(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 577) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 1/4 heure.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des bateliers naviguant sur le canal de Charleroi à Bruxelles demandent le rachat par l'Etat des canaux embranchements de ce canal. »
« Même demande d'habitants de Loth, Ruysbroeck, Anderlecht. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Péruwelz demandent la révision des lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et pour cause d'assainissement. »
M. Allard. - Les habitants de la ville de Péruwelz demandent la révision des lois sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et pour cause d'assainissement.
Cette pétition a un caractère d'urgence ; je le démontrerai en citant quelques faits à l'appui de la demande des pétitionnaires, qui sont au nombre de 350.
Avec la loi actuelle sur les expropriations, la ville de Péruwelz se trouve privée de son chemin de fer, et ne peut pas même prévoir l'époque à laquelle elle pourra l'obtenir.
Ge chemin de fer est décrété depuis 10 ans et dernièrement M. le ministre des travaux publics déclarait au Sénat que si la compagnie Hainaut et Flandres ne s'exécutait pas on l'exproprierait.
Mais la compagnie Hainaut et Flandres n'est pas toujours maîtresse de remplir ses engagements ; jugez-en, messieurs, par ce qui se passe depuis un an pour l'acquisition des terrains nécessaires à l'établissement de la station de Péruwelz ; en effet, voilà un an que des expropriations sont commencées, et à l'heure qu'il est, bien que les plaidoiries contradictoires relatives à différentes propriétés ont eu lieu, notamment en juillet, en octobre, en novembre, en décembre 1865, et le 3 janvier dernier, le tribunal de Tournai tient depuis ces diverses époques les affaires en délibéré.
Il faut que cet état de choses cesse, et en présence de pareils faits, la Chambre reconnaîtra, sans aucun doute, qu'il est impossible de ne pas changer la loi sur les expropriations pour cause d'utilité et pour cause d'assainissement.
Je citerai un autre fait qui s'est passé il y a quelques années : en 1860, un arrêté royal autorisa la ville de Péruwelz à acquérir, même par expropriation pour cause d'assainissement, une partie d'étang situé au milieu de l'agglomération de la ville ; elle commença immédiatement les poursuites, et savez-vous en quelle année elle a pu obtenir un jugement du tribunal de première instance de Tournai, qui lui permît de se mettre en possession de la propriété à acquérir ? A la fin de 1864.
Pendant quatre ans, cette ville a donc dû attendre la mise en possession de cet étang, qui était pour elle une cause d'insalubrité.
Je demande, messieurs, que la commission des pétitions soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition et que, dans l'intervalle, M. le ministre de la justice examine la question de savoir s'il n'y a pas lieu de prendre, immédiatement, certaines mesures propres à faire disparaître cette lenteur dans les affaires.
- Adopté.
« Des habitants de Clabecq demandent le rachat par l'Etat des canaux embranchements du canal ou une réduction notable sur les péages. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit accordé à tous ceux qui savent lire et écrire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi qui porte une modification aux lois communale et provinciale.
M. Hymans. - Il a été convenu, dans la séance d'hier, que si la section centrale chargée d'examiner la proposition relative à la réforme électorale pouvait terminer ses travaux aujourd'hui, le rapport serait envoyé, à domicile, aux membres de cette assemblée. On m'a chargé de vous dire que la section centrale, malgré toute la bonne volonté dont elle a fait preuve, n'a pas pu terminer son examen aujourd'hui, et que par conséquent le rapport ne pourra pas être distribué pendant les vacances.
Nous tenons à faire cette déclaration, afin qu'on ne nous attribue pas la responsabilité d'un retard forcé et tout à fait indépendant de notre volonté.
MpVµ. - Il été convenu dans la discussion, qu'avant d'aborder la discussion des articles, on statuerait sur la proposition de M. Kervyn, attendu que cette proposition n'est pas un amendement et que, si elle était adoptée, elle ferait tomber la loi. Cette proposition a été développée, attaquée, défendue, il n'y a donc autre chose à faire que de la mettre aux voix.
Je vais donc mettre aux voix la proposition de M. Kervyn, qui est ainsi conçue :
« Le aragraphe premier de l'article. 19 de la loi électorale est remplacé par la disposition suivante :
« Il sera formé autant de circonscriptions électorales qu'il y a de représentants à élire. »
- Cette proposition est mise aux voix par assis et levé ; elle n'est pas adoptée.
MpVµ. - Nous abordons maintenant la discussion de l'article de la proposition de loi.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je crois, messieurs, que le moment est venu de développer un second amendement que j'ai l'honneur de proposer. Si la Chambre le veut bien, je développerai immédiatement les motifs de cet amendement.
M. de Theuxµ. - Ne vaudrait-il pas mieux discuter maintenant l'amendement de l'honorable M. Dumortier ?
MpVµ. - Si la Chambre n'y fait pas opposition, j'accorderai la parole à M. Dumortier, pour développer son amendement qui est ainsi conçu :
« Je propose de transférer aux districts de Tongres et de Maeseyck le sénateur nouveau attribué par le projet de loi aux districts d'Arlon, Marche et Bastogne. »
M. Dumortier. - L'amendement que j'ai l'honneur de proposer prime toute la loi ; il est donc rationnel que je sois admis actuellement à le développer.
La question à résoudre tout d'abord est celle-ci : Y a-t-il lieu de répartir les députés nouveaux, de manière à rendre les deux séries égales pour la Chambre et pour le Sénat ?
Dans la séance d'hier, l'honorable M. Orts a discuté les objections qui lui ont été opposés.
Il a indiqué certains faits desquels il a conclu que, pendant un grand nombre d'années, ou n'a pas eu de sorties égales. (Interruption.)
MfFOµ. - Cela n'a eu lieu qu'une fois depuis 1830.
(page 578) M. Dumortier. - Nous allons voir cela.
Cependant l'honorable membre, en finissant, a reconnu que la prescription constitutionnelle devait être observée et qu'ne pareil cas ce qu'il y a à faire c'est de transférer un district d'une série à une autre série. Il me semble à moi qu'il est beaucoup plus simple de ne pas transférer un district d'une série à une autre et de faire la loi, en tenant compte des prescriptions constitutionnelles.
D'abord, messieurs, si nous interrogeons les précédents, nous voyons que jusqu'en 1856, toutes les fois qu'il y a eu création ou augmentation du nombre de sénateurs et de députés, la première question qu'on s'est posée, c'est celle de l'exécution des articles constitutionnels qui prescrivent la sortie égale des deux séries de la Chambre et du Sénat. Partout et toujours, vous voyez cette question apparaître en premier lieu.
Mais, dit-on, on n'a point exécuté cette prescription, et on rappelle ce qui s'est passé à diverses époques où il y a eu soit un sénateur, soit un représentant en plus.
Mais, messieurs, je crois que ce n'est pas là une objection sérieuse ; car il est évident que quand vous avez un nombre impair et que vous le divisez par moitié, vous devez forcément avoir deux moitiés inégales, sous peine de couper un député et un sénateur en deux.
Mais, messieurs, ce n'est pas ici le cas ; ce n'est pas d'un représentant et d'un sénateur qu'il s'agit ; il s'agit d'une distribution des séries ; il s'agit d'avoir 4 représentants de plus et 2 sénateurs de plus dans l'une des deux séries comme dans l'autre. Pour faire droit à la prescription constitutionnelle, il est de toute évidence qu'il faut commencer par établir deux séries égales, tant pour la Chambre des représentants que pour le Sénat.
Nous pouvons d'autant plus facilement obéir à la prescription constitutionnelle qu'on a à nommer 8 représentants de plus et 4 sénateurs de plus ; qu'il y a seulement 4 arrondissements qui aient droit à un représentant, et qu'un seul arrondissement a un doit strict à un sénateur.
Rien donc au monde n'est plus facile que d'exécuter la prescription constitutionnelle. Or, il me paraît que la Constitution est tellement impérative dans deux de ses articles, que ce serait les violer que de faire deux séries dans l'une desquelles il y aurait plus de membres que dans l'autre.
Comme nous ne faisons pas ici les affaires des districts, mais celles du pays, nous devons régler les choses de manière que chaque série ait le même nombre de représentants et le même nombre de sénateurs.
A cette fin, que faut-il faire ? Il s'agit de transférer au district de Tongres le sénateur qui est attribué aux districts de Virton, de Bastogne et de Marche. Ces trois districts n'ont aucun droit à un sénateur de plus ; car ils n'ont qu'un excédant de 30,000 habitants, et comme.il faut 80,000 âmes pour un sénateur, ces districts n'ont pas même la moitié du chiffre exigé pour un sénateur ; ils n'ont que 30,000 âmes en plus, c'est-à-dire les 3/8 du chiffre exigé pour un sénateur.
M. Coomans. - Nous n'avons qu'un sénateur pour 110,000 habitants ; ce qui est inconstitutionnel. Je demande un sénateur.
M. Bouvierµ. - Et vous ne parlez pas de l'arrondissement d'Audenarde, qui a un député en trop.,
M. Dumortier. - J'entends l'honorable M. Bouvier dire que l'arrondissement d'Audenarde a un député en trop. Je demanderai à l'honorable membre s'il se sépare de ses amis politiques en adoptant le système des compensations. Or la gauche ne veut pas de ce système. Du reste, il y a quelque chose au-dessus du système des compensations, c'est la prescription constitutionnelle qui exige que les deux série soient égales. La Chambre sortira par moitié, et le Sénat sortira par moitié, dit la Constitution ; c'est donc la moitié qui doit sortir, et l'honorable M. Orts l'a tellement senti qu'il a proposé de mettre un district avec un autre.
Cela est inexécutable ; car vous ne pouvez enlèvera un représentant qui a un mandat constitutionnel de quatre ans, la moitié de ce mandat, pour le mettre dans une autre série. Ce serait destituer un collègue, ce que vous n'avez pas le droit de faire.
Il ne vous resterait qu'un seul moyen, ce serait d'opérer ainsi par une dissolution ; mais il est bien plus sage de faire la modification dans la loi que nous allons voter. Car vous ne froissez ainsi aucun intérêt ; vous n'enlevez à personne un droit acquis.
Vous avez à voter non pas des droits, mais des faveurs. On vous demande un sénateur pour un district qui n'a que 30,000 habitants d'excédant. Eh bien, ce district n'a qu'un droit. Il n'a que les trois huitièmes du chiffre exigé par la Constitution. C'est donc, je le répète, une faveur que vous accordez, Eh bien, ayant d'accorder cette, faveur, commencez par exécuter la Constitution et par établir les deux séries parallèles.
On me demandera pourquoi j'ai pris le Limbourg. C'est tout simple : c'est que, dans la première série, le Limbourg est la province qui a le plus grand excédant. Je n'ai pas pris les arrondissements d'Anvers et de Turnhout, parce qu'ils se trouvent dans la série à laquelle on donne deux sénateurs.
Je suis donc forcé de donner un sénateur à la série qui se trouve dans la minorité et c'est, dans cette série, le district de Tongres qui a le plus fort excédant. Le district de Tongres, encore une fois, au lieu d'avoir un excédant de 30,000 habitants, en a un de 36,000. Il a donc un droit beaucoup plus réel, beaucoup plus sérieux que le district de Marche.
Messieurs, remarquez qu'en donnant à un sénateur à ce dernier district, vous donnez aux électeurs de ce district deux voix et demi pour un sénateur. Car il y a 30,000 habitants et il en faut 80,000 ; par conséquent vous leur donnez deux voix et demie pour un sénateur. Eh bien, ce sont de ces faveurs qui ne devraient pas exister. Je n'admets pas qu'on puisse donner des faveurs pareilles, alors qu'en les accordant vous violez la prescription constitutionnelle, qui est impérative, qui est répétée deux fois dans la Constitution.
Je pense donc que la première question à examiner, c'est celle de savoir si, dans le travail que nous allons faire, nous rétablirons l'égalité des deux séries, et je crois, pour mon compte, que ce serait par trop fort que de vouloir se mettre en pareille matière à côté de deux textes impératifs de la Constitution.
Je demande donc que cette question soit posée d'abord.
M. Julliot. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier propose d'attribuer un sénateur en plus à l'arrondissement de Tongres, et il me sera difficile de dire du nouveau, mais la vérité peut être répétée.
Les articles 51, 54 et 55 de la Constitution décident en principe que la Chambre des représentants et le Sénat seront renouvelés par moitié, et pour l'exécution de cette prescription, qui est le point de départ de tout renouvellement de mandat, la loi a formé deux séries qui sortent alternativement.
La division en deux parties égales, c'est le principe constitutionnel qui n'est pas à modifier, tandis que le mode d'atteindre et de maintenir la division en deux parties égales devient le devoir de la loi organique.
M. Orts en a fait l'aveu, il reconnaît la prescription constitutionnelle ; seulement pour rentrer dans les articles 51, 54 et 55 de la Constitution, il nous propose d'en sortir par une autre porte, il nous propose d'allonger le mandat des députés qu'on détacherait de la série la plus forte pour égaliser la plus faible, ce qui est tout bonnement une violation flagrante de notre loi fondamentale.
Or, pour atteindre constitutionnellement le but qui est la division en nombre égal des deux fractions de la Chambre, trois moyens légaux se présentent.
Le premier, c'est une dissolution des Chambres, qui seule permet de modifier les séries. Ce que je ne propose pas.
Le second, c'est de respecter la division par moitié avant tout et d'opérer sur la série tout entière. Ce que je propose.
M. Dumortier a démontré que la première série ayant le chiffre le plus élevé en trop a des droits à un sénateur en plus. Ce procédé est constitutionnel, juste et inattaquable par de bonnes raisons, car il maintient la législature en deux parties égales.
Le troisième mode consiste à s'abstenir d'augmenter le nombre dans une série quand cette augmentation détruirait l'égalité entre les deux fractions.
Et qu'on ne vienne pas me dire que du moment où il y a quelque part 40,000 âmes en plus il faille y fournir un représentant en plus. Non, cela n'est pas vrai, il y a une borne au minimum, il n'y a pas de maximum déterminé.
Aux Etats-Unis où on respecte la période décennale, le minimum est de 35,000 par député, eh bien, la dernière loi organique décrète qu'on n'accordera un député de plus que quand il y aura 58,000 âmes en plus, et pourquoi ? Parce que l'accroissement de la population de New-York et de Philadelphie menaçait de dominer le parlement.
Restons donc, avant tout, dans la Constitution et payez la dette légitime que vous devez à l'arrondissement que je représente.
On dira que le Luxembourg, ayant quelques âmes de plus que le Limbourg, ne sera pas assez représenté et que, pour ce motif, on peut se placer à côté de la Constitution, car en adoptant le projet de la section centrale vous faites dominer la Constitution pour une question arithmétique.
Mais, messieurs, à un autre point de vue, l'une partie du pays n'est-elle (page 579) pas beaucoup plus représentée que l'autre en ce qui concerne l'influence ? Par exemple, Tournai avec ses quatre dignitaires, deux ministres, un vice-président et un questeur, alors que Bruxelles se contente d'un secrétaire ; Herve avec son vice-président, ne sont-ils pas trop représentés comparativement à d'autres ? Evidemment oui.
