Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 novembre 1865

(Annales parlementaire de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Président de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 71) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :

« Des habitants de Namur prient la Chambre de statuer sur la pétition des secrétaires du parquet tendante à obtenir une augmentation de traitement. »

M. Lelièvreµ. - J'appuie cette pétition qui est basée sur des motifs irrécusables et j'en demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.

M. Royer de Behr. - Je me joins à l'honorable M. Lelièvre pour demander ce dépôt.

- Le dépôt est ordonné.


« L'administration communale de Verlaine prie la Chambre de s'occuper du projet de loi modifiant l'article 23 de la loi du 10 avril 1841, sur les chemins vicinaux. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Creminger, combattant et blessé de septembre, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Reeck, Ruykhoven et Brouckhem prient la Chambre de statuer sur leur demande tendante à ce que ces hameaux, dépendants de Bilsen, soient érigés en commune distincte sous la dénomination de Ruykhoven. »

- Même renvoi.


« M. le ministre des finances adresse à Chambre, en exécution de l'article 46 de la loi sur la comptabilité, les états sommaires des adjudications, contrats et marchés passés par les divers départements ministériels pendant l'année 1864. »

- Dépôt sur le bureau des renseignements.


« M. Jacquet fait hommage à la Chambre de 116 exemplaires d'une brochure traitant des grands travaux à exécuter à Bruxelles et dans la vallée de la Senne.é

- Distribution aux membres de la Chambre.


« M. Julliot, retenu chez lui pour affaires publiques, demande un congé de deux jours. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1866

Discussion générale

M. Royer de Behr (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai demandé la parole afin de rectifier un fait que j'ai avancé dans mon discours de samedi dernier.

Au sortir de la séance, M. le ministre de la justice a bien voulu me faire remarquer que la circulaire électorale que j'ai incriminée n'était pas signée par les honorables députés de Tournai. Ce qui m'a probablement induit en erreur, c'est que les noms qui sont au bas de la circulaire sont imprimés en gros caractères et frappent tout d'abord et presque exclusivement les regards.

Cette circulaire appartient tout entière à la Vérité, je veux dire au journal la Vérité.

Cependant, je désire faire remarquer que c'est un document ministériel, en ce sens qu'il soutenait les candidatures des ministres présents, de l'honorable ministre futur, d'un tiers de la présidence et de la moitié de la questure.

En Belgique, messieurs, je reconnais que les députés de la nation ne peuvent pas se faire les redresseurs de tous les torts politiques. Mais lorsque l'honorable M. Rogier s'est plaint avec une certaine amertume que tous nos journaux, ce qui était inexact, l'avaient représenté comme l'ennemi personnel du Roi, je n'ai pas marchandé mon désaveu. Or, je regrette de devoir le rappeler, quand je vous ai adjurés de protester, avec nous, contre toute manifestation, nous posant en adversaires d'une royauté que nous vénérons, que nous avons librement élue et qui repose sur le principe de la souveraineté et de la liberté nationale, vous avez gardé le silence. J'avais le droit de prendre acte de ce silence. C'est ce que j'ai fait.

MpVµ. - Le premier objet à l'ordre du jour est la discussion du budget de la justice.

La parole est continuée à M. de Theux.

M. de Theuxµ. - M. le ministre des finances, dans la dernière séance, avait énuméré plusieurs causes de nos échecs. Mais son appréciation n'était appuyée sur aucun fait authentique ; elle n'était basée que sur des suppositions, car qui peut démêler au juste quelles influences ont agi pour déterminer le corps électoral ? Ces influences sont si multiples et si variées qu'il est impossible de les attribuer à telle ou telle cause exclusivement.

Ainsi, messieurs, nous avons contesté les suppositions de M. le ministre des finances ; nous avons attribué plusieurs de nos échecs à des modifications très importantes apportées à la loi électorale faite par le Congrès national en 1831.

Nous avons énuméré d'autres causes, des circonstances politiques, et les influences extraordinaires du gouvernement.

(page 72) Nous pourrions y ajouter l'extension de la presse et des associations libérales, moyen constitutionnel que le parti conservateur a trop longtemps négligé. Aussi nous n'hésitons pas à le reconnaître : il y a dans le parti libéral plus d'activité et plus d'audace dans le travail électoral.

L'honorable M. Dolez disait, dans une de nos dernières séances, que depuis 1857 nous avions repoussé tout système transactionnel. Heureusement, dans une séance subséquente, cette preuve a été réduite à rien, quand il a été établi que le gouvernement n'avait pas consenti à l'amendement, lors de la discussion publique.

Je pourrais ajouter que mon honorable ami, M. Malou, avait présenté un amendement de conciliation, compatible avec le texte de la Constitution, et que cet amendement fut repoussé par presque toute la gauche, comme par le cabinet. Donc le système transactionnel avait été abandonné par le cabinet et par la gauche. Mais j'ai des faits accablants à citer à l'appui de cette assertion.

Prenons d'abord les discours du trône, la loi des bourses et la loi électorale.

Après que le ministère avait rédigé son discours du trône, discours que le Roi avait accepté ou qui avait été modifié du consentement du ministère, car c'est ainsi que les choses se passent pour la rédaction des discours du trône, nous avons vu la gauche, le parti ministériel, apporter à la situation de grandes aggravations, et le ministère s'y rallier et voter pour les adresses.

Au contraire, jamais amendement présenté par la minorité n'a été accueilli dans ces occasions.

Voyons maintenant la loi des bourses.

Le but primitif semblait être d'admettre une plus grande part des bourses au profit des universités de Bruxelles, de Gand et de Liège ; tel paraissait être l'unique objet des griefs articulés contre l'université de Louvain.

Eh bien, le projet arrive à la Chambre ; et que fail-on ? On comprend dans ce projet toutes les fondations d'éludés moyennes et toutes les fondations d'écoles primaires, alors que l'on sait que ces fondations n'ont aucune connexité avec les études de l'université de Louvain.

En effet, l'école primaire est fréquentée par les enfants de la localité ; il ne s'agit pas là de bourses. C'est une tout autre catégorie de fondations. Eh bien, loin de faire le moindre accueil aux amendements que nous avons proposés, le ministre a présenté ou s'est empressé d'accueillir les amendements qui englobaient toutes les fondations d'études primaires et d'études moyennes, alors qu'elles ne pouvaient avoir rien de commun avec les études faites à l'université de Louvain.

Dans la loi électorale en 1862, le gouvernement (erratum, page 83) ne proposait pas d'interdire les dépenses électorales ; il reconnaissait la perturbation que le système nouveau pouvait apporter dans le corps électoral. Il s'opposait alors au vote par ordre alphabétique. En 1864, le projet du gouvernement ne contenait pas le vote par ordre alphabétique.

Il n'interdisait pas d'une manière absolue les dépenses électorales ; il ne les interdisait qu'autant qu'elles fussent faites en vue d'influencer le résultat des élections.

Arrive la discussion publique.

Le gouvernement s'empresse d'accueillir un ordre alphabétique mitigé, mais cependant encore d'une nature très gênante et très inutile en ce qui concerne le collège électoral. C'est un ordre alphabétique dans chaque collège électoral. Il faut donc que les électeurs des communes les plus éloignées se trouvent à l'ouverture du scrutin comme ceux des communes les plus rapprochées.

D'autres inconvénients résulteront encore de cette modification.

Il accueille encore l'interdiction formelle de toutes les dépenses électorales.

Et c'est ainsi que le cabinet et la majorité pratiquent le système de conciliation.

Aucun des amendements présentés par nous dans cette longue discussion n'a été accueilli, et c'est nous, victimes de ce système, qui en sommes les auteurs ! Véritablement c'est un fait étonnant.

Messieurs, nous voyons réunis tous les signes les plus caractéristiques d'un gouvernement de parti. Aucun égard pour la minorité, tout pour la majorité ; lois, emplois, tout en un mot, toute influence pour la majorité ; pas même de justice pour la minorité.

Chaque session voit s'aggraver la situation et nous ne croyons pas que, même après la loi du temporel des cultes, ce sera fini.

Non, chaque session continuera à apporter quelque aggravation nouvelle, pour détruire l'influence sociale de notre culte et diminuer ainsi son respect parmi les populations et accroître l'influence des électeurs libéraux,

Voilà la situation nette, précise, et je crois qu'il est impossible de me contredire.

Nous voyons encore, messieurs, s'aggraver les attaques contre la minorité, lui imputer griefs sur griefs et le refus de jour en jour plus dessiné d'accorder le moindre redressement de nos griefs.

Si ce ne sont pas là les caractères législatifs d'un gouvernement de parti, il faut renoncer à toute appréciation politique.

M. le ministre des finances a ensuite passé à la justification de quelques-uns de ses actes, et là, il ne s'est pas fait faute d'attaques contre la minorité.

D'abord, en ce qui concerne les bourses universitaires, M. le ministre des finances nous a dit qu'il n'avait rien fait autre que ce que le gouvernement des Pays-Bas avait fait, que le gouvernement des Pays-Bas avait rétabli les bourses universitaires, et les avait affectées aux trois universités du gouvernement.

Aujourd'hui le gouvernement permet de les affecter à toutes les universités.

Messieurs, la permission d'affecter les bourses de fondation à toutes les universités n'est pas nouvelle, je l'ai toujours pratiquée. Jamais je n'ai admis que les boursiers ne fussent pas libres de fréquenter l'université qu'il trouvait bon. Mais ce n'est pas là la question. Le gouvernement a évidemment dépouillé ces fondations de leurs administrateurs.

Elle a créé un système diamétralement oppose à celui du gouvernement des Pays-Bas.

Le gouvernement des Pays-Bas posait en tête de ses arrêtés qu'il voulait autant que possible suivre l'exécution de la volonté des fondateurs. Qui oserait aujourd'hui mettre un pareil considérant dans la loi sur les bourses ?

On a dit : L'université de Louvain accaparera nécessairement la plupart des bourses.

Pourquoi ? Parce que le receveur de ces bourses réside à Louvain, parce que les collateurs étaient choisis parmi les habitants de Louvain.

Eh bien, messieurs, ce grief on aurait pu le faire sous le gouvernement des Pays-Bas, car la recette des bourses a toujours été faite à Louvain.

Les collateurs des bourses sous le gouvernement des Pays-Bas, pour les trois universités étaient également domiciliés à Louvain.

C'étaient un grand nombre de curés des paroisses de Louvain, c'étaient des professeurs de l'université, des fonctionnaires publics.

Lorsque l'université de Louvain a été supprimée, le gouvernement belge n'a pu continuer aux professeurs de l'université catholique la collation des bourses ; ils ont été remplacés par d'autres fonctionnaires publics.

C'est ce que le gouvernement belge pouvait faire pour rester dans les mêmes errements que le gouvernement des Pays-Bas.

Par la nouvelle loi de 1864, l'administration de tous les revenus, pour le Brabant, est érigée à Bruxelles.

Une commission est nommée par la députation du conseil provincial en dehors de toutes les règles prescrites par les actes de fondation. A qui cette commission conférera-t-elle de préférence les bourses universitaires ? Mais le bon sens le dit : cette commission résidant à Bruxelles, composée par la députation permanente qui a son siège à Bruxelles, subit toutes les influences de la capitale.

La capitale, qui a son université, recueillera la plus grande part et les universités de Liège et de Gand, qui ont fait chorus avec l'université libre pour la fondation des bourses, se trouveront très étonnées de voir que leurs parts seront peu considérables, et la spoliation des bourses (erratum, page 83) ne leur profitera pas.

Messieurs, l'honorable ministre des finances a aussi cherché à justifier l'attitude du gouvernement dans la question des cimetières. Cette question, nous l'avons inventée à plaisir pour embarrasser la marche du gouvernement.

Mais, messieurs, qui a entamé la question des cimetières ? Evidemment c'est le gouvernement.

Qui a soutenu et approuvé tous les abus commis par les administrations communales ?

Le décret de 1804, en divisant les cimetières par cultes dans les communes où plusieurs cultes sont exercés, a évidemment reconnu un grand principe fondé sur la liberté des cultes.

(page 73) En définitive il est de notoriété publique, il faudrait être d'une ignorance crasse pour ne pas le savoir, que l'Eglise catholique a toujours béni ses cimetières et qu'elle a toujours considéré comme une profanation l'introduction du cadavre d'un homme mort hors du sein de l'Eglise.

