Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 1 décembre 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 71) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Par neuf pétitions, des distillateurs de la Flandre orientale présentent des observations contre la disposition de la loi d'accises qui maintient une remise de 15 p. c. sur les droits en faveur des distilleries agricoles. »

M. de Kerchoveµ. - Je prierai la Chambre d'ordonner le renvoi de cette pétition à la commission permanente d'industrie, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Spa appellent l'attention de la Chambre sur l'énormité des sommes dépensées pour la construction du nouvel établissement de bains en cette ville et demandent que le gouvernement ordonne une enquête à ce sujet. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dierickx demande la construction d'une route pavée très large près du rempart intérieur de la nouvelle enceinte d'Anvers, notamment depuis la porte de Boom jusqu'à la nouvelle station de Berchem. »

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants d'Etalle demandent que le chemin de fer à construire de Virton à Luxembourg passe par Etalle et Habay. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Il est fait hommage à la Chambre, par M. C.-J. Tackels, capitaine au 8ème régiment de ligne, de trois ouvrages, intitulés :

« 1° Etude sur le pistolet au point de vue de l'armement des officiers ;

« 2° Etude sur les armes se chargeant par la culasse ;

« 3° Etude sur les armes à feu portatives, les projectiles et les armes se chargeant par la culasse. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Valckenaere, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.


Il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1867

Discussion du tableau des recettes (I. Impôt)

Contributions directes, douanes, accises

Douanes

La délibération continue sur les articles « Douanes ».

« Droits de sortie : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Droits de tonnage : fr. 15,000. »

- Adopté.

Accises

« Sel : fr. 5,400,000. »

- Adopté.


« Vins étrangers : fr. 2,080,000. »

- Adopté.


« Eaux-de-vie indigènes : fr. 7,570,000. »

M. de Maere. - J'aurais désiré présenter quelques observation' sur la situation privilégiée que l'article 5 de la loi de 1842 fait aux distilleries agricoles, mais aujourd'hui même, nous sont arrivées de nombreuses pétitions signées par des distillateurs des environs de la ville de Gand et relatives à cet objet. Pour ne pas faire perdre de temps à la Chambre, je demande à remettre mes observations jusqu'à l'époque où l'on s'occupera de l'examen de ces pétitions.

- L'article est adopté.


« Bières et vinaigres : fr. 8,840,000. »

- Adopté.


« Sucres de canne et de betterave : fr. 3,900,000. »

- Adopté.


« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 20,000. »

-Adopté.

Garantie

« Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 300,000. »

- Adopté.

Recettes diverses

« Recettes extraordinaires et accidentelles, recouvrement de frais de vérification de marchandises, loyer des bâtiments et droits des magasins des entrepôts de l'Etat : fr. 40,000. »

— Adopté.

Enregistrement et domaines

Droits, additionnels et amendes

« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 11,750,000. »

- Adopté.


« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 285,000. »

- Adopté.


« Hypothèques (principal et 25 centimes additionnels) : fr. 2,700,000. »

- Adopté.


« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 10,000,000. »

- Adopté.


« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 1,800,000. »

- Adopté.


« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Timbre : fr. 3,925,000. »

- Adopté.


« Naturalisations : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Amendes en matière d'impôts : fr. 180,000. »

- Adopté.


« Amendes de condamnations en matières diverses : fr. 130,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (II. Péages)

Domaines

« Rivières et canaux : fr. 2,000,000. »

- Adopté.


« Routes appartenant à l'Etat : fr. 30,000. »

M. Preud'hommeµ. - Cette somme de 30,000 fr. avait d'abord disparu du budget des voies et moyens. Elle a été rétablie au budget modifié. Elle provient des péages sur la route de Huy à Stavelot et sur la route de Huy à Tirlemont. Elle figure de nouveau au budget à cause du défaut d'entente entre le gouvernement et les actionnaires de cette route.

Je demande à M. le ministre des finances de bien vouloir faire de nouvelles propositions aux actionnaires pour que la ville et l'arrondissement de Huy ne soient pas placés dans une condition d'inégalité. Car, en définitive, ce sont les habitants de cet arrondissement qui vont payer ces 30,000 fr. rétablis au budget.

(page 72) MfFOµ. - Messieurs, les négociations qui ont été ouvertes avec un certain nombre de compagnies et de particuliers qui ont des droits à exercer sur quelques routes n'ont pas abouti jusqu'à présent. Les offres faites par le gouvernement, en ce qui concerne spécialement la route de Huy à Tirlemont, ont été jugées inacceptables par les intéressés.

On me convie à faire de nouvelles propositions. Je pourrais, à mon tour, engager les concessionnaires, ou ceux qui sont intervenus pour l'exécution de la route, à me soumettre eux-mêmes des propositions, puisqu'ils ont trouvé insuffisantes celles qui leur ont été faites.

Quoi qu'il en soit, j'espère que les compagnies comprendront leurs véritables intérêts et que cette affaire, ainsi que toutes celles du même genre, pourra aboutir, dans un délai peu éloigné, à un résultat satisfaisant.

- L'article est adopté.

Travaux publics

Postes

« Taxe des correspondances en général : fr. 3,658,000. »

- Adopté.


« Droits sur les articles d'argent : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Emoluments perçus en ver.lu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 53,000. »

- Adopté.

Marine

« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 460,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (III. Capitaux et revenus)

Travaux publics

« Chemin de fer : fr. 38,000,000. »

- Adopté.


« Télégraphes électriques : fr. 1,000,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Domaines (valeurs capitales) : fr. 950,000. »

- Adopté.


« Forêts : fr. 1,000,000. »

- Adopté.


« Dépendances des chemins de fer : fr. 90,000. »

- Adopté.


« Etablissements et services régis par l'Etat : fr. 200,000. »

- Adopté.


« Produits divers et accidentels, y compris ceux des examens universitaires : fr. 1,100,000. »

- Adopté.


« Revenus des domaines : fr. 550,000. »

- Adopté.

Travaux publics

« Abonnements au Moniteur, etc., perçus par l'administration des postes : fr. 24,000. »

- Adopté.

Prisons

« Produits divers des prisons (pistoles, cantines, vente de vieux effets) : fr. 130,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Produits de l'emploi des fonds de cautionnements et de consignations : fr. 950,000. »

- Adopté.


« Produits des actes des commissariats maritimes : fr. 55,000. »

- Adopté.


« Produits des droits de chancellerie : fr. 3,500. »

- Adopté.


« Produits des droits de pilotage : fr. 710,000. »

- Adopté.


« Produits des droits de fanal : fr. 170,000. »

- Adopté.


« Chemin de fer rhénan. Dividendes : fr. 232,500. »

- Adopté.


« Part réservée à l'Etat, par la loi du 5 mai 1850, dans les bénéfices annuels réalisés par la Banque Nationale : fr. 400,000. »

- Adopté.

Discussion du tableau des recettes (IV. Remboursements)

Contributions directes, etc.

« Frais de perception des centimes provinciaux et communaux : fr. 160,000. »

- Adopté.


« Remboursement, par les communes, des centimes additionnels sur les non-valeurs de la contribution personnelle : fr. 20,000. »

- Adopté.

Enregistrement et domaines

« Reliquats de comptes arrêtés par la cour des comptes. Déficit des comptables : fr. 15,000. »

- Adopté.


« Recouvrements d'avances faites par les divers départements : fr. 550,000. »

- Adopté,

Prisons

« Recouvrements d'avances faites par le ministère de la justice aux ateliers des prisons, pour achat de matières premières : fr. 1,250,000. »

- Adopté.


« Abonnement des provinces, pour réparations d'entretien des maisons d'arrêt et de justice, achat et entretien de leur mobilier : fr. 25,000. »

- Adopté.

Trésorerie générale, etc.

« Remboursement, par les provinces, des centimes additionnels sur les non-valeurs de la contribution personnelle : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Recettes accidentelles : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Abonnement des provinces pour le service des ponts et chaussées : fr. 80,000. »

- Adopté.


« Prélèvement sur les fonds de la masse d'habillement de la douane, à titre de remboursement d'avances : fr. 9,000. »

- Adopté.


« Prélèvement sur les fonds de la caisse générale de retraite, à titre de remboursement d'avances : fr. 1,000. »

- Adopté.


« Recette du chef d'ordonnances prescrites : fr. 40,000. »

- Adopté.

Discussion des articles

Article premier

“Art. 1er. Les impôts directs et indirectes, existant au 31 décembre 1866, en principal et centimes additionnels ordinaires et extraordinaires au profit de l'Etat, ainsi que la taxe des barrières qui ne peuvent être immédiatement supprimées, seront recouvrés, pendant l'année 1867, d'après les lois et les tarifs qui en règlent l'assiette et la perception.

