(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 517) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« L'administration communale de Saint-Trond demande que la route à construire de Saint-Trond à Waremme passe par Aelst, Mielen-sur-Aelst et Goyer ou du moins qu'elle parte de la route de Liège sur le territoire de Brusthem pour traverser ensuite Alost. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi portant une modification aux lois provinciale et communale.
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage dans les élections provinciales et communales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »
- Même renvoi.
« La commission administrative des hospices civils de Liège fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du rapport contenant l'exposé de la situation administrative des hospices civils de cette ville pendant les deux dernières années.»
- Dépôt à la bibliothèque.
« Il est donné lecture de deux messages par lesquels le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de lois suivants : 1° qui ouvre au département des finances un crédit spécial de fr. 22,593-10 ; 2° qui apporte des modifications à la loi du 10 avril 1841 sur les chemins vicinaux.
- Pris pour information.
M. Julliot (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai demandé la parole pour faire une interpellation au gouvernement, interpellation que j'aurais déjà faite, si j'avais été informé plus tôt de ce qui se passe.
Nous avons voté une loi qui permet au gouvernement de prendre des mesures de précaution contre l'invasion de la peste bovine qui sévit en Hollande et en Angleterre ; ces mesures ont pour caractère de porter atteinte à la liberté de circulation, la liberté des relations, soit la liberté du commerce, et ce fait par lui-même est déjà assez grave, car nous n'avons dans la Constitution aucun article qui permette de suspendre plutôt l'une que l'autre de nos libertés. En Angleterre, on peut suspendre ces article de la Constitution, mais ici il n'en est rien. Cependant les mesures générales proposées ont été approuvées, parce qu'on a pensé que le salut du pays en dépendait et qu'en généralisant les mesures, personne n'avait à se plaindre exceptionnellement.
Mais, messieurs, dans l'application il n'en est pas ainsi ; on permet les marchés au bétail dans les villes de premier et de deuxième ordre, et on les défend dans les villes moindres, qui en vivent. On transporte les marchés qui existent dans telle ville, dans telle autre ville, à son choix, là où même ils n'existaient pas. Eh bien, ce procédé est arbitraire et en opposition avec la justice et la loi. La suspension d'une liberté ne se comprend que quand elle est appliquée à tous.
L'arbitraire est odieux de sa nature, il est intolérable quand il menace une localité d'une ruine certaine.
Messieurs, on a supprime le marché à Tongres, où se trouvaient, tous les jeudis, de 500 à 800 têtes de gros bétail en vente, pour le remplacer par le marché de Liège, qui n'existait que de nom.
La ville de Tongres trouve une grande partie de son existence dans ses marchés au bétail. C'était le marché d'approvisionnement de Liège et d'une partie du Brabant, que le gouvernement, par un acte arbitraire, déplace et organise à Liège même, où il y a eu plus de 600 têtes de bétail au dernier marché.
Une fois l'habitude prise, il sera difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir le retour de ce qu'on a perdu.
Eh bien, je dis que sous l'égide de la Constitution, en présence des droits égaux de tous les citoyens au travail et à la vie, il ne doit pas dépendre de l'appréciation d'un ministre ou d'un bureau, de ruiner une ville en favorisant une autre de tout ce que perd la première.
Quand l'honorable ministre a accepté cette responsabilité, il n'a pas compté avec la popularité, il a montré un caractère indépendant, car quoi qu'il arrive, les mesures qu'il se croit obligé de prendre de son chef lui aliéneront beaucoup de sympathies.
Il est regrettable à tous les points de vue qu'on ne se soit pas borné à l'action exclusive de la loi, la même pour tous, sans réserve aucune d'exception.
J'ai foi dans la loyauté de l'honorable ministre de l'intérieur, il connaît aussi la vie économique des petites villes, dont il n'est pas l'adversaire.
Il doit comprendre qu'il n'y a pas de raison à défendre un danger à Tongres pour le transporter à Liège et le créer là où il n'existait pas. Car, je le répète, le marché au bétail était nul à Liège et les bouchers s'approvisionnaient aux marchés de Tongres, de Huy et dans les établés.
Je prie M. le ministre de me dire s'il admet lui-même qu'il peut ruiner le commerce des petites villes pour procurer aux bouchers de Liège des facilités qu'ils n'ont jamais eues.