Vous savez que les enfants de parents catholiques, quand ils n'ont pas été baptisés, ne peuvent être, d'après les rites, enterrés dans la partie bénite du cimetière, et l'on a dit que ce n'est pas la une question religieuse de premier ordre et que ce n'est pas entamer la liberté des cultes consacrée par notre Constitution que de permettre sciemment et violemment la violation de la partie bénite du cimetière.

M. Giroulµ. - Et à Paris.

M. de Theuxµ. - Je ne m'inquiète pas de ce qui se fait dans quelques grandes villes.

M. Van Wambekeµ. - Nous ne sommes pas à Paris ici.

MfFOµ. - Et à Liège, à Mons, à Tournai, partout.

M. de Theuxµ. - Je ne nie pas que dans l'une ou l'autre grande ville, à raison de circonstances particulières dont je ne puis pas apprécier l'importance ou la valeur, l'esprit du décret n'a pas été complètement observé.

Je ne nie point ces quelques faits particuliers, mais je dis que la pratique de bénir les cimetières est constante, universelle tant en Belgique qu'en France, quoique sous le gouvernement français la liberté des cultes ne fût pas consacrée au même point qu'elle l'est dans notre Constitution, et je dis que s'il y avait quelque chose à faire, c'était de garantir davantage la pleine et entière exécution de notre Constitution, de redresser quelques abus locaux pour rentrer franchement et ouvertement dans le principe de la séparation et de la liberté des cultes.

Voilà ce qu'il fallait faire, et non point priver le culte catholique d'un droit qui lui avait appartenu, qui lui avait toujours été reconnu et dont la pratique est constante.

M. Bouvierµ. - Et qu'on ne conteste pas.

M. de Theuxµ. - Messieurs, jamais on n'a songé à refuser aux libres penseurs un lieu de sépulture convenable, mais ce que je trouve de la dernière absurdité, c'est de réclamer, pour des hommes qui ont renié notre culte ou qui ne l’ont jamais professé ni pratiqué, un lieu de sépulture qui a été constamment, d'après les principes du culte catholique, réservé aux catholiques seuls.

Que fallait-il faire pour agir avec raison ? Il fallait établir dans chaque cimetière une séparation convenable, digne de la dépouille mortelle d'un homme, mais il ne fallait point venir profaner le cimetière bénit. Oseriez-vous profaner le cimetière des juifs ? Non, vous ne l'oseriez pas.

MfFOµ. - C'est la même question.

M. de Theuxµ. - Nous maintenons le principe, et si les protestants sont plus tolérants à cet égard, ce n'est pas une raison pour nous d'abandonner nos principes. Mais, si les protestants méritent à titre de culte d'avoir leur cimetière à part, n'y eût-il qu'un seul protestant dans la commune, je me ferais un devoir de faire tout ce qui serait en mon pouvoir pour lui accorder une sépulture séparée.

MfFOµ. - Ce n'est pas le décret.

M. de Theuxµ. - En ce qui concerne le temporel des cultes, M. le ministre des finances nous a opposé dernièrement une objection qui n'a rien de sérieux. Ce n'est pas nous qui avons demandé l'abrogation du décret de 1809, et je fais ici une observation fondamentale.

Si ce décret avait besoin d'être modifié, il fallait le modifier dans le sens d'une garantie plus grande encore de l'indépendance des cultes.

Si les moyens de contrôle étaient insuffisants, il fallait les compléter. Mais il ne s'agit pas de cela. Nous avons vu naître la question du temporel des cultes à propos d'une adresse dont certainement la couronne n'avait pas lieu d'être satisfaite. Nous avons dit alors que l'on consacrait par l'adresse le principe de l'expropriation de la propriété et de l'administration du temporel des cultes. Aussi toute la droite a voté contre ce paragraphe et contre l'ensemble de l'adresse.

Vous voyez donc bien, messieurs, que nous n'avons pas à posteriori, et dans le but de causer des embarras au gouvernement, agité toutes ces questions.

La réforme électorale, le vote par ordre alphabétique, je les ai signalés à l'instant comme des mesures révolutionnaires ; le temporel des cultes comme une mesure injuste qui n'était fondée ni en droit ni en raison ; la question des cimetières comme devant apporter de longs troubles dans le pays.

On vous a parle aussi des questions d'enseignement ou du retard apporté à la discussion du projet de loi rédigé par une commission en 1832. J'avouerai sans détour que j'ai moi-même regretté ce retard, et j'avais raison de le regretter car en réalité le résultat de ce retard n'a pas été heureux.

Cependant je me le suis expliqué et je me l'explique encore très bien aujourd'hui. L'on craignait déjà l'esprit de centralisation, l'esprit de libéralisme à l'endroit de l'enseignement ; on n'avait pas oublié la proposition faite par MM. Seron et de Robaulx, dès la première législature, de créer, dans toutes les communes, des écoles primaires aux frais du gouvernement et cela sans garantie, (erratum, page 83) afin d'empêcher que la liberté n'en établît de son côté. Divers projets sur l'enseignement primaire, moyen et supérieur avaient été rédigés par une commission nommée par le gouvernement, et ces projets contenaient tous, dans le principe, le monopole pour les écoles de l'Etat et la sujétion de l'enseignement libre ; à tel point qu'on y posait en principe que les degrés universitaires ne pouvaient être accordés que par les universités de l'Etat.

Cette circonstance justifie parfaitement les défiances que les conservateurs montraient dans cette enceinte et qu'ils ont manifestées pendant plusieurs années. Est arrivé 1842. Alors est intervenue une transaction, comme le disait M. Dolez. On a combiné dans cette loi les garanties d'organisation et les garanties pour la liberté. Si l'on avait proposé une disposition que M. le ministre des finances a signalée, si l'on avait posé en principe que l'école primaire serait fermée si le concours du clergé était retiré, c'est que ce concours était la condition essentielle de la transaction. C'était bien entendu dans la pratique pour autant qu'il y eût des motifs graves de retirer ce concours. Pour mon compte, je n'ai jamais défendu cette disposition.

MfFOµ. - M. Dechamps l'a défendue.

M. de Theuxµ. - J'ai reconnu qu'elle était inutile.

Mais aussi, j'ai dit qu'on devait faire grande attention aux causes légitimes du retrait du ministre du culte de l'une ou de l'autre école ; qu'on devait examiner le fondement des griefs et que, s'ils étaient réels, il fallait y faire droit ; sinon que la loi de 1842 serait un véritable leurre, attendu qu'on pourrait toujours repousser le ministre du culte par la nomination d'instituteurs n'offrant aucune espèce de garantie. Ainsi appliquée, la loi de 1842, qui avait été une transaction, devenait un véritable piège pour l'opinion conservatrice.

J'ai même dit qu'il était à craindre que, lorsque l'organisation serait complètement achevée, on n'eût un jour à se plaindre d'une organisation aussi vaste, et que le retrait de concours ne fût pas forcément amené dans la pratique.

Messieurs, je ne veux pas me prononcer aujourd'hui ; je n'ai pas assez de faits pour justifier une opinion ; mais je ne suis pas non plus sans aucune inquiétude à cet égard. Le fait que j'ai annoncé dans cette discussion pourrait bien se réaliser un jour, et alors on regretterait de n'avoir pas adopté le projet de la commission de 1834, dont je faisais partie.

Du reste, qui donc a le plus lieu de se plaindre du retard apporté à la discussion de la loi sur l'instruction primaire ? Mais vous possédez l'organisation la plus vaste que vous puissiez jamais désirer ; vous avez dans l'enseignement l'influence la plus grande.

Vous n'avez donc pas à vous plaindre. Ceux qui ont à se plaindre, ce sont ceux qui croient que la loi n'est pas exécutée suivant son texte et son esprit. Voilà ceux qui ont à se plaindre, mais ce n'est pas vous.

Parlons de l'enseignement moyen. Avez-vous à vous plaindre du retard qu'on a mis à discuter cette loi ? Mais non, encore une fois : si le projet de 1834 avait été converti en loi, vous n'auriez pas aujourd'hui dans cet enseignement l'influence considérable que vous y avez. Mes prévisions, sous ce rapport, se sont complètement réalisées, et si quelqu'un avait des griefs à faire valoir, ce ne serait pas M. le ministre des finances, mais celui qui a l'honneur de vous parler.

Messieurs, je passe à un autre grief.

L'université catholique a demandé de pouvoir recevoir des dons et legs dans une certaine mesure. Oh ! chose monstrueuse ! chose incroyable, pour un pays libre, lorsque la loi détermine les limites de la faculté qui est sollicitée, les conditions auxquelles elle pourra être accordée, lorsque, enfin, on avait pour garantie de la bonne exécution de la loi, le gouvernement lui-même !

(page 74) Eh ! messieurs, que voyons-nous dans d'autres pays ? Mais les grandes institutions d'enseignement public sout autorisées à recevoir de par la loi ; et vous en avez des exemples nombreux. Pourquoi donc cette frayeur de la liberté ?

Et à ce propos, je ferai remarquer en passant que la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant l'université de Louvain, section présidée par l'honorable M. Fallon, jurisconsulte distingué et qui appartenait certainement à la nuance libérale de la Chambre, que cette section, dis-je, avait adopté à l'unanimité le principe du projet dont l'honorable M. de Decker avait été nommé rapporteur.

Quand l'honorable M. Nothomb est arrivé au pouvoir, il a demandé que ce projet fût retiré, et il a été satisfait à cette demande par condescendance pour le gouvernement, ne voulant pas lui occasionner des embarras.

Mais j'avoue que les craintes qu'on avait cherché à exciter n'avaient aucun fondement sérieux ; elles n'étaient pas dignes d'un peuple qui a pris pour devise la liberté en tout et pour tous.

On a aussi parlé du projet de loi sur les fondations charitables présenté par les honorables MM. Vilain XIIII et de Decker. On a été jusqu'à dire que c'est par injonction que la discussion de ce projet de loi a été mise à l'ordre du jour. Mais j'en appelle à l'honorable M. Vilain XIIII et je lui demande s'il a reçu une injonction quelconque..

M. Vilain XIIIIµ. - Pas du tout !

M. de Mérodeµ. - C'est le contraire qui est vrai, c'était l'objet principal du programme du ministère d'alors.

MfFOµ. - Mais tout le monde sait cela. Est-ce que M. Malou n'a pas demandé la mise à l'ordre du jour de ce projet de loi ?

M. Thonissenµ. - Pure invention. (Interruption.)

M. dc Mérodeµ. - C'est aussi réel que la quadrature du cercle.

M. de Theuxµ. - Qu'est-ce qu'il y avait donc de si exorbitant dans ce projet de loi, projet entouré de tant de formalités, d'une exécution tellement difficile, qui véritablement était loin de répondre aux principes du véritable libéralisme ?

Messieurs, une commission avait été nommée par M. de Haussy, commission dans laquelle il y avait beaucoup d'hommes éminents du parti libéral ; eh bien, cette commission avait admis le principe des fondations charitables et d'enseignement. On a longtemps caché ce fait parce qu'on craignait qu'on ne tirât parti de son rapport ; mais finalement il a été divulgué et c'est là aujourd'hui un fait parfaitement acquis.

Une autre commission a été nommée encore par un ministère libéral pour examiner la question des cimetières. Eh bien, cette commission a conclu à l'inhumation avec séparation des cultes. Et l'on vient prétendre qu'ici encore nous demandons des choses exorbitantes !

Vous le voyez, messieurs, les faits que je signale sont la preuve la plus évidente que nous n'avons jamais rien demandé en cette matière que ce qui est juste et raisonnable.

Je conclus, messieurs, en vous demandant pardon d'avoir peut-être abusé de votre attention, et si ce n'était l'importance de la matière, je m'en serais bien gardé.

Je crois avoir rappelé très succinctement nos principaux griefs, et dans ce présent discours et dans ceux que j'ai prononcés dans les séances précédentes. Je dis très brièvement parce que j'ai traité longuement la question de nos griefs dans la séance du 23 juin 1864. Là, j'ai fait remonter à la minorité du Congrès national la situation qui nous est faite aujourd'hui.

