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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 31 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1053) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Lefebvre, caporal au 4ème régiment de ligne, demande l'autorisation de s'enrôler dans le corps Impératrice Charlotte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Willems demande que le sieur Jean-François De Roo, milicien de cavalerie de 1865, soit congédié du service. »

- Même renvoi.


« Des membres de la société centrale d'Agriculture, des propriétaires et cultivateurs prient la Chambre d'augmenter le crédit porté au projet de loi de travaux publices en faveur de la voirie vicinale. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi des travaux publics.


« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre d'adopter les propositions de la section centrale tendantes à établir, à travers la capitale, une jonction directe entre les lignes du nord et du midi, avec station centrale. »

- Même décision.


« Par dépêche du 30 mai, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation du sieur Luneburg, »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale continue.

M. de Florisone ; - Messieurs, mon intention en prenant la parole dans cette discussion, n'est pas de faire, par esprit de clocher, la critique de la réparation des crédits affectés aux travaux publics ; quoique l'arrondissement que je représente plus spécialement dans cette enceinte n'obtienne que bien peu de chose des 60 millions, je ne cirerai pas à l'injustice. Je reconnais volontiers que l'amélioration de la navigation sur la Lys, l'établissement à Comines d'une écluse destinée à faciliter l'accès du canal d'Ypres ; les travaux projetés au port de Nieuport assureront les transports par eau des matières pondéreuses vers Ypres et son arrondissement et leur procureront d'incontestables avantages.

Je remercie l'honorable ministre des travaux publics d'avoir tiré Nieuport de l'état d'abandon misérable où il se trouve depuis si longtemps, et j'espère que le million demandé aujourd'hui sera suivi de tous les crédits nécessaires pour l'achèvement complet de ce port.

Messieurs, l'objet principal de mon discours est de rappeler à M. le ministre des travaux publics la promesse qu'il a faite, dans la séance du 28 mars 1862, lorsque j'eus l'honneur d'attirer son attention sur l'état déplorable où se trouvait l'Yser à partir de la Fontelle jusqu'à la frontière française ; je disais alors que la navigation, forcément interrompue, à cause du défaut d'entretien, pendant une grande partie de l'année, ne pouvait se faire, pendant les autres mois, qu'au moyen d'alléges. M. le ministre promit de faire étudier les travaux d'amélioration à exécuter au haut Yser.

Depuis lors, messieurs, nous n'avons plus entendu parler de rien, et la situation n'a cessé de s'empirer : la rivière est complètement envasée ; la navigation y est devenue impossible. Il est urgent, messieurs, d'apporter un remède à cet état de choses, qui lèse les intérêts d'un des cantons les plus riches et les plus populeux de la Flandre.

Rousbrugge est privée de toute voie ferrée ; c'est par l’Yser que lui arrivaient jadis toutes les matières pondéreuses : les pierres, la chaux, les engrais. Le défaut d'entretien, lui a ôté cette voie navigable. Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, combien cette situation fâcheuse pèse sur le commerce et l'agriculture de ces contrées. L'Yser fait partie du système de voies navigables qui aboutissent au port de Nieuport, et qui après la jonction de la Lys à l'Yperlée, seront en communication directe avec les contrées les plus industrielles du Hainaut, par le canal de Bossuyt à Courtrai. Serait-il juste, messieurs, que les riverains du haut Yser fussent seuls privés de ces avantages ? Et remarquez que ce qu'ils demandent n'est pas le creusement d'un nouveau canal, c’est le rétablissement de la navigation telle qu'elle se pratiquait jadis.

II serait juste aussi de donner à l'Yser le même tirant d'eau et la même largeur que les canaux du même bassin, de façon qu'un bateau chargé parti soit de Nieuport, soit du Hainaut, puisse arriver à Rousbrugge directement et sans rompre change.

Messieurs, les travaux du bas de la rivière sont terminés, ceux qui restent à faire sont indépendants de ceux de l'Yser ou peuvent s'exécuter en même temps. Le crédit d'ailleurs est loin d'être épuisé. Il me semble, messieurs, que le moment est venu de donner satisfaction à la légitime impatience des riverains de l'Yser ; leurs réclamations sont si justes qu'il est impossible que les travaux se fassent longtemps attendre. J'appelle, sur ce point, la bienveillante attention de M. le ministre, et je suis sûr qu'il fera droit à ces pressantes demandes.

Il me reste à dire quelques mots sur un autre sujet. Vous connaissez, messieurs, les réclamations qui sont venues à la Chambre de toutes les localités situées sur le parcours du chemin de fer de la Flandre occidentale. Au moment oh le gouvernement abaissait ses tarifs, cette compagnie, loin d'imiter cet exemple, augmentait au contraire les siens. M. te ministre des travaux publies, répondant dans cette session à une interpellation de l'honorable M. Rodenbach, déclarait que son département était entré en pourparlers avec diverses compagnies pour leur faire adopter des tarifs mixtes. Je désirerais savoir si ces négociations ont déjà abouti et si nous pouvons espérer de voir cesser un état de choses qui constitue une flagrante injustice.

Je demanderai aussi à l’honorable ministre si les compagnies de chemin de fer qui ont obtenu des concessions dans la Flandre occidentale se disposent à commencer sous peu leurs travaux.

M. de Ruddere de Te Lokeren. - Messieurs, j'ai demandé la parole, non pour solliciter de nouveaux travaux, comme beaucoup de mes honorables collègues ; l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte est satisfait du crédit porté par le projet de loi pour continuer les travaux de la canalisation de la Dendre, lesquels doivent mettre un terme aux inondations qui ont causé tant de dégâts aux propriétés riveraines ; mais je viens, messieurs, renouveler ma recommandation de l'année dernière, afin de prier M. le ministre des travaux publics de vouloir prescrire, lors du plan définitif du chemin de fer de Denderleeuw à Courtrai, qu'il y ait une station dans la commune de Kerkxken, qui est distante de Denderleeuw d'environ 6 kilomètres, et de 6 à 7 kilomètres de Herzele, chef-lieu de canton judiciaire, laquelle se trouve être à la même distance de Sottegem.

La commune de Kerkxken dont la population augmente d’année en année, est très importante au point de vue de son industrie, il y a plusieurs fabriques de toiles damassées et une fabrique de soie, si elle devait être privée d'une station, les fabricants ne pourraient soutenir la concurrence avec les industries similaires ; l'agglomération des communes environnantes, telles que Haeltert, Denderhatem, Heldergem, Meire, Neuwerkerke et Erpe, etc., dont on peut estimer la population à 16,000 ou 17,000 habitants, rendra cette station très importante ; aussi les communications sont des plus faciles par la route provinciale d'Alost à Grammont, qui la traverse dans toute sa longueur, il s'y fera donc un grand commerce, et je ne vois aucune objection sérieuse qu'on pourrait élever contre l'établissement d'une station à Kerkxken, laquelle doit procurer de grands avantages au concessionnaire.

J'ose espérer que M. le ministre des travaux publics voudra bien, lorsqu'il arrêtera le plan définitif, en faire une condition.

Messieurs, j'ai encore une recommandation à faire à M. le ministre des travaux publics, celle de le prier de faire établir une station à Erwetegem à l'endroit dit Smitsenhoek, sur la ligne du chemin de fer de Braine-le-Comte à Melle ; cette station sera des plus importantes par ses nombreux affluents, comme mon honorable ami M. de Naeyer l'a si bien développé dans la séance du 9 avril dernier, auquel je me rallie, ainsi qu'aux développements faits par mon honorable collègue M. Van Wambeke, dans la séance d'hier, concernant l'établissement d'une station à Erwetegem au Smitsenhoek. J'ose espérer que M. le ministre des travaux publics prendra les mesures nécessaires pour que cette station soit établie au Smitsenhoek à Erwetegem.

M. Debaets. - Messieurs, puisque des deux côtés de la Chambre on fait un peu sa litanie auprès de M. le ministre des travaux publics, je demanderai aussi la permission de dire mon petit ora pro nobis, que je rendrai aussi court que possible. C'est le meilleur moyen d'être écouté et exaucé.

Je n'examinerai pas la question de savoir si les crédits demandés sont utiles ou ne le sont pas. Je crois qu'à cet égard il y a presque (page 1054) unanimité sur tous les bancs de la Chambre. Je me bornerai à signaler quelques points à l'attention spéciale de M. le ministre des travaux publics pour que, comme il en a du reste l'habitude, il n'oublie pas le district que nous avons l’honneur de représenter ensemble, et surtout quelques communes dont j'indiquerai les titres spéciaux à obtenir une large part dans les deux millions destinés aux chemins affluents aux stations des chemins de fer.

A une distance assez rapprochée de Gand, nous avons la commune de Lovendegem, un bourg important, et qui, contrairement à ce qui est arrivé pour plusieurs de nos communes rurales, a perdu considérablement par suite de la construction du chemin de fer de l'Etat d'abord et ensuite du chemin de fer de Gand à Eecloo. Cette commune, en effet, avait tout le mouvement commercial et le passage de beaucoup de voyageurs entre Gand, Eecloo, Bruges et Ostende.

Depuis la construction du chemin de fer de l'Etat, le mouvement entre Gand et Bruges a été détourné. Le chemin de fer d'Eecloo est venu après lui enlever les dernières communications.

Il serait donc équitable d'accorder à cette commune un dédommagement en lui donnant une bonne part des deux millions, en construisant un petit tronçon de chaussée d'une longueur d'environ cinq kilomètres depuis Lovendeghem jusqu'à la station de Sleydinge ; et l'on obtiendrait ce résultat remarquable que, moyennant une dépense minime, on relierait entre elles huit voies de grande communication convergentes toutes vers la ville de Gand. C'est ainsi que par cette construction il serait établi un raccordement non interrompu entre le chemin de fer de l'Etat, le canal de Bruges, la chaussée de Gand à Bruges, la Lieve, le chemin de fer d'Eecloo, la chaussée de Gand à Watervliet, la chaussée de Gand à Bouchaute, le chemin de fer de Terneuzen à Gand et le canal de Terneuzen.

Il suffirait de ces cinq kilomètres pour établir une jonction complète et directe entre toutes ces grandes artères et relier entre elles plusieurs communes, parmi lesquelles de très importantes, telles que Somergem, Landegem, Meirendrée, Lovendegem, Vinderhaute, Sleydinge, Ertvelde, Clujzen et d'autres.

Il y a encore une localité qui est digne de toute la sollicitude de M. le ministre des travaux publics. C'est la commune de Heusden, située à 4 ou 5 kilomètres de Gand, et qui présente ce fait remarquable que, souvent, pendant 3 ou 4 mois de l'année, elle est transformée en une espèce d’île, difficilement abordable.

Elle se trouve à trois kilonmètres de la chaussée de Gand à Termonde et à une distance égale à peu près de la station de Melle. Il suffirait de relier le village de Destelbergen par Heusden à cette dernière station, pour obvier à des inconvénients très graves.

Une autre commune, qu'une position toute spéciale recommande à la bienveillante attention de M. le ministre des travaux publics, est la commune djOostacker, bourg de 5,000 habitants, qui se trouve dans une condition anomale et singulière. Son territoire est traversé actuellement par deux chemins de fer, dans quelque temps un troisième y passera, et sur aucun point de son territoire elle n'a et n'aura une station.

Il s’agirait de venir en aide à cette commune pour lui permettre de se relier moyennant 2 kilomètres de chaussée à la station de Langerbrugge sur le chemin de fer en construction de Terneuzen, et de se raccorder, en traversant le Moervaert, à la commune de Winckel par Desteldonck et Mendomk, se rattachant ainsi aux communes spécialement connues de M,.le bourgmestre de Moerbeke qui pourra confirmer et appuiera, j'espère, mes observations.

Un embranchement de cette voie réunirait Oostacker au chef-lieu du canton de Loochrisiy, et ainsi au chemin de fer de Waes.

Au reste Oostacker a depuis de longues années donné un bon exemple, car c'est peut être la première commune qui ait construit à ses frais et sans subside aucun de la paît du gouvernement, une étendue de pavé de huit kilomètres. Le gouvernement ferait donc justice en lui venant en aide, en lui faisant une large application de la part revenant à la Flanfre orientale dans les deux millions destinés aux voies de communication.

Je pourrais indiquer d'autres communes de notre district, mais celles que je viens de nommer se trouvent dans une position toute spéciale.

J'espère qu'il aura suffi de les signaler à M. le ministre des travaux publics, qui lui-même d'ailleurs peut apprécier toute la valeur de mes observations ; je suis convaincu que justice leur sera faite.

Il est un dernier point sur lequel je prierai la Chambre de me permettre de dire un mot. Il s'agit d'une véritable omission, en ce qui concerne le chemin de fer de ceinture de la ville de Gand. Je répète, ce doit être une omission et je pense qu'il suffira de la relever pour la faire réparer par le gouvernement.

II nous manque à Gand, et depuis longtemps, des bassins spéciaux pour le bois du Nord, pour le guano et pour l'huile de pétrole. La création de ces bassins devient une nécessité urgente, De l'avis de tout le monde, le port de Gand sera d'ici à très peu de temps un centre important pour le commerce des bois et le dock actuel est complètement insuffisant.

