(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 829) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La chambre de commerce de Nivelles demande que le projet de loi relatif à la concession de chemins de fer comprenne une ligne de Luttre à Bruxelles, par Nivelles, Braine-l'Alleud, Waterloo, Rhode-Saint-Genèse et Uccle avec embranchement de Luttre à Châtelineau. »
« Même demande d'habitants de Nivelles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Des habitants de Courtrai prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur les fondations. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« L'administration communale de West-Vleteren demande que la loi autorisant la concession d'un chemin de fer de Poperinghe à Hazebroek, maintienne les mots : « Ou d'un point intermédiaire entre cette ville et Dunkerque. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Le sieur Fauquel, secrétaire de la commune de Tourinnes-St-Lambert, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme suivant la population. »
« Même demande du secrétaire communal de Wauthier-Braine. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des tanneurs dans les cantons de Bastogne et de Sibret demandent égalité de traitement pour les cuirs prussiens et les cuirs belges. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner l'arrangement commercial avec la Prusse.
« M. d'Hoffschmidt, retenu par le décès de sa belle-mère, demande un congé. »
- Accordé.
M. Hymans dépose le rapport sur la convention littéraire et artistique conclue avec la Prusse.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
M. E. Vandenpeereboom (pour une motion d’ordre). - Il y a quelque temps, messieurs, la Chambre, conformément aux conclusions de la commission des pétitions, a passé à l'ordre du jour sur une requête où l'on demandait quelque chose qui n'est pas dans nos attributions.
Mais depuis cette époque, le bureau a été informé que cette requête contenait des faits calomnieux et en même temps qu'elle était revêtue de fausses signatures.
Conformément aux antécédents de la Chambre, le bureau a fait faire une information ; les pièces de cette information sont rentrées et il en résulte d'abord qu'il y a des faits calomnieux dans la pétition et en outre qu'elle porte fausses signatures. Au nom du bureau, je propose à la Chambre le renvoi de toutes ces pièces à M. le ministre de la justice.
- Cette proposition est adoptée.
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, la durée de la session est forcément limitée, cette année ; et nous approchons du jour de la clôture. Cependant l'ordre du jour est très chargé ; il y a l’objet qui nous occupe en ce moment ; il y a la grande loi de travaux publics ; il y a les traités, et nous aurons peut-être, ce qu'il faut espérer, le rachat du péage de l’Escaut. Je crois que, dans cet état de choses, nous devons activer nos travaux autant que possible, et c'est pour cela que je propose qu'à partir de demain et sauf le mardi, nous nous réunissions à une heure.
- Cette proposition est adoptée.
M. Carlier. - Messieurs, dans la séance du 28 avril écoulé, la Chambre fut saisie d'une pétition signée par un grand nombre de personne appartenant à la société royale protectrice des animaux, et dans laquelle on demande que force de loi soit immédiatement donnée à l'article 638 du nouveau Code pénal. La Chambre renvoya la pétition à la commission qui a été chargée de l'examen du projet de Code pénal. La commission s'est réunie, elle a éprouvé un double scrupule : d'abord elle s'est demandé si elle pouvait encore fonctionner, le projet du code pénal étant entièrement élaboré, admis par la Chambre et renvoyé au Sénat ; ensuite : si, la Chambre étant dessaisie de ce projet par le renvoi au Sénat, il y avait lieu encore, par une de ses commissions, de s'occuper de la proposition contenue dans la pétition.
Cependant, messieurs, la commission n'a pas cru devoir décliner sa compétence, mais à raison de la situation particulière que je tiens d'énoncer, à raison de ce que le Sénat seul est actuellement saisi des projet de Code, la commission croit devoir proposer le renvoi pur et simple de la pétition au gouvernement. Elle croit toutefois devoir ajouter qu'elle est entièrement sympathique aux idées émises dans la pétition, et elle désire qu'il y soit donné suite aussitôt que possible.
M. le président. - Le rapport sera imprimé dans la forme ordinaire des documents de la Chambre, et distribué.
M. Rodenbach. - Votons les conclusions.
M. Hymans. - Le rapport conclut au renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre de la justice ; s'il n'y a pas d'opposition, on pourrait mettre ces conclusions aux voix immédiatement. (Oui ! oui !)
- Le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, est mis aux voix et prononcé.
M. le président procède au tirage au sort des sections du mois de mai.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Tournai, le 28 avril 1863, les collateurs des fondations de bourses de Tournai présentent des observations contre les griefs formulés à leur charge par l’honorable M. Bara dans la séance du 23 avril 1863.
Messieurs, la pétition est conçue en termes très polis et convenants ; les pétitionnaires se plaignent de ce que de graves accusations ont été dirigées contre eux ; au nom de la vérité méconnue, au nom de leur honneur attaqué, ils demandent à pouvoir se justifier. Après avoir reproduit le discours de l'honorable rapporteur, ils s'expriment ainsi :
« De graves accusations, messieurs, ont été portées contre nous dans votre séance du 23 de ce mois ; et, dans l'intérêt de la vérité comme dans celui de notre honneur, nous ne croyons pas pouvoir garder le silence. Il nous en coûte beaucoup de venir mêler notre voix à vos débats, mais nous y sommes forcés par un devoir impérieux.
« Nous venons protester, messieurs, que toujours nous nous sommes fait une règle invariable de nous conformer aux prescriptions des fondateurs, et de ne choisir les boursiers que parmi les ayants droit.
« Que si des institutions ayant un caractère religieux comptent un plus grand nombre de pourvus que d'autres établissements, la cause en est dans la volonté des fondateurs qui, tous prêtres sans aucuns exception, nous ont tracé des règles dont notre conscience ne nous permet pas de dévier. Les bourses en plus grand nombre sont pour la théologie ; des bourses d'humanités étaient formellement réservées à des clercs, les enfants de chœur de la cathédrale de Tournai sont appelés exclusivement oi en premier lieu, ou immédiatement après les parents, dans beaucoup de testaments. Des fondateurs expriment, dans tous les cas, que l'on ne pourra conférer leurs bourses qu'à des jeunes gens étudiant dans des établissements catholiques.
« D'ailleurs, messieurs, toutes nos collations, et celles de 1861 en particulier, ont été examinées, contrôlées et approuvées par ceux que l'autorité civile a constitués à cette fin.
« Quant au second grief, nous avouons que nous sommes d'autant plus (page 830) étonnés que M. Bara l’ait articulé contre nous, qu'il est plus à même que personne de se convaincre qu'il n'existe pas. Nous avons le plus vif regret, messieurs, de devoir nommer des personnes, mais la défense de notre honneur attaqué nous y force, malgré tout notre désir de garder le silence.
« Nous disons donc que M. Bara doit être convaincu plus que personne que jamais les opinions politiques n'ont été pour nous des motifs d'exclusion ; et la preuve en est que sa famille est peut-être celle qui a eu la plus large part dans les bourses que le chapitre de Tournai est appelé à conférer. »
Ensuite, messieurs, ils apportent pour preuves un tableau, par années, des personnes qui avaient obtenu des bourses, et ils terminent leur réclamation en disant :
« Nous espérons, messieurs, que vous apprécierez les raisons qui nous ont déterminés à vous présenter notre justification et que vous comprendrez que nous n'avons rompu le silence que parce que nous y avons été forcés. »
En présence des considérations développées dans la pétition, la commission a conclu au dépôt de cette pièce sur le bureau pendant la discussion actuelle et ensuite au renvoi au bureau des renseignements.
M. Allard. - Lorsque cette pétition est arrivée à la Chambre, il y a quelques jours, je me suis opposé à ce qu'on l'insérât aux Annales parlementaires, comme l'avait proposé l'honorable M. Van Overloop, et j'ai rappelé à la Chambre qu'il existait plusieurs antécédents qui auraient prouvé qu'il n'y avait pas même lieu de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions.
J'ai recherché dans les Annales parlementaires les circonstances dans lesquelles la Chambre a pris des décisions de ce genre et a passé à l'ordre du jour sur des pétitions de la nature de celle qui nous occupe ; mais je n'ai pas trouvé ce qui s'est passé quand les magistrats de la ville de Louvain se sont adressés à la Chambre pour protester contre une partie d'un discours prononcé par l'honorable M. de Man.
Pour ce qui me concerne, voici ce qui a eu lieu dans la séance du 24 décembre 1851. Nous discutions un traité de commerce qui avait été conclu avec la Hollande ; on avait rappelé que certaines chambres de commerce n'avaient pas appuyé ce traité et on disait que c'était à tort qu'on venait dire que tout le pays l'appuyait. J'ai été amené ainsi à prendre la parole dans cette discussion et j'ai dit alors que si la chambre de commerce de Tournai n'avait pas adressé à la Chambre une requête pour faire connaître son opinion favorable au traité, sur cet acte important que tous nos fabricants approuvaient, c'était pour ne pas donner au ministère une marque de sympathie ; qu'elle avait gardé un silence qui pouvait être fatal aux intérêts qu'elle représente, que c'était l'esprit de parti qui l'avait fait agir.
Dans la séance du 26 janvier 1852, M. Kindt de Naeyer, après avoir procédé à l'appel nominal, a communiqué ainsi l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« La Chambre de commerce et des fabriques de Tournai déclare protester contre les paroles prononcées par M. Allard dans la séance du 24 décembre dernier et demande que sa protestation soit insérée dans les Annales parlementaires. »
Je demandai alors la parole, et voici ce que j'ai dit : « Messieurs, je ne puis admettre qu'une chambre de commerce vienne protester contre les paroles que j'ai prononcées. Si la demande de la chambre de commerce de Tournai était accueillie, je devrais répondre, nous aurions alors des débats par correspondance. Je m'oppose à ce que cette pétition soit même renvoyée à la commission des pétitions. Je demande l'ordre du jour. »
Mon honorable collègue et ami M. Visart prit la parole et dit : « Sans doute, messieurs, il serait doublement regrettable de réveiller dans cette enceinte une polémique qui a déjà fait trop de bruit dans les journaux, mais je ne puis me rallier à l'opinion de l'honorable M. Allard ; je demande donc, sans vouloir autrement m'immiscer dans le différend, que la protestation de la chambre de commerce de Tournai, conformément à ses conclusions et à la lettre qu'elle m'a adressée, soit insérée aux Annales parlementaires et envoyée préalablement, à cet effet, à la commission des pétitions. >
Je ne sais pas si la Chambre désire que je lise tout ce qui s'est passé alors. (Non, non !)
