des Wallons ; ils se plaignaient de la tâche qui leur est imposée, absolument comme les bateliers se plaignaient de ne pas les comprendre. M. Tesch a dit tout à l'heure : Il n'y en a pas. Mais il est fâcheux pour lui qu'un fait analogue à celui cité par M. Coomans existe aussi à Hasselt.

J'ai vu très récemment, à propos de l'affaire de Zonhoven, un gendarme, le maréchal des logis chef Ledoux, si je ne me trompe, venir déclarer devant le juge de paix qu'il avait assisté à l'affaire entre le bourgmestre, le vicaire et...., mais que ne sachant pas le flamand, il n'avait retenu qu'un seul mot, celui de smeerlap.

Eh bien donc aujourd'hui même, en plein Limbourg, la gendarmerie est commandée par un homme qui ne sait pas le flamand. Ce qu'il n'y a pas, ce sont des fonctionnaires ne parlant pas le français.

Je ne veux pas entrer dans les détails, j'espère que la Chambre mettra à son ordre du jour le rapport que j'ai eu l'honneur de lui soumettre et qu'alors nous pourrons entrer dans les détails de cette question flamande, question grave, question essentiellement nationale, qui donne à la Belgique son véritable caractère ; car si la Belgique entière parlait le français, je ne me fierais pas à un système de défense, si puissant qu'il puisse être. Il y a des lois naturelles qui agissent... (Interruption.) La Belgique peut rendre grâce à Dieu d'être flamande... (Nouvelle interruption.) C'est ma conviction et je l'exprime ; on voudrait l'assimilation complète de notre pays à la France ; l'assimilation complète, il y a un autre mot pour cela, mais je m'abstiendrai de le prononcer.

M. Mullerµ. - Il faut tout dire.

M. Delaetµ. - J'ai cru remarquer dans le discours de M. le ministre de la justice et dans quelques interruptions de M. le ministre des finances que la question flamande est mal comprise parce que le flamand n'est pas compris d'une partie de cette Chambre. On nous oppose toujours les patois, mais, messieurs, il y a des patois flamands, mais ce n'est pas l'un ou l'autre patois flamand dont nous parlons ; nous vous parlons de la langue flamande qui est une langue littéraire depuis le XIIème siècle et que tout le monde comprend. Si l'expérience était douteuse, je pourrais vous en fournir la preuve ; je n'aurais qu'à parler ma langue maternelle et tous mes collègues flamands me comprendraient.

M. Jacobsµ. - Nous avons tous compris le mot que vous avez dit tantôt.

M. Delaetµ. - Ainsi si l'on continue d'asseoir la question flamande sur cette base fausse, nous en ferons l'expérience ; nous parlerons flamand dans cette enceinte et si nous avons le malheur (malheur pour moi tout au moins) de n'être pas compris de nos collègues wallons, nous avons du moins la certitude de l'être complètement, entièrement et cordialement par nos collègues flamands.

MfFOµ. - Messieurs, je ne veux dire qu'un mot à propos du fait signalé par l'honorable M. Delaet, qui, ayant rencontré à Lillo un préposé des douanes ne sachant pas le flamand, en conclut que l'on envoie dans les provinces flamandes des douaniers qui ignorent la langue usitée dans ces provinces.

Je puis assurer à l'honorable membre qu'il se trompe, du moins en un sens, que je vais expliquer. Mais d'abord, je veux faire remarquer que l'on trouve déjà, dans la composition du personnel de la douane, que l'on peut être quelque chose en Belgique, bien, que ne sachant que le flamand, car il y a des douaniers qui ne savent que cette langue, et qui cependant ont pu trouver à se créer une position dans l'administration.

Votre erreur, sous ce rapport, est donc évidente.

M. Delaetµ. - J'ai parlé d'un brigadier.

MfFOµ. - Je parle des douaniers en général, et il y a probablement des brigadiers qui se trouvent également dans la position que j'ai indiquée. (Interruption.) Vous avez dit que tout individu ne sachant que le flamand est un véritable proscrit dans son pays. Comme preuve à l'appui de cette assertion, vous avez parlé de douaniers, et je vous réponds en vous citant l'exemple de douaniers qui ne savent que le flamand.

M. Delaetµ. - Si M. le ministre peut m'en citer trois, je me déclarerai satisfait.

MfFOµ. - Si je voulais compulser les états de signalement des agents de l'administration des douanes, je suis bien certain que nous en trouverions un nombre assez considérable ne sachant que le flamand.

Du reste, messieurs, c'est une règle invariablement suivie, non pas seulement parce que la justice le veut, mais parce que le simple bon sens le commande, de n'employer dans les provinces flamandes que des agents sachant le flamand ; n'est-il pas évident que, s'il en était autrement, il leur serait matériellement impossible de s'acquitter de leurs fonctions, puisqu'ils ne pourraient se faire comprendre des populations ?

