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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 19 avril 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 633) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

M. Van Humbeeck donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Des habitants d'Ypres demandent que la disposition du projet de Code pénal portant une peine contre toute personne qui, dans des combats, jeux ou spectacles publics, aura fait souffrir des animaux domestiques, soit modifiée en ce sens qu'elle ne puisse s'appliquer aux combats de coqs. »

M. Lelièvreµ. - Il est nécessaire, à mon avis, de comminer des peines entre ceux qui publiquement exercent de mauvais traitements envers les animaux. Je demande que la pétition soit renvoyée à la commission chargée de l'examen du Code pénal révisé.

M. Wasseige. - J'appuie la proposition de M. Lelièvre.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.


« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui porte une modification aux lois communale et provinciale.


« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Même dépôt.


« Les membres du conseil communal de Moresnet neutre demandent le maintien de leur neutralité ou du moins que leur territoire soit conservé à la Belgique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Couvreur, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

« M. de Mérode-Westerloo, obligé de s'absenter, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder des chemins de fer vicinaux dans le Brabant

Dépôt

MtpVSµ présente :

1° Un projet de loi portant concession de chemins da fer vicinaux dans le Brabant ;

Projet de loi qui proroge la loi du 21 avril 1835 sur les péages des chemins de fer

Dépôt

2° Un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi du 21 avril 1835 sur les péages des chemins de fer.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets de lois et les renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi approuvant la convention monétaire conclue avec la France, l’Italie et la Suisse

Rapport de la commission

M. Orts. - M. Pirmez, qui ne peut assister à la séance d'aujourd'hui, m'a chargé de déposer, en son nom, le rapport de la commission qui a examiné la convention monétaire conclue avec la France, l'Italie et la Suisse.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et figurera à la suite de l'ordre du jour.

Proposition de loi accordant une pension anuelle à la veuve du général-major Trumper

Lecture

MpVµ. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi suivante, qui a été déposée dans la séance d'hier :

« Art. 1er. Il est accordé, à charge du trésor public, une pension annuelle de quinze cents francs, insaisissable et incessible, à la veuve du général-major Trumper.

« Art. 2. Si elle se remarie, elle perdra ses droits à la pension, qui sera alors réversible, comme en cas de décès, sur la tête de ses enfants mineurs, jusqu'à l'âge de dix-huit, ans, sans que les droits résultant de cette réversion puissent, en aucun cas, attribuer à chaque enfant au delà de trois cents francs annuellement.

« Art. 3. Cette pension prendra cours à dater de la publication de la présente loi.

« Palais de la Nation, le 18 mars 1866.

« Ont signé :

« Louis Crombez, vice-président de la Chambre des représentants, Louis De Fré, Louis Hymans, Vicomte Vilain XIIII, de Naeyer, Reynaert, J. Guillery, A. Jamar, J. de Smedt, A. Rodenbach, Vleminckx, Bouvier-Evenepoel, Auguste Couvreur, G. Funck, L. Ansiau, Ch. de Rongé, E. Hayez, Van Humbeeck. »

Si les auteurs de la proposition y consentent, on pourrait fixer les développements à mardi prochain.

- Adopté.

Election du greffier de la chambre

M. le baron Emile Huyttens est réélu à l'unanimité des 82 membre» présents.

En conséquence, il est continué dan» ses fonctions pour un nouveau terme de six ans.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Jacquemynsµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de. la Chambre le rapport de la section centrale sur les crédits supplémentaires aux budgets du département de l'intérieur pour les exercices 1865 et 1866.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Interpellation

M. de Smedt. - Messieurs, je voudrais profiter de la présence de M. le ministre de la justice qui, la semaine prochaine, sera probablement retenu au Sénat, pour lui adresser une question.

Depuis plus de six mois une place de notaire est vacante, par suite du décès de l'ancien titulaire, au chef-lieu de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter. Furnes, comme vous le savez, messieurs, est chef-lieu d'arrondissement administratif et judiciaire. Furnes n'a que deux notaires et devrait en avoir trois, et voilà que depuis plus d'une demi-année il n'y en a qu'un seul. Cela est préjudiciable à l'étude vacante, et à cette occasion on se livre à des commentaires que je ne juge point, mais qu'il serait bon, me semble-t-il, de faire cesser le plus tôt possible.

Ainsi l'on dit que le retard apporté à cette nomination est dû à l'influence de l'esprit de parti ; on veut se ménager des voix pour les futures élections provinciales, voire même peut-être pour les élections générales.

Deux candidats sérieux sont seuls en présence, et après six mois l'instruction sur leur mérite réciproque devrait être terminée, ce me semble. (Interruption.)

Je demanderai donc à M. le ministre si l'on pourra sous peu pourvoir à cette place, car cette longue vacance doit porter préjudice à l'étude et aux intérêts des populations que j'ai l'honneur de représenter.

(page 634) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, aucun motif politique n'a empêché jusqu'à ce jour la nomination du notaire à Furnes de paraître au Moniteur, mais il y a eu dans la Flandre occidentale diverses places de notaires qui sont devenues vacantes.

Ces places se sont ouvertes successivement et les candidats ont souvent changé de demande à mesure que les vacances se présentaient. Il en est résulte une instruction nouvelle et il a été impossible au gouvernement de se prononcer immédiatement ; il a dû attendre les avis des autorités judiciaires et administratives.

J'ai le plaisir d'annoncer à l'honorable député de Furnes que ces nominations vont paraître. Le roi les a renvoyées à mon département revêtues de sa signature.

Il n'est pas sérieux de dire que ces retards sont dus à la politique, car je ne pense pas qu'il y ait cette année des élections à Furnes.

M. de Smedt. - Il y a des élections provinciales. (Interruption.)

MjTµ. - Si l'honorable membre croit que c'est à cause des élections provinciales, je puis lui donner l’assurance que la nomination sera au Moniteur avant ces élections.

M. de Smedtsµ. - Je suis complétement satisfait de la réponse de l'honorable ministre ; le but de mon interpellation est atteint, puisqu'il sera pourvu à cette vacature avant les élections provinciales. Je n'ai plus qu'un souhait à formuler, c'est que le choix de l'honorable ministre soit conforme aux intérêts de la justice et à ceux de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

Projet de loi portant extension de concession en faveur de la société des chemins de fer du Haut et Bas-Flénu et de la société du chemin de fer du Centre

Discussion générale

MpVµ. - Un amendement, signé par MM. Orts et Laubry, se rattache à ce projet ; il a été développé dans une première discussion et fait en conséquence partie de celle-ci.