Nous devons soumission aux lois générales du pays, mais quand il s'agit de mesures arbitraires exceptionnelles qui permettent de choisir les localités qu'on frappera et celles qu'on élèvera aux dépens des premières, les victimes de ces mesures hésitent entre leurs intérêts les plus vivaces et la soumission à une ordonnance arbitraire, et si parfois il leur arrive d'enfreindre l'arbitraire, elles sont graciées d'avance par l'opinion publique ; or, il ne faut pas exposer nos populations à ces rudes épreuves.
Loin de moi l'idée de prêcher la résistance, mais tenons-nous à la loi et au droit et à l'égalité de traitement et on sera soumis.
Je conjure le gouvernement de ne pas continuer à dire : Je supprime le marché à Tongres, j'en ouvre un à Liège pour donner aux bouchers de cette localité des facilités qu'ils n'ont jamais eues ; voilà le motif sérieux qui me fait déplacer le commerce dont vivaient et Tongres et Huy.
D'ailleurs, si Liège, aussi près des frontières que nous, n'offre pas de danger, pourquoi Tongres en offre-t-il ?
Comme conséquence de la loi, le gouvernement indemnise de la perte éventuelle du bétail. Je demande si, comme conséquence de cette même loi, le gouvernement se propose d'indemniser de la perte réelle et continue de la fermeture des marchés. Evidemment non, il leur dira : Aide-toi et le ciel t'aidera.
Messieurs, les habitants de la ville de Tongres, voyant que, par un acte d'administration, on leur enlève une partie notable de leur trafic, sont en grand émoi.
Puis encore, la peur grossit le mal, et on colporte que les marchés de la race ovine et porcine vont aussi être supprimés à Tongres et à cet égard je désire une réponse nette et claire.
Messieurs, la mission du gouvernement est délicate ; il a une grande responsabilité ; mais il doit distinguer. Donner des facilités aux acheteurs et aux vendeurs où la chose peut se faire sans pertes considérables à essuyer par des tiers, n'est pas chose mauvaise ; mais déplacer ostensiblement et sur une large échelle le commerce de l'un point sur un autre sous prétexte de faciliter les transactions, cela n'est pas permis, car alors le gouvernement devient un ennemi implacable de ceux qu'il terrasse et ce n'est pas son rôle. S'il ne peut favoriser une localité qu'en blessant de nombreux intérêts respectables, il doit s'abstenir.
Le marché que vous venez de créer à Liège, et c'est le mot, offre les mêmes chances que celui de Tongres. Permettez donc l'existence de l'un (page 518) et de l'autre pour le bétail gras, mais ne soyez pas le froid auteur de notre ruine. Voilà le langage que mes commettants sont fondés à tenir, et si, contre mon attente, ce droit était refusé, alors supprimez en vertu de la loi les marchés que vous avez arbitrairement maintenus et les justes récriminations qui se font jour n'auront plus la justice pour base.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pour répondre au discours que vient de prononcer M. Julliot, je crois pouvoir me borner à citer des faits, sans entrer dans la discussion des grands principes économiques, que l'honorable membre a du reste développés avec son talent habituel,
Messieurs, dès que la loi du 7 février fut publiée, loi qui donne au gouvernement des pouvoirs étendus, je me suis empressé de prendre, pour combattre l'invasion de. la peste bovine, toutes les mesures indiquées par la science et commandées par la prudence.
L'interdiction des foires et marchés m'était signalée comme une des mesures les plus urgentes à prendre.
La Chambre comprendra, en effet, que les marchés facilitent singulièrement la propagation de la maladie ; la fréquentation de ces marchés développe la circulation du bétail et les marchands qui ont à vendre des bêtes suspectes ou des animaux qu'ils sont parvenus à introduire de l'étranger, malgré la surveillance de la douane, les vendeurs, dis-je, trouvent facilement à vendre ces marchandises suspectes sur un marché public.
Les marchés offrent encore des dangers par l'accumulation du bétail dans une même localité et par la difficulté de constater l'état de santé d'un grand nombre d'animaux présentés simultanément en vente.
Ce point étant entendu, le gouvernement aurait voulu pouvoir interdire d'une manière absolue toutes les foires, tous les marchés de bétail. Mais ici deux intérêts se sont trouvés en présence. A côté de l'intérêt agricole vient, en effet, se placer l'intérêt de l'alimentation dans les grands centres de population qui se fournissent aux marchés publics de bétail.