Néanmoins, les circonstances viennent parfois gêner l'administration dans l'application de ce principe. Il arrive de temps en temps que la nombre de candidats flamands pour les emplois de douanier qui deviennent vacants dans les provinces flamandes est insuffisant pour pourvoir à ces emplois. Le service de la douane doit pourtant être assuré ; l'action de l'administration ne peut être suspendue, et il se fait ainsi que forcément des douaniers wallons doivent être envoyés dans ces parties du pays.

C'est là une nécessité devant laquelle on est bien obligé de céder. Maïs cette situation tout accidentelle n'a jamais qu'une durée fort limitée, et dès que les circonstances le permettent, on s'empresse de ramener les choses dans leur état normal.

Voilà pourquoi l'on rencontre parfois quelques douaniers wallons dans les provinces flamandes. Mais, en général, on agit comme je viens de l'indiquer, aussi bien dans l'intérêt des populations que dans celui de l'administration elle-même. J'affirme de la manière la plus formelle que telle est la règle constante qui a été suivie de tout temps, dont on ne se départit jamais, et qui a été appliquée aussi bien sous le ministère actuel que sous ceux qui l'ont précédé.

On s'est toujours attaché à avoir des fonctionnaires flamands dans les provinces flamandes. (Interruption.) J'entends parler de ceux qui, à raison de leurs attributions, doivent être en relation avec le public, car en ce qui concerne les autres, il est parfaitement indifférent aux populations flamandes qu'ils ne sachent pas leur langue.

(page 145) Et à cette occasion, messieurs, je me permettrai de faire remarquer combien sont mal fondés les reproches que l'on adresse au gouvernement. Est-on injuste à l'égard des Flamands ? Si nous prenons pour exemple les sommités de l'administration, que voyons-nous ?

Nous voyons que ce sont des Flamands qui sont placés à la tête de la plupart de nos administrations provinciales wallonnes. Le gouverneur de la province de Liège est Flamand, le gouverneur du Luxembourg est Flamand, le gouverneur de la province de Namur est Flamand.

M. Delaetµ. - Cela prouve que les Flamands ont du talent.

MfFOµ. - Qui le nie ?

M. Crombez. - Mais cela prouve aussi qu'ils ne sont pas proscrits.

MfFOµ. - Je dis, messieurs, que c'est une idée malheureuse, une idée fatale que de vouloir représenter le pays comme divisé en deux fractions pour ainsi dire hostiles, alors surtout que l'on émet cette idée sans nécessité, sans utilité, et je dirai sans aucune raison quelconque.

Je dois constater que dans les provinces wallonnes on est animé de tout autres sentiments. Là, on ne proscrit pas les Flamands parce qu'ils sont Flamands ; on les accepte, au contraire, comme des concitoyens et comme des frères.

M. Delaetµ. - Je proteste contre cette explication de mes paroles.

MpVµ. - Pas d'interruption, M. Delaet ; si vous désirez prendre encore la parole, je vous inscrirai.

M. Delaetµ. - Je n'ai qu'un mot à dire.

MpVµ. - Vous n'avez pas la parole.

M. Delaetµ. - Je proteste contre les paroles de M. le ministre.

MfFOµ. - J'ajoute, messieurs, que bien loin d'avoir une position d'infériorité, les Flamands sont, en Belgique, par le fait, dans une position exceptionnelle, dans une position vraiment privilégiée. (Interruption.) C'est évident, et je vais vous le prouver immédiatement. Possédant les deux langues, ils sont aptes à remplir des fonctions publiques dans toutes les parties du royaume, tandis qu'il en est tout autrement des Wallons.

M. Van Wambekeµ. - Qu'ils apprennent le flamand.

MfFOµ. - Eh ! sans doute ! Mais ne perdez donc pas de vue que nous ne nous occupons pas de ce qui pourrait être, mais bien de ce qui existe en réalité. Je constate un fait, et j'en déduis les conséquences. On prétend que les Flamands sont traités en proscrits dans leur propre pays, et je prouve au contraire qu'ils y occupent une position privilégiée (interruption) par l'avantage qu'ils ont de posséder les deux langues.

Et, en effet, messieurs, voici ce qui arrive dans bien des cas : j'ai à pourvoir à des emplois ; il y a des Flamands et des Wallons en concurrence ; les Wallons ne peuvent pas être nommés dans les provinces flamandes tandis que les Flamands sont aptes à remplir des fonctions partout, parce qu'ils connaissent également le français. Ces derniers, quoique moins anciens bien souvent, et parfois quoique moins méritants, sont certains d'obtenir la préférence, chaque fois que l'emploi à conférer se trouve dans une localité flamande, et que les fonctions à remplir nécessitent des relations avec les populations. N'est-ce pas là un avantage évident en faveur des fonctionnaires d'origine flamande ?