La discussion générale est ouverte

MtpVSµ. - En reprenant cette affaire, après plusieurs mois d'interruption, la Chambre trouvera sans doute bon que j'en rappelle les éléments. Dans un premier discours, j'ai donné d'assez grands développements aux raisons qui ont guidé le gouvernement dans la décision qu'il a cru devoir prendre dans cette question. Ces développements me dispenseront de traiter celle-ci longuement aujourd'hui. Je me bornerai donc à des indications.

La Chambre se souviendra que l'origine de ce qu'on appelle le réseau industriel du Flénu gît dans une adjudication publique qui a eu lieu en 1833.

En 1833, le gouvernement a mis en adjudication publique l'établissement de certaines voies ferrées ayant pour objet de relier les charbonnages ou du moins une partie des charbonnages du Couchant de Mons au canal de Mons à Condé. J'insiste sur cette circonstance et je prie la Chambre d'y prêter son attention ; j'insiste, dis-je, sur cette circonstance que le Flénu n'est entré en possession de la première et de la plus importante de ses lignes qu'en vertu d'une adjudication publique.

Il n'y avait pas alors d'autres chemins de fer dans le Couchant de Mons et ce n'est que quelques années après qu'une grande ligne s'est établie de Mons vers la France dans la direction de Quiévrain et plus tard encore, de Mons vers la France dans la direction de Hautmont. La société du Flénu a donc successivement obtenu deux extensions de concession, l'une en 1852 vers la station de Jemmapes sur la ligne de l'Etat de Mons à Quiévrain, et l'autre en 1856 vers la station de Frameries sur la ligne concédée de Mons à Hautmont.

En 1864, la société Hainaut-Flandres a demandé la concession d'une nouvelle ligne de Saint-Ghislain à Frameries. Le but que poursuivait la société de Hainaut-Flandres est facile à apprécier. Saint-Ghislain est sa tête de ligne, mais les charbonnages exploités par la société du Flénu ne peuvent apporter leurs produits à la station de Saint-Ghislain qu'en passant sur la ligne de l'Etat, de Jemmapes à Saint-Ghislain, sur une distance d'environ 3 à 4 kilomètres.

L'Etat, par application de ses tarifs pour ce court trajet, perçoit un péage de 70 centimes. Il s'ensuit qu'entre le Borinage et le plus grand centre de consommation des Flandres, la ville de Gand, les charbons acquittent un premier péage au Flénu, un deuxième péage à l'Etat, et un troisième péage à Hainaut-Flandres. L'ensemble de ces divers péages s'élève à un chiffre qui est évidemment trop élevé pour que la compagnie de Hainaut Flandres puisse faire une concurrence fructueuse à l'Escaut.

Hainaut Flandres, en rattachant directement les charbonnages du Couchant de Mons à la station qui forme sa tête de ligne, cherchait, et avec raison, à exonérer les transports de charbons de la surtaxe dont ils sont grevés du chef du péage qu'ils acquittent sur la ligne de l'Etat. Dans ces limites, la demande ou plutôt le désir de Hainaut-Flandres de voir les charbons qui devaient passer par sa ligne dégrevés du péage de 70 centimes, acquitté à l'Etat, était, je le répète, parfaitement légitime. La question était et est encore de savoir comment il est le plus équitable de satisfaire à ce désir.

Hainaut-Flandres, et ici évidemment sa prétention était exorbitante, Hainaut-Flandres, se disant qu'étant déjà à la tête d'une grande exploitation, la société pourrait avec économie exploiter une ligne qui viendrait faire le prolongement de sa ligne principale, ne s'est pas borné à poursuivre la combinaison qui aurait ainsi exempté les charbons provenant du Couchant de Mons de l'obligation de payer une surtaxe du chef du parcours sur la ligne de l'Etat.

La compagnie a voulu aller plus loin et a demandé la concession d'une ligne de Saint-Ghislain à Frameries.

De plus elle a demandé, comme accessoire à cette concession nouvelle, un raccordement indépendant au canal de Mons à Condé. Dans ces termes, la concession sollicitée par Hainaut-Flandres se confondait, d'une manière presque absolue, avec la concession dont jouissait déjà la société du Flénu.

Je dis que la concession sollicitée par Hainaut-Flandres était, d'une manière presque absolue, identique a celle qui était déjà aux mains de la Société du Flénu, et je vais le prouver d'une manière irréfutable.

L'année dernière le chiffre total des transports effectués par la société du Flénu s'est élevé à 1,933,580 tonnes, un peu moins de 2 millions de tonnes. Sur ce chiffre, 517,904 tonnes ont été transportées à Frameries ; 1,036,436 tonnes ont été transportées vers les rivages ; ce qui fait ensemble 1,554,340 tonnes sur le transport total de 1,933,580 tonnes. Il n'y a donc que 379,240 tonnes qui aient été dirigés vers d'autres points, entre autres, vers la station de Jemmapes.

Ainsi, messieurs, si la concession demandée par Hainaut-Flandres lui avait été accordée, cette concession nouvelle aurait été, sans contestation, sans discussion possible, appelée à desservir, pour la presque totalité des transports, exactement les mêmes relations que celles qui sont desservies par le Flénu. C'est dans ce sens, et sans poursuivre plus avant l'examen de l'identité des relations à desservir, que j'ai le droit d'affirmer que la concession nouvelle se confondait d'une manière presque absolue avec la concession ancienne.

A raison même de cette identité, messieurs, le gouvernement n'a pas cru qu'il fût possible d'accéder à la demande de Hainaut-Flandres.

Mais comme la concession de la société du Flénu ne portait que sur le transport des marchandises pondéreuses, comme elle ne portait ni sur le transport des petites marchandises, ni sur celui des voyageurs et comme Hainaut-Flandres demandait à transporter toutes espèces de marchandises, ainsi que les voyageurs, en refusant la demande de celle-ci, il s'ensuivait que les populations du Borinage auraient été privées du transport des petites marchandises et du transport des voyageurs.

Dans cette circonstance, j'ai cru qu'il y avait lieu d'accorder l'accessoire à la société qui se trouvait déjà en possession du principal, en d'autres termes, qu'il y avait lieu d'accorder une extension de concession à la société du Flénu, extension portant sur le transport des petites marchandises et sur le transport des voyageurs.

C'est, messieurs, cette extension qui fait l'objet de la loi en discussion.