J'ai démontré que ce parti, en minorité alors, avait réellement posé les prémisses de ce qui s'est passé depuis lors. Mon honorable ami M. Dumortier a signalé, et je crois qu'il a eu raison, l'union des deux minorités, celle du Congrès national et celle du parti orangiste, comme étant la cause de notre situation actuelle. Ces deux minorités les plus éloignées des principes mêmes de notre indépendance et de notre Constitution ont fini par faire triompher la politique actuelle. Dès 1846, messieurs, un membre éminent de la gauche faisait apparaître déjà le principe de l'ostracisme du parti conservateur. On disait alors :

« La couronne doit, dans l'intérêt du pays, donner le pouvoir au part libéral qui a le moins d'intérêt à son indépendance. » Or, vous dites aujourd’hui : C’est le parti catholique seul qui désaffectionne le pays de son indépendance et qui vient la menacer. » Vous disiez en 1846 : « C’est le parti catholique qui, à raison des libertés constitutionnelles qui lui sont particulièrement chères et qu’il a à un aussi haut degré, aura toujours le plus grand intérêt à l’indépendance nationale.3

C’était pour la première fois que j’entendais dire que celui a le plus d'intérêt à la chose publique doit être écarté du pouvoir ; je trouvais ce principe réellement absurde.

Pour moi, je suis partisan de la politique que je vois pratiquer généralement dans les gouvernements représentatifs ; c'est que le pouvoir passe de l'une à l'autre nuance avec la légitime influence des élections, pourvu, bien entendu, que la loi électorale soit libérale ; puis, qu'il n'y ait pas de prépondérance acquise à l'une ou à l'autre opinion, en vertu des dispositions de cette loi. Dans cet ordre d'idées, je ne me plaindrai jamais de voir arriver au pouvoir quelque ministère que ce soit.

Mais, messieurs, lorsqu'on vient nous dire que le parti conservateur ne peut plus occuper le pouvoir, n'est-ce pas lui infliger la plus profonde humiliation ? Nous qui avons eu une si grande part à la Constitution du pays, nous ne pourrions plus diriger les affaires ! Nos opinions étaient alors ce qu'elles sont aujourd'hui, et nous serions aujourd'hui rendus par vous incapables d'occuper le pouvoir !

Je puis parler à ce sujet d'autant plus librement que depuis longtemps je n'aspire plus à être ministre. Mais c'est une chose qui m'humilie et qui me froisse profondément.

Du reste, quoique partisan sincère de notre Constitution, quoique ayant pris une grande part à son élaboration, à son vote, quoique ayant une grande confiance dans les libertés qu'elle consacre, je me suis cependant toujours attendu, même dès le Congrès national, au revirement qui s'est manifesté depuis ; il ne m'étonne donc pas.

Je dirai qu'il m'afflige, mais pas outre mesure ; car aussi longtemps qu'on ne sera pas parvenu à modifier la Constitution par l'abus des lois électorales créant des majorités factices, capables de porter atteinte à nos principales libertés ; aussi longtemps qu'on ne sera pas arrivé là, je dis que la domination permanente de nos adversaires ne sera qu'un rêve.

Je compte sur le courage, sur l'énergie des conservateurs et des hommes modérés qui sont en très grand nombre dans le pays. Il y a une grande opinion flottante, se portant tantôt à droite, tantôt à gauche, qui ne souffrira pas longtemps un gouvernement de parti. Mû par ces considérations, j'ai grande confiance dans l'avenir, et j'espère encore vivre assez longtemps pour voir justifier ma confiance.

J'ai dit.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la péroraison que vous venez d'entendre, l'honorable M. de Theux s'en est servi déjà plusieurs fois. Il espère depuis longtemps que l'opinion conservatrice, comme il l'appelle, jointe aux hommes modérés, renversera le cabinet actuel, et fera arriver au pouvoir un ministère catholique...

M. de Theuxµ. - Je n'ai pas dit catholique ; j'ai dit un autre ministère.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est tout comme ; en effet, il n'existe pas en Belgique d'autres partis que le parti libéral et le parti catholique, et comme l'honorable M. de Theux combat les ministères de centre droit qui se forment, il est évident que le cabinet, selon les vœux de l'honorable M. de Theux, sera un ministère catholique. (Interruption.)

Comment ! Mais quand un ministère de centre droit s'est présenté, vous l'avez soutenu d'une manière très tiède.

Eh bien, ce vœu de l'honorable M. de Theux, nous l'avons maintes fois entendu dans cette Chambre. Voilà huit ans que le ministère actuel est au pouvoir : à chaque élection, l'honorable M. de Theux renouvelle son vœu et l'opinion publique lui répond en maintenant le ministère avec une plus forte majorité. (Interruption.)

Oui, avec une plus forte majorité, il est certain que l'élection de 1864 a rendu la majorité beaucoup plus forte que ce qu'elle était avant cette élection. Peut-on nier cela ? (Interruption.)

Je prie les honorables membres de la droite de ne pas m'interrompre, car mon discours doit être assez long.

Pourquoi le corps électoral a-t-il maintenu le gouvernement au pouvoir ? C'est précisément parce qu'il est composé d'hommes fermes, décidément libéraux, et qui ont toujours suivi une politique de modération.

En effet, depuis huit ans qu'ils sont aux affaires, savez-vous combien de lois politiques ils ont faites ? Deux lois politiques en tout et pour tout ; et encore ne le sont-elles pas, au fond. La loi sur les bourses d'étude que vous prétendez être une loi politique est purement administrative ; et la loi sur les fraudes électorales, que vous appelez aussi une loi politique, ne mérite certes pas ce nom. Ainsi en huit années, deux lois politiques, et l'on trouve que le gouvernement est un gouvernement de parti, un gouvernement passionné !

(page 75) Si réellement des griefs devaient être formulés, c'est par l'opinion libérale, ils devraient être articulés par une fraction de cette opinion contre le ministère ; car il a proposé moins de lois politiques qu'un assez grand nombre de ses amis ne l'avaient désiré.

Messieurs, l'honorable M. de Theux a pensé réfuter le discours de M. le ministre des finances. L'honorable M. Frère avait constaté, aux applaudissements de la Chambre, les prétentions continuellement grandissantes du parti clérical ; il avait montré la marche toujours progressive de ces prétentions en matière d'enseignement, en matière de fondation, en matière de cimetières, en matière de bourses d'étude, en matière de temporel des cultes. Eh bien, l'honorable M, de Theux, dans sa réponse, n'a pas dit un mot de toutes ces prétentions de l'épiscopat. Le discours de l'honorable ministre des finances reste donc dans son entier. Il est constaté que tout ce qu'a dit l'honorable ministre devant cette Chambre est la vérité ; que réellement l'épiscopat a des prétentions exorbitantes ; que le programme du parti clérical est tel qu'il importe au pays d'y résister et que le pays veut que le gouvernement y résiste.

Mais en revanche, messieurs, que nous dit l'honorable comte de Theux ? Il présente d'abord quelques observations au sujet de la loi des bourses d'étude.

La loi des bourses d'étude est une loi mauvaise, et pourquoi ? Parce qu'une commission de ces bourses siégera à Bruxelles. Dès lors, dit l'honorable membre, cette commission doit donner les bourses à des jeunes gens qui fréquenteront les universités de Bruxelles ou les universités de l'Etat, celles de Liège et de Gand.

Mais je lui répondrai : Sous l'ancien régime, sous le régime des arrêtés du roi Guillaume, l'administrateur receveur des bourses d'étude résidait à Louvain, et il était en même temps le receveur de l'université de Louvain. Eh bien, si vous accusez la commission administrative du Brabant de favoritisme au profit des étudiants de l'université de Bruxelles, comment pouviez-vous ne pas voir que l'administrateur de l'université de Louvain devait conférer les bourses à des élèves étudiant à l'université de Louvain dont il était le receveur ? Ainsi, si ce reproche était fondé, il serait, à beaucoup plus forte raison, fondé contre le régime des arrêtés du roi Guillaume, contre l'état de choses que la loi de 1864 a fait disparaître. (Interruption. )

L'honorable comte de Theux se plaint aussi de ce qu'on a compris, dans la loi de 1864 sur les bourses d'étude, les fondations relatives à l’enseignement. Il ne pouvait en être autrement ; c'est que la plupart de ces fondations n'avaient pas d'existence légale, c'est qu'on avait créé des fondations d'enseignement en vertu des arrêtés du roi Guillaume sur les bourses d'étude, que ces fondations se trouvaient dans une situation précaire, et il fallait évidemment, lorsqu'on s'occupait du patrimoine des boursiers, s'occuper du patrimoine de l'instruction publique. Ces objets avaient une corrélation évidente et c'est pour donner l'existence civile à des fondations qui ne l'avaient légalement pas et pour codifier les dispositions éparses sur les biens appartenant à l'enseignement, public, qu'on a compris dans la loi de 1864 tout ce qui concerne le patrimoine de l'instruction publique. . La loi sur les fraudes électorales, dit l'honorable M. de Theux, est encore un grief contre l'opinion libérale. Mais, messieurs, il faut réellement mettre de la politique partout, il faut la mêler à toute chose pour venir prétendre que l'ordre alphabétique dans les bureaux électoraux est une arme contre la droite.

Mais de quoi avez-vous peur ? Que les curés ne surveillent pas d'assez près les électeurs qu'ils conduisent au scrutin, que pendant l'appel des noms, les électeurs puissent échapper une minute à la surveillance soit de la personne qui les accompagne, soit des ecclésiastiques qui marchent au scrutin ? Et si vous n'avez pas cette peur, de quoi vous plaignez-vous ? Quel grief ! Dans un bureau de 200 à 300 électeurs, on appelle les électeurs par ordre alphabétique, au lieu de les appeler par commune. Voilà le crime du libéralisme ! Cela est par trop puéril ; cela n'est pas sérieux. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux s'occupe ensuite des cimetières et il nous dit que c'est l'opinion libérale qui a soulevé la question des cimetières, que c'est elle qui a fait naître cette question.

C'est encore une erreur.

Quand, pour la première fois, la question des cimetières a-t-elle été agitée en Belgique ? C'est lors de l'affaire de Saint-Pierre-Cappelle. et n'est-ce pas l'intolérance du clergé qui a donné lieu au conflit que je rappelle ? et n'est-ce pas un ministre, ami de l'honorable M. de Theux, qui est venu soutenir son droit d'exhumation dans les circonstances que vous connaissez ?

Et plus tard, quand la question des cimetières a-t-elle pris une nouvelle intensité ? N'est-ce pas encore par suite de l'intolérance du clergé, n'est-ce pas lors de l'inhumation du colonel Demoor ? Il est donc évident que nous ne sommes pas les inventeurs de la question des cimetières. Le décret de prairial an XII était pratiqué sans difficulté, avec beaucoup de tolérance de la part du clergé depuis longtemps. Mais non, l'on a voulu s'emparer des cimetières, en faire ce que l'on voulait, y désigner à chacun sa place ; et pourquoi ? Mais on l'a déclaré d'une manière franche et nette. On a dit que c'était pour effrayer les consciences, et c'est effectivement le seul but qu'on poursuit ; car je le demande à l'honorable comte de Theux, quand un homme meurt dans la religion catholique, un homme qui a vécu toute sa vie comme catholique, et que le clergé, au moment de la mort, refuse de lui donner l'absolution, allez-vous l'écarter du cimetière catholique ? allez-vous le reléguer dans le cimetière protestant ? Mais on vous dira : « Cet homme n'a jamais été protestant, allez-vous le reléguer dans le cimetière juif ? » Mais ses parents vous diront : « Cet homme a été catholique toute sa vie, il est mort en catholique, nous voulons qu'il soit enterré dans le cimetière catholique. » Je demanderai à l'honorable M. de Theux si c'est parce qu'un ministre du culte a prononcé contre lui un arrêt de condamnation contre la justice divine peut-être, qu'il faudrait exclure cet homme du champ mortuaire où reposent ses parents, ses amis et ses coreligionnaires ?

Voilà votre système. C'est un système d'intimidation ; on veut peser sur la conscience du citoyen pour l'empêcher de faire ce qui est contraire au parti clérical.

L'honorable comte de Theux dit que tous les cultes ont, d'après le décret de prairial an XII, le droit d'avoir un cimetière. Mais l'honorable comte de Theux n'a pas lu le décret de prairial an XII. Le décret de prairial an XII n'admet la division des cimetières que là où plusieurs cultes sont professés. Or, dans le cas dont parle l'honorable comte de Theux, où il n'existe qu'une personne professant le culte protestant dans une commune, il n'y a pas de culte protestant professé, puisque, dans le décret de prairial an XII, le culte professé est un culte public.

