(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de M. Lange, doyen d’âgeµ.)
(page 5) M. de Thuinµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Liénartµ donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Thuinµ présente l'analyse d'une pétition adressée à la Chambre.
« Des électeurs de l'arrondissement de Gand indiquent les noms des personnes qui, lors des élections du 12 juin à Gand, ont été victimes des voies de fait signalées à l'attention de la Chambre. »
MpLangeµ. - La commission qui a été chargée de la vérification des pouvoirs des élus de l'arrondissement de Gand, a terminé son travail.
La Chambre veut-elle le renvoi de la pétition à la commission ou son dépôt sur le bureau ?
M. de Theuxµ. - M. le président, le rapport de la commission n'a pas été fait. Il me paraît hors de doute que la pétition doit être renvoyée à cette commission ; il nous faut un rapport complet. C'est alors seulement que nous pourrons apprécier la nature des opérations de l'arrondissement de Gand.
M. Eliasµ. - Les faits contenus dans la pétition ne sont pas nouveaux ; ils étaient connus de la commission. Il s'agit uniquement des faits déjà signalés et affirmés par quelques personnes.
Je ne vois pas en quoi cela peut modifier les conclusions de la commission. Je crois que le dépôt de la pétition sur le bureau suffit.
M. Dumortier. - Il serait sans exemple dans aucune assemblée délibérante, et spécialement dans celle-ci, que le droit de pétition fût assez peu respecté, pour qu'en matière de vérification de pouvoirs une pétition contraire à une élection ne fût pas examinée par la commission.
L'honorable membre nous dit que la pétition qui vient d'être analysée ne contient que des faits qui ont déjà été examinés. La commission viendra nous dire cela après avoir examiné ; mais il faut avant tout que les formes soient observées, et il importe que la pétition, comme l'a proposé mon honorable ami M. le comte de Theux, soit d'abord et avant tout examinée par la commission de vérification des pouvoirs. Si les faits sont comme le dit l'honorable préopinant, la commission aura bientôt terminé cet examen, mais la vérification des pouvoirs est un fait sérieux et grave, et du moment que des pétitions contraires à une élection sont produites, il faut qu'elles soient examinées. Le règlement exige qu'un rapport soit fait sur les pétitions, et évidemment vous n'allez pas renvoyer celle qui vient d'être analysée à la commission des pétitions pour que celle-ci fasse rapport.
- Des membres. - Qu'on la dépose sur le bureau.
M. Dumortier. - Le dépôt sur le bureau, en pareille circonstance, serait l'annulation du droit de pétition. Je le répète, il n'y a pas de précédent, ni dans cette Chambre, ni dans aucune assemblée délibérante, qu'une pétition quelconque, faisant opposition à une élection, n'ait pas été renvoyée à la commission de vérification de pouvoirs.
M. Eliasµ. - On pourrait renvoyer la pétition à la commission de vérification des pouvoirs, qui se réunirait immédiatement, et ferait encore rapport dans cette séance. (Adhésion.)
- Le renvoi de la pétition à la commission de vérification des pouvoirs est ordonné.
MM. Elias, Crombez, de Naeyer, Van Wambeke, Hagemans et Ansiau, dont les pouvoirs ont été vérifiés dans la séance d'hier, prêtent serment.
M. Jacobsµ, au nom de la deuxième commission, présente le rapport sur les élections de l'arrondissement de Saint-Nicolas, et propose l'admission de MM. Janssens, Verwilghen et Van Overloop comme membres de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Janssens prête serment.
M. Verwilghen et Van Overloop ne sont pas présents à la séance.
M. de Moorµ, au nom de la deuxième commission, présente le rapport sur les élections de l'arrondissement de Philippeville et propose l'admission de M. Edouard Lambert en qualité de membre de la Chambre des représentants.
MpLangeµ. - M. Lambert prêtera serment quand il sera présent.
M. Miullerµ, au nom de la troisième commission, présente un rapport supplémentaire sur l'élection de M. Jonet, élu par l'arrondissement de Charleroi et propose son admission en qualité de membre de la Chambre des représentants.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Jonet prête serment.
MpLangeµ. - Je suspendrai la séance, en attendant la présentation du rapport de la deuxième commission sur les élections de l'arrondissement de Gand.
- La séance est suspendue à 2 heures 3/4 ; elle est reprise à 3 heures 1/4.
M. Anspach, dont les pouvoirs ont été vérifiés dans la séance d'hier, prête serment.
M. Elias, rapporteurµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter le rapport de la deuxième commission, qui a examiné les procès-verbaux des élections de l'arrondissement de Gand.
Il résulte de cet examen qu'il y 'a eu en tout 6,702 votants ;
Que ce chiffre a été diminué de 17 bulletins, ou blancs ou annulés, parce qu'ils ne comprenaient pas de suffrage valable.
La majorité absolue était donc de 3,343.