Ce projet, ainsi que nous l'avons établi lors du premier débat auquel il a donné lieu, a soulevé deux questions, une question de principe et une question de faits. La question de principe était de savoir s'il y a lieu d'admettre, en matière de concessions de chemins de fer, la concurrence illimitée ; la question de fait était de savoir si, en dehors de la question de principe, et en la supposant même résolue en faveur de Hainaut-Flandres, il se rencontrait des circonstances spéciales qui devaient engager à admettre au moins cette concurrent dans l'espèce ; si, en d'autres termes, pour rappeler l'argument unique qu'on a invoqué pour défendre la cause de Hainaut-Flandres, le Flénu jouit d'un tarif tellement élevé qu'il écrase l'industrie houillère du Couchant de Mons.

Quant à la première question, celle de savoir dans quelles limites il y a lieu d'admettre la concurrence en matière de concession de chemin de fer, j'ai cherché à exposer aussi clairement que possible la thèse que j'ai défendue, que je continue à défendre et que je défendrai toujours avec (page 635) une conviction profonde : c'est qu'en pareille matière il faut admettre la concurrence indirecte, mais qu'on ne peut ni ne doit admettre la concurrence directe, au point qu'on puisse concéder une ligne nouvelle littéralement à côté d’une ligne ancienne.

Je dis que la concurrence indirecte doit être admise ; cette concurrence l'a toujours été et continuera de l'être. Tous les chemins de fer dont nous soumettons la concession à la Chambre constituent une concurrence indirecte pour des chemins de fer existants. J'ai déposé, au début de cette séance même, un projet de loi relatif à la création de chemin de fer vicinaux dans le Brabant ; regardez la carte. Presque toutes les lignes qu'il s'agit de concéder constituent un raccourcissement entre des points déjà reliés par des lignes plus longues.

Messieurs, je ne conteste donc pas le droit entier, absolu, du gouvernement de concéder ; mais je dis que concéder une ligne nouvelle à côté d'une ligne déjà établie, est un fait qui n'a pas de précédents ; que ce fait n'est pas défendable en équité ; qu'il peut être légal, mais qu'à l'égard des exploitants de la ligne ancienne, il constitue une véritable injustice. Cette thèse, je la défends avec plus de conviction que jamais.

On nous dit que l'industrie des chemins de fer est une industrie ordinaire, qu'elle tombe sous la loi ordinaire de la concurrence.

C'est une très grande erreur ; l'industrie des chemins de fer n'est pas une industrie ordinaire ; cette industrie sort, au contraire, des règles communes, et la preuve, c'est que l'industrie des chemins de fer est réglementée. Ne l'exerce pas qui veut, mais surtout ne l'exerce pas qui veut aux conditions qu'il lui plaît. Il y a un cahier des charges qui préside à toutes les concessions ; il y a des obligations étroites imposées par la législature aux concessionnaires.

Ils ne font pas ce qu'ils veulent, mais surtout ils ne demandent pas, par exemple, le prix de transport qui leur convient. Le prix des transports est limité ; il y a un maximum.

Messieurs, quand ou vincule ainsi une société concessionnaire, n'est-il pas juste, par réciprocité, de lui assurer la possession qui lui a été octroyée, possession qu'elle n'a acquise le plus souvent qu'au prix des plus grands sacrifices.

Sortons, messieurs, de la théorie et entrons dans les faits.

J'ai posé un exemple auquel on n'a pas répondu et auquel on ne répondra pas. J'ai posé l'exemple' suivant : Je suppose qu'on vienne nous demander une ligne parallèle à la ligne de l'Etat entre Bruxelles et Anvers, qui rapporte aujourd'hui au moins 150,000 fr. par kilomètre, ce qui promettrait par conséquent de beaux bénéfices à celui qui voudrait transporter à un prix un peu réduit sur celui de l’Etat ; quel est le membre de la Chambre qui acceptera une pareille concession ? Quelqu'un votera-t-il la concession d'un chemin de fer absolument parallèle à celui de l'Etat sur n'importe quel point de son réseau ?

M. Orts. - Je demande la parole.

MtpVSµ. - Cela étant, je demande s'il est permis de faire vis-à-vis d'une petite société ce que l'Etat n'admettrait pas pour lui-même ?

On n'a pas répondu et l'on ne répondra pas, bien entendu en se plaçant sur le terrain de l'équité ; il n'y a pas de réponse possible. Un pareil fait, le fait d'une concession d'une ligne de chemin de fer parallèle à une ligne déjà établie, est un fait, je le répète, sans précédent en Belgique et à l'étranger. Je qualifierais, comme je l'ai déjà qualifié, un pareil fait, d'expropriation sans indemnité. Or, la Constitution admet bien qu'on puisse exproprier quelqu'un, même une société, mais moyennant une préalable indemnité.

Qu'a-t-on répondu à cet argument de l'expropriation ? On a dit : Vous n'expropriez rien. La société du Flénu restera en possession ; elle transportera ce qu'elle pourra, ce qu'elle voudra. Elle attirera, si cela lui convient, les transports chez elle en abaissant ses tarifs.

Messieurs, c'est là un jeu de mots ou un jeu d'esprit. Si l'on n'exproprie pas la ligne, on exproprie la société de son tarif, tarif qui lui a été solennellement garanti, qui lui a été accordé dans les limites qu'il a plu à la législature.

Ainsi, il se présente une société nouvelle qui propose de substituer à l'ancien prix qui était de 56 à 66 c., suivant les distances, le prix de 35 à 50 c.

Mais ceux qui prétendent que la société du Flénu ne serait pas expropriée, doivent au moins convenir que, sous peine de n'avoir plus le transport d'un seul kilogramme de charbon, la société devrait abaisser ses prix au taux de 35 à 50 c. Eh bien, ne faut-il pas reconnaître que dans ce cas on exproprie la différence entre les deux prix ? Et qu'est- ce qui pourrait arriver de plus heureux à la société de Flénu, si une adjudication était décrétée, comme on le propose, pour la concession d'une ligne nouvelle ? Ce qui pourrait arriver de plus heureux, mais ce serait, pour la société du Flénu se portant soumissionnaire, d'être déclarée adjudicataire, et de devoir transporter désormais, ayant été déclarée une seconde fais adjudicataire, après l'avoir été une première fois en 1833, à des prix réduits, ce qu'elle transportait à des prix plus élevés en vertu de son premier cahier des charges.

Maintenant, je le demande, après une seconde adjudication, pourquoi n'en ferait-on pas une troisième ? Et comprenez-vous qu'en justice, en équité, on puisse ainsi mettre successivement en adjudication le même objet ?

