(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 533) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Jadoul demande que le pays soit divisé en autant de groupes électoraux qu'il y a de représentants à nommer. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Moysard, ancien chef de musique au 2ème régiment de lanciers, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Victorin demande que les employés de la douane ne puissent être admis à déposer comme témoins dans une poursuite du chef de saisie . »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wisbecq demandent que ce village, dépendant de Saintes, soit érigé en commune distincte. »
- Même renvoi.
« Le sieur De Weert, secrétaire communal à Adegem, demande que les traitements des secrétaires communaux soient fixés par une loi en raison de la population des communes. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Rosoux-Crenwick demande que la route destinée à relier Waremme à Saint-Trond passe par Goyer, Mielen-sur-Aelst, Aelst et Brusthem. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Saint-Génois prient la Chambre d'accorder au sieur Cambier la concession d'un chemin de fer vicinal entre Audenarde et Tournai. »
- Même renvoi.
« Le sieur Rottiers présente des observations au sujet du rapport «sur sa pétition du 21 décembre et prie la Chambre d'annuler la délibération du conseil communal de Caprycke portant nomination du sieur Vercraye aux fonctions de secrétaire communal de cette commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Bocles appelle l'attention de la Chambre sur les inconvénients qui résultent du système actuel de circonscriptions électorales pour la nomination des représentants.. »
- Même renvoi.
« Le sieur Cuvette prie la Chambre de donner suite à sa réclamation contre une condamnation illégale. »
- Même renvoi.
« Des cabaretiers à Ingelmunster se plaignent que le garde champêtre de cette commune exerce la profession de cabaretier et de débitant de boissons distillées. »
- Même renvoi.
« Le sieur Reynaerts présente des observations au sujet de la décision prise sur la pétition par laquelle il se plaint de la conduite qui a été tenue a son égard avant sa mise à la pension. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Van Damme, Sellier, Vandewalle et autres membres de la société des travailleurs décorés à Gand, demandent que le droit de suffrage dans les élections soit accordé aux travailleurs agricoles et industriels décorés qui réunissent les conditions d'âge et d'indigénat et qui ne sont pas frappés d'incapacité pour des motifs d'indignité. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi qui porte une modification aux lois communale et provunciale.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Liège demandent que la réforme électorale soit faite en vue du suffrage universel à tous les degrés. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 17 mars, M. le ministre de l'intérieur transmet des explications sur la pétition du sieur Pollenus ayant pour objet le remboursement d'une somme du chef de la location de deux places pour les séances de la justice de paix, de 1833 à 1860. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation, »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le collège échevinal de Louvain adresse à la Chambre un exemplaire du Bulletin communal de cette ville pour l'année 1865. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. de Macar, retenu à Liège par une maladie grave de son père, demande un congé. »
- Accordé.
« M. de Bast, retenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« Par dépêche du 21 mars 1866, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre l'état statistique des immeubles appartenant à des établissements publics. »
- Impression et distribution aux membres de la Chambre.
M. Kervyn de Lettenhove (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
La Chambre est au moment d'aborder une proposition de loi très importante qui, sur plusieurs points, se complique de questions de chiffres. Il serait utile, je pense, que ceux de nos honorables collègues qui ont l'intention de proposer des amendements, voulussent bien le faire le plus tôt possible, afin que la Chambre en fît l'objet d'un sérieux examen.
En ce qui me touche, j'ai l'honneur d'annoncer que je dépose un amendement ayant pour but de constituer des circonscriptions électorales de 40,000 habitants, et subsidiairement un second amendement qui tend à établir comme principe que la répartition des membres de la législature ne doit pas se faire par province, mais d'après les groupes les plus considérables de population.
J'ai l'honneur de déposer ces amendements sur le bureau de la Chambre
MpVµ. - La discussion générale est ouverte.
M. Lelièvreµ. - Le projet de loi soumis à vos délibérations soulève des questions intéressantes sur lesquelles j'ai cru devoir émettre mon opinion dès le début de la discussion.
L'augmentation du personnel de la Chambre et du Sénat, d'après l'accroissement de la population dans certaines provinces, est proposée par l'honorable M. Orts.
II s'agit d'abord de savoir si nous devons attendre l'expiration de la période décennale déterminée par la loi du 2 juin 1856. A cet égard, il me paraît évident qu'en fixant le terme de dix ans pour le recensement, la législature n'a pas voulu enchaîner son action pour l'avenir ni s'interdire le droit de prendre avant cette époque les mesures de justice et d'équité assurant aux arrondissements la représentation à laquelle ils pourraient prétendre d'après le mouvement de la population. Les lois n'engagent jamais l'avenir et le législateur reste toujours libre de modifier l'ordre de choses qu'il a créé, par des motifs d'utilité générale qu'il lui appartient d'apprécier.
(page 534) La loi du 2 juin 1859 a énoncé une période décennale, parce qu’elle a supposé que ce laps de temps était nécessaire pour produire l'accroissement de population justifiant d'autres prescriptions. Mais si, avant ce terme écoulé, naît un ordre de choses sortant des prévisions de la loi de 1856, comment serait-il possible de ne pas en tenir compte, à l'effet d'introduire un régime conforme à l'esprit de la Constitution et de faire jouir les arrondissements des avantages résultant de la situation nouvelle ?
Il y aurait, à mon avis, une véritable injustice à priver momentanément les provinces du personnel de la représentation qui leur est acquis. Le principe de l'égalité de tous les Belges devant la loi ne saurait être suspendu dans son application, même pour un terme limité.
Et, remarquez-le bien, nous modifions la loi de 1856, comme nous en avons le droit incontestable, à raison de l'état de choses qui s'est produit depuis cet acte législatif. Le régime que nous allons créer n'est que la conséquence de faits nés postérieurement, rendant indispensables les nouvelles dispositions.
Il y a plus, la proposition de M. Orts ne fait que confirmer le principe qui a donné naissance à la loi de 1856. Elle repose sur la même base, seulement il y a changement en ce qui concerne l'exécution, à raison des faits nouveaux que le législateur de 1856 n'avait pas prévus, mais que nous, législateurs de 1866, pouvons apprécier et auxquels nous devons attribuer les effets qu'ils sont appelés à produire.
Ne perdons pas de vue, d'ailleurs, que la loi, en prescrivant un recensement dans le délai qu'elle détermine, n'a d'autre objet que de rendre cette mesure obligatoire à cette époque, mais cela n'exclut pas le droit inhérent au pouvoir législatif de l'édicter avant le terme voulu, si des événements nouveaux en démontrent la nécessité ou l'utilité.
Du reste, c'est en ce sens que la loi de 1856 a été interprétée et exécutée puisque dès 1859 les Chambres législatives ont décrété des prescriptions analogues à celles qui vous sont actuellement soumises.
On ne peut donc sérieusement contester le mérite de la proposition en se prévalant d'une disposition de la loi de 1856, qui n'a pas et ne saurait avoir la portée qu'on lui attribue.
Quant au fond même du projet en discussion, personne ne conteste l’existence des faits qui réclament une augmentation du personnel de la représentation nationale. L'accroissement de la population qui légitime cette mesure ne peut être révoqué en doute. Il est attesté par des documents irrécusables. Il s’agit seulement de savoir de quelle manière se fera la répartition entre les différents arrondissements. A cet égard, je pense que le système de la section centrale mérite la préférence, d’abord parce qu’il est conforme à la loi du 24 mai 1859 et a été suivi à cette époque sans opposition.
L'acte législatif dont il s'agit ayant établi un ordre de choses sur la base proposée, il est évident qu'on ne pourrait aujourd'hui adopter un autre mode de procéder sans réviser préalablement tout ce qui a été fait antérieurement.
Or, semblable voie présenterait des inconvénients sérieux.
L'on porterait atteinte à des positions acquises et à la possession, que toujours l’on a respectées.
D'un autre côté, le système admis en 1859 est le plus simple et le plus conforme à la nature même des choses. On attribue d'abord aux arrondissements le nombre de représentants qui leur est acquis de plein droit, à raison d'un excédant de population supérieure à quarante mille âmes ; les autres représentants qui doivent être créés à raison de l'excédant général de la population du royaume, sont ensuite répartis entre les provinces et les arrondissements qui, sans présenter un excédant de 10,000 habitants, approchent le plus de ce chiffre.
Cette marche est tout à fait rationnelle. Elle a été suivie en 1859, alors qu'on ne pouvait reprocher au projet admis à cette époque d'être inspiré par l'esprit de parti. A quel lttre, par conséquent, s'écarterait-on de ce précédent qui n'a jamais été l'objet de critique sérieuse ? Du reste, ce système qu'on proclame devoir, pour le moment, être favorable à l'opinion libérale, sera une règle invariable qui profitera, dans l'avenir, à tous les partis sans distinction. Quant à moi, je lui donne mon assentiment, parce qu'il me paraît fondé en justice. Il a, du resté, l'avantage de maintenir tout ce qui s'est fait antérieurement et de ne produire aucune perturbation dans l'ordre de choses existant.
D’un autre côté, la révision que le système contraire nécessiterait est étrangère au projet en discussion et ne saurait dès lors arrêter l'exécution de la mesure appuyée sur les principes constitutionnels que la proposition de notre honorable collègue a pour but de sanctionner.
L'adoption du projet en discussion est un corollaire de la loi de 1859.
En la décrétant, la Chambre reste fidèle à ses antécédents et, loin de faire un acte excessif, elle accomplit un devoir de justice envers des arrondissements qui ont une représentation insuffisante au sein de la législature. Ces considérations me déterminent à émettre un vote favorable à la proposition qui fait l'objet de nos débats.
M. Funckµ. - Aux termes de la Constitution belge, la souveraineté nationale est l'origine de tous les pouvoirs. Elle est la base du mandat de ceux qui exercent à un degré quelconque une partie de la puissance publique.
Il est donc du devoir du législateur de veiller sans cesse à ce que la représentation de la souveraineté se fasse de la manière la plus efficace. Il est de son devoir de tenir la main à ce que cette représentation soit complète et en rapport avec le chiffre de la population dont elle gère les intérêts les plus précieux.
Après avoir inscrit dans l'article 25 de la Constitution le grand principe que tous les pouvoirs émanent de la nation, le législateur constituant a déterminé dans l'article 49 les bases de la représentation nationale relativement au chiffre de la population. Cet article porte que la loi électorale fixe le nombre des députés et que ce nombre ne peut excéder un député par 40,000 habitants.
On a cherché quelquefois à soulever des doutes sur la portée de cet article. On a dit : « La loi autorise le législateur à fixer la chiffre de la représentation nationale à raison d'un député par 40,000 âmes, mais elle n'oblige pas le législateur à atteindre toujours cette limite extrême. »
Cet argument, peu important, d'après moi, se concevait cependant lorsque le mécanisme de la représentation nationale n'était pas aussi complètement connu ; il se concevait a une époque surtout où l'on n'attachait pas une aussi grande importance à ce que cette représentation fût complète.
Il n'en est plus de même aujourd'hui, puisqu'il ne pourrait être opposé à la proposition de l'honorable M. Orts pour aucun des membres de cette Chambre.
En effet, tous les partis de cette Chambre, tous ses membres, quels que soient les bancs sur lesquels ils siègent, ceux de la droite comme ceux de la gauche, sont d'accord sur ce point, c'est qu'il faut que la représentation nationale soit le plus complète possible, qu'il faut lui donner les moyens les plus larges de manifester sa volonté. Nous avons vu se produire dans ces derniers temps divers systèmes de réforme électorale. Ces systèmes, vous aurez à les examiner dans quelques jours peut-être, et quelle que soit la décision que vous preniez, je suis convaincu qu'il sortira de nos débats un progrès sérieux à accomplir et à introduire dans notre législation électorale ; mais si nous devons améliorer la loi électorale il est rationnel de commencer par tirer des dispositions législatives qui existent, tout le parti qu'elles peuvent produire et qu'il faut commencer par compléter la représentation nationale dans les limites de la loi. Il est donc évident que la première chose que nous avons a faire aujourd'hui, c'est de mettre la représentation nationale en rapport avec la population. Personne ne pourrait ici soutenir le contraire sans donner un démenti éclatant à ses antécédents.
Il est un autre argument, messieurs, qui s'est produit dans certaines sections. On a dit :
Du reste, il ne faut pas perdre de vue que si des étrangers résident en Belgique, il y a aussi des Belges qui résident à l'étranger, et par conséquent il s'établit entre ces deux catégories une espèce de compensation.
Mais, messieurs, nous avons, en faveur de l'opinion que nous défendons, le texte formel de l'article 49, qui ne distingue pas entre les étrangers et les Belges, mais qui se sert du mot « habitants ».
« La loi électorale, porte l'article 49, fixe le nombre des députés d'après (page 535) la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants. » Or, de quel droit distinguerions-nous là où la Constitution ne distingue pas ?
Il est évident que si le Congrès avait voulu tenir compte de la nationalité de ces habitants, et exclure les étrangers, il aurait dit : « citoyens belges » et il ne se serait pas servi du terme « habitants ». Chaque fois qu'une loi ou un arrêté royal établit une répartition, elle se sert du mot « habitants », et personne n'a jamais soulevé la question de savoir si ces habitants étaient étrangers ou étaient Belges.
Il reste, messieurs, un dernier argument, et celui-là est le cheval de bataille de nos adversaires, c'est celui sur lequel on compte pour renverser le projet de loi qui vous est soumis, si le sentiment d'équité qui a guidé l'auteur de ce projet, ne le garantissait pas contre tous les efforts de ses adversaires.
Cet argument est tiré de la loi du 2 juin 1856. « La loi du 2 juin 1856, nous dit-on, dispose qu'un recensement général de la population sera opéré tous les dix ans dans toutes les communes du royaume et que ce recensement servira de base à la répartition de la représentation nationale. »
Mon honorable ami, M. Lelièvre, vient déjà, messieurs, de réfuter l'argument tiré de cet article de la loi du 2 juin 1856.
Ce texte de loi n'a évidemment aucun caractère restrictif ; il dispose bien qu'un recensement se fera tous les dix ans, et que ce recensement décennal servira de base à la répartition de la représentation nationale ; mais il ne dit, évidemment, pas que la répartition ne peut pas se faire dans l'intervalle.
Il dispose bien qu'il doit y avoir une répartition tous les dix ans, mais il n'empêche, évidemment, pas qu'on fasse cette répartition ou une répartition nouvelle à d'autres époques.
Toutefois en supposant même que l'on puisse donner à la loi de 1856 cette interprétation restrictive, qu'en résulterait-il ? En définitive la loi de 1856 est une loi, et ce que le législateur a fait, il peut le défaire ; une loi postérieure peut toujours déroger à une loi antérieure.
Ce que le législateur a décidé, il peut le modifier et je dis plus, il doit le modifier quand un grand intérêt public l'exige. Or, cet intérêt existe aujourd'hui. La situation des partis en Belgique est telle, qu'on ne saurait mettre un soin trop scrupuleux à rendre la représentation nationale aussi complète que possible, afin de permettre au pays de manifester sa volonté de la façon la plus large.
On à dit, messieurs, que la proposition soumise à la Chambre est une loi de parti. Eh bien, je proteste, pour mon compte, contre une pareille assertion ! Certes, il peut résulter de la répartition nouvelle un avantage pour la majorité à laquelle j'appartiens, le résultat de cette répartition sera sans aucun doute favorable à l'opinion libérale, mais je tiens à le déclarer ici hautement, s'il devait en être autrement, si le projet de loi en question devait donner un avantage sensible à nos adversaires, si la répartition proposée devait même leur donner la majorité dans le parlement, je le voterais encore, parce qu'il s'agit ici d'une question de justice et d'équité, parce que la souveraineté nationale doit s'exprimer d'une manière régulière et que l'intérêt de parti ne doit jamais prévaloir sur un semblable intérêt.
M. de Smedt. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la discussion générale, parce que je désire examiner une question de principe s'appliquant au mode de répartition suivi jusqu'ici, lorsqu'il y a lieu d'augmenter le chiffre de la représentation nationale pour le mettre en rapport avec la proportion indiquée à l'article 49 de la Constitution.
En prenant l'initiative de la proposition de loi que nous discutons, l'honorable M. Orts nous a avoué qu'il avait un double but : le premier était de fortifier les rangs de la majorité libérale de cette Chambre. « J'ai voulu faire l'affaire de l'opinion libérale, » a-t-il dit : séance du 1er juillet 1804.
Je me garderai bien d'incriminer le but et les paroles de mon honorable collègue. M. Orts était parfaitement dans son droit, du moment que la répartition se faisait dans le délai prescrit par la loi, et d'après des bases équitables.
Il est permis certainement de chercher à faire triompher ses principes et ses opinions ; mais c'est à la condition expresse de respecter tous les droits, ceux de la nation, ceux surtout de la majorité de la nation.
C'est pourquoi l'auteur de la proposition de loi s'empresse d'ajouter que son second but est de « chercher à rendre la représentation nationale plus sincère, en augmentant le nombre des mandataires de la nation ».
Vous le voyez, messieurs, on a voulu l'intérêt de son parti et on a cherché à prouver que cet intérêt s'harmonisait avec l'intérêt de tout le pays, et par conséquent qu'il fallait s'empresser de voter l’augmentation proposée. Elle est juste, disait-on ; plus de 200,000 habitants dissémines dans tout le pays n’ont pas rigoureusement le nombre de représentants et de sénateurs auquel ils pourraient avoir droit. Ce fait est-il constaté ? Oui ; voici le tableau de l'état de la population. Dès lors il n'est plus permis d'attendre. Priver deux cent mille Belges d'une représentation plus complète ; quelle iniquité !! Maintenir plus longtemps un pareil état dû choses serait un déni de justice.
Voilà, messieurs, ce que l'on nous disait, et ce que l'on nous dira encore pour justifier l'opportunité de la proposition de loi.
Je ne m'occuperai pas de la question d'opportunité, non plus que du premier but que l'honorable M. Orts cherche à atteindre par sa proposition ; savoir : favoriser les forces de son parti.
Les intérêts de parti, d'après moi, doivent être complètement étrangers à toute discussion de cette nature. Nous ne sommes pas ici pour arranger des combinaisons au moyen desquelles nos opinions pourraient le plus sûrement triompher dans les luttes électorales.
Notre unique but, surtout quand il s'agit de modifier la loi électorale en exécution de laquelle nous siégeons ici, doit être celui-ci : assurer à la nation une représentation la plus sincère et la plus complète possible. C'est, du reste, le deuxième but que se propose d'atteindre l'auteur du projet de loi.
Examinons donc s'il est vrai, comme l'affirme l'honorable député de Bruxelles, que sa proposition aura pour effet de rendre la représentation nationale plus sincère en augmentant le nombre des mandataires de la nation.
Eh bien, messieurs, aussi paradoxale que vous paraîtra au premier abord mon assertion, je soutiens le contraire et je dis que le projet de loi que nous discutons, loin de donner à la représentation nationale un degré de sincérité de plus, agira en sens contraire, et diminuera le nombre des mandataires de la nation, au lieu de l'augmenter, puisque la proposition de loi ne fera que renforcer la majorité numérique de la Chambre, celle-là même qui est issue de la minorité du corps électoral du pays. Cela est impossible, me dira-t-on. Comment voulez-vous qu'en augmentant le nombre des représentants, vous n'augmentiez pas dans la même proportion les mandataires du pays ? Soutenir le contraire est absurde. Non, messieurs, cela n'est ni impossible ni absurde. Ce qui est absurde autant qu'inique, c'est que cela puisse être, et bien plus, que cela est.
Pour vous prouver cette assertion, j'ai besoin, messieurs, de démontrer à la Chambre :
1° Que la minorité du corps électoral votant peut élire la majorité numérique de la Chambre.
2° Que la minorité du nombre total des habitants du pays peut être représentée à la Chambre par des mandataires qui y forment une majorité numérique assez forte.
3° Qu'avec notre système électoral en vigueur, les électeurs sont souvent forcés, sous peine de voir leurs voix se perdre, de voter pour des candidats qui ne sont pas ceux de leur choix.
4° Que des minorités importantes sont nécessairement exclues de toute représentation.
5° Enfin, que la loi électorale actuelle est encore vicieuse, parce qu'elle engendre fatalement la féodalité de quelques grandes villes qui, par le nombre de leurs mandataires, font déjà et feront de plus en plus la loi à tout le pays.
Pour ne pas abuser de la bienveillance de la Chambre, je me propose d'administrer la preuve de chacune de ces assertions le plus succinctement possible et après avoir mis à nu par cette démonstration les vices et les inconvénients de notre loi électorale, j'indiquerai, brièvement aussi, le remède qui, sans bouleverser toute l'économie de notre système représentatif, rendrait toutefois impossibles les étranges anomalies qui subsistent aujourd'hui, anomalies et injustices que la loi en discussion aggraverait encore.
Le premier point à démontrer, et incontestablement le plus grave, est que la minorité des électeurs qui prend part au vote, peut élire plus de la moitié des membres de cette Chambre, par conséquent, la majorité de la représentation nationale.
Non seulement cela est possible ; mais, comme je vais avoir l'honneur da le prouver tout à l'heure, la grande majorité numérique actuelle de cette Chambre est issue de la plus petite fraction des électeurs ayant pris part aux élections générales de 1864.
Ce n'est donc pas une hypothèse gratuite, inventée pour faire le procès quand même à la loi électorale actuelle, c'est un fait certain et que la statistique démontre sans contradiction possible.
Il y a plus que cela, messieurs, la Chambre tout entière, moins un (page 536) député, c'est-à-dire 115 voix sur 116, peut être envoyée ici par la minorité du corps électoral votant du pays.
Voici comment cette énormité ou plutôt cet étrange résultat peut être obtenu.
Nous avons, en Belgique, d'après les chiffres de la statistique de 1865, 103,717 électeurs disséminés dans 41 collèges électoraux différents. Or, avec 63 voix vous pouvez constituer la majorité dans chacun de ces collèges. Au moyen de 63 voix, vous pouvez donc avoir 116 députés élus.
J'ai supposé que tout le monde prenne part au vote (le résultat serait le même, si, au lieu de prendre 103,717 électeurs, je n'en prenais que 80,000, par exemple).
Dans la supposition donc que tous les électeurs aient voté, j'aurai d'une part, 51,921 électeurs qui auront, à eux seuls, toute la représentation du pays, et l'autre moitié, moins 63, c'est-à-dire 51,795 votants n'auront pas un seul représentant à la Chambre
On me dira que ces chiffres sont arrangés à plaisir pour prouver un fait qui ne se réalisera jamais dans la pratique. Ces là une erreur, messieurs, et ce fait, non seulement peut se produire, ce qui serait certainement déjà regrettable, mais ce fait s'est produit aux dernières élections générales, mais dans une proportion beaucoup moindre.
Je prendrai pour base de mes calculs la statistique des dernières élections générales de 1864, et de cette façon je constaterai cette anomalie bien fâcheuse dans un pays qui a l'honneur de passer pour un modèle de gouvernement représentatif, savoir : que la majorité numérique actuelle de cette Chambre est le produit des voix de la minorité des électeurs qui ont pris part aux dernières élections générales.
Je prouverai aussi par des chiffres également irréfutables que cette même majorité représente la minorité du chiffre total des habitants du pays. Je commencerai par ce dernier point.
D'après le relevé général de la population du royaume que le gouvernement vient de nous distribuer, nous avons 4,981,837 habitants belges, la moitié de ce chiffre est 2,492,418. Or, si j'additionne le montant de la population de 13 arrondissements seulement du royaume, j'obtiens un total de 2,443,179 habitants. C'est moins de la moitié de la population générale du pays. Je puis donc y joindre encore la population de l'arrondissement d'Arlon et je resterai encore en dessous de la moitié de la population générale du royaume. Cependant il arrivera après le voie de la proposition de l'honorable M. Orts, que ces 14 arrondissements enverront ensemble 60 députés au parlement soit la majorité de l'assemblée nationale.
Donc, messieurs, comme j'avais l'honneur de vous le dire : la minorité du pays peut avoir la majorité à la Chambre.
Notre régime électoral devient plus absurde et plus injuste encore dans ses effets, quand on l'applique au corps électoral lui-même, au lieu de l'appliquer à la population.
Voyons comment ce régime a fonctionné lors des dernières élections générales de 1864.
II y avait, lors de ces élections, 83,947 électeurs présents aux scrutins pour tout le pays.
Vingt et un arrondissements électoraux, sur 41 que nous avons en Belgique, envoient à eux seuls à la Chambre les trois quarts des représentants de tout le pays, puisqu'ils nomment 88 députés sur 116. Or, d'après les chiffres résultant des procès verbaux des dernières élections générales, ces 88 représentants sont les élus de majorités, qui pour l'ensemble de ces 21 arrondissements s'élèvent seulement au chiffre de 41,814 voix. Voilà donc 41,814 électeurs, c'est-à-dire un peu plus de la moitié du nombre total des votants qui, d'après le résultat des dernières élections, ont actuellement 88 mandataires dans cette Chambre, alors que l'autre moitié du corps électoral n'en a que 28, soit un quart seulement de la représentation totale du pays.
Ces chiures et ces calculs, que personne ne démentira, établissent donc d'une manière indiscutable : 1° que la majorité numérique de la Chambre actuelle ne représente pas la majorité du corps électoral, mais qu'elle est issue de la minorité des votants, un tiers des votants pouvant nommer les deux tiers de l'assemblée nationale. En second lieu, la majorité numérique de la Chambre peut émaner de la minorité de la population totale du pays.
Voilà les effets possibles et réels de notre régime électoral et représentatif. Et si cela est vrai, est-il raisonnable de venir s'apitoyer sur le malheureux sort de ces deux ou trois cent mille Belges éparpillés dans 28 arrondissements différents et qui n'ont pas d'une manière tout à fait complète le nombre de représentants auquel ils pourraient peut-être avoir droit ?
Je ne refuse pas, notez-le bien, messieurs, de leur faire justice s'il y a lieu ; mais je me demande s'il n'y a pas quelque chose de plus, pressé à faire et si nous n'avons pas à veiller aux intérêts non seulement de quelques centaines de mille Belges, mais de millions de nos concitoyens qui peuvent, faute d'une bonne loi électorale, être complètement privés de toute représentation à la Chambre. Là est le vrai mal ; là réside tout le vice de notre organisation parlementaire actuelle. Il importe donc au plus haut degré de porter remède à un état de choses qui rend dérisoire et nul, quant à ses effets, les prescriptions des articles 6 et 32 de notre Constitution. Le premier de ces articles proclame l'égalité de tous les Belges devant les lois du pays. Or, l'égalité la plus précieuse de toutes, l'égalité devant la loi électorale est un mythe puisque cette loi fonctionne à contresens du but à atteindre. Nous voyons en effet la minorité du corps électoral envoyer à la Chambre la majorité des mandataires de la nation.
Notre loi électorale viole aussi dans ses conséquences l'article 32 de la Constitution. Car comment pourrait-on prétendre que les membres de la Chambre représentent la nation, alors qu'en fait ils ne représentent que la minorité du corps électorale ? Ce n'est donc pas la nation, mais la minorité de la nation qu'ils représentent.
J'ai à démontrer maintenant une troisième conséquence fâcheuse de notre régime électoral actuel.
La loi en vigueur tend à paralyser la liberté de l'électeur.
En effet, le plus souvent nous voyons quelques personnages qui mènent un club politique quelconque, décider du choix des candidats à présenter aux électeurs ; quelquefois ces candidatures sont discutées dans une association, après quoi l'on vote, et là encore une seule voix peut décider de l'adoption de tel candidat, et de l'exclusion de tel autre. Ce dernier aura réuni la moitié des suffrages de l'assemblée moins un et il sera évincé. Tous ceux qui ont voté pour la présentation de ce candidat devront désormais donner leur voix au personnage qu'ils auront, il n'y a qu'un instant, jugé parfaitement indigne de les représenter à la Chambre. Ce fait est la conséquence de la loi électorale actuelle. Et personne, je pense, ne prétendra qu'il est heureux et avantageux. La liberté électorale du votant ne peut à ce point être enrayée, qu'il ne lui reste que cette alternative : voter pour le candidat qu'il déteste ou se résigner à voir succomber aux élections son opinion politique. Cela est éminemment déplorable et tout le monde doit vouloir y remédier s'il y a moyen.
Or il y a moyen, car j'aurai l'honneur, messieurs, de vous indiquer le remède.
Mais j'ai, au préalable, à démontrer encore que notre système électoral est tout à fait injuste pour des minorités politiques de plusieurs milliers de voix qui, par le fait de notre mode de votation, sont nécessairement exclues de toute représentation à la Chambre.
Ainsi, pour ne citer que deux exemples, aux dernières élections générales nous avons vu une minorité opposante à Bruxelles de 4,995 voix et de 2,464 voix à Anvers n'obtenir aucun représentant à la Chambre. Cela fait, pour ces deux arrondissements réunis, un total de 7,321 voix nulles. Or ce nombre de voix perdues, dans ces deux arrondissements seulement, est presque suffisant pour envoyer à la Chambre, par d'autres arrondissements du pays, le quart de la représentation nationale, soit vingt-neuf députés.
C'est ainsi, messieurs, qu'aux dernières élections générales de 1864 il y a eu pour tout le pays 29,437 voies perdues et qui n'ont absolument aucune représentation dans le sein de cette Chambre ; en ajoutant à ce chiffre, les minorités découragées des arrondissements où il n'y a pas eu de lutte, on arrive, sans exagération aucune, à un total de plus de 32.000 électeurs, soit 40 électeurs sur 100 qui n'ont pas ici la représentation à laquelle ils auraient droit si un autre système électoral que celui qui fonctionne si singulièrement aujourd'hui, était appliqué en Belgique.
Enfin, messieurs, et c'est la dernière critique que je vais adresser à notre régime parlementaire, ce régime nous conduit rapidement vers la féodalité de quelques grands centres de population qui, par le nombre rapidement croissant de leurs mandataires, parviendront à faire la loi à tout le pays et à dominer l'Etat lui-même ; bien que le nombre de leurs électeurs et le chiffre de leur population soient considérablement inférieurs à ceux des autres localités du pays.
Ici, messieurs, je n'ai plus besoin de démontrer ce fait grave ; car il ressort à toute évidence des considérations que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la sérieuse attention de mes honorables collègues.
Tous, messieurs, vous avez comme moi le désir d'assurer à la représentation nationale un caractère de sincérité indiscutable. Tous aussi, (page 537) vous voulez comme moi donner à la majorité de cette Chambre, quelle qu'elle soit, qui gouverne ou gouvernera jamais, un degré d'autorité assez puissant pour que tout esprit honnête et dévoué aux institutions de son pays puisse l'accepter comme la conséquence du libre jeu des opinions politiques de la nation.
Et si tels sont vos vœux, vous devez vouloir aussi la réforme de notre système électoral actuel qui, comme je viens de vous le démontrer par des chiffres irréfutables, donne à la minorité du pays la possibilité légale de gouverner et d'imposer ses lois à la majorité de la nation. La justice nous en fait un devoir et la stabilité de nos institutions y est intéressée. Ces institutions, la liberté qui comprend nécessairement l'égalité de tous devant la loi, ne les détruira jamais, mais la compression politique, et surtout la compression de la majorité du pays, peut les compromettre un jour.
Sans doute, il faut être sobre de réformes parlementaires et, pour ma part, je n'admets que deux hypothèses où ces réformes deviennent non seulement un droit, mais un devoir, c'est d'une part la réalité et d'autre part la permanence des abus et des inconvénients du système en vigueur.
J'ai démontré que des abus graves existent aujourd'hui et de plus que ces abus doivent se représenter presque inévitablement à chaque élection et par conséquent qu'ils ont un degré de permanence suffisamment constaté pour en vouloir le redressement. Cherchons donc un remède.
Pour obvier aux inconvénients du système actuel, quelques membres de cette Chambre et de la droite surtout voudraient diviser le pays en circonscriptions électorales de 40 ou 80 mille âmes élisant un ou deux représentants selon la préférence que l'on donnerait à l'un ou l'autre de ces systèmes. Je reconnais que ce serait mieux que ce que nous avons actuellement et je suis prêt à m'y rallier, faute d'un remède plus juste et plus efficace.
Mais je dois le dire en toute franchise, il me semble que ce système présente bien des inconvénients et ne donnerait pas toujours aux minorités soit libérales, soit catholiques, la proportionnalité représentative à laquelle ces minorités auraient droit.
Le but que je voudrais atteindre, et je puis le dire, en toute sincérité, est celui-ci :
Donner à toutes les opinions du pays, quelles qu'elles soient, une représentation proportionnelle à leur importance numérique dans le pays ; je voudrais donc que l'on puisse dire avec vérité, que la Chambre est, si je puis m'exprimer ainsi, la photographie de l’état de l'opinion publique de la nation. De cette manière, la Chambre serait la physionomie vraie, mais réduite, des opinions les plus importantes qui existent en Belgique. Aujourd'hui vous avez des opinions considérables qui sont privées de toute représentation, et cela n'est ni juste, ni désirable.
Pour atteindre ce but, il y a, me paraît-il, un moyen bien simple. Le voici :
Je laisse subsister toutes les circonscriptions électorales, telles qu'elles existent aujourd'hui ; seulement je rétablis l'égalité de tous les Belges devant la loi et je n'accorde pas 15 voix à un électeur de Bruxelles, alors qu'un électeur d'Arlon ou de Furnes, par exemple, ne peut élire qu'un seul représentant ; chaque électeur belge n'aurait qu'une voix.
Dans les circonscriptions électorales qui envoient plus d'un député à la Chambre, chaque électeur pourrait inscrire plusieurs noms sur son bulletin, en conservant l'ordre de ses préférences.
Pour ceux des membres de cette Chambre qui connaissent le système Hare dont un célèbre publiciste anglais, qui fait autorité en semblable matière, M. Stuart-Mill, a fait le plus grand éloge ; pour ces membres, il sera facile de voir que ce que je propose est tout simplement ce même système, simplifié dans la pratique, puisque au lieu de s'appliquer à tout le pays, il ne fonctionnera que dans les limites des arrondissements électoraux actuels.
M. Hare, qui a longuement exposé son système dans plusieurs ouvrages assez étendus et dont des extraits nous ont été donnés par des publicistes allemands, français et belges, part de ce principe-ci : savoir que « toute assemblée représentative doit, pour mériter ce nom, ne pas se composer exclusivement de représentants de la majorité, mais renfermer, dans une proportion aussi correspondante que possible à la réalité des faits, des représentants de toutes les opinions et de tous les intérêts importants de l'Etat.
Cela est juste et son système y conduit.
Dans ce système, chaque électeur a donc une voix, et pour que le candidat de son choix soit élu, il suffit qu'il obtienne un nombre de suffrages égal au quotient du chiffre des votants d'un même collège électoral, divisé par le nombre de représentants à élire par ce même collège.
Je prends l'arrondissement de Bruxelles pour exemple. Il y a à Bruxelles 13,152 électeurs inscrits ; sur ce nombre 13,000 viennent voter. Après l'adoption de la proposition de l'honorable M. Orts, cet arrondissement aura 13 députés à élire. Je divise ce chiffre de 13 par le nombre des électeurs qui déposent un vote, le quotient est mille, donc il suffira qu'un candidat réunisse mille voix à Bruxelles pour avoir le droit de siéger dans cette Chambre.
Chiffre respectable, sans doute, et minorité bien digne d'être représentée alors que des arrondissements peuvent envoyer ici un représentant qui obtient à peine deux cents voix.
Aujourd'hui à Bruxelles un candidat, si tous les électeurs étaient présents au vote, pourrait ne pas être élu avec 6,575 voix. Encore une fois est-ce juste cela ?
Ce système appliqué à tout le pays et dans chaque arrondissement élisant plus d'un député, amènerait ce résultat-ci : que. le nombre d'électeurs votants non représentés ne pourrait jamais excéder le chiffre de 1/3, 1/4, 1/5, 1,6, 1/7. etc. dans les différents arrondissements du pays, et cela d'après le nombre de mandataires que ces arrondissements ont le droit d'envoyer à la Chambre.
Dès lors, il n'est plus possible que la minorité du corps électoral belge envoie à la Chambre la majorité numérique de ses représentants.
J'ai appliqué ce système aux dernières élections générales de 1864, j'ai tous les chiffres et mes calculs ici présents.
Avec ce système, la majorité serait restée aux libéraux. Je dis ceci pour constater un fait, car examinant la question en dehors des préoccupations politiques, je pourrais ne pas en faire mention. Mais j'obtiens, un autre, résultat plus important avec ce système, lorsque je l'applique aux élections de 1864.
Au lieu d'avoir, comme je crois l'avoir prouvé, 32,000 votants complètement exclus de toute représentation, soit 40 p. c. de ceux qui ont pris part aux dernières élections de 1864, avec le système Hare appliqué par arrondissement, comme je le propose, nous n'aurions plus que 6,741 électeurs non représentés, soit 8 p. c. seulement du chiffre total des votants, au lieu de 40, que le système actuel nous a donné en 1864.
Messieurs, je ne me permettrai pas d'abuser plus longtemps des moments de la Chambre ; je bornerai là mes observations. Dans une autre circonstance, je me propose de développer plus complètement ce système électoral, que j'estime devoir amener, s’il était mis à exécution, une représentation nationale la plus sincère et la plus complète possible.
Je livre donc ces quelques observations à l'examen et à l'appréciation de mes honorables collègues, persuadé que, s'ils sont convaincus comme moi du mal existant, ils chercheront consciencieusement, comme je croie l'avoir fait moi-même, le remède à appliquer à un état de choses que tout homme jaloux de la sincérité, de la liberté et de la loyauté des institutions parlementaires doit profondément déplorer.
M. Rodenbach. - Messieurs, sans circonlocution je voterai contre la proposition qui nous est soumise ; voici pourquoi. La population des deux Flandres est actuellement, d'après le tableau qu'on nous a remis, de 1,484,000 habitants, qui ne sont représentés que par 36 députés. Lorsqu'on calcule un représentant par 40,000 âmes, on trouve qu'il y a, dans les deux provinces, 46,000 habitants qui ne sont pas représentés. La population des Flandres est le tiers de celle du royaume ; elle paye beaucoup plus du tiers de toutes les contributions ; il s'ensuit qu'on devrait lui accorder, pour le moment, 37 députés au lieu de 36. Si l'on avait bien voulu attendre le recensement décennal qui doit servir de base à la répartition des sénateurs et des représentant, il est certain qu'avec l'accroissement rapide de la population, les villes de Gand et de Courtrai eussent obtenu chacune un représentant de plus.
Je suis d'avis que la répartition que l'on nous propose doit être plus rationnelle et que le partage doit être plus équitable. Peut-on sans crainte créer une espèce de dictature de 13 têtes au milieu du pays ?
Tous les trois ou quatre ans lorsqu'il y aurait augmentation de la population, un représentant pourrait prendre l'initiative d'une nouvelle proposition d'augmenter le nombre des députés ; ce serait là une manœuvre sous roche (interruption) ; ce serait, comme on le dit à mes côtés, le système de l'instabilité permanente.
La répartition, pour être équitable, devrait tenir compte du chiffre de» contributions, elle n'en fait rien ;et de cette manière les Flandres, qui forment le tiers du pays, n'ont pas un seul représentant en plus. C'est pour ces motifs que je ne puis donner mon assentiment à la proposition de loi que nous discutons.
(page 538) M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai deux reproches à adresser à la proposition de l'honorable représentant de Bruxelles.
Je la crois regrettable au fond, parce qu'elle porte atteinte à une loi organique.
Je la crois non moins regrettable par la forme que l'honorable M. Orts lui a donnée, par le jour et l'heure qu'il a choisis pour la présenter et la faire discuter.
La loi de 1856 qui porte que le recensement décennal servira de base à la répartition des membres de la législature, est évidemment une loi organique. Les lois organiques, je le veux bien, ne peuvent pas être assimilées à un texte de la Constitution qui nous lie aussi longtemps qu'il n'y a pas lieu à une révision entourée de précautions tout exceptionnelles ; elles ne sont pas placées au-dessus de l'initiative parlementaire, telle que nous l'exerçons tous les jours. Les lois organiques ont néanmoins un caractère qu'il ne faut pas perdre de vue, et si nous avons incontestablement le droit de les modifier en présence d'une nécessité impérieuse, d'une utilité évidente, rien ne doit affaiblir, en dehors de ces exceptions, le respect dont il faut les entourer. Une législature qui détruirait légèrement l'œuvre à laquelle les législatures précédentes ont voulu imprimer un caractère de stabilité et de durée, compromettrait le respect qu'elle doit attacher à ses propres résolutions.
Y a-t-il ici des circonstances nouvelles qui ont changé une situation ? Peut-on admettre que le législateur de 1856 n'ait pas songé à l'augmentation de population qui allait se produire dans une période décennale ? Cette augmentation de population a-t-elle été telle qu'elle ait dépassé toutes les prévisions ?
II est évident que cette hypothèse ne peut être soutenue ; aussi, lorsque je cherche l'urgence de la proposition qui nous est soumise, je ne la trouve pas.
Nous ne sommes plus éloignés, en effet, de l'époque fixée par la loi de 1856 pour le recensement décennal ; et ce qui démontre combien l'honorable représentant de Bruxelles, en touchant à une loi organique, a été dominé par une préoccupation de circonstances et d'éventualités, c'est que cette proposition qu'il déposait le 30 juin 1864 en pleine crise ministérielle, la veille des élections de 1864, nous sommes appelés à la voter aujourd'hui, à la veille des élections de 1866.
Ce n'est pas, du reste, messieurs, que je redoute un appel au corps électoral fortifié dans son action, pourvu que cet appel ait lieu avec justice et impartialité. Nous ne pouvons oublier que nous relevons tous de l'opinion publique. Elle nous écoute, elle nous juge ; mais plus nous sommes tenus de la respecter, plus nous aimons à nous la représenter assise sur d'autres bases que des intérêts de parti.
Quoi qu'il en soit, messieurs, la proposition de l'honorable député de Bruxelles a été prise en considération et c'est sous les réserves que je tiens d'exprimer que nous en aborderons la discussion.
Mais j'ai d'abord à faire remarquer combien la gravité de cette proposition grandit de jour en jour. D'autres questions qui y touchent de fort près ont été soumises à l'examen des sections de la Chambre et agitent l'opinion publique autour de nous : il ne faut plus se le dissimuler, nous sommes aujourd'hui en face d'un vaste remaniement de notre système électoral tout entier.
Il faut des circonstances aussi graves, messieurs, pour que j'ose vous demander en ce moment de revenir sur une règle qui a été suivie pendant un tiers de siècle. Mais plus l'expérience a été longue, plus elle est éloquente, plus elle nous permet d'étudier les abus et les inconvénients auxquels elle a donné lieu.
Quels sont les faits qui se passent sous nos yeux ? Quelle est la situation des choses ? Permettez-moi, messieurs, de la signaler à toute votre attention.
Dans quelques jours (en supposant la proposition de l'honorable M. Orts votée par la Chambre), il y aura un collège électoral qui nommera treize représentants, et il peut arriver que les six treizièmes des habitants de l'arrondissement, qui constitutionnellement devraient être représentés par six députés, n'en compteront pas un seul. Il peut se faire, d'un autre côté, que cent électeurs, que 20 électeurs, qu'un seul électeur déterminera par son suffrage l'élection de treize représentants.
J'ai entendu dire que dans ce cas il y aurait compensation. A mes yeux, cette compensation n'existe point. Je ne découvre que l'inégalité la plus choquante. Ou bien le droit de l’électeur est complètement annihilé ou bien il est exagéré et dépasse toutes les limites que pourraient lui assigner la raison et la justice.
Supposons un instant, messieurs, que l'augmentation de la population se fasse dans tout le pays d'une manière régulière et proportionnelle. Il est établi, je pense, par la statistique que sur une population de 5,000,000 d’habitants, il y a chaque année une augmentation d'environ 50,000 âmes, ce qui répond à un centième de la population. Eh bien, prenez un instant pour base l'arrondissement de Bruxelles qui possède 524,000 habitants. Il en résultera, en supposant l'augmentation proportionnelle et régulière de la population que j'indiquais tout à l'heure, que l'arrondissement de Bruxelles aura droit à un représentant de plus tous les huit ans.
M. Orts. - Tous les quatre ans.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je suppose une augmentation de 5,000 âmes par an ; il faudra donc huit ans pour atteindre le chiffre de 40,000 habitants. Je sais bien que l'augmentation pour Bruxelles est beaucoup plus considérable. Mais je prends actuellement comme base de mon raisonnement l'hypothèse d'une augmentation égale dans toutes les parties du royaume, aussi bien dans l'arrondissement de Bruxelles que dans les autres arrondissements.
C'est là mon point de départ. Si je m'éloigne de la capitale, si je viens à l'arrondissement de Maeseyck où l'augmentation n'est que de 400 habitants par an, je remarque qu'il faudra un siècle pour que cet arrondissement parvienne à avoir un nouveau représentant.
M. De Fréµ. - Ce n'est pas la faute de Bruxelles.
M. Kervyn de Lettenhove. - Si j'arrive à l'arrondissement de Furnes, où l'augmentation annuelle de la population n'est que de 320 ou 350 habitants, je rencontre ce chiffre presque fabuleux de 120 ou 150 ans pour former un nouveau groupe de 40,000 habitants.
Eh bien, évidemment il n'y a pas là égalité devant la justice et devant la constitution.
L'hypothèse à laquelle je recourais, il y a quelques instants, comme on a bien voulu me le faire observer, n'est pas exacte ; il n'y a pas, en Belgique une augmentation de population régulière et proportionnelle. Elle est bien plus considérable dans les grandes villes, dans les grands centres industriels ; bien plus lente partout ailleurs. Et voyez, messieurs, à quels résultats on arrive :
En 1831, la ville de Bruxelles avait 7 représentants, elle en aura tout à l'heure 13.
La ville de Liège en 1831, 4 représentants et parfois 5 représentants, parce qu'elle alternait avec le collège électoral de Huy ; eh bien, il s'agit d'attribuer à la ville de Liège 8 représentants, c'est encore à peu près le double.
Les mêmes réflexions s'appliquent aux arrondissements qui n'ont pas de grandes villes, mais qui sont de grands centres de population industrielle, par exemple à l'arrondissement de Charleroi qui en 1831 ne comptait que 2 représentants et auquel on propose d'attribuer aujourd'hui 6 représentants. (Interruption.)
L'honorable M. Pirmez a insisté, je pense, pour que (erratum, page 554) l'arrondissementa de Charleroi ait 6 représentants ! L'honorable M. Orts demande qu'on lui en accorde 5.
Au profit de quel élément a lieu cette augmentation de représentation ? Il est évident que c'est au profit de populations flottantes qui présentent à la fois le moins de garanties pour l'ordre public, et le moins de garanties pour l'exercice des droits électoraux.
Et quelles sont les populations que l'on sacrifie ? Ce sont celles qui sont restées fidèles au foyer de la famille, qui continuent à cultiver le champ de leurs pères et qui présentent au pays les garanties les plus solides et les plus (erratum, page 554)indiscutables.
Je n'hésite pas à le dire : il n'y a qu'un seul principe qui soit juste : c'est qu'un électeur vaille un autre électeur, c'est qu'un collège électoral soit l'équivalent d'un autre collège électoral.
Je demande à la Chambre la permission de lui citer une grande autorité, celle d'un publiciste illustre, celle de Benjamin Constant, qui a inséré dans ses Principes de politique, quelques lignes qu'il jugeait si essentielles, si importantes qu'il les a reproduites plus tard textuellement dans son projet de constitution.
Voici en quels termes il s'exprime :
« Qu'est-ce que l'intérêt général, sinon la transaction qui s'opère entre les intérêts particuliers ? Qu'est-ce que la représentation générale, sinon la représentation de tous les intérêts partiels ?... L'intérêt général est distinct sans doute des intérêts particuliers, mais il ne leur est point contraire... Les intérêts individuels sont ce qui intéresse le plus les individus ; les intérêts sectionnaires ce qui intéresse le plus les sections ; or, ce sont les individus, ce sont les sections qui composent le corps politique ; ce sont par conséquent les intérêts de ces individus et de ces sections qui doivent être protégés : et de là seulement peut résulter le (page 539) véritable intérêt public. Cent députés nommés par cent (erratum, page 554) sections d'un Etat apportent dans le sein de l'assemblée les intérêts particuliers de leurs commettants... Plus les choix ont été sectionnaires, plus la représentation atteint son but général.»
Ces principes de Benjamin Constant furent invoqués par l'opinion libérale pendant toute la Restauration ; et après la révolution de 1830, lorsqu'on renouvela presque toutes les lois politiques, un des premiers soins du gouvernement nouveau fut de saisir la chambre des députés d'un projet de loi qui mettait en pratique les principes professés par Benjamin Constant. Je lis dans l'exposé des motifs de la loi électorale proposée par le gouvernement français au mois de décembre 1830 :
« Ce qu'il fallait à la loi électorale, c'était le choix de quelques principes généraux, larges, sincères.... L'électorat représente tous les intérêts qui sont au-dessous de lui, intérêts spéciaux aux localités... Dans tous les cas, chaque collège ne nomme qu'un député, les intérêts distincts trouvent une expression spéciale. Dans aucun cas, il n'y a asservissement d'une influence à une autre, compression d'un intérêt réel par une rivalité voisine, et partant il y a toujours fidélité universelle de la représentation nationale. »
Depuis lors, messieurs, un éloquent commentateur de Benjamin Constant qui, à propos des passages que j'avais l'honneur de mettre tout à l'heure sous vos yeux, insistait sur l'importance de ces principes, M. Laboulaye, membre de l'Institut, a publié un livre que vous connaissez tous et qui est intitulé : Le programme du parti libéral, programme bien sage, bien patriotique, que je voudrais voir plus souvent invoqué par nos adversaires.
M. Laboulaye y insiste vivement sur le principe préconisé par Benjamin Constant « qui attache le député à un district déterminé, à un endroit où il est connu, apprécié, estimé. » M. Laboulaye l'appelle « un élément modérateur, un élément de calme et de raison » et il remarque que, si jamais éclataient des tempêtes, il pourrait sauver le pays parce que des élections faites sous ces auspices n'auraient pas pour base unique l'opinion du moment.
Voilà, messieurs, comment se sont exprimés sur cette question les hommes les plus compétents, et ces observations, ces vœux s'appliquent à la Belgique d'une manière plus puissante, plus vraie qu'à tout autre pays.
Pour ma part, je suis profondément convaincu qu'en dehors des questions politiques qui nous divisent, il y a dans chaque arrondissement des intérêts sérieux qu'on ne saurait assez défendre. Je suis convaincu qu'il est utile que l'électeur connaisse le candidat, qu'il puisse apprécier par lui-même son honorabilité, son zèle, son dévouement.
Et ici, je ne puis m'empêcher de rappeler avec quelle sagacité, avec quelle profondeur Montesquieu qui a précédé le régime constitutionnel, prévoyait déjà le véritable caractère de l'élection, lorsqu'il disait : « le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité ; il n'a à se déterminer que par des choses qu'il ne peut ignorer et par des faits qui tombent sous le sens. »
Hors de là, nous arrivons nécessairement à un système faux et vicieux. Nous arrivons à la dictature des comités qui veulent diriger les élections, qui substituent leurs propres tendances, leurs propres caprices à l'appréciation libre et individuelle de l'électeur. Nous nous trouvons en présence de ce fait regrettable que le candidat ne peut plus dans certain s arrondissements se présenter isolément. Il faut qu'il se résigne à n'être plus que l'instrument d'un comité.
