Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 923) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Lacroix, secrétaire communal à Hantes-Wilheries, demande une loi qui fixe le minimum de traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux de Habay-la-Vieille, Seloignes, Caneghem, Mont-sur-Marchienne et dans l'arrondissement de Nivelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Boussu demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants d'Esschene, Ghislenghien, Brainel'Alleud, Boussu, Saint-Vaast. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Thienpont. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport sur la demande de naturalisation de la demoiselle Anne-Catherine Greffin

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux tarifs des voyageurs et des bagages sur le chemin de fer de l’Etat

Rapport de la section centrale

M. de Macarµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des voyageurs et des bagages sur le chemin de fer.

-Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projets de loi de naturalisation

M. de Brouckere. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre, au nom de la commission des naturalisations, 25 projets de loi de naturalisation ordinaire et un projet de loi de grande naturalisation. Chacun de ces projets de loi se rapporte à une demande qui a été prise en considération par la Chambre et par le Sénat.-

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Motion d’ordre

M. M. J. Jouret. - Messieurs, dans une de nos dernières séances, M. le ministre des travaux publics a présenté à la Chambre un projet de concession d'un chemin de fer de Houdeng-Goegnies vers Jurbise, avec embranchement vers Soignies. D'un autre côté, l'honorable M. Hymans a déposé hier le rapport de la section centrale sur le projet de loi contenant un ensemble de travaux publics. Je n'ai pas besoin de faire remarquer à la Chambre la liaison intime qui existe entre ces deux projets de loi. La Chambre pensera sans doute, avec moi, qu'il est utile et convenable d'examiner le plus tôt possible en sections le projet de loi portant concession du chemin de fer de Houdeng-Goegnies vers Jurbise. (Appuyé !)

MpVµ. - Les présidents des sections, qui règlent l'ordre de leurs travaux, seront invités à s'occuper de cet objet le plus tôt possible.

Projet de loi relatif à la mendicité et au vagabondage

Discussion des articles

Article 7 (devenu article 12)

MpVµ. - La Chambre est arrivée à l'article 7 (ancien du gouvernement, article 12 nouveau).

La parole est à M. Rodenbach.

M. Rodenbach. - Messieurs, dans le discours que j'ai prononcé mardi, j'ai demandé la suppression des dépôts de mendicité ; ce que j'ai dit alors peut servir pour développer l'amendement que j'ai signé avec mon honorable ami, M. Vander Donckt et tendant à la suppression, dans un an à dater de la mise en vigueur de la présente loi, des dépôts de mendicité delà Cambre et de celui de Bruges.

Nous ne sommes pas exigeants, nous accepterions le délai de deux années pour que le ministre de la justice ait le temps nécessaire pour examiner cette question que j'ai jetée en avant, à savoir, la création d'établissements agricoles sur une petite échelle, comme on en voit dans la Flandre occidentale. Les communes et même les cantons pourraient s'associer pour la création de ces établissements.

Je persiste d'autant plus dans cette opinion, depuis que j'ai entendu le judicieux discours de l'honorable rapporteur. Par ses chiffres, il a combattu complètement l'allocation de M. de Vrière. J'ai dit, entre autres, que la dépense totale des journées d'entretien dans les dépôts de mendicité s'est accrue presque chaque année ; en 1831,1e chiffre n'était que de 280,000 fr. ; en 1865, il était de 735,000 fr. ; c'est une charge énorme pour les communes, qui diminuera de plus de la moitié lorsque le système cellulaire sera mis en pratique.

M. le ministre lui-même n'est pas partisan des dépôts de mendicité. Je pense donc qu'il accueillera notre amendement. On peut d'ailleurs envoyer les mendiants et les vagabonds qui se trouvent au dépôt de la Cambre et dans celui de Bruges, aux dépôts de Reckem et de Hoogstraeten, où on pourra les occuper de travaux agricoles au lieu de leur faire piquer des visières de casquettes, comme on fait à Bruges. La ville de Bruxelles, qui fait tant de dépenses pour la promenade de l'avenue Louise, verra disparaître avec une grande satisfaction le repaire de vagabonds de la Cambre, dont les bâtiments, d'une valeur de plus d'un million, pourront être mieux utilisés.

Je crois que ces développements suffisent pour faire adopter notre proposition et pour engager M. le ministre à faire des essais, sur une petite échelle, des institutions agricoles, qu'elles soient communales ou cantonales.

M. de Vrièreµ. - Messieurs, je n'ai nullement l'intention de défendre les dépôts de mendicité tels qu'ils existent aujourd'hui. Je crois que tout le monde est d'avis que ces établissements doivent être supprimés et remplacés par d'autres établissements organisés d'une manière tonte différente ; mais on ne peut songer à supprimer les dépôts actuels que quand on connaîtra les effets produits par la loi nouvelle. Par conséquent je trouve qu'il serait imprudent de fixer un terme quelconque au gouvernement pour organiser des établissements destinés à remplacer ceux qui existent aujourd'hui. (Interruption.)

L'honorable M. Rodenbach approuve ce que je viens de dire et je m'en étonne puisque son amendement tend à fixer un terme très court.

M. Rodenbach. - Pas court ; 2 ou 3 ans.

M. de Vrièreµ. - Quel est donc le but de votre amendement ? Il est évident que le gouvernement organisera de nouveaux établissements aussitôt que l'expérience de la loi sera faite ; le gouvernement n'a pas un intérêt différent de celui des communes. Mais dans l'amendement présenté par les honorables membres je vois un symptôme qui justifie les appréhensions que j'ai manifestées au sujet de la manière dont il sera usé de la tolérance inscrite dans la loi.

Cette tolérance, je le crains, aurait des effets regrettables au point de vue de la répression de la mendicité.

Si l'on supprime les dépôts de mendicité de Bruges et de la Cambre avant qu'il y ait d'autres refuges, quelles en seront les conséquences ? Je vous ai fait voir, messieurs, par des chiffres irrécusables...

M. Rodenbach. - On a combattu ces chiffres.

M. de Vrièreµ. - L'honorable rapporteur n'a point combattu mes chiffres au point de vue du nombre des détenus.

J'ai dit, d'après les documents officiels, que la population des dépôts de la Cambre et de Bruges a diminué dans une proportion considérable ; cela est attesté par les rapports des députations permanentes.

M. Rodenbach. - La dépense a augmenté.

M. de Vrièreµ. - La dépense peut augmenter par suite de la cherté des vivres qui augmente les frais d'entretien, mais cela ne prouve pas (page 924) que la population des dépôts n'a pas diminué. Cette population a diminué dans une proportion très forte depuis 14 ans.

M. Rodenbach. - La dépense a augmenté.

M. de Vrièreµ. - Mais si le prix de l’hectolitre de froment monte de 20 à 40 francs, il est évident que la dépense sera doublés. Aucune loi ne peut remédier à cela.

Il résulte du dernier rapport de la commission administrative de la Cambre, qu'il y a dans ce dépôt 800 invalides environ, sur une population de 1,000 individus.

Il en résulte aussi que la proportion entre les valides et les invalides a décru très fortement depuis 14 ans.

Eh bien, je demande quelle sera la conséquence de la loi si l'on admet cette tolérance dont on semble vouloir user dans une mesure assez large. Il en résultera qu'un très grand nombre de ces 800 individus deviendront des mendiants ou devront être entretenus par l'assistance publique. Il faudra que les bureaux de bienfaisance ou les hospices pourvoient à l'absence des dépôts de mendicité.

Je demanderai donc aux honorables auteurs de l'amendement qui, je crois sont tous deux bourgmestres de leurs communes, si ces localités sont en position de pourvoir aux besoins des indigents invalides que la suppression des dépôts mettrait en liberté, et de faire pour eux tout ce qui commande l'humanité.

M. Rodenbach. - Oui, très bien.

M. de Vrièreµ. - Pourquoi ne le font-elles pas aujourd'hui ?

M. Rodenbach. - On le fait.

M. de Vrièreµ. - Si elles le faisaient, elles n'auraient pas d'invalides au dépôt de mendicité.

Quoi qu'il en soit, je trouve la proposition dangereuse et inutile.

Le gouvernement n'a pas jusqu'à présent des vues arrêtées sur l'organisation des établissements qui devront remplacer les dépôts de mendicité.

Il lui faudra pour cela un temps normal, le temps nécessaire pour qu'il ait l'expérience des effets que produira la loi nouvelle.

