(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 47) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des combattants volontaires de 1830 se plaignent que le gouvernement refuse de leur accorder la médaille distinctive décrétée par la loi du 30 décembre 1833 pour récompenser des services rendus au pays. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Sterpenick prie la Chambre de porter le traitement des secrétaires des parquets des tribunaux de première instance au taux de celui des commis greffiers près des mêmes tribunaux. »
M. Lelièvreµ. - J'appuie la pétition qui est fondée sur des motifs sérieux, et elle a un caractère d'urgence incontestable. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission avec prière de faire un prompt rapport.
MpVµ. - Je propose de renvoyer la pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice.
M. Lelièvreµ. - Je me rallie a cette proposition.
« M. de Vrière demande un congé de quelques jours motivé par l'état de maladie de Mme de Vrière. »
- Accordé.
« M. Jacobs, retenu par des affaires urgentes, demande un congé. »
- Accordé.
M. Lelièvreµ. - Je crois devoir appuyer les observations émises par la section centrale en ce qui concerne le droit à percevoir sur les échanges d'immeubles, lorsque ces actes ont pour résultat de réunir des propriétés contiguës.
Il est certain que les opérations de cette nature réalisent des avantages utiles a l’intérêt général ; on doit donc les favoriser et, par conséquent, réduire les droits auxquels elles donnent lieu. L'état de choses en vigueur entrave nécessairement des transactions qui méritent une protection spéciale.
Il est un autre objet qui appelle l'attention du gouvernement, c'est la valeur des droits qui se perçoivent sur les donations entre-vifs en ligne directe.
Ces donations immobilières sont. frappées d'un droit de 2 fr. 50 c. par 100 fr., plus les additionnels, ce qui élève le droit à 3 fr. 25 c. par 100 francs.
Or, les contrats de ce genre en ligne directe doivent être favorisés par des motifs qu'il est impossible de méconnaître. La cession à titre gratuit de la propriété faite par les parents aux enfants ne peut être confondue avec semblable contrat passé entre étrangers.
Ce sont des mutations qui méritent une faveur particulière.
Je suis, du reste, convaincu qu'une réduction de l'impôt, en cette matière, produirait des résultats avantageux au trésor public, parce qu'il est certain que c'est l'élévation des droits édictés par la loi du 22 frimaire an VII, qui est un obstacle sérieux à ce que les mutations de la nature de celles dont il s'agit se produisent plus fréquemment.
L'abaissement des droits multiplierait notablement les contrats de l'espèce.
Enfin, je ne puis assez engager le gouvernement à compléter la réforme postale adoptée en 1849.
Etendre le rayon de la zone dans laquelle est appliquée aux lettres simples la taxe de dix centimes, porter le poids de la lettre simple à quinze grammes et arriver, dans un temps peu éloigne, à la taxe uniforme de dix centimes, ce sont là des améliorations notables qu'il serait digne du gouvernement de réaliser. Après la suppression de l'octroi et des droits de barrière, ce serait certainement la réforme la plus utile à décréter.
J'appelle, à cet égard, la sollicitude éclairée de M. le ministre des finances. Je suis convaincu qu'il ne négligera rien pour arriver à une réforme qui serait le complément des mesures mémorables qu'il a si souvent fait décréter par la législature.
M. Dewandreµ. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre vient de poser la question de la réforme postale.
J'aurais voulu en parler à propos de l'article « Postes », mais puisque le débat est soulevé, je l'aborde immédiatement.
Je ne reviendrais pas sur ce débat si des faits nouveaux ne s'étaient présentés depuis 1858, époque où la Chambre a discuté avec beaucoup de détails cette question de la réforme postale ou plutôt de l'unification du tarif des postes, la généralisation de la taxe à 10 centimes pour tout le royaume.
Je reconnais qu'à cette époque M. le ministre des finances a fait valoir des considérations très puissantes pour démontrer que le moment n'était pas encore venu d'admettre la taxe uniforme des lettres à dix centimes ; mais depuis lors, des faits nouveaux se sont produits, et ces faits me semblent contredire ou atténuer considérablement les arguments qui avaient été alors invoqués par M. le ministre des finances.
Lorsqu'on s'est occupé en 1846 de la réforme postale, la Chambre avait d'abord adopté la taxe uniforme à 10 centimes.
Ce projet ayant été repoussé par le Sénat, le gouvernement a présenté une nouvelle proposition dont est sortie la loi qui nous régit, c'est-à-dire la taxe à 10 centimes dans un rayon de 30 kilomètres et la taxe à 20 centimes au delà de ce rayon.
Cette taxe différente a quelque chose d'anomal et, en effet, quand on veut se rendre compte des motifs pour lesquels on paye 20 centimes, lorsque la lettre a à parcourir 31 kilomètres, tandis qu'on n'en paye que 10 quand elle n'a à parcourir que 29 kilomètres, on ne se rend pas compte du motif qui a pu faire adopter cette différence, parce qu'en réalité les frais de transport d'une lettre à 100 kilomètres ou à 25 kilomètres sont, je dirai, absolument les mêmes.
J'ai voulu me rendre compte du prix de revient aux deux distances, et j'ai dû calculer par millièmes de centime. Il n'y a pas un centième de centime de différence dans les deux prix de revient.
Comme cette taxe différentielle était tout à fait anomale, mais qu'elle était jusqu'à un certain point justifiée par la crainte que le produit des postes ne fût trop brusquement réduit, la Chambre a inséré dans la loi de 1849 un article 10, disant que c'était par mesure transitoire qu'on fixait la taxe à 20 centimes au delà de 30 kilomètres.
Cet article 10 est ainsi conçu : Le gouvernement est autorisé à appliquer aux lettres transportées à une distance excédant 30 kilomètres, la taxe de 10 centimes par lettre simple, dès que le produit de la poste aura atteint la somme de deux millions de francs par année.
On a prétendu en 1858 que le moment était arrivé d'appliquer cette faculté de l'article 10 de la loi du 22 avril I849 et c'est principalement sur ce point qu'a porté la discussion.
On s'est demandé si réellement le produit de la poste n'avait pas atteint 2 millions, et s'il n'y avait pas lieu d'admettre la taxe uniforme à 10 centimes. Un certain nombre de membres de la Chambre ont soutenu que le produit avait atteint ce chiffre de 2 millions. M. le ministre des finances a prétendu que non et a cherché à démontrer à la Chambre que, pour calculer si l'on avait atteint ce chiffre de deux millions, il ne fallait pas prendre le produit général des postes, mais seulement le produit du transport des lettres et qu'il fallait élaguer le produit du transport des articles d'argent et des imprimés.
J'admets cette thèse soutenue par l'honorable ministre des finances, j'admets que la loi de 1849 lorsqu'elle a parlé du revenu de deux millions n'a entendu parler que du revenu à provenir de la taxe des lettres seulement, mais je prétends que la discussion à laquelle on s'est livré en 1858 ne peut plus être soulevée aujourd'hui, parce que la taxe des lettres, abstraction faite du produit du transport des articles d'argent et (page 48) des imprimés, la taxe des lettres seulement produit maintenant plus de deux millions, quelques chiffres suffiront pour le démontrer.
Le produit du transport des lettres, en 1864 (je prends cette année parce que c'est la dernière sur laquelle nous avons des renseignements statistiques complets), le produit du transport des lettres, en 1864, a été de 4,998,983 fr. Pour savoir le bénéfice réalisé par ce transport, il suffit de se demander ce qu'a coûté ce transport, en d'autres termes d'établir le prix de revient du transport de 22 millions environ de lettres qui ont été expédiées en 1864. Eh bien, je trouve qu'indépendamment des 22 millions de lettres qu'on a transportées dans l'intérieur du pays, on en a transporté 8 millions venant de l'étranger ou y allant, que l'on a transporté, en outre, un certain nombre de lettres chargées ; 4,700,000 lettres contresignées ou de service.
On a transporté aussi 25 millions environ de journaux belges et environ onze millions d'autres imprimés. Tous ces chiffres forment un total de 72 millions environ de papiers, lettres, imprimés ou journaux transportés en 1864. Ces 72 millions de papiers ont coûté à l'Etat en dépenses budgétaires, d'après les mêmes documents statistiques, 3,306,145 fr.
Je sais que l'on peut prétendre qu'il y a aussi des dépenses extra-budgétaires ; celle, par exemple, que fait le chemin de fer pour le transport des dépêches. On a évalué ces dépenses extra-budgétaires à environ 500,000 fr. En ajoutant cette somme, aux dépenses budgétaires, nous arrivons à un total de quatre millions environ. Or cette dépense a servi à transporter plus de 72 millions de papiers de différentes espèces, imprimés ou lettres.
Je prétends qu'un journal, un imprimé quelconque coûte en moyenne le même prix de transport qu'une lettre. Je puis donc, pour trouver ce que coûte à l'Etat le transport d'une lettre, diviser le chiffre de quatre millions de dépenses par le chiffre de plus de 72 millions de papiers transportés.
En faisant ce calcul, j'arrive à ce résultat, que le prix de revient du transport d'une lettre était, en 1864, de 5 2/10 centimes.
Je disais tout à l'heure que l'on avait transporté 22 millions de lettres ; 22 millions de lettres à 5 2/10 centimes, donnent une dépense totale de 1,600,811 francs ; la recette est de 4,998,983 francs ; donc le bénéfice du chef du transport des lettres seulement était en 1864 de 3,398,172 francs. Ce bénéfice est beaucoup plus considérable aujourd'hui, car le transport des lettres a beaucoup augmenté depuis 1864. La question de savoir si l'on se trouve dans les conditions prévues par l'art. 10 de la loi de 1849 ne peut donc plus se présenter.
Mais on a fait une objection ; on a dit : Lorsque la loi de 1847 a été votée, on prévoyait une augmentation du nombre des lettres par suite de l'abaissement des tarifs beaucoup plus considérable que celle qui s'est produite. Cette augmentation ayant été moins importante, il en résulte, à l'heure où nous sommes, disait-on alors, il en résulte, disait-on encore l'année dernière, qu'il y a, par suite de la réforme, déficit sur le transport des lettres, depuis 1849, de 8, 10 ou 12 millions.
En d'autres termes, l'on prétend que si l'on calcule ce que le produit des lettres aurait donné depuis 1849 jusqu'aujourd'hui, d'après la progression antérieure de ce produit, on trouve qu'il aurait été de douze millions de plus qu'il n'est en réalité.
Ce calcul, messieurs, repose sur une erreur. Il est fondé sur un tableau qui a été distribué en 1858 à la Chambre avec une note sur la réduction à 10 centimes du tarif des lettres.
Il est dit dans ce tableau que l'augmentation moyenne du produit du transport des lettres avant 1849 était de 120,000 fr. par an. On a basé le calcul dont je m'occupe sur cette augmentation probable ; et l'on a dit : Si le produit des lettres avait continué à augmenter de 120,000 fr. par an jusqu'en 1864, nous aurions reçu 12 millions de plus que nous n'avons obtenu.
Mais ce chiffre de 120,000 francs n'est pas exact ; il repose sur une erreur de calcul. J'ai calculé la moyenne de l'augmentation du produit des lettres de 1831 à 1847, en prenant les chiffres mêmes du tableau dont il s'agit ; et au lieu de 120,000 francs par an, j'ai trouvé 107,000 francs seulement ; ce qui, appliqué à une période de 17 années, nous donne déjà une différence assez considérable.
Mais ce n'est pas tout : cette progression moyenne de 107,000 francs par an n'est pas la progression des dernières années qui ont précédé 1849 ; si au lieu de prendre le produit des lettres de 1831 à 1847 on ne le prend que de 1840 à 1847, et il y a un excellent motif pour prendre le produit à partir de 1840 seulement, c'est que ce n'est qu'à partir de cette époque que la Belgique a été délimitée comme elle l'est actuellement.
Si donc l'on prend le produit de 1840 à 1847, on constate que la progression par année n'a été que de 89,000 francs. Ainsi, sous l'empire des anciens tarifs, le produit du transport des lettres augmentait de 89,000 francs par année.
Maintenant, si j'applique ce chiffre au calcul qui a été fait pour démontrer que le déficit résultant de la réforme postale était de 12 millions en 1864, qu'en 1864-65 on n'avait pas encore reconquis le chiffre de recette qu'on aurait eu si l'on n'avait pas fait la réforme postale, je trouve des résultats tout différents de ceux qui nous sont indiqués.
Ainsi, dans le dernier volume des documents statistiques, qui nous a été distribué, on trouve reproduit le calcul erroné dont j'ai déjà parlé, et l'on voit que le déficit serait en 1864 de 308,460 fr. Or, en prenant le chiffre de 89,000 francs que je viens d'indiquer comme augmentation moyenne normale avant 1849, on trouve qu'au lieu d'un déficit de 308,460 fr. en 1864, il y avait, au contraire, un excédant de 98,540 francs. Donc l'argument qu'on tire de l'existence de ce déficit énorme est mal fondé.