Telle est cependant, nettement formulée, la prétention de Hainaut-Flandres. Eh bien, cette prétention, je ne la crois ni défendable, ni surtout acceptable par la Chambre.

Voilà, messieurs, pour la question de principe. Disons deux mots de la question de fait.

Est-ce qu'il a été accordé, aux termes du cahier des charges de la concession de 1833, à la société du Flénu, un tarif exorbitant ; un tarif tel qu'il créerait une situation fâcheuse, désastreuse, comme on s'exprime, aux établissements industriels du Couchant de Mons ?

Messieurs, j'ai prouvé (et on ne m'a pas répondu sur ce point), que le tarif du Flénu est inférieur au tarif de l’Etat, inférieur au tarif des lignes qui desservent le bassin du Centre, inférieur au tarif des lignes qui desservent le bassin de Charleroi, inférieur enfin aux tarifs qui desservent le bassin de Liége. On ne m’a pas répondu et on ne me répondra pas. Eh bien, messieurs, je le demande, cela étant alors qu’on vient faire la proposition d’opérer dans le Borinage le transport des charbons à un prix plus bas que celui réclamé par le Flénu, peut-on dire qu’il y a lieu d’accéder à cette proposition par la raison que le Flénu jouirait de prix exorbitants ? Mais ces prix, je le répète, sont plus bas que partout ailleurs. Je dis que, dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’accorder à de nouveaux venus ce qui a déjà été accordé à des tiers, qu’il n’y a pas lieu, pour trancher le mot, de faire du socialisme.

Ce tarif du Flénu, qui était ainsi sans contradiction possible, plus bas que tous ceux qui sont appliquée au transport des produits similaires des autres bassins houillers du pays, ce tarif a-t-il été maintenu avec roideur par la société de Flénu, vis-à-vis des concurrents qui se présentaient ? Messieurs, la société du Flénu, déjà l'année dernière, avait fait, sur son tarif de 1833, de sérieuses concessions. Permettez-moi de les rappeler en deux mots.

D'abord la société du Flénu avait accepté d'entrer en relations mixtes avec l'Etat, sous la condition que quand les bases du tarif mixte avec l'Etat donneraient à la société une part supérieure au taux de son tarif intérieur, cette part gérait réduite à ce dernier taux.

En deuxième lieu, elle avait pris à sa charge le payement de la redevance pour l'usage du matériel des lignes avec lesquelles elle se serait trouvée en relations mixtes. Cette concession était importante ; il s'agissait de 10 centimes par tonne.

Enfin, elle avait consenti à réduire de 6 centimes et une fraction le prix de son tarif de 1833 et d'abaisser, par conséquent, à un minimum de 50 centimes et à un maximum de 60 centimes, les péages qui étaient antérieurement de 56 1/2 et de 66 1/2 centimes.

C'est dans cet état, messieurs, que l'affaire s'est présentée devant vous à la fin de la session dernière et moitié par fatigue d'une session fort laborieuse, moitié par espoir de voir les choses s'arranger dans l'intervalle, la Chambre a ajourné le débat. L'espoir d'une transaction a été déçu, je regrette de devoir le dire, mais est-ce par la faute de la société du Flénu ? Non, messieurs, c'est par la faute de quelques maîtres de charbonnages. Dans l'intervalle, en effet, l'exploitation de la ligne du Flénu a passé en des mains nouvelles et la société nouvelle a fait aux maîtres de charbonnages des concessions nouvelles aussi et très larges. Elles sont écrites tout au long dans une lettre du 22 février 1866, dont il importe que je donne lecture à la Chambre. Voici, messieurs, ce que porte cette lettre :

« Désirant mettre fin à la lutte que certains exploitants avaient soutenue contre nos prédécesseurs, nous avons l'honneur, M. le ministre de porter à votre connaissance que nous sommes disposés à modifier ainsi qu'il suit, pour les établissements charbonniers, le prix des transports sur nos voies principales, établi dans l'article 25 du cahier des charges du 31 juillet 1833.

« A. Pour les transports vers les rivages, le prix minimum sera ramené à 45 centimes, le prix maximum à 55 centimes par tonne. »

Pour les transports vers les rivages comme vers Frameries et Jemmapes station, la Chambre se rappellera que le prix primitif était de (page 636) 56 1/2 à 66 1/2 centimes, qu'il avait été diminué l'année dernière de 6 1/2 centimes et par conséquent, réduit au taux de 50 et de 00 centimes.

Il y a donc une nouvelle réduction de 5 centimes par tonne à joindre à celle de 6 1/2 centimes, ce qui fait en tout 11 1/2 centimes.

« B. Pour les transports vers le chemin de fer de Mons à Hautmont, dans la direction de Frameries, le prix minimum sera de 40 centimes et le prix maximum de 50 centimes par tonne. »

40 au lieu de 56 1/2 et 50 au lieu de 66 1/2, cela fait une réduction de 16 1/2 centimes sur le tarif de 1833, et de 10 centimes sur les premières réductions proposées par le Flénu.

« C. Pour les transports à la gare de Jemmapes » on offre d'entrer avec l'Etat en relation de service mixte. Ceci était déjà entendu avec la société du Flénu.

Messieurs, la société propose d'introduire ces réductions de la manière suivante :

Je lis :

« Ces concessions devant amener dans nos recettes une diminution considérable, ne pourront s'opérer que progressivement, c'est-à-dire que nous ferons, à partir du 1er janvier 1867, sur les prix actuels, une réduction de 5 centimes par tonne.

« A partir du 1er janvier 1868, une nouvelle réduction de 5 centimes par tonne.

« Et à partir du 1er janvier 1869, le complément des réductions que nous venons d'énoncer. »

Comme dans le cas où une concession nouvelle aurait été accordée à Hainaut-Flandres ou à tout autre, il aurait fallu deux ou trois ans pour la construction de la nouvelle ligne, vous voyez que les intéressés jouiraient des avantages que je viens d'indiquer, même plus tôt qu'ils n'auraient pu jouir de ceux qu'ils espéraient d'une concession nouvelle.

Naturellement, messieurs, la société se réserve de retirer ces avantages si la législature décidait qu'il y a lieu d'accorder la concession qui fait l'objet de l'amendement des honorables MM. Orts et Laubry.

Le sacrifice que fait la société exploitante du Flénu par les réductions que je viens de faire connaître, ne s'élève pas à moins de 242,000 francs ; mais ce sont 242,000 francs à prendre sur son bénéfice net, car veuillez bien le remarquer, les réductions ne peuvent pas amener le transport d'un kilog. de charbon de plus. Aujourd'hui le Flénu est en possession' de la totalité des transports des charbonnages qu'il relie. C'est donc positivement sur le produit net que se prélèveraient les 242,000 fr. Il me semble que c'est un très joli chiffre.

