(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 147) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Lanou, volontaire de 1830, demande la pension dont jouissent les décorés de la croix de Fer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Gammerages et de Viane se plaignent que le chemin vicinal entre ces communes a été détourné par les concessionnaires du chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des facteurs ruraux, attachés au bureau d'Orchimont, demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Des habitants de Suxy se plaignent des retards mis par la grande compagnie du Luxembourg à la construction de l'embranchement de Bastogne. »
- Même renvoi.
« Le sieur Deswert demande que le gouvernement ne diffère plus de mettre en vente, s'il est résolu de les aliéner, les parcelles de terrains et constructions restant des expropriations nécessaires pour les fortifications d'Anvers. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur De Coorebyter demande des modifications aux articles 67 du Code de commerce et 872 du Code de procédure. »
M. Lelièvreµ. - Messieurs, cette réclamation a un caractère d'urgence. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des habitants de Bievène dénoncent des abus de pouvoir dans l'administration communale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lebrun demande que le gouvernement envoie un vaisseau de guerre dans les eaux de Civila-Vecchia. »
- Même renvoi.
« M. le prorecteur de l'université de Liège fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires de l'exposé de la situation de cet établissement pour l'année académique 1865-1866. » .
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
MpVµ. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi qui a été déposée hier sur le bureau et qui est ainsi conçue :
« Art. 1er. Tout condamné correctionnellement qui a subi sa peine ou qui a obtenu sa grâce peut être réhabilité.
« Art. 2. Il ne peut former sa demande que trois ans après le jour de sa libération.
« Il doit avoir résidé dans le même arrondissement depuis trois années, et pendant les deux dernières dans la même commune.
« Art. 3. Il adresse sa demande en réhabilitation au procureur du roi de l'arrondissement, en faisant connaître 1° la date de sa condamnation, 2° les lieux où il a résidé depuis l'expiration de sa peine.
« Art. 4. Il doit justifier du payement des frais de justice, de l'amende et des dommages-intérêts auxquels il a pu être condamné ou de la remise qui lui en a été faite.
« A défaut de cette justification, il doit établir qu'il a subi le temps de contrainte par corps déterminé par la loi ou que la partie lésée a renoncé à ce moyen d'exécution.
« Art. 5. Le procureur du roi, après instruction de l'affaire et information prise sur la conduite tenue par le condamné depuis sa libération, transmet les pièces avec son avis au procureur général.
« Art. 6. Seront pour le surplus observées, les dispositions des articles 622, 623, 624, 626, 627, 628, 629, 631, 632 et 633 du Code d'instruction criminelle et de l'article unique de la loi du 26 mars 1833.
« Toutefois le délai énoncé à l'article 628 du Code d'instruction criminelle est réduit à deux années à l'égard des condamnés auxquels la présente loi est applicable.
« Bruxelles, le 11 décembre 1866.
« X. Lelièvre. C. Delcour. »
MpVµ. - A quel jour les auteurs de la proposition de loi entendent-ils la développer ? .
M. Lelièvreµ. - Mardi prochain, si cela convient à la Chambre.
M. Allard. - Après les budgets.
- La Chambre, consultée, décide que la proposition de loi sera développée après le vote des budgets.
M. Delaetµ (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre'.
MpVµ. - Hier, à la fin de la séance, vous avez eu la parole pour votre motion d'ordre.
M. Delaetµ. - M. le président, vous faites erreur. C'est une autre motion d'ordre. Il s'agit des Annales parlementaires. Comme j'ai à faire une réclamation contre M. le ministre des finances, j'attendrai, si la Chambre y consent, qu'il soit présent, pour faire ma motion. Il ne me convient pas d'attaquer des absents.
MpVµ. - Vous avez toujours le droit de demander la parole pour une motion d'ordre et vous l'aurez.
M. Delaetµ. - Je la réclamerai dès que l'honorable M. Frère sera présent.
M. Delcourµ. - Messieurs, en présence des explications que M. la ministre de la justice a données hier au sujet de l'arrêté royal du 31 octobre dernier, je crois qu'il est essentiel de faire une réponse générale.
Vous vous souvenez, messieurs, de quoi il s'agit. J'ai critiqué un arrêté royal qui me semble sortir de la légalité et qui, selon moi, est une exagération manifeste des principes consacrés tant par la loi de 1842, que par la loi de 1864 et par le code civil.
Permettez-moi de vous rappeler en quelques mots, ce dont il s'agit.
La fondation de mademoiselle Favier est conçue de la manière suivante : La testatrice lègue la moitié de ses biens à la fabrique d'église de Familleureux, avec charge d'exonérer certains services religieux. cette disposition était irréprochable ; je ne m'en occupe pas.
Elle ordonne ensuite, après avoir prescrit le prélèvement de certaines sommes, que l'autre moitié des biens soit attribuée au bureau de bienfaisance de ladite localité et d'en appliquer le revenu a l'entretien de religieuses appelées à donner l'instruction aux filles pauvres de la commune.
Enfin, prévoyant le cas où des religieuses ne seraient par chargées de cette instruction, elle attribue la quotité des biens dont il s'agit en partie à la fabrique de l'église, en partie au bureau de bienfaisance, à la charge par la fabrique de faire dire des messes, et par le bureau de bienfaisance d'en distribuer le revenu aux pauvres de la commune.
Tel est le testament.
(page 148) Qu'on a fait M. le ministre de la justice ? Comment cette fondation a-t-elle été approuvée par l'arrêté royal du 31 octobre dernier ?
Le legs, au lieu d'être attribué au bureau de bienfaisance, a été donné à la commune, en second lieu, l'arrêté a supprimé la condition relative à l'emploi du revenu qui doit servir à l'entretien de religieuses ; enfin il a supprimé la substitution, c'est-à-dire la dernière disposition, celle qui était faite pour le cas où la seconde ne recevrait pas son application.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire dans la séance d'hier, si nous n'étions pas en présence de cette substitution, je n'aurais pas élevé la voix contre la décision du gouvernement ; car, quelque mauvaise qu'elle soit d'après moi, la loi aurait été appliquée d'après le vœu de la majorité de la législature.
Mais j'ai dit qu'il était contraire à la loi de supprimer la substitution que je viens de rappeler. Je m'exprime mal en parlant d'une substitution ; l'arrêté royal a supprimé l'une des hypothèses prévues par la testatrice, celle où des religieuses ne seraient point appelées à donner l'instruction aux pauvres.
Messieurs, c'est une règle élémentaire d'interprétation dans les testaments, qu'il faut principalement s'attacher à la volonté du testateur. Quand le testateur a exprimé clairement sa volonté, quand il a prévu lui-même les diverses hypothèses dans lesquelles il entend se placer et qu'il a réglé chacune d'elles par une disposition formelle, n'est-il pas manifeste que l'on sort du testament, qu'on le change en supprimant l'une de ses dispositions ?
Ce premier principe posé, principe sur lequel, je pense, on n'élèvera pas de contestation, examinons les motifs de M. le ministre de la justice.
M. le ministre déclare d'abord que la loi de 1842 sur l'enseignement primaire est seule applicable et il me reproche d'avoir invoqué, pour le combattre, la loi de 1864.
Oui, messieurs, je me suis appuyé sur la loi de 1842 combinée avec la loi du 19 décembre 1864 relative aux fondations en matière d'instruction publique, mais je n'ai fait que suivre l'arrêté royal lui-même.
L'arrêté royal du 31 octobre s'énonce en ces termes : « Considérant que la destination d'une libéralité emporte institution au profit de l'établissement légal préposé au service public avantagé ; et qu'ainsi aux termes des art. 20 et 23 de la loi du 23 septembre 1842, et des articles 1 et 10 de la loi du 19 décembre 1864, il y a lieu de faire droit à la demande du conseil communal, tendante à recueillir ledit legs. »
'e vous le demande, messieurs, que devient maintenant le reproche qui m'était adressé ? C'est dans l'arrêté même, que j'ai puisé mon argumentation, et l'arrêté vise la loi de 1864.
Voyons ce que décident les textes des lois citées.
L'article 20 de la loi de 1842 met à la charge des communes les frais de l'enseignement primaire.
L'article 23 porte qu'à défaut de fondation spéciale, le conseil communal portera au budget de la commune les sommes nécessaires pour pourvoir à ce service public.
La loi de 1842 s'est bornée à poser le principe, principe qui a reçu son développement, son application dans la loi de 1864.
Nous voici en présence de la loi de 1864, relative aux fondations en matière d'instruction publique, que décide-t-elle ? En parlant des fondations faites en faveur de l'instruction, elle établit le principe que ces fondations seront présumées faites à la commune, à moins qu'il n'y ait déclaration contraire du testateur. Tel est le véritable sens de la loi de 1864.
Interprétant ensuite la volonté du testateur, l'article 4 confirme cette disposition.
Diverses hypothèses peuvent se présenter.
En l'absence de toute déclaration spéciale, les libéralités faites pour l'enseignement primaire sont attribuées aux communes ; celles faites pour l'enseignement primaire de l'Etat ou de la province sont réputées faites à l'Etat ou à la province. Mais ce n'est là qu'une présomption qui cède à la preuve contraire et, afin d'établir cette preuve, l'article 4 de la loi permet même de recourir à de simples circonstances de fait.
M. le ministre dira-t-il encore que la loi de 1864 ne régit pas la matière ? Je dis moi que la loi du 19 décembre 1864 était celle que devait invoquer l'arrêté du 31 octobre dernier.
Je ne puis trop le répéter, la loi de 1864 établit des présomptions, qui n'ont rien d'absolu, des présomptions qui doivent céder devant la déclaration contraire du testateur.
La loi a été ainsi interprétée par l'honorable M. Bara, dans le rapport de la section centrale :
« Au sujet de l'article 4, on a demandé ce qu'il fallait entendre par les mots : A moins qu'il ne résulte des circonstances ou de la nature de la disposition qu'elles sont faites au profit de la province ou de l'Etat.
« Une disposition testamentaire peut être obscure, et il importe toujours de l'interpréter conformément à la volonté du testateur. Les circonstances et la nature de la disposition seront utilement consultées dans ce but. »
Si les circonstances de la cause peuvent servir à l'interprétation d'un testament, ne faut-il pas admettre à fortiori l'interprétation que lui donne le disposant lui-même ? Je ne veux pas insister, je croirais faire injure à la Chambre.
Il me reste à examiner les deux grandes objections présentées par l'honorable ministre de la justice. La première s'appuie sur le principe de l'art. 900 du Code civil. Aux termes de cet article, lés conditions impossibles ou contraires aux lois sont réputées non écrites.
L'honorable ministre de la justice fait le raisonnement suivant. Mlle Favier a voulu faire une libéralité en faveur de l'instruction publique, or cette disposition est valable. Mais à cette disposition valable, elle a imposé une condition illicite en ordonnant que l'instruction fût donnée aux pauvres par des religieuses. J'annule la condition, en vertu de l'article 900 et je laisse subsister le legs principal.
Très bien, répondrai-je à M. le ministre, si vous vous étiez trouvé en présence d'une seule disposition ; mais votre raisonnement tombe si vous tenez compte de la volonté contraire de la testatrice, clairement exprimée.