Nous ne savons pas si la loi n'augmentera pas le nombre des individus qui devront être placés dans un établissement du gouvernement.

Il faut donc laisser à celui-ci toute latitude pour pourvoir en temps utile aux conséquences de la loi et aux besoins qui se feront sentir.

Quant à l'observation qu'a faite l'honorable M. Rodenbach sur la possibilité d'établir des dépôts agricoles communaux ou cantonaux, je dirai messieurs, que l'expérience de tous les hommes qui se sont occupés de ces matières fait croire que les dépôts agricoles destinés aux indigents valides ne répondent pas aux espérances qu'ils avaient fait concevoir.

Il a existé un grand nombre de dépôts agricoles en Europe. Presque tous ont été supprimés. II a été prouvé que ces établissements ne rapportaient pas ce qu'ils coûtaient. Il n'en reste plus qu'un très petit nombre en Europe. J'en ai trouvé récemment l'indication dans un ouvrage très remarquable de l'honorable M. Ducpetiaux.

(page 937) M. Vander Donckt. - Messieurs, nous avons proposé notre amendement, nous croyant en conformité d'opinions avec le gouvernement. Le gouvernement en nous proposant de l'autoriser à faire la suppression des dépôts de mendicité a eu en effet un but, c'est cette suppression dans un temps plus éloigné, mais je crois ne pas me tromper sur les intentions du gouvernement. Cette suppression ne s'appliquera pas aux dépôts agricoles. Ces dépôts, en effet, sont utiles sous tous les rapports, sous le rapport de l'hygiène et de la santé des reclus.

L'honorable M. de Vrière a déjà dans un premier discours longuement développé la nécessité de maintenir le dépôt de Bruges.

M. de Vrièreµ. - Du tout, je n'ai pas dit un mot de cela.

M. Vander Donckt. - Vous n'avez pas l'intention de le supprimer tout de suite.

M. de Vrièreµ. - Quand on voudra.

M. Vander Donckt. - Vous voulez qu'il soit supprimé le dernier et moi je veux qu'il soit supprimé le premier. L'honorable M. de Vrière nous dit : Il faut que le dépôt de Bruges soit maintenu encore pendant deux ans. Je ne vois pas pourquoi.

On nous a dit aussi : Les communes devraient entretenir leurs pauvres.

Mais c'est ce qu'elles font aujourd'hui ; elles payent et elles payent largement, car avec les frais d'entretien d'un seul individu dans ce fatal dépôt, on entretiendrait dix pauvres dans la commune.

Je n'hésite pas à le dire, il n'y a pas de dettes plus lourdes ni plus irritantes et qui ruinent plus les communes que celles qui résultent pour elles des frais d'entretien de leurs indigents dans les dépôts de mendicité. C'est pour ce motif que nous demandons à en être délivrés le plus tôt possible.

Je comprends toutes les sympathies de l'honorable M. de Vrière pour le dépôt de Bruges qu'il a dirigé en sa qualité de gouverneur. Je comprends l'affection qu'il peut avoir conservée et pour ce dépôt et pour les employés de ce dépôt ; maïs je crois que le temps est venu où il faut enfin prononcer la suppression de ces dépôts.

Il est évident que les communes pourront entretenir leurs pauvres à bien meilleur compte qu'ils ne sont entretenus dans les dépôts de mendicité.

M. Mullerµ. - Qu'elles le fassent.

M. Vander Donckt. - Qu'elles le fassent, me dit-on, Sont-elles en position de le faire? Ne retient-on pas leurs indigents dans les dépôts malgré elles ?

M. Mullerµ. - Du tout.

M. Vander Donckt. - Du tout ! Les communes ont réclamé avec instance et à plusieurs reprises qu'on leur rendît leurs pauvres, et que leur a-t-on répondu ? Vos détenus se trouvent dans le dépôt par suite d'une condamnation, on ne peut les relâcher qu'à l'expiration de leur peine.

Et on les retient, non pendant quelques mois, mais pendant des années. C'est ce qui ruine les communes, et je puis donner l'assurance à la Chambre que si elles avaient la faculté de retirer leurs pauvres quand cela leur convient, il n'en resterait pas un seul de la Flandre orientale dans les dépôts, parce que nous savons à quel prix ils y sont.

Un mot maintenant au sujet du dépôt de la Cambre. Ce dépôt, situé le long d'une des plus belles promenades du pays, fait là une tâche qui doit évidemment disparaître. Je n'entrerai pas dans l'examen de la question de propriété de cet établissement. Mais quel que soit le véritable propriétaire, il est évident que ce dépôt a aujourd'hui une valeur considérable qu'on peut sans exagérer évaluer à plus d'un million. Eh bien, je demande s'il faut loger dans un palais les détenus que vous entretenez aux frais des communes domiciles de secours.

Evidemment, messieurs, et on l'a dit depuis longtemps, ce qui doit disparaître en premier lieu jet le plus tôt possible, c'est le dépôt de la Cambre. La question de propriété a été examinée par le gouvemement et il a repoussé les prétentions de la province à cette propriété en établissant que cet établissement appartient à l'Etat.

Quant à moi, je n'entre pas dans l'examen de cette question ; mais je dis que, quelque solution qu'on y donne, il y aurait à tirer de cette belle et vaste propriété, située à proximité d'une des plus belles promenades de la capitale, un parti beaucoup plus avantageux que de continuer à l'affecter à la réclusion des mendiants.

M. Rodenbach. - C'est une honte pour la capitale.

M. Vander Donckt. - Messieurs, n'y a-t-il pas une véritable inconséquence dans ce double fait que le gouvernement et la capitale font des sacrifices considérables pour créer une magnifique promenade vers le bois de la Cambre, tandis que, d'un autre côté, on maintient à deux pas de la ville de Bruxelles, et malgré les protestations les plus vives, les instances les plus irritantes, un établissement affecté à la détention d'une foule de mendiants et de vagabonds ?

Notre amendement ne tend pas seulement, messieurs, à supprimer le dépôt de la Cambre et celui de Bruges ; il tend encore à donner au public l'assurance que ces dépôts disparaîtront dans un court espace de temps, et j'espère bien que la Chambre appréciera la valeur de cette considération, surtout en ce qui concerne le dépôt de la Cambre, en présence des dépenses considérables que le gouvernement et la ville de Bruxelles s'imposent pour créer la magnifique promenade du bois de la Cambre.

Mais, dit-on, que fera-t-on des pauvres qui sont détenus dans ces dépôts ? Ce qu'on en fera ? Mais on les renverra à leur domicile de secours et les communes intéressées se chargeront de leur entretien. Il n'y a donc, sous ce rapport, aucune espèce de difficulté. Quant à ceux que l'on croirait ne pas pouvoir renvoyer à leur domicile de secours, il y a des dépôts, celui d'Hoogstraeten, par exemple, où l'on pourra les envoyer.

Il y a d'autres institutions encore, des écoles de réforme, oh l'on pourrait envoyer les jeunes gens actuellement détenus dans les deux dépôts dont je m'occupe.

Qu'on veuille y mettre un peu de bonne volonté, et je suis convaincu qu'on parviendra, dans un bref délai, au but que nous cherchons à atteindre. J'ai dit.

(page 924) M. Vleminckxµ. - Je n'ai pas eu l'honneur d'être gouverneur du Brabant et je ne puis être accusé, par conséquent, comme l'a été l'honorable M. de Vrière, au reproche d'avoir des entrailles de père pour des employés dont la position est menacée par l'amendement des honorables MM. Rodenbach et Vander Donckt.

J'examinerai cet amendement purement et simplement au point de vue pratique.

Le gouvernement demande, quoi ? Qu'on décrète par la loi que les dépôts de mendicité seront supprimés. Que veulent les honorables auteurs de l'amendement ? Ils proposent que les dépôts de la Cambre et de Bruges soient supprimés à jour fixe, sans examiner si cette suppression est possible, si elle ne sera pas entourée de mille difficultés.

Voyons, messieurs, dans quelle situation se trouvent les dépôts dont on sollicite la suppression.

L'honorable M. de Vrière en a déjà dit un mot ; je suis à même de fixer votre opinion par des chiffres officiels. Au 31 décembre 1863, se trouvaient au dépôt de la Cambre :

Infirmes, incurables, septuagénaires, 397 individus

Valides de 18 à 50 ans, 331 individus

Valides de 50 à 70 ans, 164 individus

Femmes mères, allaitant, 6 individus

Enfants jusqu'à 6 ans, 26 individus

Enfants de 6 ans jusqu'à 18 ans, 80 individus.

