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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 novembre 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 57) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Jceay-Bodegnée prie la Chambre de s'occuper du projet de loi modifiant l'article 23 de la loi du 10 avril 1841, sur les chemins vicinaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Luneburg demande une récompense pour le dévouement dont il a fait preuve lors de l'incendie de la fabrique du sieur Demelz, à Koekelberg. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Pollenus, ancien juge de paix du canton d'Herck-la-Ville, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement du loyer d'un local convenable pour les séances de la justice de paix, pendant les années 1833 à 1860. »

- Même renvoi.


« La veuve Havard se plaint de l'application qui lui a été faite de l'article 99 d'un règlement sur les pensions. »

- Même renvoi.


« La veuve du sieur Gossiaux, combattant de 1830, demande une pension ou un secours annuel sur les fonds spéciaux. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ackersbeeck demande que l'art culinaire fasse partie de l'enseignement dans les écoles normales pour les filles. »

- Même renvoi.


« Le sieur Reminis, marchand de bétail à Malines-Neckerspoel, réclame l'intervention de la Chambre pour être indemnisé des pertes qu'il a éprouvées par suite de mesures prises dans un intérêt général. »

- Même renvoi.

M. Bouvierµ. - Je demande que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport sur cette pétition.

- Adopté.


« M. Tesch, obligé de s'absenter pour une affaire de famille fixée par décision judiciaire, et à laquelle il est tenu d'assister, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1866

Discussion générale

MpVµ. - La parole est à M. Vermeire.

M. Vermeireµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, lorsque M. Hymans, interpellant la droite, lui demandait de vouloir bien faire connaître ses diverses tendances et surtout de lui dire à qui il avait affaire, quels étaient les hommes qu'il avait à combattre.

Quoique je partage l'opinion des honorables collègues M. Dumortier et d'autres sur le droit que s'était arrogé l'honorable interrogateur, et sur l'obligation d'y répondre, je veux bien satisfaire l'honorable M. Hymans, en ce qui me concerne personnellement : car je n'ai pas la prétention de parler au nom de quelques collègues, encore moins en celui d'un parti.

M. Hymans a professé, publiquement, qu'il n'est pas catholique. Non moins publiquement que lui, je viens affirmer que je suis, de cœur et d'âme, attaché à la religion de mes pères ; que je suis enfant soumis de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, aux préceptes de laquelle j'entends ne point faillir.

Cette déclaration faite, je ferai connaître à l'honorable M. Hymans ma manière de penser au sujet de la dernière encyclique et du syllabus qui l'avait accompagné.

Je crois que ni l'un ni l'autre de ces documents ne sont en opposition avec nos principes politiques ; car, s'ils devaient revêtir ce caractère, non seulement les catholiques belges, mais ceux d'autres pays constitutionnels, devraient renoncer à prendre part au gouvernement de leur pays. Une pareille prétention serait insoutenable.

Maintenant, on nous a parlé de tolérance dogmatique et de tolérance civile.

Quant à la tolérance dogmatique, je dois déclarer que je ne la connais pas. En effet, qu'est-ce qu'un dogme au point de vue religieux, sinon l'expression de la vérité qui est immuable ; dont on peut bien changer la forme, mais non le fond ? Si donc, je reconnais un dogme de foi, je reconnais en lui la vérité qui est une, indivisible. Et, ce point admis, je ne puis reconnaître qu'une contre-vérité ou un dogme opposé soit, également, la vérité. Ce serait tout bonnement absurde. Il ne peut donc y avoir de tolérance dogmatique. Quant à la tolérance civile, je l'admets dans toutes ses conséquences. Je crois que lorsqu'il est reconnu et octroyé par la Constitution, que toutes les religions qui ne blessent point la morale peuvent coexister, l'une ne peut avoir la prétention de molester l'autre ; comme, d'autre part, je reconnais, à toutes, le droit de combattre, soit par la parole, soit par écrit, en faveur du triomphe de la vérité.

C'est ainsi que la tolérance civile admet, dans les Etals pontificaux mêmes, la tolérance civile en matière religieuse et que, à Rome même, le judaïsme se pratique avec la plus grande tolérance. Est-ce-à-dire que l'Eglise reconnaît les dogmes de la foi judaïque ? Non certes, car admettre une pareille supposition serait, encore une fois, absurde et inadmissible.

On a beaucoup parlé de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

L'on ne peut méconnaître, messieurs, que, pratiquement, cette séparation serait désirable ; mais, d'autre part, il faut bien le reconnaître, si l'Eglise peut prêter son appui à l’Etat et réciproquement, dans l'intérêt de la moralisation des peuples et du développement de la civilisation, il ne peut point y avoir des inconvénients.

On a encore soutenu que la division des citoyens en deux ou plusieurs partis constitue la vie politique des peuples. C'est là une contre-vérité. Je pense, au contraire, que, plus un peuple est uni et mieux il s'entend, plus le bien de l'Etat doit grandir, et plus les peuples doivent être heureux. En serait-il autrement, notre devise nationale, qui est basée sur l'union qui fait notre force, n'aurait plus de raison d'être.

Pour moi, je crois que la modération dans les gouvernements, aussi bien que la modération dans les partis, doivent avoir des résultats bien autrement favorables que ceux qui seraient obtenus par la division et la haine.

Des orateurs qui ont parlé avant moi ont reconnu que la nomination des fonctionnaires devait être faite, de préférence, dans le rang des coreligionnaires politiques du gouvernement.

L'application de cette doctrine serait injuste dans un pays oh l'on reconnaît que le mérite seul doit être préféré, et que l'égalité de droits à l'obtention de places doit être maintenue dans toute son intégrité. En effet, un pareil système serait subversif des principes énoncés dans le programme ministériel du 12 août 1847, dans lequel le gouvernement déclare que « loin d'être une administration réactionnaire, étroitement partiale, il la veut, au contraire, bienveillante et juste pour tous, sans distinction d'opinion politique ; comme, d'autre part, il promet un respect sincère pour les pratiques de l'ordre religieux, de la justice et de la bienveillance pour les ministres des cultes, agissant dans le cercle de leur mission religieuse. »

On nous reproche de proclamer, à tous ceux qui veulent l'entendre, que nous sommes mûrs pour la conquête et que nous voudrions trafiquer de notre patrie et nous jeter dans les bras de l'étranger.

Messieurs, je n'ai pas besoin de réfuter de pareilles assertions. Je prie mes honorables contradicteurs de croire que, au moins, nous sommes aussi attachés à notre patrie et à nos libres institutions qu'eux et que, quelque durs que soient souvent, pour nous, les reproches amers dont on nous abreuve, nous trouvons, cependant, dans nos sentiments patriotiques, assez de force pour les repousser avec toute l'énergie de notre âme et de nos Convictions.

Je me résume, messieurs, en déclarant que je crois que la modération et l'union constituent des éléments plus efficaces du maintien de nos libertés que la violence et la division.

(page 58) M. Royer de Behr. - Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères a prétendu que le pays veut le maintien du cabinet modéré de 1857. « Le pays, a-t-il dit dans la séance du 22 novembre, s'est prononcé plusieurs fois depuis notre avènement en 1857, et toujours il a maintenu l'existence du cabinet. »

Je vais, messieurs, chercher à démontrer que l'honorable ministre s'est fait une illusion complète, que les élections successives qui ont eu lieu depuis huit années n'ont pas eu la signification qu'il leur a attribuée.

Messieurs, vous vous rappelez la situation de cette Chambre en 1864. Le cabinet, loin d'avoir fortifié sa majorité, l'avait amoindrie ; il ne disposait plus que d'un fantôme de majorité ; il avait l'étrange prétention de faire résoudre toutes les questions par la moitié de cette Chambre plus une voix.

L'honorable M. Rogier ne peut donc pas soutenir sérieusement que sa politique avait été en progrès, puisqu'il n'avait pas su la maintenir, puisque pour la maintenir, ou plutôt pour la galvaniser, il avait imaginé de faire voter une loi de circonstance, un subterfuge, pour me servir de l'expression du Journal des Débats, une loi contre laquelle nous avons protesté par l'abstention, ne voulant jouer dans cette Chambre ni le rôle de dupes, ni le rôle de victimes.

Messieurs, les deux grandes opinions qui divisent le pays étaient donc partagées par des forces parlementaires égales ou à peu près.

Dans de telles circonstances, quel était le devoir d'hommes politiques se disant modérés ?

Mais ce devoir, messieurs, était de faire trêve aux querelles de partis. Nous y avons consenti.

Un ministère de centre gauche ou un ministère d'affaires nous semblait devoir être la conséquence rationnelle de l'amoindrissement des forces ministérielles et des renforts qui avaient été envoyés sur les bancs de l'opposition par le corps électoral. Qui s'est opposé à toute combinaison intermédiaire ? C'est le cabinet, c'est la majorité.

Les chefs les plus autorisés de la gauche se sont écriés qu'il fallait poursuivre avec une infatigable, avec une vaillante persévérance cette politique qui divise aujourd'hui si profondément la nation qu'il semble que nous sommes séparés en deux camps ennemis.

Messieurs, en repoussant toute transaction, en prenant la responsabilité du refus de l'article 2 de notre programme, le seul qui ait été contesté par la couronne, le cabinet se rendait indispensable. Qu'on me pardonne la réflexion, mais Machiavel n'eût pas été plus habile.

Devenu inévitable, le cabinet eut recours, je ne sais pour la quantième fois, à la mesure violente de la dissolution.

M. Bouvierµ. - Mais vous l'aviez demandée.

M. Royer de Behr. - Nous avons voulu l'éviter. Si vous aviez consenti à prêter votre appui à un ministère de centre ou à un ministère d'affaires, il est évident que nous aurions évité la dissolution.

La lutte électorale fut ardente ; elle avait été préparée de main de maître par quelques orateurs dont la spécialité est de nous traiter comme des fanatiques greffant la révolution sur l'inquisition, dont la spécialité, dis-je, semble être de nous représenter aux yeux du pays comme des fanatiques, nous couvrant d'un masque, et greffant la révolution sur l'inquisition.

D'autre part, l'honorable ministre de l'intérieur, qui est l'ami, quelquefois infidèle, de la décentralisation et de la liberté communale, nous montra le spectacle, au moins étrange, d'un gouvernement belge intervenant dans les élections par voie de circulaires. C'est là de la politique à l'instar de celle de M. de Persigny.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les mandements intervenaient bien plus.

M. Royer de Behr. - Les mandements intervenaient, dites-vous ; mais je vous demande s'il est dans le rôle d'un gouvernement constitutionnel d'intervenir dans les élections ?

MfFOµ. - De se défendre quand on est attaqué.

M. Royer de Behr. - De se défendre quand on est attaqué, dites-vous ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Le gouvernement est bien méchant ; quand on l'attaque, il se défend.

M. Royer de Behr. - Je vais vous répondre.

D'abord je vous dirai que je ne pense pas qu'il soit d'usage que les gouvernements représentatifs constitutionnels interviennent directement dans les élections.

Je ne le crois pas. Je le crois d'autant moins, qu'un fait récent vient me donner raison.

Vous savez tous peut-être qu'une crise ministérielle s'est produite en Hollande par la retraite du ministre des finances. Pourquoi le ministre des finances s'est-il retiré ? Au fond, c'est parce qu'il s'était immiscé directement dans les élections.

MfFOµ. - C'est parce qu'il avait annoncé qu'il ne présenterait pas un projet de loi qu'il a cependant présenté.

M. Royer de Behr. - Le chef du cabinet hollandais défend même aux bourgmestres d'intervenir dans les élections. Au surplus, j'avance le fait sous toute réserve ; je viens de le lire dans les journaux.

L'honorable ministre de l'intérieur ajoute que quand on attaque le cabinet il se défend ; la circulaire était donc une justification. Mais qu'il me permette de croire que c'était autre chose encore. C'était convier l'armée des fonctionnaires publics dévoués à la politique ministérielle à se mettre en mouvement ; c'était inviter les commissaires d'arrondissement à se faire courtiers électoraux et c'était implicitement inviter nos amis fonctionnaires publics, ceux qui appartiennent à l'opinion conservatrice, de descendre dans cette arène où l'on ne devrait jamais rencontrer ceux qui sont chargés de concourir à l'exécution des lois.

M. Allard. - Et le tribunal de Tournai ; vos amis ?

M. Royer de Behr. - Mais, messieurs, cette intervention parut insuffisante à d'imprudents alliés.

Il fallait à tout prix renverser de son siège l'homme politique qui avait donné son nom à notre programme, sur lequel je reviendrai tantôt. Il fallait amener l'échec de l'honorable M. Dechamps, et comme les démarches hostiles dont on nous parlait hier ne suffisaient pas, on fit intervenir dans le débat la personne du Roi.

Mon honorable ami fut représenté comme l'ennemi personnel du Roi, et un journal très ministériel, j'insiste sur ce point, affirma audacieusement que la lutte était entre le Roi et le chef du futur cabinet. Voici, messieurs, les paroles de ce journal ; je cite textuellement : « Que l'électeur ne s'y trompe pas. Il prononcera le 11 août sur les destinées de la Belgique. Le sort de la patrie est dans ses mains.

« La lutté n'existe plus seulement entre le parti clérical et le parti libéral ; elle existe surtout entre le Roi et M. Dechamps.

« Voter pour M. Dechamps, c'est approuver sa politique et blâmer celle du Roi, qui a déclaré indiscutable le programme de M. Dechamps.

« Il est à craindre que plutôt que de subir un ministère dont il n'a pas voulu il y a trois mois, le Roi ne signe son acte d'abdication.