La transaction est donc des plus avantageuses pour les exploitants de charbonnages, mais ils ne l'ont pas entendu ainsi, car au delà même des réductions que je viens d'indiquer, la société exploitante avait consenti à faire une nouvelle réduction qui n'a pas été agréée, parce que la société exploitante n'a pas voulu s'engager à construire en tout état de cause et quoi qu'il dût coûter, un nouveau raccordement vers le canal de Mons à Condé, raccordement qui aurait eu son point de départ à Saint-Ghislain. Ce nouveau raccordement est la chose la plus indifférente pour les neuf dixièmes des charbonnages desservis par la société du Flénu ; il ne pouvait être utile qu'à un très petit nombre et c'est ce très petit nombre qui est parvenu à imposer sa volonté à la grande majorité. Il s'agit de savoir s’il convient à la Chambre de servir l'amour-propre ou les intérêts personnels de quelques-uns des exploitants.

Je pense que ce fait seul suffirait pour ouvrir les yeux à la Chambre et pour la décider à adopter la proposition du gouvernement.

M. Orts. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics vient de vous rappeler les précédents de cette affaire qui ont abouti à une demande de disjonction adoptée par la Chambre.

Vous vous souvenez qu'une première fois le sort du chemin de fer du Flénu avait été rattaché au sort d'un autre projet que personne ne combattait ni dans la Chambre ni ailleurs. L'un devait faire passer l'autre, ils devaient arriver à ben port l'un portant l'autre.

La Chambre a désiré un examen spécial de la question concernant le chemin de fer du Flénu ; elle l'a désiré en présence d'un amendement déposé par mon honorable collègue M. Laubry et moi qui tendait non point à demander à la Chambre de donner la concession à d'autres concessionnaires que ceux indiqués par le projet du gouvernement, mais simplement à mettre la concession nouvelle en adjudication publique de façon à accorder le bénéfice à ceux qui, tout en donnant satisfaction aux intérêts publics, demanderaient le moins de privilèges, le moins d'avantages.

S'il s'agissait pour nous, messieurs, de conférer le bénéfice de la concession à une société éventuellement concessionnaire plutôt qu'à une autre, je comprendrais que l'on pût tenir compte de la position des différents concessionnaires, des sacrifices plus ou moins grands qu'ils ont déjà faits à l'intérêt général dans d'autres circonstances.

Je concevrais qu'on tînt compte également des sentiments de bienveillance et de modération dont ils ont fait preuve en diminuant certaines de leurs prétentions.

Mais, il ne s'agit pas, d'après l'amendement que nous avons proposé, de vous demander de préférer la compagnie de Hainaut et Flandres, par exemple, à la compagnie que le projet de loi gratifie.

La cause que l'amendement plaide devant vous, c'est la cause des consommateurs qui plus tard devront se servir de ce chemin de fer et non la cause de ceux qui l'exploiteront. Nous demandons que ce chemin de fer soit mis en adjudication publique dans des conditions accessibles pour la compagnie à laquelle le gouvernement voudrait donner la concession comme à toutes les autres et plus accessibles même à cette compagnie puisque, exploitant déjà aux abords de ce chemin de fer, elle pourrait plus facilement que personne offrir un rabais convenable

Cette demande, messieurs, a-t-elle quelque chose d'exorbitant soit en droit, soit en équité ? C'est le terrain sur lequel le gouvernement vient de se placer. Je pense que non. Je pense que l'amendement est équitable et conforme aux règles du droit. Ce qui me le fait penser, c'est que je ne fais que demander au gouvernement d'user d'un droit qu'il avait entre les mains, d'exécuter une loi qu'il devrait exécuter s'il n'avait pas renoncé au bénéfice qu'elle lui donne pour substituer à sa responsabilité la responsabilité de la Chambre.

En effet, le chemin de fer nouveau est un de ces chemins que, d'après la loi de 1832, le gouvernement peut concéder par arrêté royal mais en employant le système d'adjudication publique et en recourant à toutes les formalités prescrites dans l'intérêt des consommateurs et des producteurs au service desquels ce chemin doit être mis.

Avant donc de répondre aux questions que le gouvernement a adressées aux auteurs de l'amendement, je lui demanderai pour quel motif, au lieu d'user de la prérogative qu'il tient de la loi de 1832, il vient demander au pouvoir législatif de se substituer à l'action gouvernementale.

Le chemin de fer du Flénu, messieurs, aurait moins de droits que tout autre à contester l'application du système d'adjudication publique, car ce chemin, pour lequel on demande une extension de concession, a été créé lui-même en vertu de la loi de 1832 par suite d'une adjudication publique.

Nous demandons qu'on agisse pour l'accessoire comme on a agi pour le principal. Voilà toute la question.

L'honorable ministre des travaux publics nous l'a rappelé : deux extensions de concession ont déjà été données en 1852 et 1856 au chemin de fer du Flénu par simple arrêté royal.

Ceux qui demandent le retour à la loi de 1832 qui est l'origine du chemin de fer du Flénu méritent aussi d'être écoutés avec bienveillance et intérêt par la Chambre.

La Chambre n'a pas oublié que depuis qu'il est question de ce chemin de fer ici et au dehors, les intérêts qui le réclament, les exploitants des charbonnages comme les consommateurs de charbon trouvent que le principe du tracé est bon, mais que le péage serait exorbitant s'il était accordé selon le tarif qui fait partie du projet de concession. Je le demande à tout homme non prévenu, est-il possible d'imaginer que tous les vendeurs de charbon que le chemin de fer doit mettre en communication avec les centres de consommation seraient assez négligents, assez peu soucieux de leurs intérêts pour faire opposition à un chemin de fer qui transporterait leurs produits au meilleur marché possible, comme le dit M. le ministre des travaux publics ?

Tous ces intéressés cependant répudient le cadeau qu'on leur offre ; ils se livrent aux charmes de l'adjudication publique et ne demandent pas autre chose. Ces demandes vous ont été produites, messieurs, dans des documents revêtus de signatures importantes, des signatures de directeurs de 15, 20, 25 charbonnages, tous intéressés à être desservis par l'un ou l'autre chemin de fer et qui aujourd'hui ne le sont pas. Malgré cette situation, ils viennent nous dire : Nous si intéressés à vendre nos charbons à Gand par exemple, nous ne voulons pas du cadeau si nous ne pouvons obtenir le transport à des prix convenables.