Ce dock n'est pas seulement un bassin de déchargement, c'est en même temps une voie de passage. C'est le point que traversent les navires qui vont des canaux de Terneuzen et de Bruges vers le bas Escaut.

Or, il arrive qu'à certains moments de l'année les bois du Nord arrivent en quantités tellement considérables qu'il est réellement impossible de satisfaire aux besoins du commerce.

Cela présente des inconvenants ; cela paut présenter des dangers. Nous avons vu le désastre qui est arrivé à Anvers, et sans l'activité et le dévouement de la force publique et des autorités, nous aurions eu à Anvers d'immenses désastres à déplorer, si le feu était venu à se communiquer aux bâtiments placés dans les bassins.

Evidemment, un danger analogue pourrait se présenter pour le port de Gand où la manœuvre des navires pourrait être rendue impossible par les cargaisons de bois déposées dans le dock, surtout au milieu de la confusion qu'un sinistre entraîne.

Dans les circonstances normales mêmes pour peu que le mouvement augmente l'activité, il y aura des entraves constantes et par conséquent des pertes de temps.

Il n'est pas besoin de signaler les inconvénients de la présence du pétrole dans des locaux juxtaposés à d'autres, non plus que les désagréments qui résultent du chargement et déchargement de cargaisons de guano. Il suffît de faire une promenade autour du bassin spécial d'Anvers pour s'en convaincre.

Donc la création du nouveau bassin à Gand est une chose nécessaire. C'est une chose à faire actuellement, puisque jamais on ne se trouvera dans des circonstances plus favorables pour exécuter ces travaux. Je m'explique.

Ce terrain se compose du bord et du grand bassin, de l'emplacement du chemin de route, du fossé de l'octroi et du rempart extérieur. A côté de ce terrain devenu disponible par suite de la suppression de l'octroi, s'étendent de grandes prairies traversées par le chemin de fer d'Eecloo.

Voilà donc entre le bassin et le railway un immense terrain vague sur lequel ne s'élève aujourd’hui qu'une seule construction.

Ce terrain a une longueur d'environ 1,400 mètres sur une largeur de 200 à 500 mètres et dont la valeur actuelle n'atteindrait pas 10,000 fr. l'hectare, pour une zone et ne dépasserait guère 15 ou 20 fr. pour l'autre zone. Mais, messieurs, ce terrain, si l'on ne profite du moment favorable, se couvrira bientôt de constructions, il deviendra un boulevard et lorsque plus tard la ville de Gand devra exécuter ces bassins, qui fatalement devront se faire, elle sera obligée d'exproprier des terrains qui auront alors une valeur immense, comparativement à celle qu'ils ont aujourd'hui.

Je dis plus, messieurs, c'est que la création de ces bassins ne coûterait rien au gouvernement, ou tout au moins coûterait très peu de chose.

C'est un peu paradoxal que d'annoncer la création de grands bassins., sans qu'il en coûte presque rien au trésor ; je crois cependant que la preuve n'est pas difficile à fournir. La voici :

D'abord, il s'agit de bassins servant au dépôt de bois du Nord, de guano, d'huile de pétrole ; il ne faut pas absolument que ce soient des bassins munis de quais, ce peuvent être des bassins comme est le dock actuel sur la plus grande partie de sa longueur.

Il ne faut pas d'écluses, il ne faut pas de ponts. Il n'y a donc que des travaux de terrassement ; mais remarquez, messieurs, que parallèlement à l'endroit où je demande la création des bassins et tout près de là, le gouvemement doit construire son chemin de fer de ceinture qui, sur une longueur de plusieurs kilomètres, nécessitera un remblai dont la hauteur moyenne sera de 3 mètres ; de manière que le gouvernement, s'il ne fait pas le bassin à l'endroit que j'indique, sera obligé de creuser pour son remblai un canal longeant le chemin de fer, tandis que les bassins mêmes fourniraient tout le remblai pour le railway.

J'ai démontré que ces ouvrages sont nécessaires, que le moment est opportun et que le gouvernement les exécuterait à peu de frais.

Je crois, messieurs, que cela suffit pour que M. le ministre des travaux publics fasse droit à mes observations.

M. Nélis. - Messieurs, je ne viens pas vous demander un nouveau chemin de fer et encore moins un canal, bien que l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette Chambre n'ait pas eu l'avantage d'être favorisé par les travaux publics exécutés par l’Etat. Je viens vous exposer mes réflexions sur l'importance prépondérante des chemins de (page 1055) fer sur toute autre voie de communication ; sur l'erreur, préjudiciable aux intérêts des contribuables, que l'on commet en établissant à grands frais des voies navigables dont l'utilité n'est pas bien démontrée.

En effet, la mise en exploitation d'une ligne ferrée fait disparaître immédiatement les diligences, les messageries et le roulage ; les voies navigables seules paraissent résister pour le transport des grosses marchandises, on espère même qu'elles pourront soutenir la concurrence dans l'avenir.

Si l'on tient compte que cette concurrence n'est possible, dès aujourd'hui, qu'en imposant au trésor des sacrifices considérables, comme j'aurai l'honneur de le démontrer ; si, d'un autre côté, on réfléchit aux progrès que l'exploitation des chemins de fer a faits depuis trente ans, aux nouveaux progrès que l'on doit attendre dans l'avenir, on restera convaincu que la concurrence du plus grand nombre de voies navigables ne sera pas de longue durée et que beaucoup d entre elles deviendront des intreprises s-non inutiles, au moins très onéreuses à l'Etat.

Dans cette position, faut-il encore établir des voies navigables nouvelles ? Pour moi, la réponse n'est pas un instant douteuse.

Ayant eu l’honneur de faire partie de la section centrale chargée de l'examen du projet de loi en discussion, j'ai proposé de demander à M. le ministre des travaux publics de soumettre à un examen sérieux et approfondi la question de savoir s'il est encore utile de construire de nouvelles voies navigables ?

Si cette proposition avait été admise par la section centrale et par l'honorable ministre, il y aurait eu lieu d'examiner s'il n'était pas de bonne administration d'ajourner toute nouvelle dépense ayant pour but l'exécution de semblables travaux.

Je n'ai pu faire partager mon opinion par mes honorables collègues de la section centrale ; ma proposition n'a pas été admise.

Je n'espère pas être plus heureux à la Chambre, trop d'intérêts sont encore engagés dans la question des canaux, mais je crois remplir un devoir en attirant l’attention de la Chambre et du pays sur une question de la plus haute importance. Des voix plus éloquentes que la mienne ne tarderont pas à venir vous démontrer, en s'appuyant sur l'expérience et les faits qui se présenteront de plus en plus concluants, que les canaux qui ont rendu de grands services au commerce et à l'industrie, doivent aujourd'hui céder la première place aux chemins de fer, que c'est agir contrairement aux intérêts généraux du pays que de vouloir, au moyen d'un système de voies navigables, faire une concurrence aux voies ferrées qui constituent le progrès le plus remarquable des temps modernes.

En industrie, lorsqu'un grand progrès vient modifier, quelquefois transformer complètement les anciennes méthodes, il faut savoir le juger et lorsqu’on lui reconnaît une supériorité bien marquée, il ne faut pas hésiter à lui faire le sacrifice de tout ce qui constitue les anciens procédés et entrer hardiment dans la voie nouvelle offerte au génie de l'industriel.

Tel est la conduite d'un petit nombre d'industriels d'élite, le succès vient presque toujours couronner leurs efforts. Le plus souvent on hésite à détruire ce que l'on a élevé à grands frais, on espère pouvoir lutter, ou ne recule pas devant de nouvelles dépenses pour se soutenir, on va quelquefois jusqu'à la ruine avant de reconnaître tous les avantages de l'idée nouvelle.

L'histoire de l'industrie nous fournit de nombreux exemples, je n'en citerai qu'un, parce qu'il est présent à la mémoire de tous.

Lorsque la filature du lin à la mécanique fut assez perfectionnée pour que ses produits vinssent faire concurrence aux fils à la main, que d'efforts, que de sacrifices n'a-t-on pas faits pour soutenir l'ancienne méthode ! On ne savait quel mal dire des fils nouveaux : les toiles faites avec ce fil ne valaient rien ; on préférait payer le double les toiles faites avec du fil à la main. Les fileurs a la mécanique ont laissé faire, ont laissé dire, ils ont continué leur marche vers le progrès et aujourd’hui tout le monde achète des toiles faites avec du fil à la mécanique, et, le jour où l'on a dit aux habitants des Flandres : Abandonnez le filage à la main, apprenez de nouvelles industries, les Flandres ont été sauvées.

Je dois reconnaître que l'esprit de charité qui avait voulu soutenir les anciennes fileuses, contribua puissamment à ce résultat par l'organisation d'ateliers d’apprentissage, il seconda ainsi les vues bienveillantes du gouvernement.

Pour éviter d'imposer au pays des dépenses condamnées à rester stériles ou au moins peu utiles, étudions les ressources que présentent la ligne ferrée et la locomotive, comparons-les à celles des voies navigables, le résultat de cet examen ne peut qu'être utile sous bien des rapports.

Permettez-moi de vous lire un passage de l'exposé de la situation du royaume pour la période de 1850à 1600, il vous fera apprécier tout l'importance des chemins de fer. Voici ce passage :

« Parmi les industries si nombreuses dont les produits couvrent aujourd'hui la surface du globe, il n'en est peut-être pas une dont le développement ait été aussi prompt, aussi grand et aussi remarquable que le développement de l'industrie des transports par voies ferrées. »

« L'illustre Cuvier faisant, à la date du 1er avril 1816, rapport à l'Institut de France sur l'état des sciences à cette époque, disait en parlant des chemins de fer : « Une machine à vapeur sur une voiture dont les roues s'engrènent dans un chemin préparé, traîne une file d'autres voitures : on les charge, on allume et elles vont seules et en toute hâte se faire décharger à l'autre bout de la route. Le voyageur qui les voit ainsi de loin traverser la campagne, en croit à peine ses yeux. » La .machine à vapeur et la voiture qui la porte avaient cependant dit à peine leur premier mot quand Cuvier en parlait ainsi : et, aujourd’hui que quarante-sept ans nous séparent du moment où cette pensée fut exprimée, la machine et la voiture se sont considérablement perfectionnées et n'ont pas encore atteint le but que le génie de l’homme leur prépare.

« Ce progrès continu, cette marche non interrompue dans la voie de la perfection, constituent un des plus beaux caractères de cette merveilleuse invention des temps modernes. »

Il y a à peine trente ans que la Belgique a vu la locomotive parcourir le premier chemin de fer construit sur le sol belge. C'est à l'honorable ministre des affaires étrangères que revient l'honneur d'avoir imaginé cette première ligne ferrée. L'honorable ministre pouvait-il s'imaginer alors qu'il venait d'inaugurer l'élément le plus puissant de civilisation et de progrès qui ait jamais existé, l'élément le plus puissant du développement de la fortune publique et du bien-être des peuples ? Pouvait-il espérer alors que le réseau des voies fixées exploitée par l'Etat, rapporterait, en 1864, une recette qui dépasse 36 millions de francs et que l'industrie privée aurait établi, pendant ce court espace de temps, un réseau de semblables voies plus que double de celui exploité par le gouvernement ? L'honorable ministre croyait avoir fait, d'accord avec les pouvoirs publics, une chose bonne et utile, mais il ne pouvait se figurer l'impulsion que ces artères si fécondantes allaient imprimer à l’activité des travailleurs.

On peut dire que le chemin de fer sort à peine de l'enfance et déjà son vaste réseau s'étend jusqu'aux régions les plus reculées, Chaque jour des entreprises nouvelles se fondent, des lignes nouvelles se construisent, c'est le plus souvent l'industrie privée qui fait ces grandes choses. La tendance de l'époque vers ces voies de communication est telle, que la prudence des gouvernements doit la modérer pour éviter les mécomptes dans lesquels l'industrie se précipiterait.

Voit-on l'industrie privée mettre le même empressement à construire des canaux ? Nous avons en Belgique le canal de Blaton qui a trouvé des actionnaires, mais c'est à la condition que l'Etat dépensera une somme de 7 millions à la canalisation de la Dendre, faveur bien onéreuse pour les finances du gouvernement.

Ne doit-on pas considérer l'empressement de tous les peuples à établir des chemins de fer, comme la preuve la plus convaincante de la supériorité de ce moyen de transport sur tous les autres ?

C'est que la voie ferrée a pour elle tous les avantages, elle réunit la vitesse au bas prix, elle suffit au transport de tout ce qui est transportables, les personnes, les marchandises de toute nature, les animaux. Elle présente des facilités de chargement et de déchargement ; souvent même les waggons arrivent dans les magasins de l'industriel ou du négociant, ils les placent à côté des navires en chargement ou en déchargement, ils prennent le charbon à la fosse d'extraction et ils le transportent au lieu de destination. Les quantités ne sout pas limitées, par waggons entiers ou par fractions au gré des intéressés. La gelée ni la sécheresse, ni même l'obscurité n'arrêtent la marche des convois ; le waggon peut circuler sans rompre charge à peu près sur toutes les voies du pays et de l'étranger ; il peut être expédié, sans intermédiaire, dans presque toutes les villes et dans un très grand nombre de communes du pays et même de l’étranger. Nous voyons chaque semaine arriver sur nos marches dans de nombreux waggons le bétail hollandais et allemand, sans le moindre inconvénient, il est expédié de même dans diverses directions.