« Electeurs, si vous voulez récompenser par la plus noire ingratitude les services que le Roi a rendus au pays, votez pour son ennemi, votez pour M. Dechamps. »

Il n'y a rien à ajouter. Je demande seulement à mes honorables collègues s'ils ont désavoué, s'ils désavouent.,..

M. Mullerµ. - Est-ce que vous désavouez la Patrie ?

M. Royer de Behr. - Je demande s'ils désavouent le moyen de propagande pratiqué par la presse ministérielle...

M. Lebeau. - Il n'y a pas de presse ministérielle à Charleroi ; la presse de Charleroi est indépendante, elle attaque tous les jours le ministère.

M. Royer de Behr. - Sans doute, je n'ai pas le droit de vous obliger de répondre, mais il m'est permis d'insister... (Interruption.)

Peut-être faites-vous bien de ne pas répondre...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Est-ce que vous désapprouvez les journaux catholiques, est-ce que vous désapprouvez l'encyclique ?

M. Royer de Behr. - Vous ne répondez pas, parce que vous n'ignorez pas que ce fait n'est pas isolé. C'était un système. Si j'en crois mes renseignements, pendant qu'on portait ainsi dans l'arrondissement de Charleroi atteinte à l'inviolabilité de la couronne, à Tournai on colportait sous le manteau qu'il ne fallait pas voter contre l'honorable M. Rogier, l'ami intime du Roi. (Interruption.) Je n'ai pas saisi l'interruption.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Votre parti me représente tous les jours comme l'ennemi du Roi.

M. Delaetµ. - Quels journaux ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Tous vos journaux.

M. Delaetµ. - Nous ne sommes pas responsable de l'opinion des journaux.

(page 59) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Désavouez-la.

M. Royer de Behr. - Je désavoue formellement tout article qui représenterait l'honorable ministre comme l'ennemi du Roi. Mais puisque je fais cet aveu, je demanderai une explication à MM. Rogier et Bara et à deux autres membres de cette assemblée sur le fait que je vais avoir l'honneur de dénoncer. Voici ce qu'on publiait à Tournai :

« Electeurs,

« Le gouvernement libéral, qu'on vous invite à condamner, possède toute la confiance du Roi. C'est à ce gouvernement que, dans une lettre officielle, le Roi a assuré son concours loyal et bienveillant. C'est donc, une protestation contre le Roi qu'on exige de vous, électeurs qui vénérez et respectez le Roi...

« Entre le Roi et les créatures des évêques, votre choix ne peut être douteux. »

Ceci s'écrivait la veille du jour des élections et c'était grave, car il ne s'agissait plus ici, comme à Charleroi, d'articles de journaux ; c'était une circulaire signée par MM. Allard, Bara, Crombez et Ch. Rogier. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Ceci est clair.

M. Bouvierµ. - Les créatures des évêques, c'est très clair aussi.

M. Royer de Behr. - Après une intervention sans exemple dans nos luttes électorales, après une polémique consistant à découvrir la royauté, quel résultat a-t-on obtenu ? La confiance du pays, dit le ministre. On a obtenu le déplacement de 6 voix, on a obtenu que 52 députés de l'opposition revinssent sur leurs bancs.

Et si une chose m'étonne en ce moment, c'est qu'on semble déclarer qu'une minorité de 52 députés est de celles avec lesquelles on ne saurait compter et qui doit être considérée comme zéro.

Mais quelle est votre majorité ? Osez-vous affirmer qu'elle est sérieusement appuyée par le corps électoral ? Examinons :

A Gand, il y avait sur la liste 74 faux électeurs.

M. Jacquemynsµ. - Déclarés valables par la cour de cassation.

M. Royer de Behr. - Déclarés valables par la cour de cassation.

M. Coomans. - Et non valables par la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Du tout !

M. Royer de Behr. - Déclarés valables par la cour de cassation, dites-vous ; mais toujours est-il qu'il n'aurait fallu, si mes souvenirs me servent bien, que 12 ou 15 suffrages déplacés pour assurer le triomphe de nos amis, malgré les 74 faux électeurs.

M. Jacquemynsµ. - Pour qui ont-ils voté, le savez-vous ?

M. Royer de Behr. - Je dis qu'il eût suffi du déplacement d'un très petit nombre de suffrages pour assurer le triomphe de nos amis.

A Namur, notre ancien collègue, l'honorable M. de Montpellier, obtenait la majorité absolue ; dix voix de plus, et il était élu.

MfFOµ. - C'est l'histoire de toutes les élections.

M. Coomans et M. de Mérodeµ. - Du tout !

M. Royer de Behr. - A Bruxelles, votre grande citadelle électorale, nous parvenions à un ballottage entre l'honorable M. Vleminckx et l'honorable général Capiaumont.

A Bruges, un déplacement de 43 voix éliminait un ancien ministre.

A Nivelles, il suffisait également du déplacement de 12 ou 15 voix pour nous donner la victoire.

A Ypres, il s'agissait seulement d'une différence de six voix entre M. de Florisone et M. le baron De Vinck.

A Soignies enfin, on était en présence d'une différence de 33 ou 35 suffrages.

Vous répondez à cela que nous arrivons par la coalition. Mais si cela est vrai, il est clair que c'est parce que vous avez créé beaucoup de griefs et de nombreux mécontentements.

La conclusion de cet ensemble de faits incontestables, c'est que les élections de 1864 n'ont pas été du tout un triomphe pour le cabinet.

Je vois dans ces élections un grand enseignement : les censitaires, qui sont, dans la réalité, les tuteurs politiques du restant de la nation, vous donnent un avertissement. Ils vous disent que la discussion de votre projet sur les fabriques d'église n'est pas dans les vœux des populations ; que, si vous le votez, il aura l'autorité morale qui s'attache à la loi des bourses d'étude, votée on sait comment et on sait pourquoi.

M. Delaetµ. - Très bien !

M. de Mérodeµ. - Une loi véreuse, s'il en est.

M. Royer de Behr. - Je désire, messieurs, parler avec une entière franchise ; la meilleure de toutes les politiques comme de toutes les diplomaties, est celle qui se fait au grand jour. Eh bien, je dirai toute ma pensée. La voici : Le cabinet veut se maintenir quand même au pouvoir ; il n'y parviendrait pas, le pays restant calme ou cessant de s'occuper de questions dans lesquelles on peut évoquer le spectre noir.

Messieurs, il faut préparer les élections de 1866 ; il faut qu'à cette occasion on puisse crier : A bas les couvents ! Il faut que les élections portent sur la dîme, sur la mainmorte, sur les abus d'un autre âge, toutes choses dont nous ne voulons pas, vous le savez bien ; mais il vous faut quelques thèmes à déclamations, je vais vous dire quels sont ces thèmes :

Vous avez la loi sur les fabriques d'église ; vous avez la résistance du clergé à la loi sur les bourses d'étude ; vous avez l'encyclique publiée en 1864 ; vous avez enfin les doctrines absolutistes professées par un journal que je n'ai pas mission de défendre, mais qui certes est aussi constitutionnel que M. Laurent que vous avez acclamé dans un banquet devenu célèbre ; que M. Laurent, l'adversaire convaincu de nos libertés constitutionnelles ; que M. Laurent qui, parodiant un mot de Sieyès, a proclamé qu'hier il n'était rien et qu'aujourd'hui il est légion ; que M. Laurent l'adversaire de la liberté des cultes, l'adversaire de la liberté d'enseignement, que vous avez nommé mandataire de la commune ! (Interruption.) On me demande qui a fait cette nomination ?

M. le bourgmestre de Gand et les députés libéraux qui assistaient au banquet pourront vous dire de quelles acclamations a été salué le discours de M. Laurent ; et ceux qui ont appelé M. Laurent à des fonctions communales sont les mêmes électeurs qui ont confié un mandat législatif au bourgmestre de Gand.

Mais il ne vous suffisait pas d'avoir à votre lyre trois ou quatre cordes anticléricales bien retentissantes ; il fallait un artiste pour les faire vibrer. Or, l'honorable ministre de la justice était digne par ses antécédents parlementaires de cette fonction ; ce fut lui qui l'obtint.

L'honorable membre voudra bien me permettre de lui faire remarquer et en cela je ne puis en rien blesser ses susceptibilités, qu'on ne pouvait pas trouver dans la gauche un artiste plus habile que lui.

L'honorable membre, dans son rapport sur les bourses d'étude, nous a rappelé M. Verhaegen, l'adversaire le plus fougueux des catholiques. Ce rapport contient, selon moi, les théories les plus illibérales ; il préconisait une sorte de dissolvant de l'enseignement libre. A ce point de vue, les catholiques et les libéraux indépendants ont été péniblement impressionnés : l'affaire du legs de M. Verhaegen en est la preuve ; on a vu dans l'œuvre de l'honorable membre l'apologie d'une centralisation unie, selon l'expression de l'honorable M. Delcour, à la négation du droit de propriété.

Aussi, qu'est-il arrivé ? Pendant que les uns prétendaient que la nomination de l'honorable membre était une provocation et un défi, les autres ajoutaient que c'était l'oubli de promesses solennellement faites.

L'honorable membre a heurté du même coup deux sentiments qui sont chers à tous les Belges : le sentiment religieux et le sentiment de la liberté. A ce point de vue, il est, comme on l'a fait observer, une double négation.

Voulez-vous vous en convaincre ? Lisez les articles de la presse catholique, lisez les articles de la presse libérale indépendante, et s'il est vrai, comme l'a soutenu M. de Cormenin, que la presse est en réalité le quatrième pouvoir de l'Etat, j'ose affirmer que dans le moment actuel, l'honorable membre ne réunit pas la majorité des membres qui composent ce quatrième pouvoir.

Maintenant que vous fait connaître l'honorable ministre de la justice dans son premier discours ministériel ? Il veut la séparation radicale de l'Etat et de l'Eglise. En cela, il est, dit-il, le disciple des honorables MM. J.-B. Nothomb, de Foere, ee Haerne et vicomte Vilain XIIII.

Eh bien, messieurs, j'avoue que sur ce point-là nous ne sommes pas loin de nous entendre. Moi j'accepte aussi cette séparation radicale. Je suppose qu'elle soit constitutionnelle, je dirais à l'honorable membre : « Réalisons la séparation radicale ; plus de traitements aux ministres des cultes, plus de subventions d'aucune espèce ; par suite, plus de conflits, absence de débats où les croyances religieuses sont exposées à tous les écarts de la tribune. »

Messieurs, l'honorable membre se gardera bien de prêter les mains à une telle réforme. Voici pourquoi : c'est parce que l'honorable membre, qui consent à la séparation, repousse absolument les fondations ; il (page 60) acclamerait la séparation entourée de toutes les mesures restrictives de la propriété et du droit de fonder ; il n'admettrait, pas avec moi le régime américain...

MfFOµ. - Le système américain n'admet pas les fondations ; ce système vous condamne.

M. Royer de Behr. - Le système américain permet les fondations par personnes interposées.

MfFOµ. - Pas du tout.

M. Van Overloopµ. - Il n'y a pas de règle absolue en Amérique. Dans tels Etats existe le droit de fondation, dans tels autres il n'existe pas.

M. Royer de Behr. - En tout cas, l'honorable ministre n'admettrait certes pas le droit de fondation, mais le droit limité...

MfFOµ. - Sous les conditions déterminées par la loi.

M. Thonissenµ. - Sous les conditions qui vous plaisent à vous. ?

M. Royer de Behr. - Dès l'instant que l'honorable ministre des finances conteste, je n'insisterai pas. Je constaterai cependant qu'on ne peut nier qu'il existe en Amérique une extrême tolérance pour les fondations religieuses. Le nombre et l'importance des édifices religieux que l'on rencontre aux Etats-Unis l'attestent à l'évidence.

Mais je demande ce que deviendrait la liberté absolue des cultes, dans le sens de leur entière séparation de l'Etat sans le droit de posséder et d'accepter des donations ?

MfFOµ. - Selon la loi.

M. Royer de Behr. - Oui selon la loi faite par vous. Du reste si vous admettez le droit de fondation comme je le comprends, la liberté des fondations avec la liberté des cultes, nous serons d'accord, mais jusqu'à, ce jour, j'ai pensé, en lisant le rapport fait par l'honorable M. Bara sur la loi des bourses, qu'il était l'adversaire absolu du droit de fonder et j'en ai déduit cette conséquence que, voulant la séparation radicale et ne voulant pas la fondation, il en arrivera naturellement à la suppression de toutes les manifestations extérieures, religieuses, catholiques, juives, protestantes ou autres reconnues en Belgique.

M. Van Overloopµ. - Ils ne veulent pas même de la liberté d'association, lorsqu'on veut l'exercer dans un but religieux. Alors ils prétendent que l'exercice de ce droit constitue une fondation déguisée...

M. Royer de Behr. - Messieurs, j'aborde un autre ordre d'idées ; il est certain, que nous venons de discuter une simple hypothèse.

Pour en raisonner, il faut se placer sur un terrain inconstitutionnel. J'abandonne donc ce terrain de discussion. On nous a reproché de n'avoir point de fixité dans les idées ; nous avons, dit-on, aujourd'hui un programme ; demain nous en aurons un autre.

Enfin le grand parti conservateur a fait une alliance, une alliance monstrueuse, cela va de soi, avec le parti radical ; et puis nous ne sommes pas d'accord, ce qui prouve, qu'on me permette celle parenthèse, en faveur de l'indépendance individuelle des membres de la droite.