Le gouvernement a interdit d'une manière absolue les foires et marchés de bétail maigre, mais il a cru que, dans certains cas, il pouvait et devait maintenir ceux où du bétail gras est seul exposé en vente à ces derniers marchés présentent d'ailleurs moins d'inconvénients, attendu que ce bétail est transporté du marché à l'abattoir. Mais quels étaient les marchés à conserver, quels étaient ceux que l'on pouvait supprimer ? Le gouvernement, pour s'éclairer, a demandé des renseignements aux gouverneurs de province ; il a invité ces hauts fonctionnaires à faire connaître quels étaient les marchés de cette catégorie qu'il fallait absolument maintenir dans l'intérêt exclusif de l'alimentation des grands centres de population.
C'est à la suite de cette instruction que le gouvernement a déterminé les marchés qui pouvaient être conservés. Je ferai remarquer que ces autorisations ne sont que provisoires ; du jour au lendemain le gouvernement peut les retirer et déjà il vient de retirer l'autorisation qui avait été accordée à la ville d'Anvers, parce que dans les environs de cette ville des cas de peste, d'une nature alarmante, ont éclaté récemment ; ce retrait était du reste parfaitement justifié et l'administration communale a compris que les marchés de bétail devaient être supprimés jusqu'à complète disparition du danger. On comprendra que dans des questions de cette importance, le gouvernement n'ait pas à se préoccuper d'intérêts locaux, quelque respectables qu'ils soient ; il ne doit écouter que la voix de l'intérêt public et ne maintenir les marchés que là où la consommation locale l'exige impérieusement.
Je comprends mieux que personne, messieurs, tout ce qu'il y a de pénible pour une petite ville de perdre un marché qui est pour elle une source de prospérité et qui donne de grands bénéfices à certaines catégories d'habitants. J'apprécie parfaitement bien combien de pareils froissements sont pénibles. Mais le gouvernement a, avant tout, des devoirs à remplir, il ne doit se placer qu'au point de vue de l'intérêt général et, dans des circonstances aussi graves, il ne peut tenir compte que d'une manière secondaire des intérêts locaux.
Le gouvernement, dans les circonstances actuelles, est tenu d'agir avec beaucoup de vigueur et avec énergie pour préserver le pays d'un fléau qui nous menace tous les jours de plus en plus et, le cas échéant, pour parvenir à éteindre les foyers qui pourraient se produire.
Le gouvernement, je puis le dire encore, ne rencontre pas toujours dans les communes le concours sur lequel il devrait pouvoir compter, il est mal secondé surtout par les particuliers, qui cependant auraient le plus grand intérêt à prêter aide au gouvernement, parce que celui-ci n'agit que dans l'intérêt de l'agriculture et pour garantir les intérêts privés les plus importants.
Des faits récents nous ont encore donné la preuve de la coupable apathie de certains détenteurs de bestiaux.
Du reste, je ne me refuse pas à examiner la question. Le gouvernement n'a aucun intérêt à supprimer tel marché plutôt que tel autre. Des réclamations m'ont été adressées par les administrations communales de Tongres et des communes environnantes et si ma mémoire est fidèle, des renseignements sont demandés à l'autorité provinciale.
J'attends ces renseignements pour voir s'il est possible de faire quelque chose pour la localité que représente l'honorable M. Julliot. Quant aux marchés de porcs et de moutons, il est possible que les circonstances forceront le gouvernement à en prononcer la suppression ; toutefois je ne le prévois pas quant à présent.
M. Julliot. - Messieurs, je remercie l'honorable ministre des intentions qu'il manifeste en soumettant à l'instruction la question d'urgence de maintenir le marché au bétail gras à Tongres.
Je suis convaincu que les rapports seront vrais et par conséquent favorables à nos justes réclamations. Ce qui a dû nous émouvoir, c'est que nous voyons créer à côté de nous un marché qui accapare notre commerce et le conservera.
M. Vleminckxµ et M. Bouvierµ. - Pas du tout ; votre crainte n'est pas fondée.
M. Julliot. - C'est une affaire d'appréciation, et qu'en savez vous ? Vous êtes des juges ignorants à mes côtés, car je suis parfaitement au courant des intérêts qui me sont confiés et vous ne l'êtes pas du tout.
J'attends donc un résultat favorable de l'enquête qui sera faite sur la nécessité de notre situation et il est reconnu qu'il n'est pas question de supprimer les marchés des races porcines et ovines.
M. Jamarµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, je désire à mon tour demander quelques explications à M. le ministre de l'intérieur au sujet d'un arrêté royal qui a causé, dans une des communes de l'agglomération bruxelloise, la plus vive, et je m'empresse d'ajouter, la plus légitime émotion.
Cet arrêté royal autorise, sous certaines conditions, MM. Vander Elst frères à transférer la fabrication de l'acide nitrique, de l'ammoniaque liquide et de sel d'étain, établie rue de l'Artifice, dans une usine de la commune de Saint-Gilles appartenant aux mêmes propriétaires.
Cette demande de MM. Vander Elst a soulevé les plus énergiques protestations de la part des habitants. L'administration communale a donné un avis défavorable, et la députation permanente, après avoir examiné cette affaire avec le plus grand soin, a rejeté la demande de MM. Vander Elst frères.
Tant et de si sérieuses considérations justifiaient la décision prise par la députation permanente, qu'il ne vint à l'esprit de personne dans la commune que cette décision pût être modifiée par le gouvernement, et je puis dire sans la moindre exagération que le Moniteur du 17 février est venu consterner la commune de Saint-Gilles dont le conseil communal a cru devoir donner immédiatement sa démission.
Je dis que cette émotion était légitime, et en effet, depuis bientôt trente ans l'usine de MM. Vander Elst frères empoisonne de miasmes délétères, dans un rayon de 400 à 500 mètres, le plateau le plus salubre des environs de Bruxelles, où le gouvernement et la ville on créé à grands frais une avenue monumentale.
Il y a eu des abus tellement criants constatés en 1850 et en 1854 que ce que j'appellerai des attentats contre la santé publique amenèrent à deux reprises différentes, contre les propriétaires de l'usine, des condamnations à de fortes amendes et à plusieurs jours de prison.
C'est cette usine que la commune de Saint-Gilles considère avec raison comme une calamité, comme un fléau, à laquelle on donne une importance nouvelle et dont l'arrêté royal du 16 février vient de consacrer l'existence au milieu d'une population froissée dans ses intérêts et dont la santé, je les répète, est gravement compromise.
Des pétitions se signent en ce moment parmi les habitants de la commune de Saint-Gilles pour demander à M. le ministre de l'intérieur le retrait, non seulement de l'arrêté du 16 février, mais encore de tous les octrois qui ont été accordés aux frères Vander Elst. Je déclare, pour ma part, que j'appuie de toutes mes forces les réclamations que ces mesures ont soulevées et dont je puis certifier à M. le ministre le fondement et la légitimité.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, permettez-moi de rappeler d'abord quelques faits afin de mettre la Chambre à même d'apprécier la situation de l'affaire qui fait l'objet de l'interpellation. La fabrique de produits chimiques de M. Vander Elst et comp., établie dans la rue de l'Artifice, à Bruxelles, a dû être expropriée pour cause d'utilité publique. Les industriels dont (page 519) il s'agit se sont adressés à l'autorité compétente pour obtenir l'autorisation de transférer l'industrie qu'ils exerçaient à Bruxelles, dans leur usine située à Saint-Gilles.
Le conseil communal de Saint-Gilles, consulté à cet égard, a émis un avis défavorable, et cela se conçoit : cette usine, comme toute usine, donne lieu à des inconvénients, déprécie les propriétés riveraines, et l'administration communale de Saint-Gilles défend trop bien, en toutes circonstances, les intérêts de ses administrés, pour ne pas s'être prononcée contre la demande du sieur Vander Elst.
Ainsi que l'a rappelé l'honorable M. Jamar, la députation permanente n'a pas accordé l'autorisation sollicitée, de là recours au gouvernement.
Messieurs, quand de pareilles questions se présentent, le gouvernement est toujours dans une position délicate. En effet, d'un côté, il y a très souvent d'immenses intérêts personnels en jeu ; de l'autre, l'intérêt public réclame.
Dans mon opinion, pour porter atteinte à la liberté de l'industrie, pour léser sérieusement des intérêts respectables, il faut que le gouvernement ait des motifs très graves ; il faut, en d'autres termes, que l'intérêt général exige impérieusement que cette atteinte soit portée à la liberté de l'industrie.
Quand donc le recours du sieur Vander Elst a été adressé au Roi, j'ai fait ce que je fais en toutes circonstances semblables : j'ai cherché à m'éclairer.