Voici donc quelques extraits des Annales parlementaires.
M. le président a rappelé ce que demandait la chambre de commerce ; l'honorable M. Dolez prit alors la parole et dit :
« Je crois que la pièce dont il s'agit ne devait pas même être communiquée à la Chambre. La Chambre reçoit des pétitions et non des protestations. Au nom de la dignité de la Chambre, je demande que ce document soit considéré comme n'ayant pas été communiqué. »
L'honorable M. de Theux dit :
« Je crois que la marche à suivre est de renvoyer la réclamation à la commission des pétitions qui fera un rapport sur lequel la Chambre statuera. Il s'agît d'une rectification de faits articulés dans cette enceinte, et à laquelle l'honneur d'un corps est intéressé. C'est une question qui n'est pas si minime qu'on paraît le croire. Des faits ont été articulés qui peu» vent porter atteinte à l'honneur, à la considération d'un corps ; ce corps réclame près de la Chambre. Je ne sais qui a tort ou raison dans cette affaire, personne ne m'en a parlé ; je pense qu'il faut renvoyer à la commission des pétitions la pièce qui nous est adressée pour faire un rapport ; après quoi la Chambre décidera. »
Il y eut alors une discussion, et l'honorable M. Delehaye prit la parole.
« La chambre de commerce de Tournai, dit M. Delehaye, prétend qu'un de nos honorables collègues s'est trompé dans l'allégation d'un fait qui le concerne. » Précisément ce qui se passe avec la requête de MM. les chanoines de Tournai. « Que pourra faire la commission des pétitions, à qui vous renverriez l'affaire ? Elle devra vérifier le fait, prononcer entre l'honorable M. Allard et la chambre de commerce de Tournai, faire en quelque sorte une enquête. Si vous posez cet antécédent, il faudra une enquête, chaque fois qu'un membre de la Chambre sera en désaccord avec une chambre de commerce. Ce n'est pas admissible.
« La chambre de commerce de Tournai a usé de son droit, en protestant contre l'allégation de M. Allard.
« Aujourd'hui la Chambre a à prendre une résolution : la seule qu'elle puisse prendre, à mon avis, c'est de prononcer l'ordre du jour. Je propose donc que la Chambre, après avoir pris connaissance de la protestation, passe à l'ordre du jour.»
L'honorable M. Cools parla dans le même sens.
Je repris la parole ensuite et voici ce que je dis :
« J'entends dire que j'ai attaqué la chambre de commerce de Tournai. J'avais en main un document intitulé : Rapport lu à la chambre de commerce par le président. Ce rapport, je le possède. J'ai fait ressortir quelques phrases qui s'y trouvent. C'est ainsi que j'y ai lu que la chambre de commerce, étant favorable au traité, s'abstenait, parce qu'elle ne voulait pas donner au ministère une arme dont il pourrait tirer parti pour faire son éloge.
« J'ai cru voir, d'après cette phrase, que l'esprit de parti avait dirigé la chambre de commerce.
« La chambre de commerce vient dire que ce n'était pas un rapport, que c'étaient de simples notes. J'ai lu ce qu'on m'a envoyé. On m'a envoyé un rapport de la chambre de commerce.
« Je demande si j'ai attaqué à tort la chambre de commerce de Tournai ? Je ne le crois pas, et je persiste à m'opposer au renvoi à la commission des pétitions.
« M. Félix de Mérode. - Je n'ai pas demandé le renvoi à la commission des pétitions.
« M. Visart. - Je retire ma proposition et je me rallie à celle de l'honorable M. de Mérode.
« M. le président. - L'ordre du jour étant proposé, doit être mis d'abord aux voix. »
Et l'ordre du jour fut adopté.
Eh bien, sans me prononcer sur les faits avancés par M. Bara et contredits par MM. les chanoines et collateurs de certaines bourses à Tournai, je demande que la Chambre passe à l'ordre du jour, comme elle l'a fait en 1852, lorsque la chambre de commerce de Tournai a protesté contre ce que j'avais dit dans cette enceinte le 24 décembre lors de la discussion du traité de commerce avec la Hollande.
M. Vander Donckt. - Messieurs, l'honorable M. Allard vient de vous donner les détails d'un précédent de la Chambre. Vous me permettrez, à mon tour, de vous donner aussi les détails d'un autre précédent qui s'est produit dans cette enceinte.
Lorsque le général Vander Meeren avait présenté à la Chambre une pétition sur laquelle j'avais eu l'honneur de présenter le rapport, immédiatement l'honorable M. de Potter protesta contre les faits allégués par le général Vander Meeren, et la Chambrae admit les réclamations de M. de Potter et en ordonna l'insertion dans les Annales parlementaires.
Maintenant sur quoi discutons-nous ? Sur l’ordre du jour ou sur le dépôt au bureau des renseignements.
Mais, messieurs, il faut bien l'avouer, la nuance est si minime que, réellement ce n'est la peine d'abuser des instants précieux de la Chambre.
Que ce soit le dépôt au bureau des renseignements, que ce soit l'ordre du jour, en vérité il me semble que la différence est si petite que le jeu ne vaut pas la chandelle.
M. B. Dumortier. - Messieurs, il m'est impossible d'admettre le système qui vient d'être présenté par l'honorable M. Allard et je vais en expliquer les motifs.
(page 831) Si les faits qu'a indiqués l'honorable membre se présentaient de nouveau, je penserais tout à fait comme lui et je viendrais, comme lui, demander l'ordre du jour.
Pourquoi ? Parce que dans le cas dont il a parlé il s'agissait d'une autorité publique adressant à la Chambre une protestation.
La Chambre est en droit de critiquer, de censurer toutes les autorités publiques en vertu de la Constitution qui rend responsables non seulement les ministres mais encore tous les agents du pouvoir.
Mais ici il ne s'agit pas d'agents de pouvoir, mais de simples particuliers.
Autant je suis partisan de l'indépendance entière de la tribune en ce qui concerne l'action des députés sur les agents du pouvoir, autant je reconnais que la Chambre doit rester dans des limites excessivement sévères quand il s'agit de simples particuliers.
Nous avons le droit de critiquer tous les agents du pouvoir, d'examiner leurs actes, d'appeler sur eux la responsabilité, mais ce droit ne s'étend pas jusqu'aux personnes qui ne sont pas des agents du pouvoir, jusqu'aux particuliers.
Maintenant de quoi s'agit-il ? Que fait la pétition ? Dans une séance précédente l’honorable député de Tournai, parlant de la gestion des collateurs de bourses de Tournai, a dit : C'est une véritable spoliation, une confiscation au profit d'un parti politique ; les collateurs détournent les bourses de leur destination.
Il y a là des accusations portant atteinte à l'honneur des particuliers qui ne sont pas responsables devant nous, qui ne sont pas agents du pouvoir.
Ils sont accusés de spoliation, de confiscation, de détournement des bourses de leur destination et vous viendrez dire que lorsque des particuliers sont accusés de telles choses ils n'ont pas le droit de réclamer pour leur honneur vis-à-vis de vous !
Ce serait, messieurs, le renversement de tous les principes d'équité et de justice.
Je crois, pour mon compte, que lorsque des particuliers sont accusés de faits aussi graves, ils sont certes en droit de protester pour leur honneur outragé contre de pareilles accusations.
J'ai lu la pétition avec la plus grande attention ; elle ne contient aucune expression injurieuse. Mais les pétitionnaires réclament contre des accusations portant atteinte à leur honneur. Or ici encore ces pétitionnaires ne sont pas des agents publics. Ce ne sont pas des agents du pouvoir. Ce sont de simples particuliers.
Eh bien, je dis qu'en pareil cas la Chambre ne peut pas admettre sans une souveraine injustice le dédaigneux ordre du jour. Car ce serait déclarer qu'on a le droit à la Chambre d'accuser les particuliers de spoliation, de confiscation et de détournement des fonds qui leur sont confiés. Cela n'est pas possible, messieurs.
Je pense donc que cette affaire doit se terminer, comme le proposé la commission des pétitions, par le dépôt au bureau des renseignements, mais que l'ordre du jour, à la suite d'une accusation aussi grave contre des personnes qui n'occupent pas des fonctions publiques administratives, qui ne sont pas des agents du pouvoir, serait confondre deux choses tout à fait distinctes, notre action sur les agents du pouvoir et l'action que nous pouvons avoir sur l'honneur d s particuliers.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, l'honorable M. Allard vous a fait connaître les précédents de la Chambre, dans une circonstance où il se trouvait engage lui-même. Une réclamation ayant été faite contre un discours qu'il avait prononcé à cette tribune, la Chambre a passé à l'ordre du jour, sans même renvoyer à la commission des pétitions.
Je dois déclarer que si, à la séance où il a été donné connaissance de la pièce que nous discutons, j'avais lu la réclamation, car ce n'est pas une pétition, j'avais lu la pièce dont nous nous occupons en ce moment, j'aurais demandé également l'ordre du jour sans le renvoi préalable à la commission des pétitions.