J'ignore si l'alliance dont on a parlé existe. Nous n'avons signé aucun traité. Mais, ce que je puis affirmer personnellement, c'est que je suis prêt à tendre la main au parti radical si ce parti veut sincèrement la liberté. Cette alliance, je la demande même à toute la gauche parlementaire, et je la conjure de ne point la refuser., Je le demande particulièrement à des hommes comme M. Guillery qui vient aujourd'hui apporter dans cette assemblée l'article 2 de notre programme de 1864, l'article qui précisément a amené un dissentiment entre nous et la Couronne.

Au surplus ce programme était accepté par un grand nombre de mes amis. Il était un gage de notre amour pour la liberté.

L'honorable député de Mons, M. Dolez, n'est pas de cet avis-là. Donc, il prétend que la nomination des échevins par la commune elle-même et la nomination du bourgmestre choisi parmi les échevins nommés directement par la commune, est une mesure illibérale ; qu'il est illibéral de réclamer l'extension du suffrage ; qu'il est illibéral de demander la diminution des charges militaires, et de chercher, en tenant compte de la défense nationale, la pacification d'Anvers ; qu'il est illibéral d'employer l'excédant des budgets au dégrèvement des impôts ; illibéral enfin de mettre en pratique les conseils donnés par les économistes les plus illustres depuis plus d'un demi-siècle.

Il dira non peut-être ; il prétendra que j'ai travesti sa pensée.

Eh bien, l'honorable membre a pris soin lui-même de préciser sa pensée : Il nous a fait connaître l'opinion d'un conservateur sur la réforme électorale que nous avons proposée. Cette opinion il la partage ; ce conservateur ne voulait pas suivre M. Dechamps dans ses « étourderies ».

« Quand nous aurons le suffrage universel, nous apprendrons bien à nos paysans à jouer le premier air ; mais une fois qu'ils y seront habitués, l'instrument ne servira plus qu'à nous faire danser. » Voilà l'anecdote.

Eh bien, messieurs, je poserai un dilemme à l'honorable M. Dolez, mais au préalable j'ai une observation importante à lui soumettre.

La Constitution a proclamé que tous les pouvoirs émanent de la nation.

Si le législateur constituant a ensuite établi le régime des censitaires, ce n'est pas pour nier le principe qu'il avait posé tout d'abord, mais pour éviter les inconvénients d'une émancipation électorale trop rapide. Le principe de la souveraineté nationale est resté entier dans la Constitution et je pense que l'honorable membre ne peut pas le nier. Il m'objectera peut-être que ce n'est pas lui, mais un de nos amis qui nie ce principe-là.

Ici se place mon dilemme.

De deux choses l'une, ou vous acceptez la souveraineté populaire, ou vous ne l'acceptez pas. Si vous l'acceptez, pourquoi voulez-vous immobiliser le suffrage ? Si vous ne l'acceptez pas, pourquoi vous proclamer plus constitutionnel que nous ?

C'est en vain que, vous armant de l'ironie, vous essayeriez de vous retrancher derrière un conservateur qui en définitive soutiendrait votre thèse.

Mais vous n'êtes pas logique ; Vous voulez bien de l'extension du suffrage lorsqu'elle vous est favorable, et vous la repoussez quand elle est contraire à vos intérêts.,

Vous avez créé de nouveaux électeurs, parce que cette mesure était nécessaire au maintien de votre politique et vous refusez de faire un second pas en avant, parce que vous supposez que l'accroissement du corps électoral diminuera votre influence. C'est pourquoi vous vous écriez avec l'honorable M. Frère-Orban, que le suffrage universel n'est qu'anarchie, et despotisme..

MfFOµ. - Vous avez dit que vous vouliez le suffrage universel ; ce n'est pas moi qui l'ai dit.

M. Royer de Behr. - Pour la commune, pour la province, dans les limites de la Constitution.

MfFOµ. - Mais certainement ; vous l'avez dit et je n'ai fait que le répéter.

M. Delaetµ. - Il n'a pas dit qu'il veut du suffrage universel hic et nunc.

MfFOµ. - Si, il l'a dit.

M. Royer de Behr. - Permettez-moi de m'expliquer ; dans la discussion de 1864, j'ai parlé en fait et en principe ; lorsque moi-même, je proposais une légère diminution sur le cens électoral actuel, je ne pouvais réclamer le suffrage universel hic et nunc. J'ai seulement déclaré que c'était un premier pas et que nous aurions, dans un temps déterminé, le suffrage universel.

Maintenant je complète les renseignements que l'honorable ministre veut bien me demander en disant que je ne pouvais pas songer au suffrage universel pour les Chambres législatives, puisqu'il n'est pas constitutionnel. On" m'accuse de radicalisme...

M. de Naeyerµ. - Qu'est-ce que cela fait ?

M. Royer de Behr. - Je ne m'effraye pas des mots.

Dans mon opinion, notre programme était une œuvre de transaction. Elle avait été acceptée par presque tous nos amis ; même par plusieurs dont la modération est connue de toute la Chambre. Ilss avaient peut-être agi par voie de conciliation. Mais enfin ils adhéraient au programme et l'auraient soutenu avec loyauté.

Mais, messieurs, à propos de radicalisme, voici une déclaration bien formelle. Le document n'émane pas de moi. En en donnant lecture, je n'entends engager l'opinion d'aucun de mes amis ; ils feront ce qui leur conviendra, je ne réponds que de moi.

Voici ce document, qui exprime parfaitement ma pensée :

« Nous ne voulons, en Belgique, de réformes que par la Belgique elle-même ; nous repoussons avec toute l'ardeur de notre patriotisme le progrès qui s'achèterait au prix de notre nationalité ; nous préférerions cent fois une servitude qui chez nous ne pourrait jamais être que passagère, à la liberté précaire que nous apporteraient de prétendus libérateurs étrangers.

(page 61) « Nous ne voulons chez nous de réformes que par les voies pacifiques, nous croyons que toutes peuvent être obtenues par le jeu libre et intelligent de nos institutions ; nous repoussons comme un fléau la révolution par la force et la violence ; adversaires déterminés de la peine de mort, nous n'admettons pas qu'elle puisse se justifier même par l'intérêt de la collectivité humaine.

« Nous admettons que notre Constitution n'est pas un cercle de fer dont on ne puisse sortir sans sacrilège, mais nous reconnaissons que rien de notre temps ne rend nécessaire le changement de principes qu'elle consacre ; tout au plus demanderions-nous sa réforme pour l'extension du droit de suffrage, prêts cependant à nous déclarer provisoirement satisfaits si on faisait des électeurs, en matière communale et provinciale, de tous ceux qui savent lire et écrire, ce que permet notre Constitution.

« Mais dans ces limites, nous voulons un progrès rapide, sincère, énergique ; nous voulons que tout soit fait pour développer l'enseignement, pour réformer le budget de la guerre, pour augmenter sans excès la liberté individuelle et diminuer la centralisation administrative, pour adoucir les lois pénales, pour étendre la liberté de la presse et d'association, pour assurer le libre exercice des langues. Nous sommes partisan des meetings parce qu'ils habituent le peuple à exercer sa légitime influence sur les affaires publiques ; nous rêvons de les voir, dans un avenir prochain, répandus sur tout le territoire. »

Savez-vous, messieurs, à qui appartient ce manifeste ?

MfFOµ. - Sans doute.

MjTµ. - A la Liberté.

M. Royer de Behr. - Oui, le mot est exact.

M. Delaetµ. - Certes, et dans sa double signification.

M. Royer de Behr. - Ce document appartient au journal la Liberté, fondé pour soutenir le libéralisme avancé.

Je l'ai dit souvent dans cette Chambre. J'accepterai la liberté de quelque part qu'elle vienne. Si elle m'est offerte par les radicaux, je l'accepterai de leurs mains. J'ajouterai avec M. de Foere, que l'injustice, lors qu'elle est placée en face de la liberté, finit toujours par succomber.

Et puis la loi aujourd'hui n'est plus qu'elle était autrefois, l'œuvre d'une transaction ; elle n'est plus destinée à régler les intérêts sociaux

Vous en avez fait malheureusement une arme de parti, et moi je veux briser cette arme par la liberté et je veux la briser tellement que personne n'en puisse plus faire usage.

En terminant, messieurs, je désire unir ma voix à celle de mes honorables collègues qui ont pris la défense de l'homme d’Etat que nous regrettons de ne plus voir siéger parmi nous.

M. Dechamps a été, dans cette enceinte, indignement et injustement méconnu.

- Voix à droite. - C'est vrai.

M. Royer de Behr. - Je répondrai particulièrement à l'honorable ministre des affaires étrangères qui par sa position peut, mieux qu'un autre, jeter le regard au delà de la frontière et voir si les dangers signalés par mon honorable ami sont réels.

S'ils sont imaginaires, pourquoi s'émouvoir ? Si les Etats secondaires n'ont rien à redouter de la politique d'annexion qui a prévalu en Italie, qu'importe l'œuvre de M. Dechamps ? C'est une œuvre littéraire remarquable, mais sans portée politique aucune.

Cependant si le mal existe, s'il est là menaçant la patrie, pourquoi le nier ? Il faut sonder la blessure, afin de voir jusqu'à quel point elle est profonde. A l'œuvre sans retard ! Peut-être demain ne sera-t-il plus temps. Nier le mal, c'est l'aggraver. L'éminent publiciste que vous avez attaqué, que fait-il ?

Après avoir jeté le cri d'alarme, après avoir signalé le péril, après avoir exprimé ses craintes patriotiques, il indique le moyen de conjurer le danger.

Aussi longtemps que nous avons été unis, nous nous sommes trouvés sur un promontoire si élevé que le flot de la tempête, alors qu'il s'élevait et bouleversait tout, ne put jamais nous atteindre ; l'union sous le drapeau national a toujours été notre bouclier impénétrable.

Un dernier mot ; je l'adresse à l'honorable M. Rogier. Je m'adresse aux sentiments patriotiques dont il a donné maintes preuves. Je lui dis : Vous avez tenu bien haut le drapeau de l'union ; vous vous êtes dévoué à l'œuvre de 1830 : cessez donc de déverser des paroles de flétrissure sur les hommes qui rappellent la devise nationale aux Belges qui semblent l'avoir oubliée.

MfFOµ. - Messieurs, le pays s'étonnera, sans doute, en constatant que les honorables membres de la droite qui ont pris la parole dans cette discussion, et particulièrement l'honorable orateur qui vient de se rasseoir, se soient si péniblement efforcés de signaler, comme causes de la situation qu'ils entendaient critiquer, des raisons futiles, des motifs de pure fantaisie, tandis que des causes réelles, palpables, expliquent si naturellement, si complètement le maintien de l'opinion libérale au pouvoir depuis un si grand nombre d'années, et le rôle de minorité assigné à l'opinion catholique.

A entendre l'honorable préopinant, cette situation, selon lui si déplorable, si fatale aux intérêts du pays et à toutes ses libertés, serait due cependant aux causes les plus insignifiantes, à de simples accidents, tels, par exemple, que l'absence de quelques électeurs dans l'un ou l'autre collège ; c'est parce que l'on aurait exploité le nom du Roi dans les luttes électorales que l'opposition est reléguée depuis si longtemps au rang de minorité ; c'est parce que le gouvernement, oubliant les traditions anciennes, est intervenu, crime énorme, dans les élections, en faisant publier un manifeste pour répondre aux attaques qui étaient dirigées contre lui.

Messieurs, je vous le demande, est-il digne d'hommes sérieux, d'hommes vraiment politiques, d'expliquer par de pareilles futilités la situation actuelle, et de les ériger en griefs contre la majorité qui appuie le gouvernement.

Quoi qu'il en soit, voyons quelle est la valeur de ces prétendus griefs. Autrefois, sous les ministères qui nous ont précédés, on intervenait autrement dans les élections. Sous les ministères catholiques, on rassemblait les fonctionnaires publics et on leur intimait l'ordre formel, absolu, d'user de toute leur influence, d'intervenir, drapeau déployé, en faveur de la politique du gouvernement.

M. de Theuxµ. - Je demande la parole.

M. Vilain XIIIIµ. - Jamais.

MfFOµ. - Je ne parle pas du ministère de 1855 ; je parle des ministères antérieurs à 1847.

M. Coomans. - Cela se fait aujourd'hui aussi.

MfFOµ. - Non. Je le nie formellement.

M. Coomans. - A Alost un commissaire d'arrondissement a convoqué tous les bourgmestres, je l'affirme.

MfFOµ. - Je ne parle pas des fonctionnaires politiques, je parle des fonctionnaires de l’ordre administratif qui sont à la discrétion du gouvernement.

- Une voix à droite. - Et les bourgmestres ?

MfFOµ. - Les bourgmestres ne sont pas sous la dépendance du gouvernement.

M. Coomans. - Et les commissaires d'arrondissement ?

MfFOµ. - Ce sont des fonctionnaires politiques. Je répète que la pratique constante des administrations antérieures à 1847 a été d'exiger l'intervention active des fonctionnaires publics dans les élections, et j'ajoute que, depuis 1847 jusqu'à présent, cette pratique a été complètement abandonnée.

M. Coomans. - On n'a fait que la changer un peu.

MfFOµ. - Elle a été complètement abandonnée. On a été déclaré hautement aux fonctionnaires que, sans doute, on ne tolérerait pas leur hostilité ouverte contre le gouvernement, ce qui eût été de l'anarchie, mais qu'ils étaient libres de voter comme ils l'entendaient ; qu'on n'avait pas à rechercher la manière dont ils exerçaient leurs droits de citoyens ; et plus un seul fonctionnaire n'a été placé dans la nécessité pénible qui était imposée à tous autrefois, de défendre et de soutenir activement, contre leurs convictions contre leur conscience, la politique du gouvernement.

