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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 2 mai 1863

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 839) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Welputte, secrétaire de la commune de Haut-Ittre, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme, suivant la population. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale de Nederbrakel prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Grammont à Nieuport par Audenarde et de décider que cette ligne passera par Nederbrakel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de chemins de fer.

Composition des bureaux de section

Les sections de mai se sont constituées comme suit :

Première section

Président : M. Laubry

Vice-président : M. Grandgagnage

Secrétaire : M. de Boe

Rapporteur de pétitions : M. de Rongé


Deuxième section

Président : M. Muller

Vice-président : M. Crombez

Secrétaire : de Moor

Rapporteur de pétitions : M. Thienpont


Troisième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Dechentinnes

Secrétaire : M. de Lexhy

Rapporteur de pétitions : M. De Fré


Quatrième section

Président : M. de Breyne

Vice-président : M. Carlier

Secrétaire : M. de Florisone

Rapporteur de pétitions : M. Frison


Cinquième section

Président : M. Mouton

Vice-président : M. Kervyn de Volkaersbeke

Secrétaire : M. Braconier

Rapporteur de pétitions : M. Van Volxem


Sixième section

Président : M. Van Leempoel

Vice-président : M. Van Humbeeck

Secrétaire : M. Orban

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Huy

M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre les procès-verbaux de l'élection qui a eu lieu à Huy pour la nomination d'un représentant, en remplacement de M. Carlier-Dautrebande.

Il est procédé au tirage au sort d'une commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. de Macar, le représentant élu.

Elle se compose de MM. Jouret (Martin), de Naeyer, de Lexhy, de Moor, Muller, Faignart et Vilain XIII.

Projet de loi relatif aux fondations en faveur de l'enseignement public et au profit des boursiers

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. Hymans. - Messieurs, ceux qui ont suivi avec quelque attention cette discussion déjà longue ont la conviction que le projet de loi ne renferme aucune des abominations ni des horreurs qu'on lui a reprochées. Cependant, sur les bancs de la droite, on continue à parler de spoliation ; on continue, à s’indigner comme au premier jour, et les journaux catholiques ne désignent la mesure qui nous est soumise que par le nom de loi qui dépouille de ses bourses d'études l'université catholique de Louvain.

La tactique est fort habile et le titre bien choisi pour les besoins de la cause. Mais je remarque un fait assez significatif. Tandis qu'on fait beaucoup de bruit dans la Chambre et au-dehors des spoliations dont l'université catholique est la victime, c'est précisément sur ce point, c'est précisément sur les droits prétendus de cette université que dans cette enceinte on évite de s'expliquer.

J'ai relu tous les discours qui ont été prononcés dans ces débats par les membres de l'opposition ; il y est question sans doute de l'université de Louvain. J'y ai trouvé des phrases pompeuses, éloquentes, à propos de la gloire antique de cet établissement, que je me garderai bien de contester ; j'y ai trouvé des phrases touchantes à propos de l’Alma mater, de la reconnaissance que lui doivent ses nourrissons ; j'y ai trouvé la défense des principes de l'université de Louvain dans les temps anciens et dans les temps modernes, mais je n'ai trouvé nulle part une réponse vague ou catégorique à cette question bien simple qui résume, à mon avis, tout le débat : le collateur d'une bourse fondée au profit de l'ancienne université de Louvain a-t-il le droit de forcer le boursier à faire ses études à l'université actuelle ?

M. Van Overloop. - Non.

M. Hymans. - L'honorable M. Van Overloop me dit : non. Il a été prouvé qu'en fait cette obligation existe parfaitement. L'honorable ministre de la justice, dans un admirable discours dont jusqu'à présent aucun point n'a été entamé par aucun orateur de la droite, a prouvé par les actes de la commission des fondations de 1837, confirmées par l'honorable M. de Theux, quand il était ministre de l'intérieur, que cette pression était illégale. Que lui a-t-on répondu ? Rien. Pas un mot. On a prudemment passé sa démonstration sous silence.

L'honorable M. Nothomb, parlant après M. le ministre de la justice, a touché d'une manière extrêmement timide à cette question ; il a dit ceci :

« L'honorable M. Tesch a fait une longue digression sur l'ancienne université de Louvain. Il a cherché à établir que l'université actuelle ne lui a pas succédé, ne l'a pas continuée. C'était vraiment enfoncer une porte ouverte. Nous n'avons jamais soutenu que l'université actuelle de Louvain a succédé à l'université ancienne. Nous avons toujours décidé le contraire. Mais la question n'est pas là ; il s'agit du droit de collation et du respect dû à la volonté du fondateur sanctionnée par les lois de l'époque. »

Voilà de quelle façon l'on se tire d'affaire. Comment ! la question n'est pas là ! Mais la question ne peut pas être ailleurs. La question est là et toute la question est là. Et si elle n'est pas là, je demande ce que signifient vos accusations de vol et de spoliation au sujet de l'université catholique ? Pour moi, toute la question est là !

Oh ! je comprends la tactique à merveille ; à la Chambre, la question n'est pas là, parce qu'on sait parfaitement que la thèse n'est pas soutenable devant des hommes sérieux, devant ceux qui connaissent les lois. Mais dans le public, c'est le seul argument que l'on fasse valoir. Là on ne parle que de la spoliation dont l'université de Louvain est victime.

La spoliation de l'université de Louvain, c'est l'étiquette qu'on met sur la loi pour la rendre odieuse et impopulaire aux yeux des populations catholiques. Eh bien, messieurs, puisque cela est, et vous ne pouvez pas le contester, notre devoir, à nous, est de combattre cette tactique. Mon devoir, à moi, est de chercher, dans la mesure de mes forces, à la mettre à néant, même après les discours si remarquables de MM. le ministre de la justice, Orts, Bara et De Fré ; et de montrer quel est ici le vrai spoliateur du bien commun ; quel est celui, de nous ou de vous, qui professe un respect sincère et sérieux pour la volonté des fondateurs, et pour cela il faut rechercher en faveur de qui et de quoi ont été faites ces fondations que vous revendiquez aujourd'hui. C'est ce que je vais essayer de faire.

Quoique la porte soit enfoncée et ouverte, je vais me permettre de redire encore une fois à la Chambre, après l'honorable M. Tesch, ce que c'était que l'ancienne université de Louvain. Cela est très important à constater, et je n'aurai pas recours à une autorité politique, je n'irai pas citer des opinions émises pour les besoins de la cause, je prends un livre publié il y a 100 ans et dont l'auteur était plutôt des vôtres que des nôtres, un homme dont l'autorité ne sera récusée par personne. Je vais rappeler ce que disait de l'université de Louvain M. de Nény, président du conseil privé des Pays-Bas sous Marie-Thérèse.

Nous allons voir si, après cela, vous pourrez encore revendiquer quoi que ce soit pour l'université de Louvain :

« L'université de Louvain fut fondée en 1426 par Jean IV, duc de Brabant ; elle fut dès le moment de son érection sous le gouvernement d'un recteur, à qui l'on transféra le droit d'exercer sur les suppôts, soit ecclésiastiques ou laïques, toute la juridiction ordinaire et contentieuse qui appartenait auparavant, dans Louvain, au magistrat ou au chapitre de saint Pierre dans la même ville.

« Le saint-siège et nos souverains lui ont accordé de très beaux privilèges ; le plus considérable est celui en vertu duquel le corps de l'université et la faculté des arts en particulier sont en droit de nommer à un très grand nombre de bénéfices de patronage ecclésiastique, soit simple ou à charge d'âmes, non seulement dans toute l'étendue des Pays-Bas, mais aussi au pays de Liège, où néanmoins le droit de (page 840) nomination n'a lieu que pour les bénéfices qui sont privativement de la collation du saint-siège.

« Il y a dans cette université un très grand nombre de riches et belles fondations établies par des particuliers et destinées à l'entretien des écoliers. La subsistance que donnent ces fondations s'appelle une bourse. Sa Majesté y a aussi un collège, fondé en 1579 par le roi Philippe II, pour des étudiants en théologie destinés à la cure d'âmes : son revenu fut composé de pensions sur des abbayes ; mais quelques-unes de ces maisons étant passées sous la domination de la France, les fonds qui restent au collège ne suffisent plus que pour l'entretien de cinq écoliers.

« Cette université, favorisée de tant d'avantages et dirigée par les lois d'une discipline sévère, parvint en peu de temps au plus haut degré de considération que puissent donner les sciences.

« Cependant comme les meilleurs établissements sont sujets à perdre de leur solidité, dès qu'on se relâche sur la discipline, l'université de Louvain éprouva cette vicissitude pendant les troubles des Pays-Bas ; mais les archiducs Albert et Isabelle, souverains de ces provinces, eurent à peine conclu la trêve avec les Provinces-Unies, que dans la vue de réformer les abus qui s'étaient glissés dans l'université, ils en firent faire la visite par des commissaires, et ce fut sur les notions résultantes de cette visite qu'ils firent émaner, le 18 avril 1617, un règlement célèbre qui fait aujourd'hui la loi de l'université, tant sur la juridiction que sur les devoirs des professeurs, les grades académiques, la conduite et la discipline des écoliers. Ils nommèrent en même temps un commissaire chargé de veiller à l'exécution du règlement.

« Le 15 février 1754 il fut émané sur la proposition du commissaire royal un règlement de S. M. qui détermine sur un pied nouveau le temps d'habitation qui est requis dans l'université à l'effet d'être admis aux grades académiques, les exercices et les épreuves qui doivent précéder cette admission et le tarif des droits à payer. On supprima aussi par ce règlement différentes parties de dépenses superflues, partie introduite par le luxe des écoliers, et autorisées en partie par l'avidité de quelques-uns des professeurs.

« L'université a une bibliothèque nombreuse, rassemblée dans un édifice magnifique, construit pour cet effet en 1724. Le gouvernement lui a assuré en 1759 une augmentation considérable de fonds, moyennant une taxe modique imposée sur tous les grades académiques.

« Il est statué par différentes ordonnances et édits, nommément par ceux de 1695 et de 1731, et établi d'ailleurs par un usage constant, que personne ne peut être reçu aux dignités, offices ou bénéfices ecclésiastiques ou civils, requérant le degré de licencié, non plus qu'à la profession d'avocat, à moins que d'avoir pris ce degré dans l'université de Louvain.

« Il est réglé aussi par différentes ordonnances, que personne ne peut exercer l'art de la médecine dans le Pays-Bas, à moins que d'avoir pris cette qualité dans l'université de Louvain.

« La faculté des arts de Louvain a depuis longtemps le droit privatif de donner seule des cours publics de philosophie dans toute l'étendue des Pays-Bas ; mais il n'y avait en vigueur aucune loi portant défense de faire des cours de philosophie dans les pays étrangers, lorsqu’en 1755 le gouvernement jugea à propos d'en faire émaner une nouvelle sur cet objet.

« Outre le préjudice que souffrait l'université de Louvain par l'inexécution des anciennes lois, nommément de l'édit du 4 mars 1569, il en résultait une exportation inutile d'argent, et l'expérience prouvait d'ailleurs que ce séjour des jeunes gens dans les universités étrangères faisait naître souvent dans leur esprit des impressions aussi contraires au service de Sa Majesté qu'au bien commun du pays.

« Ces motifs donnèrent lieu à l'émanation de l'édit du 22 décembre 1755, portant défense sous de grosses peines à tous sujets de Sa Majesté, de quelque état ou condition qu'ils soient, d'aller faire des cours de philosophie ailleurs que dans l'université de Louvain, ou dans d'autres universités soumises à son obéissance, sans une permission spéciale et par écrit du gouvernement. »

Voilà ce que c'était que l'université de Louvain. (Interruption.) Le gouvernement, comme me le fait observer l'honorable M. Devaux, avait aussi le droit de nommer une partie du corps professoral, la nomination de l'autre partie étant réservée au magistrat et au conseil académique.

L'université de Louvain était donc une université de l'Etat, une université régie par l'Etat, payée par les contribuables, surveillée par l'autorité civile, ayant seule le droit de conférer des diplômes ; et il était défendu, sous de fortes peines, d'aller étudier ailleurs, d'aller chercher ailleurs la lumière qu'on recueillait dans son sein.

Je vous demande ce qu'il y a de commun entre cette université et l'université actuelle. Et vous êtes vraiment bien bons de nous faire cette concession, car il vous serait assez difficile de trouver un point quelconque de ressemblance entre l'ancienne université et l’université de Louvain actuelle, que je pourrais tout aussi bien appeler l'université de Malines, qui est un établissement tout à fait indépendant, existant en vertu du principe constitutionnel de la liberté de l'enseignement.