Il existe, messieurs, vous ne l'ignorez pas, un conseil supérieur d'hygiène et de salubrité publique. Ce conseil est composé de savants distingués, d'hommes parfaitement compétents ; et, en pareil cas, c'est à lui que je m'adresse pour lui demander le concours de ses lumières.
Le conseil supérieur de salubrité a donc examiné la question : du rapport qui m'a été adressé, il résulte d'abord que l'usine de Saint-Gilles a été autorisée en 1835 par la députation permanente ; que depuis cette époque différents octrois nouveaux lui ont été accordés, moyennant conditions. Le rapport fait remarquer, ensuite, que déjà la compagnie Vander Elst a obtenu l'autorisation de transférer de Bruxelles à Saint-Gilles une partie de l'industrie qu'elle exerçait depuis longtemps dans la capitale et notamment la fabrication de l'acide sulfurique qui est la cause principale des émanations insalubres.
Enfin, il résulte de l'ensemble de ce rapport que la translation de l'usine secondaire de Bruxelles à Saint-Gilles n'aggravera pas, dans des proportions notables, l'insalubrité de l'établissement principal.
Je ferai remarquer encore à la Chambre que tous les octrois accordés à la compagnie Vander Elst portent en termes formels que l'autorité, aura le droit de révoquer l'autorisation pour cause d'inobservation des conditions ou si des considérations d'intérêt général ou l'expérience rendaient cette mesure nécessaire ou convenable.
Messieurs, pour bien faire comprendre la situation, je demanderai à la Chambre la permission de lire les conclusions du conseil supérieur d'hygiène. Ces conclusions sont les suivantes :
Le conseil, vu le rapport qui précède, après en avoir délibéré est d'avis :
1° Que le transfert demandé peut être autorisé, sous les mêmes réserves que celles apposées aux octrois précédents.
2° Qu'en portant cette opinion à la connaissance du ministre, le conseil déclare qu'il ne croit pas pouvoir se dispenser de subordonner cet avis à la condition que le gouvernement se décide, le cas échéant, à user du pouvoir que lui accordent les différents octrois et qui lui donnent le droit de révoquer, purement et simplement, toutes les autorisations accordées aux propriétaires de l'établissement de Saint-Gilles, s'ils ne parviennent à protéger complètement la santé publique contre les émanations délétères de leur usine.
En présence de ce rapport et de ces conclusions, j'ai pensé, messieurs, qu'il ne m'était pas permis de refuser l'autorisation demandée.
Cette autorisation a été entourée de conditions à l'observation desquels je tiens et je déclare à la Chambre que si ces conditions n'étaient pas observées ou s'il y avait lieu d'user du droit accordé au gouvernement de retirer purement et simplement l'autorisation, je n'hésiterais pas à le faire du moment où il serait prouvé que l'intérêt public l'exige impérieusement. En attendant, le fabrique est surveillée de très près ; un agent spécial est même chargé de cette surveillance ; je puis promettre à l'honorable M. Jamar, que cette surveillance ne cessera pas d'être vigilante et que je saurai, au besoin, prendre les mesures qui me sont imposées pour sauvegarder l'intérêt public.
M. Vleminckxµ. - Après l'exposé que vient de faire l'honorable ministre de l'intérieur, j'ai peu de chose à dire à la Chambre. Cependant, je crois pouvoir lui apprendre les motifs qui ont déterminé le conseil supérieur d'hygiène à permettre l'adjonction à l'établissement de Saint-Gilles, de celui que MM. Vander Elst frères possédaient à Bruxelles.
Le rapport dont l'honorable ministre vous a lu les conclusions n’est peut-être pas assez explicite.
Lorsqu'il a été soumis au conseil d'hygiène, il y a été l'objet d'une très longue discussion, et, c'est à la suite de celle-ci qu'il a été reconnu que l'adjonction des fabrications de la rue d'Artifice, à Bruxelles, à la fabrication de Saint Gilles n'aggravait, en aucune façon, la situation de cette dernière commune. J'aime à le déclarer ici, s'il y avait eu aggravation quelconque, au point de vue de la salubrité (et le conseil supérieur de l'hygiène n'a eu a s'occuper que de celle-là), il eût donné un avis négatif quelque désagréable qu'il eût pu être pour lui d'émettre un pareil avis.
Mais, messieurs, il reste toujours la fabrique de Saint-Gilles, fabrique qui sera très bien surveillée, ainsi que le dit l'honorable ministre de l'intérieur, mais qui n'en sera pas moins toujours une fabrique insalubre, une fabrique peu faite pour donner aux habitants de Saint-Gilles les garanties de salubrité auxquelles ils ont droit.