Il y a plus, c'est le parti clérical, c'est le clergé qui accuse le gouvernement de violer la loi des cimetières, et c'est lui le premier qui donne l'exemple de la violation de cette loi. Il prend dans la loi ce qui lui convient, mais du moment où il rencontre une disposition qui le blesse, il la repousse et il se fait justice à lui-même. Il se met au-dessus de la loi ; il viole ses dispositions et se moque des autorités publiques qui veulent les faire respecter. Il y a, dans le décret de prairial an XII une disposition ainsi conçue : « Aucune inhumation n'aura lieu dans les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques et généralement dans aucun des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, ni dans l'enceinte des villes et des bourgs. »

Eh bien, qu'a fait le clergé de cette disposition ? L'évêque de Gand vient à mourir. On parvient à faire déposer provisoirement son cadavre dans l'église. Et quand l'autorité civile demande qu'on l'emporte de la cathédrale où il n'est que provisoirement, on dit à l'autorité : Venez le chercher ; appliquez le décret de prairial. Si vous avez le malheur de le faire, si vous faites respecter la loi, nous dirons que vous avez violé les saints lieux, que vous êtes des profanateurs. Et le décret de prairial restera sans exécution. Le corps de l'évêque reposera dans l'église.

Vous voyez quel grand respect le clergé professe pour le décret de prairial, et comment ils sont autorisés à demander aux autorités publiques de le respecter, alors qu'ils en sont les premiers violateurs. (Interruption.)

M, Rodenbachµ. - Cela se fait dans toutes les cathédrales de France,

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si cela se fait dans toutes les cathédrales de France, c'est illégal, M. Rodenbach. Il y a des lois, et les lois doivent l'emporter sur les usages, si tant est que ces moyens existent. Tous les citoyens sont égaux devant la loi, fussent-ils même évêques.

M. Coomans. - Et les princes également.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a, pour les princes, m'assure-t-on, des dispositions spéciales.

M. Rodenbach. - Il y a des usages qui ont force de loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, après les observations sur les cimetières, arrivent celles sur les fondations charitables.

(page 76) Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rencontrer devant la Chambre les quelques mots qu'a prononcés l'honorable comte de Theux à cet égard. Il est évident que le projet de loi de 1857, sur lequel tant de choses ont été dites, était contraire à tous les principes sur lesquels repose la société moderne.

Abordant un autre ordre d'idées, l'honorable comte de Theux, se joignant en cela à l'honorable M. Royer de Behr, a dit : Ce sont les lois électorales qui sont mauvaises qui vous maintiennent au pouvoir ; c'est parce que le ministère a pressé sur les élections, c'est parce qu'on a fait abus du nom du Roi que vous avez réussi.

Quant à la loi électorale, je répondrai à l'honorable comte de Theux que la législation électorale a été ce que ses amis l'ont faite. La loi de 1848, dont il se plaint, a été votée par les honorables amis de l'honorable comte de Theux et par lui-même, je crois. Il ne doit donc pas se plaindre de cette situation.

Quant à l'honorable M. Royer de Behr, il se plaint de ce que le parti libéral aurait mis en avant le nom du Roi dans les élections, et à ce sujet l'honorable député de Namur vient accuser mes honorables collègues de Tournai et moi d'avoir signé une circulaire dans laquelle nous aurions déclaré que la lutte était entre les créatures de l'épiscopat et les personnes qui avaient la confiance royale.

L'honorable M. Royer de Behr a reconnu tout à l'heure que nous n'avions rien signé de semblable ; il s'était trompé, il nous avait attribué ce que nous n'avions pas fait.

Mais, messieurs, si nous ne l'avons pas fait, ce n'est pas à dire que nos adversaires nous ont imités et aient usé de la même réserve. . Et si l'honorable M. Royer de Behr, au lieu de consulter les journaux libéraux pour voir si l'on faisait abus du nom du Roi, avait voulu seulement jeter les yeux sur les journaux de ses amis, il aurait vu que c'étaient eux qui avaient abusé de ce moyen peu constitutionnel.

En ce qui concerne sa propre candidature à Namur, je lui demanderai ce que M. Dechamps a fait. Mais M. Dechamps écrivait à M. Royer de Behr, et j'ai déjà cité cette lettre dans cette enceinte, à peu près dans ces termes :

« Rappelez bien à vos électeurs qu'il ne s'agit pas de nommer un député, mais qu'il s'agit de faire entrer à la Chambre un ministre du Roi, un futur ministre des travaux publics. »

On annonçait ainsi aux électeurs que vous aviez déjà, par avance, la confiance du Roi. C'était escompter la confiance royale.

M. Royer de Behr nous accuse d'avoir lancé des circulaires ; il s'est rétracté soit ; mais, à cette époque, nous avions pour adversaire à Tournai un homme qui se prétendait en possession de la confiance royale ; c'était le général de Lannoy, qui se posait comme candidat et signait aide de camp du Roi.

Voici, messieurs, les articles qu'un journal, ami de M. Royer de Behr, écrivait à ce sujet. Voici ce qu'on disait aux électeurs du Tournaisis. Je ne vous lirai pas tout l'article, mais je vous en lirai quelques passages, ils sont excessivement piquants :

« La réputation de modération et de sagesse de notre Roi, le soin qu'il met à s'entourer de personnes qui, sous ce double rapport, lui ressemblent le plus, dit déjà qu'il a de tous temps reconnu à un haut degré ces qualités dans notre honorable concitoyen, le général de Lannoy. »

On commence par dire que M. le général de Lannoy ressemble au Roi, puis le journal rappelle que le général de Lannoy avait été le précepteur des princes et il ajoute : « Celui à qui le Roi le plus sage du monde a donné cette noble mission et qui l'a remplie si noblement est évidemment digne de siéger au conseil de la nation. »

« Est-ce à un homme pareil que les feuilles ministérielles voudraient voir préférer M. Bara, c'est-à-dire le plus jeune et le plus exalté de nos députés, une espèce d'énergumène dont tout le talent consiste à invectiver le clergé, la religion et tout ce qui touche aux croyances de la grande majorité du peuple belge.

« Evidemment les électeurs sensés et modéré, malgré les sympathies mêmes qu'ils pourraient avoir pour le ministère, n'hésiteront pas entre ces deux candidats et ils voteront pour celui que le Roi lui-même, par a sa conduite, a depuis longtemps signalé aux choix du pays. »

Voilà, messieurs, ce qui se passait dans cette prétendue élection où nous ne sommes arrivés, l'honorable ministre des affaires étrangères et moi, que par l'abus du nom de Sa Majesté.

Mais le candidat du Roi, on l'a indiqué, c'était le général de Lannoy. Ce candidat du Roi prétendait que le choix de précepteur des princes dont on l'avait honoré était la preuve la plus évidente qu'il était désigné au corps électoral par Sa Majesté .

M. Bouvierµ. - Voilà comme on écrit l'histoire ! (Interruption.)

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai pris surtout la parole pour répondre aux honorables MM. Thonissen et Delcour, et sur ce point ma tâche est plus sérieuse ; car je ne puis, malgré toute ma bonne volonté, considérer le discours de M. de Theux comme une réponse à celui de l'honorable ministre des finances. Ces honorables professeurs de l'université de Louvain ont trouvé bon de justifier, d'approuver, d'exalter le résistance que font à la loi des bourses les administrateurs, les collateurs des bourses d'étude et l'épiscopat.

Cette attitude, messieurs, est excessivement regrettable ; surtout lorsqu'on considère qu'elle est tenue par des hommes qui n'ignorent pas les notions du droit et qui savent quelles sont les conditions d'existence de toute société. Il importe au gouvernement de protester énergiquement contre les théories qui ont été émises à cette tribune et qui tendent, selon moi, à diminuer le prestige de la loi, à affaiblir son autorité et h compromettre les institutions du pays.

Vous le savez messieurs, la loi des bourses, émanée de l'initiative du gouvernement, a été l'objet dans cette Chambre et au Sénat de nombreuses et de vives discussions.

Cette loi a été votée régulièrement, promulguée régulièrement.

M. Coomans. - Irrégulièrement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette loi a été votée régulièrement, promulguée régulièrement, et je dois déclarer que l'opposition dans cette Chambre et au Sénat a été parfaitement constitutionnelle et légale, mais il faut aimer avant tout le paradoxe, il faut prendre plaisir aux absurdités pour prétendre que ce n'est pas une loi véritable. Car nous savons et l'honorable M. Coomans sait très bien quels sont les caractères de la loi. La loi des bourses est le produit du vote des Chambres et de la sanction du Roi.

M. Coomans. - Et l'approbation par la majorité.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle a été approuvée par la majorité, sinon elle ne serait pas votée.

Si maintenant vous prétendez que ce n'est pas une loi...

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit que ce n'est pas une véritable loi.

M. Bouvierµ. - Je proteste.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Coomans fait donc une distinction. Il distingue entre les lois véritables et les lois non véritables ; il ferait très bien de nous indiquer quels sont les caractères de la loi non véritable.

Il y a des juges à Berlin, il y a des tribunaux en Belgique. Si M. Coomans veut, par plaisanterie, aller soutenir devant les tribunaux que ce n'est pas une loi (signe de dénégation de M. Coomans), il ne le fera pas et par là il se condamne lui-même ; son signe de dénégation prouve à la dernière évidence qu'il sait parfaitement bien que, sous le rapport de la forme, la loi des bourses est une véritable loi, obligatoire comme toutes les autres ; on ne peut pas en contester la force et vous ne le ferez pas.

Du reste, M. Coomans n'est pas, je crois, jurisconsulte.

M. Coomans. - Il y a 31 ans que je suis avocat, avant votre naissance.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous demande pardon, mais à la manière dont vous parliez de la loi, je croyais que vous n'aviez pas la moindre notion du droit. (Interruption.)

Si vous soutenez que ce n'est pas une loi, les tribunaux sont là ; ils déclareront si les formes ont été violées, si la loi n'a pas été réellement votée par les Chambres, si elle n'a pas été promulguée régulièrement.

Nous en serions très heureux, car nous ne pouvons que voir avec plaisir les citoyens attaquer les actes qui ne réuniraient pas les conditions exigées pour être des lois.

Mais poursuivons. Après le vote et la promulgation que se passa-t-il ? Les évêques se réunirent, délibérèrent et décidèrent en commun qu'il n'y avait pas lieu de coopérer à l'exécution de la loi des bourses.

Il importe d'établir les faits tels qu'ils sont.

A la suite des évêques, le plus grand nombre des administrateurs et collateurs de bourses, qui sont pour la plupart des membres du clergé, déclarèrent qu'ils se joignaient aux évêques et qu'ils n'exécuteraient pas la loi sur les bourses d'étude.

Un autre fait se passa. Vous savez qu'en vertu de la loi des bourses, les bourses fondées pour l'étude de la théologie doivent être remises aux bureaux des séminaires. Le gouvernement, suivant en cela un arrêté royal qui avait été pris en exécution de la loi, pria MM. les évêques de (page 77) vouloir bien convoquer les bureaux administratifs des séminaires afin de délibérer sur l'exécution de la loi.

Que répondirent les évêques ?

De concert, d'une manière délibérée ainsi que le prouve la correspondance, ils déclarèrent qu'ils n'avaient pas à convoquer les séminaires dont ils sont les présidents et qu'ils ne les convoqueraient pas, attendu qu'ils étaient opposés à l'exécution de la loi. Refus complet de la part des évêques de remplir leur devoir de présidents des bureaux administratifs des séminaires. Résistance au décret du 6 novembre 1813, qui leur donnait la mission et le devoir de convoquer les séminaires.

D'eux-mêmes, faisant peu de cas de l'opinion des autres membres des séminaires, ils préjugent leur opinion et déclarent qu'il n'y a pas lieu de convoquer, donc de délibérer. Ils disent : Le séminaire, c'est moi, les autres membres de ce corps administratif ne signifient rien et nous répondons : Non, le séminaire ne se réunira pas. (Interruption.)

Les honorables MM. Thonissen et Delcour appellent cela de la résistance passive et ils déclarent qu'ils n'ont que des éloges à donner à une ; pareille conduite.