Tous ces avantages sont-ils affaiblis par des inconvénients ? Je n'en vois aucun comparativement aux autres modes de transport,

L'exploitation des chemins de fer a fait beaucoup de progrès depuis le jour où un honorable membre de cette assemblée disait que les canaux rendaient des services que les chemins de fer ne pouvaient rendre, que le rail n'était pas un progrès relativement au canal.

(page 1056) Pour quoi les canaux peuvent-ils balancer les avantages que présentent les voies ferrées pour l’industrie des transports ? Je ne vois que le bon marché du fret, c’est le bas prix du transport qui peut leur conserver de l’activité. Aussi voyons-nous se renouveler à des époques très rapprochées les demandes d’abaissement de péages.

L’honorable M. Sabatier disait dans son rapport sur la réduction des péages sur les canaux (séance de la Chambre du 11 février 1858) : « Les charbons sont transportés sur le marché de Bruxelles à plus bas prix par chemin de fer que par canaux, la différence au préjudice de la navigation est de 1 fr. 8 c. ou de 48 c., suivant que la marchandise est destinée à la station du Quartier-Léopold ou à celle de l'Allée-Verte. »

L’honorable M. Dechamps disait dans la séance du 11 novembre 1859

« La différence au préjudice de la navigation est de 1 fr. 08 c. pour Bruxelles, 1 fr. 83 pour Anvers et Gand, 1 fr. 90 c. pour le bas Escaut et 3 fr. 48 c. pour Louvain. »

Suivant ces honorables membres qui ont une connaissance parfaite de la position, les canaux ne pouvaient lutter à cette époque avec les chemins de fer, une réduction des droits de navigation devait avoir lieu.

Par le projet de loi voté en 1859, une réduction de 40 p. c. fut accordée sur les péages du canal de Charleroi et certains avantages concédés à d'autres canaux.

Aujourd’hui on réclame une nouvelle réduction de péages sur les voies navigables et pour la justifier on s'appuie sur la réduction des tarifs du transport des marchandises sur les chemins de fer de l'Etat.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire un court passage d'un article publié par un journal pour obtenir cette réduction. Il vous prouvera combien on s'écarte de la raison, lorsque l'on méconnaît les lois du progrès industriel.

Voici ce passage :

« Que M. le ministre des travaux publics se prévale des résultats donnés par son nouveau tarif des chemins de fer, dont les recettes mensuelles sont actuellement de beaucoup supérieures à celles des mois correspondants de l'exercice écoulé, il n'est pas moins vrai que ce haut fonctionnaire n'enrichit le trésor public qu'au détriment de la fortune privée, etc. »

Je vous avoue que je ne comprends pas comment on peut accuser un ministre de porter atteinte à la fortune privée, en abaissant les frais de transport dont tout le monde profite. L'intérêt général ne doit-il pas aller avant celui des bateliers ?

Un abaissement de tarif, suivi d'une augmentation dans les recettes, favorise tout à la fois les intérêts du commerce et du trésor, c'est une mesure des plus utiles et nous devons féliciter l'honorable ministre d'avoir posé cet acte de bonne administration.

En sera-t-il de même en abaissant les péages sur les canaux ? L'expérience du passé nous autorise à répondre négativement. L'abaissement des péages sera suivi d'une diminution proportionnelle dans les recettes.

Dans l'exposé des motifs du projet de loi déposé récemment, le gouvernement estime que la nouvelle réduction proposée produira une diminution de recettes de 500,000 fr. environ.

Ce n'est pas un motif pour rejeter les plaintes des bateliers, mais en leur accordant une réduction nouvelle, nous ne devons pas les encourager dans la lutte qu'ils soutiennent contre les voies ferrées, car les réductions de péages devront avoir un terme et lorsqu'ils seront descendus à leur dernière limite, c'est alors que la lutte deviendra sérieuse et tout doit nous faire supposer qu'elle ne tournera pas à l'avantage de la navigation.

Ce n'est pas à ceux qui exploitent les chemins de fer que les bateliers doivent attribuer le malaise qu'ils éprouvent, c'est la loi du progrès. Ils ont détruit le transport des grosses marchandises par charroi, ruiné les voituriers, les aubergistes et tous ceux qui vivaient de l'industrie des transports par voitures ; ils ont diminué le revenu des routes, aujourd'hui c'est leur tour de se trouver dans la décadence, c'est un roulage perfectionné qui vient leur faire concurrence, le rail a été substitué au pavé, le waggon et la locomotive ont remplacé le chariot et les chevaux.

Cette position ne doit pas nous surprendre quand on réfléchit aux inconvénients du transport par bateaux. Ils sont nombreux, je me bornerai à vous en citer deux, parce qu'ils sont les plus notables.

C'est d'abord l’intermittence forcée par la gelée et le curage. Le chômage occasionné par ces causes se prolonge quelquefois pendant deux mois et plus. L'industrie et le commerce ne peuvent supporter cette interruption dans les transports. Les établissements qui n'ont pas d'autre voie de communication doivent faire des frais considérable pour s’approvisionner de matières premières et expédier leurs produits. Cette position les place dans des conditions d’infériorité envers leurs concurrents qui peuvent faire usage d’un chemin de fer.

Un second défaut de ce mode de transport, c’est la lenteur de la marche. Lorsque le voyageur était transporté par les messageries à raison de deux lieues à l'heure, il suffisait à la marchandise de ne faire que 6 à 8 lieues par jour ; mais aujourd’hui que le voyageur fait 12 à 20 lieues à l'heure. la marchandise doit prendre une marche plus accélérée. Pour la marchandise comme pour le voyageur, le temps c'est de l'argent. Pour la marchandise c'est l'intérêt du capital qu'elle représente ; aussitôt qu'elle est arrivée à destination, le négociant peut en disposer et l'employer à de nouvelles opérations qui doublent son bénéfice.

Les canaux présentent encore des inconvénients d'une autre nature. Ils sont souvent une entrave aux relations des populations ; des contrées qu'ils traversent sans utilité pour elles, car le long d'un canal on peut recevoir un bateau de charbon, expédier un bateau de marchandises, mais on ne peut ni expédier, ni recevoir un sac de pommes de terre, ni un sac de grain. Ils détournent une partie des eaux de leur cours naturel, ce qui cause divers préjudices. Je me borne à vous indiquer la ville de Bruxelles, qui a besoin d'eau pour assainir sa position. Combien ne passe-t-il pas d'eau chaque jour du canal de Charleroi dans celui de Willebroeek ? En été, la quantité comparée au volume des eaux de la Senne est considérable.

Voici un exemple que j'aime à vous faire connaître de ce que fait l'industrie privée, il vous prouvera d'une manière péremptoire toute la supériorité des voies fériées sur les voies navigables.

Le propriétaire d'un grand établissement industriel, situé sur le canal de Charleroi et distant de plus de deux kilomètres d'un chemin de fer, a fait construire à grands frais uue ligne de raccordement avec la voie ferrée.

Cet établissement consomme 50,000 à 60,000 kil. de charbon par jour, les produits qu'il livre au commerce sont considérables, au lieu de se servir du canal qui est à sa porte, c'est par chemin de fer qu'il fait venir toutes ses matières premières et qu'il exporte ses produits.

Cet industriel méconnaît-il ses intérêts. Il est trop bon calculateur pour en agir ainsi. Lorsqu'il devait se servir du canal, il était obligé, avant l'hiver, de faire un approvisionnement de combustible d'au moins 60 bateaux, quantité nécessaire à la marche de son usine pendant deux mois. Personne n'ignore que la houille exposée à l'influence de l'air perd rapidement de ses qualités, cette perte peut aller jusqu'à 25 p.c. et plus suivant les qualités. Il arrivait donc que cet industriel devait consommer une quantité de charbon beaucoup plus considérable pour faire marcher son établissement.

Si les chemins de fer comparés aux canaux présentent tant d'avantages, comment se fait-il que ces derniers aient conservé toute leur activité, le tonnage des quantités transportées, pris dans son ensemble, a même augmenté dans ces dernières années.

Pour se rendre compte de cette situation, il faut d'abord avoir égard à l'augmentation considérable qui se produit chaque année dans la quantité de matières de toute nature à transporter ; ensuite les canaux existaient avant les chemins de fer. Ils étaient alors la voie la plus favorable et la plus économique au transport des marchandises, l'industrie et le commerce s'en sont rapprochés. A Bruxelles, le quartier de l'industrie se trouve le long des canaux, les grands magasins de charbon sont situés le long du canal de Charleroi pour que le déchargement se fasse dans les meilleures conditions ; le. transport de la station aux magasins occasionnerait des frais trop considérables.

Il faut aussi tenir compte des habitudes contractées, l'industrie et le commerce ne se déplacent pas facilement.

Mais cette situation se modifie chaque jour, des lignes plus directes se construisent, l'industrie et le commerce se placent de préférence le long des voies ferrées, les lignes de raccordement que le gouvernement propose d'établir dans les grandes villes, donneront de plus grandes facilités, les établissements industriels et les grands magasins du négociant pourront sans doute s'y relier. S'il n'en était pas ainsi, il faudrait penser à procurer au commerce, dans les grandes villes, un emplacement spécial pour les magasins de houille, où ils puissent être en rapport facile avec les voies ferrées, afin que le waggon arrive du lieu d'extraction au magasin sans transbordement. Les grandes sociétés immobilières peuvent se charger d’une pareille entreprise. Qui sait si un jour ou ne verra pas des quartiers industriels où tous les transports se feront par chemin de fer ?

D'un autre côté le matériel des chemins de fer a toujours été insuffisant au transport des grosses marchandises, les dispositions dans les (page 1057) stations, les bâtiments, les hangars ne sont pas en rapport avec le mouvement des affaires. M. le ministre le constate dans l'exposé des motifs du projet de loi.

Quoi qu'il en soit la progression des quantités de grosses marchandises transportées par chemins de fer, est considérable. En 1850 les waggons du railway exploité par l'Etat n'ont transporté que 1,238,886 tonnes ; en 1860, ils en ont transporté 3,678,000, soit une augmentation de 196,88 p. c. en dix ans. En 1864 les quantités transportées se sont élevées à 5,251,315, soit une nouvelle augmentation de 42 p. c. sur 1860.

Cette augmentation de trafic non interrompue nous prouve que la progression du mouvement des affaires dans le pays est considérable et qu'elle se fait au profit des chemins de fer. D'un autre côté la marche continue des voies ferrées vers de nouveaux perfectionnements nous donne la certitude qu'elles pourront suffire à tous les besoins dans un temps très rapproché.

II me reste à examiner la situation financière des voies navigables pour la comparer à celle du railway exploité par l'Etat. Vous me pardonnerez, messieurs, de devoir entrer dans quelques chiffres pour l'établir.

La situation financière des voies navigables exploitées par le gouvernement se trouve dans un état déplorable.

D'après les documents que renferme l'exposé de la situation du royaume, les vingt-cinq cours d'eau administrés par l'Etat avaient coûté au trésor, à la fin de 1860, une somme de 73,660,201 fr. 99 c.

Ce chiffre, bien qu'il soit déjà considérable, ne représente pas l'intégralité des dépenses effectuées ; en effet, les allocations budgétaires sont toujours grevées de payements pour frais d'amélioration et même d'exécution de voies nouvelles. A partir de 1858, il a été fait une distinction entre les travaux d'amélioration et d'entretien. Je porte au compte capital les dépenses d'amélioration prélevées sur les exercices de 1858 à 1860, qui s'élèvent à 1,950,477 fr. 65 c.

Les dépenses soldées, en 1861, au moyen des crédits spéciaux, ont été de 3,512,023 fr. 12 c.

Les dépenses d'amélioration au moyen des ressources du budget, ont été de 641,793 fr. 49 c.

En 1862, les dépenses prélevées sur les crédits spéciaux ont été de 5,029,614 fr. 49 c.

Les dépenses couvertes par les ressources du budget de 611,901 fr. 47 c.

Pour les années 1863 et 4864 ; je ne puis porter en compte que les crédits ouverts au département des travaux publics, par la loi du 23 mai 1863, de 3,400,000 fr., et par la loi du 9 septembre 1864, de 2,640,000 fr.

Total général : 91,446,012 fr. 21 c.

A ce chiffre il faudrait encore ajouter les frais d'amélioration au moyen des crédits budgétaires en 1863 et 1864 et antérieurement à 1858 et ensuite le restant disponible sur les crédits spéciaux votés antérieurement à 1863, on arriverait ainsi à un capital qui ne s'éloignerait pas beaucoup de cent millions.