Le précédent qu'a cité l'honorable M. Allard a été suivi dans d'autres circonstances, lia été suivi, comme l'a dît l'honorable membre, à propos d'une attaque qui avait été dirigée par l'honorable M. de Man d'Attenrode contre la régence de Louvain.
Le conseil communal de Louvain avait été attaqué assez vivement dans cette Chambre par notre honorable collègue M. de Man d Attenrode.
Le conseil communal de Louvain crut nécessaire de protester contre les paroles de l'honorable M. de Man, et M. le président de la Chambre à cette époque, l'honorable M. Verhaegen, je pense, fit la communication suivante :
« Les membres du conseil communal de Louvain présentent une réclamation contre les paroles prononcées à la Chambre par l'honorable M. de Man d'Attenrode au sujet des subsides accordés à cette ville pour travaux d'assainissement,
« M. le président. - Une réclamition semblable à celle-ci a été adressée à la Chambre à l'occasion d'un discours de M. Allard et la Chambre a passé à l'ordre du jour. Je propose à la Chambre de prendre la même résolution et de passer à l'ordre du jour. »
L'ordre du jour est adopté sans aucune contestation, l'ordre du jour est voté par les libéraux à l'égard des catholiques sans réclamation. Je demande que la Chambre maintienne cette jurisprudence, qui me semble fondée sur les principes les plus élémentaires de la raison et qui seule peut conserver la dignité de la Chambre.
L'honorable M. Dumortier veut faire une distinction entre ce qu'il appelle les agents du pouvoir et de simples particuliers. A aucun point de vue, la distinction qu'il fait ne me semble fondée. Dans le cas que l'honorable M. Allard nous citait tantôt, et qui le regardait personnellement, il ne s'agissait pas d'agents du pouvoir ; il s'agissait de membres d'une chambre de commerce qu'on ne peut considérer comme des agents du pouvoir.
M. B. Dumortier. - Ils sont nommés par vous.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce ne sont évidemment pas des agents du pouvoir.
Je prends après cela la pétition du conseil communal de Louvain. Les conseillers communaux ne sont pas nommés par le gouvernement ; ils sortent de l'élection. Ils avaient également leur administration à défendre.
Eh bien, la Chambre, à l'unanimité, sans protestation de la part d'aucun membre, a passé à l'ordre du jour. Pourquoi n'en agirait-on pas de même aujourd'hui ? Il est bien certain que les collateurs remplissent aussi des fonctions administratives. Vous êtes tous d'accord que le gouvernement doit exercer un contrôle sur la collation des bourses, et dès lors je demande si la Chambre n'a pas également à exercer son contrôle sur cette collation aussi bien que sur l’administration des communes. Je dis que vous devez appliquer le même principe, la même règle et que vous ne pouvez pas avoir deux poids et deux mesures.
Maintenant je dis que le principe défendu par M. Allard est le seul qui sauvegarde la dignité des membres de la Chambre, je dis qu'on ne peut pas admettre que les membres de la Chambre puissent être condamnés à discuter toutes les allégations qui seraient faites du dehors contre leurs discours, à discuter avec des personnes qui doivent rester complètement étrangères à nos débats.
Si un tel système était admis, nous aurions après chaque discussion des réclamations du dehors.
Le membre attaqué, contredit, devrait bien s'expliquer ; ses explications donneraient lieu à de nouvelles réclamations et de là des discussions sans fin.
Je crois que dans un intérêt commun et abstraction faite de tout esprit de parti, nous devons maintenir une jurisprudence qui sauvegarde la dignité de la Chambre.
M. de Theux. - Messieurs, il y a des précédents divers. Ainsi récemment, lorsque M. le ministre de l'intérieur, à propos de la discussion sur l'enseignement primaire, a communiqué à la Chambre des critiques sur ce qui se passait dans la province de Namur, la députation permanente de Namur a adressé une réclamation à la Chambre et la Chambre a renvoyé cette réclamation à M. le ministre de l'intérieur lui-même, après avoir entendu le rapport de la commission des pétitions. Ce fait est tout récent.
Du reste, messieurs, il s'agit de savoir si l'ordre du jour dont il s'agit a pour objet de blâmer la réclamation faite par les collateurs de bourses de Tournai. Si l'ordre du jour avait cette signification je dis que je le combattrais avec chaleur parce que cet acte est un acte justificatif et qu'il ne mérite aucune espèce de blâme. Si l'on entend seulement par l’ordre du jour éviter des discussions à propos des discours prononcés par des membres de la Chambre et à l'égard desquels il y aurait des réclamations venant du dehors, je reconnais qu’il y aurait des inconvénients à autoriser des discussions de ce genre-là, et s'il ne s'agit que de les prévenir je ne m'oppose pas à l'ordre du jour.
Je le répète, messieurs, je ne m'oppose pas à l’ordre du jour s'il n'en résulte aucune espèce de blâme de la justification que les collateurs de Tournai ont cru devoir nous adresser ; c'était évidemment de leur droit comme il est du nôtre de ne pas continuer la discussion sur ce sujet.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est bien certain qu'en demandant l'ordre du jour, on ne convie pas la Chambre à juger la réclamation. Chacun conservera son appréciation personnelle sur cette réclamation. L'honorable M. de Theux la peut trouver bonne ; moi je la trouve mauvaise et c'est en partie le motif qui me détermine à voter l'ordre du jour. A mon sens, la pétition n'a qu'un seul objet : (page 832) c'est, et il faut le dire très nettement, très franchement, c'est de signaler aux membres de cette Chambre M. Bara re d'autres personnes de sa famille comme ayant reçu des bourses. Voilà la vérité ! c’est un acte de charité chrétienne posé par messieurs les chanoines de Tournai. (Interruption.)
M. Bara était parfaitement dans son droit en appréciant la manière dont la collation des bourses était faite à Tournai ; il remplissait un devoir. Il était convaincu que la répartition avait eu lieu d'une manière injuste, qu'elle se faisait toute au profit des établissements ecclésiastiques à l'exclusion des établissements laïques ; eh bien, il était de son droit et il était de son devoir de signaler cet état de choses à la Chambre. Il justifiait ainsi l'une des dispositions du projet de loi.
Maintenant, M. Bara n'est pas du tout humilié d'avoir reçu une bourse, qui n'est pas, comme les pétitionnaires le disent, à la collation du chapitre de Tournai ; mais, comme ils omettent de le dire, à la collation du bourgmestre et d'un chanoine.
M. Dolez. - Jamais bourse n'a été mieux donnée qu'à lui ; incontestablement, et c'est très honorable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement. Mais on a voulu livrer à la malignité publique le fait d'avoir reçu une bourse, d'être un boursier (interruption). Lisez la presse de la droite. (Interruption). Je dis ce qui est au fond de ma pensée, ce qui est au fond de vos propres pensées. (Interruption.)
Messieurs, à part cette considération, les motifs donnés pour faire écarter par l'ordre du jour une semblable pétition, ces motifs sont manifestes. Il est clair que si l'on peut entrer en discussion avec les membres de la Chambre, si l'on peut, dans des pétitions, apprécier ce qu'ils ont fait, on introduit un élément extérieur dans le parlement. Vous serez obligés ainsi de discuter avec tous ceux qui se présenteront, sous prétexte de réclamations, sous prétexte d'avoir été blessé, atteint plus ou moins directement ; vous serez obligés de discuter avec l'élément extérieur. Or cela est complètement inadmissible, c'est contraire à la dignité de la Chambre, et je crois que c'est un motif péremptoire pour faire écarter la réclamation par l'ordre du jour.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dois un mot de réponse à l'honorable comte de Theux concernant l'incident qu'il vient de rappeler. Cet incident ne peut être considéré comme un précédent. Une simple explication le prouvera.
J'avais, dans une discussion récente, présenté une appréciation sur le progrès et la situation de l'instruction primaire dans la province de Namur ; la députation permanente de cette province protesta contre mes appréciations. L'honorable M. Wasseige avait soutenu les dires de la députation quand la pièce fut analysée, et je lui avais fait une courte réponse, me réservant de réfuter ultérieurement ses allégations.
Plus tard, l'honorable M. Wasseige me témoigna le désir de voir ajourner cette discussion ; d'après lui, le moment n'était pas opportun ; désirant être agréable à mon honorable collègue, j'ai consenti très volontiers à cet ajournement.
Quand le rapport a été fait, je me suis abstenu de donner ces explications, parce que je ne voyais pas l'honorable M. Wasseige à son banc, et qu'à mes yeux, il n'eût été ni délicat ni loyal, de répondre à des accusations, alors que celui qui devait défendre la députation ne se trouvait pas présent.
De ce qui s'est passé dans cette circonstance, on n'est nullement fondé à conclure que c'est un précédent à invoquer dans le cas actuel. Il y avait entendu entre M. Wasseige et moi. Les faits que je viens de rappeler sont de la plus parfaite exactitude, et personne, je pense, ne le contestera.
M. de Theux. - Messieurs, nous n'avons pas à juger ici ni les intentions des collateurs des fondations de bourses de Tournai, ni celles de M. Bara ; c'est un point qui ne nous concerne pas. Ce que je maintiens, c'est que si M. Bara a eu le droit d'attaquer les faits de la gestion des collateurs, ceux-ci ont, à leur tour, le droit de se justifier, de donner des explications. (Interruption.) Je répète que je maintiens cette assertion.
M. Wasseige. -Messieurs, je. n'ai que quelques mots à dire en réponse à ce que vient de déclarer M. le ministre de l'intérieur. Lorsque la Chambre a été saisie de la réclamation de la députation permanente du conseil provincial de Namur, elle en a ordonné le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. C’était cependant une protestation contre les dires de M. le ministre de l'intérieur. Cette protestation, eu égard à la manière dont elle avait été introduite dans la Chambre, était tout à fait identique à celle des collateurs des fondations de bourses de Tournai.