Je termine en disant à M. Orts et à la section centrale : Vous avouez que vous posez un acte de parti et si vous ne voulez pas que le pays vous accuse d'être injustes et de procéder par expédients, vous devez donner un sénateur en plus à Tongres.
Je voterai donc l'amendement de M. Dumortier.
MPVµ. -- La parole est à M. Bouvier.
M. Bouvierµ. - Je cède mon tour de parole à M. Tesch.
M. Teschµ. - Messieurs, j'avoue très humblement que je ne comprends pas le premier mot de l'argumentation de l'honorable M. Dumortier et de l'honorable M. Julliot.
Ce que ces honorables membres soutiennent est tellement contraire à la lettre, à l'esprit de la Constitution et à la vérité mathématique dont on parlait tantôt, que je ne me rends pas compte comment on ose soutenir dans cette Chambre le système qu'on a produit.
On nous dit : Il faut ôter un sénateur au Luxembourg pour le donner au Limbourg.
Et pourquoi, je vous prie ? Parce que, dit-on, il y a une vérité constitutionnelle qu'il faut respecter, l'égalité des séries. Et, chose singulière, les honorables membres n'aperçoivent cette vérité qu'aujourd'hui, alors cependant que, dans l'état actuel des choses, elle est complètement méconnue, puisque dans une série il y a 28 sénateurs, tandis qu'il y en a 30 dans l'autre ; ce qui, si je ne me trompe, n'est pas du tout l'égalité que l'on préconise.
Et que propose-t-on pour faire cesser cette inégalité ? La violation la plus manifeste de la Constitution, la violation de l'article 53, qui porte que « les membres du Sénat sont élus à raison de la population de chaque province ».
Voilà le texte de l'article 53. Or, si je ne me trompe, cela signifie que lorsqu'on fera la répartition des sénateurs, elle devra se faire d'après la population de chaque province et que quand le nombre d'habitants ne sera pas complet pour donner droit à un sénateur, la nomination de ce sénateur sera attribuée à la province qui présente l'excédant de population le plus fort.
Eh bien, qui a l'excédant le plus fort ? C'est évidemment le Luxembourg.
M. Julliot. - L'article 53 ne peut pas détruire l'article 55.
M. Teschµ. - L'article 53 établit la base, il consacre le principe et l'article 55 n'est qu'une application.
L'art. 55 laisse aux Chambres le soin d'organiser les séries comme elles l'entendent. Elles peuvent donc mettre l'article 55 en rapport avec l'article 53, mais elles ne peuvent méconnaître l'article 53 par respect pour des séries qu'elles peuvent toujours modifier.
Dans le Limbourg il y a 5 représentants et 2 sénateurs pour une population inférieure à celle du Luxembourg ; dans le Luxembourg il. y a également 5 représentants et 2 sénateurs. Eh bien, que propose-t-on ? On vient nous dire : Le Limbourg a moins de population que le Luxembourg, mais il faut donner au Limbourg un sénateur en plus.
Veut-on admettre que la Constitution ait admis une chose pareille, après avoir posé le principe, de la manière la plus claire, la plus nette, la plus formelle, que la répartition se fait d'après la population de chaque province ?
Il y a quelque chose, messieurs, qui doit toujours servir à interpréter la Constitution, c'est la raison et le bon sens.
Eh bien, la raison et le bon sens veulent que vous ayez des représentants et des sénateurs en proportion de la population et vous êtes en dehors de la raison et du bon sens lorsque vous venez dire qu'une province qui a moins de population aura cependant plus de sénateurs et de représentants que celle qui a une population supérieure. Je croirais faire injure à la Chambre si j'insistais davantage.
L'article 53 de la Constitution est formel, l'art.icle55 n'est qu'une application, et la meilleure preuve, en définitive, que je puisse en donner, c'est que c'est ainsi que vous avez toujours interprété la Constitution, et vous ne changez d'opinion aujourd'hui que par cette seule raison que vous supposez que le sénateur qui serait nommé dans le Limbourg appartiendra à votre opinion et que le sénateur attribué au Luxembourg appartiendra à l'opinion libérale.
M. Dumortier. - L'honorable M. Tesch vient de dire en finissant le motif pour lequel la raison et le bon sens sont de son côté. Je n'insisterai pas sur ce point, puisque vous connaissez maintenant les motifs de l'argumentation de l'honorable membre ; mais quand il vient dire que c'est la première fois que nous nous apercevons du principe que j'ai invoqué, je lui dirai qu'il se trompe étrangement. A toutes les époques la Chambre a commencé par examiner la question des séries.
M. Pirmezµ. - Excepté en 1831.
M. Dumortier. - Evidemment, on a fait la loi électorale avant de faire la répartition, mais depuis que la répartition est faite on a suivi la prescription constitutionnelle.
Comme le dit l'honorable M. Pirmez, on a nommé les députés en 1831, suivant la population sans faire de séries, mais les séries n'existaient pas à cette époque ; on ne peut donc pas argumenter de cette circonstance. Les séries n'ont été faites que plus tard. J'ai été le rapporteur du projet de loi.
Que s'est-il donc passé en 1839 ? La Belgique cédant une partie du Limbourg et du Luxembourg, il s'est trouvé que, par suite de cette cession, les députés de la partie cédée ne pouvaient plus siéger dans cette Chambre.
Il y avait, il est vrai, un membre de plus dans une série que dans l'autre, mais ce n'est point là sortir des règles constitutionnelles, puisqu'il était impossible de faire autrement.
Dans son rapport l'honorable M. Orts dit avec raison : Cette douloureuse nécessité dans laquelle le pays s'est trouvé. C'est une nécessité que moi et beaucoup d'autres regretterons toujours. Mais enfin nous avons subi cette nécessité, mais on ne peut en tirer argument. Que s'est-il passé ?
Voyez le rapport de la section centrale de 1839. Quelle est la première question qu'on y examine ? C'est la question des séries.
Voici ce qu'on lit dans ce rapport : (L'orateur donne lecture de ce passage.)
La difficulté était déjà tranchée à cette époque et l'on disait : Nous sommes heureux de voir que les séries sont parallèles.
Vous voyez donc, messieurs, que cette prescription n'est pas découverte d'hier, quoi qu'en dise l'honorable M. Tesch.
A toutes les époques on l'a exécutée, sauf qu'on l'a perdue de vue probablement par mégarde lorsqu'on a fait la loi du Sénat ; mais cela n'ôte rien au droit. De ce que la prescription constitutionnelle aurait été négligée une fois, avez-vous le droit de la mettre de côté ? Oui, dit l'honorable M. Tesch, parce que c'est dans mon intérêt ; mais alors vous n'êtes plus dans la légalité et vous faites une loi exclusivement dans votre intérêt.
M. Bouvierµ. - Vous renversez les rôles.
M. Dumortier. - L'honorable membre dit : Ouvrez la Constitution. Nous sommes d'accord que la répartition doit se faire par province.
M. Teschµ. - Ce ne sont pas les séries qui doivent s'établir par province, je vais vous le démontrer tout à l'heure.
M. Bouvierµ. - Cela a été démontré déjà par l'honorable MM. de Naeyer et de Theux.
M. Dumortier. - Les sénateurs sont élus à raison de la population de la province ! Rien n'est plus vrai. Mais est-ce que vous allez élire à raison de la population de chaque province ?
M. Teschµ. - Certainement.
M. Dumortier. - Evidemment non et la preuve c'est que la première série aura 100,000 habitants qui ne seront pas représentés.
Examinez le tableau imprimé à la suite du rapport et vous verrez que la première série à laquelle vous donnez deux sénateurs de moins qu'à la seconde a un excédant de 222,595 habitants, tandis que l'autre n'a qu'un excédant de 133,000 habitants. Voilà où vous arrivez avec votre système.
Si encore le Luxembourg avait un droit, s'il avait 80,000 habitants de plus, je vous comprendrais ; mais à quel titre prétend-il à un sénateur de plus ?
Voyez le tableau : il n'a que 48,000 habitants de plus, c'est-à-dire un peu plus de la moitié du chiffre exigé par la Constitution. Il n'a donc pas de droit.
M. Bouvierµ. - Et le Limbourg, il n'a que 39,000 habitants de plus.
M. Dumortier. - 39,000 et 48,000 sont des chiffres qui se balancent. (Interruption.)
Il y a dans tous les cas cette objection à laquelle vous ne répondiez pas, c'est que la série dans laquelle se trouve le Luxembourg a 100,000 habitants qui ne sont pas représentés.
Il y a en Belgique 200,000 habitants qui ne sont pas représentés ; telle est votre base ; or, après avoir invoqué cette base, vous enlevez au Limbourg un sénateur alors qu'il a 100,000 habitants qui ne sont pas représentés. C'est là, une scandaleuse injustice.
(page 580) Je ne conçois pas comment on peut faire l'ombre d'une objection aux faits que je viens de signaler, La première série a un droit et vous le lui enlevez pour avoir un sénateur de plus dans vos rangs ; voilà l'iniquité, voilà l'injustice !
M. Teschµ. - M. Dumortier a un moyen très facile d'argumenter, c'est de se placer toujours à côté de la question et à côté des termes de la Constitution.
Je lui ai prouvé, et il n'a rien répondu à mon argumentation, qu'aux termes de l'article 53 de la Constitution, la répartition des sénateurs devait se faire d'après la population des provinces.
M. Dumortier. - Avez-vous 80,000 habitants de plus ?
Voilà la question.
MfFOµ. - Ce n'est pas la question.
M. Teschµ. - J'ai prouvé que la répartition devait se faire d'après la population des provinces. C'est là le principe consacré par l'article 53 de la Constitution.
Maintenant que dit l'article 55 ?
Il dit que l'on renouvellera par moitié, d'après des séries qui seront déterminées par la loi électorale.
Or, mettez ces deux articles en rapport et vous verrez combien il est vrai que l'article 53 est le principe, et que l'article 55 n'est que l'application, car il dépend de la loi électorale, c'est-à-dire de la Chambre, de former ces séries et de les former comme elle l'entend, de manière, si elle le veut, qu'il y ait dans chaque série la moitié des membres ; mais le principe de l'article 55 n'appartient pas à l'appréciation des Chambres ; et en effet, la Chambre ne peut pas dire, sous peine de violer la Constitution, qu'elle ne répartira pas les sénateurs d'après la population des provinces.
Voilà le véritable sens de la Constitution. Cela étant établi à la dernière évidence, peut-on soutenir qu'on enlèvera un sénateur au Luxembourg pour le donner au Limbourg ? M. Dumortier nous dit : Mais avez-vous 80,000 âmes de plus ? Je lui retourne l'objection et je lui dis : Est-ce que le Luxembourg a 80,000 âmes de plus ? Mais non. Que devez-vous donc faire ? Donner, comme la raison et le bon sens l'indiquent, donner le sénateur à la province qui a la fraction la plus forte, à celle qui possède le chiffre qui se rapproche le plus des 80,000 âmes exigées par la Constitution. Si la fraction du Luxembourg, qui est la plus forte, ne donne pas droit au sénateur, je voudrais bien savoir comment on pourrait soutenir que le Limbourg y a droit ?
M. Dumortier a répété à satiété : Mais où est le droit du Luxembourg ? Le droit du Luxembourg consiste en ce que cette province a la fraction la plus forte : le droit du Limbourg n'existe à aucun degré, et si le principe de M. Dumortier était vrai, il ne faudrait pas respecter plutôt la fraction la moins forte que l'autre et l'on ne pourrait plus procéder qu'arbitrairement.
Cela me paraît de toute évidence, je ne pense donc pas que la proposition de M. Dumortier puisse être admise ; ce serait, je le répète, la violation la plus manifeste de l'article 53 de la Constitution. Que si vous prétendiez que, nonobstant la pratique qui existe encore en ce moment, il faut avoir des séries égales, vous pouvez modifier vos séries, mais vous ne pouvez, dans aucun cas, enlever un sénateur au Luxembourg, parce qu'il lui est assuré par l'article 53 de la Constitution.
- Aux voix ! aux voix !
M. Dumortier. - Je n'ai que deux mots à dire. M. Tesch invoque toujours l'article 53 de la Constitution. J'ai déjà eu l'occasion de dire à la Chambre (peut-être M. Tesch n'y était-il pas) comment cet article s'est fait au Congrès.
Lorsque cet article a été voté, le Congrès n'avait pas encore agité la question de savoir comment seraient nommés les sénateurs, s'ils seraient nommés par les collèges qui nomment les députés ou par les conseils provinciaux.
Il y avait alors un grand nombre de membres du Congrès qui voulaient laisser la nomination des sénateurs aux conseils provinciaux ; c'est dans cet état de choses qu'on a dit que les députés sortaient par province afin de laisser la question entière. Mais après on a expliqué les faits.
M. Tesch n'a qu'à examiner ce qui s'est passé au Congrès et il verra que la seule violation possible de la Constitution, c'est d'accorder à un district qui n'y a aucun droit un sénateur de plus qu'à l'autre série et de laisser 100,000 habitants de l'autre série sans sénateur.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
MpVµ. - Avant d'aborder la discussion de l'amendement de M. Kervyn, la Chambre entend-elle statuer sur celui de M. Dumortier ?
- Voix nombreuses. - Oui ! oui ! l'appel.
M. Dumortier. - J'ai posé une question de principe qui doit avoir la priorité.
MpVµ. - Je ne suis en présence que de votre amendement.
- Voix diverses. - Aux voix ! aux voix !
MpV. - Je vais mettre aux voix, par appel nominal, l'amendement de M. Dumortier ; il est ainsi conçu :
« Je propose de transférer aux districts de Tongres et de Maeseyck le sénateur nouveau attribué par le projet de loi aux districts d'Arlon, Marche et Bastogne. »
- Il est procédé au vote par appel nominal.
100 membres y prennent part.
20 membres répondent oui.
75 répondent non.
5 s'abstiennent.
En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont répondu oui :
MM. Wasseige, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Ruddere de te Lokeren, de Woelmont, Dumortier, Hayez, Julliot, Landeloos, Magherman, Notelteirs, Rodenbach, Thibaut, Thonissen, Vanden Branden de Reeth et Vander Donckt.
Ont répondu non :
MM. Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, Debaets, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Decker, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Terbecq, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tesch, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop et E. Vandenpeereboom.
Se sont abstenus :
MM. Coomans, Delaet, de Smedt, de Theux et Moncheur.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Coomans. - J'adhère à la plupart des raisons de principe alléguées par l'honorable M. Dumortier et je crois notamment que le Luxembourg n'a pas droit à un sénateur en plus. Mais comme le point de savoir si le Limbourg y a droit ne me paraît guère mieux établi, j'ai cru devoir m'abs tenir.
M. Delaetµ. - Les motifs de mon abstention se rapprochent beaucoup de ceux de l'honorable M. Coomans. J'ai écoulé attentivement les arguments de l'honorable M. Dumortier auxquels l'honorable M. Tesch n'a rien compris ; avec non moins d'attention, j'ai écouté ceux de l'honorable M. Tesch, et je n'y ai guère compris davantage. Par conséquent, dans le doute, j'ai dû m'abstenir.
