(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 95) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Nauwelaerts, ancien chef piocheur à l'administration du chemin de fer, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres des conseils communaux de Freux et de Moircy demandent la révision de la loi sur la mendicité. »
- Même renvoi.
« Le sieur Blanchard présente des observations contre la répartition que le département de la guerre se propose de faire des sommes demandées pour augmenter les appointements des officiers. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre.
« Le sieur Brasseur propose des mesures pour assurer la sincérité des élections. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les fraudes électorales.
« Les juges de paix de l'arrondissement judiciaire.de Huy demandent que le traitement des juges de paix soit porté à 3,000 fr. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire.
« Le sieur Vanderkerchoven présente des observations contre l'augmentation des traitements des greffiers et des commis greffiers des tribunaux de première instance. »
- Même dépôt.
« Les conseils communaux de Heppen, Oostham et Quaedmechelen prient la Chambre de voter, au budget de l'intérieur, un crédit pour aider ces communes à pourvoir aux frais d'entretien de la route de Heppen à Veerle. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le conseil communal d'Ordingen prie la Chambre de voter un crédit pour aider cette commune à supporter les frais d'entretien des chemins vicinaux pavés et empierrés. »
« Même demande du conseil communal de Muysen. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lahure, auditeur militaire du Hainaut, présente des observations contre la classification donnée à l'auditoriat militaire du Hainaut dans le projet de loi relatif aux traitements de la magistrature militaire. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Vaerman demande que la loi sur les fraudes électorales contienne une disposition punissant de prison et d'amende ceux qui font de faux électeurs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Leubelle, ancien sous-brigadier des douanes, prie la Chambre d'augmenter les pensions inférieures à 600 francs. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le lieutenant général Coussement prie la Chambre de voter une loi accordant un supplément de pension pour chaque année passée au service au-delà des années fixées par la loi sur les pensions militaires. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Roulers présentent des observations concernant une nomination. »
- Même renvoi.
« Par dépêche du 6 décembre, M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur la pétition du sieur Van Campenhout, ancien chef piocheur à l'administration du chemin de fer, tendante à obtenir la révision de sa pension. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Par dépêche du 5 décembre, M. le ministre des travaux publics transmet des explications sur la pétition du sieur Vermeulen, ayant pour objet la révision de sa pension. »
- Même dépôt.
« M. E. Devaux, retenu à Bruges par un deuil de famille, demande un congé. »
- Accordé.
M. le président. - Messieurs, j'ai à vous transmettre un douloureux message. Voici la lettre que je viens de recevoir :
« Monsieur le président,
« J'ai la douleur de vous annoncer la perte cruelle que nous venons de faire en la personne de mon père, M. Pierre-Théodore Verhaegen, ancien président de la Chambre, décédé à Bruxelles.
« Veuillez transmettre cette triste nouvelle à la Chambre et agréer, je vous prie, M., le président, l'assurance de ma haute considération.
« Eug. Verhaegen. »
Le pays, messieurs, vient de perdre un grand citoyen, dévoué, avec une énergie infatigable et un glorieux désintéressement, à son indépendance et à ses libertés.
M. Verhaegen a eu l'insigne et rare honneur de recueillir, pendant sa vie, au milieu de tristes événements qui n'ont pas été sans danger pour la Belgique, les témoignages d'estime et de confiance, de la Chambre tout entière ; c'est peut-être son plus bel éloge.
Après sa mort, d'universels regrets viendront aussi, sans distinction d'opinions, se confondre autour de sa tombe ; j'en ai pour garants, messieurs, le patriotisme de la Chambre et l'élévation de ses sentiments.
Permettez, messieurs, que de ce fauteuil, que M. Verhaegen a occupé pendant de longues années avec tant d'éclat, permettez que de ce fauteuil vous vienne, par l'organe d'un successeur et d'un ami de l'honorable et regretté défunt, la proposition de rendre un hommage à sa mémoire.