« Le principal de la contribution foncière est maintenu, pour l'année 1867, au chiffre de 16,944,527 francs, et sera réparti entre les provinces, conformément à la loi du 31 décembre 18353. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. D'après les dispositions qui précèdent, le budget dés recettes de l'Etat, pour l'exercice 1867, est évalué à la somme de cent soixante-six millions quarante-six mille deux cent quatre-vingt-dix francs (166,046,290 francs). »

M. Coomans. - Messieurs, à propos de cet article, qui résume le budget tout entier, je demande la permission de présenter une remarque que j'aurais pu soumettre dans le cours de l'examen des articles. Elfe est relative à la législation douanière sur le poisson.

(Page 73) Je désire savoir du gouvernement où en sont les promesses qui ont été faites en son nom et en celui de plusieurs de ses amis, au sujet de la consommation du poisson de mer.

Je suis de ceux qui ont demandé la libre entrée absolue de cette denrée alimentaire de première nécessité.

Le gouvernement a nommé une commission qui, j'aime à le croire, a rempli très sérieusement sa tâche, mais il paraît que le gouvernement qui l'a nommé n'en est pas très content et repousse ses conclusions.

Je demanderai une explication formelle à cet égard à l'honorable ministre des finances en l'absence de M. le ministre des affaires étrangères.

De quelque part qu'elle vienne, l'explication me paraîtra bonne si elle est claire et nette.

MfFOµ. - L'honorable M. Coomans vient de parler d'engagements pris au nom du gouvernement.

M. Coomans. - J'ai parlé de promesses.

MfFOµ. - Y a-t-il une différence entre, une promesse et un engagement ? Qu'est-ce que cette subtilité ?

M. Coomans. - J'aime autant que vous reproduisiez mes expressions.

MfFOµ. - Il me semble que, pour un honnête homme, il n'y a pas de différence entre promesse et engagement ?

M. Coomans. - S'il n'y en a pas à vos yeux, nous passerons outre.

MfFOµ. - L'honorable membre, qui équivoque ainsi sur les mots, a inventé un engagement qui aurait été pris par le gouvernement d'abolir tout droit sur l'importation du poisson ; or, il n'y a eu, de la part du gouvernement, ni engagement, ni promesse de cette nature.

M. Coomans. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Lorsque la question de la tarification des poissons a été agitée dans la Chambre, à l'occasion de la discussion du budget des voies et moyens, une proposition tendante à consacrer la libre entrée fut produite par quelques membres.

Le gouvernement se refusa à l'abolition complète du droit, mais il annonça que, dans le cours de la session, il déposerait un projet de loi établissant une nouvelle tarification dans le sens d'un dégrèvement notable. Voilà ce qu'a promis le gouvernement, et l'engagement qu'il prenait alors a été scrupuleusement tenu. La loi annoncée a été présentée et votée, et elle est en vigueur depuis quelque temps. II paraît que l'honorable M. Coomans a oublié tout cela ; il ne se rappelle plus déjà que la Chambre s'est prononcée sur cette question à une époque pourtant fort récente, puisque la loi qui a réglé définitivement cette nouvelle tarification date de 1865.

M. Coomans. - Définitivement est un peu fort.

MfFOµ. - Et pourquoi pas ? La question avait semblé douteuse jusque-là, elle a été résolue par la loi de 1865, que je rappelle, et que vous avez oubliée.

M. Couvreurµ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Un fait cependant s'est passé depuis lors, qui explique ce qu'a voulu dire l'honorable membre, mais ce qu'il ne comprend pas très bien.

Une commission a été instituée au département des affaires étrangères, pour examiner les diverses questions qui se rattachent au régime de la pêche, celle de la prime, de la réglementation, etc. ; cette commission s'est livrée à une enquête ; elle a déposé un rapport et dans ce rapport elle conclut à la libre entrée, sans cependant considérer les droits actuels comme étant un obstacle aux progrès de l'industrie de la pêche. Elle a été guidée, comme vous allez le voir, par une toute autre considération, résultant d'une appréciation erronée des faits.

La commission suppose que si la libre entrée du poisson était décrétée, il n'y aurait plus pour cet article aucune espèce de formalités douanières, et que le produit de la pêche pourrait ainsi arriver plus promptement sur les marchés. Voilà le seul avantage que la commission avait en vue.

Eh bien, la commission s'est trompée ; il n'y a là aucun avantage réel à obtenir. Aussi longtemps que les douanes existent, il n'y a pas de marchandise qui puisse pénétrer dans le pays, sans être soumise à une vérification à la frontière. Or, cette formalité de la vérification étant la même pour les marchandises libres que pour celles qui sont soumises aux droits, les retards, si retards il y a, ce que je conteste, seraient les mêmes dans les deux cas. La suppression des droits n'aboutirait donc pas au résultat qu'en espérait la commission.

Maintenant, messieurs, je le demande, y a-t-il réellement quelque motif de modifier la loi si récente qui règle la tarification des poissons ? Quelle raison y a-t-il de vouloir obtenir la libre entrée d'une denrée qui ne forme en Belgique, sauf de rares exceptions, qu'une véritable consommation de luxe ? On n'invente pas les habitudes alimentaires des populations : ces habitudes sont ce qu'elles sont, et elles ne se modifient pas du jour au lendemain.

Sans doute, dans certains pays, la consommation du poisson est considérable : c'est en quelque sorte un objet de première nécessité. Mats chez nous, je le répète, à quelques exceptions près, le poison constitue un aliment de luxe. Aussi pourquoi devrait-on renoncer à percevoir un droit, d'ailleurs fort minime, sur les huîtres, sur les homards et autres poissons de ce genre, en un mot sur la plupart des poissons de mer ? On ne peut assurément alléguer la trop grande élévation des taxes, car le droit le plus élevé n'excède pas 3 1/3 p. c. ; pour certaines espères il descend même jusqu'à 1 p. c. Cependant ces divers droits, si modérés, si faibles que leur abolition ne profiterait en aucune manière aux consommateurs, nous donnent ensemble une recette de cent mille francs. Y a-t-il donc quelque utilité à sacrifier cette recette ?

Oui, dit-on, parce que c'est une denrée alimentaire. Voilà le motif que l'on donne. On ne conteste pas que le poisson soit une denrée alimentaire ; mais aussi ce n'est point un objet de première nécessité ; en général, c'est un article de luxe. et cependant, que l'on consulte le tarif des douanes, et l'on verra combien de denrées alimentaires, dont quelques-unes de toute première nécessité, sont soumises à des droits très faibles, à la vérité, de simples droits de balance comme ceux qui existent sur le poisson, et qui ne font aucun obstacle au développement de la consommation. Eh bien, à l'aide de tous ces petits ruisseaux, nous obtenons la moitié du produit total des douanes.

Donc, si l'on supprimait les droits sur le poisson, simplement parce, qu'il s'agit là d'une denrée alimentaire (et on ne saurait invoquer aucune autre raison), il faudrait supprimer aussi les droits qui frappent toutes les autres denrées alimentaires ; il faudrait supprimer, par exemple, le droit de balance qui existe sur les grains, droit tout à fait insignifiant, puisqu'il n'est guère que de 60 centimes par 100 kilogrammes, mais qui cependant donne un produit assez notable.

Le droit sur le bétail est également insignifiant en lui-même ; il ne s'agit que d'un centime par kilogramme ; et cependant il procure au trésor une recette de plus de 200,000 francs. Additionnez ces divers produits et vous trouverez quelques millions.

Il n'y a donc pas plus de raison de faire disparaître le droit sur le poisson que sur les autres denrées alimentaires. Loin de là, je dirai que ce droit devrait être préféré à beaucoup d'autres, eu égard aux habitudes de nos populations, et que s'il n'existait pas, il faudrait l'établir, si des ressources étaient nécessaires ; car, je ne saurais trop le répéter, les huîtres, les homards et les autres poissons de mer sont en général un aliment de luxe. (Interruption.)

M. Coomans. - Le hareng est la nourriture du pauvre.

MfFOµ. - Soit ! nous exclurons, si vous voulez, le hareng. Mais, savez-vous ce que paye le hareng ? Il paye 1-67 p. c.

M. Beeckman. - Et la morue ?

MfFOµ. - La morue paye 3 1/3 p. c. (Interruption.) Vraiment, je ne me serais pas douté que ce droit de 3 1/3 p. c. fût une charge énorme !