M. de Theuxµ. - J'ai toujours soutenu le principe que la répartition des représentants et des sénateurs devait se faire d'après la population, en tenant compte des compensations : je crois, en effet que c'est là le véritable esprit de la Constitution. Mais, d'autre part, les articles de la Constitution que l'honorable M. Dumortier a cités ont aussi une grande valeur, et il n'y aurait plus qu'un moyen de parvenir à les appliquer complètement : c'eût été de ne point répartir quatre nouveaux sénateurs et huit nouveaux représentants.
La Constitution ne prescrit point d'augmenter les membres des Chambres dès qu'il y a augmentation de population. Il fallait donc restreindre l'augmentation de manière à avoir deux séries égales pour le renouvellement par moitié.
M. Moncheurµ. - Je me suis abstenu pour les motifs que vient de développer l'honorable M. de Theux.
MpVµ. - Vient à présent l'amendement de MM. Kervyn, Wasseige, Thonissen, Landeloos, Delcour et de Naeyer. Cet amendement est ainsi conçu :
« Conformément à l'article 49 de la Constitution, les huit nouveaux représentants à élire seront attribués, d'abord aux arrondissements électoraux qui possèdent 40,000 habitants non représentés, et ensuite aux arrondissements électoraux qui offrent les excédants les plus considérables de population.
« En conséquence, le tableau annexé à l'article 55 de la loi électorale est modifié comme suit :
« Anvers six représentants, Bruxelles treize représentants, Louvain cinq représentants, Courtrai quatre représentants, Alost quatre représentants, Charleroi cinq représentants, Philippeville deux représentants. »
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je ne puis me dissimuler combien la position qui m'est faite au moment où j'ai à défendre mon amendement, est à la fois difficile et défavorable. D'une part, cet amendement a été critiqué même avant d'avoir été développé ; d'autre part, l'attitude de la Chambre ne me permet guère de prévoir un examen sérieux, et en m'imposant une extrême concision dans les développements que je donnerai à mon amendement, je conserve peu d'espoir de voir une discussion approfondie suppléer à l'insuffisance de mes paroles.
L'honorable M. Orts, dans la séance d'hier, est revenu sur les considérations qui sont en quelque sorte la base de sa proposition.
Je demanderai à la Chambre la permission de reproduire textuellement, afin d'être bien certain de ne pas les dénaturer, les paroles que l'honorable membre a prononcées.
Le 1er juillet 1864, l'honorable M, Orts s'exprimait ainsi :
« J'ai fait cette proposition en vue de donner à l'opinion libérale dans le pays la juste part d'influence qu'elle a le droit déposséder. J'ai voulu faire l'affaire de cette opinion. »
Et il ajoutait dans la même séance :
« Oui, c'est dans un intérêt de parti que j'ai fait ma proposition ; mais je l'ai faite parce qu'à mes yeux cet intérêt de parti était un intérêt de justice ; je n'ai jamais proposé, je ne proposerai jamais d'injustices dans un intérêt de parti. »
Je viens, messieurs, me placer sur ce terrain ; c'est une question de justice que je me propose de traiter aujourd'hui.
Qu'est-ce que la justice, messieurs ? Dans l'exercice des droits politiques comme dans l'exercice des droits civils, c'est l'égalité devant une règle qui est commune à tous.
Ce principe est consacré par la Constitution, et si l'égalité devant la loi civile est une garantie pour tous les intérêts, l'égalité devant la loi politique est quelque chose de plus précieux encore, car elle constitue la part légitime que nous pouvons tous revendiquer dans l'exercice de la souveraineté nationale,
L'honorable M. Orts, dans la séance d'hier, a insisté, lui-même, sur cette considération qu'il faut plutôt tenir compte des groupes considérables d'individus que des groupes réduits ; il a reconnu que lorsqu'il n'y a pas de droit absolu, résultant du chiffre constitutionnel de la population, il y a un droit relatif au profit de 10,000 citoyens plutôt qu'au profit de 5,000, au profit de 1,000 plutôt qu'au profit de 500. C'est là, messieurs, le principe de justice, c'est là le principe de légalité.
Et, comme l'honorable M. Orts le remarquait fort bien dans la séance d'hier, en se plaçant à ce point de vue, la question de justice n'est plus qu'une question d'arithmétique. Pour me servir des paroles mêmes de l'honorable membre que j'ai écrites sous sa dictée pendant la séance d'hier, « l'arithmétique est la mesure de la justice ; c'est une règle qui n'appartient à aucun parti, mais qui relève du bon sens de tout le monde... Les chiffres donnent une direction qui ne peut varier.»
Eh bien, messieurs, je viens plaider devant vous à la fois une question de justice et une question d'arithmétique.
Une objection grave s'élève. Je l'ai rencontrée dans une interruption de M. le ministre des finances ; je l'ai retrouvée dans les discours de quelques honorables membres. On m'objecte que l'amendement que je propose n'est pas constitutionnel.
Messieurs, examinons la Constitution. D'après l'article 49, le nombre des députés est fixé d'après la population. Si la population n'est pas assez considérable pour faire attribuer un droit absolu, elle servira aussi à déterminer le droit relatif. Ainsi, quand le droit absolu n'existe pas, quand on ne trouve pas le groupe constitutionnel de 40,000 âmes, on arrive, en prenant toujours pour base la population, à cette conséquence logique que plus le groupe de population est considérable, plus il possède de droits.
L'objection la plus sérieuse repose sur l'article 53 de la Constitution qui porte que les membres du Sénat sont élus, à raison de la population de chaque province, par les citoyens qui élisent les membres de la Chambre des représentants.
A cette objection j'ai deux réponses à faire ; l'une d'elles a été présentée tout à l'heure par l'honorable M. Dumortier, et elle se rapporte aux discussions mêmes du Congrès.
M. Blargnies avait déposé un amendement qui portait que les élections au Sénat se feraient par les conseils provinciaux, à raison de la population de chaque province. M. Jottand, en sous-amendant cette proposition, s'est borné à demander qu'on remplaçât les mots : « les conseils provinciaux » par ceux-ci : « les citoyens qui élisent les membres de la Chambre des représentants. » Les mots : « à raison de la population de chaque province » n’ont-ils pas été maintenus par inadvertance dans la rédaction de l’article 53 ?
Je n'attache pas, du reste, je l'avoue, une très grande importance à cet argument. Il y en a un autre bien plus sérieux que j'invoquerai avec plus de confiance.
Nous trouvons dans le chapitre premier du titre III de la Constitution deux sections dont l'une se rapporte au Sénat et dont l'autre concerne la Chambre des représentants ; avant ces deux sections, se trouvent les dispositions générales du chapitre premier où l'on s'occupe à la fois des membres appartenant aux deux Chambres.
Que remarquons-nous, messieurs, dans la section II qui traite du Sénat ? La préoccupation constante de la province. Le cens d'éligibilité est déterminé par province ; la liste des éligibles est formée par province ; et comme conséquence de cette préoccupation, est inscrite dans l'article 53 qui ne se rapporte qu'au Sénat, cette mention toute spéciale que les membres du Sénat sont élus à raison de la population de chaque province.
Mais si, à cette section, qui ne concerne que le Sénat, vous comparez la section précédente, qui ne concerne que la Chambre des représentants vous reconnaîtrez que le législateur y a été dirigé par un ordre d'idées tout différent. A propos du Sénat, on s'occupe de la province ; à propos de la Chambre des représentants, on s'occupe de la population.
C'est en effet dans la section relative à la Chambre des représentants que nous trouvons cette mention formelle de l'art. 49 : « La loi électorale fixe le nombre des députés d’après la population », tandis que dans l’article 53, on établit la base de la population « par province », ici on s’exprime d’une manière générale : « d’après la population ».
Une autre différence se remarque entre la section qui s'occupe de la Chambre des représentants et la section qui est relative au Sénat, c'est que, tandis que l'on dit, à l'article 53, que les membres du Sénat sont élus par les citoyens qui élisent les membres de la Chambre des représentants, il y a dans l'article 47 quelque chose de plus : c'est le mot « directement ». « La Chambre des représentants se compose des députés élu-directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale. » Ici, l'on n'a pas seulement voulu proscrire l'élection à deux degrés ; mais on a voulu aussi indiquer que les élections pour la. Chambre des représentants se feraient de la manière la plus large, sans tenir compte des circonscriptions de provinces qui étaient imposées au Sénat.
- Un membre. Et l’article 48.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'arrive à l'article 48.
Cet article ne parle plus de la province ; il parle des divisions de province et des lieux que la loi détermine. (Interruption.)
La règle pour les élections du Sénat, c'est la province ; la règle, pour la Chambre des représentants, c'est la division par provinces, ou le lieu déterminé par la loi, qui pourra ne pas être une subdivision de province, c'est le district électoral.
MfFOµ. - La province est l'unité électorale constitutionnelle.
M. Kervyn de Lettenhove. - Selon moi, la province forme, d'après l'article 53, l'unité électorale constitutionnelle pour le Sénat, mais l'unité électorale constitutionnelle pour la Chambre des représentants se trouve dans la division de province ou dans le lieu que la loi détermine, c'est-à-dire dans le district électoral.
Je trouve donc dans deux sections différentes relatives aux deux Chambres des règles qui ne sont pas les mêmes, qui présentent un autre (page 582) caractère et qui, selon moi, sont résumées dans l'article 32 de la Constitution, où nous lisons que les membres des deux Chambres représentent la nation et non uniquement la province ou la subdivision de province qui les a nommés. Cet article doit être interprété en ce sens que les sénateurs ne représentent pas seulement la province qui les a nommés, et que les membres de la Chambre des représentants ne représentent pas uniquement la subdivision de province qui les a élus.
Ainsi dans tous ces articles, dans ces trois sections, distinction bien nette et bien précise dans le caractère constitutionnel des bases de répartition des collèges électoraux qui désignent soit les membres du Sénat, soit les membres de la Chambre des représentants.
Si l'article 49 fait reposer le droit électoral, en ce qui concerne la Chambre des représentants, sur la population seule, il est évident que c'est la population qui doit servir d'unique base dans la répartition des nouveaux membres de la Chambre.
On m'objecte que les précédents de la Chambre sont en contradiction avec le système que je soutiens ; qu'en 1831, le Congrès a appliqué une règle tout à fait différente.
Il me paraît évident qu'en 1831, le Congrès a agi par la préoccupation d'un autre ordre de choses qui avait cessé d'exister depuis peu de temps. Sous le royaume des Pays-Bas, les élections se faisaient par les Etats provinciaux, c'est-à-dire par province, et je suis intimement convaincu que, lors de la loi électorale de 1831, le Congrès a subi malgré lui l'influence de ces traditions encore toutes récentes.
Le Congrès s'est-il ensuite bien rendu compte de ce qu'il faisait ? S'en est-on rendu compte dans les circonstances où, depuis lors, on a de nouveau modifié le nombre des représentants et leur répartition entre les collèges ? Je ne puis le croire. Car, en avouant sans détour que les votes de la Chambre ont toujours consacré la même jurisprudence, je ne découvre, en étudiant avec soin les discours qui ont été prononcés, aucune trace des motifs qui ont fait adopter cette jurisprudence. Je la trouve, au contraire, en opposition permanente avec les vrais principes, tels qu'ils ont été professés par les membres les plus éminents de cette assemblée. Ainsi dans la discussion de 1859, l'honorable M. Devaux s'exprimait dans les termes suivants :
« La seule chose qui doive être considérée comme absolue dans la répartition, c'est le droit pour chaque arrondissement d'avoir autant de représentants qu'il compte de fois 40,000 habitants.
« ... Le nombre total des représentants étant fixé d'après la population générale du pays, il faut bien les répartir tous entre les diverses circonscriptions électorales, et comme on ne peut avoir des circonscriptions d'une population qui représente toujours exactement un chiffre multiple de 40,000 âmes, il en résulte qu'un certain nombre de représentants doivent être assignés à des populations qui n'atteignent pas 40,000 âmes.
« A cet égard, à défaut d autre règle, on en suit une très imparfaite, c'est d'assigner un représentant de plus aux excédants les plus forts.»
C'est exactement le système que je viens soutenir aujourd'hui ; mais l'honorable représentant de Bruxelles, l'auteur de la proposition que nous avons sous les yeux, M. Orts qui, dans son rapport, déclare qu'il s'en réfère aux précédents de la Chambre, a soutenu lui-même comme principe, exactement ce système que je viens développer aujourd'hui, et non seulement dans un document, mais dans trois documents qui émanent de lui, dans les rapports successifs qu'il a soumis à la Chambre, sur la proposition de loi que nous examinons en ce moment.
Ainsi, dans la séance du 30 juin 1864, l'honorable M. Orts présentait ainsi son opinion :
« Ce serait réellement manquer d'équité, manquer de justice, que de ne pas permettre à chaque arrondissement du pays de prendre part avec toutes les forces légales qui lui sont accordées par la Constitution, à l'épreuve qui se prépare. »
Remarquez bien, messieurs, cette expression : « à chaque arrondissement du pays. »
Dans la séance du 19 janvier 1866, l'honorable M. Orts, reproduisant les mêmes développements, s'exprimait en ces termes :
« Personne ne nie la nécessité, dans un gouvernement représentatif, que toutes les localités soient également représentées au Parlement. L'inégalité, une fois reconnue, doit disparaître. ; car elle est inique et viole la Constitution. Or, aujourd'hui il est certain que plusieurs arrondissements du pays possèdent un député par 40,000 âmes ; quelques-uns même jouissent d'un privilège plus grand. Ils sont représentés dans une proportion plus favorable encore.
« Les arrondissements dont la proposition nouvelle s'occupe sont hors la loi et demandent à y rentrer, l'article 6 de la Constitution à la main.
« L'exiger c'est leur droit ; notre devoir est d'acquitter sans retard une dette constitutionnelle. »
Et dans le rapport même de la section centrale, l'honorable M. Orts émettait encore la même opinion :
« Nul engagement légal ou moral ne fait obstacle à ce qu'on restitue aux arrondissements dont la population n'est pas représentée dans la proportion constitutionnelle, l'avantage dont jouissent d'autres arrondissements .Ainsi le veut le grand principe que tous les Belges sont égaux devant la loi ; ainsi le veut la justice. »
Eh bien, messieurs, je viens, à mon tour, invoquer la justice. Je viens invoquer l'article 49 de la Constitution, qui prend la population pour base de la représentation nationale et de la répartition entre les collèges électoraux.
Il est une autre objection que je rencontre dans le rapport de l'honorable M. Orts, et qu'il me sera facile d'écarter.
L'honorable M. Orts assure que l'adoption de l'amendement dont j'ai eu l'honneur de saisir la Chambre entraînerait le remaniement complet des bases de la législature actuelle. Dans un tableau annexé à mon amendement, j'ai tenu à donner la preuve par des chiffres que l'adoption de cet amendement ne compromettrait pas l'existence d'un seul siège à la Chambre.
Et voyez, messieurs, à quels résultats étranges on est arrivé dès 1831, en appliquant le principe de la répartition par province, au moment où l'on venait d'inscrire dans la Constitution le respect du principe de la population.
Dans le tableau qui est joint à la loi électorale de 1831, nous remarquons que l'arrondissement de Malines, qui n'a que 95,000 habitants, obtient le même nombre de représentants que l'arrondissement de Courtrai qui en a 141,000, malgré une différence de 46,000 habitants.
