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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 novembre 1865

(Annales parlementaire de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Président de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 95) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures un quart-.

M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Janssens-Vanlilt se plaint que la commune de Breyssem-Cumptich a fait une emprise sur son terrain, sans lui donner une indemnité de ce chef. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Olgard-Raymond Sabinski, propriétaire à Bruxelles, né à Zbrzyz (Russie), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1866

Discussion générale

M. Nothomb. - Je ne voudrais pas, messieurs, prolonger outre mesure ce thème d'amères récriminations ; je n'en vois pas l'utilité, et quand même nous parviendrions à nous convaincre mutuellement de toutes les noirceurs, de toutes les félonies, en vérité, je me demande ce que l'intérêt public aurait à y gagner ?

Il y a cependant, dans les reproches qui nous ont été faits, deux accusations tellement graves, tellement précisées et reproduites avec une si étrange persistance, qu'il est impossible à des hommes politiques qui ont le sentiment de leur dignité de ne pas protester et de ne pas les réduire à néant.

C'est à ces deux reproches principaux qui ne sont ni neufs, ni justes, que je m'attacherai d'abord à répondre.

Le premier consiste à nous dire que nous ne sommes pas un parti d'hommes politiques libres, que nous sommes soumis à une puissance extérieure, à ce pouvoir occulte dont on parlait il y a vingt ans et que chacun devine, à cette puissance qui a des prétentions exorbitantes, anticonstitutionnelles, antinationales et que nous, représentants du peuple belge, nous sommes condamnés, c'est le mot qu'on a employé, nous sommes condamnés à subir, à soutenir et à faire prévaloir.

Le second reproche n'est que la conséquence du premier ; c'est que nous serions des hommes asservis et, partant, incapables, dans une telle situation, de défendre et de maintenir fermement, efficacement nos institutions constitutionnelles menacées.

Or nos institutions pour nous tous, pour moi, pour mes amis, sont la Belgique même. Dire que nous ne pourrions pas défendre nos libres institutions, c'est oser prétendre que nous sommes dans l'impuissance de défendre la patrie elle-même.

Devant de pareils excès de langage il est impossible de se taire et quelle que soit la répugnance que personnellement j'éprouve à rentrer dans ce triste débat, je prends votre double accusation et je demande à ceux qui l'articulent : Où donc sont vos preuves contre nous ?

Citez une preuve, une seule, une apparence de preuve et je m'inclinerai devant elle.

Mais des preuves, vous n'en avez pas contre nous ; elles ne sont nulle part. Il y a des preuves, oui, et celles-là sont pour nous. Je vais les montrer.

Voyez, nous dit-on, toutes les grandes questions qui nous divisent : les questions de la bienfaisance, de l'enseignement, des bourses d'étude, des cimetières et du temporel des cultes. Considérez dans toutes ces questions quelles sont les prétentions incroyables, inconcevables, blâmables, coupables, que sais-je encore ? qu'on élève, et ces prétentions vous, minorité, vous devez les soutenir, vous devez les appuyer ; vous y êtes condamnés malgré vous. Voilà le signe de votre asservissement.

Examinons donc froidement quelles sont les prétentions inouïes et exorbitantes de cette occulte et formidable puissance, de cette faction, comme on l'a appelée, dont nous ne serions ici que les serviles et misérables instruments. Passons-les rapidement en revue.

Je trouve d'abord la question de la bienfaisance. Elle me touche en quelque sorte personnellement. J'ai eu l'honneur de présenter à cette Chambre et d'y défendre le projet de loi sur les établissements de charité.

On nous dit, on nous répète depuis 8 ans avec une insistance vraiment incroyable, celle-là, que ce projet nous était imposé, que nous l'avons subi, qu'il nous avait été envoyé tout fait, que nous n'avons été, en un mot, que d'humbles valets des prétentions épiscopales. Telle est l'accusation qu'on nous adresse.

M. Coomans. - Finissez-en.

M. Nothomb. - Oui, je veux en finir de cette accusation ridicule si elle n'était odieuse, et pour la dixième fois je ferai l'historique de ce projet.

Si l'on ne se lasse pas de reproduire l'accusation, je ne me lasserai pas de dire la vérité et la vérité finira par prévaloir. Si vous vous obstinez dans l'imputation, je m'obstinerai davantage dans la rectification.

Eh bien, messieurs, j'affirme que le projet de loi présenté en 1856 a été l'œuvre libre, spontanée et personnelle du cabinet de cette époque ; nul autre n'y a touché que les membres de ce cabinet ; j'ajoute que si ce projet avait dû subir une influence extérieure, c'eût été une influence libérale.

Il y a un homme dont j'invoquerais le souvenir, s'il était encore parmi nous, un libéral indiscutable celui-là et je lui demanderais : N'avez-vous pas vu ce projet, ne l'avez-vous pas approuvé ? Vous savez bien de qui je veux parler, et son opinion a été partagée par tous les esprits élevés, impartiaux, libéraux de l'Europe qui se sont occupés du projet.

Le ministère de 1855 s'était formé sur la question de la bienfaisance ; il ne l'a pas inventée, il l'a trouvée dressée devant lui et portée devant le Parlement par le projet déposé par nos prédécesseurs. C'était la grande question à l'ordre du jour, et la préoccupation politique du moment. Aussi les deux principaux hommes politiques qui ont formé le Cabinet ont-ils annoncé dès leur avènement qu'ils arrivaient pour résoudre la question de la charité ; les honorables MM. de Decker et Vilain XIIII n'ont jamais hésité, ils ont nettement déclaré, à plusieurs reprises, que la formation du cabinet du 30 mars emportait cette signification et qu'ils faisaient de la présentation du projet de loi sur la charité la condition même de leur avènement et la base de leur programme.

M. Coomans. - Malgré beaucoup d'entre nous.

M. Nothomb. - Ces honorables membres confirmeront mes paroles ; l'honorable vicomte Vilain XIIII l'a d'ailleurs affirmé dans la séance précédente : quant à moi, ministre de la justice, j'y ai montré le moins d'empressement, car moins aussi que tout autre, je ne pouvais me dissimuler ni les difficultés, ni l'immense responsabilité qui allaient peser sur moi...

M. Van Overloopµ. - J'affirme ce fait.

M. Coomans. - Et moi aussi...

M. Nothomb. - Le projet a donc été conçu, arrêté, élaboré spontanément par le cabinet ; et j'affirme qu'aucune personne étrangère n'y'a concouru ; tous les articles en ont été débattus, scrutés en conseil des ministres et ce sont les ministres seuls qui l'ont voulu ainsi...

M. Coomans. - Surtout MM. de Decker et Vilain XIIII.

M. Nothomb. - Oui, car ces deux honorables membres se sont fait un honneur d'attacher leur nom et l'existence de leur cabinet à la solution de cette grande question sociale qui les avait toujours préoccupés, et c'est leur faire insulte que de dire, que de supposer seulement qu'ils aient pu subir, sur la question capitale de notre programme, une influence extérieure quelconque.

M. Coomans. - C'est une indignité !

M. Nothomb. - D'ailleurs, faut-il le rappeler ? Cette question de la charité n'est pas due aux prétentions du clergé ; elle a surgi, tout le monde le sait, en 1847, à l'avènement du ministère du 12 août, c'est lui qui a soulevé des difficultés dont la solution était claire, simple, incontestée depuis un demi-siècle.

(page 96) C'est le ministère du 12 août qui a innové contre les lois du Directoire, de l'Empire, contre les lois du gouvernement des Pays-Bas ; c'est à lui et non pas aux conservateurs ni à la fameuse puissance occulte qu'incombe la responsabilité de ce premier brandon de discorde.

Les conservateurs, dans cette question comme pour toutes celles dont vous avez parlé, mais ils se contentaient du régime antérieur, du régime qui avait suffi à des gouvernements basés sur d'autres principes que les nôtres, sur des principes essentiellement différents de ceux de la Constitution de 1830. Et, en définitive, messieurs, ce projet de loi que les uns calomnient parce que, de parti, pris ils le méconnaissent et méconnaîtront, que d'autres jugent mal parce qu'ils ne l'ont peut-être pas lu ; ce projet consacrait le principe de la libre expansion de la bienfaisance, ainsi que cela se pratique dans le monde entier. (Interruption.)

Nous l'avons prouvé maintes fois ici, dans cette enceinte : nulle part dans le monde civilisé, la charité, l'exercice de la plus noble faculté de l'homme, n'est à ce point entravée et comprimée, que sur la libre terre de Belgique !

II est incontestable que les dispositions principales de notre projet de loi étaient conformes à la pratique suivie sous les trois régimes qui nous avaient précédés, sous le directoire, sous l'empire, sous le gouvernement des Pays-Bas ; ils étaient conformes à nos propres traditions administratives, ils étaient conformes à la loi, comme l’a déclaré la cour de cassation. Il ne renfermait que trois choses nouvelles, trois choses que je veux, que je dois mettre en lumière.

D'abord, il établissait un contrôle sérieux des institutions de bienfaisance, un contrôle que l'on nous a reproché d'avoir rendu minutieux, comme si la conservation du bien des pauvres, car il s'agit de cela ici, pouvait être trop soigneusement assurée.

En second lieu, le projet supprimait la mainmorte. (Interruption.) Oui, messieurs, il supprimait la mainmorte. Chose inconcevable ! On vient nous dire que nous sommes ici les défenseurs de la mainmorte, et il n'y a jamais eu qu'un projet de loi, un seul qui ait tenté de la restreindre, de la supprimer ; c'est le nôtre, c'est celui de 1857. (Interruption.) 1l introduisait un principe nouveau, d'une portée considérable, il interdisait à tonte fondation nouvelle, de conserver d'autres immeubles que ceux qui étaient strictement indispensables à son existence.

MfFOµ. - Est ce que la mainmorte ne s'applique qu'aux immeubles ?

M. Van Overloopµ. - Evidemment.

MfFOµ. - Oh ! oh !

M. Nothomb. - C'est la première fois vraiment que j'entends dire que 'a mainmorte s'applique à autre chose qu'à des immeubles.

Enfin, il y avait une dernière disposition, qui donnait aux tribunaux le pouvoir de révoquer ou de suspendre les administrateurs spéciaux, incapables ou infidèles à leur mandat.

Voilà les trois choses nouvelles de notre projet, et c'est en présence de pareilles dispositions qu'on vient nous dire que nous ressuscitions et la mainmorte, et les couvents et je ne sais quelles idées du temps passé, alors que, seuls et les premiers, nous avons voulu, tout en favorisant la libre charité, y apporter un contrôle nécessaire, utile à sa propre mission, développer, mais aussi garantir les ressources affectées aux malheureux.

J'allais oublier de rappeler une phase de la question, c'est l'arrêt de la cour de cassation de 1856, intervenu après la présentation du projet, arrêt qui avait appliqué l'article 84 de la loi communale en statuant que les fondations charitables pouvaient librement et légalement se constituer avec les administrations spéciales. C'était peut-être le moment de retirer le projet de loi....

M. Coomans. - Evidemment.

M. Nothomb. - ... Si nous avions voulu céder à un calcul politique, à une habileté de parti ; nous l'aurions dû, à coup sûr, si nous avions été les instruments de volontés extérieures, car celles-là nous eussent imposé ce retrait.

Eh bien, le cabinet de 1855 ne l'a pas voulu ; et pourquoi ? Parce qu'il a tenu à être loyal ; tout en sachant à quels débats violents il allait s'exposer, il n'a pas voulu abandonner son œuvre, car, on n'eût pas manqué de lui dire : « Vous retirez votre projet qui présentait des garanties ; vous subissez la loi d'un parti qui veut la liberté sans aucun contrôle. Ainsi, dans la bouche de nos adversaires systématiques, coupables en présentant le projet, coupables en le retirant, toujours coupables... Voilà leur bonne foi.

Maintenant, pour les autres questions, comme pour la bienfaisance, la législation antérieure nous suffisait. Je ne veux pas en parler longuement, cela me conduirait à occuper trop longtemps votre attention ; il me suffit de les indiquer.

Pour les bourses d'étude, nous nous contentions des dispositions du roi Guillaume ; moins même, des dispositions de l'empire ; nous n'avons élevé aucune prétention nouvelle. Ce régime qui avait suffi au gouvernement centralisateur du roi Guillaume, nous nous en accommodions ; comme lui, nous tenions pour chose simple et naturelle le respect scrupuleux d'un contrat bilatéral conclu entre le fondateur et le pouvoir public.

Pour les cimetières, même position. Est-ce nous qui avons créé la déplorable querelle des inhumations ? est-ce nous qui venons renverser une pratique suivie depuis 50 ans et conforme à ce qui se fait chez tous les peuples civilisés ?

C'est de votre part que cette question a surgi avec les caractères les plus blessants pour les droits incontestables de tout culte positif.

Pour le temporel des cultes, demandions-nous des changements au décret de 1809, qui avait cependant suffi à l'empereur Napoléon et dans un temps où l'on ne prétendra pas sans doute qu'il subissait les prétentions et la domination cléricales ? Nous vous conjurions de ne pas entamer les bases de ce décret ; s'il y avait à y apporter des modifications de détail, à renforcer le contrôle, à mieux assurer la comptabilité, nous étions prêts à vous suivre, à nous associer à une œuvre de bonne et loyale administration, (interruption.) Et que faites-vous, au contraire ?

Vous faites ce que mon honorable ami, M. Delcour, appelait avant-hier une expropriation, et que je qualifie, moi, en ajoutant que c'est une expropriation pour cause d'utilité politique. (Interruption.)

M. Coomans. - Dites électorale.

M. Nothomb. - Dans l’enseignement, toujours le même système ; et ici surtout vous venez corrompre les principes de liberté ; vous confisquez la liberté d'enseignement par vos actes administratifs ; vous méconnaissez sans cesse non seulement l'esprit de la loi de 1842, mais l'essence même de notre Constitution.

La Constitution de 1850 a pour principe la liberté ; le pivot de nos institutions, si je puis m'exprimer ainsi, c'est le libre développement des forces individuelles, c'est par la liberté que doit se produire le progrès social ; et vous réagissez opiniâtrement contre ces idées fondamentales.

Dans vos lois, dans vos actes administratifs, dans vos tendances, vous êtes les antagonistes de la liberté ; vous la tenez en défiance, vous voulez la réglementer en toute chose.

Cette liberté qui, je le répète, est la base même de notre émancipation de 1830, vous la mettez sous votre tutelle ; c'est la liberté avec l'Etat pour maître. Ici apparaît la différence profonde, radicale entre nous : elle explique presque tous nos dissentiments :

Vous demandez tout à l'intervention de l'Etat et du budget ? Nous, nous demandons le progrès social à la libre expansion des forces individuelles ; vous absorbez, alors que nous voulons élargir. Vous êtes l'omnipotence par la centralisation, nous voulons l'influence par la liberté.