Voyons quel est l'intérêt que cette somme énorme rapporte au trésor. Suivant le tableau joint au rapport de la section centrale, annexe n°2, la recette moyenne annuelle s'est élevée pour 1860 à 2,576,722 31 fr. pour 1861 à 2,470,380 fr. 30, pour 1862 à 2,599,536 fr. 32 c., pour 1863 à 2,547,486 fr. 69 c. et pour 1864 à 2,420,752 fr. 10 c.

Pour les 5 années une recette de 12,614,877 fr. 82 c.

Ce qui donne une recette moyenne par an de 2,522,975 fr. 56 c.

La période décennale de 1851 à 1860 a donné en recettes la somme de 28,783,066 fr. 48 c, ou une recette moyenne de 2,878,506 fr. 64 c.

En comparant tes deux chiffres, on trouve une diminution de la recette annuelle au préjudice des cinq dernières années de 355,531 fr. 10 c.

Quoi qu'il en soit, le tableau, annexe n°2, n'indiquant pas les dépenses, je suis obligé de prendre pour base de mes calculs, les chiffres de la période décennale 1851 à 1860.

Je viens de dire que cette période avait donné en recette 28,785,066 fr. 48 c.

Les dépenses se sont élevées à 14,444,348 fr. 53

Il y a à déduire les sommes employées à l'amélioration dans les années 1850 à 1800, portées au compte capital 1,950,477 fr. 65 c.

Il reste pour les dépenses 12,493,870 fr. 88 c.

L'excédant des recettes sur les dépenses est donc de 16,291,193 fr. 60 c.

Ce qui représente par an une recette nette de 1,629,119 fr. 56 c., soit 1 3/4 p. c. du capital engagé.

Il est à remarquer que si l'on établissait ce calcul sous la période de 1860 à 1864, les recettes ayant été plus de 350,000 fr. en dessous de la recette moyenne décennale, l'intérêt du capital serait notablement diminué.

Si l'on entre dans les détails de ce qu'a produit chaque voie navigable, on trouve que l'excédant des recettes sur les dépenses a été en moyenne, par année :

Pour le canal de Charleroi, de 1,200,403 fr. 19 c.

Pour la Sambre, de 502,733 fr. 26 c.

Pour le canal de Mons à Condé, de 187,946 fr. 37 c.

Pour le canal de Pommeroeul à Antoing, de 131,183 fr. 59 c.

Les quatre voies navigables des bassins houillers de la province de Hainaut ont donc rapporté une recette moyenne de 2,042,266 fr. 41 c.

L'Escaut a donné un excédant de recettes de 40,409 fr. 90 c.

Le canal de Plasschendaele à la frontière de France, de 26,583 fr. 54 c.

Et le canal latéral à la Meuse, de 13,808 fr. 10 c.

Total de la recette des voies navigables soldant en bénéfice : 2,123,17 95

De ce qui précède il résulte :

Que le canal de Charleroi est la seule voie navigable qui amortira son capital après en avoir payé les intérêts et les frais d'entretien ;

Qau la Sambre, et les canaux de Mons à Condé et de Pommeroeul à Antoing couvrent les frais d'entretien et les intérêts des capitaux engagés ;

Que l'Escaut et les canaux de Plasschendaele à la frontière et latéral à la Meuse suffisent aux dépenses d'entretien et donnent un excédant à valoir sur les intérêts.

On a dit et répété dans cette Chambre que le canal de Charleroi avait remboursé depuis longtemps les capitaux que l'Etat a dû payer pour cette voie navigable ou qui ont été employés en amélioration. Cette affirmation n'est pas exacte. D'après un document qui m'a été communiqué, le canal de Charleroi devait au trésor au 31 décembre 1861, un solde de 3,084,872 81. De ce chiffre il y a à déduire l'excédant des recettes sur les dépenses, y compris les intérêts du capital restant à amortir, pendant les exercices de 1862, 1863 et 1864. D'après les calculs que j'ai établis, le reliquat de compte du canal de Charleroi envers le trésor doit être au 31 décembre 1864 d'environ 842,000 fr. On peut donc le considérer comme à peu près éteint à la fin de l'exercice 1865.

Nous venons devoir que sept voies navigables donnaient des produits excédant les dépenses ; il n'en est pas de même de celles dont je vais vous entretenir. Toutes ensemble n'ont produit pendant la période décennale de 1851 à 1860 que la somme de 3,054,191 fr. 22 c.

Les dépenses se sont élevées à 9,944,752 fr. 76 c.

L'excédant des dépenses sur les recettes a donc été de 6,890,561 fr. 54 c.

Ce qui représente pour le trésor une perte annuelle de 689,056 fr. 15 c. non compris les intérêts des capitaux employés à leur établissement.

Les recettes de ces voies navigables se sont légèrement améliorées, elles ont été en 1863 de 422,172 fr. 51 c. et en 1864 de 423,331 fr. 76 c.

En supposant que les dépenses se soient maintenues au chiffre de 994,475 fr. 27, l'excédant des dépenses sur les recettes serait encore de plus de 571,000 fr.

Il résulte de cette situation :

1° Que le capital considérable employé à construire ou à améliorer ces votes navigables doit être considéré comme perdu sans retour ;

2° Que le gouvernement doit eu outre consacrer chaque année à leur entretien plus d'un demi-million en sus des recettes.

Ce dernier chiffre peut être mis en regard de celui payé par l'Etat, pour minimum d'intérêt consenti en faveur de quelques ligues ferrées ; avec cette différence que ce dernier est à peu près éteint, tandis que la perte annuelle sur les canaux ne peut aller qu'en augmentant.

Si l’industrie privée était en possession d'une pareille propriété, elle se hâterait de s'en débarrasser, tandis que nous voyons figurer, dans chaque projet des travaux publics, des crédits nouveaux destinés à établir de nouvelles voies navigables, ou à compléter et a améliorer celles qui (page 1058) existent. Tous ces canaux n'améliorent pas les recettes ; ce sont, pardonnez-moi l'expression, des millions placés à fonds perdu, et qui pourraient être utilement employés ailleurs.

Permettez-moi de vous citer encore quelques chiffres ; ils vous démontreront de la manière la plus évidente combien certains canaux sont onéreux au trésor.

D'après un document sur l'exactitude duquel on ne doit pas avoir de doute, voici la situation financière des canaux de la Campine.

1° Le canal de la Meuse à l'Escaut devait au trésor, au 1er janvier 1861, la somme de 20,215,508 fr. 20 c.

Les dépenses de cet exercice se répartissent comme suit :

Intérêts du capital : 9009,698 fr. 76 c.

Entretien, amélioration, exploitation : 190,881 fr. 71 c.

Traitement du personnel ; 38,890 fr.

Total des dépenses : fr. 1,139,470 fr. 47 c.

Les produits se sont élevés à 95,823 fr. 06 c.

L'excédant des dépenses sur les produits est donc de 1,043,647 fr. 41 c., à porter au compte capital : 1,043,647 fr. 41 c. donc.

Le solde débiteur de ce canal envers le trésor est, au 31 décembre 1861, de 21,259,155 fr. 61 c.

2° Le canal d'embranchement vers Turnhout devait, à la même date : 3,089,644 fr. 75 c.

Les dépenses de 1861 se sont élevées :

En intérêts du capital, à : 139,031 fr. 01 c.

Entretien, amélioration, exploitation : 11,674 fr. 84 c.

Personnel : 6,820 fr..

Total des dépenses : 157,528 fr. 85 c.

Les produits ont été de 4.882 fr. 09 c.

L'excédant des dépenses sur les recettes est donc de 152,646 fr. 76,

A porter donc au compte capital qu'il doit au trésor, au 31 décembre 1861, 3,242,291 fr. 51 (3,089,644 fr. 75 c. + 152,646 fr. 76 c.)

Il existe un chemin de fer de Lierre à Turnhout, qui certes ne se trouve pas dans de bonnes conditions. Faisons une comparaison :

Ce chemin de fer représente un capital de 4,300,000 fr. Les recettes se sont élevées, en 1861, à la somme de 409,808 fr.

Les dépenses de l'exploitation à 219,132 fr.

La recette nette à 190,676 fr.

Dans les recettes figure la somme payée par le gouvernement du chef de la garantie, que je déduis : 133,393 fr.

La recette nette reste donc de 57,283fr.

Nous venons de voir que le canal donne une perte de 152,646 fr. 76 c.

Les marchandises transportés par chemin de fer ont donné une recette de 94,67 fr.

Les recettes du canal ont été de 4,882 fr. 09 c.

Ces chiffres en disent plus que tous les raisonnements.

Je continue l'exposé de la situation financière des canaux de la Campine.

3° Les canaux des embranchements vers Hasselt et le camp de Beverloo devaient au trésor, au commencement de 1861, la somme de 4,624,679 fr. 62 c.

Les dépenses de cet exercice s'élèvent :

En intérêts à 208,110 fr. 58 c.

Entretien, amélioration : 93,215 fr. 87 c.

Traitement du personnel : 4,104 fr.

Total des dépenses : 305,430 fr. 45 c.

Les produits se sont élevés à 7,541 fr. 98 c.

L'excédant des dépenses sur les recettes a donc 297,888 fr. 47 c.

Cette somme vient augmenter le compte capital qui se trouve porté à 4,922,568 fr. 09 c.

Les canaux de la Campine doivent au trésor, à la fin de 1861 : 29,424,015 fr. 21 c.

Leurs capitaux réunis qui étaient au commencement de l'année de 27,929,832 fr. 57 c., se sont accrus pendant cet exercice de la somme de 1,494,182 fr. 64 c. Somme égale à 29,424,015 fr. 21 c.

Ainsi ces voies navigables causent à l'Etat une perte annuelle d'un million et demi environ. En d'autres termes, ceux qui se servent de ces canaux, payent une somme de 108,247 fr. 13 c. pour le transport de 981,487 tonnes, et la masse des contribuables supportent une perte de 1,494,182 fr. 64 c. pour leur procurer le transport de ces marchandises à bas prix.

Que l'on considère les péages comme des impôts, ou plutôt comme une rétribution légitimement due pour un service rendu, peu importe. Ce qui est juste, ce qui est équitable, c'est qu'un service public organisé dans l'Intérêt de certaines classes de la société, ou pour favoriser certaines parties du pays, doit couvrir les frais d'exploitation et d'entretien et payer en outre un intérêt modéré, je le veux bien, des capitaux employés à l'établir. Lorsqu'il n'en est pas ainsi, on favorise les uns au détriment des autres, on s'écarte des règles de justice et d'égalité qui devraient toujours être respectées.

On m'objectera peut-être qu'il en est de même des routes ; les dépenses d'entretien excèdent les recettes.

Je ne le conteste pas, mais je fais une distinction entre les routes et les canaux.

Les canaux ont été établis pour le transport des grosses marchandises par charge complète, ils étaient nécessaires à la grande industrie et au haut commerce qui peuvent aujourd'hui se servir de chemins de fer.

Les routes, au contraire, sont accessibles à tous, elles sont les ramifications des grandes voies de communication du pays, elles sont les affluents par où les campagnes viennent livrer leurs produits au commerce et par où elles tirent tout ce dont elles ont besoin. Elles sont établies pour ceux qui n'ont que des chemins de terre, elles donnent des débouchés à ceux qui n'en ont pas.

Les grandes routes n'ont plus de raison d'être ; elles ont été remplacées par des chemins de fer ou bien elles le seront dans un temps peu éloigné. Ce qu'il faut, ce sont des chemins pavés ou empierrés qui aboutissent aux stations. S'ils ne donnent pas de recettes qui couvrent les dépenses, ils favorisent le trafic des voies ferrées, ils développent le commerce et l'industrie, ils produisent indirectement des résultats qui doivent engager le gouvernement à les multiplier.

S'il est un service public qui devrait se faire gratuitement, c'est certes celui des routes. Donner à ceux qui n'ont rien, c'est de la bonne charité ; donner à ceux qui ont beaucoup, ce n'est plus de la charité, c'est, pardonnez-moi l'expression, du gaspillage.

On me dira aussi : Les canaux de la Campine ont un double but à remplir, ils donnent de l'eau pour les irrigations.

Si nous l'avions oublié, le projet de loi nous le rappellerait. En effet, il y figure un crédit de 600,000 fr. pour exécution d'ouvrages que les prises d'eau ont rendus nécessaires. L'exposé des motifs nous annonce que cette somme sera suivie d'autres. Ce seront de nouveaux chiffres qui devront être ajoutes au compte capital des canaux de la Campine.

On a pensé, messieurs, qu'avec de l'eau, on allait convertir les bruyères de la Campine en bonnes prairies, en terres fertiles ; on doit reconnaître aujourd'hui l'erreur dans laquelle on est tombé.

Je ne veux pas traiter cette question, je me bornerai à dire que les eaux prises à la Meuse peuvent améliorer les terrains voisins par les principes fertilisants qu’elles contiennent ; mais les terrains plus éloignés, qui ne reçoivent que de l'eau claire, ne produiront que des herbes de mauvaise nature dont le bétail ne voudra pas, ou bien avec lesquelles il ne pourra s'entretenir. Ce qu'il faut pour fertiliser les bruyères de la Campine, c'en le défoncement d'abord, fait avec intelligence, et ensuite des (page 1059) engrais et des amendements. L'eau ne doit être qu'un auxiliaire, et cet auxiliaire, comme je viens de l'établir, nous coûte beaucoup trop cher.