Mais il y a des choses bien plus étranges encore dans le tableau annexé à la loi électorale de 1831. On y remarque en effet qu'on donne 3 représentants à l'arrondissement de Malines qui comptait, comme je le disais, 95,000 habitants, tandis qu'on n'en donne que 2 à l'arrondissement d'Ypres, qui en comptait, à cette époque, 98,000.
D'un côté 3 représentants pour un arrondissement de 95,000 habitants, et d'un autre côté 2 représentants pour un arrondissement qui en compte 98,000.
Et c'était là l'application du principe constitutionnel, du respect de la population comme base du droit d'être représenté dans cette enceinte !
Que se produit-il aujourd'hui ? La situation des choses s'est-elle améliorée ? Je pense que les bizarres anomalies qu'on pouvait signaler en 1831, ne se retrouvent pas moins fortes, moins considérables, moins regrettables dans la proposition de la section centrale. (Interruption.)
- Des membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Kervyn de Lettenhove. - Je crois que la majorité, qui fait une loi à son profit, permettra au moins qu'on la discute, avant de la faire voter. C'est une question de convenance.
M. Bouvierµ. - La loi se fait au profit du pays.
M. Kervyn de Lettenhove. - Il suffit, messieurs, de remarquer combien ce système de répartition par province conduit à des résultats inexplicables et j'oserai dire absurdes. Ainsi déplacez une population de 500 habitants entre la Flandre orientale et le Brabant ; les 29,500 habitants de l'arrondissement de Louvain perdent leur droit, et ce droit est transféré aux 24,900 habitants de l'arrondissement d'Alost, de telle sorte qu'une différence de 500 habitants entre deux provinces est considérée comme assez considérable pour qu'on ne tienne aucun compte d'une différence de 4,400 habitants entre deux arrondissements. N'est-ce pas là un résultat inexplicable et véritablement anormal ?
Mais si le grand principe de l'article 49 de la Constitution a droit à être respecté, comment viendrait-on soutenir aujourd'hui qu'il y a lieu de faire des répartitions inégales semblables à celles que nous trouvons dans le rapport de la section centrale ?
D'une part, à Philippeville, si la proposition de l'honorable M. Orts est adoptée par la Chambre, chaque représentant sera l'élu de 30,500 habitants, tandis qu'à Courtrai les trois représentants qui siègent dans cette enceinte continueront à être chacun l'élu de 48,600 habitants.
Mais il y a d'autres différences qui sont bien plus fortes encore, et pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je me bornerai à faire remarquer que l'honorable M. Orts propose d'accorder un représentant aux 17,000 habitants de l'arrondissement de Thuin et qu'il le refuse aux 25,000 habitants de l'arrondissement d'Alost et aux 25,000 habitants de l'arrondissement de Courtrai.
Le résultat, messieurs, sera celui-ci ; Il y aura un représentant de plus (page 583) pour la province d'Anvers, trois pour le Brabant, deux pour le Hainaut, un pour la province de Liège, un pour la province de Namur. Pour les Flandres, rien, absolument rien. Et cependant elles contribuent pour trois dixièmes dans le contingent de l'armée, pour trois dixièmes dans l'impôt foncier ; elles représentent près du tiers de la population du rays.
Parmi les arrondissements qui ne figurent pas dans la proposition de M Orts et qui tous comptent des excédants de population s'élevant ensemble à 200,000 habitants, ceux qui appartiennent à la Flandre offrent une population de 115,000 habitants non représentés. C'est plus de la moitié.
Messieurs, soyez-en bien persuadés, si notre régime politique est tel que l'a défini M. le ministre de l'intérieur, c'est là une choquante anomalie.
Si aujourd'hui il n'y a plus de provinces, s'il n'y a plus que l'unité nationale, nous avons en vertu de ce principe le droit de revendiquer l'égalité de tous les Belges devant la loi politique. Jamais on ne comprendra dans les Flandres que vous accordiez aux 17,000 habitants de Thuin ce que vous refusez aux 25,000 habitants d'Alost et de Courtrai.
Il y a, messieurs, depuis quelques années, en Flandre, un mouvement qui a eu peut-être ses imprudences, mais qu'il faut respecter, puisqu'il repose sur le sentiment profond d'une susceptibilité patriotique. Souvent la Flandre a exposé ses griefs qui tiennent à sa langue, à ses souvenirs, à son importance présente, à son droit d'intervenir selon une juste mesure dans l'administration, dans la gestion des affaires publiques ; elle trouvait qu'elle n'obtenait pas dans le pays le rang qui lui était dû. Elle a fait entendre souvent sa voix. Quant à moi, je ne viens pas ici faire entendre des menaces ; ma parole sera toujours modérée et modératrice ; mais lorsqu'on impose des devoirs à une partie du pays, il faut aussi tenir compte de ses droits, et si ces droits étaient méconnus si, en présence des articles 6, 48 et 49 de la Constitution, qui consacrent l'égalité du droit et qui placent le droit dans la population, une proposition qui augmente de 8 le nombre des membres de la Chambre des représentants devait laisser la Flandre frappée d'une exclusion injuste et complète, elle serait autorisée à dire que des deux termes de la proposition de M. Orts, l'intérêt de parti et la justice, l'intérêt de parti reste seul debout et que la justice a disparu.
MfFOµ. - Messieurs, la Chambre comprendra que les dernières paroles prononcées par l'honorable M. Kervyn ne peuvent demeurer sans réponse.
L'honorable membre a répété plusieurs fois, dans le discours que vous venez d'entendre, que la majorité voulait faire voter le projet de loi de la section centrale, uniquement dans son intérêt, pour conserver sa prépondérance dans le parlement.
M. Coomans. - Evidemment.
MfFOµ. - Oui ! c'est ce que vous affirmez ; vous prétendez faire croire que la loi est faite seulement pour maintenir la majorité. Eh bien, je réponds à cela que la loi est faite dans l'intérêt du pays, par respect des droits de la nation. La loi est purement et simplement l'exécution d'une prescription constitutionnelle. Qu'est-ce donc qui vous fait combattre cette proposition ? Mais assurément ce n'est rien autre chose qu'un esprit de parti, un intérêt de parti. Interruption.) Mais cela est évident, cela est manifeste, et votre opposition ne saurait se justifier par aucun autre motif. (Interruption.)
Je voudrais bien que, en dehors de cet intérêt de parti, en dehors de cet esprit de parti, vous voulussiez prendre la peine d'expliquer à la Chambre et au pays comment, pour quelle raison, on devrait s'abstenir de faire la loi que nous appuyons ! Vous n'avez, en effet, qu'un seul motif à indiquer, et ce motif est tellement peu sérieux, que l'on doit reconnaître que ce n'est qu'un prétexte. Vous vous retranchez derrière une certaine loi de 1856, qui a déclaré que le recensement général servirait de base pour la répartition des membres des deux Chambres. Voilà bien votre seule raison, celle du moins que vous invoquez ouvertement, à défaut d'autres que vous ne voulez pas exprimer.
Or, cette fameuse loi de 1856, qui vous tient si fort au cœur, n'a même jamais reçu d'exécution. Elle aurait dû être appliquée immédiatement après le recensement décennal de 1856, et la répartition complémentaire des nouveaux sénateurs et représentants n'a été faite qu'en 1859.
M. Orts. - Et encore par nous.
MfFOµ. - Oui, c'est nous qui avons réparé l'étrange oubli de nos prédécesseurs. Et cette loi, pour vous en faire une arme, vous la qualifiez de loi organique, parce que vous avez ainsi un grand mot à faire retentir. Vous vous appuyez sur une loi organique ! Vous vous écriez qu'il est interdit de toucher à une loi organique, loi en quelque sorte sacrée et quasi-constitutionnelle, et vous croyez avoir découvert un merveilleux moyen d'opposition, en dénaturant, en exagérant le caractère et la portée d'une loi purement administrative.
Quant à moi, si je comprends bien la valeur et la définition des mots, je pense que les lois organiques sont celles sans lesquelles il serait impossible que les divers principes de notre Constitution pussent recevoir leur application et fonctionner régulièrement.
Ainsi la Constitution a déterminé les conditions qu'il faut remplir pour pouvoir exercer le droit électoral. Eh bien, ce principe ne pourrait être appliqué sans une loi organique qui en assure l'exécution. La Constitution dit encore que les conseils communaux et provinciaux règlent tout ce qui est d'intérêt communal et provincial. C'est là une déclaration de principe ; mais, encore une fois, des lois organiques sont nécessaires pour que ce principe puisse être mis en pratique.
Or, pour le faire remarquer en passant, ces lois organiques de nos principes constitutionnels, pour lesquelles vous vous montrez aujourd'hui si pénétrés de respect et de vénération, vous n'avez pas hésité à y proposer des modifications, quand cela vous a paru utile pour votre politique. (Interruption.)
Je ne veux pas insister sur ce point ; la démonstration de cette vérité m'entraînerait au delà des limites dans lesquelles je désire me renfermer. Mais, pour en revenir à la loi qui nous occupe, elle est si peu une loi organique, on lui a trouvé si peu le caractère qui se révèle tout à coup à vos yeux, que jamais on ne s'en est occupé.
L'honorable M. de Theux a proposé le recensement de 1846, et il n'a pas jugé qu'une loi organique fût nécessaire pour fixer les époques de la révision du nombre des membres de la législature.
En 1856, l'honorable M. de Decker a proposé à son tour un recensement, et encore une fois, ni l'honorable M. de Decker, ni personne dans la majorité de cette époque, n'a songé à proposer une disposition organique pour régler cette révision périodiquement. C'est par un simple amendement, émané d'un membre de l'opposition, que l'on a introduit dans la loi de 1856 la disposition que l'on invoque. Et pourquoi l'a-t)on fait ? (Interruption.) Je vais vous le dire. C'est parce qu'on avait reconnu que, lorsque vous étiez au pouvoir, vous redoutiez d'exécuter la disposition constitutionnelle en vertu de laquelle la représentation nationale doit être mise en rapport avec la population. Pendant de longues années, la non-exécution de cette disposition avait formé l'un des griefs de l'opinion libérale contre l'opinion catholique, qui se refusait à mettre la représentation nationale en harmonie avec la population. Ce grief avait été formulé dans les résolutions du congrès libéral en 1846...
M. Orts. - Et par les conseils provinciaux.
MfFOµ. - Ainsi que par les conseils provinciaux.
Afin de se prémunir contre le mauvais vouloir de l'opinion catholique, on a essayé d'avoir une arme, une garantie pour l'avenir, et tel est le motif qui a fait introduire, dans là loi de 1856, la disposition dont il s'agit. Voilà toute l'histoire de la loi organique dont vous parlez et dont vous n'avez pas même voulu faire l'application quand vous étiez au pouvoir.
C'est donc un véritable dérision que de venir aujourd'hui dissimuler vos répugnances sous le vain prétexte du respect de cette prétendue loi organique, et je suis dès lors parfaitement fondé à dire et à répéter qu'en dehors de ce mauvais moyen, votre opposition n'a d'autre cause, d'autre motif, qu'un esprit de parti, qu'un intérêt de parti.
C'est là le seul motif que vous puissiez invoquer pour combattre le projet de loi, qui n'est que la conséquence d'une situation constatée, et l'exécution d'une prescription constitutionnelle qui ne saurait être méconnue. (Interruption.)
Voyons donc quelle est cette situation ? Comme conséquence d'un accroissement notable de la population du royaume, il y a lieu à une augmentation proportionnelle du nombre des représentants et des sénateurs. Vous contestez l'opportunité de cette répartition, et toute votre objection se réduit en définitive à dire que c'est trop tôt de huit mois ! Attendons huit mois, dites-vous, et alors on pourra faire sans inconvénient ce que l'on propose de réaliser aujourd'hui.
Cet acte qui, dans le moment actuel, est représenté comme inique, comme odieux, comme un coup de partiel presque comme un coup d'Etat, sera dans huit mois l'acte le plus honnête, le plus loyal, le plus régulier du monde. Eh bien, messieurs, je me crois autorisé à vous demander si (page 584) une opposition basée sur un pareil motif peut être considérée comme véritablement sérieuse. (Interruption.)
Messieurs, l'honorable M. de Kervyn, qui a eu tort, selon moi, de placer la question sur ce terrain et de m'obliger à cette réponse, veut réformer non pas seulement les précédents, mais encore la Constitution.
Sans doute, messieurs, lorsque l'on s'est occupé de rédiger la Constitution, on eût parfaitement pu examiner le système indiqué par l'honorable M. Kervyn ; on pouvait se demander alors s'il était plus convenable, plus juste, plus rationnel, de faire la répartition des représentants et des sénateurs à raison de la population absolue des arrondissements plutôt que de l'opérer par province. Toujours est il que c'est ce dernier mode qui a été préféré par les auteurs de la Constitution. (Interruption.)
L'honorable M. Kervyn est obligé de concéder qu'aux termes de la Constitution, il ne peut y avoir l'ombre d'un doute pour les sénateurs ?
M. Kervyn de Lettenhove. - Je le reconnais spontanément, il n'y a donc pas d'obligation.
MfFOµ. - Non, sans doute ! Mais l'expression dont je me sers se justifie par le discours que vous venez de prononcer ; c'est spontanément que vous le reconnaissez, mais vous êtes certainement obligé de le reconnaître par suite de l'examen du texte constitutionnel, auquel votre esprit s'est livré.
Eh bien, du moment que vous faites cette concession, votre système est condamné. (Interruption.)
Mais cela est manifeste, et je ne conçois pas qu'on puisse le contester un seul instant.
Vous admettez pour le Sénat la répartition par province, mais vous ne l'admettez pas pour la Chambre. Or, je dis que cela est impossible. Vous arriveriez ainsi à établir un antagonisme entre deux ordres d'idées essentiellement identiques. Je soutiens, quant à moi, que les dispositions de la Constitution ne sont pas moins formelles pour la Chambre que pour le Sénat.
M. Van Overloopµ. - Les dispositions qui concernent la Chambre des représentants précèdent celles qui sont relatives au Sénat.
MfFOµ. - Quel argument prétendez-vous tirer de l'ordre dans lequel ces dispositions ont été inscrites dans le texte constitutionnel ? Vous devez nécessairement admettre que le législateur a voulu introduire l'harmonie entre les différentes dispositions de l'acte qu'il a posé. Vous ne pouvez venir aujourd'hui le soupçonner d'absurdité. Quelle que soit l'époque à laquelle il a fait tel ou tel article, peut-on supposer qu'il ait voulu établir une sorte d'antinomie entre eux ? Assurément, il n'a pas entendu placer dans des conditions différentes la représentation pour la Chambre et la représentation pour le Sénat ; il a dû chercher au contraire à mettre de la concordance entre les deux éléments de la législature.
La preuve en est d'ailleurs dans les termes mêmes dont se sert l'article 48 de la Constitution.