Or, la Chambre n'a pas vu là un obstacle au renvoi de la réclamation à la commission des pétitions ; la commission a présenté son rapport et ses conclusions consistant dans le renvoi à l'honorable ministre de l'intérieur ont été adoptées sans discussion.
Il est vrai que M. le ministre de l'intérieur et moi étions convenus qu'on ne s'occuperait pas immédiatement du fond même des questions soulevées par la réclamation de la députation permanente de Namur, parce que le moment n'était pas opportun ; mais on n'a pas discuté alors la question de procédure, aujourd'hui soulevée par l'honorable M, Allard. Voilà, je pense, la seule conséquence que l'honorable M. de Theux veut tirer de ce précédent, et cette conséquence est parfaitement juste.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je suis en droit de protester contre les paroles qu'a prononcées l'honorable M. Frère-Orban ; il a dirigé contre nous et surtout contre les orateurs qui ont parlé dans cette circonstance, des insinuations malveillantes qui sont interdites par le règlement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas fait d'insinuations.
M. B. Dumortier. - Pardon, vous avez donné un mauvais sens à nos paroles et vous nous avez dit que c'était le fond de notre pensée. C'est là une insinuation malveillante ; or, le règlement nous interdit toute imputation de mauvaise intention.
Quant à moi, si je me suis levé pour appuyer les conclusions de la commission des pétitions, c'est à cause des paroles qui avaient été prononcées contre les collateurs des fondations de bourses de Tournai, dans des termes tels que, si elles avaient été proférées dans un café, elles auraient donné lieu à un procès en calomnie contre celui qui se les serait permis. (Interruption.)
Je n'admets pas qu'on puisse s'exprimer ici d'une telle manière sur des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires publics.
M. Devaux. - Nous n'aurions donc plus le droit de dire ici que des bourses ont été mal conférées ?
M. B. Dumortier. - Sur des personnes, je le répète, qui. ne sont pas fonctionnaires publics et qui par conséquent ne sont pas responsables, devant nous, des actes qu'elles posent, alors surtout que les accusations ne consistent réellement que dans le détournement, la confiscation et la spoliation.
M. le président. - Je remarque qu'on a mal compris M. le ministre des finances, je crois qu'on s'est exagéré la portée de ses paroles. M. le ministre des finances pourra du reste s'en expliquer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le président, non seulement on les a exagérées, mais on les a complètement dénaturées. (Interruption.)
J’ai apprécié à mon point de vue la pétition qui vous été adressée ; j'ai dit que, dans ma pensée, elle n'avait eu d'autre but que de signaler l'honorable M. Bara comme ayant obtenu une bourse.
- Un membre. - Il n'y a là ni bien ni mal.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez-moi de continuer à m'expliquer.
Interrompu dans ce moment, j'ai dit que j'étais convaincu que c'était également votre pensée. Je n'ai fait là aucune espèce d'insinuation, je ne vous ai pas attribué cette opinion d'une manière malveillante : j'ai dit que j'étais convaincu que vous pensiez, comme moi, que c'était là le but de la pétition.
Je crois avoir reproduit exactement ce que j'ai dit et ce qui s'est passé. J'ai voulu rectifier une assertion parfaitement erronée de l'honorable M. B. Dumortier, qui m'avait fort mal compris ; il paraît que l'honorable M. Van Overloop m'avait aussi mal compris ; mais qu'il en soit convaincu et qu'il prenne acte de mes paroles : il n'y a eu dans ce que j'ai dit aucune pensée malveillante envers mes honorables adversaires.
M. Van Overloop (pour un fait personnel). - Messieurs, ni dans cette séance, ni dans une séance précédente, je n'ai voulu dire rien de personnel à l'honorable M. Bara ; je l'ai déclaré l'autre jour, et je le répète aujourd'hui.
Je n'ai pas fait la proposition de donner lecture de la pièce ; j'ai demandé s'il ne serait pas convenable, après, bien entendu, que le bureau aurait jugé de la convenance des termes mêmes de la pièce, de donner lecture des renseignements explicatifs contenus dans celle-ci. Voilà tout.
Et je faisais cette proposition parce qu'il s'agit ici de faits et que le projet de loi a précisément la prétention d'être présenté pour réprimer les abus (Aux voix ! aux voix !) et que c'est sous ce prétexte que vous espérez faire passer ce projet.
Maintenant, j’accepte la rétractation de l'honorable M. Frère-Orban.
- Voix à gauche. - Oh ! oh !
M. Van Overloop. - L'explication, si vous le préférez. Mais je reste convaincu d'avoir parfaitement entendu et compris la pensée de M. le ministre des finances.
(page 833) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez mal entendu et mal compris.
M. Van Overloop. - M. le ministre peut s'être mal exprimé, et s'il y avait quelque contestation à cet égard, je m'en rapporterais volontiers à la sténographie ; je suis prêt, pour ma part, à faire amende honorable, si je suis dans l'erreur.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Van Overloop comprend souvent très mal ; il vient encore de le prouver.
M. Nothomb. - J'affirme que nous avons tous de ce côté compris comme lui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et moi j'affirme que vous avez mal compris.
M. Nothomb. - Convenez plutôt que vous vous êtes mal exprimé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai parfaitement exprimé la pensée que j'ai voulu émettre. Après cela, je vous déclare que j'assume même l'interprétation que vous trouverez bon de donner à mes paroles. (Interruption.)
- Voix à droite. - C'est trop fort !
M. Van Overloop. - Je demande le rappel à l'ordre.
- Voix à droite. - Oui ! oui ! le rappel à l'ordre ! (Interruption.)
M. le président. - J'avais compris les paroles de M. le ministre dans le sens de ses explications. Celles-ci témoignent de l'absence de toute intention malveillante à l'égard de la droite. Je l'engage à ne pas les dépasser. (S'adressant à la droite) : Je vous en prie, messieurs, mettons un terme à ce débat. Pourquoi le prolonger après les explications si nettes, si franches que vient de donner M. le ministre des finances ? Elles excluent toute imputation blessante.
- Voix nombreuses. - La clôture !
M. le président. - Il est donc bien entendu qu'il n'est entré dans la pensée de personne d'offenser qui que ce soit.
M. de Naeyer. - Et les dernières paroles du ministre, que signifient-elles si elles ne sont pas une injure ?
M. le président. - J'ai engagé M. le ministre des finances à se renfermer dans ses premières explications, et on doit s'abstenir aussi de les suspecter.
M. de Naeyer. - Non-seulement, il ne s'y est point renfermé, mais il y a encore ajouté une insinuation injurieuse pour plusieurs membres.
- Voix diverses : La clôture !
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition d'ordre du jour faite par M. Allard.
- L'ordre du jour est mis aux voix et prononcé.
M. Tack. - Messieurs, la discussion générale s'est déjà beaucoup prolongée, je le reconnais ; mais en matière aussi grave que celle qui nous occupe, dans un débat aussi solennel, il doit être permis, à chacun de nous qui le désire, d'exprimer un avis, de faire connaître sa pensée.
Partant de là, je m'efforcerai de restreindre dans les limites les plus étroites possibles les observations que j'ai l'intention de présenter à la Chambre.
Avant tout, je déclare que je suis défavorable au projet de loi, et que jamais, au grand jamais, je n'aurai émis un vote négatif avec une conviction plus intime, plus entière, plus complète.
Avec d'honorables collègues qui m'ont précédé à la tribune, je repousse le projet de loi comme inopportun et comme inutile, dans un grand nombre de ses dispositions essentielles.
Je le repousse parce qu'il opère sans nécessité plausible, sans à-propos, froidement, une réaction violente, que rien ne justifie, contre un état de choses sanctionné par le respect, trois fois séculaire, des générations passées ; parce qu'il porte atteinte au grand et salutaire principe de la solidarité qui lie le passé à l'avenir ; parce qu'il est à l'égard de la mémoire d'une catégorie de bienfaiteurs de l'humanité, à coup sûr très respectables, un acte d'ingratitude et de véritable mépris, parce qu'il tient peu compte de la majesté des lois et de la volonté de ceux qui ont stipulé sur la foi du législateur ; parce qu'il est contraire à notre droit historique, à notre droit national, à nos traditions d'honnêteté, de loyauté, de probité politiques ; parce qu'il froisse profondément le sentiment religieux de nos populations.
Je le repousse parce qu'il méconnaît l'esprit de la Constitution, en ce sens qu'il peut avoir pour conséquence de confisquer indirectement la liberté d'enseignement au profit du monopole de l'Etat, et de susciter à la liberté d'enseignement une concurrence qui tôt ou tard doit l'étouffer ; parée qu'il refuse à la liberté l'air et l'espace doit elle a besoin pour vivre, grandir et se développer.
Je le repousse parce qu'il peut devenir entre les mains des partis une arme dangereuse, destinée à assurer la suprématie politique de l'une des grandes opinions qui divisent le pays sur l'opinion rivale.
Je le repousse parce qu'il peut avoir pour effet de tarir les sources de la bienfaisance.
Je le repousse, enfin, parce qu'il est en opposition flagrante, au point de vue des innovations qu'il introduit à l'égard du passé, avec la loi du 3 juin 1859, interprétative de l'article 84 de la loi communale.
J'ai qualifié le projet de loi d'inopportun. A mon sens, le gouvernement n'aurait point dû, à la veille des élections, jeter dans le pays ce brandon de discorde et d'agitation ; surexciter la passion politique, maais bien laisser les électeurs remplir leur devoir avec calme et réflexion. Comme on l'a fait observer, la tranquille sérénité des comices électoraux ne va pas au tempérament du cabinet, et puis ne lui fallait-il pas donner un gage de bienveillance, quoi qu'en ait dit l'honorable ministre de la justice, et payer des arrhes à cet élément jeune qui menace de le déborder, et dont les appétits semblent singulièrement excités depuis les concessions qui lui ont été faites, témoin les bourrades que reçoivent de toutes parts et le rapport de la section centrale et le projet de loi ; témoin l'effervescence qui anime la jeunesse studieuse de la capitale, à propos du legs de feu l'honorable M. Verhaegen.