Je crois vous avoir démontré que la situation financière des voies navigables, prise dans son ensemble, n'est rien moins que satisfaisante.

Les chemins de fer exploités par l'Etat présentent, au contraire, une situation financière inespérée.

Dans les dix-huit premières années de l'exploitation, de 1834 à 1851, les dépenses ont excédé les recettes ; cet excédant s'élevait à la fin de 1851, à 31,741,705 fr. 21 c.

A partir de 1852, les recettes ont dépassé les dépenses, et à la fin de 1860, c'est-à-dire, en neuf années, l'excédant des recettes atteignait la somme de 29,531,823 fr. 12 c.

De manière que le railway ne devait plus, de ce chef que 2,209,882 fr. 09 c.

Les recettes ont continué leur marche ascendante ; de 29,601,994 fr. en 1860, elles s'élèvent à 36,035,265 fr. en 1864.

Le compte capital qui présentait eu 1860 un excédant de dépenses de 2,278,727, soldait en 1862 par un excédant de recettes de 8,612,761 fr. 57 c. Je n'ai pas le chiffre exact pour 1863 et 1864 ; ce chiffre se sera élevé en proportion des recettes, et je crois être en-dessous de la vérité en portant l'excédant des recettes sur les dépenses de toute nature, à 35 millions de francs, à la fin de l'exercice 1864.

Ainsi, voilà une industrie de transports qui parvient, dans l'espace de douze ans, à éteindre une dette de plus de trente et un millions et à accumuler un boni d'environ trente-cinq millions.

Les réductions de tarifs, au lieu de lui nuire, ne font qu'ajouter à sa prospérité, et nous pouvons prédire avec certitude qu'il ne faudra pas beaucoup d'années pour que cette industrie parvienne à éteindre complètement son capital.

En présence de faits aussi concluants en faveur des voies ferrées, comment peut-on encore employer les fonds de l'Etat à la construction de voies navigables ?

Une choc qui m'étonne, c'est que lorsqu'il s'agit d'établir un canal, ou de canaliser une rivière, on ne s'informe pas si la nouvelle voie sera utile ou non. Lorsqu'on a décidé la canalisation de la Mandel, s'est-on enquis du trafic auquel cette nouvelle voie navigable donnerait lieu ? Quels seraient les résultats de la dépense que ces travaux allaient exiger ?... Pas le moins du monde. Je crains bien que la Mandel canalisée ne donne des résultats analogues à ceux des canaux de la Campine, et j'ose prédire que les recettes ne couvriront pas même les frais d'entretien.

Au projet de loi figure un premier crédit pour la canalisation de la Meuse jusqu'à la frontière de France. Que dit l'exposé des motifs ? Je ne trouve que le passage suivant :

« Alors qu'on se rappelle que le plus grand obstacle au développement des relations entre les provinces belges riveraines de la Meuse et les Ardennes françaises a été jusqu'à présent l'état fâcheux dans lequel s'est trouvée la navigation sur ce fleuve, on demeure convaincu qu'il reste quelque chose à faire et que la belle œuvre entreprise et poursuivie avec persévérance par le gouvernement restera incomplète tant que la Meuse n'aura pas été canalisée dans sa partie comprise entre l’embouchure de la Sambre à Namur et la frontière de France. »

Il me semble que lorsqu'il s'agit d'une dépense qui s'élèvera à cinq millions et demi, on devrait bien savoir quel était le trafic sur cette partie de la Meuse avant l'établissement du chemin de fer de Namur à Givet, quelle influence cette ligne ferrée a exercée sur la navigation du fleuve, quels seront les résultats probables de la canalisation. On pourrait alors apprécier, jusqu'à un certain point, l'utilité des travaux proposés.

A défaut de ce renseignement, voyons quels ont été les résultats de la canalisation de la Meuse, de Namur au bassin houiller de Chokier.

Suivant l'exposé de la situation du royaume, les dépenses d'entretien et d'exploitation pour la Meuse, de 1831 à 1850, ont été de 3,375,247 fr. 2 c. et les recettes de 695,500 fr. 96 c., soit en moyenne une dépense de 337,324 fr. 70 et une recette de 69,550 fr. 9 c. L'excédant des dépenses sur les recettes est de 267,774 fr. 61 c.

En 1861, les dépenses se sont élevées à fr. 337,563 fr. 86 c., et les recettes à 73,177 fr. 83 c.

En 186, les dépenses descendent à fr. 333,256 fr. 04 c., et les recettes à 71,625 fr. 27 c.

L'annexe n°2 nous donne le montant des recettes pour 1863 et 1864, qui est de 70,209 fr. 79 c. pour la première année, et de 67,305 fr. 87 c. pour la deuxième. Le même document indique également le tonnage des matières transportées, et vous pouvez constater que la navigation sur ce fleuve n'est pas en progrès.

Ainsi le tonnage et les recettes au lieu de s'accroître depuis la canalisation, restent stationnaires avec tendance à la baisse, à en juger par les derniers exercices, et le gouvernement perd chaque année une somme d'environ 270,000 fr., non compas les intérêts des capitaux employés à la canalisation du fleuve.

En présence de pareils résultats, ne doit-on pas s'abstenir da voter une dépense aussi considérable, surtout de la voter sans avoir la certitude que les travaux proposés produiront à la contrée que l'on veut favoriser, des avantages qui balanceront les sacrifices que l'on impose aux contribuables ?

D'ailleurs il n'y a pas d'urgence, un chemin de fer parallèle à cette partie de la Meuse a été mis en exploitation depuis peu de temps, et procure aux habitants de cette partie du pays les plus grandes facilités de communication, et il exercera une influence bien plus grande sur le développement de leurs relations, soit avec les Ardennes françaises, soit avec l'intérieur du pays, que la navigation du fleuve amélioré.

La dépense proposée ne peut se justifier par aucun motif sérieux, à moins qu'on ne veuille faire concurrence à la voie ferrée, système que je blâme de toutes mes forces dans l'intérêt même des populations que l'on veut servir. Si vous voulez que le chemin de fer de Namur à Givet rende tous les services que l'on doit en attendre, laissez-lui le temps de compléter son matériel, et d'organiser parfaitement son exploitation. L'expérience de ce qui s'est passé sur d'autres lignes plus anciennes doit vous donner la certitude qu'il suffira à tous les besoins.

D'un autre côté, je me demande si l'intérêt général exige que l'on dote certaines parties du pays de ce que j'appellerai un luxe de voies de communication, lorsqu'il reste tant de travaux utiles à faire et qui vous ont été demandés par beaucoup d’honorables membres de cette assemblée ? Ne vaut-il pas mieux d'employer les ressources du trésor à appeler à la vie commerciale et industrielle des populations qui sont encore dans l'isolement ?

Je me résume. Je crois avoir établi d'une manière incontestable : 1° la supériorité des chemins de fer sur toute autre voie de communication ; l'utilité par conséquent de concentrer toute son attention sur ces grandes artères pour les compléter et les perfectionner, afin qu'elles rendent à la société des services de plus en plus signalés.

2° Le préjudice que le trésor éprouve sur l'exploitation des voies navigables qui ne peuvent conserver de l'activité que par l'abaissement progressif des péages ; leur peu d'utilité dans les contrées desservies par des voies ferrées, je n'en excepte que le canal de Charleroi, la Sambre, les canaux de Mons à Condé, de Pommercoul à Antoing, et l'Escaut ; ce sont les seuls qui rendent encore des services au commerce et à l'industrie.

Je termine eu priant M. le ministre des travaux publics de soumettre la question des canaux à un examen sérieux et approfondi, avant de faire de nouvelles dépenses dans le but de les allonger, de les compléter, ou d'en établir de nouveaux. Il vaut mieux s'arrêter quand on se trouve dans une mauvaise voie, que de persister dans un système onéreux aux finances de l'Etat et préjudiciable aux vrais intérêts du pays.

Soyons de notre époque, faisons et perfectionnons les chemins de fer, mais ne faisons plus de canaux.

M. Hymans, rapporteur. - La Chambre doit être impatiente de clore la discussion générale, impatiente surtout d'entendre M. le ministre des travaux publics. Je serai donc très bief et je me bornerai à répondre à quelques observations dont le rapport de la section centrale a été l'objet.

Messieurs, on paraît généralement d'accord pour considérer le rapport de la section centrale comme entaché d'optimisme.

Messieurs, si la section centrale a été optimiste dans ses appréciations, c'est par la raison bien simple que les sections l'avaient été elles-mêmes.

Quatre-vingts membres de ta Chambre ont pris part à l'examen dans les sections et les procès-verbaux ne mentionnent pas une seule voix hostile à la loi. Nous avions donc le droit de dire que celle-ci a été accueillie avec satisfaction par l'immense majorité de la Chambre et que les critiques de détail que l'on pourrait adresser à certains articles ne justifieraient pas une critique à l'ensemble de la loi.

On nous a reproché de ne pas avoir parlé de certains projets. L'honorable M. Bouvier s'est plaint de ce qu'il n'était pas question, dans le rapport de la section centrale, du chemin de fer de. Virton.

L'honorable M. Van Overloop s'est plaint de notre silence au sujet des réclamations adressées à la Chambre par les administrations des polders du pays de Waes.

Encore une fois, s'il n'est pas question de ces objets dans le rapport de la section centrale, c'est qu'il n'en a pas été question dans les sections.

(page 1060) Personne n’a proposé la concession du chemin de fer de Virton. Personne na demande de travaux dans les polders ; je crois même que les pétitions relatives à cet objet n’ont été présentés à la Chambre que lorsque le travail de la section centrale était déjà terminé.

Cela n’empêche que personnellement, et comme rapporteur de la section centrale, je suis favorable à la concession d’un chemin de fer qui relierait Virton et Maeseyck au réseau des chemins de fer belges.

M. Bouvierµ. - Cela est bien parler.

M. Hymans, rapporteur. - Si je parle ainsi, ce n'est pas pour être agréable à l'honorable M. Bouvier ni à l'arrondissement de Virton, c'est parce que je crois qu'il y a une raison de justice en faveur des travaux réclamés.

M. Bouvierµ. - C'est encore mieux.

M. Hymans, rapporteur. - Reste à savoir si lorsque la Chambre aura autorisé le gouvernement à accorder la concession d'un chemin de fer reliant Maeseyck et Virton au railway national, il se trouvera quelqu'un pour mander cette concession.

M. Coomans. - Voilà la question.

M. Hymans, rapporteur. - Nous n'avons pas à examiner cette éventualité. Je me borne à dire que la section centrale est favorable aux justes et légitimes réclamations des honorables MM. Bouvier et Vilain XIIII.

Il est évident que lorsque tous les jours on nous propose de créer de nouvelles stations sur les lignes existantes, lorsqu'on nous demande des crédits pour relier les plus petites communes, par des routes, aux voies ferrées, il est indispensable de ne pas laisser des chefs-lieux d'arrondissement - je ne dirai pas de grands chefs-lieux d'arrondissement comme le disait l'honorable M. Bouvier - dans la position d'isolement où ils se trouvent.

Les observations que je viens de faire s'appliquent à une foule d'autres propositions qui ont été soumises à la section centrale, et j'ai à répondre d'avance à un reproche qui me sera bien certainement adressé aujourd'hui ou demain par l'honorable M. Julliot qui s'est plaint qu'il ne fût fait aucune mention d'une demande de concession d'un chemin de fer direct de Visé par Tongres à Tirlemont et, au besoin, jusqu'à Bruxelles.

Cette proposition a été faîte par la cinquième section. Il n'en est pas fait mention dans le rapport de la section centrale. Je le regrette, mais j'en félicite l'honorable M. Julliot, car ce chemin de fer a été rejeté à l'unanimité.

La cinquième section a été très prodigue de largesses et de millions. Elle nous a proposé de décréter un canal de jonction de Tongres à la Meuse par Visé dont coût, 500,000 fr., comme premier crédit ; puis un crédit d'un million pour doubler les écluses de Charleroi, plus deux millions pour la construction :

1° D'un embranchement reliant le canal de la Campine à Diest ;

2° D'un embranchement destiné à relier le Demer sous Werchter au canal de Louvain vers le Rupel, dont coût 2 millions, cela fait 3,500,00 francs que la cinquième section nous propose de voter comme premier crédit. Arrive ensuite un amendement de M. Moncheur qui demande 3,500,000 fr. de plus pour la canalisation de la Meuse, un amendement de M. de Mérode qui sollicite 1,300,000 fr. pour la Nèthe, une demande d'un million pour construction de routes dans le Limbourg, une demande de 1,500,000 fr. pour le rachat des embranchements du canal de Charleroi, une autre d'un million pour la voirie vicinale, en tout 11,800,000 francs.