Est-ce que, par hasard, pour conserver les bourses, vous accepteriez pour l'université actuelle le rétablissement de l'ancien régime, le rétablissement de la surveillance, du contrôle de l'autorité civile et l’intervention de l'Etat, qui était la condition sine qua non de l'existence de l'ancienne université ? Evidemment non, et si quelqu'un venait proposer de rétablir quelque chose de cet ancien contrôle, nous entendrions sur les bancs de la droite crier à la violation de la Constitution ; et une fois, par hasard, on aurait raison (interruption) ; je dirai même pour la première fois et pour cette seule fois.

Or, je le demande, peut-on soutenir que les fondations faites en faveur de l'ancienne université de Louvain sont applicables en quoi que ce soit à la nouvelle université ?

L'honorable comte de Liedekerke, dont le discours est un véritable anachronisme dans une assemblée parlementaire du XIXème siècle, et la plus audacieuse affirmation du droit divin dans la société moderne, l'honorable comte de Liedekerke, qui nie toutes les libertés humaines, toutes les libertés sociales, qui ne connaît d'autres droits que ceux qui dérivent de la tradition et de l'hérédité, et qui, s'il est logique, doit trouver que le Code civil est une œuvre révolutionnaire ; l'honorable comte de Liedekerke, à la question que je posais tout à l'heure, à propos du droit des collateurs de ne disposer des bourses qu'en faveur de l'université de Louvain, répond : « Consultez les titres, consultez le texte des anciennes fondations. »

Eh bien, je n'ai pas besoin de lire ces titres, de consulter ces textes ; je les accepte et je dis que c'est vous qui les dénaturez. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Il faudrait au moins les lire pour prouver ce que vous avancez.

M. Hymans. - Je vais vous le prouver.

Il est évident que celui qui a fondé, il y a trois siècles, en faveur d'un établissement unique dans les Pays-Bas, établissement privilégié, pouvant seul conférer des diplômes, pouvant seul donner à la jeunesse l'entrée des carrières libérales, il est évident que celui-là n'a pas fondé en faveur d'un établissement libre sans droit, sans privilège et sans contrôle.

Eh bien, de deux choses l'une : ou bien les fondations sont inhérentes à l'ancienne université de Louvain, font corps avec elle, selon l'expression juste de M. l'avocat général Faider dans un mémoire couronné par l'Académie, et alors l'université de Louvain n'existant plus, les fondations n'existent pas davantage, les fondations sont éteintes, ou bien les fondations sont affectées à l'enseignement national, et alors elles appartiennent à toutes les universités belges... (Interruption). Y compris l'université catholique, je ne le conteste pas.

Que résulte-t-il de cette thèse ?

Il en résulte que c'est dans l'intérêt de l'enseignement national que c'est en vue de la volonté des fondateurs que nous agissons, comme le dit parfaitement le chancelier Nény, dans un passage cité l'autre jour par mon honorable ami M. Orts, nom ne nous éloignons des termes des fondations que pour en perpétuer les effets, sans cela ils viendraient à disparaître, elles seraient éteintes, elles n'existeraient plus.

Je me place en plein dans la thèse de l'honorable M. de Liedekerke, j'admets que les fondations sont éternelles, j'admets la fiction de ce vieux spectre de trois siècles qui plane sur la société moderne et qui vient nous imposer des lois ; mais en admettant la perpétuité d'une fondation affectée à un objet déterminé, il faut bien admettre que la fondation s'éteint avec l'objet auquel elle est affectée. Je cite un exemple : Je suppose qu'une personne il y a trois siècles ait fondé des bourses pour étudier l'alchimie et l'astrologie, que ferez-vous de ces fondations ?

D'après la théorie de M. de Liedekerke.il faudra qu'on enseigne éternellement l'alchimie et l’astrologie. Si quelqu'un avait fait une fondation d'esclaves... Cela fait sourire, cela paraît absurde ; si vous connaissiez l'histoire, M. Kervyn, vous ne trouveriez pas cela absurde le moins du monde ; cela est si peu absurde que cela s'est fait. (Interruption.) Si vous voulez ouvrir le Dictionnaire philosophique de Voltaire, vous le verrez. (Interruption.)

Ah ! vous contestez Voltaire ; ce nom vous blesse ;vous oubliez qu'il est en partie le père de la société moderne, et vous cependant, M. Kervyn, vous n'êtes pas un fils des croisés.

II y a moins d'un demi-siècle, il était permis à certains ordres religieux aux bénédictins, aux bernardins, aux chartreux d'avoir ce qu'on appelait des mainmortables des esclaves.

M. B. Dumortier. - C'est une erreur.

M. Hymans. - Je vous cite mon autorité ; l'autorité de Voltaire, je crois, vaut bien la vôtre et celle de Rambler. (Interruption.)

(page 841) Je suppose donc qu'il soit venu à l'esprit de quelqu'un, il y a des siècles, de créer des fondations pour l'enseignement de l'alchimie et de l'astrologie.

M. Coomans. - Où l'a-t-on fait ?

M. Hymans. - Je ne sais pas si l'on en a créé en Belgique, mais je sais qu'on en a institué en Angleterre. Qu'a-t-on fait ?

En Angleterre les bourses instituées pour l'alchimie ont été consacrées à l'enseignement de la chimie.

M. B. Dumortier. - On a bien fait. C'est la même chose.

M. Hymans. - Celles que l'on avait instituées pour l'étude de l'astrologie ont été consacrées à l'étude de l'astronomie.

M. B. Dumortier. - C'est encore la même chose.

M. Hymans. - Alors nous sommes d'accord. C'est précisément en mettant les principes des fondateurs en harmonie avec les idées modernes, comme nous voulons le faire, qu'on parviendra à perpétuer des fondations qui, sans cela, n'existeraient plus.

Il n'y a moyen, je le répète, de perpétuer les fondations comme vous le voulez, qu'en les mettant en harmonie avec les idées modernes.

Ainsi le bourgeois du XVème siècle fondait des bourses au profit de l'enseignement universitaire qui était à cette époque incarné dans l'université de Louvain. Je crois très loyalement qu'on ne dénature pas la volonté de ces testateurs en affectant leurs fondations à l'enseignement national.

Et si l'on n'agissait pas de la sorte, les fondations disparaîtraient et nous mériterions peut-être alors toutes les injures dont nous sommes aujourd'hui injustement accablés.

Sur ce point donc il me paraît que de bonne foi il n'y a pas de discussion possible et nous pouvons dormir en paix sans que l'ombre des bourgeois du XVème siècle en soit émue, et si ces bourgeois pouvaient ressusciter, je suis persuadé qu'ils seraient avec nous et qu'ils vous considéreraient vous autres comme des espèces de curiosités, comme d'honnêtes aveugles qui ont vécu pendant 400 ans sans voir ce qui se passait autour d'eux.

Je suis très convaincu que ces ombres vénérables se mettraient à rire si quelqu'un venait leur soutenir sérieusement que le fait d'avoir inscrit dans un acte de 1430 que l'institué fera ses études à l'université catholique de Louvain permet aux collateurs de 1863 d'imposer la fréquentation de l'université actuelle qui n'a rien de commun avec l'ancienne, à moins que l'on ne croie à la doctrine de Pythagore et qu'on ne défende les principes de la métempsycose.

Messieurs, après avoir montré comme quoi nous sommes des spoliateurs, permettez-moi de rechercher comme quoi nous sommes des adversaires de la liberté communale.

J'ai beau chercher, je ne vois pas ce qui dans la loi, d'une façon quelconque, porte atteinte à l'autonomie de la commune ni aux droits que la Constitution lui reconnaît.

Les orateurs de la droite qui défendent ici le principe communal contre les empiétements de la centralisation combattent des moulins à vent, ou bien encore une fois, ils sont de 500 ans en arrière. Ils parlent d'Artevelde par exemple comme si la commune de 1830 avait quelque chose de comparable, quelque chose d'analogue avec la commune d'autrefois.

On fait, entre la commune d'aujourd'hui et la commune d'autrefois, exactement la même confusion intéressée qu'entre l'université de Louvain ancienne et l’université actuelle.

Certes, personne ne rend plus que moi hommage au principe de la commune. Je reconnais volontiers, et je crois que personne ici ne le conteste, que la commune a été l'école politique des citoyens.

Mais je croirais être ingrat envers la société moderne si je n'ajoutais en même temps que je rends hommage à la centralisation, qui est la base de la nationalité et l'école du patriotisme.

On le, conteste de l'autre côté de cette Chambre. On prétend que les idées de centralisation sont françaises, exotiques, que les libertés belges ont préexisté à la révolution de 1789. C'est un thème sur lequel l'honorable Van Overloop se livre volontiers à d'éloquentes variations. Je connais cette thèse depuis longtemps. Elle a une apparence de fondement ; au fond elle n'est pas sérieuse, et j'ai eu l'occasion de la combattre lois de la discussion du budget de la justice. Je crois avoir démontré alors, et sans peine, que les libertés modernes sont toutes nouvelles en Belgique, que les libertés modernes, telles qu elles sont comprises aujourd'hui, sont le fruit de la révolution française, et que ce n'est que malgré l'opposition du parti que nous combattons, qu'elles ont été introduites chez nous.

M. Coomans. - Du tout.

M. Van Overloop. - Je demande la parole.

M. Hymans. - L'honorable M. Coomans dit : Du tout. Eh bien, je vais avoir l'honneur de lui prouver à l'instant même qu'il a dit que c'était parfaitement son avis.

L'honorable M. Nothomb, l'autre jour, citait M. Royer-Collard contre la centralisation. Je vais, puisque l'honorable M. Coomans m'interrompt, citer M. Coomans en faveur de la centralisation ; et je prie la Chambre de bien écouter, car c'est très intéressant :

« La centralisation des pouvoirs, le remplacement du régime du privilège par le droit commun, en un mot, l'abolition du principe communal (qui de nous oserait parler de la sorte ?), ont contribué beaucoup plus que la diffusion des lumières à populariser les idées de fraternité universelle. Ce qui sépare les hommes, ce qui les irrite, c'est la divergence des intérêts positifs, laquelle amène bientôt les luttes d'amour-propre et de jalousie internationale. »

M. Coomans. - C'est évident.

M. Hymans. - C'est évident ?Nous allons voir si le reste est encore aussi évident : « Le régime communal était la barrière la plus puissante qu'on pût opposer aux progrès intellectuels et physiques des peuples. Il retint les esprits dans un cercle étroit de traditions et d'idées reçues, il rendit impossibles, ou du moins très difficiles, les améliorations matérielles. Ajoutons que les communications étant en général rendues onéreuses, le commerce dut en souffrir autant que la diffusion des lumières. »

M. Coomans. - Mais c'est évident.

M. Hymans. - Nous reviendrons tout à l'heure à la distinction, je la connais aussi bien que vous. J'achève la citation : « Les communes furent cause, n'en doutons pas, que la société n'éprouva que des changements insensibles depuis le XVIème siècle jusqu'au milieu du XVIIIème. »

Si l'on me pardonne une comparaison un peu hardie, qui rend bien ma pensée, je dirai que les institutions communales jouèrent à l'égard de l'ancienne Belgique le rôle de l'esprit-de-vin dans les cabinets d'anatomie, où il empêche de se dissoudre les corps qu'il enveloppe.

Voilà cependant la thèse de l'honorable M. Coomans, d'un écrivain belge, sur l'antique esprit des communes.

M. Coomans. - Pas la liberté des communes ; la souveraineté des communes. C'est tout autre chose.

M. Hymans. - C'est encore une fois la souveraineté communale que vous venez défendre aujourd'hui contre la souveraineté nationale.

M. B. Dumortier. - Du tout ! du tout !

M. Hymans. - Je crois que la centralisation, après la citation que je viens de faire, est suffisamment vengée.

.le sais bien qu'aujourd'hui il ne serait pas possible de faire revivre l'ancien esprit communal critiqué par l'honorable M. Coomans. Je sais aussi bien que lui que la commune d'autrefois n'est pas la commune d'aujourd'hui. Pourquoi ? Parce qu'en vertu de la Charte de 1830, tous les pouvoirs émanent de la nation. Or, la nation, c'est le corps électoral, c'est nous, que le corps électoral a nommés, c'est la loi que nous faisons. Et comme l'a dit, avec beaucoup de raison, l'honorable M. Dumortier, onze ans avant l'honorable M. Bara qui a été excommunié pour l'avoir répéter, la commune ne peut rien que par la loi. C'est l'honorable M. Dumortier qui l'a dit dans cette Chambre.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. Hymans. - Et puisqu'il le nie, je lui passerai le volume où se trouvent ses paroles.