Vous parliez tout à l'heure de l'intervention des commissaires d'arrondissement et de leurs rapports avec les bourgmestres ; est-il besoin (page 62) de vous apprendre qu'il y a une action politique très légitime qui s'exerce de la part du gouvernement ? Pourquoi le gouvernement a-t-il des fonctionnaires politiques ? Pourquoi a-t-il des gouverneurs, pourquoi a-t-il des commissaires d'arrondissement ? Pourquoi les fonctionnaires publics, qui ont principalement pour mission de défendre et d'expliquer la politique du gouvernement, seraient-ils obligés de s'abstenir ? Quel est le gouvernement qui pourrait accepter une pareille situation ; quel est surtout le gouvernement qui la pourrait accepter, en face de l'organisation si vaste, si puissante, que nous avons à combattre ?

Ah ! sans doute, le jour où le clergé inférieur, qui est dans un état de dépendance absolue vis à-vis les évêques, qui est incapable de la moindre résistance aux ordres qu'il en reçoit, le jour, dis-je, où le clergé n'interviendra plus dans les élections, dès ce moment vous pourrez demander également que le gouvernement s'abstienne, afin que les électeurs puissent librement, sans pression d'aucune part, se prononcer sur les affaires politiques du pays. Mais il serait vraiment absurde de prétendre qu'un gouvernement combattu comme l'a été le gouvernement libéral, ne peut se défendre quand il est attaqué par un parti qui dispose d'armes aussi puissantes que celles dont le clergé fait usage en sa faveur.

Et cependant, cette intervention autrefois si active des fonctionnaires publics dans les élections, appuyée de cette autre intervention si puissante du clergé, a-t-elle empêché votre politique de sombrer ? A-t-elle empêché le corps électoral de se prononcer successivement contre vous, en 1843, en 1845 et enfin en 1847 ? Vous avez succombé, malgré tous les moyens que vous avez employés, malgré tous les instruments législatifs que vous aviez imaginés afin d'assurer votre prépondérance et votre pouvoir. Rien de tout cela n'a pu vous faire éviter un naufrage, dont vous-mêmes, d'ailleurs, aviez aveuglément préparé les éléments. Vous avez succombé à raison de la politique violente, de la politique à outrance que vous n'avez cessé de pratiquer au pouvoir ; vous avez succombé surtout à raison des prétentions fatales dont vous avez toujours menacé le pays, prétentions qui vont grandissant de jour en jour, et qui pèsent sur vous d'un poids dont vous n'avez plus la force de vous délivrer.

Depuis un grand nombre d'années, votre politique est en opposition manifeste avec l'esprit de nos institutions. Voilà la cause, la cause réelle, véritable, qui seule vous tient éloignés du pouvoir, et vous vous donnez une peine inutile pour égarer l'opinion publique, en signalant comme causé imaginaire de cet état de choses les misérables griefs que l'on vient encore d'alléguer contre nous.

Quelles sont les questions qui nous divisent ? M. Delcour en a parlé hier. IL y a d'abord la question d'enseignement. Quelles ont été en cette matière les prétentions successives de votre parti, ou plutôt du parti extérieur qui vous domine, du parti qui veut vous imposer sa loi ? Puisqu'on a remonté si haut dans cette discussion, on me permettra de faire aussi un retour sur le passé.

Que demandait-on en 1829, et plus tard, en 1830 et en 1831, lorsque l'on faisait la Constitution belge ? Que demandait-on en matière d'enseignement ? On disait alors : Donnez-nous simplement la liberté, laissez-nous donner l'instruction à nos enfants, soit chez nous, soit dans les établissements qui nous appartiennent, soit à l'étranger ; que l'Etat ait aussi ses écoles, disait-on, rien de mieux ; cela est légitime : l'Etat, représentant d'un grand intérêt social, doit nécessairement avoir des écoles.

On consacre donc dans la Constitution la liberté d'enseignement. On croit que satisfaction est ainsi donnée à un intérêt très respectable, à une prétention que j'approuve hautement.

Mais point du tout ! A peine la Constitution est-elle appliquée, à peine ses principes sont-ils proclamés, qu'on veut en tirer des conséquences telles que l'instruction publique tout entière devait se trouver entre les mains du clergé, qui toujours, à toutes les époques, en a convoité le monopole. Les hommes qui, avant la révolution, avaient soutenu avec le plus d'énergie les justes réclamations que l'on faisait entendre alors en faveur de la liberté d'enseignement, ces mêmes hommes se trouvent chargés de préparer des projets de loi organiques du principe constitutionnel qui proclame cette liberté, et qui exige, en même temps, que l'instruction publique soit organisée par la loi. Parmi eux, je citerai comme ne pouvant être suspects à la droite, MM. de Theux et de Gerlache. Ces projets sont donc préparés et déposés dès 1834. Mais dès ce moment aussi ils sont mis en interdit ; une puissance extérieure défend la discussion du projet de loi sur l'enseignement primaire, et il faut que huit années s'écoulent, il faut une pression très énergique de l'opinion publique, il faut au banc ministériel un homme sorti de nos rangs et qui croyait pouvoir faire de la politique de modération et de conciliation, il faut que cet homme exige enfin en 1842, huit ans plus tard, la discussion du projet de 1834.

Et comment a-t-on, à cette époque, qualifié les projets de loi rédigés sous l'inspiration des honorables MM. de Theux et de Gerlache ? L'homme modéré par excellence, l'homme de la conciliation, l'honorable M. Dechamps déclare ici, en pleine Chambre, que les principes déposés dans ce projet de 1834, s'ils étaient admis, feraient descendre la Belgique au dernier degré des nations civilisées, sous le rapport de l'enseignement moral et religieux. Voilà ce qui s'est passé à cette occasion ; voilà ce qui montre quelles sont les prétentions exorbitantes de votre parti.

Par esprit de conciliation, la grande majorité de l'opinion libérale adopte cependant la loi de 1842, mais après avoir fait subir aux auteurs de ce projet de loi un échec éclatant, car il y avait été inséré que, si le clergé refusait son concours à une école, cette école perdait immédiatement tout caractère légal ; c'était le droit de vie et de mort sur toutes les écoles publiques remis aux mains des évêques. Mais il fallut reculer ; et sur la motion de mon honorable ami M. Dolez, on se vit obligé d'abandonner cette incroyable prétention.

Lors de la discussion de la loi de 1842, on avait dit et répété sur les bancs de la droite que les principes de cette loi ne devaient s'appliquer qu'à l'instruction primaire ; on avait déclaré que ces principes ne pourraient pas être introduits dans la législation concernant les autres degrés de l'enseignement. Cependant, les aunées s'écoulent ; on réclame en vain une loi sur l'enseignement moyen ; la loi ne se fait point ; l'opinion publique se prononce de plus en plus contre l'opposition épiscopale qui a réussi pendant douze ans à arrêter la discussion d'une loi sur l'enseignement moyen. M. de Theux lui-même est obligé de reconnaître qu'il est impossible de résister plus longtemps ; et enfin pour obtenir cette loi, il faut arriver jusqu'au ministère libéral de 1847.

Et quelles sont les prétentions qui se révèlent à propos de cette loi ?

Nous n'entendions pas exclure le clergé de l'enseignement moyen ; ce n'était pas notre principe. Nous lui faisions dans l’enseignement une place légitime et constitutionnelle, selon nous ; nous ouvrions aux ministres des cultes les portes de l'école, des collèges, des athénées. Comment cette disposition est-elle accueillie ? On nous déclara, sous le prétexte de la nécessité de l'homogénéité du personnel enseignant, qu'il fallait des garanties quant à la nomination des professeurs et maîtres ; il fallait au clergé une part d'intervention dans les nominations des professeurs et maîtres des athénées et des collèges, et telle était la condition sine qua non du concours du clergé.

Sont-ce là des prétentions qui attestent la fidélité aux idées de 1830 ? sont-elles en harmonie avec nos principes constitutionnels, et les chambres et le corps électoral, qui en ont fait justice, n'ont-ils pas rendu un service éclatant au pays ?

Mais va t-on s'arrêter là dans l'esprit de réaction contre nos institutions, contre les principes consacrés par notre pacte fondamental ? Va-t-on respecter ces principes, au moins en ce qui concerne l'enseignement supérieur ? Pas le moins du monde. Dans l'enseignement supérieur, il faudra se soumettre aux mandements. (Interruption.)

Oui, sans doute ! Des professeurs ont été dénoncés parce que, dans leur enseignement philosophique, tel d'entre eux n'avait pas apprécié le jeûne d'une façon orthodoxe ; tel autre, parce que, dans ses livres, non plus dans son enseignement cette fois, il avait partagé des doctrines qui ne sont pas admises par le clergé. et l'on somme incontinent le ministère, qui se composait alors de vos amis, de destituer les professeurs qui ont enseigné des doctrines déplaisant au clergé.

Et vous croyez que des prétentions de ce genre, si manifestement en désaccord avec l'esprit qui a dicté la Constitution, avec les aspirations que l'on montrait en 1830, vous croyez que des prétentions de ce genre n'ont pas profondément remué, troublé, ému le pays ? Vous croyez que le pays est disposé à admettre de telles prétentions ; et vous ne vous expliquez pas que, les ayant tolérées, les ayant défendues, les ayant admises, vous ayez été condamnés par le pays ?

S'agit-il d'associations, de fondations ? n'est-ce pas encore un esprit de réaction contre nos institutions qui se manifeste dans vos rangs ?

La liberté d'association était réclamée en 1830. Immédiatement, M. l'archevêque de Malines, écrivant au congrès, demande qu'à côté de la liberté d'association on inscrive dans la Constitution la garantie pour les associations religieuses et de bienfaisance, de pouvoir posséder quelques biens comme personnes civiles. Quel est le cri qui s'élève immédiatement au sein du Congrès national ? Ce sont les couvents que vous voulez rétablir ; nous n'en voulons point. Que les ordres religieux reviennent, qu'ils reparaissent, que les moines s'établissent dans le pays, que les jésuites, les capucins, les récollets, les carmes, que tous reviennent, oui ! mais (page 63) sous l’empire du droit commun, mais sans privilèges, mais sans aucun des avantages que vous voudriez faire consacrer pour eux,

En vain l'honorable M. de Sécus, qui était si avant dans les confidences du parti catholique, en vain essaya-t-il de défendre le principe des fondations dont vient de parler l'honorable M. Royer de Behr, le principe de la personnification civile pour les associations. Malgré ses explications, il fallut encore reculer : le Congrès ne voulut admettre qu'un principe absolu, sans exceptions ni restrictions ; la liberté d'association, purement et simplement.

Que fait le parti catholique, après cet échec éclatant au Congrès, alors que le caractère de la disposition constitutionnelle a été aussi manifestement marqué ? Immédiatement, par des voies détournées, par des dispositions illégales, on essaye d'accorder indirectement aux associations religieuses ce qu'elles n'avaient pu obtenir directement du Congrès, ce qu'on n'osait pas demander à la législature. Et, toujours avançant, toujours grandissant dans ces prétentions, l'université catholique était à peine constituée, elle était à peine définitivement assise, qu'on venait apporter dans cette Chambre un projet de loi pour lui conférer également la personnification civile. Vous savez le mouvement qui se manifesta dans le pays, quelle répulsion profonde suscita cette proposition, non pas pour l'acte en lui-même, mais pour le principe qu'il s'agissait de faire consacrer et dont chacun appréciait aisément toutes les conséquences.

Devant la réprobation du pays, il fallut retirer ce projet de loi. On déclara qu'on le retirait uniquement pour donner satisfaction à l'opinion publique, trompée, égarée, se faisant une fausse idée des propositions soumises à la Chambre ; mais enfin on lui donna cette satisfaction tant on reconnaissait qu’elle s'était énergiquement prononcée.

Et pourtant, bien que l'on connût les répugnances invincibles du pays, voici qu'un beau jour, lorsqu'un accident, la division de l'opinion libérale, amène au pouvoir un cabinet de votre opinion, on induit ce cabinet à présenter, sous prétexte de liberté en matière de charité et de bienfaisance publique, sous prétexte de la liberté des fondations, un projet de loi dont le principe n'avait pas pu être admis dans la Constitution, que le Congrès national avait repoussé, que l'opinion publique avait continué à repousser lors de la présentation du projet Brabant-Dubus, projet qui devait si profondément remuer le pays, en démasquant les tendances immuables de votre parti, en révélant une fois de plus les espérances que vous avez constamment nourries. Et le résultat de cette tentative imprudente et coupable fut encore de vous faire condamner définitivement sur ce point par le pays.

Voilà les causes réelles de votre chute ; voilà les raisons, les vraies raisons qui se sont opposées à votre avènement au pouvoir. Voilà les prétentions qui pèseraient sur vous d'un poids énorme, si, par aventure, le corps électoral vous accordait momentanément la majorité.

On nous a parlé hier de la question des cimetières, dont on fait un grief au gouvernement, comme s'il l'avait lui-même soulevée. Mais, ici encore, vos prétentions, ou les prétentions de cette fraction mystérieuse de votre parti qui pèse sur vous, se révèlent dans toute leur nudité.

Il y avait en cette matière une situation qui subsistait depuis soixante ans, généralement admise et acceptée, ne donnant lieu qu'à de rares conflits, que la sagesse des administrations et la sagesse du clergé laissaient passer inaperçus.