Il y a d'autres motifs encore que des motifs de salubrité qui exigent que l'établissement disparaisse le plus tôt possible. La population de Saint-Gilles devient considérable ; dans peu d'années, elle atteindra le chiffre de 30,000 ou 40,000 habitants et l'établissement de MM. Vander Elst est un obstacle à l'expansion.
Je ne puis donc que conjurer l’honorable ministre de l'intérieur de faire tout ce qui est en lui pour faire disparaître le plus tôt possible cette fabrique et de recourir à cet effet à une combinaison quelconque qu'il jugera la plus propre à faire atteindre ce but.
M. Jamarµ. - Messieurs, je ne doute pas de la bonne volonté de l'honorable ministre de l'intérieur, mais je déclare qu'il m'est impossible de me contenter de la promesse un peu vague qu'il vient de me faire. Qu'a dit le conseil supérieur d'hygiène ? Il déclare que la fabrication de l'acide nitrique, de l'ammoniaque liquide et du sel d'étain est une fabrication insalubre qui ne doit pas être permise dans un centre de population. Il n'a pas combattu l'opinion de la commission médicale locale de Bruxelles qui a déclaré que l’établissement de la rue de l'Artifice exerce l'influence la plus délétère sur les malheureuses populations entassées dans les masures groupées autour de l'usine. Mais il a ajouté que l'établissement de Saint-Gilles est tellement insalubre que les inconvénients de la fabrication nouvelle n'augmenteraient pas l'insalubrité de l'établissement de Saint-Gilles.
Eh bien, il me semble qu'en présence d'un pareil rapport il n'y avait qu'une seule chose à faire, c'est de retirer les octrois accordés à MM. Vander Elst, et je prie M. le ministre de l'intérieur de vouloir étudier de nouveau cette affaire au point de vue de cette solution que commandent à la fois l'intérêt des populations de Saint-Gilles, et la justice et l'équité.
M. Lelièvreµ. - Il me paraît inutile de continuer le débat sur la motion d'ordre de l'honorable M. Jamar. En effet, le gouvernement, dans les limites de ses attributions, a statué sur l'autorisation dont l'usine ne pouvait se passer. L'arrêté qui est intervenu forme pour l'établissement un véritable droit acquis. Il ne pourrait être révoqué que par suite de faits postérieurs qui modifieraient l'état actuel des choses. Pour le moment, l'autorité compétente, après enquête et instruction, a statué : il faut bien respecter cette décision, à moins que des événements subséquents ne viennent démontrer la nécessité de rapporter en tout ou en partie la décision première.
C'est évidemment cet ordre de choses qui est conforme aux règles administratives non moins qu'aux principes de justice et d'équité.
M. De Fréµ. - Messieurs, je viens appuyer les réclamations présentées par l'honorable M. Jamar. Il est évident qu'il y a là un danger. L'insalubrité qui vient d'être constatée par l'honorable M. Vleminckx aurait dû engager le conseil d'hygiène à ne pas donner un avis favorable. Avant que le nouvel octroi fût accordé par le gouvernement, il y avait déjà une cause permanente d'insalubrité, et comme l'a fort bien dit M. Jamar, le nouvel arrêté est venu aggraver cet état de choses. Ce qu'il fallait faire, ce n'était pas de mettre une fabrique insalubre à côté d'une autre fabrique insalubre, mais il fallait faire disparaître la première.
J'engage donc le gouvernement à user de la faculté que la loi lui donne afin de faire disparaître cette cause permanente d'insalubrité.
Elle est un obstacle au développement du faubourg de Saint-Gilles, et aujourd'hui que les habitants de Bruxelles vont être frappés d'impôts nouveaux, il faut laisser de l'espace à ceux qui veulent se répandre au dehors. Vous avez vu l'émotion produite par l'arrêté du 17 février. L'administration communale de Saint-Gilles, qui gère les affaires de la (page 520) commune avec un zèle et une intelligence dignes des plus grands éloges, a dû donner sa démission. C'est là un fait fort regrettable ; car elle avait donné en peu de temps un développement considérable à cet important faubourg. La commune se trouve privée aujourd'hui d'une direction sage et énergique.