« Les élections se font par telles divisions de province (de province, notez-le bien) et dans tels lieux que la loi détermine. »
Cela signifie évidemment que, pour la Chambre, les élections se font, comme pour le Sénat, par division et par subdivision de province ; en d'autres termes, que l'unité électorale existe en vertu de la Constitution, à laquelle vous ne pouvez toucher. La Constitution établit l'unité par province, et il y a une subdivision de cette unité qui dépend exclusivement de la législature. C'est ce que prouve encore l'article 53 qui porte :
« Les membres du Sénat sont élus à raison de la population de chaque province, par les citoyens qui élisent les membres de la Chambre des représentants. »
Il y a donc une corrélation incontestable entre l'une et l'autre disposition. Ceux qui élisent les sénateurs élisent les représentants, et ce qui prouve la vérité de cette interprétation, c'est que, depuis que la Constitution a été promulguée jusqu'à nos jours, elle a invariablement été ainsi appliquée. Toujours on a pris pour première base de la répartition l'accroissement total de la population dans tout le royaume. Puis, on a fait d'abord la division par province, pour obéir à la prescription impérative de la Constitution, et ensuite cette division étant établie, on a procédé à la subdivision entre les arrondissements de chaque province. Par l'application de ces règles très justes et très simples, qui ne donnent point accès à l'arbitraire et qui ont l'inflexibilité d'une solution arithmétique, la représentation nationale est parfaitement équilibrée entre les différentes provinces, en raison de leur population respective, et, par conséquent en raison de leur droit constitutionnel ; et c'est ainsi que, tout naturellement, l'harmonie peut être établie entre la représentation de la Chambre et celle du Sénat. On dit : Le sénateur ou le représentant sera attribué à la fraction la plus forte, et ce résultat, parfaitement rationnel, se trouve être aussi parfaitement constitutionnel.
Je crois, messieurs, avoir suffisamment démontré à la Chambre qu'elle ne saurait s'arrêter à la proposition de M. Kervyn, qui est en opposition formelle avec la Constitution.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je désire répondre quelques mots à M le ministre des finances.
En ce qui se rapporte au fond de la question, je me bornerai à prier la Chambre de jeter un coup d'œil attentif sur les articles 48 et 53 de la Constitution que M. le ministre des finances a cités tout à l'heure.
Oui, l'article 53 est formel. Il exige que l'élection pour le Sénat se fasse à raison de la population de la province, mais quant à l'article 48, il est évident qu'il ne consacre pas le système de M. le ministre des finances.
En effet, l'article 48 porte que les élections se font par telle division de province et dans tels lieux que la loi détermine ; il résulte évidemment du dernier membre de phrase que les élections peuvent se faire, même en dehors des divisions administratives des provinces, dans les lieux que la loi déterminera. (Interruption.)
En ce qui concerne le Sénat, il est certain que l'article 53 est impératif. Il consacre une règle formelle. L'article 48, au contraire, prévoit des éventualités toutes différentes. La subdivision de province, le lieu déterminé par la loi, c'est le district électoral, et je persiste à soutenir que, pour la Chambre, la base de la population doit être entendue par district électoral et non pas par province.
Je crois pouvoir invoquer une fois de plus la combinaison des articles 47, 48, 49 et 53 de la Constitution.
Il y a, messieurs, deux autres reproches qui me touchent plus profondément. L'honorable ministre des finances nous a accusé de feindre en quelque sorte une loi organique qui n'existe pas, afin de pouvoir l'alléguer et de repousser la proposition de l'honorable M. Orts, par esprit de parti.
Définissons d'abord bien nettement ce que c'est qu'une loi organique. Selon nous, messieurs, une loi organique est une loi à laquelle le législateur attache un caractère de stabilité et de durée et qui doit lier le législateur qui viendra après lui, aussi longtemps que la nécessité de la révision n'est pas démontrée. Eh bien, revenir sur la loi organique de 1856 avant que la première période décennale soit expirée, c'est manquer de respect pour l'œuvre du législateur précédent, et c'est compromettre vis-à-vis des législatures futures l'autorité même de vos décisions.
Quant au reproche d'être guidé par l'esprit de parti, il m'afflige plus profondément encore.
Il n'y a pas bien longtemps, messieurs, que tous réunis dans cette enceinte, voyant la Belgique si grande et si forte parce qu'elle était unanime, nous croyions que nous aurions pu marcher ensemble vers ce but commun de la prospérité du pays, sans nous jeter continuellement à la face ces expressions irritantes qui conduisent à la division et aux luttes. (Interruption.) C'est nous qui aurions introduit dans cette discussion l'esprit de parti ! C'est nous qui serions agités, dominés par l'esprit de parti !
L'esprit de parti, messieurs, nous l'avons rencontré dans la proposition de l'honorable M. Orts et je puis dire que personne dans cette assemblée ne regrette plus vivement que moi que l'esprit de parti doive servir de principe et de but à une loi qui modifie les bases de la représentation nationale. (Aux voix ! aux voix !)
- La discussion est close.
MpVµ. - Je vais mettre aux voix la proposition de M. Kervyn.
- Des membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
103 membres y prennent part.
39 membres répondent oui.
61 membres répondent non.
3 membres s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont voté l'adoption :
MM. Van Wambeke, Verwilghen, Wasseige, Coomans, Debaets, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Woelmont, Dumortier, Hayez, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Snoy, Rodenbaeh, Royer de Behr, Thibaut, (page 585) Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde et Van Overloop.
Ont voté le rejet :
MM. Vermeire, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeeroboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse et Ernest Vandenpeereboom.
Se sont abstenus :
MM. de Naeyer, de Theux et Jacobs.
MpVµ. - J'invite les membres qui se sont abstenus à faire connaître les motif de leur abstention.
M. de Naeyerµ. - On paraît d'accord pour reconnaître que la répartition des sénateurs doit se faire d'après la population de chaque province, c'est-à-dire que pour les sénateurs il doit y avoir une double répartition.
Il me semble donc qu'il est désirable d'adopter le même système pour la répartition des représentants, à moins qu'il n'y ait une disposition obstative dans la Constitution même. C'est parce que j'avais des doutes sur ce dernier point que j'ai signé l'amendement de l'honorable M. Kervyn. Je désirais la discussion ; or la discussion n'ayant pas dissipé entièrement mon doute, je crois devoir m'abstenir.
M. de Theuxµ. - Je me suis abstenu parce que, en toute circonstance j'ai admis le principe de la répartition par province et moyennant compensation. L'amendement de M. Kervyn, dans mon opinion, accorde un représentant de trop au Brabant, un représentant trop peu à la province de Liège. Quant aux Flandres, je suis entièrement d'accord avec l'honorable membre. J'applaudis aux sentiments si patriotiques qu'il a exprimés avec tant d'éloquence. Je me réserve de représenter l'amendement tel que je l'ai annoncé dans la discussion générale. Mais je dois dire que si je me trouvais dans l'obligation de voter entre le projet de la section centrale et celui de M. Kervyn, à raison de la situation particulière des Flandres, j'aurais voté pour celui de M. Kervyn.
M. Jacobsµ. - Je n'ai pas voté la proposition de M. Kervyn, parce qu'elle est contraire aux précédents que je considère comme une des garanties des minorités ; je n'ai pas voté contre cette proposition, parce que je n'ai pas voulu, même d'une manière indirecte, contribuer à faire adopter la proposition de M. Orts, qui me paraît contraire aux engagements solennellement pris.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui approuve la convention conclue le 11 mars dernier entre la Belgique et la Saxe et qui a pour but la garantie réciproque de la propriété artistique et littéraire et des marques de fabrique.
- Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères du dépôt de ce projet de loi qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l'examen des sections.
« Art. 1er. Le tableau annexé à l'article 55 de la loi électorale est modifié comme suit :
« Anvers.
« Arrondissement d'Anvers : Six représentants.
« Brabant.
« Arrondissement de Bruxelles : Treize représentants. Sept sénateurs.
« Arrondissement de Louvain : Cinq représentants.
« Hainaut.
« Arrondissement de Mons : Trois sénateurs.
« Arrondissement de Charleroi : Cinq représentants.
« Arrondissement de Thuin : Trois représentants.
« Liège.
« Arrondissement de Liège ; Huit représentant. Quatre sénateurs.
« Namur.
« Arrondissement de Philippeville : Deux représentants.
« Luxembourg.
« Arrondissement de Marche, Bastogne et Arlon : Deux sénateurs.
MpVµ. - La parole est à M. Dupont.
M. Dupontµ. - J'y renonce, M le président.
MpVµ. - La parole est à M de Theux.
M. de Theuxµ. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de voter d'abord la répartition des sénateurs et des représentants par province et d'inscrire cette répartition par province comme cela a eu lieu pour les lois de 1831, de 1847 et de 1859. Ce mode de procéder confirme l'article 53 de la Constitution.
Je propose donc d'attribuer :
« A la province d'Anvers 1 représentant.
« A la province de Brabant 1 sénateur, 2 représentants. »
(Il y a donc retranchement d'un représentant pour le Brabant.)
« A la Flandre occidentale, 1 représentant.
« A la Flandre orientale, 1 représentant.
Dans le Hainaut l sénateur et 1 représentant ; »
(Donc retranchement d'un représentant dans le Hainaut.)
« Dans la province de Liège 1 sénateur et un représentant ;
« Dans le Luxembourg 1 sénateur ;
« Dans la province de Namur 1 représentant. »
Après le vote sur cette question de principe, j'aurai l'honneur de proposer une sous-répartition entre les arrondissements.
L'amendement que j'ai l'honneur de proposer est pour moi le résultat d'une conviction profonde, conviction que j'ai exprimée dans le sein du Congrès national et que cette assemblée a partagée, que j'ai exprimée lors de la présentation de la répartition de 1847 que la Chambre a adoptée à l'unanimité et que le Sénat a adoptée à l'unanimité moins deux voix ; conviction que j'ai encore défendue lors du projet de 1859 quand il s'est agi de la répartition entre Mons et Charleroi.
En examinant la cinquième colonne du tableau imprimé à la suite du rapport de la section centrale, on trouve que le Brabant a un excédant, pour la Chambre et le Sénat réunis, de 169,170. Prenez 80,000 âmes pour un sénateur et 80,000 âmes pour deux représentants et vous trouverez que la province de Brabant n'a plus qu'un excédant de 9,170 âmes. La Flandre occidentale, au contraire, peut invoquer en plus, tant en raison de ma Chambre qu'à raison du Sénat, 39,876 âmes ; il n'est donc pas douteux que c'est la Flandre occidentale qui doit avoir le troisième représentant que la section centrale attribue au Brabant.
Le Hainaut a 156,388 habitants en plus que la population requise pour ses représentants et ses sénateurs actuels : 80,000 âmes pour un sénateur, 40,000 pour un représentant, voilà 120,000 âmes ; le Hainaut en ayant 136,588, il ne lui reste plus, après avoir obtenu un représentant et un sénateur qu'un excédant de 16,388 habitants.
La Flandre orientale a un excédant de 48,550 habitants, donnez-lui un représentant, et il lui reste encore 8,550 habitants d'excédant.
La Flandre occidentale présente, pour avoir un député de plus, un excédant de population de 39,876 âmes ; la Flandre orientale en présente un de 48,350 ; le Brabant n'a qu'un excédant de 9,170 âmes, avec un sénateur et deux représentants en plus, et le Hainaut reste avec un excédant de 16,000 âmes, avec un sénateur et un représentant en plus.
Donc, ni le Hainaut, ni le Brabant, ne peuvent contester le droit des deux Flandres à avoir les deux représentants que la section centrale donne au Brabant et au Hainaut.
Exposer ces chiffres, messieurs, c'est gagner sa cause, il s'agit, en réalité, d'un véritable partage de famille politique ; il s'agit d'un partage vrai, entre plusieurs provinces, des nouveaux représentants, car, d'après l'article 53 de la Constitution, c'est par province que la répartition doit se faire.
Or, si vous attribuez 3 représentants au Brabant et 2 au Hainaut, vous violez de la manière la plus formelle le principe de l'équité.
L'honorable M. Kervyn a fait valoir les justes prétentions des Flandres. Je dois reproduire ici cette pensée que les droits des Flandres sont fondés non seulement sur le droit et sur l'équité, mais encore sur d'autres considérations très puissantes et qu'une assemblée politique ne doit pas méconnaître.
Les Flandres, messieurs, ont souffert gravement dans leurs principales industries, tandis que le Brabant et le Hainaut ont prospéré d'une (page 586) manière extraordinaire, et c'est à cette grande prospérité que, contre tout droit, coutre toute équité, vous leur donnez une représentation qui ne leur appartient pas. Je ne saurais protester trop énergiquement contre un pareil système. Et ici, messieurs, je dois un mot de réponse à M. le ministre des finances.
Revenant sur la critique que nous avons faite au sujet de la loi de 1856, il a dit : Mais cette loi était si peu nécessaire qu'il n'est pas même venu à la pensée de M. le ministre de l'intérieur en 1847 (ce ministre c'était moi), quand il a fait la première proposition de loi de répartition, de proposer le système que nous soutenons aujourd'hui. Il a ajouté que l'honorable M. de Decker n'y avait pas songé davantage.
Mais, messieurs, je le demande, est-ce là un argument sérieux ?
Comment ! l'honorable M. de Decker accepte avec empressement un amendement proposé par un membre de l'opposition.
Ce membre proposait de décréter que la révision sera la conséquence du recensement décennal et cet amendement était basé sur ce principe de raison qu'il ne faut point à chaque instant occuper la législature de changement entre les provinces, parce que ce serait une source d'embarras continuels et de difficultés.
Et aujourd'hui quand nous soutenons, autant qu'il est en notre pouvoir, ce principe que le ministère de 1856 a admis, cette proposition émanant de l'opposition (ce qui, soit dit en passant, est une preuve que ce ministère ne s'obstinait pas à refuser ce qui lui paraissait juste), ce sont ceux mêmes que jadis soutenaient l'utilité de la loi de 1856 qui maintenant sont les premiers à la violer.
Messieurs, je crois n'avoir rien de plus à dire pour justifier mon amendement.
J'ajouterai seulement que si le projet de la section centrale était adopté, j'aurais une proposition à faire quant à la sous-répartition.
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, il faut en finir de ces accusations sans cesse renouvelées quant à une prétendue violation du principe déposé dans la loi de 1856.
Déjà, messieurs, nous avons eu l'occasion, dans la discussion de la loi de 1859, d'expliquer quelle était la portée de la disposition qu'on rappelle sans cesse. En 1856, que s'est-il passé ? Est-ce que le ministère d'alors a songé à faire une loi organique, relative à la répartition des membres de la Chambre et du Sénat ? Nullement, messieurs ; c'est tout à fait accidentellement et accessoirement, qu'il est question, dans la loi de 1856, de la répartition des membres des Chambres législatives.
La loi de 1856 n'avait qu'un but ; c'était de régler les conditions du recensement général ; elle prescrivait certaines précautions, elle édictait certaines peines. Elle n'avait qu'un but ; le recensement général. Voilà toute la loi de 1856 telle qu'elle était émanée du gouvernement.
Mais, en examinant le projet en section centrale, des membres de l'opposition qui, dès avant 1846, avaient demandé au nom de la Constitution une nouvelle répartition des membres de la Chambre, ces membres-là voyant qu'on avait laissé passer dix années sans faire de nouvelle répartition, prirent la précaution d'introduire dans cette loi de recensement général une disposition par laquelle il était stipulé que le recensement servirait de base à de nouvelles répartitions.