Je ne puis assez le répéter, le testament forme un tout indivisible. Si des religieuses, dit la testatrice, ne sont pas appelées à donner l'instruction aux pauvres, je supprime ma première disposition qui est remplacée par la disposition nouvelle que nous connaissons. Je puise toute mon argumentation dans l'arrêté royal du 31 octobre, car je n'ai pas sous les yeux le texte du testament lui-même.
Il n'est pas possible, messieurs, d'être plus clair ni de rencontrer une expression de volonté plus précise, plus positive.
Occupons-nous maintenant de l'argument de droit puisé dans l'article 900 du Code civil. Il est élémentaire en droit que les conditions apposées à une libéralité peuvent être de diverses espèces. Tantôt la condition ne peut, dans la pensée du fondateur, se confondre avec la libéralité même. Dans ce cas, la condition n'est que l'accessoire de la libéralité et l'article 900 du Code civil est applicable. Si une condition de cette nature, impossible ou contraire aux lois, est mise à une libéralité, on comprend que le législateur se décide pour le maintien de la disposition principale, et qu'il annule la condition qui n'est, à ses yeux, que la disposition accessoire.
Ainsi, messieurs, l'article 900 repose sur la volonté présumée du testateur ; on ne doit pas présumer que le testateur détruise d'une main ce qu'il a édifié de l'autre.
Jusqu'ici j'ai considéré la condition comme accessoire à la disposition principale. Mais il peut résulter de l'acte et des circonstances que le disposant a voulu, au contraire, subordonner sa libéralité à la condition qu'il y a mise. Et dans ce cas les jurisconsultes reconnaissent unanimement que la disposition entière doit être annulée. Ce n'est plus seulement la condition qui est réputée non écrite, c'est la libéralité même qui disparaît.
Cette théorie n'est point arbitraire ; elle se concilie avec la volonté du testateur, qu'elle sauvegarde et qu'elle protège.
Je ne proclame pas, messieurs, un principe nouveau ; je le trouve écrit dans les ouvrages de nos anciens jurisconsultes. Je pourrais apporter ici des témoignages nombreux ; si j'y renonce, c'est pour ne pas fatiguer la Chambre par de longues citations. Il suffira de lire un passage de M. Demolombe ou la question est parfaitement posée et résolue.
« Nous n'appliquons pas l'article 900, dit M. Demolombe, s'il résulte de la disposition que le disposant a entendu subordonner l'existence même de sa libéralité à la condition qu'il y a mise.
« La libéralité tout entière devra être déclarée non avenue, non pas comme tout à l'heure, par défaut de capacité, mais par défaut de volonté. »
Si l'arrêté royal du 31 octobre avait tenu compte de ces principes, il n'aurait pas supprimé une disposition irréprochable en droit. Il aurait maintenu la volonté de Mlle Favier, en attribuant à la fabrique de l'église et au bureau de bienfaisance la libéralité dont il s'agit.
M. le ministre a insisté, en dernier lieu, sur le caractère de la clause (page 149) pénale. On ne peut admettre, dit-il, que l'existence d'une clause pénale puisse arrêter l'annulation d'une condition contraire à la loi.
Non, messieurs, il n'y a pas de clause pénale dans le sens juridique. La testatrice a prévu deux hypothèses. Si la première hypothèse ne se réalise pas dans les conditions qu'elle a déterminées, elle supprime la première disposition et la remplace par une autre disposition. Ne parlons donc pas de clause pénale ; elle n'existe pas.
Je m'arrête, messieurs ; je pense avoir répondu à l'honorable ministre ; je persiste à dire que l'arrêté du 31 octobre dernier a exagéré le principe de droit qu'il invoque, qu'il a violé la volonté de la défunte.
Encore une fois, si le gouvernement s'était borné à appliquer la loi de 1864, loi que je répudie, je ne me serais pas levé pour critiquer l'arrêté du 31 octobre. La loi de 18064a été une atteinte portée à la liberté du testateur ; au lieu d'étendre les prescriptions de cette loi, il aurait fallu les restreindre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le débat soulevé par l'honorable M. Delcour a une certaine importance, et si ce qu'il vient de dire n'était pas réfute, il se répandrait, surtout parmi les personnes peu familiarisées avec les études juridiques, des erreurs graves, notamment au sujet de la loi du 19 décembre 1864 sur les fondations en faveur de l'enseignement et au profit des boursiers.
L'honorable membre vient de prétendre que la loi de 1864 est en cause.
Or, il n'en est absolument pas question.
M. Delcourµ. - Pourquoi la citez-vous ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais vous le dire.
Si la loi de 1864 n'avait pas existé, il n'y aurait pas eu une ligne de changée à l'arrêté royal du 31 octobre dernier.
Ne venez donc point dire que la loi de 1864 est une loi mauvaise, discréditée dans l'opinion publique, une loi dont il faut plutôt restreindre qu'étendre l'application. Il s'agit du Code civil et rien que du Code civil.
L'honorable membre dit : « Vous vous trompez, et ce qui le prouve, c'est que l'arrêté du 31 octobre vise la loi du 19 décembre 1864. »
Pourquoi l'ai-je visée ? Parce que la loi de 1864 confirme le principe de la loi de 1842, parce qu'elle répète qu'en matière d'instruction primaire, c'est la commune qui est compétente pour recevoir les libéralités.
M. Delcourµ. - La loi de 1842 ne dit pas cela.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous demande bien pardon.
M. Delcourµ. - Elle ne s'est pas occupée des fondations.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais si la loi de 1842 n'a pas attribué compétence à la commune en matière de fondations au profit de l’enseignement primaire, veuillez donc attaquer du chef de nullité tous les arrêtés qui ont été portés sous le ministère des honorables MM. de Decker, Nothomb et autres.
Je vous lirai tout à l'heure des arrêtés qui ont autorisé l'acceptation de donations faites aux communes, en vertu de la loi de 1842, et c'est précisément avec les armes que me fournissent vos propres amis que je vais renverser votre argumentation.
La loi de 1842, en disant que l'instruction primaire serait donnée aux frais de la commune, a créé au profit de la commune une capacité pour recevoir les legs et les donations faites en faveur de cet enseignement. Cela est évident.
Du moment que l'on charge un établissement public d'un service spécial, cet établissement acquiert par le fait même les droits nécessaires pour exercer la mission dont il est investi.
Personne ne contestera cela ; et si vous le contestiez, il faudrait, je le répète, attaquer de nullité bien des arrêtés auxquels d'anciens ministres ont donné leur signature. Or, la loi de 1864 n'a fait que répéter le principe de la loi de 1842. Seulement, elle a ajouté quelques dispositions destinées à faire disparaître des difficultés auxquelles l'application de ce principe donnait lieu dans certains cas particuliers. Ainsi, quand le testateur lègue au profit de l'instruction publique sans indiquer si sa libéralité est affectée à l’enseignement de la commune, de la province ou de l'Etat, la loi de 1864 dit que, pour déterminer l'enseignement qui profitera de la libéralité, on devra s'en référer aux clauses du testament, en consulter le texte, se rendre compte des intentions des testateurs.
La loi de 1864 n'a donc introduit aucune innovation, elle n'a fait que compléter, sur le point qui nous occupe, les principes développés dans la loi de 1842. Aussi des expressions dont je me suis servi dans le rapport que j'ai rédigé au nom de la section centrale quant à l'interprétation des libéralités faites en faveur de l'enseignement primaire, vous ne pouvez induire que j'ai interprété l'article 900 du Code civil. Cet article est complètement étranger à la loi de 1864 ; la loi de 1864 l'a laissé intact.
Il était donc parfaitement inutile d'articuler de nouveaux griefs contre la loi de 1864 ;ce débat ne la concerne pas. (Interruption.) Mais, messieurs, j'en fais juge l'honorable M. Delcour lui-même. De ce que, par exemple, en matière d'attributions communales, on cite la loi de 1790 et celle de 1836, alors que la loi de 1836 n'aurait rien innové, viendrez-vous faire un grief à la loi de 1836, à raison d'un principe consacré par celle de 1790 ? Or, je dis que la loi de 1864, quant à la question qui nous occupe, n'a rien changé à la loi de 1842.
Je vous mets au défi de me contredire sur ce point, et je déclare que si la loi de 1864 n'eût pas existé, l'arrêté que l'on critique n'eût pas moins été pris. (Interruption.) Vous me le concédez ; pourquoi donc faire à la loi de 1864 un grief à raison d'une disposition consacrée par la loi de 1842 ?
Ce premier point écarté, voyons, messieurs, le second argument de l'honorable M. Delcour.
Il soutient que, dans le testament de la demoiselle Favier, se trouvaient des dispositions du genre de celles qui sont valables aux termes de l’article 898 du Code civil.
Rappelons ces dispositions. Une demoiselle Favier lègue au profit de l'instruction primaire une somme déterminée sous la condition que cette instruction primaire sera donnée par des religieuses ; et elle ajoute : Si les religieuses ne sont pas chargées de cette instruction, mon legs passera à la fabrique d'église et au bureau de bienfaisance.
M. Thibautµ. - Il n'y a donc plus de legs en faveur de l'instruction primaire.
M. Coomans. - Voilà la question.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce que nous allons voir.
Voilà donc la disposition : legs au profit de l'instruction primaire, sous la condition que l'enseignement sera donné par des religieuses ; et, si cette condition n'est pas remplie, legs au profit du bureau de bienfaisance et de la fabrique d'église.
Lisons l'article 898 et examinons si cet article prévoit le cas dont nous nous occupons.
« La disposition par laquelle un tiers sera appelé à recueillir le don, l'hérédité ou ce legs, dans le cas où le donateur, l'héritier institué ou le légataire ne le recueillerait pas, ne sera pas regardé comme une substitution et sera valable. »
Or, il n'y a dans le cas actuel aucune personne défaillante ; au contraire, il y a ici quelqu'un qui recueille la libéralité et qui l'accepte avec reconnaissance, c'est la commune.
Ne parlons donc pas de l'article 898 du Code civil ; il n'est pas applicable à l'espèce. (Interruption.)
Je réponds en ce moment à un argument de l'honorable M. Delcour, argument complètement étranger à l'objection que m'adresse un honorable interrupteur.
D'après l'honorable M. Delcour, il y a là une personne défaillante qui n'accepte pas. L'honorable membre est dans l'erreur : il y a une personne appelée et disposée à recueillir la disposition faite à son profit. (Nouvelle interruption.)
Je dis que, d'après le testament, il n'y a pas l'ombre d'un doute sur ce point ; le legs est fait au profit de l'instruction publique, à la condition que l'enseignement sera donné par des religieuses, et pour le cas où cet enseignement ne serait pas confié à des religieuses,, le legs est fait à la fabrique d'église et au bureau de bienfaisance. Or, la commune accepte, et il n'y a pas de personne défaillante.
Ainsi impossibilité absolue d'appliquer l'article 898.
Dites, si vous voulez, qu'on ne peut interpréter le testament comme l'a fait le gouvernement ; alors il ne s'agit plus de l'article 898, mais il s'agit des articles relatifs à l'interprétation des actes.
Abordons un autre point. Le véritable objet du débat, c'est l'application de l'article 900 du Code civil.
L'honorable M. Delcour a commencé par prétendre qu'il ne s'agissait pas, dans l'espèce, de clause pénale ; dans sa pensée, il y a un legs alternatif, une double hypothèse.