Je fais la motion de ne pas siéger demain.
- Voix diverses. - Très bien ! Appuyé !
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - Je propose maintenant à la Chambre de charger son bureau d'écrire une lettre de condoléance à la famille de M. Verhaegen.
- Cette proposition est également adoptée.
M. De Fré. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire.
- Impression et distribution du rapport ; mise à l'ordre du jour du projet de loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le budget des travaux publics pour l'exercice 1863.
- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom) informe la Chambre qu'à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du Roi, un Te Deum sera célébré le mardi 16 décembre courant, à midi, en l'église des saints Michel et Gudule. »
- La Chambre décide qu'elle se rendra en corps à cette solennité.
M. le président. - La section centrale adopte le projet.
M. Royer de Behr. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour présenter à la Chambre quelques considérations générales sur le budget. L'accise sur le sel a spécialement fixé mon attention. C'est donc de cet impôt que j'aurai à vous parler plus particulièrement.
Il me serait difficile de spécialiser mes observations. Cette difficulté me justifie du reproche que l'on pourrait m'adresser de discuter l'un des articles du budget, alors que la discussion générale est seule à l'ordre du jour.
Lors de la discussion du budget des voies et moyens de l'an dernier (page 96) un de mes honorables amis, M. de Naeyer, s'est prononcé avec une grande énergie contre l'impôt du sel ; dans un discours dont vous n'aurez pas perdu le souvenir, discours aussi écouté de la Chambre que remarqué par la presse, l'honorable député d'Alost a réclamé l'abolition d'un droit qui constitue, a-t-il dit, une anomalie indigne de la législation d'un peuple libre.
En s'exprimant ainsi, l'honorable membre n'exagérait pas le sentiment d'antipathie de nos populations contre un impôt qui à toutes les époques fut justement exécré. Je ne ferai pas l'histoire de la taxe sur le sel, cela est inutile à la cause que je viens défendre devant vous. Mais je dirai que déjà, en 1848, la section centrale du budget des voies et moyens avait recommandé la mise à l'étude de l'importante question du sel. 14 années de réflexions n'ont amené aucun résultat, si ce n'est celui de porter le chiffre de l'impôt à une somme de plus en plus considérable, tellement qu'il est aujourd'hui fixé à 5,200,000 francs.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a pas augmenté le chiffre de l'impôt.
M. Royer de Behr. - Non, mais le produit a augmenté, je ne dirai pas depuis 1848, mais depuis 1846.
En 1846, l'impôt produisait 4,668,114 francs.
En 1848, il était de 4,800,000 francs ; aujourd'hui, il est de 5,200,000 francs.
Messieurs, de quelque côté qu'on l'envisage, l'impôt sur le sel est désastreux ; je m'étonnerais si l'honorable ministre des finances, dont les doctrines financières sont essentiellement exclusives de tout droit sur les objets servant à l'alimentation publique, ne venait pas proposer des voies et moyens pour supprimer la somme énorme qu'il compte percevoir sur le sel. Dans la circonstance actuelle je n'admets pas le mot « impossible » ; tantôt je démontrerai que cette impossibilité n'existe pas ; pour le moment je me bornerai à déclarer que quand un ministre des finances est parvenu à abolir les octrois et à réaliser un progrès aussi rapide que celui que nous avons fait dans la voie de la réforme douanière, quand ce ministre a su formuler un budget aussi remarquable que celui qui a été voté à l'unanimité de la Chambre, il y a peu de jours, que ce ministre n'est pas fondé à se retrancher derrière une impossibilité à laquelle personne ne croira et à laquelle il ne croira peut-être pas lui-même.
Enfin, je ne puis croire que M. le ministre des finances cherche à justifier un principe purement fiscal par les seules considérations que le fisc perçoit beaucoup et qu'il perçoit facilement.
Tout le monde sait que l'impôt sur le sel ne présente aucun caractère de proportionnalité. Il pèse également sur toutes les classes de la société et, ce qu'il y a de pis, c'est qu'il serait impossible de le corriger de ce défaut.
Messieurs, nous avons supprimé les octrois, c'est-à-dire les taxes qui grevaient les objets de consommation les plus utiles : le pain, la viande et le charbon.
Eh bien, reconnaissons-le franchement, l'octroi était infiniment moins injuste que l'accise sur le sel. Les classes ouvrières, par exemple, consomment peu de viande, pour l'ouvrier la viande est un luxe. C'est là un fait malheureux à constater, mais c'est un fait.
En voulez-vous la preuve ? Je vais vous la donner.
D'après la statistique agricole de 1846, la production de la viande en Belgique n'excède pas 37,985,000 kilogrammes.
Je ne tiens pas compte de l’importation et de l'exportation du bétail.
En 1860, les importations ont été de 153,922 têtes de bétail, tandis que les exportations atteignaient le chiffre de 233,204.
Il s'ensuit qu'au point de vue de la consommation bien entendu, la balance nous est défavorable.
Je néglige cet élément d'appréciation, afin d'avoir égard aux progrès réalisés dans l'agriculture depuis 1846.
Or, si l'on divise la quantité de viande produite dans notre pays par le chiffre de la population, on obtient en moyenne moins de 9 kilogrammes par habitant.
J'ai lieu de croire que ce chiffre est exact, attendu que je le trouve signalé à la page 53 de la statistique officielle.
Les taxes sur la viande n'atteignent pas, je pense, 10 p. c.
Qu'est-ce donc que cet impôt comparé à celui du sel qui est de 900 p. c ; qui est de 18 fr. sur 2 fr. prix du sel brut ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est une erreur.
M. Royer de Behr. - Je le suppose seulement de 700 p. c, mais je maintiens le chiffre de 900 p. c.
M. Coomans. - Certainement,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement non.
M. Royer de Behr. - La taxe sur la viande était jusqu'à un certain point justifiable. En réalité on la justifie lorsqu'on autorise les communes à percevoir des droits d'abattage.
Dans certaines villes, à Namur par exemple, on frappe des droits différentiels sur la viande. On perçoit 2 centimes par kilogramme sur le bétail introduit à l'abattoir public. En un mot, le gouvernement approuve un tarif ayant plus d'un trait de ressemblance avec l'ancien octroi.
Cependant, nous avons supprimé les octrois. Ils constituaient une injustice flagrante ; nous avons renversé l'injustice et maintenant nous trouverions des motifs pour affirmer ce que l'honorable M. de Naeyer déclarait être une iniquité ?
Après avoir décidé qu'un droit de 10 p. c. sur une matière qui est consommée plus spécialement par les riches, par les classes aisées, devait disparaître du budget des communes, nous trouverions des raisons pour consolider un droit de 900 p. c. sur une matière consommée par tout le monde et par les pauvres plus spécialement, sur une matière dont on ne peut se passer sans se condamner d’avance à mourir ? Messieurs, ne commettons pas de semblables contradictions, et s'il est vrai que l'impôt sur le sel frappe à tort et à travers, sans merci ni miséricorde, impose annuellement une charge de 10 à 12 journées de travail à une famille ouvrière, soyons impitoyables pour le droit sur le sel et frappons-le aussi sans merci et sans miséricorde !
Messieurs, les faits abondent pour démontrer combien l'impôt sur le sel est contraire aux sentiments de justice et d'humanité que vous éprouvez tous.
Parmi ces faits, j'en citerai un seul.
Je le trouve consigné dans une brochure publiée par un honorable membre de la chambre de commerce de Courtrai, qui lui-même l'a puisé, dit-il, dans un document officiel, dans un rapport d'une section centrale du budget des voies et moyens.
Lors de la crise de 1848, la commune de Waereghem comptait 3,000 nécessiteux, qui, privés de viande, de beurre, de graisse, ne trouvaient d'autres moyens de relever leur nourriture insipide que le sel. Contre la mortalité occasionnée par la mauvaise qualité des aliments, les médecins prescrivaient le sel.
Ces 3,000 nécessiteux consommaient 30 mille kil. de sel, c'est-à-dire 10 kil. par tête. Ces 30,000 kil. de sel coûtèrent 9,000 fr., sur lesquels le fisc préleva 4,500 fr.
Ainsi le fisc prélevait 4,500 fr. sur une somme de 9,000 fr., alors qu’il s'agissait, je ne dirai pas de la vie, mais au moins de la santé de toute une population.
Ce n'est pas 3,000 nécessiteux que compte la Belgique ; loin de moi la pensée de vouloir justifier la cause que je défends, en m'efforçant de tracer un sombre tableau de la situation matérielle de la Belgique. Mais les chiffrés ont une éloquence significative :
J'ai consulté les statistiques provinciales. Je me suis donné la peine de feuilleter les différents exposés administratifs des provinces, et voici ce que j'y ai vu :
Dans la Flandre orientale, le nombre des indigents officiellement secourus, en 1861, s'est élevé à 143,213, dans la Flandre occidentale à 134,353, dans la province de Liège à 76,409, dans le Limbourg à 39,186 et dans le Luxembourg à 12,458. Total pour cinq provinces 405,619.
Les documents manquent pour les quatre autres provinces. Mais si je fais la moyenne des cinq provinces que je viens de mentionner, et si j'ajoute cette moyenne au chiffre de 405,619, je constate que le nombre des personnes secourues par les bureaux de bienfaisance est de 750,000, chiffre rond.
Ajoutez à ce chiffre les indigences non officiellement secourues, les indigences résultant des crises manufacturières, celles qui sont inconnues, et vous arrivez à cette triste conviction, je dirai à cette effrayante réalité, que la main avide du fisc agit, en ce qui concerne le sel, à la manière de ces épidémies redoutables contre lesquelles vous cherchez à nous sauvegarder par toutes les mesures que recommande l'hygiène.
La législation sur le sel, messieurs, est défectueuse dans toutes ses conséquences économiques. Examinons un instant cette législation au point de vue industriel.
Autrefois les fabriques de soude étaient protégées contre les soudes anglaises, Cette protection était préjudiciable au commerce et à (page 97) l'industrie verrière, la protection a été supprimée. Certes ce ne sera pas moi qui viendrai en réclamer le rétablissement ; mais je dirai que l'industrie chimique belge réclame avec raison le régime de la liberté et l'exonération des formalités qui lui sont prescrites pour obtenir le sel en franchise d'impôt.
Partant du principe de libre concurrence, le seul principe admissible maintenant en Belgique, je crois qu'il est du devoir du gouvernement de ne pas élever des obstacles contre la liberté du travail. Il ne faut pas dire à l'industrie : « Marchez dans la voie du progrès, » et prendre ensuite des mesures qui entravent ce progrès.
Voyons la situation de l'industrie chimique belge, comparée à l'industrie anglaise similaire. Je possède sur ce point quelques renseignements dont l'exactitude ne sera pas contestée, je l'espère. Je puis mettre sous les yeux de la Chambre un prix de revient belge et anglais de l'acide sulfurique, du sel de soude et du sulfate de soude. Ce prix de revient a été calculé en prenant pour base le prix de la pyrite de fer, augmenté des frais de transport de Belgique en Angleterre.
Remarquons d'abord, et ceci est important, que les Anglais n'achètent plus ou presque plus de pyrites en Belgique, ce qui prouve qu'ils s'en procurent ailleurs à meilleur compte ; c'est un fait notoire que les Anglais achètent des pyrites de cuivre qui, après l'extraction du soufre, laissent un minerai de très grande valeur. Voici ce prix de revient.
(Suit un tableau comparatif, non repris dans la présente version numérisée)
Que nous enseignent ces prix de revient ?