M. Coomans. - Mais l'Etat ne peut rien que par la loi.

M. Hymans. - L'Etat, c'est nous ; l'Etat, c'est la souveraineté nationale.

M. B. Dumortier. - L’Etat, c'est le peuple belge et la royauté.

M. Hymans. - C'est la souveraineté nationale qui fait la loi et la commune aujourd'hui, fort heureusement, pour empêcher le retour des abus signalés avec beaucoup de raison par l'honorable M. Coomans dans l'ancien régime. La commune ne peut plus rien aujourd'hui que de par la loi et la souveraineté nationale, et l'honorable M. Dumortier, qui, je le répète, a excommunié l'honorable M. Bara pour l'avoir écrit, l'avait proclamé avant lui dans la discussion de la loi sur l'instruction primaire.

M. B. Dumortier. - M. le présideut, qu'on ne me fasse pas dire des choses que je n'ai pas dites. On dit que j'ai excommunié M. Bara ; je n'ai pas encore parlé.

M. le président. - N interrompez pas ; vous pourrez répondre.

M. Hymans. - Vous avez affirmé ce principe lors de la discussion de la loi sur l'instruction primaire, dans la séance du 8 août 1842, et pourquoi ? Par une raison bien simple ; c'est que vous vouliez empêcher, à cette époque, que les communes, s'affranchissant de l'Etat, pussent se passer de l'instruction religieuse dans leurs établissements. Vous aviez alors intérêt à soutenir la thèse que vous avez aujourd'hui intérêt à combattre.

M. B. Dumortier. - Je défends les questions, non par intérêt, mais par le droit.

(page 842) M. Hymans. - Vous avez dit que les communes ne peuvent rien que par la loi. C'est ce qu'a dit l'honorable M. Bara, et on l'a comparé à Robespierre pour l'avoir dit.

- Un membre. - Lisez le passage.

M. Hymans. - Tout à l'heure.

M. B. Dumortier. - Ah ! ah ! Lisez.

M. Hymans. - Que voulez-vous que je dise de plus ? Je lirai le passage, puisqu'on y tient. Mais avant de le lire, je dois mettre la Chambre au courant d'une opinion plus importante encore que celle de l'honorable M. Dumortier, et il ne perdra rien pour attendre.

Je dis que nous n'avons pas besoin d'affirmer notre respect pour la commune. Nous la respectons tout autant que l'honorable M. Dumortier, quoi qu'il ait fait le rapport sur la loi communale.

Que faisons-nous ?Nous instituons la commune personne civile pour recevoir des libéralités faites à l'enseignement primaire et à l'enseignement moyen. Mais nous ne lui reconnaissons pas cette capacité pour l'enseignement supérieur. Voilà notre crime aux yeux de la droite et aux yeux de quelques-uns de nos amis.

Eh bien, nous pourrions faire aux uns et aux autres une réponse très simple : c'est qu'il n'y a pas d'enseignement supérieur communal.

A cela on peut répondre, comme l'a fait, je crois, l'honorable M. Van Humbeeck : Il peut y en avoir un ; à cela nous répliquons ; Oui, il peut y en avoir un, mais à la condition qu'il soit réglé par la loi, attendu que l'enseignement supérieur est essentiellement d'intérêt général. Contestez-vous cela ? (Interruption). Oui ? Je ne comprends véritablement pas comment.

Ceux qui nient que l'enseignement supérieur est d'intérêt général et doit, par conséquent, être réglé par la loi, voudront bien admettre que si la commune a le droit de régler à sa guise l'enseignement supérieur comme le ferait un particulier ; que si la commune a ce droit pour l'enseignement supérieur, elle le possède, à plus forte raison, pour l'enseigne ment primaire.

Ils doivent nier que l'enseignement primaire soit d'intérêt général ; or, l'enseignement primaire est si bien d'intérêt général, que la commune, d'après l'honorable M. Dumortier lui-même, n'a pas le droit de l'organiser en dehors de la loi. En ceci j'adhère de tous points à la doctrine de M. Bara, que je considère comme la seule vraie.

Je crois, messieurs, n'avoir pas une autorité suffisante pour défendre cette doctrine ex professo dans cette enceinte. D'ailleurs, l'honorable M. Bara l'a déjà défendue avec un talent auquel la Chambre tout entière a rendu hommage. Je suis persuadé que d'autres après lui le feront encore et prouveront, d'une manière péremptoire, que cette théorie est la seule constitutionnelle. Du reste, j'ai déjà pour moi l'honorable M. Dumortier. (Interruption.) Il nie sa citation, je ne l'en ai pas moins, imprimée, sous les yeux.

Mais cela ne me suffit pas, je tiens à mettre sous les yeux de la Chambre une autorité plus éclatante encore ; un homme d'Etat distingué dont la parole est toujours écoutée et dont les écrits sont lus avec respect dans toute la Belgique, m'a remis à ce sujet une note extrêmement remarquable dont je demande la permission de donner lecture, et qui, je l'espère, portera dans vos esprits une conviction complète.

« Quelqu'un, dit cet homme d'Etat, quelqu'un oserait-il soutenir que la question d'instruction primaire n'est pas une question d'intérêt général ? »

M. Coomans. - Non.

M. Hymans. - Je prends acte de votre dénégation et je continue.

« En vertu de l'art.icle108 de la Constitution, il est décidé que la loi peut régler tout ce qui est relatif à l'enseignement primaire dans les communes et que les communes, sous ce rapport, se trouvent sous la tutelle du gouvernement central. S'il en était autrement, il s'ensuivrait que toute loi sur l'instruction primaire serait impossible. En effet, s'il était vrai que la commune est libre au même titre qu'un particulier, pour établir, surveiller et diriger son école, il s'ensuivrait que l'on ne pourrait pas même dans la loi établir l'obligation pour la commune d'avoir une école primaire quelconque. Vous devriez aller plus loin, vous ne pourriez, dans la loi, prescrire les matières d'enseignement, ni le mode de surveillance ; en un mot vous devriez vous conduire à l'égard de la commune comme à l'égard des particuliers, vous devriez vous taire et la loi serait irréalisable.

« Mais il est clair que le Congrès national n'a pas voulu créer pour la commune une position supérieure à celle qu'il a voulu faire à l'Etat lui-même. On voudrait émanciper la commune quand on assujettit l'Etat On aurait à l'égard de la commune, moins de défiance qu'à l'égard du gouvernement, dans une matière où les lumières sont aussi indispensables !

« Il y a entre l'individu et la commune une différence radicale. L'individu peut faire tout ce que la loi ne le lui défend pas, tandis que la commune ne peut faire que ce que la loi lui permet de faire. Dans cette distinction, et elle est radicale, vous trouvez que vous ne pouvez, pour l'instruction primaire, assimiler la commune au particulier. La liberté d'enseignement, c'est le droit de la famille ; c'est la liberté des individus. Mais vous ne pouvez faire de la commune cet Etat au petit pied, qui puisse prendre à l'égard d'une question sociale de la plus haute importance des mesures qui sont interdites au gouvernement..

« Ainsi je n'aurais pas l’article 17 de la Constitution que l'article 108 me suffirait pour soutenir que la commune ne peut se débarrasser de la haute tutelle du gouvernement. Elle ne peut s'occuper des intérêts sociaux sans que le gouvernement vienne surveiller son action,.»

Voilà, sous une autre forme, la théorie de l'honorable M. Bara. Voilà, messieurs, la vraie doctrine ; c'est à peu près textuellement l'opinion que l'honorable rapporteur de la section centrale a soutenue, avec cette différence, qu'elle est beaucoup plus radicale.

J'avais donc raison de dire que cette opinion ferait impression sur la Chambre et je. suis convaincu que l'impression sera beaucoup plus vive encore quand je dirai que l'auteur de la note dont j'ai donné lecture est l'honorable M. Dechamps. (Interruption.) Je l'ai extraite textuellement du discours prononcé par M. Dechamps, le 28 avril 1842, à propos de la loi sur l'instruction primaire.

A cette époque la droite soutenait exactement la théorie que l'honorable M. Bara est si coupable d'avoir apportée aujourd'hui dans cette enceinte.

Douze ans à peine après la révolution et alors que l'esprit de la Constitution planait peut-être plus qu'aujourd'hui sur les délibérations parlementaires, les hommes les plus pénétrés de cet esprit, donnaient cette interprétation et les auteurs mêmes de la Constitution les appuyaient dans leur thèse.

Je vais faire connaître l'opinion de l'honorable M. Nothomb, auteur de la loi de 1842, et vous verrez qu'elle est encore plus radicale que celle que je viens de citer.

Dans la même séance du 2 août 1842, M. Nothomb parle après M. Dechamps :

« Je crois, dit-il, avec l'honorable rapporteur, qu'il est impossible d'admettre que la commune puisse être placée sur la même ligne que les citoyens, je ne dirai pas les autres citoyens, comme l'a dit improprement l'honorable M. Savart ; la commune n'est pas pour moi un citoyen, la commune n'est pas une individualité réelle, la commune est une personne civile, reconnue par la loi, c'est une personne civile qui est placée sous la surveillance d'autorités supérieures, soit du conseil provincial, soit de la députation permanente, soit du gouvernement central lui-même. Cette personne civile, appelée commune, exercera les droits qui tiennent à l'enseignement, comme toutes ses autres attributions, c'est-à-dire sous la tutelle d'une autorité supérieure.

« Il n'y a donc ici rien de changé dans la position de la commune. La commune n'a pas plus le droit de demander pour l'enseignement une existence absolue comme celle de l'individu, qu'elle l'aurait pour l'exercice de toute autre attribution, le droit de propriété, par exemple ; la commune n'exerce pas même le droit de propriété d'une manière absolue ; elle est sous ce rapport, soumise à une tutelle supérieure. Il est donc impossible d'assimiler la commune à un individu proprement dit, au citoyen proprement dit. Je ne dirai pas que le bon sens seul, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Dechamps, s'y oppose, mais que les stricts principes du droit s'y opposent.

« Ceci est tellement vrai, que les grands établissements qui se sont formés dans le pays pour l'enseignement supérieur, en vertu de la liberté d'enseignement ; que ces établissements, dis-je, n'exercent ce droit constitutionnel que comme une réunion d'individus juxtaposés ; ils ne les exercent pas comme personnes civiles, et pour les exercer ainsi, il aurait fallu une autorisation de la législature. »

Voilà, messieurs ; toute la thèse de l'honorable M. Bara, qui a été produite dans cette Chambre par M. Nothomb ; et maintenant que la Chambre connaît l'état de la question ; je vais, à la demande de l'honorable M. Dumortier, donner lecture aussi du passage de son discours auquel j'ai fait allusion.

Voici ce qu'il dit dans la même séance du 8 août :

« Les communes ne peuvent rien que par la loi. Dès lors vous pouvez régler les dispositions relatives à l'instruction dans les communes, et vous le pouvez, quant aux garanties religieuses, comme pour le reste ; sans cela vous ne pourriez faire de loi sur l’instruction primaire. Et certes, messieurs, il n'est pas possible de prétendre que nous ne pouvons pas régler les dispositions de la loi d'instruction publique pour les communes, alors que depuis dix ans dans chaque discours du trône, dans chaque adresse en réponse à ces discours, nous parlons de la nécessité de (page 843) faire une loi d'instruction primaire. »

Et plus loin :

« Il est manifeste que nous pouvons et que nous devons réglementer ce qui est d'instruction publique dans la commune. »

M. B. Dumortier. - Il s'agissait de l'article 17 de la Constitution.

M. Hymans. - Sans doute ; l'article 17 de la Constitution dit que l'enseignement donné aux frais de l'Etat est réglé par la loi. Eh bien, je prétends, d'accord avec MM. Nothomb et Dechamps et avec tous ceux qui se sont inspirés de l'esprit de la Constitution, que l'enseignement, donné aux frais de l'Etat, est l'enseignement donné aux frais des pouvoirs publics, et qu'il ne peut exister qu'en vertu de la loi. (Interruption.)

C'était, M. Dumortier, votre opinion en 1842, ce n'est plus votre opinion aujourd'hui. (Nouvelle interruption.)

Si c'est encore votre opinion aujourd'hui, alors il vous est impossible de soutenir que la commune a capacité pour recevoir des libéralités en faveur de l'enseignement supérieur qui n'est pas réglé par la loi.

- A droite. - Cela est évident.

M. Hymans. - Si cela est évident, tâchez donc de concilier l'évidence de vtire opinion de 1842 avec l'évidence de votre opinion de 1863.

En 1842, vous aviez des raisons pour soutenir cette thèse : vous ne vouliez pas que les communes pussent ne pas faire donner l'enseignement religieux dans leurs écoles. Aujourd'hui, vous soutenez la thèse contraire, parce que vous avez un autre intérêt : vous voulez que les communes puissent être aptes à recevoir des libéralités pour l'enseignement supérieur, par exemple, pour l'université de Louvain.

M. B. Dumortier. - Adressez-vous à l'honorable M. Van Humbeeck.

M. Hymans. - Oh ! je m'adresserai à l'honorable M. Van Humbeeck ; soyez tranquille, mon discours n'est pas fini.

Mais en attendant, je suis en droit de demander, toute question de doctrine à part, toute liberté d'appréciation laissée à chacun : Que signifient, après toutes les citations que je viens de faire, les anathèmes qu'on a lancés contre l'honorable M. Bara, à propos des principe qui étaient ceux de la droite en 1842 ?

Maintenant je m'adresse à l'honorable M. Van Humbeeck et je lui dis : A peine l'honorable M. Dechamps avait-il fini de développer sa thèse dans la séance du 8 août 1842 ; à peine s'était-il rassis, qu'un orateur libéral, se levant ensuite, s'écria, avec cette énergie tant de fois admirée dans cette Chambre : « Je prends acte de la déclaration faite par l'honorable rapporteur de la section centrale, à savoir : qu'il s'agit dans l'espèce d'une question d'intérêt général et qu'à l'égard de l'enseignement primaire les communes doivent être placées sous la tutelle de l'Etat. »

L'orateur qui soutenait ici encore les mêmes principes que l'honorable M. Bara était l'honorable M. Verhaegen. Et, je le répète, cette doctrine est la vraie, il n'y en a pas d'autre ; si elle n'était pas la vraie doctrine, la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire, et celle du 1er juin 1850 sur l'enseignement moyen, seraient toutes les deux inconstitutionnelles.

En effet, la loi du 25 septembre 1842 ne régit pas seulement les écoles entretenues ou subsidiées par le gouvernement central ; elle étend même son empire sur les écoles qui ne reçoivent aucun subside du gouvernement ; sur celles qui ont un caractère provincial, et même sur les écoles adoptées.

Le même principe existe dans la loi du 1er juin 1850, puisque, ainsi que l'a déjà dit l'honorable rapporteur de la section centrale, les établissement exclusivement communaux d'instruction moyenne sont soumis à certaines conditions légales : les articles 30, 31 et 32 de la loi de 1850 sont formels sur ce point.

L'honorable M. Verhaegen, que je citais tout à l'heure à propos de l'enseignement primaire, était exactement pour l'enseignement moyen du même avis que pour l'enseignement primaire ; en matière d'enseignement moyen, il a défendu, dans cette Chambre, les prérogatives de l'Etat contre les prétendues prérogatives de la commune, comme il avait défendu les prérogatives de l'Etat à propos de l'enseignement primaire ; et lorsque, le 14 février 1854, il vint, dans cette Chambre, attaquer la convention d'Anvers avec cette conviction puissante, qui était le plus beau caractère de son talent, il s'exprima dans ces termes, et j'engage mes honorables amis de l'extrême gauche à bien peser ses paroles et à se demander si après cela ils doivent persister dans leur thèse. Voici donc ce que disait l'honorable M. Verhaegen : « Le gouvernement y a-t-il bien réfléchi, lorsqu'il abandonne des matières si importantes à l'initiative des conseils communaux ? Ne sait-il pas qu'en agissant ainsi il abdique la plus précieuse de ses prérogatives au profit des communes ? Ne s'aperçoit-il pas enfin qu'en abandonnant à elles-mêmes les communes dont naguère il a encouragé la résistance aux empiétements du clergé, il les expose à toutes les conséquences de l'interdit dont leurs établissements seront l'objet, s'ils n'obéissent pas aveuglément à l'épiscopat ? »

Voilà quelle était l'opinion de l'honorable M. Verhaegen.

M. Coomans. - Et le legs ?

M. Hymans. - J'y viendrai. Je ne puis pas tout dire à la fois. Je serai beaucoup moins long que vos honorables amis, et je tâcherai d'en dire davantage.

Vous le voyez, messieurs, sur ce point, savoir que l'enseignement à tous les degrés est d'intérêt général, nous sommes d'accord avec les hommes les plus éminents des deux partis ; en d'autres termes, l'enseignement donné aux frais des pouvoirs publics doit être réglé par la loi ; et comme conséquence, là où il n'y a pas d'enseignement supérieur réglé par la loi, l'Etat seul est capable de recevoir des libéralités pour l'enseignement supérieur.

Et, en effet, si l'Etat ne recevait pas les libéralités, qui donc les recevrait ? Sont-ce les établissements privés ? Non ; ils n'ont pas la personnification civile, ils n'ont pas capacité pour recevoir. Sont-ce les communes ? Non, encore une fois non, car elles ne peuvent pas utiliser les libéralités qu'elles recevraient.

Je suppose un instant par impossible que la commune de Louvain puisse recevoir des libéralités pour l'université catholique, comme évidemment on le désire de l'autre côté de la Chambre ; je suppose encore par impossible, car l'hypothèse est absurde, que l'université catholique puisse devenir un établissement communal, en dehors de l'action de la loi, je demanderai à l'honorable M. Landeloos, député de Louvain, si les évêques fondateurs de l'université catholique accepteraient le contrôle de l'autorité communale libérale de Louvain ; je lui demanderai s'ils consentiraient à placer M. de Luesemans dans le sein du conseil d'administration de l'université catholique.

Je ne le pense pas.

Je suppose maintenant que la ville de Bruxelles puisse recevoir pour l'université libre et que celle-ci devienne comme on le veut, comme on doit l'accepter par une conséquence nécessaire et fatale, un établissement communal, en dehors de l'action de l'Etat. Qu'est-ce qui en résultera ? Il en résultera ceci ; je formule ma pensée en deux mots, pour la rendre plus saisissante ; il arrivera que sous prétexte de liberté communale vous aurez tué la liberté de la science, et que vous marcherez droit à l’encontre de la volonté du testateur.

En effet, j'ai relu tous les discours qui ont été prononcés par M. Verhaegen dans les solennités académiques qui ont eu lieu à l'université de Bruxelles depuis 1834, époque de la fondation de cet établissement, jusqu'en 1859, époque où l'on a célébré le 25ème anniversaire de cette grande et belle institution ; j'ai trouvé dans tous ces discours l'expression de la même pensée ; j'y ai trouvé l'expression de l'orgueil bien légitime d'avoir créé un établissement bien réellement libre, un établissement indépendant de toute espèce d'autorité publique, que ce fût l'Etat ou que ce fût la commune. Et voici comment s'exprimait l'honorable M. Verhaegen dans cette mémorable séance du mois de novembre 1859, dans laquelle il retraça l'histoire et les conquêtes de l'université de Bruxelles, dont il avait toujours été un des plus fermes soutiens.

« L'université de Bruxelles n'est pas seulement indépendante de l'Eglise et de l'Etat ; elle est encore indépendante de toutes les autorités ou corporations quelconques et, à ce point de vue, elle est une institution unique en Europe. En recourant à l'appui de l'administration municipale et provinciale en provoquant des souscriptions individuelles, nous n'avons pas aliéné notre indépendance. La province et la municipalité ne nous ont posé aucune condition. Tout magistrat intelligent doit comprendre que l'indépendance du professeur est une nécessité de la science et que la science ne peut, à aucun prix, » (pas même pour 100,000 francs) « accepter des conditions.

« L'université a même conservé la plus complète indépendance vis-à-vis de l'opinion libérale à laquelle elle doit son existence ; et, je n'hésite pas à le dire » (j'appelle sur ceci l'attention particulière de mes amis de la gauche ) « elle ne se montrerait pas ingrate si un jour elle se trouvait dans la nécessité de se séparer d'elle sur le terrain politique. »

C'était un appel que M. Verhaegen, comme s'il avait eu le pressentiment de la situation qui devait se produire aujourd'hui, adressait à l'opinion libérale. M. Verhaegen s'est chargé lui-même de protester d'avance contre la doctrine qui s'est fait jour dans cette Chambre et de proclamer qu'il voulait avant tout l'indépendance de l'université de Bruxelles, qui était, pour lui, l'émanation la plus pure de la liberté d'enseignement, et son ombre, qu'on évoque ici, se dresse devant vous pour vous condamner.

Il est évident que si la ville payait les dépenses de l’université de Bruxelles, elle aurait le droit de la contrôler, de la surveiller ; et c'est ce que ne voulait à aucun prix M. Verhaegen, Il était trop (page 844) profond jurisconsulte pour ne pas savoir que telle eût été la conséquence nécessaire, inévitable de l'intervention de la commune, intervention dont il ne voulait pas.

Maintenant je dirai avec l'honorable M. Orts que je serais heureux que l'on pût trouver le moyen de mettre légalement l'université de Bruxelles en possession du legs de M. Verhaegen ; et je suis convaincu qu'on le trouvera.

M. Wasseige. - En famille.

M. Hymans. - En famille, sans doute ! Et pourquoi donc irait-on traiter avec ses ennemis ? Je suis convaincu qu'on trouvera le moyen, moyen honorable, digne, légal, car nous n'en voudrions pas d'autre, de mettre à profit les généreuses intentions du testateur. Mais je n'hésite pas à le dire (et vous allez voir que je suis tout aussi scrupuleux que vous sur cette matière), si les libéraux, après avoir pendant 30 ans lutté dans cette Chambre et dans le pays contre l'idée de donner la personnalité civile à l'université catholique, après avoir, en vue d'un grand intérêt social, revendiqué sans cesse les droits de l'Etat en matière d'instruction publique, si les libéraux, dis-je, avaient autorisé la commune de Bruxelles à accepter le legs de M. Verhaegen pour l'université libre, l'opinion libérale se serait déshonorée. Avec raison alors, on se serait levé sur les bancs de la droite et on eût dit à cette grande opinion ce que disait l'autre jour l'honorable comte de Liedekerke : « Vous n'avez pas de principes, vous n'avez que des intérêts. »

L'honorable M. de Haerne disait l'autre jour que nous contestions les droits de la commune parce que nous craignions que le legs de M. Verhaegen accordé à la ville de Bruxelles, une autre ville ne profite à son tour de semblables avantages pour une autre université.

Mais c'est évident, messieurs. (Interruption.) C’est évident et cela fait notre gloire ; ce que vous croyez être pour nous un sujet de reproche fait au contraire notre éloge ; car vos accusations prouvent précisément que nous n'avons pas deux poids et deux mesures. C'est donc nous rendre justice, et je vous en remercie, car jamais le libéralisme n'aura prouvé d'une manière plus éclatante qu'aujourd'hui, qu'il a des principes, et je suis heureux, pour ma part, qu'à la veille du jour où nous allons paraître devant le corps électoral l'occasion nous soit offerte de prouver au pays que nous sommes restés fidèles à notre drapeau et que nous avons su mettre une question d'honneur au-dessus d'une question d'argent.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Huy

M. Muller présente un rapport sur l'élection de M. Ferdinand de Macar de Potesta, bourgmestre de la commune d'Hermalle, par le collège électoral de Huy. Les opérations électorales ayant été reconnues régulières, la commission conclut à son admission, à la prestation du serment constitutionnel après qu'il aura produit un extrait de son acte de naissance pour justifier qu'il a l'âge requis.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi relatif aux fondations en faveur de l'enseignement public et au profit des boursiers

Discussion générale

M. Van Overloop. - L'honorable M. Hymans a terminé son discours par ces mots : « II est vrai que nous refusons d'autoriser l'acceptation du legs de M. Verhaegen au profit de l'université libre de Bruxelles, parce qu'en réalité, l'université libre de Louvain en profiterait (Interruption) ; parce que, une fois le principe admis pour Bruxelles il devrait être également appliqué à Louvain.

M. Hymans. - Evidemment.

M. Van Overloop. - Voilà donc bien la pensée de l'honorable M. Hymans.

Cette pensée, messieurs, me rappelle un principe admis par le Congrès national, le principe de la liberté en tout et pour tous.

Je me rappelle qu'un jour, au Congrès, une thèse semblable à celle que vient de soutenir l'honorable M Hymans, avait été exposée et que M. de Robaulx s'écria : « Les catholiques ont été sincères envers nous, soyons sincères envers eux ! »

M. Hymans. - Nous le sommes.

M. Van Overloop. - Vous ne l'êtes pas, car de principe, vous n'en avez pas. (Interruption.) Le principe que vous invoquez, c'est tout bonnement la crainte qu'en fin de compte, la ville de Louvain n'ait plus à gagner que la capitale à l'acceptation du legs de M. Verhaegen.

Voilà votre principe ; vous n'en avez pas d'autre

M. Hymans. - Nous ne voulons pas de personne civile.

M. Van Overloop. - Nous pas plus que vous.

M. Hymans a ajouté : «Nous libéraux, nous mettons les questions d'honneur avant les questions d'argent, même quand il s'agit d'un legs de 100 mille francs » ; mais il a eu soin de dire : « Nous nous arrangerons de telle manière que nous aurons également l'argent. »

Messieurs, un fait m'a frappé depuis longtemps : c'est la tactique qui consiste à faire sanctionner par le public, au moyen de mots sonores mais non définis, et au moyen d'allégations vagues, mais dénuées de preuves, des actes qui, s'ils étaient appréciés raisonnablement, ne rencontreraient que désapprobation ; et c'est le succès que cette tactique obtient en général.

A la fin du siècle dernier les mots à la mode étaient liberté, égalité, fraternité ; et tout le monde sait quelles abominations ont été commises grâce à l'invocation de ces mots.

Je me rappelle qu'étant enfant, j'ai appris, au foyer de la famille, ce que l'importation de la liberté par les baïonnettes de Dumouriez, a coûté de larmes et.de sang à mon pays.

Aujourd'hui, les mots à la mode sont : progrès, principes de 89, droits de l'Etat.

- Un membre. - Vous invoquez vous-mêmes des mots et des allégations vagues ; vous parlez de spoliation !

M. Van Overloop. - Du tout ! vous, vous criez aux abus des administrateurs des bourses, et quand nous vous sommons de faire connaître ces abus, vous restez bouche close ; tandis que nous, quand nous crions à la spoliation, nous prouvons qu'il y a spoliation.

Je continue :

Le Progrès, qu'est-ce ? Ce mot implique l'idée d'amélioration. Progresser, c'est marcher vers une amélioration. Mais pour pouvoir apprécier si je marche vers une amélioration, il faut au moins que je connaisse le point où je dois arriver. Comment, si j'ignore ce point, puis-je savoir si je progresse ? Or, ce point, vous ne l'indiquez pas. Progresser ce n'est pas marcher en aveugle, marcher comme l'astrologue de la fable au risque de tomber dans un puits comme lui.

Et les principes de 89 ? Tout le monde en parte, mais personne ne s'est avisé de les faire connaître.

Est-ce qu'on ne confondrait pas les principes de 89 avec ceux qui ont suivi ?

Les principes de 89, est-ce qu'on ne les confondrait pas avec les institutions qui se sont produites après la proclamation de ces principes ?

Comme j'entends toujours parler des principes de 89 et que personne ne les fait connaître, je me suis décidé à en faire l'exposé à la Chambre.

Les voici :

« I. Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

« II. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression.

« III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément. »

Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ! Cela ne veut pas dire que la volonté nationale est la source des droits des citoyens, mais bien que c'est, en principe, de la volonté nationale qu'émanent les pouvoirs chargés de garantir les droits des citoyens.

« IV. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

« V. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas. »

Donc la loi ne peut défendre que ce qui est nuisible ; donc, je puis légalement faire tout ce que bon me semble quand aucune loi ne me le défend.

Nous verrons tout à l'heure, à propos des communes, les conséquences de ce principe.

« VI. La loi est l'expression de la volonté générale... »

J'ajoute : bien entendu, pourvu que cette volonté soit conforme aux règles éternelles de la justice.

« Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège soit qu'elle punisse....»

La loi doit donc être la même pour les conservateurs et pour les libéraux, aux termes des principes de 89. En est-il ainsi ?

« Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toute dignité, place et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que ce le de leurs vertus et de leurs talents. »

Donc, encore une fois, les conservateurs sont admissibles comme les libéraux à tous les emplois. Je demande si ce principe de 89 est resté debout dans l'application ?

(page 845) « VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans le cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de a loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance.

« VIII. la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.

« IX. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

« X. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. »

Ces mots sont bien vagues ! Notre Constitution ne punit que les délits.

« XI. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »

Encore une fois, le mot « abus » est bien élastique. Notre Constitution, qui ne veut pas de système préventif, qui n'admet que le système répressif, exige quelque chose de plus précis que l'abus, c'est le délit.

« XII. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

« XIII. Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. »

Le principe de l'égale répartition des impôts était, comme la plupart des principes de 89, connu en Belgique bien longtemps avant la fin du siècle dernier ; mais il est vrai qu'il n'était pas appliqué aussi généralement. Déjà, sous Charles V, l'égalité de tous, nobles, clercs, roturiers devant l'impôt foncier, avait été proclamée.

A ce sujet, je me rappelle un fait qui est peu connu. Sous Philippe II, trois seigneurs, qui possédaient à eux seuls des terres représentant un quinzième de l'impôt foncier des XVII provinces, supplièrent le souverain de leur accorder une exemption. Leur demande fut accueillie. Or, messieurs, ces trois seigneurs étaient le prince d'Orange, le comte d'Egmont et le comte de Hornes.

Je cite ce fait pour prouver à l'honorable M. Hymans que je connais un peu les institutions de mon pays... (Interruption.)

Mon Dieu ! nous avons laissé parler les membres de la gauche..

M. Allard. - Faites imprimer aux Annales parlementaires tout votre volume.

- Un membre. - S'il s'agissait de l'université de Louvain...

M. Van Overloop. - Vous avez bien permis à un autre orateur de citer de longs extraits de Nény, relatifs à l'université de Louvain.

« XIV. Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de les consentir librement, d'en suivre l'emploi, d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

« XV. La société a le droit de demander compte à tout agent publie de son administration. »

A ce sujet je désirerais bien savoir ce que devient le projet de loi sur la responsabilité ministérielle.

« XVI. Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

« XVII. Toute propriété.... (C'est, messieurs, le dernier article.)

- Voix à gauche . - Ah !

M. Van Overloop. - Les ah ! ne sont pas des arguments. Les ah ! cachent souvent l'incapacité de répondre.

M. Allard et d'autrs» membres. - La question !

M. Van Overloop. - M. Allard, quand vous avez déclaré, en 1857, que vous vouliez discuter jusqu'à extinction de forces physiques, nous vous avons laissé discuter. Il me semble que vous pourriez bien agir de même aujourd'hui. Et, du reste, n'êtes-vous pas le parti de la tolérance par excellence ?

« Toute propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

Voilà, messieurs, les principes de 1789. II n'y en a pas d'autres que je sache.

Or, de ces principes, le dernier notamment est extrêmement remarquable. C'est que vous ne pouvez exproprier quelqu'un qu'à charge d'une juste et préalable indemnité.

Eh bien, je vous déclare que j'ai dans ma famille plusieurs bourses. Je voudrais bien savoir si ma famille aura une juste et préalable indemnité au cas que vous confisquiez ces bourses, que vous en disposiez contrairement à la volonté des fondateurs ? (Interruption.)

Voilà ce que je désire-savoir.

J'ajoute à propos de la doctrine de 1789 et de la doctrine de M. Orts, sur la nationalisation des biens du clergé, que le principe qui veut que l'on ne prive quelqu'un de sa propriété qu'après une juste et préalable indemnité, a été proclamé lorsqu'il s'est agi de la nationalisation des biens du clergé.

Pourquoi devons-nous aujourd'hui payer un traitement aux membres du clergé V ? Par suite du principe proclamé en 1789.

M. Muller. - Du tout.

M. Orts. - On paye le clergé parce qu'il rend des services, comme les autres fonctionnaires.

M. Van Overloop. - Voilà les principes de 1789.

J'espère qu'à l'avenir, quand on viendra parler de ces principes, on voudra bien les indiquer, afin de ne pas rester dans le vague, afin de ne pas faire croire que les principes de 1789 sont en jeu, alors qu'en réalité il ne s'agit d'aucun de ces principes.

On invoque sans cesse, en Belgique, les principes de 1789, alors que nous avons la Constitution de 1830, alors qu'au Congrès national qui a élaboré cette Constitution, il n'a jamais été parlé, que je sache, des principes de 1789.

Est-il bien patriotique de venir sans cesse invoquer ici des principes qui appartiennent à un pays étranger ? Voyons maintenant les institutions de 1789. II y avait une chambre unique tandis que nous avons deux Chambres. En veut-on ?

Le roi n'avait que le droit de veto. En veut-on ?

L'Etat exerçait la suprématie sur le clergé. En veut-on ?

Ou bien veut on du principe de l'indépendance de l'Eglise et de. l'Etat, comme l'a proclamé la Constitution ?

Les provinces et les communes n'étaient que des rouages administratifs.

Veut-on des principes ou des institutions de 1789 dans ce sens ? Veut-on que nos communes soient de simples rouages administratifs ?

Quant à moi, je ne le veux pas, et j'espère bien que nos puissantes communes belges ne le voudront jamais.

M. Orts. - On n'a pas dit cela en 1789.

M. Van Overloop. - En 1789, les municipalités étaient soumises aux districts, les districts aux départements et les départements aux ministères.

Voilà les principes de 1789 au point de vue des institutions communales.

M. Bara. - Lisez la loi communale et l'opinion de M. B. Dumortier.

M. Van Overloop. - Je ne m'occupe pas des opinions de mes collègues. Je soutiens les miennes et non celles que peuvent avoir mes collègues, que je ne suis pas chargé de défendre.

M. B. Dumortier. - Des opinions tronquées.

M. Van Overloop. - Je crois, du reste, que mon honorable ami, M. Dumortier, est un homme de progrès, et le progrès implique changement dans les appréciations.

M. Hymans. - M. le président, je demande la parole pour un rappel au règlement.

Je viens d'entendre l'honorable M. B. Dumortier dire que j'avais tronqué son opinion.

M. le président. - L'honorable M. Dumortier a dit : des opinions tronquées, mais il ne vous a pas nommé.

M. B. Dumortier. - Et quand je l'aurais fait, M. le président, j'aurais été dans mon droit ; M. Hymans n'a cité qu'une phrase de mon discours.

M. le président. - Ces interruptions ne sauraient être tolérées, elles troublent l'ordre.

M. Hymans. - J'ai le droit de demander la parole pour un rappel (page 846) au règlement. Le règlement défend toute insinualton malveillante à l'égard d'un membre de cette assemblée.

M. Wasseige. - C'était hier que vous auriez dû faire cette observation.

M. Hymans. - L'honorable M. Dumortier vient de dire tout à l'heure à haute et intelligible voix que j'avais tronqué son discours.

M. B. Dumortier. - Messieurs, l'honorable M. Hymans vient de réitérer de nouveau ses accusations contre moi. Puisque j'ai été mis en cause, j'ai le droit de répondre. Mon honorable ami M. Van Overloop parlait de la liberté communale. On l'a interrompu sur les bancs opposés en citant mon nom et mes opinions.

Je crois que l'honorable M. Van Overloop a dit avec raison qu'il n'était pas chargé de me défendre. J'ai dit alors qu'il n'était pas en effet chargé de défendre les opinions qu'on me prêtait et surtout des opinions tronquées.

Remarquez qu'en me servant de cette expression, je ne nommais aucun député, je ne voulais faire allusion à aucune individualité. Mais puisque l'honorable M. Hymans ne peut en prendre son parti et qu'il se sent quelque peu coupable du reproche que j'ai adressé, je vais lire à la Chambre la partie du discours dont il a parlé, et vous verrez comment, en prenant une phrase isolée dans un discours, on peut donner à ce discours un sens qu'il n'a pas, comment, en prenant quatre mots d'un discours, on peut, au moyen de cela réaliser cet ancien axiome d'un procureur général français : Donnez-moi quatre mots d'un homme et je le ferai pendre.