La testatrice aurait dit : ou bien je donne à l'instruction publique, sous la condition que l'enseignement sera donné par des religieuses ; ou bien je donne à la fabrique d'église ou au bureau de bienfaisance.
Si le legs était fait de cette manière, le gouvernement aurait eu à examiner si une pareille disposition n'avait pas été prise pour frauder la loi, (page 150) ou bien s'il y avait lieu de rejeter la première alternative et de s'arrêter à la seconde.
Mais il n'en est pas ainsi, le texte du testament n'implique pas l'alternative, il ne permet pas au gouvernement d'opter entre telle on telle hypothèse ; la testatrice est positive et formelle dans sa volonté.
Elle lègue le restant de la seconde moitié de ses biens pour en affecter le revenu à l'entretien des religieuses appelées à donner l'instruction aux filles pauvres de la commune ; si des religieuses n'étaient pas chargées de cette instruction, la quotité de biens dont il s'agit serait partagée entre la fabrique de l'église et le bureau de bienfaisance.
Si et non ou. (Interruption.) En matière de droit, l'alternative s'exprime par ou et la condition par si.
Ainsi, la testatrice, après avoir attaché une condition à son legs en faveur de l'instruction publique, prévoit le cas où cette condition ne serait pas remplie, elle dit que dans ce cas le legs serait fait au profit du bureau de bienfaisance et de la fabrique de l'église. Vous voyez donc bien qu'il y a là une institution en ordre subsidiaire et non une alternative.
L'honorable M. Delcour ne peut donner au testament le sens de legs alternatif qu'en se rapportant aux circonstances, qu'en interprétant la volonté de la testatrice, qu'en recherchant par la pensée quel a été le véritable but de la testatrice, mais la forme est contre lui.
La testatrice a donc mis une condition illégale à son legs en ordre principal ; si cela est exact, comment le legs serait-il caduc ? « Je lègue à l'instruction publique telle somme, à la condition que l'instruction sera donnée par des religieuses. » Eh bien, cette condition est nulle, elle est contraire à la loi. Est-ce moi qui ai dit pour la première fois qu'elle est contraire à la loi ? Non, je l'ai répété après d'honorables ministres sur la trace desquels je puis marcher, sans avoir à encourir le moindre blâme de la part des membres delà droite.
En effet, c'est l'honorable M. de Decker qui a déclaré que la loi de 1843 avait cette portée.
Voici comment l'honorable M. de Decker s'exprime dans une circulaire datée du 19 avril 1836 :
« Le gouvernement ne peut autoriser l'acceptation d'une donation sous la condition imposée par les donateurs de toujours confier la direction de l'école à des religieuses, parce que cette condition est contraire a la loi du 23 septembre 1842.
« En effet aux termes de cette loi, les institutrices doivent être choisie parmi les élèves diplômées des écoles normales, et c'est seulement par mesure exceptionnelle que l'on peut, avec l'autorisation du gouvernement, nommer des institutrices non diplômées.
« D'un autre côté, il est à remarquer que l'acceptation de la libéralité aurait pour effet de restreindre d'une manière extra-légale le droit de nomination de la commune qui doit rester intact. »
Et que faisait l'honorable M., de Decker des principes qu'il avait formulés ? Il les appliquait d'une manière très consciencieuse, et il contresignait, le 29 avril 1857, un arrêté ainsi conçu :
« Vu l'extrait délivré par le notaire Malleux à la résidence de Herve, du testament en date du 1er novembre dernier, par lequel feu le sieur Hannot, en son vivant propriétaire rentier à Hervée a légué à cette commune une rente annuelle et perpétuelle de 405 fr. au capital de 9,000 fr. à charge par cette localité de faire donner gratuitement l'instruction primaire aux enfants, par les frères de la doctrine chrétienne. »
Voilà la condition, et comment l'honorable M. de Decker la juge-t-il ?
Voyons :
« Considérant que la condition imposée par le testateur et d'après laquelle l'instruction primaire doit être donnée particulièrement aux enfants par les frères de la doctrine chrétienne est contraire à la loi du 25 septembre 1842 portant que l’enseignement primaire doit être donné sous la direction et la surveillance de l'administration locale par des instituteurs nommés conformément à la loi.
« Sur le rapport de M. le ministre de l'intérieur.
« Avons arrêté et arrêtons :
« Le conseil communal de Hervé est autorisé à accepter le legs susmentionné sous la réserve que l'enseignement primaire sera donné aux enfants par des instituteurs nommés conformément à la loi du 23 septembre 1842 et sous la surveillance de l'administration communale. »
M. Bouvierµ. - Est-ce que la droite a attaqué cet arrêté ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - En aucune manière.
M. Coomans. - On ne conteste pas cela en ce moment. Quelle est la dernière volonté de la testatrice ? Voilà la question.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'arriverai à votre clause pénale tout à l'heure. Je ne puis tout faire à la fois. Je vous démontre en ce moment que la condition est illégale. Eh bien, la condition étant illégale, de l'aveu de l'honorable M. Coomans et de l'aveu de l'honorable M. Delcour, ce qui est déjà un grand pas, car il fut un temps ou l'on n'était pas tout à fait d'accord sur ce point...
M. Coomans. - Avant que la loi fût faite.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Du tout. Je vous citerai des cas où la droite n'a pas été unanime sur l'interprétation à donner à la loi de 1842, notamment en ce qui concerne l'admission aux concours des élèves des écoles des frères de la doctrine chrétienne et l'inspection de ces écoles.
Eh bien, la condition étant illégale, voyons quel article le gouvernement avait à appliquer. C'est l'article 900, il est ainsi conçu :
«Dans toute disposition entre-vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois et aux mœurs seront réputées non écrites. »
Or, si nous biffons du testament la clause que je viens de vous indiquer et qui est évidemment contraire à la loi, que reste-t-il ? Il reste que la testatrice a donné une somme d'argent pour l'instruction des jeunes filles ; et rien de plus.
L'honorable M. Delcour dit : Mais vous vous trompez ; telle n'était pas la pensée de la testatrice. La condition était une clause principale, tandis que l'institution au profit de la commune n'était que la clause subsidiaire. Mais dites donc cela à l'honorable M. de Decker à propos de l'arrêté que je viens de vous lire.
Il y avait un testateur qui avait donné une somme au profit de l'instruction publique, à condition que cette instruction fui donnée par les frères de la doctrine chrétienne. Eh bien, l'honorable M. de Decker a pu impunément décider que l'institution au profit des petits frères était une condition subsidiaire et que l'institution au profit de l'instruction primaire était l'objet principal du legs ; et quand j'aurai à me prononcer sur un pareil legs, je devrais décider que l'institution au profit des religieuses est la clause principale et que le legs en faveur de la commune est la clause accessoire.
Cela n'est pas admissible. Le but de la fondation, c'est l'instruction publique. Maintenant qui donnera l'instruction publique ? C'est là le modus, la manière, la condition accessoire.
Evidemment la volonté de la testatrice a été de léguer au profit de l'instruction. Quant au point de savoir par qui sera donnée cette instruction, c'est un point secondaire ; et si la condition mise par la testatrice est illégale, elle doit être annulée. C'est ainsi que l'ont décidé, comme je l'ai dit tout à l'heure, les honorables membres auxquels j'ai fait allusion.
Mais, dit-on, il y a une clause pénale, ou plutôt, d'après l'honorable M. Delcour, il n'y a pas de clause pénale, mais il y a un legs alternatif. Au fond, c'est une clause pénale. Il y a une clause qui porte que si les religieuses ne sont pas chargées de l'instruction, le legs revient à la fabrique de l'église et aux bureaux de bienfaisance, et en vertu de cette disposition, le gouvernement devait annuler la première institution au profil de la commune, il devait faire passer le legs sur la tête de la commune au profit du bureau de bienfaisance et de la fabrique de l'église.
Un pareille thèse est contraire à la lettre et à l'esprit de l'article. 900, contraire à la doctrine et à la jurisprudence. Si l'honorable M. Coomans attend ce moment pour obtenir ses apaisements, je vais essayer de les lui donner d'une manière complète.
D'abord, la thèse est contraire à l'article 900 du Code civil. Car, en fait, l'article 900 dit que la condition illégale doit être réputée non écrite. Or, qui dit non écrite dit n'existant pas, et, si vous biffez la condition, vous n'avez pas fait tomber l'institution, elle subsiste indubitablement.
- Un membre. - Il y a deux institutions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est votre erreur. Il y a une institution subsidiaire. La première institution est au profit de la commune et subsidiairement, au cas où la commune n'exécuterait pas une condition illégale, le bureau de bienfaisance et la fabrique de l'église sont appelés à recueillir le legs. Or, pouvez-vous forcer quelqu'un à exécuter une condition illégale ? Certainement non, et alors pourquoi la priver d'un legs, parce qu'elle ne veut et ne peut violer la loi ? A l'appui de cette affirmation, permettez-moi d'invoquer la jurisprudence et la doctrine.
Voici ce que dit Merlin :
« Lorsqu'une condition est impossible ou contraire soit aux bonnes mœurs, soit aux lois, le legs ou l'institution que le testateur en avait affecté ne laisse pas d'être valable : mais quand le fait qui sert de fondement à la peine est marqué au coin de l'impossibilité de fait ou de droit, la clause pénale ne produit aucun effet en faveur de celui pour qui elle (page 151) écrite et la chose demeure à l'héritier ou légataire contre qui le testateur a voulu sévir.
« La raison de cette différence est très sensible.
« Dans le cas d'un legs ou d'une institution conditionnelle, c'est le légataire ou l'héritier institué qui est l'objet principal et même unique de la libéralité du testateur ; conséquemment, c'est à lui que doit profiter le legs ou l'institution déchargée par la loi d'une condition impossible ou déshonnête.
« Dans le cas d'une disposition pénale, celui qui est désigné pour en recueillir l'effet n'est pas le véritable objet de la libéralité : il ne doit en profiter qu'en cas de contravention de la part de celui que le testateur a voulu gratifier principalement ; et comme il n'y a point de contravention, lorsque la loi dispense de l'accomplissement du fait ordonné par l'homme, il faut nécessairement que la peine demeure sans effet. »
C'est aussi ce que Justinien a décidé de la manière la moins équivoque.
Voici donc l'opinion de Merlin. Quand vous instituez quelqu'un et que vous lui imposez une condition impossible, une condition illégale, et que vous lui dites : Si vous n'accomplissez pas cette condition illégale, le legs appartient à un autre ; Merlin répond : cet autre ne peut venir réclamer. Pourquoi ? Parce qu'il viendrait dire au premier institué : Je me plains de ce que vous n'avez pas contrevenu à la loi.
Vous voyez donc bien que vous avez beau ajouter une clause pénale à votre condition illégale pour en assurer l'exécution, la condition illégale tombe et la personne instituée subsidiairement ne peut recevoir le legs.