Le produit du droit sur la morue s'élevait à moins de dix mille francs par an, avant la réduction ; elle sera maintenant de 2,500 à 3,000 francs pour toute la consommation du pays. Quelle calamité ! Comment peut-on la supporter dans un pays civilisé ?

Vraiment, messieurs, tout cela n'est pas sérieux.

En définitive, ces divers droits, qui ont le mérite d'être extrêmement minimes, nous donnent une recette totale de sept millions. Si vous supprimez le droit sur les poissons, il faut supprimer aussi les droits qui frappent toutes les autres denrées alimentaires ; et le résultat de cette suppression se traduira en une diminution de revenus de sept millions. Je ne pense pas que telle soit la volonté de la Chambre.

M. Coomans. - M. le ministre des finances s'étonne que j'aie eu l'audace grande de faire allusion aux promesses, ou, s'il le veut absolument, aux engagements que le ministère aurait pris au sujet de la liberté du commerce de toutes les denrées alimentaires de première nécessité, le poisson y compris. Mais l'honorable ministre a-t-il donc oublié que maintes fois dans cette enceinte, et plus éloquemment que personne, il a (page 74) promis la liberté de consommation des denrées alimentaires de première nécessité ; qu'il a été plus loin ; qu'il a démontré clair comme le jour que l'impôt sur les denrées alimentaires de première nécessité équivaut exactement à une réduction de salaires ; telle a été pendant plusieurs années la thèse de l'honorable ministre des finances ; et chaque fois que nous réclamions la liberté de la consommation du poisson, que nous répondaient MM. les ministres des finances et leurs honorables amis ? Que nous devions attendre un peu, que notre principe était excellent, mais qu'il ne fallait pas agir par soubresauts ; que nous devions patienter, mais que nous arriverions à cette liberté.

Je dois le dire, j'ai longtemps cru que cette déclaration ou cette promesse était sérieuse ; je l'ai cru avec d'autant plus de raison que le gouvernement a nommé une commission, avec pouvoirs illimités, pour lui soumettre telles propositions qu'elle jugerait convenables, en matière de poisson.

Quand cette commission a-t-elle été nommée ? Elle a été nommée après la décision de la Chambre, décision déclarée définitive par M. le ministre des finances. La question a été décidée définitivement, selon l'honorable ministre, et c'est après cette solution définitive que le gouvernement nomme la commission ! Véritablement, je n'en fais pas mon compliment à MM. les commissaires. (Interruption.)

Il est certain que la commission a tout au moins opéré après le vote auquel M. le ministre des finances a fait allusion. (Interruption.) Eh bien, je demande que l'honorable M. Hymans, qui en a fait partie, nous donne des explications.

J'ai approuvé dans un sens la nomination de cette commission, parce que je pensais que le gouvernement aurait adopté ces conditions s'il les avait jugées acceptables. Aujourd'hui, le gouvernement n'accepte rien ; je regrette l'argent perdu pour les contribuables et le temps perdu pour la commission.

Mais, dit l'honorable ministre des finances, de quoi vous plaignez-vous ? Le poisson est une denrée de luxe.

Cela n'est pas ; le poisson n'est pas une denrée de luxe, moins en Belgique, pays à la fois catholique et maritime, que dans maints autres pays ! Comment pouvez-vous dire que le poisson est une denrée de luxe pour un peuple qui est voisin de la mer, et qui en général observe les lois de l'Eglise, lois qui lui prescrivent de faire maigre environ 60 ou 70 jours par an ?

On ne peut pas même dire que le poisson soit une denrée de luxe dans les pays protestants ; les Hollandais et les Anglais ne le pensent pas ; pour eux, le poisson est une denrée de première nécessité.

Tout au plus j'accorde que les homards et les huîtres sont une denrée de luxe ; mais à coup sûr, le hareng n'en est pas une, comme vous le soutenez ; à coup sûr, la morue n'en est pas une ; il en est de même d'une foule d'autres poissons qui sont des denrées communes, mais que les préjugés humains et de mauvaises mesures rendent rares et qui deviendraient très populaires si nous avions le bon esprit de les affranchir de tous droits et entraves.

Je veux bien admettre un moment que l'honorable ministre ait raison et que la cherté excessive du poisson ne soit aucunement le résultat de la taxe qu'il maintient. Encore dirai-je que la foule des consommateurs ne le croit pas. Soit erreur, soit vérité, ils pensent que l'action fiscale exerce son influence sur le prix du poisson et l'on fait remonter jusqu'au gouvernement une part de la responsabilité de cet état de choses. Eh bien, certes, le gouvernement ne devrait pas, pour une misérable somme de 100,000 francs, alors qu'on en gaspille tant inutilement, encourir la responsabilité dont je parle.

Lorsque vous aurez affranchi de tout droit gouvernemental la production et la vente du poisson, le consommateur saura à quoi s'en tenir. Il affranchira l'Etat de toute responsabilité et il recherchera d'autres causes. Peut-être saurait-il que les mauvais usages pratiqués en matière de minque et de colportage sont pour beaucoup aussi dans la cherté du poisson.

Telle est ma conviction : je suis très persuadé que beaucoup d'administrations communales sont causes de la cherté et j'ajouterai, jusqu'à un certain point, de la rareté du poisson. Il est absurde, dans un pays libre, qu'un citoyen n'ait pas le droit de vendre librement le produit de son travail à ses concitoyens. Il est absurde de forcer les pêcheurs à se concentrer eu un petit endroit d'une grande ville pour fournir aux trafiquants et aux spéculateurs l'occasion de bénéficier sur la faim du peuple. Cela est absurde. Cela est inique.

Par conséquent il faut abolir les minques, et vous avez le droit de les abolir législativement comme vous avez aboli les octrois et avec raison.

Vous devriez aussi empêcher, et cela au nom de la Constitution, que l'on défendît le colportage. Le colportage est une bonne chose. Le colportage met beaucoup de denrées à la libre disposition du public. Or, il est défendu, dans beaucoup de villes, de colporter même le poisson frais. Je vous demande si cela est raisonnable ! Par conséquent, que la thèse de l'honorable ministre soit vraie ou fausse, il faut que le gouvernement affranchisse de tout droit à l'entrée le poisson de toute provenance.

A en croire l'honorable ministre, quand nous aurons obtenu l'abolition des droits de douane, nous n'aurons pas gagné grand chose, attendu que la douane exercera les mêmes formalités vexatoires qu'aujourd'hui.

Je n'en crois rien. Le bon sens me dit qu'il y a une très grande différence entre laisser entrer, après une vérification sommaire, une denrée exotique et la soumettre à un droit, quand le payement et le pesage exigent un certain temps. Mais, messieurs, c'est absolument comme si l'on prétendait que l'abolition des passeports n'a pas servi les voyageurs. Aujourd'hui l'on constate jusqu'à un certain point la personnalité des voyageurs, mais on ne les oblige plus à passer dans des cabinets plus ou moins sombres pour se soumettre aux formalités ridicules que nous avons eu le tort de maintenir trop longtemps.

Quand on saura qu'un tel panier, qu'une telle voiture renferment du poisson et rien que du poisson, on souhaitera bon voyage au marchand et il passera. Il passera beaucoup plus vite que lorsqu'il devra passer par vos bureaux de douane pour acquitter un droit quelconque. Cela me paraît encore une fois élémentaire.

MfFOµ. - Messieurs, je regrette de devoir le dire, il y a beaucoup d'inexactitudes, pour ne rien dire de plus, dans le discours que vous venez d'entendre.

L'honorable M. Coomans a commencé par m'attribuer une théorie que je n'ai jamais émise, qu'il a imaginée, et il a trouvé que j'étais en contradiction avec cette théorie. Or, messieurs, il se trouve que c'est sa propre théorie d'aujourd'hui, que l'honorable membre prétend faire mienne ! Et vraiment il serait trop absurde que j'eusse jamais défendu pareille thèse.

D'après cette singulière théorie, qui appartient à M. Coomans et non à moi, il ne devrait exister aucun impôt de consommation !