Mais, messieurs, il a été dit dans la discussion même d'alors, il a été répété à satiété dans les discussions qui ont eu lieu en 1859 que les auteurs de cette proposition n'avaient en aucune façon voulu lier le législateur ; il a été entendu qu'à des époques plus rapprochées et il serait permis de faire une nouvelle répartition proportionnelle à l'augmentation de la population.
Nous avons dit : Nous ne pouvons pas répondre des progrès du pays ; si ces progrès sont tels qu'au bout de cinq ans, par exemple, l'accroissement de population motive sérieusement une augmentation des membres des Chambres, on fera cette répartition. Sans vouloir des changements trop fréquents, nous n'entendons pas cependant enchaîner l'avenir.
Voilà ce qui a été constamment répété, ce qui a été adopté par tout le monde sans en excepter les auteurs mêmes de la loi de 1856, dont l'honorable M. de Theux vient de faire l'éloge peu mérité, me semble-t-il, puisque cette loi n'a pas même été exécutée par ceux qui en avaient accepté les dispositions.
Le devoir du ministère de 1856 c'était, après le recensement de décembre, de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi introduisant une nouvelle répartition en vertu de ce recensement ; mais il ne l'a pas fait.
Celte loi prétendument organique a donc été méconnue par ceux-là mêmes qui l'avaient acceptée. (Interruption.) Le recensement de 1856 était terminé à la fin de cette année ; on pouvait donc parfaitement déposer un projet de loi, au commencement de 1857, qui aurait augmenté le nombre des législateurs en raison de l'augmentation de la population constaté par le recensement. On ne l'a pas fait. Et pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? On a trouvé bon de soumettre à la Chambre une autre loi, une loi politique ; mais on a négligé d'exécuter la loi de 1856 ; pourquoi n'étiez vous pas pressés de nous faire les propositions prévues par cette loi ? Le temps ne vous a pas manqué. Le recensement a été terminé en décembre 1856 ; on pouvait donc, je le répète, faire la loi et la déposer entre le mois de janvier et la fin de la session. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? Par les mêmes raisons et pour les mêmes intérêts qu'on invoque aujourd'hui pour résister à la loi actuelle.
Il arrive, messieurs, que dans le pays, partout où la population se développe avec le travail, ce développement a lieu au profit des intérêts modernes, de l'opinion nouvelle, en un mot de l'opinion libérale. C'est un résultat dont nous ne sommes ni coupables, ni responsables, mais, je veux bien le reconnaître, nous en profitons.
Ce sera toujours la même chose. Je suppose que nos adversaires fassent ajourner la répartition cette année ; quand ils auront gagné un an, seront-ils plus avancés ? Nos gains accumulés par le temps seront plus considérables, le nombre des électeurs libéraux s'accroissant incessamment ; c'est une loi fatale pour l'opinion contraire, mais c'est une loi contre laquelle ni vous ni nous ne pouvons rien.
Aujourd'hui, vous avez encore une part dans la répartition qui est proposée par le projet de loi en discussion.
D'après cette répartition, il y aura au moins deux districts, peut-être trois où vous triompherez. Mais, plus vous tarderez à vous associer au vote de ces lois, plus nous gagnerons ; plus la population s'accroîtra, plus l'opinion libérale, l'opinion qui représente les intérêts nouveaux, les idées nouvelles, se développera dans le pays. Voilà la situation. A votre place, me plaçant au point de vue de votre intérêt, je me hâterais de voter cette loi, car plus tard vous serez encore plus maltraités par les progrès du temps et la force inexorable des choses.
M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères vient de s'exprimer à peu près ainsi :
« Votez la loi, c'est ce que vous pouvez faire de mieux ; plus tard vous serez dans une condition bien pire. »
Messieurs, que demande la droite ? Elle ne demande qu'une seule chose : la justice. Si le corps électoral lui donne tort, elle acceptera son verdict : c'est ce que vous ne savez jamais faire ; la droite pourra rester minorité.
Mais quelle est votre situation à vous ? Vous ne pouvez devenir minorité, et pour ne pas le devenir, vous recourez à des lois dictées par l'esprit de parti.
« Votez la loi, nous dit M. le ministre des affaires étrangères ; c'est ce que vous pouvez faire de mieux, plus tard il vous arrivera bien pis. »
Je réponds à cela : Vous préjugez l'opinion publique ; vous savez très bien que si la pression ministérielle ne s'exerçait pas, la majorité actuelle n'existerait plus dans trois mois. La minorité d'aujourd'hui deviendrait la majorité, et celle-ci viendrait alors vous proposer une loi, non pas formulée dans des vues de parti, mais dictée par l'esprit de justice et d'égalité, une loi qui respecterait les principes les plus sacrés. (Interruption.)
Oui, vous faites une loi de parti, vous l'avez reconnu vous-mêmes. Vous faites une loi de parti ; et quand vous proclamez vous-mêmes que vous faites une loi de parti, nous convier à la voter, n'est-ce pas ressembler quelque peu à cet homme qui, nanti de la bourse d'autrui, crie au volé : Laissez passer le voleur !
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. de Theux est revenu sur ce qu'il appelle une répartition plus équitable des représentants. L'honorable membre fait ce raisonnement : « Il y a des provinces qui prospèrent, qui se développent en population et en richesse ; il en est d'autres qui n'ont pas le même avantage, et je viens, par compensation, vous proposer d'attribuer à ces dernières une part dans la répartition qu'il s'agit d'opérer. »
Voici ce que je me permettrai de répondre à l'honorable M. de Theux : Le développement de la population et de la richesse entraîne des charges. Or, le système de l'honorable membre consiste en ceci : les uns auront les charges et les autres auront la représentation. (Interruption.)
Je vais en fournir incontinent une preuve. Nous nous occupons en ce moment même d'une révision des évaluations cadastrales ; elle constate qu'il y a un dégrèvement à accorder aux Flandres. Comme conséquence, (page 587) il faudra répartir ce dégrèvement en charges nouvelles sur d'autres provinces. Eh bien, l'honorable M. de Theux dit qu'il est juste que ces autres provinces payent, et que les Flandres aient les représentants qui reviennent à ces mêmes provinces. (Interruption.)
Voyons maintenant comment procède l'honorable M. de Theux pour appliquer cet ingénieux système.
Pour arriver à la proposition qu'il vient de développer, l'honorable M. de Theux s'est livré aux calculs les plus incroyables qui se puissent imaginer. Il additionne ou il fait des soustractions en combinant des unités absolument différentes les unes des autres.
Il opère avec des 40 millièmes d'une part, avec des 80 millièmes d'autre part, et il trouve que le résultat de cet amalgame se traduit en unités. (Interruption.) Et de ce beau calcul, il tire des conclusions qu'il appelle justes et raisonnables ! En d'autres termes, l'honorable M. de Theux fait la singulière opération suivante : il prend d'un côté 25'grains de froment et de l'autre 25 grains d'avoine, supposés valoir moitié moins ; il additionne, et il prétend que cela donne cinquante ! mais cinquante... quoi ?
- Des membres. - 50 grains.
MfFOµ. - Oh oui, cela fait en effet cinquante grains ; mais 50 grains d'avoine ou de froment ? L'honorable M. de Theux n'en sait rien, mais pourvu qu'il ait 50, cela lui suffit. (Interruption.)
Messieurs, le système de l'honorable membre est tellement insoutenable, qu'il recule lui-même devant son application, devant ses conséquences. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple entre bien d'autres que je pourrais citer l'honorable M. de Theux ; il veut attribuer un représentant à la province de Namur pour un excédant qu'il dit être de 22,268 habitants, après avoir combiné comme je l'ai indiqué les excédants pour le Sénat et pour la Chambre, c'est-à-dire des populations qui représentant dans un cas des 80 millièmes, dans l'autre, des 40 millièmes. Mais il n'ose pas donner ce représentant au Limbourg, qui, d'après ses propres calculs, y aurait un droit incontestable, puisqu'il trouve dans cette dernière province un excédant de population de 39,386 habitants, c'est à-dire supérieur de 77 p. c. à celui qu'il constate dans la province de Namur.
Pourquoi donc l'honorable M. de Theux recule-t-il devant les conséquences de son propre système, système manifestement erroné, reposant sur un faux calcul ? Parce qu'il se trouve que la province de Limbourg a même un déficit de 307 habitants pour atteindre le chiffre complet de population nécessaire pour sa représentation à la Chambre, et que l'honorable M. de Theux s'est aperçu qu'en appliquant son propre système logiquement, dans toutes les conséquences de son erreur, il allait attribuer un représentant de plus à une province qui a un déficit pour la Chambre.
M. de Theuxµ. - Mais non.
MfFOµ. - Mais certainement, 1 y a un déficit.
M. Thonissenµ. - Et pour le Sénat ?
MfFOµ. - Pour le Sénat, il y a un excédant, sans doute ; mais que signifie cet excédant lorsqu'il s'agit d'attribuer un représentant dans cette Chambre ?
M. Thonissenµ. - Nous combinons les deux chiffres.
MfFOµ. - Il est possible que l'honorable M. Thonissen s'imagine que l'on puisse rationnellement combiner des 40 millièmes avec des 80 millièmes, des grains de froment avec des grains d'avoine. Mais l'honorable M. de Theux qui, lui, a réalisé cette combinaison impossible, et qui est arrivé ainsi à constater pour la province de Namur un excédant total de 22,268 seulement, et pour le Limbourg un excédant beaucoup supérieur, puisqu'il est de 39,386, M. de Theux, dis-je, a reculé devant l'application complète de son propre système, et il a donné la préférence à la province de Namur ; c'est-à-dire que l'honorable M. de Theux a fait purement et simplement une répartition arbitraire, et prononcé ainsi lui-même la condamnation de ses propositions. (Interruption.)
L'honorable membre a agi d'une manière identique à l'égard d'autres provinces, pour celle d'Anvers entre autres.
Si le système imaginé par l'honorable membre était susceptible de recevoir son application, le Limbourg l'emporterait même sur la province d'Anvers pour l'obtention d'un représentant, puisque l'excédant de population qu'il y constate n'est que de 36,146 habitants, inférieur par conséquent de 3,240 à celui qu'il a trouvé dans le Limbourg.
Examinez, messieurs, les calculs établis dans le tableau joint au rapport de la section centrale, et les conclusions que l'on en a tirées ; vous constaterez les plus étranges, les plus inexplicables contradictions. En définitive, l'honorable M. de Theux soumet à la Chambre des propositions sans base ; il est illogique même dans son erreur. II vous dit simplement ; Décidez cela, parce que cela me paraît bon ! Eh bien, je dis que c'est faire de l'arbitraire, c'est-à-dire ce qu'il y a de plus dangereux en pareille matière.
Je vous ai fait voir rapidement, messieurs, ce que valaient les chiffres sur lesquels l'honorable M. de Theux appuie sa proposition. Leur examen détaillé exigerait d'assez longs développements. Mais je ne veux pas m'y arrêter davantage.
Je veux examiner brièvement, au point de vue des principes et de la Constitution, le système qui est préconisé par l'honorable membre. Je dis que ce système est absolument inconstitutionnel.
Il doit être repoussé par la même et identique raison que nous avons fait valoir tout à l'heure contre la proposition de l'honorable M. Kervyn. On ne peut, sans porter atteinte à une prescription formelle de la Constitution, attribuer à une province le représentant ou le sénateur d'une autre province. Il faut que les circonscriptions provinciales soient respectées. C'est d'ailleurs l'opinion de l'honorable M. de Theux lui-même. Or, s'il en est ainsi, vous ne pouvez établir des compensations de province à province.
M. Delcourµ. - Le Congrès l'a fait.
MfFOµ. - Du tout. L'honorable M. de Naeyer, qui a soutenu plus d'une fois le système des compensations, dans certaines limites, s'en est exprimé très nettement. D'après l'honorable M. de Naeyer lui-même, c'est bien par province qu'il faut ainsi compter.
Il le disait dans la séance du 8 avril 1859, en expliquant ce que pouvait être le système des compensations.
Voici l'opinion de l'honorable membre sur cette question :
« Il ne faut pas qu'un même arrondissement obtienne tout à la fois un représentant pour une fraction de population et un sénateur pour une fraction de population, lorsque, dans la même province, des excédants de population à peu près équivalents seraient négligés tout à la fois dans la répartition des représentants et dans la répartition des sénateurs. »
Et après avoir cité des exemples d'application de cette règle, M. de Naeyer, exprimant la réponse qui avait été faite aux arrondissements qui se disputaient pour étendre leur représentation, ajoutait encore ces paroles significatives : « On leur a dit : Vous avez déjà un sénateur pour une population inférieure à 80,000 habitants ; l'équité ne permet pas de vous accorder en outre un représentant pour une population inférieure à 40,000 habitants, alors que, dans la même province, un autre arrondissement n'obtiendrait ni représentant ni sénateur, pour un excédant de population qui n'est que peu inférieur... »
M. de Naeyerµ. - Il s'agissait de la sous-répartition.
MfFOµ. - Sans doute il s'agissait alors de la répartition dans les arrondissements. Mais vous expliquiez ce qu'était le système des compensations, et vous l'appliquiez dans la même province. Votre expression : « dans la même province », était parfaitement inutile, si vous n'aviez entendu faire comprendre ainsi que ce système ne pouvait s'appliquer d'une province à une autre.
Eh bien, je dis que la raison est, aujourd'hui, la même ; et en effet, aux termes de la Constitution, et comme nous l'avons prouvé tout à l'heure, la représentation de la Chambre doit être en harmonie avec celle du Sénat, et respectivement.
Or, cette harmonie ne peut exister avec un système qui attribue un sénateur à une province et un représentant à une autre province. Si vous consultez la répartition telle qu'elle existe aujourd'hui, vous trouvez un certain nombre de provinces qui ont 20 représentants et 10 sénateurs, ou 16 représentants et 8 sénateurs, ce qui est parfaitement constitutionnel. Si la même proportion n'existe pas entre toutes les provinces, c'est à raison des fractions ; mais la tendance est de se rapprocher toujours de cette base qui est la seule impartiale. Si l'on adoptait le système des compensations entre les circonscriptions provinciales, il arriverait que des représentants ou des sénateurs seraient attribués à une province, au détriment d'autres provinces qui y ont droit, ce qui serait manifestement contraire au texte de la Constitution.
M. de Theuxµ. - L'honorable ministre des finances dit que je veux imposer des charges aux provinces qui ont prospéré, et que je veux, en sens inverse, attribuer les représentants à des provinces qui n'ont pas prospéré.
Pour les contributions chacun payera en raison de ce qu'il possède, ou en raison de ce qu'il consomme, s'il s'agit d'impôts de consommation.
(page 588) Mais ce que j'ai dit quant aux provinces qui ont prospéré matériellement, c'est une raison surabondante d'équité que j'ai fait valoir. Mais ce n'est pas là-dessus que j'ai basé ma proposition.
J'ai basé ma proposition sur le chiffre de la population, et je dis qu'il est impossible d'attribuer au Brabant, pour un faible excédant, un représentant, et de le refuser à la Flandre orientale qui a un fort excédant, de donner au Hainaut, pour un faible excédant de population, un représentant et de le refuser à la Flandre occidentale qui a un excédant beaucoup plus considérable.