L'honorable ministre des finances, dans la discussion de 1858, opposait d'autres objections. Il disait : Mais la taxe des lettres à 20 centimes au delà de 30 kilomètres n'est pas excessive et vous n'obtiendriez pas une augmentation notable du nombre des lettres en la diminuant ; car, si l'on consulte la statistique, on voit que la progression du nombre des lettres au delà du rayon de 3 kilomètres est à peu près la même que cette progression dans le rayon de 30 kilomètres. C'est-à-dire qu'en 1858, d'après les chiffres cités par M. le ministre des finances, la progression sur les lettres à 10 centimes était en moyenne, depuis 1847-1848, de 13.78 p. c.
Tandis que la progression sur les lettres à 20 centimes au delà du rayon de 30 kilomètres était en moyenne de 12.97 p. c., soit près de 13 p. c. ; la progression sur les deux espèces de lettres était donc à peu près la même. Or, M. le ministre des finances, avec une grande apparence de raison, disait que la progression étant la même sur les lettres à 20 centimes que sur les lettres à 10 centimes, la taxe à 20 centimes n'était pas excessive, qu'elle n'empêchait pas plus que la taxe à 10 centimes, la progression du nombre des lettres. Mais depuis lors, des faits se sont produits : lorsqu'on consulte les statistiques pour y constater la progression du transport des lettres, dans le rayon de 30 kilomètres et au delà de ce rayon, on trouve que dans les premières années de la réforme, la progression a été relativement beaucoup plus forte au delà du rayon de 30 kilomètres que dans ce rayon.
La taxe était, avant 1849, de 60 à 65 centimes en moyenne au delà du rayon de 30 kilomètres. On a réduit cette taxe à 20 centimes ; la réduction a donc été de 200 p. c. ; dans le rayon de 30 kilomètres, la taxe avant 1849, n'était que de 20 centimes ; on l'a réduite à 10 centimes ; la réduction a donc été relativement beaucoup plus notable pour le transport des lettres au delà du rayon de 30 kilomètres ; aussi l'influence de la réforme s'est fait sentir dans les premiers temps d'une manière plus énergique sur le transport des lettres au delà du rayon de 30 kilomètres que dans l'intérieur de ce rayon.
En 1858, M. le ministre des finances disait avec raison que la progression du nombre des lettres transportées de 1849 jusqu'en 1858 était à peu près la même pour les lettres transportées dans le rayon de 30 kilomètres qu'en dehors de ce rayon.
Mais depuis 1858, il en est autrement et j'ai constaté que dans le rayon de 30 kilomètres l'augmentation du nombre des lettres transportées a été en moyenne de 24 p. c. par an, tandis que pour les lettres à 20 centimes la progression depuis 1858 n'est plus que de 13 p. c. en moyenne.
Donc en empruntant les arguments que faisait valoir M. le ministre des finances en 1858, j'ai le droit de dire que la taxe à 20 c. est maintenant une entrave au développement de la correspondance au delà du rayon de 30 kilomètres.
Enfin, M. le ministre des finances faisait valoir, en 1858, une autre objection ; il disait que si on réduisait à 10 centimes le taux de toutes les lettres transportées à l'intérieur, on serait obligé d'appliquer cette taxe au transport des lettres venant de l'étranger ou y allant ; et l'on aurait une réduction de recette, non seulement du chef des lettres transportées à l'intérieur, mais aussi du chef des lettres envoyées à l'étranger ou en venant.
Mais cet argument ne peut plus être invoqué aujourd'hui ; en effet, aujourd'hui les lettres allant à l'étranger ou en venant ne payent que 10 centimes pour leur transport à l'intérieur du pays. Donc la réforme (page 49) est déjà faîte quant à ces lettres ; et il en résulte une singulière anomalie. Ainsi si vous envoyez une lettre de Liège en Angleterre, elle payera de Liège à Ostende 10 centimes ; tandis que si au lieu de l'envoyer à Ostende, vous l'envoyez à Bruxelles seulement, elle payera 20 centimes.
Messieurs, la taxe uniforme est déjà établie pour d’autres objets que pour les lettres. Lorsqu'on a révisé le tarif du transport des petites marchandises, des petits paquets, M. le ministre des travaux publics vous a dit qu'il n'avait pas de motifs pour établir une taxe proportionnelle sur des colis qui ne pèsent que quelques kilogrammes. Les frais de transport en plus pour 20, 30, 50 kilomètres de différence, lorsqu'il s'agit d'un colis de quelques kilogrammes, disait M. le ministre des travaux publics, sont tellement peu considérables qu'il n'y a pas lieu d'établir une taxe différentielle, et l'on a établi pour les petits colis une taxe uniforme, quelle que soit la distance à laquelle se fait le transport.
Il en résulte encore une singulière anomalie ; c'est que si l'on veut faire transporter en dehors du rayon de 30 kilomètres une lettre de plus de 20 grammes et si on la confie à la poste, on doit l'affranchir au moyen de 80 c. au moins. Si, au lieu de confier cette lettre à la poste, on la remet au chemin de fer sous forme de petit colis, en chargeant même de la faire remettre par un express, c'est-à dire par un homme expressément employé à la remise de ce petit colis, l'on ne payera que 50 centimes.
Donc on paye moins pour un service spécial que l'on exige du chemin de fer qu'on ne paye à la poste pour un service ordinaire, pour la remise à domicile de la lettre par un facteur dans sa tournée ordinaire.
Pour le télégraphe, on a de même établi la taxe uniforme, quelle que soit la distance à laquelle le télégramme doit être transporté.
Messieurs, je comprendrais que l'on fît des objections à l'admission immédiate de la taxe uniforme à 10 centimes pour tout le pays. Mais ce n'est pas ce que demande la section centrale. Elle a compris que M. le ministre des finances devait craindre les résultats financiers d'une réforme aussi brusque, et qu'il ne pouvait pas compromettre une ressource importante de son budget ; aussi la section centrale se borne à demander que, lorsque pendant un semestre, par exemple, le produit de la taxe des lettres aura donné un chiffre assez considérable pour permettre de tenter cette expérience, au lieu de supprimer immédiatement le rayon à 10 centimes, on l'étende ; que la zone à 30 kilomètres soit portée à 50, à 60 kilomètres.
M. Bouvierµ. - Vous faites des privilégiés alors.
M. Dewandreµ. - Actuellement, dans le rayon de 30 kilomètres, n'y a-t-il pas de privilégiés ? Seulement au lieu d'avoir des privilégiés dans un rayon de 30 kilomètres, si vous appelez cela des privilégiés, en étendant le rayon, vous accordez la réduction à un certain nombre de personnes, par conséquent vous diminuez le nombre des privilèges.
Je crois qu'en étendant graduellement le rayon de la taxe à 10 centimes, on ne risque pas de compromettre les revenus du trésor et l'on fait une expérience qui permet de trancher la question entre les partisans de l'extension de la taxe à 10 centimes à tout le royaume et les adversaires de cette réforme. Si, en étendant le rayon de 30 kilomètres à 50 kilomètres, on n'aboutit pas à une diminution notable dans la recette, les adversaires de la taxe uniforme verront qu'elle n'est pas aussi dangereuse qu'ils la croient et l'on pourra successivement l'étendre à 70, à 100 kilomètres et enfin à tout le royaume, de manière que, comme le dit l'honorable M. Bouvier, il n'y aurait plus de privilégiés. Si, au contraire, cette extension du rayon de 30 kilomètres produit une réduction de recettes, cette réduction ne sera jamais assez considérable pour porter atteinte aux ressources du budget, et elle sera cependant suffisante pour que les adversaires de la taxe à 10 centimes à tout le royaume y trouvent un argument qui fasse cesser les réclamations pour ainsi dire générales qui s'élèvent de plus en plus dans le pays pour obtenir cette réforme.
M. Bouvierµ. - Je suis également partisan en principe de ce qu'on est convenu d'appeler la réforme postale, ou de la réduction uniforme du port des lettres à 10 centimes, et je pense que la majorité de cette Chambre partage cette manière de voir. Maïs je voudrais bien connaître quelles sont les ressources que l'honorable membre substituera à celles que M. le ministre des finances trouve actuellement dans la taxe différentielle. Dans la séance d'hier, vous avez entendu l'honorable ministre des travaux publics faire un tableau très sombre de la situation de son budget.
Les brillantes recettes qu'il accusait chaque exercice ont reçu cette année une dépression considérable et cependant vous avez entendu un honorable député de Charleroi demander très vivement l'agrandissement de la station de Charleroi. Deux députés de Liège ont fait des réclamations de même nature.
M. Mullerµ. – Il y a encombrement de marchandises dans la station.
M. Bouvierµ. - L'honorable ministre des travaux publics ne l'a pas nié et pour y obvier il a fait connaître qu'il allait ouvrir six kilomètres de voies nouvelles, c'est encore une dépense très importante, (Interruption.)
Mais M. le ministre des travaux publics l'a déclaré hier. Or, je ne pense pas que l'honorable ministre puisse établir des chemins de fer sans demander à son collègue des finances les ressources nécessaires pour parer à ces dépenses.
Je le répète, messieurs, je suis très grand partisan de toutes les réductions en matière de taxes. Nous avons demandé la suppression du droit de barrières. Eh bien, l'honorable ministre des finances s'est empressé lorsque la situation du trésor lui a permis d'accueillir les doléances et les réclamations qui se sont produites dans la Chambre, et ce droit a totalement disparu du budget des voies et moyens. Je suis convaincu qu'il est également dans la pensée de M. le ministre des finances d'établir la taxe uniforme des lettres à 10 centimes, aussitôt que les circonstances financières rendront cette réforme possible ; mais je le répète, en présence du tableau que l'honorable ministre des travaux nous a présenté hier, je déclare ne pas réclamer hic et nunc la taxe uniforme de 10 centimes.
Ce que je demanderai à l'honorable ministre des finances et ce qui peut se faire sans porter un grand préjudice au trésor public, c'est que le poids de la lettre simple, qui est aujourd'hui de 10 grammes, soit porte à 15 grammes. C'est là une demande qui a déjà été faite antérieurement dans cette assemblée et il serait extrêmement rationnel d'y faire droit, d'autant plus que l'étranger est ici, en quelque sorte, favorisé au détriment de l'indigène. Ainsi, dans les traités internationaux, le poids de la lettre simple est porté à 15 grammes. Je pense donc que cette différence, qui est très minime, devrait être adoptée également pour les lettres ù transporter à l'intérieur.
Je crois, messieurs, que la mesure que je viens d'indiquer est de nature à être favorablement accueillie par M. le ministre des finances, et qu'elle ne tardera pas à être un fait accompli.
M. Coomans. - Aux objections que l'honorable M. Bouvier vient de présenter contre les excellentes remarques faites par M. Dewandre, il y aurait une réplique courte et décisive, à savoir : Réalisez des économies, afin de diminuer les dépenses. Mais ce n'est pas pour répondre à M. Bouvier que j'ai demandé la parole. Je désire indiquer en deux mots la principale raison qui m'empêche de voter le budget des voies et moyens. Ce budget renferme divers impôts que je n'admets pas ; il ne diminue pas certains autres qui devraient être réduits. Je ne puis donc pas le voter et j'attends avec impatience les occasions qui pourront se présenter pour justifier de plus près les motifs de mon opposition.
(page 59) M. Sabatierµ. - Messieurs, je partage l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. Bouvier en ce qui concerne l'inopportunité de l'application de l'article 10 de la loi de 1848.
Je pense comme lui qu'il est extrêmement difficile de décider en ce moment le gouvernement à apporter à la loi postale une modification ayant pour résultat d'abaisser la taxe des lettres à 10 centimes, quelle que soit la distance parcourue.
M. Dewandreµ. - Ce n'est pas cela qu'on propose.
M. Sabatierµ. - J'entre à l'instant dans la salle et d'après les quelques mots que j'ai entendus il m'avait semblé que la discussion roulait sur la question d'uniformité de taxe.
M. Dewandreµ. - Il s'agit d'étendre le rayon.
M. Sabatierµ. - Soit. Je ne suis pas plus partisan de l'extension du rayon adopté de 30 kilomètres que de la détaxe immédiate et générale à 10 centimes. Je dirai même que l'extension graduelle du rayon est la chose qui me paraît la plus difficile à introduire, quel que soit le désir que l'on ait de concilier l'intérêt du trésor et le vœu si nettement formulé par les chambres de commerce de voir le gouvernement modifier la loi postale. Je suis convaincu que la demi-mesure proposée par la section centrale et défendue par mon honorable ami M. Dewandre serait injuste et impraticable. Si on l'adoptait, on arriverait à cette étrange conséquence que la détaxe atteindrait un nombre de lettres qui ne serait nullement proportionnel à l'augmentation du rayon, et que des anomalies se produiraient à l'instant.
Je suppose, par exemple, que l'on étende le rayon à 40 ou 45 kilomètres, la ville d'Anvers sera comprise dans la détaxe pour la correspondance avec Bruxelles.