Mais, messieurs, je présume, pour l'honneur de ces honorables membres, qu'ils se sont inspirés uniquement de leurs sentiments politiques, qu'ils n'ont pas examiné en eux-mêmes les faits posés par les administrateurs collateurs et par l'épiscopat, qu'ils n'ont pas examiné ces faits au point de vue de la Constitution et de la loi, car sans cela je ne puis jamais croire qu'ils eussent applaudi à une pareille conduite et je suis convaincu qu'ils se fussent joints au gouvernement pour la blâmer de la manière la plus énergique.

L'honorable M. Thonissen nous dit qu'il ne s'agit que d'un refus de concours volontaire à l'exécution de la loi par quelques personnes respectables, et l'honorable M. Delcour, prenant un autre mot, dit : Refus de concours actif, pas de résistance dans la rue, pas d'émeute, pas de révolution ; un simple refus de concours actif.

M. Thonissenµ. - C'est la même chose.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai voulu prendre vos termes parce qu'il importe de discuter les choses très exactement.

Voyons si cela est vrai.

La loi, messieurs, en changeant le mode d'administration des bourses d'étude, a modifié la composition des commissions de ces bourses et dès lors pour exécuter la loi il y a absolue nécessité que les anciens administrateurs collateurs et receveurs de bourses remettent les papiers, les archives, toutes les pièces qu'ils ont entre les mains et qui sont indispensables pour que les nouvelles commissions remplissent leurs mandats. Il faut de plus qu'ils rendent leurs comptes.

Pas de possibilité d'exécuter la loi de 1864 sans l'accomplissement de ces deux formalités.

M. Delcourµ. - Les comptes ont été rendus à la députation permanente.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce sont des comptes d'administration à administration, les comptes non apurés. Mais enfin si vous voulez ne prendre que le premier fait : le refus de restituer les papiers, les archives, ce sera absolument la même chose et la démonstration existera pour le second fait comme pour le premier.

Est-ce là, messieurs, de la résistance passive ? J’appelle cela de la résistance active. C'est l'obstacle apporté à la loi, c'est le moyen le plus certain d'empêcher la loi de suivre son cours.

Il ne peut pas s'agir d'un refus de concours volontaire, puisque sans ce concours il n'y a pas moyen d'exécuter la loi. Les administrateurs sont obligés de prêter leur concours ; il ne s'agit pas d'un acte qui dépend de leur volonté, il s'agit d'un acte nécessaire, indispensable, ordonné par la loi, d'un acte positif qui consiste dans la remise des pièces. Ils se refusent à poser cet acte, les administrateurs collateurs disent : Nous ne rendrons pas les pièces. Eh bien, ils sont en révolte contre la loi, ils la paralysent, ils empêchent son exécution.

Prenons des exemples pour vous faire saisir de plus près encore combien cette conduite est un acte de révolte contre la loi, un acte de résistance active.

Un intendant militaire, un général quelconque est chargé d'un dépôt d'armes. La nécessité de se servir de ces armes se fait sentir. Le ministre de la guerre ordonne à l'intendant de livrer ces armes. L'intendant répond : « Vos ordres ne me conviennent pas, ma conscience s'y oppose, je ne prêterai pas les mains à leur exécution. Je garde les armes et je mets la clef en poche. »

Et vous prétendez que ce n'est pas de la résistance active, que c'est de la résistance passive ! Mais c'est tout ce qu'il y a de plus actif. C'est la révolte contre une loi et contre une autorité établie. C'est de l'anarchie, c'est l'entrave apportée aux lois, au fonctionnement des services publics.

Prenons un autre exemple. La Chambre vote un impôt sur les produits des brasseries et sur les sucreries. Les brasseurs et les fabricants de sucre disent : C'est la ruine de notre industrie, c'est enlever le pain à de nombreuses familles, nous ne payerons pas l'impôt. Pas de révolution, nous ne descendrons pas dans la rue, mais nous répondrons tranquillement, sans nous déranger, au receveur des contributions : Nous ne payons pas ; et nous ajouterons que nous sommes des personnes respectables ; nous ne faisons pas de désordre, pas d'anarchie-, nous méritons des éloges, et si vous voulez, nous vous apporterons les consultations de deux professeurs de droit de l'université de Louvain, MM. Thonissen et Delcour, qui vous démontreront que nous sommes les types du parfait citoyen.

En attendant il n'y aura pas d'argent dans les caisses de l'Etat ; l'armée ne sera pas payée et les services publics seront enrayés.

Il en est de même pour la loi des bourses. Par votre refus d'obtempérer à la loi, vous empêchez que le service ne marche.

Mais, messieurs, on est pressé par l'argument et l'on dit : Nous ne sommes pas des anarchistes, et la preuve, c'est que nous allons céder aux décisions de la justice. Nous rendrons les papiers quand les tribunaux auront décidé que nous devons les rendre.

J'accepte avec plaisir cette déclaration, mais je voudrais savoir si les honorables membres qui l'ont faite sont autorisés à la faire. (Interruption.) On pourrait jusqu'à un certain point en douter, car dans une lettre récente adressée par le clergé de Charleroi à l'évêque de Tournai, voici ce que je trouve :

« Nous déclarons devant Dieu et devant les hommes que nous sommes prêts à souffrir la prison, l'exil et même la mort plutôt que de concourir, soit directement, soit indirectement, à l'exécution d'une loi que repousse notre conscience d'honnête homme, de chrétien et de prêtre. » (Interruption.) On prétend qu'on ira jusqu'à la mort avant d'exécuter la loi.

- Un membre à droite. - On n'ira pas jusque-là.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On n'ira pas jusque-là, j'en accepte l'augure, mais comme M. Thonissen est en désaccord avec l'épiscopat en beaucoup de points et notamment au sujet du temporel des cultes, il pourrait bien aussi être en désaccord avec lui en cette matière, et je ne suis pas du tout convaincu qu'après les décisions judiciaires on rendra les papiers.

Mais après tout je me demande et je demanderai aussi en même temps aux jurisconsultes auxquels je m'adresse, pourquoi on peut céder aux décisions de la justice et pourquoi on peut désobéir à la loi. Le clergé n'exécute pas la loi des bourses parce que sa conscience lui défend d'y prêter son concours. Mais comment cette même conscience va-t-elle devenir si souple quand les tribunaux auront appliqué la loi, car en définitive qu'est-ce qu'un arrêt de la justice ? C'est l'application de la loi, c'est l'honneur et le devoir de la magistrature d'appliquer la loi scrupuleusement.

Et cette loi odieuse, spoliatrice, parce qu'un arrêt de la justice l'aura déclarée exécutoire, aura-t-elle perdu son caractère odieux et spoliateur ? Soyez donc plus logiques, plus sérieux ; exécutez la loi avant les décisions des tribunaux, car les décisions des tribunaux ne peuvent rien changer à la loi ; vos consciences n'auront pas moins de répugnances après qu'avant les décisions de la justice. Il y aura dans l'intervention de la justice un peu plus de frais, voilà tout. Pourquoi donc vous adresseriez-vous à la justice ? Serait-ce pour vous poser en martyrs, pour revendiquer la palme épiscopale de la résistance, pour faire du bruit et de l'agitation ? Je serais tenté de croire que vous ne le faites aussi que pour remuer le pays. Et on ne comprend pas du tout cette conduite de la part de nos adversaires, alors qu'ils viennent prétendre que c'est nous qui excitons les passions, que c'est nous qui demandons à faire de l'agitation. (Interruption.)

J'ai parlé du refus des collateurs des bourses et je vous ai démontré que leur résistance était la résistance la plus active, la révolte la plus évidente contre les lois, l'obstacle apporté à l'exécution des lois :

Parlons maintenant du refus des évêques, c'est plus fort encore.

Les séminaires sont organisés en vertu d'un décret du 6 novembre 1813. L'article 62 porte :

« Il sera formé pour l'administration des biens des séminaires dans (page 78) chaque diocèse, un bureau composé de l'un des vicaires généraux qui présidera en l'absence de l'évêque, du directeur, etc. »

Vous voyez donc, messieurs, que le président du bureau du séminaire est de droit l'évêque. Or, les séminaires sont des corps administratifs, des personnes civiles chargées d'un service public, et les honorables MM. Delcour et Thonissen, qui admettent le principe de la loi de 1809, ne me démentiront pas. Eh bien, je le demande, que penser du président d'une administration publique qui refuse, malgré la loi, de convoquer le corps administratif a la tête duquel il se trouve ?

Supposez que demain les présidents des bureaux de bienfaisance et des hospices disent : Nous ne convoquons plus ; ne sera-ce pas de l'anarchie ? Sera-ce un refus de concours volontaire par les personnes respectables, et rien de plus ? Cela mérite-t-il l'éloge, et justifiera-t-on à l'université de Louvain, un pareil mépris de la loi, une pareille violation de tous les devoirs imposés par le décret que je viens de citer ?

M. Thonissenµ. - Je ne parle jamais qu'en mon nom personnel ; vous n'avez pas le droit de faire intervenir ici l'université de Louvain.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! je n'ai pas le droit ?

M. Thonissenµ. - Je ne réponds que comme représentant,

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand je parle de l’université de Louvain, j’entends parler de la place que vous y occupez et de la doctrine que vous y soutenez comme professeur. M. Delcour est chargé de ces matières spéciales, j’ai donc le droit de dire que c’est la doctrine enseignée à Louvain.

MfFOµ. - A moins qu'il y en ait deux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, et qu'un autre professeur y enseigne une autre doctrine, ce dont je féliciterai l'université de Louvain.

M. Thonissenµ. - Je parle ici avec une indépendance entière.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne nie pas votre indépendance.

M. Thonissenµ. - Vous êtes professeur de l'université de Bruxelles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne me souviens pas y avoir jamais entendu prêcher une théorie de la résistance semblable à celle que vous professez. Je puis à cet égard me porter garant pour l'université de Bruxelles.

M. Delcourµ. - Il vaudrait mieux laisser notre qualité de professeur de côté ; nous ne répondions que comme représentants, et non comme professeurs.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette qualité vous pèse donc bien ? (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Elle ne me pèse pas du tout.

M. Delcourµ. - J'en suis fier.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je puis très bien invoquer votre qualité de professeurs par la raison qu'elle a une grande importance au débat ; vous n'êtes pas seulement des représentants, vous êtes des hommes spéciaux, et lorsque vous venez ici parler d'une question de droit, votre opinion a plus d'autorité. J'ai donc le droit de dire de qui émane une théorie que je combats. Est-ce que l'honorable M. Jacobs s'est gêné pour m'interroger sur les doctrines que j'avais professées ? Je lui ai répondu...

M. Jacobsµ. - Vous ne m'avez rien répondu.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Reprenons, messieurs. Il est certain que quand on analyse les faits posés par les collateurs de bourses et par les évêques, on peut dire, en présence de la loi et de la Constitution, que c'est là une véritable révolte, la résistance à la loi la plus caractérisée, la plus indéniable. L'honorable ministre des affaires étrangères avait donc raison de dire que c'est là de l'anarchie et du désordre. Mais les honorables membres ont compris qu'ils devaient justifier le droit à la révolte, car sans cela leur thèse était incomplète, elle péchait par sa base.

Ils se sont donc mis à feuilleter l'histoire, à interroger l'opinion libérale pour savoir si elle désavouerait certaines révoltes, certaines révolutions, certains soulèvements, certaines résistances à l'autorité. Mirabeau, Pages, Mazzini peut-être, ont été cités, sont intervenus dans ce débat. On a parlé des résistances à l'inquisition, on a parlé de la résistance du clergé en 1790 ; on a parlé du refus du clergé d'exécuter la loi sur le divorce.

Messieurs, avant de discuter cette théorie, je dois faire remarquer à l'honorable M. Delcour qu'il n'a pas été heureux dans le choix de son exemple : la résistance du clergé en 1790. En effet, cette opposition a divisé le clergé en deux catégories : les assermentés et les non assermentés. Il refusait de prêter serment à la loi et à la nation, acte respectable, acte des plus louables : c'était lutter pour la liberté de conscience, dit l'honorable M. Delcour.

Mais il oublie que, quelques années après, ce même clergé venait prêter un serment bien autre que celui qu'on lui demandait en 1790. Il ne s'agissait plus de prêter serment de fidélité à la loi et à la nation ; il s'agissait de prêter serment de fidélité à l'empereur. Il ne s'agissait plus de gérer son diocèse avec une certaine liberté, il s'agissait de se faire agent de police du gouvernement, de dénoncer à l'autorité tout ce qui se tramait dans le diocèse. Il s'agissait de monter en chaire pour faire, à certains jours donnés, l'éloge du gouvernement. Il s'agissait d'accepter un blâme comme d'abus quand on faisait la moindre chose qui déplaisait au gouvernement.