Mais les moyens d'agiter le pays allaient manquer, et l'on trouve qu'il faut faire déclarer que vous avez des cimetières catholiques, des cimetières particuliers, qui sont votre propriété exclusive, dans lesquels le prêtre est maître et souverain absolu.

M. Delcourµ. - Pas du tout ; nous n'avons jamais nié les droits de la police.

MfFOµ. - Non sans doute ! au point de vue hygiénique n'est-ce pas ? (Interruption.) Mais ce que vous déniez à l'autorité, c'est le droit de décider qui sera enterré dans le cimetière commun, dans un cimetière qui appartient à l'autorité civile. (Interruption.)

M. Jacobsµ. - Nous demandons ce qui existe en Angleterre.

MfFOµ. - Vous ne vous doutez pas même de ce qui existe en Angleterre en cette matière. Mais nous discuterons la question au fond, quand le moment sera venu. Je me place ici au point de vue politique exclusivement...

M. Delaetµ. - Si c'est simplement de la rhétorique...

MfFOµ. - C'est ce que j'ai dit de la brochure de M. Dechamps ; mais vous appliquez ce mot d'une façon fort malheureuse dans la circonstance actuelle. Je ne fais pas ici de la rhétorique, je fais de la politique. J'indique quelles ont été vos prétentions, comment elles sont nées, comment elles ont grandi et comment elles vous ont perdus. (Interruption.)

M. Dumortier. - On a voulu nous ôter nos cimetières.

M. Rodenbach. - Les catholiques ont des cimetières partout, même en Turquie.

M. le président. - Pas d'interruption ; faites-vous inscrire.

MfFOµ. - Vous en êtes encore à la théorie de l'honorable M. Royer de Behr sur les fondations, quand il dit : Cela existe en Amérique, cela existe dans tous les pays. Eh bien, dans tous les pays qui sont régis comme le nôtre, par le décret de prairial an XII, c'est l'autorité civile seule qui décide souverainement sur les questions relatives aux inhumations. (Interruption.)

M. Rodenbach. - C'est une erreur. Même en Turquie il y a des cimetières catholiques. Naguère encore, lorsque les sœurs de charité ont été soigner les catholiques, celles qui ont été victimes ont été enterrées dans un cimetière béni par le prêtre, et cela existe en Angleterre, en Chine, et même dans les Indes.

MfFOµ. - Les jurisconsultes de l'assemblée savent parfaitement que le décret de prairial an XII, qui a prescrit des divisions dans les cimetières, a indiqué ces divisions à raison des différents cultes qui étaient professés dans les communes, et que là où plusieurs cultes ne sont pas professés, il n'y a pas lieu à division. Et, en effet, il n'y en a jamais eu, ni en France, ni dans les provinces rhénanes, où le décret de 1809 est encore appliqué.

M. Dumortier. - Il y a toujours eu un terrain réservé dans les cimetières.

MfFOµ. - Comme l'honorable M. Dumortier n'est pas jurisconsulte, mais qu'il est botaniste, il me permettra de ne pas admettre son opinion ; il n'y a pas dans la loi un seul mot qui suppose un terrain réservé.

M. Dumortier. - Tout botaniste que je suis, je dis que vous êtes dans l'erreur.

MfFOµ. - Il existe en faveur de l'opinion que j'exprime, une quantité considérable de décisions des autorités françaises, des avis du conseil d'Etat de France ; dans notre pays également, les droits exclusifs de l'autorité civile ont été consacrés. Il n'y a de divisions, je le répète, que là où il y a des cultes différents professés, et dans chaque division l'autorité civile seule a des droits à exercer.

Au lieu de ce décret ainsi entendu, ainsi appliqué, et qui présentait, si vous voulez, certains inconvénients dans un petit nombre de cas, je vous le concède ; au lieu de ce décret, on prétend, contre toute raison, contre toute vraisemblance, qu'il existe un décret qui attribue au prêtre le droit d'admettre ou de ne pas admettre un citoyen dans les cimetières communaux. (Interruption.) C'est là votre prétention, et nous la discuterons, comme je viens de le dire, en temps opportun. Mais au point de vue où je me place, le décret de 1809 était admis et pratiqué jusque dans ces dernières années, avec tolérance de la part de l'autorité civile et de la part des ministres des cultes. Voilà la vérité !

Telle était donc la situation, lorsque, dans une commune où le culte catholique était seul professé, notez-le bien, le clergé élève la prétention de faire expulser du cimetière commun, du cimetière unique, le cadavre d'un homme qui y avait été enterré par l'autorité du bourgmestre, ayant seul, d'après la loi, la police de ce cimetière. Dès ce moment naquit la question des cimetières, que votre opinion s'est empressée d'exploiter dans tout le pays.

Il faut de l'agitation pour faire grandir cette question, et l'agitation est essayée partout où l'on peut s'adresser à la crédulité et à l'ignorance ; on fait signer des pétitions par des femmes et par des enfants, et tout cela, non pas dans un but réellement religieux, mais dans des vues politiques, dans un intérêt de parti.

- Plusieurs membres. - Allons donc !

- D'autres membres. - Oui ! oui !

MfFOµ. - Je comprends parfaitement vos dénégations. Mais comment voulez-vous que le pays y croie ? Le pays a vu pratiquer, pendant soixante ans, le contraire de ce que vous voulez aujourd'hui. Il a vu, et il voit encore tous les jours dans nos grandes communes, les choses se passer comme elles se sont toujours passées, sans qu'on ait jamais osé élever dans ces grandes communes la prétention qu'on a soulevée dans les villages, afin d'essayer d'irriter les paysans.

M. Dumortier. - C'est tout à fait le contraire de la vérité. Vous savez bien que tous les cimetières ont une partie non bénite.

(page 64) MfFOµ. - M. Dumortier, vous vous trompez ; il n'y a légalement aucune sous-division dans les cimetières.

M. Dumortier. - Je ne me trompe pas ; j'affirme. Il n'y a pas un seul cimetière où il n'y ait une partie non bénite.

M. Nothomb. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Il y a, dans les cimetières, pour employer l'expression vulgaire, ce qu'on appelle le trou des chiens. (Interruption.)

M. Dumortier. - Pas du tout. Les enfants non baptisés ne sont pas des chiens. Cette expression a été inventée par vous, comme vous avez inventé le cri : A bas les couvents !

MfFOµ. - D'abord je n'ai jamais crié à bas les couvents.

M. Dumortier. - Cela se trouve au Moniteur.

MfFOµ. - Je suis obligé sur ce point encore, pour me servir d'une expression qui a été employée hier, de vous donner un démenti formel.

M. Dumortier. - J'en appelle à l’Indépendance et à tous les autres journaux.

MfFOµ. - Vous chercherez en vain ; vous ne trouverez qu'une méchanceté inventée par vos amis.

Voici c'est que j'ai dit en 1857, et c'est la première fois que je prends la peine de réfuter les calomnies qui ont été débitées à ce sujet.

Lors de la discussion de la loi sur la charité, je disais à mes adversaires : Vous avez dans cette question des associations religieuses une position admirable et inexpugnable : c'est le droit d'association, droit sacré, droit que vous pouvez revendiquer en vertu de la Constitution, et pour la défense duquel vous nous trouverez tous avec vous. Au lieu de ce droit constitutionnel, au lieu de ce droit commun, vous voulez le privilège ; vous voulez l'association avec la personnification civile, et vous aller vous exposer à rencontrer dans le pays un cri légitime, unanime, invincible : l'abolition des couvents. (Interruption.)

M. Van Overloopµ. - Oui : C'est ainsi !

MfFOµ. - Voilà comment je me suis exprimé, et il était impossible, par la contexture de ma phrase, par les expressions dont je me suis servi, qu'il y eût autre chose que la pensée que j'indique ici.

M. Dumortier. - Huissier, cherchez l'Indépendance.

MfFOµ. - Je dis donc messieurs, que les questions qui, d'après vous, agitent si profondément le pays, ont été soulevées par vous uniquement dans des vues de parti. C'est vous qui vous ingéniez à trouver tout ce qui peut le mieux passionner les populations dans l'intérêt de la cause que vous défendez. Mais quand on vous a vu émettre toutes ces prétentions, si directement contraires au texte et à l'esprit de notre Constitution, le pays, à son tour éclairé même sur ce point si délicat de la question des inhumations, le pays a refusé de vous suivre.

Et dans la question des bourses d'étude, quelle a été successivement l'attitude de votre parti ?

A la fin du siècle dernier, l'on avait fait table rase de l'ancienne administration des fondations de bourse. Les bourses elles-mêmes n'avaient pas disparu, mais le mode d'administration avait été changé.

M. de Haerneµ. - C'est la révolution.

MfFOµ. - Sans doute, c'est la révolution. Mais il y a des révolutions fort légitimes, comme vos amis l'ont si bien démontré, et je ne sais si les démocrates qui se trouvent sur vos bancs sont disposés à renier les conséquences de la révolution de 1789.

- Voix à gauche. - C'est cela ! c'est cela !

MfFOµ. - L'administration des bourses avait donc été modifiée. Cette administration avait d'abord été transférée au domaine, puis aux hospices, puis enfin, en 1817, par un simple arrêté, le roi Guillaume rétablissait un état de choses analogue à l'ancien régime. Il réintégra alors autant que possible les administrations anciennes. Seulement ce même arrêté déclara que les bourses seraient dorénavant affectées exclusivement aux universités de l’Etat. Cela se trouve consigné dans le même titre.

La révolution de 1830 survint : sous prétexte de liberté d'enseignement, on dit qu'il n'était pas équitable de continuer à affecter les bourses exclusivement aux universités de l’Etat ; et un ministre libéral, M. Rogier, accueillant cette prétention, la consacra par une circulaire. On pouvait certainement émettre des doutes très sérieux sur le point de savoir si les bourses pouvaient avoir une autre destination que celle qui était indiquée dans l'arrêté de rétablissement. Quoi qu'il en soit, de la part de l'opinion libérale, il n'y a pas eu de réclamation. On trouva qu'en effet il était assez légitime que les boursiers pussent aller étudier ou bon leur semblait ; puisqu'on avait proclamé la liberté d'enseignement, il paraissait également naturel d'admettre la liberté des études.

Mais cette nouvelle concession accordée, voici que l'université catholique centralise entre ses mains à peu près toutes les anciennes bourses, et qu'elle pose en principe qu'il est interdit aux boursiers d'aller étudier ailleurs qu'à l'université de. Louvain...

M. Delaetµ. - Cela n'a jamais été fait.

MfFOµ. - Comment ! cela n'a jamais été fait ?

M. Delcourµ. - C'est une erreur manifeste.

MfFOµ. - Ah !

M. Delcourµ. - Ce sont les administrateurs spéciaux qui conféraient les bourses.

MfFOµ. - Je commence à comprendre les dénégations de l'honorable M. Delcour ; ce n'est pas l'université de Louvain, c'est un receveur qui centralise le revenu des fondations, oui ; et ce que j'ai voulu exprimer, c'est que ce receveur des fondations, siégeant à Louvain, est en même temps le trésorier de l'université de Louvain. Or, il est clair que le trésorier de l'université, receveur des fondations, n'exerce absolument aucune influence au profit de l'université catholique ! (Interruption.)

M. Delcourµ. - Le receveur que vous dites centraliser les fondations au profit de l'université de Louvain, est votre homme ; il a été nommé par le gouvernement.

MfFOµ. - Le receveur des fondations a été nommé par vos amis ; ce n'est pas nous qui l'avons nommé.

M. Delcourµ. - Il a été nommé en 1830.

MfFOµ. - Le receveur centralisant donc les bourses, est devenu le trésorier de l'université de Louvain.

M. Delcourµ. - L'université ne confère pas les bourses.

MfFOµ. - Je le sais bien ! Mais après la centralisation à Louvain même, dans les mains de l'agent de l'université, et qui donnait ainsi un moyen d'action puissant sur l'attribution des bourses d'études, les collateurs chargés de conférer les bourses, reniant le principe si libéral, si impartial inscrit dans la circulaire de l'honorable M. Rogier, ont dit : « Ce sont des bourses qui ont été fondées par des catholiques, au profit de catholiques, pour favoriser un enseignement exclusivement catholique ; par conséquent, il n'est pas possible d'aller, à l'aide de ces bourses, étudier dans les universités impies, dans les universités de Gand, de Bruxelles ou de Liège. » (Interruption.)

Je conçois parfaitement que vous soyez quelque peu gênés quand je vous indique votre marche successive dans cette question. (Interruption.)

Vous demandez d'abord la liberté, et puis vous la confisquez à votre profit ; vous venez demander que les bourses puissent être conférées à tous les élèves, quel que soit l'établissement où ils voudraient étudier ; et puis vous les accaparez toutes ; puis, non contents encore, vous déclarez qu'il vous faut une part dans les bourses que consacre le budget ; et lorsque enfin nous disons : « Il faut revenir au principe salutaire, vraiment libéral, inscrit dans la circulaire de l'honorable M. Rogier, il faut rétablir la liberté des études ; » alors, comme dans l'immortelle comédie, le héros se démasque et s'écrie : « Ces bourses sont à moi, et vous, vous êtes des voleurs ! » (Interruption.)

El c'est après avoir joué ce rôle à propos des fondations de bourses d'étude, que l'on annonce l'intention de résister à la loi.

On résistera donc à la loi !... Cette question sera traitée par mon honorable ami M. le ministre de la justice qui aura à répondre à l'honorable M. Thonissen...