M. Dewandreµ. - Ce n'est qu'entre Bruxelles et Anvers, mais pas entre Anvers et Liège.
M. Sabatierµ. - Mais c'est précisément là l'anomalie.
Je demanderai franchement pourquoi entre Bruxelles et Anvers, et pourquoi pas entre Liège et Anvers, entre Mons et Anvers, entre Gand et Anvers, entre Gand et Bruxelles, c'est-à-dire pourquoi la mesure serait-elle appliquée à deux grands centres de population seulement et laisserait-elle en dehors des bénéfices qui peuvent en résulter pour le commerce d'autres centres importants ?
Je répète qu'il y aurait là une anomalie et que la mesure que l'on propose amènerait une réduction de revenu plus considérable que ne comporte l'extension du rayon, sans que l'amélioration soit assez générale pour satisfaire tout le monde.
Je m'attends à une réponse. On me dira qu'en fixant naguère le rayon des lettres de 10 centimes à 30 kilomètres, on n'a pas recherché si quelques anomalies du genre de celle que j'indique ne se produiraient pas.
C'est possible, mais au moins je puis poser en fait que, tout en n'attachant pas, en 1848, une importance trop grande à ce point, il n'est pas moins résulté, de la détermination des zones, une situation très régulière, très normale, et que l'on ne pourrait trouver, dans l'état actuel des choses, un seul exemple comme celui que je viens de signaler.
Cette réponse faite à l'interruption de l'honorable M. Dewandre, je dirai maintenant qu'il me paraît bien difficile qu'incidemment on puisse soulever la question du complément de la réforme postale ; je dis incidemment, car il nous manque beaucoup d'éléments pour pouvoir l'apprécier et la résoudre. C'est parce que je sais que cette question mérite un examen attentif que je voudrais ne l'aborder qu'en parfaite connaissance de cause.
Ce n'est pas en vain que toutes les chambres de commerce du pays auront demandé au gouvernement de réduire pour toutes les distances l'a taxe des lettres à 10 centimes. Notre devoir est de tenir compte des vœux de ces corps consulaires, surtout quand ils sont formulés avec autant d'unanimité.
Eh bien, messieurs, je doute que nous ayons en ce moment les documents nécessaires pour aborder un débat approfondi, et si l'intention de la Chambre est de discuter une proposition au lieu de se borner à un échange d'observations, j'indiquerai quelles sont les questions qui se présentent tout d'abord à l'esprit à propos de la réforme demandée.
L'argument capital que l'on peut faire valoir en faveur de cette nouvelle réforme, et que, sans aucun doute, les chambres de commerce auront pris en considération, c'est qu'en vertu de l'article 10 de la loi de 1848, le gouvernement est autorisé, dès que le produit de la poste aura atteint deux millions, à abaisser la taxe au taux uniforme de 10 centimes. Mais si c'est là un argument capital, il serait fort important pour qu'il eût quelque valeur, que l'on eût démontré d'une manière irréfutable que le produit net a réellement atteint le chiffre de deux millions.
M. Dewandreµ. – Il est de 3,300,000 francs.
M. Sabatierµ. - Permettez-moi de douter de ce chiffre.
M. Dewandreµ. - Je viens de le démontrer.
M. Sabatierµ. - Eh, mon Dieu, j'ai assisté, en 1859, à une démonstration du même genre, aussitôt renversée. On prétendait alors que le produit net des postes avait atteint 2,500,000 francs. M. le ministre des finances a pris la parole et a réduit ce chiffre à 1,500,000 francs. Tout dépend de la manière dont on établit le calcul. Le coût du transport des lettres doit-il être déduit du produit de la poste ? La Chambre a résolu la question dans le sens affirmatif.
Autre chose. Pour s'assurer si l'éventualité prévue par l'article 10 de la loi de 1848 est réalisée, faut-il prendre le produit net de tout le service de la poste ou faut-il ne tenir compte que des recettes qui proviennent des lettres seulement ? La différence est grande et encore une fois, la Chambre, en 1859, lors d'une discussion très approfondie de la question, la Chambre, dis-je, a pensé que pour rester dans l'esprit de la loi, on ne pouvait faire état que des recettes à provenir des lettres seulement.
En tout cas, je me demande comment le produit net des postes atteindrait 3,300,000 francs, alors que la recette totale portée au budget de 1867 est de 6,300,000 francs et que le budget des travaux publics constate que le ministre de ce département sollicite un crédit de 4,000,000 de francs.
J'ai parlé de documents et de renseignements qui nous seraient nécessaires pour aborder une discussion sérieuse de la question. Voici ce que je voulais dire :
En 1859, la section centrale qui avait été saisie d'une proposition de réforme radicale avait reçu, de M. le ministre des finances, une note par laquelle il établissait quel était, pour l'exercice 1856, selon lui, le produit net qui seul pouvait servir de base à une discussion.
Si l'on veut examiner la question dans cette session et on veut le faire encore à propos du budget des travaux publics, je demanderai à M. la ministre des finances de faire substituer aux chiffres fournis en 1859, ceux qui se rapportent à l'exercice 1865 ou 1864. Nous aurons alors des données qui nous permettront d'aborder beaucoup plus utilement ce débat ; c'est contradictoirement que des chiffres nous seront présentés pour savoir si, oui ou non, la recette nette de 2 millions est atteinte.
A la vérité l'on pourra me dire que la manière dont le gouvernement établit ses chiffres ne lie pas la Chambre, que si la loi a été interprétée d'une certaine façon en 1859, la Chambre de 1866 peut avoir aussi son opinion à elle, mais sachons d'abord à quel résultat l'on arrive aujourd'hui.
Je sais aussi que, sans tenir compte de ce résultat, nous pouvons modifier la loi et dire que nous croyons le moment opportun pour étendre la zone postale ou la supprimer ; mais ce qui est vrai en tout état de cause, ce qui selon moi est inévitable, c'est que, dans l'état actuel des choses, en présence des dépenses qui restent à faire pour améliorer le service postal, on arrive, par l'uniformité de la taxe, à un déficit considérable de recettes.
M. Vermeireµ. - A combien évaluez-vous le déficit ?
M. Sabatierµ. - A plus d'un million et, à cet égard, j'invoquerai encore un précédent. En 1859, on prétendait que la recette ne serait guère diminuée par l'application de la taxe uniforme à 10 centimes, et la note dont j'ai parlé a démontré que la réduction serait d'un million. L'honorable M. A. Vandenpeereboom a dû reconnaître lui-même que, pendant, un certain nombre d'années, le trésor subirait une perte assez notable.
Sommes-nous en position de réduire les ressources du trésor, ou tout au moins de tenter une expérience qui, d'après tout ce que nous savons, amènerait une réduction de ressources ? Gardons-nous-en bien.
L'honorable M. Bouvier rappelait, il n'y a qu'un instant, ce que l'honorable ministre des travaux publics a dit hier : Il lui manque 15 à 20 millions pour achever le chemin de fer et compléter son œuvre.
Il est évident qu'on ne peut t aux recettes dans une pareille situation.
M. Bouvierµ. - C'est évident.
M. Sabatierµ. - Je renouvelle les questions que j'ai faites tout l'heure. La recette nette doit-elle comprendre les frais de transport doit-elle porter seulement sur le produit des lettres ? J'ajouterai cette (page 60) question bien autrement importante : En supposant qu'il y ait un déficit, comment le comblera-t-on en ce qui concerne le fonds communal ? Ce fonds constitue une dette sacrée, vous ne pouvez y toucher ; vous avez habitué les communes à compter sur cette ressource, nous avons contracté une sorte d'engagement, et je vous demande comment nous nous présenterions devant nos électeurs si, par une mesure inopportune, nous venions a enlever une partie du fonds communal ?
Est-ce à dire que l'administration des postes n'ait rien à faire en ce moment dans l'intérêt du public ? Non pas, il reste beaucoup à faire, beaucoup à améliorer, et je rappellerai qu'il y a un an j'ai demandé que le poids de la lettre simple fût porté à 15 grammes. L'honorable M. Dewandre s'était joint à moi pour réclamer cette amélioration naguère indiquée dans cette Chambre par l'honorable M. d'Hoffschmidt, si je ne me trompe. Cette année encore, l'honorable rapporteur du budget qui nous occupe a insisté pour que le gouvernement donnât suite à la promesse qu'il nous a faite de suivre, à cet égard, ce qui se pratique en Angleterre et en Prusse.
Lorsque l'honorable ministre des finances s'opposait à une nouvelle réduction de la taxe postale, il nous disait que ce seraient les banques, les grands négociants, les industriels qui profiteraient surtout de cette réduction et qu'il n'y aurait pas là un intérêt public en jeu. Cette fois, c'est au nom de toutes les personnes qui sont dans les affaires, que je réclame l'augmentation du poids de la lettre simple. Seulement il faut compléter la mesure.
Aujourd'hui, à partir de 20 grammes jusqu'à 60, la taxe est quadruple ; je suppose que l'honorable ministre des travaux publics comprendra que le poids à partir duquel il y aura surtaxe dépassera 20 grammes.
Il faudrait, me paraît-il, que de 15 à 30 grammes la taxe fût doublée c[ qu'à partir de 30 grammes l'augmentation ne fût plus dans le rapport de 1 à 4, surtout qu'aujourd'hui les exprès ne coûtent que 50 centimes. Je demanderai donc de porter le poids de la lettre simple à 15 grammes, de doubler la taxe jusqu'à 30 grammes, au delà de ce poids de la tripler' seulement au lieu de la quadrupler.
Voilà les différentes améliorations qui me paraissent devoir être introduites dans le service des postes relativement au poids des lettres, et je compte que le gouvernement ne tardera pas à remplir la promesse, faite l'an dernier déjà, de les soumettre à la sanction de la Chambre.
D'autres améliorations seront sans doute encore réclamées : celles surtout qui consistent à créer de nouveaux bureaux de poste et à multiplier le nombre de distributions des lettres. Ces améliorations se traduiront par des dépenses dont l'utilité ne saurait être contestée ; mais tant qu'il restera des dépenses importantes à faire, en vue de perfectionner notre service postal, on ne saurait non plus réclamer logiquement une détaxe qui viendrait enlever les ressources dont le gouvernement a besoin pour compléter ce service.
(page 49) M. Dewandreµ. - L'honorable M. Sabatier vous a dit qu'en étendant le rayon à 50 kilomètres on créera des injustices. Mais c'est faire le procès à la situation actuelle, puisque aujourd'hui aussi deux localités placées à un kilomètre l'une de l'autre peuvent payer l'une 10 centimes l'autre 20 centimes pour le même service. Je dis pour le même service car les postes ne dépensent pas 1 centième de centime de plus pour transporter une lettre à 50 kilomètres qu'à 30.
M. Sabatierµ. - Cela ne s'applique qu'à de très petites relations.
M. Dewandreµ. - Peut-être pas d'Anvers à Bruxelles, mais d'Anvers à des localités qui se trouvent dans le rayon de 30 kilomètres,, de Bruxelles à des localités qui se trouvent en deçà ou au delà de ce rayon.
L'injustice existe ; elle existera dans un moindre degré lorsqu'on pourra transporter une lettre pour 10 centimes dans le rayon de 50 kilomètres.
L'honorable M. Sabatier considère le projet d'extension graduelle comme exorbitant, mais ce projet n'est pas nouveau, c'était le projet présenté par la section centrale et le gouvernement en 1846.
En 1846 on proposait l'extension progressive du rayon au fur et à mesure que l'accroissement du nombre de lettres aurait augmenté le produit des postes.
L'honorable M. Sabatier nous dit aussi que la question exige un examen sérieux et attentif. C'est pour cela que la section centrale et son rapporteur attirent (page 50) l'attention de la Chambre et de l'honorable ministre des finances sur cette question. Nous ne demandons pas de solution immédiate, nous ne demandons pas que la Chambre décide aujourd'hui que le rayon de 30 kilomètres soit porté à 50 ; nous demandons seulement que l'honorable ministre veuille bien examiner si les faits nouveaux ne justifient pas une extension du rayon actuel. Et encore il ne s'agit pas d'une extension immédiate, puisque la section centrale demande seulement que l'expérience soit tentée lorsque le produit des postes d'un semestre aura donné un excédant.
Le produit des postes sera probablement, pendant le premier semestre de 1867, de 350,000 francs ; eh bien, je suppose que l'on veuille assurer la même recette que celle de l'année dernière, soit 6 millions environ. Si, pendant le premier semestre de 1867, les recettes avaient atteint 3 millions trois cent mille francs, il faudrait que l'extension du rayon amenât un déficit bien considérable pour que l'on n'atteignît pas 6 millions pour l'année entière.
L'augmentation du produit des lettres pendant un certain temps permettrait de faire l'expérience que nous demandons ; or, comme cette augmentation est très considérable, nous sommes certains que dans six mois le gouvernement pourrait décider cette extension de la zone à 10 centimes.