Dalloz défend les mêmes principes. Coin de Lisle est du même avis. Voici comment cet auteur s'exprime :
« Le testateur a la faculté de priver le légataire de la libéralité et de la transférer à un autre si le légataire n'accomplit pas la condition qui lui est imposée. Mais quand la condition est impossible, contraire aux lois on aux mœurs, ce legs pénal ne produit aucun effet. Car celui qui est désigne pour recevoir, en cas de contravention de la part du légataire, n'est pas le véritable objet de la libéralité ; il n'en doit profiter qu'en cas de contravention commise par celui que le testateur a voulu gratifier principalement, et comme il n'y a point de contravention lorsque la loi dispense de l'accomplissement du fait ordonné par l'homme, et que l'article 900 prononce cette dispense pour ces trois espèces de conditions, il est nécessaire que la peine demeure sans effet et qu'on refuse toute action à celui qui n'était appelé au legs qu'en cas de contravention. »
L'honorable M. Delcour a cité Demolombe, mais Demolombe soutient une opinion isolée dans la doctrine. Pour être complet, l'honorable M. Delcour aurait dû dire, en citant l'opinion de cet auteur, que la jurisprudence n'est pas de son avis.
M. Delcourµ. - Au contraire.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas du tout. Demolombe cite lui-même l'arrêt que je vais invoquer ; c'est dans Demolombe que j'ai trouvé l'indication de cet arrêt. Demolombe ajoute qu'il s'agit de voir quelle a du être la volonté du testateur ; il cherche dans la question de fait la solution de la difficulté.
A côté de l'opinion de Demolombe, qui est une opinion isolée, il y a la jurisprudence. II y a notamment un arrêt des plus explicites de la cour de Grenoble, en date du 11 août 1847.
« Le 27 octobre 1841, le sieur Emery fit un testament olographe où se trouve la disposition suivante : « Je lègue au fils d'Auguste Emery, en ce moment élève au petit séminaire de Grenoble, la somme de 5,000 fr., uniquement pour lui aider dans sa vocation religieuse, et non pour autre cause, sous peine de nullité. Cette somme ne pourra être touchée que sur la certitude d'obtenir le résultat désiré, et ne portera pas intérêt. Je déclare choisir pour ma légataire universelle, ma nièce Adèle Emery, fille cadette de mon frère Nicolas Emery, mon enfant d'adoption, et qui a demeuré à la maison depuis l'âge le plus tendre. » Dans un codicille du même jour, le sieur Emery dit : « Présumant avec raison que mes frères interviendront en faveur du fils d'Auguste Emery pour l'aider dans son éducation, je réduis à 3,000 fr. le legs de 5,000 fr. porté en l'acte ci-dessus, et transporte la différence au compte de Nina Emery, ma nièce. »
Ainsi c'est bien clair ; le testateur dit à son parent : Je vous lègue une somme uniquement pour vous aider à embrasser l'état ecclésiastique ; si vous ne remplissez pas cette condition, la somme léguée reviendra à ma nièce, que j'institue ma légataire universelle.
« Au décès du testateur, le sieur Achille Emery réclama le legs, en prétendant qu'il n'était pas tenu de l'employer en frais d'éducation ecclésiastique.
« 27 mars 1817, jugement du tribunal de Vienne, qui décide que la condition devait être réputée non écrite, par les motifs suivants : « Attendu qu'il résulte clairement des clauses du testament du sieur Antoine-Augustin-Joseph Emery, du 27 octobre 1841, qu'il a légué au mineur Achille Emery une somme de 3,000 fr., à condition qu'il embrasserait l'état ecclésiastique ; Attendu qu'aux termes de l'article 900, Code civil, les conditions impossibles, contraires aux lois et aux bonnes mœurs, doivent être réputées non écrites ; attendu que la condition d'embrasser l'état ecclésiastique gène la liberté de conscience ; elle est contraire à la sainteté de la religion et du ministère sacré ;
« Attendu, d'ailleurs, que le sieur Emery, étant entièrement dénué de fortune, a été dans l'impossibilité de continuer son éducation religieuse ;
« Par ces motifs, condamne les mariés de Choin à délivrer à la dame veuve Emery, en la qualité qu'elle agit, avec intérêts légitimes, le legs de 3,000 francs fait par Augustin-Antoine-Joseph Emery, au mineur Achille Emery. » Appel.
La cour de Grenoble, adoptant les motifs du premier juge, sauf le dernier, confirme le jugement du tribunal de Vienne. Je voudrais bien savoir ce que les honorables membres qui m'interrompaient tout à l'heure me répondront. Je crois qu'en présence de tontes ces considérations on reconnaîtra qu'il était impossible au gouvernement de porter un arrêté autre que celui qui fait en ce moment l'objet des débats de la Chambre.
M. Delcourµ. - Messieurs, je ne chercherai pas à prolonger ce débat. Il s'agit ici d'une question de droit, et je sais que les questions de cette nature sont peu en rapport avec le tempérament des assemblées législatives ; cependant, je tiens à répondre quelques mois au discours de M. le ministre de la justice.
Plusieurs questions viennent d'être traitées par l'honorable ministre. D'abord il est un point qui est hors du débat ; c'est celui auquel se rapporte la circulaire de M. de Decker.
Il ne s'agit pas de savoir si la condition de faire donner l'enseignement primaire par des religieuses est une condition licite ou illicite ; là n'est pas la question. Tout le débat porte sur un seul point : l'arrêté royal a-t-il pu refaire les testament de Mlle Favier, en supprimant la substitution.
M. le ministre a beaucoup insisté sur l'article 900 du Code civil ; je le comprends, car cette disposition par sa généralité et j'ajouterai, par son élasticité, permet toutes sortes d'interprétations.
Voyons si, en recherchant les véritables motifs de l'article 900, nous n'arriverons pas à une conclusion satisfaisante.
Je me demande quelle est la base juridique de cette disposition ?
Les uns appuient le principe sur la supposition de l'erreur du testateur. D'autres ont pensé le justifier, en disant que le législateur a voulu punir le disposant de sa témérité d'avoir apposé à sa libéralité une condition immorale ou illicite.
Piicard, ancien auteur français et qui fait autorité dans la matière, rejetait déjà celle explication. « Le disposant,, disait-il, en insérant une condition impossible dans sa libéralité, n'a commis ni délit, ni quasi-délit, qui mérite cette punition de faire subsister la libéralité contre son intention.
« Il n'y a pas d'exemple, ajoute cet auteur, dans lequel on voie un legs demeurer au légataire contre l'intention du testateur ; il n'y a que la volonté qui fasse le testament, et si vous la détruisez, vous supprimez absolument la disposition. »
Voilà le langage d'un jurisconsulte pénétré des vrais principes.
La véritable cause d'une disposition testamentaire ne réside-t-elle pas dans l'intention du bienfaiteur, dans la volonté du testateur de faire, une libéralité ?
Eh bien, s'il en est ainsi, je dis que la base de l'article 900, qui réputé non écrites les conditions impossibles ou contraires aux lois, n'est autre que la volonté présumée du testateur.
Lorsque la condition illicite ou impossible est l'accessoire de la disposition principale, je m'explique qu'on supprime l'accessoire pour conserver le principal. Mais s'il est manifeste que le disposant a voulu, au contraire, subordonner sa libéralité à la condition qu'il y a mise, vous devez, si la condition vient à défaillir, déclarer non avenue la libéralité tout entière.
Tel est le sentiment général des jurisconsultes ; Merlin et les autres écrivains cités par M. le ministre ne contredisent pas ces principes ; ils, se sont bornés à examiner la question à un point de vue général.
(page 152) M. le ministre s'est appuyé sur un arrêt de la cour de Grenoble ; mais je n'irai pas chercher mes autorités à l'étranger : je m'adresserai à la cour de Gand qui, par un arrêt solennel, rendu chambres réunies, a sanctionné la doctrine dont je me suis fait l'écho dans cette enceinte.
Cet arrêt a été rendu dans une affaire importante, qui a fait beaucoup de bruit dans le pays.
Qui ne se rappelle le testament de M. De Raere, curé de Saint-Michel, à Louvain ? Le testateur avait fondé un hospice pour les pauvres femmes aveugles et en avait confié la direction à des administrateurs spéciaux. Il avait ajouté que, dans le cas où la fondation ne serait point érigée conformément à ses dispositions, les biens faisant l'objet du legs appartiendraient à un nommé Gilsoul, qu'il avait institué son légataire universel.
Le fondateur avait donc apposé une condition, que la cour d'appel de Bruxelles avait considérée comme illicite. La cour d'appel de Gand, se plaçant à un autre point de vue, décide que la condition n'était point une condition secondaire et accessoire de la fondation, mais un mode d'exécution de la disposition.
La condition peut donc se lier à l'existence même de la libéralité.
Je puis donc, à mon tour, invoquer l'autorité des arrêts ; mais je préfère invoquer ceux de nos cours belges que ceux des cours étrangères.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre vient de terminer son discours en disant qu'il préférait l'autorité d'une cour belge à l'autorité d'une cour française.
Je ferai remarquer à l'honorable membre qu'il avait commencé par invoquer l'opinion d'un auteur français, et que je lui ai répondu en citant l'arrêt d'une cour française contraire à l'opinion de cet auteur.
M. Delcourµ. - Merlin est-il Belge ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si nous nous appuyions sur des auteurs comme MM. de Brouckere et Tielemans, vous nous diriez que ces auteurs vous sont suspects à cause de leurs opinions politiques.
Dans l'arrêt De Raere invoqué par l'honorable M. Delcour, la cour a jugé en fait. Elle a interprété le testament, elle a décidé qu'en fait l'institution, créée en premier ordre par le législateur, était valable. Il ne s'agit pas de l'article 900.
Dans l'espèce, la testatrice a fait un legs au profit de l'instruction publique à la condition que l’enseignement soit donné par des religieuses. Est-ce que le legs n'existe pas au profit de la commune ? Y a-t-il là quelque chose qui prouve que la volonté de la testatrice n'a pas été de faire une libéralité en faveur de l'enseignement public ?
Mais, dit l'honorable membre, s'il y a une clause pénale, lorsque la condition illégale n'est pas réalisée, il faut faire tomber la libéralité.
S'il en était ainsi, que deviendrait l'article 900 ? C'est une disposition d'ordre public ayant pour but de maintenir les particuliers dans le respect de la loi.
Vous prétendez qu'il sera permis à chacun de dire qu'on ne tiendra pas compte de cet article. Mais cela est contraire à tous les principes. Vous dites que c'est la volonté qui doit prévaloir. Cela est évident, mais on suppose, que quand quelqu'un met dans un testament une clause illégale ou une clause impossible, il fait une chose qu'il ne veut pas.
Voilà ce que la loi doit admettre, car on ne peut imputer à un citoyen de vouloir quelque chose de contraire à la loi et si l'article 900 n'existait pas, je dis qu'il faudrait l'introduire dans le Code avec les principes que le Code admet.
Sans doute, vous pouvez préconiser des principes différents ; mais je soutiens qu'il est de bonne morale d'empêcher les citoyens d'écrire dans leurs dispositions testamentaires des conditions contraires à la loi, et quand ils font des dispositions de ce genre, il ne faut pas faire disparaître l'institution qui est le premier objet de leur volonté au profit d'un institué subsidiaire.
Les testateurs doivent être protégés contre leurs propres faiblesses, contre les obsessions dont ils peuvent être entourés.
Au surplus la condition imposée par la demoiselle Favier n'est pas absolument irréalisable car il peut se faire que l'instruction soit donnée par des institutrices religieuses. Si l'administration communale adoptait une école dirigée par des religieuses, la condition mise par la testatrice serait remplie.