J'ai caractérisé, en second lieu, le projet de loi en disant qu'il est inutile dans plusieurs de ses dispositions les plus capitales. Cette observation s'applique plus particulièrement aux anciennes fondations de bourses d'études.
Le législateur qui innove aussi profondément que vous le faites, doit être guidé par des raisons aussi graves que pertinentes et décisives. Or où sont-elles ces raisons ? On vous l'a demandé. Où sont aujourd'hui les abus ? On vous a mis en demeure et nous ne cesserons de le faire, d'articuler nettement vos griefs devant la Chambre et devant le pays. Et jusqu'à présent vous êtes restés silencieux. Je me trompe, l'honorable M. De Fré, qui n'est pas le dernier à découvrir et à dénoncer les méfaits et les prévarications du clérical, lui toujours si zélé pour étaler devant vous, dans leur jour le plus sombre, tous les cas pendables et non pendables, s'est vu réduit à vous citer le fait d'administrateurs spéciaux qui s'étaient permis, ô crime irrémissible, de conférer une bourse d'étude, dont le revenu, aux termes des statuts, aurait dû, dans le cas donné, être capitalisé ; sans compter que si les administrateurs mis en cause, mais qui n'ont pas ici voix au conseil, pouvaient s'expliquer, ils prouveraient peut-être à l'honorable membre qu'ils ont agi dans la plénitude de leurs droits.
Mais soit : ils se sont trompés. Quel tort ont-ils causé et à qui ? De bonne foi sont-ce des faits pareils qui pourraient motiver votre prétendue réforme législative ?
Si je ne craignais d'être trivial je vous demanderais s'il y a là de quoi fouetter un chat !
Ah ! j'ai le droit d'affirmer que la tirelire au scandale est peu fournie, peu riche en faits compromettants, en abus réels, quand pour étayer vos accusations, ou plutôt vos soupçons, vous apportez au débat d'aussi piètres, d'aussi insignifiantes critiques.
L'honorable M. De Fré l'a senti lui-même, et comme s'il avait eu un regret il n'a pas osé aller jusqu'à blâmer la conduite des administrateurs qu'il a mis en scène ; très bon prince en ceci, il leur a presque donné un bill d'indemnité et j'ai cru comprendre que dans sa propre pensée l'abus s'est borné à une fausse interprétation d'un contrat.
Et c'est là ce qui légitimerait l'a présentation d'un projet de loi qui bouleverse, anéantit et supprime toute la législation préexistante.
Quoi ! c'est pour cela qu'il faut confisquer le droit de collation au détriment de ceux qui en jouissent, ce droit qui constitue ce que l'honorable comte de Liedekerke appelle avec raison, l'âme, l'essence de la fondation ; ce droit qui est, pour le fondateur, la garantie la plus précieuse que sa volonté sera exécutée !
Il y a en Belgique 781 fondations d'enseignements et de bourses d'études gérées par des administrateurs spéciaux. Depuis plus de 40 ans, le régime actuel établi par le roi Guillaume fonctionne régulièrement en Belgique, et pour le combattre, l'honorable M. De Fré est contraint de se raccrocher à une planche de salut qu'il lâche lui-même volontairement après qu'il s'y est cramponné pendant peu d'instants.
Permettez-moi de vous le dire, sans amertume, mais avec la plus (page 834) entière franchise, s'il était dans votre pouvoir de dénoncer ici des actes blâmables, précis, point vagues, à charge des administrateurs spéciaux, vous ne manqueriez pas à la tâche, vous auriez hâte de les exhumer et de les faire miroiter devant le pays alarmé. Ce serait votre droit et votre devoir ; en cette matière vous usez volontiers de votre droit, ce n'est pas vous faire injure que de le proclamer. Qui ne se rappelle ce qui se passa en 1857 ? Alors vous ne tarissez point en citations d'abus anciens et récents, c'était à qui, chaque jour, exposerait et commenterait un fait nouveau.
Le moyen était bon, excellent, il permettait de tenir ses adversaires en haleine en les obligeant d'aller sans cesse aux renseignements et de se livrer à de pénibles recherches, pour réfuter le lendemain les assertions de la veille.
Bref, je suis fondé à proclamer que si vous n'alléguez pas de griefs à l'appui de vos allégations, c'est que vous êtes impuissants à le faire.
Y en eût-il quelques-uns, ils ne prouveraient rien, car quelle est l'institution humaine qui puisse prétendre à la perfection, comme disait l'honorable chanoine de Haerne ? L'axiome du droit lex lata fraus inventa restera éternellement vrai.
Et puis, n'avons-nous pas à invoquer contre vous le témoignage des députations permanentes ? Que disent ces collèges qui ne vous sont point suspects ? L'honorable M. Nothomb vous a fait connaître en détail, pour une période de douze ans, les rapports qu'ils envoient annuellement au gouvernement et qui se résument, vous le savez, en cette déclaration :
Les administrateurs spéciaux remplissent leur mission avec zèle et intelligence, leurs comptes sont réguliers, ils ont soin de faire emploi immédiat des capitaux disponibles, ils exécutent scrupuleusement la volonté des fondateurs.
L'honorable M. Nothomb vous a prouvé de plus que réellement les députations permanentes exercent un contrôle des plus sévères et des plus sérieux, qu'ils répriment jusqu'aux tentatives d'empiétement, jusqu'à l'apparence d'une irrégularité, jusqu'aux moindres écarts.
Il vous a démontré en outre qu'avec le système adopté par le roi Guillaume, avec les précautions minutieuses prises par ce monarque, les abus sont impossibles ; à ce sujet il vous a énuméré entre autres garanties : la surveillance confiée aux proviseurs qui remplissent auprès des fondations de bourses d'études le rôle de ministère public, l'institution d'un comité consultatif permanent et le droit d'inspection attribué à M. le ministre de la justice. Que voulez-vous de plus ?
Oh ! je le sais, pour étayer vos accusations, pour faire croire aux abus vous avez à votre disposition une plainte formulée en termes généraux mais votre plainte dans les circonstances et de la manière dont elle est articulée, élude adroitement tout examen sérieux. Je dirai tantôt pourquoi. Cette plainte est au reste votre seul bagage. Quel est-elle ? En fait, dites-vous, l'université de Louvain accapare, sans droit ni titre, les bourses de fondation, grâce la connivence et à la complaisance des collateurs à titre d'office ecclésiastique, qui forcent les boursiers à fréquenter ses cours et qui vont jusqu'à refuser de conférer les bourses à ceux qui expriment l'intention d'aller faire leurs études à l'université de Bruxelles, de Gand ou de Liège.
Voilà bien l'accusation, je ne l'atténue pas, je reproduis votre langage.
Or, les collateurs des fondations anciennes n'ont aucun droit, dites-vous, de peser sur la volonté du boursier, ni de préférer tel enseignement à tel autre. A l'appui de cette thèse, l'honorable M. Orts invoque l'article 17 de la Constitution ; de par l'article 17, dit-il, le boursier est libre de préférer tel enseignement à tel autre, de puiser l'enseignement de son choix dans telle université que bon lui semble.
L'honorable M. Tech professe à l'endroit des bourses de fondations anciennes une théorie différente ; selon lui, de par les décrets de l'empire et les arrêtés de Guillaume, les bourses anciennes ont été nationalisées et affectées à l'enseignement reconnu par l'Etat. C'est donc à l'enseignement de l'Etat qu'elles devraient, selon le prescrit des lois actuelles, profiter exclusivement, et c'est faire une large concession que de permettre au boursier d'aller étudier dans un établissement libre ; c'était aussi la théorie que défendait l'honorable M. Frère en 1857.
Je ne m'occuperai p3s de rechercher, au point de vue du droit, ce qu'il peut y avoir de vrai, de faux ou d'exagéré, dans l'une ou l'autre de ces doctrines. A l'honorable M. Tesch et à l'honorable M. Orts de se mettre d'accord ; je dirai seulement que je n'admets nullement, comme le soutient M. le ministre de la justice, que les anciennes bourses ont été nationalisées et réunies au domaine de l'Etat.
Ce qui a été nationalisé, ce sont les biens de l'université de Louvain, considérée comme personne civile, mais non pas les biens afférents aux fondations de bourses. J'admets moins encore, qu'en strict droit, aux termes du décret de 1811 et des arrêtés du roi Guillaume, malgré l'article 17 de la Constitution, les bourses d'études devraient, sous l'empire de la législation actuelle, être attribuées exclusivement aux établissements de l'Etat. En un mot comme en cent, si sous la législation de l'empire et du gouvernement des Pays-Bas, les bourses ont été momentanément attribuées aux établissement officiels, c'est en vue d'une organisation de l'enseignement qui a disparu, c'est à raison d'une situation qui n'existe plus ; notre émancipation politique de 1830 nous a dotés d'un régime nouveau. La Constitution a proclamé la liberté d'enseignement en vertu de laquelle il existe et il existera désormais des universités libres à côté des universités de l'Etat. Donc ni les décrets de l'empire ni les arrêtés du roi Guillaume ne sauraient être invoqués aujourd'hui en faveur du droit exclusif de l'enseignement de l’Etat.
Et quand l'honorable ministre de la justice, à propos de ce décret et de ces arrêtés, vient crier à la spoliation des établissements officiels, il fait litière de la Constitution ; il prouve d'ailleurs trop, car il combat du même coup ses propres amis, qui eux proclament, en vertu de la Constitution, la liberté absolue des boursiers.