Vous le voyez donc, messieurs, les causes qui exercent leur influence sur la conduite du clergé agissent de façons bien différentes selon les circonstances, puisque quelque temps après l'acte de résistance qu'on a vanté, le clergé a accepté un régime plus dur, dix fois plus humiliant que celui de la loi de 1790. Vous auriez donc dû, à côté du fait de résistance, rappeler la soumission et l'humiliation acceptée qui l'ont suivi ; mais vous ne l'avez pas fait, probablement parce que vous avez senti que ce qui s'est passé lors du concordat faisait disparaître la révolte de 1790 ou tout au moins lui ôtait toute signification, toute importance, tout mérite.

M. Delcourµ. - Vous ne le ferez jamais disparaître.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! Mais ce n'est pas la liberté de conscience qui a fait lutter le clergé en 1790 ; c'est un point incontestable.

M. Delcour a parlé du refus du clergé de marier les personnes divorcées.

Vous voyez bien, nous dit-il, que le clergé peut refuser son concours puisqu'il n'observe pas votre loi sur le divorce. Mais, messieurs, quelle comparaison peut-on établir entre la loi sur le divorce et la loi sur les bourses d'étude ? Deux personnes divorcées veulent se marier, elles le peuvent parfaitement, elles n'ont nullement besoin du concours du clergé pour cela. Le refus de concours du clergé n'a ici aucun rapport avec son refus de concourir à l'exécution de la loi des bourses ; c'est un acte de libre volonté de la part du clergé ; c'est là un acte du culte qui n'a rien à faire avec la loi, que la loi n'a pas à empêcher ni à commander.

M. Coomans. - Vous punissez le prêtre qui marie dans certains cas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas nous ; c’est la Constitution, qui défend la priorité du mariage religieux sur le mariage civil.

Mais il ne s'agit pas de cela et ne changeons pas la question. Dans la loi sur le divorce, il s'agit d'un acte qui ne touche en rien à la validité du mariage célébré par l'officier de l’état civil ; tandis que dans la question des bourses d'étude, si les administrateurs ne remettent pas les pièces dont ils sont détenteurs, il est impossible d'administrer, d'exécuter la loi. Dans le premier cas, le refus de concours du clergé est sans conséquence aucune ; dans le second cas, il a pour effet d'empêcher l'exécution de la loi. (Interruption.) Je dirai à l'honorable M. Coomans que si j'avais été au Congrès, je n'eusse pas voté la disposition défendant la priorité du mariage religieux sur le mariage civil...

M. Coomans. - Et vous auriez bien fait.

M. Mullerµ. - C'est selon.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non plus que certaines (page 79) autres dispositions. Mais rentrons dans le débat, certainement il y a des révoltes, il y a des révolutions qui sont légitimes.

M. Coomans. - Il y en a eu beaucoup.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a eu au moyen âge des résistances à l'autorité, résistances auxquelles on a applaudi, que l'histoire a amnistiées. Il y a eu même encore, dans ce siècle, des révoltes auxquelles les âmes généreuses applaudissent ; nous avons vu des hommes lutter soit pour la liberté, soit pour la nationalité et l'indépendance de leur patrie, et que le sentiment public approuve. Mais les honorables MM. Delcour et Thonissen ne se sont pas demandé les causes de cette admiration, et c'est pour avoir pris le fait brutal en lui-même, sans étude, sans examen, qu'ils ont proclamé d'une manière presque générale que toutes les révoltes et toutes les révolutions sont légitimes.

M. Thonissenµ. - Allons donc !

M. Delcourµ. - Nous n'avons pas dit cela.

MfFOµ. - C'est la conséquence de votre théorie.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Laissez-moi poursuivre et vous verrez bien vite que vous l'avez dit.

Il faut deux choses pour qu'une révolution soit légitime : il faut d'abord que ceux qui la font aient raison.

M. Delcourµ. - C'est la question.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Certainement, mais nous la discuterons tout à l'heure.

Il faut en second lieu que ceux qui s'y livrent ne puissent pas obtenir le redressement de leurs griefs autrement que par la résistance.

Voilà les deux conditions :

Prenons la dernière. Je comprends parfaitement bien qu'au moyen âge on se soit révolté contre l'inquisition : quand on vous met sur le bûcher, il n'y a pas d'autre moyen d'y échapper que la force. Quand on vous emprisonne et quand on vous met sur le chevalet, il faut bien résister violemment. Je comprends....

M. Thonissenµ. - Saint Thomas d'Aquin a dit cela avant vous.

M. Bouvierµ. - Excellente répétition.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est un grand honneur pour moi, qu'on traite d'anticatholique, de parler comme un père de l'Eglise. (Interruption.)

Je comprends encore la révolte sous les gouvernements libres pour des questions de nationalité, parce qu'il n'y a que la résistance qui puisse dénouer une pareille situation.

Mais lorsque vous pouvez, autrement que par la révolte, obtenir le redressement de vos griefs, la révolte n'a plus d'excuse. On comprend la révolte contre le despotisme, elle se comprend encore de la part du despotisme contre la liberté. Mais je ne comprends pas la révolte dans un pays libre prétendument au profit de la liberté. (Interruption.)

M. Coomans. - C'est la question.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ah ! c'est la question ! Prétendez-vous que vous ne pouvez pas réformer la loi autrement que par la résistance ? Prétendez-vous que nos institutions ne vous donnent pas le moyen de triompher de la position prétendument mauvaise dans laquelle vous dites vous trouver ? Alors, faites la guerre à nos institutions ; déclarez formellement que vous voulez renverser la Constitution belge, car tout a été fait en vertu de la Constitution et par la volonté du pays. Renversez nos institutions et tout ce qui existe ; car c'est le fonctionnement de ces institutions qui a produit la situation actuelle, et si vous prétendez que nos libertés engendrent des lois auxquelles vous ne pouvez pas vous soumettre, vous devez remonter à la source et vous en prendre à la Constitution même.

Si cela n'est pas vrai, si, au contraire, la Constitution vous permet de faire disparaître les soi-disant griefs politiques que vous avez, alors vous n'avez pas le droit de résister. Attaquez la loi ; dites qu'elle est mauvaise ; persuadez aux populations qu'il faut la réformer. Voilà votre rôle : Arrivez, par le jeu naturel de nos institutions, à redresser les torts que l'opinion libérale, comme vous le prétendez, a envers vous ; alors vous serez dans le vrai.

Voilà la véritable théorie de la résistance ; voilà ce qu'enseigne la science qui veut le progrès par l'examen, par la diffusion des lumières et par la liberté, et qui repousse comme odieuse dans un pays libre la résistance à la loi, soit active, soit passive, selon les distinctions impossibles des honorables professeurs de Louvain. (Interruption.)

Le second point, c'est que, pour vous révolter, vous devez avoir raison ; il faut que vos griefs soient sérieux et fondés ; pour prétendre que vous avez le droit de ne pas prêter votre concours à la loi sur les bourses, il faut que vous démontriez que vous avez raison. Eh bien, voyons !

« Votre conscience, dites-vous, vous dicte votre résistance. » J'admets votre sincérité. Mais dans un état social, qui crée la présomption de vérité ? « Le droit, disent les honorables MM. Thonissen et Delcour, est antérieur à la loi ; le juste et l'injuste ne sont pas l'objet des convention» humaines. »

Soit ; mais quand il s'agira de discerner quel est le droit, quel est le juste, qui va dire que là est le droit, là est le juste ? C'est la majorité. Abandonnez ce critérium, il n'y a plus qu'incertitude, il n'y a plus que péril.

Eh bien, la présomption de vérité est dans la majorité, et elle existe tant que vous n'avez pas renversé la majorité.

M. de Naeyerµ. - La majorité est un fait.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il m'étonne qu'un homme d'ordre comme l'honorable M. de Naeyer vienne contester ce point de droit, que la présomption de vérité est dans la majorité...

M. de Naeyerµ. - Oui, une présomption de vérité dont je ne nie pas l'importance.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et c'est la présomption de vérité dans la majorité, qui fait la loi, qui fait la force obligatoire de la loi.

S'il n'en était pas ainsi, voyez ce qui peut arriver. Le premier venu se dira en possession de la vérité politique ; il viendra demander l'application de son système de gouvernement.

Un autre utopiste se présentera ; il prétendra que la loi sur les successions est un anachronisme ; il dira :« Comment ! voilà un fils dissipateur, paresseux et incapable qui veut profiter de la fortune que son père intelligent et laborieux avait acquise. » L'honorable M. Delcour répondra : « Vous êtes un insensé ; la conscience de la majorité proteste contre votre thèse. » Et cet homme répondra : « Que venez-vous me parler de votre majorité, de votre conscience à vous ? Je vous dis qu'il y a un droit antérieur aux lois ; ma conscience à moi trouve que la loi sur les successions est une loi détestable, et qu'il ne faut pas lui obéir. » Comment arrêterez-vous cet utopiste, vous, conservateurs, si-vous n'avez plus ce critérium, que la présomption de vérité est dans la majorité ?

Voici maintenant un économiste qui se dira : « Chacun doit produire ce qui est nécessaire à son existence ; le moine ne produit rien ; par conséquent, il faut faire disparaître le moine. » Vous lui direz : « La conscience de la majorité est contraire à votre prétention. » Il vous répondra qu'il n'y pas de majorité qui tienne ; qu'il y a un droit intérieur à la loi.

Voilà les enseignements que vous donnez aux masses et aux utopistes ; voilà ce que vous, conservateurs, vous voulez introduire dans la machine sociale ; prenez garde, vous venez de jeter le grain de pierre dans son engrenage, au risque de la détraquer. (Interruption.)

M. de Liedekerkeµ. - Vous approuvez donc les votes de toutes les majorités ? Les majorités ont donc toujours raison ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, M. de Liedekerke, tout ce que fait une majorité n'est pas toujours bon ; mais dans ce cas, il est du devoir de la minorité de chercher à faire redresser les actes mauvais de la majorité par les moyens constitutionnels ; mais la résistance à la loi est impossible ; elle est inconstitutionnelle.

Dans un pays libre, on ne résiste pas à la loi, on l'exécute ; quand elle est mauvaise, on tâche d'arriver à sa réformation par la presse, par la parole, par la discussion, en un mot, par le jeu des institutions...

M. de Liedekerkeµ. - Les institutions sans doute, mais à condition de ne les avoir pas faussées.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Prétendrez-vous avoir plus de raison que le corps électoral ? Quant à la loi sur les bourses, le pays consulté vous a déjà condamnés deux fois ; eh bien, prétendrez-vous que, parce que vous êtes minorité, il faille suivre votre opinion, et ne tenir aucun compte des arrêts successifs que le pays a portés contre vous ? Vous vous mettez en révolte contre ces arrêts, et pour les attaquer vous n'avez pas d'autre raison à invoquer que vos défaites et les condamnations de vos doctrines par le corps électoral. (Interruption.)

(page 80) Ces attaques contre la loi, ces doctrines révolutionnaires nuisent profondément à la puissance et au prestige de la loi. Croyez-le bien, messieurs, c'est le parti conservateur qui a le plus à craindre de l'amoindrissement de la force et de l'autorité de la loi, car on invoquera contre vous les doctrines que vous préconisez ici. Dans d'autres sphères de la société, au bas de l'échelle sociale, on pourra aussi vous dire : « Nous avons un droit antérieur à la loi ; nous avons le droit de résister aux lois qui nous déplaisent ; notre conscience nous en fait un devoir. »

Je le répète, vous serez sans ressources pour faire respecter l'autorité de la loi, si vous continuez à marcher dans la voie imprudente qui vous a été ouverte.

Maintenant, messieurs, est-il vrai de dire, avec l'honorable M. Delcour, que la loi sur les bourses est mauvaise et qu'elle constitue un grief ? Je ne veux certes pas discuter à nouveau la loi sur les bourses ; mais je ne puis m'empêcher de protester énergiquement contre cette allégation de l'honorable membre, que la loi sur les bourses est une atteinte portée au droit de propriété. Une atteinte au droit de propriété !.. Comment ! on tient ce langage en Belgique, en plein XIXème siècle ! Mais j'aime à croire, messieurs, que l'honorable membre n'y a pas réfléchi. (Interruption de M. Delcour.)