Total, 1,004 individus.

Mais les valides de 50 à 70 ans étaient en très grande partie usés, et c'est à peine si on en trouvait parmi eux qui fussent capables d'un travail quelque peu soutenu, de sorte que le chiffre des hommes valides s'élevait en réalité à 561 individus.

A ces 561, il fallait encore en ajouter 64 de 18 à 50 ans, atteints d'infirmités et incapables de travailler, ainsi que 97 femmes à peu près dans le même état. Total général, 722 individus.

Cette situation n'est guère changée à l’heure qu'il est.

Dans le cas où l'on supprimerait le dépôt de la Cambre dans un ou deux ans, je me demande si l'on a des locaux convenables où l'on puisse placer ces 722 invalides. Je ne le pense pas ; es sont des hommes au bout du compte, et j'invoque ici, en leur faveur, les sentiments d'humanité de la Chambre.

M. Rodenbach. - Les bureaux de bienfaisance et d'autres établissements encore sont plus que suffisants dans le pays.

M. Vleminckxµ. - C'est possible, mais peu sûr, et que l'honorable M. Rodenbach me perme te de le lui dire, cela ne prouve pas pour les sentiments humains que je lui ai toujours reconnus. Ne doit-il pas désirer, comme moi, que les mendiants trouvent dans toutes les situations, quoique mendiants, du pain et un gîte ?

En ce qui concerne le dépôt de Bruges, qui intéresse plus particulièrement l'honorable M. de Vrière, il résulte de l'état que j'ai ici sous les yeux, que là aussi il y a beaucoup d'invalides, moins toutefois qu'à celui de la Cambre.

Mais il ne faut pas douter que d'ici à un ou deux ans, il ne soit dirigé, sur l'un comme sur l'autre dépôt, une nouvelle fournée d'invalides, ce qui en élèvera peut-être le chiffre à 1,200 ou 1,500.

Eh bien, en cas de suppression d'ici à deux ans, que voulez-vous qu'on fasse de tous ces reclus, si vous n'avez pas des locaux convenables où l'on puisse les colloquer et les entretenir ? Comment pourriez-vous ordonner au gouvernement de supprimer les dépôts avant qu'il ait à sa disposition les moyens de pourvoir au placement des invalides ?

Puisque j'ai la parole, je vous demande l'autorisation d'ajouter quelques mots à ce que j'ai eu l'honneur de vous dire, dans une de vos dernières séances, sur les cellulaires. Je serai très court. Mes observations sont provoquées par un avis que j'ai lu récemment et qui émane d'un chapelain anglais, préposé à un établissement de l'espèce.

D'après l'avis de ce chapelain, l'emprisonnement cellulaire donne lieu à l'aliénation mentale ; et à l'appui de son opinion, il cite des cas qu'il a été à même d'observer.

Obligé de faire des recherches pour combattre l'amendement des honorables MM. Rodenbach et Vander Donckt, j'ai examiné avec soin ce qui se passe dans les dépôts de mendicité, et si dans ces établissements où la séparation n'est pas établie, il ne se présente pas quelque chose de relatif à l'aliénation mentale, qui soit digne de vous être révélé.

Eh bien, voici ce que j'ai constaté : c'est qu'en 1862 et 1863, vingt reclus ont été frappés d'aliénation à la Cambre, et dix-neuf à Reckheim.

C'est trois fois plus que n'en ont produit tous nos cellulaires réunis depuis leur installation.

M. Pirmez et d’autres. - Supprimez donc les dépôts.

M. Vleminckxµ. - C'est ce que je veux comme vous. Personne plus que moi n'est partisan de leur suppression ; mais je demande que le gouvernement soit seul chargé de prononcer cette suppression et qu'il en ait la responsabilité.

Comme l'a fait observer l'honorable M. de Vrière, l'intérêt de l'Etat commande au gouvernement de décider cette suppression le plus tôt qu'il sera possible ; il en est de même de l'intérêt des communes, qu'il ne peut pas non plus perdre de vue.

Et si, ce que je ne crois pas, il apportait à cette suppression des retards inutiles, les communes et les provinces, croyez-moi bien, se hâteraient de réclamer, et nous-mêmes nous élèverions la voix dans cette enceinte pour le conjurer d'achever l'œuvre qu'il a commencée, en vous présentant le projet que nous discutons en ce moment.

A propos des aliénations mentales qui se remarquent dans les établissements où la séparation n'a pas lieu, si je raisonnais comme ce chapelain anglais dont je viens de vous parler, vous me prendriez certainement pour un détestable logicien,

Si je disais : « Il s'est produit dans les grandes communautés où la séparation n'existe pas, un grand nombre d'aliénations mentales ; donc ces grandes réunions doivent être supprimées », je le répète, vous trouveriez que je suis fou.

(page 925) Permettez-moi d'appliquer le même raisonnement à ceux qui sont contraires à la séparation ; ils se hâtent aussi de conclure et ils arrivent à de mauvaises conséquences.

C'est pour avoir conclu trop tôt, que la France a commis l'irréparable faute de supprimer les cellulaires sans avoir rien à y substituer.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, si la proposition des honorables MM. Rodenbach et Vander Donckt a pour but de supprimer le plus tôt possible les dépôts de mendicité, je me rallie avec empressement a l'opinion qu'ils ont exprimée ; mais je comprends qu'il est difficile en ce moment de fixer l'époque de cette suppression. Si la suppression immédiate devait entraîner le renvoi des reclus au lieu du domicile de secours, évidemment au lieu de tendre, comme c'est notre pensée, à l'amendement de ces détenus, nous aurions agi dans un sens complètement différent ; nous aurions renoncé aux résultats qu'il nous est permis d'espérer du système pénitentiaire qui leur serait appliqué.

Mais, est-ce à dire que la rédaction de la section centrale, reproduire d'après le projet du gouvernement, est tout à fait satisfaisante ? Pour ma part, je ne le crois pas.

Il me paraît que cette phrase : « Le gouvernement est autorisé à supprimer les dépôts de mendicité », ne rend pas noire pensée, qu'elle ne répond pas même à la pensée du gouvernement et à celle de la section centrale.

Je m'explique à ce sujet.

Il y a déjà un grand nombre d'années qu'on se préoccupe de la question de savoir s'il y a lieu de conserver ou de faire disparaître les dépôts de mendicité. Dès le 9 février 1846, une commission chargée de s'occuper de l'amélioration des classes ouvrières, en proposait la suppression. La même pensée était exprimée dans l'exposé des motifs du projet de loi sur les dépôts de mendicité, déposé le 17 novembre 1846.

Plus tard, une commission composée d'hommes très distingués fut chargée de s'occuper des mêmes matières. On comptait, parmi les membres de cette commission, deux de nos honorables collègues, M. de Decker et M. Lelièvre.

Elle eut, comme je viens de le dire, à s'occuper des mêmes matières et voici quelles étaient les conclusions du rapport de cette commission.

Je me bornerai à mettre sous vos yeux le premier article de l'avant-projet qu'elle avait rédigé. Il était conçu en ces termes : « Les dépôt de mendicité existants sont supprimés. Le gouvernement fixera l'époque de leur fermeture. »

Cette rédaction exprimait, selon moi, d'une manière plus nette, plus précise, nos espérances et nos vœux.

Que s'est-il passé depuis 1853 ? L'opinion que l'on émettait alors sur les dépôts de mendicité n'est-elle pas la même aujourd'hui ? Si je m'en rapporte au travail de l'honorable rapporteur de la section centrale, il est établi aujourd'hui plus que jamais que les dépôts de mendicité n'ont répondu à aucune des espérances qu'on avait pu concevoir dans l'origine. Si je consulte le travail de l'honorable rapporteur, voici quelles sont les prémisses auxquelles il s'arrête : « Loin que les reclus se moralisent dans les dépôts de mendicité, les plus mauvais y corrompent ceux qui le sont moins » ; et l'honorable rapporteur arrive à cette conclusion : « Un régime qui produit de pareils résultats est évidemment vicieux ; il importe de le réformer sans plus tarder. »

Dans une des dernières séances que la Chambre a consacrées à l'examen de ce projet de loi, M. le ministre de la justice, en exprimant la même pensée, n'a pas hésité toutefois à faire entrevoir les difficultés qui s'opposaient à sa réalisation, et si j'ai bien compris, M. le ministre vous a fait craindre le maintien pour assez longtemps encore des dépôts de mendicité. Je regretterais d'autant plus d'avoir bien compris M. le ministre de la justice, qu'on peut appliquer aux dépôts de mendicité les éloquentes paroles qu'il prononçait, il y a quelques jours, lorsqu'il flétrissait la détention en commun dans les prisons.