M. Hymans. - J'ai lu la citation.

M. B. Dumortier. - Vous avez lu seulement une phrase.

M. Hymans. - Eh bien, oui, la voici !

M. B. Dumortier. - Un instant. (Interruption.) J'espère bien que j'aurai le droit de me défendre, quand vous m'accusez.

Il s'agissait, messieurs, de la loi de l'instruction primaire. Un honorable membre de cette assemblée avait contesté à la Chambre le droit d'introduire dans la loi une disposition tendante à dire que l'on donnerait l'enseignement religieux dans l'école communale. Il s'agissait de savoir si nous avions, oui ou non, ce droit.

M. Hymans. - Ce n'est pas cela du tout.

M. B. Dumortier. - Je vous prie de m'excuser ; c'est de cela qu'il s'agissait et vous allez le voir.

Nous étions donc à discuter la valeur de l'article 17 de la Constitution qui figure, non pas au titre des Libertés communales, mais au titre des Belges et de leurs droits, et qui stipule que l'enseignement donné aux frais de l'Etat doit être réglé par la loi.

J'ai donc répondu : « On a à cet égard soulevé une première question très sérieuse sans doute, celle de savoir si la disposition peut être constitutionnelle. »

Vous voyez donc que j’étais tout à fait dans le vrai, quand je vous disais qu'on avait soulevé la question de savoir si la disposition était constitutionnelle et je répondais :

« Mais à cet égard la réponse est très facile et on vous l'a déjà faite. Les communes ne peuvent rien que par la loi. Dès lors vous pouvez régler les dispositions relatives à l'instruction dans les communes, et vous le pouvez quant aux garanties religieuses comme pour le reste ; sans cela, vous ne pourriez pas faire de loi sur l'instruction primaire.»

Eh bien, est-il clair, oui ou non, qu'il s'agissait là, non pas d'une thèse générale et absolue, mais d'une thèse relative à la matière sujette, à la loi sur l'instruction primaire ?

M. Hymans. - C'est cela.

M. B. Dumortier. - Eh bien, nous sommes d'accord sur ce point, mais ne venez pas tirer de mes observations un argument quant aux fondations de bourses qui ne sont pas la loi d'instruction primaire.

La loi d'instruction primaire se rapporte à l'article 17 de la Constitution qui, vous l'avez avoué vous-même, stipule que l'enseignement donné aux frais de l'Etat (et par là j'entends avec l'honorable membre les subdivisions de l'Etat) ne peut être réglé que par la loi.

Mais quand il s'agit de fondations, quand il s'agit de bourses, la commune est libre, la commune a la liberté comme tous les individus. Voilà mon axiome ; la commune est libre en toutes les choses où la Constitution ne l'a pas vinculée.

M. Hymans. - C'est le contraire de ce que vous avez dit.

M. B. Dumortier. - C'est ce que j'ai dit. Ne venez pas tronquer mes paroles. En voici la continuation.

« La disposition constitutionnelle que l'on invoque est dans le titre des Belges et de leurs droits, et non dans celui qui traite du pouvoir communal.

« Et certes, messieurs, il n'est pas possible de prétendre que nous ne pouvons pas régler les dispositions de la loi d'instruction pour les communes, alors que depuis dix ans, dans chaque discoure du trône, dans chaque adresse en réponse à ces discours, nous parlons de la nécessité de faire une loi sur l'instruction primaire. Or, qu'est-ce que la loi d'instruction primaire ? Rien autre chose que la loi d'instruction dans les communes. Venir donc prétendre que nous ne pouvons intervenir dans l'action de la commune sur l'instruction primaire, c'est venir prétendre que, depuis dix ans, on a eu tort de dire qu'il fallait s'occuper d'une loi sur l'instruction publique. »

Vous voyez, je le répète, qu'il ne s'agissait pas là d'une thèse générale sur le droit commun, mais d'une thèse spéciale quant à l'instruction.

Je dis donc que si l'on avait lu mon discours entier, l'on n'aurait pas donné une portée toute différente de ma pensée à une phrase extraite avec une intention que je ne qualifierai pas.

M. Hymans. - De quoi s'agit-il ? Je ne veux pas que l'honorable M. Dumortier m'accuse d'avoir tronqué une citation de son discours. Je ne veux pas que demain l'on répète dans toute la presse comme dans cette Chambre, que j'ai tronqué les discours de mes adversaires. C'est là une question de dignité, je ne veux pas, quelle qu'ait été la pensée de l'honorable M. Dumortier qui a prononcé ces paroles, que l'on m'accuse d'avoir apporté un mensonge dans cette enceinte.

L'honorable M. Dumortier a prononcé les paroles que je lui ai attribuées. J'ai ici la citation textuellement copiée du volume que l'honorable membre tient en main. Je demande donc à M. le président de bien vouloir prier M. Dumortier de retirer ce qu'il y a de personnel dans ce qu'il a dit à mon sujet, à savoir que j'aurais tronqué son discours.

M. le président. - M. Dumortier vous a reproché de n'avoir pas lu son discours en entier. Sa pensée a été que votre lecture était incomplète. Et cependant if est certain que l'on ne peu, imposer à un orateur l'obligation de lire en entier le discours auquel il croit devoir emprunter une citation. L'orateur est libre de citer des extraits et le membre dont les opinions sont invoquées a le droit de répondre et de contester les conséquences que l'on tire de ses paroles ou le sens qu'on leur attribue. Voilà la règle à suivre sur ce point. Ce débat doit finir et j'engage les membres à ne plus interrompre.

M. Hymans. - J'ai ici l'imprimé sous les yeux ; je demande qu'il soit constaté que ma citation est exacte.

M. B. Dumortier. - Elle était incomplète.

M. Hymans. - Qu'elle est textuelle et complètement en harmonie avec l'intention que j'ai prêtée à l'honorable membre, puisqu'elle n'était que la confirmation d'un discours prononcé antérieurement par son honorable ami M. Deschamps.

M. le président. - L'exactitude de votre citation n'est pas mise en doute.

M. Hymans. - Alors c'est très bien.

M. le président. - Seulement M. Dumortier aurait voulu que la citation eût plus d'étendue.

Messieurs, je vous convie à conserver à nos débats le caractère de dignité et de modération qui doit toujours les distinguer ; ne les laissons pas dégénérer en personnalités. Ils n'ont rien à y gagner. Je prie les honorables membres de ne plus interrompre. Le règlement prononce le rappel à l'ordre contre les interruptions qui troublent la discussion. N'oublions pas qu'il faut laisser toujours toute son élévation et sa majesté à des débats qui portent sur de grands intérêts, et qui ont lieu sous les regards de la nation. La parole est continuée à M. Van Overloop.

M. Van Overloop. - Je viens de constater, messieurs, qu'au Congrès il n'a jamais été parlé des principes de 89. Je viens de constater également que nos institutions de 1850 sont radicalement différentes des institutions nées de 1789.

II me reste, messieurs, à examiner ce que sont les droits de l'Etat qu'on invoque avec une ardeur toute particulière depuis quelques jours dans cette enceinte.

Pour connaître quels sont les droits de l'Etat, il me semble qu'il faut commencer par examiner ce que c'est que l'Etat lui-même.

Qu'est-ce donc que l'Etat ? Chacun sait que l'Etat, c'est une société, une association d'hommes réunis sur un territoire donné, sous une autorité suprême. Voilà l'Etat, ni plus ni moins.

De là le mot « status », société établie.

Messieurs, lorsqu'on examine de plus près l'association qu'on appelle l'Etat, on constate l'existence, dans cette association, d'une foule de petites sociétés de natures diverses.

(page 847) Nous y voyons des sociétés agricoles, des sociétés industrielles, des sociétés commerciales, des sociétés d'agrément, des sociétés littéraires, des sociétés philosophiques et religieuses, des sociétés qu'on appelle familles ; enfin, nous y voyons des sociétés qu'on appelle communes et des sociétés qu'on appelle provinces. Voilà, messieurs, ce que l'on découvre dans l'Etat belge.

Toutes ces sociétés ont des droits, mais la source de leurs droits est différente.

Les droits des unes dérivent des conventions faites entre les membres qui les composent. Or, le droit de faire des conventions est certes, un des droits les plus naturels que l'on connaisse.

Les droits des autres, au contraire, ont leurs source, soit dans la loi naturelle, soit dans la loi positive.

Dans cette dernière catégorie se trouvent les familles, les communes et la province.

Le caractère commun de ces sociétés, c'est que chacune d'elles a une fin qui lui est propre. L'unité de la fin est le caractère distinctif de l'unité sociale.

Or, messieurs, quelle est la fin de l'Etat ? Puisque l'Etat est évidemment une association, le but de l'Etat ne peut être différent de celui de l'association elle-même.

Quel est le but de l'association qu'on appelle l'Etat ?

Il est de faciliter à l'homme, par le maintien de l'ordre intérieur, l'obtention de sa félicité naturelle.

Et comment l'Etat facilite-t-il aux hommes l'obtention de leur félicité naturelle ?

Il le fait de deux manières :

1° en garantissant à chacun ses droits naturels et acquis.

2° en suppléant, par la coopération sociale, c'est-à-dire par la coopération de tous, à l'insuffisance des ressources individuelles.

L'Etat a donc deux modes d'action : l'action tutélaire, qui protège ; et le concours actif, qui coopère.

Mais, pour que l'Etat puisse garantir à chacun ses droits, et suppléer à l'insuffisance des ressources des individus, il lui faut un gouvernement.

Aussi, n'existe-t-il pas d'Etat sans gouvernement, c'est-à-dire, sans une autorité qui mette en mouvement les forces sociales ; en vue de garantir à chacun ses droits et de suppléer à l'insuffisance des ressources des individus.

Les gouvernements, messieurs, sont donc faits pour les sociétés, de même que les sociétés sont faites pour les hommes.

La conséquence en est qu'aucun gouvernement, quelle que soit sa forme, n'a de droits puisés en lui-même.

En principe, un gouvernement n'a que des devoirs à remplir.

Ses droits ne consistent que dans le pouvoir de commander et de faire ce qui est nécessaire pour l'accomplissement de ses devoirs.

Il est essentiellement le servus servorum des citoyens.

Le premier devoir du gouvernement est donc de protéger les droits naturels et acquis des citoyens.

Il résulte de là que jamais au nom de l'utilité publique, au nom du bien public, un gouvernement ne peut porter atteinte aux droits, soit des citoyens individuellement considérés, soit des citoyens associés, soit des citoyens unis en familles, soit des citoyens réunis en communes ou en provinces.

Voilà la première conséquence qui résulte de la nature, de la mission du gouvernement.

Qu'est-ce d'ailleurs, messieurs, que l'utilité publique ? Qu'est-ce que le bien public ?

Chacun interprète ces mots dans le sens qui convient le mieux à ses désirs.

Pour le négociant, le bien public, ce sera le développement du commerce et spécialement du sien.

Pour celui dont les mauvaises passions sont entravées par l'autorité, ce sera le renversement de cette autorité.

Pour celui qui est au gouvernement et qui ne désire que la satisfaction de son ambition personnelle, ce sera la compression de toute activité humaine.

Mon Dieu, n'est-ce pas au nom de l'utilité publique que le terrorisme couvrit la France d'échafauds ?

Voulez-vous aller plus loin ? N'est-ce pas au nom du bien public que la victime sans tache fut attachée sur la croix ? Est-ce que Caïphe ne disait pas : « Expectitut unus moriatur pro populo et non tota gens pereat. »

Voilà ce qu'est le bien public, voilà ce qu'on a fait au nom du bien public.

M. Muller. - Les auto-da-fé aussi.

M. Van Overloop. - Je dis que le bien public n’est pas un principe en lui-même, et la preuve en est que chacun l'apprécie à sa façon. Je ne veux pas plus d'auto-da-fé que qui que ce soit.

Quelle est la conséquence de ce que le devoir secondaire du gouvernement est de suppléer à l'insuffisance des ressources des individus isolés ou associés ?

C'est que le gouvernement ne doit jamais faire ce que les individus, seuls ou associés, sont capables de faire et font : c'est que dans aucun ordre de l'activité humaine, soit dans l'ordre matériel, soit dam l'ordre intellectuel, l’intervention du gouvernement n'est légitime que lorsque les efforts des citoyens sont insuffisants pour atteindre un but utile à la société entière ; un but par conséquent reconnu par tous et voulu par tous.

Maintenant, messieurs, cette théorie que je viens d'exposer, et qui, appliquée, garantit toutes les libertés, quelle est-elle ? Est-ce une théorie inventée a priori ? Pas du tout. C'est la théorie du Congrès national.

En effet, messieurs, qu'a fait le Congrès national ?

Le titre I de la Constitution dit ce qu'est l'Etat belge.