M. Coomans. - Sur les denrées alimentaires de première nécessité, ai-je dit.

MfFOµ. - Allons jusque-là ! sur les denrées de première nécessité. Mais, messieurs, ce n'est pas à vous que je dois rappeler mes idées en cette matière. Depuis tantôt quinze ans que j'ai l'honneur d'être ministre, vous savez les efforts que j'ai faits pour réaliser des réformes dans nos tarifs. Eh bien, ayant été, pendant ces quinze ans, presque invariablement ministre des finances, comment ai-je agi ? J'ai soutenu qu'il y avait des réformes importantes à introduire dans notre tarif ; qu'il fallait avant tout dégrever les denrées alimentaires, puis successivement les autres articles ; qu'il ne fallait maintenir que des droits très modérés, qui, tout en alimentant le trésor public, ne fussent pas un obstacle au développement du commerce et à l'accroissement de la consommation. Voilà ma théorie, celle que j'ai énoncée dès le principe, dont j'ai toujours poursuivi la réalisation, et que j'ai fait triompher, malgré les efforts d'adversaires, au premier rang desquels j'ai rencontré partout l'honorable M. Coomans.

M. Coomans. - Pas du tout ! jamais !

MfFOµ. - Allons donc ! Commençons par la première application de ma théorie : Quel a été l'adversaire le plus déterminé de la réduction des droits sur les céréales ? C'est l'honorable membre.

M. Coomans. - Aussi longtemps qu'il y avait un droit de 100 p. c. et de 150 p. c. en faveur des manufactures.

MfFOµ. - C'est contre lui surtout que nous avons eu à lutter avec le plus d'énergie, parce que, à cette époque, il était protectionniste. Il croyait alors plus avantageux pour sa popularité de soutenir la nécessité d'un droit élevé sur les céréales au profit des campagnes. Il comptait, en prenant cette attitude, soulever une opposition très vive contre le gouvernement et faire échec à l'opinion libérale. II n'a pas réussi.

Eh bien, aujourd'hui l'honorable M. Coomans, abandonnant son thème d'autrefois, soutient une théorie qui en est absolument la contrepartie, et qu'il suppose aussi très populaire. Il espère qu'en combattant les droits les plus faibles sur une denrée quelconque, il obtiendra l'assentiment de l'opinion publique, créera des embarras au gouvernement et soulèvera contre lui une formidable opposition. (Interruption.)

(page 75) C'est là tout le secret des idées de l'honorable M. Coomans. Il n'y a rien de plus au fond de sa nouvelle théorie.

M. Bouvierµ. - C'est de la malice politique.

MfFOµ. - L'honorable membre vous a dit que j'avais été jusqu'à énoncer qu'un impôt de consommation sur les objets de première nécessité, équivalait à une réduction de salaire. Mais, messieurs, certainement, j'ai énoncé cette proposition, et je la maintiens.

S'il s'agit d'établir un impôt d'une certaine importance sur un objet de première nécessité, sur un article de grande consommation, il est évident que, dans le principe, une pareille taxe opère exactement dans le sens d'une réduction de salaire. En disant cela, je n'ai rien inventé. C'est là un fait élémentaire et qui ne peut être nié.

M. Coomans. - Je ne le nie pas.

MfFOµ. - Lorsqu'un .certain temps s'est écoulé, quand l'équilibre a pu se rétablir, il en est autrement ; il peut du moins en être autrement, pour ne rien affirmer de trop en cette matière, qui est toujours fort obscure. Mais lorsque des. impôts de cette nature existent depuis longtemps et qu'ils sont très minimes, ils n'ont évidemment pas les mêmes conséquences. Les simples fluctuations du prix des choses agissent d'une façon bien plus sérieuse sur les salaires, que ne peuvent le faire des impôts dont la quotité est très modérée.

Par exemple, nous avons un impôt sur le bétail, qui représente 1 fr. aux cent kilogrammes ; quelle action cela peut-il exercer sur le prix de la viande au détail ? Evidemment une action fort insignifiante, une action qui est absorbée et au delà par les fluctuations des prix. Il est évident que les changements de valeur résultant de l'abondance ou de la rareté des denrées sur les marchés, opèrent immédiatement dans une proportion beaucoup plus considérable. Je ne prétends pas d'une manière absolue que le droit, même modique, n'exerce pas une certaine influence ; mais je dis que cette influence se réduit à rien, ou à presque rien, ce qui est la même chose en pareille matière.

Comme j'ai eu le tort de rappeler que l'honorable membre a voté la loi de 1865 qui réglait la tarification du poisson, il s'est imaginé que le gouvernement, après avoir fait adopter cette tarification, a eu la merveilleuse idée d'instituer une commission pour lui soumettre cette même question qui venait d'être décidée par la Législature.

L'honorable membre a le malheur de parler de choses qu'il ne connaît pas. Comme je viens de le dire, le gouvernement a réglé la tarification du poisson, et il a considéré cette question de tarification comme entièrement résolue. Mais, à part cette question, tout à fait en dehors de cette question, le gouvernement a jugé utile d'instituer une commission pour examiner la situation de la pêche maritime. Voilà quel a été l'unique et le véritable motif de l'institution de cette commission dont a parlé l'honorable M. Coomans.

On n'a pas appelé le moins du monde M. du Bus, M Van Beneden, M. Van Iseghem, M. Hymans et autres membres, à délibérer sur la tarification du poisson.

M. Coomans. - Ils s'en sont occupés.

MfFOµ. - Si vous aviez lu le rapport...

M. Coomans. - Ils ont proposé la libre entrée...

MfFOµ. - Ils ont considéré la libre entrée comme un moyen de faciliter le commerce du poisson, parce que les formalités en douane leur paraissaient un obstacle. Mais, comme j'ai eu l'honneur de vous le démontrer tout à l'heure, c'est là une erreur : Si le droit était supprimé, les formalités n'en subsisteraient pas moins : du moment que vous avez des douanes, il faut vérifier toutes les marchandises, qu'elles payent des droits ou qu'elles n'en payent pas ; sans cela vous ne pourriez empêcher la fraude, et vos recettes du chef des douanes se réduiraient à rien.

Savez-vous quelle est la cause, la véritable cause de la cherté du poisson ? Ce sont les manœuvres des armateurs.

Ainsi, on va à la pêche ; croyez-vous qu'on apportera le poisson au marché quand on l'aura péché ? Non pas ; on reste dans l'Escaut et on perd ainsi nécessairement beaucoup de poisson. On ne veut arriver que les jours de marché ; autrement, il y aurait trop de poisson sur la place, cela ferait baisser lés prix.

M. Delaetµ. - Il n'y a que la libre entrée qui puisse prévenir ces abus.

MfFOµ. - On attend, pour débarquer les produits de la pêche, les jours de marchés afin d'avoir des prix plus élevés ; or, ce n'est pas la suppression du droit qui empêchera cette manœuvre qui n'est que trop réelle, l'enquête l'a démontré. De plus, il m'est arrivé une demande d'un armateur qui voulait qu'on lui facilitât la manœuvre dont il s'agit. Il demandait à pouvoir faire décharger à Lillo le poisson mort, pendant que le bateau attend le moment favorable pour arrivera Anvers. Vous comprenez bien que j'ai refusé.

Voilà la cause principale de l'augmentation du prix du poisson.

II en est une deuxième : c'est l'organisation des marchés dans les villes, ainsi qu'on l'a dit tantôt. Cela est parfaitement vrai. Mais les pêcheurs paraissent s'accommoder fort bien de ce système et ne cherchent pas le moins du monde à s'y soustraire ; car rien ne leur serait plus facile. Ainsi, pour prendre l'exemple de Bruxelles, il y a une réglementation du marché aux poissons, il y a la minque, qui est un obstacle au bas prix du poisson. Croyez-vous cependant que les vendeurs aillent s'établir dans les communes suburbaines, où l'on pourrait librement créer des marchés aux poissons ? Pas le moins du monde ; les pêcheurs aiment mieux passer par les minques. Je suppose que c'est pour être moins exposés à subir des pertes, pour avoir plus de garanties pour le payement de leur marchandise. Ce sont probablement ces raisons qui les déterminent.

Mais dans tous les cas, voilà, messieurs, les causes du renchérissement, et elles ne se trouvent pas du tout dans le faible droit d'un franc par 100 kilog. qui existe aujourd'hui. On ferait disparaître ce droit, que le prix du poisson n'en serait nullement abaissé.

M. Couvreurµ. - Lorsque M. Le Hardy de Beaulieu a posé hier la question de la suppression des douanes, M. le ministre lui a répondu par une fin de non recevoir, par un ajournement indéfini, qui pouvait jusqu'à un certain point se justifier. Ce problème de l'abolition des douanes, c'est à la fois son mérite et son désavantage, demande le remaniement complet de nos impôts. De quelque façon que l'on s'y prenne, on ne pourra pas supprimer les douanes sans supprimer les accises, et c'est l'impôt direct qui devra fournir l'équivalent des ressources qui proviennent aujourd'hui des douanes et des accises.