M. Thonissenµ. - Je n'ai pas peur.

MfFOµ. - On résistera donc à cette loi, parce qu'elle est une loi injuste, parce qu'elle est une lot de spoliation, parce qu'elle porte atteinte à la propriété.

M. Coomans. - Ce n'est pas une véritable loi.

MfFOµ. - Il n'y a de bonnes lois que celles qui cèdent à toutes vos exigences.

M. Bouvierµ. - Il n'y a qu'une véritable encyclique.

(page 65) MfFOµ. - C'est le côté politique de toutes ces questions que je traite ; je ne m'occupe pas de leurs autres caractères. La loi sur les bourses d'étude existe ; vous pouvez la critiquer ou en provoquer le rappel ; mais, en attendant, c'est la loi, et on déclare qu'on y résistera par les motifs que je viens d'indiquer.

Cette prétention-là est fort nouvelle, et elle est destinée, je vous le prédis, à couvrir de ridicule ceux qui s'aventureront à la soutenir. (Interruption.)

Attendez ! Je vais m'expliquer : Qu'a fait la loi sur les bourses ? elle a simplement changé l'administration des fondations.

- Un membre. - Et les collateurs...

MfFOµ. - Oui, elle a fait disparaître les administrateurs, ainsi que les collateurs. C'est-à-dire qu'elle a fait exactement ce qu'ont fait les lois qui ont institué les hospices et les bureaux de bienfaisance. (Interruption.)

C'est identiquement la même chose, sans un iota de différence. Ces lois ont institué des commissions par commune ; la loi des bourses a institué des commissions par province. Les lois sur les hospices et les bureaux de bienfaisance, matière autrement importante pour la religion que les bourses d'étude, ces lois ont fait disparaître tous les administrateurs, tous les collateurs spéciaux, tous les patrons ; eh bien, le clergé concourt cependant à l'exécution de ces lois ! le clergé est dans les hospices et dans les bureaux de bienfaisance !

El pourtant ces lois, d'après vous, ont porté atteinte à la propriété : elles ont spolié les collateurs et les administrateurs. Elles sont entachées de toutes ces iniquités qui vous inspirent une si grande réprobation contre la loi des bourses. Et c'est après avoir concouru à l'exécution de ces lois, que le clergé, hautement approuvé par vous, viendra dire aujourd'hui : « Notre conscience nous défend de concourir à l'exécution de la loi sur les bourses d'étude. » Quoi ! la conscience permet d'instituer des aumôniers et des congrégations religieuses dans les hospices et dans les hôpitaux, quoiqu'ils existent en vertu d'une loi qui a supprimé les administrations spéciales, et la conscience défend de remettre les titres des fondations de bourses aux administrateurs désignés par la loi ! (Interruption.)

Messieurs, il est encore une autre question qui vous tient fort au cœur : c'est celle du temporel des cultes ; question plus grave encore, dites-vous, que celle que nous venons d'examiner. La question la plus grave est, en effet, toujours la dernière. Quel est donc, en ce qui concerne cette question, le rôle du parti extérieur qui vous domine ? (Interruption.)

M. Dumortier. - Toute imputation de mauvaise intention est interdite par le règlement.

MfFOµ. - Vous verrez que je justifierai chacune de mes paroles.

M. Delcourµ. - Il serait difficile de justifier la domination extérieure.

MfFOµ. - Je vais prendre pour exemple l'honorable interrupteur lui-même (Interruption.)

Il fait partie de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur le temporel des cultes. Il a déposé des amendements à cette loi. Quel accueil y a été fait extérieurement ?

M. Delcourµ. - Cela vous prouve mon indépendance. Je ne dépends de personne.

MfFOµ. - Ainsi vous les maintenez ?

M. Jacobsµ. - Nous ne discutons pas la loi.

M. Bouvierµ. - Vous voilà acculés.

M. Delcourµ. - Je les maintiendrai sans en supprimer un iota. (Interruption.)

M. Wasseige. - Rira bien qui rira le dernier.

MfFOµ. - C'est fort bien ; je prends acte de cette déclaration : l'honorable M. Delcour maintiendra donc ses amendements.

M. Thonissenµ. - Et moi je les défendrai.

MfFOµ. - Et la droite les votera ?...

M. Jacobsµ. - Et bien votons la loi de suite.

M. Delaetµ. - Vous devez être bien sûr de votre majorité, M. le ministre, pour pouvoir assurer d'avance qu'un amendement sera voté.

MpVµ. - Je prie les honorables membres de ne pas interrompre. Je serai obligé, si cela continue, de rappeler les interrupteurs à l'ordre.

MfFOµ. - Je suis très heureux de ce que vient de dire l'honorable M. Delcour et de l'appui sympathique et dévoué que lui prépare l'honorable M. Thonissen.

Du moment que nous aurons pour nous l'autorité de ces deux savants collègues, qui, d'après ce qu'ils viennent de déclarer, admettent le principe de la loi...

M. Thonissenµ. - Je fais des distinctions.

MfFOµ. - ... et la compétence législative, nous aurons leur opinion contre cette prétention exorbitante, celle précisément que je voulais signaler, c'est que nous sommes incompétents pour nous occuper du temporel des cultes, qui est une question ressortissant des pouvoirs de l'Eglise, et qu'on ne peut, sans cesser d'être catholique, accepter la discussion des principes d'un pareil projet de loi.

M. Thonissenµ. - Nous nous expliquerons.

MfFOµ. - Je vous prie de vouloir bien considérer que nous examinons ici une situation politique, les causes qui l'ont produite, les motifs de l'agitation qui, dites-vous, règne dans le pays, les raisons pour lesquelles nous sommes au ministère, et pour lesquelles il y a une majorité libérale et une minorité catholique.

C'est l'honorable M. Delcour qui a apporté hier à cette tribune la question que j'examine aujourd'hui.

M. Dumortier. - Il l'a apportée ici. Mais sommes-nous soumis à une domination extérieure ? Voilà la question.

M. Wasseige. - Vous avez choisi notre exemple, mais vous ne l'avez pas continué.

MpVµ. - Laissez-le continuer.

MfFOµ. - Si l'on cesse d'être catholique en reconnaissant la compétence de l'autorité civile en matière de temporel des cultes, comment échapperez-vous à l'influence qui vous domine ?

Je disais donc, messieurs, que cette situation, que vous signalez comme si fatale au pays, est née des exigences que le clergé vous condamne à défendre. Nous en avons de nouvelles preuves dans la manière dont grandissent successivement les prétentions cléricales.

Pendant trente ans, il a été question de cette loi sur le temporel des cultes en Belgique. Les autorités ont été entendues et consultées, le pouvoir législatif a été sollicité par voie de pétition ; on s'est adressé au gouvernement et aux Chambres. Les corps constitués, les conseils provinciaux ont demandé des modifications à la loi qui nous régit maintenant.

Il est arrivé même qu'un évêque, ayant à s'expliquer il y a vingt-cinq ans sur cette matière, a dit : « A qui doit être confié le contrôle, le droit d'approbation de la gestion, si ce n'est a ceux qui doivent payer. » et aujourd'hui, que nous voulons régler par une loi une matière qui a été gouvernée jusqu'à présent par un simple décret, le décret de 1809, on met en avant une doctrine exorbitante, qui appartient au moyen âge, et l'on nous dit : « Vous êtes incompétents pour vous occuper de ces questions ; vous n'avez pas le droit de statuer sur ces matières ; l'Eglise a le droit de posséder des biens, sans contrôle aucun de la part de l'autorité civile ; nous repoussons l'intervention des pouvoirs publics en cette matière de la manière la plus énergique, la plus invincible. » (Interruption.)

C'est donc le droit divin que l'on veut introduire en Belgique, en plein XIXème siècle, sous l'empire de nos libres institutions ! (Interruption.)

Voilà quel doit être pour vous le couronnement de tous les principes de liberté déposés dans notre Constitution !

M. Rodenbach. - Nous voulons la Constitution,

MfFOµ. - Ainsi, le droit divin pour chacune des questions que je viens d'examiner : En matière d'enseignement, le droit divin : ite et docete . Le droit divin en matière d'associations religieuses : c'est l'Eglise qui décide quelles sont les institutions qui lui conviennent et les choses qu'elles peuvent posséder.—Le droit divin en matière de fondations de bourses. Le droit divin en matière de temporel des cultes.

Voilà les prétentions exorbitantes, incroyables, qui se font jour dans notre pays et que vous êtes condamnés à défendre ! (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Nous sommes parfaitement libres. C'est une injure.

- Voix à gauche. - Allons donc !

MfFOµ. - Voilà pourquoi, à défaut d'oser aborder franchement toutes ces questions, vous cherchez (page 66) ces futilités qui ont été tout à l'heure apportées dans ce débat par l'honorable M. Royer de Behr ; voilà pourquoi vous feignez de chercher quelles sont les causes qui inspirent contre vous, contre vos opinions, contre le parti catholique, une si vive répulsion dans le pays. Mais celles que j'ai signalées, celles-là sont fondamentales, et elles vous feront succomber à l'avenir comme elles vous ont fait succomber si souvent dans le passé.

M. Delaetµ. - C'est votre espoir.

MfFOµ. - J'ai des raisons fondées d'avoir de pareilles espérances, lorsque je consulte le passé. Quoi ! vous oubliez que, depuis 1840, il a été impossible à l'opinion catholique de gouverner sous son drapeau ! Elle a dû presque toujours demander des aides, des auxiliaires au parti libéral.

Un moment, il est vrai, nous avons vu au pouvoir les honorables MM. de Theux et Malou ; mais immédiatement le pays a condamné leur politique, qui est la vôtre, qui est surtout celle du pouvoir extérieur auquel vous vous êtes dévoués.

Depuis 1847, pendant un espace de dix-huit années, les libéraux ont été presque invariablement au pouvoir. C'est par accident et par suite de nos propres divisions qu'une fois, depuis cette époque, le parti catholique y est arrivé avec des hommes qui le représentaient dans sa nuance la plus modérée. Mais ils furent incontinent dans l'obligation bien dure et bien pénible de venir soulever, dans un moment difficile, malgré nos avertissements, une question des plus irritantes. (Interruption.)

Eh mon Dieu ! qui ne se souvient que, si la mise à l'ordre du jour du projet de loi sur la charité a été demandée dans cette Chambre, c'a été une sorte de punition infligée à une résistance qui avait été tentée par le ministère... (Interruption)... cela a été expliqué vingt fois - à une résistance à des demandes de destitutions auxquelles le cabinet ne voulait pas acquiescer.

Donc cette fois vous arrivez au pouvoir, et le pays consulté vous en repousse ; et chaque fois qu'il a été consulté, chaque fois qu'il a été placé en face de vos prétentions, chaque fois qu'il a été appelé à se prononcer entre le privilège et la liberté, le pays, qui veut nos institutions libérales, qui les veut pratiquées selon leur esprit et suivant leur texte, le pays vous a condamnés. Il ne faut pas vous y tromper, messieurs : le pays qui est modéré, essentiellement modéré, a horreur des prétentions cléricales ; il n'entend pas les subir, pas plus qu'elles ne sont supportées aujourd'hui dans toute l'Europe, car s'il y a un mouvement prononcé dans toute l'Europe, c'est le mouvement anticlérical ; d'un bout de l'Europe à l'autre, c'est le mouvement qui se manifeste avec le plus de vivacité.

Le pays, dis-je, vous a repoussés et il continuera à vous repousser, malgré les apparences sous lesquelles vous vous efforcez de vous montrer à lui. Quels que soient les moyens que vous employiez, que vous feigniez d'être démocrates, que vous apportiez un programme prétendument démocratique, que vous donniez la main aux radicaux, comme le dit l'honorable M. Royer de Behr, le pays ne s'y trompera pas ; ce qu'il verra toujours, dans toutes les circonstances, partout, ce sont les prétentions cléricales, qu'il s'agit pour vous de faire triompher ; le pays comprend très bien, trop bien à votre gré, que vous n'invoquez les libertés proclamées par la Constitution, que pour en faire le prétexte des privilèges anciens de l'Eglise que, par tant d'efforts, on cherche à rétablir.

Messieurs, que n'a-t-on pas fait pour essayer à toutes les époques d'écarter du pouvoir l'opinion libérale ?

Dans une première phase, on a dit : Ces libéraux sont des hommes dangereux ; les libéraux n'ont pas l'esprit gouvernemental ; les libéraux ont derrière eux les radicaux ; prenez garde, ils traînent après eux la révolution, et durant quelques années, c'est grâce à ces accusations habiles, sinon loyales, que l'on a pu maintenir de la politique mixte.

Quand enfin le corps électoral, éclairé sur vos tendances, sur vos prétentions, s'est prononcé en faveur de l'opinion libérale et l'a mise en possession du pouvoir, un langage plus menaçant s'est fait entendre. On a dit, on a répété, sachant à quelles oreilles on voulait s'adresser : Prenez garde ! Souvenez-vous de Joseph II et de Guillaume Ier !

Mais l'opinion libérale, malgré ces menaces aussi vaincs qu'insensées, ne s'est pas émue. Alors que vous pensiez porter la révolution dans les plis de votre manteau, et que vous vous imaginiez pouvoir à votre gré la jeter sur le pays, l'opinion libérale a accompli pacifiquement son œuvre. Elle a exercé le pouvoir fendant dix-huit ans presque sans interruption, et sans que le pays ait été un seul instant troublé.