Au demeurant, entre l'honorable M. Tesch et ses amis la solution devient aujourd'hui indifférente, puisque l'honorable ministre est d'accord avec eux pour admettre, en vertu de son projet de loi, les institués désignés dans les actes de fondations anciennes, à fréquenter une université de leur choix, ce n'est donc plus entre eux qu'une querelle de juriste.
Nous, messieurs, avons-nous jamais revendiqué au profit de l'université de Louvain la propriété des anciennes fondations de bourses ? Nullement.
D'abord, nous savons parfaitement qu'autre chose était, même sous la législation antérieure à la République française, l'université de Louvain» l'Alma mater, et les fondations de bourses ; nous savons que ces dernières étaient, comme elles sont encore aujourd'hui, des corps distincts, des personnes civiles, ayant leur existence propre.
Et quand d'autre part on vient nous prouver victorieusement que l'université actuelle de Louvain n'est pas l'Alma mater d'autrefois, qu'elle n'est pas un établissement public comme l'était l'ancienne université, on enfonce encore, comme le disait M. Nothomb, une porte ouverte, on élever des moulins à vent pour avoir le plaisir de les pourfendre, on nous prête des idées qui ne sont pas les nôtres.
Ici on nous arrête et on nous dit : Vous admettez donc implicitement que le boursier ne saurait, en vertu des anciennes fondations, être astreint à fréquenter l'université de Louvain ; mais alors mettez le droit en harmonie avec le fait ; or, nous vous prouvons, statistiques en main, quel les collateurs ne sont pas fidèles aux prescriptions du droit en vigueur ; nous établissons qu'ils se rendent coupables d'une partialité révoltante, car l'université de Louvain à elle seule compte 244 bourses absorbant une somme de 51,289 fr. 82 c.
Veuillez remarquer ceci : qui dit 244 bourses, ne dit pas 244 boursiers, car pour allouer 244 bourses de 500 francs, il faudrait disposer d'une somme de 122,000 fr.
Parmi ces 244 bourses il y a des demi-bourses et des quarts de bourse cumulés par le même individu.
Un mot d'abord sur la portée de cette statistique considérée en elle-même au point de vue de la position privilégiée qu'elle crée censément à l'université de Louvain.
L'université de Louvain a un nombre d'élèves beaucoup plus considérable que toute autre, elle l'emporte sous ce rapport de beaucoup sur ses rivales.
Quoi d'étonnant qu'elle ait un plus grand nombre de bourses ?
Louvain est une ville de second rang, qui elle-même ne fournit pas à son université un nombre de jeunes gens aussi considérable, qu'en fournissent Bruxelles à l'université libre, Gand et Liège aux universités de l'Etat.
Or remarquez que les jeunes gens qui reçoivent l'enseignement universitaire dans le lieu de leur domicile, qui ne supportent d'autres frais que les frais d’inscription, n'ont pas le même droit aux bourses, à moins d'une réserve expresse dans l'acte de fondation, que ceux qui sont obligés de quitter la famille, de se déplacer, de pourvoir aux dépenses de logement, d'entretien, de voyage.
Sous ce rapport il y a donc quelque chose à rabattre du nombre des élèves qui fréquentent les universités des grandes villes.
Je prévois qu'on va me répondre : Vous raisonnez mal ; si l'université de Louvain jouit de beaucoup de bourses, ce n'est pas parce qu'elle attire vers elle un grand nombre d'étudiants ; il faut renverser la proposition et dire : Si l'université de Louvain est fréquentée par un grand nombre de jeunes gens, c'est parce qu'on lui attribue beaucoup de bourses.
Erreur manifeste ; car, je vous le demande, comment se fait-il alors que, (page 835) l’université de Gand, à laquelle sont attribuées pour 35,000 à 40,000 fr. de bourses, ne compte que 218 élèves ? Louvain en compte 672, plus du triple, d'où la conséquence que pour être sur le pied d'égalité avec Gand, elle devrait jouir de 120,000 fr. de bourses.
Ne perdons pas de vue que si Louvain a le gros lot en fait de bourses de fondations conférées par des collateurs administrateurs spéciaux, si de ce chef ses boursiers touchent 51,000 fr., les universités de l'Etat et l'université de Bruxelles trouvent une compensation dans les bourses de fondation conférées par le gouvernement, dans celles qui leur sont attribuées par la commune et par les provinces. D'où suit qu'il existe actuellement en matière de bourses un équilibre incontestable.
Explique qui vaudra, la différence entre le nombre des élèves de Gand et de Louvain ; quant à moi, je pense que le motif en est que l'université de Gand ne possède pas au même degré que l'université de Louvain la confiance des pères de famille, et des boursiers eux-mêmes.
Permettez-moi au surplus de vous dire franchement que je n'accepte pas sans réserve les statistiques qu'on nous soumet. Pour pouvoir les interpréter convenablement, il faudrait être en mesure de les dépouiller ; savoir quels sont ces élèves qui figurent sur les listes d'inscription ; si tous sont des étudiants sérieux qui se destinent aux hautes études ; de ce dépouillement il y aurait à tirer plus d'une conséquence.
J'abandonne maintenant la statistique en tant que considérée en elle-même, et je reprends à un autre point de vue l'objection tirée par voie d'induction contre les collateurs de bourses à titre de leur office ecclésiastique. Vous prétendez qu'ils emploient la contrainte pour obliger les boursiers à fréquenter l'université de Louvain. A l'appui de votre affirmation, vous n'apportez pas de faits précis. Cependant je dois encore être juste à l’égard de l'honorable M. De Fré, il en a exhumé un que l'honorable Frère avait déjà produit à la tribune en 1857 et qui lui avait été dénoncé par un certain M. Ectors ; mais l'honorable M. Landeloos en a fait pleine justice en vous prouvant qu’il ne s'agissait pas là de collateur à titre d'office, mais d'un collateur à titre de parenté qui à tort ou à raison avait voulu s'en tenir à l'intention formellement exprimée dans l’acte de collation. Que s'il y avait quelques cas isolés de refus absolu, de coaction, de contrainte, ils formeraient l’exception, et par conséquent ne légitimeraient pas la confiscation du droit. Si ces cas ont été si fréquents, comment se fait-il qu'aucun n'ait été déféré aux tribunaux ?
Donc vous en êtes positivement réduit à votre formule vague, générale, à votre induction tirée de ce que le plus grand nombre de bourses de fondation profite à des élèves admis à l'université de Louvain.
Mais ce que vous avez soin de ne pas nous dire, c'est que cela tient en grande partie à la nature des stipulations contenues dans l'acte de fondation ; ainsi par exemple grand nombre de bourses portent qu'à défaut de parents l'institué sera un jeune homme né et élevé à Louvain. Trouvez-vous étonnant que dans ce cas le boursier, surtout s'il est peu favorisé de la fortune, préférera faire ses études au lieu de son domicile.
Il est une foule d'autres stipulations qui font que naturellement, sans qu'aucune pression soit exercée de la part du collateur, le gratifié choisit dans toute sa liberté, par une préférence toute spontanée, l'université de Louvain. Nous eussions pu nous éclairer exactement sur ce point ; pour cela, il nous aurait fallu avoir en notre possession les actes de fondation, mais vous nous en avez refusé la communication, sous prétexte qu'il serait trop long, trop dispendieux de les recueillir, de les faire imprimer ; c'est tout au plus si nous avons sur les yeux une douzaine d'actes de fondation. Selon moi, rien n'est trop coûteux, aucune peine ne doit être épargnée quand il s'agit de rendre justice.
Mais enfin vous qui vous montrez si scrupuleux observateurs de la liberté la plus absolue du boursier, qui dans la pratique ne souffrez aucun tempérament, qui prétendez, sous ce rapport, ne tenir aucun compte de la volonté du testateur, par idolâtrie en quelque sorte, du principe inscrit dans l'article 17 de la Constitution, principe que l'honorable M. Tesch n'admet qu'à demi, avec réserve, en rechignant, mettez-vous, s'il vous plaît, d'accord avec vous-mêmes et interdisez à la ville de Gand et à la province de Flandre orientale d'allouer des bourses d'études sous la condition expresse pour le gratifié de fréquenter l'université de Gand ; c'est ici que nous rencontrons le compelle intrare dans toute sa crudité, le compelle intrare pratiqué avec l'argent des contribuables ; c'est le cas de dire habemus confitentem reum, nous tenons le coupable ; et remarquez, que pour vous réfuter, nous n'avons pas même besoin, ce que nous sommes en droit de faire, de rétorquer contre nous votre mauvais argument par induction qui est le seul que vous faites valoir contre l'université de Louvain. Ici votre principe de la liberté du boursier reçoit une atteinte manifeste, incontestable !
Vainement direz-vous qu'il ne s'agit pas là de bourses de fondation, mais d'un autre genre de bourses d'étude, qu'il est question de favoriser un établissement de l’Etat, lequel Etat a le service de l'enseignement supérieur dans ses attributions ; tout cela est indifférent au point de vue de votre principe de la liberté absolue du boursier.
Avec ces distinctions subtiles vous arrivez à faire administrativement ce que vous considérez comme un crime de lèse-Constitution dans le chef de la personne des fondateurs de bourses.
C'est aussi un de ces moyens administratifs que l'honorable M. Orts avait en vue, quand il conjurait avant-hier, d'une manière si pressante, ses amis de la gauche qui viennent défendre dans cette enceinte les droits de la commune, de modérer leur ardeur juvénile, de ne pas compromettre le projet du gouvernement, leur disant, par forme d'insinuation : Soyez tranquilles, vous serez satisfaits et contents, nous réglerons le tout en famille, à part nous, en dehors de cette Chambre, à l'abri de l'œil investigateur de nos adversaires.