Or, je comprends qu'un ministre des finances s'inquiète des résistances qu'il va soulever, et qu'effrayé de la tâche, il recule devant elle.

Donc, la réponse faite hier par l'honorable M. Frère ne m'a nullement surpris. Cette question des douanes, c'est-à-dire de la réforme de l'impôt, avant qu'elle se présente devant le Parlement, doit être débattue devant l'opinion publique. Il faut que les partisans de l'abolition fassent l'éducation du pays ; qu'ils lui prouvent combien la douane, les accises, les impôts indirects en général sont des impôts iniques, destructifs des intérêts public, enrayant, au delà de toute mesure, le mouvement et la circulation des sources du travail et de la richesse.

Lorsque ces vérités seront plus répandues, les douanes et les accises disparaîtront. Alors la Belgique deviendra un vaste marché franc, l'entrepôt du monde, et mieux que par les armées les plus puissantes, elle aura assuré son existence et sa nationalité.

Je comprends qu'on hésite à aborder cette grande réforme, malgré tous les bienfaits qu'elle renferme ; mais ce que je ne comprends plus, c'est que lorsqu'il se présente une question si simple, si élémentaire que celle de la suppression d'un droit qui frappe une denrée alimentaire, on vienne soutenir que ce droit est juste, légitime, qu'il a été définitivement adopté.

Lorsque, dans le cours de l'été dernier, le tarif auquel l'honorable ministre des finances rapporte sa déclaration a été présenté, nous étions à la veille de la clôture de la session. J'ai pris part à la discussion très écourtée qui a eu lieu, et, si ma mémoire ne me trompe pas, j'ai fait des réserves formelles sur l'élévation encore trop considérable de certains droits, spécialement en ce qui concerne les denrées alimentaires.

Mais il était important de sanctionner les bonnes propositions que nous faisait le gouvernement. Une discussion approfondie les eût fait ajourner. En pareille circonstance il faut sacrifier les détails. Les réformes ont donc été votées à l'unanimité, ou tout au moins à une grande majorité ; il n'y a guère qu'un petit nombre de membres professant encore des théories protectionnistes qui aient protesté à cette occasion. Mais M. le ministre aurait le plus grand tort d'inférer de ce vote et de l'approbation donnée à ses propositions, que nous devons considérer l'œuvre de la réforme comme achevée et renoncer notamment à supprimer les droits qui pèsent encore sur les denrées alimentaires et sur les matières premières.

L'honorable ministre nous dit que ces droits sont de peu d'importance, que ce sont de simples droits de balance n'exerçant qu'une très médiocre action sur les prix des choses et sur la consommation.

L'assertion pourrait être contestée ; mais il y a un autre point de vue que je voudrais mettre en lumière : tous ces petits droits réunis, ajoute (page 76) M. le ministre, comportent la moitié du produit des douanes. Or, c'est là que gît, d'après moi, le principal inconvénient des petits droits.

Si nous ne pouvons pas encore faire disparaître radicalement les douanes, tâchons du moins de les simplifier autant que possible. Je sais que des efforts ont été faits dans ce sens ; le nombre des articles qui figurent au tarif a été réduits ; mais, par un subterfuge, la simplification est, pour beaucoup d'articles, plus apparente que réelle. Au lieu d'énumérer spécialement tous les articles frappés de droits, on a compris sous des dénominations générales toute une série d'articles similaires. Si vous consultez le tarif, vous trouvez qu'il est réduit à environ 230 articles ; mais à la suite de ce tarif se trouve un répertoire, et quand on veut connaître de quel droit est frappé un produit étranger, c'est à cet appendice qu'il faut recourir, et alors seulement on découvre combien de produits qui paraissaient libres sont taxés de droits. Cela ne peut pas s'appeler de la simplification, c'est plutôt de la complication.

MfFOµ. - Cela existe aussi en Angleterre.

M. Couvreurµ. - Je vous demande pardon. Donnez-moi le tarif anglais et je vous en serai reconnaissant comme d'un des plus beaux cadeaux que vous puissiez faire au pays.

Si vous vouliez suivre le procédé qu'a suivi M. Gladstone, au lieu de demander l'impôt à une infinité de petits articles qui encombrent inutilement le tarif et surtout aux articles de première nécessité, tels que des denrées alimentaires, vous concentreriez toutes vos recettes sur un petit nombre de matières.

Voilà la véritable solution d'une époque de transition ; la solution qui donnerait satisfaction aux producteurs, aux consommateurs et à votre trésor.

Ce n'est qu'un droit de balance, dit l'honorable ministre ; 3 p. c. sur le poisson ce n'est guère. Rappelez-vous, messieurs, que dans les pays qui jouissent d'un tarif modéré, la moyenne des droits sur les produits manufacturés ne dépasse pas 5 à 6 p. c. Et vous avez la prétention de nous présenter comme un tarif parfait auquel il n'y a plus rien à modifier, comme un tarif libre échangiste, un tarif qui frappe de 3 p. c. une denrée de première nécessité ? D'ailleurs, remarquez-le bien, ces droits de balance non seulement compliquent le fonctionnement de la douane et pèsent sur la consommation, mais ils pèsent aussi sur le travail national.

L'honorable M. Delcour nous présentait, l'autre jour, une réclamation des minotiers de Louvain. Ces fabricants travaillent le blé étranger par application de l'article 40 de la loi sur les entrepôts. Et les embarras qui accompagnent l'application de cet article, concession faite aux principes de la liberté, sont tels, qu'à tout instant, ils sont entravés dans leurs opérations. Le droit n'est qu'un droit de balance ; cependant, il est un obstacle à ce que le blé étranger arrive librement aux meuniers, alimente leur travail, en étende les bénéfices.

Vous avez entendu leurs plaintes ; on est obligé de recourir à des moyens indirects et coûteux pour leur donner satisfaction, et vous viendrez faire l'éloge des droits de balance ? Voilà où gisent les abus de votre tarif actuel.

Les pêcheurs, nous dit encore M. le ministre, perdent leur temps dans l'Escaut.

MfFOµ. - Pas leur temps.

M. Couvreurµ. - Ils prolongent inutilement leur séjour dans l'Escaut, et c'est là une des causes de la cherté du poisson.

Eh bien, il y a un moyen bien facile de mettre un terme à cet abus : c'est de proclamer la libre entrée du poisson. Je ne veux pas m'étendre sur ce point, parce que j'espère que l'un des rapporteurs de la commission qui a fait l'enquête, se chargera de donner les explications nécessaires à ce sujet ; il doit avoir touché les faits du doigt ; il doit pouvoir nous faire connaître quelle est la véritable cause de cet abus. Quant à moi, je suis convaincu que la libre entrée serait un remède, et je vais indiquer comment je comprends la situation.

Aujourd'hui, lorsqu'un bateau pêcheur étranger arrive le soir, il est obligé d'attendre jusqu'au lendemain matin pour acquitter les droits de balance. C'est une formalité dont est exempt le pêcheur belge. S'il n'y avait pas de droits à payer, il ne serait pas difficile de faire une vérification pendant la nuit ; mais on ne peut pas la nuit garder tout un personnel sur pied. Dans ces conditions le pêcheur étranger s'abstient et laisse le pêcheur belge dominer le marché à sa convenance.

Je ne suis entré dans ce débat, messieurs, que parce que j'y ai été provoqué par les paroles de M. le ministre des .finances. Lorsque, il y a deux ans, cette question s'est présentée devant la Chambre, elle a été longuement examinée ; une proposition avait été déposée alors et a réuni un grand nombre de suffrages. Il s'en est fallu de quelques voix seulement qu'elle ne fût adoptée.

J'avais l'intention de reprendre la question dans cette session en m'appuyant sur les conclusions de l'enquête. Je ne l'ai pas fait à raison des déclarations faites par l'honorable ministre des travaux publics ; nous ne sommes pas des utopistes, nous ne demandons pas l'impossible. Nous comprenons que le moment n'est pas opportun, après une année calamiteuse où les recettes du trésor ont été compromises, pour demander des réductions de recettes.

Mais, du moins, ne nous ôtez pas l'espoir de réaliser ces réductions dans l'avenir. Si vous résistez, un vote de la Chambre fera justice de vos résistances. Vous pouvez vouloir le statu quo ; mais les idées, elles, marchent toujours. Un jour elles se dresseront contre vous, et alors, pour vous combattre, nous invoquerons non seulement les principes que nous professons, non seulement les besoins et les vœux des populations, mais encore vos discours d'autrefois. Vous niez qu'ils puissent nous servir. Vous les avez improvisés, moi, je les ai étudiés, médités, comme des modèles d'éloquence parlementaire et de science économique ; je puis vous garantir que nous y trouverons toutes les armes dont nous avons besoin pour vaincre les résistances que vous nous opposez aujourd'hui.