Maintenant, j'aborde le second reproche qui nous est fait, que je veux détruire, et qu'il est de notre dignité d'anéantir. Nous serions les instruments d'un parti, d'une puissance qui n'aime pas, qui n'accepte pas franchement nos institutions ; nous serions incapables de résister à ce pouvoir, à cette l'action, et de défendre efficacement nos institutions ; c'est, vous le voyez, la paraphrase polie de la fameuse apostrophe qui nous a été lancée ici : Vous êtes un danger public !

Ceci, messieurs, est grave ; veuillez y réfléchir. Vous reprochez à mou honorable ami M. Dechamps d'avoir manqué de patriotisme, en signalant à l'Europe le côté faible de notre situation intérieure. Mais vous allez bien au delà ; vous venez affirmer, non pas dans une brochure, dans une œuvre individuelle, mais du haut de la tribune nationale, armés de l'autorité gouvernementale et ministérielle, vous venez dire devant l'étranger que nous sommes, nous minorité, condamnés à défendre des prétentions exorbitantes, antinationales, incompatibles avec nos institutions.

Reconnaissez-le, ceci est bien grave ; car, de deux choses l'une : ou vous ne croyez pas ce que vous alléguez, et dans ce cas pourquoi proférer cette accusation, pourquoi jeter à la face de notre opinion un pareil outrage ? ou bien vous y croyez ; vous êtes sincères ; mais alors ne voyez-vous donc pas que vous provoquez un immense danger et que vous dépassez le but ? Si vous parveniez à faire croire qu'il y a parmi nous des hommes politiques, qu'il y a la moitié de la représentation nationale incapables de défendre nos institutions, mais d'avance, vous-mêmes, vous proclamez la déchéance du pays ! Et vous appelez cela du patriotisme ! Mais écoutez bien, si vous êtes sincères, si vous croyez à votre accusation, vous n'avez pas fini, vous avez encore autre chose à faire, il vous (page 97) reste un grand devoir à remplir : il faut nous supprimer, il faut faire contre nous un coup d'Etat au nom du salut public.

- Des membres à droite. - C'est cela.

M. Bouvierµ. - Les électeurs feront cela.

M. Nothomb. - Il faut nous frapper. Nous sommes un danger public ; dès lors pas de tolérance, pas de miséricorde, supprimez-nous. N'attendez pas, n'hésitez pas. Votre patriotisme vous en fait une loi. Essayez.

M. Coomans. - Il paraît que les électeurs ne font pas cela du tout.

M. Bouvierµ. - On vous en a donné des preuves.

M. Nothomb. — Mais, messieurs, pour justifier une aussi grave, une aussi énorme accusation, telle qu'aucun parlement, qu'aucune assemblée politique, si ce n'est dans les mauvais jours de la Révolution, n'en ont entendu proférer, de grâce, messieurs, s'il vous plaît, où sont vos preuves ? Et il faut des preuves, il en faut ; il ne suffit pas d'énoncer une assertion aussi incroyable ; prouvez-la ; c'est votre premier devoir, votre devoir le plus élémentaire ! Parlez, nommez les traîtres, c'est le moment ! Mais ces preuves, comme pour d'autres reproches, je vous défie de les apporter ; vous ne les trouverez pas ; elles n'existent nulle part. Je me trompe, il y en a, et elles sont pour nous.

Ici, messieurs, il me sera encore permis de parler du cabinet de 1855, dont on fait régulièrement et à chaque instant le procès à tort et à travers. Je vais rappeler des circonstances qui remontent à l'année 1856.

II y eut alors pour nos institutions un moment critique. Je ne veux pas précisément dire qu'elles furent menacées ; non. Mais au moins elles étaient singulièrement suspectées et dénoncées à l'Europe.

C'était au congrès de Paris ; vous n'avez pas oublié le langage qu'y tenait le ministre d'un souverain puissant et victorieux, en parlant de la liberté de la presse en Belgique ; on la dénonçait comme un véritable danger européen.

Eh bien, dans ce moment solennel qu'a fait le ministère conservateur de 1855 ? Il a su défendre vigoureusement nos institutions et ici dans cette Chambre même, il est sorti de la bouche d'un ministre catholique, organe de tous ses collègues...

M. Royer de Behr. - L'organe de toute la droite.

M. Nothomb. - ... il est sorti de la poitrine de l'honorable comte Vilain XIIII un mot que le pays n'a pas oublié !

Notre collègue, se rendant l'écho fidèle des sentiments de tous ses amis politiques, a repoussé la prétention qui se formulait à l'étranger par un cri énergique, où se résumait l'âme de tout un peuple, par le cri : « Jamais ! »

- Voix à gauche. - Très bien ! très bien !

M. Nothomb. - Ne dites donc plus que nous serions incapables de défendre nos institutions menacées ; je vous prouve que nous avons su les défendre.

Il n'y a pas eu seulement cet élan patriotique de mon honorable collègue, il y a eu d'autres résistances dont les traces se retrouvent dans les souvenirs de plusieurs d'entre nous ou dans les archives des départements ; cherchez-les et vous verrez comment nous avons su faire respecter notre dignité nationale et défendre nos institutions.

M. Thonissenµ. - Ils le savent très bien.

M. Coomans. - Et le colonel Charras ?...

M. Nothomb. - Non, je fais allusion à d'autres circonstances. Je ne veux pas y insister.

Nous avons donc fait notre devoir, et notre honneur national comme nos institutions sont sortis intacts de cette crise.

A ce propos, on a cité le nom de M. le comte Cavour. Je ne veux rien dire de désagréable à la mémoire de cet homme remarquable qui n'est plus là pour me répondre et que d'ailleurs j'ai connu ; un mot seulement de l'homme politique.

M. de Cavour était assis à côté du ministre de cette grande puissance dont je parlais tantôt et il ne nous a pas défendus.

L'Angleterre seule nous a défendus. Plus tard, M. de Cavour disait publiquement « que s'il avait l'honneur d'appartenir au parlement belge, il irait s'asseoir à côté de son ami M. Frère-Orban pour signaler les excès de la presse belge. »

Je suis persuadé, et je me hâte de le proclamer a l'honneur d'un honorable adversaire, je suis persuadé que ce jour-là M. Frère-Orban ne serait pas venu s'asseoir à son banc... (Interruption.)

Tel a été le langage de M. de Cavour, et je constate en même temps que peu après le Congrès de Paris on livrait, dans le Piémont, à la juridiction de la police correctionnelle les délits de la presse enlevés aux cours d'assises...

- Voix à gaucheµ. - C’est cela.

M. Coomans. - On a suivi le conseil qu'il a donné.

M. Nothomb. - Dans une séance précédente, l'honorable M. Dolez nous disait que notre irritation provient des événements de 1857 et que notre opposition s'inspire de la colère que ces événements nous ont laissée.

Messieurs, je réponds que nous sommes incapables de céder à de pareils sentiments.

Nous n'avons emporté du ministère de 1855 que deux souvenirs, l'un d'avoir fait en bons citoyens notre devoir, en maintenant notre dignité nationale et nos institutions suspectées, l'autre d'avoir pu présidé, à l'anniversaire de 1856, la plus éclatante, la plus magnifique manifestation de l'union d'un Roi et d'un peuple. Voilà les seuls souvenirs que nous ayons emportés. Ni colères, ni regrets...

Pour moi personnellement, les événements de 1857, que je déplore au point de vue général et constitutionnel, m'ont rendu la liberté et m'ont déchargé d'un fardeau devenu lourd à porter.

Maintenant je voudrais me fixer un instant au seul débat qui doit nous occuper, au débat tel qu'il s'est produit à l'origine et sur son véritable terrain ; la politique du cabinet, et la signification de la modification qu'il a subie, tel est l'objet de la discussion. C'est à quoi il faut revenir.

C'est le ministère que nous discutons. Mais vous qu'avez-vous fait ? Vous avez discuté M. Dechamps pour n'être pas discutés vous-mêmes. C'est de la stratégie parlementaire.

Dans la stratégie militaire, cela se passe ainsi. Quand une place n'est plus tenable, on fait une sortie, on fait une diversion. C'est ce que vous faites en attaquant ici l'honorable M. Dechamps.

Vous avez pour cela deux excellentes raisons, à votre point de vue : la première, c'est que vous avez peur d'un revenant... (Interruption.) Vous voulez rendre impossible son retour aux prochaines élections.

En second lieu, c'est un moyen de détourner l'attention ; M. Dechamps est un dérivatif.

Voilà l'unique but de la campagne que vous avez faite en vous mettant dix contre un ; vous n'avez épargné à l'honorable M. Dechamps aucun reproche, aucune accusation. Toute la série a été parcourue, rien ne manque à votre réquisitoire ; vous avez terminé toutes vos philippiques en l'accablant de vos anathèmes et vous écriant : Voyez le mauvais citoyen, il ose soulever la question belge ! Horreur !

Ceci, messieurs, est de l'enfantillage. Vous n'en croyez pas un mot.

Il n'est donné à personne, quel que soit le mérite de l'écrivain, de soulever la question belge. Cette question est quelque chose d'immense, d'incalculable dans sa portée. C'est la transformation, le bouleversement de l'Europe. Et vous venez dire, pas sérieusement il est vrai, que c'est l'honorable M. Dechamps qui l'a soulevée !

Ah, mon Dieu ! si j'avais à rechercher ici quelles sont les causes qui pourraient faire naître la question belge, je ne serais pas embarrassé ; mais je m'interdis cet examen.

Ce n'est pas l'honorable M. Dechamps qui a soulevé la question belge. Cette question n'existe pas...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - M. Dechamps dit qu'elle existe.

M. Nothomb. - Il dit le contraire ; lisez donc sa brochure.

Je me permets de vous rappeler les paroles que j'ai prononcées dans cette Chambre il y a quatre ans, elles ne sont donc pas écrites pour l'opportunité du moment.

Répondant à des attaques et à des insinuations que je croyais injustes, je disais :

« Pourrions-nous croire que la nation qui est descendue naguère en Italie, au nom de l'affranchissement des nations, pourrions-nous croire que le monarque illustre qui a vaincu à Magenta et à Solferino nourrisse contre nous des projets perfides ou hostiles ? Pour moi, je ne le crois pas, je ne l'ai jamais cru, je n'ai jamais dissimulé ma pensée à cet égard. La politique entière de ce souverain dément ces suppositions, et le récent traité avec la France est la meilleure preuve qu'il pût donner de ses sentiments envers la Belgique.

« Conquérir la Belgique, messieurs ! Mais ce serait un crime, un crime et une faute. C'est d'un tel attentat qu'on pourrait dire, comme jadis Chateaubriand d'une autre absorption : « C'est l'assassinat d'un peuple ». Une faute, car ce serait s'attacher une autre Lombardie. »

Voilà comment j'ai nié la question belge il y a 4 ans et comment je la nie encore aujourd'hui. Mon honorable ami la nie aussi dans sa brochure et il déclare que, de la part de la puissance à laquelle on fait allusion vouloir envahir et conquérir la Belgique serait un anachronisme...

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Etablir (page 98) la liberté en France ou faire la conquête de la Belgique, voilà l'alternative où il place l'empereur.

M. Nothomb. - Voulez-vous que je vous dise toute ma pensée ? La voici :

C'est que de tous les gouvernements qui peuvent se succéder en France, celui qui peut le mieux résister à certaines idées d'annexion, c'est le gouvernement de l'empereur Napoléon III ; j'en montrerais, si c'était le moment, facilement les raisons.

M. Van Overloopµ. - Vous avez toujours dit cela.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Dites cela à M. Dechamps.

M. Nothomb. - Il n'y a donc pas de question belge. Rayez ce grand mot de la guerre que vous entreprenez contre M. Dechamps.

Mais, messieurs, il ne s'agit pas de cela ; revenons au débat ; il s'agit ici de la politique ministérielle, de ses tendances, de ses actes. Il s'agit pour nous de savoir ce que nous avons à craindre ou à espérer de l'entrée de l'honorable M. Bara au ministère.

Nous avons le droit de vous demander ceci : Continuerez-vous cette politique vaillante et persévérante dont on a parlé ou bien suivrez-vous le conseil sage d'un des hommes les plus autorisés parmi vous, de l'honorable M. Dolez, vous engageant, il y a quelques jours, à « faire moins de politique dans vos lois. »

Que signifient ces mots ? Nous les avons interprétés comme renfermant le conseil de ne pas discuter la loi sur le temporel des cultes.

Je viens donc vous demander : Suivrez-vous le conseil de l'honorable M. Dolez, de ne pas discuter le projet de loi sur le temporel des cultes, ferez-vous moins de politique dans vos lois, ou persévérerez-vous dans cette politique que vous appelez vaillante et que nous appelons, nous, la politique d'irritation et d'antagonisme ?

M. Orts. - La réponse est donnée depuis hier.

L'honorable M. Van Humbeeck a déposé son rapport.

M. Coomans. - C'est la réponse de M. Van Humbeeck.

M. Nothomb. - Je demande si le cabinet est d'accord avec l'honorable M. Dolez : oui ou non.

Voilà ce qui est en discussion et point autre chose. Il ne s'agit ni de l'honorable M. Dechamps ni de la question belge ; il s'agit de vous.

M. Coomans. - Ce sont des dérivatifs.

M. Nothomb. - Je regretterais sincèrement de vous voir rejeter le conseil patriotique et sage de l'honorable M. Dolez ; les circonstances sont graves ; il est plus que temps de mettre un terme à une politique exclusive et de désunion.

Faisons trêve, au moins quant à présent, à ces vaines querelles et à des discussions stériles. Nous avons mieux à faire.

II y a un terrain sur lequel nous pouvons nous rencontrer, non pour être toujours unanimes, mais pour discuter sans passion, sans aigreur ; ce terrain, je vous l'indique : c'est d'abord le développement de la vie politique en Belgique. Nous croyons que la Belgique est assez sûre d'elle-même, que le peuple belge est assez sage, assez habitué au régime libre pour supporter dignement et utilement le développement de la vie politique, dans les limites de la Constitution ; efforçons-nous de faire une loi électorale juste pour tout le monde ; nous croyons que nous pouvons loyalement rechercher, de commun accord, quels sont les moyens de diminuer les charges militaires et partant de dégrever les contribuables ; nous pensons que nous pouvons parfaitement discuter ensemble quels sont les moyens de corriger la loi sur la milice comme aussi de rechercher ensemble les moyens de réformer notre organisation judicaire, de rendre la justice plus prompte, moins chère, plus accessible au peuple on simplifiant la procédure.

C'est sur ce terrain que nous vous convions, nous pouvons honorablement et amicalement aborder ce programme. Nous resterons alors les dignes représentants d'un peuple qui a su conquérir son indépendance et qui veut la conserver.

MfFOµ. - Messieurs, je ne veux pas rentrer longuement dans la discussion que vient de raviver l'honorable préopinant. L'honorable M. Nothomb a tenté de répondre au discours que j'ai prononcé il y a quelques jours ; il a pu méditer ce discours à loisir ; il a eu le temps d'étudier complètement chacune des questions que j'ai eu l'honneur de traiter devant vous. Et cependant, messieurs, je vous le demande, est-il parvenu à réfuter, à rencontrer même d'une manière sérieuse une seule des graves objections que j'ai fait valoir contre les tendances, contre les prétentions de la minorité ? Il s'est vivement élevé contre le reproche qui a été adressé à son parti, de se trouver dans la pénible nécessité de défendre ici toutes les prétentions cléricales... (Interruption.)