Je comprends qu'il puisse y avoir des difficultés ; mais ces difficultés ne peuvent-elles pas être écartées ? Selon moi, elles peuvent l'être, d'abord en recherchant ce qu'il y a lieu de faire pour les individus qui sont dans les dépôts de mendicité, ensuite en examinant, eu égard à la situation actuelle des maisons cellulaires, le moyen de faire en sorte que dans un délai rapproché elles suffisent à recevoir les individus mendiants et vagabonds, qui, par leur âge, leur conduite, leurs délits, semblent devoir, entre tous, subir la détention cellulaire.

L'honorable M. Vleminckx citait tout à l'heure quelques chiffres. Je demande l'autorisation d'en mettre également sous vos yeux quelques-uns qui se rapportent au même dépôt, mais qui sont un peu plus récents. Ils constatent la situation du dépôt de mendicité de la Cambre le 10 décembre dernier.

Eh bien, je remarque que, sur une population de 914 individus, les septuagénaires et les infirmes atteignaient le nombre de 437, c'est-à-dire plus de la moitié, qu'il y avait 47 enfants âgés de moins de 12 ans, et 40 malades à l'hôpital, de sorte que le nombre des valides formait la minorité, et l'on comprenait dans les valides les reclus âgés de 12à 70 ans, en grand nombre infirmes et hors d'état de travailler, comme le remarquait tout à l'heure l'honorable M. Vleminckx.

Dans cette situation, il me semble qu'il y aurait une mesure radicale à prendre ; ce serait de placer dans les écoles de réforme agricoles tous les enfants et les jeunes gens, de ne plus les retenir dans les dépôts de mendicité. Quant aux septuagénaires et aux infirmes, je ne comprends pas davantage qu'on veuille les retenir dans les dépôts de mendicité, car ce n'est qu'en méconnaissant une situation malheureuse, une situation que créent les infirmités et l'âge, que l'on peut placer ces septuagénaires et ces infirmes à côté d'autres individus qui n'y arrivent qu'à la suite de condamnation.

Je crois, messieurs, qu'il faut sans hésiter aborder ce système qui, du reste, a été signalé par M. le ministre de la justice. II faut que les enfants soient placés dans les écoles de réforme et il faut, pour les individus valides, recourir à la détention cellulaire. Enfin, lorsqu'on a en présence de soi des septuagénaires et des infirmes, il faut les placer dans des hospices ou aviser à d'autres moyens.

Je n'ai plus qu'un seul point à toucher ? Est-il possible de placer dans les maisons cellulaires les individus valides qui se trouvent aujourd'hui dans les dépôts de mendicité ?

La Chambre n'a pas perdu de vue des votes qui ne remontent qu'à quelques mois, et qui ont eu pour but d'augmenter le nombre ou l'étendue des maisons cellulaires. Mais il est une autre considération sur laquelle j'ai déjà appelé votre attention et sur laquelle, en ce moment encore, je crois devoir insister en quelques mots : c'est que la détention cellulaire s'applique aujourd'hui à des individus qu'elle ne devrait pas frapper. Ainsi certains détenus militaires qui doivent rentrer dans l'armée et qui remplissent en grand nombre la maison de détention cellulaire de Louvain, ne devraient pas s'y trouver, mais être envoyés aux compagnies de discipline.

Je voudrais également appliquer aux maisons cellulaires la distinction que j'ai faite pour les dépôts de mendicité. Je voudrais qu'on n'y renfermât ni des jeunes gens âgés de moins de 20 ans, ni des vieillards au-delà d'un certain âge ; les premiers seraient envoyés aux écoles de réforme. Quant aux vieillards, leur âge exige des soins qui ne peuvent se concilier avec l'incarcération cellulaire.

Enfin je voudrais, je le répète, que le gouvernement étudiât sérieusement la question de savoir pendant combien d'années le système cellulaire peut sans inconvénients être appliqué à des prisonniers.

Je voudrais qu'il étudiât aussi la question de la mise en liberté provisoire de certains détenus, afin de préparer leur rentrée dans la société. Il en résulterait, j'espère, des vides assez nombreux dans les maisons cellulaires, pour qu'on pût appliquer ce régime à ces individus que nous voulons arrêter sur la pente du crime, et pour lesquels nous voulons une répression courte, mais sévère et énergique.

MjTµ. - Je partage la plupart des idées que vient d'émettre l'honorable M. Kervyn, et c'est en grande partie de la manière qu'il vient d'indiquer que la loi sera mise à exécution.

Je ne m'occuperai pas, messieurs, du régime cellulaire en ce qui concerne les prisonniers ordinaires, les condamnés pour des délits communs. Mais je dirai, quant à la mendicité, que le gouvernement se propose et le projet le constate, d'envoyer aux écoles de réforme tous les mendiants et vagabonds mis à sa disposition qui sont âgés de moins de vingt ans,

J'ajouterai, messieurs, qu'il n'est jamais entré dans les intentions du gouvernement de soumettre des vieillards au régime cellulaire, ce serait une inhumanité et, du reste, on n'atteindrait pas le but que l'on poursuit. Ce que l'on veut en appliquant le régime cellulaire aux mendiants et aux vagabonds valides qui ne veulent pas travailler, c'est les amener à se livrer au travail, à devenir des citoyens utiles. Nous ne pouvons pas espérer ce résultat en usant d'une semblable rigueur à l'égard d'individus infirmes ou de vieillards, et je ferai remarquer que la loi ne donne pas ce droit au gouvernement.

Quant à l'amendement déposé par les honorables MM. Rodenbach et Vander Donckt, je ne puis pas m'y rallier, par différentes considérations qu'ont déjà fait valoir et l'honorable M. de Vrière et l'honorable M. Vleminckx, et en partie, même, l’honorable M. Kervyn.

On vous a donné des chiffres, permettez-moi d'en ajouter quelques-uns.

Les honorables membres demandent la suppression des dépôts de la (page 926) Cambre et de Bruges ; or, ces dépôts contiennent, à l’heure qu'il est, 1,313 individus et, ainsi qu'on vous l'a dit, plus de la moitié des reclus de la Cambre sont invalides ; à Bruges, il y a un tiers d'invalidés.

Vous comprenez, messieurs, que je ne puis pas, dès maintenant, dire de quelle manière les individus qui se trouvent dans ces deux dépôts pourront être placés ultérieurement. Je ne suis pas sûr, et personne ne peut l'être, que dans les autres dépôts il y aura de la place pour les recevoir, si les dépôts de la Cambre et de Bruges sont supprimés dans le délai d'un an.

Evidemment, le nombre des reclus diminuera, et je déclare formellement que l'intention du gouvernement est d'arriver graduellement à la suppression complète des dépôts, si la chose est possible. Pour moi, ils doivent être fermés à tous les individus valides ou âgés de moins de vingt ans ; peuvent-ils également être fermés aux invalides ? C'est une autre question. Mais par cela même qu'on écartera des dépôts les enfants et les infirmes, les dépôts changeront de caractère. Ils deviendront probablement des asiles. Si des communes n'ont pas d'hôpitaux, et s'obstinent à ne rien faire pour venir en aide à l'indigence, il faudra bien que vous ayez des établissements où vous renfermerez les invalides. Dans quel temps pourra-t-on parvenir à ce résultat ? Je ne puis le dire.

Quel sera l'effet produit sur les valides par une répression plus sévère ? C'est ce qu'il est impossible de prévoir. J'espère que la loi aura de bons résultats, mais l'affirmer serait peut-être téméraire. Après la mise en vigueur de la loi il y aura moins de reclus, il y aura des places vacantes ; nais je ne puis en prévoir le chiffre.

On a parlé des enfants ; aujourd'hui déjà on les envoie aux écoles de réforme. Depuis que je suis au ministère, j'ai toujours veillé à ce qu'on ne laissât pas séjourner dans les dépôts de mendicité les enfants qui pouvaient être placés dans les écoles de réforme. Les enfants que vous voyez encore figurer dans les statistiques des dépôts de mendicité sont, en général, des enfants de 3 mois à 7 ans qui se trouvent avec leurs parents et qu'il serait tout à fait impossible d'envoyer aux écoles de réforme.