Pas de phrases, pas de rhétorique ; discutons droit. C'est une atteinte au droit de propriété... (Interruption.) Très-grave, ajoutez vous. Mais qui est propriétaire ? Il n'est pas de propriété sans propriétaire. Sont-ce les collateurs administrateurs ? Evidemment non, car les collateurs ne profitent pas de la bourse, ils n'y ont aucun droit ; le véritable propriétaire, c'est le boursier, c'est l'institué qui doit profiter des bourses. Or, vous savez aussi bien que moi que le boursier conserve tous ses droits ; rien n'est changé quant au boursier, il va chercher l'instruction là où sa conscience lui dit d'aller la puiser.

Ainsi, retirez cette indigne accusation ; elle ne convient pas à votre talent de jurisconsulte ; vous ne pouvez pas soutenir qu'il y a là une atteinte à la propriété privée. C'est une accusation que nous devons repousser avec indignation...

M. Delcourµ. - Je la maintiens.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est si vrai que ce n'est pas une atteinte au droit de propriété, que l'honorable M. Schollaert à essayé, dans cette enceinte, d'établir cette prétendue propriété ; et quand on lui a demandé, à diverses reprises, qui est le propriétaire, il n'a jamais su le trouver, et je crois que l'honorable membre est encore occupé à le chercher. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Et il cherchera longtemps.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, au surplus il ne faut pas nous alarmer de la prétendue agitation qui s'est faite au sujet de la loi sur les bourses. Je ne suis pas de l'avis de plusieurs orateurs qui m'ont précédé, je ne crois nullement cette agitation sérieuse et je dirai que, dans ma pensée, elle ne dépasse pas les six évêques de la Belgique et le clergé supérieur.

La cause du sentiment d'irritation qui existe dans le clergé ne résulte pas de la loi des bourses. Elle tient à un état de choses qui préexistait à cette loi. Et voici comment on peut très bien expliquer ce mécontentement.

A la suite d'événements que vous savez, le chef de la catholicité a été amené à prendre une attitude qui lui fait condamner toutes les libertés modernes. Ces doctrines, en mettant dans la position la plus difficile les honorables membres de la droite, a entraîné les évêques belges dans la voie qui leur était indiquée par le souverain pontife. Ils ont adopté ses doctrines politiques ; ils ont proclamé un système social en contradiction complète avec les institutions modernes. Ils ont demandé, dans leurs écrits, l'existence pour l'Eglise catholique : la liberté absolue, le droit pour l'Eglise de former une société privilégiée dans l'Etat comme au moyen âge. Voilà ce qu'ils ont réclamé, se mettant en contradiction complète avec tous les progrès de la civilisation.

Ces tendances se sont accusées par la création de nouveaux organes, par l'accentuation dans un sens réactionnaire de la presse cléricale. (Interruption à droite.) Vous luttez ; mais vous êtes continuellement sur la corde roide, prêts à tomber à droite ou à gauche, et vous ne pouvez expliquer votre situation. Vous êtes obligés de faire des distinctions que personne ne comprend. Je crois, messieurs, que l'irritation du clergé provient beaucoup plus des événements extérieurs, de l'attitude prise ailleurs, que de nos petits débats intérieurs. La véritable cause tient à tout un état de choses qui regarde la catholicité entière ; et en France cette irritation s'est produite, le gouvernement français l'a éprouvée.

Plusieurs évêques se sont mis du côté de l'Encyclique ; ils ont fait de l'agitation. Mais, en France, le clergé ne jouit pas de la liberté dont il jouit ici, et cette agitation a été réprimée.

Ici où il y a liberté absolue, elle fait un peu plus de bruit. Mais c'est là un résultat de notre excellent régime. Le clergé suit le pape dans ses doctrines, grâce à la liberté dont nous jouissons ; il trouve nos institutions mauvaises et il s'en explique. Mais dans tous les pays, la même agitation existe ; vous rencontrez partout chez le clergé catholique le même état d'incertitude, les mêmes prétentions réactionnaires, les mêmes aspirations vers un régime théocratique. Il n'y a là rien de spécial à la Belgique.

Quant à la loi des bourses, elle n'a pas entamé l'épiderme de la nation, et je vais vous en donner la preuve évidente.

J'appartiens à une ville qui, après Louvain, est la plus dotée de bourses. Eh bien, on y a fait des élections de toutes espèces : élections communales, élections pour les Chambres ; j'en suis à la troisième pour ma part. Eh bien, l'évêque de Tournai a protesté avec force ; tout son clergé s'est jeté dans la lutte ; la presse cléricale a publié articles sur articles, et savez-vous ce qui est arrivé ?

Cette population, si vivement frappée de cette atteinte au droit de propriété, dont parle M. Delcour, qui croit que le clergé est en péril, qui craint l'annexion avec l'honorable M. Dechamps, comment a-t-elle montré son mécontentement ? Qu'est-il arrivé ? C'est que le nombre des voix données aux candidats libéraux a successivement et toujours augmenté. Dans huit jours une élection va avoir lieu à Tournai et soyez certains que ce sont les violateurs de la propriété, les confiscateurs et les voleurs qui triompheront probablement avec l'assentiment tacite du parti voté.

M. Coomans. - Et à Liège ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il ne s'agissait pas là de la question des bourses ; ne nous occupons pas de toutes choses à la fois.

Eh bien, il est bon de signaler cet état de choses à l'étranger. Voilà votre agitation des bourses. Cela n'est pas sorti des séminaires et des évêchés. Cela ne nous a pas fait perdre un électeur. Au contraire, nous en avons gagné ; nous avons gagné les voix de beaucoup de personnes modérées, vivement froissées de l'attitude inconstitutionnelle de l'épiscopat, de sa résistance à la loi, et qui, bien que n'étant pas de notre opinion, se sont réunies à nous pour protester, pour s'opposer aux anarchistes.

Quoi qu'il en soit, et c'est par là que je termine, je puis assurer que cette résistance à la loi ne produira pas de résultats sérieux. La loi sera exécutée avec calme, avec modération, sans forfanterie ; mais aussi, qu'on en soit sûr, avec fermeté et dignité. Nous savons parfaitement bien que le gouvernement est chargé de faire respecter la volonté nationale. Quand il exécute la loi des bourses, il exécute votre propre volonté, et il n'y a pas de résistance, n'importe de quel côté elle vienne, qui empêchera le gouvernement de faire ce que la législature a librement fait, ce que le Roi a librement sanctionné.

M. Royer de Behr. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Je n'ai que quelques mots à dire au sujet de la lettre de mon honorable ami M. Dechamps.

Dans un journal de Namur et dans de nombreuses publications, on avait soutenu, afin de nuire à ma candidature, que l'honorable M. Dechamps répudiait mon concours dans la formation d'un ministère dont il eût été le promoteur ; c'est alors que j'ai permis l'impression d'une lettre de mon honorable, ami, rappelant une promesse que je lui avais faite de prendre, si les circonstances se présentaient, une part dans le poids du pouvoir.

Il n'y avait rien dans ce fait, de ce que l'honorable ministre y a découvert, à moins cependant qu'il ne prétende que l'honorable M. Dechamps voulait se substituer à la couronne pour nommer les ministres.

En exprimant sa pensée, l'honorable M. Dechamps avait le droit de supposer que les élections auraient été favorables à son opinion, et moi, en publiant la lettre dont il s'agit, j'usais du droit de me défendre contre une polémique inqualifiable.

Messieurs, j'ai reconnu très franchement que la circulaire de Tournai n'était pas signée par les honorables députés de cet arrondissement. Cependant, l'honorable préopinant n'a pas répondu à ce point de mon (page 81) discours : c'est qu'il semblait que la presse libérale avait pris à tâche de mettre, dans tous les arrondissements ou dans presque tous les arrondissements la personne du Roi en cause.

Il suffit de lire un journal libéral de l'époque pour retrouver la preuve de ce que j'avance. J'ai même sous les yeux un journal où l'on fait de mon nom une sorte de drapeau contre la royauté.

Voici ce que disait ce journal :

« Partout et toujours, la droite est opposée à la royauté. Entre la droite et l'autorité royale il y a lutte de tous les instants.

« Voter pour la droite, c'est voter contre le Roi. Voter pour M. Royer de Behr, c'est demander la retraite du prince qui nous gouverne avec tant de bonheur depuis plus de trente-trois ans. »

Enfin on ajoutait que je voulais même déchirer le pacte fondamental. Cela se publiait le jour même des élections, alors que je ne pouvais répondre.

On prétendait que moi je voulais renier la Constitution. Eh bien, c'est odieux, pour ne pas dire plus.

M. Bouvierµ. - On en a écrit bien d'autres dans la presse cléricale !

M. Royer de Behr. - J'ai dit dans mon discours de samedi dernier, qu'on colportait à Tournai, dans l'intérêt de la candidature de l'honorable ministre, que celui-ci était l'ami intime du Roi.

Ce fait est proclamé très bruyamment dans un discours de l'honorable bourgmestre de la ville de Tournai, M. de Rasse, sénateur.

Je ne veux pas vous lire tout le discours de M. de Rasse, mais je vais vous en donner un spécimen :

« L'arrondissement de Tournai a une belle et noble mission à remplir, c'est de répondre aux provocations venues de Malines, en envoyant au parlement M. Rogier, l'homme de 1830, le chef du cabinet libéral, l'ami de notre Roi ! » (Applaudissements.)

Cela se disait dans un intérêt électoral.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'insister davantage sur cet incident.

M. Delaetµ. - Messieurs, on a dit que la nomination de l'honorable M. Bara aux fonctions de ministre de la justice remplaçait le discours du Trône, et assurément à l'allure que prend la discussion actuelle, on dirait que la Chambre s'occupe du débat sur l'adresse et non plus de la simple demande d'explications qui a été faite par mon honorable ami, M. Jacobs.

L'honorable ministre de la justice a cru convenable de ne pas répondre aux interpellations de l'honorable M. Jacobs ou du moins de n'y répondre que d'une façon parfaitement inintelligible pour cette partie de la Chambre, et jusqu'à ce moment, je ne comprenais pas la signification réelle de la nomination de l'honorable M. Bara. il vient de nous en donner la clef.

Aujourd'hui nous savons pourquoi il est assis au banc ministériel. M. Dechamps n'a eu que trop raison de signaler dans le pays une agitation réelle et profonde... (interruption.) Une agitation qui croît de jour en jour. (Interruption.) N'en déplaise à l'honorable M. Frère, l'honorable ministre des affaires étrangères lui-même l'a reconnue ; elle existe, a-t-il dit, mais il la prétend superficielle et passagère.

Vous savez que cette agitation existe et vous la redoutez.

Vous savez que ce n'est pas une agitation catholique et cléricale, mais un véritable mouvement libéral, l'expression du mécontentement profond de tous ceux qui ne comprennent pas que la liberté, pour exister dans le pays, doive être absorbée par l'Etat ; qui comprennent au contraire la liberté au profit des citoyens et qui savent que l'équivalent de la liberté, lorsqu'elle n'existe que pour l'Etat, est le despotisme.

M. Hymans. - C'est là ce qui est intelligible !!!

M. Delaetµ. - M. Bara est venu au pouvoir pour raviver la lutte clérico-libérale.

Il a dit au début de son discours qu'il ne reconnaît que l'existence de deux partis : le parti catholique et le parti libéral.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne connais et non pas je ne reconnais ; il y a une différence.

M. Delaetµ. - Eh bien, nous en connaissons un autre ; c'est le parti...

MfFOµ. - D'Anvers.

M. Delaetµ. - C'est le parti constitutionnel.

Il n'y a pas de parti à Anvers. Il y a une population profondément mécontente, profondément méconnue, et traitée avec la plus odieuse injustice ; voilà ce qu'il y a à Anvers, et comme vos procédés vis-à-vis d'Anvers sont un peu aussi vos procédés vis-à-vis du pays, comme vous faites surgir des mécontents partout ; comme vous voyez que Liège vous échappe après Bruxelles, vous avez cru qu'il était temps d'évoquer le spectre noir.

Puisque MM. les ministres se sont permis des comparaisons qui sortent un peu de nos habitudes parlementaires, je vais en faire une à mon tour.