Ces plaintes, messieurs, où ont-elles été accueillies d'abord ? Chez les corps constitués les plus considérables.

(page 637) Ne l'oublions pas, l’idée de mettre en adjudication publique plutôt que de concéder par voie législative le nouveau projet dont il s’agit a été appuyée, presque à l'unanimité, je pense, par le Conseil provincial du Hainaut. Les conseils communaux des principales localités ont également donné leur adhésion à la mise en adjudication publique, comme étant le système le plus propre à leur rendre service au moindre prix de revient.

L'Etat lui-même, considéré à un point de vue abstrait, comme représentant les intérêts généraux de tout le pays, a-t-il quelque raison de ne pas souscrire aux réclamations qui sont appuyées par le conseil provincial du Hainaut et par un grand nombre de conseils communaux ? Incontestablement non.

Que veulent ces conseils et les exploitants ?

Le transport du charbon au meilleur marché possible du carreau des fosses dans nos provinces où le charbon manque et où les établissements industriels le réclament ; l'Etat ne peut avoir d'autre intérêt que celui de mettre les moyens de production à la disposition de tous les producteurs au meilleur marché possible. Et ces moyens, c'est notre système qui les offre plutôt que celui du gouvernement.

Mais l'équité ! l'équité est-elle ici un obstacle ?

Pourquoi le Flénu prétendrait-il à tout jamais tenir de sa concession de 1833 le droit de ne pas permettre aux localités voisines de se servir de moyens de transport plus économiques que ceux qu'il a mis à sa disposition il y a 33 ans ? Quelle équité, quel texte de loi accorde ces faveurs à un concessionnaire ?

Les concessionnaires de chemins de fer, comme tous les exploitants, comme tous les travailleurs, sont soumis et doivent être soumis dans l'intérêt général, à toutes les chances de la concurrence. Et ne dites pas qu'établir une concurrence dans ces circonstances ce serait exproprier sans indemnité, ce que la loi et la morale condamnent.

Non ; il n'y a pas là d'expropriation sans indemnité. Mais il y aurait expropriation des travailleurs au profit des privilégiés s'il pouvait passer en principe que les voies anciennes empêchent la création de voies nouvelles. Et cette expropriation-là serait mille fois plus odieuse que celle que l'on veut complaisamment voir dans l'amendement que je défends.

On nous a dit : Les chemins de fer doivent être mis à l'abri de la concurrence, qui est la règle du travail partout ailleurs, parce que l'exploitation d'un chemin de fer n'est pas une industrie libre allant s'établir là où il lui plaît et se gouvernant à sa guise. C'est une industrie réglementée ; la concurrence, c'est l'affaire entre les travailleurs libres ; là où la réglementation s'introduit, la concurrence ne peut être la règle.

Si le raisonnement était vrai, messieurs, il prouverait une fois de plus la vérité d'une chose bien vieille, à savoir que la réglementation du travail par l'Etat est détestable et que, sous prétexte d'intérêt public, lorsqu'on réglemente on va à l’encontre de l'intérêt public. Mais il n'en est pas ainsi. Est-ce que, par exemple, lorsqu'il accorde une concession de mines à un concessionnaire qui veut bien aventurer de gros capitaux pour créer une exploitation, M. le ministre des travaux publics garantit à ce concessionnaire que plus tard, à quelques centaines de mètres de là, il n'autorisera pas une concession rivale venant s'établir à côté de la première, comme, dans nos villes, un marchand s'établit à côté d'un autre marchand de la même marchandise ?

Lorsque l'honorable ministre de l'intérieur permet à un établissement industriel insalubre, de s'établir, lorsqu'il lui laisse faire des frais, s'interdit-il le droit d'autoriser une autre industrie semblable à s'établir dans la même localité ? Pas le moins du monde. N'ayons donc pas, en matière de chemins de fer, d'autres poids et d'autres mesures que pour d'autres industries. Petit ou grand, le travail est également respectable et le petit l'est, à la rigueur, plus que le grand.

« Mais, dit notre honorable ministre des travaux publics, en matière de chemins de fer, la concurrence est impossible et je vais vous le prouver par un exemple qu'on pourrait presque appeler ad hominem ; un exemple auquel on n'a pas répondu et auquel on ne répondra pas : Si, demain, sous prétexte de transporter à meilleur marché, on venait proposer à la Chambre la concession d'une ligne parallèle à la ligne de l'Etat de Bruxelles à Anvers, il est incontestable que la Chambre n'accorderait pas cette concession, alors même qu'on viendrait offrir de transporter à meilleur marché. » Messieurs, si l'honorable ministre, qui a parfaitement étudié cette affaire comme toutes celles qu'il vient défendre devant la Chambre, avait lu les articles de journaux qui se sont occupés de cette affaire, depuis quinze jours seulement, il aurait trouvé dans le Moniteur des intérêts matériels une réponse à cet argument invincible.

MtpVSµ. - Je l'ai lue ; mais je ne l'ai pas trouvée bonne.

M. Orts. - Il y en a donc une.

MtpVSµ. - Oui, mais mauvaise.

M. Orts. - Je ne suis pas convaincu que tout le monde la trouvera mauvaise. Si demain arrivait à la Chambre un projet de concession proposant de transporter à 75 p. c. de réduction dans la direction de Bruxelles à Anvers, sans distinction du point de départ ou de destination ultérieurs, ce que le gouvernement transporte aujourd'hui en demandant 100, je ne sais pas trop si la Chambre trouverait si mauvais de substituer à l'exploitation de l'Etat une autre exploitation.

Mais je coupe court à toutes les suppositions et je dis que si le chemin de fer du Flénu voulait transporter à meilleur marché que qui que ce soit, comme l’Etat transporte à meilleur compte que qui que ce soit, je ne m'opposerais pas le moins du monde à ce qu'on lui donne la concession. Mais il ne veut pas transporter au meilleur marché absolu, et c'est pour cela que je demande la mise en adjudication publique. Qu'a-t-on à opposer à ce système ? Si, comme le dit M. le ministre des travaux publics, le chemin de fer du Flénu transporte à un bon marché qui n'est atteint nulle part, l'adjudication publique n'est pas à craindre pour lui ; personne ne pourra lutter.