M. Coomans. - C'est erroné, je demande la parole.

MfFOµ. - Je ne pense pas qu'il soit erroné de dire que M. Nothomb s'est défendu du reproche adressé à son parti d'être obligé de défendre toutes les prétentions cléricales ?

M. Coomans. - Cela n'a pas le sens commun.

MfFOµ. - C'est peut-être vous qui n'avez pas le sens commun. (Interruption.) Quand vous voudrez faire silence, je continuerai.

M. Coomans. - Je constate que vous m'avez dit que je n'avais pas le sens commun.

MfFOµ. - Vous m'avez adressé le même compliment.

M. Coomans. - J'ai dit que le reproche n'avait pas le sens commun.

MfFOµ. - Et moi je dis que c'est votre observation qui n'a pas le sens commun.

M. Coomans. - Alors nous sommes quittes.

MfFOµ. - Soit ! L'honorable M. Nothomb, en commençant son discours, vous a dit : « A de simples affirmations, j'opposerai des faits, des faits concluants. J'apporterai des preuves pour détruire les accusations qui ont été formulées contre nous. » Et quelles ont été ces preuves ? Quels faits a-t-il pu citer pour combattre ces accusations ? Absolument rien. L'honorable membre s'est borné à de simples dénégations. C'est à tort, s'est-il écrié, que l'on nous accuse de défendre les prétentions cléricales, en matière d'enseignement, en matière de bienfaisance, en matière de cimetières, en matière de bourses d'étude et en matière de temporel des cultes ! Et cette facile déclaration faite, l'honorable membre passe outre, sans se donner le moins du monde la peine de la justifier.

Mais, messieurs, cela suffit-il ? Comment ! il suffirait à l'honorable membre d'affirmer qu'il ne défend pas les prétentions cléricales, pour avoir détruit l'accusation grave, je le reconnais, mais que je persiste à élever contre votre parti ? En vérité, cela n'est pas sérieux.

J'ai, moi, fourni des preuves que je crois irréfutables, et qui n'ont pas été réfutées, à l'appui de toutes mes assertions. Sur chacune des questions que j'ai examinées, j'ai montré, d'une façon pour ainsi dire palpable, les prétentions successivement grandissantes de votre parti, et j'ai établi que ces prétentions sont toutes en opposition formelle avec l'esprit qui s'est manifesté lors de la révolution 1830 et qui a inspiré les principes déposés dans notre libérale Constitution. Or, je vous le demande, quelle de ces prétentions vous avez jamais combattue ? Aucune. Dès qu'il vous était signalé que telle opinion était à défendre, vous l'avez défendue. (Interruption.)

Je vous ai dit qu'en matière d'enseignement les projets de loi rédigés avec la participation de MM. de Gerlache et de Theux ont été placés en interdit pendant douze ans, pendant vingt ans, parce qu'on ne pouvait pas donner satisfaction aux prétentions cléricales. Et qu'avez-vous répondu ? Rien ! En matière de bienfaisance, question qui est plus personnelle à l'honorable membre, que vient-il de soutenir ? Il aurait, dit-il, défendu des opinions qui sont les siennes, qui ne sont point les opinions de cette puissance extérieure dont j'ai parlé. Voilà ce qu'il affirme aujourd'hui. Mais à une autre époque j'ai apporté ici la preuve, la preuve irrécusable du fait dont il cherche en vain à se défendre. Un projet de loi sur cette matière avait été déposé par le ministère auquel vous avez succédé et qui était composé d'hommes modérés et conciliants assurément ; ce projet de loi, conçu dans un esprit impartial et juste, vous êtes-vous préoccupé de l'amender ? Non ! Il vous a fallu le retirer avec éclat. Et, en échange, quelles propositions êtes-vous venu apporter à la Chambre ?

Vous avez présenté un projet extrait littéralement, article par article (interruption), je l'ai démontre, extrait article par article de l'écrit de l'évêque de Bruges, qui avait attaqué le projet déposé par nos honorables amis. Toutes les prétentions formulées dans cet écrit, vous les avez traduites en dispositions légales dans votre projet de loi ; voilà ma preuve : récusez-la, si vous le pouvez ! (Interruption.)

Mais, dit l'honorable membre, ce projet était au moins essentiellement libéral ; il contenait les principes les plus salutaires, les plus équitables. Et même, a-t-il ajouté, il était devenu inutile, après l'arrêt de la cour de cassation, arrêt donnant à l'article 84 de la loi communale une interprétation qu'il n'a jamais eue.

M. Delcourµ. - Toujours.

MfFOµ. - Qui n'avait pas même été indiquée. Ainsi, cet arrêt unique, notez-le bien, contraire à la jurisprudence administrative antérieure, aurait donc suffi, selon (page 99) l'honorable membre, pour le dispenser de maintenir le projet qu'il avait présenté. (Interruption.)

Je m'étonne vraiment, messieurs, que l'honorable membre ne craigne pas de produire une pareille assertion, et je me demande si cela est bien sérieux.

Quoi ? prétendriez-vous que votre projet avait exclusivement pour objet de régulariser l'application de l'article 84 de la loi communale ? C'est là ce que vous osez dire ? Vous osez passer sous silence, espérant sans doute que notre mémoire ne nous servira pas, vous osez passer sous silence les dispositions les plus graves, les plus réactionnaires de ce projet de loi ? Espérez-vous que l’on ne se rappellera plus, après les huit années qui nous séparent de cette époque, que votre projet comportait, comme masque de l'institution de tous les fonctionnaires ecclésiastiques, la faculté pour les fonctionnaires à tous les degrés de recevoir des dons et legs, et d'être institués comme personnes civiles ? Est-ce que, par hasard, cette disposition exorbitante est écrite dans l'article 84 de la loi communale ?

Vous oubliez et vous espérez peut-être que nous oublierons aussi que, dans ce même projet, vous avez admis la personnification civile au profit de tous les couvents de femmes... (interruption) article 99 de votre projet de loi. (Interruption.) Et quand vous faisiez cette proposition, étiez-vous en présence d'arrêts de la cour de cassation et de nos cours d'appel favorables à un pareil système ? Vous devez savoir qu'il en était tout autrement. Il existait toute une série de décisions judiciaires condamnant comme illégaux les arrêtés contresignés par vos amis et qui avaient, sans respect de la loi, attribué la personnification civile aux corporations religieuses.

- Voix à gauche. - Très bien !

MfFOµ. - Voilà ce qu'il y avait dans votre projet de loi, voilà ce que vous avez vainement tenté de faire sanctionner. Et cependant l'honorable membre ne persistera pas moins à répéter avec tous ses amis, avec la presse conservatrice qui ne cesse pas de le dire, que ces principes sont, en définitive, ceux de tous les pays libres. C'est bien là, n'est-ce pas, ce que vous affirmez ? (Interruption.)

Vous le soutenez ! dans tous les pays libres de pareils principes existent ? Je vous ai bien des fois mis au défi de me citer la législation d'un pays quelconque qui ait consacré les principes que vous aviez inaugurés dans votre projet de loi de 1857. On nous disait dernièrement encore, et c'est à cette même source que l'on fait appel en ce moment, on nous disait : Nous voulons la liberté de fonder comme aux Etats-Unis. Il n'y a là nul obstacle aux généreux élans de la charité, qui peut s'y manifester sous toutes les formes. Voilà la véritable terre de la liberté. Aux Etats-Unis, on peut constituer des corporations à son gré ; on peut y établir par fondations des personnes civiles autant qu'on le désire. Voilà ce que vous ne cessez d'affirmer ; voilà ce que vous ne cessez de dire pour égarer l'opinion publique pour tromper les populations, et voilà ce qui est une contre-vérité évidente. (Interruption.)

Je ne vous demande pas de monter à la bibliothèque de cette Chambre et d'aller, pour vous édifier, pour vous instruire, s'il en est besoin, consulter le commentaire de Kent sur les lois américaines. Vous pourriez apprendre ainsi quelle est, en cette matière, la législation des Etats-Unis, dont vous parlez à tout propos sans la connaître. Mais l'étude serait peut-être un peu longue, il serait peut-être difficile d'arriver à comprendre assez vite l'ensemble de cette législation. Je puis vous satisfaire, sans vous imposer cette tâche un peu aride ; je puis vous instruire et vous édifier sur ces lois des Etats-Unis, et vous dispenser de lire les commentaires de Kent.

M. Thonissenµ. - Je les ai lus !

MfFOµ. - Ah ! vous les avez lus ?

M. de Brouckere. - Vous ne les avez donc pas compris !

MfFOµ. - Ah, vous les avez lus ! et vous y avez trouvé ce qu'affirment tous les jours vos amis et ce que vient d'affirmer encore l'honorable M. Nothomb ? Osez-le dire ?

M. Thonissenµ. - Pas tout à fait, non. (Interruption.)

MfFOµ. - Eh bien, je dis, moi, que, les ayant lus, vous y eussiez appris exactement le contraire de ce que vous laissez affirmer tous les jours. (Longue interruption.)

Et maintenant, voici, mon autorité. C'est une décision de la sacrée congrégation de la propagande, approuvée par N. S. père le pape Grégoire XVI, le 15 décembre 1840, et qui vous fera connaître la législation américaine, sans qu'il soit besoin de recourir aux commentaires de Kent.

« Comme les lois civiles des Etats-Unis ne reconnaissent ni aux évêques, ni à aucun ecclésiastique, le droit de transmettre à ceux qui succèdent à leur charge les biens qu'ils ont reçus de la libéralité des fidèles, pour une destination soit de religion soit de bienfaisance, la sacrée congrégation de la propagande, voulant pourvoir à ce que ces biens restent à l'église a décidé qu'à cette fin il serait à l'avenir procédé comme suit : »

Oserez-vous encore affirmer qu'aux Etats-Unis, les évêques et tous les fonctionnaires peuvent recevoir par legs ou donations, comme le portait votre projet de loi ?

« Dès la réception du présent décret, l'archevêque de Baltimore et tous les évêques des Etats-Unis feront leur testament, chacun dans la forme voulue par les lois de l’Etat où il a son domicile, après avoir pris une connaissance exacte et sûre de ces lois. Ce testament devra être fait en la forme authentique et en deux originaux. Le testateur instituera héritier de tous les biens ecclésiastiques qu'il possède de fait ou à la possession desquels il a droit, celui des évêques d'Amérique qu'il jugera le mieux convenir devant Dieu à cette fin. Le testateur ne négligera pas d'avertir l'évêque institué héritier par une lettre que celui-ci brûlera, aussitôt qu'il l'aura lue. »

La précaution n'est pas inutile, car il faut éviter que l'on puisse prouver que les actes ainsi faits n'ont d'autre but que d'éluder les lois. L'évêque brûlera donc la lettre aussitôt qu'il l'aura lue, celle lettre avertissant « que ledit légataire n'a été institué que dans le seul but que tous les biens du diocèse soient conservés religieusement jusqu'à ce que le saint-siège ait donné un successeur au testateur ; tous les biens devront être transmis fidèlement et dans les formes voulues à ce successeur.

« La sacrée congrégation, voulant pourvoir avec la même sollicitude à la conservation des biens de toutes les communautés, soit des clercs séculiers, soit des religieux hommes ou filles, ainsi que de toutes les institutions pics qui possèdent des biens ecclésiastiques, ou des biens qui leur sont assimilés, afin que ces biens soient employés à la destination pour laquelle ils ont été donnes à l'Eglise, la sacrée congrégation décrète ce qui suit :

« L'archevêque et les évêques, aussitôt après la réception de ce décret, écriront aux supérieurs des communautés qui se trouvent dans leurs diocèses respectifs, et leur commanderont, sous l'autorité de la sacrée congrégation, autorité qui leur est spécialement déléguée par le présent décret, d'informer aussitôt que possible l'évêque : 1° quels biens la communauté possède et sous quelles charges ; 2° si les lois civiles permettent de posséder et de transmettre lesdits biens, en tout ou en partie, à leurs successeurs ; 3° si ces biens, soit tous, soit partie, sont possédés par le supérieur, ou par un membre de la communauté, ou par plusieurs en commun ; 4° s'ils ont trouvé un moyen sûr, et lequel, de transmettre ces biens à leurs successeurs ; 5° s'il n'y a pas d'autre moyen qu'un testament. »

« Quand l'évêque aura reçu la réponse, il verra facilement ce qu'il y a à faire. S'il y a des communautés auxquelles la puissance civile donne le droit de transmettre à leurs successeurs tout ou partie de leurs biens, en ce cas la conservation de leurs biens est assurée. »

Mais s'il n'existe point de charte d'incorporation, si la puissance législative n'a pas donné ou a refusé la personnification civile, comment pourra-t-on faire ? On fera aux Etats-Unis ce que l'on fait en Belgique. Ecoutons la sacrée congrégation :

« L'on a imaginé un moyen de posséder les biens en formant un contrat de société : trois ou quatre membres de la société possèdent les biens en commun, de façon que tous les associés en jouissent leur vie durant ; aucun d'eux ne peut disposer de son droit, ni entre-vifs, ni par testament ; si l'un meurt, les biens restent tout en tiers aux survivants. Là où de pareilles sociétés existent, l'évêque doit seulement veiller a ce que l'associé qui meurt soit remplacé par un autre membre de la communauté. Enfin, s'il n'y a d'autre moyen de transmettre les biens ecclésiastiques qu'un testament, l'évêque doit ordonner aux supérieurs ou à celui qui possède les biens en son nom personnel, de faire immédiatement un testament dans les formes de la loi, authentique et en double, dont un exemplaire sera conservé soigneusement dans les archives de la communauté, et l'autre sera envoyé à l'évêque, qui le déposera dans ses archives.

« Rapport ayant été fait de toute cette affaire à notre saint-père le pape Grégoire XVI, par le secrétaire de la sacrée congrégation, Sa Sainteté a confirmé le décret en toutes ses dispositions et a ordonné de le mettre à exécution.

« Fait à Rome, dans le palais de la sacrée congrégation de la Propagande, le 16 décembre 1840. »

Quelle différence, je vous prie, y a-t-il en général entre les moyens employés aux Etats-Unis et ceux auxquels on a recours chez nous ? N'est-ce pas exactement ce que nous voyons pratiquer sous nos yeux ? N'est-ce pas ainsi que l'on agit en Belgique, pour éluder les dispositions de nos lois civiles ? ne sont-ce pas les manœuvres préconisées par la sacrée congrégation, c'est-à-dire, soit les actes de société que vous connaissez (page 100) tous, soit les testaments dans les formes et avec les précautions que je viens d'indiquer ? Et n'est-ce pas là la preuve la plus claire, la plus évidente, que la législation des Etats-Unis ne consacre pas, comme vous le prétendez et l'affirmez sans l'ombre d'une raison, la liberté illimitée des fondations, des dons et legs ?