M. Hymans. - (Nous donnerons son discours.) (Ce discours n’a pas été retrouvé.)

(page 76 M. . Coomansµ. - Je ne viens pas répondre au discours de l'honorable M. Hymans, que je n'ai du reste qu'à féliciter sur ses conclusions ; mais je suis obligé de répondre pour la vingtième fois peut-être à une allégation complètement erronée de M. le ministre des finances.

A en croire l'honorable ministre, dans toutes les tentatives qu'il a faites pour réaliser chez nous la liberté du commerce, il n'a pas rencontré d'adversaire plus acharné que moi.

Or, c'est précisément le contraire qui est vrai : c'est moi qui ai toujours eu à lutter contre l'honorable ministre, en faveur de la liberté du commerce.

Quand l'honorable ministre est venu, en 1848, proposer une forte réduction du droit sur les céréales et sur le bétail, j'ai répondu du premier jour et j'ai répondu tous les jours suivants : Oui, je le veux bien, quoique l'expérience me paraisse assez grave ; mais à la condition formelle que vous opériez une diminution, non pas équivalente, mais une certaine diminution, une diminution quelque peu sensible sur la protection des produits manufacturés. Voilà ce que j'ai dit. J'ai prétendu qu'il y a là une question de justice plutôt que de fiscalité ; et que si c'était une chose douteuse que de savoir s'il était bon d'exposer immédiatement l'agriculture à la concurrence étrangère, ce n'était pas une question douteuse que de savoir si tous les travailleurs belges devaient être traités également.

Or, qu'a fait l'honorable ministre ? Il a constamment repoussé ma demande de libellé du commerce appliquée à tous les produits quelconques sortis de nos fabriques, de nos manufactures, de nos usines. Cela est si vrai que, pendant 12 ans, M. le ministre des finances a maintenu les droits exagérés de 100 à 150 p. c. en faveur de plusieurs produits industriels, de ceux de Gand notamment.

M. le ministre ne vous parle que des céréales ; mais ce n'état là qu'une partie de son programme. Et qu'a-t-il fait ? Il s'est montré à la fois illogique et injuste. En même temps qu'il supprimait la protection accordée jusqu'alors à l'agriculture belge, il maintenait la protection en faveur des objets manufacturés, et cette protection a subsisté bien longtemps encore après ma proposition de 1851, par laquelle je demandais la liberté presque absolue du commerce d'importation, liberté tellement absolue que l'honorable ministre n'a réalisé, depuis, que la moitié de mon programme.

Voilà la vérité ; voilà ce que j'ai déclaré cent fois, non seulement en mon nom, mais encore au nom de beaucoup de membres de cette assemblée qui sont considérés comme représentant plus particulièrement les intérêts des campagnes. Nous acceptions la liberté entière du commerce, mais à la condition qu'on ne traitât pas les agriculteurs en parias et qu'on daignât, sinon par amitié pour nous, au moins par respect pour la logique et la justice, appliquer les mêmes principes à tous les travailleurs belges.

Voilà la vérité, et l'accusation que l’honorable ministre a répétée pour la vingtième fois coutre moi est dénuée de tout fondement.

Si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, j'entrerais dans des débats pour établir le bien fondé de mes assertions.

(page 77) MfFOµ. - Messieurs, en dépit des protestations de l'honorable M. Coomans, je ne puis consentir à retrancher un seul mot de ce que j'ai dit. Qu'il vienne affirmer qu'il n'a jamais cessé d'être libre échangiste, je le veux bien ; qu'il prétende qu'il ne fut jamais protectionniste, soit ! Il l’affirme.

Mais je trouve que nous abuserions singulièrement des moments de la Chambre, si nous faisions apporter ici les Annales parlementaires, pour y relire les discours de l'honorable membre, défendant le rouet national, le travail national, contre le travail étranger. L'honorable membre fera de vains efforts pour échapper à cette situation : les Annales parlementaires sont là, inexorables, qui attestent les opinions qu'il a exprimées.

A la vérité, comme il vient de le dire, lorsque ce qu'il nommait la cause de l'agriculture, la prétendue défense de l'agriculture, a été perdue, l'honorable membre nous a dit : Mais votre système est injuste et illogique ; vous ne pouvez pas vouloir proclamer le libre échange en ce qui concerne les céréales, et maintenir des droits protecteurs pour les produits manufacturés.

C'était encore un thème politique. Il paraissait si habile, si embarrassant pour le cabinet de nous engager à mettre l'industrie gantoise dans une situation difficile et à provoquer une grande agitation dans nos principaux centres industriels ! C'était là le thème de l'honorable membre ; il était très adroit et très politique, je le reconnais. Malheureusement, encore une fois, il n'a pas réussi. Nous y avons opposé, nous, un autre thème, qui était celui-ci : Nous opérerons successivement des réformes dans notre tarif, de manière à arriver graduellement à la liberté commerciale aussi large, aussi étendue que possible.

Ce programme, nous l'avons appliqué, non pas en maintenant les droits pendant douze ans, comme l'a affirmé tout à l'heure l'honorable M. Coomans...

M. Coomans. - Pendant douze ans.

MfFOµ. - Mais non ! Cela n'est pas exact et je ne m'en étonne pas : vous avez le malheur d'être toujours inexact ; c'est une habitude, (Interruption.) Les droits sur les céréales ont été supprimés en 1850.

M. Coomans. - En 1848, s'il vous plaît.

MfFOµ. - Je vous demande pardon : vous êtes encore une fois dans l'erreur. Nous avons lutté pendant les années 1847, I848 et 1849, pour faire triompher nos idées et nous n'avons réussi qu'en 1850.

En 1851, j'ai commencé l'abolition des droits différentiels, à l'aide du traité avec la Hollande, qui a fait disparaître un grand nombre d'articles du tarif, et en 1852 j'ai cessé d'être ministre.

Rentré au ministère en 1857, j'ai repris exactement le même thème, la défense des mêmes principes, et enfin, en 1861, nous sommes parvenus à opérer une réforme beaucoup plus large que les précédentes dans notre tarif de douanes.

Voilà, messieurs, la marche que nous avons suivie, et qui, je crois, nous justifie complètement.

Nous croyons avoir appliqué nos principes comme ils devaient l'être ; mais nous ne prétendons pas, ceci pour répondre à l'honorable M. Couvreur, que notre tarif actuel soit un modèle, auquel il n'y a plus rien à changer, et qui doit désormais rester immuable. Je tiens que ce tarif a été un progrès réel, relativement aux tarifs antérieurs ; mais j'admets que ce tarif, qui consacre des réformes très importantes en matière douanière, est encore susceptible de beaucoup d'améliorations.

Toutefois, je crois qu'en cette matière nous devons continuer d'agir comme nous l'avons fait jusqu'à présent, c'est-à-dire avec une sage prudence, avec cette réserve qui fait que les réformes douanières s'opèrent sans secousse, sans troubles pour les divers intérêts engagés dans ces questions. C'est ainsi que nos différentes industries sont successivement amenées à supporter un régime plus libéral.

Voilà, messieurs, la marche que le gouvernement a suivie et dans laquelle il compte persévérer ; mais, de grâce, que l'on ne nous demande pas toutes les réformes à la fois, du jour au lendemain. Et pour revenir, par cette transition, au poisson, que l'on ne vienne pas convier la Chambre, qui a statué hier, pour ainsi dire, sur cette question, à recommencer aujourd'hui un débat qui vient à peine d'être clos.

C'est, messieurs, ce qui n'arrive que trop souvent dans cette Chambre dont on pourrait dire avec raison que c'est une Chambre à répétition. (Interruption.) Nous voyons en effet certaines questions s'y reproduire incessamment, presque périodiquement ; même quand elles ont déjà reçu une solution, approuvée par la grande majorité, par la presque unanimité de l'assemblée, on n'hésite pas à les reprendre en quelque sorte en sous-œuvre.

La question du poisson a été agitée en 1863 et en 1864 ; nous avons pris alors un engagement que nous avons rempli en 1865.

La première application du tarif a été fixée au 1er juillet 1866 ; nous sommes au mois de décembre, et voilà que la question reparaît tout entière, comme si rien n'avait été fait ! Cela ne me paraît pas sérieux ; et, il faut bien le dire, cela n'est pas digne de la Chambre.