Voici le nombre des enfants qui se trouvent au dépôt de la Cambre :

« Agés de moins de 7 ans : 16 garçons, 25 filles.

« Agés de 7 à 16 ans, 9 garçons, 10 filles. »

Des instructions sont données pour qu'on dirige immédiatement sur les écoles de réforme tous les enfants que leur âge permet d'y admettre.

Je le répète, messieurs, il m'est impossible de prévoir quand il y aura dans les autres dépôts de mendicité de la place pour recevoir les reclus des dépôts que l'on veut supprimer.

D'autre part il y aura des mesures à prendre pour les invalides qui se trouvent dans les dépôts de la Cambre et de Bruges. Il y a toute une organisation nouvelle à créer.

Je demande donc, messieurs, qu'on laisse au gouvernement la latitude de supprimer les dépôts quand il le croira possible au lieu de lui prescrire une date fixe qu'il serait dans le cas de ne pas pouvoir respecter. Le gouvernement a, par la présentation de la loi, témoigné très clairement de ses intentions, et je ne pense pas, d'après ce que je viens de dire, qu'il y ait lieu de se méfier de lui.

M. Rodenbach. - Messieurs, d'après le discours que vient de prononcer M. le ministre de la justice, je suis persuadé que mon honorable collègue M. Vander Donckt sera satisfait comme je le suis moi-même.

Nous voyons que l'intention formelle du gouvernement est de faire disparaître les dépôts de mendicité, ces repaires de l'écume de la société, et comme on trouve qu'il y a des inconvénients à fixer un date précise, nous retirons l'amendement.

- L'article 12 est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à supprimer les dépôts de mendicité. Il déterminera l'organisation, le régime et la discipline des établissements qu'il sera nécessaire de conserver ou de créer en exécution de la présente loi. »

Article 13

« Art. 13. Le prix de la journée d'entretien dans les divers établissements où les reclus seront renfermés sera fixé conformément à l'article 2 de la loi du 13 août 1833. »

M. Magherman. - Lors de la discussion de l'article 3 (primitif) du présent projet de loi, la Chambre, au lieu de voter simplement l'article de la loi auquel le projet renvoyait, a préféré insérer la disposition même de cet article. Le cas se présente de nouveau pour l'article en discussion.

Il serait beaucoup plus simple et plus clair d'insérer dans la loi la disposition elle-même. La loi serait alors intelligible par elle-même et l'on ne devrait pas recourir au texte d'une autre loi.

J'ai, en conséquence, l'honneur de proposer l'amendement suivant :

« Le gouvernement fixera annuellement, après avoir pris l'avis des députations permanentes, le prix de la journée d'entretien dans chacun des établissements où les reclus seront renfermés. »

Je pense que cet amendement n'a pas besoin d'autres développements et qu'il sera parfaitement compris par la Chambre.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je viens aussi produire un amendement, amendement que j'ai indiqué dans une note jointe au travail de la section centrale, mais qui présentera mon opinion modifiée d'après les observations échangées dans le cours même de cette discussion.

Je pense que c'est à propos de cet article qu'il convient de déterminer quelle sera la part ou de l'Etat ou de la commune dans l'entretien des reclus dans les dépôts de mendicité en tenant compte de leur position et de leur âge.

Déjà, messieurs, j'ai eu l’honneur d'insister sur ce point et de vous demander si en principe il était juste de faire peser sur les communes les conséquences financières d'un fait auquel elles sont complètement étrangères.

J'ai insisté sur ce point, messieurs, parce que lorsque nous nous occupons d'une loi pénale, nous ne pouvons pas faire peser la responsabilité là où il n'y a ni droits ni devoirs.

Lorsqu'un individu valide refuse de demander au travail les moyens de subsistance, la commune n'a aucun moyen de l'y forcer et dès lors il devient complètement injuste que cet individu, lorsqu'il sera un vagabond ou un mendiant, c'est-à-dire lorsqu'il deviendra indigne de la commisération de la commune, acquière un droit contre elle.

Messieurs, l’honorable rapporteur de la section centrale a fait remarquer à ce sujet qu'il pouvait y avoir un grave inconvénient à ce que les communes fussent complètement déchargées de cette obligation.

Je le reconnais et c'est à ce point de vue que je proposerai d'attribuer des conséquences financières du délit, c'est-à-dire les frais de détention les reclus pour une part plus forte à l'Etat qui est plus directement intéressé, pour une part plus faible à la commune qui n'a qu'un intérêt relatif à satisfaire.

Que l'Etat y soit plus intéressé que la commune, cela est évident. Il s'agit d'un délit, et toutes les fois qu'il s'agit d'un délit, c'est la généralité des citoyens, c'est l'ensemble du pays qui est directement intéressé.

Je crois, messieurs, que ce qui est vrai comme principe se justifie également lorsque nous passons dans l'ordre des faits.

L'honorable ministre de la justice me répondait il y a quelques jours que, si les communes seraient désarmées, le gouvernement ne le serait pas, et en parlant ainsi M. le ministre de la justice faisait, je pense, allusion à l'action de la gendarmerie.

Mais il ne faut pas se le dissimuler : lorsqu'il s'agira de mendiants et de vagabonds, les faits échapperont presque toujours à la surveillance des autorités supérieures et ils ne pourront être constatés que lorsque l'autorité communale apportera elle-même une surveillance constante et vigilante à la répression de ces délits.

Et qu'arrive-t-il en ce moment ? C'est que la commune qui, souvent est pauvre et qui, à mesure que se développeront la mendicité et le vagabondage, deviendra plus pauvre et sera, par cela même, dans l'impossibilité de réprimer ces délits et fermera les yeux. C'est ce qui a déjà eu lieu, dans des circonstances sur lesquelles je n'insisterai pas. Ou sait que dans une foule de cas, lorsqu'il s'agit, par exemple, d'insensés furieux qui sont une cause de dangers incessants pour les populations, un grand nombre d'administrations communales ferment les yeux pour ne pas s'exposer à quelques dépenses.

Mais n'en sera-t-il pas de même dans la matière qui nous occupe lorsque la répression des mendiants et des vagabonds entraînera, aux termes mêmes de la loi que nous allons voter, le renvoi des individus de 15 ans pendant 4 ou 5 ans dans des dépôts de mendicité ?

Ny a-t-il pas une foule de cas où les communes fermeront les yeux, et quelles seront les conséquences de cet état de choses ?

Ce sera non seulement un danger pour la société tout entière, mais ce sera aussi une cause de dépenses pour l'Etat alors que ces jeunes délinquants seront devenus de redoutables criminels.

Vous savez tous, messieurs, combien les récidives se développent. En 1862, le nombre des individus qui ont comparu devant les cours d'assises se composait pour plus de moitié de récidivistes. Devant les tribunaux correctionnels, plus de 1,800 récidivistes, si je ne me trompe, ont été jugés.

(page 927) Le moyen de porter remède à cet état de choses menaçant pour la société, c'est d'empêcher la récidive, c'est de veiller avec énergie à ce qu'on ne cherche pas de coupables ressources dans une vie de fainéantise, cette école de tous les vices, comme le remarque M. Bérenger dans un travail que j'ai déjà cité.

J'ai pensé que le seul moyen de prévenir ces dangers, c'est de rendre hommage aux véritables principes, de faire à chacun sa part de responsabilité, d'unir l'Etat à la commune dans la répression, et de ne pas créer à la commune des charges tellement accablantes qu'elle ne pourrait pas remplir ses devoirs.

J'ai donc l'honneur de déposer un amendement dont voici la rédaction :

« Les frais de l'entretien des vagabonds ou mendiants valides âgés de 14 ans accomplis, dans les établissements où ils seront enfermés conformément au troisième paragraphe de l'article premier, seront supportés dans la proportion de deux tiers par l'Etat et d'un tiers par la commune du domicile de secours.

« Si les reclus sont des vagabonds ou mendiants, invalides ou âgés de moins de 14 ans accomplis, tous les frais d'entretien dans les établissements prérappelé seront à charge de la commune du domicile de secours.

« Le prix de la journée etc. (comme au projet de loi). »

Cet amendement est signé par l'honorable M. Moncheur et par moi.

- L'amendement est appuyé, il fait partie de la discussion.

MjTµ. - Messieurs, nous avons déjà répondu à l'amendement que l'honorable M. Kervyn vient de déposer. L'honorable membre a soutenu ce principe dans la discussion générale.