Le titre II garantit les droits essentiels des Belges, les droits dont tous les autres dérivent.

Puis viennent les titres III et suivants, qui organisent les pouvoirs changés de faire respecter tous les droits naturels et acquis.

Au fond, le principe de la souveraineté nationale lui-même n'est qu'une garantie des droits, c'est-à-dire des libertés des Belges.

Ainsi, messieurs, la théorie que je viens de développer n'est que la théorie véritablement constitutionnelle de la Belgique.

Et remarquez, messieurs, qu'en décrétant cette organisation de l'Etat belge, le Congrès a spécialement décrété l’existence de la commune.

L'honorable M. Hymans disait tout à l'heure : « Tous les pouvoirs émanent de la nation. » Et il en tirait la conclusion que nous seuls sommes souverains, que le pouvoir législatif est souverain. Or, cela ne me paraît pas exact. (Interruption.)

La Constitution dit que tous les pouvoirs émanent de la nation, et quels sont les pouvoirs que la Constitution a reconnus ?

Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, le pouvoir provincial et le pouvoir communal.

Est-ce que l'article 31 ne se trouve pas sous le titre qui règle les pouvoirs en Belgique ? Est-ce que le rapport de la section centrale au Congrès ne porte pas : « Pouvoir communal » ?

La Constitution, veuillez-le remarquer, dit : « Tous lis pouvoirs émanent de la nation, » et non pas : « Tous les droits émanent de la nation. »

Les droits résultent de la loi naturelle, mais les pouvoirs charges de les faire respecter émanent de la nation, et parmi ces pouvoirs, la Constitution range le pouvoir provincial et le pouvoir communal.

On prétend, et l'honorable M. Hymans l'a encore soutenu tout à l'heure, que les communes ne peuvent s'occuper d'objets d'intérêt, général que pour autant qu'elles agissent en vertu d'une délégation de la loi. C'est bien là la pensée de l'honorable M. Hymans..

M. Hymans. - Et celle de l'honorable M. Dechamps.

M. Van Overloop. - Soit, mais je réponds en ce moment à l'honorable M. Hymans.

Ainsi, d'après cet honorable membre, les communes ne peuvent faire, en matière d'intérêt général, que ce qu'elles sont formellement autorisées à faire en vertu d'une délégation de la loi.

Eh bien, à ce sujet l'honorable M. Hymans me permettra de lui citer un arrêt de la cour de cassation du 7 février 1857 :

Cet arrêt porte :

« Attendu que l'article 31 de la Constitution belge pose uniquement le principe que les intérêts exclusivement provinciaux sont réglés par les conseils provinciaux et que l'article 108, n°2, de cette Constitution se borne aussi à poser le principe que les lois sur les institutions provinciales consacrent l'attribution aux conseils provinciaux de tout ce qui est d'intérêt provincial, qu'en décrétant ces deux principes, et spécialement celui de l'article 31, le législateur constituant n'a pas eu en vue de limiter les attributions des conseils provinciaux au règlement des intérêts exclusivement provinciaux, mais d'empêcher d'attribuer à aucune autre autorité le règlement de ces intérêts. »

Cela est exact, clair et précis.

Ainsi, puisque l'article 31 de la Constitution s'occupe des communes comme des provinces, les communes peuvent faire tout ce qui est d'intérêt provincial ou d'intérêt général, quand la loi ne le leur interdit pas...

M. Orts. - De quelle date est 1 arrêt ?

M. Van Overloop. - Du 7 février 1857.

M. Orts. - Il s'agissait d'un règlement communal.

(page 848) M. Van Overloop. - Messieurs, à mon sens, l'article 31 de la Constitution doit être interprété de la même manière que l'article 92, invoqué par le ministre de la justice lorsqu'il a tâché de réfuter une objection présentée par l'honorable M. Kervyn de Lettenhove.

Qu'avat dit cet honorable membre ? Il avait soutenu que si la collation des bourses n'était pas un droit civil, les tribunaux n'auraient pas la qualité pour connaître des contestations qui s'élèveraient à ce sujet. M. le ministre de la justice répondit à l'honorable M. Kervyn de Lettenhove que les tribunaux peuvent, en vertu de l'article 93 de la Constitution, s'occuper d’autres choses encore que de contestations ayant pour objet des droits civils, et que l'article 92 avait uniquement pour but d'empêcher que les contestations, ayant pour objet des droits civils, fussent soumises à un pouvoir autre que le pouvoir judiciaire.

Eh bien, je fais le même raisonnement ; j'oppose à mes honorables contradicteurs l'argument que M. le ministre de la justice opposait à l'honorable M. Kervyn de Lettenhove ; et je dis que l'article 31 delà Constitution n'a eu qu'un but : c'est d'empêcher d'autres autorités que la commune de s'occuper des intérêts communaux ; mais la commune ne puise pas moins en elle-même le droit de s'occuper de ce qui est d'intérêt provincial ou d'intérêt général, à moins que la loi ne le lui défende.

Que l'enseignement supérieur soit d'intérêt général, cela ne prouve absolument rien. Résulte-t-il de la que les communes ne puissent s'occuper d'enseignement supérieur ? Pas le moins du monde.

Y a-t-il une loi qui défende aux communes, de s'occuper d'enseignement supérieur ? S'il n'y a pas de loi qui le leur défende, je crois que la commune puise dans le fait même de sa vie communale le droit de s'occuper d'enseignement supérieur. Voilà comment j'entends la liberté communale.

Maintenant, trouvez-vous un inconvénient à ce que les communes s'occupent d'enseignement supérieur ? Voulez-vous, par la loi, empêcher les communes de s'occuper de cet enseignement ?

Vous en avez le droit, je ne le conteste pas, mais si vous votez une pareille loi, ne venez plus vous proclamer les défenseurs de la liberté communale, après que vous y aurez porté cette atteinte.

J'examine maintenant de plus près le projet de loi qui nous est soumis.

Je voterai contre le projet, parce que je le trouve inutile.

A mon avis, on ne doit pas à la légère changer une législation qui est appliquée, depuis un demi-siècle bientôt, sans qu'on puisse articuler contre elle des reproches sérieux.

On prétend que les jeunes gens qui ont des bourses de famille sont obligés aujourd'hui d'aller étudier à Louvain, parce que les bourses ont été fondées auprès de l'ancienne université de Louvain. C'est une erreur que j'ai déjà relevée il y a plusieurs années dans cette enceinte, en répondant à l'honorable M. Verhaegen ; et ce qui prouve que c'est là une erreur, c'est que j'ai joui d'une bourse de famille à l'université de Gand, où j'ai commencé mes études de droit, quand l'université de Louvain existait déjà ; et j'ai conservé cette bourse quand je suis venu achever mon cours de droit à l'université libre de Bruxelles.

Le projet de loi est donc inutile.

En second lieu, ce projet me paraît parfaitement injuste.

Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, la conscience publique proteste contre la rétroactivité, qui est le caractère distinctif de ce projet.

On aura beau faire toutes les cavillations du monde ; on ne pourra pas lui ôter le cachet de l'injustice.

Le projet de loi a, en outre, un caractère antinational.

Il est de fait qu'il porte atteinte à ce qui est la base de notre nationalité, à la liberté communale.

Il est encore antinational, parce qu'il persévère dans la tendance qui consiste à introduire de plus en plus dans notre pays, les idées, les lois et les règles d'administration de la France.

Au lieu d'approfondir l'abîme qui nous sépare de nos voisins, il semble que le gouvernement fasse tous ses efforts pour le combler.

A ce double point de vue, le projet de loi est antinational.

Certes, je ne prétends pas que la législation actuelle sur les bourses ne soit pas susceptible de certaines améliorations ; mais je remarque que les améliorations dont cette législation est susceptible, sont précisément celles que le gouvernement n'a pas proposées à la Chambre.

Je m'explique.

Le projet de loi, messieurs, maintient toutes les dispositions du Code civil relatives aux libéralités en faveur d'établissements d'utilité publique ; en d’autres termes, en faveur d'établissements de mainmorte, car les établissements d'utilité publique ne sont que des établissements de mainmorte.

Le projet de loi maintient donc l'article 910 du Code civi1, qui est ainsi conçu :

« Les dispositions entre-vifs ou par testament, au profit des hospices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique n'auront leur effet qu'autant qu'elles seront autorisées par un arrêté royal. » Et l'article 900 porte :

« Dans toute disposition entre-vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites. »

Le gouvernement (en supposant le projet de lui adopté) restera donc maître d'autoriser ou de ne pas autoriser, arbitrairement, une libéralité, soit en tout, soit en partie ; cela est incontestable.

Et si le donateur a attaché à sa libéralité des conditions que le gouvernement croira contraires aux lois, le gouvernement fera bon marché des conditions et acceptera la libéralité ; c'est-à-dire que le projet de loi, pour le dire en deux mots, se résume en ceci : « Vous avez la liberté de faire des libéralités au profit de l'enseignement à telles conditions que bon vous semblera ; mais je supprimerai les conditions et je garderai les libéralités. »

Voilà, en résumé, tout le projet de loi.

Messieurs, ne conviendrait-il pas, dans l'intérêt des familles, de modifier le pouvoir que l'article 910 du Code civil accorde au gouvernement ?

Cet article a en vue d'empêcher que les biens ne soient soustraits aux familles pour être attribués à des établissements de mainmorte, à l'Etat, aux provinces, aux communes, aux hospices, aux bureaux de bienfaisance, etc.

Aujourd'hui, le gouvernement peut autoriser des mainmortes à accepter tout le patrimoine d'une personne. Eh bien, je demande si, dans l'intérêt des familles, il ne conviendrait pas d'établir, en faveur des familles et contre la mainmorte, une espèce de réserve, de légitime ?

Il est certain que l'esprit de famille s'affaiblit de jour en jour. lI serait donc éminemment moral de prendre une mesure qui fortifiât ce sentiment, et je crois que le moyen que j'indique contribuerait puissamment à ce résultat.

Aujourd'hui, le gouvernement peut autoriser, arbitrairement encore une fois, une mainmorte à accepter une libéralité de Pierre et refuser à cette même mainmorte d'accepter une libéralité de Paul, quoique Pierre et Paul se trouvent dans des conditions identiques.

Je demande si un pouvoir aussi arbitraire peut continuer d'exister sous un régime de légalité, régime qui est le nôtre ?

Si le projet de loi vient à être adopté tel qu'il est, il est évident que le gouvernement aura un intérêt direct à autoriser l'acceptation du plus de libéralités possible au profit des mainmortes qu'il créera pour l'enseignement ; il est donc à prévoir que dès qu'il s'agira d'une libéralité au profit de la mainmorte d'enseignement, le gouvernement se souciera fort peu de l'intérêt des familles ; cet intérêt ne viendra qu'en second ordre et sera primé par l'intérêt de la mainmorte. Le gouvernement autorisera autant que possible les libéralités faites au profit de mainmortes d'enseignement.,

Et ceci, messieurs, n'est pas une hypothèse chimérique, car personne d'entre vous n'ignore que le gouvernement n'a pas hésité à autoriser l'acceptation, par des mainmortes bureaux de bienfaisance, de l’importante fortune de M. Nicolaï, et je ne sache pas qu'il se soit beaucoup préoccupé de l'intérêt de la famille de M. Nicolaï.

Qu'on ne le perde pas de vue, messieurs, le gouvernement est toujours un monsieur, selon la spirituelle interruption de l'honorable M. Coomans. Or, ce monsieur a nécessairement des passions, et, par conséquent, les principes du Code civil en matière de libéralités au profit de mainmortes, pourront varier dans l'application au gré de ces passions mêmes,

C'est une première observation que je soumets à M. le ministre de la justice et à mes honorables collègues de la Chambre.

Je demande donc s'il ne conviendrait pas d'établir au profit des familles, contre les mainmortes, une espèce de réserve ?

Par exemple, ne pourrait-on pas dire qu'il ne sera permis de disposer de sa fortune au profit de mainmortes qu'à concurrence d'un huitième si le donateur a des ascendants ou descendants ; d'un quart, s'il a des frères ou sœurs d'un tiers, s'il a des neveux ou nièces ; des trois quarts, s'il a des parents plus éloignés ?

C'est une idée que je soumets à la Chambre et qui me paraît digne de son attention. (Interruption.)

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui ; vous aurez un brevet d'invention pour cela.

M. Van Overloop. - Je suis bien certain, dans tous les cas, que les familles y applaudiraient vivement.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je le crois bien, mais je doute fort que vos amis vous appuient.