M. Delaetµ. - Je viens appuyer la proposition de l'honorable rapporteur de la section centrale.
M. Sabatier a produit un argument qui sans doute aura frappé la Chambre. L'honorable député de Charleroi vous a dit que si vous étendez les zones, vous créez des injustices, attendu que vous favorisez les relations entre Anvers et Bruxelles, par exemple, et que vous ne favorisez pas les relations entre Anvers et Liège. S'il était permis d'espérer une réforme un peu radicale, nous émettrions le vœu de voir réduire, pour le pays entier, la taxe des lettres à 10 centimes ; mais comme l'opposition qu'y fait le gouvernement nous permet tout au plus d'espérer dans un temps plus ou moins prochain une extension de zones, j'appellerai un instant l'attention de la Chambre sur les réductions qui, depuis l'année dernière, ont été introduites dans le tarif des chemins de fer. Ce sera ma réponse à l'honorable M. Sabatier. En vertu du nouveau tarif, les relations entre Liège et Anvers ont été très favorisées, les relations entre Anvers et Malines sont restées les mêmes : l’abaissement de la taxe entre Bruxelles et Anvers est insignifiante.
II y a donc dans le système du gouvernement une contradiction aussi évidente que curieuse entre le service des chemins de fer et le service des postes. Pour le chemin de fer, ce sont les relations à grande distance qu'on favorise ; pour les postes, ce sont les relations à petite distance. Le principe qui est vrai pour les chemins de fer me paraît devoir l'être aussi pour les postes ; il ne peut y avoir pour ces deux services deux systèmes diamétralement opposés ; ils doivent être régis par deux systèmes similaires ou pour mieux dire par un système unique.
Il est évident que si la taxe des lettres était à 10 centimes entre Anvers et Liège comme entre Anvers et Malines, les relations entre Liège et Anvers seraient plus fréquentes qu'aujourd'hui. La contradiction que je signale me paraît être inexplicable et je continuerai de la considérer comme telle, à moins que M. le ministre des travaux publics ne me fasse l'honneur de me donner des renseignements de nature à me faire revenir de cette opinion.
Pour les télégrammes, nous avons eu d'abord une taxe de fr. 1-35, puis une taxe de 1 fr., aujourd'hui nous an sommes arrivés à une taxe de 50 centimes et certes depuis la dernière réduction du tarif, les recettes n'ont pas diminué.
Elles se sont de beaucoup accrues, cl, quand même elles n'auraient pas augmenté, qu'elles fussent restées stationnaires, il n'en demeurerait pas moins établi que les relations ont triplé et peut-être quadruplé. Est-ce là un avantage à dédaigner ?
D'autre part, il est certain que les impôts perçus par l'Etat ne le sont pas seulement directement et en raison des services rendus, mais aussi indirectement par suite de l'accroissement des relations qui s'établissent et font affluer dans le trésor public, une foule d'autres recettes.
Je désirerais donc que M. le ministre des travaux publics voulût bien expliquer la contradiction qui existe entre le système pratiqué au chemin de fer et celui qui est en vigueur en ce qui concerne la taxe des lettres.
Subsidiairement, j'aurai l'honneur de lui soumettre une autre question, celle de savoir s'il ne croit pas que l'application aux lettres du système pratiqué pour les télégraphes produirait exactement les mêmes résultats.
On me dira peut-être que les recettes du chemin de fer ont beaucoup baissé depuis la réforme du tarif des voyageurs. Mais si je ne me trompe, car je n’assistais pas à la séance d'hier....
MtpVSµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. Delaetµ. - Je le sais, et si je ne me trompe, M. le ministre des travaux publics lui-même assigne à la diminution des recettes des causes tout autres que la réforme du tarif des voyageurs, qu'il a si sagement, si libéralement introduite. Il l'attribue à la guerre, à l'épidémie et au mauvais temps qu'il a fait durant le dernier été et qui a beaucoup contrarié les voyages d'agrément. Voilà les trois causes assignées à la diminution des recettes du chemin de fer, et l'on voit que parmi ces causes la réforme du tarif des voyageurs ne figure à aucun titre.
M. Lambertµ. - Il est évidemment à désirer, en principe, que la taxe postale soit fixée à un taux uniforme, et, pour ma part, je suis grand partisan de l'uniformité de cette taxe ; mais ce principe, me semble-t-il, doit céder devant les nécessités budgétaires et je recule, pour le moment, devant la demande de ce complément de la réforme postale, par les motifs qui ont été indiqués par l'honorable M. Sabatier.
La Chambre, messieurs, ne sait pas tout ce qu'il y a encore à faire pour avoir une bonne administration des postes.
Nous autres, qui habitons des localités éloignées du centre de la Belgique, nous constatons à chaque instant combien ce service laisse encore à désirer, malgré toutes les améliorations qu'on y a introduites.
Vous ne croiriez pas, par exemple, messieurs, qu'il y a encore aujourd'hui des localités où les lettres n'arrivent que lorsque la poste est déjà en retour. Or, je vous demande si une pareille position est tolérable pour des personnes qui ont une correspondance active à raison de leur commerce ou de leur industrie.
Je crois donc qu'il est indispensable, avant de songer à décréter l'uniformité de la taxe des lettres, d'introduire dans l'administration des postes toutes les améliorations dont elle est encore susceptible, de telle façon qu'une règle d'équité existe pour toutes les localités du pays. Aussi longtemps que cette règle d'équité n'existera pas, on ne pourra pas songer à diminuer les recettes.
Cette raison, messieurs, serait parfaitement suffisante pour éloigner quelque temps encore une mesure que nous appelons tous de tous nos vœux. Mais, à part cette considération, je crois qu'il ne serait pas prudent, non plus, en présence des nécessités qui se manifestent, après une mauvaise année que nous venons de parcourir, il ne serait pas prudent, dis-je, de songer à diminuer nos recettes. Je me range donc, en ce qui me concerne, à l'opinion qu'a émise l'honorable M. Sabatier et je me borne à former des vœux pour que l'uniformité de la taxe postale arrive le plus tôt possible.
Mais puisque je m'occupe de la taxe des postes, je demanderai la permission de dire un mot aussi d'une autre taxe qui offre une analogie extrême avec celle-ci ; je veux parler de la taxe des télégrammes.
Le gouvernement, messieurs, a déjà fait beaucoup dans l'intérêt du service télégraphique. Comme on vient de le rappeler, la taxe simple qui, à l'origine, était de 1 fr. 50 c., a été ramenée à un franc et aujourd'hui elle n'est plus que de 50 centimes. Aussi, use-t-on et très largement de ce service.
Mais malheureusement, à côté de ce bienfait, que je proclame avec plaisir, je dois constater ce que j'appellerai une véritable injustice ; je veux parler de la surtaxe qui frappe les dépêches qu'on appelle recommandées.
Dans beaucoup de localités, messieurs, on n'a pas le bonheur d'avoir une ligne télégraphique. Qu'arrive-t-il ? C'est que lorsqu'on doit envoyer une dépêche télégraphique dans ces localités que j'appellerai déshéritées, on est assujetti à une surtaxe vraiment exorbitante. J'admets parfaitement que l'administration doive être désintéressée, qu'elle doit recevoir tout au moins le prix du service rendu ; mais vous imaginez-vous, messieurs, que l'administration, ayant été payée de tous ses frais, perçoive deux francs pour un télégramme qui, remis à un bureau télégraphique, ne coûte que 50 centimes ? Voilà une chose qui saute aux yeux et qui constitue aux miens une véritable injustice. Ce fait, messieurs, est pourtant bien fréquent. Ainsi, permettez-moi d'invoquer un exemple qui m'est personnel. Pas plus tard que la semaine dernière, j'avais un télégramme à envoyer à une distance de 5 kilomètres du bureau télégraphique et j'ai dû ajouter trois francs à la taxe ordinaire.
- Un membre. - La réponse était comprise sans doute ?
M. Lambertµ. - Oui, la réponse était comprise, mais cette réponse était sans importance aucune ; elle ne devait consister que dans un (page 51) accusé de réception du télégramme. Or, il est évident que quand je présente un télégramme, c'est pour qu'il soit expédié, et s'il ne l'était pas, c'est que l'administration ne ferait pas son office.
J'ose donc appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce point important et le prier d'examiner s'il n'y a pas possibilité de ramener cette taxe, qui doit être uniforme, au chiffre établi pour les cas ordinaires, augmenté seulement des dépenses supplémentaires que l'administration doit s'imposer pour faire parvenir le télégramme à destination.
MfFOµ. - Messieurs, il ne me reste que peu de chose à dire, après la discussion qui vient d'avoir lieu, sur ce que l'on persiste à appeler la question de la réforme postale.
Déjà, à plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de faire remarquer à la Chambre que la réforme postale a été complètement accomplie chez nous. J'ai démontré que la Belgique est en possession d'un régime postal meilleur et plus complet que dans d'autres pays, et qu'il est même incontestablement supérieur à celui qui est en vigueur en Angleterre.
Vous savez, en effet, messieurs, qu'on Angleterre il s'en faut de beaucoup que toutes les localités soient desservies par la poste. Dans un grand nombre de localités, les particuliers ont à supporter des frais considérables pour recevoir leur correspondance tandis qu'en Belgique la localité la moins importante et la plus reculée du pays est chaque jour régulièrement desservie par l'administration des postes.
L'honorable M. Dewandre a prétendu que des faits nouveaux s'étaient produits depuis 1858, époque à laquelle la question a été examinée et discutée très minutieusement devant cette Chambre, et résolue à peu près à l'unanimité, puisqu'il ne s'est trouvé que treize voix dissidentes.
Messieurs, quoi qu'en ait dit l'honorable rapporteur de la section centrale, je crois que les faits généraux sont restés les mêmes, et si le moment était venu d'ouvrir sur cette question une discussion approfondie, - qui ne pourrait se produire utilement que quand tous les documents seraient réunis et mis sous les yeux de la Chambre, - il me serait bien facile de démontrer à l'honorable membre qu'il est complètement dans l'erreur.
Toutefois, je ferai remarquer dès maintenant qu'il s'est attaché aux parties en quelque sorte secondaires de la question.
Il nous a dit que le point capital à examiner était celui de savoir si la recette nette était ou non de 2 millions ; que si elle atteignait ce chiffre, le minimum de la taxe devait être appliqué. Il a prétendu que c'était à peu près à ce point unique que s'était bornée la discussion à laquelle nous nous sommes livrés autrefois.
Certes, ce côté de la question a été alors examiné ; mais il en est un autre, très important aussi, qui a été mis en lumière : c'est que la réduction de la taxe à 10 centimes devait profiter surtout et presque exclusivement à quelques grands négociants, banquiers ou industriels ; mais que cette réduction n'intéressait guère que très indirectement la grande majorité des populations. J'ai révélé alors que l'abaissement de la taxe à dix centimes représenterait pour quelques-uns un bénéfice de 500 fr., pour d'autres de 1,000 fr., pour d'autres de 2,000 fr. et même jusqu'à 3,000 fr.
Il a été démontré également à cette époque que le produit de la taxe des lettres était donné presque en totalité par un très petit nombre de localités du pays, telles que Bruxelles, Anvers. Gand, Liège, Charleroi et quelques autres places importantes par leurs relations industrielles et commerciales ; et l'on s'est demandé alors, ce que l'on doit se demander encore aujourd'hui, si le moment était venu de faire profiler d'un pareil dégrèvement certaine catégorie, relativement restreinte, de producteurs belges, alors que la mesure ne modifierait en rien, ou du moins dans une proportion insensible, la situation des autres citoyens. J'ai déclaré à cette époque que je ne croyais pas le moment opportun pour décréter une pareille extension de la réforme postale, et cette déclaration je n'hésite pas à la renouveler aujourd'hui.
Dans mon opinion, il y a beaucoup mieux à faire, même au point de vue des intérêts du commerce et de l'industrie, dont on se montre si préoccupé : c'est d'améliorer le service postal ; et c'est ce que les industriels et les commerçants ont parfaitement compris ; c'est ce qu'ils ont ouvertement reconnu et déclaré.
Comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Lambert, de nombreuses améliorations ont été introduites depuis quelque temps dans le service des postes ; mais tout n'est pas fait, il s'en faut ; et il reste encore bien des progrès à réaliser.
Si nous avions des ressources suffisantes, nous devrions consacrer dès à présent 500,000 à 600,000 fr. à l'amélioration du service postal. Ce ne sont pas les projets qui manquent pour utiliser pareille somme ; toutes ces questions sont parfaitement étudiées au département des travaux publics ; et il ne nous faut que des ressources pour réaliser de nouvelles améliorations.
Or, quelle est la proposition que l'on fait à la Chambre ? C'est de supprimer les ressources.
Chaque jour, ici, a son thème.
Hier, c'était celui des dépenses : on ne pouvait trop en demander ; aujourd'hui, on veut la réduction des recettes. Il faudrait au moins se mettre d'accord. Car, comment entendrait-on que, d'une part, on augmentât les dépenses, et que, d'autre part, on réduisît en même temps les recettes ? A moins, cependant, que l'on ne veuille remplacer les ressources dont on se serait privé par des recettes d'une autre nature. La Chambre voudrait-elle, par hasard, créer de nouveaux impôts ?