On vient convier la Chambre, qui s'est prononcée, à remettre tout en question, à revenir sur la résolution qu'elle a prise il y a quelques mois à peine. (Interruption.)

Ce n'est pas le droit de la Chambre que nous contestons, je dis seulement que cela n'est pas très convenable ; je dis qu'on ne peut pas convier la Chambre, qui vient à peine de se prononcer, à se prononcer de nouveau sur une même question.

Messieurs, les raisons qu'a fait valoir l'honorable M. Couvreur pour demander, non pas maintenant, car il a eu la franchise de reconnaître que le moment n'était pas opportun, mais pour demander au futur la suppression du droit, ces raisons ne me paraissent pas concluantes. L'honorable membre dit que cet article produit au trésor une recette réellement minime. Messieurs, la loi qui a été adoptée par la Chambre a opéré une réduction considérable ; le droit produisait 150,000 à 160,000 fr. ; le produit n'est plus de 100,000 fr. ; le droit a donc été réduit dans une très notable proportion. Il semble qu'on peut s'en tenir là.

On dit que la suppression du droit aurait pour effet d'accorder des facilités pour le débit du poisson, qu'il n'y aurait plus de formalités à remplir. C'est là une erreur. Aussi longtemps que le système de douane subsiste, il y a, je le répète encore, des formalités à remplir, même pour les articles qui ne sont soumis à aucun droit. Si des articles pouvaient entrer sans vérification, ils serviraient à couvrir la fraude. Il faut donc qu'il y ait une vérification ; or, les formalités, quant au poisson, ont été modifiées de la façon la plus libérale. On a pris à cet égard des mesures exceptionnelles, pour que la vérification se fît avec toute la célérité possible, et l'on a accordé toutes les facilités désirables aux importateurs de poisson.

L'honorable M. Couvreur a dit tout à l'heure que les droits de simple balance donnaient lieu à des formalités dont on se plaignait, et il a cité pour exemple une réclamation faite par les meuniers de l'arrondissement de Louvain.

Il est vrai qu'à une date déjà assez éloignée les meuniers de l'arrondissement de Louvain ont adressé une réclamation à mon département ; il est également vrai que la chambre de commerce de Louvain a consigné cette même réclamation dans son rapport ; mais il s'est trouvé que, depuis longtemps, on avait fait droit à la réclamation des meuniers de l'arrondissement de Louvain ; je n'ai pas cru devoir entretenir la Chambre de cette circonstance, mais je l'ai fait connaître, à l'honorable M. Delcour ; de manière que l'exemple dont il s'agit tourne contre ceux qui l'ont invoqué. En fait, on donne toutes les facilités possibles. Il n’y a plus de réclamation de ce chef, comme il n'y a pas non plus la moindre réclamation de la part des pêcheurs.

Les vraies causes de la cherté du poisson sont celles que j'ai indiquées. La première cause vient des pêcheurs eux-mêmes, qui ne veulent arriver à Anvers qu'à certains jours, pour les marchés qui se tiennent trois fois par semaine ; ils ne veulent pas arriver les autres jours. Il ne dépend pas du gouvernement de faire disparaître cette cause de renchérissement.

La seconde cause, qu'il ne dépend pas non plus de nous de faire disparaître, ce sont les conditions des marchés dans les villes : améliorer ces conditions serait sans doute un moyen efficace pour arriver à un abaissement du prix du poisson. Mais, soyez-en convaincus, l'abolition des droits si faibles dont la législature a tout récemment décidé l'établissement, ne saurait agir dans ce sens.

(page 79) M. Delaetµ. - Messieurs, une chose m'étonne : c'est qu'après l'argument si péremptoire présenté par M. le ministre des finances lui-même en faveur de la liberté, il persiste à maintenir son droit de balance.

Le fait qu'il a signalé, c'est-à-dire l'habitude prise par les pêcheurs d'Anvers, d'Ostende et de tous les ports de pêche, de n'arriver au marché que lorsque ce marché est vide et de rester en mer lorsqu'il est fourni, ce fait est déjà très ancien. Nous avons appris tout à l'heure qu'on est même allé jusqu'à inviter M. le ministre des finances à favoriser cette espèce de spéculation sur la cherté des denrées. 1Ila très bien fait de s'y refuser ; mais je lui ferai remarquer cependant que le budget encourageait autrefois cette manœuvre, qu'il l'encourage encore dans une certaine mesure aujourd'hui, parce que la prime à payer aux pêcheurs dépend du nombre de jours de mer. (Interruption.)

M. Van Iseghem, je suis d'Anvers ; je connais ces manœuvres, et vous savez qu'elles se pratiquent à Ostende.

La liberté mettrait immédiatement fin à ces manœuvres. Les pêcheurs hollandais, surtout les pêcheurs zélandais, arriveraient à Anvers quand ils ont du poisson en abondance. Malheureusement les formalités douanières font obstacle. Du moment que vous avez une déclaration à faire, quel que soit le droit à payer, vous avez de nombreuses formalités à remplir ; or, les formalités de la douane sont souvent très lentes ; et pour des gens ignorants comme les pêcheurs de la côte zélandaise, elles sont périlleuses. Une erreur dans leur déclaration les expose à des poursuites et à des condamnations. (Interruption.) Je ne dis pas que la douane soit inexorable ; mais enfin ces pêcheurs étrangers redoutent toutes ces formalités, et ils ne viennent à Anvers que si le poisson ne peut absolument plus se placer chez eux.

Lorsque nos bateaux pêcheurs stationnant dans l'Escaut verraient se diriger sur Anvers les petits bateaux pêcheurs de la Hollande, ils ne resteraient plus sur ancre, ils s'empresseraient d'appareiller pour vendre leur poisson plus tôt que leurs concurrents et l'approvisionnement du marché cesserait de dépendre de leur seul bon vouloir. (Interruption.) Je remercie M. le ministre des finances de son interruption. Elle me rappelle un argument très concluant, lorsqu'il s'agit d'une denrée alimentaire fort sujette à détérioration. Le pêcheur hollandais arrive avec son petit bateau ; il doit attendre 6 à 8 heures ; quelque hâte qu'y mette la douane, il se perd du temps, beaucoup de temps et un temps très précieux. En été, par exemple, dans les grandes chaleurs, le poisson, en deux ou trois heures, peut avoir perdu 25 à 30 p. c. de sa valeur. Ici encore l'honorable M. Van Iseghem ne me démentira pas.

Donc vous ne prélevez pas seulement un franc sur les cent kilogrammes de poisson ; mais vous détruisez 5, 6, 7, 8 fr. qui n'entrent dans la bourse de personne, pas plus dans la vôtre à vous, ministre des finances, que dans la bourse du consommateur ou du producteur. C'est une pure perte. Le franc que vous touchez coûte à l'alimentation publique et au pêcheur qui apporte sa marchandise, 6, 7 et 8 francs. Voilà ce qu'est votre droit de douane, et je dis que dans des circonstances comme celles-là, la bonne économie politique et l'humanité même obligent à ne pas tenir à un chiffre de 100,000 fr. Je ne crois pas même que M. le ministre des finances y tienne. Mais il y a encore un peu de protection. On réduit la prime accordée à la pêche ; mais elle jouit toujours de la protection qui résulte du droit de balance, excessivement léger, je le reconnais, mais toujours obstatif de la concurrence. Notons en passant que le droit de balance à cela de fâcheux que le droit augmente proportionnellement, au fur et à mesure que baisse la valeur de la marchandise.

Ainsi votre droit, qui n'est rien pour le saumon, pour le poisson de luxe, est un droit assez fort pour le poisson commun, comme, par exemple, pour le hareng frais. Dans la saison, on achète les 100 kil. de harengs frais, non salés ou saurés, au prix de 5 à 6 francs.

Nous désirons donc que, dans ce moment-ci surtout, où la viande est chère, où l'épidémie n'a pas entièrement disparu du pays, où M. le ministre de l'intérieur ne croit pas encore que l'épizootie en soit arrivée à ce point de décroissance qu'il puisse permettre l'entrée du bétail abattu, vous permettiez du moins que le poisson arrive abondamment aux populations du littoral qui se nourrissent de cette denrée. Je ne dis pas à l'intérieur du pays, mais sur le littoral, les masses populaires se nourrissent, en grande partie, de poisson. Mettez-le donc à leur portée, et surtout, comme moralité économique, si je puis m'exprimer ainsi, usez du seul moyen qui est mis à votre disposition, de déjouer les manœuvres des pêcheurs favorisés par votre droit de balance et encore un peu par vos primes.