La volonté de la testatrice pourrait sortir ses effets si le conseil communal nommait des institutrices religieuses ; d'après l'opinion que vous défendez, il faudrait forcer le sens de la loi de 1842 et dire que la commune sera toujours obligée de choisir ses institutrices parmi les religieuses.
M. Orts. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour ne pas laisser la Chambre sous l'impression d'une citation faite de mémoire, par l'honorable M. Delcour, et dans laquelle je pense que sa mémoire l'a mal servi.
Selon l'honorable M. Delcour, le gouvernement avait tort d'appuyer son système sur les décisions judiciaires françaises ; il préférait, lui, recourir aux décisions de la jurisprudence belge et il vous a cité l'arrêt rendu par la cour d'appel de Gand, dans l'affaire De Raere.
Cet arrêt, d'après lui, aurait décidé que quand une institution était faite sous une condition impossible ou contraire à la loi et suivie d'une institution universelle, créée pour le cas où la première ne pourrait produire son effet, c'était, la condition étant reconnue vicieuse, à l'institution universelle qu'il fallait attribuer le bénéfice de la libéralité du testateur.
La cour d'appel de Gand, messieurs, n'a pas décidé cela. Dans l'affaire De Raere, il s'agissait d'une institution faite au profit des femmes pauvres, pauvres et aveugles de Louvain, si mes souvenirs sont exacts, et cette fondation devait être administrée par les curés de Louvain, constitués en administrateurs spéciaux.
Pour le cas où cette libéralité ne pourrait pas être exécutée comme le voulait le testateur il avait institué un légataire universel, un nommé. Gilsoul, un pauvre diable qui par parenthèse vivait, je crois, aux dépens de la charité publique.
La cour d'appel de Bruxelles a annulé la condition du legs, en disant que l'institution des légataires spéciaux était contraire à la loi, que l'institution au profit du légataire universel n'était pas sérieuse, et qu'aux hospices de Louvain, seuls représentants légaux des pauvres, revenait le legs contesté.
La cour de cassation a été d'un autre avis quant à l'illégalité de la condition. Elle a cassé et la cause a été renvoyée devant la cour d'appel de Gand.
La cour d'appel de Gand à son tour a décidé non point qu'il fallait donner les biens au légataire universel mais que la libéralité avec la condition d'administration par les curés était parfaitement légale. Dès lors, il n'y avait plus à s'inquiéter des droits éventuels du légataire universel.
La question soulevée par l'honorable M. Delcour ne pouvait donc pas même se présenter devant la cour d'appel de Gand, qui n'a pas pu la juger, et ne l'a pas jugée.
M. Delcourµ. - Messieurs, permettez-moi de vous donner lecture de l'arrêt de la Cour d'appel de Gand : cette lecture servira de réponse au discours de l'honorable M. Orts.
« Au fond :
« Attendu que par son testament mystique, en date du 16 juillet 1844, le chanoine De Raere a donné, laissé et constitué (ik geve, laete ende maeke) une somme de 25,000 francs, pour servir à l'érection d'une fondation perpétuelle pour les pauvres femmes aveugles, ayant leur domicile de secours dans la ville de Louvain, et professant la religion catholique, etc... ;
« Attendu que cette disposition contient donation de la prédite somme, à prendre dans l'hérédité du testateur, au profit d'une certaine catégorie de pauvres, et qu'elle constitue conséquemment un véritable legs ;
« Attendu néanmoins qu'il résulte de l'ensemble des clauses testamentaires que le testateur n'a pas voulu que sa libéralité entrât dans le patrimoine des hospices civils de Louvain, mais que celle-ci constituât la dotation de la fondation dont il a déterminé le caractère, la destination et l'administration, qui devait pouvoir posséder propriétairement, et avoir une existence propre et indépendante des établissements publics existants ;
« Attendu que l'érection de la fondation avec les caractères déterminés par le fondateur, n'est pas une condition secondaire et accessoire, un mode d'exécution de la disposition testamentaire ; que cette fondation en forme au contraire une partie principale et que legs et fondation ne faisaient qu'un dans sa pensée ; que c'est par cette fondation qu'il voulait faire arriver aux pauvres qu'il désirait en gratifier les bienfaits de sa libéralité, qu'elle était l'objet de toute sa sollicitude et la cause déterminante de sa libéralité, qu'il croyait l'existence légale d'une telle fondation possible et licite, mais éventuelle sous la législation en vigueur, et espérait qu'elle aurait été autorisée par la puissance publique, et qu'il a expressément voulu que la somme dont il a disposé, fût, après autorisation, remise entre les mains de messieurs les curés de Louvain, qu'il a désignés pour être à perpétuité les proviseurs, collateurs et administrateurs de la fondation, afin d'être employé de la manière ordonnée par lui, à l'exécution entière de sa disposition testamentaire, ou qu'elle fût considérée comme non avenue pour le tout. »
La décision de la cour d'appel est claire et précise. L'arrêt établit que la condition peut se présenter avec un double caractère : tantôt elle ne présentera qu'une disposition accessoire ; d'autres fois elle se liera intimement à l’existence de la disposition principale, en ce sens que l'existence de celle-ci est subordonnée à la condition que le testateur y a mise. C'est tout ce que j'ai dit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle juge en fait.
M. Delcourµ. - Mon observation reste debout, car la cour avait a interpréter le testament de M. De Raere et le caractère de la condition.
M. Delaetµ (pour une motion d’ordre). - Hier en demandant la parole pour une motion d'ordre, je vous ai dit que je tenais à terminer, pour ma part, le débat qui s'est incidentellement élevé à propos de la question flamande. J'aurais été heureux de ne pas devoir rentrer non pas précisément dans le fond, mais même dans une particularité de ce débat.
Malheureusement, j'ai rencontré aux Annales parlementaires quelques phrases attribuées à M. le ministre des finances, phrases que je n'ai pas entendues ou que j'ai très mal entendues dans la séance d'hier. Voici, d'après les Annales parlementaires, ce qu'aurait dit M. le ministre des finances :
« Je dis, messieurs, que c'est une idée malheureuse, une idée fatale que de vouloir représenter le pays comme divisé en deux fractions pour ainsi dire hostiles, alors surtout que l'on émet cette idée sans nécessité, sans utilité, et je dirai sans aucune raison quelconque.
« Je dois constater que dans les provinces wallonnes on est animé de tout autres sentiments. »
Si j'avais compris ainsi la phrase de l'honorable ministre des finances, je n'aurais pas demandé la parole seulement pour protester, comme je l'ai fait, je l'aurais réclamée pour démontrer que s'il est une idée malheureuse, une idée fatale, c'est de dire qu'il existe, dans cette Chambre des hommes qui représentent le pays comme divisé en deux fractions hostiles. Si j'ai bien compris ce que l'honorable ministre a réellement dit dans la séance d'hier, il n'a attaqué ni nos intentions, ni la façon dont nous défendons ici la cause flamande ; il a affirmé que c'était une malheureuse idée que de vouloir diviser le pays en deux fractions et qu'il constatait que dans les provinces wallonnes on n'agitait pas ces questions.
Je me suis rendu au Moniteur pour savoir si je m'étais trompé ou si les paroles de. M. le ministre des finances avaient été modifiées aux Annales. Je ne conteste pas aux membres de la Chambre ni à messieurs les ministres le droit de retoucher leurs discours au point de vue littéraire ; je comprends qu'un discours improvisé puisse être plus ou moins incorrect, et pour ma part je fais usage de la faculté laissée à tout le monde. Mais entre redresser une incorrection et introduire un argument qui n'a pas été produit, ou supprimer un argument, ou donner à une phrase un sens opposé au sens primitif, il y a quelque différence.
Malheureusement au Moniteur on m'a répondu que l'honorable ministre avait devers lui la copie sténographique. Comme d'après les traditions de la Chambre, M. le directeur du Moniteur est obligé de conserver pendant cinq jours le travail de la sténographie, il a fait demander au ministère des finances la copie que je réclamais. Là il lui a été répondu que M. le ministre avait la copie en poche, et qu'il était en conseil. Je n'ai donc pu vérifier le travail sténographique, mais je m'en fie à la loyauté de M. le ministre pour obtenir la production de son discours, afin de savoir lequel de nous doux a tort ou raison.
Quant au fait : il est positif que la Belgique est divisée en deux parties ; la partie flamande et la partie wallonne ; mais ces deux fractions sont-elles hostiles et les représentons-nous comme hostiles, nous défenseurs de la cause flamande, c'est-à-dire dénonçons-nous à la diplomatie notre pays comme profondément divisé ?
M. Bouvierµ. - Il n'est pas divisé.
M. Delaetµ. - C'est pourtant là le sens diplomatique de la phrase telle qu'elle figure aux Annales. Nous ne cherchons pas à diviser le pays ; nous disons que la partie flamande de la Belgique a des droits à réclamer, qu'elle les réclame, qu'elle les réclamera jusqu'à ce que justice lui soit rendue.
Mais s'il s'agissait de savoir qui de nous divise le pays en deux parties hostiles, j'oserais dire que ce ne sont pas ceux qui réclament le droit et la justice, mais ceux qui refuseraient tout droit et toute justice à une partie du pays.
Je maintiens donc tout ce que j'ai dit, et je crois que M. le ministre des finances sera le premier à reconnaître que, dans la phrase qui se trouve aux Annales, sa pensée a été dépassée.
La question flamande est assez large ; elle est un intérêt national de premier ordre ; elle a une importance capitale. Je crois que tous nous avons intérêt à la débattre sans l'envenimer et sans donner à l'étranger le droit de nous dire que nous sommes divisés sur une question de justice.
M. Bouvierµ. - Personne ne dit cela ici.
M. Delaetµ. - Je ne pense pas avoir eu l'honneur de parler à M. Bouvier ; je me suis adressé à M. le ministre des finances, et c'est de lui et non de M. Bouvier que j'attends une réponse.
M. Bouvierµ. - Vous interrompez, j'interromps à mon tour et je dis qu'il n'y a pas de division dans le pays ; le sentiment de la nationalité doit seul nous préoccuper.
MfFOµ. - Je ne sais si l'assemblée a été plus heureuse que moi ; mais j'avoue humblement ne pas comprendre la portée de l'observation de l'honorable membre. J'ai dit hier, tout le monde s'en souvient, que ce serait une idée fatale que de représenter le pays comme étant divisé en deux parties en quelque sorte hostiles, et j'ai dit que les sentiments qui régnaient dans la partie wallonne du pays, que je connaissais plus particulièrement, étaient tout différents de ceux qu'on semblait lui attribuer. L'honorable membre m'a répondu ensuite : il a dit que dans les provinces flamandes on accueillait aussi les Wallons, mais que si l'on traitait les Wallons comme on traite les Flamands, les Wallons repousseraient les Flamands à coups de bâton. Je crois que c'est bien là ce qu'a dit l'honorable membre.
- Une voix à droite. - Pas tout à fait.
M. Delaetµ. - Laissez continuer ; je répondrai.
MfFOµ. - C'est là ce que vous avez dit.
M. Delaetµ. - Non.
M. Coomans. - Il a dit si l'on administrait les Wallons en flamand.
MfFOµ. - Oui : mais c'est immédiatement après avoir été interrompu que l'honorable membre a dit : « Si l'on envoyait dans les provinces wallonnes des Flamands pour administrer en flamand. »
Voilà bien l'explication qui a été donnée de sa pensée par l'honorable membre. (Interruption.)