Donc toute mon argumentation est fondée sur le principe de la population. Je n'ai fait valoir les autres considérations que pour corroborer mon argumentation, mais pas du tout comme un argument de fond.
M. le ministre des finances attaque la sous-répartition que je me propose de présenter entre les divers arrondissements. Mais ce sont deux questions distinctes. Décidons d'abord la répartition entre les provinces, conformément aux principes du Congrès, de la Constitution elle-même et des lois subséquentes, de la loi de 1847 qui, je dois le répéter pour la troisième fois, a été adoptée à l'unanimité par la Chambre, et à l'unanimité, moins deux voix, par le Sénat. (Interruption.) Je dis qu'il serait véritablement singulier d'attribuer à la province de Limbourg un représentant, alors que cette province a un léger déficit pour ses cinq représentants.
Quant à la sous-répartition dans les deux Flandres, comme il ne s'agit que de représentants, on ne peut donner un représentant à Gand pour 16,102 d'excédant, alors qu'Alost a 26,900 d'excédant, ainsi presque les trois quarts des 40,000, ni à Bruges pour un excédant de 5,061, alors que Courtrai en a 20,343. Pour ces deux motifs, la compensation ne peut être faite du chef des excédants pour le Sénat. Il n'y a donc aucune contradiction dans mon système, aussi rationnel qu'il est équitable.
Si la Chambre adopte la répartition pour la province, ce sera à elle de fixer la sous-répartition et d'examiner si celle que je propose est bonne. Si elle trouve de meilleures bases, elle les adoptera.
- La clôture est demandée.
MpVµ. - La parole est à M. de Naeyer sur la clôture.
M. de Naeyerµ. - Je crois qu'il est parfaitement inutile de parler contre la clôture, je me soumets à la décision de la Chambre. La seule chose que je pourrais dire contre la clôture, c'est que je désire parler.
- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Mullerµ. - Laissez parler M. de Naeyer, on prononcera la clôture après.
MpVµ. - Si l'on n'insiste pas sur la demande de clôture, la parole est à M. de Naeyer.
M. de Naeyerµ. - Je vous remercie, messieurs, de votre bienveillance ; je n'abuserai pas des moments de la Chambre.
Messieurs, avant tout je tiens à placer la question sur le terrain de la justice. On a eu l'air de dire que nous demandons une faveur, un privilège pour les Flandres, que nous réclamons le bénéfice de la représentation en laissant aux autres le fardeau des charges publiques.
Messieurs, il n'en est rien, nous demandons uniquement de ne pas être traités en parias, nous demandons de participer aux bienfaits du droit commun et je vais le prouver par des chiffres.
Parcourez le tableau de répartition, présenté par la section centrale, et qu'y verrez-vous ? C'est qu'il n'y a aucune province où l'on néglige tout à la fois les excédants pour le Sénat et les excédants pour la Chambre, il n'y a aucune province où l'on procède ainsi si ce n'est pour les Flandres.
Voilà la position qu'on nous fait par suite d'une théorie qu'on veut appliquer rigoureusement pour la première fois et que j'appellerai brutale parce qu'elle va toujours en avant sans s'inquiéter des anomalies et des conséquences injustes qu'elle produit.
M. Orts. - Les chiffres sont toujours brutaux.
M. de Naeyerµ. - C'est pour cela qu'ils ont besoin d'être raisonnes et combinés afin d'être mis en harmonie avec les principes d'équité et de justice.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ici la justice est dans la brutalité des chiffres.
M. de Naeyerµ. - Oui, quand vous les prenez dans leur ensemble en tenant compte des deux éléments de la représentation nationale, mais non quand vous les considérez isolément, parce qu'alors ils vous conduisent à un régime de privilèges et de faveurs réellement révoltant.
Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de le dire ; lorsque le nombre des sénateurs sera fixé à 62 et celui des représentants à 124, vous n'aurez plus dans tout le pays que 124,000 habitants qui ne seront représentés ni à la Chambre ni au Sénat. Or, d'après la répartition qu'on veut nous faire voter, la Flandre orientale seule compterait 24,000 habitants qui n'auraient de représentation ni à la Chambre ni au Sénat ; c'est donc sur cette province seule que vous faites peser l'insuffisance de représentation pour tout le pays. Ajoutez, en outre, que près de 20,000 habitants de la Flandre occidentale seront également privés de toute représentation tant à la Chambre qu'au Sénat, ce qui vous donne pour les deux Flandres un total de 41,000 habitants, alors que pour tout le pays cette absence de représentation ne s'applique qu'à 24,000 habitants, et dites-moi s'il n'est pas clair comme le jour que nous sommes mis hors du droit commun.
Mais, nous dit l'honorable ministre des finances, la Constitution s'oppose à ce qu'il en soit autrement. Singulière interprétation de la Constitution qui proclame si hautement l'égalité de tous les Belges devant la loi ! Vous dites que les membres de la représentation nationale doivent être répartis d'après la population de chaque province. Soit, mais par quelle étrange logique prétendez-vous en conclure qu'une population incomplète, insuffisante pour conférer un droit, doit être comptée fatalement deux fois pour servir de base à un double privilège. Vous nous reprochez de vouloir attribuer à une province une partie de la population des autres provinces ; eh bien c'est vous qui procédez de cette manière, c'est vous qui pratiquez ce système exorbitant sans réciprocité.
Quand vous accordez à une province un sénateur pour une population de moins de 80,000 habitants ou un représentant pour moins de 40,000 habitants, en réalité, vous comptez à son profit la population des autres provinces, car sans cela vous seriez en opposition avec la Constitution. Ainsi ces 44,000 habitants des Flandres que vous laissez sans représentation à la Chambre e .au Sénat, vous les attribuez implicitement aux provinces de Brabant et de Hainaut. Le système exclusif des plus forts excédants a été parfaitement défini par un de ses partisans. C'est, disait-il, le droit des plus forts excédants d'absorber les excédants inférieurs. Or, n'est-il pas évident que cette absorption exercée sans réciprocité, sans compensation aucune a pour conséquence immanquable de rompre l'égalité constitutionnelle entre les provinces et de donner à la population de l'une une importante représentative, exagérée à l'égard de la population de l'autre ?
Permettez-moi d'établir sous ce rapport une comparaison entre le Brabant et la Flandre orientale en ce qui concerne le droit de nommer un représentant. Quel est votre excédant de population pour le Brabant ? 24,585, c'est-à-dire 61 p. c. d'un droit absolu ; la Flandre orientale a un excédant de 24,175, c'est-à-dire 60 p. c. d'un droit absolu, voilà la différence en ce qui concerne la Chambre des représentants ; c'est une fraction de 1 p. c. d'un droit absolu. Mais voyons maintenant quelle est la position quant au Sénat.
Ici le Brabant est en déficit de plus de 15,000 habitants, il est privilégié jusqu'à concurrence de 20 p. c, tandis que la Flandre orientale a un excédant non représenté au Sénat de plus de 24,000 habitants et par conséquent il y a, pour cette province, une insuffisance de représentation qui se traduit par 30 p. c. d'un droit absolu, et si dans ces conditions vous approuvez le projet de la section centrale en attribuant le représentant au Brabant, au mépris des titres qui militent en faveur de la Flandre, direz-vous que vous faites la répartition d'après la population des provinces ?
Je dirai moi que vous exagérez l'importance de la population d'une province en infligeant à la population de l'autre une humiliante infériorité.
Il est évident que pour éviter ces inégalités qui révoltent, il est indispensable d'admettre un système de compensation combiné de manière que les excédants de population, quand ils sont sensiblement égaux, ne soient pas négligés doublement d'un côté et comptés deux fois de l'autre. Aussi dans toutes les répartitions qui ont eu lieu, jusqu'ici, ce système a été pratiqué dans une certaine mesure.
Il a été admis en 1831, l'honorable M. Orts lui-même l'a reconnu. En 1847 il l'a été en faveur de Termonde et en faveur de Verviers. Et il ne s'agissait pas là de petites différences de 1 p. c., il s'agissait de différences plus considérables de 5 ou 6 p. c. Il en a été encore de même en 1859.
C'est grâce à un système de compensation que Charleroi a obtenu alors la nomination d'un sénateur à raison d'une population de 20,000 âmes, eh bien, jamais l'application du même système n'a été demandée dans des conditions aussi favorables que celles que je viens de faire connaître relativement au Brabant et à la Flandre orientale.
Je le répète, quant aux titres qui peuvent être invoqués de part et d'autre, il n'y a qu'une différence insignifiante de 1 p. c. et déjà pour le (page 589) Sénat le Brabant est privilégié jusqu'à concurrence de 20 p. c, tandis que notre insuffisance de représentation s'élève à 30 p, c. d'un droit absolu.
Refuser, dans ces conditions, d'admettre le système de compensation et créer ainsi pour nos Flandres la situation injuste et inique que j'ai signalée, cela est impossible. Il n'y a véritablement pas moyen de trancher cette question contre nous ; aussi j'ai à cet égard pleine confiance dans la Chambre.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. de Naeyer persiste à soutenir qu'il y a injustice dans la répartition proposée par la section centrale, et il a été jusqu'à dire que cette injustice est commise au préjudice des populations flamandes. Voilà le thème de l'honorable membre.
Si cette injustice existe, ce que nous verrons tout à l'heure, je dis qu'elle a existé au préjudice des provinces wallonnes, aussi longtemps qu'Audenarde, par exemple, a eu un représentant provenant des excédants des autres provinces. Cela est-il vrai, oui ou non ? (Interruption.) Voilà pour ce qui concerne votre accusation d'injustice au point de vue flamand.
Mais qu'est-ce, au point de vue wallon ou flamand, que la question qui nous occupe ? De quoi s'agit-il ? De savoir si vous prendrez un représentant à l'arrondissement de Louvain, flamand et catholique, pour le donner à l'arrondissement d'Alost, aussi flamand et catholique (interruption), ou à tout autre arrondissement des Flandres, si vous l'aimez mieux. Je ne cite pas Alost pour faire une personnalité, mais pour démontrer à l'honorable M. de Naeyer que son allégation n'est pas fondée, et que les populations flamandes ne sont nullement sacrifiées. Maintenant au point de vue de l'intérêt de parti...
M. de Naeyerµ. - Je n'en ai pas parlé.
MfFOµ. - Non, mais vos amis ont cherché à faire croire que la loi en discussion était inspirée par un intérêt de parti. (Interruption). On l'a dit, et c'est à cela que je réponds. (Nouvelle interruption). Mais vous ne vous apercevez donc pas qu'au point de vue de l'intérêt de parti, la combinaison contre laquelle vous protestez nous serait parfaitement indifférente ?
M. Coomans. - Nous n'en savons rien.
MfFOµ. - Il n'y a donc ici ni Flamands sacrifiés aux Wallons, ni intérêt de parti à faire prévaloir : voilà qui est manifeste. Maintenant, qu'a-t-on opposé au système de compensation de province à province que l'honorable M. de Naeyer veut faire prévaloir aujourd'hui, contrairement à son opinion d'autrefois ? On a dit qu'il n'était pas conforme à la Constitution. Or, l'honorable membre a jugé prudent de glisser complètement sur l'objection. Il ne l'a pas rencontrée. Je lui demanderai donc encore une fois comment il appliquera la prescription constitutionnelle qui exige la répartition par province, dans le système qu'il préconise ? Il ne nous l'a pas dit, et il ne le pourrait pas ; cette prescription serait sans l'application possible dans son système. .
D'ailleurs, messieurs, la proposition de l'honorable M. de Naeyer constituerait une innovation contraire à tout ce qui a été pratiqué jusqu'à présent.
M. de Naeyerµ. - Ce que je demande a été fait en 1831.
MfFOµ. - En 1831 ? Je ne sais dans quelle circonstance on a pu faire une compensation de province à province à cette époque. Je ne puis le nier, puisque je n'ai pas vérifié le fait ; mais, quoiqu'il en soit, ce système est parfaitement contraire à tout ce qui a été pratiqué depuis 1831, si vous voulez. (Interruption.)
Votre système doit avoir pour conséquence le remaniement de la représentation des arrondissements ; sans cela il serait inique. Mais, si vous l'entendez ainsi, vous reconnaissez vous-même qu'il n'est pas conforme à la Constitution : vous retombez dans le système de M. Kervyn, qui a été repoussé tout à l'heure par la Chambre à une grande majorité.
MpVµ. - Il y a encore trois orateurs inscrits.
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. de Naeyerµ. - Il s'introduit ici un usage qui ne me paraît pas conforme à mes prérogatives parlementaires. C'est que les discussions sont presque toujours closes immédiatement après un discours de ministre. Je considère comme un devoir de protester contre cet usage.
MpVµ. - Insiste-t-on pour la clôture ?
- De toutes parts. - Non, non.
MpVµ. - La parole est à M. Dumorlter.
M. Dumortier. - Je n'ai qu'un mot à dire.
M. le ministre des finances s'appuie toujours sur le système des compensations. Eh bien, je vais démontrer à la Chambre que ce système, quand il est absolu, mène à l'absurde. Que voyons-nous dans le tableau qui nous a été présenté ? L'arrondissement d'Anvers a un droit absolu à un représentant à raison de son excédant de 43,000 habitants, mais dans la même province l'arrondissement de Turnhout a un déficit de 12,000 habitants.
Supposons un instant que l'arrondissement de Malines ne donne pas d'excédant ou donne un déficit, à quel résultat arriveriez-vous avec votre répartition par province ? A ce résultat qu'Anvers qui a un droit ipso facto à un député en plus n'en obtiendrait même pas. N'ai-je donc pas raison de dire que ce système, quand il est absolu, mène à l'absurde ?
MfFOµ. - Du tout, c'est une erreur.
M. Dumortier. - Vous ne m'avez pas compris. Il peut arriver qu'un arrondissement ayant un excédant de 43,000 âmes et d'autres ayant un déficit, la province n'aurait plus d'excédant et que vous refuseriez ainsi à cet arrondissement le représentant auquel il aurait droit.
Voilà où vous arrivez avec votre système absolu. Il conduit à l'absurde.
Il n'y a qu'un système possible, c'est celui des compensations sagement raisonnées. Il n'y en a pas d'autre et certainement vous ne pouvez faire que la Flandre occidentale, qui a un si grand excédant, soit privée de représentant.
L'honorable ministre des finances a invoqué le déficit d'Audenarde, mais il se garde de dire qu'Audenarde a un excédant de 24,000 habitants non représentés pour le Sénat.
Avec votre système, savez-vous où vous arriverez ? Vous arriverez à ce résultat que les populations manufacturières auront dorénavant tous les représentants, que les populations agricoles n'en auront pas et que vous créerez deux catégories ; l'une qui aura toujours droit aux augmentations, l'autre qui n'y aura jamais droit.
- La clôture est prononcée.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'amendement de M. de Theux.
104 membres y prennent part.
45 répondent oui :
59 répondent non :
En conséquence la Chambre n'adopte pas.
Ont voté pour :
MM. Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, David, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Woelmont, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde et Van Overloop.