M. Van Overloop. - Je me demande s'il ne conviendrait pas, en second lieu, lorsqu'il s'agit de libéralités faites à des mainmortes, de modifier l'article 900 du Code civil ?

(page 849) En d'autres termes, ne conviendrait-il pas d'appliquer aux libéralités faites à des mainmortes, non pas la disposition de l'article 900 du Code civil, dont j'ai donné lecture, mais celle de l'article 1172 qui est ainsi conçu :

« Toute condition d'une chose impossible ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi est nulle et rend nulle la convention qui en dépend » ?

Donc une condition contraire aux lois, introduite dans une convention, entraîne la nullité de la convention elle-même ; mais il n'en est pas de même des conditions contraires aux lois stipulées dans une donation ou un testament.

Cette distinction, qui est tirée du droit romain, n'a, selon moi, aucune raison d'être vraiment sérieuse.

Aussi ne la trouve-t-on pas dans d'autres législations, dans celle de la Prusse, par exemple.

L'assemblée constituante de France, qui a fait table race de tant de choses, aurait bien fait, me semble-t-il, de ne pas laisser subsister cet abus d'un autre âge, et j'espère que. nonobstant l'amour que l'on professe pour les principes de 1789, nous supprimerons la distinction que le régime de 1789 a maintenue.

Pourquoi, d'ailleurs, l'assemblée constituante a-t-elle maintenu la distinction établie par le droit romain ? Pour des motifs purement politiques, qui sont expliqués dans la motion d'ordre sur laquelle fut rendu le décret du 5 septembre 1791 :

« C'est le moyen, dirait-on, d'arrêter les effets malheureux de l'intolérante civile et religieuse, c'est le besoin de poser de justes bornes aux préjugés, et au despotisme de quelques citoyens, qui, ne pouvant se plier aux principes de l'égalité politique et de la tolérance religieuse, proscrivent d'avance, par des actes protégés par la loi, l’exercice des fonctions publiques, l'union de leurs enfants avec des femmes qu'ils appellent roturières, ou avec des personnes qui exercent un autre culte religieux, ou qui ont une autre opinion politique...

« C'est ainsi qu'ils écrivent la défense ou la condition de se marier à telle ou telle personne, à une femme de telle ou telle classe, de telle ou telle religion, etc. »

C'est sur cette motion que le décret du 5-12 septembre 1791 ordonna que :

« Toute clause impérative ou prohibitive, qui serait contraire aux lois ou aux bonnes mœurs, qui porterait atteinte à la liberté religieuse du donataire, héritier ou légataire, qui gênerait la liberté qu'il a, soit de se marier avec telle personne, soit d'embrasser tel état, tel emploi ou profession, ou qui tendrait à le détourner de remplir les devoirs imposés, et d'exercer les fonctions déférées par la Constitution aux citoyens non actifs et éligibles, est réputée non écrite.

Le décret de la Convention du 5 brumaire an II répéta la disposition de celui du 5 septembre 1791, mais en lui donnant un effet rétroactif.

Il porte :

« Art. 1er. Est réputée non écrite, toute clause impérative ou prohibitive, insérée dans les actes passés même avant le décret du 5 septembre 1791, lorsqu'elle est contraire, etc. »

On trouve une disposition identique dans le décret de la Convention du 17 nivôse an II, article 12.

Ce décret fait même un pas de plus dans la voie de la rétroactivité. Il porte :

« Art. 1er. Les donations entre-vifs, faites depuis et compris le 14 juillet 1789, sont nulles.

« Toutes celles au même titre, légalement faites antérieurement, sont maintenues.

« Les institutions contractuelles et toutes dispositions à cause de mort, dont l'auteur est encore vivant ou n'est décédé que le 14 juillet 1789 ou depuis, sont nulles, quand même elles auraient été faites antérieurement. »

J'espère que l'amour pour les principes de 89 n'ira pas jusqu'à faire admettre, comme en 93, la rétroactivité.

On ne peut plus, de nos jours, invoquer les décrets des 5 septembre 1791, 5 brumaire et 17 nivôse an II, ni rejeter, par conséquent, comme contraire aux lois, les conditions dont ces décrets parlent.

Le motif en est que la loi du 30 ventôse an XII abroge les anciennes lois en ce qui concerne les matières qui sont l'objet des lois composant le code ; or, la matière des conditions apposées aux donations et testaments est réglée par l'article 900.

Il ne peut donc plus être question d'appliquer le décret du 5 septembre 1791.

J'insiste sur ce point, parce que j'ignore jusqu'où pourrait aller l'interprétation de la disposition portant que les conditions contraires aux lois sont considérées comme non écrites ; on pourrait parfois exhumer le décret du 5 septembre 1791, et considérer comme non écrites les conditions interdites par ce décret.

Il ne reste donc plus qu'à examiner si certaines de ces conditions sont contraires aux mœurs, car il est évident qu'elles ne sont pas impossibles.

S'il était question de la révision du Code civil, je dirais. avec de savants orateurs, que l'article 900 est du nombre de ceux qui doivent être réformés. Il paraît que cette révision, malgré les prescriptions de l'article 139 de la Constitution, se fera longtemps attendre ; dès lors, nous pourrions faire un premier pas aujourd’hui, puisqu'il s'agit de faire une loi complète sur une matière spéciale.

Il serait convenable, selon moi, d'appliquer aux donations et testament, l'article 1172 ; et de déclarer qu'un acte de libéralité à une mainmorte est nul, quand il contient des conditions contraires aux lois.

Quelles seraient les conséquences de l'application de l'article 1172 ?

La première conséquence serait de soustraire une plus grande quantité de biens à l'immobilisation, d'empêcher l'augmentation de la mainmorte.

C'est cette augmentation que vous craignez, c'est la mainmorte que vous redoutez, c'est le spectre noir qui vous effraye ; ma proposition doit donc recevoir un accueil sympathique sur vos bancs.

La deuxième conséquence serait de maintenir les biens dans les familles.

Ce qui prouve combien on attache de prix au maintien des biens dans les familles : c'est le bruit qu'a provoqué l’affaire Roels, de Bruges» c'est le bruit qu'on veut faire aujourd'hui de l'affaire Fabri.

Malheureusement, le principal intéressé dans cette dernière affaire vient de décerner un brevet d'imposture à ceux qui l'ont inventée.

Je crois, en second lieu, d'après cela, que mes observations sur l'article 900 recevront un accueil favorable sur les bancs de la gauche.

La troisième conséquence serait l'introduction dans la loi d'un principe d'honnêteté.

II n'est pas honnête de dire : « Vous pouvez donner à toutes conditions ; mais si elles me paraissent contraires à la loi, je garde l'argent et ne remplis pas les conditions. »

La conscience de tous les honnêtes gens protesterait contre un pareil langage.

C'est cette protestation que je voudrais faire prévaloir dans les dispositions de la loi. Prenons le legs de M. Verhaegen.

L'honorable ancien président de la Chambre a légué à la ville de Bruxelles une somme de 100 mille francs pour favoriser et augmenter le haut enseignement dans la capitale.

Ce sont les termes que j'ai trouvés dans la brochure de M. Tielemans.

D'après le système de M. de Haussy, Bruxelles n'ayant pas de capacité pour donner le haut enseignement, pourrait accepter le legs, et la condition de l'appliquer au haut enseignement serait considérée comme non écrite.

Nous avons trop de confiance dans la loyauté de l'administration de la ville de Bruxelles pour penser qu'elle veuille accepter un legs sans la condition qui y est attachée. Qu'est-ce d'ailleurs qu'une clause contraire aux lois ?

La constitution du 5 fructidor an III permet de l'expliquer.

L'article 7 porte : « Ce qui nest pas défendu par la loi ne peut être empêché. »

Une clause contraire à la loi est donc une clause que la loi défend d’insérer dans un acte.

Autre chose est une clause prohibée par la loi ; autre chose est une clause qui ne peut pas produire des effets juridiques.

Exemple :

Je suppose que la commune n'ait pas capacité de donner l'enseignement supérieur.

J'ai dit tout à l'heure, dans une autre partie de mon discours, que je crois la commune parfaitement autorisée à donner cet enseignement, tant qu'il n'existe pas de loi qui le lui défende, et par conséquent je dis très nettement et très franchement que la commune de Bruxelles est, à mon avis, parfaitement en droit d'accepter le legs de l'honorable M. Verhaegen.

Je reprends mon raisonnement S'il existe une loi qui défende d'insérer dans les testaments une clause telle que celle qui se trouve dans le testament de l'honorable M. Verhaegen, aux termes de l'article 900, cette clause doit être réputée non écrite, et la ville de Bruxelles a le droit de demander la délivrance pure et simple du legs.

Si, au contraire, il n'existe pas de loi qui défende d'insérer une pareille clause dans les testaments, la clause reste debout, et Bruxelles ne pourra (page 850) pas accepter, parce que les lois administratives lui interdisent de donner l'enseignement supérieur.

Je raisonne toujours dans l'hypothèse que les communes ne peuvent donner l'enseignement supérieur.

Dans le second cas, la clause ne produit pas d'effet juridique ; dans le premier, elle est nulle ou réputée non écrite.

Mais les conséquences sont bien différentes.

Quand la clause ne produit pas d'effet juridique, ce sont les familles qui en profitent. Les 100,000 fr. du legs de M. Verhaegen retourneront donc à la famille.

Si, au contraire, on considère la clause comme nulle ou non écrite, la ville peut conserver le legs en mettant de côté la charge inscrite dans le testament.

Ce qui, je le répète, ne serait pas honnête.

Puisque nous en sommes aux testaments, je désire savoir pourquoi le gouvernement, lui qui porte tant d'intérêt à la diffusion de l'enseignement, ne prend pas de décision quant au legs de M. Verhaegen.. En matière de testament je tiens à l'ancien principe : daris verbis, non est movenda voluntatis quœstio.)

Quand les termes d'un testament sont clairs, on ne peut rechercher ailleurs quelle peut avoir été la volonté du testateur.

Ce principe est, selon moi, absolu.

Mais quelque absolu qu'il soit, les cavillations des sophistes le font souvent varier dans l'application.

Admettons hypothétiquement qu'on puisse chercher, au moyen de circonstances étrangères au testament même, si la volonté du testateur n'a pas été autre que celle que le testament exprime.

Dans ce cas, on peut soutenir avec fondement que, par son testament, l'honorable M. Verhaegen a voulu, au moyen d'une personne interposée, la commune de Bruxelles, léguer 100,000 fr. à l'université de Bruxelles.

Si telle est l'interprétation que le gouvernement donne au testament de M. Verhaegen, je me demande pourquoi il ne se hâte pas de refuser à la commune de Bruxelles l'autorisation d'accepter le legs de M. Verhaegen ? Il serait nul en présence de l'article 911, ainsi conçu :

« Toute disposition au profit d'un incapable sera nulle, soit qu'on la déguise sous la forme d'un contrat onéreux, soit qu'on la fasse sous le nom de personnes interposées. »

Si, au contraire, le gouvernement croit que la volonté du testateur ne peut être cherchée que dans le testament, - ce qui est la vérité - dans ce cas, il se présente un dilemme.

Ou bien la commune de Bruxelles peut s'occuper d'enseignement supérieur ou elle ne peut pas s'occuper de cet enseignement.

Si elle peut s'en occuper, je demande pourquoi le gouvernement ne s'empresse pas d'autoriser l'acceptation du legs ?

Si elle ne peut pas s'en occuper, je demande pourquoi le gouvernement ne refuse pas l'autorisation demandée ?

On se gardera, je présume, de considérer la charge comme non écrite.

Je crois, je le répète, l'administration communale de Bruxelles trop honnête et composée d'hommes trop honorables pour que je puisse lui supposer l'intention d'accepter le legs sans en accepter toutes les conséquences.

Voilà, messieurs, des questions que je voudrais voir résolues par le gouvernement qui jusqu'ici a gardé un silence complet, a observé le plus rigoureux mutisme à propos du testament de M, Verhaegen.

C'est cependant une des grandes questions qui se discutent, en ce moment, entre nous.

L'heure est très avancée, messieurs, je crois que beaucoup d'entre nous désirent se retirer parce que c'est samedi. Je m'arrêterai donc dans les observations que j'avais à faire à propos du projet de loi, sauf à les faire valoir lors de la discussion des articles.

Je me bornerai à vous déclarer que je voterai contre le projet, parce qu'il me semble inutile, injuste, attentatoire à nos libertés communales, et, avant tout, antinational.

- La séance est levée à 4 heures.