M. de Naeyerµ. - Immédiatement.
MfFOµ. - Oui ; mais après l’interruption qu'avaient provoquée les paroles de l'honorable, M. Delaet.
M. de Naeyerµ. - On ne l’avait pas laissé achever.
MfFOµ. - Il me semble d'ailleurs que ce que je dis est parfaitement conforme à ce que contiennent les Annales parlementaires.
M. de Theuxµ. - On ne pouvait pas le comprendre autrement.
MfFOµ. - Voilà donc ce qui se trouve dans les Annales parlementaires ; la première explication de l'honorable membre a été exactement telle que je la rappelle.
Quoi qu'il en soit, je constate que la phrase qui vient d'être l'objet de la critique de l'honorable M. Delaet n'a pu lui échapper, puisqu'elle a motivé sa réplique. Il y a répondu. C'est parce que j'avais parlé de la division du pays en parties hostiles, et des sentiments qui régnaient dans les provinces wallonnes, qu'il m'a adressé cette réponse.
Il voit, dans la phrase prononcée par moi, qui se trouve aux Annales parlementaires, une portée diplomatique. Eh bien, messieurs, mon esprit s'épuise à trouver ce qu'il peut y avoir de diplomatique dans cette affaire. J'ai dit une chose qui me paraît toute simple, toute naturelle, toute de bon sens. J'ai dit et je répète qu'il serait éminemment regrettable qu'on pût diviser le pays en deux parties pour ainsi dire hostiles. Mais ai-je dit que l'honorable membre voulait établir cette division dans le pays ? Y ai-je fait la moindre allusion ? Nullement : j'ai exprimé une idée générale que l'honorable membre partage lui-même, car il proteste contre la pensée contraire, et il se trouve ainsi que sur ce point nous sommes parfaitement d'accord.
Encore une fois j'avoue ne pas comprendre sa réclamation.
M. Delaetµ. - Après les explications que vient de donner. M. le ministre des finances, j'espère qu'il aura la loyauté de produire la copie dont il est en possession...
MfFOµ. - Certainement, je n'y vois pas la moindre difficulté.
(page 154) M. Delaetµ. - ... et d'en donner lecture à la Chambre. (Oh ! oh ! interruption) Oui, messieurs, il est très important que lecture en soit donnée. (Interruption.)
Permettez, messieurs, je répète qu'il importe de donner lecture de cette partie de la séance, parce qu'il y a dans les explications données par M. le ministre un petit anachronisme d'une colonne des Annales parlementaires, c'est-à-dire, en d'autres termes, un intervalle de dix à quinze minutes entre la phrase de M. le ministre et celle où il est question de coups de bâton : la première se trouve à la première colonne de la page 146 ; l'autre, à la seconde colonne. (Longue interruption.) Ce ne sont donc pas mes coups de bâton qui ont fait tressaillir M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Aussi n'est-ce pas non plus ce que j'ai dit.
M. Delaetµ. - Vous ne pouviez pas savoir ce que j'allais dire.
MfFOµ. - C'est votre réponse qui se trouve à la seconde colonne.
M. Delaetµ. - Voici ce qui se trouve à la seconde colonne ; je vais en donner lecture. (Interruption.)
- Plusieurs voix à gauche. - A la question !.
M. Delaetµ. - Cette question des coups de bâton est bien simple.
- Voix à gauche. - A la question ! à la question ! (Interruption.)
M. Delaetµ. - L'honorable M. Muller, interrompant ma phrase, a dit : « C'est intolérable ! » Et l'honorable M. Jacobs lui a fait observer à très juste titre qu'il ne comprenait seulement pas ce que j'avais dit.
.l'ai demandé alors de pouvoir préciser ma pensée, et j'ai dit que si un fonctionnaire flamand s'avisait de vouloir administrer des Wallons en flamand, on serait capable de le chasser à coups de bâton.
Maintenant, messieurs, déterminons bien la question. (Interruption.) Permettez, messieurs, ce débat est très important et tous nous avons intérêt à en bien préciser l'objet.
M. le ministre des finances nous avait dit que si nous voulions introduire la langue flamande (voilà du moins comment j'avais compris le sens de sa phrase dans les Annales parlementaires), si nous voulions introduire la langue flamande dans une proportion un peu large, ce serait vouloir séparer le pays en deux fractions. Ceci était un terrain de fait, de résultats et, par conséquent de discussion ; c'était un point que nous pouvions réserver pour un débat général ; et je n'avais pas à répondre à cette partie du discours de l'honorable M. Frère-Orban. Mais il avait ajouté que, dans la partie wallonne du pays, on n'agitait pas cette question. (Interruption.)
Mais permettez donc, messieurs ; encore une fois, cette question est fort importante ; car enfin pourquoi M. le ministre des finances a-t-il modifié ce qu'il a dit ? (Nouvelle interruption.) Pardon ! A mon sens, une question de fait a été transformée en un véritable débat d'intention. Or, si je relève l'erreur commise aux Annales, c'est que ce n'est pas la première fois que cela arrive ; c'est que nous autres, défenseurs de la cause flamande, on nous a plus d'une fois accusés de vouloir diviser le pays, et ce reproche nous a été adressé particulièrement à nous qui sommes assis sur ce qu'on appelle le banc anversois. C'est une véritable tactique, contre laquelle j'ai le droit de protester.
Maintenant, M. le ministre, je fais appel à votre loyauté pour obtenir la lecture de la phrase originale de votre discours que j'ai signalée tout à l'heure. C'est mon droit et j'espère que ma réclamation sera entendue.
M. Vermeireµ. - J'avais cru comprendre, à l'audition du premier discours de l'honorable préopinant, qu'il s'agissait de la question flamande et de la question wallonne, et qu'on paraissait vouloir établir une sorte d'antagonisme entre les citoyens appartenant, sous le rapport de la langue, aux deux parties de notre pays.
A mon avis, messieurs, un pareil débat est extrêmement fâcheux.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. Vermeireµ. - Pour moi, messieurs, il y a, au-dessus de la question flamande et de la question wallonne, une autre question, à laquelle, pour ma part, je me vouerai toujours de tout cœur, de toutes les forces de mon âme, c'est ce que j'appellerai la question du pays.
Lorsque nous considérons notre situation politique, nous devons être tous d'accord pour reconnaître combien il serait regrettable de nous diviser ; combien, au contraire, nous devons veiller avec soin à rester toujours unis.
Le ministère actuel a-t-il, oui ou non, rendu quelques services à la cause flamande ? Eh bien, messieurs, je dois, en toute sincérité, répondre affirmativement à cette question.
- Voix à gauche. - Très bien !
M. Vermeireµ. - Oui, messieurs, des réformes très utiles ont été introduites sous ce rapport dans l'administration, et ici j'ai particulièrement en vue le département des travaux publics. Ainsi, toutes les lettres adressées par ce département à des personnes qui correspondent en flamand, sont également écrites dans cette langue. Quant aux avis concernant le service des chemins de fer, ils sont publiés dans les deux langues ; de sorte que les Wallons comme les Flamands peuvent les lire et les comprendre.
Maintenant, reste la question de savoir si dans les provinces flamandes on envoie parfois des fonctionnaires parlant exclusivement le français et qui, par suite, sont exposés, dans leurs rapports avec le public, à ne pas pouvoir remplir convenablement leurs devoirs.
Je crois qu'il est très rare que l'administration envoie, dans les Flandres, des fonctionnaires qui ne connaissent pas le flamand, surtout des fonctionnaires appelés par leurs fonctions à avoir des rapports avec le public.
Cependant, il y a deux ans, il y a eu, dans une commune des Flandres, un percepteur des postes qui ne parlait pas le flamand. Eh bien, ce n'était pas précisément le public qui souffrait le plus de cette circonstance ; c'était le fonctionnaire lui-même.
En effet, devant être en rapport continuel avec le public qui venait lui demander des renseignements, il ne savait que répondre, parce qu'il ne comprenait pas le flamand ; il est venu me voir pour me dire que cette position était intolérable ; qu'il ne pouvait pas y tenir plus longtemps ; il me demanda si je ne voulais pas faire une démarche auprès de l'administration supérieure, afin qu'il pût retourner dans le pays wallon, où il serait plus apte à rendre de bous services que dans une commune flamande. J'ai fait une démarche ; il en est résulté qu'à la première occasion le fonctionnaire wallon a été remplacé par un autre fonctionnaire connaissant le flamand.
Je me borne à cet exemple pour faire comprendre qu'on ne peut envoyer dans des localités flamandes des fonctionnaires qui connaissent uniquement le français.
M. Wambekeµ. - Messieurs, je me proposais de parler de la langue flamande dans la discussion générale ; je me proposais justement d'établir devant la Chambre les griefs que les Flamands ont à articuler, en ce qui concerne l'administration de la justice ; mais, en présence des explications que vous venez d'entendre, je me réserve le droit de provoquer une réforme à cet égard, lors de la discussion de la loi sur la réorganisation judiciaire.
La Chambre désire clore en ce moment le débat sur la question flamande ; c'est pourquoi je renonce aujourd'hui à la parole.
- L'incident relatif à la langue flamande est clos.
M. Broustinµ. - Messieurs, lorsque j'ai demandé la parole, je n'avais nullement l'intention d'entrer dans le débat soulevé par l'honorable M. Delcour et qui vient de se clore d'une manière si éloquente. J'avais seulement pour but de rencontrer les objections qui ont été faites à la loi du 12 juin 1816.
Messieurs, cette loi a rendu d'éminents services : elle a facilité singulièrement les opérations de licitation et de liquidation ; elle a amélioré aussi la position des mineurs lorsqu'ils sont intéressés dans des ventes d'immeubles.
Certainement tout n'est pas irréprochable dans cette loi ; la partie qui a soulevé des objections est celle qui se rattache aux frais de licitation ; la section centrale du budget de la justice s'en est occupée dans son rapport ; je pense avec la section centrale qu'il y a lieu de diminuer les frais de licitation lorsqu'il s'agit de propriétés peu importantes ou d'une valeur inférieure à 5,000 francs.
En signalant le mal, on a proposé le remède. Ce remède est très simple ; il peut facilement passer dans le Code de procédure civile.
Je dirai, à cette occasion, que les formalités prescrites par la loi de 1816 devraient être étendues à d'autres cas.
Ainsi, lorsqu'il s'agit de liciter des immeubles dans lesquels des mineurs ne sont pas intéressés, et quand les parties ne sont pas d'accord entre elles, on n'a pas recours, en ce cas, à la loi de 1816, mais on doit remplir les formalités prescrites par le Code de procédure civile, qui soul longues et dispendieuses.
Messieurs, le Code civil renferme des dispositions concernant l'absence. Ces dispositions sont incomplètes. Je suppose qu'une licitation s'ouvre. Dans cette licitation sont intéressés des absents déclarés.
Quelle marche suit-on ? Celle qui est tracée par le Code de procédure civile ; toutes formalités qui ne peuvent être accomplies qu'au détriment (page 155) des parties elles-mêmes. Et pour qui ? Pour un absent, qui néglige souvent ses propres intérêts.