Ont voté contre :
MM. Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabalier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse et Ernest Vandenpeereboom.
M. de Theuxµ. - Messieurs, j'ai annoncé qu'après le vote de la Chambre quel qu'il fût, j'aurais encore un amendement à présenter. Cet amendement concerne Liège et Verviers. Je propose d'attribuer le sénateur à Verviers et le représentant à Liège. Liège n'ayant que le représentant aurait un excédant de population de 41,552 âmes. Verviers au contraire en n'obtenant rien aurait un excédant de 68,200 âmes qui ne serait pas représenté.
Dans mon opinion il est impossible d'admettre une pareille théorie.
Messieurs, lors de la répartition de 1859, il s'est élevé un débat entre Mons et Charleroi. Mons pouvait avoir le sénateur sans le système de compensation. La Chambre a commencé par l'attribuer à Mons.
M. Mullerµ. - C'est inexact.
M. de Theuxµ. - C'est très exact. Mais le Sénat a réformé la décision de la Chambre. Il a donné le sénateur à Charleroi et après le vote, du Sénat la Chambre a adopté l'amendement du Sénat.
(page 590) Voilà ce qui s'est passé. Les honorables MM. Pirmez et Sabatier ont défendu cette thèse et leur opinion a triomphé au Sénat, Je n'en dirai pas plus ; la Chambre en décidera.
- L'amendement est appuyé.
M. Dupontµ. - Je suis extrêmement surpris de voir se produire l'amendement que vient de déposer l'honorable comte de Theux.
J'ai le droit d'en être d'autant plus étonné qu'il prétend l'appuyer sur le système des compensations qui vient d'être repoussé par la Chambre : il me semble que le vote que nous avons émis, en excluant les compensations entre les provinces, a pour conséquence de les exclure entre les arrondissements : c'est là une conséquence logique de notre décision.
Quoi qu'il en soit, il est étrange que l'honorable membre prenne avec tant d'intérêt la défense de l'arrondissement de Verviers et vienne proposer, sous prétexte d'équité et de justice, d'enlever à l'arrondissement de Liège une partie de la représentation à laquelle il a droit : car, l'amendement qu'il soumet à la Chambre est en contradiction manifeste avec la répartition qu'il avait faite entre les arrondissements des Flandres des deux députés attribués par le projet de loi aux provinces de Brabant et de Hainaut.
En expliquant le système des compensations, M. de Theux avait déclaré qu'à son avis l'on devait accorder l'un de ces députés à l'arrondissement de Courtrai et l'autre à l'arrondissement d'Alost, comme le proposait M. de Naeyer.
Or, comme on l'a déjà fait remarquer, les chiffres du tableau qui nous a été distribué au nom de la minorité de la section centrale démontrent que Bruges possède des droits bien supérieurs à ceux de Courtrai ; mais il y a plus. C'est que M. de Theux préférait, au nom de l'équité, l'arrondissement d'Alost à celui de Gand. Il y a cependant entre la situation de l'arrondissement d'Alost vis-à-vis de l'arrondissement de Gand et celui de l'arrondissement de Liège vis-à vis de celui de Verviers une parfaite identité. L'arrondissement d'Alost a une population de 144,900 habitants ; sa population grandit dans une proportion moindre qu'à Gand. Il a un droit absolu à un sénateur avec un excédant de 64,000 habitants et à trois représentants avec un excédant de 24,000 habitants. Déjà il a obtenu avec cet excédant un sénateur et la droite entière, d'accord avec M. de Theux, veut encore lui donner un représentant, de sorte qu'Alost aura un représentant et un sénateur avec des excédants respectifs de 24,000 et de 64,000 habitants ! L'honorable membre lui sacrifie l'arrondissement de Gand, qui a un excédant de 16,000 âmes pour la Chambre et un excédant de 56,000 habitants pour le Sénat. Notez que cette différence à raison de l'accroissement plus considérable de la population à Gand sera moins sensible encore au mois de juin prochain. Et cependant à l'aide des chiffres si péniblement édifiés dans le tableau, on établit que l'arrondissement de Gand a pour la Chambre et le Sénat réunis 72,200 habitants non représentés, tandis qu'Alost n'en a que 9,800.
L'arrondissement de Liège a un excédant de près de 21,000 âmes pour la Chambre et de près de 61,000 âmes pour le Sénat. A Verviers, ces excédants sont respectivement de 14,000 et de 54,000 pour ces deux assemblées. Si l'équité exige qu'un nouveau représentant soit attribué à Alost, elle exige également qu'un nouveau sénateur soit accordé à Liège ; la situation est la même. Et si nous appliquons les bases, complètement erronées au surplus, du tableau, elle est plus favorable puisque après avoir donné un représentant à Liège, il lui reste un excédant de plus de 41,000 âmes pour le Sénat, tandis que les excédants réunis de Verviers s'élèvent à 68,000 habitants ; d'après ce même tableau les droits respectifs d'Alost et de Gand à un nouveau représentant se traduisaient par les chiffres de 9,800 et de 72,200 !
La contradiction est flagrante et il est inconcevable qu'elle soit commise par un membre de cette Chambre qui y exerce autant d'influence que l'honorable comte de Theux : il est inconcevable qu'après avoir soutenu une pareille opinion dans son premier discours, il vienne, toujours au nom de l'équité, la modifier alors qu'il s'agit de l'arrondissement de Liège.
Comment se fait-il que cet amendement soit accueilli avec tant de faveur sur les bancs de la droite ? A coup sûr, il ne peut pas l'être par l'honorable M. Jacobs. Il nous a dit hier, et j'en ai tenu note, qu'Alost avait droit à un nouveau représentant et à un sénateur, que cet arrondissement possède déjà, parce qu'à Alost l'excédant est de huit mille habitants supérieur à celui de Gand. Le système des compensations, a-t-il ajouté, ne peut s'appliquer que lorsque les différences sont peu considérables. Ces paroles condamnent entièrement l'amendement de M. de Theux, auquel M. Jacobs semble pourtant prêt à se rallier. Il y a, en effet, à Liège un excédant de 6,676 âmes qui au moment de l'élection sera de plus de huit mille, comme je le démontrerai tout à l'heure, tandis que l’excédant d'Alost aura, au contraire, diminué.
Messieurs, toutes les raisons militent en faveur de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ici ; on essaye de les battre en brèche à l'aide du système dit des compensations, système arbitraire et qui mettrait dès lors la minorité de cette Chambre à la discrétion de la majorité ; système arbitraire, puisque les uns l'appliquent entre les provinces et non entre les arrondissements ; puisque les autres veulent le faire fonctionner entre deux séries ; puisque d'autres encore réunissent les excédants de deux provinces, par exemple les excédants des Flandres qui sont de 44,000 âmes et prétendent leur attribuer de ce chef deux représentants alors qu'ils en refusent un à la province de Liège qui seule a un excédant de plus de 50,000 âmes !
Mais ce système arbitraire peut, dit-on, également se traduire par des chiffres et, dans ce but, on a dressé le tableau annexé au rapport de la section centrale. Messieurs, ces chiffres qui ont la prétention d'être l'arithmétique de l'équité, de la calculer rigoureusement, vous savez qu'on n'y est pas même resté fidèle ; au surplus, ce système conduit à l'absurde.
Le tableau, en effet, nous donnera des résultats différents suivant que l'on commencera la répartition par les sénateurs ou par les représentants.
Il est cependant incontestable qu'il n'y a, au point de vue de la justice, pas plus de raison de commencer par les uns que par les autres.
Ainsi, je suppose deux arrondissements ayant, l'un un excédant de dix mille âmes pour la Chambre et pour le Sénat, l'autre un excédant de 25,000 âmes pour la Chambre et de 65,000 âmes pour le Sénat. Vous pensez que, dans une pareille situation, c'est à l'arrondissement cité en dernier lieu, que doivent être accordés le nouveau représentant et le nouveau sénateur. C'est effectivement le résultat auquel on arrive en commençant par la Chambre.
Après avoir donné à cet arrondissement un député, il lui reste un excédant de 65,000 âmes dont il faut déduire le déficit de 15,000 pour la Chambre, soit un excédant total de 50,000. Il l'emportera sur l'arrondissement qui a cet excédant de 10,000 âmes pour chacune des Chambres, soit un excédant total de vingt mille habitants.
Faites au contraire la répartition en commençant par le Sénat. Le premier arrondissement, avec son excédant de 65,000 habitants, l'emportera sur le second qui n'en a que dix mille : mais quand il s'agira du représentant, le premier n'aura plus qu'un excédant de dix mille âmes tandis que les excédants réunis du second s'élèveront à vingt mille.
Ainsi avec ce tableau, avec ces calculs si rigoureux, on prouve le pour et le contre à volonté : c'est dire ce qu'ils valent.
Pour rendre l'exemple plus clair, mettons en parallèle l'arrondissement de Verviers et celui de Liège. Supposons que Verviers, au lieu d'un excédant de 14,000 âmes,, n'en ait qu'un de 1,500 habitants. L'honorable M. de Theux, son tableau à la main, pourra invoquer le principe des compensations et établir qu'il y a lieu d'accorder le nouveau représentant à Verviers.
En effet, l'arrondissement de Liège a un excédant de 21,000 âmes pour la Chambre, de 61,000 âmes pour le Sénat. Quand vous lui aurez donné un sénateur, soit 80,000 habitants, son excédant ne sera plus que de 2,000 âmes et il devra céder le pas à Verviers qui aura un excédant de 3,000 habitants non représentés pour la Chambre et le Sénat réunis.
Voilà, messieurs, les résultats auxquels conduit le système de l'honorable comte de Theux : il suffit de les signaler pour qu'il soit fait bonne justice du principe lui-même.
Les titres de l'arrondissement de Liège sont donc certains. Il a un excédant considérable qui, d'après tous les précédents, lui donne droit au représentant et au sénateur. On peut d'autant moins contester notre juste prétention, qu'il y a lieu de tenir compte de l'accroissement normal de la population dans les deux arrondissements.
Au 31 décembre 1859, l'arrondissement de Liège avait une population de 270,949 habitants ; à Verviers il y avait 123,019 âmes. Au 31 décembre 1862, en six ans, ces chiffres étaient portés pour Liège à 300,776 et pour Verviers à 134,100, c'est-à-dire qu'à Liège la moyenne annuelle de l'accroissement est de cinq mille âmes et à Verviers de dix-huit cents.
J'étais donc dans le vrai en disant tout à l'heure qu'au mois de juin l'excédant en faveur de Liège dépasserait huit mille habitants. Or, en 1859 on a tenu compte de l'augmentation de la population jusqu'au moment de l'élection.
J'ajoute que l'accroissement normal dans notre arrondissement permet d'affirmer qu'avant la fin de 1869, c'est-à-dire dans moins de quatre ans, notre population atteindra 320,000 habitants et nous donnera par conséquent un droit absolu aux deux nouveaux sièges qui nous sont (page 591) accordés en vertu de nos excédants. A la même époque, l'arrondissement de Verviers n'aura encore qu'un excédant de 22,000 âmes pour la Chambre et de 62,000 âmes pour le Sénat. Il me paraît impossible, messieurs, que vous vouliez consacrer une mesure qui produirait, d'ici à trois ou quatre ans, une semblable injustice.
On a parlé de précédents. On a rappelé ce qui s'était passé en 1859, lors de la lutte entre les arrondissements de Charleroi et de Mons. Mais la situation était sans aucune analogie avec la nôtre. L'arrondissement de Mons avait une population de 180,609 habitants ; celui de Charleroi était de 180,061. La différence était donc d'un peu plus de cinq cents âmes entre les deux arrondissements. Néanmoins la Chambre accorda à Mons un représentant et un sénateur. Le Sénat, au contraire, proposa d'attribuer à Charleroi le sénateur.
On fit remarquer qu'au moment des élections, cet excédant n'existerait même plus. En effet l'accroissement de la population était beaucoup plus considérable dans l'arrondissement de Charleroi et il était certain que Charleroi devait avoir lors des élections un excédant de plus de 1,000 habitants. Le Sénat sait que dans ces conditions la justice distributive ne permettait pas d'accorder à Mons un représentant et un sénateur et de tout refuser à Charleroi. La Chambre finit par se rallier à l'avis du Sénat. Il est inutile de démontrer que ce n'est pas là un précédent dont on puisse s'armer contre nous.
On insiste, et l'on dit qu'en 1847 déjà Verviers l'a emporté sur Liège et a obtenu un représentant, alors que Liège était dotée d'un nouveau siège au Sénat : on prétend que la situation était identique. C'est une erreur, l'excédant de Liège pour la Chambre n'était supérieur que de trois mille âmes à celui de Verviers : or quelque avis que l'on puisse avoir sur l'influence que doit exercer un pareil excédant, il est évident que la situation est bien différente aujourd'hui.
J'espère, messieurs, que ces quelques considérations, que mon devoir m'obligeait à vous soumettre, détermineront la Chambre à repousser l'amendement de l'honorable comte de Theux et à se rallier à la répartition qui vous est proposée par la section centrale.
- De toutes parts. - Aux voix ! la clôture !
MpVµ. - La clôture est régulièrement demandée. Quelqu'un s'y oppose-t-il ?
M. Moreauµ (contre la clôture). - Je désire dire seulement quelques mots pour justifier mon vote, qui sera défavorable à l'amendement de l'honorable M. de Theux. J'aurais établi que je ne pouvais l'adopter, parce qu'il est contraire aux principes que j'ai défendus en 1859 dans mon rapport et dans mes discours.
M. Delcourµ. - J'ai demandé la parole contre la clôture, parce que j'aurais beaucoup d'observations à présenter contre les chiffres que vient de discuter l'honorable M. Dupont.
Mais puisque la Chambre paraît résolue à clore la discussion, il ne me reste qu'à protester contre une telle manière de procéder.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L'amendement de M. de Theux est mis aux voix, il n'est pas adopté.
MpVµ. - Il nous reste à statuer sur le projet de la section centrale.
« Art. 1er. Le tableau annexé à l'article 55 de la loi électorale est modifié comme suit :
« Anvers.
« Arrondissement d'Anvers : Six représentants.
« Brabant.
« Arrondissement de Bruxelles : Treize représentants. Sept sénateurs.
« Arrondissement de Louvain : Cinq représentants.
« Hainaut.
« Arrondissement de Mons : Trois sénateurs.
« Arrondissement de Charleroi : Cinq représentants.
« Arrondissement de Thuin : Trois représentants.
« Liège.
« Arrondissement de Liège : Huit représentants. Quatre sénateurs.
« Namur.
« Arrondissement de Philippeville : Deux représentants.
« Luxembourg.
« Arrondissement de Marche, Bastogne et Arlon : Deux sénateurs. »
- Adopté.
« Art. 2. Dans chaque province, le mandat des nouveaux élus expirera en même temps que celui des représentants et des sénateurs actuellement en fonctions. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain d« sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
En voici le résultat :
104 membres répondant à l'appel nominal.
59 répondent oui.
45 répondent non.
La Chambre adopte.
Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuvvenhuyse et Ernest Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, Debaets, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, Desmedt, de Terbecq, de Theux, da Woelmont, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde et Van Overloop.
La Chambre s'ajourne au 10 avril à 2 heures.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.