Les suffrages se sont ainsi répartis :
M. Vanderstichelen 3,486
M. de Kerchove 3,402
M. E. Vandenpeereboom 3,415
M. Lippens 3,382
M. Jacquemyns 3,424
M. d'Elhoungne 3,419
M. de Maere 3,338
MM. Vanderstichelen, de Kerchove, Vandenpeereboom, Lippens, Jacquemyns et d'Elhoungne, tous membres sortants ou anciens membres de cette Chambre, ayant obtenu la majorité absolue, ont été proclamés. Pour la septième place, il a été ensuite procédé à un scrutin de ballottage entre MM. Pierre Debaets et de Maere qui avaient obtenu le plus de voix.
M. De Maere a obtenu 3,053 suffrages
M. Debaets a obtenu 141 suffrages.
En conséquence, M. de Maere a été proclamé membre de cette Chambre.
Il vous est parvenu hier une pétition revêtue de 10 signatures et relative aux opérations électorales de Gand. Vous l'avez également renvoyée à l'examen de la deuxième commission.
Les pétitionnaires demandent que vous ordonniez une enquête sur des faits qu'ils signalent et qui se seraient passés avant, pendant et après ces élections et que vous suspendiez l'admission des élus de cet arrondissement jusqu'après le rapport qui vous serait fait sur cette enquête.
Subsidiairement, ils demandent que vous déclariez dès maintenant que le scrutin de ballottage est nul, parce que M. Pierre Debaets a obtenu la majorité absolue au premier tour de scrutin.
Les pétitionnaires appuient leur prétention principale sur les allégations suivantes.
Les électeurs de l'arrondissement n'auraient pas été répartis dans les divers bureaux, conformément aux article 9 et 19 de la loi électorale, qui exigent que le commissaire d'arrondissement compose les sections, d'électeurs appartenant aux mêmes cantons, communes ou fractions de communes les plus voisines entre elles.
Les électeurs des campagnes auraient été empêchés de se rendre au (page 6) scrutin par la crainte qu'on leur aurait inspirée en les menaçant d'une révolution si les conservateurs triomphaient et surtout par les scènes tumultueuses qui se seraient passées à Gand quelque temps avant les élections,
Le jour même de l'élection, « des bandes, vues la veille déjà, se portaient, disent-ils, à la rencontre des électeurs ruraux, frappaient les voitures où ils se trouvaient, les harcelaient, les outrageaient par gestes et par paroles, et même les bloquaient dans les lieux où ils attendaient le moment du vote. »
Autres faits : près du huitième bureau, on criait : « Séparons les moutons d'avec les chiens. »
Tels sont les faits au moyen desquels on aurait empêché les électeurs de se rendre à leurs bureaux.
Les faits suivants auraient vicié la sincérité du vote même.
Dans les bureaux, on aurait demandé, principalement aux électeurs campagnards, leurs billets de convocation et, dans d'autres bureaux, on aurait mis obstacle au droit de contrôle des opérations électorales, droit qui appartient à tous les électeurs.
Telles sont, messieurs, les allégations sur lesquelles les pétitionnaires se fondent pour demander une enquête.
Le grief principal, le seul qui sorte du vague, gît dans le reproche qu'ils adressent à la répartition des électeurs faite par le commissaire d'arrondissement.
D'après eux, il aurait pour but d'intimider les électeurs campagnards en les dispersant dans les divers bureaux de la ville.
Mais, messieurs, nulle part il n'est dit dans la loi que les électeurs ruraux doivent être préservés du contact des électeurs de la ville. Tout ce que la loi exige, c'est que les électeurs qui votent dans une même section appartiennent à des communes ou fractions de communes voisines, et on entend par là celles dont les territoires se touchent ou sont peu éloignés.
C'est ce qui a été scrupuleusement observé par le commissaire d'arrondissement de Gand.
Remarquez en outre que ce n'est qu'hier, cinq mois après les élections de Gand, que ce reproche est formulé ; qu'avant l'élection aucun journal de Gand n'a soulevé la moindre plainte an sujet de cette répartition, et enfin qu'aucune réclamation n'a été adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Et cependant vous savez que les pétitionnaires eux-mêmes rendent un éclatant hommage à la circulaire que ce ministre a adressée aux fonctionnaires de son département quelque temps avant les élections générales.
Quant aux actes qui, d'après les pétitionnaires, auraient eu pour but d'empêcher les électeurs de se rendre au scrutin, vous aurez déjà remarqué que la pétition ne contient à cet égard rien de précis.
Ces allégations sont du reste contraires à ce que vous connaissez tous des élections de Gand. Il n’est et il ne sera contesté par personne que jamais, lors d’une élection à Gand, il n’a été rédigé aussi peu de procès-verbaux pour délits commis contre les personnes, et on ne pourrait dire que la police n’a pas fait sond evoir, car il n’a non plus été adressé aucune plainte au parquet du procureur du roi.
Du reste, il est une considération qui repousse invinciblement le reproche d'empêchement au vote, c'est le chiffre élevé des votants comparéaum chiffre des inscrits.
Sur 7,262 inscrits, il y a eu 6,702 votants.
C'est peut-être là le chiffre le plus élevé de présents qui ait été atteint en Belgique. Comment, en présence de ce résultat, peut-on soutenir que les électeurs n'ont pu venir voter ?