Cessez donc d'invoquer l'exemple de ce qui existe aux Etats-Unis. C'est là une assertion téméraire, au moyen de laquelle vous espérez en vain atténuer l'impopularité du projet de loi que vous avez voulu imposer au pays. C'est en vain que vous avez essayé de le placer sous l'égide de la liberté, en invoquant, en sa faveur, la pratique de tous les pays libres.

Mais ce fatal projet, selon vous si sage, si simple, si libéral, avait encore une bien autre qualité ! A la différence de ce tout ce qui avait été fait jusqu'à présent, il supprimait la mainmorte ! (Interruption.)

Il était réservé à l'honorable M. Nothomb de nous révéler ce dernier caractère de la loi de 1857 ! Accorder la personnification civile à la possession de toute fondations, non seulement civile, mais ecclésiastique, celle-ci, sous notre régime, tout à fait en dehors de l'action des lois ; accorder la personnification civile aux corporations, aux couvents, c'est là ce que l'honorable membre appelle supprimer la mainmorte ! (Interruption.)

M. Nothomb. - Aux corporations. des femmes enseignant les pauvres.

MfFOµ. - Oui, mais avec cette déclaration très formelle, consignée dans le rapport de la section centrale, rédigé par l'honorable M. Malou, déclaration acceptée par vous, que la coexistence d'un enseignement rétribué ne ferait pas disparaître le bénéfice de la personnification civile ; voilà la vérité !

M. Nothomb. - C'était la pratique impériale

MfFOµ. - C'était le contraire de la pratique impériale, ainsi que de nombreux arrêts l'ont jugé. (Interruption.)

Je dis que ce système, condamné par les tribunaux, a été pratiqué illégalement sous tous les ministres cléricaux, sous M. d'Anelhan, sous M. de Theux...

M. Nothomb. - MM. Leclercq et Lebeau ont suivi les mêmes errements.

MfFOµ. - Vous avez, en effet, pu trouver un ou deux arrêtés isolés pris sous le ministère de M. Lebeau et sous celui de M. Leclercq dans des matières analogues, et dont la légalité était peut-être contestable ; je veux vous le concéder ; mais pour le projet qui nous occupe, la grande série des arrêtés illégaux ont été contresignés par vos amis ; ce sont vos amis qui ont érigé l'illégalité en système, et l'on a en vain tenté de défendre leurs actes devant les tribunaux ; ils ont été cassés comme nuls et inconstitutionnels.

Et c'est après ces arrêts, et non pas avant, que vous avez formulé votre projet de loi ; vous avez voulu réformer les arrêts des cours ; vous avez voulu, à l'aide d'une disposition sans franchise, sous prétexte d'une interprétation de la loi, attribuer la personnification civile aux corporations de femmes se livrant à l'enseignement même rétribué, système expressément contraire à la législation que vous feignez d'interpréter.

M. Van Overloopµ. - C'est précisément ce que vous fait pour l'interprétation de l'article 84 de la loi communale ; c'était une disposition sans franchise.

M. Orts. - Au contraire. Nous avons agi ouvertement, avec une entière franchise.

MfFOµ. - Messieurs, depuis 1847 jusqu'en 1852, nous avons défendu invariablement un même principe en matière de fondations charitables ; nous l'avons défendu sans en dévier jamais. Qu'est-il arrivé ? Une contestation judiciaire s'étant produite, un arrêt, un seul arrêt a décidé, non pas toutes les questions qui avaient été agitées, bien loin de là, comme je l'ai prouvé tout à l'heure à l'honorable M. Nothomb, mais une seule des questions, l'interprétation de l'article 84 de la loi communale. Cet arrêt a admis l'opinion contraire à celle que nous avions soutenue. Eh bien, qu'avons-nous fait ? Avec la plus grande franchise, nous sommes venus demander à la législature la réformation de cette disposition.

Nous avons dit que la Cour de cassation n'avait pas interprété la disposition de l'article 84 dans le sens que le législateur avait entendu lui donner ; et nonobstant la décision de la Cour de cassation, qui est certes une autorité fort respectable, et que l'on vint alors invoquer contre nous, nous avons fait consacrer notre opinion. Telle est la manière loyale et franche dont nous avons procédé en cette affaire.

Voilà pour le premier reproche qui avait été adressé à l'honorable membre et contre lequel il s'est si vivement récrié.

J'oubliais de relever un aveu échappé à l'honorable membre, à propos de ce même projet de loi. Il s'est défendu d'avoir été obligé de le présenter ; il n'a fait que suivre ; il n'a pas précédé ; il résistait ; deux de ses collègues, MM. Coomans et Van Overloop, ont confirmé ses assertions à cet égard...

M. Nothomb. - Vous m'avez mal compris.

MfFOµ. - Répondant immédiatement à votre discours, il se peut que je ne reproduise pas exactement vos expressions. Mais, à défaut de vos paroles, permettez-moi de m'attacher à votre pensée. Vous avez évidemment fait entendre que vous n'étiez pas enthousiaste du projet de loi ; vous pressentiez, avez-vous dit, les dangers qu'il pouvait offrir pour le pays. Et, pressentant ces dangers, sachant d'ailleurs ce qui était arrivé de la proposition faite autrefois en faveur de l'université de Louvain, vous n'en avez pas moins déposé le projet de loi ! Est-ce là le fait d'un homme politique ? Une pareille condescendance ne vous condamne-t-elle pas ?

Le second reproche que nous fait, l'honorable M. Nothomb est plus ancien que le premier ; il ne s'est pas seulement attaché à répondre au premier discours que j'ai prononcé dans cette discussion, mais à un discours que j'ai prononcé il y a déjà un an ou deux.

J'aurais dit alors que l'opinion catholique était un danger pour le pays.

M. Nothomb. - Vous l'avez dit. Je me le rappelle très bien.

M. Coomans. - Moi aussi.

MfFOµ. - J'ai dit cela ? vous vous le rappelez très bien, avec l'aide de l'honorable M. Coomans.

J'ai donc dit que l'opinion catholique était un danger pour le pays. Et là-dessus grande émotion, grande indignation, des phrases à effet ; car si le parti catholique est un danger pour le pays, il faut supprimer le parti catholique, il faut faire un coup d'Etat contre le parti catholique !

Or, messieurs, je n'ai pas dit ce que me fait dire l'honorable membre. J'ai dit, après avoir déroulé sous vos yeux le tableau de notre situation politique, après avoir démontré qu'il existait, dans une fraction du parti catholique, des prétentions dangereuses, inconstitutionnelles, après avoir établi que vous ne pouviez pas vous passer de l'appui de cette fraction, j'ai dit que la présence des catholiques au pouvoir serait un danger pour le pays. Voilà ce que j'ai dit, et à quel propos je l'ai dit.

Mais, messieurs, je ne sais pas comment un mot si simple, si usuel, peut soulever une pareille indignation chez l'honorable M. Nothomb, Mais tous les jours vous en dites autant de l'opinion libérale, du ministère et de la majorité qui le maintient au pouvoir. Tous les jours, vous déclarez, et votre presse affirme, que la présence des libéraux à la tête des affaires publiques est une cause d'irritation, de trouble, que nous allons jusqu'à compromettre la sécurité du pays. Nous sommes donc, selon vous, un danger permanent pour le pays, et la publication des brochures de M. Dechamps n'a pas eu d'autre but que de signaler ce prétendu danger. Et pourtant nous ne nous indignons pas contre ce reproche ; nous nous bornons à le trouver parfaitement ridicule ; nous pensons qu'il est ridicule de dire à des hommes qui ont gouverné sagement le pays pendant huit ans, qui le laissent en pleine prospérité et dans un calme parfait : « vous compromettez la sûreté du pays, vous allez perdre le pays. »

Que l'honorable M. Nothomb se défende de la même manière ; qu'il l'essaye, du moins ; qu'il montre que, quand il a quitté le gouvernement, il a laissé le pays aussi calme, aussi heureux, aussi prospère que nous l'avons fait, depuis que nous sommes revenus aux affaires.

Mais, dit-on, nos attaques sont une stratégie parlementaire ; c'est un dérivatif que nous employons pour enlever à l'honorable M. Dechamps ses chances de rentrer dans le parlement aux prochaines élections.

M. Coomans. - Il n'a pas voulu rentrer, il le pouvait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il a eu tort.

M. de Woelmontµ. - Je lui ai offert de me retirer pour lui faire place.

MfFOµ. - Vous êtes donc le maître de faire voter vos électeurs pour qui bon vous semble ? (Interruption.)

Tâchez donc de vous mettre d'accord. L'un nous dit que les critiques dirigées contre l'honorable M. Dechamps ont pour but de l'empêcher de rentrer dans cette Chambre ; l'autre affirme qu'il ne veut pas y rentrer.

M. Coomans. - Par un autre arrondissement.

MfFOµ. - Je crois, du reste, que ceux qui prétendent que l'honorable M. Dechamps ne veut pas rentrer, lui font une injure. Comment ! l'honorable M. Dechamps peut (page 101) sauver le pays, il a le remède dans la main, il le dit, il le proclame, il l’annonce à l'Europe, et il refusera de sauver le pays ? (Interruption.)

Je sais que cela lui arrive quelquefois. (Interruption.) Certainement ! C'est vraiment une situation des plus étranges, que celle du parti catholique. Il se plaint à tout propos d'être tracassé, opprimé, en un mot, d'être traité en vaincu ; et quand il est au pouvoir, il le déserte, on ne sait pourquoi ! Car enfin, en 1857, vous étiez au pouvoir...

M. Coomans. - On l'a flanqué à la porte. (Interruption.)

MfFOµ. - Il s'est sauvé, au lieu de sauver le pays !

En 1857, dis-je, le parti catholique était au pouvoir ; il était en pleine possession du pouvoir. Il ne l'a pas quitté à cause de l'émeute, par suite des journées néfastes du mois de mai : non ; il est resté malgré cet événement. Il y est resté depuis le mois de mai jusqu'au mois de novembre, et tout à coup, bien qu'il eût la majorité dans le Parlement, voilà qu'il abandonne le pouvoir. (Interruption.) Il déserte. (Interruption.)

Nous fûmes fort étonnés. Appelés par le Roi à raison de la désertion du pouvoir, nous avons dit : il n'y a pas lieu pour l'opinion libérale de prendre le gouvernement ; aucune raison politique ne nous en fait un devoir. Le cabinet qui offre sa démission a la majorité ; qu'il reste donc à la tête des affaires. Et nous avons déclaré, chose inouïe quand le pouvoir est offert à un parti politique, nous avons déclaré que les ministres démissionnaires devaient être conviés à délibérer de nouveau, pour savoir si définitivement ils voulaient réellement abandonner leurs portefeuilles.

C'est après cette seconde délibération, lorsque le pouvoir fut décidément vacant et que vous aviez formellement refusé d'y rester, que nous avons enfin accepté la mission qui nous avait été confiée par le Roi. Nous avons alors constitué une nouvelle administration, avec la nécessité de consulter le pays.

Le pays nous a donné raison.

Plus tard, par suite d'accidents que vous connaissez, par suite d'une situation qui n'était pas due exclusivement à la politique, par suite de ce qui s'était passé à Anvers, la majorité s'est trouvée affaiblie. Nous étions dans l'impossibilité de gouverner. On offre alors le pouvoir aux opprimés, à ces vaincus, à ces gens qui sont tourmentés et maltraités, qui dénoncent tous les jours à l'Europe l'horrible situation qui leur est faite par ces affreux libérateurs. On leur offre de nouveau le pouvoir, sans condition aucune... (Interruption.)

M. de Brouckere. - Sans condition !

MfFOµ. - Et ils refusent le pouvoir.

En agissant ainsi, qu'avez-vous révélé au pays ? Qu'elle est la signification d'une pareille attitude ? C'est que toutes les plaintes et toutes les doléances dont vous le fatiguez n'ont pas le moindre fondement ; c'est que vous-mêmes ne croyez pas un seul des griefs que vous ressassez tous les jours contre l'opinion libérale ; c'est que vous n'êtes pas du tout maltraités ni opprimés, mais que vous êtes parfaitement libres, et que vous n'avez aucun reproche sérieux à nous imputer. (Interruption). S'il en eût été autrement, vous eussiez pris le pouvoir et consulté le pays. Mais vous ne l'avez pas osé ; vous avez reculé.

Nous étions autorisés, après cette détermination, lorsque le pouvoir avait été pendant trois mois offert sans condition et refusé, nous étions autorisés, dis-je, à continuer l'administration du pays. Nous ne le voulons pas cependant. Nous persistons dans notre résolution ; nous y persistons pendant plusieurs mois encore, et lorsqu'enfin vous êtes sommés de nouveau de prendre le pouvoir, quel est le spectacle que vous donnez au pays étonné ? Le parti conservateur change tout à coup de drapeau. Il ne dit plus un mot de ses prétendus griefs ; il n'a plus rien à reprendre dans nos actes ; il rédige un programme qu'il croit démocratique, et le parti conservateur veut imposer à la couronne le bouleversement de toutes nos lois. (Interruption.)

M. de Naeyerµ. - Pas du tout.

- Voix à gauche. - Certainement.

MfFOµ. - Je ne comprends pas vos dénégations. Ne désiriez-vous pas modifier complètement la loi communale, toutes les lois électorales...

M. Royer de Behr. - Dites cela à M. Guillery.

MfFOµ. - Je ne dirai rien de semblable à M. Guillery, parce qu'il ne fait pas de proposition de ce genre, et que je ne sache pas qu'on lui ait offert le pouvoir.

M. Royer de Behr. - Il s'agit de bouleversement.

M. Orts. - M. Guillery demande que les électeurs sachent lire et écrire.

- Un membre. - Dites cela à M. Orts aussi.

M. Crombez. - Laissez donc parler le ministre.

MfFOµ. - Je reprends la discussion que les interruptions font dévier.

Ce n'est donc pas, comme vous le dites, sous de vains prétextes, que l'écrit de l’honorable M. Dechamps a été attaqué. Il a été attaqué parce qu'il est mauvais, parce qu'il est antipatriotique. M. Dechamps a soulevé ce qu'il appelle la question belge. Sans doute, il n'a pas inventé la question belge. Je crois même qu'il en a été question du temps de Henri IV.

M. Nothomb. - Sous César.

MfFOµ. - Il n'a donc pas inventé cette question. Mais, comme l'a dit l'honorable comte Vilain XIIII, d'un mot qui restera aussi et qui est la plus sanglante critique de l'auteur de cette brochure, il est venu dévoiler les secrets de polichinelle. Oui ; mais il s'est fait un prétexte de la découverte de ces secrets de polichinelle, donnée comme preuve d'une perspicacité rare, pour avoir l'occasion de dénoncer la situation de son pays à l'Europe, comme pouvant, dans certaine éventualité, favoriser les projets de l'étranger. Voilà la faute qui a été commise par l'honorable M. Dechamps, et je dis qu'elle est irréparable.

- Voix à gauche. - C'est vrai. Très bien !