Je me demande où la section centrale aurait été chercher tous ces millions Il y avait un moyen très simple de les trouver, dira-t-on. C'était de réduire d'autant d'autres crédits. Ce procédé est très commode, seulement je crois qu'en l'adoptant, nous aurions causé plus de mécontentement que nous n'aurions produit de satisfaction. Des orateurs ont indiqué cette façon très habile de trouver de l'argent pour exécuter de nouveaux travaux. Aussi M. Moncheur, qui demande 3,500,000 francs de plus pour la canalisation de la Meuse, nous dit : Je vois figurer dans le projet 5 millions pour le raccordement des stations à Bruxelles, 4 millions pour le chemin de fer de ceinture de Gand, 3 millions pour l'assainissement de la Senne à Bruxelles, 3 millions pour donner de l'eau pure à Verviers, plus 8 millions pour des dépenses non encore déterminées, tant elles sont peu urgentes, au chemin de fer de 1 Etat. C'est très facile, en vérité ?

Mais que dira M. Moncheur aux membres de cette assemblée qui regardent comme indispensable le raccordement des stations de Bruxelles, promis depuis quinze ans ; à ceux qui considèrent l'assainissement de la Senne comme un travai1 urgent et d'intérêt général ? L'honorable M. Moncheur trouve probablement que les 8 millions pour le chemin de fer ne sont pas absolument nécessaires parce que Namur a obtenu une magnifique station, mais l'honorable membre oublie que Bruges, Charleroi, Tournai, réclament aussi des station et que ces arrondissements ne sont pas disposés à céder les crédits qu’on leur offre, pour accorder aux députés de Namur des fonds dont ils n’ont pas besoin aujourd’hui même pour la canalisation complète de la Meuse.

L'honorable M. Kervyn procède d'une façon tout aussi sommaire. Le discours de l'honorable député d'Eecloo n'a pas encore paru dans les Annales.

- Une voix. - Ce sera pour la semaine prochaine.

M. Hymans, rapporteur. Probablement, car le Moniteur devient tous les jours plus inexact.

M. Allard. - Si M. Kervyn n'a pas envoyé son discours, le Moniteur n'a pas pu le publier.

M. Van Wambekeµ. - Mais ce discours a paru, le voici, je l'ai reçu.

- Voix nombreuses. - Nous ne l'avons pas reçu.

M. Hymans, rapporteur. - Ni moi non plus ; il n'a pas été distribué ce matin.

Quoi qu'il en soit, l'honorable M. Kervyn se déclare l'adversaire de l'intervention de l'Etat ; il se déclare hostile au crédit de trois millions réclamé pour l'assainissement de la Senne, qu'il subordonne à question de raccordement du chemin de fer ; il repousse les crédits demandés pour la Vesdre comme réparation des dommages insignifiants causés par les travaux du Hertogenwald ; en un mot, l'honorable membre s'élève contre l'intervention de l'Etat.

Mais après avoir énoncé ce magnifique principe qu'il appuie de citations tirées d'auteurs belges et étrangers, il demande un million de plus en faveur de la voirie vicinale et l'intervention de l'Etat dans les chemins de fer vicinaux, comme, à l'occasion du budget de l'intérieur, il demandait un commissaire d'arrondissement pour Eecloo.

Je crois qu'il y a quelque exagération aussi, beaucoup d'exagération même dans les plaintes des députés du Limbourg. L'honorable M. Thonissen nous a dit l'autre jour, en parlant du Limbourg : On oublie vite dans ce monde Oui, messieurs, cela est vrai, on oublie vite dans ce monde ; mais en écoutant M. Thonissen et ses collègues du Limbourg, j'ai constaté que cette province n'échappe point à la contagion générale. Elle a promptement et complètement oublié les immenses sacrifices que le trésor a faits pour elle.

Je prétends d'abord, et cela est consigné dans le rapport de la section centrale, que le Limbourg n'est pas exclu du projet actuel ; il figure, au contraire, pour une part importante dans les crédits sollicités. Les millions que l'on consacre à l'exécution des travaux stipulés par le traité conclu avec les Pays-Bas pour régler le régime des prises d'eau de la Meuse, sont réclamés au profit du Limbourg. L'honorable M. Thonissen a prévu l'objection : « Que l'on ne vienne pas, dit-il, inscrire à notre actif les 600,000 francs demandés pour l'établissement d'une nouvelle prise d'eau sur les glacis des fortifications de Maestricht ; M. le ministre des travaux publics sait parfaitement que l'ancienne prise d'eau nous suffisait amplement.

Je crois bien que cette prise d'eau suffisait amplement à l'honorable M. Thonissen, mais elle ne suffirait pas du tout à la Hollande à qui on avait pris ses eaux pour les irrigations à faire dans le Limbourg. Oui, les crédits qu'on nous demande n'ont pas d'autre cause que les prises d'eau faite à la Meuse pour les irrigations du Limbourg. Et quand l'honorable M. Thonissen et ses collègues du Limbourg viennent nous dire qu'on nous demande trois millions et demi dans l'intérêt de 118 usines construites sur la Vesdre, j'ai Je droit de lui répondre que nous sommes amenés à dépenser une somme considérable pour réparer le trouble apporté dans le régime de la Meuse par des irrigations faites dans l'intérêt de 7 ou 8 grands propriétaires du Limbourg.

M. Thonissenµ. - C'est tout à fait inexact.

M. Hymans, rapporteur. - C'est parfaitement exact. Du reste, l'honorable M. Thonissen devrait être d'autant plus convaincu de la vérité de ce que j'avance, qu'à l'origine, quand ces travaux d irrigation dans le Limbourg ont été décides, il y a de cela 20 ans, le conseil communal de Hasselt, la ville même que l'honorable M. Thonissen représente dans cette enceinte, a protesté outre les travaux d'irrigation de la Campine, comme devant amener nécessairement un trouble considérable dans la navigation de la Meuse et causer un préjudice important à la province de Limbourg.

Le conseil communal de Hasselt disait le 18 octobre 1836, « qu'il serait injuste de priver la Meuse de ses eaux qui ne suffisaient déjà plus à alimenter une voie de communication si importante non seulement pour les intérêts de cette province, mais aussi pour le commerce et l'industrie d'une grande partie de la Belgique et qu'il serait bien plus rationnel de prendre des mesures pour faire disparaître les grands (page 1061) obstacles que la navigation rencontre à cette source naturelle de bien-être et de prospérité. »

Les irrigations de la Campine et surtout de la Campine limbourgeoise ont été une source de grandes difficultés avec la Hollande ; en Prusse même, des commerçants des provinces rhénanes se sont adressés aux chambres de commerce de Gladbach et de Crefeld, pour attirer l'attention du gouvernement sur la situation de la Meuse. En France même, des habitants du département du Nord ont adressé à l'empereur des pétitions relatives au même objet, se plaignant de la difficulté de la navigation à partir de Liège.

En résumé, les irrigations de la Campine sont bien réellement la cause des dépenses considérables qu'on doit faire aujourd'hui, et elles ont de beaucoup augmenté les sacrifices que l'on a dû faire pour la Meuse depuis de longues années dans l'intérêt de la navigation de cinq provinces.

Si maintenant les travaux d'irrigation ont été utiles au Limbourg (bien qu'on dise qu'en agriculture, avec de l'eau claire on ne fait que de l'eau claire), le Limbourg n'a pas à se plaindre ; s'ils n'ont pas été utiles au Limbourg, nous votons aujourd'hui des crédits pour réparer le mal que ces travaux ont causé, et ce n'est pas au Limbourg, encore une fois, à se prétendre sacrifié.

On nous a entretenus ici pendant deux séances des doléances du Limbourg.

Je tiens à prouver que le Limbourg n'a été nullement sacrifié ; bien au contraire.

Si nous prenons la carte des chemins de fer, nous voyons que le Limbourg ne se trouve pas dans une position si défavorable ; que cette province, en fait de chemins de fer, n'est pas si mal dotée ; elle a le chemin de fer de Landen à Hasselt, celui de Liège à Maestricht, celui d'Ans à Tongres et à Bilsen ; elle aura bientôt le chemin de fer de Tamines à Landen qui la mettra en relation directe avec le cœur de nos districts industriels.

Enfin, messieurs, n'oubliez pas qu'au point de vue de la facilité des transports du Limbourg, il y a dans le projet de loi un autre objet qui mérite d'être pris en considération ; c'est le raccordement des deux stations de Liège, travail qui en définitive est très utile au Limbourg, en ce qu'il relie le chemin de fer de Tongres au réseau général du chemin de fer de l'Etat.

L'honorable M. Nélis, dont je ne partage pas les opinions relativement aux canaux, nous a communiqué tout à l'heure quelques chiffres, qui sont cependant éloquents, en ce qui touche la question spéciale dont je m'occupe. L'honorable membre a donné le bilan des voies navigables du Limbourg, celles-ci doivent au trésor la petite somme de 29 millions !

- Un membre. - Les travaux ont été utiles à la province d'Anvers.

M. Hymans, rapporteur. - Si vous admettez que ces voies navigables ont été utiles aux provinces d'Anvers et de Liège, l'argument se retourne contre vous, car il prouve que nous pouvons aussi porter au compte du Limbourg les dépenses faites pour la canalisation dans quatre autres provinces du pays.

Maintenant pour prouver jusqu'au bout que les plaintes du Limbourg sont mal fondées, je tiens à dire quelques mots des dépenses qui ont été faites pour les routes. L'honorable M. Thonissen vous a donné sur ce point des renseignements tout à fait inexacts ; il les a puisés dans le dernier exposé de la situation du royaume ; j'y ai puisé également les miens ; ils ne concordent pas du tout avec ceux de l'honorable membre.

Dans la période décennale de 1831 à 1860, on a construit dans le Limbourg 66,333 mètres de routes de l'Etat de seconde classe (on n'en a pas construit de première classe pendant cette période). Eh bien, le Limbourg a eu, dans la répartition, une part plus considérable que chacune des provinces de Brabant, d'Anvers, de Hainaut et de Luxembourg.

Ainsi, tandis que le Limbourg a 66,333 mètres de route, le Brabant en a seulement 27,108 ; la province d'Anvers 37,448 : le Hainaut 14,627 ; le Luxembourg 57,274.

- Un membre. - Vous confondez les routes ordinaires avec le pavage et l'empierrement.

M. de Borchgraveµ. - On fait quatre mètres d'empierrement avec le prix d'un mètre de pavage.

Ml. Hymans, rapporteurµ. - Je ne confonds pas. La base de la comparaison est la même pour toutes les provinces. Or, quand on compare les routes existantes dans le Limbourg au 31 décembre 1850 avec les routes existantes dans la même province au 31 décembre 1860, on trouve que le Limbourg a vu augmenter la longueur de ses routes de 66,333 mètres, tandis que le Luxembourg n'a eu qu'une augmentation de 62,000 mètres, et le Brabant, une augmentation de 18,000 mètres. Ce sont là des chiffres que je vous défie de réfuter.

Voyons maintenant l'étendue des routes relativement à la superficie du territoire. Dans ce calcul, le Limbourg occupe le dernier rang ; mais il y a d'autres provinces qui ont le droit de se plaindre. Le Hainaut, par exemple, qui occupait le troisième rang, dans la période précédente, est descendu au cinquième rang ; le Limbourg est au-dessus de la moyenne générale ; celle-ci est d'un kilomètre de route par 436 hectares.

Le Brabant, la Flandre orientale, la Flandre occidentale, la province de Liège et le Hainaut sont au-dessous de cette moyenne, tandis que le Limbourg est à peu près seul au-dessus.

Par rapport à la population (et ici encore il ne s'agit point de pavés, il s'agit d'hommes, il s'agit d'électeurs), le Limbourg vient le troisième dans l'ordre de classement. Il a un kilomètre de route par 488 habitants. C'est le chiffre que l'honorable M. Thonissen a cité, mais ce qu'il n'a pas ajouté, c'est que le Hainaut n'a qu'un kilomètre par 877 habitants, Liège par 899 habitants, Anvers par 907 habitants et la Flandre orientale un par 995 habitants.

Ainsi, en établissant la proportion relativement au nombre des habitants, le Limbourg se trouve dans une situation privilégiée relativement à quatre ou cinq provinces du pays. (Interruption.) Je vous ai montré les autres avantages que vous aviez obtenus, je vous ai montré que vous en obteniez d'autres encore par le projet que nous discutons. Je vous ai prouvé que vous aviez recueilli d'immenses bienfaits de la construction des voies navigables, que vous aviez des chemins de fer, que vous n'étiez pas en droit de vous plaindre en ce qui concerne les routes. Sur quoi donc portent vos doléances ?

Voyons quelles sont les dépenses qui ont été faites par l'Etat pour la construction et l'amélioration des routes de 1851 à 1860 :

Anvers : 771,727 fr.

Flandre orientale : 619,186 fr.

Hainaut : fr. 234,000 fr.

Limbourg : fr. 1,320,000 fr.

Le Limbourg vient donc avant les provinces d'Anvers, de Hainaut, de la Flandre orientale.

Le Hainaut est le dernier sur la liste. Avis à mes honorables collègues de cette province.

Voyons ce que les routes construites dans le Limbourg ont rapporté ?