L'argument de l'iniquité d'une concession parallèle écarté, je reviens à la question et je me demande si, dans son contrat de concession, dans son adjudication de 1833, la Société du Flénu a trouvé le droit ou même la simple promesse que plus tard, pendant les 90 années de sa concession, jamais il ne serait établi des voies parallèles ou voisines dont la concurrence la forcerait à abaisser ses tarifs. Dans l'adjudication de 1833 il n’existe rien de semblable ; tout le monde est d'accord qu'on ne lui a rien promis quant à une concurrence ultérieure que les événements ou l'intérêt du pays pourraient provoquer.

Et messieurs, ce qui m'étonnerait très fort, ce serait d'entendre le gouvernement soutenir le contraire aujourd'hui.

En effet, voici un petit précédent inédit, je pense, qu'il me paraît utile de faire connaître à la Chambre pour répondre à l'argumentation que j'examine maintenant. La société du Flénu, au chemin de fer de laquelle vous prétendez qu'on n'a pas le droit de faire concurrence en établissant dans son voisinage d'autres chemins de fer venant détourner une partie de son trafic, cette société a cru, à certaine époque, que son contrat primitif lui accordait un droit pareil. Précisément pour le maintenir et le faire proclamer, elle a intenté un bel et bon procès à l'Etat quand il a créé les chemins de fer reliant la Belgique à la France. La société du Flénu a dit alors : Vous m'enlevez par ces chemins de fer une partie du trafic garanti par mon contrat de 1833 ; par conséquent, vous me devez des dommages-intérêts.

MtpVSµ. - Vous ne connaissez pas le procès, M. Orts ; permettez-moi de vous le dire.

M. Orts. - Par exemple ! J'ai relu l'arrêt avant devenir ici ; et pour vous prouver que je le connais, je vais vous dire immédiatement en quoi vous croyez que je suis dans l'erreur.

Il y a eu, de la part de la société du Flénu, deux demandes de dommages-intérêts. Elle en a fait une première parce qu'on allait établir une voie qui devait détourner une partie de son trafic ; puis elle a ajouté une autre prétention mieux fondée et qui, je crois, a été partiellement admise par les tribunaux. Elle a prétendu que là où le nouveau chemin de fer venait croiser sa ligne, son exploitation serait gênée par suite de l'application des mesures de police auxquelles elle aurait dû se soumettra et que, pour cette raison, elle avait droit à une indemnité, comme un propriétaire dont l'avenue serait traversée par un chemin de fer et où il ne pourrait par conséquent plus circuler aux heures de passage des convois.

Le Flénu a donc positivement plaidé en première ligne que son contrat de 1833 lui garantissait un trafic auquel il ne pouvait pas être porté atteinte par l'établissement d'une voie concurrente. Qu'à répondu l'Etat ? L'Etat a soutenu qu'en concédant ce chemin de fer en 1833 à la suite d'une adjudication publique, il n'avait pas abdiqué le droit qu'il tient de l'intérêt général de créer tous les autres chemins de fer reconnus utiles, au pays, dans quelque direction que ce fût.

MtpVSµ. - Et il avait parfaitement raison,

M. Orts. - Par conséquent, vous reconnaissez que ni dans le contrat de 1833, ni dans les principes d’équité qui dominent tous les (page 638) contrats, il n'existe aucune disposition légitimant les prétentions de la société du Flénu.

MtpVSµ. - Et la question d'équité ?

M. Orts. - Mon Dieu ! prenez l'arrêt que votre département a obtenu contre la société du Flénu et vous verrez que la question d'équité y est discutée aussi sérieusement que la question de droit strict.

En définitive, une question d'intérêt général gouverne la création de toute nouvelle voie de circulation et cet intérêt général domine tout. Si maintenant, un particulier est lésé par l'intérêt général, si le lésé est dans le cas d'avoir droit à une indemnité, qu'il s'adresse aux tribunaux. Si sa demande est fondée, la justice ne manquera pas d'y faire droit.

En résumé, messieurs, ne vous laissez pas égarer par cette idée qu'il s'agit ici d'une lutte entre concessionnaires, qu'il s'agit de particuliers se disputant une concession. Il n'en est rien, messieurs, et nous assistons à un spectacle peut-être inouï dans les annales des travaux publics : les particuliers les plus intéressés à ce que le travail se lasse viennent vous demander qu'on le mette en adjudication afin qu’il soit donné à celui qui s'engagera à exploiter aux meilleures conditions possibles. M. le ministre des travaux publics, lui, persiste à refuser l'intervention bienfaisante de la concurrence.

Moyennant ces explications si simples, si pratiques, à la portée de tout le monde, je crois devoir, pour ma part comme au nom de l'honorable M. Laubry, qu'une indisposition empêche d'assister à la discussion, persister dans l'amendement que nous avons présenté ; cet amendement ne fait de tort à personne, car si le Flénu est disposé à exploiter dans des conditions de bon marché inouï, comme l'affirme M. le ministre dans des conditions qu'on ne rencontre en aucun autre chemin de fer, le Flénu obtiendra nécessairement la concession et tout sera dit ; tout le monde sera satisfait.

MtpVSµ. - Je demande la parole uniquement pour protester contre un reproche que m'a fait l'honorable M. Orts, et auquel, je le déclare, j'ai été très sensible.

L'honorable membre m'a reproché d'avoir cherché à faire peser sur la Chambre une responsabilité qui m'incombait tout entière ; en d'autres termes, de n'avoir pas osé assumer une responsabilité qui doit peser sur moi seul, en vertu de...

M. Orts. - Je n'ai pas dit que vous n'osiez pas.

MtpVSµ. - Je l'ai compris ainsi : vous avez prétendu que j'avais cherché à me dégager de cette responsabilité.

M. Orts. - C'est cela.

MtpVSµ. - J'avais donc bien compris : c'est la même pensée au fond, mais sous une forme plus polie.

Eh bien, je ne pense pas, messieurs, que, dans toute ma carrière politique, il y ait un seul fait qui autorise une pareille accusation. J'ai l'habitude de prendre la responsabilité des actes auxquels j'attache mon nom et certainement il n'y a aucune espèce de raison pour que je n'agisse pas de même dans la circonstance présente.

Seulement, la procédure administrative que réclame l'honorable M. Orts était tout simplement impossible. Qu'est-ce qu'il demande ? Il dit : Vous êtes autorisé par la loi de 1832 à concéder directement, après enquête et adjudication, tout chemin de fer de moins de dix kilomètres. Or, il s'agit ici d'un chemin de fer de trois kilomètres seulement ; pourquoi n'avez-vous pas usé de la faculté que vous donne la loi de 1832 en ouvrant une enquête, en procédant ensuite à une adjudication et enfin en accordant par arrêté royal la concession à celui qui aurait offert les meilleures conditions ?

Mais, messieurs, je n'ai point fait cela, par l'excellente raison que je prétends qu'il n'y a pas lieu ici à accorder de concession à personne : i| n'y a pas de ligne à concéder ; par conséquent il n'y avait pas à appliquer ici la loi de 1832.

De quoi s'agit-il ? De concéder une ligne nouvelle ? Mais la thèse du gouvernement, c'est qu'il n'y a pas de concession nouvelle à donner. Il s'agit uniquement de raccorder un réseau existant à un point donné sur un autre réseau, à la station de Saint-Ghislain. Il s'agit de relier cette station au réseau du Flénu par un raccordement de 3 kilomètres.

Li question pourrait s'élever de savoir si ce raccordement pouvait être accordé par simple arrêté royal, sans adjudication et sans enquête, directement à la société du Flénu.|

En accordant directement cette ligne par arrêté royal ou par un simple arrêté ministériel, j'aurais fait comme mes prédécesseurs, car les extensions vers Frameries et vers Jemmapes ont été accordées par arrêtés royaux.

Mais j'ai pensé que cette manière de procéder n'était pas régulière. Or, en dehors de la concession directe par arrêté royal, je vous défie de trouver matière à appliquer la loi de 1832, car l'application de cette loi au cas présent pouvait avoir pour effet de faire accorder le raccordement de Saint-Ghislain au réseau du Flénu, lequel raccordement ne faisait pas l'objet de la demande déposée par Hainaut-Flandres, à un autre que celui qui, dans ma pensée, a seul le droit de l'obtenir.

Voilà pourquoi je me suis adressé à la législature.

Mais je déclare qu'encore bien que j'eusse été libre de choisir une autre voie, je ne l'eusse point fait, parce que je tenais à discuter la question devant le public, parce que je n'aurais pas voulu me retrancher derrière un acte administratif, parce qu'il m'importait, en un mot, de débattre devant le pays la question avec les intéressés eux-mêmes qui prétendent avoir pour eux le droit et la raison.

Voilà pourquoi j'ai agi comme je l'ai fait et pourquoi je l'eusse fait alors même qu'il m'eût été loisible de procéder autrement.

L'honorable M. Orts a parlé au nom de l'intérêt des consommateurs. Mais, moi aussi, messieurs, je parle au nom de l'intérêt des consommateurs. Pourquoi donc y a-t-il cette divergence entre nous ? Mais c'est parce que l'honorable membre se place toujours à un seul point de vue, tandis qu'il y en a deux ; il ne s'agit pas seulement, messieurs, de transporter les charbons à bon marché sur les voies de communication que l'on possède ; il s'agit surtout, dans ce cas comme dans tous les autres, de s'assurer d'abord de bonnes voies de communication.

L'industrie houillère intéresse assurément les consommateurs ; mais à côté de cette industrie il y a l'industrie des chemins de fer, à laquelle les consommateurs ne sont pas moins intéressés. L'honorable membre ne défend qu'un seul de ces intérêts ; moi je les défends l'un et l'autre. Voilà la cause de la divergence qui existe entre nous deux. (Interruption.)

Je dirai même que l'intérêt de l'industrie des chemins de fer est supérieur, si c'est possible, à celui de l'industrie houillère.

Figurez-vous l'industrie des chemins de fer arrêtée dans son essor ? Quelle calamité pour le pays ! Or, s'il est permis de ruiner une ligne existante par l'établissement d'une ligne nouvelle, que deviennent les entreprises futures ?

Si, par l'acte qu'on vous demande de poser, vous empêchez d'autres concessions utiles, nécessaires au pays, de s'organiser, ne porteriez-vous pas un coup fatal à la prospérité publique ? Ma conviction profonde est qu'il en serait ainsi, et c'est ce coup fatal que je veux prévenir.

A l'appui de la thèse que je soutiens, j'avais demandé si la Chambre consentirait à concéder un chemin de fer parallèle au réseau de l'Etat, entre Bruxelles et Anvers.

L'honorable M. Orts a cru réfuter cet argument, en disant : « Aucun chemin de fer concédé ne pourrait lutter contre le chemin de fer de l'Etat, parce que vous avez le tarif le plus bas. »

Comment ! nous avons le tarif le plus bas ! C’est une erreur : pour le transport des charbons, notre tarif est beaucoup plus élevé que celui du Flénu.

Eh bien, faites connaître que demain on mettra en adjudication la concession d'un chemin de fer parallèle au réseau de l’Etat entre Bruxelles et Anvers, et que l'adjudication portera sur les péages, il se présentera vingt concurrents, qui abaisseront de 50 p. c. les tarifs de l'Etat et n'en réaliseront pas moins encore des bénéfices usuraires.

M. Orts.µ. - Je ne prendrais pas d'actions dans cette affaire.

MtpVSµ. - Moi bien, si j'en avais les moyens.

Je bornerai là mes observations. Mais je répète en terminant que s'il est avéré qu'on peut ruiner une ligne existante, par un acte législatif, par la concession d'une ligne parallèle, de ce jour on pourra faire un tort irréparable à l'industrie des chemins de fer ; c'est pour empêcher ce que je considère comme une véritable calamité pour la prospérité publique, que j'ai mis quelque chaleur à défendre la cause que j'ai soutenue devant la Chambre.

M. Mullerµ. - Je désirerais que la lettre dont M. le ministre des travaux publics a donné lecture tantôt fût imprimée ; cette lettre (page 639) contient les réductions auxquelles consent la nouvelle société du Haut et du Bas-Flénu. Il doit être fait mention de ces stipulations dans le projet de loi ainsi que dans le cahier des charges.

MtpVSµ. - Messieurs, il est évident que le cahier des charges doit être modifié dans le sens des réductions consenties par la nouvelle société du Haut et du Bas Flénu. Voici le texte de l'amendement au projet de loi que j'ai fait parvenir au bureau.

Le second paragraphe du n°1° de l'article unique du projet est ainsi conçu :

« Cette concession sera accordée aux clauses et conditions d'une convention et d'un cahier des charges, en date du 11 avril 1865. »

Le gouvernement propose d'y ajouter ce qui suit, « modifiées suivant les engagements pris le 22 février 1866, par la société qui exploite le réseau du Haut et du Bas-Flénu. »

C'est donc une convention additionnelle ; toutes les réductions que la société actuelle du Haut et du Bas-Flénu s'est déclarée prête à consentir, font partie de la convention.

- La suite de la discussion est remise à demain à 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.