La question est jugée par ceux qui sont les plus compétents pour la juger. Ceux qui souffrent de cet état de choses se plaignent et le gouvernement doit tenir compte de ces plaintes. J'engage donc l'honorable ministre de l'intérieur à user des pouvoirs que la loi lui donne pour faire cesser cette situation le plus tôt possible.
M. Vleminckxµ. - Ou je me suis mal expliqué ou l'honorable M. De Fré m'a mal compris. Le gouvernement, dit-il, eût dû, après avoir reçu l'avis du conseil supérieur d'hygiène publique, non seulement ne pas permettre l'adjonction de l'établissement de la rue de l'Artifice à l'établissement de Saint-Gilles, mais encore supprimer l'établissement de St-Gilles lui-même.
Le conseil supérieur d'hygiène n'a été consulté en dernier lieu que sur la seule question de savoir si l'adjonction de l'établissement de Bruxelles à celui de Saint-Gilles était de nature à aggraver la situation des habitants de cette commune.
L'avis du conseil, vous le savez, a été pour l'adjonction. Mais si cette adjonction eût dû le moins du monde être dommageable pour Saint-Gilles, je le répète, cet avis eût été incontestablement négatif.
Mais le conseil n'a pas eu à se prononcer sur la question de savoir s'il convient oui ou non de supprimer l'établissement de Saint-Gilles ; s'il l'avait été, il eût répondu à l'unanimité de ses membres : Supprimez-le.
- L'incident est clos.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre deux projets de lois : l'un séparant les hameaux de Boirs et d'Anze, des communes de Glons et de Houtain-Saint-Siméon, province de Liège, pour être érigés en commune distincte, sous le nom de Boirs ; l'autre, séparant le hameau de Godarville de la commune de Gouy-le-Pieton, province de Hainaut, pour être érigé en commune distincte, sous le nom de Godarville.
- Il est donné acte au ministre de l'intérieur du dépôt de ces projets de lois qui seront renvoyés à l'examen des sections.
Il est procédé au scrutin ; en voici les résultats.
Nombre de votants, 68.
Majorité absolue, 35.
Les sieurs :
Jean Theunissen, boulanger et propriétaire, né à Noorbeek (partie cédée du Limbourg), le 1er octobre 1826, domicilié à Fouron-Saint-Martin (Liège), obtient 55 suffrages.
Henri-Bernard KIosterhalven, photographe, né à Maestricht, le 21 décembre 1822, domicilié à Liège, 53.
Hubert-Emmanuel Knapen, maître menuisier, né à Weert (partie cédée du Limbourg ), le 23 décembre 1818, domicilié à Laeken (Brabant), 55.
Pierre-Jacob Jessen, maréchal en carrosserie, né à Susteren (partie cédée du Limbourg), le 1er juillet 1830, domicilié à Saint-Josse-ten-Noode (Brabant), 55.
François-Gustave-Théophile Seyrig, ingénieur mécanicien, né à Berlin, le 19 février 1843, domicilié à Bruxelles, 51.
Henri Willems, maître boulanger, né à Raamsdonck (Pays-Bas), le 18 juillet 1827, domicilié à Bruxelles, 52.
Henri Merzbach, directeur de librairie, né à Varsovie, en 1837, domicilié à Bruxelles, 52.
Johann Schlag, surveillant à l'institut agricole, né à Brandscheid (Nassau), le 1er décembre 1843, domicilié à Vaux-et-Borset (Liège), 27.
Liévin-Jean-Marie-Joseph-Alexis Moguez, maître d'études au pensionnat de l'athénée royal, né à Douai (France) le 20 avril 1829, domicilié à Liège, 53.
Moïse Wyngaard, boucher, né à Maestricht, le 3 mars 1831, domicilié à Tongres, 53.
Mathias Donderlinger, sous-officier au 4ème régiment d'artillerie, né à Diekirch (grand-duché de Luxembourg), le 14 janvier 1839, 51.
François-Hermann Struckhoff, pilote, né à Holdorf (Oldenbourg), le 9 juillet 1813, domicilié à Willebroeck (Anvers), 51.
Ferdinand Oberstadt, sous-ingénieur, chef de traction au chemin de fer du Grand-Central, domicilié à Lodelinsart (Hainaut), 52.
En conséquence toutes ces demandes, sauf celle du sieur J. Schlag, sont prises en considération ; il en sera donné information au Sénat.
MpVµ. - L'ordre du jour appelle le vote pour la prise en considération de la demande de grande naturalisation du sieur P.-J.-B. De Cort.