M. Coomans. - Je vous démontrerai que c'est vous qui avez fait cela.

- Des membres à gauche. - Allons donc !

MfFOµ. - Mais après tous ces préliminaires de l'honorable M. Nothomb, il a fallu introduire dans le débat le nom de l'illustre comte de Cavour.

M. de Cavour aurait professé des idées hostiles à la Belgique. M. de Cavour aurait conseillé au gouvernement de la Belgique de prendre des mesures qui étaient de nature à porter atteinte aux institutions du pays et à sa liberté. M. de Cavour nous aurait enfin attaqués au sein du Congrès de Paris en 1856.

Messieurs, nous avons déjà fait justice de cette accusation, nous avons déjà démontré qu'elle n'avait aucune espèce de fondement ; nous l'avons prouvé pièces en main. Ce n'est pas en effet, la première fois qu'on dirige cette accusation contre l'honorable comte de Cavour. Elle a déjà été produite dans cette enceinte et j'ai pu alors, en invoquant les actes mêmes du Congrès de Paris que j'ai lus à cette tribune, réfuter les imputations calomnieuses que l'on avait dirigées contre ce grand homme d'Etat.

Enfin, messieurs, le véritable objet du discours de l'honorable membre est arrivé un peu tard. D'après ce qu'il nous a dit en terminant son discours, il n'avait guère pris la parole que pour nous interroger sur la politique du ministère, et surtout pour nous demander si nous voulions suivre le conseil de l'un de nos meilleurs amis, et l'un des plus autorisés comme il l'a dit avec raison ; si nous voulions renoncer à la loi sur le temporel des cultes et à la discussion de ce projet, ou si nous avions l'intention d'y persévérer.

Je n'ai pas consulté mon honorable ami, mais je suis bien certain que l'honorable M. Nothomb a faussé sa pensée, lorsqu'il a dit que, conviant le cabinet à ne pas faire des lois politiques, il l'aurait ainsi convié à abandonner le projet qui est déposé.

M. Nothomb. - Voilà ce que l'interprétation m'a paru comporter.

M. Dolez.µ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Cette interprétation est inadmissible, et je vais vous dire pourquoi.

Mon honorable ami, M. Dolez, avant tout l'homme du droit, l'homme de la légalité, serait incapable, en présence de l'attitude prise par le clergé à l'occasion de la loi des bourses, en présence de son attitude à propos de la question du temporel des cultes ; l'honorable M. Dolez serait, dis-je, incapable de venir nous conseiller de retirer ou de renoncer à ce projet ; un tel acte serait l'abdication du pouvoir civil.

- Voix à gauche. - C'est cela !

MfFOµ. - Il n'y aurait plus de pouvoir civil en Belgique si, en présence des manifestations qui ont eu lieu, alors que l'on ose prétendre que les pouvoirs publics sont incompétents pour s'occuper de réglementer l'administration du temporel des cultes, il se trouvait sur ces bancs un pouvoir assez lâche pour abandonner...

M. Coomans. - Et vous nous engagiez à retirer la loi sur la charité.

MfFOµ. - Je ne vous a pas engagé à retirer ce projet en présence des manifestations qui ont eu lieu ; au contraire. Lorsque ces manifestations se sont produites (page 102) lorsque j'ai été interpellé par les ministres et introduit dans le cabinet du Président par le comte Vilain XIIII, on m'a demandé mon opinion sur ce qu'il y avait à faire en présence de ces manifestations. J'ai déclaré que selon moi le projet devait être maintenu. J'ai dit qu'il serait indigne du parlement et du ministère de céder devant l'intimidation.

M. Orts. - Cela est parfaitement exact.

MfFOµ. - C'est donc sous prétexte de modération que l'on vient nous dire : Ne faites pas de lois politiques, suivez les conseils d'un de vos plus sages amis.

La modération ! Elle n'a pas cessé d'exister sur les bancs du ministère, tandis que l'exagération n'a pas disparu un instant des bancs de l'opposition.

Nous sommes au pouvoir depuis tantôt neuf années ; depuis 1857 jusqu'à 1861, quelles ont été les lois politiques faites par le cabinet ? Pas une. Repassant toute notre histoire, l'honorable M. Delcour a dû arriver jusqu'à ce jour pour trouver enfin deux lois qu'il a jugé bon de qualifier de lois politiques ; l'une de ces lois est une loi administrative sur les bourses d'étude, et l'autre est la loi demandée par la droite elle-même sur la répression des fraudes électorales ; et celle-ci même est encore en projet. Voilà tout.

Et quelle était cependant l'attitude du parti catholique, du parti conservateur, du parti modéré par excellence ? Le ministère ne faisant pas de lois politiques, résistant même souvent à l'impatience à ses propres amis, vous l'avez néanmoins attaqué avec la même violence avec la même injustice, avec la même passion ! Nous nous sommes trouvés vis-à-vis de notre propre parti dans les circonstances les plus graves et les plus difficiles. Ne voulant point céder à ces entraînements de l'opinion qui succèdent trop souvent aux crises comme celles que vous aviez fait naître en 1857, voulant avec énergie ramener le calme et la confiance dans le pays, nous n'avons proposé aucune mesure qui fût de nature à soulever des débats irritants.

Notre propre parti s'impatientait cependant, notre propre parti s'irritait, et nous fûmes condamnés à devoir combattre, jusque dans la capitale, nos propres amis sur le terrain électoral.

Et qu'avez-vous fait alors ?

Vous vous êtes coalisés avec ceux qui combattaient le ministère, vous leur avez donné votre appui et vos votes. Et après cela, vous proclamant les apôtres de la conciliation et de la modération, vous aurez l'étrange prétention de nous prêcher le calme et la prudence, vous vous imaginerez pouvoir nous enseigner comment un opinion forte et puissante, qui a de profondes racines dans le pays, doit se conduire lorsqu'elle est appelée à l'honneur de diriger les affaires du pays ! Non, non, messieurs ! Ce n'est pas à vous de nous donner des conseils de prudence et de modération ; mais nous avons le droit de vous dire que nous vous avons donné sous ce rapport des leçons et des exemples, que vous ferez bien désormais de méditer.

M. Dolezµ. - L’honorable M. Nothomb, interprétant des paroles que j'ai prononcées dans une de nos précédentes séances, a cru que ces paroles comportaient, pour mes amis qui sont au pouvoir, le conseil de retirer la loi sur le temporel des cultes. Je tiens à lui dire que pareille pensée n'est jamais entrée dans mon esprit. Je crois que cette loi doit être maintenue, qu'elle doit être discutée et que le but qu'elle poursuit doit être définitivement atteint. Mais, messieurs, ce but je le caractérise bien haut, pour mon compte, comme n'ayant aucune espèce de caractère politique ; ce que j'entends trouver dans la loi sur le temporel des cultes, l'esprit dans lequel je l'examinerai, c'est la recherche d'un contrôle effectif, sérieux, des biens du temporel des cultes, et j'ai la conviction que telle est aussi la pensée de mes amis, non pas seulement de ceux qui sont au pouvoir, mais de tous les amis qui m'environnent sur ces bancs.

Eh bien, de votre côté, si vous faisiez un accueil sérieux aux pensées de modération que j'ai exprimées et qui ont, par parenthèse, été si mal comprises par quelques-uns d'entre vous et si hautement calomniées par certains organes de votre presse, si vous répondiez à ces paroles de conciliation, que feriez-vous ?

Sans passions, sans idées préconçues, vous examineriez avec nous s'il y a moyen d'aboutir à ce contrôle efficace sans froisser des susceptibles d'aucun genre.

Je n'appartenais pas à la section centrale ; j'ai même été empêché de prendre une part sérieuse et suivie aux travaux des sections, mais il m'a été dit qu'à la section centrale, et que dans certaines des sections même, on avait été près de s'entendre.

Eh bien, si cela est, si vous êtes animés des pensées de modération qui m'animent, pourquoi ne vous remettriez-vous pas loyalement à l'œuvre pour tâcher d'arriver à ce but, quand viendra la discussion de la loi ?

Quant à moi, je tiens à le redire.

Je proclame bien haut que cette loi doit être discutée, mais je proclame aussi bien haut que nous n'en poursuivons la réalisation que pour atteindre un contrôle effectif qui, jusqu'ici, a manqué à l'administration du temporel des cultes, et cela avec le désir sincère de faire taire toute susceptibilité, qui pourrait être légitime, sans fausser le résultat que nous voulons atteindre.

Je suis convaincu que pas un de mes amis qui m'entendent ne me désavouera dans ce que j'ai l'honneur de leur dire dans ce moment.

MfFOµ. - Pas un.

M. Dolezµ. - On a reparlé de la brochure de M. Dechamps ; je n'ai nul désir de revenir sur ce sujet et j'aurais d'ailleurs tort de le faire, puisque en définitive tout ce que j'ai pu dire et écrire sur cette brochure a trouvé, dans cette enceinte, un complément sévère dans la bouche des amis de M. Dechamps eux-mêmes.

On vient de vous rappeler tout à l'heure comment l'honorable comte Vilain XIIII l'a caractérisée, et maintenant l'honorable M. Nothomb vient de redire plus éloquemment que moi ce que j'avais dit dans cette Chambre, en vous démontrant que la question belge n'existe pas.

Or, qu'avais-je donc reproché à l'honorable M. Dechamps ? C'est d'avoir prétendu que des périls de tout genre environnent notre nationalité, et qu'il existait une question belge dans laquelle notre indépendance, pourrait succomber ; c'est d'en avoir fait un épouvantail pour peser sur la liberté de nos discussions politiques intérieures ; c'est d'avoir en signalant cette prétendue question belge, pu exciter les convoitises de l'étranger. (Interruption.)

Remarquez-le bien, messieurs, vous jugez mal l'effet de ce déplorable écrit par ce qui a pu se produire dans notre pays. Sans contredit, dans notre pays cet écrit n'a pu atteindre notre système politique. Cet écrit n'a pu faire croire, en Belgique, à un danger menaçant notre nationalité.

Mais en dehors de. nos frontières, son effet a été des plus contraires aux sentiments de patriotisme qui règnent en Belgique.

Je n'ai pas moi, messieurs, de correspondance ni de relations avec les grands personnages politiques de l'Europe, mais j'ai des relations modestes, des relations nombreuses d'amitié et de famille en France. Eh bien je puis vous affirmer que cette appréciation de la brochure de M. Dechamps a été répandue.

Je vous répéterai même ce que me disait il y a quelques jours un homme des plus respectables de notre ville, qui se trouvait à Lille au moment où je lisais le travail de l'ancien ministre belge. On disait et on imprimait dans les journaux de Lille que la question belge, la question d'annexion de la Belgique était mûre.

Voilà ce qu'on disait à nos frontières, voilà ce qu'on disait dans les cercles de Paris, et voilà ce que la brochure de M. Dechamps était de nature à permettre de croire.

M. Delaetµ. - Cela prouve qu'on ne sait pas le français à Lille.

MfFOµ. - Vous irez l'y enseigner.

M. Dolezµ. - L'honorable M. Delaet croit qu'à Lille on ne sait pas le français, il pourra sans doute, sous ce rapport, aller civiliser nos voisins du midi.

Un mot encore pour montrer à l'honorable M. Nothomb, que, s'il est vrai, comme il le pense avec moi, qu'il n'y a pas et ne peut y avoir de question belge, son ami M. Dechamps prétendait bien l'avoir découverte et entendait la signaler comme menaçante. L'auteur expose les dangers, les complications de la question allemande, et il arrive à cette conclusion : Soit que l'Allemagne s'unisse, soit qu'elle reste divisée, la question allemande porte la question belge dans ses flancs.

Je le répète, nous avons été, à regret, sous l'influence d'un patriotique devoir, forcés d'entretenir la Chambre et le pays de cette brochure ; maintenant je désire profondément qu'elle soit définitivement enterrée, son oraison funèbre a été prononcée aujourd'hui par l'honorable M. Nothomb, comme elle l'avait été dans une précédente séance par l'honorable M. Vilain XIIII ; que paix soit désormais à sa cendre !

M. Nothomb (pour un fait personnel). - L'honorable préopinant vient de dire que j'ai plus sévèrement qu'aucun membre de la Chambre traité la brochure de mon honorable ami M. Dechamps, et que désormais il faut la laisser dans le repos de la tombe. Ce sont ses expressions.

L'honorable membre a bien mal interprété ma pensée. Qu'ai-je dit ? Qu'on accusait l'honorable M. Dechamps d'avoir soulevé la question belge. J'ai qualifié comme elle le mérite cette assertion d'enfantillage. J'ai ajouté qu'une pareille question ne pouvait être soulevée par un (page 103) homme d'Etat quel que fut son mérite et cela par une raison péremptoire, c'est que cette question n'existe pas, et ne pouvait exister qu'au prix d'un cataclysme européen.

Il y a plus, j'ai dit que l'honorable M. Dechamps dans sa brochure s'élève plus que personne contre certaines et rares prétentions d'annexer la Belgique qui peuvent exister au delà de nos frontières.

Voici ce qu'écrit l'honorable M. Dechamps, page 99 :

« Je suis loin de croire et de dire que l'empereur Napoléon III médite une troisième guerre ; qu'après avoir reconquis les frontières des Alpes, il songe aux frontières du Rhin, auxquelles le chauvinisme français donne le nom de frontières naturelles et qui le sont si peu, que la France ne les a jamais possédées un jour que pour les perdre le lendemain. Je pense, au contraire, que Napoléon III est plus disposé à suivre ce conseil écrit dans le testament de Sainte-Hélène :

« Ce n'est plus dans le nord que se résoudront les graves questions, c'est dans la Méditerranée. »

« Les frontières du Rhin sont un vieil anachronisme et les destinées de la France ne sont plus là. »

Voilà comment l'honorable M. Dechamps a soulevé la question belge et comment il a excité les convoitises de l'étranger !

Ceci fait complète justice de toutes vos allégations ; M. Dechamps lui-même a fait évanouir cet épouvantail dont vous avez besoin pour galvaniser la discussion.

Un mot encore sur une autre partie du discours de l'honorable M. Dolez. Dans une précédente séance il avait dit ceci : « J'engage mes amis à faire moins de politique dans leurs lois. »

Dans la bouche de l'honorable M. Dolez, ces paroles avaient, et devaient avoir pour moi une portée sérieuse et modérée, parce que je considère l'honorable membre comme un homme sérieux, modéré, sincèrement dévoué au pays et voulant, à ce titre, la paix et la concorde.

Or, pour nous, le projet de loi sur le temporel des cultes est essentiellement politique (Interruption.)

MfFOµ. - En quoi est-il politique ?

M. Nothomb. - Nous vous l'avons dit. J'ai donc du croire que l'honorable membre conviait ses amis à ne pas maintenir la discussion d'une loi politique au premier chef.

M. Dolezµ. - A l'examiner sans esprit politique.

M. Nothomb. - J'ai interprété votre pensée en donnant à vos paroles le caractère réfléchi qui s'y attache justement. Je n'ai pas cru user en cela d'un procédé désagréable.