Le but de l'amendement est de faire supporter par l'Etat deux tiers et par la commune un tiers des frais de répression pour les individus âgés de plus de 14 ans, c'est-à-dire que la plus grande partie des frais de répression sera mise à la charge de l'Etat.

Cette proposition, messieurs, ne se justifie pas et nous avons déjà dit pourquoi elle ne peut être admise : c'est que si l'on exonère la commune du payement des frais que doit entraîner la répression du vagabondage et de la mendicité, la commune, se trouvant complètement désintéressée, ne fera plus rien pour prévenir ces délits.

M. Kervyn de Lettenhove. - Elle restera intéressée.

MjTµ. - Oui, mais dans une proportion très minime. Il en résultera une augmentation considérable des délits de mendicité et de vagabondage.

L'honorable M. Kervyn me dit : Si vous faites supporter les charges par la commune, elle ne veillera pas à la répression, pour ne pas avoir à payer. Mais la répression sera en grande partie indépendante de la commune, pour tous les vagabonds et tous les mendiants valides, il y a la police judiciaire ordinaire, qui fera poursuivre, et les communes devront bien contribuer aux frais de répression de leurs mendiants et de leurs vagabonds. Si vous imposez au gouvernement une charge considérable, n'est-il pas à craindre que la répression ne soit affaiblie . Il faut laisser les choses dans l'état où elles se trouvent, sous peine de grever l'Etat de charges incalculables.

Le jour où les communes seraient désintéressées dans les frais résultant de l'entretien de leurs mendiants et de leurs vagabonds, elles ne prendraient plus les précautions qu'elles prennent aujourd'hui pour réprimer la mendicité, et le trésor serait grevé outre mesuré. Rien que pour les mendiants et les vagabonds étrangers, la charge supportée par l'Etat est déjà considérable. Ajoutez-y les autres frais qu'on veut lui imposer et ce sont des millions que vous devrez ajouter au budget de la justice.

Le gouvernement ne peut pas accepter ce système ; il le repousse de toutes ses forces, car il compromettrait le sort de la loi.

M. Moncheur. - J'appuierai l'amendement présenté par M. Kervyn et qui porte, du reste, ma signature.

Je vous ferai observer d'abord, messieurs, que je ne pense pas que l'honorable ministre de la justice se soit rendu un compte exact du but et de la portée de cet amendement...

MjTµ. - Si, si.

M. Moncheur. - ... Car s'il s'en était rendu un compte bien exact, il n'aurait pas dit que la plus grande partie des frais de détention des indigents serait mise, par cet amendement, à la charge de l'Etat. C'est précisément le contraire qui arriverait par l'adoption de l'amendement.

En effet, je prie la Chambre de remarquer qu'il consiste à demander que l'Etat soit chargé des deux tiers seulement des frais de détention ou d'entretien des individus valides. ;

MjTµ. - Précisément.

M. Moncheur. - Or, parmi les détenus pour cause de mendicité, il y a un bien plus grand nombre d'invalides et d'enfants que de valides.

MjTµ. - Du tout.

M. Moncheur. - Je crois que c'est une erreur ; au reste j'ai toujours pensé qu'on exagérait beaucoup, dans notre législation, la responsabilité des communes au point de vue des frais de détention des indigents et que cette exagération amenait des résultats injustes et constituait la cause la plus réelle de la non répression de la mendicité.

Mon honorable ami M. Kervyn a bien voulu citer les paroles que je prononçais à cet égard, il y a quelque 18 ans.

Je disais que les administrations communales voyant une corrélation directe, immédiate, nécessaire, entre le fait de l'arrestation de ses mendiants et une dépense considérable de plus à leur budget, dépense qu'elles ne pouvaient même souvent supporter, n'avaient garde de poser ce fait.

D'un autre côté j'ai toujours compris aussi qu'il était impossible de mettre indistinctement à la charge de l'Etat l'entretien de tous les malheureux et de tous les fainéants qui pourraient être arrêtés dans les communes et qui seraient détenus et entretenus dans des établissements publics.

Cette charge deviendrait bientôt énorme et soustrairait les administrations communales à une partie essentielle de leur devoir.

Il fallait donc, dans mon opinion, un tempérament à la responsabilité générale de l'Etat. Il fallait une distinction au moyen de laquelle les frais d'entretien des mendiants arrêtés et détenus fussent répartis d'une manière rationnelle et équitable entre l'Etat et les communes.

Or, le projet de loi contient une distinction grave qui, si on en déduit les conséquences logiques, arrive directement au but que je viens d'indiquer.

En effet, le projet distingue entre les mendiants valides et les mendiants invalides.

Cette distinction est nouvelle et importante, et j'ajoute qu'elle est délicate, car, à part la limite de l'âge, la ligne de démarcation entre l'état valide et l'état non valide des mendiants ne sera pas toujours facile à tracer.

C'est une épreuve que nous allons faire. Mais cette distinction fondamentale établit un ordre de choses nouveau, qui doit avoir des conséquences nouvelles, même au point de vue de la responsabilité des frais d'entretien. D'après la loi nouvelle, le délit de mendicité commis par les personnes valides est tout différent du délit de mendicité commis par les enfants et les invalides.

Il est différent d'abord, parce qu'il n'est pas puni de la même peine, et ensuite parce que son mode de poursuite est soumis à des règles différentes.

En effet le projet élève le délit de mendicité commis par les personnes valides au rang des infractions ordinaires aux lois pénales de l'Etat et c'est à bon droit, messieurs, car l'homme valide qui mendie ne trouble pas seulement l'ordre public, mais encore il pose un acte immoral.

Le délit qu'il commet doit donc être puni comme tous les autres aux frais de l'Etat. Aussi, d'après l'article premier du projet et les commentaires donnés dans le rapport et par M. le ministre de la justice, le gouvernement se réserve-t-il de faire arrêter les mendiants valides et de les poursuivre quand et comme bon lui semblera, tandis que, par suite de la distinction fondamentale admise dans la loi, la poursuite d'un mendiant invalide dépend entièrement du représentant de l'intérêt communal, c'est-à-dire du bourgmestre.

Elle devient, pour ainsi dire, une affaire de famille ou de ménage intérieur.

Or, on conçoit que si la commune préfère s'adresser à la répression légale pour obtenir l'amendement d'un de ses membres et pour le faire nourrir et entretenir dans un établissement public, elle doive payer les frais de cet entretien. Mais il n'en peut être de même pour les hommes valides qui commettent une infraction plus grave à l'ordre public et dont l'arrestation et la poursuite ont lieu non seulement sans l'assentiment de l'autorité communale, mais même peut-être malgré elle.

On me dira peut-être que, dans l'état actuel de la législation, le gouvernement peut faire arrêter et poursuivre tous les mendiants indistinctement, mais je réponds d'avance à cette observation, que comme tous les frais d'entretien dans les dépôts de mendicité sont actuellement à la charge des communes, ce dont je me plains, il est pour ainsi dire (page 928) tacitement convenu aussi que l'arrestation des mendiants n'appartient qu'à la police locale et communale, tandis que, pour l'avenir, il en sera tout autrement. Que vous a dit, en effet, M. le ministre de la justice, dans une séance précédente, en ce qui touche la poursuite des mendiants valides. Voici ce qu'il vous a déclaré : « L'Etat fera saisir l'individu, il le fera condamner, il le fera mettre en prison ; l'Etat jugera, réprimera, mais les frais de répression seront à la charge des communes et cela doit être, ajoute-t-il, pour les raisons qui ont été indiquées. » (Voir les Annales parlementaires, page 859.)

Or, quelles sont ces raisons qui ont été indiquées ? Voici d'abord ce que dit l'honorable rapporteur :

« Si la détention d'un mendiant, a jusqu'à un certain point un caractère pénal, elle a aussi, lorsqu'il s'agit d'un indigent (seul cas où l'entretien du détenu reste à la charge de la commune) un caractère de secours et d'assistance. »

Mais, messieurs, qui ne voit que si cette raison s'applique aux indigents invalides, elle ne peut nullement s'appliquer aux personnes valides qui mendient, car ni la commune, ni qui que ce soit ne doit des secours ou de l'assistance à celui qui peu et qui doit s'en passer. Le caractère de secours et d'assistance qui existe dans la détention des indigents invalides et que j'admets pour établir la responsabilité pécuniaire de la commune, quant aux indigents invalides, disparaît donc totalement quant aux indigents valides.

Un autre motif principal que l'on allègue comme base de la responsabilité pécuniaire et exclusive de la commune, c'est que c'est à celle-ci a inculquer de bonne heure à ses habitants des sentiments de moralité et des habitudes d'ordre et de travail, et que si elle ne l'a pas fait, elle doit en subir les conséquences.

Mais, messieurs, cet argument prouve trop, il va au-delà du but, et, par conséquent, il manque de justesse. En effet, il peut s'appliquer à presque tous les faits délictueux commis par les habitants d'une commune comme au fait de la mendicité posé par des fainéants valides.

Ainsi, si un homme était imbu de sentiments de moralité, il ne volerait pas ; il en serait de même si cet homme avait des habitudes de travail et d'ordre.

En outre, comment appliquerez-vous ce motif de responsabilité pécuniaire aux communes qui voient, comme cela arrive assez souvent à présent, qui voient, dis-je, s'établir en peu de temps sur son territoire une population toute nouvelle, à côté de quelque établissement industriel ou de quelque exploitation très importante, à côté d'une mine par exemple ? Et si parmi cette population ouvrière, composée en grande partie d'hommes étrangers à la commune, il surgit des fainéants, des mauvais sujets valides qui se fassent détenir pour délit de mendicité, comment pourriez-vous imputer avec justice leur faute à la commune, et en rendre celle-ci responsable moralement et pécuniairement ? Cela n'est pas possible.

En résumé je dis donc, messieurs, que le délit de mendicité commis par des personnes valides étant une véritable infraction à une loi pénale, doit être puni aux frais de l'Etat, comme les autres délits, tandis que les frais résultant de la détention pour délits de mendicité commis par les individus non valides, peuvent rester légitimement k la charge des communes.

Cette base du partage des frais d'entretien des mendiants serait rationnelle et équitable. Ce partage donnerait satisfaction à des réclamations sérieuses et légitimes de la part de communes, il ferait cesser des plaintes fondées.

Soyez persuadés, messieurs, que si l'amendement est adopté, la plus grande partie des frais résultant de la répression de la mendicité restera encore à la charge des communes.

MjTµ. - Mais non ; c'est une erreur complète.

M. Moncheur. - Je vais vous prouver le contraire : d'abord les communes supporteront le tiers des frais de détention des individus valides ; en outre, elles supporteront la totalité des frais de la détention des individus non valides.

Par ce partage, je suis convaincu que la part de frais des communes serait la plus forte ; que tout au moins l'une équivaudrait bien à l'autre. Dans tous les cas, en supposant même qu'il en fût autrement, je trouve que, du moment que vous faites une distinction fondamentale, quant aux auteurs des délits, entre les individus valides et les individus non valides, vous devez en admettre toutes les conséquences.

Soyez d'ailleurs persuadés, messieurs, qu'à côté de la responsabilité pécuniaire de l'Etat, il resterait encore une responsabilité plus que suffisante à charge des communes pour les stimuler, à part le stimulant du devoir, à établir des institutions de prévoyance, d'enseignement et d'éducation propres à développer la moralité au sein des populations, et qu'à côté de cette double responsabilité pécuniaire et de l'Etat et des communes, il y aura encore bien des misères à soulager, et bien des plaies à guérir par la bienfaisance et la charité privée.

MjTµ. - Je dois rectifier les assertions de l'honorable membre et montrer qu'il est tout à fait à côté de la vérité quand il prétend qu'aux communes incomberait encore la plus grande partie des frais de répression de la mendicité et que l'Etat supporterait la part la plus faible.

Voici, messieurs, ce que nous révèle la statistique de la mendicité, quant aux individus valides, quant aux invalides et quant aux enfants détenus dans les dépôts de mendicité ?

Il y avait en tout dans nos dépôts de mendicité, et j'appelle sur ces chiffres toute l'attention de la Chambre, parce qu'ils font voir quelles seraient les conséquences de l'adoption de l'amendement, il y avait, au 1er janvier dernier, dans nos dépôts de mendicité 2,434 individus, dont 813 seulement étaient invalides et 1,621 valides. Il y avait, en outre, dans les écoles de réforme 772 enfants, garçons et filles ; soit en tout 2,393 individus dont on veut faire payer dorénavant les frais d'entretien, à concurrence des deux tiers, par l'Etat.

Eh bien, je dis que c'est une charge énorme qu'on ne peut faire supporter par l'Etat.

Veuillez remarquer, messieurs, que nous sommes conséquents avec les principes que nous avons adoptés. La loi prononce une peine ; elle impose en même temps au juge l'obligation de mettre, dans certains cas, les délinquants à la disposition du gouvernement.

Quant à la peine proprement dite, le gouvernement supportera les frais que son exécution entraîne. Les frais qui devront être faits pendant le temps que les individus seront à la disposition du gouvernement seront supportés par les communes, comme, du reste, cela se pratique aujourd'hui.

Le projet de loi actuel diminuera considérablement les charges des communes.

Aujourd'hui les mendiants et les vagabonds peuvent être à la charge des communes pendant un grand nombre d'années, pendant 4, 5, 6 et même 10 ans.

D'après le projet de loi, ils ne seront mis à la disposition du gouvernement, la première fois, que pour 15 jours au moins et pour 3 mois au plus et, en cas de récidive, pour six mois au plus. Il y a là un allégement considérable apporté aux charges des communes. Il ne s'agit que des mendiants valides.

Maintenant, quant aux mendiants invalides, on tolérera la mendicité, et de ce chef encore les charges des communes seront diminuées, surtout si les communes prennent des mesures qui les dispenseront d'envoyer ces indigents dans les dépôts de mendicité.

Je conclus de tout cela que les charges des communes, grâce à la loi nouvelle, deviendront moins considérables ; les communes n'auront plus à supporter les frais d'entretien des enfants et des valides qui seront devenus à peu près incorrigibles.

Il y a plus, messieurs : les communes peuvent aujourd'hui réclamer les enfants qui sont dans les dépôts de mendicité, et il est fait droit à leur demande, quand le gouvernement trouve les garanties nécessaires ; mais si l'amendement est adopté, aucune commune ne sera tentée de réclamer des enfants détenus à l'école de réforme, et vous aurez grevé le trésor de charges énormes ; les communes seules seront exonérées et elles seront très heureuses de se décharger, aux dépens de l'Etat, des inconvénients qu'entraînent la mendicité et le vagabondage.

Je le répète, l'amendement ne saurait être accepté ; le gouvernement fait tout ce qui dépend de lui dans l'intérêt des communes, mais il ne peut pas aller aussi loin que les auteurs de l'amendement.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, on frappe la commune alors qu'il est hors de contestation que la commune n'est pas coupable. Il est établi qu'on enlève à la commune ses plus précieuses ressources, celles dont elle pourrait disposer pour développer sa prospérité ou pour créer des établissements de bienfaisance, qu'on les lui enlève au profit d'individus qui n'y ont aucun titre et que la loi frappe en même temps que le mépris public.

Voilà la situation en deux mots.

A cela, M. le ministre de la justice répond par des considérations d'un ordre tout différent. Je n'ai pas très bien compris l'honorable ministre. Il m'a semblé que d'abord il présentait les charges que la loi nouvelle devait entraîner pour l'Etat ou pour les communes, comme très considérables ; et qu'ensuite il a fait envisager la loi comme devant avoir pour effet de diminuer les charges des communes.

Quoi qu'il en soit, et lors même que les charges seraient accablantes pour le trésor public, je tiens à faire remarquer à la Chambre qu'il y a (page 929) un devoir de justice et d'équité pour l'Etat qui veille à la répression des délits, de ne pas en excepter le délit de mendicité et de vagabondage.

Je tiens aussi à faire remarquer que si l'on est convaincu que le vagabondage et la mendicité constituent la pépinière de tous les vices, on doit juger indispensable que la répression de ce délit soit immédiate, qu'elle soit efficace.

Eh bien, vous savez, messieurs, que cette répression n'existe pas ; qu'un grand nombre de communes, en présence de leur situation financière, ferment les yeux sur le délit de vagabondage et de mendicité.

Je demande à la Chambre de faire cesser cet état de choses, et d'associer la commune et l'Etat, au point de vue de leurs intérêts et de leurs devoirs, de telle sorte que la commune ne récuse pas les obligations qu'elle a à remplir, en tant qu'elles se rapportent à l'éducation et à la moralisation des enfants ; et d'un autre côté, que l'Etat ne fasse pas peser exclusivement sur les communes des charges trop onéreuses.