M. Coomans. - Non ! non ! Il y en assez. Il faut faire des économies.
MfFOµ. – Oui ! M. Coomans, vous avez, vous, le thème du troisième jour.
M. Coomans. - Le thème de tous les jours.
MfFOµ. - Le moment de nous faire entendre le thème du troisième jour n'est pas encore venu. Quand la Chambre aura à voler les budgets des dépenses, vous ne vous ferez pas faute de venir réclamer des économies. (Interruption.) Mais il y a bien longtemps qu'on prêche le système des économies : il serait temps de quitter les sphères de la théorie et de descendre dans les régions plus matérielles des faits, c'est-à-dire qu'il faudrait formuler enfin des propositions précises, sur lesquelles la Chambre puisse au moins délibérer d'une manière sérieuse.
Un budget des dépenses, celui des finances, a déjà été voté ; or, personne n'a songé à y demander des réductions ; l'honorable M. Coomans lui-même n'a pas appliqué là son thème.
M. Coomans. - Il y a d'autres budgets encore à voter.
MfFOµ. - On ne songe qu'à supprimer nos ressources, nos ressources les plus importantes, celles qui doivent nous permettre de faire nos dépenses les plus indispensables. (Interruption.) Le but que vous poursuivez, nous le connaissons ! Mais, ne vous y trompez pas : ni la Chambre, ni le pays, ne sont disposés à vous suivre où vous voulez aller ; la Chambre ni le pays ne consentiront jamais à sacrifier à des prétendues économies des services publics qui ont pour objet notre indépendance et notre nationalité.
L'honorable rapporteur du budget des voies et moyens a lui-même reconnu que le moment n'était pas venu de proposer une réduction de la recette postale ; mais il croit qu'il est possible d'introduire dès maintenant une modification au régime actuel : c'est d'étendre le rayon de 30 kilomètres, de le porter à 40 ou à 50 kilomètres, lorsque l'on aura constaté un excédant de recettes qui permettra d'opérer une réduction.
Je réponds d'abord à l'honorable membre que, du moment où il est constaté qu'il y a des dépenses importantes à faire pour améliorer le service postal, il faudrait s'arrêter même devant la proposition qu'il formule, puisqu'elle serait de nature à supprimer une partie des recettes nécessaires pour réaliser ces améliorations.
Je dis, en outre, que l'honorable membre se fait complètement illusion ur la portée du système qu'il préconise.
Dans l'état actuel des choses, en fait, les relations les plus importantes, celles qui se font entre les localités qui donnent la presque totalité du produit des postes, sont soumises à la taxe de 20 centimes ; les relations entre les petites localités et les grands centres se font à la taxe de 10 centimes ; or, si vous étendez successivement le rayon de 30 kilomètres à 40, à 50 kilomètres et au delà, il arrivera que des localités très importantes, donnant aujourd'hui la presque totalité du produit des postes, tomberont tout d'un coup dans la zone où la taxe ne sera plus que de 10'centimes, et qu'ainsi l'on se trouvera en présence, non pas d'une petite réduction, mais d'un déficit énorme dans les recettes. C'est là, messieurs, ce qui rend absolument impraticable le système défendu par l'honorable M. Dewandre.
L'honorable membre a dit encore qu'on ne ferait qu'appliquer à la taxe postale le système qui a été appliqué à la tarification des transports par chemin de fer. L'honorable membre est dans l'erreur : pour le chemin de fer, les réductions de tarif ont été appliquées proportionnellement aux distances ; il y a là des réductions calculées de telle façon qu'on ouvre de nouveaux débouchés que l'on ne pouvait atteindre sans cette réduction.
(page 52) Il n'en est pas ainsi pour les lettres, parce que la taxe de 20 centimes n'est pas un obstacle à ce qu'elles circulent dans toute l’étendue du pays. En effet, l'honorable rapporteur a reconnu lui-même que la progression pour les lettres à 20 centimes n'a guère été moindre que la progression pour les lettres à 10 centimes. Je suis donc parfaitement autorisé à dire que la taxe à 20 centimes n'est pas un obstacle aux relations ; il n'y a pas de nouveaux marchés à conquérir de ce chef, tandis qu'en réduisant les tarifs du chemin de fer, on avait ce but important à poursuivre, et ce but au moins a été atteint ; nous avons ouvert des relations avec des marchés auxquels nous n'avions point accès sous le régime des tarifs antérieurs.
Sans doute, une taxe uniforme pour le transport des lettres est en soi une chose excellente. Si c'est là ce que l'on veut soutenir, rien de mieux, car personne n'y contredira. Il est en effet incontestablement plus agréable, plus simple et plus économique, de n'avoir qu'une seule taxe à 10 centimes, que d'en avoir deux, l'une à 10 cent, et l'autre à 20.
Mais la question n'est pas là tout entière. Il faut la considérer sous toutes ses faces, et quand on l'examine sous le rapport financier, il s'agit de savoir tout d'abord si la taxe est restrictive des relations, si elle est un obstacle au développement de la correspondance, et si vous pouvez obtenir un accroissement notable de la correspondance en diminuant la taxe. Or, nous avons démontré qu'il n'en serait pas ainsi. On s'est fait à cet égard de très grandes illusions dans tous les pays, en Angleterre comme chez nous, et la progression des lettres n'a nullement été dans le rapport qui avait été espéré et qui avait été indiqué. Je bornerai là pour le moment les objections que j'ai cru devoir opposer à la demande de l'honorable rapporteur.
Messieurs, d'autres objets ont été traités par un honorable membre ; il s'agit encore de réductions de taxes.
Si j'ai bien compris l'honorable M. Lelièvre, il a demandé que le droit perçu sur les actes d'échange fût réduit, parce que ce droit est, selon lui, un obstacle au groupement des petites parcelles, qui est excessivement favorable au point de vue agricole.
Messieurs, je crois qu'il y a ici une erreur. Le droit dû pour les échanges, que l'on paraît croire trop élevé, est, en réalité, fort minime. Ce droit, l'échange se faisant pour l'égal avantage des deux parties, se partage naturellement entre elles, et ne représente pour chacune que 0.96 fr. par 100 francs de valeur vénale. Réellement on ne peut pas prétendre qu'un pareil droit soit un obstacle aux échanges, et si les échanges ne se font pas en plus grand nombre, c'est par une toute autre cause ; c'est parce que les échanges sont sollicités, non par un intérêt commun à ceux qui veulent les réaliser, mais par l'intérêt exclusif d'une des deux parties en cause, qui voit un avantage à conquérir par l'échange, tandis que l'autre n'y trouve pas d'intérêt. L'échange trouve donc un obstacle, en ce que les intérêts des deux parties ne concordent pas. C'est la seule cause qui explique qu'il n'y a pas plus d'échanges ; mais cette situation ne peut être imputée à l'élévation du droit, qui est, en réalité, fort modique.
On a cru en France, comme ici, que ce droit était de nature à empêcher la réalisation d'actes utiles, et par une loi de 1824, le droit sur les échanges a été abaissé. Qu'en est-il résulté ? Une fraude considérable du droit de mutation. Elle a été de telle nature, qu'en 1834, on a dû abolir la loi de 1824. Je crois que nous aurions ici les mêmes effets. On chercherait, à l'aide de prétendus échanges, à se soustraire au droit de mutation. C'est le seul résultat probable et pratique que puisse comporter la mesure qui est sollicitée.
M. Delaetµ. - Messieurs, l'auteur de la réforme postale en Angleterre, Rowland-Hill, aurait été, je crois, fort à plaindre, s'il avait dû lutter toute sa vie avec des hommes aussi habiles et aussi ardemment conservateurs des vieilles coutumes fiscales que l'est l'honorable ministre des finances. Rowland-Hill a passé bien des années à plaider cet argument : « Abaissez la taxe des lettres, non seulement vous augmenterez les relations, mais vous augmenterez eu même temps les revenus de la poste. »
Le raisonnement, paraissant plus ou moins paradoxal, car la vérité est toujours paradoxale quand elle est nouvelle, a rencontré beaucoup d'opposition. Seulement les hommes d'Etat anglais n'ont pas mis à leurs refus la persistance qu'y apporte aujourd'hui l'honorable M. Frère.
Leurs arguments pourtant étaient les mêmes. Ils disaient : Mais la taxe actuelle n'est pas une taxe vexatoire ; elle n'est pas trop élevée ; c'est, à tout prendre, la simple et équitable rémunération d'un service rendu, rien de plus.
La réforme pourtant s'est faite. Le penny-postage a été introduit, et certainement le lord trésorier d'Angleterre n'a pas aujourd'hui à se plaindre de ce qu'il a été cédé aux instances de Rowland-Hill.
MfFOµ. - Vous vous trompez très fort.
M. Delaetµ. - En quoi ? Mais à nos demandes de réformes, que répond M. le ministre des finances ? Comme toujours : Tout est pour le mieux dans la meilleure des Belgiques possibles ; il est évident que notre système postal est un modèle et que même le système postal d'Angleterre n'en approche pas. Les Anglais ont à venir prendre chez nous des leçons pour la prompte expédition des lettres.
Messieurs, je n'ai pas en ce moment sous la main les chiffres qu'il me faudrait pour discuter en détail cette question avec M. le ministre des finances. Mais ce que je puis lui dire, c'est qu'il y a eu récemment quelques réformes postales, non pas des réformes de tarifs, mais des réformes dans le mode de distribution, et qu'il en est résulté que, dans la province d'Anvers, des villages éloignés de trois à quatre lieues du chef-lieu, qui recevaient dans la soirée même leur correspondance mise à la poste à trois heures de relevée, ne la reçoivent plus aujourd'hui que le lendemain à midi. Voilà ce que nous avons gagné à cette réforme. Je citerai entre autres les communes d'Oost et de Westmalle.
Dans un pays où la poste est une poste modèle, on ne devrait pas faire de ces réformes amenant à ces résultats-là.
Dans le Limbourg, des villages situés à une lieue du chemin de fer ne peuvent correspondre avec Anvers, et j'en ai la preuve personnelle qu'au bout de trois jours. Quand on écrit d'Anvers le 1er, on a la réponse de ces villages le 4. Or, je le répète, ces villages ne sont éloignés du chemin de fer que d’une lieue.
Je cite ces faits pour répondre aux éloges par trop empreints d'amour-propre national que M. le ministre des finances vient de faire de notre système postal.
Mais, nous dit M. le ministre, à qui profitera votre réforme postale ? A quelques grands centres, à quelques grands négociants, à quelques grands industriels, et pour le reste elle ne profitera à personne.
Messieurs, la même objection a été faite par l'honorable M. Frère à l'abolition du droit de barrières, et évidemment là aussi, surtout dans les provinces wallonnes, certains grands industriels, certains grands négociants devaient profiler de l'abolition de la taxe, beaucoup plus largement que n'en profitera l'agriculture dans les provinces flamandes. Cependant M. le ministre, après avoir fait longtemps et très longtemps opposition de l'abolition des barrières, est venu nous l'apporter tout à coup comme cadeau de joyeux avènement.
Et notez bien que là, ce qui nous séparait de M. le ministre des finances était une question de revenu absolu, une suppression d'impôt, et non pas de transformation par abaissement.
Nous soutenons aujourd'hui que l'abaissement de la taxe postale augmentera la correspondance et par conséquent la recette des postes, et bien plus encore les recettes indirectes qui résultent de tout accroissement d'affaires, tandis que l'abolition des barrières a été le sacrifice pur et simple d'un revenu assez considérable. Pourtant, dans une circonstance donnée, l'honorable M. Frère, quelle que soit d'ailleurs la ténacité avec laquelle il tient à son opinion, n'a pas hésité à la sacrifier. Je ne lui en fais pas un reproche, bien au contraire, et je me plais à croire que, pour se faire le partisan décidé de l'abolition des barrières, il n'a pas eu besoin d'attendre un nouveau règne.
J'ai tout à l'heure, messieurs, interrompant l'honorable ministre, demandé pourquoi le service télégraphique était soumis à un autre régime que le service des lettres. J'avais déjà eu l'honneur de faire remarquer (et les explications données à cet égard par M. le ministre des finances ne me paraissent pas satisfaisantes) de faire remarquer, dis-je, que pour le chemin de fer un système diamétralement opposé à celui des postes avait été adopté, M. le ministre nous a dit que l'on s'ouvrait par là de nouveaux débouchés commerciaux. Cela est-il bien certain ? Je sais que le commerce étranger était favorisé, antérieurement à cette réforme, par les traités internationaux. Je sais que Rotterdam amenait aux marchés de Liège et de Verviers des marchandises a un prix inférieur à celui qui était imposé au commerce d'Anvers ; mais aujourd'hui les choses, à cet égard, n'ont pas changé beaucoup, puisque l'étranger profite de la diminution des taxes. Mais ce qu'il y a de plus singulier dans le système adopté par le gouvernement, c'est que, transportée à une longue distance, la marchandise coûte en dépense au chemin de fer, tandis que transportée à la même distance, la lettre en dépense ne coûte rien de plus qu'à une distance bien moins considérable. Dans les deux cas, elle va d'un bureau de poste à un autre ; et que ces bureaux soient éloignés l'un de l'autre de 20 lieues ou de 5 lieues, il y a la (page 53) même dépense, si vous faites le transport par votre propre chemin de fer.
On nous parle d'augmenter les dépenses ; je vous ai signalé une réforme du ministère des travaux publics qui, certes, n'est pas en faveur de la correspondance ; j'ai cité quelques villages de la province d'Anvers qui sont aujourd'hui beaucoup plus mal desservis qu'ils ne l'étaient avant la réforme ; si cette réforme-là a donné lieu à des dépenses, je le regrette d'autant plus que cette dépense en a sans doute empêché ou du moins retardé une autre que je crois être de toute équité, et que j'eusse désiré voir faire depuis longtemps.
La réforme postale a eu pour conséquence de surcharger de besogne les facteurs urbains et ruraux, qui n'ont pas vu augmenter leur rémunération dans la même proportion.
Je ferai observer à M. le ministre des travaux publics que parmi les fonctionnaires et employés de son département, il n'en est guère qui aient plus de besogne, plus de responsabilité et qui soient moins payés que les facteurs.
Je crois, messieurs, pour me résumer, qu'il n'y a aucun danger à introduire la réforme proposée par l'honorable rapporteur de la section centrale, et pour ma part, j'y donnerai tout mon appui.
M. Coomans. - Messieurs, parmi les arguments sur lesquels l'honorable ministre a insisté pour nous refuser une réduction de la taxe postale, il en est un que je crois devoir relever, parce que, s'il était fondé, il serait la condamnation absolue de la réforme que nous avons introduite il y a dix-huit ans. A en croire l'honorable ministre, la réduction à 10 et à 20 centimes, a profité aux grands marchands, aux grands industriels, qui y ont gagné jusqu'à 500, 1,000, 2,000 et 5,000 francs par an. Messieurs, si cela était vrai, je me repentirais fort de m'être associé à la réforme et je crois que tel serait le sentiment de la grande majorité de cette assemblée, sans distinction d'opinions politiques ; car il ne peut entrer dans la pensée d'aucun de nous de favoriser ce qu'on appelle les gros bonnets.
Je dis que cette réforme, en présence des impôts vexatoire et odieux que nous maintenons, serait injustifiable si réellement elle ne profitait qu'à de grands négociants et à de grands industriels. Mais, heureusement, il n'en est rien ; le profit fait par les grands commerçants et les grands industriels, qui ont beaucoup de correspondances à expédier, n'est qu'apparent ; après tout, la taxe postale est un impôt et la réduction de cet impôt n'a pas plus profité à ceux qui le payent que ne profiteraient aux brasseurs, par exemple, la réduction ou la suppression de l'accise sur la bière.
Les grands négociants et les industriels dont il s'agit ont eu soin, avant la réforme postale, de faire payer le port des lettres par les personnes à qui ils les adressaient, soit directement en s'abstenant d'affranchir, ou en portant le port en compte, soit indirectement, en augmentant d'autant le prix de la marchandise. Cela me paraît élémentaire et on ne peut le contester sans renier tous les principes de l'économie politique.
Pour ma part, j'ai vu beaucoup de comptes où figuraient les ports de lettres. Le bon sens dit d'ailleurs que le négociant fait payer par l'acheteur tous les frais qu'il supporte, soit qu'ils résultent de l'impôt, soit qu'ils résultent de la production.
Messieurs, l'argument de l'honorable ministre est dangereux parce qu'il tend à ajourner à tout jamais une réduction de la taxe et à condamner la réforme que nous avons votée. Quant à moi, je serais désolé si l'on me démontrait que cet argument est fondé.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable préopinant vient un peu tard pour réfuter l'argument que j'ai présenté ; il y a bien longtemps déjà que je l'ai fait valoir. En effet, c'est en 1858 que je l'ai produit, en l'appuyant de faits qui n'ont pu être contredits. Sans doute, la question de savoir qui paye, en définitive, l'impôt, quelle qu'en soit d'ailleurs la nature, est une question très difficile à résoudre, et elle restera toujours très problématique. Mais la vérité, que j'ai pu établir par des faits irrécusables, c'est que, pour certains négociants, pour certains industriels, le bénéfice de la réduction de la taxe serait dans les proportions que j'ai indiquées, bien entendu sans pouvoir et sans prétendre prédire les effets ultérieurs de la réduction. J'ai cité des maisons que je connais parfaitement.
M. Coomans. - Les journalistes n'ont pas gagné un sou par la suppression du timbre des journaux ; c'est le public seul qui eu a profité.
MfFOµ. - Vous voulez établir une comparaison impossible entre deux ordres de faits qui n'ont aucune connexité. Après l'abolition du timbre des journaux, la concurrence s'est établie, et chacun a voulu attirer à soi le plus grand nombre de chalands ; dès lors, c'est le consommateur qui, dans cette hypothèse et selon toute vraisemblance, a dû profiter de la suppression du droit.
Mais cela n'a pas la moindre analogie avec le cas que je vous cite. Vous ne sauriez pas démontrer que le producteur de houille, le fabricant de fer, le vendeur de sucre ou de café, seraient en position de faire passer la réduction de la taxe dans le prix de la marchandise.
M. Coomans. - Si.
M. Bouvierµ. - On vous attend à la démonstration.
MfFOµ. - Vous démontrerez que le prix du fer, du café ou du sucre diminuerait en proportion de la réduction de la taxe des lettres ?
Eh bien, lorsque vous aurez fait cette démonstration, et que vous l'aurez faite claire et péremptoire devant la Chambre, je me déclarerai satisfait. Mais jusque-là, je maintiens mon assertion, et pour moi la question restera toujours douteuse.
Ce qui apparaît avec un caractère de vérité, c'est que celui qui fait l'avance de la taxe est exposé à devoir la subir ; et si cela n'était pas vrai, je ne comprendrais rien aux demandes de modifications d'impôts que vous faites, car, dans votre système, il est indifférent de savoir qui fait l'avance de l'impôt, parce qu'en définitive celui qui fait l'avance la fait passer à un autre.
M. Coomans. - Il y a toujours quelqu'un qui paye et ce quelqu'un est tout le monde.
MfFOµ. - Il est fort aisé d'affirmer de pareilles théories ; il le serait beaucoup moins d'en démontrer le fondement. Quoi que vous prétendiez, il est évident que l'on ne connaît pas d'une manière certaine celui qui, en définitive, supporte la charge de l'impôt. C'est là un des problèmes les plus ardus de l'économie politique. Quant à celui qui fait l'avance, au contraire, il n'y a aucune difficulté. Qu'il cherche à récupérer cette avance, c'est indubitable ; qu'il fasse tous ses efforts pour faire passer l'impôt à la charge d'autrui, c'est évident ; mais il ne le peut que dans une certaine mesure ; il y a des obstacles ; il y a la concurrence, qui peut faire que tel impôt reste à la charge des producteurs, tandis que tel autre tombe à la charge des consommateurs.
J'ai donc pu énoncer l'objection que j'ai faite à l'honorable M. Coomans, et dans le cas qui nous occupe elle reste dans toute sa force.
M. Coomans. - L'honorable M. Frère pense que si les impôts sont payés par tout le monde, si, selon ma thèse, ils finissent par se répartir entre tous, les questions de suppression ou de diminution d'impôts sont très insignifiantes. II n'en est rien. L'impôt est payé par tout le monde : il finit, au bout d'un certain temps, par se répartir très exactement entre tous les citoyens, même entre les catégories qui semblent tout à fait étrangères au travail et aux fortunes que cet impôt frappe. J'appelle l'attention de l'esprit supérieur de l'honorable ministre sur ce point-ci :
Si l'honorable ministre avait raison, s'il était vrai que l'impôt, que les impôts spéciaux surtout ne finissent pas par se répartir entre tous les citoyens, s'il était vrai que chaque impôt est payé par une catégorie de citoyens, ce serait la condamnation la plus absolue de notre système d'impositions qui est très compliqué, ce serait la justification pleine et entière de la thèse de l'impôt unique. (Interruption.)
Oui, je suis partisan de l'impôt unique ; je crois qu'il finirait par frapper également tous les citoyens, pourvu qu'il atteignit un objet de consommation générale. La thèse de la spécialisation des impôts expliquée comme l'explique l'honorable ministre, conduit à l'iniquité. C'est une trés grande erreur de croire que la taxe des lettres ne soit payée que par ceux qui écrivent ou reçoivent des lettres ; elle est payée par tout le monde.
MfFOµ. - Vous n'avez pas compris mon objection.
M. Coomans. - Le pauvre diable qui boit un quart d'once de café par jour, paye sa taxe, attendu que le boutiquier qui a payé le café a payé cette taxe. De même, il serait fâcheux et erroné de croire que la taxe sur la terre ne frappe que les agriculteurs ; l'impôt foncier frappe tout le monde. Cela est si vrai que si l'impôt foncier était notre unique impôt, ce que je ne voudrais pas, parce que la base n'est pas assez juste, tous les Belges, même ceux qui n'ont pas de propriétés foncières, payeraient approximativement leur part dans l'impôt foncier.
Ces questions sont ardues, graves, discutables, je le sais, puisqu'elles sont discutées depuis des siècles sans être encore unanimement résolues. Je ne veux pas y entrer davantage ; mais je maintiens qu'il est faux que la taxe des lettres ne frappe que la partie du public qui écrit des lettres.
54
MfFOµ. - Personne ne dit cela et vous n'avez pas à le réfuter.
M. Coomans. - Mais alors pourquoi affirmez-vous que ce sont les grands négociants qui ont gagné 2,000 ou 3,000 fr. à la suppression de la taxe. Cela a pu avoir lieu peut-être la première année, avant que la répartition fût accomplie.
MfFOµ. - Si vous me le permettez, je vais tacher de me faire comprendre, car vous me répondez à côté de ce que j'ai dit.
M. Coomans. - Volontiers.
MfFOµ. – J’ai dit que je suis certain d’une chose : c’est que celui à qui on demande l’impôt le paye. Je suis également certain qu’il fait de grands efforts pour le transporter sur autrui, mais ce que j’ignore, ce que nul ne peut savoir, c’est la manière dont se faire la sous-répartition.
Cela dépend de mille circonstances, de la nature des industries, des temps, de l'état du marché, de la concurrence, en un mot de causes aussi nombreuses que variées. C'est précisément l'action insaisissable de ces causes différentes qui fait que l'impôt tombe tantôt à la charge du consommateur, et reste tantôt à la charge du producteur, ou de celui qui en a fait l'avance.
M. Coomans. - Messieurs, ainsi que le dit l'honorable ministre des finances, il va de soi que le payeur de l'impôt cherche à le répartir entre les citoyens qu'il sert ; mais ce qui est certain aussi, c'est que les efforts qu'il fait dans ce but réussissent et doivent réussir, parce qu'ils sont dans la force des choses et, si ses efforts ne réussissaient pas, l'impôt serait injuste, parce qu'il serait exceptionnel, spécial et plus fort qu'il ne doit l'être au point de vue de la justice distributive.
De quel droit frapperiez-vous d'une taxe le marchand de sel par exemple, qui rend autant de services aux consommateurs que beaucoup d'autres marchands, si cette taxe n'était pas justement répartie par les marchands de sel, entre tous leurs clients ?
Ceci est élémentaire en économie politique. Du reste mon but principal est d'affirmer que j'ai été de ceux qui, en opérant la réforme postale, ont agi avec le désir de favoriser tous les Belges et plus particulièrement les petits et les faibles que les grands, les forts et les riches et je crois que tel a été, en résumé, le résultat de cette expérience.
- La discussion générale est close.
M. de Maere, dont les pouvoirs ont été validés dans une précédente séance, prête serment.
La Chambre passe a la discussion des articles.
« Principal : fr. 15,944,527. »
-Adopté.
« 3 centimes additionnels ordinaires : fr. 478,335. »
- Adopté.
« 2 centimes additionnels pour non-valeurs : fr. 318,890. »
- Adopté.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,594,452. »
- Adopté.
« 3 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 550,086. »
- Adopté.
« Principal : fr. 10,320,000
- Adopté.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,032,000. »
- Adopté.
« Frais d'expertise : fr. 48,000. »
- Adopté.
« Principal : fr. 4,080,000. »
- Adopté.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 408,000. »
- Adopté.
« Droit de débit des boissons alcooliques : fr. 1,450,000. »
M. Dumortier. - Je crois que le moment est venu de demander la suppression du droit de débit sur les boissons. Ce droit de débit, vous le savez, constitue un impôt d'exception qui frappe sur une seule catégorie de citoyens. Or, d'après nos principes constitutionnels, l'impôt doit être égal pour tous, il doit frapper sur tous les citoyens. Lorsque le débitant de boissons a paye sa patente de débitant de boissons, il a satisfait à la loi commune ; il se trouve dans les mêmes conditions que tous les industriels, que tous les débitants de quelque marchandise que ce soit. Pourquoi donc lui imposer encore par dessus le marché un impôt d'exception pour lui ?