Un candidat isolé, quel que soit son talent, quelle que soit son honorabilité, quelle soit sa position, ne pourra jamais se faire élire dans un collège où il y a plusieurs représentants à nommer, à moins qu'il ne figure dans des combinaisons où son individualité devra nécessairement s'effacer. Et quelle en est la conséquence ? C'est que dans les arrondissements où l'on rencontre une grande ville à côté des populations rurales, ce sera exclusivement dans les villes et jamais parmi les populations rurales qu'on choisira les candidats ; et, comme une autre conséquence non moins inévitable, les populations rurales qui n'ont plus un intérêt direct dans l'élection, s'éloigneront de l'urne électorale ; elles comprennent que leurs intérêts spéciaux ne sont plus représentés ; et en même temps vous verrez la domination se concentrer dans les villes, et le découragement se propager de plus en plus dans les campagnes.
Voilà le caractère de la situation des choses ; voilà comment la question se présente, et je soutiens qu'au point de vue de la justice, au point de vue de l'équité, au point de vue du développement de la vie politique, nous ne devons pas tarder plus longtemps à assurer à tous les électeurs l'égalité devant la loi politique ; je ne saurais assez insister sur ce point.
Veuillez, messieurs, être pénétrés de cette pensée, et c'est par là que je termine, que c'est en établissant des circonscriptions électorales, indépendantes les unes des autres, que nous assurerons l'indépendance même des électeurs.
Plus le nombre des circonscriptions électorales sera considérable, (erratum, page 554) plus nous resterons fidèles au système communal, qui est dans nos souvenirs, en nous rapprochant en même temps du système de décentralisation dans nos mœurs.
MfFOµ. - Plus nous nous rapprochons de la corruption.
M. Kervyn de Lettenhove. - Tels sont, messieurs, les motifs qui me font insister sur mon amendement.
Il en est un autre que j'ai déposé subsidiairement. je demanderai à la Chambre de m'en occuper ultérieurement s'il y a lieu, et d'une manière spéciale.
MPVµ. - L'amendement de M. Kervyn est appuyé ; il fait partie de la discussion.
La parole est à M. Tack.
M. Tack. - L'honorable M. Kervyn vient d'annoncer qu'il développerait ultérieurement son second amendement relatif à la répartition des membres par arrondissement. Je renonce pour le moment à la parole, me réservant de la prendre après que l'honorable membre aura développé son amendement.
M. de Naeyerµ. - Messieurs, les observations que je me propose de soumettre à la Chambre se rattachent exclusivement à la répartition des membres nouveaux de la représentation nationale entre les différentes provinces du pays.
La section centrale, après avoir décidé qu'il y a lieu d'augmenter de huit le nombre des représentants et de quatre celui des sénateurs, a fait d'abord une première répartition entre les provinces et ensuite une sous-répartition entre les différents arrondissements de chaque province.
Je dois reconnaître qu'en cela elle s'est conformée à nos précédents législatifs. On a opéré de cette manière en 1831, en 1847 et en 1859.
Je raisonne donc dans cette hypothèse et je me demande si la répartition entre les provinces que la section centrale nous propose, est bien conforme aux principes qui doivent nous guider en celle matière ?
Messieurs, le résultat que nous devons avoir en vue est bien clair et bien évident. Il s'agit de faire en sorte que toutes les localités soient représentées au sein de nos assemblées législatives, en quelque sorte dans une même proportion.
Il faut donc éviter, autant que possible, qu'il y ait excès de représentation pour certaines localités, et insuffisance de représentation pour d'autres.
Le problème, je le reconnais, n'est pas très facile à résoudre ; mais il présente une importance toute spéciale en ce qui concerne les répartitions entre les provinces parce que tout le monde reconnaîtra qu'entre les neuf provinces de la Belgique, il y a des différences d'intérêts beaucoup plus marquantes qu'entre les arrondissements d'une même province.
Pour simplifier la question, je commencerai par éliminer les opérations qui ne peuvent donner lieu à aucune objection, à aucune difficulté. Ainsi, il est incontestable, d'après les chiffres de la statistique qui nous a été soumise, que les quatre sénateurs doivent être attribués : un à la province de Liège, un à la province de Hainaut, un troisième à la province de Brabant et un quatrième à la province de Luxembourg.
Pour la province de Liège, la chose est claire, elle a un droit absolu. Elle a, pour le Sénat, un excédant de population qui s'élève à 90,000 âmes ; donc 10,000 de plus qu'il n'en faut en droit strict.
Pour les trois autres provinces, la chose est encore évidente, parce qu'elles ont toutes au delà de la moitié du chiffre requis pour nommer un sénateur, et aucune autre province n'atteint cette moitié.
Voilà donc une première opération qui n'est susceptible d'aucune controverse.
Quant aux huit nouveaux représentants, ici encore, il y en a quatre qui ne peuvent donner lieu à aucune difficulté, parce que, pour ces quatre, il y un droit absolu ; il y a un excédant de population qui dépasse 40,000 âmes.
Ainsi la province de Brabant doit, évidemment, avoir deux nouveaux représentants puisqu'elle a un excédant de 104,000 habitants. Le Hainaut peut faire valoir un droit absolu à un représentant de plus, puisqu'il a un excédant de 68,000 habitants. La province de Liège a un excédant de 50,000 habitants et peut, conséquemment, invoquer aussi un droit absolu à un représentant de plus. Ces opérations étant accomplies, c'est-à-dire, quatre sénateurs ayant été attribués aux provinces de Liège, de (page 540) Hainaut, de Brabant et de Luxembourg et quatre représentatifs ayant été répartis entre les provinces de Brabant, de Hainaut et de Liège, je me suis demandé quelle serait la position des différentes provinces, en d'autres termes quels sont les titres qu'elles peuvent faire valoir quant aux 4 représentants qui doivent être forcément attribués à des fractions de moins de 40,000 habitants.
Messieurs, veuillez remarquer qu'il ne s'agit plus ici de droits proprement dits, parce que le droit n'existe que là où il y a 40,000 habitants formant l'unité déterminée par la Constitution ; en réalité, il ne s'agit plus ici que de conférer des privilèges ; eh bien, je crois que pour les privilèges deux choses sont incontestables, c'est qu'ils ne trouvent leur justification que dans des motifs d'une absolue nécessité et qu'il faut éviter surtout de les cumuler, car c'est alors qu'ils deviennent véritablement odieux et injustifiables.
Il en résulte évidemment que pour faire la répartition d'une manière juste et équitable, on doit tenir compte des deux éléments de la représentation nationale, c'est-à-dire le Sénat et la Chambre des représentants, en d'autres termes que lorsqu'une localité est privilégiée pour le Sénat, il faut nécessairement en tenir compte lorsqu'il s'agit de la répartition des représentants afin d'empêcher autant que possible le cumul des privilèges.
M. Bouvierµ. - C'est le système des compensations.
M. de Naeyerµ. - C'est le système des compensations si vous voulez, mais d'après les considérations que je viens d'exposer sommairement, c'est le système qui doit prévaloir, pourvu qu'on l'applique d'une manière équitable. Ce qu'il pourrait y avoir de dangereux dans ce système, c'est qu'il peut prêter à l'arbitraire, mais lorsqu'on se conforme à certaines règles, l'arbitraire disparaît et le résultat est évidemment le meilleur au point de vue de la représentation vraie de tous les intérêts, car j'en reviens toujours à cette vérité indiscutable, qu'il faut autant que possible restreindre les privilèges en évitant de les cumuler.
C'est en nous basant sur ces principes que nous devons examiner les titres que les provinces peuvent invoquer dans la répartition des quatre représentants qui doivent être forcément attribués à des fractions de population.
Or, à cet égard, la situation des provinces se résume dans le tableau suivant :
Anvers. Excédant pour la Chambre des représentants : 38,073 ; déficit pour le Sénat : 1,927.
Brabant. Excédant pour la Chambre des représentants : 24,585 ; déficit pour le Sénat : 15,415
Flandre occidentale. Excédant pour la Chambre des représentants : 19,938 ; excédant pour le Sénat : 19,938
Flandre orientale. Excédant pour la Chambre des représentants : 24,175 ; excédant pour le Sénat : 24,175
Hainaut. Excédant pour la Chambre des représentants : 28,194 ; déficit pour le Sénat : 11,806
Liège. Excédant pour la Chambre des représentants : 10,534 ; excédant pour le Sénat : 10,534.
Namur. Excédant pour la Chambre des représentants : 31,134 ; déficit pour le Sénat : 8,866.
Messieurs, je laisse de côté les provinces de Limbourg et de Luxembourg pour ce motif-ci : c'est que pour Limbourg il y a même un léger déficit pour le nombre actuel de ses représentants et que le Luxembourg, lorsqu'il aura obtenu une sénateur de plus, aura pour le Sénat un déficit assez considérable, tandis qu'il n'a qu'un très faible excédant pour la Chambre : huit mille et quelques habitants.
Messieurs, je crois qu'on peut assez justement ramener les nombres fractionnaires indiqués dans ces tableau à un dénominateur commun, en tenant compte que 10,000 habitants, par exemple, donnent 1/4 de droit pour la nomination d'un représentant et 1/8 de droit pour la nomination d'un sénateur.
Or, en additionnant les excédants calculés sur cette base ou en soustrayant les déficits quand il y a lieu, j'arrive à un résultat qui se traduit comme suit ;
Province d'Anvers 92 p. c. d'un droit absolu, de Flandre orientale, 90 p. c., de Flandre occidentale, 74 p. c., de Namur 67 p. c., de Hainaut, 42 p. c., de Brabant, 42 p. c. et de Liège, 39 p. c.
Voilà, messieurs, la situation vraie des provinces, quant aux titres pouvant être invoqués dans la répartition des quatre représentants qui doivent être forcément attribués à des fractions de population.
Je commence par faire remarquer que parmi les quatre provinces qui figurent ici en première ligne, se trouvent Anvers et Namur qui ont déjà la fraction la plus forte quand on considère isolément les excédants pour la Chambre et, par conséquent, il y a incontestablement lieu de leur accorder un représentant de plus.