Depuis le 1er janvier 1831 jusqu'au 31 décembre 1860 ; c'est-à-dire en 30 ans, l'entretien des routes dans le Limbourg a coûté à l'Etat seul, sans tenir compte de l'intervention de la province, 42 millions. Si l'on compare le produit de ces routes aux dépenses d'entretien, on trouve que, pour le Limbourg, la dépense a dépassé de 675,549 fr. la recette ; elle l’a dépassée aussi d'une somme considérable dans le Luxembourg : mais partout ailleurs que dans le Limbourg et le Luxembourg, la recette est -au-dessus des dépenses.

Voilà donc, encore une fois, le Limbourg qui a obtenu plus que quatre autres provinces et qui rapporte infiniment moins.

En ce qui concerne les chemins vicinaux, les longueurs empierrées dans le Limbourg depuis 1839 sont beaucoup plus considérables que dans plusieurs autres provinces. Et ce qu'il y a de curieux, c'est que cette proportion a augmenté surtout depuis le traité de 1839.

M. Julliot. - Cela fait honneur au Limbourg.

M. Hymans. - Si cela lui fait honneur, cela prouve aussi sa prospérité, et s'il est prospère, cela prouve qu'il n'a pas été, comme l'ont dit d'honorables collègues, sacrifié depuis 1839. Car je vous prie de le remarquer, c'est de 1841 à 1850, c'est-à-dire dans les dix années qui ont suivi le traité des 24 articles, que le Limbourg a empierré plus de 300,000 mètres courants de chemins vicinaux, tandis que pendant la période précédente, dans laquelle vous jouissiez des avantages, que vous dites avoir perdus, de 1830 à 1840, on n'avait pas construit la moitié des chemins empierrés qu'on a construits dans la période suivante.

Il est donc complètement inexact de dire que le Limbourg a à se plaindre de quoi que ce soit. Le Limbourg a prospéré en même temps que le reste du pays. Il a obtenu sa très large part dans les subsides du gouvernement et il obtient encore une très large part, je ne crains pas de le dire, dans le projet que nous discutons en ce moment.

Est-ce à dire, messieurs, que parce que le Limbourg a tort de se plaindre d'une façon si amère et si unanime, nous voulions pour cela refuser au Limbourg des satisfactions nouvelles ? Pas le moins du monde. L'honorable M. Thonissen et ses collègues demandent qu'on ajoute à l'article 14 relatif aux routes : « Et dans le Limbourg. »> Mais les honorables députés du Limbourg n'avaient pas besoin de proposer cet amendement, il était proposé par la section centrale.

(page 1062) M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je n'accepte pas cet amendement.

M. Hymans, rapporteur. - M. le ministre des travaux publics ne s'y rallie pas. Cela prouve que, dans l'intérêt du Limbourg, nous faisons de l'opposition au gouvernement.

Les honorables députés du Limbourg demandent que le crédit destiné aux routes soit porté de 2 à 3 millions en faveur de cette province. Comme toute la section centrale, je suis prêt a vous accorder 10, à vous donner 20 millions pour construction de routes, mais à une condition, c'est que M. le ministre des finances veuille les accorder d'abord. La section centrale et la Chambre elle-même ne disposent pas des deniers du trésor, et avant d'élever ainsi une dépense qui s'élève à 60 millions, il faudrait se demander s'il n'est pas des nécessités plus urgentes auxquelles il faudrait satisfaire et s'il est bien juste d'enlever à ceux qui n'obtiennent que des satisfactions légitimes, pour se montrer généreux à l'excès envers d'autres qui ont beaucoup moins le droit de réclamer.

Il me reste, messieurs, à répondre quelques mots à mon honorable ami, M. J. Jouret, qui a reproché à la section centrale de ne pas avoir proposé le rachat des embranchements du canal de Charleroi.

L'honorable député de Soignies a paru surtout assez mécontent d'un passage du rapport de la section centrale dont il a donné lecture et dans lequel il est dit que le gouvernement, en proposant la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi, a donné satisfaction aux intéressés plus qu'il ne l'eût fait en demandant les moyens d'élargir les écluses du canal de Charleroi à Bruxelles.

Ce mot « intéressés » a froissé mon honorable ami, et j'en suis fâché, parce qu'il a mal compris le rapport de la section centrale. S'il l'avait lu attentivement, il aurait vu que le rapporteur et la section centrale elle-même sont beaucoup plus favorables qu'il ne le croit aux idées qu'il défend en ce moment.

L'honorable M. Jouret prend pour lui ou plutôt pour ses commettants, ce qui s'adresse uniquement et spécialement aux députés et aux industriels de l'arrondissement de Charleroi. La phrase que l'honorable membre a lue a été prise dans un paragraphe relatif |à la question du chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi.

Une discussion s'engage entre M. le ministre des travaux publics et un député de Charleroi sur la question de la priorité à donner à l'élargissement des écluses du canal sur le chemin de fer direct et vice-versa. M. le ministre prouve que le chemin de fer est plus utile à l'arrondissement de Charleroi que l'élargissement des écluses du canal et il déclare qu'il croit ainsi donner une plus grande satisfaction aux intéressés. Ces intéressés ne sont ici que l'arrondissement et les députés de Charleroi.

Mais plus loin il s'agit de la question spéciale du rachat des canaux. Est-ce que la section centrale a dit que l'honorable M. Jouret avait tort de demander le rachat des canaux ?

Messieurs, je le déclare, je suis partisan du rachat des embranchements, dans l'intérêt de l'arrondissement de Bruxelles comme pour l'arrondissement de Soignies, pour le bassin du Centre et le bassin de Charleroi. Nous avons reçu, il y a 24 heures à peine, une pétition d'un grand nombre d'industriels de Bruxelles, qui, en s'occupant de la réduction des péages, demandent instamment que la Chambre s'occupe du rachat des embranchements du canal de Charleroi, dont le tarif est vraiment une entrave aux transports par le canal. Les honorables députés de Charleroi seront parfaitement de mon avis et la guerre des bassins, qui était autrefois si ardente, ne se renouvellera pas à propos de cette question.

Nous sommes tous d'accord sur ce point, sauf M. le ministre des finances. La section centrale s'est trouvée, pour le rachat des embranchements, exactement dans la même position que pour les demandes de travaux à ajouter à ceux qui sont proposés ; la section centrale n'est pas hostile au rachat des embranchements, au contraire, mais l'honorable M. Jouret est doué de trop de sens et de logique pour ne pas reconnaître, comme moi, qu'il y a quelque chose de très sérieux dans les objections faites par le gouvernement à la demande du rachat : si nous proposions le rachat des embranchements du canal de Charleroi, instantanément vous verriez surgir de toute part des propositions du même genre ; instantanément on demanderait le rachat du canal de l'Ourthe, le rachat du canal de Louvain au Rupel, du canal de Willebroeck, etc.

En proclamant le principe général de rachat, vous rendriez impossible l'exécution de tout nouveau canal par voie de concession, et l'adoption d'un pareil principe nous mènerait encore plus loin ; il y a des chemins de fer concédés dont les tarifs sont beaucoup plus élevés que les tarifs des chemins de fer de l'Etat, je citerai la ligne de Manage à Wavre et celle de Namur à Liège ; avec le système de nivellement absolu, vous seriez inévitablement amenés à racheter immédiatement toutes ces concessions. (Interruption.)

Vos droits sont-ils plus sacrés que ceux des autres ? Les droits du Centre sont plus anciens, je le reconnais, mais vous devez reconnaître aussi que dès que le principe serait admis, vous verriez immédiatement surgir toutes les réclamations dont je parlais tout à l'heure. (Interruption.)

On invoquerait les droits de la jeunesse contre les droits de l'ancienneté.

Je le répète, messieurs, nous sommes tous d'accord, et il y a ici tout simplement un intérêt financier à ménager. Pour le reste, nous nous joignons à l'honorable M. Jouret pour demander la prompte solution de cette question qui figure évidemment au premier rang de celles que le gouvernement aura à résoudre.

J'ai un mot, messieurs, un seul, à répondre aux observations que vient de faire valoir l'honorable M. Nélis. L'honorable M. Nélis avait déjà développé, dans la section centrale, sa thèse que l'ère des canaux est finie. Je crois que s'il faut se résoudre peut-être à ne plus construire de nouveaux canaux, il ne faut pas aller cependant jusqu'à ne pas achever ceux qui ont déjà coûté des sommes considérables, jusqu'à ne pas achever, par exemple, la canalisation de la Meuse. J'ai usé tout à l'heure des chiffres de M. Nélis pour prouver que les canaux de la Campine ne rapportent pas ce qu'il ont coûté ; mais l'honorable M. Nélis lui-même a été obligé de déroger à son système pour le canal de Charleroi et quelques autres, qui donnent de très beaux produits.

Il est très difficile de savoir d'avance si un travail donné doit produire des revenus suffisants, et si l'on se ralliait au système radical de l'honorable M. Nélis, on s'exposerait à commettre plus d'erreurs qu'il n'en veut corriger.

Il y a, messieurs, un chiffre et un fait qui prouvent la nécessité dès canaux ; le fait, c'est que l'existence des canaux a été la cause de la réduction des tarifs des chemins de fer ; le chiffre, c'est que les chemins de fer ont transporté l'année dernière 10 millions de tonnes de marchandises tandis que les canaux ont transporté 17 millions de tonnes ; admettez-vous que les chemins de fer soient en état de transporter une quantité aussi considérable de matières pondéreuses ? (Interruption.) Si l'on trouve un jour que la théorie de M. Nélis est fondée, nous pourrons combler les canaux et construire des chemins de fer dans leur lit ; mais ce moment n'est pas encore venu.

M. Vander Donckt. - Messieurs, dans la séance d'hier j'ai été l'objet d'attaques aussi injustes qu'imméritées de la part d'un honorable collègue. Le premier grief qu’il a mis à ma charge, c'est que mon discours n'avait pas paru au Moniteur.

Voici, messieurs, ce qui est arrivé : le soir, j'ai reçu les pièces du Moniteur, et en les relisant j'ai trouvé que je n'avais que la moitié ; j'ai dû me rendre au Moniteur pour réclamer les pièces qui me manquaient ; là on est convenu de l'erreur et on m'a dit que j'aurais reçu le reste dans le courant de la soirée.

Quand je suis entré chez moi, j'ai trouvé mes pièces, mais ce n'était plus une heure pour m'occuper de revoir mon discours et de courir au Moniteur.

M. de Moorµ. - C'était le samedi, cela.

M. Allard. - Il y a eu, après cela, le dimanche, le lundi et le mardi.

M. Bouvierµ. - On ne travaille pas le dimanche.

M. Vander Donckt. - Or les Annales parlementaires n'ont plus paru depuis, puisqu'il n'y avait pas séance le lundi.

Lorsque l'honorable questeur est venu me demander, de la part de l'honorable M. de Moor, quand mon discours paraîtrait au Moniteur, j'ai eu l'honneur de lui dire : Quand vous verrez l'honorable M. de Moor, veuillez lui dire, de ma part, que mon discours paraîtra demain, qu'il est au Moniteur depuis ce matin.

M. de Moorµ. - Il n'a pas encore paru.

M. de Borchgraveµ. - Il a paru.

M. Van Wambekeµ. - Il est au Moniteur que je tiens ici.

M. Bouvierµ. - L'incident est clos.

M. Vander Donckt. - Avant de clore l'incident, je dois faire remarquer qu'il ne faut pas faire un grief à un honorable collègue d'un fait qui n'est pas de sa faute.

M. de Moorµ. - Ce n'est pas de la mienne non plus.

M. Vander Donckt. - Pourquoi me le reprocher dès lors ? Il paraît vraiment que quelques membres de la province de Luxembourg s'arrogent le droit de l'interruption.

M. Bouvierµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

M. de Borchgraveµ. - Il s'est reconnu.

(page 1063) M. Vander Donckt. - Puisque cet incident est clos, nous en reviendrons au discours attaqué par l'honorable M. de Moor, J'ai lu le discours de l'honorable membre, qui, il l'ignore peut-être, a paru en même temps que le mien et, je dois le dire, il ne signifie guère grand-chose dans la réponse que l'honorable membre m'a faite.

Il a dit qu'il n'avait pas mes chiffres, mais j'avais indiqué la source où je les avais puisés. J'avais eu soin de dire que je les avais pris dans un discours de l'honorable ministre des travaux publics lors de la discussion de son budget.

Ces chiffres, l'honorable membre ne les contestera pas et le voulût-il il ne saurait les contester. L'honorable M. Hymans est venu encore tout à l'heure en confirmer l'exactitude.

L'honorable M. de Moor a dit, messieurs, que j'avais fait un discours très semé de récriminations et rempli d'amères critiques contre le Luxembourg.

Eh bien, messieurs, il n'en est rien et pour le convaincre du contraire...

M. de Moorµ. - Je lirai votre discours.

M. Vander Donckt. - Eh bien, j'ai la conviction qu'avec la loyauté que je vous connais, quand vous l'aurez lu vous reviendrez de votre erreur.