M. Coomans. - Parce qu'ils se sont donné la peine d'apprendre le français.

MfFOµ. - Mais certainement'. Encore une fois, nous sommes parfaitement d'accord. Dites qu'il serait bon que tous les Belges connussent les deux langues et même les trois langues, les quatre langues qui se parlent en Belgique, je suis tout à fait d'accord avec vous. Mais prenons les faits tels qu'ils sont et reconnaissez, ce qui est incontestable, que les Flamands, loin d'être des proscrits, sont au contraire dans une position privilégiée, en ce qui concerne la collation des fonctions publiques. Voilà la vérité, voilà quelle est la situation réelle des Flamands dans notre pays.

- Plusieurs voix. - A demain !

M. Delaetµ. - Je demande la parole.

MpVµ. - Il y a d'autres membres inscrits avant vous.

- Plusieurs membres. - A demain, à demain !

M. Delaetµ. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

MpVµ. - Vous avez la parole pour une motion d'ordre.

M. Delaetµ. - Je désirerais savoir si ceux de nos collègues qui se sont fait inscrire entendent traiter la question flamande.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Delaetµ. - En ce cas je demande qu'on me laisse répondre un mot aujourd'hui au discours de M. le ministre des finances.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui ! parlez !

M. Delaetµ. - Je n'ai pas de discours à faire. Je ne veux prendre la parole que pour formuler une protestation.

M. le ministre des finances vient de dire que les Wallons sont généreux et que les Flamands ne le sont pas. (Oh ! oh ! Interruption.) Si ce ne sont pas ses paroles ; c'en est du moins le sens.

MfFOµ. - Ce ne sont ni mes paroles ni la pensée que j'ai exprimée.

M. Delaetµ. - Vous avez dit que les Wallons sont généreux, qu'ils accueillent les Flamands ; tandis que nous repoussons les Wallons. (Interruption.) La vérité, messieurs, c'est que les Wallons repoussent les Flamands, qui ne savent pas le français, et les repousseraient peut-être à coups de bâtons. (Oh ! oh ! interruption.) Oui, c'est ainsi et j'ai le droit de le dire. (Longue interruption.)

M. Mullerµ. - Ces paroles ne sont pas tolérables. (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Vous ne les comprenez même pas.

MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.

M. Delaetµ. - Laissez-moi dire ma pensée ; je tiens à me faire bien comprendre, j'en ai le droit.

Je dis que si un fonctionnaire flamand allait dans une localité wallonne se servir de la langue flamande pour administrer des Wallons, ou bien la population le mettrait dehors de force et fût-ce à coups de bâtons, ou bien le ministère le ferait colloquer aux petites maisons.

Eh bien, messieurs, c'est en français, en une langue qu'elles ne comprennent pas, qu'on administre les populations flamandes. Et cependant est-ce que nous repoussons les Wallons ? Non, messieurs, Dieu nous en garde ! Au contraire, quand un Wallon se donne la peine d'apprendre la langue flamande, il est accueilli à bras ouverts par les populations de nos contrées.

Vous dites que nous sommes privilégiés ! Ceux d'entre nous qui ne connaissent que la langue flamande sont traités en proscrits et non en citoyens belges.

Voilà ce que j'avais à dire.

MfFOµ. - Messieurs, je suis obligé de protester contre des paroles que m'attribue l'honorable M. Delaet. Ces paroles, je ne les ai pas prononcées. Je proteste également contre l'interprétation qu'il a donnée à celles que j'ai réellement dites.

Je n'ai pas accusé les Flamands de manquer de générosité ; je n'ai pas dit des Wallons qu'ils avaient plus de générosité que les Flamands. J'ai constaté un seul fait : c'est que, dans plusieurs de nos provinces wallonnes, on rencontre beaucoup de Flamands qui y ont été parfaitement accueillis et qui y sont entourés d'estime et de considération. Voilà ce que j'ai dit.

Vous prenez prétexte de ce que j'aurais prétendument affirmé, pour avancer que les Wallons repousseraient, même à coups de bâton, les Flamands qui voudraient aller s'établir parmi eux.

M. Delaetµ. - Oui, s'ils prétendaient administrer en flamand dan» une localité wallonne.

(page 146) MfFOµ. - C'est ce que vous n'aviez pas dit d'abord.

M. Delaetµ. - Si ! si !

MfFOµ. - Si vous n'avez pas d'autres intentions, j'accepte votre explication.

M. Delaetµ. - Ce n'est pas une explication, c'est une constatation.

MfFOµ. - Quoi qu'il en soit, je tiens à faire remarquer que, dans les provinces wallonnes, il y à un très grand nombre d'ouvriers flamands, qui y ont été très bien accueillis et qui y sont traités amicalement, à l'égal de tous les citoyens sans distinction d'origine.

M. Delaetµ. - Est-ce que par hasard on renvoie de chez nous les ouvriers wallons qui s'y viennent établir ?

- La suite de la discussion du budget de la justice est remise à demain.

La séance est levée à 5 heures.