Reste donc à examiner les titres respectifs de la province de Hainaut, du Brabant et des deux Flandres.
J'établis d'abord la comparaison entre le Brabant et la Flandre orientale et je trouve ceci : c'est que l'excédant du Brabant pour la Chambre ne dépasse celui de la Flandre orientale que de 410 habitants, à peu près un et demi pour cent.
Il faut avouer que c'est bien peu de chose.
Or, faites bien attention que le Brabant, qui ne dépasse que de 410 habitants l'excédant de la Flandre orientale pour la Chambre, est privilégié pour le Sénat dans une assez forte mesure, de 20 p. c. Il lui manque 15,414 habitants pour avoir droit au sénateur en plus qu'on lui accorde, tandis que de l'autre côté, la Flandre orientale a un excédant de 24,175 habitants pour le Sénat qui est négligé. Il y a donc évidemment lieu ici de donner la préférence à la Flandre orientale, à moins qu'on n'adopte ce système monstrueux qui consiste à accumuler les privilèges sur la même tête, ce qui révolte la raison et tous les sentiments de justice et d'équité.
M. Bouvierµ. - Vous ne tenez pas compte des précédents.
M. de Naeyerµ. - Il n'y a pas de précédents. On a dit qu'on voulait faire la répartition d'après les principes adoptés en 1859. En 1859, il ne s'est présenté aucun cas de ce genre. Il n'y a pas d'exemple en 1859 d'une province pour laquelle on a négligé deux fois les excédants. Ils ont été comptés ou à la Chambre ou au Sénat.
M. Dumortier. - C'est contraire à tous les précédents.
MfFOµ. - Il n'y a pas là de précédents.
M. de Naeyerµ. - Je crois que pour le Brabant et pour la Flandre orientale quand on veut examiner la question d'une manière équitable, il n'y a pas de doute possible.
Il est évident que vous ne pouvez accorder la préférence au Brabant pour une minime population de 410 habitants alors qu'il est déjà privilégié de 20 p. c. pour le Sénat.
Pour le Hainaut et la Flandre occidentale, messieurs, la question, je le reconnais se présente dans des conditions moins favorables, mais cependant, voici comment je l'ai résumée d'après une analyse exacte des chiffres. Le Hainaut a un excédant de population de 28,194 habitants pour la Chambre. Pour la Flandre occidentale l'excédant ne s'élève qu'à environ 20,000 habitants. Sous ce rapport il y a évidemment infériorité pour la Flandre occidentale, mais le Hainaut a un déficit pour le Sénat de 11,806 habitants, sous ce rapport il jouit d'un excès de représentation qui se traduit par 15 p. c. tandis que la Flandre occidentale a un excédant, tant pour la Chambre que pour le Sénat, qui s'élève à près de 20,000 habitants et que d'après les bases de calcul indiquées plus haut, se traduit par 74 p. c. d'un droit absolu, tandis qu'en tenant compte du privilège accordé au Hainaut pour sa représentation au Sénat, son excédant pour la Chambre n'a plus qu'une valeur de 55 p. c. seulement du droit absolu.
Donc, ici encore, la balance doit pencher en faveur de la Flandre occidentale.
Messieurs, je crois que le meilleur moyen d'apprécier tous les systèmes c'est d'en voir les résultats. C'est là, je crois, la vraie pierre de touche. Eh bien, voyons quels seraient les résultats, pour nos différentes provinces, de la proposition que je viens de développer, c'est-à-dire si l'on attribuait les représentants pour lesquels il n'y a que des fractions de population aux provinces de Namur et d'Anvers d'abord, puis aux deux Flandres. Il arriverait qu'il n'y aurait plus que deux provinces qui seraient doublement privilégiées et cela dans une faible proportion.
Ce serait la province d'Anvers qui aurait un déficit de 1,927 habitants pour la Chambre et le Sénat, et la province de Namur qui aurait un déficit pour la Chambre et le Sénat de 8,866 habitants.
(page 541) Ceci aurait lieu parce qu'on ne pourrait réellement pas faire autrement, mais vous n'auriez plus aucune province dont l'excédant de population serait deux fois négligé, à l'exception cependant de la province de Liége dont le double excédant ne s'élève qu'à 39 p. c. d'un droit absolu, tandis qu'on ne pourrait le faire cesser qu'en sacrifiant l'excédant de la province de Namur qui, après déduction de son déficit pour le Sénat, est encore de 67 p. c.
D'après la proposition de la section centrale au contraire, vous auriez non pas deux provinces doublement privilégiées, mais quatre, et les deux dernières le seraient dans une bien plus forte proportion, puisque le Brabant aurait un double déficit de 15,414 habitants et le Hainaut un double déficit de 11,816 habitants ; vous auriez en même temps, ce qui n'a pas eu lieu en 1859 et ce qui est surtout monstrueux, deux provinces dont les excédants de population seraient deux fois négligés alors qu'ils s'élèvent respectivement à 90 p. c. et 74 p. c., etc.
Au point de vue de l'équité, la question est évidemment tranchée. Il n'y a pas à discuter. Il suffit de vous mettre sous les yeux les résultats indiqués. Je crois que le système proposé est condamné par les résultats qu'il doit produire.
Je ferai une dernière observation.
En admettant 8 nouveaux représentants et 4 sénateurs, il n'y aura plus dans tout le pays que 24,837 habitants qui ne seront représentés ni à la Chambre ni au Sénat, tandis que si vous admettez les propositions de la section centrale, vous aurez, pour les deux Flandres seules, 44,113 habitants qui ne seront représentés ni à la Chambre ni au Sénat.
Eh bien, je vous le demande, je m'adresse à votre loyauté, à vos sentiments de justice et d'équité, un pareil résultat est-il admissible ? Je ne crains pas votre réponse.
MpVµ. - Si personne ne demande plus la parole dans la discussion générale, je vais clore cette discussion.
M. Vander Doncktµ. - M. de Theux avait demandé la parole ; il est sorti un instant.
MfFOµ. - Il y a une proposition de M. de Theux, il faut attendre.
M. Orts. - Messieurs, pour ma part, je ne m'oppose pas a la clôture de la discussion générale. En ce qui concerne ma tâche de rapporteur, je n'ai à répondre qu'aux critiques dont a été l'objet la répartition des représentants et des sénateurs que la section centrale proposé à la Chambre. J'aurai mieux l'occasion de relever ces critiques lorsque nous arriverons à la discussion du tableau lui-même. Je ne serai pas exposé ainsi à répondre province d'Anvers à qui me parlera Hainaut. Telle est la marche que je compte suivre pour conserver l'ordre dans la discussion. Mais, avant la clôture de la discussion générale il me semble qu'il y aurait lieu à une explication et peut-être même à une division de cette discussion.
Le gouvernement devrait, me semble-t-il, s'expliquer, non pas sur les propositions de la section centrale, il s'en est expliqué à propos de la prise en considération de ma proposition, mais sur l'introduction dans le débat d'une proposition nouvelle par voie d'amendement, je veux parler de la proposition de l'honorable M. Kervyn. Cette proposition devrait être examinée préalablement dans la discussion générale, car si elle était adoptée, tout le reste du projet de loi tomberait, tout au moins faudrait-il le renvoyer à la section centrale pour qu'elle fît la répartition des représentants et des sénateurs d'après le système proposé par l'honorable membre.
Je proposerai donc à la Chambre de faire de l’amendement de l'honorable M. Kervyn l'objet d'une discussion séparée et préalable.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je n'insisterai guère sur la question préalable qu'à bon droit on pourrait proposer à là Chambre, parce que déjà elle a pris la proposition de l'honorable M. Orts en considération ; ce vote peut faire présumer que la question préalable ne serait pas adoptée.
Néanmoins, messieurs, il m'est impossible de ne pas vous présenter quelques réflexions relativement à ce point.
Vous aurez remarqué à combien de discussions et à quelles pertes de temps a donné lieu le système de l'honorable M. Orts qui consiste à anticiper sur la période décennale, et notez-le bien, messieurs, ce qui s'est passé depuis 1864 sous ce rapport se présentera à l'avenir lorsque au bout de 2, 3 ou 4 années on viendra introduire une nouvelle répartition.
La section centrale n'a pas voulu abroger la disposition de la loi de 1856 relativement à la période décennale ; elle n'a pas voulu y substituer une période plus courte, bien que la proposition en ait été faite. Que résulte-t-il de là ? Que pour l’avenir on restera dans le vague, dans une situation arbitraire. Chacun des membres de cette Chambre, le gouvernement lui-même peuvent prendre l'initiative d'une nouvelle répartition suivant ses intérêts, car l'honorable auteur de la proposition a signalé l'intérêt de son parti comme point de départ de sa proposition. Il est vrai qu'il a ajouté que dans l’état actuel des choses, une population plus ou moins considérable n'était pas représentée, mais c'est ce qui arrive à toutes les époques de la nouvelle répartition et la Belgique est de tous les pays celui qui a le plus souvent recours à une nouvelle répartition. D'ailleurs le système de l'honorable M. Orts ne conduit pas à la représentation de la population d'une manière complète. Bien loin de là, il y a des fractions considérables qui ne sont pas représentées en vertu de sa proposition, notamment pour les deux Flandres et aussi pour le district de Verviers qui est également si important.
C'est une mesure véritablement arbitraire qui conduira dans l'avenir à des discussions fréquentés et très longues et amènera souvent une perturbation plus ou moins grande dans la représentation nationale.
Messieurs, le système qu'a défendu mon honorable ami M. de Naeyer est, à quelques exceptions près, le même que celui que j'ai soutenu en section centrale et je me rallie à la répartition qu'il a indiquée pour les districts de Courtrai et d'Alost parce qu'elle est la plus équitable.
De quoi s'agit-il en cette occurrence ? Uniquement d'un partage impartial auquel doivent présider le droit et la justice.
De quoi, messieurs, se compose la famille belge qui est appelée à se partager 8 représentants et 4 sénateurs ? Cette famille belge se compose de 9 provinces. Huit provinces ont un droit absolu, strict à une augmentation de représentation. Que ferait-on en justice ? On ferait des lots et l'on tâcherait d'établir, au profit de chaque copartageant, un juste équilibre.
On ne donnerait pas les deux meilleurs lots à deux copartageants les plus riches pour priver deux autres copartageants moins riches.
C'est cependant ce que fait la section centrale.
Je dis, messieurs, que le partage doit se faire par province. L'article 53 de la Constitution le dit clairement :
« Art. 53. Les membres du Sénat sont élus à raison de la population de chaque province, par les citoyens qui élisent les membres de la Chambre des représentants. »
Or, si c'est par province que se fait le partage pour le Sénat, c'est également par province qu'il doit se faire pour la Chambre des représentants. Cela est évident comme le jour.
D'ailleurs les provinces sont les seules fractions du pays qui ont une existence réellement séparée ; les arrondissements ne comptent pas parmi nos 'institutions. Nous n'avons pas ici de conseils d'arrondissement comme il en existe en France, nous n'avons ici que des provinces.
Il ne peut être question ici de partage entre tous les arrondissements abstraction faite de provinces.
Ce système conduirait à des résultats tels, qu'il doit être considéré comme impossible, à moins d'adopter la proposition de M. Kervyn, relative au fractionnement par 40,000 habitants.
Dans la situation actuelle, ce système n'est pas possible. Donc il y a neuf copartageants ; ce sont les neuf provinces et il faut attribuer à chacune un nombre de représentants et de sénateurs proportionné à sa population, et si cette proportion ne peut être établie exactement, il faut tenir compte à l'un des copartageants de ce qu'il perd quant à la représentation pour le Sénat et quant à la représentation pour la Chambre : le Limbourg seul ne prend pas part à la répartition actuelle.
Le premier lot à faire pour la province est celui des sénateurs, parce qu'il est le plus difficile, à raison du chiffre élevé de 80,000 âmes nécessaire pour l'assignation d'un sénateur.
Si une province a 80,000 âmes, elle a droit à un sénateur, mais elle n'a pas droit à un représentant, lorsque d'autres provinces ont des droits à faire valoir. Si donc il y a un excédant dans une province pour un sénateur et un déficit pour un représentant, il faut établir une juste compensation avec une autre province qui a un excédant pour un représentant et un déficit pour le sénateur. C'est ainsi qu'on a toujours procédé.
Commençons donc par répartir les sénateurs.
Nous trouvons que les sénateurs doivent appartenir aux provinces de Brabant, Hainaut, Liège et Luxembourg. Cela fait, il nous reste huit représentants à répartir, ainsi que l'a dit M. de Naeyer. Quatre représentants sont attribués par la seule inspection des chiffres. Anvers un, le Brabant deux, la Flandre occidentale, à raison de son excédant, a évidemment droit à un représentant, la Flandre orientale également ; il faut donc enlever un représentant de trop donné à la province de (page 542) Brabant, par la section centrale, et un représentant de trop donné au Hainaut et vous avez alors la répartition suivante : Anvers 1, Bruxelles 2, Courtrai 1, Alost 1, Charleroi 1, Liège 1, Philippeville 1.
Chacun de ces arrondissements a le plus fort excédant relativement aux autres arrondissements de la même province. Faut-il avoir égard à l'excédant pour le Sénat et pour la Chambre ? Pas d'une manière absolue, car il ne s'agit que de répartir des représentants pour certaines provinces. Or, voyons quels sont les arrondissements qui ont, en comparaison de leur excédant, les droits les plus certains.
En examinant la cinquième colonne du tableau qui a été imprimé à la suite du rapport de la section centrale, on trouve que la province de Brabant a un excédant pour la Chambre et le Sénat réunis de 169,170. Prenez 80,000 âmes pour le sénateur et 80,000 pour 2 représentants et vous trouverez que la province de Brabant n'a plus qu'un excédant (erratum, page 554) de 9,170 âmes. La Flandre occidentale, au contraire, peut invoquer en plus, tant à raison de la Chambre qu'à raison du Sénat, 39,876 âmes ; il n'est donc pas douteux que c'est la Flandre occidentale qui doit avoir le troisième représentant que la section centrale attribue au Brabant. Le Hainaut a 136,388 habitants en plus que la population requise pour ses représentants et ses sénateurs actuels : 80,000 âmes pour un sénateur, 40,000 âmes pour un représentant, voilà 120,000 âmes ; le Hainaut en ayant 136,588, il ne lui reste plus, après avoir obtenu un représentant et un sénateur, qu'un excédant de 16,388 habitants.
La Flandre orientale a un excédant de 48,350 habitants, donnez-lui un représentant et il lui reste encore 8,350 habitants d'excédant.
La province de Liège a un excédant de population de 141,068 habitants ; donnez-lui un sénateur (80,000 âmes) et un représentant (40,000), voilà 120,000 âmes ; il ne reste plus à cette province qu'un excédant de de 21,068 habitants. Donc la part de la province de Liège est faite, et elle ne réclame plus rien ; sous ce rapport, je puis faire l'éloge de la province de Liège qui se contente de son strict droit, qui ne demande pas un privilège, qui ne demande que ce qui lui revient.
Le Limbourg a un excédant de 39,586 habitants ; mais comme cette province ne peut prétendre à un sénateur en plus et qu'il lui manque quelques centaines d'âmes pour ses cinq représentants actuels, on ne peut pas donner un représentant au Limbourg, il ne reste plus de représentants à répartir. Donc le Limbourg ne réclame rien.
Le Luxembourg a un excédant de population de 57,022 âmes ; on attribue un sénateur aux trois arrondissements réunis de cette province, qui ont la population la plus forte et il lui reste un déficit de 22,978 habitants. Donc le Luxembourg est hors de cause.
La province de Namur a un excédant de population de 22,268 âmes ; on lui attribue un représentant et il lui reste un déficit de 17,732 habitants.
La province de Namur n'a donc rien à réclamer non plus.
La Flandre occidentale présente, pour avoir un député de plus, un excédant de population de 39,876 âmes ; la Flandre orientale en présente un de 48,350 ; le Brabant n'a qu'un excédant de 9,170 âmes, avec un sénateur et deux représentants en plus, et le Hainaut reste avec un excédant de 16,000 âmes avec un sénateur et un représentant en plus.
Donc ni le Hainaut, ni le Brabant ne peuvent contester le droit des deux Flandres à avoir les deux représentants que la section centrale donne, pour de si faibles excédants au Brabant et au Hainaut.
Messieurs, j'invoque pour les deux Flandres le droit strict et l'équité. Je pose en fait qu'il n'y a pas un seul juge en Belgique qui osât attribuer un privilège au Hainaut et à la province de Brabant, au détriment des Flandres. Or, ce qu'aucun tribunal n'oserait faire, lorsqu'il aurait à prononcer entre copartageants, le pouvoir législatif, soucieux de sa dignité n'osera ni ne voudra le faire au détriment des Flandres.
Messieurs, j'ai parlé de droit strict et d'équité. S'il y avait même une légère différence, on serait peut-être admis à faire valoir les circonstances malheureuses qui ont atteint les deux Flandres dans leurs industries, la Flandre orientale dans son industrie cotonnière, la Flandre occidentale dans son industrie linière ; et c'est parce que ces provinces ont eu le malheur de souffrir principalement dans leurs grandes industries qu'on voudrait attribuer ce qui leur revient, à la province de Brabant qui a tous les bénéfices d'une grande capitale, et au Hainaut qui a tous les bénéfices de son industrie métallurgique et de son industrie houillère.
Il n'est pas possible que la Chambre consacre un système ainsi inique.
Messieurs, il me reste à parler d'une sous-répartition entre Louvain et Bruxelles, et Verviers et Liège.
Dans mon opinion, Liège doit avoir le représentant et Verviers doit avoir le sénateur.
Liège n'ayant que le représentant, aurait un excédant de population de 41,532 habitants, tandis que Verviers, en n'obtenant rien, aurait un excédant de 68,200 âmes qui ne serait pas représenté. Il est impossible d'admettre une pareille théorie.
Indépendamment du droit strict qui résulte de ces excédants de population respectifs, il y a encore une considération d'un ordre différent ; c'est que les intérêts de Verviers, à raison de son industrie, sont complètement distincts de ceux de Liège, à raison de l'industrie de ce district.
J'arrive maintenant à Louvain et à Bruxelles.
Dans mon système, Louvain n'obtiendrait pas de représentant, mais il aurait droit au sénateur, parce que, si on réunit les excédants tant pour la Chambre que pour le Sénat, Louvain a une population de 58,602 âmes qui ne serait pas représentée, tandis que Bruxelles n'aurait qu'une population de 47,328 âmes qui ne le serait pas. Donc le sénateur doit être attribué à Louvain, et les deux représentants doivent être accordés à Bruxelles.
Messieurs, une question a été soulevée relativement au district de Bruxelles : c'est celle de savoir s'il est dans les convenances politiques du pays de donner un accroissement indéfini à la représentation du district de Bruxelles sans le fractionner.
Il est constant que la population du district de Bruxelles, particulièrement de la capitale et de ses faubourgs, s'est accrue d'une manière étonnante depuis 1831 ; et en présence du chiffre que la population de Bruxelles et de ses faubourgs a atteint aujourd'hui, il est à prévoir que d'ici à un certain nombre d'années cette population pourra être doublée.
Quelle serait alors la situation du district électoral de Bruxelles relativement aux autres districts ? Ce district formerait la tête de la représentation nationale ; je dis plus : il formerait une tête monstrueuse qui dominerait, au besoin, la représentation nationale et le gouvernement. Que serait-ce, si Bruxelles arrivait à une population d'un million ? chose très probable dans l'avenir.
Si donc on n'admettait pas la proposition de l'honorable M. Kervyn, tendant à diviser le pays en districts électoraux de 40,000 âmes, on ferait très sagement de déterminer dès maintenant le chiffre maximum de la représentation du district de Bruxelles, et de décréter que ce district sera fractionné en deux parties, comprenant, l'une la capitale et ses faubourgs, l'autre, les autres communes de l'arrondissement qui aujourd'hui ne sont pas représentées, car aujourd'hui les électeurs de la capitale et des faubourgs qui ont, plus particulièrement, des intérêts communs, dominent entièrement les électeurs des autres communes de l'arrondissement.
Messieurs, je crois que pour le moment il faut établir une règle, quant au nombre des représentants et des sénateurs que la capitale et les faubourgs auront à élire. Je ne fixe pas ce chiffre. La discussion pourra peut-être m'éclairer sur ce point. Mais je crois qu'il y a nécessité gouvernementale et parlementaire de faire ce que j'indique.
Je me bornerai, quant à présent, à ces courtes observations, sauf à répondre aux objections qui pourront m'être faites.
- La suite de la discussion est remise à demain,
La séance est levée à 4 1/2 heures.