Certainement, messieurs, dans beaucoup de villes, le système des minques est mauvais. Il tend à renchérir le poisson. Je dirai, simplement pour constater un fait, qu'à Anvers la minque est libre. Le pêcheur, qui apporte son poisson, entre à la minque ou n'y entre pas. Il peut expédier son poisson immédiatement ; il peut le vendre sur place au bateau ou le porter à la minque. Anvers se trouve bien de ce régime, et je crois que d'autres villes s'empresseraient de l'adopter, si le gouvernement voulait donner l'exemple du vrai libéralisme, c'est-à-dire du libéralisme qui tend à mettre à la portée de tous le plus d'aliments et les aliments les plus sains possibles.

(page 77) M. Van Iseghem. - L'honorable membre a fait appel à mon opinion.

II vous a dit que c'était à cause de la prime que les navires restaient en mer, pour avoir autant de jours de mer.

M. Delaetµ. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que le gouvernement payait la prime pour chaque jour qu'ils restaient en mer en fraude.

M. Van Iseghem. - Eh bien, je dois répondre à l'honorable membre qu'il n'y a pas de prime pour le poisson frais provenant de la grande (page 78) pêche de marée ; il y a des primes seulement pour la petite pêche de marée, telle qu'elle se pratique à Blankenberghe, à Heyst, à la Panne, et je crois, en partie, à Anvers ; par conséquent les bateaux d'Ostende n'ont aucun motif à allonger leur voyage, ils n'ont aucun intérêt dans la prime, au contraire ils mettent tout l'empressement et la diligence possible pour entrer dans le port, ils ont le plus grand intérêt à agir ainsi.

La morue jouit de la prime, mais cette sorte de poisson ne se détériore pas. Les pécheurs qui arrivent du Nord ne restent jamais un jour de plus en mer.

L'honorable membre a aussi dit que pendant l'été le poisson frais se gâte facilement et qu'il faut le décharger promptement ; mais tout le monde sait qu'en été il y a très peu de poisson frais sur nos côtes, qu'il abandonne le littoral dans cette saison, et qu'on est obligé d'aller pêcher sur les côtes d'Ecosse et au Dogersbank et aux îles Farroër.

La pêche, messieurs, est très peu intéressée à la solution de la question des droits, c'est le trésor qui y est intéressé ; si on supprime le droit sur la viande et sur toutes les denrées alimentaires, cela produira une perte de plus de deux millions pour le trésor.

Je ne comprends pas comment on veut supprimer les droits sur le poisson et les maintenir sur la viande, les grains, etc.

Le droit d'un franc n'a aucune influence sur le prix du poisson. Deux heures de mauvais temps font beaucoup plus que ce droit de balance. Les formalités qui, dans beaucoup de villes, entravent la vente, l'absence des minques facultatives, le transport par chemin de fer, qui a été augmenté il y a un an, contribuent dans une proportion considérable au renchérissement. Depuis deux ans, nous avons eu aussi des tempêtes continuelles.

On parle des formalités de la douane, mais un navire qui entre avec des marchandises qui ne payent aucun droit de douane est soumis à la vérification comme tout autre. La suppression du droit ne changerait rien à ces formalités.

Si la douane ne devait pas surveiller continuellement les navires qui importent du poisson, rien ne serait plus facile que d'organiser la fraude. A cet égard, les précautions doivent être plus grandes dans une rivière, que pour les navires qui arrivent directement de la pêche dans un port de mer.

J'engage fortement M. le ministre des finances à être aussi libéral que possible pour le déchargement des navires et à faire en sorte que le droit de douane ne gêne en rien l'importation du poisson en Belgique.

(page 79) M. Delaetµ. - Je suis fâché de ne pas pouvoir admettre comme vérités constatées les renseignements que vient de donner l'honorable M. Van Iseghem. Je n'ai pas parlé seulement du poisson qui se pêche sur les côtes, mais de toute espèce de poisson. Je n'ai pas parlé de la pêche en mer, mais de l'arrivée du poisson dans nos ports.

Je n'aurais pas demandé la parole pourtant, si l'honorable M. Van Iseghem n'avait dit, avec l'assentiment de certains membres de la gauche, que si l'on supprimait le droit d'entrée sur le poisson, il faudrait immédiatement supprimer le droit de balance sur les céréales. Je ne serais pas fâché de voir supprimer ce droit, mais la réforme sur ce point n'est pas aussi urgente qu'elle l'est pour le poisson ; les céréales peuvent rester quelques jours à bord sans se détériorer, tandis que le poisson se gâte très vite.

Je n'ai pas accusé la douane de prolonger les formalités dans le dessein de protéger la pêche nationale ; j'ai dit que les moindres formalités occasionnent souvent un retard considérable et une détérioration de la marchandise, équivalant à 5, 6 et même 10 ou 12 fr. par 100 kil.

Un mot encore. Quoique M. le ministre des finances ait semblé faire un reproche à certains membres de la Chambre de ne pas tenir pour sacramentelle et définitive toute décision prise dans une session antérieure, je crois que personne ne nous blâmera de revenir sur des décisions telles que celles que je viens de combattre. Nous y reviendrons encore dans la session prochaine et, pour ma part, j'en fais la promesse formelle.

(page 78) ) L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1867. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget.

73 membres sont présents.

63 adoptent.

9 rejettent.

1 (M. Kervyn de Lettenhove) s'abstient. En conséquence le budget est adopté.

Ont voté l'adoption :

MM. Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Haerne, de Kerchove, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Maere, de Mérode, de Rossius, Desmedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Guillery, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nothomb, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tack, T' Serstevens, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Warocqué et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet :

MM. Coomans, De Coninck, Delaet, d« Naeyer, Gerrits, Hagemans, Hayez, Jacobs, Liénart.

(page 79) M. Kervyn de Lettenhove. - Mon abstention est, messieurs, la conséquence du débat qui a occupé la Chambre dans sa séance d'hier.

Il est démontré pour moi, que l'inscription des débitants de boissons alcooliques sur les listes électorales touche à des intérêts bien plus élevés que ceux des partis, aux intérêts les plus sacrés du pays, à la vérité de son système parlementaire, à l'honneur même de ses institutions ; qu'on ne peut confondre l'impôt base du cens, qui représente la part des dépenses à supporter par chaque citoyen à raison de la part qu'il prend à la richesse publique, avec une taxe qui n'a point pour but de déterminer l'importance proportionnelle de son industrie, mais de la restreindre et de la frapper ;

Qu'en agissant comme on le fait aujourd'hui, on arrive à ce résultat injustifiable que plus la consommation des boissons alcooliques augmente et nécessite par suite des mesures fiscales pour en arrêter le développement, plus on facilite, au profit de ceux-là mêmes qui sont les auteurs et les instruments du mal qu'on combat, l'exercice du droit électoral, le plus noble privilège d'un citoyen dans un pays libre ;

Qu'en effet les cabaretiers et les débitants de boissons alcooliques forment plus du dixième du corps électoral, c'est-à-dire qu'ils y occupent autant de place que la propriété, et quatre fois plus de place que toutes les professions libérales ; et que si l'augmentation du nombre des débitants de boissons alcooliques continue dans la même proportion, on peut marquer d'avance le jour où leur vote réglera la majorité, d'abord dans les élections communales, puis dans les élections politiques ;

Que ce système contrarie évidemment notre vœu commun de voir l'électeur instruit et toutes les classes moralisées ;

Qu'il convient, au point de vue de tous les principes de la législation et de l'économie politique d'accroître les taxes sur les boissons alcooliques comme pénalité, comme mesure restrictive, mais sans y attacher le droit de suffrage, qui doit être le prix du travail honnête et utile.

En fait, je crois que le droit peut être reporté à la fabrication, et ce qui me fortifie dans cette opinion, c'est que cela a lieu dans le royaume des Pays-Bas ; qu'on ne s'y plaint pas de la fraude, mais qu'on s'y félicite, au contraire, de frapper ainsi en même temps les débits clandestins et d'atteindre d'une manière uniforme et équitable toute la consommation.

Tels sont les motifs qui m'ont engagé à ne pas accorder au budget des voies et moyens, un vote qui eût pu paraître l'approbation d'une disposition qui, aux yeux des peuples étrangers, déshonore notre système politique. L'abstention m'a permis, alors que je ne voulais pas émettre un vote négatif, de justifier une conviction profonde qui trouvera un écho, je l'espère, sur tous les bancs de la Chambre.

- La séance est levée à 4 heures.