Ce qui signifie : Nous ferons administrativement ce que vous désirez obtenir législativement ; nous avons dans le sac un truc que nous ferons manœuvrer selon vos désirs ; le legs de M. Verhaegen profitera à l'université de Bruxelles, la volonté du testateur sortira tous ses effets.
Ce ne sont point-là les paroles textuelles de M. Orts, mais j'en déduis le sens.
Eh bien, messieurs, ce langage me désole, et il attristera, je l'affirme, tous les amis du régime parlementaire loyalement pratiqué.
Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que je devine le moyen administratif auquel l'honorable M. Orts fait allusion ; je vais faire une simple hypothèse.
Impossible à l'honorable M. Tesch et à l'honorable M. frère d'autoriser la ville de Bruxelles à accepter le legs de M. Verhaegen.
Pour être fidèle à ses antécédents, le gouvernement ne peut faire qu'une chose : accepter, au nom de l'Etat, le legs de M. Verhaegen, en effaçant, bien entendu, la condition ; refaire en cela le testament de M. Verhaegen ; car consentir que la commune accepte, c'est faire arriver le legs, par personne interposée, à l'université de Bruxelles, qui n'a pas capacité civile. C'est renverser toutes les idées pratiquées par le gouvernement jusqu'à ce jour, relier tout un passé ; jeter par dessus les moulins une doctrine poursuivie avec la plus infatigable persévérance, avec la plus audacieuse logique.
Donc légalement parlant, impossibilité absolue pour le cabinet de donner raison à l'honorable M. Van Humbeeck ; mais voici, je pense, le petit moyen administratif. Le gouvernement déclarera qu'il veut autant que possible, dans les limites de la loi nouvelle, remplir les intentions généreuses de l'honorable M. Verhaegen ; pour cela il pourrait bien assigner aux revenus de la fondation une destination spéciale, les convertir par exemple en bourses d'études. Or l'honorable M. Orts a introduit, vous le savez, un amendement en vertu duquel le boursier aura le droit de fréquenter telle université que bon lui semble, alors même que la bourse dont il jouit provient d'une fondation acceptée par l'Etat.
Cet amendement vient fort à propos, et sauve le legs. En administration, en pratique, que se passera-t-il ? Vous le devinez, la commission provinciale du Brabant composée d'hommes naturellement dévoués à la ville de Bruxelles, à l'opinion libérale, à l'université de Bruxelles, tâchera pour accomplir le vœu légitime, sacré de M. Verhaegen, et je ne lui en ferais pas le moindre reproche, de conférer les bourses à des jeunes gens qui ont le vif désir de hanter les leçons données à l'université de Bruxelles, qu'elle n'aura pas besoin de contraindre et tout sera dit. Je la défie de faire différemment. Mais alors où est votre principe de liberté absolue du boursier, tel que vous l'interprétez ? Vous en faites bon marché. Vous avez pour cela vos petits moyens administratifs.
Je veux vous le dire :
Vous inscrivez sur votre drapeau la devise : liberté absolue du boursier, quand cette devise peut vous servir pour méconnaître la volonté des anciens fondateurs ; vous avez en réserve ce que vous appelez les conseils de famille, quand le principe de la liberté du boursier vous gêne et vous contrarie.
Au point de vue de la liberté des boursiers, vous aurez, prétendez-vous, plus de garantie quand la collation sera confiée à des commissions provinciales. Je réponds non. La politique, croyez-le, que le vent souffle de droite ou de gauche, ne sera pas sans influence sur les décisions de ces corps politiques, c'est dans la nature des choses, c'est dans la nature des hommes, c'est ce que nous voyons tous les jours.
Au moins, dites-vous, on peut espérer que les commissions provinciales répartiront les faveurs d'une manière plus égale ; chaque université aura sa part du gâteau. Je vous le demande, cette idée d'une répartition égale correspond-elle au principe de la liberté du boursier ? En, d'autres termes la liberté de boursier entraîne-t-elle nécessairement une distribution (page 836) uniforme des bourses entre toutes les universités ? Pas le moins du monde, le contraire est plutôt vrai, comme le dit à mes côtés l’honorable M. de Naeyer. Et quand vous venez nous dire : L'université de Louvain a plus de bourses de fondations que les autres universités, donc une atteinte est portée à la liberté d'enseignement, vous faites un faux raisonnement, un pur sophisme, c'est le post hoc ou le cum hoc ergo propter hoc, de la fausse dialectique auquel vous recourez.
Je soutiens que la liberté absolue du boursier complètement appliquée, conduit logiquement à une répartition inégale.
Je soutiens que ce résultat mathématiquement exact qui semble être votre desideratum, qui est le but que vous poursuivez, est l'antithèse, le contre-pied de la liberté du boursier. Vouloir cette répartition exacte, c'est réglementer la liberté, c'est la gêner, c'est l'asservir.
Mais, messieurs, allons plus loin, abordons résolument la difficulté en nous plaçant au point de vue moral, au point de vue de la justice et de l'équité. Laissons là les arguments des juristes, quittons l'ornière du strict droit, et rappelons-nous la maxime : Summum jus, summa injuria. Le strict droit poussé dans ses dernières conséquences ne dégénère que souvent en injustice.
Pour moi, la question n'est pas tant de savoir si le droit de collation, sur lequel on a beaucoup discuté et disputé, est un droit politique ou un droit civil ; jusqu'à quel point il est permis de toucher à l'administration des bourses anciennes ; quand il y a rétroactivité, quand il n'y en a pas ; si la convention a nationalisé les bourses d'études ; si les arrêtés du roi Guillaume les ont définitivement attribuées aux universités de l'Etat ; si c'est la loi qui fonde ou bien si c'est le fondateur.
J'abandonne volontiers ces cavillations interminables aux disputes de l'école, et peu m'importe leur solution.
Nous sommes en droit de modifier pour l'avenir les dispositions des décrets de l'Empire et des arrêtés du roi Guillaume, dès là, nous sommes convaincus qu'elles portent l'empreinte de l'absolutisme ou de l'arbitraire. Sous ce rapport nous avons devant nous table rase, pour autant que nous ne touchions pas à la volonté du fondateur. Ce que nous avons à résoudre, c'est une question d'honnêteté, de loyauté politique ; c'est une question de justice et d'équité. Législateurs d'un jour, si nous voulons que nos œuvres soient durables, commençons par respecter celles de nos devanciers. Or, sous la législation ancienne, celle qui a précédé les décrets spoliateurs de la Convention et c'est à cette législation qu'il faut remonter, le fondateur avait la certitude que ses intentions seraient respectées ; sous ce rapport, il avait pour lui la garantie du passé, la consécration des siècles, la parole jusque-là indétectable du législateur.
Les conditions qu'il attachait à ses libéralités étaient pour lui la raison d’être ou de ne pas être ; il avait soin souvent de le stipuler d'une manière expresse, et dans ce temps on ne connaissait pas encore la théorie en vertu de laquelle on s'arroge aujourd'hui le droit de refaire les testaments en se débarrassant des conditions, même de celles qui sont formellement résolutoires. Théorie impitoyable que, pour ma part, je condamne.
Si inscrite, en termes exprès dans la loi, elle peut en tant qu'applicable à l'avenir, trouver son excuse, quoique toujours intrinsèquement mauvaise et illogique, elle n'en trouve guère en tant qu'appliquée aux faits du passé.
Dans ces derniers termes elle est bien près de devenir une spoliation.
Que la Chambre me permette ici une réflexion ; nous entendons répéter sur tous les tons que la liberté d'enseignement consiste non seulement dans le droit d'enseigner, de professer, mais aussi dans la faculté que possède le premier venu d'aller étudier où bon lui semble ; soit, j'admets le principe. Il y a, comme disait hier mon honorable collègue, M, le chanoine de Haerne, le droit d'enseigner et le droit de se faire instruire, Mais il me semble qu'on exalte un peu le dernier de ces droits au détriment du premier, au point qu'on finira bientôt par compromettre celui-ci.
En effet, on confond la liberté du boursier avec la liberté de celui qui ne demande rien à personne. Supposez qu'il prenne fantaisie à un rentier de la capitale d'annoncer dans les journaux qu'il disposera sur sa cassette de quelques milliers de francs pour les affecter en bourses d'études et au profit de l'université de Bruxelles ; qu'il se présente chez lui un jeune homme réunissant les plus brillantes aptitudes, irréprochable à tous égards, qu'il demande à profiter de l'une de ces bourses, ajoutant que son intention est d'aller étudier à Louvain. Que le bienfaiteur en question lui réponde : « Pour Bruxelles, oui ; pour Louvain, non. Car j'approuve l'enseignement donné dans l'université de Bruxelles, je déteste celui donné à Louvain, il est rétrograde, arriéré, détestable. Je voudrais propager personnellement les doctrines professées à Bruxelles, ne le pouvant, je veux enseigner par la bouche d'un autre, et c'est pourquoi j'ai créé les bourses d'études que vous sollicitez. » En quoi ce rentier aura-t-il froissé la liberté d'enseignement ? En rien. Il aura fait usage de l'article 11. Rien de plus, rien de moins.
Le fondateur d'une bourse d'étude fait-il autre chose ? Non ; le plus souvent il entend favoriser un établissement, un enseignement déterminé ; il y a cette seule différence, qu'il désire attacher à son œuvre un caractère plus immuable, une condition de durée.
Et, soit dit en passant, l'honorable M. Tesch partage cet avis ; il ne voit pas une atteinte à la liberté du boursier dans le fait de l'obligation que la loi lui impose de fréquenter un établissement déterminé. Le projet de loi permet en effet de fonder des bourses d'étude, sous la condition que le boursier sera tenu de fréquenter un établissement de l'Etat. Mais, messieurs, l'article 38 n'aura peut-être été, dans la pensée de l'honorable ministre, qu'une disposition provisoire, de la nature de celles qui distinguent les avis et les résolutions de la commission de 1849.