Vous avez ensuite le présumé absent, celui à l'égard duquel aucune des formalités prescrites par le Code civil n'a été remplie ; on le considère comme défaillant, et cependant il n'est absent que momentanément. Que fait-on lorsqu'une licitation se présente, dans laquelle il est intéressé ? On le tient pour défaillant.
La jurisprudence semble, il est vrai, être fixée sur ce point. On commet un notaire pour représenter ce présumé absent ; c'est fort bien, la jurisprudence est telle aujourd'hui ; mais la jurisprudence peut varier selon les circonstances.
Il me paraît que puisqu'on s'occupe de réformer le Code de procédure civile, le point dont il s'agit devrait être signalé à l'attention des honorables magistrats qui font partie de la commission de révision, afin qu'ils puissent y avoir égard dans les propositions qu'ils soumettront au gouvernement.
Un autre cas se présente encore.
On est très souvent embarrassé dans la pratique, lorsqu'il s'agit de meubles dépendants de successions sous bénéfice d'inventaire. Le code de procédure civile a été fait à une époque où l'on distinguait les biens en meubles nommés communément corporels et en meubles incorporels. Lorsqu'il s'agit de la vente de ces biens, encore une fois la doctrine et la jurisprudence ne sont pas d'accord sur les formalités à remplir pour la vente des rentes et créances lorsqu'on veut conserver le bénéfice d'inventaire.
En 1854, on a fait une loi sur la saisie des rentes et l'on a omis d'y inscrire les créances. Il faudrait rendre les dispositions de cette loi communes aux créances.
Sur ce point encore, il serait très utile d'appeler l'attention des membres de la commission de révision, pour qu'elle propose des mesures propres à sauvegarder complètement les intérêts des héritiers qui n'entendent pas perdre le bénéfice d'inventaire.
Le Code de procédure civile renferme encore des dispositions qui rendent en quelque sorte impossible le contrat de mariage pour la plupart des individus peu aisés. Il s'agit de la publication du contrat de mariage...
- Un membre. - Cette formalité ne peut être exigée que des commerçants.
M. Broustinµ. - On considère comme commerçant celui qui achète pour revendre. Ainsi, un cloutier, un tisserand achète de la marchandise, la travaille et la revend.
Il fait acte de commerce, il faut afficher. Or, quelle est la conséquence. de cette obligation ? C'est d'entraîner pour les mariés une dépense d'une quarantaine de francs au minimum.
Eh bien, nous avons, dans la loi de 1851, une disposition qui paraissait couper court à l'obligation de faire afficher ; c'est l'obligation de faire connaître à l'officier de l'état civil si vous avez fait, oui ou non, un contrat de mariage.
Puisqu'il s'agit de la révision du Code de procédure civile, il me semble qu'il serait très simple de renforcer cette disposition en obligeant les parties à faire connaître le régime sous lequel ils se sont mariés. En cas de contrat de mariage, ce serait au notaire à donner cette indication. Cela ne nécessiterait aucuns frais et faciliterait singulièrement les conventions anténuptielles.
Je présente ces observations afin que la commission chargée de préparer la révision du Code de procédure civile y ait tel égard qu'elle jugera convenable.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me bornerai à répondre un mot à l'honorable M. Broustin : c'est que les diverses questions qu'il vient de poser devant la Chambre sont en ce moment soumises à l'examen de la commission chargée de préparer la révision du Code de procédure civile. Cette commission aura connaissance des observations qui ont été présentées et elle en retirera tout ce qui lui paraîtra utile.
M. de Maere. - Je voudrais dire un mot d'une question qui n'est pas sans importance. Je veux parler de l'énorme inégalité qu'on remarque dans la somme de travail fournie par les divers tribunaux de première instance qui existent dans le pays.
Ces tribunaux sont, vous le savez, au nombre de 26, et une loi de 1865 les a divisés en trois classes.
J'ai fait, pour chacun de ces 26 tribunaux, un tableau composé de trois colonnes que voici :
(Suit un tableau répartissant ces tribunaux en trois classes, avec le nombre de causes introduites de 1840 à 1861. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée)
Dans la première de ces colonnes, j'ai inscrit, pour chacun d'eux, la moyenne annuelle des causes introduites pendant une première période qui va de 1840 à 1850 ; la seconde colonne comprend la moyenne des causes introduites pour la période allant de 1850 à 1861 ; dans la troisième colonne, se trouve la moyenne générale des affaires dont chaque tribunal a eu à s'occuper durant vingt ans, c'est-à-dire durant les années 1840 à 1861.
Evidemment je ne veux pas vous donner lecture de ce tableau ; cela serait fastidieux. Je me permettrai cependant de vous citer les chiffres de la troisième colonne, à savoir la moyenne des causes introduites de 1840 à 1861 devant les tribunaux de troisième classe, qui sont ceux dont je m'occupe en ce moment.
Je trouve que le tribunal de Nivelles a eu à s'occuper de 85 affaires, celui de Turnhout de 46 affaires, celui de Malines de 67 affaires, celui de Courtrai de 116 affaires, (page 156), celui de Furnes de 80 affaires, celui d’Ypres de 98affaires, celui d’Audenarde de 132 affaires, celui de Huy de 135 affaires, celui de Hasselt de 69 affaires, celui de Marche de 81 affaires et celui de Neufchâteau de 105 affaires.
Il résulte de ce tableau qu'il existe en Belgique un tribunal qui, depuis vingt années, n'a pas eu à s'occuper d'une cause par semaine, c'est le tribunal de Turnhout. Il y a 6 tribunaux, ceux de Malines, Furnes, Ypres, Hasselt, Marche et Neufchâteau, qui n'ont pas eu à juger deux affaires par semaine ; enfin pas un des 11 tribunaux qui appartiennent à la troisième classe n'a eu à rendre 3 jugements par semaine.
Je demande s'il n'y aurait pas quelque utilité à faire disparaître quelques-uns de ces tribunaux de troisième classe, à les fondre, à les fusionner avec certains autres.
C'est ainsi, paraît-il, que le tribunal de Turnhout pourrait être utilement supprimé et les affaires dont il a à s'occuper pourraient être données au tribunal d'Anvers...
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. de Maere. - Je fais la même observation pour l'arrondissement de Furnes qui, évidemment, pourrait être divisé, partie donnée à l'arrondissement de Courtrai, partie à celui d'Ypres. Il en est de même encore du tribunal de Neufchâteau dont les affaires pourraient être remises au tribunal d'Arlon et à celui de Marche.
Il résulterait de ce remaniement que l'Etat pourrait faire l'économie de tous les frais attachés à l'institution de trois tribunaux de troisième classe, c'est-à-dire une économie de plus de 100,000 francs ; ces affaires, me paraît-il, n'en seraient pas plus mal faites. Car je vois par les chiffres de la statistique que ce sont parfois les petits tribunaux qui ont le plus grand arriéré.
Ainsi pour la période qui finit à 1859, je constate que le tribunal de Malines a un arriéré de 41 causes sur 83 ; celui de Furnes, de 64 sur 89 affaires introduites, et ainsi de suite.
Je ne fais aucune proposition. Je me borne à émettre un vœu ; c'est que M. le ministre de la justice veuille bien examiner avec quelque soin cette question, qui ne me paraît pas sans intérêt.
M. Coomans. - Je ne crois pas qu'il soit bien nécessaire de protester contre l'étrange idée qu'a eue l'honorable M. de Maere de supprimer le tribunal de Turnhout. La Chambre voudra bien me rendre ce témoignage que je ne suis pas du nombre de ceux qui l'ont ennuyée depuis vingt ans de réclamations, quelquefois avec raison, quelquefois avec moins de raison ou pas de raison du tout, en faveur d'une augmentation du personnel judiciaire ou administratif de mon district. Je ne vous ai jamais rien demandé à cet égard. Mon désintéressement électoral est notoire.
Aussi je vous l'avoue, ce n'est pas par crainte de voir réaliser les vues de l'honorable membre que j'ai demandé la parole : c'est principalement pour le remercier d'avoir bien voulu constater que l'arrondissement que je représente est celui de tous ceux de Belgique qui est le moins processif, le moins chicanier, et le plus honnête, le plus moral, si la mesure des causes criminelles et civiles est la mesure de la moralité des populations.
Ainsi donc le tribunal de Turnhout n'a qu'une cause par semaine, et il existe presque sans cause (interruption) ; partant on doit l'abolir. Je vois que la Chambre est d'un tout autre avis.
Messieurs, laissons de coté le tribunal de Turnhout. Mais le principe, si cela peut s'appeler un principe, développé par l'honorable membre est inadmissible pour tous les autres arrondissements. Ce qu'il faut avant tout, c'est décentraliser la justice. Je suis partisan de toute espèce de décentralisation, mais de la décentralisation de la justice en particulier, surtout dans les arrondissements judiciaires où le chiffre d'hectares est en raison inverse de celui de la population, c'est-à-dire où les distances sont très considérables, où les chemins sont les moins bons et les habitants les plus clairsemés.
Je suis de ceux qui pensent qu'il y a souvent des difficultés très graves pour les plaideurs, à se rapprocher du centre de l'arrondissement.
Maintenant, messieurs, le tribunal de Turnhout, force n'est d'en convenir, jouit d'une réputation plus ou moins cléricale.
M. Orts. - Il n'a pas cette réputation.
M. Coomans. - Il n'a pas la réputation d'être clérical ?
M. Orts. - Il n'a pas la réputation de mettre de la politique dans la justice.
M. Coomans. - Evidemment et je l'en loue, mais s'il n'a pas cette réputation, il en a une autre, c'est d'être un des deux ou trois tribunaux de la Belgique qui comptent le moins de jugements réformés. Voila la meilleure réputation qu'on puisse désirer aux yeux d'un ministre de la justice. Je pense, messieurs, que ces observations jointes à d'autres que je vous épargne sont de nature à faire renvoyer aux calendes grecques la proposition de l'honorable M. de Maere.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. de Maere a demandé au gouvernement de vouloir bien étudier les chiffres qu'il vient de soumettre à la Chambre. Sans doute, messieurs, ces chiffres peuvent être de quelque utilité pour l'étude des questions qui se rattachent à l'organisation judiciaire.
L'honorable membre parle d'arriérés. Il peut être avantageux d'en rechercher les causes. Je ne veux nullement prétendre que les arriérés signalés par l'honorable membre ne soient pas dus à des motifs légitimes ; mais déduire de ce qu'un tribunal a peu d'affaires, qu'il faille le supprimer, je crois que c'est aller trop loin.
Les tribunaux n'ont pas seulement été institués eu égard à un nombre d'affaires déterminé, ils l'ont été aussi en vue de l'étendue des arrondissements et de leur population. Si par exemple vous faisiez aller à Anvers les habitants de Turnhout de même que si vous faisiez aller à Ypres les habitants de Furnes vous léseriez les intérêts des populations en même temps que vous augmenteriez les frais de justice dans des proportions considérables.
Je ne partage pas non plus l'opinion de M. Coomans au sujet de la décentralisation de la justice ; je ne pense pas qu'il faille placer un juge dans chaque commune ; mais il faut mettre le nombre des tribunaux en rapport avec les nécessités géographiques et avec l'importance de la population ; ce sont là des faits dont il faudra toujours tenir compte, quoi qu'on fasse.