J'ai dit que le Limbourg et le Luxembourg avaient toutes nos sympathies à cause des sacrifices qu'on leur avait imposés en 1839. J'ai dit encore que j'étais disposé à voter tout ce que l'on aurait demandé dans l'intérêt de la prospérité de ces provinces. Et plus loin j'ai ajouté encore....

M. de Moorµ. - Votez le minimum.

M. Vander Donckt. - Non, je ne veux pas le minimum.

Voici ce que j'ai dit encore : « En présence de ces circonstances les grandes provinces ne sont-elles pas en droit de se plaindre, ne sont-elles pas en droit de réclamer, non pas qu'on réduise les subsides qu'on accorde au Luxembourg et au Limbourg, mais qu'on accorde à ces provinces ce qu'en bonne justice distributive on aurait dû leur accorder depuis longtemps. »

Je n'ai fait que défendre les intérêts des provinces de Flandre qui sont gravement lésés et méconnus.

Eh bien, je le demande sont-ce là des récriminations contre le Limbourg et le Luxembourg ? Sont-ce là des critiques amères contre ces deux provinces ?

Si les chiffres que j'ai cités ne sont pas favorables à ces provinces, ce n'est pas à moi, c'est aux chiffres qu'il faut vous en prendre. Or, les chiffres sont entêtés, ils sont inexorables. Quand ils sont posés, il faut savoir les contredire mathématiquement, il faut en prouver l'inexactitude, c'est ce que vous ne ferez pas.

J'ai rencontré dans le discours de l'honorable M. de Moor une interpellation qu'il m'adresse. Il me dit : Avez-vous légitimement demandé une route au gouvernement, qu'il vous a refusée ? A ce propos je dirai à l'honorable membre que je ne lui reconnais pas le droit de me questionner.

M. Bouvierµ. - Oh ! cela n'est pas poli.

M. de Moorµ. - J'ai le droit de vous adresser une question.

M. Vander Donckt. - Et j'ajouterai que mes relations avec les ministres ne le concernent pas.

M. Bouvierµ. - Ceci n'est pas poli.

M. Vander Donckt. - Si je l'avais voulu, messieurs, j'aurais pu récriminer contre le Luxembourg et lui dire des choses désagréables.

Ainsi j'aurais pu lui dire que, dans l'intérêt de nos finances, il serait très bon d'accorder à l'honorable M. Bouvier son commissaire d'arrondissement, mais à la condition de réunir les deux provinces sous un même gouverneur. J'y trouverais une économie qui servirait d'appoint aux subsides que ces provinces réclament à titre de faveur, mais pas à titre de droit, et cette province ne viendrait pas même, sous le rapport de l'importance, au second rang.

J'aurais encore bien des choses à dire, mais je bornerai là, pour le moment, mes observations.

Toutes les critiques de l'honorable membre n'ont eu d'autre résultat que de faire perdre du temps à la Chambre, (addendum, page 1077) et de donner à ce modeste discours un relief et une importance qu'il n'aurait pas eus sans les critiques de l'honorable membre, et je dois dire, en terminant, qu'à mon avis ce discours ne méritait ni tant-d'honneur ni tant d'indignité.

M. J. Jouret. - A la fin des observations que j'ai eu l'honneur de présenter la première fois que j'ai pris la parole, j'ai annoncé que je présenterais un amendement au projet, au nom de mes amis et au mien. Voici cet amendement :

« Art. 1er. Ajouter au littera A un paragraphe 13bis conçu en ces termes : Rachat par l'Etat de la concession des embranchements du canal de Charleroi : 2,800,000 fr. »

« Art. 2 (nouveau). Les crédits ci-dessus seront couverts jusqu'à concurrence de 60 millions de francs par l'emprunt et pour le surplus par les ressources ordinaires de l'Etat. »

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Par quelles ressources ordinaires ?

- L'amendement est appuyé. (A demain ! à demain !)

M. Bouvierµ. - Il n'est que 41/2 heures.

- Une voix. - Si nous ne prolongeons pas nos séances, nous en aurons jusqu'au mois de septembre.

M. Bouvierµ. - Je demande la parole.

MpVµ. - Pourquoi ?

M. Bouvierµ. - Pour demander la continuation de la discussion.

MpVµ. - Je consulte l'assemblée sur ce point.

- L'assemblée consultée décide que la séance continue.

MpVµ. - La parole est à M. Vleminckx.

(page 1065) M. Vleminckxµ. - Messieurs, à l'occasion du projet de loi soumis actuellement aux discussions de la Chambre, tout le monde, vous l'avez constaté, prêche un peu pour sa chapelle (je vous prie de me pardonner l'expression), et nul à coup sûr ne saurait le trouver mauvais ; mais permettez-moi de vous le dire aussi, je doute que nos sermons ou nos discours, si vous aimez mieux, opèrent beaucoup de conversions, et je crains fort qu'ici comme au ciel il n'y ait beaucoup d'appelés et peu d'élus. Et comment voudriez-vous qu'il en fût autrement ? Nous avons voté un emprunt de soixante millions, et ces soixante millions ont une destination parfaitement arrêtée. Il faudrait donc, pour faire face aux dépenses nouvelles qui sont sollicitées, et dont je suis le premier à reconnaître la parfaite légitimité, ou faire un second emprunt de quelques millions ou, comme vient de vous le dire l'honorable rapporteur de la section centrale, retrancher quelques-uns des travaux proposés, pour y substituer les nouveaux travaux demandés. Franchement, messieurs, je ne puis croire, et vous ne le croirez pas plus que moi, que la Chambre consente à entrer dans cette voie.

M. Bouvierµ. - Vous êtes un des élus.

M. Vleminckxµ. - Vous avez tort de m'interrompre, M. Bouvier, car je ne parle pas en ce moment pour l'arrondissement de Bruxelles.

C'est donc en vain, messieurs, je le sais par avarice, que moi aussi, j'adresserais à notre excellent ministre des travaux publics mon humble supplique, si je ne croyais pas me trouver dans une meilleure position.

Et cette position, la voici : J'ai bien moins en vue d'obtenir immédiatement, que de préparer le terrain pour l'avenir, et comme ma demande a pour objet un grand intérêt humanitaire, j'ai l'espoir d'obtenir les sympathies de toute la Chambre et son concours le plus énergique.

M. Orts. - Et de l'argent.

M. Vleminckxµ. - Je suis sûr d'avoir votre concours et de l'argent ; vous le voterez.

Je ne parle pas d'ailleurs, je viens de le dire, pour l'arrondissement qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans cette Chambre, circonstance atténuante, et qui mérite, je pense, d'être prise un peu en considération.

La Belgique, depuis son affranchissement, a subi de grandes, de magnifiques modifications.

Elle est, vous le savez comme moi, messieurs, sillonnée de voies ferrées et non ferrées, de voies navigables, de chemins provinciaux et communaux. Tout est entrepris pour la rendre heureuse et prospère ; on ne s'arrête, pour ainsi dire, que devant l'impossible. Les améliorations dans l'ordre intellectuel marchent de front avec les conquêtes matérielles. Le pays est splendide à tous égards. Il faudrait être insensé ou aveugle pour ne pas reconnaître les bienfaits immenses que l'indépendance nous a procurés. Et pourtant au milieu de ce beau ciel étoile que nous admirons tant, il y a un point noir, excessivement noir, et rien ne s'est fait jusqu'ici, ou peu de chose du moins, pour l'effacer et le faire disparaître ; quelque grands que soient les désastres dont il est la cause et la cause unique.

Ce point noir, messieurs, ce sont nos polders ; ce sont nos terres paludéennes, sur lesquelles l'honorable M. Van Overloop a déjà appelé avec infiniment de raison l'attention de la Chambre et du gouvernement. Ne vous étonnez donc pas que je vienne joindre ma voix à la sienne, pour solliciter les travaux que nécessite l'assainissement de ces localités et qui auront pour résultat certain la disparition d'une maladie redoutable, d'un véritable fléau pour une grande partie de nos populations. C'est pour moi un devoir que je suis heureux de trouver l'occasion d'accomplir en ce moment.

Je n'ai nulle envie, messieurs, de me livrer ici à une dissertation scientifique, qui d'ailleurs ne serait pas à sa place, mais quelques explications néanmoins sont indispensables.

Ce qu'on appelle terres palustres, ce sont des terrains d'alluvion ou tertiaires, comme les appellent les géologues, renfermant une grande quantité d'eau qui tient elle-même en dissolution des masses de matières organiques, se décomposant et se putréfiant, sous l'influence de causes météorologiques que les investigations scientifiques ont parfaitement élucidées, admirablement précisées.

Cette décomposition donne lieu à des effluves qui ont pour effet de produire ces fièvres palustres ou intermittentes, dont l'honorable M. Van Overloop vous parlait l'autre jour, et qu'il faut avoir vues de près pour bien se convaincre des désordres qu'elles entraînent à leur suite, et de l'indispensable nécessité de ne rien négliger pour en faire disparaître complètement les causes productrices.

Ouvrir dans ces terrains des canaux pour servir de débouchés aux eaux qui doivent y être amenées, tel est le remède, le remède unique qui doit mettre un terme à ce mal redoutable qui énerve et détruit avant l'heure une grande partie de notre population.

Je vous ai dit, messieurs, que ces eaux sont chargées de matières organiques dont la décomposition fournit des effluves malfaisants ; il est donc tout naturel que ces eaux étant écoulées et avec elles les substances qu'elles renferment, le terrain se trouve du même coup complètement assaini et mieux préparé pour l'agriculture, et mis par conséquent en état de fournir sa part à l'accroissement de la richesse publique, double résultat que le creusement de canaux dans ces localités peut seul faire atteindre et réaliser.

Et ne vous imaginez pas que je ne vous livre ici que des suppositions, que des théories à priori, ne pensez pas que le remède que j'indique n'est pas certain, infaillible ; les faits ont parlé ; leur langage est clair ; des essais ont été tentés en grand nombre, et chacun d'eux est venu confirmer les succès que les données scientifiques avaient fait entrevoir et qui peuvent désormais être prédits. Ces faits ont permis de faire passer à l'état d'axiome indiscutable la proposition suivante : « Saigner complètement les terrains palustres, c'est anéantir radicalement la source des fièvres intermittentes dites paludéennes. »

Voulez-vous, messieurs, quelques-uns de ces faits ? Je vais vous en citer ; je les ai puisés dans un recueil que j'ai ici sous la main, et que plusieurs d'entre vous connaissent ; ce sont les Annales de l'association pour le progrès des sciences sociales, association dont plusieurs membres de cette Chambre tant de droite que de gauche ont l'honneur de faire partie, et voici ce que j'extrais d'un mémoire de M. le docteur Burdel, lu au Congrès de Bruxelles (session de 1862) :

« Il a été fait, en France, dans le département de Loir-et-Cher, à La Motte-Beuvron, près du château de l'empereur, une expérience d'un haut intérêt, sous le rapport de l'assainissement des villages, des habitations rurales, et même des cités importantes. Le bourg de La Motte offre une des situations caractéristiques de la Sologne. La, à une profondeur de cinquante centimètres à un mètre environ, à l'époque des plus grandes chaleurs et des plus grandes sécheresses, alors que toutes les flaques d'eau avaient disparu du sol, on rencontrait une vraie nappe d'eau.

« Pendant les trois quarts de l'année, les caves quoique peu profondes, renfermaient des eaux fétides ; l'eau des puits s'élevait jusqu'à la surface du sol ; enfin les habitants souffraient de tous les inconvénients d'une humidité extrême.

« Pour remédier à cet état de choses, on a pratiqué le drainage en formant deux lignes de draines, voisines des maisons qui bordent la grande rue du bourg. Les eaux recueillies ont été déversées, au midi, dans la rivière du Beuvron ; au nord, dans un gros ruisseau. Ces lignes principales ont été coupées de distance en distance et à angle droit, vis-à-vis des portes des maisons ou des rues, par des puits ou des regards établis dans le but de faciliter les réparations et de mettre le drainage partiel de chaque propriétaire autour de son habitation, en communication avec le collecteur.

« Au point de vue de l'assainissement, l'opération a parfaitement réussi. Les caves dans lesquelles on avait été obligé d'établir des contre-murs pour préserver les tonneaux de l'envahissement des eaux, ont été parfaitement assainies ; les eaux des puits ont été ramenées à une profondeur suffisante au-dessous de la surface du sol ; des jardins autrefois inondés et improductifs sont devenus sains et fertiles ; l'église a été dégagée de toute humidité ; enfin les voies publiques, autrefois boueuses, molles, fangeuses, ont été rendues praticables.

« Mais le résultat le plus satisfaisant à signaler, c'est que la santé publique s'en est trouvée améliorée, et que le nombre de fièvres intermittentes palustres a diminué chaque année dans des proportions notables. Nous disons avec intention que la fièvre intermittente a diminué, parce qu'en effet pour faire disparaître entièrement cette affection endémique, il faudrait que le drainage fût pratiqué autour du bourg, dans un rayon d'une grande étendue. »

Je demande, messieurs, à continuer demain.

(page 1063) - La séance est levée quatre heures trois quarts.