Le rapport de la commission est ainsi conçu :
Le père du pétitionnaire, né à Ath, de parents belges, n'a jamais perdu sa nationalité.
La mère, d'origine française, est devenue Belge par son mariage, et le fils, suivant la condition du père, a la même nationalité que lui.
En conséquence la demande adressée à la législature est sans objet, puisque le sieur De Cort possède déjà la qualité de Belge qu'il réclame.
Votre commission, messieurs, vous propose de passer à l'ordre du jour.
- L'ordre du jour est prononcé.
M. Mullerµ. - Je ferai une observation, c'est que M. le ministre de la justice a présenté des objections sur l'inopportunité de statuer séparément sur cet objet et qu'il n'est pas présent. Je n'ai pas autre chose à dire.
M. Orts. - J'ai présidé la commission d'organisation judiciaire qui a examiné le projet de loi. Avant de procéder à cet examen, la commission a demandé à M. le ministre de la justice, s'il avait des observations à présenter contre le projet qui émanait de l'initiative de MM. Lelièvre et Guillery.
M. le ministre de la justice a répondu qu'il n'avait aucune espèce d'objection à présenter contre ce projet et que, s'il avait fait des réserves, c'était uniquement au point de vue financier et parce qu'il ne savait pas si la suppression de ces amendes ne priverait pas le trésor de ressources considérables. C'était là une question à examiner par M. le ministre des finances. Nous lui avons demandé s'il tenait beaucoup à la recette que MM. Lelièvre et Guillery proposaient de lui enlever et M. le ministre des finances a répondu qu'il n'y tenait en aucune façon, que l'équilibre des recettes et des dépenses n'en serait nullement affecté. Je pense donc que, dans cette situation, rien ne s'oppose à ce que la proposition dont il s'agît soit soumise aux délibérations de la Chambre.
D'ailleurs M. le ministre des finances est là et peut nous faire connaître son opinion.
MfFOµ. - Comme vient d» le dire l'honorable M. Orts, j'ai été consulté sur le point de savoir si, sous le rapport financier, il y avait quelque objection à faire à la proposition de MM. Lelièvre et Guillery. J'ai fait examiner la question, et il résulte de cet examen que l'adoption de cette proposition ne pourrait avoir sur les finances aucune espèce d'influence, par le motif que le produit des amendes qu'il s'agit de supprimer, s'élève annuellement à une moyenne de 7,000 fr. (Interruption.) J'ai donc pu facilement acquiescer à cette proposition. Elle a si peu d'importance qu'il eût mieux valu attendre la discussion du projet de réorganisation judiciaire, plutôt que de consacrer un projet de loi spécial à la solution d'une pareille question.
MpVµ. - Insistez-vous, M. Muller, pour la remise de la discussion ?
M. Mullerµ. - Non, M. le président.
- La discussion générale est close et l'assemblée passa à celle des articles.
« Art. 1er. Aucune amendé lie pourra être prononcée en matière civile contre le demandeur en cassation dont le pourvoi aura été rejeté. »
M. Jacobsµ. - M. le ministre des finances nous a indiqué le montant des amendes des pourvois en cassation ; je lui demanderai s'il y a moyen d'abolir les amendes d'appel, sans que le trésor en souffre trop considérablement.
On ne peut abolir les amendes en cassation et maintenir les autres.
(page 521) M. Lelièvreµ. - La suppression de l'amende en cas d'appel fait l'objet de l'article 2 du projet. On comprend en effet que si l'on fait disparaître les amendes en cas de recours en cessation, il faut statuer de la même manière en ce qui concerne l'appel.
- L'article est adopté.
« Art. 2. Sont supprimées les amendes prononcées par les articles 471, 479, 494 et 1025 du Code de procédure civile. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
64 membres prennent part au vote.
62 votent pour le projet.
2 votent contre.
En conséquence, le projet est adopté. Il sera transmis au Sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Vleminckx, Wasseige, Ansiau, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Carlier, Couvreur, Crombez, de Baillet-Latour, de Conninck, de Florisone, De Fré, Delcour, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Dewandre, de Woelmont, Elias, Frère-Orban, Funck, Grosfils, Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vanden Brandon de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Van Wambeke et E. Vandenpeereboom.
Ont voté le rejet :
MM. Allard et de Kerchove.
MpVµ. - La Chambre a fixé à demain l'examen en sections du projet de loi relatif à la réforme électorale. Je propose de fixer la séance publique à 3 heures.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures.