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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 10 décembre 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. Lange, doyen d'âgeµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 57) M. Jacobs, secrétaire provisoireµ, fait l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Conninck, secrétaire provisoireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Bruges

M. Nothomb, rapporteur. - Messieurs, après avoir eu hier l'honneur de présenter à la Chambre quelques considérations générales, je vais aujourd'hui, abordant l'examen des faits, les discuter à peu près dans l'ordre que l'honorable M. Hymans a lui-même adopté et tels qu'il les a retenus, pour employer cette expression du barreau, au procès, puisque procès il y a. Je ferai en sorte d'abuser le moins possible de la patience de la Chambre.

Demandons-nous ce qui s'est fait à Bruges, à propos des élections d'une manière quelque peu suivie ?

Après les élections on a donné chez plusieurs cabaretiers des réjouissances, des fêtes, ce que l'on appelle des régals, pour des sommes relativement peu importantes et dont la plus élevée n'a pas, je crois, dépassé 25 francs.

C'est dans ces réjouissances, dans ces libations qui ont suivi les élections que l'honorable collègue auquel je réponds en ce moment trouve surtout le caractère de la corruption. C'est pour lui une corruption d'un genre particulier qu'il a qualifiée de corruption conditionnelle. Ce qui s'est pratiqué à Bruges serait, d'après lui, un vaste et nouveau système de corruption, inventé par les conservateurs de l'arrondissement de Bruges et à l'aide duquel ils ont altéré la sincérité des élections. Voilà l'accusation.

Il serait peut-être plus vrai de dire qu'après les élections, on a organisé une vaste conspiration longuement et habilement menée pour arriver à invalider des élections régulières, par tous les moyens imaginables.

Mais je ne veux pas anticiper sur ce point ; j y reviendrai plus tard.

Pour le moment, je tiens à constater que le système suivi à Bruges n'est ni vaste ni nouveau.

Comment, messieurs, serait-il si vaste que le dit l'honorable membre alors que l'enquête prouve à que le mesure il se réduit ? Il a été pratiqué vis-à-vis de 12 ou 15 électeurs-cabaretiers et dans la ville de Bruges presque exclusivement. S'il avait été tellement étendu, s'il avait pris de telles proportions, n'est-il pas évident qu'après une enquête si laborieuse, si minutieuse, on serait parvenu à un bien autre résultat ? Et le résultat sous ce rapport, vous le connaissez, il a été bien chétif.

On a trouvé, après force recherches, après avoir déployé un zèle qui, lui, a pris des proportions extraordinaires, après un vrai luxe d'investigations, on a trouvé, dis-je, que ces réjouissances, ces fêtes, ces libations comme on voudra les appeler, ont eu lieu après les élections, chez 15 à 20 cabaretiers ! Et pour quelles sommes ? Pour 5, 10, 15, 25 fr. au maximum.

Peut-on sérieusement appeler cela un système et un vaste système ?

Est-il nouveau au moins ? C'est le grand grief que lui fait l'honorable membre et il s'en indigne. Il est nouveau, s'écrie-t-il, il est dangereux ; il recèle dans son sein les plus funestes conséquences. S'il s'établit, s'il est accepté, s'il est toléré seulement, c'en est fait de la sincérité des élections et la moralité publique y succombera.

Eh bien, lisons l'enquête. Consultons-la et vous y verrez que ce système n'est pas nouveau et qu'il a été pratiqué depuis longtemps par les agents de l'opinion libérale à Bruges. C'est par eux que cet usage a été introduit et qu'il a été pratiqué. Je vais, messieurs, vous le prouver en parcourant rapidement quelles dépositions.

J'ouvre, par exemple, la déposition n°47. C'est un sieur De Ceuninck qui parle :

« Je me souviens que quelques jours avant les dernières élections (du mois de juin), me trouvant au cabaret du bouvier Coppé (domestique à l’abattoir), avec quelques autres personnes, sans que je puisse dire qui elles étaient, pour la raison que je n'y ai pas fait attention, j'ai parlé relativement au résultat des élections ; il y fut entre autres dit qu'il y en avait beaucoup qui, lorsque les élections avaient lieu, étaient demandés par-ci par là pour boire ; je fis entendre qu'il ne m'était jamais arrivé de prendre part à ces régals. A cette occasion, il fut parlé de ce que faisait l'ancien directeur de l'abattoir, chaque fois qu'il y avait élection, à savoir qu'alors il faisait donner en régal quelques doubles pots de bière aux électeurs du voisinage, dans l'un et dans l'autre cabaret de la rue Maréchale ; il est bien possible qu'il y ait été question que cela avait eu lieu à cette époque dans les cabarets de Everaert et Bonjé, mais assurément je n'ai entendu parler nulle part, chez Coppé ou dans d'autres lieux, de ce qu'à l'époque des dernières élections du mois de juin il aurait été délivré de l'argent et nommément une pièce de cinq francs pour l'achat de leurs votes dans l'élection, aux nommés De Peere, Everaert et Bonjé. »

Voilà donc le fait déjà formellement constaté par un témoin : l'ancien directeur de l'abattoir, agent libéral, faisait donner des pots de bière aux électeurs chaque fois qu'il y avait élection.

Plus loin, au n°5, ce même individu revient et est plus explicite encore.

« Seulement j'ai dit à Coppé qu'après les élections antérieures l'ancien directeur de l'abattoir M. Van Hollebeke,'qui est mort depuis plus d'un an déjà... »

M. Allard. - On ne peut pas le contredire, il est mort.

M. Nothomb. - Je lis une déposition. Si vous voulez me faire des objections, M. Allard, faites-en au moins de sérieuses, mais laissez-moi continuer.

Je prouve par des déclarations de témoins que le système que l'honorable M. Hymans a appelé nouveau, ne l'est pas. Il est fort naturel qu'à cette occasion l'on cite un homme mort depuis un an, qui avait suivi de tout temps la même pratique en faveur de l'opinion libérale. Rien ne prouve mieux l'ancienneté de la chose :

« Seulement j'ai dit à Coppé qu'après les élections antérieures, l'ancien directeur de l’abattoir, M. Van Hollebeke, qui est mort depuis plus d'un an déjà, et qui travaillait pour le parti libéral, laissait boire quelque chose dans les divers cabarets dont les cabaretiers étaient de son parti ; je crois même avoir dit à Coppé que pareille chose avait eu lieu chez Everaert, Bonjé et de Peere. Je parlais par conséquent des élections précédentes et non de la dernière élection du mois de juin dernier, dont je ne savais rien dire. »

Enfin, un autre témoin, appartenant à l'opinion libérale, et bien vivant celui-là, a également parlé de ces libations faites antérieurement, et non seulement il en parlé, mais il les fait faire. C'est le témoin Franck, agent du chemin de fer de la Flandre occidentale ; au n°58 de l'enquête il s'exprime ainsi :

« J'appartiens au parti libéral et fais tout ce qui est possible et légal, pour faire triompher les candidats de mon parti. C'est ainsi que j'ai porté des bulletins de vote à différents cabaretiers que je savais avoir l'habitude de voter pour les libéraux, non pas au nom de M. Chantrell ou de celui de l'administration du chemin de fer, mais en mon propre nom. Comme, lors de la remise des bulletins de vote, les cabaretiers en question me demandaient si, comme d'habitude, ils pouvaient boire en régal quelques doubles pots de bière à la santé des libéraux, après l'élection, j'y ai consenti, et lorsque les élections étaient terminées, j'ai, deux ou trois jours après, fait demander dans ces cabarets, les comptes de ce qui y avait été bu selon mon consentement. Parmi ces cabaretiers se trouvait le nommé Louis Bonjé, dans la maison duquel il est possible qu'on ait bien pu boire dix doubles pots de bière, et à qui j'ai fait remettre de ce chef cinq francs, par François Muynck. Ces dépenses je les ai faites de mes propres deniers. »

Y a-t-il, messieurs, rien de plus clair ? Il y a là tout ce qu'on blâme si amèrement chez les agents de l'opinion conservatrice ; promesses antérieures, payements après l'élection ; et ce M. Franck a agit ouvertement ; il trouve cela parfaitement légal. Or, de ce qui est permis à M. Franck, ne faites pas un crime à d'autres agents électoraux.

La déclaration, du reste, de ce témoin est confirmée par un autre employé du chemin de fer, par le garçon de bureau de M. Chantrell, qui dit ceci au n°57 de l'enquête :

« Seulement, deux ou trois jours après les élections du 9 juin dernier, j'ai été chargé par M. Franck, employé audit bureau, de demander le compte de ce qui avait été bu dans le cabaret de Louis Bonjé. Je crois que ceci devait avoir été à l’occasion desdites élections, sans que cependant je le puisse affirmer. Bonjé m'a donné un petit compte qui s'élevait, je crois, à deux francs et demi, pour cinq doubles pots de bière. M. Franck m'a remis cet argent, et je l'ai donné en main de Bonjé encore le même jour. Si je dis deux francs et demi, je ne veux cependant pas soutenir que ce n'a pas été cinq francs, et qu'il n'a pas été porté en compte dix doubles pots de bière, ainsi que le prétend ce dernier. »

Ainsi, messieurs, voici un point acquis, incontestable ; ces régals sont une pratique vieille déjà, dont l'initiative paraît revenir aux agents de l'opinion libérale, et il serait aussi déraisonnable que souverainement injuste d'en faire aujourd'hui un grief aux agents de l'opinion contraire. (page 58) S'il y a là un mérite d'invention quelconque, il appartient aux agents de l'opinion libérale. Et peut-être qui sait ? il ont été dépités de voir utiliser par leurs adversaires un procédé qui jusqu'ici avait parfaitement réussi. Ceux-ci sont donc coupables, en définitive, non de corruption, mais d'un plagiat.

L'honorable M. Hymans critique ensuite la formule qui est employée, et qui consiste en ceci : « Si nous réussissons, vous aurez telle quantité de bière à donner à boire aux amis ou chalands. » Cette formule n'est d'abord nullement générale ; elle n'est usitée que dans un très petit nombre de cas et, ensuite, elle n'est jamais agréée, ni interprétée comme moyen d'influencer le vote. Là non plus on ne trouve la preuve d'un système.

Tous les cabaretiers, au contraire, protestent qu'on n'a pas agi sur leur opinion, qu'ils ne se sont pas laissé influencer, que cette promesse ou annonce d'un régal ne les a en rien déterminés. Cela ressort de toute l'enquête. Je sais bien ce que l'on répond : les cabaretiers ne méritent aucune créance quand ils parlent ainsi ; un autre langage les compromettrait. L'observation est commode. Je l'ai déjà dévoilée d'hier : toujours les bons et les mauvais cabaretiers selon les besoins du moment. Mais si les cabaretiers ne méritent pas d'être crus sur ce point, ils ne le méritent sur aucun et dès lors que deviennent et votre enquête et les accusations que vous en tirez ? D'ailleurs en fait la réponse est là : les cabaretiers se sont si peu laissé déterminer par ces offres en faveur des conservateurs qu'ils ont voté presque tous, cela est constaté, pour les libéraux.

L'honorable M. Hymans ajoute plus loin :

C'est tellement un système de corruption, « qu'on donnait au cabaretier non pour régaler les électeurs, mais pour faire avec l'argent ce qu'il jugerait convenable, établir un jeu de boules, donner une fête après l'élection ou même pour boire lui-même. » (Page 40 des Annales parlementaires.)

Là est le trafic, conclut l'honorable membre. Par malheur pour sa conclusion, elle repose encore sur une erreur manifeste qui ressort de toute l'enquête. Partout on se sert de la même formule ; on dit : « Si nous réussissons, vous pouvez verser à boire aux amis ; » et on limite ou la quantité de bière ou une somme équivalente.

Les cabaretiers ne pouvaient donc pas faire autre chose que ce qu'on leur indiquait ainsi ; agissant autrement, ils eussent commis un véritable détournement, qui n'eût pas manqué exciter contre eux les plus vives réclamations. Or, des reproches ne paraissent nulle part ; conséquemment il reste évident que les cabaretiers ont accompli le mandat qui leur avait été donné, et que, ne gardant rien pour eux d'illégitime, ils n'ont pu commettre le trafic qu'on leur impute.

Mais, réplique M. Hymans, d'autres que des électeurs pouvaient donc prendre part à ces régals ?

Et pourquoi pas, s'il vous plaît ? Où est le mal ? Tout le monde doit pouvoir participer à des réunions de ce genre ; chacun peut s'associer à la joie que fait éprouver à son parti le triomphe de son opinion ; chacun peut boire à la santé de ceux au succès desquels on s'est associé soit par son vote, soit par ses démarches ou ses sympathies ; il n'est dit nulle part que cela doive rester le privilège du citoyen censitaire et il y aura d'autant moins de corruption qu'un plus grand nombre de non-électeurs auront pris part à ces réjouissances politiques.

L honorable M. Hymans prétend ensuite que, contrairement à ce que j'ai dit dans mon rapport, le sens moral de toute la population de Bruges s'est soulevé dès le premier jour ; qu'il y a eu une explosion de l'indignation publique ; que sur l'heure même il n'y a pas eu le moindre doute sur les fraudes, sur les abus, sur l'immoralité, sur les faits enfin qui doivent, selon lui, rendre invalide l'élection de Bruges.

Encore une allégation que rien ne justifie et qu'au contraire l'enquête renverse de fond en comble.

Quittons la fantaisie pour pénétrer dans la réalité et vous resterez convaincus que ce sens moral que l'on dit s'être révolté incontinent, à l'instant même, est resté parfaitement calme, qu'il n'y a pas eu cette croyance universelle, cette solennelle et soudaine affirmation donnée par toute une population indignée. Non, il n'y a rien de tout cela. Votre vox populi n'est qu'imaginaire. C'est le contraire qui est vrai. Lisez plutôt la déclaration d'un homme dont vous ne pouvez récuser la parole, d'un homme honorable qui occupe une position politique dans son pays, qui est de votre opinion, je veux parler de M. Merghelynck, membre de la députation permanente de la Flandre occidentale. Ecoutons-le. Il comparaît le 8 du mois d'octobre. Voici sa déposition :

« Demande. Avez-vous connaissance d'un fait quelconque de corruption ou de tentative de corruption électorale qui se serait passé à Bruges à l'occasion des élections du neuf juin dernier ? N'est-il pas vrai notamment qu'un boulanger de cette ville aurait, soit en votre présence, soit en présence d'une autre personne qui vous l'aurait répété, exprimé le regret d'avoir voté pour les catholiques, disant que ce qui l'y avait décidé, c'était la promesse d'une commande de sept cents pains qu'on lui avait fait sous cette condition ?

« Réponse. Je déclare qu'effectivement dans une conversation particulière, je me suis entretenu des incidents de la lutte électorale du neuf juin dernier, et j'ai cité quelques faits qu'on m'avait rapportés, entre autres celui d'un boulanger qui aurait voté pour la liste catholique, sous la promesse d'avoir une fourniture de sept cents pains. J'ai vainement cherché à me rappeler le nom de ce boulanger, seulement je me souviens qu'on a indiqué sa demeure comme étant au marché du mercredi ou dans une rue y aboutissant. Désirant fixer mes souvenirs, je me suis adressé aux personnes de qui je croyais tenir le fait en question. Plusieurs ne se souvenaient plus, d'autres ont répété ces allégations comme un bruit public. Il m'a été impossible de vérifier l'authenticité de ce bruit et j'en ai inféré que c'était un propos en l'air, comme on en met facilement en circulation à l'époque des élections, et qui est répété, sans que l'on se donne même la peine d'en vérifier l'exactitude.

« Je n'ai connaissance d'aucun autre fait de corruption ou de tentative de corruption.

« Demande. Ainsi vous ne connaissez donc pas le boulanger dont vous venez de parler ?

« Réponse. Non.

« Demande. Ne pouvez-vous au moins désigner personne qui soit à même de me le faire connaître ?

« Réponse. Non. »

Et remarquez-le, messieurs, ceci est très intéressant, M. Merghelynck figure parmi les personnes indiquées dans la plainte, parmi celles qui devaient confirmer cette « complète conviction », les dénonciateurs ; M. Merghelynck était de ceux qui devaient jeter à pleine main la lumière dans cet amas de fraude et de corruption ! Et vous venez d'entendre sa loyale déclaration, « propos en l'air » !

Et il n'est pas le seul ; il y a une autre déposition qui mérite une mention particulière et voici pourquoi.

Il est parvenu, au bureau de la Chambre, il y a peu de temps, une protestation d'électeurs de Bruges demandant l'annulation des élections, parce que, disent les signataires, ils avaient la preuve qu'elles sont le résultat d'une révoltante corruption. Cette pièce porte la signature, si je ne me trompe, de l'un des témoins entendus dans l'enquête ; voyons ce qu'il va nous apprendre. Vous ne le récuserez certainement pas, car il appartient manifestement à l'opinion libérale. C'est le témoin qui figure sous le n°134, le sieur De Vertel, entrepreneur de travaux publics :

« Je ne sais absolument pas rapporter un seul fait relativement à ce qui se serait passé à l'époque des dernières élections du 9 juin dernier. (Il demande cependant qu'on les annule parce qu'elles seraient le fruit d'une abominable corruption.) Je n'ai nommément pas connaissance d'intervention de la part des partisans du parti catholique qui aurait eu pour résultat la corruption de votes électoraux. Il est bien vrai que dans le public, après ces dernières élections, j'ai entendu dire que le parti catholique n'avait triomphé dans ces élections que par tromperie et par corruption de votes, et que, soit de l'argent, soit de la boisson aurait été donné en régal à des débitants et à des cabaretiers, mais ceci était uniquement un sentiment général que l'on faisait entendre dans des lieux publics sans alléguer quelque chose de positif et de pertinent. »

J'ai donc, messieurs, le droit de dire, en me bornant à ces deux dépositions que ce prétendu sentiment public soulevé, que cette réprobation de l'honnêteté publique, que cette protestation de la conscience générale n'ont pas existé et n'ont pu exister.

L'honorable M. Hymans, entrant dans le détail des faits, a commencé par parler de la déposition de M. Stordeur, relatée à la page 12 de l'enquête.

Selon l'honorable membre, le témoin Stordeur aurait déclaré avoir entendu, sur le marché, le samedi après les élections, un paysan dire en frappant sur son gousset : « Les curés sont les bons. (De pastoors dat zyn goede.) »

Il aurait de plus entendu un paysan qu'il ne peut nommer se vanter, le samedi après l'élection, d'avoir reçu 30 francs pour son vote. Eh bien, la déclaration de M. Stordeur n'est pas tout à fait telle ; on lui donne ici une précision qu'elle ne comporte pas. M. Stordeur, le samedi après les élections, a vu un groupe de paysans qui paraissaient animés et qui disaient : Les curés sont les bons ! Un autre paysan, sans dire à propos de quoi, sans faire allusion à quoi que ce soit, aurait dit : Voilà 30 francs.

(page 59) M. Stordeur a conclu qu'il s'agissait là d'élections. C'est une simple interprétation que rien ne justifie. On a tort de donner à sa déposition l'étendue et la signification qu'on lui attribue. (Interruption.)

Il n'a pas entendu les paysans parler d'élections ; les paysans qu'il a rencontrés n'ont pas dit un mot des élections. Un paysan dont il ne sait pas le nom a dit : Les curés sont les bons ; un autre a dit : J'ai reçu trente francs ! Voilà tout

M. Hymans. - « Arrivé au café, la conversation s'engagea avec MM, Seresia, Jacqué et Mostrey. On vint à parler d'élections, et, faisant allusion à ce dont je venais d'être témoin, je leur ai dit : J'ai entendu un paysan se vanter d'avoir reçu trente-francs. » (Interruption.) Il a également entendu dire, les pasteurs sont les bons.

- Une voix. - C'est un autre.

M. Hymans. - Mais non.

- Une voix. - Quelle page ?

M. Hymans. - Page 12.

M. Nothomb, rapporteur. - Lisons plutôt la déposition : Le samedi qui a suivi les élections, vers les deux heures de l'après-midi, me rendant au Café de Foi, où je me rends ordinairement le samedi, jour de marché, je rencontrai dans la petite rue dite Geernaert-Straet, qui débouche sur la Place, un groupe de paysans qui paraissaient assez animés. L'un d'eux frappant sur la poche droite de son gilet, dit aux autres : « « De pastoors dat zyn goede. » Et j'entendis dire par un autre un peu plus loin : « Dat is dertig franken. » (Interruption.)

Laissez-moi donc continuer ; jusqu'ici il n'est pas dit un mot d'élection.

« Arrivé au café, la conversation s'engagea avec MM. Seresia, Jacqué et Mostrey. On vint à parler d'élection, et, faisant allusion à ce dont je venais d'être témoin (remarquez que c'est lui qui parle d'élections), faisant allusion à ce dont je venais d'être témoin, je leur ai dit ; J'ai entendu un paysan se vanter d'avoir reçu 30 fr. »

M. Hymans. - A propos de quoi ?

M. Nothomb, rapporteur. - Nous en sommes aux paysans qui n'ont pas parlé d'élections.

Je répète que c'est le témoin qui, ayant parlé d'élections, fit de ceci l'objet d'un commentaire, mais il est bien évident qu'il lui est impossible de savoir comment cet argent a été donné et notamment si c'est avant ou après les élections.

Le fait n'a, d'ailleurs, aucune importance, je le relève uniquement parce que l'honorable membre l'a discuté. Je n'admets pas la conclusion qu'il y attache ; du reste, les textes sont sous les yeux de la Chambre ; elle appréciera.

Plus loin M. Hymans semble reprocher à des partisans de l'opinion conservatrice d'avoir crié « à bas les libéraux ! », il indique les passages de l'enquête où cela serait mentionné. Mais je dois dire que je n'ai pas rencontré ce cri dans l'enquête et que c'est la première fois que j'en entends parler.

M. Hymans. - Ça s'y trouve.

M. Nothomb. - Je ne l'y ai pas trouvé ; il n'est, du reste, pas en usage chez notre opinion.

- Plusieurs membres à droite. - Cela n'y est pas.

M. Hymans. – Je répondrai.

M. Nothomb. - Cela vaudra mieux que ces interruptions continuelles. De cette manière je serai moins fatigué, et la Chambre moins ennuyée.

Maintenant, quant à ces paysans ivres dont parle l'honorable M. Hymans, je ne vois qu'un seul témoin qui en dépose, c'est à la page 239.

L'aubergiste chez lequel la réunion avait eu lieu n'en parle pas. Il déclare simplement qu'un curé lui a dit de ne pas regarder à une bouteille de vin.

Il a donné cette bouteille de vin et il n'a pas fallu lui faire violence, car je ne pense pas qu'un cabaretier résiste à grossir son compte quand il s'agit d'un repas électoral.

J'arrive maintenant, messieurs, à un fait moins insignifiant que ceux qui précèdent, c'est l'affaire qui s'est passé à Aertrycke et où figure le nommé De Mey. Ce fait, messieurs, a sa source dans la déposition d'un M. Tallier, n°65 de l'enquête.

Il est question aussi d'une promesse faite par De Mey au cabaretier Vermeersch en vue de l'influence à exercer sur son vote.

Remarquez d'abord que la femme Vermeersch - je discute ce fait plus à fond parce qu'on y a attaché de l'importance - n'a indiqué personne à M. Tallier, mais elle a déclaré à qui elle faisait allusion (au n°60) et nous allons voir à quoi le fait se réduit :

« Le soir avant les élections, je crois, Jean De Mey est venu dans mon cabaret. Ce Jean De Mey demeure chez sa mère qui est boutiquière, et à qui appartient la maison occupée par Je vicaire Gillebaert, à côté de la maison qu'elle habite. Jean De Mey n'est pas électeur, mais a cependant beaucoup fait pour les élections, et a couru partout avec des bulletins de vote catholiques. Le soir avant les élections, lorsqu'il est venu dans mon cabaret, il a demandé un verre de bière, et est entré en conversation avec mon mari, relativement aux élections. Aucune autre personne n'était dans ce moment dans le cabaret. Les libéraux ne gagneront pas, disait De Mey à mon mari. Vous ne devez pas voter pour eux. Prenez mon bulletin catholique et votez pour les catholiques. II y aura probablement ballottage, et je vous donnerai cinq francs si vous voulez rester à Bruges et voter pour les catholiques. »

L'honorable M. Hymans prétend que le rapport analyse ce fait d'une manière assez peu exacte. Vous allez juger, messieurs, si ce reproche ne peut pas être retourné contre l'honorable membre.

A propos des dépositions de Tallier, de Vermeersch et de la femme Vermeersch, l'honorable membre dit : « Voilà trois dépositions entièrement conformes. » Je reproduis les expressions littérales de mon honorable contradicteur.

Eh bien non, ces trois dépositions ne sont pas entièrement conformes : Tallier, d'abord, ne parle que d'ouï dire. Les deux témoins directs, le mari et la femme sont en désaccord sur le seul point qui puisse avoir quelque importance.

D'après la femme, les 5 francs avaient été offerts pour rester à Bruges et « voter pour les catholiques » ; mais elle ne prenait aucune part à la conversation qui avait lieu entre De Mey et son mari ; celui-ci, au contraire, qui est le principal témoin, le témoin direct, dit que les 5 francs ont été offerts « pour rester à Bruges. »

M. Hymans. - Et voter pour les catholiques.

M. Nothomb. - Du tout.

M. Hymans. - C'est littéralement imprimé à la page 102.

MpLangeµ. - M. Hymans, vous aurez la parole pour rectifier les faits qui vous paraissent inexactement rapportés.

M. Nothomb. - Pour rester à Bruges.

M. Hymans. - Je vous démontrerai que ce que vous dites est inexact.

M. Nothomb. - Pardon, c'est exact, mais je vous en prie, laissez-moi le temps de compléter mes citations ; il m'est impossible de répondre à deux choses à la fois.

Je vais vous répondre par les paroles du sieur Vermeersch lui-même. Si vous voulez faire une querelle à ce témoin, libre à vous, mais ne vous en prenez pas à moi. Voici ce qu'il dit :

Immédiatement mis en présence de Jean De Mey, le témoin déclare : Nonobstant tout ce que déclare Jean De Mey, je reste persister dans tout mon témoignage, nommément il est bien sûr qu'il m'a dit : Il y aura probablement ballottage, et si vous voulez rester à Bruges, je vous donnerai cinq francs, et qu'il m'a remis un bulletin de vote.

Il n'a pas parlé de vote.

M. Hymans. - Mais si !

M. Nothomb. - Je parle de la confrontation avec De Mey. (Interruption.)

Il est évident, messieurs, qu'avec un pareil système d'interruptions continuelles vous arriverez à me fatiguer tellement que je serai bien vite hors de combat.

Je vous lis la seconde déposition de Vermeersch, sa confrontation, la seule qui soit sérieuse, car autre chose est de parler seul et de s'expliquer en présence d'une personne avec qui l'on est confronté et qui peut vous contredire.

D'ailleurs, pour en revenir au côté important de l'affaire, est ce que de la part de De Mey on peut voir là une tentative de corruption ? C'est un conseil qu'il donne à Vermeersch et rien de plus. Il l'engage à rester à Bruges. Mais l'offre n'a pas été agréée ; elle n'a pas agi sur Vermeersch qui a voté selon son opinion ; il n'a pas employé le billet de De Mey.

La tentative de corruption de la part de De Mey est donc très hypothétique. Et le fût-elle moins, en quoi l'élection doit-elle en souffrir ? Elle n'a eu aucun effet sur elle. Que l'acte de De Mey soit répréhensible, immoral, tout ce que vous voudrez, soit. Mais eu quoi l'élection même peut-elle partager cette immoralité ? La conclusion serait illogique et il n'y a nul rapport entre les deux faits.

J'aborde, dans l'ordre qui m'est tracé, l'incident que M. Hymans nomme l'histoire Benthein. Il s'agit de billets marqués prétendument remis pour les conservateurs à ce Benthein et à Van Compernolle.

Ici encore, mon honorable contradicteur me semble avoir tenu trop peu de compte de toute la déposition de Benthein ; il en laisse une partie de côté. Comme il s'agit ici d'un point que je reconnais important et sur lequel M. Hymans a particulièrement insisté, celui des bulletins (page 60) marqués, vous me permettrez de rétablir toute la déposition de Benthein ; il s'exprime comme suit :

« Quelques jours avant les dernières élections, une après midi, est venu chez moi, accompagné d'un monsieur que je ne connais pas, le distillateur Louis Van Outryve ; il vint me dire, suis rien consommer dans mon cabaret, en m'offrant un bulletin de vote que je ne savais pas lire parce que je suis illettré : « Voilà, j'espère que vous voterez selon ce que porte le bulletin, cela ne vous causera pas de préjudice, je le connaîtrai. »

« En même temps il disait : « Si nous gagnons, vous recevrez un tonneau de bière pour donner à l'un ou à l'autre, à qui cela vous fera plaisir, mais si nous perdons vous n'en aurez qu'un demi. » Là dessus je pris le bulletin, promettant de le mettre dans l'urne électorale, sans que j'aie cependant satisfait à cette promesse, parce que j'avais déjà reçu et accepté un autre bulletin pour les candidats libéraux, lequel bulletin j'avais destiné pour l'urne électorale et que j'y ai remis. »

Voici maintenant pour le billet marqué :

« Van Outryve, ainsi que la personne qui l'accompagnait, n'a pas insisté auprès de moi ni ne m'a pas offert de l'argent. Ainsi que je viens de le dire, il m'a donné à entendre que le bulletin était reconnaissable. Rosalie, ma fille, a lu ce bulletin ; je n'ai pas vu qu'il portât quelque marque ; ma fille ne me l'a pas fait observer. Du reste, depuis longtemps j'ai détruit ce bulletin. »

Il n'y a donc pas eu de bulletin marqué. Car Benthein n'a rien remarqué, et sa fille, qui a eu le bulletin en main, qui l'a lu, qui l'a retourné sous toutes faces, n'en a rien dit à son père, et de plus, il est constaté que Benthein a voté pour les candidats de l'opinion libérale.

Examinons maintenant ce qui en est de Van Compernolle, qui aurait également reçu un billet marqué. C'est la déposition n°26, que je vais lire d'abord sur ce point et encore sur un autre qui ne manque pas d'intérêt.

« Quelques jours avant les dernières élections, dans l'après midi, M. Louis Van Outryve, distillateur, a, en effet, été dans ma maison, comme il y vient de temps en temps, et il est bien possible que pendant la même après-midi M. Van de Pitte, géomètre, ait également été chez moi et même que cela pouvait être pendant que M. Van Outryve y était également encore ; mais je ne crois pas qu'alors il y a été dit quelque chose relatif aux élections, à moins que ce ne soit qu'on soutenait peut-être, comme du reste il a été souvent parlé et traité dans mon estaminet, que les deux partis faisaient beaucoup de démarches pour leurs candidats. M. Van Outryve m'a bien aussi demandé si j'aurais été d'intention de voter pour les candidats catholiques ; j'ai promis cela indirectement comme je l'ai fait aux autres personnes, qui sont venues me demander de voter pour les candidats libéraux. Je dois vous dire que Van Outryve n'a pas insisté le moins du monde auprès de moi pour obtenir mon vote pour les candidats qu'il soutenait ; il m'a seulement fait entendre que si les candidats catholiques venaient à triompher, nous pouvions boire un verre avec les amis ; il n'a pas dit plus ; du reste, pareille chose m'a été dite par d'autres personnes qui venaient me parler pour les candidats libéraux. Van Outryve n'a pas parlé d'argent, ni ne m'en a nommément promis ni offert.

« Quelques jours après cette conversation, pour autant que je me le rappelle, il a apporté un ou deux bulletins sur lesquels se trouvaient les noms des candidats cléricaux, et je les ai acceptés, comme j'en ai également accepté de l'autre parti pour les candidats libéraux, sans obligation quelconque et aussi sans qu'on m'ait fait promettre, et bien nommément M. Van Outryve, et à quelque condition que ce soit, de voter selon les bulletins de vote donnés. Quoiqu'il en soit, lorsque j'ai voté, j'ai fait usage du bulletin que j'avais reçu précédemment de M. Boyaval, bourgmestre, lorsqu'il m'avait appelé dans son cabinet, sans aucune instance. >

Il reste ainsi bien constaté que Van Compernolle n'a pas eu de bulletin marqué ; qu'il n'en a pas fait usage, mais au contraire, qu'il a employé le bulletin que lui avait remis M. Boyaval, bourgmestre de Bruges, dans son cabinet.

Voilà comment s'évanouissent ces deux faits relatifs aux billets marqués de Benthein et de Van Compernolle.

Permettez-moi de m'arrêter un instant ici pour vous signaler une circonstance relative au témoin Vande Pitte, géomètre, qui joue un grand rôle dans l'enquête et dont mon honorable contradicteur a plusieurs fois invoqué le témoignage comme particulièrement digne de foi.

Or, je rencontre précisément ici une particularité concernant ce M. Vande Pitte et qui prouvera qu'il faut un peu rabattre de cette robuste confiance en ses dires.

Vande Ptite avait avancé qu'un nommé Suvée, cabaretier, avait reçu une somme de 15 francs pour vente de son vote au parti catholique et prétendait tenir le fait comme une chose formelle, de la part d'un sieur Syoen van Steenkiste.

Or, voici ce qui s'est passé :

Syoen déclare d'abord :

« Il est bien possible qu'alors j'aie parlé du cabaretier Suvée, du Saint-Eloi, mais jamais je n'ai dit à M. Vande Pitte que ce dernier avait vendu son vote pour une somme de quinze francs au parti catholique ; je ne l'ai même pas laissé supposer par mes paroles.»

Et cependant la déclaration de Vande Pitte était si positive ; il articulait si nettement comme tenant de Syoen que Suvée avait vendu son vote pour 15 francs, que le juge d'instruction, comprenant combien le fait est grave, ne se borne pas à cette dénégation de Syoen : il met en présence Vande Pitte et Syoen, page 54, et Syoen inflige à Vande Pitte le démenti le plus catégorique dans ces termes :

« Immédiatement confronté avec le témoin Auguste Van de Putte, le témoin Syoen déclare : Je persiste dans mes dires précédents, et il est par conséquent positif que je n'ai absolument pas dit à Van de Pitte que le cabaretier de Saint-Eloi avait reçu de l'argent pour son vote, et bien nommément une somme de quinze francs. »

C'est ici le lieu de s'occuper un peu de l'affaire des billets marqués en elle-même.

L'honorable M. Hymans a beaucoup insisté et a cherché à établir qu'il y avait eu beaucoup de bulletins reconnaissables, et à ce point que la sincérité de l'élection par cela seul en serait viciée. Il a invoqué à cet égard la déposition d'un scrutateur, M. Maertens (n°232), mais il a oublié celle d'un autre scrutateur au même bureau, remarquez-le, M. Goupy de Beauvolers ; je vais combler cette lacune.

Voici ce que dit M. Goupy, page 384, n°231 :

« Demande. Vous avez, comme scrutateur, participé au dépouillement des votes au premier bureau électoral de Bruges, le neuf juin dernier ; n'avez-vous pas souvenir qu'il soit sorti du scrutin des bulletins portant des désignations ou des marques de nature à faire reconnaître les votants ?

« Réponse. En effet, lors du dépouillement du scrutin, comme scrutateur à ce bureau, j'étais assis à la droite du président qui, au fur et à mesure qu'il avait donné lecture des bulletins retirés de la boîte, me les remettait ; de façon donc que j'ai pu examiner chacun de ces bulletins. Je n'en ai pas remarqué un seul qui portât une marque ou une désignation quelconque de nature à faire reconnaître le votant. »

Mais on nous objecte : « Voyez la déposition d'un troisième scrutateur, de M. Boyaval, qui est entendu sous le n°234 et qui déclare qu'il a vu beaucoup de bulletins marqués. En effet, M. Boyaval s'exprime ainsi :

« A différentes reprises, j'ai signalé au président que les bulletins, dont il est question ci-dessus, étaient des bulletins marqués et c'est, sur mon observation que ce dernier bulletin marqué aux quatres angles, a été annulé, à l'unanimité des membres du bureau. »

Ne trouvez-vous pas, messieurs, qu'il y a quelque chose ici de très singulier ? C'est que M. Boyaval et l'autre scrutateur n'aient pas plus fortement insisté sur ce fait si grave de bulletins marqués. M. Bayaval dit bien qu'il en a parlé au président. Le bureau en a donc délibéré et il a reconnu que les prétendues marques n'existaient pas, partant que les observations de M. Boyaval n'étaient pas fondées. Il est certain qu'elles ont été repoussées ; cela résulte du procès-verbal qui constate que, sauf un, il n'y a pas eu de bulletins reconnaissables.

Le bureau, seul juge compétent, a conséquemment donné tort à MM. Boyaval et Maertens et il y a, de la part de ces messieurs, une véritable contradiction à avoir signé le procès-verbal qui fait foi et à soutenir plus tard qu'ils ont vu une quantité de bulletins marqués. Si cette irrégularité s'était présentée avec une telle intensité, ils y auraient certainement insisté et nécessairement on aurait fait droit à leur demande ; M. Boyaval, qui est rompu aux affaires électorales et politiques, n'aurait pas manqué de faire prévaloir ce qui était son droit dans une circonstance aussi grave. J'ai raison de dire qu'il s'est désavoué lui-même.

Nous voici à l'incident qui concerne le nommé Doom, dont j'ai analysé la déposition au paragraphe 25 de mon rapport. Il s'agit là encore d'une promesse conditionnelle, d'une tentative de corruption moyennant l'annonce d'un régal de 20 francs.

Comme toujours aussi, l'honorable M. Hymans admet la déclaration du cabaretier Doom, en tant qu'elle inculpe un conservateur, M. De Cock : mais da l'énergique dénégation de celui-ci on ne tient aucun compte. C'est le système que j'ai signalé dès le début. M. De Cock est pourtant un homme parfaitement honorable.

On dira : M. de Cock parlait comme prévenu dans l'enquête ; on ne peut croire aux déclarations d'un prévenu. C'est une théorie fort (page 61) commode et que je n'admets pas. Un inculpé n'est pas nécessairement indigne de confiance. Cela dépend de l'homme et des circonstances.

M. De Cock savait parfaitement qu'il n'avait aucune pénalité à craindre puisque les offres, en les supposant réelles, n'avaient pas été agréées. Rien ne l'empêchait donc de les avouer, et pour tout homme impartial sa dénégation vaut au moins l'affirmation du cabaretier.

Je ne puis, messieurs, m'empêcher de reproduire, à propos de la distinction faite hier entre les déclarations de témoins qui ont prêté serment et celles des inculpés, je ne puis m'empêcher, dis-je, de me joindre aux observations si justes qui ont été présentées par l'honorable M. Thonissen ; il n'est que trop vrai qu'à Bruges, dans cette affaire, l'on devenait bien vite prévenu. A peine était-on indiqué d'une façon directe ou indirecte, qu'à l'instant même on passait à l'état d'inculpé.

On y a été fort prompt à transformer en prévenus des hommes parfaitement honorables, tels que M. De Cock et tant d'autres, et cela sur de vagues imputations, parfois isolées. On pourrai y voir un système, car non seulement on constituait facilement les gens en prévention mais on allait jusqu'à mettre en suspicion toute une classe de citoyens. Le magistrat-instructeur, animé d'un bien grand zèle, semble avoir tenu pour suspects tous les boulangers, cabaretiers et bouchers de trois rues de la ville et sans que rien fût précisé contre eux, il chargeait le commissaire de police de faire chez tous les recherches les plus minutieuses.

Ceci est grave et nous pourrions soutenir que cet excès de zèle n'est pas loin d'être un abus. Et ne peut-on pas y voir une grande et redoutable pression électorale ?î N'est-ce pas là une véritable intimidation, et n'est-on pas autorisé à soupçonner une espèce de terrorisme exercé sur la population ? (Interruption.) Ah ! vous nous récriez ! Mais pensez-y donc ! que ceux d'entre vous qui sont initiés aux choses judiciaires veuillent bien se rappeler quelle est la position d'un homme appartenant à la classe peu élevée qui se trouve subitement cité devant le juge d'instruction ! Sa perplexité, sa frayeur sont grandes ; c'est pour lui l'inconnu ; c'est quelque chose qui le tourmente ; il hésite, il tremble, il a pour de la justice..

- Un membre. - Et le mandement de l'évêque ?

M. Nothomb, rapporteur. - Le mandement d'un évêque a produit sur cette classe d'électeurs moins d'impression que sa comparution devant le procureur du roi et son cortège ; vos interruptions me prouvent que j'ai raison d'employer ici le mot terrorisme ; vos trop vives dénégations me font maintenant affirmer qu'on a voulu intimider des catégories entières de citoyens ; que le résultat qu'on a eu en vue, on l'a produit ; et que, volontairement ou non, on a dû faire croire à certaines classes d'électeurs que voter pour des candidats catholiques c'est presque enfreindre la loi. Il est impossible que plusieurs de mes honorables contradicteurs ne soient pas eux-mêmes frappés de cette considération ; il est impossible qu'ils ne voient pas là une pression regrettable exercée sur quantité de citoyens qu'on met en suspicion sans qu'aucun fait ait été articulé à leur charge. « Vous êtes cabaretier, vous êtes boulanger, vous êtes boucher donc vous êtes suspect de corruption électorale. » C’est vraiment trop fort !

M. Coomans. - Oh ! si vous en aviez fait autant, Nothomb !

M. Nothomb, rapporteur. - Je reviens maintenant au discours de l'honorable M. Hymans, et notamment à l'affaire du vicaire Van Steenland, sur laquelle l'honorable membre a tant appuyé et dont je me suis occupé moi-même dans les paragraphes 40 et 41 de mon rapport. Je dois dire qu'après avoir lu et relu les observations de l'honorable M. Hymans, je reste plus fermement convaincu que jamais de la vérité de mon appréciation.

Voici ce que j'ai dit (paragraphe 40.)

« Le sieur Engelbert Vermeersch, cabaretier à Bruges, allègue que la veille des élections, le vicaire Van Steenland est venu de bon matin (n°169), le 9 juin, chez lui, et, en lui remettant un bulletin, lui a dit : « Si nous réussissons, vous pouvez versez une tonne de bière. »

« La femme Vermeersch confirme cette déclaration.

« Elle ajoute qu'après les élections, ils n'ont plus vu M. Van Steenland, et n'ont plus entendu parler de tonne de bière.

« Le vicaire, confronté avec les époux Vermeersch, nie le fait de cette promesse que ceux-ci maintiennent (n°169-170).

« Engelbert Vermeersch affirme que la promesse du vicaire n'a pas eu d'influence sur sa conduite et que, ancien domestique du bourgmestre c'est à ce dernier qu'il a demandé son bulletin. » (n°167).

Et quand il serait cent fois vrai que le vicaire Van Steenland a fait une démarche près de ce cabaretier, et lui aurait dit : « Si nous réussissons, vous aurez une tonne de bière à verser », qu'est-ce que cela prouverait ?

Il est certain que Vermeersch, le cabaretier, n'a pas agi en conséquence ; il n'a pas revu Van Steeniand ; aucune tonne de bière n'a été donnée, il a voté pour les libéraux ; ce sont tous faits négatifs, et vous voulez cependant en faire un grief direct contre la validité de l'élection de Bruges. Cela n'est pas logique. Que Van Steenland soit allé trouver le cabaretier, là n'est pas l'affaire ; qu'il lui ait fait l'offre en question, soit encore ; si' j'avais à m'expliquer comme homme, je pourrais dire que ce n'était pas sa place ; mais il a usé de son droit de citoyen, et comme tel, personne ne peut le critiquer.

En tout cas, ni cette démarche chez Vermeersch ni chez d'autres cabaretiers n'a réagi sur l'élection ni sur la moralité du scrutin. Car tous affirment sous serment que ces promesses sont restées sans influence sur leurs votes, donnés selon leur conscience.

J'en viens à l'affaire du cabaretier De Ruyter. Le vicaire Van Steenland n'y est pas intervenu directement ; il a employé un tiers, un Sosie, dit M. Hymans ; il a employé le sacristain Gey.

Dans mon rapport, paragraphe 41, j'ai donné du fait l'exposé suivant, qui est resté exact :

« Le témoin, Pierre De Ruyter, rapporte que, quelques jours avant les élections, il a rencontré dans la rue le clerc de Sainte-Anne, le sieur Gey, qui lui a dit : « J'espère que vous voterez avec nous ; il y aura peut-être, dans ce cas, quelque chose à boire chez nous. » (n° 171).

« Dans une seconde déclaration (n°173), De Ruyter avoue qu'il ne peut pas littéralement rapporter les paroles de Gey. Il dit qu'en lui demandant sa voix Gey lui a fait remarquer qu'il allait y avoir probablement quelque régal.

« Le témoin affirme qu'il n'a vu, en ces paroles, aucune promesse.

« Dans sa dernière déposition (n°171), il avait déjà déclaré, tout en leur donnant alors improprement cette qualification, qu'elles étaient restées sans influence sur son vote. Le jour de l'élection, il n'a point été fait de libations extraordinaires dans l'estaminet du témoin. Chacun a payé ce qu'il y consommait Mais deux, trois ou quatre semaines après, il a été bu passablement de bière (nog al wat bier) dans le cabaret, et c'est le clerc de Sainte-Anne qui a payé. Ce jour-là, d'après le témoin, le clerc aurait payé une somme de 20 à 25 francs.

« Conformément à la déclaration de ce témoin, le sieur Gey (n° (183) affirme qu'il n'a entendu faire aucune promesse au cabaretier De Ruyter. Il ajoute qu’il n'était que l'écho de ce qu'il avait entendu dire, que si les candidats de l'opposition réussissaient, il y aurait un régal chez les cabaretiers qu'on croyait être de cette opinion ; que s'il a laissé faire une dépense chez De Ruyter c'est un fait postérieur à l’élection et nullement la conséquence d'une promesse qu'il aurait faite antérieurement.

« La femme du témoin De Ruyter ne parle du propos de Gey, que d'après le récit que lui en avait fait son mari, et ne lui attribue pas davantage le caractère d'une promesse (n°172).

« Le nom du vicaire Van Steenland est mêlé au fait que nous venons d'analyser ; mais il est inutile d'y insister, parce qu'en tenant pour exacts les dires des époux De Ruyter et du sieur Gey, l'intervention de M. Van Steenland n'aurait eu lieu que postérieurement aux élections.

« En terminant l'analyse de ce fait, nous faisons remarquer que l'électeur De Ruyter commence sa déposition en disant : « Que plusieurs personnes appartenant aux deux partis lui ont apporté des bulletins ; mais que persorme ne lui a fait de promesse d'argent ou d'autre chose. » (n°171)

L'honorable M. Hymans a reproché dans des termes fort durs au vicaire Van Steenland d'avoir varié dans ses déclarations. Supposons un instant qu'à cet égard tous les reproches de l'honorable membre soient fondés, je lui demanderai encore quelle influence cela peut avoir sur l'élection en elle-même ? Aucune. Que Van Steenlandt ait hésité, varié, qu'il ait eu des réticences, il ne faudrait pas encore lui en faire un crime. Attrait devant la justice sous une inculpation aussi grave, chacun peut se troubler, et l'héroïsme de la vérité, devant les tribunaux répressifs, fait souvent défaut aux plus honnêtes gens du monde. J'en ai vu maint exemple.

D'ailleurs le vicaire Van Steenland n'a pas à ce point caché la vérité, l'honorable M. Hymans a été trop sévère. Il lui reproche surtout d'avoir déguisé la source d’où provient l'argent qui a servi à payer les dépenses faites chez le cabaretier De Ruyter et autres. Or, voici ce qui s'est passé à cet égard.

Dans une confrontation, M. Van Steenland, interrogé sur le point de savoir d'où provenait cet argent, répond : J'ai donné cet argent à Gey mais pas en mon nom.

Demande. Au nom de qui donc cela a-t-il eu lieu ?

Réponse. Je ne le sais, pas.

Il n'y a pas de dénégation absolue comme vous le prétendez ; et lorsque plus tard on pose à M. Van Steenland la question d'une manière directe, il nomme la personne qui distribue l'argent, M. Boeteman. Tout 1e monde, en effet, sait qu'à Bruges c'est M. Boeteman qui paye les frais d'élection de l'opinion conservatrice.

(page 62) Ah ! on reproche encore à Van Steenland d'avoir nié qu'il eût chargé son sacristain de remettre de l'argent à des cabaretiers désignés par lui.

Quand il a été confronté avec ce sacristain Gey, celui-ci n'a plus dît que le vicaire lui aurait indiqué les personnes auxquelles il fallait remettre de l'argent.

Prenez l'enquête à la page 276, vous y lirez ce qui suit dans l'interrogatoire du sacristain Gey :

« Demande. Qui vous a indiqué les cabaretiers à qui vous avez remis l'argent donné par M. Van Steenland et qui vous a fixé les limitations de l'argent qui était destiné à ces cabaretiers ?

« Réponse. Je ne puis pas vous répondre quant à ce qui concerne l'indication des cabaretiers. Je suis allé de préférence chez ceux que je vous ai indiqués, parce que ces personnes, à mon idée, s'acquittent bien de leurs devoirs,

« Demande. De quels devoirs voulez-vous parler ?

« Réponse. J'entends les devoirs de religion.

« Quant à ce qui regarde la limitation ou la répartition des sommes données à chacun desdits cabaretiers, je l'ai fait en proportion des pratiques qui fréquentent ces cabarets. »

Ainsi, messieurs, sous ce rapport, le vicaire Van Steenland est justifié, et de l'aveu même du sacristain Gey, ce n'est pas sur ses indications que de l'argent a été remis à certains cabaretiers.

Je passe à l'affaire des commissionnaires de Bruges, où figure un nommé Deman qui, paraît-il, rencontrant des électeurs dans la rue, leur disait : Voulez-vous voter pour les catholiques, vous aurez 20 francs.

L'honorable M. Hymans a compris lui-même qu'un tel fait paraissait invraisemblable ; il nous a dit pour le faire accepter qu’il fallait distinguer les commissionnaires de Bruges de ceux d'autres villes ; que ceux de Bruges sont des commissionnaires intelligents, distingués, hors lignes, bien différents de ceux de leurs confrères dans d'autres villes ; il a fait des commissionnaires de Bruges des cicerone d'Italie.

C'est possible, mais par malheur notre commissionnaire Deman n'est pas un de ces commissionnaires-là, il n'est pas intelligent, il est bête. (Interruption.) On l'appelle le « sot Jacques » (de sotte Ko, d'après l'enquête).

Personne à coup sûr n'a pu songer à faire de ce pauvre homme un brocanteur électoral sur la place publique ! Je l'y laisse, et je passe à l'histoire ou conte plutôt des 350 francs. Vous savez ce que c'est : pendant plusieurs jours, une bande de loustics plus ou moins espiègles se sont promenés de cabarets en cabarets après les élections, faisant croire à d'autres individus que l'argent qu'ils dépensaient était fourni par des catholiques.

C'a été une longue mystification et l’honorable membre lui-même ne peut pas en penser autrement ; il a discuté le fait parce qu'il s'est trouvé sur son chemin ; mais franchement, je ne puis croire qu'il y ait attaché une importance sérieuse. Je pourrais vous rappeler la déposition d'un témoin parfaitement honorable, le sieur Vanden Hemel (120). Il a voulu en avoir le cœur net ; il en a parlé à ce Doorm, ce'li qu'on appelle le farceur gantlus. Il lui a demandé ce qu'il y avait de vrai dans la prétendue remise de ces 300 francs et le témoin acquit la conviction que le tout n'était qu'une plaisanterie ; aussi cet incident n'a-t-il pas été relevé dans l'instruction ; le ministère public l'a abandonné et le réquisitoire le passe sous silence ; les magistrats n'y ont plus vu des prévenus, et l'honorable M. Hymans y trouve presque des coupables ! Que mon honorable collègue me permette de le dire, et j'espère qu'il ne s'en formalisera pas : il a manqué sa vocation, il y avait en lui l'étoffe d'un fameux juge d'instruction. (Interruption.)

Il ne me reste plus qu'à vous entretenir de l'affaire de M. Meersseman, le directeur de l'école de Thourout ; c'est le fait le plus grave, d'après l'honorable M. Hymans ; il y trouve le comble de la corruption.

Il s'agit, vous le savez, de la restitution d'une somme de 37 fr. à un électeur, le sieur Vanden Bussche, qui a joué le directeur de l'école de Thourout. J'ai minutieusement analysé cette affaire dans mon rapport, et j'en maintiens l'exactitude.

L'honorable membre s'est étonné de la restitution de cette somme de 37 fr. ; elle n'était pas due en strict droit et la remise lui en paraît suspecte. M. De Meersseman, homme honorable, s'est parfaitement expliqué à cet égard, il a restitué la somme, par un sentiment d'équité et par considération de la position de Van den Bussche ; il ajoute que pareille restitution n'est pas rare.

Mais voyez, messieurs, où la nécessité de soutenir une cause qui n'est pas bonne peut conduire un homme d'esprit ; l'honorable M. Hymans est obligé d'avouer que Van den Bussche a joué un vilain rôle, qu'il a trompé effrontément, qu'il ne mérite aucune confiance, bref, qu'il a menti. Et cependant de Meersseman est coupable !

C'est puissamment raisonné et je ne m'attendais pas à cette conclusion.

Ni votre conscience ni votre bon sens ne pourront vous la faire admettre.

Je crois pouvoir terminer ici mon examen des faits discutés par l'honorable M. Hymans. S'il le faut, j'y reviendrai plus tard, mais pour le moment il n'y a plus que deux points sur lesquels je veuille encore insister : le déplacement des votes et la valeur probante de l'enquête judiciaire.

J'ai soutenu et je soutiens que les manœuvres pratiquées, en supposant qu'elles eussent abouti, n'ont pas amené un déplacement de majorité. M. Hymans me demande qui le prouve ?

Je lui réponds simplement :

L'enquête elle-même.

Elle le constate, à chaque page, d'une manière irrécusable.

L'honorable membre insiste cependant et ajoute : « Mais puisqu'on a agi sur cinq ou six individus, rien ne prouve que l'on n'ait pas agi sur quinze, vingt autres, et dès lors la majorité a pu être déplacée. »

Mais, messieurs, on ne peut, en pareille matière, procéder par voie de présomption ; il faut s'en tenir aux faits prouvés, l'enquête n'a rien prouvé au-delà, et, dans tous les cas, ce serait à ceux qui demandent l'annulation à justifier ce déplacement de majorité. Or, l'on ne justifie rien.

Vous ne pouvez pas procéder du connu à l'inconnu, dire que si des démarches ont été faites près de quatre ou cinq électeurs, on doit supposer qu'on en a fait près de 15 ou 20. C'est l'enquête elle-même qui constate le contraire.

Au surplus, je n'ai pas à revenir sur ce qu'a dit hier l'honorable M. Thonissen dont les paroles sont frappées au coin des vrais principes ; après l'ordonnance de non-lieu, l'enquête, en tant que preuve, n'est plus qu’on chiffon de papier sur lequel ou ne pourrait pas même baser une condamnation à un franc d'amende.

Et c'est sur un pareil document que vous demandez l'annulation des élections, la plus grave des condamnations qu'on puisse prononcer en matière politique !

En résumé, il n'y a pas eu d'argent donné avant les élections ; des manœuvres ont pu être pratiquées, mais elles n'ont produit aucun effet ; il n'y a pas eu de déplacement de majorité ; la chambre du conseil a décidé que les tentatives sont restées sans résultat ; il n'y a eu aucun trafic de suffrages, aucune fraude, ayant pu réagir sur l'élection n'a été suffisamment constatée, dès lors une annulation est légalement impossible !

Je veux, pour terminer, parler à mon tour de l'enquête de Louvain ; l'honorable M. Hymans l'a introduite dans le débat ; il en a parlé longuement ; il me convient de vous en entretenir aussi.

Lorsque l'on s'est occupé en 1859 de la vérification des élections de Louvain, l'honorable M. Devaux en attaqua la validité par trois motifs que j'ai résumés comme suit :

« La position de l'électeur au point de vue de la liberté qui lui est laissée, est toute autre quand on lui remet un bulletin accompagné d'argent que quand on lui donne un bulletin seul. Si son opinion est contraire, il laisse le bulletin qu'il a reçu, en dépose un autre et ne croit faire tort à personne. Mais quand de l'argent accompagne le bulletin, ne pas déposer celui ci dans l'urne, c'est, à ses yeux, commettre un vol, c'est sa probité qui le lie.

« .... En donnant 5 francs à un électeur campagnard, c'est plus que le remboursement de ses dépenses de voyage ou de séjour. L'économie réalisée par lui est un moyen de corruption. »

L'honorable M. Devaux cherchait à établir la différence qu'il y a entre des transports gratuits et un dîner fourni aux frais des candidats ou des associations, et la remise préalable à l'électeur de l'argent nécessaire à l'indemniser de ces frais.

« Jamais, disait-il, un électeur n'a changé d'opinion, ne s'est senti dégradé pour avoir accepté une place dans une voiture ou à une table électorale. Quand il sort de la voilure ou du dîner, il ne rapporte rien dans sa poche, il n'y a pas d'enchères entre les candidats.

« L'inconvénient de ces usages regrettables n'est pas d'exercer une influence corruptrice, mais uniquement de coûter quelques dépenses aux candidats, aux associations ou à ceux qui se chargent de ces frais. »

Ainsi dans la théorie de l'honorable M. Devaux c'est l'argent remis avec le bulletin qui devient le lien de la corruption, mais la participation à un dîner électoral après l'élection n'est jamais considérée comme un moyen de corruption.

Ecoutons maintenant le rapporteur de l'enquête parlementaire de (page 63) Louvain, il touche aussi à cette question. Vous allez voir qu'il la résout de la même manière.

Voici le paragraphe 6 du rapport :

« Et maintenant discutera-t-on sérieusement cette théorie, que donner 5 ou 10 francs, ou donner à diner, c'est tout un ? Mais ne résulte-t-il pas de l'enquête que celui qui reçoit 5 francs se croit engagé. C'est un salaire, c'est une prime qu'il reçoit. Il reçoit 5 francs et il donne son vote. Il n'irait pas voter, mais il va voter parce qu'il a reçu 5 ou 10 francs. C'est un contrat sans nom (do ut des), mais un contrat qui avilit celui qui reçoit et celui qui donne. On achète un vote comme on achète un meuble. On achète une chose qui n'est pas dans le commerce. On achète la conscience politique du citoyen.

« Le dîner après l'élection ne détermine pas le vote qui a eu lieu. L'électeur a voté et on peut sans porter atteinte à son indépendance l'inviter à dîner chez soi, pour célébrer le triomphe ou se consoler de la défaite. On peut d'avance, lorsqu'on n'a pas un salon assez spacieux, faire préparer dans un hôtel un dîner pour ses amis politiques, étrangers à la ville ou ils votent. Il n'y a rien là qui puisse blesser la délicatesse. C'est un acte de bienveillance ; tandis que donner à un électeur dix francs pour qu'il aille déposer un bulletin dans l'urne, c'est faire d'un citoyen libre un serviteur à gages. C'est, ô honte, transformer le devoir politique en un service de laquais. »

Voilà, messieurs, comment s'exprimait l'honorable M. De Fré. Il allait plus loin que l'honorable M. Devaux. Le dîner électoral, la réjouissance à la suite d'une élection, soit pour se consoler d'une défaite, soit pour célébrer un triomphe, tout cela est bien, tout cela est régulier, tout cela est moral ; ce n'est pas même indélicat. Ce n'est pas tout. L'honorable M. Hymans est aussi intervenu dans cette discussion. Il a parlé longuement des libations et des festins électoraux.

Voici, messieurs, comment il s'exprime :

« Je le déclare, je ne suis pas l'ennemi des dépenses électorales, je ne m'afflige pas de voir un jour d'élection être, plutôt qu'un jour de corvée, un jour d'allégresse, un jour de fête, de le voir transformé en un jour de fête pour l'électeur, pour le peuple. Je vais plus loin, je dis que cela est conforme à toutes nos traditions nationales. »

M. Hymans rappelle alors les fêtes splendides qui ont été données par les souverains lors de la Joyeuse entrée ; celles données à l'occasion des élections par les corporations et de la nomination des présidents des métiers.

Il ajoute :

« C'étaient, dit-il, des jours de liesse et de réjouissance générale. Le peuple était convié à des banquets sur la place publique. On rôtissait des bœufs entiers ; on défonçait des tonneaux de bière ; les fontaines publiques donnaient du vin et de l'hydromel. Chaque fois qu'il y avait une élection, celui qui aspirait à la présidence du métier donnait un banquet. Bien plus, je trouve les comptes d'une corporation de Gand, celle des tanneurs, dans lesquels il est dit que le jour des élections, chaque électeur a reçu 12 gros pour diner, et de plus 12 gros encore le lendemain des élections. »

Ce peuple, s'écrie M. Hymans, était-il un peuple corrompu ? Nullement, répond-il.

Messieurs, M. Hymans rappelle que les mêmes usages existent en Angleterre et il raconte avec l'esprit que nous lui connaissons, comment il a dîné en 1854 à Londres aux frais de lord Russell qui faisait faire à toute la ville liesse et festin, donnant à tout venant à boire et à manger. (Interruption.)

Je cite presque textuellement vos paroles. N'avez-vous pas vanté les mœurs électorales anglaises et n'avez-vous pas assisté au banquet de lord Russell ?

M. Hymans. - Ai-je défendu la corruption pour cela ?

M. Nothomb. - Vous avez dit que les électeurs anglais se livrent à de grandes réjouissances. Tout cela n'est pas de la corruption aux yeux de l'honorable membre.

Nos aïeux électeurs pouvaient se donner à cœur joie ces grandes fêtes électorales annoncées d'avance puisqu'elles étaient de tradition ; on pouvait faire couler à flots le vin et l'hydromel par les fontaines publiques pour les électeurs, faire rôtir des bœufs entiers, donner des banquets splendides, à chaque électeur 12 gros le jour de l'élection et 12 le lendemain.

Lord John Russell a pu régaler en 1854 toute la ville de Londres y compris les touristes étrangers.

Tout cela est bien !

Mais à Bruges, ah ! quelle horreur ! Quand au lieu de ces grands! fêtes, de ces agapes gigantesques, de ces festins splendides, au lendemain des élections, à Bruges, on remet 10 ou 20 fr. pour une petite fête, pour un petit régal, pour une petite réjouissance, pour organiser un jeu de boule, alors c'est de la corruption !

A Bruges, on ne jette pas le vin par les fontaines, on n'inonde pas les places publiques d'hydromel, mais on donne aux électeurs trois bouteilles de vin par-ci, une demi-tonne de bière par là, et une tonne entière là où l'on atteint un luxe effréné. Oh ! alors ce sont des corrupteurs, ce sont des corrompus !

En 1859, l'honorable M. Hymans parlant de ces dépenses, disait :

« Je ne saurais les blâmer, personne de vous ne peut les blâmer. Ces dépenses, je les admets, mais ce que je n'admets pas, ce sont les frais de voyage quelque minimes qu'ils soient. »

Voilà la théorie de 1859, quelle est celle de 1863 ? Précisément le contraire.

M. Hymans. - C'est absolument la même chose. Pas de corruption.

M. Nothomb. - Aujourd'hui vous nous dites :

« Mais ces régals donnés chez quelques cabaretiers de Bruges ne sont pas des indemnités de voyage pour les électeurs éloignés, puisque c'est à Bruges, après les élections, que ces dépenses sont faites. »

Ah ! si c'étaient des indemnités de voyage, M. Hymans semble tout prêt à les excuser, mais ce sont des fêtes, des liesses, des réjouissances pour célébrer le triomphe, il faut les réprouver !

Ce que l'honorable M. Hymans trouvait si beau, si légitime, si conforme à nos traditions en 1859, aujourd'hui c'est de la corruption. Il faut blâmer, il faut flétrir, il faut sévir, comme dans la fable de Lafontaine : Haro sur le... vous savez le reste.

Je le demande, messieurs, est-ce assez de contradiction ? Et un système qui ne s'étaye que sur de pareilles inconséquences, comment le qualifier ?

Un mot encore et je termine. Comme l'honorable M. Hymans, moi aussi j'ai hâte d'en finir et de sortir du dossier de Bruges où je respire très mal depuis trois semaines, et comme lui je vous livre mon analyse. L'opinion jugera.

Je veux cependant encore livrer à vos réflexions un fait d'histoire contemporaine qui vient de se passer dans un pays voisin.

Là un homme illustre, une des hautes notabilités politiques du monde, en voyant les orateurs de la majorité et du gouvernement attaquer une élection de la minorité comme entachée d'abus, de pressions, d'intimidations, de corruption, s'est écrié : « Oh ! Vous ne parviendrez jamais à faire croire au pays que ces moyens de corruption, de pression et d'intimidation ont été les armes de l'opposition. Le pays ne vous croira pas. »

Eh bien, si vous cassez les élections de Bruges, si juges et parties à la fois, vous rendez un arrêt politique, si vous faites ce coup de majorité au nom de la moralité politique dont vous vous prétendez les seuls observateurs, si vous absolvez chez vous ce que vous condamnez chez nous, oh ! je vous le dis aussi, le pays ne vous croira pas.

M. Jamar. - Messieurs, en commençant son discours l'honorable M. Nothomb adressait à son nouveau collègue de la droite des félicitations trop vives pour ne pas appeler de notre part un examen attentif.

Ce n'est pas seulement un bon discours, disait l'honorable M. Nothomb, c'est une bonne action, c'est une œuvre empreinte d'un véritable patriotisme.

J’éprouve, je l'avoue, messieurs, un certain remords à venir troubler le premier triomphe de l'honorable député de Hasselt et à mêler une note discordante à ce concert d'acclamations et de louanges.

Pour moi, sans me préoccuper du mérite littéraire de ce discours, je n'hésite pas à dire qu'il n'est pas heureux, que ce n'est pas une bonne action, loin de là, et que son patriotisme, que je ne mets pas en doute, l'a mal inspiré.

M. Thonissenµ. - Je demande la parole.

M. Jamar. - En commençant son discours, l'honorable M. Thonissen nous a indiqué la valeur d'une instruction judiciaire faite par un seul magistrat. Il nous a dit l'opinion des jurisconsultes les plus éminents (page 64) sur la portée de ce document. Il s'est appuyé de l'autorité de tous les criminalistes pour prouver que c'est un document sans valeur. Il nous a cité enfin un mot de Montesquieu flétrissant les hommes assez pervers pour juger ainsi sur un écrit fait à huis clos.

Il faut, nous dit ensuite l'honorable M. Thonissen, soit en matière civile, soit en matière criminelle, il faut l'enquête faite au grand jour en présence des parties, et dans la plupart des cas, cette enquête est insuffisante, il faut une contre-enquête.

En développant ainsi quelques principes généraux de la science du droit, je crains que l'honorable M. Thonissen n'ait oublié qu'il ne s'adressait pas à son auditoire habituel et que, représentant élu d'hier, il n'ait pas mesuré toute l'étendue de nos droits.

Où sont indiquées les règles que nous avons à suivre, quand une protestation s'élève sur la sincérité et la loyauté d'une élection ? En l'absence d'une législation positive, seront-ce donc, comme le dit l'honorable M. Thonissen, les principes qui régissent les contestations civiles ou les poursuites criminelles que nous aurons à suivre ?

.M. Dechamps. - A plus forte raison. (Interruption.)

M. Jamar. - Quelle que soit notre opinion sur le fond de la question qui s'agite, je dis que je ne comprends pas que la droite elle-même admette un instant un système qui se produit pour la première fois dans un parlement et qui réduit de cette manière les pouvoirs que nous tenons de la nation. (Interruption.)

Quoi ! le tribunal de première instance de Bruges, réuni en chambre du conseil, rend une ordonnance qui déclare 20 prévenus coupables les uns d'avoir acheté, les autres d'avoir vendu leur vote dans les élections de Bruges du 9 juin dernier.(Dénégations.)

M. de Naeyer. - Nullement.

M. B. Dumortier. - Non coupables.

M. Jamar. - Permettez. Voici le texte du jugement qui déclare la prévention établie.

« Prévenus, les treize premiers, d'avoir acheté divers suffrages, et les cinq derniers d'avoir vendu leurs suffrages dans les élections qui ont eu lieu à Bruges le 9 juin 1863, pour la nomination de trois membres de la Chambre des représentants ;

« Attendu que la prévention du chef des faits mentionnés dans le réquisitoire définitif du ministère public est suffisamment établie. »

N'est-ce donc pas là l'indication d'une culpabilité, que la loi pénale n'atteint pas, je le reconnais ? (Réclamations.)

MpLangeµ. - Laissez parler.

M. Jamar. - Pour nous, d'après l'honorable député de Hasselt, ce document est à peine une présomption ; il doit être sans valeur.

M. Thonissenµ. - Ce n'est qu'une présomption, ai -je dit, rien de plus, rien de moins.

M. Jamar. – Non seulement, selon l'honorable M. Thonissen, il faudra une enquête parlementaire, mais ce serait probablement la honte de la raison humaine, pour me servir de ce mot de Montesquieu, si à cette enquête ne succède pas une contre-enquête.

Je proteste contre ce système qui se produit pour la première fois dans cette enceinte. Je proteste contre cette limitation de nos droits, et quant à notre devoir, qui donc ici ne le comprend.

Si les faits de corruption sont constants, si l'argent a joué un rôle dans l'élection, si dans notre âme et conscience nous jugeons que l'élection n'est ni loyale ni sincère, nous devons l'annuler.

Si au contraire, en présence de présomptions graves et pertinentes, il reste quelque doute dans nos esprits, notre devoir est d'ordonner une enquête.

Pour moi, l'étude attentive du volumineux dossier de l'instruction judiciaire n'a laissé aucun doute dans mon esprit, et dans mon âme et dans ma conscience, sans hésitation et sans crainte, je voterai l'annulation de cette élection. (Interruption.)

Je sais, messieurs, que l'examen de ce dossier n'a pas porté la même conviction dans tous les esprits et nous venons d'entendre pendant deux heures l'honorable rapporteur s'efforcer d'atténuer la lumière que mon honorable ami M. Hymans a projetée sur tous les points de l'instruction que l'honorable rapporteur avait laissé dans une pénombre discrète. Mais il eût été sage de ne pas diriger contre cette instruction les accusations fâcheuses et téméraires que l'honorable M. Thonissen est venu apporter dans cette enceinte.

Non ! Votre discours n'est pas une bonn eaction, c'est une triste et, le dirai-je, presque une mauvaise action que d'avoir accusé dans cette enceinte la magistrature bedge d'être passionnée ou servile. (Interruption.)

- Plusieurs membres à droite. - A l'ordre ! A l'ordre !

M. Jamar. – Je ne retirerai rien des expressions que j'ai employées.

- Plusieurs membres. - A l'ordre ! à l'ordre.

M. B. Dumortier. - Maintenir les droits du parlement, vous appelez cela une mauvaise action ! (Interruption.)

M. Nothomb. - Vous avez exigé fa production de l'enquête ; nous avons le droit de la discuter.

M. Wasseige. - Nous réclamons le rappel à l'ordre. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Les imputations de mauvaises intentions sont interdites par le règlement.

MpLangeµ. - M. Jamar, si mes souvenirs sont exacts, M. Nothomb avait dit que le discours de M. Thonissen était une bonne action ; vous avez répondu à l'opinion de M. Nothomb, vous en avez exprimé une autre. (Interruption.)

Je me borne à relater les faits et je crois que je les relate avec exactitude.

Je dis donc, M. Jamar, qu'en réponse à l'opinion de M. Nothomb, vous avez émis une opinion contraire, et au lieu de voir dans le discours de M. Thonissen une bonne action, vous y avez vu une mauvaise action ; mais il n'a pu entrer dans votre pensée d'incriminer les intentions de M. Thonissen, et pour peu que l'expression dont vous vous êtes servi puisse blesser l'assemblée, je vous engage à la retirer.

M. Jamar. - M. le président, vous avez parfaitement saisi ma pensée. M. Nothomb a qualifié, comme il en avait le. droit, le discours de M. Thonissen.

M. Nothomb. - L'ensemble du discours.

M. Jamar. - Et il a trouvé que ce discours était une bonne action. Je ne partage pas cette opinion et j'ai le droit, comme membre de la Chambre, de dire que je le considère comme une mauvaise action.

M. B. Dumortier. - L'art. 19 du règlement interdit toute imputation de mauvaise intention. (Interruption. Bruit dans les tribunes.)

MpLangeµ. - Je déclare que si l'assemblée continue à être tumultueuse, je suspendrai la séance.

- Plusieurs membres. - Faites évacuer les tribunes.

M. Wasseige. - M. le président, je vous signale les huées qui sont parties des tribunes publiques et je réclame à leur égard l'exécution du règlement. Si le bruit continue, je vous prie de les faire évacuer. Nous sommes, d'ailleurs, parfaitement décidés à ne pas permettre que les scènes de 1857 se renouvellent.

Nous ne céderons pas une ligne de ce que nous croyons être notre droit devant les manifestations quelles qu'elles soient.

MpLangeµ. - Après l'explication que M. Jamar a donnée de ses paroles, je pense que ce débat doit cesser.

M. de Montpellier. - Je demandé la parole pour un rappel au règlement. Il est interdit d'imputer de mauvaises intentions à un membre de la Chambre. M. Jamar a dit que M. Thonissen avait commis une mauvaise action, c'est une imputation de mauvaise intention.

MpLangeµ. - Comme vient de le dire M. de Montpellier, toute imputation de mauvaise intention est interdite, mais M. Jamar a déclaré qu'il n'avait voulu en aucune manière incriminer les intentions de M. Thonissen.

- Plusieurs membres. – Il n'a pas dit cela.

M. Jamar. - Je n'ai pas incriminé les intentions de M. Thonissen. j'ai dit, en commençant, que je ne suspectais pas son patriotisme, mais que son patriotisme l'avait mal inspiré. Je n'ai donc pas incriminé ses intentons.

MpLangeµ. - L'incident est clos. La parole est continuée à M. Jamar

M. Jamar. - Messieurs, je vous disais que, dans ma pensée, cette accusation était profondément regrettable. La magistrature en Belgique est une des gloires les plus pures et les plus respectées et je ne m'attendais pas, je l'avoue, à voir un honorable professeur de droit ne point craindre d'imprimer une espèce de flétrissure à la magistrature...(Interruption) (page 65) en accusant un tribunal belge d'être complaisant ou servile.

M B. Dumortierµ. – Il peut y avoir des magistrats prévaricateurs en Belgique comme partout ailleurs.

M. Jamar. - Simple juge consulaire, je prise trop haut l'honneur d'appartenir à la magistrature belge pour ne pas protester contre ces accusations que n'tlaye aucune preuve sérieuse.

Rien ne peut mieux dévoiler la faiblesse de votre cause que de vous voir, en présence de témoignages écrasants, ne pas reculer, pour chercher à les affaiblir, devant cette accusation qui a produit sur nos bancs la plus douloureuse impression.

Examinons, messieurs, la seule preuve sérieuse que M. Thonissen apporte à l'appui de son accusation. cette preuve, la voici :

L'honorable député de Hasselt nous a donné lecture d'une déposition du secrétaire communal de Zerkeghem qui n'a aucune valeur et qui ne contient en réalité, je le reconnais cette fois, que des cancans.

Cette lecture faite, voici comment l'honorable M. Thonissen s'exprime : « Voilà donc une déposition qui n'articule absolument rien à charge du curé de Zerkeghem. Le témoin dit positivement qu'avant l'élection le curé n'a rien donné et qu'il n'a rien promis. Voilà ce que dit le témoin de la manière la plus formelle. Le témoin n'articule aucun fait répréhensible qui se soit passé avant l'élection : et même, pour les faits postérieurs, il ne parle que par oui dire. Eh bien, cette déposition, par ouï-dire, cette déposition insignifiante, qui ne renferme aucun grief à charge du curé de Zerkeghem, a suffi au juge d'instruction pour mettre en doute la délicatesse, la loyauté, l'honneur d'un prêtre vénérable. » .

Ou vous n'avez pas lu l'enquête, et, dans ce cas-là, la Chambre appréciera quel cas elle doit faire désormais de vos allégations ; ou si, comprenant la gravité du débat qui s'engage, vous avez examiné même superficiellement le dossier, je dis que vous avez présenté cette affaire sons un jour étrange et que la Chambre appréciera.

Non, la déposition du secrétaire communal de Zerkeghem n'a pas suffi au juge d'instruction pour mettre en doute la délicatesse, la loyauté, l'honneur d'un prêtre vénérable, le modèle, selon vous, de toutes les vertus sacerdotales et de toutes les vertus civiques. S'il en eût été ainsi, je me serais joint à vous pour accuser le juge d'instruction de partialité et de complaisance.

Mais ce que vous n'avez pas lu ou ce que vous n'avez pas dit à la Chambre, c'est qu'immédiatement après cette déposition insignifiante et dont le juge d'instruction n'a pas tenu compte, il y a quatre dépositions accablantes pour ce modèle de toutes les vertus civiques. Ce sont quatre cabaretiers qui tous ont reçu de l'argent du jardinier de ce modèle de toutes les vertus sacerdotales...

M. de Naeyer. - Longtemps après les élections.

MfFOµ. - Mais promis avant les élections.

M. Jamar. - Quant au fait incriminé à la charge du juge de paix Hermans, le voici d'après l'honorable M. Thonissen :

« Prenons, dit l'honorable député de Hasselt, à la page 56 de l'enquête la déposition du témoin Jean Van de Putte. Je ne lirai pas toute cette déposition, mais je vous citerai un passage sur lequel j'appelle votre attention :

« Il est vrai que le matin j'avais parlé à Moens, qui est électeur, je crois, sur le Marché au Bétail, mais je ne l'ai pas engagé à voter avec les catholiques, parce que je savais que pour chaque élection Moens recevait de l'argent de M. le juge de paix Hermans et de l'ancien directeur de l'abattoir, pour voter pour les libéraux, ainsi que Moens l'a raconté, il y a huit jours, dans un estaminet du Marché du Vendredi, où j'étais. »

Et le juge d'instruction n'a pas fait comparaître le juge de paix Hermans devant lui !

Non, il ne l'a pas fait ; non seulement il ne devait pas le faire, mais il ne pouvait pas le faire. Il n'y a rien dans la déposition du sieur Vandeputte qui se rapporte directement à l'élection actuelle.

Il parle d'une manière vague de chaque élection, mais le fait même fût-il précis, nettement articulé, il n'était pas au pouvoir du juge d'instruction de faire comparaître devant lui le juge de paix Hermans comme prévenu.

Et je m'étonne que moi, simple juge consulaire, j'aie à apprendre au professeur de droit que l'article 479 du Code d'instruction criminelle s'y oppose d'une manière formelle. Voici, en effet, comment sont conçus les articles 479 et 480 :

« Art. 479. Lorsqu'un juge de paix sera prévenu d'avoir commis hors de ses fonctions un délit emportant une peine correctionnelle, le procureur général près la cour d'appel le fera citer devant la cour, qui prononcera sans qu'il puisse y avoir appel.

« Art. 480, S'il s'agit d'un crime emportant peine afflictive ou infamante, le procureur général près la cour d'appel et le premier président de cette même cour désigneront le premier le magistrat qui exercera les fonctions d'officier de police judiciaire, le second le magistrat qui exercera les fonctions de juge d'instruction. »

Je n'entends pas, messieurs, poursuivre ici l'examen de tous les prétendus griefs sur lesquels se base une accusation, dont le souvenir restera longtemps dans vos esprits.

Mais pour en finir sur ce point, je me borne à opposer à l'honorable M. Thonissen l'honorable M. Nothomb lui-même. Voici le portrait que trace l'honorable M. Thonissen du juge d'instruction qu'il dénonce à votre indignation :

« En matière politique, que fait-il ? Il appelle les témoins qui lui sont indiqués par ses amis politiques. Il écoute avec faveur, avec complaisance ceux qui parlent dans le sens de la cause qu'il désire faire prévaloir, qu'il désire voir triompher. Mais il n'en est pas de même quand ce même juge se trouve en présence d'un antagoniste politique : celui-ci lui est suspect ; il le soupçonne à chaque mot ; il l'interrompt à chaque phrase, et souvent même il le menace dans le cours de chaque déposition.»

Vo/là un portrait tracé de main de maître, n'est-ce pas, messieurs ? Nous voyons ce juge d'instruction partial et servile, qui n'a qu'un seul but, celui de ne laisser dans l'enquête aucune trace des faits qui peuvent compromettre ses amis politiques.

Ecoutons maintenant l'honorable M. Nothomb.

« L'honorable M. Hymans s'est étendu à plaisir sur la prétendue pression exercée contre les électeurs, il a parlé longuement de menaces, de séduction, de corruption, de démoralisation ; c'est à merveille ; il n'a eu ces sévérités de langage que pour une seule opinion politique. Pourtant il eût été juste et équitable d'appliquer les mêmes rigueurs à l'autre opinion, et le dossier lui en fournissait une ample matière. »

Vous le voyez, messieurs, ce juge d'instruction qui ne voulait pas compromettre ses amis politiques, a fourni contre eux une ample matière d'accusation, selon M. Nothomb lui-même.

L'honorable M. Thonissen a été aussi mal inspiré quand il est venu parler de coups de majorité et de manœuvres déloyales à l'aide desquels une majorité faible éloignerait du parlement, pour un temps plus ou moins long, quelques membres de l'opposition.

Où voit-il cette majorité, qui ne tarderait pas à succomber sous le poids de la réprobation générale ?

Oui, nous sommes une majorité faible.

Les élections d'Anvers, en nous enlevant des hommes dévoués à notre parti, dans les conditions que le pays a justement appréciées, nous ont réduits à n'avoir qu'une majorité de quelques voix.

La maladie ou l'absence de quelques-uns d'entre nous peuvent donner à la droite le triomphe d'un jour.

Que faisons-nous cependant ?

Tous nous applaudissons au mâle et noble langage de l'honorable M. De Ridder, quand cet ami a dit : « Je ne veux ni pour vous ni pour moi d'un mandat que le soupçon entache ; et c'est le front haut et non la tête basse que je rentrerai parmi vous. »

En annulant les élections de Bruges, ce n'est donc pas un membre de l'opposition que nous éloignons ; ce sont deux de nos amis dévoués, non pas que nous sacrifions, mais qui se sacrifient eux-mêmes à l'honneur et à la dignité de leur mandat :

C'est qu'avant tout nous nous considérons, pour me servir d'une expression de l'honorable M. Nothomb, comme un grand jury national ; c'est qu'avant tout nous nous préoccupons d'un intérêt plus élevé et qui nous est plus cher que le triomphe même de notre parti.

Cet intérêt, c'est de sauvegarder nos institutions et surtout la dignité et la grandeur morale de la Chambre, qui est l'expression la plus élevée de la souveraineté nationale.

En condamnant les élections de Bruges, nous détruisons dans son germe le système de corruption éhontée qui apparaît dans cette élection et qui, si l'on n'y prenait pas garde, pourrait corrompre et ruiner notre régime représentatif.

Les théories de l'honorable M. Thonissen sur les coups de majorité et les manœuvres déloyales étaient donc parfaitement inopportunes. Loin de recourir à cette pratique pour diminuer la force de l'opposition, nous allons au-devant du péril par le départ momentané de deux de nos amis.

Nous y allons sans nous dissimuler les dangers de ce sacrifice, mais nous accomplissons ce que nous considérons comme un devoir impérieux que notre conscience nous commande et que l'opinion publique réclame.

Ce n'est point à Bruges seulement que l'opinion publique s'est émue.

(page 66) La publicité donnée à l'enquête judiciaire a produit dans le pays tout entier la plus pénible impression.

On s'est ému de ces marchés honteux ; on a rougi de l'audace des uns, de la bassesse des autres.

En voyant des prêtres se faire les complaisants échansons de paysans avinés, les catholiques sincères, ceux qui n'ont pas oublié cette parole du Christ « mon royaume n'est pas de ce monde », les catholiques sincères entrevoient avec douleur l'abîme dans lequel cet oubli insensé du caractère dont le prêtre est revêtu doit entraîner la religion.

Ils se demandent avec effroi quelle purification pourra laver les souillures que ces orgies dirigées par des prêtres doivent imprimer d'une manière indélébile (interruption), non pas seulement sur la robe de bure du vicaire qui les excite, mais sur la soutane du prélat qui les inspire.

Je m'arrête, messieurs, car je ne veux pas m'appesantir davantage sur ce triste spectacle.

Mais je dis à mes amis : Nous n'avons pas le droit d'hésiter à punir et à flétrir ces scandales, car la moindre hésitation de notre part nous en rendrait les complices.

MpLangeµ. - La parole est à M. de Brouckere.

M. Jacobsµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.

- Un membre. - On n'a rien dit qui vous soit personnel.

M. Jacobsµ. - Vous jugerez quand j'aurai parlé.

M. de Moorµ. - On n'a pas prononcé votre nom.

M. Jacobsµ. - Que la Chambre me permette au moins de m'expliquer. (Interruption.)

M. H. de Brouckereµ. - Veuillez me permettre. Je ne suis pas du tout pressé de prendre la parole, j'y renoncerais même avec le plus grand plaisir si l'honorable M. Thonissen demande à fournir des explications sur ce qui a été dit tout à l'heure à son égard ; je lui céderai volontiers mon tour de parole, mais je ne céderai pas la parole à quelqu'un qui demande à parler sur une affaire personnelle alors que personne n'a pensé à lui. (Interruption.) Je vous prie donc, M. le président, de me maintenir mon droit.

M. Thonissenµ. - Je demande la. parole.

MpLangeµ. - Vous avez la parole pour un fait personnel, mais uniquement pour cela. (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Je ne m'attendais pas, messieurs, à l'attaque durement personnelle à laquelle je viens d'être en butte de la part de l’honorable M. Jamar. J'y répondrai avec calme, avec modération, et je m'efforcerai de contenir l'indignation légitime que j'éprouve.

Je suis, messieurs, un grand coupable ! J'ai en même temps flétri le parlement et la magistrature. J'ai dit à mes honorables collègues : « Si vous ne pensez pas comme moi, si mon opinion n'est pas la vôtre, si vous osez annuler l'élection de Bruges, eh bien ! vous serez la honte de la raison humaine ! »

Messieurs, je proteste contre ces paroles de toute l'énergie dont je suis capable. L'honorable M. Jamar a dénaturé mes intentions, mes paroles, et, qu'il en soit bien persuadé, quand il me connaîtra mieux, il regrettera l'accusation qu'il a dirigée contre moi !

Voyons à présent ce que j'ai fait. J'ai commis une triste et mauvaise action, d'abord en me montrant animé d'intentions peu bienveillantes, peu respectueuses envers l'assemblée dont j'ai l'honneur de faire partie.

Eh bien, je viens de relire tout mon discours et je n'y ai pas trouvé un seul mot qui puisse légitimer l'accusation portée contre moi par l'honorable M. Jamar.

- Voix à gauche. - Si ! si !

M. Thonissenµ. - La main sur la conscience, messieurs, je déclare que je cherche vainement, dans tout mon discours, une seule ligne, un seul mot par lequel j'aurais manqué de respect envers la Chambre.

M. Jamar. - Je n'ai rien dit de semblable.

M. Thonissenµ. - Permettez, vous vous êtes longuement préparé ; vous avez lu un discours écrit, double avantage que vous ayez eu sur moi. Permettez-moi donc de parler quelques minutes sans interruption.

L'honorable M. Jamar a dit que j'avais parlé de majorités faibles, de majorités qui, à l'aide d'exclusions ou d'enquêtes parlementaires, pourraient écarter, de mauvaise foi, pendant des mois entiers, du sein de la Chambre, quatre, cinq ou six de ses membres.

L'honorable M. Jamar, qui m'a dit que je n'avais pas lu l'enquête, n'a probablement pas lu mon discours ; car j'ai dit positivement le contraire. Voici les paroles dont je me suis servi, et je prie l'honorable membre de vouloir bien, à son tour, y faire attention. Il m'a posé un dilemme de légèreté ou de mauvaise foi ; je lui prouverai que je ne suis ni léger ni de mauvaise foi ; ma vie entière proteste contre une pareille accusation. J'ai toujours été dévoué à mes principes ; j'ai combattu l'opinion libérale, mais je n'ai jamais été injuste envers elle. Il y a dans cette enceinte des hommes que j'ai combattus, mais je les ai toujours estimés ; lisez tous mes écrits, vous n'y trouverez jamais la trace d'une accusation faite de mauvaise foi, moins encore la trace d'une calomnie !

Je reviens à l'accusation portée contre moi d'avoir manqué de respect envers la Chambre des représentant. Voici mes propres paroles :

« Chaque fois qu'il y aura ici une majorité faible, cette majorité pourra faire de l'enquête parlementaire un moyen d'écarter provisoirement, pendant plusieurs mois, quatre ou cinq membres dont le vote la gênerait.

MfFOµ. – Il y a, dans les élus de Bruges, deux de nos amis.

M. Thonissenµ. - Sans doute ; messieurs, comprenez-moi bien, je vous prie ; je ne dis pas que telles soient vos intentions, je parle en théorie. Je n'accuserai jamais sans preuve. Je parle au point de vue des principes, au point de vue de nos institutions, et je dis que, chaque fois qu'il y aura une majorité faible, quelle que soit sa couleur, elle pourra trouver dans l'enquête parlementaire un moyen commode, efficace, infaillible, d'éloigner de nos débats, pendant plusieurs mois, 4, 5 et 6 élus qui la gêneraient.

Est-ce là accuser le gouvernement ou la Chambre ? M. le ministre des finances m'interrompt pour me dire : ce ne sont pas nos intentions ; je lui réponds : Je le sais ; je ne parle pas de vous ! On a parlé de mauvaise action, est-elle loyale celle-ci ?

Je passe aux magistrats de Bruges. Peut-être n'ai-je pas dit assez. Je respecte la magistrature, parce qu'elle est respectable ; mais, qu'on soit bien convaincu aussi que, chaque fois qu'un magistrat s'oubliera au point de compromettre sa robe dans des luttes politiques, j'aurai le courage, dans tout le cours de ma carrière parlementaire, de dénoncer ce magistrat à l'indignation du pays.

- Une voix. - Et les évêques ! (Interruption.)

M. Thonissenµ. - Je vous répondrai.

J'ai accusé, dites-vous, la magistrature de Bruges ; j'ai lu seulement la déposition du secrétaire de la commune de Zelkeghem.

Ce dernier fait est vrai ; mais que me reproche M. Jamar ? II y a, dit-il, trois autres dépositions que vous n'avez pas lues. Ma réponse est facile. La première déposition met à l'abri de tout blâme les actes du curé de Zeikeghem ; il ne s'y trouve rien contre lui, vous devez l'avouer ; M. Jamar lui même en a fait l'aveu. Il reconnaît avec moi que cette déposition ne renferme que des cancans. (Interruption.)

Il y en a trois autres, à la vérité ; mais elles innocentent tout aussi complètement la conduite du même curé. Par conséquent, si le juge est blâmable d'avoir vu un prévenu dans le curé de Zerkeghem, après une déposition qui ne peut le rendre suspect, ce juge est plus blâmable encore d'avoir vu en lui un prévenu, après trois autres dépositions insignifiantes, et qui, comme la première, n'articulent rien à sa charge.

J'ai lu ces quatre dépositions ; elles ne disent pas ce que vous leur faites dire. II n'est pas vrai que le curé ait régalé les électeurs avant les élections, et qu'il les ait excités à boire ; ce n'est qu'après les élections qu'il les a régalés, quatre ou cinq dimanches consécutifs. Où est le crime ? Oh est l'acte incriminé par la loi ? Je le cherche en vain !

Le 26 septembre, le secrétaire déclare qu'il n'y a aucun fait à la charge de son curé ; trois autres témoins viennent dire qu'aucune promesse n'a été faite, qu'aucune somme d'argent n'a été donnée avant les élections ; par conséquent qu'il n'y a aucun crime, aucun délit. Et que fait cependant le juge d'instruction après quatre dépositions mettant complétement le curé hors de cause ? Il en fait un prévenu ! Et je n'aurais pas le droit, moi, de blâmer cette conduite, quand vous me présentez un dossier d'après le contenu duquel vous me demandez de prendre une décision grave ?

Et quand après avoir examiné ce dossier, j'y trouve des traces de partialité, je n'aurai pas le droit de le dire sans m'exposer à être accusé par vous de manquer de respect envers la magistrature !

Que les membres de la magistrature restent respectables, s'ils veulent qu'on les respecte !

J'arrive à la déposition du juge de paix Hermans. Vous allez voir combien j'ai eu raison et combien M. Jamar, qui m'a traité comme un prévenu sur le banc de la police correctionnelle, a eu tort.

J'ai dit que le juge de paix Hermans s'est mis derrière une porte pour écouter ce qu'on disait.

Vous n'avez pas vous-même lu l'enquête ; car vous dites le contraire de ce qui s'y trouve.

- Un membre. – Il n'en a pas parlé..

M. Thonissenµ. - Je ne désire pas prolonger cette discussion. Que (page 67) M. Jamar me dise donc en quoi j'ai manqué à la magistrature en parlant du juge de paix Hermans.

M. Jamar. - J'ai dit que vous rcpouviezpas le faire citer devant le juge d'instruction.

M. Thonissen, — Vous reconnaissez qu'il s'est mis derrière une porte ?

M. Jamar. - Je n'ai ras parlé de cela.

- Une voix. - C'est acquis !

- Une autre voix. - Pas du tout !

M. Thonissenµ. - Passons et voyons la leçon de droit pénal que le juge consulaire a donnée au professeur d'université.

Ai-je dit que le juge d'instruction devait lancer un mandat contre le juge de paix Hermans, qu'il devait le faire arrêter, le poursuivre lui-même ? (Interruption.)

- Une voix. - Cela les gêne.

- Une autre voix. - Cela ne nous gêne en aucune manière.

M. Thonissenµ. - Ai-je dit qu'on devait lancer un mandat contre le juge de paix, que le juge d'instruction devait lui-même le poursuivre ? Si j'avais dit cela, la leçon serait méritée. Je n'ai pas dit un mot qui puisse me faire attribuer cette intention. Le juge d’instruction a vu un prévenu dans le curé de Zerkeghem bien qu'il n'y eût aucune déposition à sa charge, il devait à plus forte raison voir un prévenu dans le juge de paix Hermans. (Interruption.)

Or, en voyant un prévenu dans le juge de paix Hermans, qu'est-ce que le juge d'instruction avait à faire ? Il devait tout simplement envoyer la déposition de Vande Putte au procureur général, et alors seulement l'article 479 du Code d'instruction criminelle, que je connais depuis vingt-cinq ans, recevait son application.

Je vais relire le passage de mon discours dont il est question. Voici mes paroles, messieurs :

« A-t-il (|e juge d'instruction) agi contre le juge de paix de Bruges comme contre le curé de Zerkeghem ? En aucune manière. Il a si peu traité le juge de paix en prévenu que, quand il l'a interrogé plus tard, il ne lui a pas même adressé de question sur les faits articulés à sa charge.

« Ne vous trompez pas, messieurs, sur mes intentions. Je ne dis pas que le fait imputé au juge de paix soit vrai ; je crois M. le juge Hermans incapable d'une telle infamie. Mais ce que je dis pour le juge de paix, je le dis également pour le curé de Zerkeghem, et si une déposition vague suffisait pour faire un prévenu du curé de Zerkeghem, une déposition positive devait suffire pour faire un prévenu du juge de paix Hermans ! »

Vous le voyez, messieurs, je disais simplement que si l'on voulait faire un prévenu d'un curé à la suite d'une seule déposition, on devait également faire un prévenu d'un juge de paix à la suite d'une déposition plus précise, plus nette et plus accablante. Mais ai-je dit que le juge d instruction devait lui-même lancer le mandat ? Pas le moins du monde. Dès l'instant qu'il considérait le juge de paix comme un prévenu, il devait s'adresser au procureur général pour que celui-ci appliquât l'article 479 du Code d'instruction criminelle.

L'honorable M. Jamar a invoqué également le réquisitoire du procureur du roi, et je l'en remercie. Je déclare, pour que l'on ne donné pas une interprétation contraire à mes paroles, que je regarde M. De Ryckman, procureur du roi à Bruges, comme un homme d'honneur, comme un magistrat intègre ; mais je n'en affirmerai pas moins que son réquisitoire porte l'empreinte d'un préjugé, d'une prévention constante à charge des prévenus.

Voici les termes du réquisitoire.

« Attendu qu'il en résulte (de la procédure) une prévention suffisante : A. etc., K. A. T. charge du curé de Zerkeghem, d'avoir, le 9 juin dernier, escorté à Bruges, traité et choyé un certain nombre d'électeurs de la commune de Zerkeghem et d'avoir fait distribuer, quelques jours après les élections, aux nommés Isidore Vanpoucke, Charles Vermaut, Pierre Lievens et Charles Verbrugghe, cabaretier set électeurs audit Zerkeghem, des sommes variant de 15 à 20 francs, à consommer dans leurs cabarets, soit pour récompenser leur zèle électoral, soit pour célébrer le résultat du scrutin. »

Et plus loin le procureur du roi ajoute :

« Attendu que les faits imputés au curé Albert De Man, d'avoir escorté les électeurs de sa commune à Bruges, de leur avoir fait distribuer des comestibles et du vin, de les avoir, avant le ballottage, excité à boire ; de même que celui d'avoir, après les élections, distribué des sommes d'argent à divers cabaretiers électeurs de sa commune, ne sauraient, en l'absence d'autres preuves, constituer le délit prévu par la loi. »

Donc il y a prévention suffisante, dit le réquisitoire : 1° d'avoir escorté ; 2° d'avoir choyé ; 3° d'avoir excité à boire avant le scrutin ; 4° d'avoir régalé à la suite des élections.

Eh bien, messieurs, lisez le dossier ; il y est établi qu'à la suite des élections, il y a eu régal à Zerkeghem. Mais le dossier, pour tout le reste, ne fournit aucune preuve quelconque. Pas une seule phrase, pas un seul mot n'y autorise l'allégation de pareils faits. Au contraire, tous les témoins disent, qu'avant l'élection, il n'y a pas eu de régal ; qu'à Bruges, le curé n'a pas suivi les électeurs au cabaret et qu'il ne les y a pas régalés ou choyés ; le cabaretier lui-même déclare positivement que chacun payait de sa poche, et, malgré cela M. le procureur du roi aveuglé, je ne sais par quelle prévention, vient dire que le curé a excité les électeurs à boire avant le scrutin !

Je le répète, je n'en déduis aucune conclusion, aucune insinuation contre la loyauté, contre l'honneur de M. De Ryckman. Aussi, hier, en commençant mon discours j'ai déclaré que les auteurs que j'invoquais n'attaquaient pas l'honneur des magistrats, mais qu'ils disaient simplement que les magistrats étaient des hommes et que comme tels ils sont exposés à toutes les erreurs, à toutes les passions des hommes. J'ai ajouté : N'est pas impartial qui veut !

L'honorable M. Jamar, dans ses attaques, m'a aussi imputé de vouloir rapetisser la compétence de la Chambre des représentants, de vouloir amoindrir son rôle.

Il me demande : Quelles règles devons-nous suivre ? Sont-ce les règles de la procédure civile, dit-il ; sont-ce les règles de la procédure criminelle ?

L'honorable M. Jamar devrait me supposer du moins un peu de bon sens.

Qu'ai-je dit ? Voici mon langage :

« On vous soumet un document judiciaire et l'on vous demande de juger sur ce document. Voyez donc avant tout quelle valeur a ce document judiciaire, document qui ne renferme que de simples présomptions. »

Voilà mon crime !

Comment ! il y a un dossier qui contient 2,000 témoignages accusateurs, recueillis par un seul juge dans son cabinet. On soumet ce dossier à un juge de paix, et on lui demande de prononcer une condamnation à un franc d'amende. Il ne le peut pas ! Pourquoi ne le peut-il pas ? Parce qu'un tel dossier n'est qu'un acte renfermant de simples présomptions.

Sans doute, messieurs, la Chambre est souveraine, je ne le nie pas.

Si la Chambre est convaincue que l'élection de Bruges est le résultat d'un système de corruption largement organisé, elle peut l'annuler ; moi-même, si j'avais une pareille conviction, je n'hésiterais pas. Mais qu'ai-je dit ? J'ai dit : on ne vous soumet que de simples présomptions, sans aucune preuve. Voulez-vous être justes ? Ordonnez une enquête parlementaire parce que l'enquête qui vous est soumise ne renferme que des présomptions.

L'honorable M. Jamar invoque le code d'instruction criminelle. Qu'il sache donc que le texte de ce code a été manifestement méconnu à Bruges ! Je n'ai pas voulu le dire hier ; je le dirai aujourd'hui.

Voici le texte. L'article 61 du Code d'instruction criminelle dit positivement que, dès l'instant où l'instruction est terminée, on doit la communiquer immédiatement au procureur du roi, que celui-ci doit l'examiner et qu'il ne peut la garder par devers-lui que pendant trois jours.

Qu'a-t-on fait ? Le 22 du mois d'octobre, on entend le dernier témoin. L'instruction est par conséquent terminée à cette date. Elle devait donc être communiquée le 24 au plus tard au procureur du roi et celui-ci devait, le 27, la renvoyer au magistrat instructeur. Or, qu'est-ce que je trouve dans l'enquête ? Ce n'est que le 9 novembre que le procureur du roi présente son réquisitoire.

Je demanderai pourquoi cet article formel du code d'instruction criminelle a été violé, et où ce dossier est resté pendant 18 jours ? Où a-t-il été ? Dans quelles mains a-t-il passé ? Où a-t-il voyagé ? Il n'a pas été au ministère de la justice, je le sais. L'honorable M. Tesch nous l'a déclaré formellement et je l'estime trop pour révoquer sa parole en doute. Je pourrais vous dire par quelles mains il a passé.

- Plusieurs membres à gauche. - Nommez ! nommez ! pas d'insinuation,

M. Thonissenµ. - Je n'abuse jamais d'une confidence. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Ah ! ah !

M. Thonissenµ. - Permettez moi de continuer.

L'honorable M. Jamar dit que j'ai flétri la magistrature du pays. Non j'ai dit qu'on avait agi avec prévention, sous l'empire d'un préjugé, avec le désir de trouver des coupables, d'annuler les élections.

(page 68) J'ai parlé de deux juges : le juge d'instruction et le procureur du roi. Je vais vous parler de la chambre du conseil, et vous verrez comment celle-ci a procédé.

« Attendu que la prévention du chef des faits mentionnés dans le réquisitoire définitif du ministère public est suffisamment établie. » Ces mots se trouvent dans l'ordonnance de la chambre du conseil.

Quand est-ce qu'il y a prévention établie ? C'est lorsque l'on se trouve sous l'imputation d'un fait qualifié crime ou délit par la loi. Or ici, la chambre du conseil déclare qu'il n'y a ni crime ni délit, et elle déclare cependant qu'il y a prévention établie. Conciliez cela si vous le pouvez.

Savez-vous ce que j'y vois ?... Les murmures et les attaques ne m'empêcheront pas de remplir mon devoir et de dire hautement la vérité. Je dis que, tout en déclarant les faits non coupables, on voulait cependant flétrir les hommes contre lesquelles l'enquête était dirigée.

Un dernier mot.

Vous êtes convaincus, je l'espère, que je n'ai pas voulu manquer d'égards au parlement, que je n'ai voulu attaquer ni ses prérogatives, ni son droit de prendre ses décisions en ne relevant que de sa conscience. Mais est-ce manquer au parlement que de dire : Voilà un dossier qu'on nous soumet ; voilà une enquête judiciaire faite à huis clos, par un seul homme, faite par un juge connu pour être un homme politique appartenant à la majorité qui existe au sein de cette assemblée. Cette enquête n'est qu'une simple présomption. Vous ne sauriez, sans injustice, baser là-dessus un verdict politique. Voilà ce que je vous ai dit, rien de plus. Ai-je dit que si vous ne suiviez pas mon opinion, vous seriez la honte de la raison humaine ? Pas le moins du monde. J'ai dit que Montesquieu, parlant des gens qui jugeaient sur une simple enquête, a déclaré que ces juges étaient la honte de la raison humaine. Mais je n'ai pas songé à vous appliquer cette épithète si vous n'approuviez pas ma manière de voir dans l'élection de Bruges ? Non ! J'ai dit seulement que cette manière de procéder était tellement dangereuse, que Montesquieu, il y a un siècle, l'avait appelée la honte de la raison humaine.

M. Orts. - On ne juge pas autrement à Rome, aujourd'hui encore.

M. Thonissenµ. - Je répondrai à l'honorable M. Orts que je m'occupe ici du gouvernement belge et non du gouvernement romain.

- Un membre. - Allons donc !

M. Thonissenµ. - Allons donc ! Faut-il que je trouve bon tout ce qui se passe à Rome, et mauvais tout ce qui se fait à Genève ? Je vous répondrai simplement que cela ne me regarde pas.

On a parlé également des mandements épiscopaux. Je n'en suis pas l'auteur ; je puis donc répondre de même que cela ne me concerne pas.

J'ajouterai seulement que, s'il y a des mandements épiscopaux, il y a eu également des mandements ministériels, et qu'avant l'élection, j'ai vu un mandement ministériel dans lequel le cabinet chantait sa propre gloire, à tel point qu'il revendiquait pour lui l'accroissement des recettes du chemin de fer !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est pas très corrupteur.

M. Thonissenµ. - Non, je ne vais pas jusque-là, M. Rogier. Je dis que ce mandement a été lu, a été lu par ordre et qu'il a exercé une très grande influence sur les élections ; mais je ne vous accuse pas de corruption.

Je m'arrête. Je ne sais pas ce que nos débats ont à gagner à ces attaques personnelles.

Il se peut qu'hier dans l'improvisation une parole plus ou moins imprudente me soit échappée...

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Thonissenµ. - Mais si cela est arrivé, ce que j'ignore, je suis le premier à la rétracter. Je ne suspecterai jamais votre loyauté, votre délicatesse, votre honneur.

Jamais, quelle que soit votre décision, je ne révoquerai en doute votre bonne foi.

Mais je crois avoir aussi droit aux mêmes égards ;. et quand, étudiant un dossier consciencieusement, sérieusement, plus sérieusement que l'honorable M. Jamar, je vous dis franchement mon opinion, il ne faut pas qu'un membre prenne un ton d'accusateur, de procureur général, et me traite comme un prévenu trainé en police correctionnelle. Je suis ici son collègue, son égal, et en matière de loyauté et d'honneur, je n'ai pas de leçon à recevoir de lui.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.