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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 mai 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 839) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Muyshon, de Rechter et autres membres de la société des bateliers à Selzaete demandent la suppression progressive des droits d'écluse et autres sur la partie belge du canal de Gand à Terneuzen. »

M. Debaets. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Jauche prient la Chambre de rejeter la disposition du Code pénal qui punit les combats de coqs.

« Même demande d'habitants de Cortenaeken, Orsmael-Gussenhoven, Meldert, Dormael. »

- Renvoi à la commission de révision du Code pénal.


« Des habitants de Molenbeek-St-Jean demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


« M. de Moor, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« MM. Delcour et de Macar demandent un congé. »

- Accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.


MpVµ. - Voici, messieurs, la composition de la commission que le bureau a nommée pour surveiller l'impression des pièces relatives aux bourses d'étude. MM. Tesch, Nothomb, Van Humbeeck, Jacobs, Funck, Van Overloop, De Fré.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un chemin de fer industriel à Tournai

Vote de l’article unique

« Article unique. Le gouvernement est autorisé à concéder, aux clauses et conditions d'une convention en date du 2 mai 1866, un chemin de fer destiné à relier les établissements industriels du bassin calcaire de Tournai à la station du chemin de fer de l'Etat en cette ville. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal.

74 membres y prennent part.

73 membres répondent oui.

1 membre (M. Dumortier) s'abstient.

En conséquence, la Chambre adopte. Ont répondu oui :

MM. Grosfils, Hayez, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Vermeire, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Braconier, Carlier, Couvreur, Crombez, David, Debaets, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de. Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Dewandre, de Woelmont, d'Hane-Steenhuyse, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Goblet et E. Vandenpeereboom.

- Le projet de loi sera transmis au Sénat.

MpVµ. - M. Dumortier est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Dumortier. - Messieurs, me fiant sur un ordre du jour antérieur, j'avais cru que cet objet venait en seconde ligne, ce qui fait que je n'ai pas prêté une attention extrême à ce qui se passait, surtout au milieu des conversations qui se produisent au commencement d'une séance.

J'aurais voulu prendre la parole sur ce projet de loi. Dans tous les cas, je me serais abstenu et voici pourquoi.

Je ne puis qu'approuver un projet de loi qui tend à mettre cinq ou six établissements du bassin calcaire de Tournai en rapport avec la station du chemin de fer de l'Etat en cette ville.

Mais je n'ai pas mes apaisements par le contrat annexé au projet et que le projet ratifie. J'y vois à l'article 20 : « Le département des travaux publics désignera les passages à niveau qui devront être desservis... »

Il est donc question d'établir par le projet des passages à niveau encore une fois aux portes de Tournai et d'enserrer la ville de Tournai dans un réseau dont elle ne pourra pas sortir. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

Je désire que le chemin de fer soit accordé, mais il m'est impossible de donner mon consentement à ce qu'on enserre la ville de Tournai dans un réseau de chemin de fer. Partout on fait des dépenses immenses pour ne pas avoir de passages à niveau ; je ne vois pas pourquoi on n'agirait pas de même à l'égard de Tournai.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder des chemins secondaires dans les Flandres

Discussion générale

M. Van Overloopµ. - Parmi les lignes dont le gouvernement va être autorisé à accorder la concession, il en est deux qui intéressent l'arrondissement de Saint-Nicolas.

C'est d'abord la ligue de Gand à Tamise par Zele et Hamme. Je demande à M. le ministre de faire en sorte que la ligne qu'il concédera se rapproche autant que possible de l'aggloméré des communes d'Elversele et de Thielrode. Je crois, du reste, que ce serait la ligue la plus courte et par conséquent la plus convenable ; elle desservirait ainsi des communes qui ne sont pas reliées au réseau des chemins de fer.

La seconde ligne dont je désire dire un mot est celle qui ira d'Eecloo vers Saint-Nicolas ou Anvers.

Le gouvernement aura la faculté, aux termes du projet, de faire aboutir cette ligne, soit à Saint-Nicolas, soit à Anvers.

Ici, j'appelle la sérieuse attention du gouvernement sur le projet déposé par l'ingénieur Depaire.

D'après ce projet, la ligne irait d'Eecloo au village de Moerbeke, et de (page 840) là elle passerait par les communes de Stekene, Keraseke, Saint-Gilles(Waes), Vracene, et arriverait à Beveren, où elle rejoindrait le chemin de fer de Gand à Anvers,

Il me paraît incontestable qu'un chemin de fer d'Eecloo à Anvers doit se diriger vers les populeuses communes de Stekene, Kemseke, Saint Gilles(Waes). Stekene a une population de 6,100 habitants ; Kemseke, une population de 1,500 habitants ; Saint-Gilles (Waes), une population de 4,260 habitants.

Une fois arrivée à Saint-Gilles (Waes), la ligne peut être dirigée soit vers Saint-Nicolas, soit vers Beveren,

En la concédant dans la direction de Saint-Gilles (Waes), Vracene, qui compte 3,940 habitants, serait aussi desservi.

Je ne sais quelle sera la résolution du gouvernement à ce sujet. Mais que la ligne se dirige vers Saint-Nicolas ou vers Beveren, dans l'un comme dans l'autre cas, le gouvernement devra nécessairement avoir égard, en vertu même des principes qu'il a proclamés à propos de la concession du chemin de fer du Flénu, il devra nécessairement avoir égard, dis-je, à la ligne de chemin de fer d'Anvers à Gand actuellement existante. Les administrateurs de cette ligne, qui est à petite section, prennent l'engagement de faire une large section à partir de l'endroit où la concession d'Eecloo à Anvers viendra se mettre en ligne parallèle avec le chemin de fer d'Anvers à Gand.

Il ne serait pas juste qu'on accordât la concession d'une ligne parallèle à une ligne concédée déjà existante, bien entendu à condition que l'administration de la ligne existante consente à établir une voie à grand écartement à partir du point de jonction.

J'espère que l'honorable ministre prendra en sérieuse considération les observations que je viens de faire et que surtout il ne perdra pas de vue l'intérêt évident, le droit même, dirai-je, des importantes communes dont j'ai parlé.

M. Vander Doncktµ. - Je commence par remercier sincèrement l'honorable ministre d'avoir présenté le projet de loi qui est en discussion.

Je remarque cependant une lacune dans ce projet de loi. J'y lis au n°4 :« Une ligne d'Audenarde vers la frontière des Pays-Bas, dans la direction de Watervliet, et passant par Deynze, Nevele, Somerghem et Eecloo. »

Ce chemin de fer passerait donc d'Audenarde à Deynze. Or, entre ces deux localités se trouve le chef-lieu du canton de Cruyshautem que je ne vois pas indiqué dans le tracé de la ligne dont s'agit.

Ce chef-lieu, messieurs, a vraiment joué de malheur jusqu'à présent.

Dès le principe, il devait être relié au chemin de fer de Gand à Courtrai ; mais diverses circonstances ne l'ont pas permis. Une seconde fois il devait être relié à un autre chemin de fer, je veux parler de celui de Denderleeuw à Courtrai ; mais par suite de combinaisons adoptées par les concessionnaires, un autre tracé a été adopté.

Maintenant il s'agit d'un chemin de fer vicinal. Evidemment, messieurs, les chemins de fer vicinaux n'ont pas pour but de relier directement deux localités éloignées sans égard pour les localités intermédiaires moins importantes qui se trouvent sur le parcours entre les deux premières, et qui s'écartent quelque peu de la ligne droite.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il ne consentirait pas à stipuler que la commune de Cruyshautem sera reliée à la ligne dont je m'occupe en ce moment. Sans cela il est peu probable que les habitants de cette commune voient jamais se réaliser leur espoir de jouir des avantages d'un chemin de fer,

Le chef-lieu du canton de Cruyshautem est une commune qui a une population de plus de 6,000 âmes, tandis que la ville de Deynze n'a que 3,800 et quelques habitants. Il est donc évident que l'honorable ministre ferait un acte d'excellente administration en déclarant, dès à présent, que la commune de Cruyshautem sera reliée cette fois au réseau de nos chemins de fer.

Je ne m'étendrai pas davantage sur l'importance de cette commune, ses nombreuses industries et ses autres titres qui militent en sa faveur et que j'ai longuement développés dans une séance précédente. Le temps presse et la Chambre a hâte d'en finir ; cependant il faut bien remarquer, messieurs, que les chemins vicinaux ne sont pas, comme les autres chemins de fer, établis sans participation des communes intéressées ; les communes doivent intervenir dans la dépense pour une large part.

Nous espérons bien que non seulement les communes, mais encore la province et l'Etat interviendront dans une proportion raisonnable, pour établir ces communications destinées à relier des localités importantes au réseau du chemin de fer,

Je recommanderai également à M. le ministre des travaux publics un autre chef lieu de canton qui est très important ; je veux parler de celui de Nederbrakel. Ce canton a réellement joué de malheur, il était compris dans un projet de chemin de fer de Gramment à Nieuport ; cette ligne devait nécessairement passer par Nederbrakel. Or, les concessionnaires sont parvenus à engager le gouvernement à renoncer à son projet de chemin de fer de Grammont à Audenarde, de manière qu'il n'est resté que le tronçon d'Audenarde à Nieuport.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics de vouloir bien donner cette satisfaction à la commune de Cruyshautem ou du moins de lui laisser entrevoir l'espoir qu'elle sera reliée à ce chemin de fer. J'ai dit.

M. Vermeireµ. - Messieurs, ainsi que vient de le dire l'honorable M. Vander Donckt, deux cantons importants de son arrondissement ont joué de malheur dans les concessions de chemins de fer. Je répéterai, après l’honorable membre, qu'un des plus importants cantons de la Flandre orientale a également joué de malheur : c'est le canton de Hamme.

Il y a deux ans, un chemin de fer a été concédé de Tournai à Saint-Nicolas par Hamme ; mais depuis que la concession a été accordée, nous n'en avons plus entendu parler.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si le concessionnaire a été mis en demeure de satisfaire à ses obligations et s'il pense que ce chemin de fer pourra être construit dans un bref délai.

Un des chemins de fer vicinaux dont on propose la concession passerait également par Hamme : c'est le chemin de fer de Gand sur Tamise par Hamme : si je m'en rapporte à la carte, il parcourrait les importantes communes de Laerne, Calcken, Overmeire, Zele, Hamme, Elversele, Thielrode pour aboutir à Tamise ; toutes ces communes ont une importance réelle et renferment, je crois, une population d'à peu près 200,000 âmes.

Mais il y a, à côté de la commune de Hamme, une autre commune très importante ; c'est celle de Waesmunster ; elle a une population de près de 6,000 âmes ; elle est le centre d'une industrie très considérable ; elle possède beaucoup de fabriques ; si cette commune restait cette fois en dehors du chemin de fer dont il s'agit, elle serait éternellement privée de cette bonne voie de communication.

Je partage tout à fait la manière de voir de l'honorable M. Vander Donckt, quant à la distinction à faire entre les chemins de fer vicinaux et les chemins de fer ordinaires. En effet, les chemins de fer vicinaux n'ont pas pour mission de faire des transports rapides, mais d'aller prendre dans le plus grand nombre de localités possible, tous les objets qui peuvent être transportés par la voie ferrée.

Comme on n'a pas encore distribué les plans du chemin de fer dont on demande aujourd'hui la concession, j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la question de savoir s'il ne serait pas possible, sans léser les intérêts d'autres communes, de relier la commune de Waesmunster à ce chemin de fer, ou tout au moins de l'en rapprocher dans les limites du possible.

Je remarque que le chemin de fer allant de Zele à Hamme pourrait bien ne passer qu'à une assez grande distance de cette dernière commune.

Je voudrais encore qu'il se rapprochât le plus possible de cette importante commune qui, comme je l'ai déjà dit à une autre époque, est, je crois, la commune la plus importante sous le rapport industriel et commercial. En effet, la population est de 11,000 habitants. Elie a 785 patentés, 301 électeurs pour les Chambres, un bureau d'enregistrement qui rapporte, pour les droits de succession seulement, 260,000 fr. par an. Les contributions directes et accises s'y élèvent à 310,000 fr. annuellement. On y trouve de nombreuses fabriques ; des fabriques d'huile, des amidonneries, 18 brasseries et distilleries, 2 savonneries, des tanneries, des chantiers de construction de navires et de bateaux, plus un grand nombre de corderies. Enfin, cette commune fournit à la station de Termonde un contingent considérable de transport journaliers.

Je recommande ces observations à l'attention bienveillante du gouvernement, en le priant de tenir surtout compte des intérêts de cette importante localité, ce qui peut d'autant mieux se faire, je le répète, que les chemins de fer vicinaux ont surtout pour but d'aller chercher les transports et les populations qui doivent arriver aux lignes centrales.

M. de Haerneµ. - Je me joins à l'honorable membre pour remercier le gouvernement et en même temps le féliciter des propositions qu'il nous fait. C'est une innovation qui fait honneur à la Belgique. Il y a peu de pays qui soient en état d'en faire autant. C'est grâce à l'immense population de nos villes et de nos campagnes et à la richesse du pays, que (page 841) nous pouvons espérer d'heureux résultats d'un aussi immense réseau de chemins de fer.

Je répète donc que Je n'ai qu'à féliciter et à remercier le gouvernement sous ce rapport.

On vient de dire que les chemins de fer secondaires n'ont pas le même but que les grandes lignes. Cela est parfaitement exact. Mais il n'en est pas moins vrai que les chemins de fer vicinaux, quelque petits qu'ils puissent être, seront autant d'affluents du grand chemin de fer et contribueront par conséquent de plus en plus à la prospérité générale.

Lorsque l'on songe, messieurs, à ce qui s'est fait en Belgique depuis 1834, année où l'on a inauguré la construction du chemin de fer d'Anvers, l'on doit dire que nous avons fait d'immenses progrès. Car alors il ne s'agissait que d'exécuter une jonction entre le Rhin et la mer en rattachant nos deux ports de mer à ce grand fleuve. On croyait déjà que c'eût été un immense résultat.

Plus tard on a proposé et exécuté d'autres lignes, successivement on a relié les villes entre elles, et l'on en est arrivé à relier les villages les plus populeux entre eux, de manière que nous pouvons espérer que, dans quelque temps, nous aurons des chemins de fer passant pour ainsi dire par tous les principaux villages ; le revenu doit s'accroître de plus en plus à raison de la multiplication de ces affluents.

Lorsque en 1834, il a été question de la première loi de chemin de fer, l'honorable M. Rogier, je me le rappelle, prédit que les chemins de fer, en Belgique, seraient tôt ou tard une source de revenu pour l'Etat.

On ne le croyait pas. Cependant cette prédiction s'est réalisée et j'ai la conviction que les revenus augmenteront de plus en plus.

Messieurs, je dois particulièrement remercier le gouvernement des lignes qui regardent la Flandre occidentale et l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte. Mais, à cette occasion, je voudrais adresser une demande d'explications à M. le ministre des travaux publics.

Parmi les lignes proposées il en est une qui fait partie d'une autre ligne demandée et qui est plus grande ; je veux parler de la ligne projetée de Waereghem à Bruges, qui fait partie de la ligne demandée, pour joindre Leuze à Bruges par Avelghem, Anseghem et Waereghem.

Je demanderai si la ligne qu'on propose dans le projet de loi n'empêchera .pas la construction de l'autre et si les droits du demandeur en concession de la ligne de Leuze à Bruges ne seront pas lésés. Plus les lignes s'étendent dans de contrées riches et populeuses, plus elles ont de chances de succès ; et ce dernier railway a, sous ce rapport, une supériorité évidente, d'autant plus qu'il a pour but de relier les carrières et les mines du Hainaut directement à la mer. Je dois donc le recommander instamment à la sollicitude du gouvernement.

M. Maghermanµ. - Les considérations développées tout à l'heure par l'honorable M. Vander Donckt me permettent d'être court. En effet je me proposais de présenter à peu près les mêmes observations.

Je commence par déclarer que je vois avec une vive satisfaction le gouvernement entrer dans la voie des concessions de chemins de fer qu'on peut ajuste litre appeler vicinaux et qui ont pour objet de relier au réseau général les communes rurales les plus importantes et principalement les chefs-lieux de canton.

Au moyen des chemins de fer déjà construits ou décrétés, la plupart des chefs-lieux de l'arrondissement d'Audenarde se trouveront reliés soit au réseau national, soit aux lignes concédées. Cependant il reste les chefs-lieux des cantons importants de Cruyshautem et de Nederbrakel qui sont encore éloignés de tout chemin de fer. Cruyshautem est compris dans le projet actuel, tel que je le comprends, mais cela n'est pas déterminé d'une manière assez positive ; la loi porte :

« 4° Une ligue d'Audenarde vers la frontière des Pays-Bas, dans la direction de Watervliet, et passant par Deynze, etc. »

Cruyshautem se trouve entre Audenarde et Deynze, mais des accidents de terrain ou d'autres causes pourraient amener les concessionnaires à s'écarter de cette commune.

Or, messieurs, Cruyshautem est une commune très importante ; elle a une population de 6,000 habitants et la seule considération de leur intérêt doit déterminer les concessionnaires à rejoindre cette commune.

Cependant il serait préférable que son nom fût indiqué dans le projet. Tout au moins, je désirerais obtenir, à cet égard, une explication du gouvernement qui serait l'équivalent de l'inscription du nom de cette commune comme lieu de passage obligé.

Cette commune, messieurs, a déjà été déçue plusieurs fois dans ses espérances : j'espère que le présent projet de loi ne sera plus, pour elle, un simple mirage.

Je crois de mon devoir d'appeler, à cette occasion, l'attention de M. le ministre des travaux publics sur l'importante commune de Nederbrakel. Le présent projet ne fait rien pour elle ; cependant elle se trouve aussi dans cette situation fâcheuse de s'être vu enlever un chemin de fer qu'elle pouvait légitimement considérer comme lui étant acquis. Je veux parler du chemin de fer de Grammont à Nieuport.

La section de Grammont à Audenarde, sur le parcours de laquelle se trouvait Nederbrakel, a dû être sacrifiée à l'exécution des autres parties de la concession.

Je prierai donc M. le ministre des travaux publics de saisir la première circonstance favorable de faire quelque chose en faveur du canton de Nederbrakel, et j'espère que cette occasion pourra se présenter dans un avenir pas trop éloigné.

M. Dumortier. - Messieurs, le projet de loi que nous avons à vtler renferme beaucoup de bonnes directions et je le voterai avec plaisir.

C'est une expérience à tenter. Je désire qu'elle réussisse, et si elle réussit ce sera un grand avantage pour le pays.

Cependant je dois dire que j'ai vu avec regret que dans ce projet ne figure pas un chemin de fer vicinal d'une assez grande étendue qui a été depuis longtemps sollicité, la ligne de Roulers à Eccloo et vers la frontière de Hollande.

Une partie de ce chemin de fer se trouve, paraît-il, comprise dans le projet de loi, niais la partie de Roulers à Eecloo n'y est point. Je ne sais ce qui a pu empêcher cette ligne de figurer dans le projet, mais il est certain qu'il ne peut y en avoir de plus importante. Elle couperait les deux Flandres perpendiculairement.

C'est donc un grand intérêt qui mérite d'eue pris en considération par le gouvernement et je pense qu'il doit y avoir un motif important pour que ce chemin de fer ne figure pas dans le projet de loi.

Je recommande cette question à la sollicitude de M. le ministre des travaux publics.

Puisque j'ai ia parole, je profiterai de cette circonstance pour,prier M. le ministre des travaux publics de vouloir bien me donner quelques explications au sujet de deux chemins fer concédés, l'un de Roulers à Ypres et l'autre de Roulers à Nieuport. Le chemin de fer de Roulers à Ypres est, si ma mémoire n'est pas infidèle, concédé depuis deux ans à une société puissante et qui est à même de l'exécuter, la société du chemin de fer de la Flandre occidentale, et pourtant rien n'est fait.

Je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir bien nous dire où en est cette affaire, d'autant plus que la ville d'Ypres, que représente l'honorable ministre de l'intérieur, a le même intérêt que Roulers à l'exécution de cette ligne.

L'honorable M. Vandenpeereboom et moi nous l'avons appuyé dans l'intérêt des arrondissements que nous représentons.

Il en est de même de la ligne de Roulers à Dixmude, qui a une utilité extrême au point de vue des relations internationales avec l'Angleterre, car le port de Nieuport est sans conteste - je ne veux en rien offenser mon honorable collègue et ami M. Van Iseghem - le point le plus rapproché des côtes d'Angleterre, et sous ce rapport il offre des avantages que n'offre pas le port d'Ostende.

J'espère que M. le ministre des travaux publics voudra bien nous donner aussi quelques renseignements sur ces chemins de fer qui intéressent tous deux la ville de Roulers et qui sont sans exécution.

M. Tack. - Les honorables MM. Magherman et Vander Donckt sont venus tantôt défendre les intérêts de la commune de Cruyshautem et ont demandé que la ligne d'Audenarde dans la direction de Watervliet par Deynze, Nevele, Somerghem et Eecloo vers la frontière des Pays-Bas passe par les communes qu'ils ont citées.

Je ne viens pas faire le procès à la commune de Cruyshautem, tant s'en faut, je reconnais qu'elle a été lésée et a éprouvé plus d'un mécompte ; aussi je me joins à eux pour demander que la ligne d'Audenarde vers la frontière des Pays-Bas passe par Cruyshautem.

Mais, indépendamment de cette ligne, il est question, dans le projet de loi, d'une voie ferrée partant de Waereghem ou de Cruyshautem, est-il dit dans l'exposé des motifs, pour aboutir à Bruges.

Je crois, messieurs, qu'il doit y avoir là une erreur et qu'il importerait de supprimer l'alternative et de stipuler que le point de départ sera Waereghem, il y a pour cela plus d'un motif ; la commune de Waereghem est une commune d'une très grande importance, très populeuse et très industrielle ; elle est traversée par la ligne de l'Etat de Courtrai à Gand et par celle d'Audenarde à Nieuport ; elle devient ainsi une station centrale ; il y a donc tout intérêt à ce que les communes circonvoisines (page 842) qui se trouveront sur la nouvelle ligne soient reliées directement avec la commune de Waereghem ; j’ajoute qu’il est une localité importante qui sera exclue du bénéfice des chemins vicinaux si la ligne a pour point de départ la commune de Cruyshautem, c’est la commune de Wacken ; cette commune aussi a des droits à faire valoir, il est juste qu’on en tienne compte ; il serait satisfait à toutes les exigences en soudant la nouvelle ligne vers Bruges au chemin de fer de l’Etat dans la station de Waereghem.

M. Debaets. - Messieurs, je demanderai la permission de faire une simple observation à M. le ministre des travaux publics.

Le projet de loi intéresse plusieurs communes importantes de l'arrondissement de Gand qui seront traversées par le chemin de fer qui contournera la ville de Gand.

J’engagerai vivement l'honorable ministre à poursuivre les négociations encore pendantes pour que la campagne actuelle puisse être utilisée et surtout pour les motifs que voici.

Il est à ma connaissance personnelle que plusieurs communes attendent que le tracé soit définitivement fixé pour entreprendre des travaux communaux d'une certaine importance ; elles pourraient, si la campagne actuelle pouvait être utilisée, se mettre en mesure d'être reliées aux différentes stations de chemins de fer dans un délai très rapproché.

J'engage donc vivement M. le ministre des travaux publics à faire ce qui dépendra de lui pour que les conventions soient conclues le plus promptement possible afin que la main puisse être mise à l'œuvre.

MtpVSµ. - Messieurs, bien que beaucoup d'orateurs viennent de prendre la parole, la réponse que j'ai à faire sera simple Les honorables préopinants ont préconisé certains tracés pour les diverses lignes dont ils se sont occupés. Ces honorables membres eux-mêmes comprendront qu'il m'est impossible de dire aujourd'hui d'une manière positive dans quelle mesure ils obtiendront satisfaction. Les énonciations de la loi quant aux localités qui seront traversées par les nouvelles lignes, sont vagues à dessein. Comme il n'y a guère d'études préalables sur le terrain qui aient pu servir à la rédaction du projet de loi, nous avons dû nous en tenir à des termes élastiques, laissant aux concessionnaires et au gouvernement une certaine latitude quant aux communes à raccorder. Il est arrivé souvent que par le fait d'inscrire dans la loi un tracé obligé sans études préalables suffisantes du terrain, les concessionnaires ont rencontré dans l'exécution les plus grandes difficultés ; il est arrivé souvent que des chemins de fer ont coûté par suite de cette circonstance beaucoup plus qu'ils n'auraient dû coûter. Des études subséquentes ont fréquemment démontré que des tracés autres que ceux qui avaient été indiqués dans les projets de lois eussent été préférables dans l'intérêt public. Il vaut donc mieux se réserver une certaine latitude, mais je puis cependant répondre d'une manière générale que si les localités que les honorables préopinants ont spécialement recommandées présentent en effet l'importance qu'ils ont signalée, il est tout à fait vraisemblable que les concessionnaires seront les premiers à relier ces localités.

Il faut cependant ne pas vouloir l'impossible. Ainsi je remarque que l'honorable M. Vermeire veut faire passer le chemin de fer de Gand à Tamise en même temps par Hamme et par Waesmunster. Cela me paraît difficile, car il faudrait faire un crochet très brusque.

Il faut donc se tenir dans les bornes de ce qui peut se faire convenablement et je dirai industriellement. J'entends par là que les chemins de fer vicinaux, pour pouvoir se réaliser, ne doivent pas coûter trop cher. Or, si l'on accumule les difficultés sous les pas des concessionnaires, au lieu d'avoir plus vous aurez moins, et ce que nous tentons en ce moment viendrait peut-être à échouer, ce que je regarderais comme éminemment fâcheux au point de vue des intérêts généraux du pays.

L'honorable M. Vander Donckt et après lui son collègue de la députation d'Audenarde, l'honorable M. Magherman, ont demandé s'il n'était pas possible d'indiquer, comme point de passage obligé, la commune de Cruyshautem, en ce qui concerne le chemin de fer d'Audenarde à Deynze. Je viens déjà de répondre. Non cela n'est pas possible, parce que je ne sais quelles sont les difficultés de terrain qu'on peut rencontrer, mais s'il n'y a pas de difficultés de terrain, il me semble encore tout à fait probable, à la seule inspection de la carte et eu égard à l’importance réelle de la commune de Cruysauthem, que cette ligne passera naturellement par cette commune.

L’honorable M. Vermeire a profité de l'occasion des observations qu'il présentait pour se plaindre de l'inexécution du chemin de fer de Termonde à Saint-Nicolas par Hamme, qui figure dans un projet voté.

Je rappellerai à l'honorable membre que ce chemin de fer a été improvisé pendant la discussion d'un projet de loi portant diverses concessions. Le projet déposé par le gouvernement ne comprenait pas le chemin de fer de Saint-Nicolas à Termonde par Hamme ; c'est à la sollicitation de l’honorable M. Vermeire, d'accord, si j'ai bon souvenir, avec le concessionnaire, que ce chemin de fer a été introduit par amendement dans la loi. Eh bien, je regrette d'avoir à dire que jusqu'ici le concessionnaire ne s'est pas trouvé en mesure de remplir ses obligations et je saisis, à mon tour, cette occasion pour constater devant la Chambre combien il est imprudent d'inscrire par improvisation des chemins de fer dans un projet de loi.

Le gouvernement a pris à tâche depuis plusieurs années de ne pas présenter de concession à la ratification des Chambres avant de s'être assuré que cette concession serait réalisée.

Nous avons ici un exemple de plus d'un chemin de fer qui a été inscrit dans la loi par improvisation et qui ne reçoit pas d'exécution.

L'honorable M. de Haerne a fait remarquer que la ligne de Waereghem à Bruges n'est qu'une section de la ligne plus complète de Leuze à Bruges, et il a demandé si, par le fait qu'on scinde la ligne complète, le demandeur de cette dernière ligne se trouve évincé par le demandeur de la section susdite.

Messieurs, les questions de priorité sont laissées intactes par le projet de loi ; il n'est pas statué à cet égard ; il sera fait droit ultérieurement aux réclamations qu'on pourrait faire valoir à ce sujet, suivant les règles de l'équité, lesquelles ont toujours guidé le gouvernement en cette matière.

L'honorable M. Dumortier a demandé pourquoi le chemin de fer de Roulers à Eecloo ne figure pas au projet de loi. La raison en est que le demandeur n'a pas fourni au gouvernement les justifications exigées. Je déclare que je n'ai pas d'objection à former à cette ligne. Quand on fournira les garanties voulues, ce chemin de fer pourra être, en temps opportun, présenté à l'approbation des Chambres.

L'honorable membre a également témoigné le désir d'obtenir des renseignements sur l'exécution du chemin de fer de Roulers à Bruges et de celui de Roulers à Nieuport. Je puis lui répondre qu'on va mettre la main à l'œuvre pour l'une et l'autre ligne. Seulement, il est clair que les événements extérieurs influent d'une manière extrêmement fâcheuse sur les entreprises de ce genre.

C'est une réponse de même nature que je dois faire à l'honorable M. Debaets, lorsqu'il recommande au gouvernement de conclure le plus tôt possible des conventions relatives aux chemins de fer dont il s'agit dans la loi que nous discutons. Si la situation extérieure devient plus sereine, on pourra procéder promptement à la passation des contrats, car les demandeurs seront fort satisfaits d'obtenir le plus tôt possible leur concession ; mais dans le cas contraire, je ne regarderais pas comme sérieuses la plupart des conventions qu'on pourrait signer dans un moment où l'argent ne peut être appliqué à des affaires de cette nature. Tout reste donc subordonné aux événements de la politique européenne, événements qu'il ne nous appartient pas de prévoir avec certitude et que, dans tous les cas, nous sommes impuissants à diriger selon notre gré.

M. Vermeireµ. - Je crois que M. le ministre des travaux publics a fait une légère erreur lorsqu'il a dit que le chemin de fer de Termonde à Saint-Nicolas par Hamme n'a été introduit dans la loi que par amendement. A l'avant-dernier projet, nous avons présenté un amendement afin d'introduire ce chemin de fer dans la loi, mais le gouvernement nous a objecté alors que les chemins de fer ne pouvaient pas être improvisés et que celui que nous demandions figurerait dans un autre projet. Si je ne me trompe, le chemin de fer de Termonde à Saint-Nicolas par Hamme a fait l'objet d'un projet de loi dans lequel était compris le chemin de fer de Malines à Saint-Nicolas par Tamise et c'étaient les mêmes concessionnaires qui avaient obtenu la concession des deux lignes.

J'ai fait chercher la loi à la bibliothèque pour m'assurer des faits, mais je croîs qu'il en est parfaitement ainsi. Je le crois tellement, que je me rappelle cette circonstance qu'on a dit, à cette époque, que le même concessionnaire ayant obtenu les deux lignes, c'est par la dernière qu'il aurait commencé, parce que c'était la moins importante.

Voilà ce que j'avais à dire quant à l'improvisation par amendement du chemin de fer de Termonde à Saint-Nicolas.

(page 843) Maintenant, j'ai fait une distinction entre des chemins de fer directs et des chemins de fer vicinaux. Je n'ai nullement prétendu que le chemin de fer dont il s'agit doive précisément passer par la commune de Waesmunster ; mais j'ai dit qu'il était désirable qu'il passât le plus près possible de cette commune, et cela dans le but de satisfaire tous les intérêts dans les limites du possible. Or, je trois que de bonnes études permettraient de constater la possibilité d'arriver à ce résultat et, pour ma part, je suis tout disposé à faire connaître sur ce point à M. le ministre, non pas ici mais dans son cabinet, comment une solution dans ce sens est possible, comment on pourrait parvenir à donner à l'importante commune de Waesmunster la satisfaction qui lui est due. C'est une commune où il y a de grandes fabriques d'huile, où il y a un commerce de charbon très considérable, où enfin l'industrie a pris de grands développements.

Mon observation, messieurs, n'avait qu'un seul but ; c'était de savoir si le chemin de fer direct de Termonde à Saint-Nicolas par Hamme pouvait se faire, et d'autre part d'obtenir du gouvernement qu'on donne satisfaction à la plus grande somme d'intérêts possible par la construction des chemins de fer vicinaux.

MtpVSµ. - La mémoire de l'honorable M. Vermeire lui fait évidemment défaut. Je n'insiste pas sur ce point de détail de savoir si le chemin de fer de Termonde à Saint-Nicolas a été introduit par amendement, point accessoire ; mais il est certain, je l'affirme, ma mémoire sur ce point est parfaitement sûre, que ce chemin de fer n'a été imaginé ni par le concessionnaire ni par le gouvernement, mais bien par l'honorable député qui vient de parler. C'est lui qui a suggéré ce chemin de fer au concessionnaire et celui-ci l'a accepté sans examen. Mais depuis lors des difficultés ont surgi qu'il n'avait pas d'abord entrevues ; et c'est ainsi que cette partie de sa concession n'a pas encore été exécutée.

Maintenant, messieurs, je dois réparer un oubli que j'ai commis tout à l’heure, relativement au point où aboutira la ligne d'Eecloo à Anvers ou à Saint-Nicolas.

Voici comment j'entends la loi : il y a telle combinaison de tracé où la ligne d'Eecloo rencontrerait la ligne du pays de Waes et ferait concurrence à cette ligne sur une certaine section.

Ainsi, par exemple, si la ligne nouvelle aboutissait à Beveren, et était prolongée jusqu'à la Tête de Flandre, elle serait parallèle à la ligne du pays de Waes, sur une longueur de deux lieues à peu près.

Mais si le chemin de fer du pays de Waes établissait sa propre ligne à grand écartement entre Beveren et l’Escaut, cette section de chemin de fer du pays de Waes pourrait servir de prolongement à la ligne nouvelle. Cela étant, je n'admets pas qu'il fût équitable de concéder la ligne nouvelle dans des conditions telles qu'elle eût une section assez étendue côtoyant une ligne déjà établie : dans l'hypothèse indiquée, la ligne nouvelle devrait s'arrêter à Beveren.

L'honorable M. Tack insiste sur une observation qu'il a présentée au sujet de la ligne de Bruges vers Waereghem ou Cruyshautem.

L'honorable membre voudrait supprimer l'alternative et n'indiquer que la commune de Waereghem. Je dirai franchement à l'honorable membre, puisqu'il désire une réponse, le motif pour lequel j’ai introduit cette alternative. Si vous jetez un coup d'œil sur la carte, vous verrez qu'en faisant aboutir le chemin de fer dont s'agit à Waereghem, on établit, en ajoutant à cette ligne la section de Waereghem à Courtrai, de la ligne de l'Etat, une nouvelle communication entre Courtrai et Bruges. C'est donc en vue d'écarter éventuellement une concurrence, que je ne considérerais pas comme juste, à la compagnie de la Flandre occidentale, que j'ai indiqué l'alternative des deux localités, et je pense que ce motif suffit pour maintenir cette alternative.

- Li discussion est close.

Vote de l’article unique

« Article unique. Le gouvernement est autorisé à concéder, aux clauses et conditions ordinaires :

« 1° Un chemin de fer circulaire autour de la ville de Gand ;

« 2° Une ligne se détachant dudit chemin de fer et aboutissant à Ninove ;

« 3° Une ligne de Gand à Tamise par Zele :

« 4° Une ligne d'Audenarde vers la frontière des Pays Bas dans la direction de Watervliet et passant par Deynze, Nevele, Somerghem et Eecloo.

« 5° Une ligne de Waereghem ou de Cruyshautem à Bruges, passant par Thielt et Wyngene :

« 6° Une ligne d'Eecloo vers Saint-Nicolas ou Anvers ;

« 7° Une ligne de Zelzaete à Assenede. »

Il est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopte à l’unanimité des 81 membres présents. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu à l'appel nominal :

MM. Grosfils, Guillery, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Allard, Bara, Braconier, Carlier, Couvreur, Crombez, David, Debaets, de Baillet-Latour, C. de Bast, de Brouckere, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Goblet et E. Vandenpeereboom.

Communication du gouvernement relative à la situation de la pêche maritime

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer, sur le bureau de la Chambre, le rapport de la commission qui a été instituée près le département des affaires étrangères pour faire une enquête sur la situation de la pêche maritime.

MpVµ. - Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce rapport, qui sera imprimé et distribué.

Projet de loi relatif aux peines contre les infractions contre l’industrie, le commerce et les enchères publiques

Discussion générale

M. Van Humbeeck. - Messieurs, l'article 2 du projet a soulevé quelques appréhensions ; je crois devoir faire remarquer que cet article ne défend pas de chercher à produire la hausse ou la baisse des salaires ; il défend seulement de forcer cette hausse ou cette baisse ; il réprime toutes les tentatives individuelles, comme tous les efforts concertés qui auraient un semblable but.

Dans ce mot « forcer », il faut voir la pensée mère du projet.

C'est avec ce mot « forcer » que les mots « amendes, défenses, interdiction, proscription », qui se trouvent plus loin dans le texte, doivent être mis en rapport si on veut leur donner leur véritable sens.

Le projet ne veut pas que, par une contrainte physique ou par une contrainte morale, on puisse arracher un consentement à la volonté d'autrui en ce qui concerne la hausse ou la baisse du prix rémunérateur du travail.

Il ne peut vouloir dire davantage.

Dans toute coalition, il y a une « défense » ou une « interdiction ».

Lorsque des ouvriers et des patrons se coalisent, ils « se défendent » ou « s’interdisent » de travailler ou de faire travailler en dehors de certaines conditions. (erratum, page ) Le projet n'a pas pour but de réprimer toute coalition ; il ne peut donc réprimer non plus toute « défense », toute « interdiction ».

Voyons maintenant ce qui regarde les amendes et les proscriptions.

Toute association a le droit de s'assurer l'exécution de son règlement ; dans ce but les membres peuvent s'imposer des amendes, et se réserver aussi le pouvoir de prononcer l'exclusion du membre infidèle à ses obligations librement consenties.

En pareil cas, ces pénalités conventionnelles ne sont nullement des actes de contrainte ou de violence et par conséquent ne sont pas non plus punissables.

En résumé les amendes, les défenses, les interdictions et les proscriptions dont il s'agit dans l'article 2 ne doivent être considérées comme punissables que lorsqu'elles présentent un caractère de contrainte physique ou de contrainte morale.

Le sens de l'article me paraît évident ; mais, des craintes s'étant manifestées dans certaines pétitions déposées sur le bureau, j'ai tenu à prouver qu'elles étaient exagérées.

M. Lelièvreµ. - Je donne volontiers mon assentiment aux dispositions libérales qui ont été adoptées par le Sénat. Elles réalisent un progrès marqué, auquel je suis heureux d'applaudir. Je dois toutefois faire remarquer qu'il conviendrait d'introduire un article additionnel autorisant le juge, en cas de circonstances atténuantes, à modifier les peines conformément à l'article 6 de la loi du 15 mai 1849. Si le projet eût été inséré dans le Code pénal révisé, la disposition générale de ce Code concernant les circonstances atténuantes eût été applicable aux dispositions (page 844) du projet. Il est évident qu'il ne peut être statué autrement, alors que le projet en discussion constituera une loi spéciale.

D'après les dispositions qui nous sont soumises, le juge ne pourrait se dispenser d'appliquer le maximum des peines édictées, même dans le cas où la cause présenterait les circonstances les plus atténuantes. Or, ce système est contraire à l'économie de toute la législation. Je pense donc qu'il faut adopter une disposition additionnelle ainsi conçue : « S'il existe des circonstances atténuantes, les peines prononcées par les dispositions qui précèdent pourront être modifiées, conformément à l'article 6 de la loi du 15 mai 1849, » et j'ai l'honneur de proposer en ce sens un amendement.

M. Pirmez. - Messieurs, j'ai été rapporteur du titre du Code pénal dont les dispositions qui sont actuellement soumises à la Chambre ont été extraites ; je dois dire que jamais il n'est venu à ma pensée qu'on pût interpréter la loi comme vient de le faire l'honorable M. van Humbeeck. Il me paraît impossible de supposer que quand la loi défend les interdictions et les amendes, elle veuille défendre autre chose que des interdictions et des amendes conventionnelles.

Vous voulez, par l'interprétation que vous donnez à la loi, permettre de constituer ces grèves persistantes qui ont été le fléau de l'industrie anglaise ; donner les moyens de lier les ouvriers les uns aux autres, et investir leurs chefs du droit d'empêcher les ouvriers qui voudraient retourner au travail pour ne pas laisser mourir de faim leurs femmes et leurs enfants...

M. Van Humbeeck. - Pas le moins du monde.

M. Pirmezµ. - Je prie mon honorable collègue de croire qu'il n'y a rien qui lui soit personnel dans mes observations ; je n'attaque pas ses intentions, mais les conséquences de ses opinions.

En admettant le sens qu'il attache à la loi, il permet de créer de grandes associations, qui se perpétueront malgré la volonté même de ceux qui y sont engagés.

Je me demande ce que signifierait la loi si elle ne s'appliquait aux interdictions et aux amendes conventionnelles. Elle punit le fait de comminer des amendes.

Mais ces amendes, que peuvent-elles être autre chose que des amendes consenties par les coalisés ?

Il faut empêcher ces moyens de contrainte qu'on voudrait imposer aux ouvriers, pour les maintenir malgré eux dans une coalition.

Le système de l'honorable M. Van Humbeeck a précisément pour but de permettre ces moyens de coercition.

Admettons la liberté de se coaliser ; mais laissons aussi la liberté de ne pas se coaliser.

Si vous permettez les interdictions, les amendes ; si vous autorisez la mise à l'index, par des proscriptions quelconques, des ouvriers qui ne subiront pas le joug d'une coalition, vous anéantissez la liberté de ne pas se coaliser.

Je sais bien qu'on exploite cette question des coalitions ; je sais bien que certains meneurs, sous le prétexte de liberté des coalitions cherchent à créer de puissantes associations qu'ils voudraient despotiquement régir en les asservissant à leurs vues ; ils veulent avoir sous leur main, liés à eux par de durs engagements, des masses ouvrières, qu'ils feront travailler ou chômer, et qu'à un moment donné, ils jetteront dans la rue.

Je repousse ces dangereuses combinaisons, mais si vous attachez aux dispositions du projet le sens qu'y donne l'honorable M. Van Humbeeck, vous aurez donné les moyens de réaliser ces vues, vous aurez admis tous les maux qui en découleront, et je n'aurai qu'à désirer que, dans un jour d'effervescence populaire, vous n'ayez pas à regretter ce que vous aurez fait.

Mais, messieurs, ce n'est pas la réponse que je viens de faire à l'honorable M. Van Humbeeck, qui m'a engagé à prendre la parole.

De commun accord avec l'honorable M. Tesch, qui a été empêché de se rendre à la séance, je demande la remise de la discussion à la session prochaine.

Je vais indiquer les motifs de ma demande.

Lors de la discussion des articles qui nous occupent, la Chambre a eu à décider une question que nous avons considérée comme très grave et que la Chambre a elle-même considéré comme très grave, car elle y a consacré un grand nombre de séances.

En 1860, si ma mémoire me sert bien, le débat n'a pas duré moins de quinze jours ou trois semaines.

Tout le monde était d'accord pour reconnaître qu'il fallait admettre la liberté pleine et entière de la coalition, qu'on devait être aussi libre de se coaliser en matière de salaires, que de s'associer pour tous les autres buts de l'activité humaine.

Mais à côté de ce point unanimement admis, il s'agissait de savoir s'il faut permettre la coalition malgré les engagements pris, ou, en d'autres termes, la coalition qui doit être libre lorsqu'elle n'est pas contraire au droit, doit-elle l'être aussi lorsqu'elle blesse le droit ?

Le gouvernement, qui était alors représenté par l'honorable M. Tesch, a soutenu énergiquement le principe que la coalition, qui doit être permise comme l'exercice d'un droit, ne doit plus l'être lorsque, cessant d'être l'exercice d'un droit, elle est, au contraire, la violation du droit résultant d'engagements pris.

La commission, dont j'avais l'honneur d'être rapporteur, a soutenu le même système, et après un long débat, ce système a été adopté par la Chambre à une très grande majorité. Et cette majorité imposante était également répartie sur les bancs des deux côtés de cette Chambre ; en sorte que, par un fait trop rare, on a examiné la question sans aucune préoccupation et on l'a décidée dans le même esprit.

Le Sénat, messieurs, a résolu la question dans un sens opposé à la décision de la Chambre. L'honorable ministre de la justice successeur de M. Tesch a pensé autrement que son prédécesseur ; il s'est trouve que le rapporteur du Sénat, l'honorable baron d'Anethan, avait la même opinion que lui, de sorte que le Sénat a voté à peu près de confiance.

Je crois que si l'on examinait combien de sénateurs se sont rendu un compte approfondi de ce qu'ils ont voté...(Interruption.)

- Un membre. - Il en est de même ici.

M. Pirmezµ. - Messieurs, il y a des protestations de commande, et je crois que celle que l'on vient de manifester est un peu de ce genre. Si les honorables membres qui protestent voulaient aller au fond de leur pensée et de leur conscience, je suis convaincu qu'ils reconnaîtraient la vérité de ce que je dis.

M. Wasseige. - On serait convaincu, qu'on ne devrait pas le dire.

M Pirmezµ. - La vérité peut toujours être dite, M. Wasseige. Je la dis du Sénat : on peut nous la dire à tous.

Que se passe-t-il dans ces débats spéciaux comme ceux du Code pénal ? Est-ce que tous les membres de la Chambre s'occupent de toutes les questions qui se présentent ? J'avoue que, quant à moi, dans les lois qui ne m'offrent pas un intérêt spécial, lorsque le rapporteur est d'accord avec le gouvernement, quand il n'y a pas d'opposition, je ne m'abstreins pas à lire tous les exposés de motifs et tous les rapports qui nous sont soumis et je défie un seul membre de cette Chambre de dire qu'il ne fasse pas comme moi.

Je dis donc qu'au Sénat, cette grave question, qui a occupé la Chambre pendant quinze jours à trois semaines et que tout le monde ici connaissait, précisément parce qu'elle avait soulevé les longs débats que je viens de rappeler, a été résolue, grâce à l'entente de l'honorable rapporteur et de M. le ministre, sans cet examen approfondi, auquel la Chambre s'était livrée.

M de Naeyerµ. - La discussion de la Chambre a évidemment servi à éclairer le Sénat.

M. Pirmezµ. - L'honorable M. de Naeyer me fait une interruption réellement singulière.

M. de Naeyerµ. - Je ne fais pas d'interruption ; je fais une observation.

M. Pirmezµ. - Parce qu'on a examiné à la Chambre, on n'a pas de examiner au Sénat !

L'honorable M. de Naeyer, qui veut bien se rapprocher de moi pour m'interrompre plus à l'aise, me dit qu'au Sénat on a voté sans discussion, précisément parce qu'on avait examiné la question à la Chambre. Mais comment le Sénat a-t-il voté ? Il a voté exactement le contraire de ce que nous avions décidé.

M. de Naeyerµ. - Cela n'empêche pas que la question avait été discutée et élucidée à la Chambre.

M. Pirmezµ. - C'est une singulière manière de déférer à l'autorité de la décision de la Chambre.

M. de Naeyerµ. - Il ne s'agit pas de l'autorité de la Chambre, mais de la discussion qui avait eu lieu dans cette assemblée.

M. Pirmezµ. - L’honorable membre me dit que je ne dois pas parler de l'autorité de la Chambre.

Tout à l'heure il trouvait mauvais que je contestasse l'autorité du Sénat. Mais si l'autorité du Sénat est si prépondérante, celle de la Chambre doit avoir un poids quelconque ; et lorsque la Chambre, après des débats longs et approfondis, a décidé une question, il est plus qu'étrange que le Sénat ait rejeté sans discussion la décision de la Chambre.

(page 845) Et est-il possible que la Chambre se déjuge sans examen ?

Je suis, pour ma part, bien convaincu que le gouvernement et la majorité de la Chambre étaient dans le vrai en 1830 ; je n'ai pas le courage, à la fin d'une session, de venir soulever de grands débats et de discuter de nouveau à fond la question.

Il est absolument impossible, dans le moment actuel, de discuter cette grave question avec tout le soin qu'elle mérite.

- Plusieurs membres. - C'est vrai.

M. Pirmezµ. - Ce que M. Tesch et moi demandons à la Chambre, c'est qu'elle nous permette de défendre encore aujourd'hui ce que nous avons soutenu de toute notre énergie en 1860.

Nous avons obéi alors à une conviction profonde. Cette conviction, nous la conservons encore ; nous demandons à en exposer les motifs au moment où l'on puisse nous entendre.

Ce n'est pas une simple question de droit qui est à discuter, c'est une des questions les plus graves et les plus importantes qui puissent être soulevées dans un parlement ; une question qui, pendant un quart de siècle, est revenue peut-être dix fois devant le parlement anglais, qui a presque chaque fois changé les dispositions des lois, ne trouvant pas qu'il pouvait être consacré trop de temps à combattre ce qui a été pour l'Angleterre le fléau le plus considérable qu'ait subi son industrie.

Le projet de loi, tel qu'il a été transmis au Sénat, a été soumis au conseil supérieur d’industrie ; à l'unanimité, je crois, tout au moins à une grande majorité, il a adopté le système de la Chambre. Et sans nouvelle enquête, sans nouvel examen, nous irions changer ce que nous avons voté et décider exactement le contraire de ce que nous avons décidé en 1860 ! Cela me paraît impossible.

La Chambre ne nous refusera pas de défendre ce que la Chambre a admis ; elle ne refusera pas surtout à l'honorable M. Tesch qui, comme ministre, a considéré aussi la question comme une des plus importantes, de justifier ce qu'il a fait, et de remettre, à cette fin, le débat à un moment plus opportun.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis me rallier à la proposition de l'honorable M. Pirmez. Je crois que la Chambre manquerait elle-même à ce qu'elle a décidé ou au désir qu'elle a manifesté, si elle ne discutait pas le projet de loi sur les coalitions.

En effet, à diverses époques on a adressé des interpellations au gouvernement pour lui demander de faire voter par le Sénat la loi des coalitions. Le gouvernement a demandé au Sénat de faire une loi spéciale afin de pouvoir la soumettre à la Chambre.

Permettez-moi de vous le dire, s'il était dans la pensée de la Chambre de ne pas voter cette loi pendant la session actuelle, il n'était pas nécessaire d'engager le gouvernement à agir comme il l'a fait.

Il y avait des motifs particuliers pour demander que le chapitre sur les coalitions fût détaché de l'ensemble du Code pénal. Il arrive, et le cas s'est présenté tous récemment, que des ouvriers soient traduits en justice pour délit de coalition ; or, n'est-il pas urgent de faire cesser ces poursuites en modifiant dans le sens de la liberté les dispositions du Code pénal de 1810 sur les coalitions ?

Le discours de l'honorable M. Pirmez était connu des membres du Sénat. Quand le gouvernement s'est rallié à la proposition de la commission du Sénat il avait lu les développements que l'honorable M. Pirmez a donnés à l'appui de la thèse qu'il a défendue devant la Chambre. Seulement depuis la première discussion, la question a fait des progrès : elle avait suscité ailleurs et elle avait suscité dans le public des discussions nouvelles et le gouvernement a trouvé que le système de la liberté complète valait mieux que le système adopté par la Chambre.

Au surplus, si l'honorable M. Pirmez veut discuter, il trouvera qu'au fond le système du gouvernement est absolument le même que le sien. De deux choses l'une : ou bien la coalition est une coalition honnête, et alors l'ouvrier prévient son patron, ou bien c'est une coalition injuste, et alors vous rencontrerez les violences, les menaces, et vous aurez le moyen de réprimer ce genre de coalitions. La coalition ordinaire n'éclate jamais à l'improviste ; il y a des pourparlers entre les ouvriers et les patrons, et ce n'est qu'après des négociations que les ouvriers se mettent en grève.

Je crois donc, messieurs, que la Chambre doit discuter la loi pour rester conséquente avec les intentions qu'elle a manifestées à différentes reprises.

M. Couvreurµ. - L'honorable M. Pirmez disait tantôt que la vérité est toujours bonne à dire et qu'il accepterait volontiers qu'elle lui fût dite à lui-même. A ce titre, il ne se trouvera pas offensé si je lui dis qu'en réalité, tout en se croyant partisan de la liberté des coalitions, il en est au fond l'adversaire. C'est pour ce motif qu'il nous propose l'ajournement du débat, c'est-à-dire le maintien de la législation actuelle ; c'est pour ce motif encore qu'il trouve mauvaise la modification introduite par le Sénat dans le projet adopté par la Chambre et qu'il repousse l'interprétation donnée par l'honorable M. Van Humbeeck à l'article 2 de la loi.

Quant à l'ajournement, M. le ministre de la justice a parfaitement indiqué les raisons pour lesquelles il fallait le repousser.

Je n'ai rien à ajouter à son argumentation et je lui laisserai également le soin de justifier la suppression des poursuites pénales pour les cas où les parties ne respectent pas les contrats qu'ils ont librement souscrits.

Reste l'autre disposition, celle qui, en commutant des peines contre ceux qui portent atteinte à la liberté du travail par des amendes ou des proscriptions quelconques, pourrait, selon l'interprétation qui lui serait donnée, détruire tout l'effet de l'excellent principe déposé dans la loi.

Quoi qu'en puisse penser l'honorable M. Pirmez, je ne veux pas me faire l'avocat des coalitions ni des meneurs qui entraînent les ouvriers à se coaliser.

Les coalitions sont chose éminemment regrettables, mauvaises, pour les intérêts généraux de la société, pour les intérêts des industries, pour les intérêts surtout des ouvriers qui y ont recours. Le premier effet des coalitions est de faire retomber au rang des ouvriers, des salariés, tous les petits patrons ; d'augmenter, par conséquent, le nombre de ceux qui offrent leurs bras et de diminuer le nombre de ceux qui en emploient. Or, pour que le salaire hausse, il faut, au contraire, que le nombre des entrepreneurs d'industrie augmente. Mais cette vérité, et bien d'autres vérités économiques, les classes laborieuses doivent les apprendre, soit par l'enseignement, soit par l'expérience, et non par l'action des lois répressives.

La pratique, surtout, est une excellente maîtresse en ces matières. L'Angleterre l'a bien compris.

Après avoir essayé, pendant de longues années et de toutes les façons, de rédiger des lois contre et sur les coalitions, elle y a renoncé.

Elle pratique aujourd'hui la liberté absolue, qui effarouche si fort l'honorable membre ; elle tolère les grèves redoutables, dont il a tracé un si sombre tableau, et elle s'en trouve bien.

En effet, les grèves, jadis si étendues en Angleterre, tendent aujourd'hui à diminuer ; les ouvriers, mieux éclairés sur leurs intérêts, les abandonnent, et au lieu de sacrifier leurs épargnes à l'entretien des Trade Unions, ils se montrent beaucoup plus disposés à les porter dans les caisses des sociétés coopératives, qui offrent la véritable solution du problème.

Lorsqu'une coalition se forme et que, soit ouvriers, soit patrons, veulent, par des amendes, des interdictions ou des proscriptions, empêcher un des leurs de travailler ou de faire travailler, il est évident que cette atteinte à la liberté individuelle doit être punie, et dabs ce sens, je n'ai rien à objecter à la rédaction adoptée par le Sénat ; mais il n'en peut plus être de même si l'amende ou l'interdiction est le résultat d'une entente antérieure à la coalition, d'un contrat librement consenti et d'une abdication volontaire de la liberté.

M. Mullerµ. - Proposez alors un amendement à la loi du Sénat.

M. Couvreurµ. - Voici le cas qui peut se présenter. Des patrons s'associent, sous peine d'amende, pour faire observer un règlement. Ils déclarent qu'ils ne donneront du travail, dans leurs ateliers, qu'aux ouvriers qui se soumettront à ce règlement. Direz-vous qu'il y a, là, un délit punissable ? Evidemment non. Cependant, c'est une proscription contre le patron qui abandonnerait la cause commune. Mais cette proscription résulte d'un contrat librement consenti, consenti peut-être longtemps avant qu'aucun refus de travail se soit produit.

De même, des ouvriers peuvent s'associer, s'engager les uns envers les autres à ne pas travailler en dessous d'un certain salaire, sous peine d'une amende ou de l'exclusion.

De tels engagements peuvent être nécessaires, par exemple dans la constitution de sociétés de secours mutuels. Le fait, en lui-même, est parfaitement licite. Mais ce qui ne le serait plus et ce qui doit être puni, ce seraient les amendes, les interdictions, les proscriptions prononcées soit contre l'ouvrier qui est resté libre de tout engagement, soit contre celui qui, dans la limite de son droit, veut rompre l'engagement qu'il a contracté.

M. Hymans. - Et tout cela, au nom de la liberté.

M. Couvreurµ. - Evidemment. Tout cela, au nom de la liberté. Vous êtes libre de ne pas contracter ces engagements, de ne pas aliéner votre volonté.

(page 846) Ce n'est pas à la loi pénale qu'il faut demander la répression de l'abus que vous pouvez avoir fait de votre liberté ; sinon, toute association devient impossible. La coalition ne peut devenir punissable que lorsqu'il y a contrainte, pression extérieure ; en un mot, lorsque l'individu qui subit cette contrainte la subit contre son gré, ainsi que l'honorable M. Van Humbeeck l'a très clairement expliqué tantôt.

M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'avais dit, dans mon premier discours, qu'interpréter dans un sens absolu le mot « interdiction », c'était punir en réalité toutes les coalitions, parce qu'il est impossible d'en imaginer une seule dans laquelle une interdiction n'existerait pas. La coalition est précisément une convention dans laquelle les ouvriers ou les maîtres s'interdisent réciproquement de travailler ou de faire travailler en dehors de telles ou telles conditions.

L'honorable M. Pirmez veut qu'on punisse l'interdiction toujours ; c'est vouloir qu'on punisse toutes les coalitions.

Ce qu'il faut punir, selon moi, c'est la contrainte, la contrainte physique ou la contrainte morale ; pour bien m'expliquer, je m'empare du texte de la loi et je dis que s'il ne s'agit que de produire la hausse ou la baisse des salaires, il n'y a pas de coalition punissable ; que si au contraire on veut mettre la coalition au service de la violence, si on veut forcer la hausse ou la baisse, alors la répression légitime commence.

Mais, dit l'honorable M. Pirmez, vous voulez donc que les ouvriers puissent se mettre à l'index ? C'est ce que je ne veux pas, au contraire.

Ici, il ne me faut du reste pas les mots « interdiction, prescription, amende » ; le mot « menace » me suffit. De la menace je n'en veux pas et je comprends qu'elle puisse former le caractère d'un fait parfaitement répréhensible ; en revanche, je ne puis admettre que des clauses pénales librement consenties entre patrons ou ouvriers, clauses qui feraient partie du règlement d'une association dont on est toujours libre de sortir, dans laquelle on ne reste que parce qu'on le veut bien, puissent former une cause de répression légitime.

En interprétant la loi avec ce rigorisme, on confirmerait les doutes exprimés au Sénat par d'honorables membres qui craignaient que le projet ne reprît d'une main ce qu'il paraissait donner de l'autre.

Quel que soit, du reste, le sens qu'on entende donner au projet de loi, il constitue, dans tous les cas, une amélioration de la législation existante ; à ce point de vue, je dois m'opposer à la proposition d'ajournement faite par l'honorable M. Pirmez.

Il est impossible de laisser en vigueur une loi condamnée aujourd'hui par l'opinion publique, condamnée dans cette assemblée même par tous les hommes qui se sont occupés de la matière, y compris l'honorable M. Pirmez, qui, tout en se constituant l'approbateur d'un système plus sévère que celui du gouvernement, ne se fera pas le défenseur du système du Code pénal de 1810.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois qu'avant tout la Chambre doit décider si elle entend discuter la loi sur les coalitions. Je crois que c'est un premier point à vider. Si ce point est résolu affirmativement, je répondrai aux observations de l'honorable M. Van Humbeeck et des autres membres.

M. Pirmezµ. - Messieurs, je demande la parole pour insister sur l'ajournement. La question sur laquelle le Sénat vient de se prononcer lui a été transmise par la Chambre, il y a plusieurs années. Je désire que la loi sur les coalitions soit réformée, mais avant de prendre une pareille mesure il faut l'examiner mûrement ; et je ne comprends pas qu'après le long sommeil de cette question, il faille la réveiller, la veille de notre séparation.

La question soulevée par l'honorable M. Van Humbeeck n'est qu'une question d'interprétation de deux mots de la loi. Vous voyez à quels débats donne déjà lieu cette question secondaire, et l'on veut aborder la discussion de la question principale !

L'honorable M. Couvreur me dit que je fais une proposition d'ajournement, parce que je ne veux pas de loi abolissant les peines sur les coalitions. Si l'honorable membre avait examiné le débat de 1860 que l'on considère comme ayant si bien éclairé le Sénat et que M. le ministre de la justice déclarait tantôt pouvoir si bien éclairer la Chambre, il aurait vu que j'ai proposé le premier l'abolition des peines sur les coalitions.

C'est moi qui ai proposé dans cette enceinte la liberté des coalitions et je suis encore fermement convaincu que cette liberté est nécessaire, mais ce que je ne veux pas, c'est que, sous prétexte de liberté des coalitions, on autorise d'abord la violation des engagements ordinaires, des engagements dont la violation par un commerçant, par exemple, entraîne la peine de la banqueroute simple ou frauduleuse ; ce que je ne veux pas, c'est qu'un négociant puisse se trouver traîné devant les tribunaux et condamné à la prison par suite du refus de travail concerté de mauvaise foi par ses ouvriers pour l'empêcher de remplir ses engagements, alors qu'on déclarera légitime l'acte de ses ouvriers qui aura causé sa ruine. Ce que je ne veux pas, c'est que, sous prétexte de liberté de coalition, on enchaîne la liberté individuelle. Ce qu'a soutenu l'honorable M. Couvreur n'est pas autre chose que cela : c'est la faculté pour les meneurs des ouvriers de les entraîner dans des coalitions permanentes.

Voyez les conséquences de ce système. Je suppose que dans une association on dispose que tout ouvrier qui, malgré la décision du chef, reprendrait son travail s'engage à perdre la moitié de son salaire pendant dix ans au profit de l'association.

M. Couvreurµ. - Il sortira de l'association.

M. Pirmezµ. - Si votre système est vrai, cette convention est valable. Non seulement elle ne sera pas punie, mais les tribunaux devront y donner main forte.

Le malheureux ouvrier qui dans un moment d'excitation, comme cela arrive toujours en matière de coalition, prendra ce terrible engagement ne pourra plus sortir de la société sans avoir payé la peine qu'il aura encourue ; vous viendrez avec l'aide des tribunaux lui ravir la moitié de son salaire pendant 10 ans.

Voilà les conséquences de votre système. Je suis convaincu que vous n'avez pas vu que vous détruisiez la liberté sous prétexte de la conserver, car sans cela vous n'auriez pas soutenu les idées que vous venez défendre.

M. le ministre de la justice vous a dit que la question avait marché depuis 1859.

Je ne puis discuter maintenant les progrès que la question a pu faire, ce serait me livrer à un débat que je veux précisément éviter ; mais qu'il me soit permis de rappeler dans quelle circonstance a été votée la loi de 1860. Le bureau de la Chambre était alors couvert de pétitions d'ouvriers ; il y avait une agitation très vive à Gand. Les pétitions arrivaient par centaines ; jamais, à aucune époque, la question des coalitions n'a été soulevée avec autant d'ardeur et de véhémence.

Qu'est-il arrivé cependant ?

C'est qu'après le vote de cette loi qu'on attaque aujourd'hui le mouvement est complètement tombé. Les ouvriers ont compris alors que quand nous leur disions : Coalisez-vous librement, mais mettez votre dignité au niveau de celle des négociants que la loi oblige à remplir leurs engagements. Et ils ont compris que nous avions concilié la liberté et le droit.

Je voudrais savoir pourquoi, aujourd'hui que cette question ne se produit plus avec cette agitation d'autrefois, on veut détruire ce qui a produit d'aussi heureux résultats et cela sans même nous livrer à un examen sérieux de la question.

C'est pour obtenir de la Chambre cet examen que j'insiste en ce moment.

MpVµ. - Aux termes de l'article 24 du règlement, la proposition d'ajournement a la priorité et ne suspend pas le débat.

MfFOµ. - A moins que la Chambre n'en décide autrement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que la Chambre pourrait parfaitement décider si elle entend discuter la question des coalitions. Si elle se prononce pour l'affirmative, j'aurai des observations à présenter. Nous discutons maintenant l'ajournement et le fond.

M. Mullerµ. - Je voulais tantôt soumettre à la Chambre une observation : c'est que l'honorable M. Van Humbeeck a attribué à la loi une signification qui ne me semble pas être celle que le Sénat a voulu lui donner. J'ai lu très attentivement le rapport de la commission, qui a été soumis à cette assemblée, sur la question des coalitions, et je n'y ai rien trouvé qui, contrairement aux intentions, claires, selon moi, de l'article voté par la Chambre, puisse autoriser les amendes que les ouvriers s'imposeraient, et que déclare permises l'honorable M. Van Humbeeck. Nous nous trouvons donc dans cette position : l'honorable député de Bruxelles ne présente pas d'amendement, et il vous dit : Je vote la loi avec cette signification ! Eh bien, moi, je repousse cette interprétation, qui ne ressort ni du rapport fait au Sénat, ni d'aucuns débats.

A quoi servirait, en effet, de ne proscrire et punir que les amendes qui ne seraient pas réclamées en vertu d'engagements pris ? De quelles autres amendes pourrait-il s'agir ?

J'ajouterai une dernière observation : c'est que les avocats qui ont rédigé les pétitions des ouvriers (car je suppose qu'ils ont eu recours naturellement à des hommes de loi) n'ont pas interprété la loi comme (page 847) M. Van Humbeeck : en effet, ils demandent à la Chambre des modifications aux dispositions votées par le Sénat. II me paraît donc évident qu'on veut attribuer à cette loi une portée tout autre que celle qu'a voulu lui donner le Sénat. Pour le surplus, je ne me prononce pas sur le fond, mais il m'a semblé que mes observations méritaient d'être prises en considération.

- Des membres. - Aux voix l'ajournement !

M. Dumortier. - La conséquence à tirer et du discours de M. Pirmez et du discours de M. Muller est que ce que nous aurions de mieux à faire serait d'ajourner ce débat (Interruption.) On ne peut examiner ce projet de loi avec fruit sans s'être assuré de ce qui a été fait au Sénat. (Aux voix !) .

M. Mullerµ. - Je désirerais savoir ce que, dans l'opinion de M. le ministre de la justice, le Sénat a entendu autoriser ou interdire et si lui-même interprète la loi comme le fait M. Van Humbeeck ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Avant de répondre aux observations qui me sont présentées, je demande que l'on vide la question d'ajournement. Il faut procéder avec ordre.

- Des voix. - Aux voix l'ajournement !

- D'autres voix. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

72 membres y prennent part.

35 répondent oui.

37 répondent non.

En conséquence, la Chambre n'ajourne pas.

Ont répondu non :

MM. Grosfils, Hayez, Jacobs, Jamar, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Moreau, Orts, Reynaert, Rogier, Schollaert, Tack, Thienpont, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Vleminckx, Allard, Bara, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Bast, de Conninck, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Naeyer, de Rongé, Dewandre, Frère Orban, Funck et Ern. Vandenpeereboom.

Ont répondu oui :

MM. Hymans, Janssens, Jacquemyns, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Mascart, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Pirmez, Thibaut, Thonissen, T'Serstevens, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Warocqué, Wasseige, Braconier, de Brouckere, de Haerne, de Mérode, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq, Dumortier, Dupont, Elias et Goblet.

La discussion continue.

M. Hymans. - Comme la Chambre ne paraît pas préparée à ce débat qui a une grande importance, je demanderai qu'on le mette à l'ordre du jour de demain et que nous votions, en attendant, les petits projets ; ce serait autant de gagné.

M. Orts. - La proposition de l'honorable M. Hymans, c'est tout simplement l'ajournement, moins la franchise. (Interruption.) Cela est incontestable.

M. Hymans. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. Orts. - Il est convenu qu'aujourd'hui tout le monde dit la vérité. Si nous n'abordons pas immédiatement le projet en question, nous allons absorber la séance par de petits projets et demain il n'y aura plus personne à la séance.

M. Hymans (pour un fait personnel). - Il est convenu qu'aujourd'hui tout le monde dit la vérité, excepté moi, puisque, d'après M. Orts, je propose l'ajournement, moins la franchise. Je ne propose pas d'ajournement, mais M. Orts propose l'ajournement des autres projets qui se trouvent à l'ordre du jour.

S'il est vrai que la Chambre ne se trouvera pas en nombre demain, réunissons-nous ce soir pour discuter ce projet. Je le veux bien, mais il est évident que maintenant la Chambre n'est pas préparée à la discussion. (Interruption.)

Personne n'est muni de ses pièces et la question est trop grave pour qu'on la vide en 5 minutes.

Je maintiens donc ma proposition, que M. Orts l'accepte ou la combatte, peu importe, et je demande que la Chambre veuille bien décider qu'elle poursuit son ordre du jour et qu'elle remet à sa séance de demain la question des coalitions. Je m'engage à être présent.

M. Dumortier. - Je modifierai la proposition de M. Hymans, de façon à la faire adopter par tout le monde.

Nous avons un ordre du jour très chargé, mais il est à remarquer que, parmi les objets qui y figurent, il en est, tels que les projets de crédit qui doivent être votes de toute nécessité. De l'avis de tout le monde nous sommes arrivés à la fin de la session. (Interruption.) Beaucoup de membres sont occupés à faire leurs préparatifs de départ ; il en est déjà même qui sont partis. Il me semble donc qu'il serait sage de voter d'abord les crédits qui sont à l'ordre du jour. (Interruption.)

Ce ne sont d'ailleurs que des appels nominaux.

- Voix diverses. - Appuyé !

M. Funckµ. - Au risque de déplaire à 1 honorable M. Hymans, je dois lui dire que je ne puis pas considérer comme sérieuse la nouvelle proposition d'ajournement qu'il vient de présenter. (Interruption.)

Le projet de loi sur les coalitions est à notre ordre du jour depuis plusieurs jours ; nous avons été tous régulièrement avertis que la discussion en aurait lieu ; ceux qui étaient disposés à prendre part à la discussion ont pu prendre leurs dispositions, se munir des pièces dont ils avaient besoin. Je ne comprendrais donc pas, surtout après la décision qui vient d'être prise, que la Chambre adoptât la nouvelle proposition d'ajournement qui vous est soumise.

M. Hymans. - Mais ce n'est pas une proposition d'ajournement.

M. Funckµ. - N'avez vous pas proposé d'ajourner la discussion à demain ?

M. Hymans. - Sans doute, mais n'avez-vous pas l'intention de venir demain ?

M. Funckµ. - Je déclare que j'ai bien certainement l'intention de venir demain et c'est précisément parce que j'ai cette intention et que je vous la suppose aussi, que vous ne devez pas craindre que la Chambre ne vote pas les projets de loi en faveur desquels vous voulez faire votre proposition d'ajournement.

M. Hymans. - Je me rallie à la proposition de l'honorable M. Dumortier.

M. Vleminckxµ. - La proposition de l'honorable M. Dumortier, en supposant que la Chambre l'adopte, n'avancerait guère nos travaux : ce n'est pas d'un ou de deux crédits que nous avons à nous occuper encore, il y en a sept à notre ordre du jour ; or, il est tout à fait impossible de les voter séance tenante, à moins que vous ne décidiez qu'on n'en discutera aucun.

MpVµ. - Il serait impossible d'épuiser aujourd'hui notre ordre du jour, même en supposant qu'il n'y eût que des votes ; je pense donc que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de continuer la discussion du projet de loi sur les coalitions.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je dois faire remarquer à la Chambre qu'il s'agit d'une question qui ne manque pas d'importance.

M. Hymans. - Ce n'est pas la seule qui soit importante.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sans doute, mais la Chambre n'a cessé de répéter l'année dernière que le projet de loi sur les coalitions présentait un grand caractère d'urgence, et la Chambre a insisté auprès du gouvernement pour qu'il obtînt du Sénat le vote de ce projet.

Nous avons obtenu ce résultat ; le projet de loi est soumis à la Chambre et maintenant on vient nous proposer de voter d'abord des projets de loi de crédits.

Oui, messieurs, nous avons des projets de loi à voter ; mais il y a des ouvriers qui attendent la loi et je crois que nous ne pouvons pas négliger un pareil intérêt.

Nous sommes à' la fin de notre session et on pourrait nous dire que nous avons pris tout le temps de nous occuper de questions politiques ; et que nous n'avons pas trouvé le temps de nous occuper des intérêts des ouvriers. Eh bien, comme membre du gouvernement, je ne puis pas accepter cette position et je crois que la Chambre ferait chose très utile en consacrant même une séance à la discussion du projet de loi sur les coalitions.

- Plusieurs membres. - Continuons !

MpVµ. - Il y a une proposition d'ajournement à demain ; je la mets aux voix.

- Cette proposition n'est pas adoptée.

MpV. - La discussion générale est ouverte.

- Personne ne demandant la parole, l'assemblée passe à la discussion des articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Celui qui aura méchamment ou frauduleusement communique des secrets de la fabrique dans laquelle il a été ou est encore employé, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à (page 848) trois ans et d'une amende de cinquante francs à deux mille francs. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Sera punie d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à mille francs, ou de l'une de ces deux peines seulement, tonte personne qui, dans le but de forcer la hausse ou la baisse des salaires, ou de porter atteinte au libre exercice de l'industrie ou du travail, aura commis des violences, proféré des injures ou des menaces, prononcé des amendes, des défenses, des interdictions ou toute proscription quelconque, soit contre ceux qui travaillent, soit contre ceux qui font travailler.

« Il en sera de même de tous ceux qui, par des rassemblements près des établissements où s'exerce le travail ou près de la demeure de ceux qui le dirigent, auront porté atteinte à la liberté des maîtres ou des ouvriers. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Van Humbeeck m'a demandé tout à l'heure, messieurs, quel était le sens qu'on devait donner au mot « amende » qui se trouve dans l'article 2.

A cet égard, messieurs, il est impossible an gouvernement de répondre d'une manière satisfaisante ; le mot « amende » qui se trouve dans l'article 2 a été puisé dans l'article 416 du Code pénal, et ce mot a été introduit dans le nouveau Code sans aucune explication, je pense, soit à la Chambre, soit au Sénat. Dès lors, messieurs, le sens du mot « amende » sera celui qu'il avait sous l'empire du Code de 1810 ; tout ce que nous pourrions dire sur ce point n'aurait qu'une valeur purement doctrinale ; c'est aux tribunaux qu'il appartiendra de décider les questions, en tenant compte des circonstances.

Quant à mon opinion personnelle, si l'honorable membre tient à la connaître, je dirai que je ne suis pas tout à fait de l'avis de l'honorable M. Couvreur.

On peut, dit-il, aliéner la liberté du travail. Je ne crois pas si cela est conforme aux véritables principes de la liberté. Mais quoi qu'il en soit, je répète que ce sont les tribunaux qui jugeront chaque cas et qui décideront s'il y a eu violence ou pression et si dès lors il y a lieu d'appliquer l'article que nous discutons.

M. Couvreurµ. - Je me rallie parfaitement à ce que vient de dire M. le ministre de la justice, c'est pourquoi je me suis abstenu de présenter un amendement. En effet, l'appréciation des tribunaux peut varier selon les cas et les tribunaux jugeront d'après le texte de la loi que nous aurons votée.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Pirmezµ. - Messieurs, je crois que la question soulevée l'a été déjà, lors de la discussion du Code pénal dans cette Chambre, par l'honorable M. Guillery. Je sais qu'alors cette question a été résolue dans un sens contraire à celui de l'honorable M. Van Humbeeck.

Les honorables membres qui ont assez étudié la discussion de 1859, pour ne plus avoir besoin de discussion sur le projet doivent mieux se le rappeler que moi.

Ce n'est pas, du reste, sur cette question que je veux parler ; je me trouve en présence de la décision de la Chambre sur l'ajournement, obligé de dire à l'improviste pourquoi je ne me rallie pas aux principes qui ont été adoptés par le Sénat. Je ne puis entrer dans de longs développements ; la Chambre me permettra de dire en quelques mots ce que je reproche à l'amendement fait au projet de loi.

Je ne me rallie pas au système du Sénat pour deux motifs principaux ; je ne m'y rallie pas par respect pour le droit ; je ne m'y rallie pas, parce que je crois que ses conséquences sont mauvaises.

Je dis d'abord que je ne m'y rallie pas par respect pour le droit.

Je suis convaincu qu'il faut toujours, dans toutes les matières, donner à la liberté le plus d'étendue possible ; mais je suis également convaincu qu'il n'y a de liberté que lorsqu'on respecte le droit.

Je veux donc la liberté la plus illimitée des coalitions, comme de toutes les autres espèces d'association ; je veux que chacun soit libre de s'entendre pour travailler ou pour ne pas travailler ; que chacun soit libre de vendre ou de ne pas vendre sa marchandise ; que chacun soit libre de hausser ou de baisser le prix de son travail ou de sa chose ; mais je veux aussi, et avec la même énergie de volonté, que toujours le droit soit respecté.

Le système que la Chambre des représentants avait admis conciliait ces deux exigences, la liberté et le droit, il n'apportait aucune limite à la liberté des coalitions ; mais en même temps, il proscrivait la coalition contre le droit.

Il assurait le droit de se coaliser et maintenait le droit contre la coalition.

Voici comment la Chambre opérait cette conciliation entre le droit et la liberté.

D'une part la coalition sans violation du droit des tiers était permise ; d'autre part, la coalition faite au mépris d'engagements était punie.

Le respect des engagements est aussi sacré que le respect de la propriété.

Quand il y a une atteinte à la propriété et que l'action civile est insuffisante, la loi la réprime par une peine ; quand il y a une atteinte à un engagement, la loi doit la réprimer aussi par une peine, lorsque l'action civile est une inefficace garantie.

Dans les attentats contre la propriété, la loi donc tantôt prononce et tantôt ne prononce pas de peine.

Ainsi, en matière de choses mobilières, la loi édicte des pénalités ; en matière de choses immobilières, la loi ne prononce pas de peine. Elle punit le vol, elle ne punit pas l'usurpateur d'un fonds de terre.

Dans les matières d'engagements, il doit en être de même. Quand l'action civile suffît, il ne faut pas prononcer de peine ; quand l'action civile n'est pas suffisante, il faut prononcer une peine.

Dans les cas ordinaires, elle n'attache aux obligations que l'action civile ; mais en matière de violations de dépôts, la loi établit une sanction pénale ; elle prononce encore une peine lors qu'un négociant manque à ses engagements même par une simple faute, c'est-à-dire quand il se rend coupable de banqueroute simple ; elle prononce une peine plus grave, lorsque à la violation des ses engagements, il joint le dol, c'est-à-dire quand il se rend coupable de banqueroute frauduleuse.

Nous reconnaissions en 1860 que lorsque l'ouvrier viole isolément son contrat sans mauvaise intention, sans dol, sans combinaison de mauvais moyens pour atteindre plus sûrement l'effet dommageable que son infraction doit produire, nous reconnaissions que la peine était inutile ; mais nous ajoutions que lorsque les ouvriers se concertent pour violer simultanément leurs engagements, qu'ils sont ainsi coupables d'un dol évident et qu'ils infligent ainsi à celui envers qui ils ont contracté, de propos délibéré, un dommage plus considérable, il devait y avoir une sanction pénale.

Je suppose que vingt ouvriers soient chargés d'entretenir la marche d'un haut fourneau ; à un moment donné, ils se concertent et vont dire à leur maître : « Augmentez notre salaire ; sinon nous brisons nos engagements tous ensemble, nous vous quittons simultanément. Votre haut fourneau va s'éteindre : subissez nos exigences, si vous ne voulez subir un irréparable dommage. » Est-il possible, dans ce cas, de dire qu'il ne faut pas punir les ouvriers ? On nous dit : « Le maître a l'action civile. » C'est la seule réponse qu'on nous fait. Oui, le maître a l'action civile. Mais cela suffit-il ? Comment ! l'industriel subira une perte de 50,000 fr. peut-être par le fait de ces 20 ouvriers qui se sont réunis, qui ont concerté la violation de la foi promise ; et vous croyez avoir répondu à tout par cette phrase : Il a l'action civile !

Est ce sérieux ? est-ce là, je le demande, une garantie suffisante du maintien du droit ?

Quoi ! vous mettez en prison celui de ces ouvriers qui aura soustrait quelques morceaux de houille chez son patron ; et ce même ouvrier ne subira pas de peine quand, en violant ses engagements avec mauvaise foi, il aura posé un acte aussi immoral que le vol, et mille fois plus dommageable pour celui avec qui il a contracté ses engagements.

Messieurs, vous faites la loi ; votre premier devoir c'est de prendre des mesures pour que force soit assurée au droit ; quand vous ne faites pas cela, vous faites une mauvaise loi et vous ne remplissez pas votre devoir.

Messieurs, j'ai déjà signalé les conséquences fâcheuses de ce système ; permettez moi de revenir au maître de forge que je prenais pour exemple tout à l'heure.

Ce maître de forge, par le concert que je supposais tout à l'heure, peut être obligé de manquer à ses engagements, de cesser de fournir le fer qu'il a promis, de se voir constituer en suspension de payement. Dans ce cas que ferez-vous ? Vous bornerez-vous à dire aux créanciers qu'ils ont l'action civile ? Non, vous chercherez s'il n'y a pas de dol dans la conduite de cet industriel, et s'il y avait dol vous le condamneriez aux travaux forcés.

Quant aux ouvriers, cause de la catastrophe, coupables eux aussi d'une véritable banqueroute, vous déclareriez que la loi pénale ne peut les atteindre.

Mais vous irez plus loin pour le maître de forge ; vous aurez examiné son train de vie ; vous rechercherez s'il n'a pas fait de dépenses (page 849) exagérées ; si, dans toute sa conduite, il est à l'abri de toute faute. Et si dans cette enquête, vous trouvez, non pas fait de dol, mais une simple faute, vous le ferez condamner à deux ans de prison peut-être ! Et pendant que vous le condamnez à cette peine sévère pour une simple faute, vous renverrez l'ouvrier devant le juge civil dont les condamnations à son égard seront dérisoires.

Je dis que cette loi est profondément inique. Quand vous punissez la banqueroute du capital, vous ne pouvez laisser impunie la banqueroute du travail.

Messieurs, je viens de démontrer que l'amendement du Sénat est contraire au respect du droit ; j'aborde le second grief que j'élève contre cet amendement. Je dis que cette modification est mauvaise, parce qu'elle est fâcheuse dans ses résultats.

J'ai déjà eu occasion de le dire, je veux la liberté des coalitions parce que je considère comme un droit de pouvoir se coaliser. Mais qu'on ne pense pas que, parce que la coalition est un droit, la coalition soit un bien et qu'il faille l'encourager. (Interruption.)

M. Funckµ. - Personne ne dit cela.

M. Pirmezµ. - Sans doute, l'honorable M. Couvreur a dit qu'il ne fallait pas encourager les coalitions, mais...

M. Funckµ. Personne ne dit qu'il faut les encourager.

M. Pirmezµ. - L'honorable M. Couvreur a dit qu'il ne fallait pas encourager les coalitions ; mais, en même temps, il est venu soutenir qu'il fallait donner la sanction des tribunaux aux dispositions des règlements d'association qui ont pour but de forcer les ouvriers à la coalition.

Il veut écrire dans la loi bien autre chose que la liberté de coalition, l'intervention de la loi pour la maintenir.

Et peut-on dire après cela que l'on ne veut pas encourager les coalitions ?

Si vous ne voulez pas des coalitions, regardez alors aux conséquences des propositions que vous faites et je défie qui que ce soit de dire que ce ne soit pas favoriser les coalitions que de leur donner l'autorité pour se maintenir, malgré la volonté même des malheureux qui s'y sont engagés.

Je disais donc que la coalition est une chose qu'il faut admettre ; mais je disais en même temps que la coalition était une chose qu'il ne faut pas encourager. La coalition est presque toujours mauvaise.

M. Couvreurµ. - Toujours.

M. Pirmezµ. - Très bien ; la coalition est donc une chose mauvaise, une chose dangereuse, qui a produit de funestes résultats. Me voilà bien d'accord avec mes honorables contradicteurs. Le point de départ est le même.

Je suis charmé d'avoir ce point de départ commun. Nous allons voir ici qui est logique d'eux ou de moi.

Nous sommes d'accord pour ne pas désirer les coalitions. Elles ont été la source des plus terribles calamités industrielles dans les pays où elle a existé ; presque toujours, elle a entraîné la ruine des maîtres et la misère des ouvriers.

Je la tolère donc, comme je tolère toujours l'usage de la liberté ; mais quand elle n'est plus l'usage de la liberté, qu'elle est au contraire la violation du droit, qu'ainsi la justice et le droit m'autorisent à l'empêcher, pourquoi la protégerais-je ?

Je respecte le droit et la liberté, lorsque je dis aux ouvriers : Vous pouvez vous coaliser ; mais avant de vous coaliser, respectez vos engagements. Et si, en tenant ce langage qui est le langage du droit, le langage de la liberté, vous pouvez espérer d'empêcher une coalition que vous considérez avec moi comme une chose mauvaise, pourquoi ne le tiendriez-vous pas ? Pourquoi en face d'un danger, d'un mal que nous reconnaissons tous, investis d'un moyen que le droit et la liberté autorisent, refusez-vous de conjurer le danger en employant ce moyen ?

M. Van Humbeeck. - Pour être logique, vous devriez maintenir tout à fait le code pénal.

M. Pirmezµ. - Je vais vous démontrer que vous êtes dans l'erreur.

Je veux permettre la coalition. Je vous ai dit que je considérais la coalition comme l'usage d'un droit et je ne veux pas violer le droit ; je veux donc permettre complètement la coalition quand elle n'est pas un attentat au droit. Or, le code pénal ne fait pas cela. Il repousse la coalition, même lorsqu'elle est irréprochable, lorsqu'elle est l'usage légitime de la liberté d'association. Voilà pourquoi j'ai proposé de modifier le code pénal. C'est cette modification profonde que nous apportons au code pénal qui fait disparaître ce qui était l'attentat au droit.

Mais vous devez bien reconnaître que quand la coalition, que vous considérez avec moi comme mauvaise, est la violation d'un engagement, cette coalition n'est plus légitime, n'est plus juste. Eh bien, cette chose injuste d'après vous et d'après moi, cette chose mauvaise d'après vous et d'après moi, pourquoi ne la punissez-vous pas ?

Vous ne sauriez le dire.

M. Lelièvreµ. - Parce qu'il ne s'agit là que de la violation d'un simple engagement civil, de la violation des obligations résultant du contrat de louage, fait qui ne peut justifier l'application de peines publiques et le recours à des voies extraordinaires.

M. Pirmezµ. - Je veux bien répondre à votre objection. Mais avant d'ouvrir cette parenthèse qui me forcera à revenir sur mes pas en rompant mes idées, permettez-moi de continuer à répondre à mes autres contradicteurs.

Vous reconnaissez que la coalition est mauvaise ; que, dans certains cas que j'ai indiqués, elle est injuste. Pourquoi voulez-vous la permettre dans ces cas ? Mais évidemment, ce n'est plus par respect du droit que vous agissez ; vous passez au-dessus du droit pour faire une chose qu'il repasse ; c'est-à-dire que vous supprimez la garantie du droit pour permettre la coalition.

Si vous souteniez qu'il y a un grand bien dans les coalitions, je comprendrais, mais je n'admettrais pas que vous voulussiez porter atteinte au droit pour faire le bien.

Cela ne serait pas moral, mais on verrait au moins une raison. Mais comment pouvez-vous vouloir violer le droit pour arriver à un résultat que vous considérez avec moi comme dangereux et mauvais ?

J'ouvre maintenant la parenthèse que sollicite l'honorable M. Lelièvre.

Il me dit : Il ne s'agit que d'un simple engagement civil. Je lui réponds : Pourquoi punissez-vous la banqueroute ? C'est aussi la violation de simples engagements.

M. Lelièvreµ. - Dans la banqueroute, il s'agit de faits graves, troublant l'ordre public et portant atteinte au crédit public ; on comprend en ce cas l'application de mesures pénales.

M. Pirmezµ. - Je crois que l'honorable M. Lelièvre se paye de mots.

Je dis que l'on punit dans la banqueroute la violation de simples engagements civils, et la démonstration est bien simple : c'est que quand un individu paye ses dettes, il n'y a jamais banqueroute. Je crois que l'honorable M. Lelièvre, qui est un savant jurisconsulte, ne trouvera pas qu'il y ait un cas de banqueroute lorsque les dettes sont payées.

L'essence de la banqueroute n'est-elle pas la faillite, et la faillite n'est-elle pas la cessation des payements ?

Quand donc on punit la banqueroute, on punit la cessation de payements accompagnée de circonstances aggravantes.

La banqueroute trouble l'ordre public, le crédit ! Sans doute. Et les coalitions ne les troublent-elles pas ?

Mais puisque l'honorable M. Lelièvre a bien voulu ouvrir cette parenthèse, qu 'il me permette de dire ce que le Sénat a fait. C'est réellement très curieux.

Le Sénat a trouvé qu'il fallait, pour la coalition, se contenter de l'action civile, de cette action civile si efficace pour l'industriel ruiné qui pourra demander à ses ouvriers des dommages-intérêts ! Mais le Sénat qui ne veut pas punir la violation de l'engagement civil, qu'a-t-il fait ? Il a introduit dans la législation un nouveau délit ; il punit ceux qui font des effets de commerce sans provision. Or, c'est bien un engagement civil que celui qui est constitué par un effet de cette nature ; et pour ce cas, le Sénat prononce une peine.

Nouvel exemple à ajouter à ceux que je citais, et je suis heureux de trouver le Sénat admettant si complètement la thèse que je défends.

Je reviens à l'ordre d'idées que je développais.

J'ai démontré à mes adversaires, et j'ai obtenu leur aveu, que la coalition était toujours mauvaise.

Ils ne peuvent contester qu'elle ne soit en outre injuste, dans le cas qui nous occupe. Donc nous devons la punir.

Maintenant quelle est la grande différence du projet du Sénat et du projet de la Chambre, quant à leur influence sur 'es conséquences désastreuses des coalitions, la voici :

Presque toujours, l'expérience le prouve, la coalition est le fruit d'une irritation passagère. Quand nous trouvons de ces coalitions qui conduisent à de grandes grèves, on rencontre presque toujours dans le (page 850) principe un courant rapide de mécontentement qui a provoqué la désertion du travail.

L'ouvrier s'engage dans la coalition sans réflexion, et une fois qu'il y est engagé le retour est difficile parce qu'il se trouve dans un mauvais milieu, parce qu'il subit les excitations des meneurs. S'il est obligé de réfléchir vingt-quatre heures, il renoncera presque toujours à ces projets dangereux de coalition et de grève.

Le but pratique de notre loi, qui veut faire respecter le délai de quinzaine, est précisément de donner aux ouvriers le temps de la réflexion.

M. Crombez. - Cela n'est pas pratique.

- Un membre. - Ce sont de généreuses illusions.

M. Pirmezµ. - Nous allons voir.

Je disais donc, messieurs, que généralement les grèves étaient des effets instantanés d'une irritation irréfléchie. Quand nous aurons donné à l'ouvrier le temps de la réflexion, quand vous aurez permis les pourparlers avec le maître, quand nous aurons ainsi donné à l'ouvrier le moyen d'apprécier sainement ses intérêts, la coalition sera presque toujours évitée. N'oubliez pas que l'ouvrier trouve souvent au foyer domestique des conseils calmes, des conseils sages qu'il peut méditer et qui l'éloigneront des désastreuses extrémités auxquelles la coalition conduirait leur famille.

D'après le système présenté par le Sénat, l'ouvrier n'aura plus rien qui le retiendra. Au moment de l'irritation, il pourra quitter immédiatement l'atelier, la coalition sera faite et la grève commencée.

Dans notre système il aura le temps de réfléchir et de subir les influences dont je viens de parler, et presque toujours, les démarches du maître aidant, la coalition sera évitée.

Voilà le résultat pratique des deux systèmes.

Et qu'on ne dît pas qu'il n'y a là que de généreuses illusions, car l'expérience prouve la vérité de ce que j'avance. L'ouvrier sait parfaitement qu'il est engagé et il sera très aisé de lui faire comprendre que le châtiment sera juste s'il manque à ses engagements.

Quand les ouvriers se coalisent, c'est qu'ils croient avoir le droit, la justice pour eux.

C'est une chose très remarquable que, quand des hommes sont réunis en grand nombre, s'ils éprouvent de l'irritation c'est qu'ils croient avoir le bon droit de leur côté ; ils se trompent souvent, mais le sentiment qui fait agir les masses est toujours un profond sentiment de justice. J'engage mes honorables adversaires à y réfléchir, ils verront que ce fait est général ; on peut le constater dans les coalitions, dans les grèves et même dans les émeutes.

Quand on viendra dire à l'ouvrier : « Vous avez le droit de vous coaliser mais vous devez respecter vos engagements, » l'ouvrier comprendra fort bien ce langage, et ce sentiment de justice violée qui seul le fait se rebeller, lui faisant défaut, il attendra pour quitter son travail. Or, une grève différée est presque certainement une grève conjurée.

Consultez les industriels, ils vous citeront bien des cas où les ouvriers ont repris leur travail quand on leur a montré leurs engagements.

Qu'il me soit permis de dire à la Chambre : Vous faites une grande réforme, une réforme qui a occupé les législateurs de tous les pays de l'Europe ; dans cette réforme soyez prudents. La Belgique a été à l'abri du fléau des grèves, craignez de les provoquer ; n'allez pas d'abord aux extrêmes, et surtout ne sacrifiez pas des garanties que le droit et la liberté ne repoussent pas.

S'il était démontré que le projet de loi, que nous considérons comme dangereux, l'est réellement, que feriez-vous après avoir adopté le système que je combats et que l'on défend au nom de ces principes de fausse liberté contre lesquels je proteste ? Il vous serait impossible de reculer. Si au contraire vous adoptez le système que je soutiens, vous serez toujours libres d'aller plus loin, lorsque l'expérience vous aura éclairés.

A ceux mêmes qui trouveront que le système du Sénat serait un progrès, je dirai qu'il vaut mieux avancer moins pour avancer encore plus tard, que de s'exposer à devoir faire plus tard des pas en arrière.

M. le ministre de la justice a abandonné le système de la Chambre en grande partie, parce que la législature française a adopté le système qui vous est soumis par le Sénat. On a dit : « La France ne punit dans aucun cas la coalition, ne la punissons pas ; elle accorde la liberté illimitée des coalitions, accordons-la. »

Dans la discussion française, ce qui m'a frappé, c'est l'attention sérieuse, la forte impression qu'a produite sur le corps législatif le système admis par nous. La commission du corps législatif s'est arrêtée pendant huit jours, hésitant si elle n'adopterait pas ce système. Le Sénat n'a pas cru devoir s'arrêter aussi longtemps.

Dans la discussion du corps législatif, un orateur a défendu notre système, et son discours a été interrompu fréquemment par des marques d'approbation. Il n'est pas de discours, de tous ceux qui ont été prononcés, qui ait obtenu autant d'adhésion que celui dont je parle.

Mais, dira-t-on, pourquoi le système de la Chambre belge n'a-t-il pas été adopté ? Je vais vous dire, messieurs, pourquoi il n'a pas été adopté. C'est parce que la situation des deux pays est complètement différente.

Pourquoi a-t-on accordé en France la liberté des coalitions ? Parce qu'on n'y a ni la liberté de réunion, ni la liberté de la presse.

Je trouve vraiment plaisant qu'on vienne nous dire : Puisque la France admet les coalitions sans jamais les réprimer, nous pouvons bien supprimer toute répression.

Je voudrais bien savoir ce qu'est la liberté de coalition sans la liberté de réunion ?

Faculté de se coaliser, mais à distance et sans être réunis. Croyez-vous que l'on ait en France la liberté de correspondance ? Nullement, puisque la cour de cassation a jugé que les correspondances pouvaient constituer la réunion prohibée, de sorte que les coalisés ne peuvent guère se parler et qu'ils ne peuvent pas non plus s'écrire.

Mais, direz-vous, il y a peut-être un remède, c'est la liberté de la presse ; ils pourront s'entendre par la voie des journaux. Je ne sais ce qu'on pourrait entendre par liberté de la presse en France. (Interruption.)

Je trouve donc plaisant qu'on vienne nous dire : « La France a adopté la liberté des coalitions, par conséquent nous pouvons l'adopter aussi. »

Mais en France, cette liberté est un vain mot ; vingt ouvriers ne pourraient se coaliser malgré le gouvernement, et s'il se fait des coalitions c'est dans les limites de son bon plaisir.

Je repousse bien fort ce système français, quant à la presse, quant au droit de réunion, mais si nous avions ce système, je ne me préoccuperais pas le moins du monde de la question des coalitions, je considérerais comme tout à fait insignifiante toute discussion à cet égard.

Voilà où nous en arrivons avec cette déplorable imitation de la France.

Jugeons donc les questions d'après nos institutions qui diffèrent du tout au tout de celles de la France.

Quand la question de coalition a été discutée au corps législatif, presque tous les membres qui y soutiennent les principes de liberté ont combattu le principe de la loi ; et ce serait ce système que nous adopterions par imitation !

Il ne faut pas, sur de vaines apparences, abandonner le système que nous avons d'abord admis et il ne faut pas appliquer à un pays de liberté des mesures qui sont établies dans un pays de gouvernement absolu.

J'exprimerai à la Chambre, en terminant, un double regret. Je regrette de l'avoir entretenue si longtemps et de n'avoir pas, pour ce débat inattendu, été à même de traiter d'une manière plus approfondie une question qui méritait de lui être soumise dans d'autres moments.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.