Si ces charges sont considérables, il est certes à désirer qu'elles soient supportées par la généralité des citoyens. Plus ces charges seront considérables, plus il serait à regretter qu'elles pesassent exclusivement sur les communes pauvres auxquelles appartiennent d'ordinaire les mendiants et les vagabonds ; et qui, quels que fussent d'ailleurs les sentiments qui les animassent, se trouveraient dans une situation où elles ne pourraient pas remplir leurs devoirs.

- Des membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire pour répondre à une observation qui a été présentée tout à l'heure par l'honorable M. Moucheur.

Selon l'honorable membre, si l'on n'a pas jusqu'à présent imposé à l'Etat les frais d'entretien des mendiants dans les dépôts de mendicité, c'est que la législation actuelle n'a pas fait de distinction entre les mendiants valides et ceux qui ne le sont pas.

Cette distinction étant consacrée par le projet de loi en discussion, l'honorable membre en conclut que les frais d'entretien des mendiants valides doivent être supportés par l'Etat.

Messieurs, le projet de loi présenté en 1857 par l'honorable M. Nothomb faisait aussi une distinction entre les mendiants valides et ceux qui ne l'étaient pas ; mais l'honorable M. Nothomb ne proposait nullement de mettre à la charge de l'Etat les frais dont il s'agit. Voici ce que je lis dans l'exposé des motifs du projet de loi de 1857 :

« En dégageant les communes de l'obligation d'entretenir leurs indigents reclus dans les dépôts de mendicité, on frapperait dans son principe le devoir qui incombe aux communes de faire tous leurs efforts, de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir l'indigence, dont tout le fardeau ne tarderait pas à reposer sur l'Etat. Les charges des dépôts de mendicité ne manqueraient pas d'augmenter, dans une proportion menaçante pour le trésor public, et retomberaient ainsi plus lourdes sur les contribuables ; ce déplacement, par une sorte de cercle vicieux, tournerait donc, en définitive, au préjudice du pays en général et des communes en particulier. »

A ces paroles, qui sont la condamnation la plus complète de l'amendement que nous combattons, nous ajouterons seulement que les diverses autorités qui ont examiné la question depuis 1847, ainsi que les commissions instituées en 1847 et en 1853, ont toutes résolu la question dans le même sens. Il faut que les communes continuent à payer seules, non pas les frais de la détention pénale proprement dite, mais les frais de la détention de l'individu, pendant le temps qu'il est à la disposition du gouvernement, détention qui a toujours un caractère disciplinaire et quia pour but l'amélioration morale de celui qui y est soumis.

Par ces motifs, je pense qu'il n'y a pas lieu d'adopter l'amendement proposé par les honorables MM. Kervyn et Moncheur.

- De toutes parts. - Aux voix.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.

L'amendement de MM. Kervyn et Moncheur est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement de M. Magherman.

MjTµ. - Je m'y rallie.

- L'article, rédigé comme le propose M. Magherman, est adopté.

Article 14 (article 12 de la section centrale)

MpVµ. - Vient l'article 12 proposé par la section centrale.

Le gouvernement s'y rallie-t-il ?

MjTµ. - Oui, M. le président.

« Art. 12 de la section centrale (14 nouveau). La commune qui a payé ces frais d'entretien a le droit de se les faire rembourser par le reclus ; elle est subrogée dans les droits qu'aurait eus le reclus, à l'époque de sa détention, en vertu des articles 203 à 208 du Code civil. »

- Cet article est adopté.

Article 9 (devenu article 15)

« Art. 9 ancien (15 nouveau). Le gouvernement adressera tous les trois ans un rapport aux Chambres législatives, sur l'exécution de la présente loi. »

- Adopté.

Article 10 (devenu article 16)

« Art. 10 ancien (16 nouveau). Les articles 269, 271, 273, 274 et 275 du Code pénal sont abrogés. »

- Adopté.


MpVµ. - A quel jour la Chambre veut-elle fixer le vote définitif ?

MjTµ. - Je propose samedi..

- Le vote définitif est fixé à samedi.

Projet de loi créant un conseil de prud’hommes à Molenbeek-Saint-Jean

Rapport de la section centrale

M. Funckµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la création d'un conseil de prud'hommes à Molenbeek-St-Jean.

Projet de loi érigeant la commune de Ramsel

Rapport de la section centrale

M. Notelteirs. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à ériger la commune de Ramsel distincte de celle de Kersselt.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Rapports de pétitions

M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition, en date de février 1865, des administrateurs, industriels, négociants et cultivateurs de Thiméon prient la Chambre d'accorder aux sieurs Hans la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et Châtelineau.

Même demande d'administrateurs, industriels, négociants et cultivateurs de Viesville, Jumet, Marcinelle et du conseil communal de Jumet.

Ces pétitions, messieurs, pour le même objet, ont déjà été présentées à la Chambre ; l'une d'elles, celle des administrateurs et négociants à Châtelet, a donné lieu à une discussion à la séance du 17 mars entre MM. Pirmez, Sabatier et le ministre des travaux publics. A la suite de cette discussion, la Chambre a proposé le renvoi à M, le ministre des travaux publics.

La commission conclut au dépôt de ces pétitions sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.

- Adopté.


M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée du 23 mars 1865, le conseil communal de Genappe demande que le chemin de fer direct de Charleroi à Bruxelles passe par Jumet, Gosselies, Frasnes, Genappe, etc.

Conclusions : Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux d'utilité publique.

- Adopté.


M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition sans date, les membres du conseil communal, des industriels et des commerçants de Jemmapes prient la Chambre d'accorder au sieur Dincq la concession d'un chemin de fer de Jemmapes et de Saint-Ghislain sur Ath.

Les exposants demandent la jonction du bassin du Couchant à la vallée de la Dendre, et par suite exposent la nécessité de la construction de ce chemin de fer.

La commission propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée de Sichem, le 27 février 1865, les membres de l'administration communale et des habitants de Sichem demandent la construction d'un canal de jonction du canal de la Campine au canal de Louvain.

Les exposants se plaignent de la situation précaire dans laquelle la vallée du Demer se trouve par suite de la construction de plusieurs chemins de fer et canaux. Ils ajoutent que le conseil provincial a exprimé le vœu dans plusieurs de ses séances, de faire cesser cette situation et que le seul moyen d'y remédier, c'est la construction d'un canal de jonction du canal de la Campine au canal de Louvain. . La commission propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Ertvelde, le 22 février 1865, le conseil communal d'Ertvelde prie la Chambre d'accorder au sieur De Perre la concession d'un chemin de fer d'Ostende à Anvers.

Les exposants font remarquer que le railway en construction de Gand à Terneuzen ne passe pas dans l'aggloméré de leur commune, tandis que (page 930) le chemin de fer demandé par M. De Perre de la section d'Eecloo à Anvers relie le centre de la commune à tout l'arrondissement.

Conclusions : Renvoi à M, le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Van Wambeke, rapporteurµ. - Par pétition sans date le sieur Vinck, ancien gendarme, demande une augmentation de pension. L'exposant, qui a dû subir l'amputation de la jambe, prétend que, se trouvant le 1er mai 1860 à l'hôpital militaire, on l'en a fait sortir parce que la pension militaire allait être augmentée, et que par suite il n'a pas pu participer à ce bienfait.

La commission propose l'ordre du jour sur cette pétition qui n'est justifiée sur aucun prétexte fondé.

- Adopté.

Projet de loi relatif a l'érection de la commune d'Hoeveren

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. 1er. Le hameau de Hoevenen, indiqué par une teinte rose au plan annexé à la présente loi, est séparé de la commune d'Eeckeren, province d'Anvers, et érigé en commune distincte.

« Les limites séparatives sont fixées conformément au liséré carmin tracé sur ledit plan. »

- Adopté.


« Art. 2. Le cens électoral et le nombre de conseillers a élire dans ces communes seront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de leur population. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 33 membres présents.

Ce sont :

MM. Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Verwilghen, Vleminckx, Allard, Bara, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Crombez, de Bast, de Brouckere, de Conninck, De Fré, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Terbecq, de Theux, Devroede, Dewandre, Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Grosfils, Hayez, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, J. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orban, Reynaert, Rodenbach et E. Vandenpeereboom.

- La séance est levée à 4 heures et demie.