Eh bien, posons encore la question : le droit pour le boursier d'étudier dans un établissement de son choix, en vertu de l'article 17 de la Constitution interprétée d'une manière large, juridique et sensée, est-il tellement absolue, qu'il faille refuser au collateur, à titre d'office ecclésiastique ou autre, la moindre velléité de préférence, et interdire d'avoir le moindre égard aux intentions manifestement connues, formellement exprimées par le fondateur ? Je réponds négativement. Aussi que se passe-t-il dans la pratique ? A coup sûr le fondateur qui a choisi comme exécuteur de ses volontés, un prêtre, un chanoine, un évêque, était un catholique et voulait avant tout que sa libéralité servît à la diffusion des doctrines catholiques.
Jamais il n'aurait consenti à ce que l'institué se prévalût de sa fondation pour aller puiser un enseignement rationaliste, hostile à la religion, dans un établissement qui se pose comme l'antithèse du catholicisme ; si tel résultat avait été dans ses prévisions, il n'eût point fondé ; a-t-il pu entrer un instant dans sa pensée de charger un prêtre de présider à l'exécution de dispositions testamentaires destinées à devenir un instrument propre à faire la guerre au catholicisme ? C'eût été une injure à l'adresse du collateur et un acte de grossière absurdité.
Non, dans tous les actes de fondation, où le droit de collation est attribué à un titulaire de fonctions ecclésiastique, il y a la preuve que la pensée religieuse a été le mobile qui a fait agir le donateur. La qualité du collateur est l'indice sûr de sa volonté.
Mais, nous dit l'honorable M. Orts, le fait est-il de nos jours encore d'accord avec les prévisions du fondateur ? Les autorités chargées par le fondateur de conférer les bourses d'études, ressemblent-elles aux autorités d'aujourd'hui ? Evidemment, certaines fonctions civiles ont disparu ; mais à l'impossible nul n'est tenu, et que faire dans ce cas ? Se guider d'après l'analogie. C'est le principe consacré par les arrêtés du roi Guillaume ; du reste, vous êtes forcés de reconnaître que la plupart des dignités ecclésiastiques existent encore aujourd'hui, et c'est sans doute, pour se conformer à la volonté du fondateur, que vous voulez désormais confier le droit de conférer les bourses d'études à des corps politiques qui n'ont aucun trait de ressemblance avec les collateurs désignés par l'acte de fondation.
Pour justifier cette innovation, vous ne trouvez rien de mieux que de vous lancer dans un dédale d'hypothèses et d'exceptions, de confondre des choses appartenant à des ordres distincts. Est-ce que toutes ces chimères, toutes ces prétendues impossibilités, ont fait reculer l'Angleterre, l'Allemagne, la Hollande, les Etats-Unis ?
Remarquons qu'un très grand nombre d'actes de fondation, presque tous, portent en termes exprès ou bien que les études seront faites dans un établissement catholique, ou bien que le gratifié doit être un jeune homme professant la religion catholique, voire même un clerc, ou bien que la libéralité est faite en vue de la propagation et du triomphe des idées catholiques. Presque tous commencent par des invocations à la Trinité et aux saints ; d'autres proclament en termes précis, clairs, non équivoques que le fondateur a été déterminé par ses convictions religieuses.
En un mot tous, sans exception, ont essentiellement le cachet catholique, respirent l'atmosphère catholique. Voilà la vérité sans ambages, voilà le fait et il est incontestable Et dès lors qu'y a-t-il d'injuste, d'arbitraire à ce que les collateurs fassent tomber leur choix de préférence sur des jeunes gens qu'ils savent vouloir correspondre à la pensée intime du fondateur ? en quoi cela froisse-t-il la liberté du boursier, si celui-ci possède assez de délicatesse pour comprendre tout ce qu'il y aurait, de sa part, d'ingratitude à s'approprier le bienfait pour s'en faire une arme hostile à la pensée du bienfaiteur ?
Vous semblez supposer, toujours très gratuitement, que ceux qui (page 837) jouissent des bourses d'études se trouvent sous le coup de la contrainte, de la pression, de la violence. Or, c'est là une erreur. Et il est faux de prétendre que les collateurs en agissant comme ils ont fait jusqu'à ce jour aient méconnu leurs devoirs, aient spolié qui que ce soit. Leur conduite a été ce qu'elle devait être, consciencieuse, juste, équitable, conforme à la volonté légitime, pieuse, généreuse des fondateurs. Sans doute, vous qui exaltez tant la liberté du boursier pour en faire le bélier avec lequel vous faites violence aux convictions du fondateur, vous seriez médiocrement édifiés si d'aventure le legs de feu l'honorable M. Verhaegen profitait à des boursiers de l'université de Louvain et vous feriez de vifs reproches à des collateurs assez mal avisés pour ne pas donner la préférence à des jeunes gens dont ils savent d'avance que l'intention ne serait pas d'aller demander à l'université de Bruxelles cet enseignement qui est l'objet de toutes vos prédilections. De bonne foi croyez-vous que si le legs de M. Verhaegen était converti en bourses d'études, jamais et pour de longues années une seule en serait conférée à un étudiant de Louvain ? La réponse est dans toutes les bouches, je n'ai pas besoin de l'articuler. Elle s'étale sans scrupule, au grand jour dans toutes les brochures que les vôtres ont publiées à propos du legs de M. Verhaegen. Ne venez donc pas ici accuser les collateurs des bourses de fondations anciennes de partialité, de spoliation pour avoir un prétexte de les révoquer, de les destituer violemment, à coups de majorité, en invoquant tout ce que l'arsenal des juristes renferme de subtilités et d'arguties, en vous appuyant sur une légalité douteuse, contestée.
Certes vous en avez le pouvoir ; mais si vous voulez vous placer au point de vue de l'équité sociale, de la probité politique, du respect dû à la volonté de ceux qui, en stipulant, n'ont fait que s'en rapporter à la protection des lois, vous vous convaincrez aisément que vous n'en avez pas le droit, que vous abusez tout bonnement de la force dont votre qualité de législateurs vous investit.
N'allez pas prétendre que nous voulons arriver indirectement au monopole en faveur de l'université de Louvain ; vous savez que si Louvain a sa liste civile en fait de bourses de fondation, les autres universités en ont aussi leur part, et que, de plus, elles puisent dans les caisses de l'Etat, des provinces et des communes.
Vous êtes tout aussi mal venus, quand, pour contester à l'université de Louvain ses titres, vous venez ravaler ici son enseignement, le signaler comme rétrograde, ennemi du progrès, de la science, de la raison humaine, et vous dresser modestement à vous-mêmes un piédestal pour vous y poser en flambeaux de lumière, en précurseurs de l'avenir. Consultez les annales des jurys nationaux d'examen, et dites-nous si le désavantage est pour l'université de Louvain. N’est-elle pas peuplé d'hommes utiles, savants, capables, honorables toutes les carrières libérales, et à propos de cela que signifient vos tirades contre le père Boone et contre le père Loriquet ?
Je n'ai nulle intention de présenter ici la justification des RR. pères jésuites, je n'ai pas mission de les défendre, mais je vous dirai : Soyez justes même à l'égard de vos adversaires ; combattez si cela vous plaît les pères jésuites en tant qu'ordre religieux, mais ne méconnaissez pas leur aptitude en matière d'enseignement, c'est là une chose acquise aux yeux de tout homme impartial, et s'il fallait en fournir la preuve, je découvrirais aisément dans cette Chambre, sur tous nos bancs, des hommes éminents qui ont reçu leur instruction et toute leur instruction dans des établissements qu'il vous plaît de signaler comme des antres d'ignorance et d'abrutissement.
Oui, l'enseignement libre, celui qui se donne à l'université de Louvain, comme celui qui se donne à l'université de Bruxelles vaut l'enseignement de l’Etat ; si par impossible la liberté devait faillir un jour à sa mission, s'il pouvait arriver que l'enseignement professé à l'université de Louvain devînt hostile au progrès de la science, de ce jour cet enseignement, comme on l'a dit, serait brisé comme verre, déserté, ignominieusement abandonné ; mais si brillant qu'il soit, encore lui faut-il les moyens pour subsister, encore faut-il qu'il ne soit pas écrasé par une concurrence à laquelle aucune institution libre ne saurait résister, encore faut-il qu'il ne se trouve pas en face d'un monopole directement ou indirectement organisé par l'Etat.
Je dirai donc à nos adversaires : Que les universités du gouvernement continuent de s'abreuver aux sources fécondes et inépuisables du budget de l'Etat, des budgets provinciaux et communaux ; que l'université de Bruxelles profite abondamment des largesses que lui fait généreusement la capitale, et des dons particuliers qui lui adviennent, mais laissez aussi l'université de Louvain puiser, sans l'inquiéter, dans le patrimoine que la liberté lui a fait dans le passé et dans celui qu'elle lui fait, au jour le jour, dans le présent.
Ne touchez pas à la légère, soit au nom d'une théorie utilitaire qui est l'arme habituelle du despotisme, soit au nom de l'Etat souverain, à des droits garantis, ratifiés par nos devanciers, eussiez-vous pour le faire, à votre service, tous les arcanes, toutes les subtilités que les légistes et les rhéteurs ont toujours sous la main, quelle que soit la cause qu'ils ont à défendre. Ce ne serait ni prudent, ni honnête. Pour moi, je vous conjure au nom de la prudence, au nom de l'honnêteté et de la justice, de respecter les œuvres que la liberté a réalisées jadis, si vous voulez que l'on respecte celles que vous édifiez vous-même à sa gloire.
- La séance est levée à 4 heures et demie.