Et aujourd'hui, voyant le peu d'effet des fantômes au moyen desquels vous avez essayé d'effrayer les populations, on nous fait une autre menace, on nous dit : Prenez garde ; nous pourrions laisser faire l'étranger, si nous ne passions à l'ennemi. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Qui a dit cela ?

MfFOµ - Voilà les trois phases par lesquelles vous avez passé.

Messieurs, c'est sous prétexte de sagesse, de modération et de conciliation, c'est sous prétexte, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Royer de Behr, de rétablir la devise de la patrie, l'union fait la force, que l'on nous tient ce langage. C'est par prudence qu'on nous avertit qu'il y a des dangers.

Ces dangers on ne les voyait pas : mais le pilote les a vus ! C'est la vigie de la Belgique qui les a signalés. Heureusement cette vigie était là qui veillait. Elle est montée dans sa tour, aussi haut qu'elle pouvait monter. (Interruption.) Cette vigie, qui découvre ce que d'autres ne sauraient voir, aperçoit, quand on est en 1840, que le pays est irrité, qu'il faut nécessairement renverser le ministère libéral où siègent des hommes terribles, presque des criminels, des hommes dangereux pour le pays, en un mot, des radicaux, tels que M. Lebeau, M. Rogier, M. Leclercq, M. Liedts et M. Mercier, M. Mercier même !

Mais cette vigie si clairvoyante, si perspicace ne s'aperçoit pas qu'en ce moment une guerre générale paraît imminente, et que la Belgique peut être menacée d'une occupation, si elle n'est pas en mesure de défendre sa neutralité. C'est lorsque le Roi vient, dans le discours du Trône, révélant cette situation politique grave, déclarer que la Belgique aura une neutralité forte et loyale, c'est dans ce moment que la vigie ne s'aperçoit que d'une seule chose : c'est qu'il faut renverser le ministère libéral ; tant elle s'est occupée toujours, et à toutes les époques, de toutes les situations extérieures !

En 1856, le congrès de Paris est assemblé ; on y fait entendre des paroles assez inquiétantes pour la Belgique. L'honorable M. Vilain XIIII est interpellé dans cette Chambre ; il répond ce mot patriotique, et c'est un mot que restera : « De changement à la Constitution, jamais ! » On ne peut certainement ignorer dès lors qu'il y a une situation extérieure inquiétante ; et c'est précisément ce moment que l'on choisit pour soulever de la part de la droite les questions les plus irritantes. C'est dans ce moment que, malgré les avertissements de l'opposition qui ne demandait pas la discussion, qui la repoussait, c'est dans ce moment, dis-je, que l'on vient apporter au milieu de vous ce projet de loi sur la charité, qui était de nature à troubler si profondément le pays. Et la vigie ne voyait rien de grave pour la Belgique dans la situation de l'Europe ! La vigie ne jetait pas alors le cri d'alarme. Elle concentrait toute son attention sur un projet qui devait consacrer les plus déplorables prétentions de son parti.

Et aujourd'hui que rien, absolument rien n'est de nature à inquiéter le pays, on vient nous dire, par un simple calcul de parti : Taisons-nous, apaisons nos discordes ; il faut, pour sauver la Belgique d'un prétendu danger qui n'existe pas, que l'opinion libérale cesse de résister aux prétentions du parti clérical, si excessives qu'elles puissent être.

Messieurs, je suis convaincu, comme les honorables membres de l'opinion libérale qui ont pris la parole dans cette discussion, que l'on vous a calomniés en faisant croire, en laissant croire, surtout à l'étranger, que vous seriez indifférents à la situation qui serait faite à la Belgique, dans certaines éventualités. (Interruption.) Je suis convaincu que, tous, tous, vous sauriez, comme nous, défendre nos institutions et notre indépendance.

M. Van Overloopµ. - Cela est évident.

M. Thonissenµ. - Qui a dit le contraire ?

M. Delaetµ. - Le pays en est convaincu.

M. Dolezµ. - Alors M. Dechamps est condamné.

MfFOµ. - Vous me demandez : Qui a dit le contraire, alors que nous sommes en présence d'une brochure qui ne signifie rien, si elle ne signifie pas ce que je viens de dire.

M. de Naeyerµ. - Pas du tout.

M. Delaetµ. - Le pays est convaincu de notre patriotisme.

M. Vilain XIIIIµ. - Le patriotisme de M. Dechamps ne peut être mis en doute. Il ne révèle aucun fait extérieur qui ne soit le secret de polichinelle que tout le monde ne connaisse.

MfFOµ. - Vous l'avez dit : il ne révèle aucun fait qui ne soit le secret de polichinelle et que tout le monde ne connaisse ; et c'est pourquoi, sans doute, on a vanté son étonnante perspicacité ; c'est pourquoi il s'imagine avoir découvert ce que personne n'avait encore vu.

(page 67) M. Vilain XIIIIµ. - Mais toutes les conséquences qu'il en tire sont pleines du plus pur patriotisme.

MfFOµ. - Eh bien, quant à moi, je n'admets pas qu'il y ait du patriotisme à prendre prétexte des secrets de polichinelle, pour dénoncer à l'étranger les désaccords qui existent entre nous, comme pouvant être jamais, pour l'un ou l'autre parti, une raison de manquer à son devoir si quelque danger extérieur menaçait le pays.

M. Vilain XIIIIµ. - Il y a 10 ans qu'on le dit.

MfFOµ. - Il y a 10 ans qu'on a tort de le dire.

- Un membre : Il y a 20 ans qu'on le dit.

MfFOµ. - Il y a 20 ans qu'on a tort de dire que, dans un pays libre, il ne peut pas y avoir de discussions. (Interruption.)

C'est, dit M. Nothomb, à cause de l'oppression que nous faisons peser sur vous ! Cette oppression, vous n'y pouvez croire vous-mêmes, et le pays surtout n'y croit pas.

Messieurs, je viens d'examiner toutes vos prétentions ; je les ai suivies pas à pas, je vous les ai montrées se développant graduellement, je vous ai signalé le point où elles sont arrivées aujourd'hui. Eh bien, il dépend de vous de mettre un terme aux discussions dont vous vous plaignez, en condamnant ces prétentions cléricales, que d'ailleurs le pays saura repousser. (Interruption.)

(page 69) M. de Theuxµ. - Je commencerai par remercier M. le ministre des finances de la rude franchise qu’il a apportée dans cette discussion.

Il est certain que M. le ministre des, finances ne changera pas un iota à sa politique, qui est antinationale ; la minorité et le pays sont avertis.

Voilà la situation claire et nette, voilà le résumé du discours de M. le ministre des finances.

M. le ministre vient accuser mon honorable ami M. Dechamps de préparer l'invasion de la Belgique.

Depuis que j'ai entendu attaquer la brochure, j'ai tenu à la relire. J'y ai trouvé deux points importants : l'un relatif à la politique intérieure et aux divisions provoquées par le gouvernement, le second relatif à la politique extérieure. Quant à la politique extérieure, a-t-on oublié un écrit que M. Masson a publié en 1854 ? Que disait cette brochure ? Que les races allemande et slave étaient trop fortes, qu'elles se multipliaient trop en comparaison de la race latine, et qu'il fallait unir cette dernière race en entier contre les races slave et allemande. La race latine comprenait la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Belgique, même une partie de la Hollande, les deux rives du Rhin jusqu'à son embouchure.

Qu'avons nous vu, messieurs ?

La guerre d'Italie a amené la première réalisation du système de M. Masson.

La France s'est fortifiée par l'annexion de la Savoie et de Nice ; elle s'est fortifiée par le royaume d'Italie ; elle s'est rendue invulnérable de ce côté.

Désormais toutes ses forces peuvent se concentrer sur le Rhin.

Lors de la discussion de la reconnaissance du royaume d'Italie nous avons signalé les dangers du système d'annexion, et nous avons dit qu'il ne fallait pas y applaudir. Depuis cette époque, un nouveau projet d'annexions s'est fait jour, c'est dans le Nord de l'Allemagne.

Il s'y est formé une grande association de soi-disant patriotes allemands se réunissant à Francfort pour travailler à l'unité allemande sous la domination prussienne ; c'est la politique du comte de Bismarck.

Ne vaut-il pas mieux appeler l'attention de toutes les puissances sur les dangers qui les menacent et qui nous menacent nous-mêmes ? Si la politique de M. de Bismarck venait à se réaliser, les arguments de M. Masson prendraient évidemment une nouvelle force.

Ce ne sera pas M. Dechamps, ce sera M. Matton qui, en 1854, aura, en quelque sorte, prophétisé le sort futur de la Belgique et d'une partie de la Hollande et de l'Allemagne.

Je crois, messieurs, que les Allemands auront assez de patriotisme pour ne pas s'engager dans une voie si dangereuse pour leur propre indépendance.

Je crois que le souverain qui gouverne (erratum, page 83) la Prusse aura assez d'honneur pour ne pas envahir les Etats de ses voisins.

Cette politique lui serait inévitablement fatale ; car du jour où la France occuperait la ligne du Rhin, l'Etat unitaire de l'Allemagne ne serait, en quelque sorte, que le vassal de cette grande puissance.

Voilà la vérité, et, sous ce rapport, j'applaudis M. Dechamps d'avoir appelé l'attention sur la situation qu'on prépare à l'Allemagne et qu'on nous prépare par la suite.

Dans son discours, M. le ministre des affaires étrangères dit que l'avènement du ministre de la justice n'est pas un recul, que c'est plutôt un avancement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'a pas dit cela ; il a dit que mon avènement n'était ni un pas en avant ni un pas en arrière.

M. de Theuxµ. - Ne jouons pas sur les mots : M. le ministre a dit : C'est plutôt un pas en avant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il y a des progrès modérés.

M. de Theuxµ. - D'après M. le ministre des finances, la politique du parti conservateur est condamnée depuis 1847.

Jusqu'en 1846 il s'était associé des libéraux modérés ; c'est une preuve de sa faiblesse ; je dis : C'est précisément là une preuve de sa modération.

Depuis le Congrès jusqu'en 1846, cette opinion a toujours gouverné le pays, et je pense que le pays ne s'en est jamais mal trouvé.

En 1846, les catholiques ont été obligés de prendre seuls le pouvoir.

Je pense avoir fait un acte de dévouement en acceptant le ministère, car la royauté était dépouillée de sa plus belle prérogative.

En effet, à cette époque il fallait au parti libéral un blanc seing pour la dissolution des Chambres ; nous avons obtenu une majorité constante dans les deux Chambres jusqu'aux élections de 1847. Alors, le mouvement révolutionnaire minait l'Europe ; nous avons eu le Congrès libéral ; on avait en France les banquets. Le ministre de France me disait : « Prenez garde au congrès libéral ». Je répondais : « La Constitution ne permet pas de l'empêcher, mais prenez garde aux banquets ! »

La prophétie n'a été que trop justifiée ; en France, le trône s'est écroulé, en Belgique, il est resté debout.

Le parti conservateur avait encore une majorité de quelques voix après les élections de 1847, bien que celles-ci eussent été dominées non seulement par la crise révolutionnaire, mais aussi par une crise alimentaire et industrielle.

Je n'hésitai pas à résilier le pouvoir.

En 1848 est venue la révolution de France, et qu'a fait le gouvernement libéral ? Il a modifié profondément nos lois électorales. C'était un moyen de s'assurer une majorité ; on nous a souvent reproché d'avoir voté ces lois. C'est qu'à cette époque révolutionnaire nous avons cru nécessaire de donner notre concours au gouvernement.

La phase principale de la crise politique étant passée, le gouvernement a dissous les deux Chambres, les conseils provinciaux, les conseils communaux et les journaux officieux ont proclamé que si le gouvernement n'obtenait pas une majorité, l'avenir du pays était compromis. Le pays, sous cette impression, a formé une Chambre libérale. Le parti conservateur a été réduit (erratum, page 83) à 25 voix.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le clergé s'est abstenu.

M. de Theuxµ. - Non. Ce fut le résultat des modifications aux lois électorales, de l'admission du droit de débit des boissons distillées et de la situation politique. Cette situation de minorité ne m'a point découragé.

J'ai dit : Attaquons le gouvernement dans ses actes et défendons nos principes ; des temps meilleurs viendront.

On disait à cette époque qu'il ne fallait plus de ministres de Belgique à Berlin, à Vienne, mais bien à Francfort auprès du nouvel empire germanique.

Je disais : C'est un empire sur le papier. Vienne et. Berlin subsisteront et nos ministres y resteront.

Cette prophétie s'est réalisée, ce que j'avais prédit pour l’intérieur s'est réalisé également ; le parti conservateur est redevenu bientôt majorité. En 1856, le nouveau ministère avait dans son programme la liberté de la charité ; il se dit : C'est une œuvre d'humanité ; une œuvre chrétienne, nous tenons avant tout à ce que ce programme soit converti en loi. Vous avez souvent rendu hommage à MM. de Decker et, Vilain XIIII, à leur modération, à leur libéralisme ; eh bien, comment avez-vous accueilli ces honorables membres ? Vous avez discuté le point principal de leur programme avec une violence inouïe. Voilà comment vous avez réalisé votre concours. N'avons-nous pas vu ce ministère harcelé à propos d'une simple question de poids et mesures, à propos du point de droit de savoir quel officier ministériel pourrait dresser procès-verbal. La discussion qui s'éleva à ce sujet dura trois jours ; de la vie je n'oublierai la honte de cette discussion. et c'est là l'opposition qu'on nous représente comme modèle ; c'est par trop fort !

Comment, lors de la retraite de ce ministère, la majorité actuelle est-elle arrivée au pouvoir ?