L'honorable M. Bara, c'est un des frères Davenport que vous venez d'appeler à votre secours. Mais depuis la déconvenue des spirites à Paris, on ne croît plus aux spectres et on est déniaisé des guitares cléricales ou autres. Vos efforts seront donc faits en pure perte, votre tentative ne réussira pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est charmant !

M. Delaetµ. - Le discours de M. Bara n'a été qu'une longue évocation, et le silence de toute la Chambre qui l'a accueilli, vous prouve que, comme on vient de me le dire sur nos bancs, le ressort de votre armoire spirite est cassé.

Je cours peut-être le danger d'être compris, solidarité excessivement honorable et flatteuse pour moi, dans l'accusation que vous faites peser sur l'honorable M. Dechamps.

Je signale une agitation profonde, croissante et d'autant plus redoutable qu'à côté d'elle il se produit une grande lassitude. C'est là peut-être ce qui vous empêche de l'apercevoir.

Eh bien, en acquit de notre devoir de représentant et obéissant à l'impulsion des sentiments patriotiques qui nous animent, nous venons vous dire : Prenez garde ! l'Europe se sent mal assise. (Interruption.)

Je permets à ces messieurs de la gauche de rire, le rire est un argument facile pour qui n'en a pas d'autre ; mais je leur répéterai ce que j'ai eu l'honneur de leur dire dans la session passée : « Riez et criez ; pourvu que vous n'empêchiez pas les sténographes de m'entendre, peu m'importe ! »

Je sais que quelque soit le degré de raison qui puisse se trouver dans nos objections à votre politique, vous ne nous écouterez pas ; il n'y a pas de conversion à faire sur vos bancs...

M. Bouvierµ. - Cela est vrai, cela est vrai !!!

M. Delaetµ. - Oui, quant aux votes ; mais quant aux sympathies, non.

Si le ministère peut encore compter sur vos votes, si, de la demande qu'il nous a adressée hier relativement aux garanties que l'on pouvait fournir d'une vote unanime sur nos bancs, nous pouvons conclure qu'il n'a pas cessé de commander aux vôtres ; nous savons que chez vous il y a plus d'un membre qui ronge son frein et qui, vous le savez aussi bien que nous, secouerait demain votre joug... s'il osait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et chez vous ?

M. Delaetµ. - Quand nous venons dans ces débats affirmer nos principes et nos aspirations, que nous dit-on ? On outre notre pensée, on la dénature, on l'exagère et par là même on la calomnie. (Interruption.) Quand nous faisons ici profession de foi catholique, on nous dit que nous obéissons aux évêques et que nous ne sommes pas libres dans nos consciences.

On invoque l'encyclique, que l'on ne comprend pas, et l'on nous dit : Vous êtes parjures soit à votre baptême, soit à votre serment constitutionnel. Si vous tenez à votre serment et que vous admettiez les institutions civiles, vous êtes parjures à votre baptême ; si vous restez fidèles aux obligations que vous impose votre titre de catholique, vous ne sauriez être un loyal représentant de la Belgique. Voilà votre système.

Messieurs, quand le débat porte sur les questions intérieures, on nous calomnie en outrant notre pensée, car pour prédire soit dans cette Chambre, soit en dehors, le sort qui attend les pays profondément divisés, on ne doit pas voir bien loin dans l'avenir ; il suffit de jeter les yeux sur le passé.

L'histoire confirme pleinement ce que dit l'Evangile : que tout royaume divisé contre lui-même doit périr. Ici encore on ne peut nous répondre, on se résigne à nous calomnier, (page 82) on nous accuse de faire appel à l'étranger. L'étranger, nous dit-on, ne sait pas quelles sont nos divisions et vous le priez, en les lui signalant, de venir faire la police chez nous ; vous lui faites savoir qu'il aura la proie facile ; et vous l'engagez à s'en emparer.

Cette exagération je l'aurais comprise dans la bouche d'un simple membre de la Chambre : je ne la comprends pas dans la bouche d'un ministre et moins encore dans la bouche de M. le ministre des affaires étrangères. Je doute même que l'honorable M. Rogier ait pesé toute la portée de son argument.

Il y a quelques jours, il croyait nous frapper en pleine poitrine : Nous étions de mauvais patriotes ; mais songeait-il qu'il courait le risque d'atteindre derrière nous d'autres personnes, que lui, dans l'intérêt de ses relations personnelles et de celles du pays, doit, avant tout, s'attacher à ménager ?

Nous avons, et c'est un honneur pour la Belgique, un corps diplomatique étranger très considérable et très considéré, accrédité auprès de notre gouvernement.

Or, je ne crois pas que le corps diplomatique n'ait d'autre mission en Belgique que de remettre à Sa Majesté des nouvelles des familles des cours souveraines. Je crois que chacun de ses membres a pour mission spéciale, sinon principale, de signaler à son gouvernement ce qui se passe dans le pays où il est accrédité.

Eh bien, si la brochure de l'honorable M. Dechamps n'avait aucune valeur, ne reposait pas sur des bases réelles, pourquoi alors y donner le retentissement qu'assure cette tribune ? pourquoi aller dire à l'étranger : Non, personne n'est mécontent en Belgique, tout le monde y est satisfait, nous sommes le modèle des gouvernements, nous sommes libéraux, progressistes et impartiaux. Cependant, nous régnons un peu longtemps et il y a des hommes politiques qui, mécontents de n'être pas au pouvoir, sont capables de faire appel à l'étranger et coupables de l'avoir fait ; nous les flétrissons.

Quand vous dites cela à l'étranger, votre acte mérite d'être flétri bien plus que celui de M. Dechamps, parce que c'est là faire accroire à l'étranger qu'il peut se nouer des intrigues en Belgique ; qu'il y a des hommes considérables tout prêts à tendre la main à l'ennemi.

Mais, si l'agitation est réelle, si le mécontentement est profond, alors ce n'est plus M. Dechamps que vous atteignez, ce n'est plus nous, c'est le corps diplomatique.

Vous dites à toutes les puissances étrangères, au risque de devenir dénonciateur :

« Vous avez ici des diplomates ; le pays est agité, il est mécontent, nous nous livrons à des luttes ardentes, comme si nous ne pouvions jamais être menacés par un danger quelconque ; mais votre diplomatie ne sait rien, ne voit rien, car si elle sait tout et voit tout, elle néglige de vous en donner connaissance. »

Je vous avoue que si j'avais l'honneur d'être ministre des affaires étrangères, je n'oserais pas traiter de cette façon le corps diplomatique.

J'ai dit tout à l'heure, messieurs, que la nomination de l'honorable M. Bara avait été nécessitée par le besoin qu'éprouve le cabinet de réveiller les querelles clérico-libérales.

Nous avons vu ce qu'il a dit de l'encyclique. D'autres répondront.

Quant à moi je vous déclare, question d'Anvers à part, que si dans le pays il n'y avait de luttes qu'entre le parti catholique et le parti libéral, telles que vous les entendez, telles que vous voudriez les éterniser parmi nous, je quitterais immédiatement ces bancs et vous laisserais à votre aise vous livrer à des querelles dignes du Bas-Empire ; je croirais avoir mieux à faire que de venir ici perdre mon temps à des querelles ridicules qui ne doivent et ne peuvent mener à rien.

Mais voici quelle est votre position, et, je le déclare, j'ai été étonné bien souvent de voir nos honorables amis de la droite vous servir gracieusement de compères et vous aider à cacher votre jeu : Vous n'êtes pas des libéraux, vous êtes des doctrinaires. (Interruption.)

Je vais vous dire ce que c'est que le parti doctrinaire. Je n'ai pas eu l'honneur d'assister à la conférence qu'a donnée à ce sujet à Gand un de nos honorables collègues, mais voici quelle est la signification du mot, telle qu'elle ressort de l'observation des faits : Le parti doctrinaire est celui qui, dans les pays constitutionnels, veut affaiblir la liberté au profit du pouvoir.

Quel que soit donc votre nom, voilà ce que vous êtes et voilà ce que vous faites.

M. Hymans. - C'est ce qu'on fait à Rome.

M. Thonissenµ. - Vous êtes incompétents pour juger Rome. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Je ne suis pas ici député de Rome. Je ne suis ni Romain, ni Italien. Je suis Belge et Flamand et je parle de mon pays, dans mon pays et pour mon pays.

Je dis donc que depuis 1859 toute votre lutte n'a été qu'une lutte contre le libéralisme.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous nous avez toujours soutenus dans les élections.

M. Delaetµ. - Vous n'avez eu qu'un but, c'est de ne pas laisser intacte une seule de nos libertés constitutionnelles, de concentrer la liberté entre les mains de quelques-uns, c'est-à-dire de fortifier le pouvoir. Pour accomplir cette œuvre mauvaise, cette œuvre antipatriotique, j'ose le dire, vous aviez besoin de cacher votre drapeau et de dissimuler la pensée qui vous guidait. Et qu'avez-vous fait ? Vous vous êtes dit : Si nous allons avouer que nous sommes des doctrinaires, des partisans du pouvoir fort, nous aurons contre nous le parti libéral. Faisons donc une diversion et commençons par faire accroire que nous sommes les représentants et les champions de l'indépendance du pouvoir civil, non pas contre la liberté civile, mais contre l'Eglise.

Et c'est au moyen de cette diversion, c'est en appelant à votre secours la peur d'un danger imaginaire que vous avez attiré dans vos rangs un grand nombre de libéraux sincères, sérieux amis de la liberté, et qui ne vous auraient jamais suivis si, au lieu de les mener en apparence contre l'Eglise, vous les aviez ostensiblement menés là où vous voulez ; les conduire, c'est-à-dire contre la liberté. (Interruption.)

Vos actes le prouvent.

Quels sont, en définitive, dans votre long ministère, dans vos ministères successifs, les développements réels et sérieux que vous avez donnés à nos institutions ?

Quand l'année dernière mes amis ont présente un programme bien modeste qui pour moi et pour beaucoup de nos collègues, j'ose le déclarer bien haut, n'était même qu'un premier pas dans la voie du vrai libéralisme, dans la voie de l'admission de tous à la pratique de la souveraineté nationale qui n'est en réalité exercée aujourd'hui que par 100,000 censitaires, vous avez dit que c'était un programme anarchique. Ce qui était surtout anarchique à vos yeux, c'est qu'au lieu de saper la Constitution par sa base en méconnaissant la souveraineté populaire, nous avons voulu élargir cette base et la consolider en établissant notre nationalité sur l'assentiment du plus grand nombre possible de citoyens.

Voilà comme nous avons fait de l'anarchie et voilà comme vous faites du libéralisme et du progrès. Oh ! vous avez bien besoin d'évoquer les spectres, car les esprits vivants vous abandonnent. (Interruption.) Aussi, après nous avoir calomniés, après avoir dit que nous appelions l'étranger dans notre pays pour nous dominer et les évêques et Rome pour y régner, vous avez craint que les grandes phrases, que les gestes à effet, que la dixième édition faite par M. Frère de la ténébreuse et lamentable histoire des méfaits du clergé, manquant leur effet, puissent demeurer sans influence sur le pays, et alors vous avez appelé le ridicule à votre secours.

Nous avons un homme illustre, un grand orateur, le plus grand orateur belge, à mon sens, M. Dechamps. Vous l'avez banni du parlement. (Interruption.)

C'était votre droit ; mais ce qui n'était pas votre droit, ce qui n'était pas le droit de M. le ministre des finances, c'était de chercher à le rendre ridicule en le comparant à sœur Anne montant à sa tour. (Interruption.)

Oui, M. Frère le fait monter à sa tour, et quand il est là, dit-il, il voit des dangers que nul sur vos bancs n'aperçoit.

Mais, messieurs, pour apercevoir ces dangers, il ne faut pas monter bien haut ; il suffit de rester à fleur de sol. Le danger est là, il est visible et tangible pour tous à moins qu'on ne veuille s'obstiner dans un aveuglement volontaire et qu'au lieu de monter à la tour, on ne descende dans le puits ; on ne voit plus alors les dangers, mais on a l'avantage de voir et de faire voir les étoiles en plein midi. (Interruption.)

L'heure de la séance étant fort avancée, je demande à la Chambre la permission de continuer demain.

- Vois nombreuses. - Oui, oui, à demain.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère des travaux publics, pour l’extension du matériel des chemins de fer

Dépôt

MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit de 8 millions de francs pour l'extension du matériel des chemins de fer.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué et soumis à l'examen des sections.

- La séance est levée à 5 heures.