Je ne crois pas, messieurs, que l'idée de M. de Maere ait quelque chance de succès ; mais, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire déjà, les chiffres qu'il a fournis peuvent être consultés, pour l'étude des questions relatives à l'organisation judiciaire.
- La discussion générale est close.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 271,100. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Frais de rédaction et de publication de recueils statistiques : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 7,500. »
- Adopté.
« Art. 6. Cour de cassation. Personnel : fr. 267,400. »
- Adopté.
« Art. 7. Cour de cassation. Matériel : fr. 5,250. »
- Adopté.
« Art. 8. Cours d'appel. Personnel : fr. 757,050. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il y a à ce poste une augmentation de 1,000 francs, nécessitée par la nomination d'un quatrième commis du parquet à la cour d'appel de Bruxelles, de sorte que le chiffre de 757,0350 fr. doit être porté à 758,050 fr.
MpVµ. - C'est à cet article que se rattache l'amendement proposé par MM. Bouvier, Preud'homme, Van Renynghe et autres membres. La parole est à M. Thonissen pour développer cet amendement.
M. Thonissenµ. - Messieurs, l'amendement que j'ai proposé, avec huit de mes honorables collègues, tend à faire majorer d'une somme de 2,100 fr. l'article 8 et de 23,300 fr. l'article 10 du budget, afin de fournir au gouvernement le moyen de porter les appointements des secrétaires de parquet au taux des appointements accordés aux commis greffiers. Les appointements des commis-greffiers sont de 4,000 fr. près des cours d'appel et de 3,000, 2,800 et 2,600 près des tribunaux de première instance, suivant que ceux-ci appartiennent à la première, à la seconde ou (page 157) à la troisième classe. Les appointements des secrétaires de parquet sont, au contraire, de 3,300 fr., près des cours d'appel, de 2,400, 1,800 et 1,700 fr. près des tribunaux de première instance. Il existe donc entre les appointements de ces deux classes de fonctionnaires une différence allant de 600 à 1,000 fr.
Tous ceux qui ont appartenu à la magistrature, tous ceux qui ont traversé le barreau (et ils sont nombreux dans cette enceinte), savent que le travail imposé aux secrétaires de parquet est incontestablement plus lourd, plus considérable et exige plus d'intelligence et d'instruction que le travail confié aux commis greffiers. Pourquoi donc cette situation étrange, disons plus, pourquoi cette injustice flagrante, qui consiste à donner le moins à ceux qui fout le plus ?
De 1836 à 1845 les commis greffiers et les secrétaires de parquet étaient placés sur la même ligne au point de vue des appointements, et il en est encore de même aujourd'hui en Hollande. En France, on accorde même aux secrétaires de parquet des appointements plus élevés que ceux des commis greffiers.
Je ne vais pas jusque-là ; je demande seulement qu'on en revienne au système antérieur à 1845 et qu'on donne aux deux classes de fonctionnaires des traitements égaux.
Hier M. le ministre de la justice a combattu notre amendement par anticipation. Il a dit que ceux pour lesquels nous réclamons sont des commis. Mais, messieurs, sérieusement, de bonne foi, que fait ici le titre de commis ? Ne faut-il pas, pour tous les serviteurs de l'Etat indistinctement, suivre cette règle de justice qui consiste à payer chacun en proportion du travail qu'on lui impose, en proportion de l’intelligence, du dévouement et de l'activité qu'il est appelé à déployer dans l'exercice de ses fonctions ? C'est là une règle élémentaire, incontestable et que je ne m'arrêterai pas à justifier, d'autant plus que M. le ministre de la justice me fait un signe d'assentiment. Je laisse donc de côté cet argument qui, en réalité, n'en est pas un.
L'honorable ministre a dit une chose plus sérieuse. Il a affirmé qu'on impose aux secrétaires des parquets des travaux qu'on ne devrait pas leur remettre ; en d'autres termes, qu'on les transforme en sous-substituts, qu'on leur fait faire de la besogne de procureur du roi.
Cela est vrai dans une certaine mesure ; mais, malheureusement, cet abus est irrémédiable.
M. le ministre aura beau faire, il aura beau multiplier les ordres et les circulaires, il ne parviendra pas à changer cette situation. Les secrétaires des parquets se trouvent à l'égard des procureurs du roi dans un état de dépendance absolue, puisqu'ils sont nommés et révoqués par ces fonctionnaires. Le premier secrétaire de parquet qui oserait dire à son chef : « C'est une besogne de procureur du roi que vous me remettez, je n'entends pas m'en charger, » serait immédiatement expulsé du palais de justice. II faut prendre les choses telles qu'elles sont en réalité.
Depuis 1845, on ne peut le nier, le travail des secrétaires de parquet a été plus que doublé. Les renseignements statistiques qu'on demande sont tellement considérables qu'à eux seuls ils suffisent pour absorber l'activité d'un homme parfaitement doué. On conviendra, je l'espère, qu'un chef de parquet ne voudra jamais se charger de cette rebutante besogne.
M. le ministre a bien voulu avouer que la position des secrétaires de parquet est à certaines égards malheureuse, qu'ils se trouvent dans une véritable impasse ; il a ajouté qu'ils ont tort d'y rester.
M. le ministre a oublié un fait : c'est que tous ceux qui occupent un emploi quelconque cherchent toujours à améliorer leur sort et que, par conséquent, s'ils restent dans une impasse, c'est qu'ils sont forcés d'y rester. II est bien évident que si les secrétaires de parquet pouvaient demain occuper une position plus élevée, aucun d'eux ne manquerait de saisir immédiatement l'occasion.
M. le ministre a fait valoir une autre considération, une considération d'économie. Il a dit : La Chambre demande des économies, l'état financier du pays réclame des économies, et vous venez demander une augmentation de dépenses !
M. le ministre sait bien que je suis partisan des économies. Je crois en avoir fourni la preuve. Dans la discussion toute récente du budget de l'intérieur, j'ai demandé qu'on supprimât le musée de l'industrie et qu'on réduisît de 50,000 fr. le crédit mis à la disposition du gouvernement, pour achat d'œuvres d'art.
Mais, messieurs, il y a des économies dont je ne veux pas ; ce sont celles qui renferment une injustice. Nous devons être économes, mais nous devons avant tout être justes, Je mets l'amour de la justice avant l'amour de l'économie. Or, ici il y a une véritable injustice, je ne saurais trop le répéter.
Du reste, la dépense n'est pas si considérable. Une augmentation de 25,000 fr. sur un budget de plus de 15 millions n'est pas tellement sérieuses qu'il faille invoquer pour la repousser des considérations d'économie.
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il m'est impossible de me rallier à l'amendement qui vient d'être développé par l'honorable M. Thonissen.
Je ferai d'abord remarquer à la Chambre que déjà, à plusieurs reprises, cette question a été discutée devant nous et tranchée dans un sens négatif.
Je ne pense pas qu'il soit de la dignité de la Chambre que l'on vienne chaque année, en conquérant une voix ou deux, tenter de faire admettre une chose qu'elle a cru contraire à l'intérêt de la justice.
En effet, que veut l'honorable membre ? Il veut introduire dans la magistrature les secrétaires des parquets, c'est-à-dire, augmenter encore les charges qui pèsent sur le pays du chef de l'administration de la justice, alors qu'on voit d'autres membres se plaindre que ces charges sont trop considérables. L'honorable M. de Maere s'est même plaint tout à l'heure de ce que les tribunaux n'avaient pas tous suffisamment de travail.
Je le demande, qu'ont à faire dans certains parquets les secrétaires de parquet lorsqu'il y a un procureur du roi et un substitut ? Il y a des parquets où ils n'ont que très peu de besogne. Ailleurs, que voyons-nous arriver ? Les procureurs du roi et les substituts, c'est là un abus, se déchargent d'une partie de leur besogne sur les secrétaires de parquet. Est-ce une raison pour payer plus fortement les secrétaires de parquet ? Evidemment non ; car, à ce titre, il faudrait payer deux fois la même chose.
L'honorable membre dit que les secrétaires de parquet déploient du zèle et de l'activité. Je n'ai jamais nié cela. Si j'ai dit à ces fonctionnaires qu'ils sont des commis, je n'ai attaché à ce mot aucun sens humiliant, j'ai seulement voulu dire qu'ils n'avaient qu'une besogne de commis. Du reste, ils étaient dans le principe appelés commis de parquet, et ce n'est que plus tard qu'on leur a donné le titre de secrétaire de parquet.
On les élève peu à peu, et si, dans quelque temps, ils devenaient des fonctionnaires parfaitement rémunérés, le titre de secrétaires du parquet leur déplairait et ils prendraient celui de sous-substituts.
L'honorable membre a affirmé qu'en Hollande les secrétaires de parquet ont un traitement égal, et qu'en France ils ont un traitement supérieur à celui des commis greffiers.
Je n'ai pas vérifié ce fait ; mais je demanderai à l'honorable membre de quels traitements, dans ces deux pays, jouissent les commis greffiers. Ils n'ont peut-être qu'un faible traitement. On concevrait dès lors que les secrétaires des parquets aient autant qu'eux, parce qu'on ne peut descendre au-dessous de certaines limites.
L'honorable membre ajoute que les secrétaires de parquet ne peuvent que très difficilement obtenir de l'avancement. C'est une erreur.
J'ai offert des places de greffiers de justice de paix à des secrétaires de parquet, mais ils n'ont pas accepté. Faut-il que l'Etat vienne réclamer un supplément de crédit et augmenter ainsi les charges du trésor pour satisfaire un fonctionnaire ?
L'honorable membre me rappelle que les secrétaires de parquet déploient une grande activité. Soit ; mais, dans toutes les administrations, dans les postes, les télégraphes, les finances, il y a des fonctionnaires qui déploient de l'activité et dont le traitement ne dépassa pas un certain taux. Faudra-t-il l'augmenter ? Nous ne pouvons fixer la traitement qu'à raison de la nature et de l'importance des services qu'ils rendent.
Les secrétaires de parquet ont reçu, il n'y a pas longtemps, une augmentation de traitement. Devons-nous leur faire encore un véritable cadeau ? Je ne saurais y engager la Chambre. L'intérêt du Trésor exige qu'on ne le fasse pas, car ce serait encourager d'autres catégories da fonctionnaires à réclamer des augmentations à leur tour.
Je dois ajouter que mon budget doit être augmenté de 100,000 fr.
MpVµ. - Il y a d'abord un amendement de l'honorable M. Thonissen qui consiste à augmenter le chiffre de l'article 8 de 2,100 francs.
Je vais le mettre aux voix.
(page 158) - Voix diverses. - L'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
74 membres y prennent part.
23 membres répondent oui.
51 répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Sabatier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thonissen, Van Renynghe, Wouters, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Terbecq, de Theux, Dewandre, Dupont, Julliot, Lambert, Landeloos, Lelièvre, Mascart, Notelteirs et Preud'homme.
Ont répondu non :
MM. T Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Warocqué, Wasseige, Allard, Bara, Braconier, Broustin, Bruneau, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Kerchove, d'Elhoungne, de Macre, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, Dethuin, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Frère-Orban, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Lesoinne, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier et Ern. Vandenpeereboom.
L'article 8, augmenté de 1,000 fr., est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 9. Cours d'appel. Matériel : fr. 19,500. »
- Adopté.
- Voix nombreuses. - A demain !
- La séance est levée à 5 heures.