Ne dissimulons rien. Quel était le motif principal ? Le nouveau cabinet promet son concours pour les fortifications d'Anvers, il dissout les Chambres au milieu de la fermentation que l'opinion libérale avait provoquée dans le pays.

Beaucoup de nos amis à cette époque renonçaient à leur candidature ; un projet d'abstention générale était mis en avant, je m'y opposai de toutes mes forces, et je dis : Fussé-je seul, je me présenterai encore.

Les honorables MM. de Gerlache et de Sécus avaient défendu de grands intérêts aux états généraux, appuyés seulement de quelques membres sans influence, d'une douzaine à peine, et M. Van Maanen lançait à cette petite minorité l'outrage et le mépris, il poursuivait sa politique.

A la fin, la plus grande partie de mes amis consentirent à présenter leur candidature au dernier moment, lorsque déjà la lutte électorale était engagée partout, la candidature des adversaires posée.

Eh bien, messieurs, malgré cette circonstance défavorable, nous fûmes en nombre presque égal.

Et encore comment triompha-t-on ? A Louvain, l'exaltation était tellement grande que l'administrateur de la sûreté publique, que je rencontrai dans un convoi de chemin de fer, me dit qu'il était obligé de se rendre à Louvain pour empêcher l'effusion du sang.

Comment la Chambre fortifia-t-elle sa majorité ?

Par des votes contradictoires, on a invalidé des élections d'Ath, de Louvain et de Dinant ; quelque temps après, la majorité conservatrice se reforme dans le Parlement. En 1864, on nous présente une loi électorale (page 70) pour adjoindre de nouveaux membres à certains districts, contrairement à la loi fondamentale d'organisation électorale.

La révision devait être faite après 10 ans, mais il fallait profiter immédiatement de la situation de quelques districts pour se renforcer. Nous nous retirâmes alors, et le gouvernement profita habilement de notre retraite.

Le programme de M. Dechamps et de quelques-uns de ses amis avait été discuté avec passion, on en fit un monstre, on fit croire au pays que le Roi croyait sa couronne en quelque sorte ébranlée si le parti conservateur triomphait.

Mais quels moyens avez-vous encore employés pour assurer votre victoire ? En 1864 comme en 1857, vous avez eu recours a une mesure de pression qui n'avait pas encore eu de précédent en Belgique. Vous avez fait assembler tous les conseils communaux ; vous avez prescrit aux bourgmestres de lire votre circulaire agressive au parti conservateur et laudative du ministère. Il n'y a pas un pays en Europe où le régime électoral est pratiqué où de pareils faits se soient passés. Et après cela, on viendra nous dire sérieusement que le gouvernement n'a pas pesé sur les élections !

(erratum, page 83) Vous avez usé de toutes les influences des administrations publiques des administrations de bienfaisance pour obtenir des voix.

A Gand, messieurs, l'irritation était effrayante en 1864. A Bruxelles même, je ne parle pas des bureaux d'élections et je me plais à rendre cet hommage à leurs présidents ; mais dans les rues il y a eu des attroupements. (Interruption.) C'est l'exacte vérité.

- Voix à gauche. - C'est bien la première fois qu'on nous parle de cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et à Marche, où vos électeurs ont été condamnés ?

M. de Theuxµ. - Je pourrais vous opposer Bastogne. Mais, messieurs, à quoi bon nous occuper des écarts de quelques hommes passionnés ? Je passe aux fonctionnaires supérieurs et je dis que jamais nous n'avons pesé sur eux.

Vous prétendez que vous non plus vous n'avez jamais exercé de pression sur eux. Je ne fais pas grande difficulté de le croire, car en 1847 vous avez eu soin, pour n'avoir plus besoin de pression ultérieure, de destituer en masse les fonctionnaires et de les remplacer par des hommes qui vous étaient dévoués. Après cela, je le comprends, il n'était plus guère nécessaire de faire des réunions de fonctionnaires pour les intimider, car l'intimidation pesait déjà suffisamment sur eux.

Bien plus, en 1847, je demandai au ministère si des fonctionnaires membres de la Chambre étaient libres de prendre part aux discussions, s’ils étaient libres de voter comme ils l'avaient fait jusqu'alors. Et, en effet, messieurs, un seul ministère avant 1847 a destitué un ou deux fonctionnaires à raison de votes émis ou d'opinions professées dans cette chambre ; je me rappelle entre autres M. de Smet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et M. Delehaye.

M. de Theuxµ. - Ce ne fut pas comme représentant. Je pourrais citer encore un ancien procureur du roi à Nivelles.

Mais, messieurs, ces hommes politiques furent démissionnes parce qu'ils s'étaient mis en opposition ouverte avec le gouvernement. J'ajouterai encore M. le baron de Stassart qui, en sa qualité de gouverneur du Brabant, avait fait écarter M. d'Aerschot et qui se fit élire dans trois districts. M. de Stassart avait été prévenu que s'il continuait cette opposition il serait révoqué de ses fonctions ; il ne tint point compte de cet avertissement et je n'hésitai pas à provoquer sa destitution. Je dirai même que si cette révocation ne m'avait pas été accordée, je me serais cru indigne de tenir encore le portefeuille de l'intérieur.

Voilà ce que j'ai fait, messieurs ; mais, dans toute ma carrière ministérielle, je n'ai jamais fait injonction à des fonctionnaires publics de voter et de travailler pour des candidats du gouvernement. J'ai toujours déclaré, dans cette Chambre et partout, que les fonctionnaires publics étaient libres dans leur vote, mais qu'ils n'étaient pas libres de travailler contre les membres du parlement qui appuyaient la politique du gouvernement. Si des fonctionnaires ont agi dans des élections, ils l'ont fait spontanément sans aucune espèce d'ordre ; ils l'ont fait conformément à leurs convictions.

Mais, nous dit-on, vous êtes tellement abaissés dans l'opinion du corps électoral que vous n'avez plus rien à espérer dans l'avenir. Messieurs, si nous sommes encore en minorité, cela tient aux mutilations que vous avez fait subir à la loi électorale Et cependant vous venez de faire voter dans cette Chambre un projet tellement monstrueux que je le considère comme un véritable changement à la Constitution.

Oui, messieurs, les mesures que cette loi renferme, les difficultés qu'elle présente pour les électeurs ruraux équivalent à un changement à la Constitution ; elles consacrent une véritable mise hors la loi d'une partie du corps électoral.

Est-ce là une preuve de votre confiance dans le pays, une preuve de la répulsion par le pays du parti conservateur ?

D'honorables membres de la gauche ont compris que, pour réparer en partie l'injustice dont les électeurs ruraux seront victimes, il convenait de défrayer les électeurs et de proposer le principe de l'indemnité. Je les remercie vivement et leur saurai toujours gré de cette courageuse initiative, parce que la mesure qu'ils ont proposée est loyale et juste, et que, sans elle, on peut dire que le corps électoral est vicié dans sa base.

Messieurs, vous vous vantez de votre position, mais nous aurions bien plus de raison de (erratum, page 83) nous vanter des sympathies du corps électoral, car c'est à ces sympathies que nous devons d'avoir pu lutter si souvent avec des succès égaux et parfois même de triompher en dépit d'une loi électorale qui permet la fabrication en grand de faux électeurs au moyen de l'impôt sur le débit de boissons distillées, et en dépit de la rupture de l'équilibre établi par le Congrès national lui-même, le cens différentiel.

Le clergé, dit-on encore, intervient dans les élections ; le clergé domine dans les Chambres. Mais ne serais-je pas mille fois plus fondé à vous dire que les loges vous dominent, que les loges dirigent votre politique, et votre parti dans les élections ? Si donc il était vrai que le clergé intervînt dans les élections, il ne ferait, en somme, qu'opposer son influence à celle des loges ; mais encore cela ne justifierait-il pas la pression exercée par le gouvernement.

Et puisque je suis amené à traiter ce sujet, permettez-moi, messieurs, de vous dire quelques mots de cette intervention du clergé dans les élections. Je tiens à ne laisser aucun doute sur mes sentiments à cet égard.

J'ai toujours pensé que les membres du clergé, comme tous les autres citoyens, doivent intervenir dans les élections modérément. (Interruption.) Oui, modérément ; que le clergé pas plus que le grand propriétaire ou que le fonctionnaire public ne devait exercer aucune pression sur l'électeur. Qu'on donne des conseils aux électeurs sur le choix des candidats, rien de plus légitime, mais il faut que l'élection soit complètement libre.

Maintenant quels griefs peut-on faire au clergé ? On a été jusqu'à lui reprocher d'avoir voté pour des incroyants, pour des hommes qui n'étaient pas catholiques. Mais, messieurs, cela s'est vu pour les élections au Congrès national et pour les élections aux Chambres, qui ont eu lieu dans les premières années du régime actuel. Personne ne songeait alors à faire au clergé un grief de voter pour des candidats qui n'étaient pas catholiques. J'ai entendu naguère un évêque de Strasbourg qui disait : « Je voterai pour tel ou tel candidat protestant qui professe les principes de la liberté pour les catholiques comme pour les autres, qui est partisan de la liberté d'enseignement, et je combattrai, autant qu'il sera en mon pouvoir, tel candidat catholique qui ne veut pas de la liberté d'enseignement. »

Messieurs, la révolution de 1830 aurait-elle pu s'accomplir, serions-nous aujourd'hui une nation indépendante, si nous n'avions pas suivi ces errements sous le gouvernement des Pays-Bas ? Les minorités opprimées, tout en réservant leurs opinions, se donnent la main, pour assurer le succès des élections, quand ces élections doivent aboutir à la chute du régime qui les opprime. Les catholiques n'ont-ils pas alors fait alliance avec M. Tielemans et M. de Potter ? Et n'est-ce pas l'union des catholiques avec les libéraux éminents de cette époque qui a amené la chute du gouvernement des Pays-Bas ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais ces libéraux n'ont rien rétracté de leurs opinions.

M. de Theuxµ. - Cette objection n'en est pas une. Si l'honorable M. d'Hane s'est porté candidat à Anvers, à la suite des fortifications de cette ville, et si le corps électoral l'a élu, c'est qu'il défendait un grand intérêt local ; mais assurément l'honorable M. d'Hane, à cette époque, n'a jamais annoncé l'intention de combattre soit la liberté de l'enseignement, soit la liberté des cultes ; il pouvait ne pas avoir de sympathie pour ces libertés ; toutefois, je l'ignore ; mais il n'a jamais manifesté, à l'époque des élections, des sentiments hostiles au culte, et le clergé n'avait aucun motif pour l'écarter.

J'ai déjà exprimé le vœu dans cette enceinte, et je le renouvelle aujourd'hui, de voir arriver le temps où, toutes les luttes religieuses étant apaisées, le clergé peut donner sa voix à tout homme, quel que fût, du reste, son culte, quels que fussent ses principes religieux ; à tout homme, dis-je, qui serait ami de son pays et partisan sincères de toutes (page 71) les libertés consacrées par la Constitution. Je n'ai jamais professé une autre opinion.

H y a longtemps que je siège sur ces bancs ; j'ai l'honneur d'être membre de la représentation nationale depuis le Congrès, j'ai longtemps fait partie du gouvernement et je puis dire que jamais on n'a tenté d'exercer une influence quelconque sur mes convictions, soit pour telle ou telle nomination, soit pour la présentation de telle ou telle loi, soit pour la défense de tel ou tel système.

« Mais, direz-vous, vous êtes catholique, et comme tel, il est inutile d'exercer sur vous une pression. »

Messieurs, je suis catholique, sincèrement catholique, et je suis heureux de l'être, parce que je crois que le culte catholique est le seul vrai, qu’il est la source la plus pure de la civilisation, qu'il est la garantie du bonheur présent et futur des peuples.

Et pourquoi, messieurs, ne défendrais-je pas mes convictions ? En les défendant, je crois non seulement servir ma propre conscience, mais rendre encore service à autrui. Aussi longtemps que je conserverai la foi catholique, je la défendrai, parce que je la crois utile à tous les hommes autant qu'à moi-même. Je n'ai donc pas besoin de subir la pression du clergé et parce que nous avons, à droite, les mêmes sympathies ou les mêmes croyances, peut-on penser que ce soit l'effet d'une pression ? Mais non, c'est l'effet d'une conviction personnelle. Quoi de plus naturel ?

On nous a interrogés sur l'encyclique de 1864. L'honorable M. Vermeire, au début de cette séance, a donné à cet égard des explications qui sont suffisantes ; je dirai seulement que je suis pour l'encyclique comme le cardinal archevêque de Malines, qui s'est expliqué sur ce sujet dans une lettre célèbre que nous avons tous admirée pour sa modération et pour le patriotisme qui l'a inspirée. Je suis pour l'encyclique comme l'évêque d'Orléans, ce prélat illustre, peut-être le plus grand de l'époque actuelle, et qui a reçu un bref de félicitation des plus complets de la part du saint-père.

Soyez certains, messieurs, que si les principes de la Constitution étaient en opposition avec notre conscience, nous nous croirions obligés et honorés de suivre ce qui est dit dans l'Evangile : « il vaut mieux perdre le corps et sauver l'âme. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'Evangile dit aussi : « Rendez à César ce qui est à César. »

M. de Theuxµ. - Oui, mais l'Evangile ajoute : « et à Dieu ce qui est à Dieu. » Et les plus grands Césars auront à lui rendre compte, comme les plus humbles sujets.

Messieurs, j'ai encore quelques observations à présenter ; je demanderai à pouvoir continuer mon discours dans la séance de mardi.

(page 67) - La séance est levée à 4 1/4 heures.