Si vous généralisiez ce principe, vous pourriez établir des droits sur le débit de tous les produits, vous pourriez taxer de ce chef aussi le boulanger, le marchand d'étoffes, etc. Cela ne peut être. Pourquoi le droit que je critique a-t-il été établi en 1836 ? Il l'a été parce qu'après avoir transformé l'impôt sur les distilleries en un impôt établi sur les cuves-matières, on a pensé qu'il n'était pas possible de porter le taux du droit au delà d'un chiffre modique sans exposer gravement le trésor. Alors on a voulu trouver une ressource qui manquait dans les circonstances ou nous nous trouvions (nous étions alors en guerre avec la Hollande), on a voulu trouver une compensation au déficit de cet impôt dans le droit de débit.
Une seconde considération s'est présentée ; on a dit ensuite : L'ivrognerie prend de grandes proportions en Belgique ; le débit des liqueurs distillées s'accroît considérablement, nous allons établir un droit pour restreindre le nombre des établissements qui en débitent. Eh bien, les raisons sur lesquelles on s'appuyait pour établir cet impôt n'étaient pas fondées. La preuve que l'impôt pouvait être augmenté, c'est qu'il l'a été d'une manière considérable, la preuve que l'impôt n'a pas empêché l’établissement de débits de boissons, c'est ce que ces débits se sont multipliés. La morale est donc complètement désintéressée et le trésor aussi au maintien de ce droit. Il ne se justifie donc pas, et il y a des raisons de le supprimer.
Lorsque la loi a été présentée en 1836, M. de Theux était alors chef du cabinet et M. d'Huart ministre des finances. Le cabinet est venu déclarer que si l'impôt pouvait être considéré comme impôt direct, le gouvernement retirerait immédiatement la loi. La Chambre n'a pas voulu que l'impôt fût considéré comme direct et elle a voté un amendement portant que ce droit ne comptait pas dans le cens électoral. Mais lors de la révision de 1848, cet impôt a compté dans le cens électoral. Depuis lors on prétend que c'est un impôt électoral. Pour mon compte, je crois qu'il ne l'est pas. Mais enfin il y a un arrêt de la cour de cassation qui en décide autrement.
Eh bien, je le demande, cette situation ne crée-t-elle pas des dangers ? Qu'arrive-t-il ? C'est qu'à l'aide de cet impôt vous fabriquez des électeurs par catégorie et vous n'avez pas ce droit.
Le droit électoral appartient à tous les citoyens proportionnellement aux impôts généraux du pays ; établir un droit pour créer une catégorie d'électeurs est une chose détestable qui n'est pas tolérable dans un gouvernement constitutionnel. Vous n'avez pas le droit de créer des électeurs par catégorie. Une autre considération contre le maintien de ce droit, c'est qu'il porte à la fraude. Aujourd'hui toute personne qui achète une bouteille de genièvre et deux petits verres et qui met sur sa porte une enseigne, possède le droit électoral.
Qu'arrive-t-il ? C'est que nous avons été grandement surpris de voir dans une foule de communes la masse énorme de faux électeurs qu'on avait faits par ce moyen ; et je me rappelle que, l'an dernier, M. le ministre des finances lui-même disait que le cabaret était un mauvais élément électoral. Si ce ne sont pas ses expressions, c'est du moins sa pensée.
Et effectivement, messieurs, vous arrivez ainsi à prendre comme élément dominant dans le corps électoral, celui qui, selon l'honorable M. Devaux, selon l'honorable M. Dolez, que je regrette de ne pas voir dans cette enceinte, offre le moins de garanties de moralité. Je parle naturellement en thèse générale, sans exclure les exceptions qui peuvent exister.
Voilà, messieurs, l'élément que vous introduisez dans le corps électoral, et cela par voie d'exception. Or, c'est là une chose vraiment fabuleuse, et n'eussé-je que ce motif, il me suffirait pour demander la suppression de cet impôt, car il ne faut pas que le corps électoral soit vicié par un mauvais élément qu'on crée précisément par une loi d'exception.
J'ajoute que cet impôt porte généralement sur une catégorie de petits citoyens qui sont dignes de tous nos égards quand il s'agit de les sublever d'un impôt.
Pour moi, et je ne m'en cache pas, j'ai deux motifs principaux pour justifier mon opinion : je ne veux pas que l'on fasse de faux électeurs et je ne veux pas qu'on fasse payer par les petits des impôts dont les gros sont affranchis.
(page 55) Quand j'ai combattu la loi de 1836, il ne s'agissait pas de fraudes électorales et cependant je l'ai combattue parce que cette loi, à mes yeux, était injuste, parce que c'était une loi d'exception et que je combattrai toujours toutes les mesures d'exception contre certaines classes de citoyens.
En principe donc, cette loi est injuste, et en fait il est scandaleux de faire de faux électeurs, d'inaugurer en grand les fraudes électorales. N'a-t-on pas vu, dans certaines communes, fabriquer 50, 60, 100 faux électeurs au moyen de déclarations de débit de boissons distillées ? Eh bien, je dis que de pareils faits ne devraient pas être tolérés dans un pays comme la Belgique, car ils conduiraient inévitablement et fatalement le pays à demander ce qu'il ne devrait jamais désirer, c'est-à-dire une réforme profonde de nos institutions conservatrices communales, provinciales et même générales.
Le meilleur de tous les moyens de s'opposer à un pareil résultat, c'est purement et simplement de supprimer l'impôt dont il s'agit. En le supprimant vous aurez fait acte de justice vis-à-vis des petits citoyens ; et en même temps vis-à-vis du corps électoral tout entier.
J'espère que la Chambre comprendra qu'il est temps d'arriver à la suppression de cet impôt et qu'elle se déterminera à prendre cette mesure par les motifs que je viens d'indiquer au double point de vue de la moralité qui condamne la fabrication de faux électeurs et de la justice qui s’oppose formellement à toute loi d'exception.
M. Vleminckxµ. - J'appartenais, au sein de la section centrale, où s'est produite la proposition que vient de faire l'honorable M. Dumortier, à la majorité qui n'a pas voulu de la suppression de l'impôt sur les boissons distillées ; mais je tiens à déclarer tout de suite qu'aucune préoccupation politique ne m'a guidé dans mon opposition.
Il m'importe fort peu que l'impôt sur les débits de ces boissons compte ou ne compte pas pour l'établissement du cens électoral. Il a été établi au sein de la section centrale, et cela sans contradiction aucune, que dans l'un et l'autre parti qui divisent le pays, on se sert de cet impôt pour créer des électeurs.
M. Dumortier. - On a tort des deux côtés, s'il en est ainsi.
M. Vleminckxµ. - Sous ce rapport, il y a équilibre parfait et par conséquent, toute préoccupation politique doit disparaître de ce débat.
Mais, messieurs, d'autres considérations m'ont guidé dans mon vote. Pour moi, ce n'est pas la diminution du droit de débit sur les boissons distillées qu'il faut demander ; c'est, au contraire, une augmentation considérable de ce droit.
Je vais vous en dire la raison : Je considère que ces débits sont de véritables agents provocateurs de désordres ; plus il y aura de débits de ce genre, plus il y aura d'abus et de malheurs. Il faut donc en supprimer le plus possible.
Messieurs, je ne crois pas avoir besoin de vous dire ici, nous ne sommes pas une académie, quel est l'effet de l'abus des boissons spiritueuses sur l'organisation de l'homme. Mais permettez-moi d'invoquer un fail que tout le monde a pu constater.
. Nous venons de traverser une affreuse épidémie, et savez-vous quelles ont été les premières et les plus nombreuses victimes de cette épidémie ? Ce sont les buveurs. Je connais une grande ville dans laquelle il était en quelque sorte admis que le moyen prophylactique par excellence du choléra consistait dans l'emploi de boissons spiritueuses ; eh bien, il est arrivé qu'un nombre considérable de malades qui auraient eu recours à ce moyen sont venus mourir dans nos hôpitaux.
Loin donc de demander, comme l'honorable M. Dumortier, l'abolition de l'impôt sur les débits de boissons alcooliques, je réclamerais plutôt avec force qu'il fût considérablement augmenté ; je le demanderais au nom des lois de l'hygiène, dont les prescriptions ne sont jamais impunément méconnues ; je le demanderais au nom des lois sacrées de la morale ; je le demanderais enfin dans l'intérêt de la paix des familles ; vous savez en effet comme moi, messieurs, ce que devient le foyer domestique, lorsque le chef se livre à des abus de boissons.
Il est d'ailleurs évident, et ici j'espère bien avoir l'appui de mes honorables amis qui s'occupent plus spécialement d'économie politique, il est évident, dis-je, que non pas précisément l'abus mais seulement l'usage quelque peu immodéré des boissons spiritueuses amène une grande déperdition de forces qui a pour conséquence inévitable une diminution considérable de la puissance productive et par conséquent de la richesse publique.
Je supplie donc l'honorable ministre des finances, lorsqu'il révisera la loi sur les patentes, de bien vouloir peser les considérations que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre.
M. de Theuxµ. - La conclusion naturelle du discours de l'honorable M. Vleminckx devrait être qu'il ne faut plus compter l'impôt sur les boissons distillées pour le cens électoral. Cela est de toute évidence ; car aussi longtemps que cet impôt comptera pour le cens électoral, vous pouvez être certains que le nombre des débitants de boissons distillées ira croissant.
L'honorable membre dit qu'il n'y a pas de spécialité dans la création de ce genre d'électeurs, que cela se pratique, dans tous les partis. Eh bien, messieurs, c'est là un motif de plus de ne pas tolérer plus longtemps une infraction manifeste à la Constitution et aux lois électorales ; c'est un motif de plus pour que l'impôt payé du chef du débit des boissons distillées ne compte plus dans le cens électoral. Sinon le corps électoral est complètement vicié et, étant vicié, la Chambre l'est également.
Je demanderai s'il est un seul pays au monde où de tels éléments entrent dans la composition du corps électoral. Pour moi, je n'en connais pas.
Quand l'honorable M. d'Huart a proposé cet impôt spécial, il a invoqué les motifs de moralité que vient d'invoquer à son tour l'honorable M. Vleminckx. Il disait : Il faut tendre à réduire le plus possible le nombre des débitants de boissons distillées et la Chambre, après quelque discussion, a admis que cet impôt ne compterait point parmi les impôts donnant le 'cens électoral ; l'honorable M. d'Huart déclarait que si l'on admettait cet impôt comme cens électoral, les débits de boissons distillées seraient bientôt tellement considérables qu'au lieu d'atteindre le but moral qu'on poursuit, on le manquerait complètement. C'est ce qui arrive.
J'ai entendu citer le nom d'une commune, dans laquelle, en vue des élections communales, on avait créé des débitants de boissons en telle quantité, que les électeurs de cette catégorie étaient plus nombreux que tous les autres.
Il est évident qu'il y a là un danger très grand pour les élections communales, provinciales et générales ; je dis plus : il y a là une véritable inconstitutionnalité.
En effet, le Congrès n'a pu s'imaginer que le corps électoral se composerait en très grande partie de débitants de boissons distillées. Que l'on tienne compte de la patente qu'ils payent comme cabaretiers, je le comprends ; mais y ajouter une patente spéciale, créer un droit électoral spécial du chef du débit de boissons distillées, c'est ouvrir la porte à des fraudes intolérables.
Que l'on indique un moyen positif d'empêcher la fabrication de faux électeurs au moyen de ce droit sur le débit de boissons distillées, ou qu'on supprime ce droit, ou qu'on décide qu'il ne pourra plus former le cens électoral, il est évident qu'une de ces trois mesures doit être nécessairement adoptée ; sinon, votre corps électoral sera vicié : ce qui ne peut pas être dans un Etat civilisé.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vous a fait, d'après ses souvenirs, l'historique de la loi qui établit un droit sur le débit des boissons distillées ; mais je pense que sa mémoire l'a mal servi et que son récit manque d'exactitude.
L'honorable membre a attribué aux auteurs de la loi un but tout différent de celui qu'ils avaient annoncé.
D'après l'honorable M. Dumortier, la loi aurait été faite pour établir un supplément au droit sur la fabrication des eaux-de-vie. Je ne sache pas qu'il ait jamais été question de cela.
M. Dumortier. - Pardon.
MfFOµ. - Permettez. Lors de la présentation de la loi, on a fait valoir la nécessité de créer des ressources nouvelles, et l'on a allégué que c'était un impôt assez légitime que celui qui frappait le débit des boissons distillées. On a ajouté encore que, dans l'intérêt de l'hygiène et de la moralité, il était bon d'empêcher la multiplication des cabarets ; et l'on a dit qu'à l'aide d'une taxe élevée on parviendrait probablement au but.
M. de Naeyerµ. - On ne l'a pas atteint.
MfFOµ. - Je vais y arriver ; je fais l'historique de la loi.
On disait donc que, par ce moyen, on restreindrait le nombre des cabarets.
Lors de la discussion de la loi, on s'est demandé si l'impôt nouveau que l'on créait compterait dans la formation du cens électoral ; et la Chambre a décidé, avec l'assentiment des deux fractions de l'assemblée et par des raisons qui m'ont toujours paru extrêmement subtiles, que cet (page 56) impôt n'entrerait pas en ligne de compte pour la supputation du cens, parce qu'il ne constituait pas un impôt direct.
J'avoue que je ne suis jamais parvenu à comprendre que cet impôt, qui est exactement de la même nature que la patente, ait pu être considéré comme n'étant pas un impôt direct, tandis que l'on reconnaissait sans conteste ce caractère à la patente.
En 1849, il s'est agi de réviser cette loi : on effet, elle n'avait pas atteint son but, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. de Naeyer ; elle n'avait pas empêché la multiplication des cabarets ; on étant arrivé, à l'aide d'un impôt très élevé à ce résultat, d'avoir une masse énorme de débits clandestins.
Qu'ai-je alors proposé à la Chambre ? J'ai proposé d'appliquer un nouveau tarif au débit des boissons distillées, afin de faire cesser les inconvénients qui avaient été signalés, c'est-à-dire l'existence de nombreux débits clandestins, échappant à l'impôt. Le résultat de la mesure a été très satisfaisant sous ce rapport : aujourd'hui, l'impôt est régulièrement perçu, et il n'y a plus guère de débits clandestins.
M. de Naeyerµ. - Mais le nombre de cabarets a continué d'augmenter.
MfFOµ. - La situation est la même ; je constate seulement, en faisant l'historique de la loi, que le moyen indiqué tout à l'heure par l'honorable M. Vleminckx ne ferait pas atteindre le but que l'on s'est toujours proposé. Ce n'est pas en élevant le droit qu'on restreindrait le nombre des cabarets ; seulement, grâce à cette élévation de droit, nous aurions des débits clandestins qui échapperaient à l'impôt.
En proposant cette modification à la loi, nous avons dit aussi, sans aucune préoccupation politique, quelle était notre opinion sur la nature du droit de débit. Nous avons pensé que l'impôt étant direct, il devait compter dans la formation du cens électoral, conformément à la Constitution. Cette fois, la Chambre l'a décidé ainsi, quoi qu'en dise l'honorable M. Dumortier. (Interruption.)
L'honorable M. Dumortier me dit que la Chambre n'a rien décidé de semblable (nouvelles interruptions) ; la Chambre n'a pas rejeté l'article : elle était en présence d'un projet de loi qui ne reproduisait pas la disposition de la loi de 1838, aux termes de laquelle cet impôt direct était exclu du cens électoral. L'exposé des motifs et le rapport de la section centrale disaient très nettement : « On n'a pas reproduit cette disposition de la loi parce que, dans l'opinion du gouvernement, il s'agit d'un impôt direct qui doit, aux termes de la Constitution, compter dans la formation du cens. » Personne n'a demandé la reproduction de la disposition de la loi de 1838, et l'honorable M. Dumortier a voté lui-même la loi de 1849...
M. Dumortier. - Non ! non !
MfFOµ. - Je crois que vous êtes dans l'errenr.
Bref, la loi a été votée à la presque unanimité de cette Chambre, comme elle l'a été un peu plus tard par le Sénat.
L'honorable M. Dumortier dit que cette loi est une loi d'exception, et que, comme telle, elle doit disparaître. Mais en quoi donc est-ce une loi d'exception ? En quoi le droit de débit est-il un impôt d'exception ? Il ne l'est pas davantage que l'impôt foncier, que l'impôt des patentes, que l'impôt personnel. L'impôt foncier atteint la catégorie de particuliers qui sont propriétaires fonciers ; l'impôt personnel atteint notamment les principaux locataires de maisons ; l'impôt des patentes atteint les personnes qui exercent certaines industries ; eh bien, le droit qui nous occupe atteint les personnes qui débitent des boissons distillées.
C'est exactement la même chose ; je ne puis donc admettre les motifs que l’on invoque pour abroger la loi. Mais, selon l'honorable M. Dumortier, la loi est entachée d'un autre vice. C'est à l'aide de ce droit sur le débit des boissons distillées, dit-il, que l'on parvient à fabriquer de faux électeurs.
Je reconnais qu'il se fabrique de faux électeurs à l'aide de cet impôt ; mais on en fabrique aussi avec les patentes ; des faits très nombreux m'ont été dénoncés....
M. Thonissenµ. - C'est moins facile.
MfFOµ. - Je le veux bien ; mais enfin on en fabrique avec l'impôt sur les patentes, comme on en fabrique avec la loi sur la contribution personnelle. J'en ai des preuves indubitables. Des réclamations m'ont été adressées de ce chef dans diverses circonstances.
Ce ne serait donc pas encore là un motif péremptoire pour faire disparaître la loi.
Mais le grand vice du système censitaire, ainsi que l'a dit l'honorable M. Coomans et comme vient de le dire M. de Theux, c'est que nous avons un corps électoral composé de cabaretiers.
M. de Theuxµ. - Je n’ai pas dit cela.
MfFOµ. - L'honorable M. de Theux a dit que le corps électoral était composé en grande partie de cabaretiers.
M. de Theuxµ. - J'ai dit que nous avions un système électoral dans lequel les cabaretiers exercent une grande influence.
MfFOµ. - Je vous concéderai qu'il serait fâcheux de voir multiplier le nombre des cabaretiers électeurs ; je vous concéderai, si vous voulez, que ce n'est pas un bon élément électoral. Mais il ne faut pas pousser les choses à l'exagération comme vous le faites.
Selon vos assertions, on pourrait supposer que les cabaretiers sont en nombre prépondérant parmi les électeurs. Eh bien, il y a tout au plus 10 à 11 p. c. d'électeurs cabaretiers (interruption). Je parle de ceux qui sont électeurs exclusivement avec le droit résultant du débit de boissons.
- Des membres : Exclusivement !
MfFOµ. - Evidemment. Je ne puis m'occuper des autres, puisqu'ils sont électeurs indépendamment du droit de débit. Ils sont électeurs, parce qu'ils sont propriétaires fonciers, parce qu'ils ont la location d'une maison considérable, parce qu'ils payent le droit de patente. Nous ne pouvons nous occuper que de ceux qui deviennent électeurs exclusivement par le droit de débit de boissons. Ce sont ceux-là que vous feriez disparaître, si l'on supprimait le droit. Or, il ne s'agit pas de 20 p. c. ni de 50 p. c. du corps électoral, comme on l'a dit, mais de 10 à 11 p. c. Vous trouvez ce chiffre trop élevé, je le veux bien ; mais ne l'exagérez pas.
M. Van Wambekeµ. - Pour les élections communales, il va quelquefois jusqu'à 50 p. c.
MfFOµ. - Nous ne nous sommes occupés jusqu'ici de la question qu'au point de vue exclusif des électeurs pour la législature.
M. Dumortier. - Non ! non !
MfFOµ. - C'était pourtant bien là toute la question, lorsque nous nous sommes occupés du point de savoir s'il fallait comprendre le droit de débit dans le cens électoral.
J'ai fait une statistique en ce qui concerne les électeurs pour la législature, parce que les critiques portaient spécialement sur cette catégorie d'électeurs. Mais je n'ai pas de statistique en ce qui concerne les électeurs provinciaux et les électeurs communaux. Si la Chambre veut une statistique à cet égard, elle sera faite.
- Des membres. - Oui ! oui !
M. Thonissenµ. - Nous y tenons beaucoup.
MfFOµ. - Vous aurez donc cette statistique.
M. Coomans. - Avec indication de toutes les communes de Belgique. (Interruption.)
MfFOµ. - Alors je déposerai sur le bureau delà Chambre les rôles de contribution de toutes les communes de la Belgique.
M. Bouvierµ. - Avec les opinions politiques de tous les électeurs, bien entendu. (Interruption.)
MfFOµ. - Je ne trouve donc pas, dans les motifs qui ont été donnés par les honorables membres, des raisons suffisantes pour faire disparaître l'impôt.
L'honorable M. de Theux veut cependant qu'on le supprime ou bien que l'on cherche un remède contre la fabrication des faux électeurs. Nous sommes d'accord que ce dernier point mérite considération. Personne ne peut vouloir que l'on fabrique de faux électeurs, et nous désirons beaucoup qu'on n'en fabrique pas. Je crois qu'on en fabrique généralement plus contre notre opinion que pour notre opinion. (Interruption.) Si vous désirez quelques éléments à cet égard, je pourrai également vous les fournir.
- Des membres. - Oui ! oui !
MfFOµ. - Je suis en position de savoir ce qui se passe sous ce rapport, et je puis vous assurer que je suis assez bien renseigné sur la fabrication des faux électeurs.
Toutefois, je le déclare franchement, je n'accuse pas une seule opinion. Il est évident que, principalement pour les élections communales, dans lesquelles certains intérêts locaux surexcitent vivement les passions, il y a fabrication de faux électeurs dans les deux camps, et que, dans (page 57) certaines communes, comme on l'a dit, cette fabrication a été faite d'une manière scandaleuse. Il y a des communes où tout le monde, à peu près, se trouve être ainsi électeur.
M. Bouvierµ. - Voire même les petits frères.
MfFOµ. - Je dis que si l'on veut chercher des moyens de parer à cet inconvénient, nous nous y prêterons bien volontiers. Ils sont difficiles à trouver...
M. Dumortier. - Non ; il n'y a qu'à supprimer l'impôt.
MfFOµ. - C'est là un mauvais moyen, parce que ce serait supprimer un impôt qui est très moral, qui est très bon au fond, qui apporte quelques entraves au développement exagéré des cabarets ; j'ajoute qu'une taxe qui rapporte 12 à 13 cent mille francs n'est pas une source de revenu à dédaigner, et que nous ne sommes pas en mesure de sacrifier des recettes de cette importance.
Voilà, assurément, de très bonnes raisons pour conserver le droit de débit des boissons.
Reste à trouver les moyens
M. de Theuxµ. - Si M. le ministre des finances contestait que la diminution du droit sur les eaux-de-vie indigènes avait été une des principales causes qui avaient fait introduire l'impôt spécial sur le débit des boissons...
MfFOµ. - Non ! j'ai dit que l'on n'avait pas introduit cet impôt comme supplément au droit sur la fabrication.
M. de Theuxµ. - Evidemment. Je me rappelle fort bien que le Congrès national, prenant égard aux plaintes unanimes des distillateurs au sujet du régime établi par le gouvernement des Pays-Bas, a modifié le système de perception et qu'il en est résulté une diminution énorme sur le produit de cet impôt. Alors, successivement, l'on a cherché à combler ce déficit. L'un des moyens a été celui que j'ai signalé : l'impôt spécial sur le débit des boissons distillées.
Plus tard, on a reconnu qu'avec le mode nouveau introduit par le Congrès national, perfectionné par la législature, on pouvait frapper la fabrication des eaux-de-vie indigènes de très forts impôts, et en effet, il est facile de s'en rendre compte, il n'y a qu'à prendre le budget des voies et moyens depuis 1831 jusqu'à présent et l'on verra combien l'impôt à la fabrication a été successivement augmenté. Je ne sais si l'impôt actuel est bien éloigné de celui qui existait sous le gouvernement des Pays-Bas ; je crois que l'impôt a été reporté presque au taux primitif.
L'impôt sur le débit des boissons n'est sans doute pas à dédaigner. C'est un impôt d'environ 1,500,000 fr., mais je n'hésite pas à dire que je ne voudrais pas, pour une recette de 1,500,000 fr. voir se vicier le système électoral ni pour les Chambres, ni pour la province, ni pour la commune. Car c'est un intérêt qui s'étend à tout le gouvernement. Si vous admettez que les Chambres, que les conseils provinciaux et que les conseils communaux exercent une grande influence dans le pays, vous devez admettre que le système qui permet de fabriquer de faux électeurs pour les trois catégories d'élections est un système détestable.
M. le ministre des finances le reconnaît aussi et il se montre disposé à chercher les moyens d'obvier à cette fabrication. Mais je crois que ce sera une chose très difficile à faire. Je sais très bien que les contribuables peuvent quelquefois chercher à augmenter leur taxe personnelle, mais on y a obvié dans une certaine mesure et je ne crois pas qu'il se pratique encore un grand nombre de fraudes en cette matière.
Quant à la fabrication de débitants de boissons distillées, nous n'avons aucun moyen répressif et cette fraude s'étend d'année en année ; elle finira par amener la suppression de l'impôt et, quant à moi, je n'hésiterai pas à voter cette suppression pour restituer aux élections leur valeur morale.
M. le ministre dit que cette fraude se commet des deux cotés, eh bien, c'est un tort que l'on a des deux côtés.
- La séance est levée à 5 heures.