Vous avez renvoyé à la même commission une nouvelle pétition qui vous a été adressée aujourd'hui. Cette pétition n'a en rien modifié les conclusions de votre commission. Elle ne fait que préciser les faits déjà contenus dans la première. Du reste, s'ils avaient cru que ces faits avaient la gravité qu'ils leur attribuent, ils auraient dû adresser une plainte à la justice. Loin de là, ils ont gardé le silence jusqu'aujourd'hui, et c'est le jour même de la vérification des pouvoirs qu'on les signale pour la première fois.
Enfin, messieurs, vous arrêterez-vous aux reproches que l'on adresse à certaines personnes que les pétitionnaires ne nomment pas, et qu'ils disent avoir exigé des électeurs leurs billets de convocation et les avoir empêchés de stationner derrière les bureaux ? Non, car la loi (article 22) dit que les électeurs seuls peuvent entrer dans les bureaux, et que les électeurs doivent seulement pouvoir circuler autour de la table où se fait le dépouillement ou y avoir accès.
On ne signale, du reste, aucun fait qui pourrait même faire soupçonner qu'il se serait passé la plus petite irrégularité dans la tenue des opérations électorales.
Et une preuve que la surveillance n'était pas paralysée, ce sont les diverses réclamations auxquelles ont donné lieu certains bulletins ou suffrages.
En présence de ces considérations, votre deuxième commission, par six voix contre une, a décidé qu'elle croyait qu'il n'y avait pas lieu de faire une enquête.
Nous arrivons maintenant à la deuxième prétention des pétitionnaires qui demandent l'annulation du scrutin de ballottage.
Vous reconnaîtrez tout d'abord que, si les faits sur lesquels ils s'appuient étaient vrais, il pourrait y avoir lieu à un examen plus attentif des bulletins annulés.
Ils disent que, lors du premier scrutin, on aurait dû attribuer en plus à M. Pierre Debaets, qui a eu 3,311 voix :
1° Quatre bulletins annulés sans motif légal au douzième bureau, et qui ne portaient que trois noms. Ces quatre bulletins poussaient la majorité absolue à 3,345, mais donnaient à M. Debaets quatre voix de plus ;
2° Un suffrage qu'on a décompté à ce candidat dans le 15ème bureau.
Dans toutes ces allégations, il y a plusieurs erreurs. Mais il en est une seule qui est fondamentale. C'est qu'il est inexact de dire que les quatre bulletins annulés portaient le nom de M. Debaets. Deux de ces bulletins seulement portaient son nom. L'inspection des bulletins peut vous en convaincre à l'instant même.
M. Debaets n'aurait donc, dans tous les cas, que 3,344 voix, et comme dans leur système la majorité absolue doit être portée à 3,345, le ballottage eût toujours été indispensable.
Cette seule erreur que les pétitionnaires pouvaient si facilement éviter doit vous montrer avec quelle inconvenable légèreté la pétition, qui nous arrive cinq mois après les élections, a néanmoins été rédigée.
Aussi votre deuxième commission, par six voix contre une, n'a-t-elle pas hésité à vous proposer de valider immédiatement les élections de Gand.
Comme tous les élus ont déjà fait partie de celle Chambre, elle n'a pas cru devoir se livrer à d'autres vérifications.
(Note du webmaster : Les Annales parlementaires reprennent ensuite le texte des pétitions. Ce texte n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
(page 8) M. Wasseige. - Messieurs, deux pétitions vous ont été envoyées contre la validité des élections dé Gand. Ces pétitions nous ont été simplement analysées et d'une manière très succincte par l'honorable rapporteur. Ces pétitions contiennent cependant des faits très graves et soulèvent des questions de droit électoral. Il me paraît indispensable que chaque membre de cette Chambre puisse être mis à même d'examiner ces pétitions, ainsi que le rapport auquel elles ont donné lieu.
Je demande donc que, conformément aux précédents de la Chambre chaque fois qu'il s'est agi de vérification de pouvoirs, ces pétitions et le rapport soient imprimés et distribués aux membres de la Chambre.
MpLangeµ. - Faites-vous une proposition formelle ?.
M. Wasseige. - Oui, M. le président.
MpLangeµ. - Veuillez-la faire parvenir au bureau.
M. Wasseige fait parvenir au bureau la proposition suivante :
« Je prie la Chambre d'ordonner l'impression et la distribution des pétitions contre la validité des élections de Gand, ainsi que l'impression et la distribution du rapport auquel elles ont donné lieu. »
M. de Theuxµ. - Il me semble, messieurs, qu'en présence de la gravité des faits qui sont signalés, il est de toute justice qu'on ait le temps d'examiner les pièces à loisir, au moins d'ici à la séance de demain. Je ne demande pas qu'on ajourne indéfiniment, mais je demande qu'on nous laisse le temps jusqu'à demain pour examiner les documents et voir ensuite ce qu'il y aura à faire. Je pense que la Chambre ne repoussera pas une proposition si raisonnable et surtout si conforme à tous ses précédents.
- La proposition de M. Wasseige est mise aux voix et adoptée.
La séance est levés à 3 heures et 1/2.