MfFOµ. - En quoi cette loi est-elle politique ?

M. Thonissenµ. - Nous vous dirons cela plus tard.

M. Jacobsµ. - A quoi donc M. Dolez faisait-il allusion en disant à ses amis : « Faites désormais moins de politique dans vos lois » ?

M. Nothomb. - C'est évident : le conseil de l'honorable membre avait cette portée ou il ne signifiait rien. J'aurais cru désobliger l'honorable M. Dolez en n'y voyant que cette dernière alternative.

Maintenant, l'honorable membre a expliqué sa pensée ; il en est le maître, et pour nous notre but est atteint : nous savons à quoi nous en tenir.

M. Dolezµ. - Je répondrai à l'honorable M. Nothomb que je ne me plains nullement de ses procédés. Je me plais à reconnaître qu'il a toujours eu envers moi les procèdes les plus convenables.

Mais en ce qui concerne l'interpellation qu'il m'adresse au sujet de mon opinion relativement à la loi sur le temporel des cultes, je réponds sans détour, comme j'ai toujours eu l'habitude de le faire.

Je demande à mes honorables amis et je vous demande à vous-mêmes d'examiner cette loi sans pensée politique, de l'examiner uniquement à ce point de vue que l'honorable M. Nothomb signalait tout à l'heure comme parfaitement légitime et désirable, de réaliser un contrôle sévère, effectif dans l'administration du temporel des cultes.

J'espère que l'honorable M. Nothomb se trouve parfaitement satisfait par ces explications et je désire, au nom des principes qu'il invoquait tout à l'heure, qu'il veuille examiner la loi avec les mêmes préoccupations que moi, c'est-à-dire en vue de parvenir à trouver un contrôle sérieux, effectif à cette partie importante de notre administration publique. Sommes-nous d'accord sous ce rapport ? Je le désire.

M. Bouvierµ. - J'aborde cette discussion sans préambule et je demande à la Chambre la permission de faire, non pas un discours sur les bourses d'étude, les cimetières, le temporel des cultes et autres thèmes de cette nature qui sont devenus l'unique et fastidieux élément de nos discussions, mais de produire, à mon tour, comme membre de la gauche, une protestation contre l'étrange théorie que vous avez entendu professer dans cette enceinte, que l'honorable ministre M. Bara a déjà justement flétrie dans la séance précédente, théorie qui consacre la non-obéissance à la loi quand la conscience la réprouve. Cette doctrine a pour auteurs M. le jurisconsulte Coomans, l'honorable M. Dumortier, en compagnie de messeigneurs les évêques, archevêques, chanoines et autres dignitaires de l'Eglise, sans oublier le grand et le petit état-major clérical belge.

Cette doctrine a été savamment développée dans l'assemblée par deux éminents professeurs de droit de l'orthodoxe université de Louvain, de telle sorte que rien n'y manque pour qu'elle fasse le tour de la Belgique et y sème sa funeste et délétère influence, si le bon sens, la raison, la justice et le culte de la loi, qui font le fond solide du caractère du peuple belge, n'avaient déjà fait justice de pareilles extravagances ; et quand je vois des hommes développant de pareilles théories s'affubler du nom de conservateurs, je dis qu'ils mentent devant le pays, que leur nom, leur véritable nom est celui de rebelles à la loi.

Il ne me sera pas difficile de le prouver. En effet, que disait l'honorable M. Thonissen dans la séance du 23 novembre dernier, après avoir discuté le principe que le droit est antérieur et supérieur à la loi, principe dont l'honorable ministre de la justice vous a révélé tout le danger ? Je tiens seulement à constater, ajoutait l'honorable membre, qu'il peut y avoir, dans la vie des peuples des circonstances où l'homme d'honneur, où le bon citoyen peut et doit répondre au pouvoir : Je refuse mon concours volontaire à l'exécution d'une loi que repousse ma conscience.

Cette théorie est décorée du beau nom de théorie de refus de concours à la loi.

Eh bien, je ne crains pas de le dire, une pareille doctrine renferme le principe de dissolution de toute société, qu'elle ait pour couronnement soit le régime de liberté, soit même celui du despotisme. Cette doctrine est la domination de la force brutale sur la force de la loi, de la loi que Plutarque, dans l'antiquité, proclamait la reine de tous les mortels et immortels, de la loi qui restera l'éternel et consolant refuge du faible contrôle fort, du juste contre l'injuste, de la loi qui doit planer sereine, majestueuse et inviolable, tant qu'elle existe, au-dessus de nos misérables et trop souvent stériles débats ; et c'est vous, professeurs dans une université catholique, qui venez, dans son sanctuaire même, la polluer pour y substituer, non son règne, mais celui de votre bon plaisir, basé sur de prétendus scrupules de conscience ! Cela est triste ! Mais laissez-moi ajouter qu'un parti qui en est réduit à de pareils expédients est bien près d'exhaler son dernier souffle au milieu du mépris et de l'indignation publics.

Mais ce n'est pas tout, messieurs ; cette doctrine de la désobéissance à la loi, quand la conscience y refuse son concours, cette doctrine a trouvé un autre éloquent défenseur, également professeur dans l’Alma mater de Louvain. Voici l'argumentation de l'honorable M. Delcour, elle repose tout entière sur un syllogisme : La loi sur les fondations des bourses est une atteinte au droit de propriété. Eh bien, si c'est une atteinte à la propriété, je dis qu'il y a un devoir de conscience de refuser tout concours actif à son exécution.

Cette doctrine a été caractérisée par l'honorable ministre de la justice, dans un langage ferme et digne, qui prouve que la loi ne périclitera jamais dans ses mains. L'honorable M. Delcour ne se borne pas à établir ses prémisses, il poursuit sa thèse jusque dans ses dernières conséquences, extrêmement curieuses et très intéressantes au point de vue de la science révolutionnaire ; c'est un cours où cette nouvelle science est exposée et se révèle avec une grande netteté de vues. Il y a, dit-il, deux espèces de résistances, l'une active et l'autre passive.

Vous ne comprenez peut-être pas plus que moi la subtilité et le raffinement de cette nouvelle théorie, qui va probablement devenir classique dans l'enseignement de l'université de Louvain. Soyez patients, de grâce, l'auteur va vous faire pénétrer dans les mystères de sa profonde pensée. Il commence par une distinction, cela fait si bien, cela sent la scolastique avec un parfum de science.

M. Coomans. - Vous ne vous parfumez donc jamais...

M. Bouvierµ. - Je ne saisis pas même le parfum de votre interruption. La résistance active, c'est, enseigne-t-il, la force opposée à la force, c'est l'émeute, sans doute celle à la gueule pleine de sang, grondant dans la rue, c'est le gouvernement de la force substitué au gouvernement du droit. Mais, se hâte d'ajouter immédiatement l'honorable M. Delcour, et cela avec un grand esprit d'à-propos, cette résistance-là, nous n'en voulons pas ! Et pourquoi pas, s'il vous plaît ?

Pourquoi ce prudent et majestueux silence ? Cette résistance-là, vous (page 104) n'en voulez pas et vous jugez prudent de nous en cacher la raison. Vous n'osez peut-être révéler ce terrible secret. Eh bien, je vais oser pour vous, en m'abritant toutefois sous l'égide d'un nom immortel, celui de l'inimitable fabuliste ; vous n'osez pas, parce que les raisins sont trop verts !!!

Le mot est trivial sans doute, mais il est profondément vrai. Vous considérez la résistance active comme trop dangereuse, vous êtes convaincu que si vous aviez la témérité de descendre dans la rue pour y crier : A bas la loi ! votre voix s'y perdrait sans aucun retentissement, avec l'inévitable perspective d'y rencontrer la loi vivante sous la forme et l'aspect d'un gendarme. Voilà pourquoi vous préférez la résistance passive, moins dangereuse, mais non moins subversive de toute organisation sociale.

Respirons un moment pour nous demander ce que l'auteur entend par la résistance passive, celle qui a toutes ses sympathies, celle qui lui fait dire : La loi est injuste, ma conscience ne me permet pas de concourir à son exécution.

Mais il ne s'agit pas, dirai-je à l'honorable M. Delcour, de savoir si la loi est ou n'est pas juste pour lui prêter ou lui refuser votre concours. Vous le lui devez dans tous cas, entendez-vous ? parce que la loi, tant qu'elle est loi, doit être tenue pour la vérité, pro veritate habetur. Vous avez le droit, le droit absolu de la faire tomber en recourant à tous les moyens que la Constitution met entre vos mains. On vous l'a démontré déjà en des termes éloquents.

Travaillez l'opinion publique, ouvrez des meetings et des conférences sur la surface et dans tous les coins du pays, c'est votre droit. Créez toutes espèces de journaux nationaux et internationaux, catholiques, apostoliques et romains, ruez-vous sur ces infâmes libéraux, mais dans vos journaux s'entend, sinon vous tomberiez dans l’une de vos deux résistances déjà commentées et suffisamment expliquées ; formez une ligue sainte et vaillante, c'est encore votre droit. Proclamez partout et toujours, sans trêve ni cesse, que nos lois enfreignent le droit de propriété, qu'elles consacrent le vol et la spoliation, c'est toujours votre droit. Tâchez surtout, de minorité que vous êtes, de devenir majorité et alors de votre souffle légal et constitutionnel, mais de celui-là seul, renversez, cassez et brisez ces lois sur lesquelles vous appelez l'anathème et la malédiction de la nation, et, vous conduisant ainsi, vous recevrez toutes nos bénédictions, en attendant celles qui doivent vous venir d'en haut ; nous vous jugerons à notre tour d'après vos œuvres, nous reposant, dignes et calmes, sur la loi et la Constitution pour les combattre si elles étaient attentatoires à nos libertés, tout en proscrivant votre théorie révolutionnaire pour n'obéir qu'à celle qui repose sur la majesté de la loi.

En voulant bien prêter votre attention à ces courtes réflexions, vous resterez fidèle au serment que vous avez juré d'observer en entrant dans cette enceinte : obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge, et quand vous repasserez devant la colonne du Congrès où vos yeux ont contemplé les statues allégoriques représentant les quatre grandes libertés constitutionnelles de la Belgique : la liberté des cultes, la liberté de la presse, la liberté d'enseignement et la liberté d'association, rappelez-vous toujours que ces grandes libertés ont pour base éternelle et indestructible le respect et l'obéissance à la loi. Enseignez partout ces salutaires principes et vous pourrez reconquérir peut-être un jour ce nom de conservateur que votre fatale théorie vous fait perdre et auquel l'implacable histoire substituera celui de révolutionnaire et d'anarchiste.

M. Coomans. - J'avais préparé des notes pour le discours que je me proposais de vous faire éventuellement ; je ne les ai pas sur moi ; je me bornerai donc à deux ou trois observations que je crois essentielles et je serai très court, si vous voulez bien me le permettre.

Après le commentaire de l'honorable M. Bouvier, je saisis très clairement enfin la pensée ministérielle ; la voici : L'Encyclique est incompatible avec la Constitution ; les catholiques belges ne peuvent pas, sans forfaire à leur foi, adhérer à la Constitution ou même la respecter. Les bons catholiques sont forcés à cause de leur attachement à leur foi de se déclarer hostiles à la Constitution belge. C’est le thème que MM. les ministres à qui je m’adresse particulièrement aujourd’hui, ont suffisamment développé depuis plusieurs années.

MfFOµ. - Nous n'en avons pas dit un mot.

M. Coomans. - C'est même sur ce thème qu'on a basé cette énorme injure, que les catholiques au pouvoir seraient un danger public.

MfFOµ. - J'ai toujours soutenu le contraire.

M. Coomans. - Vous n'avez pas cessé de soutenir dans cette discussion que l'encyclique était la condamnation de la Constitution belge.

MfFOµ. - Je n'ai pas même prononcé le mot encyclique.

M. Coomans. - Vos journaux les plus importants, des membres importants de votre parti, M. Bara, M. Hymans et bien d'autres l'ont soutenu, et c'est votre pensée. Si l'encyclique est d'accord avec la Constitution, pourquoi en faites-vous un crime au saint-père, pourquoi cherchez-vous à en faire un embarras pour les catholiques. C'est votre pensée, soyez donc francs : l'Encyclique est inconstitutionnelle.

M. De Fréµ. - Oui...

M. Coomans. - Les catholiques sont donc des citoyens inconstitutionnels, des ennemis de la liberté en général et de la liberté de 1830 en particulier. (Interruption.)

J'accepte l'expression de votre assentiment ; eh bien, messieurs, c'est la première fois depuis que je lis des livres d'histoire, et il y a longtemps hélas ! que je vois des gouvernants s'acharner à démontrer à l'immense majorité du peuple que sa foi est incompatible avec sa loi fondamentale. Dans tous les pays du monde, catholique, protestant, musulman, hindou, toujours les gouvernements se sont attachés sinon à gouverner dans le sens de la foi professée par la grande majorité du peuple, du moins à ne pas la froisser.

Et ici, le gouvernement vient nous dire, non accidentellement, mais systématiquement, que la foi de l'immense majorité de la nation est incompatible avec sa loi fondamentale !

- Voix à droite. - Très bien.

M. Coomans. - Eh bien, je suppose que les efforts des honorables ministres réussissent, que les honorables ministres parviennent enfin à convaincre les catholiques qu'ils doivent préférer leur foi à la loi, à quel résultat arriverons-nous ?

La loi sera sacrifiée à la foi, et vous aurez engagé, forcé les catholiques à supprimer la Constitution. (Interruption.) Est-ce là votre but ?

Si ce n'est pas votre but, vous agissez avec un illogisme des plus dangereux et qui, d'après moi, approche du délire. De deux choses l'une : ou la religion de l'immense majorité des Belges est conciliable avec la Constitution et alors vous n'avez pas le droit de nous reprocher à chaque instant d'être, en notre qualité de catholiques, hostiles à nos libertés et à la Constitution.

- Une voix à gaucheµ. - On n'a pas dit cela.

- Voix à droite. - On l'a dit cent fois.

MfFOµ. - C'est un thème que vous inventez.

M. Coomans. - C'est votre thème principal. Je continue le dilemme : ou bien la religion est incompatible avec la Constitution et alors vous devez nous traiter en ennemis, vous devez, comme dit mon honorable ami M. Nothomb, nous supprimer. Au lieu de cela, vous nous sommez de gouverner ! Mais si vous prenez au sérieux l'accusation que vous nous lancez d'être des adversaires-nés de la Constitution, vous êtes de mauvais citoyens lorsque vous nous conviez à gouverner.

Si les honorables ministres parviennent à convaincre les catholiques que l'interprétation dite ultramontaine de l'encyclique est la bonne, en quoi les honorables ministres sont d'accord avec les prétendus rétrogrades, la Constitution est perdue et, peut-être, la nationalité avec elle, et je vous demande si cette déclaration que vous faites à l'adresse de l'étranger n'est pas plus antipatriotique que celle que vous accusez M. Dechamps d'avoir faite dans sa brochure.

Que dit en définitive M. Dechamps ?

il nous dit : Ne faites pas tant de bruit ; vous êtes un petit peuple et par le temps d'annexion qui court, vos criailleries sont dangereuses ; attendons prudemment le bon temps et profitons de la paix pour étendre les libertés et développer le progrès social sur la base de la justice. Il nous convie à la paix, à l'union, et il y croit. Mais vous, vous n'y croyez pas, vous les déclarez impossibles, vous nous qualifiez d'ennemis-nés, d'ennemis obligatoires, d'ennemis fatals de la Constitution. Et croyez-vous que l'étranger ne fera pas attention à tous vos discours ? Croyez-vous que s'il a des vues d'annexion sur nous, il ne sera pas charmé d'invoquer vos discours pour prouver que l'immense majorité du pays est contraire à la loi fondamentale, pour supprimer la Constitution avec ses ap et dépendances.

Le résultat de votre doctrine antinationale, c'est la guerre, la guerre à tout jamais, une guerre de parti, une guerre fratricide. (Interruption.) Mais ne vous récriez pas contre mon hypothèse de la suppression de la Constitution. Dans le cas où votre thèse aurait du succès, les catholiques seraient forcés de supprimer la Constitution, car, encore une fois, dans tous les temps, dans tous les pays nous voyons les peuples préférer leur (page 105) foi à la loi, et au fond ils ont raison ; la foi, c'est la vérité absolue, perpétuelle, qui a trait aux intérêts les plus supérieurs de l'homme ; la Constitution même la plus belle du monde ne concerne que des intérêts mondains, intellectuels quelquefois, mais temporaires, et tout homme sérieux, tout homme loyal, vous l'avez affirmé, préférera toujours sa foi à la loi.

Pourquoi adressez-vous l'expression de vos doutes injurieux à ceux qui affirment, comme moi et d'autres, que l'Encyclique est parfaitement conciliable avec la Constitution ? Pourquoi êtes-vous toujours d'accord avec nos adversaires ? Pourquoi tous ces éloges que vous leur prodiguez ? Pourquoi dites-vous que les bons catholiques sont des ennemis de la Constitution, tandis que les mauvais catholiques, les catholiques sceptiques, indifférents ou hypocrites comme moi et d'autres, selon votre presse...(Interruption) osent seuls se dire amis de la Constitution. Ces derniers sont des amis de la liberté, cela est vrai, on daigne en convenir ; mais ce ne sont pas des gens sincères, des hommes loyaux, ce ne sont pas de vrais catholiques. Les vrais catholiques, les hommes loyaux, les meilleurs sont des ennemis nés de la Constitution ! Mais je le demande, en définitive où allons-nous ?

S'il vous paraissait quelque peu intéressant de connaître mon opinion sur l'encyclique, je vous la dirais, mais je crois que cela ne vous intéresserait guère.

- Voix à gauche. - Si ! si !

M. Coomans. - Ah ! cela vous intéresse ? Eh bien, je vous dirai que je crois de l'encyclique ce qu'en croit le pape lui-même. (Interruption.)

M. de Liedekerkeµ. - Et Mgr Dupanloup.

M. Coomans. - Le pape me suffit. Je me contente de l'interprétation du saint-père, de l'auteur de l'encyclique. (Interruption.)

J'accepte comme interprétation de l'encyclique, celle que le saint-père voudra bien donner.

- Voix à gauche. - C'est très clair.

M. Coomans. - Et c'est très naturel. Devrais-je préférer votre interprétation ? Quand vous ferez une encyclique, c'est votre interprétation qui me paraîtra la meilleure.

- Voix à droite. - Très bien.

- Voix à gauche. - C'est trop clair.

M. Coomans. - En effet, c'est suffisamment clair pour mes besoins de citoyen belge.

- Voix à gauche. - L'Encyclique n'est pas claire.

M. Coomans. - Si vous ne la trouvez pas assez claire, adressez-vous au saint-père qui a seul le droit d'en fixer le sens. A mes yeux, ce sens ne nous défend point de respecter, d'aimer nos libertés fondamentales. Je le prouve bien par ma conduite, que vous trouvez infiniment trop libérale.

Messieurs, je l'avoue, il y a quelques catholiques, en petit nombre, qui sont de l'avis des ministres et qui pensent que l'Encyclique et la Constitution sont inconciliables.

M. de Theuxµ. - Ils sont rares.

- Voix à gauche. - Pas si rares.

M. Coomans. - Soit ! mais c'est vous qui cherchez à les multiplier ; tous vos discours y tendent. Et c'est nous que vous accusez !

Vous prétendez que la mauvaise interprétation de l'Encyclique (j'en parle au point de vue politique seulement, le seul auquel nous ayons le droit de nous placer), vous prétendez, dis-je, que la mauvaise interprétation de l'Encyclique est la bonne ; et cette interprétation est celle qui nous ordonne à nous catholiques, à moins d'être des hommes déloyaux, de combattre la Constitution. Eh bien, messieurs, je l'avoue, jamais je n'ai entendu sortir de la bouche d'un chef politique une pareille énormité ; jamais je n'ai entendu soutenir une thèse aussi insensée, aussi éminemment révolutionnaire. Tout gouvernement quelconque doit s'efforcer, je le répète, de prouver à la masse du peuple qu'une foi est conciliable avec la loi ; oui, c'est la première fois, dans l'histoire qu'on voit le gouvernement proclamer une idée aussi révolutionnaire et engager l'immense majorité du pays à renverser sa loi fondamentale. Et c'est cependant ce que vous faites, car, ne vous faites pas illusion, les catholiques renverseront la Constitution le jour où votre thèse aura paru suffisamment justifiée... (Interruption.)

- Voix à droite. - C'est évident.

M. Coomans. - C'est tout naturel et je blâmerais fort les catholiques, les protestants, les turcs qui n'agiraient pas de même dans de pareilles conditions. Je ne crois pas qu'il y ait un pays au monde qui consente à accepter une loi contraire à sa foi. Essayez en Suède, essayez en Hollande, essayez en Angleterre, essayez en Prusse ! Je vous en défie, vous et vos amis, les doctrinaires des cinq parties du monde.

Donc si vous étiez, je ne dis pas des hommes d'Etat, je ne veux pas être trop exigeant, mais simplement des ministres prévoyants et sages, vous diriez que la thèse que vous appelez jésuitique, épiscopale, papale, etc., n'est pas bonne et vous seriez enchantés de rencontrer des catholiques éminents comme il y en a plusieurs dans cette Chambre et au dehors, qui attesteraient qu'il n'en est rien, que votre perpétuelle brochure contre la nationalité, contre toutes les libertés belges est un mensonge ou tout au moins une erreur, vous seriez heureux d'entendre de pareilles protestations se produire.

Mais non ; chaque fois qu'on vient attaquer la Constitution belge, si ce sont des catholiques qui le font, vous applaudissez sous main, vos journaux n'ont pas assez d'éloges pour ceux-là et pas de critiques assez amères contre les catholiques constitutionnels.

Mais, messieurs, il y a bien autre chose. Je suppose que votre thèse soit bonne, que le catholicisme et la Constitution soient incompatibles ; il en résulterait, comme osent affirmer plusieurs journaux et des plus importants qu'il n'y a plus un seul catholique à gauche.

Cela a été dit maintes fois, même par des hommes considérables. Il n'y a plus de catholiques à gauche, et la conclusion est parfaitement logique, car puisque vous continuez à rester à gauche après cette Encyclique inconstitutionnelle, il est évident que vous n'êtes pas avec les catholiques de la droite : on ne peut pas être des deux côtés à la fois. Par conséquent, si vous continuez à siéger à gauche sous le commandement des chefs qui soutiennent que le catholicisme et la Constitution sont des antithèses qui ne peuvent jamais cire conciliées, vous n'êtes plus catholiques ; cela me paraît clair ; et les orateurs, les publicistes qui raisonnent ainsi raisonnent parfaitement juste.

Mais, messieurs, je crois que la conclusion est un peu contraire aux faits, et je suis heureux de croire qu'il y a à gauche de très bons catholiques et même, comme on l'a dit, de meilleurs catholiques que moi. (Interruption.) Hélas ! je ne me vante pas d'être un parfait catholique, et je ne me vante pas surtout de l'aveu que j'en fais ! Quoi qu'il en soit, j'aime à croire qu'il y a d'excellents catholiques à gauche. Eh bien, si cela est vrai, je les prierai de se charger de nous expliquer l'encyclique. Le problème peut être résolu par vous-mêmes. (Interruption.)

L'autre jour l'honorable M. Hymans et, depuis, d'autres membres de la gauche sont venus nous sommer de leur expliquer l'encyclique ; mais je leur réponds : Adressez-vous à vos propres amis : devant vous, derrière vous, à droite, à gauche, partout, vous trouveriez dans vos rangs de bons catholiques pour vous satisfaire. Ils savent, eux, que l'encyclique et la Constitution sont parfaitement conciliables ; adressez-vous à eux, quant à moi je n'ai pas à vous répondre ; je pourrais me borner a vous dire avec mon honorable ami M. Dumortier : « Je pense de l'encyclique ce qu'il me plaît. » Mais je n'éprouve aucun embarras à m'expliquer. Je suis catholique et libéral ; je puis être l'un et l'autre en vertu de ma doctrine ; à vous c'est difficile. (Interruption.) Si vous continuez à m'interroger, je vous demanderai, messieurs les bons catholiques de la gauche, de vouloir bien me dire comment vous pouvez être à la fois de l'avis de l'honorable M. Bara et de l'avis du pape. (Interruption.)

La vérité, pour moi, messieurs, c'est qu'on peut être très bon catholique, apostolique et romain et en même temps très bon citoyen ; qu'on peut être très soumis aux lois de l'Eglise et aux lois de son pays, aux lois du Dieu des chrétiens dont le pape est le représentant sur la terre et du dieu Etat dont l'honorable M. Frère est pape en Belgique et l'honorable M. Bara l'un des archevêques. (Interruption.)

C'est ainsi que je m'explique ce mot de l'Evangile : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ! Moi, messieurs, je tâche de rendre à Dieu ce qui lui est dû et je me ferais scrupule de ne point rendre à mes concitoyens, même quand ils sont ministres, ce qui leur est également dû. Je veux rendre à César ce qui revient à César ; mais quand César me demande ce qui ne lui revient pas, César n'a pas droit au bénéfice de l'Evangile, et je lui résiste de mon mieux. Voilà ma théologie.

Du reste, je demande aux ministres qui ont toujours cette pression extérieure à nous lancer à la tête ; je leur demande s'ils croient oui ou non que le catholicisme professé par l'immense majorité des Belges et par un grand nombre des amis des ministres, est compatible oui ou non avec la Constitution ; si oui, ils doivent bannir le catholicisme et le mot catholique des discussions de nos Chambres ; si non, ils doivent nous faire la guerre, nous mettre hors la loi, nous supprimer, nous et notre culte comme un danger public ; surtout j'espère qu'alors ils ne nous sommeront plus de gouverner, de renverser hic et nunc la Constitution.

(page 106) Messieurs, il est certain que ç'a été toujours une grave question de savoir qui a le droit de faire la loi, et comment la loi doit être faite. Il n'est pas de question plus épineuse que celle de la délimitation du droit de gouverner et du droit de désobéir. L'une et l'autre théorie offrent de graves inconvénients. Mais je suis très disposé à me ranger du côté de celle qui est la plus généreuse et qui dans tous les cœurs rencontre le plus de sympathies, c'est-à-dire le droit de résistance à l'injustice, à la force brutale ; or l'injustice et la force brutale peuvent, à certains moments, se trouver au haut de l'échelle sociale, comme au bas.

La vraie moralité à tirer de ce débat est celle-ci : Il faut de la part des gouvernés beaucoup de modération et de bon sens ; mais il faut aussi de la part des gouvernants beaucoup de modération et de bon sens. Les gouvernements qui sortent des limites de l'équité, du bon sens et de la modération, s'exposent à devenir des gouvernements révolutionnaires, souvent plus révolutionnaires que les populations qui leur résistent.

La modération est le premier devoir du gouvernemental. Par modération, voici ce que j'entends : ce n'est pas la modération qui consiste à marcher très lentement dans la voie du progrès politique ; je trouve que dans cette voie notre gouvernement est beaucoup trop modéré ; je voudrais lui voir plus d'initiative à cet égard ; mais par la modération j'entends que le gouvernement doit se conformer, autant que la raison et le salut public le permettent, aux aspirations religieuses et politiques de l'immense majorité du pays.

Un gouvernement, surtout quand il ne dispose que d'une majorité faible, douteuse, contestée, est tenu à une excessive modération, à une modération toute particulière. Cela est vrai surtout sous l'empire du suffrage restreint. Il veut bien admettre avec l'honorable M. Bara qu'il y a une présomption de vérité dans les décisions de la majorité. Mais les majorités, et surtout celle que je viens de qualifier, ont-elles le droit de tout faire ?

Permettez-moi de dire toute ma pensée. Oui, j'admets comme une nécessité sociale presque indispensable la soumission constante de la minorité à la majorité ; je crois qu'une majorité, même quand elle a tort, a droit d'être obéie, mais c'est à la condition d'être une majorité incontestée, d'être sentie majorité par la minorité ; or, ce sentiment nous ne l'avons pas, le pays lui-même ne l'a pas. Toute majorité incontestable et incontestée doit toujours être obéie ; mais vous, vous êtes le produit d'une très petite minorité dans le pays ; vous venez vanter le droit absolu des majorités ; et vous savez qu'il n'y a qu'un citoyen sur 50 qui concourt à nommer les membres des Chambres législatives.

Je le répète, j'accepte votre thèse de la soumission perpétuelle de la minorité à la majorité, mais au moins vous devez alors être l'expression sincère et vraie de la majorité du pays ; alors votre thèse aura une grande apparence de raison. Mais quand nous savons qu'il a dépendu d'un petit hasard, je ne parle pas d'intrigues et d'autres motifs qui déshonorent, mais qu'il a dépendu d'un hasard, de la maladie de quelques électeurs, pour que la majorité ne fût pas changée dans le pays, il m'est impossible de ne pas vous dire que votre majorité n'est pas une de ces majorités aux décisions desquelles les citoyens doivent une obéissance absolue. (Interruption.)

Oui, si les électeurs de Gand avaient remplacé les six députés libéraux par six des nôtres, la majorité était changée, le ministère était changé ; voilà vos destinées changées. (Interruption.)

Je constate un fait évident, que l'honorable M. Bara ne contestera pas, c'est que si les six candidats de l'opposition avaient triomphé à Gand, la majorité de cette Chambre aurait été tout autre.

- Voix à gauche. - C'est un « si ».

M. Coomans. - Ah ! il y a beaucoup de « si » dans les fictions représentatives et il ne faut abuser de celle-ci.

Messieurs, je ne désirais pas intervenir dans ce débat par des faits ; j'aime beaucoup mieux les principes ; mais enfin est-il vrai ou non que si 15 électeurs de Gand avaient eu, je ne dirai pas une autre opinion que celle qu'ils professaient, car il est beaucoup d'électeurs qui n'en ont pas ; mais si 10 à 15 électeurs avaient mis dans l'urne un autre bulletin que celui qu'ils y ont déposé, votre majorité était perdue ? C'est donc à une majorité formée par le concours de 15 électeurs sur 100,000 que nous obéissons ; c'est là une majorité qui est loin de pouvoir attacher à ses décisions toute l'autorité nécessaire, et vous devriez sentir vous-mêmes que, dans de semblables conditions, vous êtes tenu à une très grande modération.

La majesté de la loi est une belle chose, mais encore faut-il qu'il y ait majesté ; quant à la majesté des cabaretiers de Gand qui ont fait la loi des bourses, il m'est impossible de la respecter profondément.

Je suis fatigué et vous aussi, messieurs, et je bornerai là mes observations pour le moment.

MfFOµ. - Messieurs, je ne dédaigne pas le plaisant après le sérieux ; je ne me plains pas qu'on cherche à amuser la Chambre et à la faire rire.

M. Coomans. - Je suis très sérieux.

M. Wasseige. - M. Coomans, c'est à M. Bouvier que M. le ministre s'adresse ; ce ne peut être à vous.

MfFOµ. - Je trouve M. Coomans très peu sérieux ; je trouve même que dans cette circonstance il a manqué de respect à la Chambre. (Interruption.) Je vais vous dire pourquoi.

Vous avez adopté un thème qui consiste à représenter les ministres comme ayant constamment, et particulièrement dans cette discussion, soutenu qu'il était impossible d'être à la fois catholique et constitutionnel.

Je dis que c'est manquer de respect à la Chambre que de porter à la tribune une pareille assertion, qui est de tout point contraire à la vérité. (Interruption.)

D'abord, pour ce qui me regarde, l'honorable M. Coomans qui m'a mis Personnellement en cause...

M. Coomans. - Vous tous.

MfFOµ. - Nous tous, et moi personnellement.

M. Coomans. - Oui ! oui !

MfFOµ. - L'honorable M. Coomans a pu lire, dans un journal de son opinion, que j'avais parlé de l'encyclique dans mon discours de samedi dernier. Eh bien, je défie l'honorable M. Coomans de prouver que j'ai seulement prononcé le mot « encyclique » dans cette discussion.

M. Rodenbach. - Sur vos bancs on l'a fait dix fois.

MfFOµ. - Ah ! nous commençons donc par éliminer les ministres. (Interruption.)

Messieurs, permettez, je ne veux donner qu'une simple explication à la Chambre.

Loin de soutenir la thèse que l'honorable membre s'est donné le facile plaisir de combattre, j'ai constamment, dans cette Chambre, non pas aujourd'hui, non pas hier, mais il y a dix ans, j'ai constamment soutenu le contraire. J'ai constamment admis les interprétations qui étaient données à toutes les encycliques ; j'ai constamment déclaré que sur ce terrain j'étais bien loin de chercher des adversaires. J'ai fait plus : j'ai à cette tribune remercié M. l'archevêque de Malines du commentaire qu'il avait fait de l'encyclique. Voilà la vérité. (Interruption.)

M. Dolezµ. - C'est très vrai.

MfFOµ. - Mais ce que je dis, ce que je répète, ce que nul ne saurait nier, c'est que s'il est vrai qu'il y a des catholiques, et en grand nombre, qui n'admettent pas cette opposition entre l'encyclique et la Constitution, il y a un parti qui soutient cette opposition. (Interruption.)

M. Rodenbach. - Il n'est pas dans cette Chambre.

MfFOµ. - Non, je l'ai reconnu et déclaré plusieurs fois à cette tribune. Je l'ai déclaré en 1834 sur une interpellation absolument du même genre.

- Des membres. - Alors que combattez-vous ?

MfFOµ. - Messieurs, c'est un fait grave qu'il y ait, même en dehors de cette Chambre, un parti qui soutienne que la Constitution a été foudroyée dans son essence par le pouvoir pontifical. (Interruption.)

M. Coomans. - Pas un seul représentant n'a dit cela.

- Un membre. - Ce sont quelques individus qui ont dit cela.

MfFOµ. - Messieurs, serait-il donc interdit de combattre à cette tribune les doctrines anarchiques qui se produiraient dans le pays ? de dénoncer ceux qui parlent de socialisme, de guillotine et d'exécuter leurs adversaires ? Cela me sera-t-il interdit ? Non, sans doute. Lorsque l'intérêt public vous commandera de porter à cette tribune une pareille situation, vous l'examinerez, vous la discuterez, vous en aurez le droit, et ce sera votre devoir. Et de même, s'il existe dans le pays un parti qui soutient....

- Plusieurs membres. - Il n'y a pas de parti, il y a quelques individus.

MfFOµ. - Il existe un parti puissant qui combat en principe les libertés modernes. Mais soit ; je prends votre expression : Il y a des individus qui ont été qualifiés non par moi, mais par l'honorable M. Dechamps lui même, dont j'ai cité les paroles à cette tribune, et qui déclarent qu'il faut détester les (page 107) principes de la Constitution... (interruption) que ces principes, c'est le mal... (nouvelle interruption), qu'ils conduisent la société à sa perte.

M. Dumortier. - Je demande la parole ; je la demande sur l'incident.

M. Delaetµ. - M. le ministre est bien bon de soutenir notre thèse contre nos adversaires.

MfFOµ. - L'honorable M. Coomans vient d'affirmer qu'on avait soutenu que les ministres, que le gouvernement soutenaient invariablement, imperturbablement, que le catholicisme était en opposition avec la Constitution, et que l'on ne pouvait être à la fois catholique et constitutionnel.

C'est cette assertion, contraire à la vérité, que je combats. J'ai invoqué les discours que j'ai prononcés dans cette enceinte et qui prouvent précisément le contraire de que M. Coomans a osé avancer. Je répète que dans cette discussion je n'ai pas même prononcé le mot « encyclique », et l'on n'y a fait allusion au banc ministériel qu'à raison d'une doctrine politique.

Messieurs, si ce que dit l'honorable M. Coomans était vrai, s'il était vrai que chaque fois que le chef de la catholicité a parlé, il ne resterait qu'à se soumettre et à s'incliner, le monde aurait été souvent dans la plus déplorable situation. A une époque assurément moins éclairée que la nôtre, au moyen-âge, on n'a pas admis toutes les doctrines de la cour de Rome, lorsqu'elles n'étaient pas purement religieuses, mais qu'elles étaient politiques. Il y a eu des résistances, de longues et glorieuses résistances, qui ont fini par faire consacrer la liberté de l'esprit humain.

Eh bien, aujourd'hui l'on peut parfaitement distinguer, dans les sentences du chef de la catholicité, les doctrines politiques des doctrines purement religieuses. Les doctrines religieuses, nous n'avons pas à nous en occuper ; c'est affaire de conscience, c'est affaire individuelle. Mais quant aux doctrines politiques, nous avons le droit de les examiner, et vous catholiques, vous avez ce droit au même titre que nous libéraux. Vous l'avez, et nous l'avons tous, comme citoyens d'un Etat libre.

Les plus grands esprits ont raisonné ainsi lorsqu'ils avaient à apprécier les actes qui émanaient du chef de l'Eglise. Ils n'ont pas cru que c'était se révolter contre son autorité spirituelle que de contester certaines prétentions, qui ne sont pas des articles de foi...

M. Coomans. - Nous sommes d'accord.

MfFOµ. - ... lorsque ce sont uniquement des doctrines politiques.

Eh bien, loin de moi de vous accuser lorsque vous dites : Nous sommes constitutionnels ; nous admettons tous les principes écrits dans la Constitution, nous les voulons de la même manière que vous. Je dis : très bien ! j'y applaudis ; mais je dis en même temps : Vous devez vous unir avec nous pour repousser ceux qui déclarent que les principes inscrits dans la Constitution sont faux et erronés ; qu'ils sont la source des maux qui affligent la société ; que bien loin de les vénérer, il faut les détester. Vous devez vous unir avec nous pour combattre le parti qui, s'il avait la puissance de faire consacrer ce qu'il considère comme le souverain bien, détruirait les principes inscrits dans notre pacte fondamental.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je me hâte de déclarer que depuis l'encyclique de Grégoire XVI, je n'ai connu qu'un seul homme qui ait cru que sa conscience ne permettait pas de jurer obéissance à la Constitution belge.

MfFOµ. - C'est M. le comte de Robiano.

M. de Theuxµ. - Oui, c'est M. le comte de Robiano ; il s'est retiré de la représentation nationale, et cette détermination lui fait honneur, vu sa conviction.

Je n'ai jamais rencontré un seul individu qui pensât qu'il fallait demander des changements à la Constitution ou qu'il fallait profiter des circonstances favorables pour y apporter des changements.

Effectivement, il y a plusieurs individus qui pensent que, dans la pratique, il y a certaines libertés de la Constitution qui portent de mauvais fruits. Mais bien des libéraux se sont exprimés dans ce sens.

Un de vos professeurs de l'université n'a-t-il pas écrit que les libertés accordées aux cultes, à l'enseignement, étaient des libertés dangereuses incompatibles avec la civilisation et qu'il fallait profiter de la première occasion pour les renverser ?

Je ne connais aucun écrit catholique qui ait soutenu cette thèse en vertu des encycliques de Grégoire XVI et de Pie IX. Vous voyez donc que les changements à la Constitution ne sont pas à craindre.

Lisez, si vous le voulez bien, la lettre du révérend père De Buck, adressée au Congres catholique et dans laquelle il disait que, sous aucun prétexte, nous ne devons demander un changement quelconque à la Constitution.

Lisez la lettre du cardinal-archevêque de Malines, que vous avez félicité, vous y trouverez aussi que jamais nous ne devons penser à modifier la Constitution.

Cela vous satisfait-il ? Il n'y a rien à ajouter à cela. MM. Nothomb et Coomans vous disaient : Si le parti catholique est un danger lorsqu'il est au pouvoir, eh bien, faites en sorte qu'il ne puisse plus y revenir.

Je dirai à mes honorables amis qu'ils sont bien fort de donner ce conseil au gouvernement, qu'il est inutile ; que la majorité travaille par tous les moyens à nous exclure à perpétuité du pouvoir, puisqu'elle cherche de toutes les manières possibles, à empêcher que nous ne devenions majorité au parlement.

Cela est clair, cela est démontré par les modifications apportées à la loi électorale et mon intime conviction est que si un jour la Constitution doit être modifiée, ce ne sera que par suite de la sanction éventuelle de la loi électorale, déjà votée par la Chambre. Vous pourriez à l'aide de cette loi arriver à une majorité telle, que vous changeriez la Constitution quand il vous plairait et que vous pourriez mettre à profit la doctrine du professeur de l'université de Gand.

On entend reproduire aujourd'hui encore la critique adressée aux conservateurs de n'avoir pas osé prendre le pouvoir en 1864.

Mais veuillez-vous rappeler que si un ministère conservateur n'est pas arrivé au pouvoir, c'est de votre faute,

En voici la preuve formelle :

J'ai demandé à des hommes les plus modérés de la gauche si, un ministère conservateur ou un ministère d'affaires arrivant au pouvoir, ils voteraient le budget. Ils ont dit : Non ; nous sommes sous une pression électorale telle, que nous ne serions pas réélus. Quelle a été la conséquence de la situation ?

MfFOµ. - Vous ne vouliez pas consulter le pays.

M. de Theuxµ. - A quelle époque fallait-il le faire ? Vous aviez donné votre démission à la fin de décembre ou au commencement d« janvier.

Les élections venaient d'avoir lieu pour la moitié de la Chambre et il aurait fallu recommencer la lutte électorale à une saison aussi défavorable ; on ne le pouvait pas ; le pays n'eût pas été loyalement consulté.

Ajoutez à cela que la loi électorale telle qu'elle est aujourd'hui en vigueur, ne peut nous, laisser espérer de succès sérieux qu'en temps ordinaire.

J'ai souvent déclaré que c'est un grand vice que cette dissolution possible en hiver sous l'empire des lois actuelles ; les élections opérées en cette saison ne peuvent pas donner des résultats certains, cela dépend beaucoup du temps, et si votre loi passe, il suffirait que la couronne appelât au pouvoir des hommes de la gauche en plein hiver pour changer complètement la majorité des deux chambres. (Interruption.)

C'est ma conviction.

L'honorable M. Dolez, répondant à l'interpellation de M. Nothomb, a déclaré que son intention n'était point que la discussion de la loi sur le temporel des cultes fût ajournée. Il en demande la discussion et nous convie à améliorer le projet.

Il ne s'agit, dit-il, que d'établir de bonnes règles de comptabilité. Mais, indépendamment de ces dispositions, messieurs, la loi renferme un principe que jamais aucun de nous n'admettra.

MfFOµ. - Quel principe ?

M. de Theuxµ. - Le principe de l'expropriation des propriétés et de l'administration, en changeant la majorité des conseils de fabrique.

MfFOµ. - On maintient la même composition du conseil, sauf un.

M. Wasseige. - Sauf la majorité.

M. de Theuxµ. - On nous demande de chercher à améliorer le projet ; nous l'avons fait consciencieusement dans nos sections ; j'ai moi-même proposé divers amendements, ils n'ont pas été acceptés.

Quelques membres ont bien annoncé l'intention de faire des concessions, en ce qui concerne les attributions pour l'administration intérieure de l'Eglise, la célébration du culte proprement dit. Mais on n'a pas été au delà, et encore ces amendements ont-ils été adoptés ?

Voilà ma déclaration franche et loyale.

Si l'on s'était borné à faire ce que j'ai indiqué dans l'une de nos dernières séances, à rendre un peu plus de liberté aux ministres du culte, conformément à l'esprit de notre Constitution et conformément aux (page 108) amendements, si, d'autre part, on s'était borné à améliorer un peu la comptabilité, nous aurions pu nous entendre, et la conciliation eût été possible.

MfFOµ. - Il n'y a pas autre chose dans le projet de loi.

M. Coomans. - A quoi bon fourrer des libres penseurs dans les sacristies ?

MfFOµ. - Le mode de nomination est le même. M. Coomans n'a pas même lu le projet.

M. de Theuxµ. - Messieurs, j'ai rappelé dans une discussion antérieure et je rappelle encore aujourd'hui la pensée que je viens d'exprimer. Elle a toujours été mienne et je la maintiens ; je vous prie de ne pas oublier que lorsque la question de principe a été posée dans la discussion de l'adresse au roi, je l'ai immédiatement combattue et j'ai voté contre, ainsi que mes honorables amis.

Ce que nous avons fait alors, nous n'hésiterions pas à le faire encore à l'avenir.

L'honorable ministre des finances a encore abordé cette question des fondations et des couvents et, je dois le dire, il a tout confondu dans son discours. Ici j'aurai besoin de quelques développements. Si l'on désire que je continue, je le ferai ; sinon, je vous demanderai de me donner la parole pendant quelques instants au début de la séance de demain,

- La séance est levée à 5 1/4 heures.