(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 761) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance de mercredi.
M. Coomans. - J'ai une rectification à faire au compte rendu officiel de la séance du 9 mai.
L'annexe du Moniteur me fait dire que les concessions faites par le gouvernement au concessionnaire de chemins de fer circulaires dans le Brabant, ont été rédigées avec une « légèreté » extraordinaire.
Telle n'a pas été ma pensée ; telle n'est pas celle que j'ai exprimée. J'ai dit : avec une « sévérité » extraordinaire et pas avec une « légèreté » extraordinaire.
Messieurs, il y a mille fautes d'impression dans le Moniteur. Je trouve superflu d'ordinaire de les signaler, quoiqu'elles soient un fait très regrettable. Mais je dois déclarer qu'une accusation aussi injuste dirigée contre M. le ministre des travaux publics n'est jamais entrée dans mes intentions.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
« Même demande d'habitants de Molenbeek-Saint-Jean. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Le conseil communal d'Arlon demande que la garantie d'un minimum d'intérêt en faveur du chemin de fer de Virton ne soit accordée que pour la construction d'une ligne d'Arlon à Virton, par Châtillon, Saint-Léger et Elbe. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Meerbeke se plaignent que le concessionnaire du chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand ait supprimé, sans enquête préalable et contrairement au plan adopté, la rue la plus fréquentée de la commune. »
- Même renvoi.
« D'anciens militaires, qui ont été employés à l'octroi à Bruxelles, demandent d'être assimilés pour la pension à ceux de leurs collègues qui sont entrés dans les administrations de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guillaume Ghysen, cafetier à Liège, né à Spanbeck (partie cédée du Limbourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Des ouvriers de Bruxelles présentent des observations sur l'article 2 du projet de loi relatif aux coalitions. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Léau prient la Chambre de rejeter la disposition du projet du code pénal qui punit les combats de coqs. »
- Renvoi à la commission de révision du code pénal.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction la demande de naturalisation du sieur Prévost, N. J.»
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Par message du 2 mai 1866, le Sénat renvoie à la Chambre le projet de code pénal amendé par lui. »
- Renvoi à la commission de révision du code pénal.
« M. Lebeau, retenu chez lui par la maladie d'un de ses enfants, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. Vander Doncktµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant des crédits supplémentaires au département des finances.
M. de Kerchoveµ - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant au ministère des travaux publics des crédits supplémentaires à concurrence de 1,185,609 fr. 48 c.
M. de Haerneµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale, qui a examiné le projet de loi réglant le mode de détermination des dépenses d'exploitation du canal concédé de Bossuyt à Courtrai.
M. Couvreurµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a examiné l'acte d'accession du duché de Saxe-Cobourg-Gotha à la convention entre la Belgique et le royaume de Saxe pour la garantie de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, et des dessins et marques de fabrique.
M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à allouer au département de l'intérieur un crédit de 555,000 francs pour les frais du recensement général.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
MpVµ. - La Chambre a ordonné le dépôt au greffe des dossiers relatifs aux bourses d'étude, pour être mis à la disposition des membres de la Chambre. J'ai invité, par un avis signé, les membres à ne pas éloigner ces dossiers du palais de la Nation. Un dossier ne se retrouve pas ; je prie le membre qui par mégarde l'aurait conservé devers lui, de vouloir bien le réintégrer au greffe.
M. Pirmez. - Je désirerais faire une interpellation à M. le ministre de la justice sur une réclamation relative à son discours, qui m'a été envoyée et que je lui ai adressée. (Interruption.)
J'ai transmis à M. le ministre de la justice une réclamation qui m'a été envoyée et que je crois fondée. M. le ministre doit l'avoir examinée et je désirerais avoir sa réponse.
Il est évident que si la réponse de M. le ministre de la justice est conforme à la réclamation, ce sera un point entièrement vidé et dont il ne sera plus question.
M. Jacobsµ. - Il en parlera quand il en sera question. Ce n'est pas là une motion d'ordre.
M. Pirmezµ. - Est-ce que je n'ai pas le droit d'interpeller M. le ministre de la justice ? Voici, messieurs, quel est le fait :
M. le ministre de la justice, dans son discours de vendredi dernier, a dit que les collateurs de la fondation Colin avaient attribué deux bourses à un même individu qui était censé étudier tout à la fois à Bonne-Espérance et à Tournai.
Messieurs, il y a dans ce fait des circonstances réellement exceptionnelles qui ont produit une erreur. Il y a à Châtelet deux personnes ayant le même nom, les mêmes prénoms, le même domicile et qui en 1858 et 1859 se destinaient toutes deux à l'état ecclésiastique. (Interruption.)
J'ai reçu cette réclamation de M. le doyen d'Ath, alors collateur de la fondation Colin, qui m'a demandé de rectifier le fait dans la séance d'aujourd'hui. C'est pour satisfaire à ce désir et remplir un devoir de loyauté que je prends la parole. Je suis surpris de soulever tant d'opposition à droite.
Voilà donc le fait. J'ai immédiatement transmis à M. le ministre de la justice la réclamation de M. le collateur de la fondation Colin, en (page 762) ajoutant que je savais personnellement que deux individus ayant le même nom et le même prénom... (Interruption). Ils s'appellent tous les deux ; Léopold Lorent.
M. Dumortier. - Pas du tout.
M. Pirmezµ. - C'est ce que porte même la réclamation dont je parle.
Mais parce que cette erreur serait excusable, elle n'en est pas moins une erreur qui doit être rectifiée. Je demande donc à M. le ministre de la justice de vouloir faire droit à cette réclamation, si, comme j'ai lieu de le croire, elle est fondée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Pirmez m'a communiqué, ce matin, une lettre dans laquelle on formule une réclamation au sujet d'un fait que j'avais signalé dans la séance du 5 mai, dans les termes suivants :
« Dans la fondation Colin, un étudiant toucha pour la même année scolaire (1858-59) une bourse pour étudier au petit séminaire de Bonne-Espérance et une autre bourse pour étudier au séminaire de Tournai. »
Ce fait a été relevé dans le rapport de la députation permanente sur les comptes des fondations pour l'année 1858-1859, rapport qui a été déposé sur le bureau de la Chambre.
Les deux personnes qui ont été prises pour une seule se destinent toutes deux à l’état ecclésiastique ; elles sont de la même localité, elles portent le même nom et le même prénom.
M. Dumortier. - Pas le même prénom.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les deux boursiers figurent tous les deux dans le rapport de la députation sous le même prénom ; la pièce est déposée, vous pouvez le constater, ils sont portés tous les deux comme originaires de Châtelet. Renseignements pris, il se trouve que ce sont deux personnes différentes.
M. Coomans. - Ah !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il fallait crier ah ! lorsque M. Dumortier, pour un seul fait qu'il a cité, s'est trouvé dans l'obligation de venir le rectifier ; il fallait crier ah ! pour M. Delaet qui, parlant de la fondation Terninck, a commis une erreur manifeste.
M. Delaetµ. - J'y reviendrai.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il fallait encore crier ah ! pour M. Delaet, qui croit se trouver en présence du fossoyeur des solidaires, alors qu'il se trouve en présence du fossoyeur des catholiques.
J'ai cité, moi, environ 150 faits ; il n'y a donc pas lieu de vous récrier pour une erreur que je rectifie. Et remarquez que l'erreur que j'ai commise se comprend parfaitement, car sur mille vous ne trouverez pas deux fois ce phénomène de deux individus portant le même nom, les mêmes prénoms, habitant la même localité et ayant la même année une bourse pour étudier la théologie. (erratum, page 801) On ne peut prétendre qu'une pareille erreur a été commise de mauvaise foi. J'ajoute que cette erreur ne m'est pas imputable personnellement; ce fait a été relevé par les fonctionnaires de mon département dans un compte envoyé par la députation permanente et dans lequel les deux boursiers sont indiqués comme portant le même nom et le même prénom.
MpVµ. - La parole est à M. Delcour.
M. de Theuxµ. - Je prierai M. Delcour de consentir à ce que je parle le premier pour répondre aux deux griefs articulés par M. le ministre de la justice contre mon administration.
Je crois que cela serait d'autant plus opportun que ces deux griefs n'ont rien de commun avec ceux qui concernent les administrateurs spéciaux.
M. Delcourµ. - Je cède volontiers mon tour de parole à l'honorable comte de Theux ; je viendrai en second lieu, immédiatement après lui.
M. de Theuxµ. - Vous aurez remarqué la rectification que vient de réclamer M. Pirmez et à laquelle M. le ministre de la justice a consenti. Bien que les apparences donnassent raison à M. le ministre de la justice, le fait était tellement exorbitant, tellement invraisemblable, qu'il n'aurait pas dû être produit dans cette enceinte, avant qu'on eût demandé des renseignements aux personnes mêmes... (Interruption). La plus simple règle de prudence conseillait cette marche.
Le premier grief articulé par M. le ministre de la justice concerne une école de filles à Herve tenue par les religieuses récolletines et l'arrêté royal pris en 1835, le 19 août, sur mon rapport ; le second concerne une école de demoiselles à Liège, tenue par les religieuses bénédictines et l'arrêté royal du 25 février 1839, également contresigné par moi.
Je pourrais me borner à dire que ces deux arrêtes ont été pris sur le rapport conforme du comité des fondations institué par le roi Guillaume dans son arrêté de 1818, commission qui renfermait dans son sein plusieurs jurisconsultes éminents, membres de cours supérieures, de la cour de cassation et de la cour d'appel ; que ces arrêtés sont longuement motivés ; que ce comité était institué par le roi Guillaume : 1° dans l'intérêt de l'instruction publique ; 2° en vue d'éclairer le ministre sur les nombreuses questions de droit qui pouvaient surgir dans l'application des arrêtés rétablissant les bourses et les fondations.
La simple lecture de ces deux rapports constituera ma justification la plus complète aux yeux de tout homme impartial et je dirai que j'ai alors pris la responsabilité de ces deux actes et que je la maintiens sans en rien rétracter.
Prenons le premier fait. Il existait, dans la ville de Herve, une école de filles tenue par des religieuses sous le nom de récolletines.
Un arrêté du préfet du département de l'Ourthe rétablit cette école supprimée à l'époque de la grande révolution et de la conquête de la Belgique par la France.
Il maintint comme institutrices cinq religieuses récolletines nominativement désignées.
Voilà donc le gouvernement impérial complice du fait.
Un arrêté du roi Guillaume du 2 avril 1826 dispose :
« 2° Uk charge le ministre de l'intérieur de proposer les moyens propres à conserver et à maintenir les biens pour le service de l'instruction publique.
« Il ordonne de maintenir la jouissance des biens aux religieuses jusqu'au décès de la dernière, tout en leur défendant de se perpétuer. »
Le 11 juin 1830, M. le ministre de l'intérieur du royaume des Pays-Bas, sur la demande de la régence de Herve qui était dénuée de moyens financiers et qui désirait avoir une école moyenne de garçons, statua que le local et le peu de propriétés qui y étaient annexées seraient affectés à l'école de garçons.
Les religieuses voulant continuer l'instruction des filles suivant les actes de fondation demandèrent au gouvernement de les maintenir en possession et le gouvernement les autorisa à continuer l'instruction primaire.
J'oubliais de dire que le 30 septembre 1831, le Roi Léopold alloua 2,000 fr. pour approprier le bâtiment de l'école moyenne.
En 1835, l'école des religieuses était encore en possession et elle continuait l'instruction.
Elles réclamèrent auprès du gouvernement.
L'affaire fut instruite ; elle fut soumise à l'avis du comité des fondations et voici le rapport auquel elle donna lieu, rapport que j'ai certainement le droit de lire puisqu'il constitue la justification la plus complète de l'arrêté royal que j'ai provoqué. Cet avis a été délibéré dans trois séances du comité.
Le comité était composé, suivant l’arrêté royal du 27 octobre 1834, de MM. Van Hooghten, président de la cour d'appel, membre honoraire avec droit de séance, chevalier de Guchteneere, conseiller à la cour de cassation, Peleau, id., Dugniolle, secrétaire général, Van Laeken, conseiller, Levieux, id., le chevalier Van Male père et son fils, secrétaire.
Rapport lu à la commission consultative pour les affaires concernant les fondations d'instruction publique, par M. le conseiller Peteau, membre honoraire de ladite commission, dans ses séances du 9 janvier, du 28 février et du 20 mars 1835, et adopte par elle dans cette dernière séance
Vers l'an 1616, un couvent de l'ordre des récolletines fut érigé dans la ville de Limbourg avec l'autorisation du roi d'Espagne, duc du Limbourg ; ce couvent ayant été dévasté et incendié par les troupes françaises, les religieuses se réfugièrent à Herve, où, en 1676, elles obtinrent du baron de Lynden, seigneur de Herve, l'autorisation d'ouvrir une école pour l'instruction des jeunes filles.
En 1682, le roi d'Espagne leur accorda l'octroi d'acheter une maison et un bonnier de terrain situé à Herve, sous condition qu'elles continueraient de donner l'instruction à la jeunesse, et que lorsqu'elles recevraient les filles dans leur cloître, celles de la province auraient la préférence sur les étrangères.
En 1779 pendant que ces religieuses remplissaient le but de leur institution, le gouvernement autrichien voulut convertir leur couvent en collège, mais les réclamations des autorités du Duché du Limbourg, de la ville de Herve et de ses habitants lui firent abandonner ce projet, et Marie-Thérèse fit bâtir dans cette ville un collège aux frais de l'Etat.
(page 763) La révolution française survint ; elle entraîna la suppression des ordres monastiques, et nonobstant l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, (particulière aux 9 départements réunis) qui exemptait de la mainmise nationale, ou plutôt soustrayait à quelques-uns de ses effets les maisons religieuses dont l'institut avait pour objet l'instruction publique, et qui leur continuait, comme par le passé, le droit d'administrer les biens dont elles jouissaient, il paraît certain que le couvent des récolletines de Herve fut adjugé publiquement en location le 22 floréal an VI ; qu'une partie au moins des rentes appartenant à ce couvent fut réunie au domaine le 20 brumaire an V, et que le mobilier fut vendu le 15 nivôse an VII, et acheté, en tout ou partie, par des habitants qui en laissèrent la jouissance aux religieuses.
Il est assez probable, quoiqu'on n'en trouve pas la preuve au dossier, que l'adjudicataire de la location du couvent en laissa également la jouissance aux religieuses, mais ce qui est hors de doute, c'est qu'elles l'occupaient en 1807, époque où, à la demande du maire et du conseil municipal de Herve, le préfet du département de l'Ourthe prit, le 20 mars 1807, un arrêté portant institution à Herve d'une école primaire destinée à l'instruction des filles de cette commune et de celles avoisinantes, et nomination tout à la fois de cinq religieuses récolletines comme institutrices.
C'est en cette qualité qu'elles continuèrent à donner l'enseignement ; si, en 1822, elles firent infructueusement la démarche de soumettre leurs statuts à l'approbation royale, et de demander au gouvernement des Pays-Bas la reconnaissance de leur association, elles obtinrent du moins, le 1er juillet 1824, de la commission d'instruction de la province de Liège, l'autorisation de continuer l'exercice de leurs fonctions d'institutrices, pendant trois ans, autorisation qui fut renouvelée le 1er juillet 1827, pour un espace de trois autres années, par l'inspecteur du troisième district d'écoles de la même province.
Pendant ces entrefaits, l'administration des domaines ayant manifesté l'intention de s'emparer des bâtiments et autres biens de l'association dont s'agit, M. le ministre Falck s'y opposa et en fit prendre possession au nom de l'instruction publique.
Quelque temps après cette prise de possession et le 11 janvier 1830, parut un arrêté qui autorisa l'érection d'une école moyenne pour les garçons à Herve.
Cet acte est d'une trop grande importance dans l'affaire actuelle pour qu'on puisse se borner à en présenter une simple analyse.
« Le ministre de l'intérieur,
« Vu la requête de la régence de Herve tendante à pouvoir ériger une école moyenne dans cette ville ;
« Les rapports et avis de la députation des Etats de la province de Liège concernant cette demande ;
« L'autorisation royale du 31 décembre dernier, n°18.
« Arrête :
« Art. 1er. L'érection d'une école moyenne à Herve est autorisée et elle sera organisée sur les bases indiquées dans la dépêche ministérielle du 14 juillet 1829, n°131, dont communication a été donnée à la régence de cette ville.
« Elle pourra provisoirement être établie dans le local de l'ancien établissement d'instruction publique dit des récolletines, à Herve.
« Les religieuses de cet établissement encore existantes conserveront la jouissance des appartements qu'elles occupent dans ce local, ainsi que du produit des jardins et prairies, et les revenus qui subsistent dudit établissement, au décès de ces religieuses, en produits et revenus pourront être affectés aux besoins de l'école.
« Art. 2. Il y aura près de cette école un bureau d'administration qui aura, outre les attributions que lui confèrent les règlements généraux sur les athénées et collèges, etc., l'administration des biens, rentes, droits et actions de l'ancienne institution des récolletines à Herve, sous la direction et surveillance spéciale d'un proviseur et de la députation des Etats de la province de Liège ; il se conformera exactement, pour tout ce qui concerne cette administration, aux règles établies par l'arrêté royal du 2 décembre 1823, journal officiel, n°49. Il rendra compte de sa gestion comme administrateur de ces biens, et dans le courant du premier trimestre de chaque année, au proviseur qui le transmettra, avec son avis, à la députation des Etats.
« Sont nommés membres du bureau d'administration, outre le bourgmestre de la ville qui en fera de droit partie : MM. G. J. Garot, échevin, J.-J.-T. Monseur, échevin, J.-E. Nicolay, juge de paix, E.-C.-J. Snoeck, négociant
« Art. 3. Les fonctions de proviseur sont confiées à M. L.-N.-J. Ernst, professeur en droit à l'université de Liège.
« Art. 4. Le bureau d'administration nous soumettra, sans retard, par l'intermédiaire du proviseur et de la députation des Etats pour qu'ils puissent y joindre leurs observations et avis, un projet de règlement particulier pour l'école et une liste de candidats pour les différentes chaires à y établir.
« Art. 5. Quatre expéditions du présent arrêté, deux exemplaires, l° du règlement général sur l'organisation des athénées, collèges, 2° du règlement sur l'enseignement dans les athénées et collèges, 3° de l'instruction ministérielle pour les bureaux d'administration, 4° de l'arrêté ministériel du 4 mars 1825, n°37, 5° de l'extrait de l'arrêté royal du 9 septembre 1826, n°45, seront adressées à la députation des Etats de la province de Liège, avec invitation de veiller à l'exécution dudit arrêté et d'adresser une de ces expéditions, un exemplaire de chacun de ces règlements, arrêtés, etc., au proviseur, de faire parvenir pareilles pièces au bureau d'administration et une expédition dudit arrêté à la régence de Herve.
« La Haye le 11 janvier 1830, signé, de la Coste. »
Cet arrêté n'avait encore reçu aucune exécution, lorsque la révolution belge éclata.
En 1831, le bureau d'administration de l'école moyenne de Herve s'adressa au chef du gouvernement qui, par arrêté du 30 septembre même année, lui accorda une somme de 2,000 florins pour l'entretien et les réparations du local de cet établissement. Dans une dépêche du 27 décembre 1832, M. le bourgmestre de Herve dit que la régence de cette ville sentant que le succès de l'école moyenne dépendait principalement du choix de son principal, fit différentes démarches auprès de plusieurs ecclésiastiques pour les engager à accepter cet emploi, mais que toutes les tentatives furent inutiles, qu'ayant de plus acquis la certitude que nul ecclésiastique n'accepterait la direction du collège, la régence était décidée à la confier à un laïque, lorsqu'on apprit que de nouvelles religieuses devaient arriver au couvent des récolletines pour y former une école de filles.
Cette nouvelle fournit matière, le 11 septembre 1832, à une délibération de la régence, dans laquelle il fut résolu de former opposition à l'admission de ces nouvelles religieuses ; cette opposition fut signifiée, le même jour, par exploit d'huissier à la dame supérieure du couvent des récolletines : cette dame, par représailles, fit à son tour signifier le 19 septembre à la régence, dans la personne du bourgmestre, un exploit par lequel elle déclarait s'opposer à tout acte de propriété ou de possession que la régence voudrait exercer sur le couvent dont la requérante et ses religieuses se prétendaient propriétaires exclusives et incommutables.
Quoiqu'il en soit de ces actes, vers la fin d'octobre 1832, deux nouvelles religieuses étrangères à l'ordre des récolletines et appartenant à celui des sœurs de la Providence furent admises dans le couvent, et dans les premiers jours de novembre 1832 elles ouvrirent une nouvelle école de filles qui paraît avoir fait tant de progrès qu'au commencement de 1834 elle comptait près de 200 élèves.
Après avoir fait l'historique du couvent des récolletines de Herve, en tout ce qui a trait plus ou moins direct avec les questions que soulève l'affaire actuelle, il est convenable de rappeler aussi tout ce qui a rapport au collège de cette ville.
Ce collège érigé, ainsi qu'on l'a vu plus haut, sous le règne de Marie-Thérèse, prospéra jusqu'à l'occupation de la Belgique par les armées françaises, époque où il cessa d'exister ; il se releva, en 1802, sous le titre d'école moyenne. En 1813, la ville de Herve ayant été désignée comme lieu d'étapes, les bâtiment de son collège furent transformés en hôpital militaire et en magasins, et éprouvèrent des dégradations assez considérables.
Après 1815, la régence de Herve affecta les bâtiments du collège à différents usages ; elle y logea la gendarmerie, y plaça l'école primaire ; elle-même en occupe une partie.
Elle fit, en 1825, des démarches pour obtenir l'autorisation d'ériger une école moyenne dans le local du couvent des récolletines, et obtint successivement les arrêtés des 11 janvier 1830 et du 30 septembre. 1831. Se fondant aujourd’hui sur les droits qu'elle prétend avoir (page 764) acquis en venu desdits arrêtés, aux bâtiments du couvent qui ne sont pas nécessaires à l'habitation des anciennes religieuses, elle demande l'exécution du premier de ces arrêtés et qu'on fasse cesser les obstacles y apportés.
A l'objection qu'on lui fait qu'il est dans l'intérêt de la ville de posséder deux établissements d'instruction pour les deux sexes et qu'elle les obtiendra en érigeant son école moyenne dans les bâtiments construits expressément à l'usage d'un collège, la régence répond que cet arrangement serait pour la ville de Herve la cause d'une perte et de dépenses montant ensemble, annuellement, à une somme d'au moins 1,000 francs, en ce qu'elle perdrait le loyer qu'elle perçoit pour le casernement de la gendarmerie et qu'elle devrait louer les locaux nécessaires pour placer l'école primaire et la régence ; qu'en outre les réparations à faire aux bâtiments du collège pour le rendre propre à sa destination première s'élèveraient à une somme de 15,000 à 20,000 francs, et que cette dépense excède de beaucoup les moyens de la ville.
Les partisans du maintien du couvent des récolletines comme maison d'institution pour les filles dénient l'importance des réparations à faire aux bâtiments du collège, prétendent qu'elles pourraient être effectuées à l'aide de la somme de 4,000 francs fournis par le gouvernement et de celle de 8,000 fr. à produire par la réalisation des souscriptions faites par les habitants de Herve et des lieux voisins, qui s'intéressent fortement à la conservation de l'école des filles ; ils observent que l'école primaire peut être replacée, sans grande dépense pour la ville, dans le local destiné à cette école avant sa translation dans les bâtiments du collège.
Abordant le point de droit, ils observent que l'arrêté du 11 janvier 1830 n'a jamais reçu d'exécution, qu'il a été pris dans un temps où on ne permettait plus aux anciennes religieuses de se recruter et de se mettre ainsi à même de remplir le but de leur institution ; que les motifs qui ont fait prendre cet arrêté sont venus à cesser depuis que la Constitution belge a proclamé la liberté de l'enseignement et le droit d'association ; qu'au surplus l'arrêté du 11 janvier 1830 n'a conféré à la ville de Herve aucun droit à la propriété du couvent, ni même aucune espèce de droit acquis à la jouissance d'icelui, ce qui ressort clairement des termes dans lesquels cet acte est conçu.
La députation des Etats-Provinciaux, consultée sur ces différends, a transmis son avis le 2 avril 1834, portant qu'il convient de laisser subsister l'école des filles et d'ériger le plus promptement possible l'école moyenne des garçons dans l'ancien local du collège.
Avant d'aborder toutes les questions que cette affaire peut faire naître et qui ont été posés par M. le ministre, il nous a paru nécessaire d'examiner la suivante, parce que nous croyons que la solution de cette question préliminaire facilitera la solution de plusieurs questions qui seront rappelées ci-après.
Quels sont les droits qui compétent, soit à l'Etat, soit aux anciennes religieuses récolletines de Herve, soit à la ville relativement à la propriété ou à la jouissance du couvent des récolletines, situé en la ville susdite de Herve ?
De la combinaison des dispositions :
1° Du décret des 2 et 4 novembre 1789 (Répertoire, v° Clergé, tome IV, p. 414) ;
2° De l'article 53du litre II du décret des 8 et 14 octobre 1790 (Pasinomie, tome 1er, p. 398) ;
3° Des articles 1, 6, 7, 8 et 9 du titre Ier du décret des 25-28 octobre et du 5 novembre 1790 ;
4° De l'article 20 de la loi du 13 fructidor an IV (Bulletin, 73, n°673, tome VIII) ;
5° De la loi du 25 fructidor an V (Recueil de Huyghe, tome XIV, page 13) ;
6° De l'arrêt du 19 germinal an VIII, article 20 (Recueil de Huyghe, tome III, consulat, p. 138 et 142) ;
7° Et de l'arrêté du 20 prairial an X (Recueil de Huyghe, consulat, tome IX, p. 208) ;
Il résulte que tous les biens des établissements religieux, même de ceux dont l'institut avait pour objet l'instruction publique, ont été placés sous la mainmise nationale, et à ce titre, sont passés dans le domaine de l'Etat ; que néanmoins en ce qui concerne les biens des maisons religieuses enseignantes, les effets de cette mainmise nationale ont été suspendus quant à la vente par les différentes lois précitées qui ont affecté ces biens, au moins ceux qui restaient, à l'instruction publique et laissé leur administration et jouissance aux membres du corps enseignant aussi longtemps qu'ils se voueraient à l'instruction.
Sans cette affectation, on ne pourrait expliquer la légalité d'une foule d'arrêtés pris par le chef du gouvernement français et notamment de ceux des 19 germinal an VIII et 20 prairial an X que l'on se borne à citer parce qu'ils ont été pris sous le consulat et ainsi à une époque où le chef du gouvernement ne s'était pas encore permis de violer les lois.
Il est, en effet, de principe incontestable qu'aucune portion du domaine public ne peut être distraite au détriment de l'Etat qu'en vertu d'une loi ; un autre principe, non moins certain, c'est que le droit de faire les lois n'appartenait pas au pouvoir exclusif, qu'à cet égard il n'en avait pas d'autre que celui de prendre des arrêtés pour leur exécution.
Il suit de là que sans le principe de l'affectation légale à l'instruction publique des biens de la catégorie dont s'agit (principe qui au surplus découle pour la Belgique de l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV et dont les arrêtés des 19 germinal et 20 prairial n'étaient que l'exécution), ces arrêtés auraient constitué un empiétement sur le pouvoir législatif, empiétement dont le chef du gouvernement français tarda encore alors à donner des exemples.
Les conséquences qui nous paraissent découler de ce qui précède :
1° C'est que le couvent des récolletines de Herve n'a pas cessé d'être la propriété de l'Etat depuis la mainmise nationale, quoiqu'il ait été affecté à l'instruction publique ;
2° que les anciennes religieuses récolletines n'ont aucun droit de propriété sur ce couvent malgré leurs prétentions contraires élevées dans leur exploit d'opposition, qu'elles n'en ont que la jouissance provisoire et subordonnée à la condition qu'elles continueront de donner ou feront donner l'instruction conformément au but de leur institution.
Il va également sans dire que l'arrêté ministériel du 11 janvier 1830 n'a conféré aucun droit de propriété sur ce couvent à la ville de Herve ; les termes de cet acte ne permettent pas d'en supposer l'intention et eût-elle existé chez son auteur, une semblable aliénation n'était pas en son pouvoir et n'aurait pu avoir lieu qu'en vertu d'une loi.
Mais cet arrêté a-t-il conféré à la ville de Herve un droit à la jouissance du couvent et d'une nature telle qu'il ne puisse être révoqué ?
Si on admet le principe que l'affectation de certaines portions du domaine de l'Etat à l'instruction publique n'a pas été faite en vue des personnes, mais de la chose, en d'autres termes que c'est moins l'avantage des religieuses enseignantes qu'on s'est proposé de faire que celui de l'instruction publique elle-même, on peut bien en conclure que lorsque ces religieuses ne voulaient ou ne pouvaient plus donner l'instruction ou bien encore lorsqu'il s'élevait un motif d'intérêt public, la jouissance de ces biens pouvait leur être retirée, sauf au pouvoir exécutif à faire contourner, conformément au vœu de la loi, ces mêmes biens à l'avantage de l'instruction en les employant de manière à se rapprocher, autant que possible, de leur destination primitive.
Mais dans l'espèce, l'acte du 11 janvier 1830 entrait-il dans les attributions du ministère de l'intérieur, M. de Lacoste, et cet acte ne renferme-t-il pas une disposition contraire aux principes fondamentaux de la matière ?
Nous tenons pour la négative sur le premier point, et pour l'affirmative sur le deuxième. Ce n'est qu'en donnant une extension aux attributions conférées au (page 765) ministre de l'intérieur, par l'arrêté du 20 décembre 1818, que M. de la Coste a pris celui du 11 janvier 1830. Il ne s'agissait en effet ni de rétablir purement et simplement une fondation de collège, maïs bien de supprimer un établissement consacré à l'éducation des filles, au profit d une école moyenne de garçons à ériger, et certes l'arrêté de 1818 ne conférait pas au ministre un semblable pouvoir.
Aux termes de l’article 6 de ce dernier arrêté, et en supposant toutefois que l’affaire dont s'agit fût soumise à l’application de cet arrêté, le roi s'était réservé des dispositions à prendre dans le cas où la destination primitive ne pourrait plus être suivie ; or, si l’arrêté de 1818 était applicable (ce que nous ne saurions croire), il n'y avait pas de raison de s'écarter de la règle contenue en son article 6.
On vise bien dans l'arrêté du 11 janvier 1830 une autorisation royale, mais on n'y énonce ni sa nature, ni son objet, et elle n'est pas rapportée.
Abordant le deuxième point, nous disons que cet arrêté viole ouvertement un des principes fondamentaux de la matière, principe consacré par l'article 6 de l'arrêté du 20 décembre 1818 et déjà sanctionné par le décret du 2 nivôse an XIV. Ce principe veut que lorsque la destination ne peut plus être entièrement suivie, il faut recourir aux moyens les plus analogues.
N'oublions pas que les religieuses récolletines avaient acheté de leurs deniers la maison et le terrain qui formait leur couvent, qu'elles avaient voué leur établissement et elles-mêmes à l'éducation des jeunes filles ; ceci posé, on conçoit très bien qu'à défaut par les religieuses récolletines de continuer l'instruction, on aurait pu les remplacer par d'autres institutrices, car, ainsi que nous l'avons observé, c'est moins les personnes que la chose elle-même qu'on a eu en vue ; mais anéantir l'école des filles pour, de ses dépouilles, créer une école moyenne de garçons, c'est, nous le pensons, commettre la plus flagrante violation du principe prérappelé.
Si, toutefois, on pensait qu'il n'y a pas lieu de révoquer l'arrêté du 11 janvier 1830, soit sous le rapport d'excès de pouvoir de la part du ministre qui l'a porté, soit sous le rapport de la violation qu'il renferme du principe rappelé ci-dessus, nous serions encore d'avis qu'il doit être rapporté sous un autre point de vue.
Les concessions faites par cet arrêté à la ville de Herve sont toutes provisoires ; il n'a dès lors pas conféré un droit irrévocable à cette ville ; son rapport ne lui enlèvera aucun droit acquis, et il ne peut être différé lorsque l'équité le réclame ; il offrira d'autant moins d'inconvénient, que l'arrêté n'a jamais reçu d'exécution.
Première question. Le gouvernement peut-il révoquer l'arrêté ministériel du 11 janvier 1830, en tant qu'il accorde à la régence de la ville de Herve l'autorisation d'établir provisoirement une école moyenne pour les garçons, dans le couvent des récolletines, et en ce qu'il porte qu'au décès des religieuses les produits des revenus du couvent pourront être affectés à l'école moyenne.
Première réponse. L'affirmative n'a point paru douteuse : 1° parce que cet arrêté n'a conféré aucun droit irrévocable à la ville de Herve, soit à la propriété, soit à la jouissance du couvent ; qu'il ne contient pas de dispositions provisoires, et qu'il est de l'essence de toute décision provisoire quelconque de pouvoir toujours être rapportée ; 2° parce que cet arrêté doit être considéré comme entaché de nullité pour excès de pouvoir et incompétence dans le chef de son auteur ; qu'il viole en outre un principe fondamental de la matière, celui qu'en fait de fondations ou d'établissements érigés par des particuliers pour l'utilité publique, il faut recourir aux moyens les plus analogues, lorsque la destination première ne peut plus être entièrement suivie.
Ces motifs sont au reste plus amplement développés dans le rapport.
Deuxième question. Peut-il révoquer l'arrêté royal du 30 septembre 1831 qui alloue des fonds pour l'appropriation de ce local, en autorisant la régence à employer ces fonds à l'appropriation d'un autre local ?
Deuxième réponse. L'arrêté du 30 septembre 1831, n'étant que la suite et une conséquence de l'arrêté du 11 janvier 1830, doit suivre le sort de celui-ci, sauf au gouvernement le droit, qui lui appartient, de changer la destination des fonds, en ce sens qu'il pourrait en autoriser l'emploi à réparer le local de l'ancien collège de Marie-Thérèse, pour servira l'école moyenne.
On ne pense pas, au surplus, que par cet emploi on puisse blesser en rien la règle prohibitive de tout transfert (article 116 de la Constitution.) La somme dont s'agit n'a été allouée par le gouvernement que parce que la ville de Herve était hors d'état de faire les frais d'érection de son école ; or, qu'elle soit employée à l'un ou l'autre bâtiment qui servira à cette école, elle ira toujours à sa véritable destination.
Troisième question. Quelle est la nature des droits que le gouvernement a acquis sur ce couvent, en combinant la loi du 13 fructidor an IV, article 20 avec les arrêtés qui ont autorisé les récolletines à continuer d'enseigner, conformément à leurs titres anciens, et avec l'arrêté ministériel du 11 janvier 1830 qui paraît soumettre le couvent aux dispositions de l'arrêté royal du 2 décembre 1823 ?
Troisième réponse. Nous répondrons ici sommairement (ce qu'on trouvera plus longuement détaillé au rapport) : que la propriété du couvent a été acquise à l'Etat en vertu de la mainmise nationale, mais qu'en même temps cette propriété a été affectée légalement à l'instruction publique, et que les religieuses récolletines ont été maintenues dans la jouissance à charge de continuer à donner l'instruction.
L'arrêté du 11 janvier 1830, pris par M. le ministre de l'intérieur (M. de la Coste), ne peut exercer aucune influence sur la décision du point de savoir à qui est passée la propriété du couvent dont s'agit.
Quatrième question. Le gouvernement peut-il affecter ce local à sa destination primitive, l'enseignement des filles ?
Quatrième réponse. Si le principe de l'affectation légale à l'instruction publique des établissements religieux, dont les membres se vouaient à l'enseignement d'après le vœu de leur institution, à l'époque de la suppression des ordres monastiques en Belgique, est fondé en droit, il s'ensuivra que le gouvernement, en conservant le local dont il s'agit à sa destination primitive, ne fera, par son arrêté, que continuer l'exécution d'une loi, outre que cet arrêté sera conforme au principe de justice que l'on ne doit point, sans de graves motifs, détourner les fondations et les établissements servant à l'instruction publique de leur destination primitive.
Cinquième question. Convient-il de le faire ?
Cinquième réponse. Le strict droit et l'équité réclament tout à la fois cette mesure ; l'intérêt public, loin de s'y opposer, sera satisfait, surtout si l'on ménage à la ville de Herve les moyens de posséder deux écoles différentes pour les deux sexes ; on ne voit donc pas quelle raison de convenance on pourrait alléguer contre la disposition par laquelle le gouvernement déclarerait que le local de l'ancien couvent des récolletines continuerait d'être employé, suivant sa destination primitive, à une école pour les jeunes filles.
Sixième question. Comment devraient être levées les difficultés résultant de ce que les anciennes religieuses ne peuvent plus enseigner et de ce qu'elles se sont substitué des dames de la Providence pour l'enseignement.
Sixième réponse. On ne peut dissimuler que les anciennes religieuses récolletines, en se substituant, de leur propre autorité, pour l'enseignement, des religieuses d'un autre ordre, se sont placées dans une position délicate qu'elles auraient pu éviter en s'associant des novices, puisqu'on ne leur aurait pas plus contesté la faculté de se perpétuer par ce moyen qu'on ne le fait aux autres associations enseignantes, telles que les ursulines.
Peut-être y aurait-il un moyen de se tirer de ce pas, si les règles canoniques ne s'opposent pas à son emploi ; ce serait que les religieuses de la Providence, introduites dans le couvent des récolletines, adoptassent la règle de ces dernières et en prissent le nom du consentement de leurs supérieurs. Si ce moyen est exécutable, c'est à celui-là qu'il faut se tenir comme donnant moins matière à critique.
Si ce moyen n'est point praticable, examinons l'acte de substitution, sous le rapport de sa validité, et ce qu'on pourrait faire pour le maintien de l'école des filles.
Si la jouissance du couvent n'a été conservée aux anciennes religieuses qu'en vue de l'enseignement qu'elles procureraient, il est conséquent de dire que si elles fussent venues à décéder toutes, ou se fussent trouvées dans l'impossibilité de vaquer à l'enseignement, le gouvernement devait veiller à ce que l'instruction ne tarît pas ; en cela il n'aurait fait qu'exécuter la loi qui avait affecté le couvent à l'instruction publique ; l'âge avancé des religieuses récolletines les ayant mises dans l'impossibilité d'enseigner, et la condition sous laquelle la jouissance du couvent leur avait été concédée n'étant plus remplie, le gouvernement seul pouvait appeler d'autres institutrices dans ce local, et leur en conférer la jouissance ; rien ne l'oblige donc à respecter l'acte de substitution dont s'agit et à la rigueur il pourrait expulser les religieuses de la Providence du couvent. Mais s'il peut n'avoir aucun égard à cet acte de substitution, rien n'empêche aussi qu'il puisse le ratifier plutôt qu'il accorde aux religieuses de la Providence une autorisation qui formerait leur seul titre à (page 766) la jouissance du couvent ; en ce faisant, on estime néanmoins qu'il serait prudent de faire sentir qu'on ne reconnaît pas aux anciennes religieuses le droit qu'elles se sont arrogé de se substituer d'autres religieuses pour l’enseignement et que par l'autorisation qu'on accorde à ces dernières on n'entend pas leur conférer le droit de jouir du couvent à perpétuité.
Septième question. Y a-t-il lieu, en cas de rappel de l'arrêté du 11 janvier 1830 en ce qui concerne l'établissement provisoire d'une école moyenne dans le couvent, de rapporter ou de modifier cet arrêté en ce qui concerne la création d'administrateurs et d'un proviseur (pour le rendre applicable à l'école des filles).
Septième réponse. On ne connaît aucun exemple de pareille administration établie près de couvents de religieuses conservées et qui se vouent à l'instruction, tels que les couvents d'ursulines et autres. C'est, sans doute, une lacune dans la législation, puisque ces maisons peuvent avoir sauvé du naufrage quelques biens dont elles conservent la jouissance, et que ces biens et le local de l'établissement appartenant à l’Etat, celui-ci a incontestablement intérêt à ce qu'ils soient administrés régulièrement.
Mais appartient-il au gouvernement, comme pouvoir exécutif, de remplir cette lacune ?
Aussi longtemps que les anciennes religieuses récolletines subsistent, elles trouvent dans la loi, et notamment dans l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, non seulement un droit à la jouissance de ces biens, mais encore celui de les administrer. Un arrêté qui les dépouillerait de ce droit d'administrer n'aurait point pour objet l'exécution de la loi, mais l'anéantissement d'une de ses dispositions. Aussi les administrateurs ne manqueraient-ils pas d'être repoussés par l'exception tirée du défaut de qualité, lorsqu'ils exerceraient seuls quelque action en justice. On pourrait, à la vérité, parer à ce dernier inconvénient en faisant participer les anciennes religieuses à l'exercice de toute action judiciaire, mais ce serait reconnaître implicitement par là, que l'arrêté créateur du conseil d'administration n'est pas conforme à la loi.
D'ailleurs, cette mesure prise à l'égard du couvent des récolletines de Herve, n'exciterait-elle par les inquiétudes des autres maisons religieuses enseignantes ?
Si la création, par simple arrêté, d'un conseil d'administration pour le couvent des récolletines de Herve ne doit être considérée que comme une mesure isolée et restreinte au couvent, les embarras qu'elle peut occasionner ne compenseront pas les avantages qu'on en tirera ; si au contraire on considère cette mesure comme devant être étendue à toutes les autres maisons religieuses de filles occupées à l'enseignement, et qu'on la juge indispensable, on pense alors qu'elle devrait faire l'objet d'une disposition législative. En résumé, la commission estime qu'il n'y a lieu d'appliquer à l'école des filles à Herve l'arrêté du 11 janvier 1830, en ce qui concerne la création d'administrateurs et d'un proviseur.
Huitième question. En cas d'affirmative, par quelle disposition cet arrêté devrait-il être remplacé ?
Huitième réponse. La solution donnée à la septième question rend inutile l'examen de la huitième.
Les principes et les conclusions qui précèdent ont été adoptes par la commission dans sa séance du 20 avril 1835.
Le secrétaire, J. Van Male. J
Le président, J- G. Van Hooghten.
Ce rapport a été fait par M. Peteau, conseiller à la cour de cassation et il est signé par M. Van Hooghten, président de la commission.
Vous voyez, messieurs, avec quelle attention ce comité a examiné les nombreux faits et les nombreuses questions de droit qui se rattachaient à cette affaire. Je demanderai à tout homme de bonne foi si le ministre de l'intérieur pouvait proposer une décision contraire à l'avis du comité.
Quant à moi, je ne le pense pas, et j'ajoute que je n'en aurais jamais assumé la responsabilité.
Le collège de Herve fut rétabli par arrêté royal à l'aide des 2,000 florins de subside alloués en 1831 pour une école moyenne et à l'aide de 8,400 fr. de souscriptions.
Les récolletines furent autorisées à se substituer aux dames de la Miséricorde le 19 août 18.35
Ces religieuses tiennent une école et un pensionnat, ce qui satisfait au double enseignement primaire et supérieure des filles.
La question de propriété fut réservée en 1835. L'arrêté royal ne la trancha point. Remarquez, messieurs, que la régence de Herve, appelée récemment à délibérer sur le point de savoir si elle voulait prendre à sa charge cette école, répondit, le 21 mars 1856, que cela l'entraînerait à de grandes dépenses sans avantage réel.
Je crois donc, messieurs, que la mesure que j'ai proposée a eu deux bons résultats : celui de maintenir une bonne instruction primaire à Herve, et celui d'amener le rétablissement de l'ancien collège qui, comme je l'ai dit, a constitué et constitue encore le principal éclat de la ville de Herve. Ainsi, au point de vue de l'enseignement, je pense que ce qui a été fait est justement ce qui était le plus désirable ; et au point de vue du droit, la délibération, que vous avez entendue, du comité institué par le roi Guillaume, constitue la justification la plus complète du ministre signataire de l'arrêté royal qui a été critiqué.
Il me reste à parler maintenant de l'affaire des dames anglaises.
Un rapport a été fait également sur cette affaire par le comité des fondations présidé par M. Van Hooghten, ancien président de la cour d'appel.
Je ne puis me dispenser de donner également lecture de ce rapport, qui, d'ailleurs, est beaucoup moins long que le premier. (Interruption.) Cependant, messieurs, si vous le voulez, je m'abstiendrai de le lire.
- Voix à gauche. - Parlez ! parlez !
M. de Theuxµ. - Un grief m'ayant été adressé à propos de cette affaire en plein parlement, en séance publique, il importe, je pense, que je fournisse une justification aussi complète que possible.
- Voix à gauche. - Lisez ! lisez !
M. de Theuxµ. - Lors de la persécution de l'Eglise catholique en Angleterre, des religieuses bénédictines vinrent s'établir dans la ville de Liège, et y érigèrent une école de demoiselles anglaises ; on y admettait aussi des demoiselles du pays de Liège.
Le gouvernement français avait conservé les établissements d'enseignement, appartenant à des institutions anglaises.
Une question s'éleva sur le point de savoir si la même disposition s'appliquait aussi aux institutions anglaises dans les départements réunis ; et le gouvernement français l'a résolue affirmativement.
En conséquence, sur la réclamation des anciennes sépulchrines anglaises, le gouvernement français les autorisa à rétablir leur maison de Liège.
Elles n'en profitèrent pas ; au contraire, se croyant toujours propriétaires, elles aliénèrent une partie de leur ancienne propriété ; l'autre partie n'était pas encore aliénée lorsque arriva le gouvernement des Pays-Bas.
Celui-ci s'opposa, par une action judiciaire, à ce que l'on continuât à vendre le restant de cette propriété. Mais il ne supprima pas l'institution des dames anglaises ; au contraire, il les autorisa à rentrer dans le royaume des Pays-Bas. Il s'écoula trois ans et demi sans que les dames anglaises prissent une résolution ; alors le gouvernement des Pays-Bas autorisa le ministre de l'intérieur à réorganiser l'institution des dames anglaises dans les mêmes vues qui avaient présidé à la fondation primitive.
Le 2 décembre 1828, la régence de la ville de Liège fut informée qu'une école de demoiselles serait rétablie, à la condition que la ville fournirait les locaux disponibles ; mais la régente déclara qu'elle n'avait pas de locaux disponibles et qu'elle n'avait pas le moyen d'en fournir. Ensuite, le gouvernement convertit les revenus qui restaient de cette institution, en bourses d'études, disposant en même temps qu'aucune bourse ne pourrait être supérieure à 300 florins des Pays-Bas, environ 640 fr.
Le 17 février 1839 intervint un rapport du comité, dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture. Ce rapport n'est moins digne de votre attention que le premier, puisqu'il dispose, comme le premier, sur une affaire toute neuve pour la plupart d'entre vous. Voici ce rapport :
« Messieurs,
« Vers la fin du siècle dernier, il existait au faubourg de Saint-Gilles, à Liège, un établissement d'instruction publique pour les jeunes demoiselles, fondé en 1642, dirigé par des dames anglaises et connu sous le nom de couvent des dames anglaises.
« Ces dames, vouées à l'enseignement, étaient des chanoinesses régulières, dites du Saint-Sépulcre et formaient une corporation religieuse qui instruisait à Liège, aussi bien les jeunes personnes du pays que des jeunes Anglaises.
« Lors de la révolution liégeoise, ces dames quittèrent leur couvent et se retirèrent en Angleterre.
« Les Français ayant ensuite occupé le pays de Liège, la suppression des ordres religieux y fut décrétée, les biens des dames anglaises furent (page 767) frappés de la mainmise nationale, une partie fut vendue, le restant demeura sous le séquestre.
« Un arrêté des consuls du 18 ventôse an VIII ayant maintenu les institutions vouées à l'éducation de la jeunesse, une décision ministérielle, prise sur la réclamation des daines anglaises de Gravelines, porta que l'arrêté précité des consuls s'appliquait aux établissements des dames anglaises existant en France et plus tard le ministre, consulté par le préfet du département de l'Ourthe, déclara le 5 frimaire an X que l'établissement de Liège devait jouir des bienfaits de cette décision ; en conséquence le préfet de l'Ourthe rendit, le 3 fructidor an X, un arrêté par lequel il ordonna la levée du séquestre mis sur les biens non aliénés de l'établissement qui nous occupe, et en accorda la jouissance aux dames anglaises, sous la condition expresse de remplir l'objet de leur institution, c'est-à-dire de venir continuer à enseigner.
« Cette condition ne fut point remplie par ces dames qui, fixées comme corporation à Neuhall, dans le comté de Suffolk, en Angleterre, ne sont plus rentrées en Belgique. Elles firent cependant tourner à leur profit les revenus et capitaux des biens de leur fondation ; en 1822, elles vendirent le couvent, les biens ruraux en partie et elles continuaient à aliéner, lorsque, en 1823, le gouvernement précédent nomma un administrateur provisoire, qui, au nom de l'établissement même, prit possession des biens restants et fit saisir les deniers des dernières ventes.
« Les dames anglaises formèrent contre ces mesures conservatoires une opposition qui fut rejetée par jugement du tribunal de Liège du 2 avril 1824, confirmé par la cour d'appel le 24 juillet suivant. Cet arrêt ne fut pas attaqué et a reçu son exécution.
« A cette époque le gouvernement décida par un arrêté que les dames anglaises pourraient reprendre la jouissance de leurs biens, si elles rentraient dans le pays, y reprenaient l'enseignement qui leur était prescrit et remplissaient ainsi le vœu du fondateur.
« Trois ans et demi environ s'étant écoulés après que cet arrêté fut porté sans que les dames anglaises eussent adressé au gouvernement aucune demande ou fait connaître de toute autre manière l'intention de revenir aux Pays-Bas, elles furent considérées comme ayant abandonné tout esprit de retour et le 23 avril 1827, le roi Guillaume prit un arrêté par lequel il autorisa le ministre de l'intérieur à réorganiser l'institution connue sous le nom d’établissement des dames anglaises à Liège, de manière qu'elle forme une école et un pensionnat pour les jeunes demoiselles, où l'on s'attacherait à former de bonnes institutrices, et il statua que cette école serait de préférence établie à Liège, si la régence de cette ville fournissait à cet effet un local convenable.
La ville de Liège n'ayant pas voulu fournir ce local, le ministre, qui n'avait pu mettre à exécution l'arrêté royal du 23 avril 1827, proposa le 27 août 1828 au roi, qui l'adopta, un nouvel arrêté qui l'autorisa à disposer jusqu'à nouvelle décision des revenus des biens du ci-devant couvent des dames anglaises en bourses n'excédant pas 300 florins au profit de jeunes filles d'honnêtes parents qui se destinaient à l'enseignement, par suite, des bourses ont été et sont encore conférées.
« Les biens des dames anglaises ont été vendus presque en totalité.
« M. l'administrateur receveur a aujourd'hui à sa disposition un capital d'environ...
« Ce capital produit, de la manière dont il est placé, un revenu d'environ...
« Lequel, joint aux autres revenus de l'établissement, donne un revenu général de...
« Le 24 octobre 1838 des religieuses bénédictines sur Avroy à Liège, ont adressé à M. le ministre, au nom de leur communauté, reconnue comme corps enseignant par arrêté royal du 1er octobre 1822, n°68, une requête par laquelle elles prient le gouvernement de venir à leur secours, soit en affectant à leur communauté d'anciens revenus de corporations enseignantes éteintes, soit en y créant des bourses pour former des bonnes institutrices, soit enfin par forme de subside à charge du budget de l'instruction publique.
« L'avis de la commission est demandé sur le point de savoir :
« 1° Si l'on peut substituer la corporation des religieuses bénédictines de Liège aux dames sépulchrines anglaises.
« 2° S'il convient de le faire.
« 3° En cas d'affirmative sur les deux premiers points, s'il convient de leur confier l'administration des biens provenus de l'établissement des dames anglaises.
« Première question. J'estime, messieurs, que le gouvernement peut aujourd'hui substituer la corporation des dames bénédictines de Liège aux dames anglaises.
« Par l'effet des différentes lois qui ont été rendues sur la matière, la propriété de tous les biens dépendants de l'ancien établissement des dames anglaises a été acquise à l'Etat, mais en même temps cette propriété en Belgique a été affectée légalement à l'instruction publique.
« Si l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV (particulière aux neuf départements réunis) a excepté de la suppression et dispensé de la vente les maisons de religieuses, en Belgique, dont l'institut même a pour objet l'éducation publique et leur a laissé l'administration de leurs biens, ces biens n'en sont pas moins demeurés la propriété de l'Etat en vertu de la mainmise nationale, et les maisons de religieuses non supprimées n'ont fait qu'en conserver la jouissance provisoire et subordonnée à la condition qu'elles continueraient de donner ou feraient donner l'instruction conformément au but de leur institution.
« Les diverses lois et arrêtés d'où découlent ces principes se trouvant analysés et les raisonnements qui en démontrent la vérité étant consignés dans le rapport adopté par la commission et fait par M. le conseiller Poteau le 20 mars 1835 dans l'affaire des dames récolletines de Herve, je crois qu'il suffit aujourd'hui de les rappeler à votre mémoire (au besoin lire le rapport de M. Peteau, notamment pages 9, 10, 11 et 12).
« Il en résulte que l'affectation de certains biens dépendants du domaine de l'Etat à l'instruction publique a eu moins pour objet de favoriser les religieuses enseignantes que l'intérêt de l'instruction publique elle-même, que les dames sépulchrines anglaises ayant quitté notre pays depuis la révolution liégeoise, cessé depuis lors de remplir chez nous le but de leur institution, vendu même leur couvent, elles ont perdu tout droit à la jouissance des biens dépendants de leur établissement ; que l'arrêté du 25 avril 1827 a été légalement rendu et qu'enfin le gouvernement peut maintenant disposer des revenus de ces biens en faveur de la corporation enseignante des dames bénédictines de Liége.
« Deuxième question. Convient-il de le faire ?
« Pour se conformer au principe consacré par l'article 6 de l'arrêté du 26 décembre 1818 et déjà sanctionné par le décret du 2 nivôse an XIV, il faut employer les biens provenant de l'établissement des dames anglaises de manière à les rendre, autant que possible, à leur destination primitive et en suivant, autant que possible, l'intention du fondateur.
« Si l'on peut, avec les revenus de ces biens, créer ou soutenir dans la ville de Liège une maison de religieuses vouées à l'éducation publique des jeunes demoiselles, on se rapprochera évidemment davantage de la destination primitive de ces revenus et de l'intention du principal fondateur, qu'en les employant exclusivement à conférer des bourses d'étude à des jeunes personnes du sexe.
« J'ai dit dans la ville de Liège, non seulement parce que c'était dans cette ville que l'établissement des dames anglaises existait, mais encore parce que je trouve dans l'arrêt de la cour de Liège, du 24 juillet 1824, le considérant que voici :
« Attendu que si des fonds étrangers ont été employés à l'achat d'une maison particulière, située en Pierreuse, il est constant que l’evêque et prince de Liège, ayant obtenu du saint-siège la suppression de la corporation dite des Frères Cockins, a gratifié lesdites dames anglaises, non seulement du couvent, mais encore de tous les biens et revenus desdits frères ; qu'à la vérité, lesdites dames, pour témoigner à ce prince une partie de leur reconnaissance, lui ont cédé, en 1655, leur maison de Pierreuse, dont elles avaient racheté une partie des rentes ; mais il n'en est pas moins certain qu'elles ont possédé jusqu'à leur suppression le couvent, biens et revenus desdits frères, et que le prince de Liège doit être considéré comme leur principal fondateur. »
« Le prince évêque de Liége étant le principal fondateur des dames anglaises ne saurait méconnaître que les dons qu'il leur a faits avaient pour objet de favoriser dans cette ville, dont il était le souverain, l'éducation publique, les dames anglaises recevant dans leur établissement et instruisant aussi bien les jeunes demoiselles du pays que des jeunes Anglaises.
« D'après les renseignements fournis par le commissaire du district et l'évêque de Liège, confirmés par le gouvernement, l'établissement Sur Avroy des dames bénédictines est déjà ancien, il a une similitude parfaite avec celui des dames anglaises ; de 1810 à 1820, il était connu comme l'un des meilleurs qui existassent à Liège ; des dames occupant un haut rang dans la société y ont fait leur éducation et c'est de cette institution que Mlle Vaust est sortie pour fonder son pensionnat, qui jouissait d'une réputation méritée.
« Le grand nombre d'institutions nouvelles qui ont surgi depuis à Liège a enlevé aux dames bénédictines partie de leurs élèves et aujourd'hui (page 768) ces dames n'ont que six pensionnaires, sept demi-pensionnaires et une trentaine d'élèves habitant la ville ; elles sont encore sept religieuses enseignantes de 25 à 35 ans.
« On y enseigne les langues française, flamande, allemande, d'après les meilleurs auteurs et d'après les méthodes perfectionnées, l'arithmétique, l'histoire en général, la géographie, la tenue des livres, tout ce qui est essentiel à la bonne éducation, tant sous le rapport religieux que sous le rapport scientifique.
« Le couvent est vaste, il a de beaux jardins dans un site sain et agréable, mais il exige de grandes réparations annuelles et l'on croit qu'une dette de 40,000 à 60,000 fr. pèserait encore sur l'établissement.
« La jeune supérieure semble douée de toutes les qualités nécessaires pour diriger une bonne maison d'éducation.
« En affectant les biens provenus du couvent des sépulchrines anglaises au soutien et à l'amélioration de l'établissement chancelant des dames bénédictines, on conservera dans la ville de Liège une maison d'enseignement pour les jeunes demoiselles, dirigée par des religieuses, et qui paraît ne pouvoir se maintenir sans secours du gouvernement ; on rendra, autant que possible, les revenus desdits biens à leur destination primitive et on remplira l’intention du principal fondateur, autant que possible, dans la circonstance que l'on ne connaît aucune autre combinaison praticable qui puisse s'en rapprocher autant.
« Je pense donc, messieurs, que les renseignements et les considérations qui précèdent doivent nous conduire à émettre un avis affirmatif sur la deuxième question.
« Mais pour entrer encore davantage dans les vues du fondateur, en donnant plus de fixité à l'emploi des biens suivant leur destination primitive, je crois que, puisque le couvent des sépulchrines anglaises a été aliéné, il faudrait le remplacer par l'achat du local si convenable des dames bénédictines et commencer par là. Il est probable que l'on pourra traiter facilement avec ces dames à cet égard, tant à cause du bienfait dont on les comblerait, qu'à cause de la circonstance que leur communauté se trouve encore aujourd'hui grevée de plus de cinquante mille fr. ce dont elles conviennent dans leur requête ; d'un autre côté, la fondation possède des capitaux considérables disponibles, et il me semble que l'on ne pourrait les employer et les placer d'une manière plus avantageuse, pourvu que les prétentions des dames bénédictines ne soient pas trop élevées.
« Vous avez vu, messieurs, que par l'arrêté royal du 25 avril 1827, M. le ministre de l'intérieur a été autorisé à réorganiser l'institution connue sous le nom d'établissement des dames anglaises à Liège, de manière qu'elle forme une école et un pensionnat pour les jeunes demoiselles où l'on s'attacherait à former de bonnes institutrices.
« Si les arrangements à prendre pouvaient permettre de créer avec une partie des revenus quelques bourses qui seraient attachées à l'établissement et dont l'on disposerait eu faveur de jeunes demoiselles qui se destineraient à l'enseignement, on arriverait à employer les biens de la fondation de la manière la plus favorable à l'instruction publique et en remplissant tout à la fois le but du fondateur.
« Troisième question. Faut il conférer l'administration des biens et capitaux provenus de l'ancien couvent des sépulchrines anglaises aux dames bénédictines ?
« Messieurs, la propriété de ces biens appartient à l'Etat : elle est seulement affectée légalement à l'instruction publique. Si l'article 20 de la loi du 18 fructidor an IV a maintenu dans la jouissance et l'administration de leurs biens les maisons de religieuses, en Belgique, dont l'institut a pour objet l'instruction publique, et si par l'effet de cette loi et sans une loi nouvelle, on ne peut priver de cette administration les corporations religieuses qui se sont perpétuées dans leur couvent et qui ont continué à satisfaire au but de leur institution, il est vrai aussi que, quand ces corporations sont éteintes ou ont cessé de se livrer à l'enseignement et que le gouvernement dispose des biens dépendants de leurs maisons en faveur d'une autre communauté de religieuses enseignantes, il n'est pas tenu de donner à ces dernières l'administration des nouveaux biens affectés à leur profit ; car elles ne peuvent puiser un droit à cette administration dans la loi du 13 fructidor an IV qui n'a fait que maintenir les anciennes religieuses enseignantes dans l'administration des biens qui leur avaient appartenu et dont elles jouissaient, sans leur conférer un droit éventuel à l'administration des biens qui leur étaient étrangers, qui appartiennent à l'Etat et dont il viendrait par la suite à disposer seulement des revenus en leur faveur.
« Si même l'article 20 de la loi du 13 fructidor an IV était rédigé dans des termes propres à faire naître un doute, l'esprit et l'ensemble des lois de cette époque ne permettraient pas de donner une interprétation extensive à sa disposition au cas actuel. Le gouvernement n'étant lié par aucune loi vis-à-vis des dames bénédictines, restant entièrement le maître de fixer les conditions de sa gratification, je suis d'avis, messieurs, qu'il ne faut pas leur confier l'administration des biens dont il s'agit.
« L'Etat étant propriétaire des biens dont le gouvernement affecterait les revenus au profit de l'établissement des dames bénédictines, il a le plus grand intérêt à ce que ces biens soient administrés très régulièrement et par des personnes plus capables que ne le sont des religieuses ; remarquez, messieurs, que la fondation dont nous nous occupons est riche et possède actuellement un capital disponible considérable.
« J'appuie encore cet avis de la conduite spoliatrice des sépulchrines anglaises à l'égard des biens dans la jouissance et l'administration desquels elles auraient seulement été maintenues à charge de continuera enseigner.
« Il me paraît donc préférable de créer à côté de l'établissement des dames bénédictines une administration peu coûteuse analogue à celle qui avait été créée par l'arrêté du 11 janvier 1830, transcrit en entier dans le prédit rapport de M. Peteau, pages 3 et 4 ; le tout conformément au prescrit de l'arrêté du 2 décembre 1823, Journal officiel, n°49.
« Bruxelles, le 17 février 1839.
« Le rapporteur, f (Signé) G. Levieux.
« Adopté à l'unanimité par la commission dans sa séance du 17 février 1839.
« Le président, (Signé) J.-G. Van Hooghten.
« Par ordonnance :
« Le secrétaire, (Signé) J. Van Male. »
Je me suis conformé dans cette affaire à l'avis du comité consultatif. Le rapport a été fait par M. Levieux, conseiller à la cour d'appel de Bruxelles ; il a été adopté à l'unanimité par le comité dans sa séance du 17 février 1839 et il est signé : le président, Van Hooghten.
L'arrêté royal, donc, décréta que l'école des demoiselles serait rétablie à Liège et tenue par les dames bénédictines.
L'établissement des dames bénédictines est signalé comme étant une institution véritablement remarquable par le bon enseignement et par sa régularité. On cite entre autres qu'une demoiselle tenant pensionnat à Liège y a reçu une éducation normale suffisante pour tenir elle-même une institution dans laquelle les familles les plus honorables de la ville de Liège envoient leurs demoiselles.
La condition primitive fut que l'instruction serait donnée aux filles pauvres de la ville à raison de 75 fr. par tête, que le revenu recevrait cette destination.
Le rapport demandait aussi au ministre d'examiner s'il ne serait pas préférable d'acheter les bâtiments des dames bénédictines tout en les consacrant à l'instruction publique.
Ceci n'eût rien changé à la nature de l'instruction ni aux institutrices, Mais il en serait résulté pour le gouvernement une charge considérable, et celui-ci a pensé qu'il était mieux de laisser les bâtiments aux mains de ces dames. Il ne s'agissait pas des bâtiments des sépulchrines ; il s'agissait de bâtiments qui étaient la propriété personnelle des bénédictines.
Le gouvernement, je le répète, crut qu'il était préférable de ne pas acheter ces bâtiments, de laisser les bénédictines donner l'enseignement à leurs risques et périls et à leurs frais.
Postérieurement, en 1843, le comité des fondations a été de nouveau consulté par mon successeur pour savoir s'il ne conviendrait pas de faire de l'établissement une école normale, et le comité des fondations a décidé que l'arrêté royal et les conventions qui s'en étaient suivies donnant aux dames bénédictines un droit, il ne fallait rien y changer.
Cette réponse fut communiquée par M. le ministre de la justice au ministre de l'intérieur, et l'honorable M. d'Anethan, quoi qu'on en ait prétendu, ne dit pas que c'était une donation faite aux bénédictines ; par sa lettre adressée à M. le ministre de l'intérieur, il dit qu'il n'y a pas de changement à faire à l'arrêté royal.
(page 769) Le 6 août 1851, le comité consultatif a encore dit que le premier rapport était fondé en droit et qu'il n'y avait pas à critiquer l'arrêté de 1839.
H est à remarquer que l'arrêté a été pris en 1839, et que ce qui a suivi ne me concerne pas, puisque je suis sorti du ministère en avril 1840.
M. le ministre a parlé de l'acte dont il s'est occupé comme étant très avantageux aux bénédictines.
Voici une lettre qui m'a été adressée aujourd'hui spontanément par la supérieure de l'établissement. Car je dois déclarer ici que je n'ai pas eu le temps de prendre des renseignements nulle part ; profondément convaincu de la légalité de ma conduite, je me suis borné à examiner les dossiers, besogne qui m'a été très désagréable au milieu des grandes occupations que l'on a au moment de la fin d'une session et au moment d'un départ pour la campagne, mais enfin je me suis renseigné et je vous ai donné simplement et consciencieusement le résumé de l'affaire.
Voici ce qu'on m'écrit :
« Liège, 10 mai 1866.
« Monsieur,
« Nous venons d'apprendre que M. le ministre de la justice, dans un discours à la Chambre, a fait intervenir la fondation des dames anglaises dont les revenus ont été attribués à notre communauté sous les conditions que vous connaissez.
« Nous croyons devoir vous transmettre sur ce sujet quelques détails qui peut-être seront utiles pour éclairer la Chambre et répondre à M. le ministre.
« Les conditions imposées par le gouvernement portaient que la communauté donnerait l'instruction à autant de filles pauvres de Liège que les revenus de la fondation contenaient de fois 70 fr., ce qui représente un nombre d'environ 150 élèves. Cette condition, nous ne l'avons jamais interprétée selon les termes et les chiffres qui la formulaient, mais selon les besoins de la population ouvrière qui nous entoure ; au lieu de 150 élèves, nous en avons ordinairement 300, ce qui réduit la rétribution à moins de 50 fr. par tête.
« Les 300 élèves indigentes sont divisées en huit classes, à la tête desquelles se trouvent huit maîtresses constamment occupées à l'enseignement de ces élèves : en leur assignant un simple traitement de 600 fr., cela donne un total de 4,800 fr. qu'il faut élever à 4,900 en y comprenant 100 fr. donnés à une personne séculière chargée de surveiller les demoiselles dans l'église et dans la rue.
« Le local primitif de ces classes étant devenu insuffisant, nous avons fait construire en 1860 un vaste local entièrement neuf qui, sous le rapport de l'hygiène, de l'ordre et de l'agrément réunit toutes les conditions que le gouvernement impose dans les constructions d'écoles primaires. Les frais de construction et d'ameublement se sont élevés au delà de 15,000 fr. dont les intérêts augmentés de la contribution foncière donnent une somme de plus de 800 fr.
« Il nous reste à ajouter que les élèves sont pourvues gratuitement des objets classiques nécessaires ; que deux fois chaque année nous leur faisons une distribution générale de vêtements ; que des prix nombreux et choisis leur sont également distribués à la fin de l'année scolaire. Ces dépenses et celles du combustible nécessaire pour chauffer les quatre vastes salles qu'elles occupent forment un total d'environ 500 fr.
a De plus, le gouvernement ayant exprimé le désir de nous voir admettre gratuitement dans notre pensionnat quelques jeunes personnes de bonne famille qui, étant présumées devoir se livrer à l'enseignement, manquaient de ressources pour compléter leur instruction, nous avons eu annuellement, parmi nos élèves pensionnaires, six ou sept de ces jeunes personnes dont les frais de pension, calculés selon la rétribution des autres pensionnaires, représenteraient un total de 4,000 à 5,000 fr.»
Je dois ajouter que, dans les premières années, les dames bénédictines n'ont pas joui de tout le revenu des sépulchrines, attendu que toutes les boursières devaient continuer à jouir d'une bourse de 300 florins des Pays-Bas jusqu'à l'achèvement de leur éducation.
Voilà les faits exposés dans toutes leur simplicité. Je le livre à l'appréciation de la Chambre et du public.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il me sera facile de répondre au discours de l'honorable préopinant. Il me suffit de rappeler ce que j'ai dit à la Chambre et de mettre en présence la réponse de l'honorable comte de Theux.
Qu'ai-je dit ? Que la loi de 1864 était juste, que c'était une loi réparatrice et j'ai cité des faits ; j'en ai cité notamment deux qui concernaient l'administration de M. de Theux.
L'honorable membre a commencé son discours en disant : Cela ne concerne pas la loi de 1864. Je lui réponds : Vous vous trompez ; la loi de 1864 est non seulement relative aux bourses d’étude, mais aussi aux fondations d’instruction publique. Or il s’agit bien de fondations de cette seconde espèce.
Qu'ai-je avancé, messieurs, au sujet des sépulchrines de Herve et des bénédictines de Liège ? J'ai dit, quant aux récolletines de Herve : Leur couvent a été supprimé lors de la révolution ; en 1830 un arrêté ministériel signé de la Coste a attribué à la régence de Hervé la jouissance des biens des anciennes récolletines et en 1835 l'honorable comte de Theux a repris ces biens à l'administration communale de Herve pour les donner aux récolletines. J'ai ajouté que cet acte était illégal... (Interruption.) Vous protestez ; nous allons voir si je me suis trompé.
La loi de 1864 va rendre à l'administration publique des biens qui lui appartenaient. Et c'est parce que la loi de 1864 amènera un tel résultat que l'on crie au voleur. Mais c'est lorsque paraissait l'arrêté de 1835 qu'il fallait jeter ce cri. (Interruption.)
Je l'ai déjà dit et je tiens à le constater de nouveau, ce n'est pas nous qui avons provoqué le débat actuel ; attaqués de la façon la plus violente, nous n'avons fait que nous défendre.
Je disais donc, messieurs, que l'honorable comte de Theux a repris en 1835 à l'administration communale de Herve ce que la loi de 1864 rendra à cette administration. Y a-t-il là un vol, une spoliation ? Vous dites que l'arrêté de 1835 était légal, mais comment le prouvez-vous ?
« J'ai consulté mon comité des fondations et il m'a répondu que mon arrêté était légal. »
Il ne suffit pas de l'approbation du comité ; il faut que les raisons qu'il donne à l'appui de son avis soient bonnes. Or, messieurs, vous allez juger de la légalité de cet arrêté. II suffit de le lire :
« Léopold, etc.
« Vu l'arrêté du ministre de l'intérieur en date du 15 janvier 1830, par lequel le couvent des religieuses récolletines, à Herve, a été affecté, provisoirement, à l'usage de l'école moyenne à établir dans cette commune ;
« Vu l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, qui porte : « Sont exceptées des dispositions de la présente loi, les maisons de religieuses, dont l'institut même a pour objet l'éducation publique ou le soulagement des malades, et qui, à cet effet, tiennent réellement, en dehors, des écoles, ou des salles de malades, lesquelles maisons continueront, comme par le passé, d'administrer les biens dont elles jouissent ;
« Vu les diverses pièces produites tant par la régence de Herve, que par les sœurs récolletines ;
« Vu l'avis de la députation des états de la province ;
« Vu l'avis de la commission pour les fondations d'instruction publique ;
« Considérant qu'aux termes de la loi du 15 fructidor an IV, les sœurs récolletines ont droit à la jouissance des bâtiments et revenus de leur ancien couvent, et qu'elles doivent en conserver l'administration ;
« Considérant qu'il importe de maintenir, en faveur de l'instruction primaire, l'affectation des propriétés dont il s'agit résultant des actes de fondation ;
« Considérant que l'arrêté ministériel du 15 janvier 1830, contraire à ces dispositions, n'a point force obligatoire, qu'il ne contient d'ailleurs qu'une disposition provisoire essentiellement révocable, et qu'il n'a pu conférer aucun droit acquis à la régence de Herve ;
« Sur le rapport de notre ministre de l'intérieur ;
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. L'arrêté du ministre de l'intérieur, du 15 janvier 1830, par lequel le couvent des récolletines de Herve a été mis provisoirement à la disposition d'une école moyenne à établir dans cette commune, est rapporté.
« Art. 2. Les bâtiments et les revenus dudit couvent des récolletines de Herve continueront à être conservés à l'instruction primaire, conformément à la loi et aux intentions des fondateurs.
« Notre ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté.
« Donné à Ostende, le 19 août 1835.
« (Signé) Léopold.
« Par le Roi : Le ministre de l'intérieur, (Signé) de Theux. »
(page 770) Vous le voyez, messieurs, tout ce arrêté repose sur l’article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, qui maintient les maisons religieuses ayant pour bit l’instruction publique. Or, messieurs, il se trouve que cette disposition a été abrogée par la loi du 5 frimaire an VI.
L'article 12 de cette dernière loi est ainsi conçu : « Les maisons religieuses dont l’institut a pour objet l'instruction publique ou le soulagement des malades sont supprimées ; en conséquence, l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IC, en ce qui les concerne, est rapporté. Néanmoins ces écoles et hôpitaux conserveront les biens dont ils jouissent, et seront administrés d'après les lois existantes dans les autres parties de la république. »
Je ne sais véritablement pas comment le comité des fondations a pu émettre l'avis qui se trouve visé dans l'arrêté royal ; ce qui est certain, c'est que l'arrêté de 1835 se fonde sur l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, et que cet article a été rapporté par la loi du 5 frimaire an VI.
L'honorable comte de Theux trouve que cela est légal et quand, aujourd'hui, le gouvernement vient dire : C'est une véritable donation que vous avez faite ; il faut rendre à l'instruction publique ce qui lui appartient, l'honorable comte de Theux répond : « Il y a un rapport. »
Mais il y a encore un autre rapport. On n'a pas seulement consulté le comité des fondations, on a aussi consulté l'évêque de Liège.
- Un membre. - Pourquoi pas ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous allons voir si, eu égard à la dignité et à l'indépendance du pouvoir civil, il y a lieu de dire : « Pourquoi pas ? »
Il s'agissait d'un acte de l'autorité publique ; l'épiscopat n'avait rien à y voir.
Eh bien, pour une question d'instruction publique, l'honorable M. de Theux consulte l'évêque et il introduit dans l'arrêté une correction qui lui a été indiquée par l'évêque.
Voici la lettre de l'honorable comte de Theux :
« M. l'Evêque,
« J'ai l'honneur de vous communiquer une copie du projet d'arrêté que je me propose de soumettre à la sanction du Roi, pour terminer l'affaire des Récolletines de Hervé. Par suite de cet arrêté, ces religieuses continueront, conformément à la loi du 15 fructidor an IV, à jouir des bâtiments du couvent et des revenus qui sont attachés à leur établissement et, comme, aux termes de l'articles 20 de notre constitution, elles peuvent s'adjoindre de nouvelles soeurs, il sera en leur pouvoir de perpétuer leur institution et cette jouissance.
« Je dois vous faire remarquer, M. l'Evêque, que si elles n'usaient pas de cette dernière faculté, à la mort de la dernière de ces religieuses, le gouvernement aurait à prendre de nouvelles dispositions qui seraient sans doute conformes aux intentions des fondateurs pour l'instruction des jeunes filles par des religieuses. Mais une disposition de cette nature serait prématurée dans l'état actuel des choses.
« Il paraît que cette commune ne s'en est pas contentée, car tout le conseil communal a donné sa démission.
« Vous remarquerez qu'en rapportant l'arrêté qui affecte les bâtiments des récolletines au collège et en établissant ces dernières dans un autre local, on termine pour l'avenir toute contestation qui aurait pu surgir de nouveau de ce chef et on satisfait tout à la fois aux deux intérêts.
« Cette manière, de procéder est en tout point conforme à l'avis de la commission des fondations pour les études, et j'espère, M. l'Evêque, qu'elle obtiendra aussi votre assentiment.
« Je terminerai cette affaire dès que j'aurai reçu votre réponse.
« Arrêtez, etc.
« Le ministre de l'intérieur,
« (Signé) de Theux. »
Voilà donc l'évêque de Liège qui, dans une affaire d'instruction publique, vient traiter d'autorité avec le ministre de l'intérieur, et le ministre de l'intérieur lui écrit : « Je terminerai cette affaire aussitôt que j'aurai reçu notre assentiment.
L'évêque écrit à la date du 23 juin 1835 :
« Monsieur le ministre,
«Je vous prie, d'agréer mes remerciements sincères de la communication que vous avez bien voulu me faire, en date du 20 de ce mois, 7ème direction, n°1810, du projet d'arrêté que vous vous proposez de soumettre à la sanction du Roi, pour terminer l'affaire des récolletines de Herve. S’il m'était permis de proposer quelque observation, j'aimerais voir ajouter à l'article 2 aux mots : « conformément à la loi », ceux-ci, « et aux intentions des fondateurs. »
« Je suis persuadé que moyennant cet arrêté l'affaire s'arrangera et je renouvelle les assurances que j'ai données le 6 avril dernier, que les souscriptions pour le rétablissement du collège seront versées dès qu'il en sera besoin.
« Recevez-, etc.
« (Signé) Corneille, évêque de Liége. »
Et l'honorable M. de Theux, naturellement, introduit dans l'arrêté à l'article 2 les mots : « conformément aux intentions des fondateurs. »
Voilà l'histoire des récolletines de Herve :
Un arrêté illégal, appuyé sur une disposition d'une loi qui était abrogée, donne à un couvent le patrimoine attribué à l'instruction publique.
l'honorable M. de Theux ajoute : Tout se passe bien dans ces couvents. Je n'en sais rien, puisque nous ne pouvons pas le contrôler. Mais tout se passera-t-il mal quand l'autorité publique à laquelle ces biens appartiennent sera chargée de les gérer ?
M. de Theuxµ. - Je n'en sais rien.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous n'avez pas de raison d'attaquer l'autorité publique. Mais, avant tout, il faut respecter la loi. La commune avait été envoyée en possession par un arrêté de 1830, et cet arrêté était conforme à la loi du 15 frimaire an VI, à celle du 3 brumaire an IV, à la loi du floréal an X, et au décret impérial de 1811 qui attribuait aux communes les locaux de tous les établissements affectés anciennement à l'enseignement public.
Vous devez donc reconnaître que l'arrêté de 1835 n'était pas fondé en droit, qu'il était complètement illégal. Si l'on avait voulu ouvrir la Pasinomie on aurait facilement trouvé la loi de l'an VI, et je ne puis admettre (je n'accuse pas l'honorable M. de Theux de mauvaise foi) que dans ses bureaux on ait été négligent au point d'ignorer que la loi de l'an VI avait abrogé la disposition de l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV.
Vous avez visé dans votre arrêté une disposition de loi qui n’existait plus.
Toute la réfutation de l'honorable comte de Theux tombe devant ce fait et l'on voit en même temps quelle valeur on peut attacher au rapport dont il vous a été donné lecture tantôt.
Voyons l'affaire des dames anglaises de Liège. C'est absolument la même chose, avec une circonstance défavorable de plus. Les biens des anciennes sépulchrines avaient été nationalisés ; ils avaient été attribués à l'instruction publique en 1828 et convertis en bourses dont la collation appartenait au ministre de l'intérieur. Ces bourses étaient destinées à former des institutrices.
Que fait l'honorable M. de Theux ? J'ai eu l'honneur de vous le faire connaître. Des sœurs bénédictines étaient à Liège dans une position des plus précaires ; elles n'étaient pas héritières des anciennes sépulchrines anglaises ; elles constituaient une toute autre corporation. Elles adressent à l'honorable comte de Theux une humble supplique. Nous sommes, disent-elles, dans la peine ; nous ne pouvons plus vivre ; n'y aurait-il pas quelques biens d'anciennes corporations religieuses à nous donner ? Nous croyons qu'il en existe encore ; les dames anglaises notamment ont laissé quelques biens.
Et touché par ces doléances, l'honorable M. de Theux, de sa propre autorité donne aux bénédictines les revenus de 250,000 francs. Aucune disposition légale n'autorisait l'honorable M. de Theux à signer cet arrêté et lorsque l'honorable M. d'Anethan examinait plus tard une difficulté relative à ce fait, il disait que c'était une donation faite aux bénédictines de Liège.
J'étais donc parfaitement fondé à dire que la loi de 1864 était une loi de réparation, puisqu'elle rendra à l'instruction publique ce que, par des arrêtés illégaux, l'honorable M. de Theux avait donné aux couvents.
Voilà ce que j'ai dit, et je ne vois pas en quoi le discours de l'honorable M. de Theux a pu détruire les faits que j'ai cités.
M. de Theuxµ. - Messieurs, malgré tout le mérite que je reconnais à M. le ministre de la justice, il m'est permis de croire qu'il n'est pas (page 771) au-dessus de celui des honorables magistrats qui ont formulé les avis que j'ai lus à la Chambre, C'étaient des membres de la cour de cassation, le président de la cour d'appel de Bruxelles, des conseillers de cette cour, et de plus le secrétaire général, un jurisconsulte.
Je crois que cela mérite quelque considération, et ne peut être traité aussi cavalièrement qu'on vient de le faire.
On a parlé, messieurs, de la loi de frimaire an VI. Je dirai franchement que je n'ai pas consulté cette loi parce que je n'avais pas assez de pratique du barreau pour connaître son existence. (Interruption.)
Je dois croire cependant que cette loi n'était pas ignorée des honorables magistrats qui faisaient partie du comité des bourses. Il y a plus, elle ne devait pas être ignorée de l'administration des domaines. Ainsi, je disais que, quant à l'affaire de Herve, on avait élevé des objections relativement à la propriété, croyant que cela appartenait au domaine des finances.
Le roi des Pays-Bas avait réservé cette question dans son arrêté, mais cela n'a pas empêché le ministre de l'instruction publique sous le gouvernement des Pays-Bas de se mettre en possession. Il en est de même de la question des dames anglaises.
J'ai trouvé en marge du dossier que cette loi a été supprimée par la loi du 3 frimaire an VI, mais je ne trouve pas dans cette loi ce que l'honorable ministre de la justice y trouve.
Je trouve bien qu'il abroge l'article 20 de la loi de fructidor an IV ; mais je ne trouve pas que les biens appartenant aux instituts d'instruction et de charité étaient attribués au domaine des finances. Au contraire, je trouve qu'elles sont réservées à la charité et à l'instruction.
M Teschµ. - Mais pas aux couvents.
M. de Theuxµ. - Il s'agit de savoir par qui, au moment où les arrêtés ont été pris, il était le mieux pourvu au but que les fondateurs avaient eu en vue, et aux dispositions des arrêtés de 1818 et de 1823, que le gouvernement des Pays-Bas avait portés. J'ai ajouté les motifs : « Pour se conformer aux intentions du fondateur. » Mais le rapport mentionne cette considération dans tous les passages, et il m'était bien permis de m'en servir.
J'ai consulté, a-t-on dit, l'évêque de Liège. Le grand crime !
L'évêque de Liège avait souscrit 1,000 francs pour le rétablissement du collège de Herve et en outre il s'agissait des questions de communauté religieuse : il s'agissait de savoir si les récolletines pouvaient se substituer des sœurs de la Providence.
Il y avait donc plusieurs motifs d'en référer et de s'entendre avec l'évêque de Liège car c'était de son concours que dépendait le succès du rétablissement du collège à cette époque. La régence s'est entendue avec lui et avait même désiré s'entendre avec lui pour l'école moyenne.
Qu'y avait-il de plus naturel que d'obtenir son assentiment dans une affaire à laquelle il avait pris une si large part ?
C'était la chose la plus simple. Dans toutes les affaires humaines, on agit ainsi.
Je n'ai rien à ajouter, mais je veux relire l'article 12 de la loi de frimaire an VI.
« Des maisons religieuses dont l'institut a pour objet l'éducation publique ou le soulagement des malades sont supprimées.
« En conséquence, l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, en ce qui les concerne, est rapporté. Néanmoins ces écoles et hôpitaux conserveront les biens dont ils jouissent et seront administrés d'après les lois existant dans les autres parties de la République. »
Eh bien, messieurs, si la note que j’ai trouvée et qui été ajoutée au ministère de la justice est exacte, ces biens doivent appartenir au domaine des finances, et il faut admettre que les agents des domaines des Pays-Bas et de France ont été bien ignorants de leurs droits, il faut admettre que les préfets qui conservaient les biens à l’enseignement, le ministre de l'instruction publique qui les revendiquait étaient des ignorants ou ont tous méprisé la loi.
Je ne prétends pas me mettre au-dessus de ces autorités. J'ai la conviction d'avoir agi consciencieusement en vertu d'avis qui doivent être respectés, à moins qu'il n'y ait une autorité supérieure à celle des éminents jurisconsultes que j'ai cités.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. de Theux a commencé par dire que j'avais traité cavalièrement les jurisconsultes composant le comité des fondations : je n'ai nullement mis en cause les jurisconsultes dont a parlé M. de Theux ; je me suis borné à dire que l'avis sur lequel est basé l'arrêté de 1835 est contraire à la loi, et je m'étonne vraiment que mon honorable contradicteur veuille prétendre le contraire, après que je lui ai lu la disposition qui abroge l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV.
M. de Theuxµ. - Le fond est maintenu. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. de Theux nous dit : « Je ne suis pas versé dans la science du droit... » (Interruption.)
M. de Theuxµ. - J'ai fait mon droit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit ; mais vous vous êtes défendu en disant que vous n'avez pas pratiqué le barreau, c'est ainsi que je l'ai compris. Mais il ne s'agit pas de pratique du barreau, il s'agit d'une loi qui concerne l'instruction publique et qui rentre dans les attributions du ministère de l'intérieur. M. de Theux trouve bien la loi de l'an IV, mais il ne trouve pas la loi de l'an VI qui abroge la loi de l'an IV. (Interruption.) Je ne fais pas de personnalité ; ce n'est pas à l'honorable M de Theux, mais bien à l'arrêté que s'adressent nies critiques. Cet arrêté vise la loi de l'an IV et pas la loi de l'an VI.
L'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, maintenait les maisons religieuses vouées à l’enseignement, mais je le répète, l'article 12 de la loi de l'an VI porte :
« Les maisons religieuse dont l'institut a pour objet l'instruction publique ou le soulagement des malades sont supprimées ; en conséquence l'article 20 de la loi du 15 fructidor an IV, en ce qui les concerne, est rapporté. »
« Néanmoins (et c'est ici que M. de Theux essaye de justifier son arrêté), néanmoins les écoles et hôpitaux conserveront les biens dont ils jouissent, et seront administrés d'après les lois existantes dans les autres parties de la république. »
Si ces biens, dit M. de Theux, revenaient au fisc, c'était au domaine à les revendiquer. Or, nous n'avons pas vu intervenir les agents de l'administration qui d'ordinaire, cependant, sont si vigilants ; il y a plus, le syndicat a émis l'avis qu'il ne fallait pas les revendiquer, or, je ne prétends pas avoir plus de savoir que l'administration du domaine.
Tous cela est inexact.
Les biens des écoles et des hôpitaux devaient être conservés et administrés conformément aux lois existantes. Or, quelles étaient ces lois ? La loi du 3 brumaire an IV, qui organisait l'instruction publique comme service national, la loi de floréal an X, qui mettait l'instruction primaire dans les attributions des communes. C'était encore le décret impérial de 1811 qui attribuait aux communes les établissements ayant servi autrefois à l'instruction publique.
Donc ces biens ne revenaient pas au fisc ; ils étaient affectés à l'instruction publique, ils étaient dévolus à la commune de Herve qui les a revendiqués. Mais l'honorable M. de Theux a passé au-dessus des réclamations de la régence de Herve et il a attribué à un couvent des biens appartenant à une commune.
Eh bien, la loi de 1864 permet de restituer aux communes ce qui leur a été enlevé, elle fait rendre à César ce qui appartient à César et parce que nous avons fait exécuter cette loi, vous nous nommez des spoliateurs. (Interruption.)
Oui, lorsque nous venons réparer les illégalités que vous avez commises, on nous accuse de la façon la plus indigne. Mais avons-nous mérité vos colères, n'avons-nous pas bien fait et ne devriez-vous pas plutôt applaudir à notre conduite ? (Interruption.) Comment ! il faudrait donc, pour vous plaire, appliquer les lois abrogées et violer celles qui existent ! Cela n'est pas sérieux.
M. Delcourµ. - Dans une de nos précédentes séances, M. le ministre de la justice a fait un aveu dont je lui sais gré ; il a reconnu que les fondations de bourses qui ont leur siège à Louvain ont été bien administrées et qu'elles étaient même dans une position exceptionnelle. Je m'empare de cet aveu et je le retourne contre l'honorable ministre. Je lui dis : Si avec les arrêtés de 1818 et de 1823, on est parvenu ,à Louvain, à constituer une administration qui n'a rien laissé à désirer, à quoi la loi de 1864 devait-elle servir ?
L'honorable ministre a été très adroit dans le choix des griefs qu'il a dirigés contre les administrateurs spéciaux ; il a cité beaucoup de faits particuliers, et puis généralisant ces faits, il est parvenu à élever toute une montagne de griefs et d'abus.
Messieurs, il y a deux choses à considérer dans le débat ; d'abord la loi de 1864 elle-même et la position que la droite a prise dans la discussion de cette loi. Ensuite les détails.
La loi de 1864, je ne veux plus l'apprécier aujourd'hui ; à deux reprises différentes je vous ai dit comment je la juge ; je vous ai dit quelle est, sur cette malheureuse loi, l'opinion des catholiques.
Au point de vue des principes, qu'est-ce donc que la loi de 1864 ?
Vous ne l'ignorez pas, messieurs ; à nos yeux c'est une loi qui a brisé (page 772) les contrats existants, qui a détruit les droits les plus légitimement acquis par les administrateurs et par les collateurs. L'honorable ministre vient de dire, il n'y a qu'un instant, que la loi sur les fondations de bourses a été une loi de réparation ; moi, je dis que c'est une loi de mainmise nationale.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dites donc cela à l’évêque de Liège.
M. Delcourµ. - Je n'ai pas à m'occuper des évêques ici. Je ne m'occuperai pas non plus des actes que vous avez critiqués ; ce sont là des faits particuliers que nous ne pouvons apprécier.
Mais, je répète que, dans ma pensée, la loi de 1864 n'était pas nécessaire ;vous l'avez avoué vous-même en reconnaissant que, à Louvain, les fondations de bourse, administrées d'une manière satisfaisante, étaient, sous ce rapport, dans une position exceptionnelle.
J'arrive maintenant aux faits particuliers, dont l'honorable ministre a entretenu la Chambre. J'en prendrai quelques-uns parmi les principaux, car M. le ministre a lui-même facilité ma besogne ; il a reconnu que si des erreurs ont été commises, les seules personnes mises en cause peuvent les rectifier. Je ne relèverai donc que les erreurs qui sont substantielles, celles qui se rattachent au système même de la loi.
Premier grief invoqué par l'honorable ministre. Un grand nombre de fondations ont éprouvé des pertes considérables ; les unes sont privées d'une grande partie de leurs revenus ; il en est d'autres qui ont perdu toute leur dotation.
Oui, messieurs, ce fait n'est malheureusement que trop vrai.
Pour l'expliquer, il faut considérer deux époques : l'époque de la révolution française, celle qui a suivi le rétablissement des fondations sous le gouvernement précédent.
Voici ce qui s'est passé après la conquête de la Belgique par la France :
Les fondations de bourses possédaient des créances nombreuses sur la Banque de Vienne ; ces créances s'élevaient à la somme de 214,400 fl. d'Allemagne ; elles ont toutes été perdues.
Les fondations de bourses étaient également créancières des anciens Etats du pays, des couvents et corporations supprimés : leurs pertes de ce chef sont évaluées à plus de 400,000 francs de revenus annuels.
Après la suppression de l'université de Louvain, la plupart des biens-fonds qui appartenaient aux fondations de bourses furent vendus et le prix versé dans la caisse d'amortissement.
M. Van Overloopµ. - Et cela sous la protection du gouvernement.
M. Delcourµ. - Oui, la plupart des biens-fonds furent vendus par l'administration des domaines. Une quantité considérable de rentes furent remboursées et le prix du remboursement également versé dans la caisse d'amortissement. Mais que devint le prix de tous ces biens ?
Après les traités de 1815, le gouvernement des Pays-Bas reçut du gouvernement français, à titre de restitution, une somme de plusieurs millions ; pas un centime n'est rentré dans les caisses des fondations de bourses. Le gouvernement n'a rien restitué ; il a gardé pour lui les sommes restituées, et a consommé à son profit ce nouvel acte d'iniquité.
Il est donc facile, messieurs, de comprendre pourquoi, en 1818, époque de leur rétablissement, un grand nombre de fondations n'ont pu récupérer qu'une faible partie de leurs biens.
Une autre cause de perte est celle-ci : Beaucoup de débiteurs ont profité des circonstances du temps pour rembourser les capitaux qu'ils devaient aux fondations, avec du papier-monnaie qu'ils s'étaient procuré à vil prix, car toujours et partout on rencontre de malhonnêtes gens.
J'ose donc affirmer qu'à l'époque où les fondations ont été rétablies par le gouvernement des Pays Bas, une grande partie du patrimoine des fondations avait disparu.
Nous voici, messieurs, arrivés à la seconde époque, nous entrons dans une nouvelle voie. Les arrêtés de 1818 et de 1823 avaient paru, et les anciens administrateurs spéciaux avaient été rétablis dans leurs droits.
C'est par des chiffres que je veux vous faire connaître la situation prospère des fondations ; ces chiffres sont plus éloquents, et vous diront si les administrateurs spéciaux n'ont pas géré les fondations avec prudence et sagesse.
J'ai sous la main un état qui m'a été communiqué par le receveur des fondations de bourses de Louvain. Je demande à la Chambre la permission de l'insérer au Moniteur. Vous y verrez quelle progression les revenus des fondations ont atteinte en quelques années.
- Voix à gauche. - Oui ! oui !
M. Delcourµ. - Cet état comprend une période de 24 ans, de 1840 à 1864. Le revenu total des fondations était en 1840 de 65.987 fr.et en 1864 de fr. 141,259-01 fr. Ainsi dans cette période de 24 ans, si malheureuse, d'après M. le ministre, pour les fondations de bourses, le revenu s'est accru de64,269 francs.
Peu d'administrations publiques offrent, je pense, un résultat plus satisfaisant.
On me dira peut-être : Vous avez choisi à dessein une grande administration, l'ensemble des fondations annexées aux anciens collèges de Louvain pour arrivera un chiffre considérable. Mais en a-t-il été de même dans les autres fondations ?
Oui, messieurs ; je prendrai comme exemple la fondation de Borgreef.
Les renseignements que je vais livrer à la Chambre m'ont été fournis aujourd'hui même.
Je ne soulève en ce moment aucune question de droit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je le crois bien.
M. Delcourµ. - Elle viendra tout à l'heure. Je ne m'occupe ici que de la situation financière des fondations, de leur comptabilité. (Interruption.)
Messieurs, je ne m'explique pas cette interruption. Il m'a paru que l'honorable ministre de la justice a laissé planer un soupçon sur tous les administrateurs spéciaux ; s'il en est ainsi, je tiens à établir que ce soupçon n'est pas fondé.
Je reviens à la fondation de Borgreef.
En vertu d'un décret impérial de 1807 et de l'acte de fondation passé à Bruxelles en exécution de ce décret, la fondation de Borgreef comprenait 4 bourses en faveur de chacun des séminaires de Malines, Gand, Liège (page 773) et Namur. Jusqu'en 1832, il ne fut conféré que 4 bourses par chaque séminaire, mais, en 1852, le nombre de bourses fut porté à 8 ; de 1855-1858, à 8, et enfin depuis 1860, le nombre de bourses est de 9, toujours pour chaque séminaire. Ainsi, en quelques années, le nombre des bourses a été plus que doublé.
Cette augmentation de ressources est due à plusieurs causes : une des principales, c'est que les villes qui avaient refusé de payer les arrérages des rentes ayant été condamnées par les tribunaux, furent obligées de s'exécuter. La fondation de Borgreef a fait ainsi une transaction avec la ville de Louvain.
En présence de ces faits, est-on encore fondé à citer quelques cas particuliers où les fondations ont essuyé des pertes légères par suite de la négligence, de l'incurie ou de la mauvaise foi d'un receveur ?
Direz-vous encore que les administrateurs spéciaux, qui ont obtenu d'aussi beaux résultats, ont mal géré ?
- Voix à droite. - Très bien.
M. Delcourµ. - Je viens de présenter quelques faits généraux pour vous démontrer, messieurs, que la loi de 1864 n'était pas nécessaire. Maintenant je passe à quelques faits spéciaux.
Je parlerai d'abord de la fondation Breugel, au sujet de laquelle l'honorable ministre a articulé deux griefs.
S'occupant, en premier lieu, de la collation des bourses de cette fondation, il a dit que le doyen de Saint-Pierre, à Louvain, avait placé sa confiance dans un administrateur qui l'avait trompé.
En 1830, a dit M. le ministre, le doyen de Saint-Pierre était proviseur collateur d'un grand nombre de bourses. Il avait abandonné le sort de la collation aux mains d'un chevalier d'industrie. Ce chevalier d'industrie s'attribuait le montant d'une partie des bourses, et, quant au restant, il le vendait, moyennant argent, à des personnes qui n'y avaient pas droit. »
Malheureusement ce fait est vrai. Mais voici où l'honorable ministre s'est trompé.
Le doyen de Louvain n'était pas seul collateur ; tantôt il conférait les bourses conjointement avec le commissaire d'arrondissement ; tantôt avec un ou plusieurs professeurs de l'université de l'Etat, tantôt conjointement avec les parents du fondateur.
Le doyen de Saint-Pierre n'était donc pas seul responsable des collations. Ce que je critique, c'est que l'honorable ministre ait fait peser sur lui seul une responsabilité qui devait être partagée entre tous les collateurs.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous n'avez pas lu les pièces.
M. Delcourµ. - J'ai sous la main un document dont M. le ministre de la justice ne récusera pas l'authenticité, c'est l'arrêté même du rétablissement des bourses du collège de Breugel.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne nie pas qu'il y ait eu plusieurs collateurs.
M. Delcourµ. - Voici le texte même de l'arrêté :
« Sont collateurs : a MM. les proviseurs, pour les première et deuxième fondations ; b les deux plus anciens professeurs en médecine à l'université de Louvain, pour les troisième et cinquième ; c les deux plus anciens professeurs en médecine et le plus ancien professeur en philosophie à l'université de Louvain pour la quatrième ; les deux plus anciens professeurs en médecine à l'université de Louvain et le curé de Saint-Pierre dans la même ville pour la sixième ; e les plus proches parents paternels et maternels de Henri curé, demeurant à Louvain, conjointement avec le plus ancien professeur en médecine de l’université de cette ville, pour la septième. »
J'avais donc raison d'affirmer que la responsabilité de la fondation ne peut retomber sur un seul des collateurs.
M. le ministre a dit, en second lieu, toujours en parlant des fondations du collège de Breugel que des pertes avaient été constatées par suite des malversations du receveur.
Ici encore le fait est vrai ; l'administrateur n'a pas répondu à la confiance qu'on lui avait témoignée. Un déficit de 3,000 à 4,000 francs a été constaté.
Mais ce qu'il est essentiel de remarquer, c'est que ce receveur infidèle n'avait été nommé ni par les proviseurs, ni par les collateurs ; sa nomination émanait du ministre de l'instruction publique des Pays-Bas et remoulait à 1822 ; il avait été, du reste, receveur de l'administration des pauvres et des hospices de Louvain.
Les fondations n'auraient essuyé aucune perte, si l'administration avait exigé de ce receveur le cautionnement qu'elle exige des autres, en vertu des dispositions existantes.
Ainsi, messieurs, les deux faits que M. le ministre de la justice a cités relativement au collège de Breugel ne sont pas tout à fait exacts. (Interruption.)
Je n'impute rien à M. le ministre de la justice. Je dis seulement que les faits avancés par l'honorable ministre ne sont pas d'une rigoureuse exactitude.
Occupons nous d'un autre grief. M. le ministre de la justice reproche à certains administrateurs d'avoir touché des honoraires pour avoir assisté à la reddition des comptes. Je ne trouve à cela rien de répréhensible, lorsque les actes de fondation le permettent.
J'ai vu plusieurs actes de fondation qui accordent ce droit aux proviseurs qui assistent à la reddition des comptes. Vous trouverez, messieurs, dans les documents parlementaires, session 1855-1854, p. 152, publiés à l'occasion du projet de loi sur les dons et legs charitables, vous trouverez, dis-je, des actes de fondation où ce droit est formellement établi.
Ces actes ont été communiqués par l'administration communale de Louvain.
J'aurais désiré que M. le ministre nous dît si la personne à laquelle il reproche le fait n'était point autorisée à toucher un honoraire par l'acte de fondation. C'était souvent permis dans notre ancienne législation.
Autre grief aux yeux de M. le ministre.
Les registres des administrateurs spéciaux sont mal tenus ; beaucoup d'administrateurs n'avaient pas même de registre pour y transcrire les titres des propriétés ou des rentes ; les titres des créances eux-mêmes font souvent défaut.
Oui, messieurs, il y a des fondations qui n'ont plus de titres.
Mais le motif en est très simple. Des titres ont été remis au prytanée français, et les fondateurs ne possèdent que ceux qui leur ont été restitués par le gouvernement.
Pouvez-vous, dès lors, leur reprocher avec équité de ne pouvoir représenter les titres qui ne leur ont point été remis ?
J'arrive à un grief plus sérieux en apparence. Il s'agit de certain titulaire de bourse qui en aurait conservé la jouissance, même longtemps après avoir terminé ses études. En parlant de la fondation Ariens, M. le ministre cite le nom de M. Wauters, qui aurait conservé la bourse pendant 44 ans, de 1794 à 1838.
Il n'y a là rien d'étonnant. Il ne s'agit pas ici d'un titre presbytéral, mais d'un véritable bénéfice.
Voici en quoi consiste cette fondation ; comment elle est ordinairement conçue.
La fondation est faite en faveur d'un parent du fondateur qui se destine à l'état ecclésiastique. Le titulaire profite du revenu pendant le cours de ses études scolaires et théologiques. Devenu prêtre, il administre les biens du bénéfice, en perçoit les revenus et exonère les charges pieuses. Je ne doute pas que la fondation Ariens n'ait constitué un bénéfice, un office de cette espèce.
Au décès du titulaire, le bénéfice passe au parent le plus proche, qui se destine à l'état ecclésiastique, lequel jouit des revenus comme il vient d'être dit.
J'ai rencontré souvent des offices de cette espèce, j'en ai connu un dans ma famille, dont le titulaire, mort en 1820, a eu la jouissance pendant une période de près de 60 ans.
Si l'honorable ministre avait connu ce fait, il s'en serait emparé, et n'aurait pas manqué de le produire devant vous.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas du tout.
M. Delcourµ. - Voici le fait. Il vous fera comprendre ce que c'est qu'un titre presbytéral et patrimonial.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je le comprends aussi.
M. Delcourµ. - Sans doute, mais il est utile que je l'explique.
En 1749 ; Noël Stembert, vicaire à Bilslain, fit une fondation conçue dans les termes que je viens d'indiquer. Le bénéfice était destiné à ses frères, et, après leur mort, ceux-ci devaient le remettre au parent le plus proche qui avait la vocation sacerdotale. Un certain nombre de messes grevait le bénéfice.
Le dernier titulaire, mort vers 1820, a, par testament, remis cet office à deux de ses parents. Comme aucun d'eux n'avait la vocation ecclésiastique, ils jugèrent convenable de convertir ces biens en une fondation d'instruction. La fondation fut érigée par un arrête royal du 18 mars 1844. Eh bien, messieurs, cette fondation créée dans l'intérêt des parents et exclusivement en faveur de ceux qui se préparent aux études théologiques, est remise aujourd'hui à la commission des fondations de la province de Liège. En vertu de la loi de 1864, on a fait une fondation mixte, contrairement à la volonté formelle des fondateurs.
(page 774) Jusqu'à présent, messieurs, j'ai discuté les griefs qu'on a allégua contre les administrateurs spéciaux. Il me reste a vous entretenir des abus que l'honorable ministre a découverts dans la collation des bourses.
Ces abus sont de diverses espèces.
En premier lieu, M. le ministre a critiqué les collateurs de ne pas avoir disposé de la totalité du revenu libre des fondations. Pourquoi n'a t-on pas fait emploi des excédants ? à quoi bon les capitaliser comme on l'a fait ?
Telle est, je pense, le fond de l'accusation ; les faits cités par M. le ministre ne tendent qu'à la justifier. Rien n'est cependant plus facile à expliquer.
Un grand nombre de fondations sont établies exclusivement en faveur des parents du fondateur. Le droit à la jouissance des bourses constitue pour ces parents un droit de famille.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas ce cas que j'ai cité.
M. Delcourµ. - Permettez-moi ; je dis que c'est un droit de famille. Or, il n'appartient à personne d'amoindrir ou de méconnaître les droits de la famille.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous discutez dans le vide.
M. Delcourµ. - Non, M. le ministre, je ne discute pas dans le vide ; je veux expliquer à la Chambre d'où proviennent les excédants. Cette question n'est pas nouvelle, elle a été soulevée, en 1859, au sein du consul provincial du Brabant par l’honorable M. Peemans et il y a été répondu d'une manière victorieuse par M. Staes, administrateur des fondations de bourses. La lettre de M. Staes est insérée au Mémorial administratif de la province de Brabant.
C’est, messieurs, en appréciant les faits cités dans cette lettre, que vous vous rendrez compte de la sagesse, de prévoyance, de la probité qui présidaient à la gestion des fondations de bourses.
La première catégorie de bourses à l'égard desquelles il y a eu des excédants capitalisés, sont celles qui sont exclusivement réservées aux membres de la famille.
Lorsqu'il ne se présente pas d'ayant droit, le revenu ne peut être employé au profit d'autres personnes sans porter atteinte aux droits de la famille ; le collateur disposerait d'un bien de famille contre la volonté du fondateur.
D'autres bourses sont créées à la fois en faveur des parents et en faveur des habitants de telle commune déterminée.
J'ai rencontré des bourses de cette catégorie qui, depuis le rétablissement des fondations, n'avaient pas été conférées à défaut d'ayants droit.
Il y a plus : MM. les fondateurs ont eux-mêmes ordonné cette mesure par les actes de fondation.
C'est ce qui avait été établi, entre autres, par l'acte constitutif de la fondation de Gobart. Cette fondation crée quatre bourses : deux en faveur des descendants de ses sœurs, deux en faveur des descendants de son neveu, l'avocat de Gobart. Il est stipulé que, si les bourses établies en faveur de l'une de ces deux lignes ne sont point conférées alors qu'il se serait présenté un membre de l'autre ligne, l'excédant du revenu sera capitalisé de manière à maintenir l'équilibre entre les deux branches de la famille appelées à en jouir.
Quel reproche sérieux peut-on adresser à des administrateurs, investis de la confiance des fondateurs, qui ne disposent pas de la totalité du revenu libre de la fondation. N'agissent-ils pas ainsi pour maintenir intacts les droits de la famille, pour se conformer à la volonté du fondateur ? Je dis, moi, qu'ils ont accompli un devoir rigoureux de leur charge.
Un autre grief est cité par M. le ministre. La même personne aurait joui de plusieurs bourses à la fois.
Le fait est vrai. Mais il n'y a qu'un instant qu'on relevait une erreur commise par M. le ministre sur un fait de ce genre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'en apporterai cinq nouveaux.
M. Delcourµ. - C'était une simple cireur, j'en conviens. Mais, permettez-moi de vous dire que l'administration elle-même s'est rendue complice du fait qu'elle reproche aux collateurs.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne dis pas le contraire.
M. Delcourµ. - Je vous prie de m'écouter un instant.
Un jeune homme de Louvain, fils d'un fonctionnaire, jouissait d'une bourse de 214 fr. qui lui avait été accordée sur la fondation Euckius.
Plus tard il reçut une nouvelle bourse de 600 fr. sur la fondation Milius. Le collateur, considérant ce jeune homme comme suffisamment doté, lui retira la collation de la première bourse. Eh bien, c'est le ministre de la justice lui-même qui a révoqué la décision du collateur et ordonné que |a bourse fut payée au titulaire.
Vous voyez par là, messieurs, comment les faits les plus simples deviennent des armes dirigées contre les administrateurs spéciaux ; je suis loin de prétendre qu'il n'y a pas eu d'abus ; mais n'exagérons rien.
Je passe à un autre abus. Des bourses auraient été conférées, a dit l'honorable ministre, à des jeunes gens qui n'en ont pas eu connaissance ; d'autres ont été touchées par l'économe du séminaire de Tournai sur des quittances qui auraient été signées en blanc par les titulaires ; certaines bourses auraient été employées à l'entretien d'établissements religieux.
Je ne puis mieux répondre à ces accusations qu'en vous donnant lecture d'une lettre qui m'a été adressée par M. l'économe du séminaire de Tournai ; vous y trouverez l'explication complète et loyale de ce qui s'est passé.
« Nous n'avons jamais employé à l'entretien d'établissements religieux des bourses conférées à des séminaristes. En qualité d'économe et de membre de l'administration du séminaire de Tournai, j'affirme que les bourses conférées à des séminaristes n'ont jamais été employées à l'entretien d'autres établissements ; et qu'au contraire elles ont servi à leur véritable destination, au payement de la pension et aux besoins des boursiers.
« Dans le but dont on nous accuse, nous aurions fait signer des quittances en blanc ; de fait, j'ai le plus souvent touché, au profit des séminaristes, le montant des bourses qui leur étaient conférées. Mais ils savaient que, par là, je leur rendais un service ; en touchant, pour leur compte, à Bruxelles, à Mons, à Louvain et même à Tournai, je leur épargnais des embarras, souvent même des frais : aussi toujours m'en ont-ils su gré.
« Les quittances étaient, pour la plupart, entièrement écrites, et souvent par le boursier lui-même, avant d'être signées. Dans certains cas, toutefois, ils me remettaient un blanc seing. Il y a des bourses dont le revenu varie chaque année ; il en est d'autres dont le receveur n'était pas connu quand les boursiers quittaient le séminaire, et d'autres enfin qui se payaient sur une quittance collective. Dans les deux premiers cas, les boursiers plutôt que de laisser en blanc, soit le taux de la bourse, soit le nom du receveur, me laissaient un blanc seing qu'ils savaient pertinemment devoir servir à la recette d'une bourse dont ils jouissaient. Pour le troisième cas, les formules variaient chaque année. Je les rédigeais moi-même en temps opportun, souvent quand les titulaires étaient dispersés sur différents points du diocèse, parce que certaines bourses ne se payaient ordinairement que pendant les vacances. Tout ceci se faisait au su et au gré des boursiers. Ils ont toujours été bien convaincus d'avoir en nous un défenseur des plus zélés de leurs droits et de tous leurs intérêts. »
Voilà donc un grief encore qui semblait avoir une importance réelle, qui disparaît, comme la fumée sur le toit. (Interruption.)
M. Dumortier. - Est-ce qu'on les accuse de les avoir volés ?
M. Delcourµ. - Vraiment je ne m'explique pas l'interruption. Qui d'entre nous habitant une ville où se payent des bourses, ne s'est pas rendu complice du même fait ? Un ami d'une autre ville vous prie de toucher le montant de la bourse pour lui ou pour son fils, et vous trouveriez que cet acte d'obligeance est répréhensible ? Je dis qu'en s'arrêtant à de pareils griefs, on prouve qu'on n'en a pas de bien sérieux à invoquer.
Eu parlant de la résistance faite à la loi du 19 décembre 1864, M. le ministre s'est plaint de ce que certains collateurs s'étaient permis de faire des collations depuis que la loi est devenue obligatoire. Oui, messieurs, il y a eu des collations faites. J'cn ai deux sous la main, signées par M. le bourgmestre de Louvain, l'une de ces collations est du mois d'octobre, l'autre est du 3 novembre 1865. Voilà donc des bourses conférées depuis la mise en vigueur de la loi de 1864, par un membre de la commission provinciale du Brabant et je pense même par le président. Cet abus ne doit pas être bien grave, puisque les membres mêmes chargés d'exécuter la loi s'en sont rendus coupables.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai dit qu'il y avait des collations faites au profit de personnes qui n'étudiaient plus.
M. Delcourµ . - Vous avez parlé de la résistance à la loi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Lisez mon discours.
M. Delcourµ. - Il est connu.
M. le ministre de la justice (M. Bara).- Vous ne l'avez pas lu.
M. Delcourµ. - Je l'ai lu, et c'est peut-être parce que je l'ai trop bien disséqué que vous vous fâchez.
(page 775) Il me reste, messieurs, à vous entretenir un instant encore de la fondation de Borgreeff. Je n'en dirai que quelques mots.
L'honorable ministre a accusé la famille du fondateur, qui était restée en possession des biens, d'avoir détourné la fondation de sa destination primitive, en substituant, en 1807, des bourses exclusivement théologiques à des bourses laïques.
Modifier la destination d'une fondation est une chose grave. Je ne vois dans l'administrateur d'une fondation de bourse qu'un exécuteur testamentaire, chargé de faire respecter la volonté du fondateur. Eh bien, messieurs, ce qui s'est passé au sujet de la fondation de Borgreeff mérite toute notre approbation.
Examinons les faits.
Le testament du chevalier de Borgreeff, de 1682, se borne à ériger la fondation et à en fixer la dotation. Des bourses doivent être établies pour aider les jeunes gens pauvres à faire leurs études. Rien n'est réglé ; le fondateur a chargé son exécuteur testamentaire de rédiger les statuts de la fondation.
Ce règlement a eu lieu. Mais la famille est restée constamment en possession des biens.
A l'époque de l'invasion française, les biens étaient entre les mains de M. de Roose, parent du fondateur. Les agents du domaine voulurent s'en emparer. M. de Roose résistai leurs prétentions et leur déclara qu'il ne les céderait qu'en vertu d'un jugement.
Les agents du fisc persistèrent, mais ils rencontrèrent un adversaire si décidé qu'ils finirent par renoncer à leur prétention.
M. de Roose eut pour héritier M. le baron de Peuthy, père de M. de Peuthy qui a représenté au Sénat, pendant plusieurs années, l'arrondissement de Louvain que j'ai l'honneur de représenter dans cette Chambre.
M. le baron de Peuthy voulant soustraire aux convoitises du fisc les biens de famille dont il était en possession, se rendit à Paris et sollicita de l'empereur le. rétablissement de la fondation.
La fondation fut érigée de nouveau par un décret impérial.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce que j'ai dit.
M. Delcourµ. - Le décret du 11 brumaire au XIV était conçu on ces termes :
« Napoléon, etc.
« Art. 1er. Le sieur Idesbalde-Albert-Joseph de Baudequin de Peuthy, domicilié à Bruxelles, département de la Dyle, est autorisé à fonder par acte authentique, le même nombre de bourses pour des jeunes clercs-étudiants dans les séminaires diocésains de Malines, Gand, Namur et Tournai, que la famille dont il est héritier a enteretenu depuis 1682, jusqu'en 1800 en faveur des pauvres étudiants, en la ci-devant université de Louvain, ou autre de la ci-devant Belgique.
« . 2. Le fondateur sera tenu d'assigner par acte de fondation un fonds représentant un revenu annuel égal à la somme employée autrefois pour l'entretien des bourses dont il s'agit.
« Art. 3. Le nombre de ces bourses sera également réparti entre les quatre séminaires.
« Art. 4. Le sieur Idesbalde Albert Joseph de Baudequin de Peuthy ou ses ayants cause, à perpétuité, auront la collation de ces bourses et l'administration des fonds assignés pour leur servir de dotation.
« Art. 5. Les collateurs présenteront les sujets qu'ils se proposeront de nommer, à l'agrément de l'évêque diocésain, qui ne pourra les refuser que pour des causes graves et légitimes.
« Art. 6. La fondation sera acceptée dans les formes ordinaires par les évêques intéressés ; elle devra ensuite être revêtue de notre approbation impériale. »
La fondation fut érigée en exécution de ce décret et les bourses conférées aux étudiants en théologie des séminaires désignés.
Plus tard, le roi des Pays-Bas confirma la fondation par un arrêté royal du 15 décembre 1819 et la soumit aux dispositions réglementaires de l'arrêté du 20 décembre 1818. La fondation eut pour proviseurs le bourgmestre et le premier échevin de Bruxelles.
Ainsi, depuis 1808 jusque aujourd'hui, les bourses ont été exclusivement affectées à l'étude de la théologie. Jamais aucune réclamation ne s'est élevée, et le gouvernement belge n'a pas cessé de comprendre la fondation de Borgreeff parmi les fondations affectées aux études théologiques
Comment peut-on contester, en présence de tous ces faits ? L'honorable ministre dit : On a changé le titre primitif. Mais, messieurs, n'oublions pas qu'il s'agit ici de biens qui sont restés dans la famille, que le fisc, malgré toute sou habileté, n'a pu faire rentrer dans le domaine de l'Etat ? En les affectant aux éludes de la théologie, en les conservant il une destination pieuse, conforme à la volonté du fondateur, on ose dire que la famille a détourné les biens de la fondation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - De leur destination, ai-je dit. C'était pour les humanités, le droit et la théologie.
M. Delcourµ. - Je ne sais, messieurs, si l'insistance que met l'honorable ministre de la justice ne se rattacherait pas à une circonstance particulière.
Depuis la mort de M.de Peuthy, l'administration de la fondation de Borgreeff appartient à M. le comte du Châtel, de Gand, général commandant la garde civique.
J'ai appris que M. le comte du Châtel opposait aussi quelque résistance à la demande de la commission provinciale du Brabant. S'appuyant sur les actes que je viens de citer, il s'est demandé si la fondation de Borgreeff, affectée exclusivement aux études de la théologie, ne devait pas, aux termes de la loi même de 1864, être administrée par le bureau du séminaire. L'affaire en est là et attend une décision.
Je crois, messieurs, avoir rencontré la plupart des griefs invoqués par M. le ministre de la justice ; je finirai en rappelant les paroles par lesquelles j'ai commencé.
L'honorable ministre prétend que la loi de 1864 a été une loi de réparation.
Je dis, moi, en m'appuyant sur les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre : Non, la loi n'est une loi de réparation ; elle n'est, à mes yeux, qu'une loi de mainmise nationale, qu'une loi de confiscation.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je prie la Chambre de vouloir bien m'entendre, je ne serai pas long.
Je commencerai par dire à l'honorable M. Delcour qu'en ce qui concerne la fondation de Borgreeff dont il a parlé, le dernier fait qu'il vient de mentionner est complètement inexact.
M. le comte du Châtel ne résiste pas à la loi. Il était administrateur des bourses du séminaire et il croyait que ces bourses étaient pour le séminaire. Nous lui avons objecté que les actes constitutifs des fondations donnaient une autre affectation à ces bourses. Il a demandé qu'on le lui prouvât.
M. Delcourµ. - A-t-il répondu à la dernière demande ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il a déclaré qu'il n'entendait pas résister à la loi. Du moment que nous lui aurons prouvé que les actes constitutifs donnent une autre affectation aux bourses, il ne résistera pas.
MfFOµ. - Comment voulez-vous qu'il résiste ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas là de la résistance à la loi. Au contraire, il est bien juste que les administrateurs spéciaux s'éclairent.
Ainsi, par exemple, une contestation se présente au sujet de la loi de 1864, est-ce une résistance ? Du tout ; ce n'est pas résister que de contester. Si un séminaire venait nous faire des observations à propos d'une bourse mixte et s'il prétendait que la gestion des biens dépendants d'une fondation de cette nature doit lui être déférée, nous ne verrions, dans sa conduite, que son désir de voir exécuter la loi conformément aux intentions du législateur.
A propos de la fondation de Borgreeff, M. Delcour se met bien à l'aise ; il prétend que nous accusons la famille de Borgreeff d'avoir détourné des biens. Nous n'avons avancé rien de semblable. Quand on discute loyalement entre adversaires, il importe d'exposer les faits d'une manière exacte. Qu'ai-je dit ? Que la bourse de Borgreeff avait été créée pour les humanités à partir de la syntaxe, pour la philosophie, le droit et la théologie, et que lorsqu'on avait rétabli cette fondation, on l'avait affectée exclusivement aux études théologiques dans quatre séminaires déterminés.
Les bourses ont été détournées de leur destination. (Interruption.) Vous ne pouvez le nier ; les actes constitutifs sont là.
Les administrateurs, selon les paroles que prononçait tout à l'heure l'honorable M. Delcour, sont les exécuteurs de la volonté des fondateurs. Eh bien, nous sommes en présence d'une bourse affectée primitivement à l'étude des humanités, du droit, de la philosophie et de la théologie ; cette fondation n'est plus affectée maintenant qu'à l'étude de la théologie. Voilà le respect de la volonté des testateurs !
M. Dumortier. - Pas du tout, c'est l'empereur Napoléon.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est l'empereur Napoléon qui l'a fait, d'accord, de concert avec les administrateurs et sur leur demande, M. Delcour vous a fait connaître que l'administrateur (page 776) était allé à Paris exprès pour obtenir ce décret. Ainsi donc, vous qui respectez los volontés des testateurs, vous appliquez maintenant à l'étude de la théologie des bourses affectées aux humanités, à la philosophie, à la théologie et au droit.
L'honorable M. Delcour a commencé son discours par des considérations générales ; selon lui, la loi sur les bourses était inutile, puisque, de notre aveu même, l'administration des bourses de Louvain était excellente.
J'ai déjà dit pourquoi cette administration fonctionnait régulièrement, et, je le répète, c'est parce qu'il y avait à Louvain une grande administration centralisée entre les mains d'un véritable fonctionnaire, qui était en même temps receveur de l'université.
Cet administrateur se consacrait exclusivement à ces fonctions, tandis que la plupart des autres fondations étaient gérées par des personnes pour lesquelles les fonctions d'administrateur n'était qu'un minime accessoire.
M. Teschµ. - Il y avait encore d'autres griefs.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, j'y viendrai. Dans le Brabant, nous a dit M. Delcour, on a pu constater un accroissement du patrimoine des bourses ; d'accord ; cet accroissement résulte notamment de l'augmentation de valeur des biens-fonds. Mais si, à Louvain, le patrimoine des bourses était convenablement géré, il y avait là d'autres abus... (Interruption), il y avait la pression exercée sur les boursiers pour les contraindre à suivre les cours de l'université de Louvain. On écrivait aux collateurs que les bourses ne pouvaient être données qu'aux élèves de cet établissement.
Il en a été ainsi de toutes les bourses de la fondation Milius, Van t'Sestich, Hayweghem et...
M. Teschµ. - Malgré l'avis d'hommes éminents.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, malgré l'avis d'hommes éminents. On me dit que, dans l'affaire des fondations du collège Breugel, j'ai cité des faits erronés ; force m'est donc de lire les pièces ; je ne l'aurais pas fait, mais on m'accuse de diffamation...
M. Delcourµ. - Du tout.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oh ! pardon ; M. de Theux m'a accusé d'avoir commis une diffamation... (Interruption) un acte de diffamation en grand.
Quand je suis venu devant vous citer des faits, je les avais examinés consciencieusement. J'étais convaincu de l'exactitude de ce que j'avançais. M. de Theux avant d'avoir pu vérifier les faits que j'ai articulés, avant d'avoir en mains la moindre preuve, s'est levé, lui, le doyen de la droite, l'homme calme, modéré, et il m'a répondu : Vous avez commis un acte de diffamation ! (Interruption.) Voilà votre justice à mon égard.
Mais vous aurez beau dire, vous aurez beau discuter : tous ces faits resteront debout !
M. Thonissenµ. - Vous vous trompez étrangement ; nous vous prouverons le contraire.
M. de Moorµ. - Oui, jusqu'ici vous avez eu du succès, je vous en félicite !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais vous fournir les pièces sur lesquelles reposent ces faits, que j'ai adoucis ; c'est d'abord une lettre du 29 juin 1830 :
« La Haye, 29 juin 1830.
« Au gouverneur de la province du Brabant méridional.
« Un homme connu, honorable et digne d'estime, m'écrit ce qui suit :
« Je crois qu'il est de mon devoir de vous informer, que le N..., ancien philologue à cette université et faisant aujourd'hui le chevalier d'industrie, a su gagner la confiance de M. le curé de Saint-Pierre, très brave et honnête homme, mais trop vieux pour pouvoir s'occuper de toutes ses charges ; que ce... fait toutes les collations que le curé collateur signe de confiance, et que ledit... a toujours soin que la moitié de ces bourses tourne à son profit, ce qui fait que les ayants droit en sont le plus souvent privés.
« Il est arrivé l'année dernière que le juge... demanda une bourse pour son fils, comme parent du fondateur. Le sieur... sut cacher la requête et fit la collation à son profit.
« Le jeune... avait obtenu une bourse en qualité d'enfant de chœur ; mais la collation fut retenue par... qui eut soin de faire une ruse et la collation en faveur d'un nommé.... qui jamais n'a été enfant de chœur et il alla aussitôt après chez la dame veuve ... en toucher le montant. Il remit alors la collation à... qui ne reçut pas une obole. Il serait désirable qu'on portât remède à cette espèce d'escroquerie. »
M. Jacobsµ. - C'est une dénonciation, mais il n'y a pas eu d'enquête.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous allez voir s'il n'y a pas eu d'enquête. Je poursuis la lecture.
« Qu'il plaise à Votre Excellence d'examiner sérieusement cette affaire, m'en faire rapport en me faisant connaître vos considérations et avis.
« Le ministre de l'intérieur,
« (Signé) De La Coste. »
« A la députation des Etats.
« Bruxelles, le 21 avril 1831.
« Messieurs,
« Les faits signalés dans la lettre de l'administrateur de l'instruction publique du gouvernement précédent, dont une copie est ci-jointe et confirmés par la lettre de M. le gouverneur du Brabant méridional, en date du 15 mars dernier, deuxième division, litt. B, outre plusieurs autres qui, depuis, sont parvenues à ma connaissance, semblent prouver que M..., affaibli par son grand âge, devient facilement dupe d'intrigants, qui lui font signer ce qu'ils veulent, en sa qualité de proviseur et collateur d'un grand nombre de bourses de fondations.
« Comme il en résulte un grand préjudice pour les ayants droit et l'instruction publique, il est du devoir de l'administration d'y chercher un remède, et je vous prie, messieurs, de vouloir bien examiner s'il n'y a pas lieu à nommer un proviseur-collateur-adjoint, sans l'intervention duquel M... ne pourrait signer valablement aucun acte en sa qualité de proviseur-collateur ; je ne fais, messieurs, qu'indiquer cette mesure à laquelle je m'empresserai de substituer toute autre plus utile, que vous pourriez me proposer.
« Le ministre de l'intérieur, (Signé) R. de Sauvage. »
Continuons :
« Bruxelles, le 22 novembre 1831.
« Monsieur le Ministre,
« Nous ne perdons pas de vue la lettre qui nous a été écrite par M. votre prédécesseur, le 21 avril dernier, 2ème division, n°653, relativement à quelques plaintes qui lui auraient été faites sur ce que M. curé de Saint-Pierre, à Louvain, se laisserait facilement tromper par des intrigants qui parviendraient à lui faire signer ce qu'ils veulent, en sa qualité de proviseur et collateur d'un grand nombre de fondations de bourses.
« Nous voyons, il est vrai, par la réponse de M. le gouverneur du 15 mars dernier, à une lettre confidentielle du 7 janvier précédent, que M... s'était aperçu lui-même qu'un nommé C... à qui il avait accordé une certaine confiance, n'en était point digne ; mais comme depuis la fin de l'année 1829, il avait cessé de l'employer, nous ne pouvons guère aujourd'hui nous appuyer sur cette seule considération pour provoquer une mesure aussi grave que serait celle d'interdire à M... tout exercice de ses fonctions, sans l'intervention d'un proviseur, collateur-adjoint.
D »es renseignements ont été demandés et nous les réitérons aujourd'hui. Nous sommes loin, cependant, de contester l'utilité de la mesure proposée ; mais il serait désirable qu'elle pût être provoquée par M... lui-même ; car outre les cas fort rares où il peut se passer du concours d'un second collateur, il serait extrêmement désobligeant pour ce vieillard de se voir placé dans une espèce d'état d'interdiction lorsque sa qualité de proviseur ou collateur résulte presque toujours de celle de curé.
« Nous nous empresserons de vous communiquer les renseignements que nous avons demandés, aussitôt leur réception.
« La députation des Etats. »
Voici un nouveau fait que j'avais passé sous silence par esprit de modération et que je dois bien signaler, puisqu'on m'y contraint.
« Louvain, le 15 février 1832.
« Monsieur le gouverneur,
« Répondant à votre lettre du 22 novembre dernier, 2ème division, par laquelle vous avez bien voulu me demander des renseignements au sujet de M..., curé de Saint-Pierre en cette ville, et proviseur collateur de bourses, j'ai l'honneur de vous faire connaître que je crois qu'il serait nécessaire de nommer un proviseur-collateur adjoint, sans (page 777) l’intervention duquel M. le doyen de Saint-Pierre ne pourrait signer valablement aucun acte en la qualité susdite ; son grand âge et ses infirmités ont déjà forcé l'autorité ecclésiastique à prendre une mesure semblable, pour ses fonctions d'archi-prêtre et à la demande même de M..., l’abbé Vanderlinden a été nommé son coadjuteur.
L'affaiblissement de son esprit l'expose à des séductions dangereuses et de même qu'en 1829 on accusait le sieur... ancien philologue, d'exercer sur son esprit une influence déplacée. Des informations que j'ai prises me portent à croire qu'actuellement le sieur L..., également ancien philologue, a succédé a celui-là dans la confiance de M. le doyen, et qu'il peut en avoir abusé quelquefois pour le même objet. Quelque réservé qu'il faille être pour ces sortes d'inculpations, je dois dire cependant qu'il m'est revenu que le sieur L..., susdit, se servait de son crédit pour procurer des bourses, et pas toujours gratuitement. »
En voilà donc un second dans cette même fondation qui donnait des bourses et pas gratuitement.
M. Delcourµ. - Nous sommes d'accord qu'il y a eu des abus ; mais ce que j'ai dit, c'est qu'il n'était pas seul collateur des bourses.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais y arriver. Voici la réponse ; c'est la lettre qui la fournit :
« Bien que M. le doyen n'exerce presque jamais seul les fonctions dont il s'agit, cependant la place qu'il occupe, la déférence qu'on a pour lui, et un usage consacré, tendent à diminuer la garantie qu'offrent ses collègues.
« Enfin la mesure proposée ne peut pas sembler une marque de défaveur à un vieillard aspirant au repos, et qui a sollicité lui-même un aide pour ses fonctions ecclésiastiques.
« Le commissaire d'arrondissement, (Signé) E. T'Serclaes. »
M. Delcourµ. - Il n'agit donc pas seul.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sans doute ; mais le fait n'est pas moins abusif.
Voilà donc pour le premier fait ; il prouve, comme j'ai eu l'honneur de le dire, que, sous le régime des anciennes fondations, les administrateurs de bourses pouvaient être victimes de chevaliers d'industrie et cela durant de nombreuses années, sans que l'autorité parvînt à mettre un terme à ces abus.
J'ai cité un autre fait, celui de ce prétendu administrateur appartenant d'après M. Delcour aux hospices de Louvain, nommé par le ministre de l'instruction publique et qui avait commis des malversations. Vous allez voir comment cet administrateur spécial s'est conduit :
« Louvain, le 17 avril 1851.
« Messieurs les proviseurs,
« J'ai l'honneur de porter à votre connaissance que samedi dernier, à deux heures de relevée, a eu lieu la levée des scellés apposés dans la maison de Mme X. sur les titres, papiers, etc., appartenant aux fondationsd4u collège de Breugel dont il fut administrateur-receveur.
« Les pièces étaient mal classées, mêlées avec des paperasses tout à fait étrangères à celles-ci.
« La recherche de ces pièces et l'inventaire que j'en ai fait faire par M. le notaire Van Bockel a duré jusqu'à six heures du soir.
« Les pièces suivantes n'ont plus été retrouvées :
« 1° Le titre constitutif de la rente de fr. 19-04 à charge de Joséphine Bologne et cons. à Piétrebais, ainsi que les bordereaux d'inscription ;
« 2° Tous les titres et bordereaux d'une rente de. fr. 58-10 à charge d'Anne-Marie Verhaegen, veuve Broos, à Thielt ;
« 3° L'obligation sous seing privé de fr. 2,011-58, à charge de François Vanpée à Grez ;
« 4° Tous les titres des rentes à charge de la ville de Louvain ;
« 5° Les titres et bordereaux d'une rente de fr. 7-25, à charge des héritiers Vertraeten à Bautersem ;
« 6° Une obligation du trésor de 20 fr., faisant partie de l'emprunt forcé de 1848. »
Voilà ce qu'écrivait M. Stas et il savait fort bien, quand il écrivait cette lettre, qu'il ne s'agissait pas d'anciens titres de rentes dont nous a parlé l'honorable M. Delcour.
« Le journal de recettes et dépenses consiste en cahiers ; celui ou ceux du 1er janvier 1834 à 1856 n'a pas été trouvé.
« Des fonds, il n'y eu avait pas.
« Le registre sommier de M......n'indique pas qu'il ait réclamé un titre nouveau de la rente de fr. 36-29 à charge de Josse Stas à Huldenberg et consorts, de manière que la prescription trentenaire lui est acquise depuis le 15 février 1850.
« Deux inscrirons sont périmées, savoir : celle de la rente de fr. 16-11, à charge de Pierre Vandenstukken et consorts, à Roosback et celle de la rente de fr. 7-25 à charge des héritiers Verstraeten à Bautersem.
« Le sommier des rentes ne porte aucune annotation ; quant aux titres de la rente, de l'hypothèque et des inscriptions en ce qui concerne la prédite rente de fr. 38-10 à charge d'Anne-Marie Verhaegen, veuve de Droos.
« Son dernier compte est de 1419, approuvé par vous le 26 avril 1850, et par la députation le 4 juillet suivant présentait un excédntl de recettes de fr. 1,418 04 ; depuis la reddition de ce compte et d'après les annotations faites sur son sommier, il a encore reçu sur différentes rentes fr. 627 4 de manière qu'il doit fr. 2,043 45
« D'après les annotations faites sur son journal il aurait payé en bourses fr. 111-50, mais je n'ai pas trouvé de quittances.
« La veuve... était présente à cette levée des scellés. Elle m'a dit que X. vivait dans cette maison avec une femme de mauvaise conduite, qui l'avait ruiné, ayant tout emporté et que jusqu'ici elle n'était pas encore décidée, si elle accepterait ou renoncerait à la succession.
« A l'exception d'une petite bibliothèque il y a peu de meubles dans la maison, et tout me porte à croire que les fondations auront une banqueroute au moins de la somme ci-dessus mentionnée.
« J'ai aussitôt envoyé des avertissements aux débirentiers pour les faire payer et montrer leur dernière quittance, sans omettre le sieur... qui est redevable à la fondation de l'obligation sous seing-privé de fr. 2,010-55 qui pourrait très bien être remboursée.
« Je tâcherai, messieurs, de remédier autant qu'il me sera possible aux irrégularités de cette administration, en faisant prendre de nouvelles inscriptions en remplacement de celles périmées et en tachant d'obtenir un titre nouvel de la rente dont le titre est suranné.
« Agréez, etc.
« L'administrateur-receveur,
« (Signé) : J. Staes. »
Voilà encore un fait parfaitement prouvé.
M. Dumortier. - On ne conteste pas qu'il n'y ait quelques abus, mais il était facile d'y porter remède, et il ne fallait pas pour cela confisquer toutes les bourses.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - En fait de confiscation, il n'y a que l'affaire de Herve et celle de Liège ; mais actuellement les fondations sont parfaitement surveillées et les étudiants sont certains de conserver le patrimoine des bourses.
L'honorable M. Delcour a parlé d'un titre presbytéral et a dit : « Voyez, M. le ministre de la justice a accusé un prêtre de jouir d'une bourse, tandis qu'il jouit d'un bénéfice ; je vais lui apprendre le droit canon. »
Je reconnais que l'honorable membre, qui est professeur à l'université de Louvain, a quelque titres à enseigner le droit canon ; mais qu'il me permette de le lui dire, l'étude que j'ai faite de la question ne m'a pas amené à partager sa manière de voir.
S'agissait-il d'un bénéfice ? Evidemment, non, messieurs. Le titulaire d'un bénéfice est chargé de. devoirs religieux. Pas de bénéfice sans charge. Or, ici cet élément fait défaut.
M. Thonissenµ. - Comment ?
M. le ministre de la justice (M. Bara) ; - Certainement. (Interruption.) Mais, messieurs, je ne comprends vraiment pas. ces contestations ; le testateur dit formellement qu'il fonde son office pour faire les études conduisant à la prêtrise ; et il ajoute que cet office pourra servir de titre presbytéral. Or, un pareil titre est destiné, comme je l'ai dit dans la séance du 3 de ce mois, à donner aux prêtres une position d'attente, qui les mette à l'abri du besoin, ne medicant in opprobriuin cleri. Mais cet avantage n'avait plus de raison d'être dès que les titulaires étaient pourvus soit d'un bénéfice, soit de fonctions ecclésiastiques rétribuées.
Au surplus, s'il en était autrement, si c'étaient des bénéfices, ils n'existeraient plus, puisque les bénéfices ont été supprimés, et je ne suppose pas que vous vouliez les rétablir.
Il s'agissait donc bien de bourses pour faciliter les études préparatoires à la prêtrise, et la preuve c'est que le testament permet au titulaire d'en (page 778) jouir dès l'âge de 14 ans. Or, je ne sache pas qu'à 14 ans on puisse exercer une charge religieuse et moins encore être doyen.
L'honorable M. Delcour nous a dit que j'avais à tort reproché à certaines fondations d'avoir thésaurisé.
L'honorable membre m'a répondu en m'opposant des actes de fondation d'après lesquels les administrateurs ont dû nécessairement thésauriser. Mais je n'ai pas parlé des fondations de cette espèce. J'ai cité la fondation de Hautport qui a constitué des bourses non seulement pour des parents, pour des jeunes gens de certaines localités ; mais pour tous les jeunes gens pauvres en général, et j'ai ajouté qu'au mépris de la volonté du fondateur les administrateurs collateurs accumulaient des revenus alors qu'il leur était possible de les distribuer entièrement en appelant à la jouissance des bourses toutes les personnes appelées en vertu du testament. (Interruption.)
L'honorable M. Delcour emploie un moyen commode d'avoir raison de ses adversaires ; il leur attribue des paroles qu'ils n'ont pas prononcées.
Je n'ai pas dit ce que l'honorable M. Delcour me fait dire dans l'occurrence o j'ai dit que dans certaines fondations, et notamment dans la fondation de Hautport, en avait refusé d'accorder des bourses, alors que le testament permettait d'en conférer à toute espèce de personnes pauvres...
M. Tack. - C'est une question.
MjTµ. - Comment ! c'est une question !... Un citoyen fonde des bourses dont les revenus doivent venir en aide à des jeunes gens pauvres pour leur donner de l'instruction.
Des jeunes gens pauvres se présentent pour jouir des bourses, et l'honorable M. Tack, qui est jurisconsulte, dit que c'est une question de savoir s'il est permis aux administrateurs de déclarer qu'on ne conférera pas de bourses, qu'on thésaurisera ! (Interruption.)
Il faut discuter sérieusement ; peut-on venir prétendre que c'est une question, que les administrateurs ont le droit de ne conférer les bourses qu'à telle ou telle personne qu'il leur plaît de favoriser, alors que le testament appelle à la jouissance des bourses tous les jeunes gens pauvres indistinctement.
L'honorable M. Delcour m'a aussi reproché d'avoir signalé des cumuls de bourses.
Ici encore l'honorable orateur m'a prêté des paroles que je n'ai pas prononcées. Je me suis borné à dire qu'il n'était pas permis d'accumuler les bourses sur la tête d'un même individu de manière à constituer au titulaire une véritable petite fortune. Je comprends parfaitement que lorsqu'il s'agit de bourses de 100 francs ou de 200 francs, on soit obligé d'accorder à un étudiant 2 ou 3 bourses de ce genre sur des fondations différentes. Mais j'ai cité d'autre faits ; j'ai cité des séminaristes qui avaient reçu 1,200, 1,300 et même 1,400 francs de bourse, alors que la pension du séminaire n'était que de 600 francs.
J'ai cité encore un pharmacien qui avait touché 7,410 francs. Et encore ne suis-je pas bien sûr que ce pharmacien soit devenu pharmacien ; je crois qu'il n'est parvenu qu'au grade de candidat en pharmacie. (Interruption.)
L'honorable M. Delcour trouve tout cela très mal, mais alors qu'il approuve la loi de 1864.
L'honorable membre a dit que j'étais dans l'erreur au sujet des quittances. J'ai reproché et je reproche encore aux administrations spéciales d'avoir traité directement pour les bourses avec tels ou tels établissements dont les titulaires étaient obligés de suivre les cours ; que les bourses n'étaient payées que lorsque les titulaires étaient dans l'établissement ; que l'économe faisait signer les quittances par les boursiers, et que c'était à l'économe qu'on payait directement les bourses. Voilà ce que j'ai dit et voilà ce que je répète.
Messieurs, j'avais parlé de bourses conférées par des administrations spéciales, même après la mise à exécution de la loi de 1864.
L'honorable M. Delcour m'a fait observer que M. Peemans, bourgmestre de Louvain, a aussi conféré des bourses dans les mêmes conditions que celles que j'ai signalées.
Je ne me suis plaint que d'une chose, c'est que des collations aient été faites après que les commissions provinciales avaient été envoyées en possession des biens de certaines fondations. Ces collations ont été faites à l'improviste, et en faveur de personnes qui n'y avaient aucun titre ou qui n'avaient pas même sollicité de bourses. Dans l'affaire dont l'honorable M. Delcour vient de parler, la collation a eu lieu le 6 octobre 1865, c'est-à-dire à une époque où l'arrêté qui envoie la commission provinciale du Brabant en possession n'avait pas encore paru. (Interruption.)
Comme me le fait observer, d'ailleurs, l'honorable M. Tesch, des circulaires du département de la justice autorisaient les administrations spéciales à conférer les bourses jusqu'à l'envoi en possession.
J'ai dit que quand s'est faite la collation à laquelle l'honorable M. Peemans a pris part, l'arrêté de mise en possession n'avait pas encore été publié ; dans l'espèce à laquelle j'ai fait allusion, l'arrêté d'envoi en possession était au Moniteur, et un seul membre du collège des collateurs, sans attendre son collègue, conféra immédiatement toutes les bourses, et les conféra dans un endroit où lui-même n'a pas pu se rendre. (Interruption.)
M. Dumortier. - Ce collègue a été convoqué plusieurs fois.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce collègue a été convoqué il est vrai, mais on l'a convoqué de manière à l'empêcher de prendre part à la résolution.
On a conféré les bourses avec une telle précipitation qu'on en a accordé à des jeunes gens qui n'étudiaient même plus : témoin un élève du collège de la Tombe. (Interruption.)
Je pourrais montrer à l'honorable M. Dumortier la lettre du principal de ce collège qui déclare que le jeune homme avait abandonné les études.
Voilà ce dont je me suis plaint ; voilà ce que j'ai établi de la manière la plus évidente.
Messieurs, on a dit que tous les faits que j'ai apportés à la tribune étaient faux ; et il se trouve que, quand on les discute, ils sont reconnus parfaitement exacts. Après cela, je demande à la Chambre : N'est-ce pas une excellente loi que celle qui doit réprimer tous ces abus et en prévenir le retour ?
M. Thibautµ. - Messieurs, j'ai reçu d'un proche parent d'un administrateur incriminé dans le discours de M. le ministre de la justice, une lettre adressée à la Chambre. Je demande la permission d’en donner lecture ; elle est très courte. (Adhésion.)
Voici cette lettre :
« A MM. les président et membres de la Chambre des représentants.
« Messieurs,
« Je n'ai reçu qu'hier soir, 9 de ce mois, les Annales parlementaires contenant le discours prononcé, dans la séance de jeudi dernier, par M. le ministre de la justice et dans lequel il incrimine la gestion des bourses d'étude Waulhier, dont mon grand-oncle, M. le chanoine Wauthier, curé-doyen de Walcourt, a été l'un des administrateurs.
« Je viens protester contre les assertions de M. le ministre, que je déclare complètement erronées.
« Le temps me manque pour rassembler avant la séance de demain les documents relatifs à cette fondation et rédiger une note justificative ; je me vois à regret forcé de me borner aujourd'hui à cette protestation, me réservant d'établir ultérieurement par pièces authentiques que les affirmations de M. le ministre de la justice ne sont fondées ni en droit ni en fait.
« Daignez agréer, messieurs, l'expression de mon profond respect.
« Jules Wauthier.
« Dinant, 10 mai 1866. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la permission à la Chambre de lui lire, en réponse à ce que vient de lire M. Thibaut, une lettre qui est du 8 mai 1851 et qui émane de la députation permanente de la province de Namur.
« Namur, le 8 mai 1851.
« Monsieur le ministre,
« Par testament du 4 octobre 1776, le sieur Antoine Wauthice, chanoine de Walcourt, fonda trois bourses d'études : les deux premières en faveur de ses parents, la troisième au profit des enfants de chœur de la collégiale de Walcourt.
« Il affecta au payement des deux premières, une rente de cent couronnes de France, due par un sieur Charles Carion, et de la troisième, cent florins, argent courant, à prélever sur une rente de 165 florins 6 sols, également du par ledit Carion.
« Il institua, par le même testament, François-Mathias-Joseph Wauthier, curé de Walcourt, son héritier universel.
« L'article 14 de ce testament est ainsi conçu : « Je désigne et dénomme pour collateur desdites trois bourses le révérend sieur François-Mathias-Joseph Wauthier, mon cousin (son héritier comme nous venons de te dire) et le révérend Jean-Joseph Hoslet, possesseur de deux canonicats (page 779) par moi fondés ou leurs successeurs aux susdits canonicats, en priant de veiller à la conduite des boursiers, de leur servir de père et en un mot ne travailler autant que possible au bien-être desdites bourses et de ceux qui en seront pourvus. »
« Par l’article 15, le testateur dénomme pour recevoir les rentes assignées aux bourses l'ancien des possesseurs des dits canonicats.
« Hoslet mourut et Mathias Wauthier devint de droit comme de fait receveur desdites rentes en même temps qu'il était administrateur des bourses.
« L'article 39 du testament porte « que s'il se trouve des rentes renfoncés ci-dessus légatées, au temps de ma mort, je veux et ordonne que mon héritier les fasse bonnes et perceptibles suivant leur nature et constitution, comme je les ai ci-devant léguées et ordonnées, telle étant ma volonté. »
« François-Mathias-Joseph Wauthier, tant comme collateur des bourses que comme héritier de leur fondateur, devait donc travailler au bien-être desdites bourses et au besoin faire bonnes et perceptibles les rentes affectées à leur payement.
« Ce Mathias Wauthier mourut en 1833, instituant pour son héritière universelle la demoiselle Emérantine Wauthier.
« Par arrêté royal du 20 décembre même année les bourses Wauthier furent rétablies.
« Les proviseur et collateurs nommés par le gouvernement firent assigner le 13 mai 1834, la demoiselle Emérantine Wauthier aux fins principales de renseigner les titres, documents, registres appartenant à la fondation : de justifier d'une gestion utile et de payer les arrérages et capitaux dont le curé Wauthier, son auteur, serait reconnu comptable envers ladite fondation.
« Plusieurs fins de non-recevoir furent opposées à la demande et le 19 janvier 1839, intervint un premier jugement qui déclara la défenderesse non fondée dans ses exceptions.
« Sur appel, la cour de Liège par arrêt du 14 juillet 1841, mit l'appellation au néant en ce que les premiers juges ont rejeté (dit l'arrêt), l'exception de prescription en tant qu'elle a pour objet l'administration de Mathias Wauthier, antérieurement au 24 août 1797, émendant quant à ce, déclare l'action prescrite ; pour le surplus du jugement et par les motifs y énoncés, ordonne qu'il sera exécuté selon sa forme et teneur. »
Voilà donc déjà une partie des biens perdus par la prescription.
M. Thibautµ. - Du tout ! du tout ! C'est une erreur complète. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ecoutez, M. Thibaut. Je ne puis comprendre comment vous osez affirmer que c'est une erreur complète, alors que celui qui vous écrit vous dit lui-même qu'il n'a pas eu le temps de faire les recherches nécessaires. Ecoutez, vous verrez si c'est une erreur. Je poursuis :
« Enfin le 25 mars 1843, jugement du tribunal de Dinant qui condamne la défenderesse, 1° à rendre compte dans le délai de quatre mois, à partir de la signification du jugement, de la gestion que feu François-Mathias-Joseph Wauthier a eue des bourses établies par le chanoine Antoine Wauthier, de Walcourt, depuis le 24 août 1797 jusqu'en 1826 ; 2° à renseigner et restituer aux demandeurs les titres, papiers, documents et registres appartenant à la fondation ; 3° donne acte aux demandeurs des réserves expresses qu'ils font de faire valoir lors de la reddition de compte, toutes demandes, répétitions et actions compétentes à l'administration des bourses.
« Le 27 juillet 1844, le compte fut présenté au juge commissaire ; il est balancé de la manière suivante :
« Dépenses 9,459-42
« Recettes, 5,289-42
« Les bourses redoivent. 4,170-00
« La demoiselle Wauthier énonce en fait dans ce compte que le 20 septembre 1793, il est intervenu entre Nicolas Carion, de Macquenoise, et le chanoine Mathias Wauthier, stipulant en son nom pour éviter la mainmise nationale, une transaction verbale, par laquelle on fixe à 7,200 lires l'arriéré dû aux bourses et les capitaux de rentes à 13,500 livres, pour le remboursement desquels capitaux réunis Carion s'oblige à céder des terrains à dire d'experts.
« Que ces terrains furent livrés le 12 brumaire au VIII et consistaient en 21 hectares 22 ares de prés et terres.
« On voit ensuite au chapitre des recettes que Mathias Wauthier a vendu successivement, comme si elles lui appartenaient, ces diverses pièces de terres et prairies cédées par Carion au profit des bourses. La recette y est établie comme suit :
« Produit de trente années de revenus à raison de 775 fr. 40 c. par année, 23,202
« Capitaux de rente au denier 20, 15,468.
« Total, 38,670. »
« La dépense y est réduite à 3,675 fr. 25 c.
Différence au profit des bourses 34,994 fr. 75 c.
« Le soutènement de compte eut lieu. La demoiselle Wauthier prétendit que son auteur Mathias Wauthier, en continuant l'administrateur, cette qualité lui étant enlevée par la nationalisation des bourses ; qu'il n'avait géré que comme negotiorum gestor ; qu'il ne devait compte dès lors que de ce qu'il avait réellement perçu, que s'il avait vendu la plus grande partie des propriétés abandonnées par Carion, c'était à défaut de revenus suffisants, les terres ne produisant pas de quoi satisfaire les boursiers, etc., etc.
« Les choses en étaient là, lorsque la demoiselle Emérantine Wauthier vint à mourir.
« L'affaire fut reprise par ses héritiers qui, après diverses tentatives d'arrangement, conclurent avec les collateurs la transaction soumise à l'approbation du gouvernement.
« Cette convention réduit le capital des bourses à la somme de dix mille francs ; l'intérêt annuel à 500 fr. La famille Wauthier prend l'engagement de donner hypothèque et de payer pour frais 1,500 fr.
« On a demandé aux collateurs comment ils entendaient répartir ces 500 fr. entre les trois bourses. Leur intention paraît être d'opérer une diminution sur chacune d'elles.
« Il nous paraît, M. le ministre, qu'une transaction est ici convenable ; les débats de compte pouvant se prolonger beaucoup, au grand préjudice des ayants droit aux bourses, lesquels sont aujourd'hui privés des revenus de ces bourses.
« On a donc bien fait, selon nous, de renoncer à des répétitions qui sont contestables.
« Nous estimons, en conséquence, M. le ministre, qu'il y a lieu d'approuver la transaction dont il s'agit. Nous joignons à la présente toutes les pièces de l'affaire.
« La députation du conseil provincial,
« Le président, (Signé) V. Pirson. »
Voilà ce que vous répond la députation permanente de la province de Namur, et voilà ce que peut répondre l'honorable M. Thibaut à la personne qui lui a envoyé la réclamation dont il a donné lecture à la Chambre.
- La séance est levée à 5 heures trois quarts.