Que 1,000 kil. d'acide, sulfurique reviennent en Belgique à 6 fr. 96 de moins qu'en Angleterre ?
Que 1,000 kil. de sulfate de soude et de sel de soude coûtent à produire en Belgique 13 fr. 64 et de 41 à 44 de plus qu’en Angleterre, et si les Anglais, ce qui est à supposer, achètent actuellement la pyrite à un prix assez bas pour obtenir l’acide sulfurique au même prix qu’en Belgique les 1,000 kil. de sulfate de soude reviennent à 20 fr. 60 plus cher en Belgique qu'en Angleterre, et les 1,000 kil. de sel de soude à 53 fr. 6 c.
Telle est la situation vraie, je le pense..
Quel est le remède à cet état d'infériorité de l'industrie chimique belge ?
Des faveurs, des privilèges, des primes, des protections, je n’en veux pour personne, pas plus pour l'industrie chimique que pour d'autres industries. Je dirai aux fabricants de soude :
Perfectionnez vos instruments de fabrication ; établissez dans vos ateliers une division du travail plus rationnelle ; désormais vous ne pouvez espérer d'autre protection que celle résultant des frais de transport.
Puis m'adressant au gouvernement je lui dirai aussi : Cessez de protéger le fisc au détriment de l'industrie. Si vous ne pouvez abolir le droit sur le sel, abrogez du moins vos instructions qui contraignent l'industrie à décomposer le sel marin au moyen d'une quantité d'acide sulfurique équivalente à la transformation complète du sel en sulfate de soude.
Cette mesure non seulement est absurde, mais elle est contraire à la liberté de l'industrie. Elle est absurde, en ce sens, que vous obligez les industries à employer plus de matières premières qu'il ne leur en faut ; elle est contraire à la liberté de l'industrie, attendu que vous apportez des entraves à certaines fabrications.
Vous mettez le fabricant dans l'impossibilité de produire avantageusement les soudes salées employées à la fabrication du verre, les soudes caustiques employées à la fabrication du savon. Vous créez pour l'industrie belge une infériorité relative dans la production des sels de soude à bas degrés, qui trouvent aujourd'hui de si nombreuses app1ications industrielles.
Permettez que le sel soit introduit par toutes les frontières situées sur des voies navigables et ferrées. La concurrence sera dès lors établie entre les voies de communication, et la concurrence, c'est le bon marché.
Réduisez les droits de navigation et les tarifs des chemins de fer en faveur des charbons, des matières premières, et des produits fabriqués.
Enfin supprimez le droit de 40 centimes destiné à subventionner la surveillance de l'emploi du sel dans les manufactures.
Je désire édifier la Chambre sur l'importance de ces 40 centimes qui, au premier aperçu, semblent peu de chose, mais qui, en réalité, sont une charge fort lourde pour un fabricant, luttant contre des concurrents se procurant le sel en franchise de toute taxe. Au lieu de production, notamment en France, à Dieuze ou à Varongeville, le sel coûte un franc les 100 kil., 40 centimes suri fr., voilà ce que vous exigez ; les fabricants de produits chimiques du pays ont consommé 12,309,784 kil. de sel, l'impôt à 40 centimes représente donc près de 50,000 francs.
Cet impôt profite-t-il à l'Etat ? Du tout. Il est destiné à payer cinq employés d'accises, établis à demeure dans chaque manufacture.
Nous avons en Belgique quarante employés qui font ce métier-là, non compris les employés attachés aux sucreries.
Ce luxe de personnel est tout au moins inutile, et si la surveillance doit être maintenue, je pense que le nombre de surveillants pourrait être réduit à deux par établissement.
Le travail des manufactures n'est jamais interrompu,, a dit M. le ministre des finances en section centrale ; deux employés pour le jour et deux pour la nuit, sont indispensables. Mais je ne comprends pas qu'il faille un chef pour quatre employés. Deux employés sont suffisants. Les magasins de sels ne sont pas toujours ouverts, les employés pourraient d'ailleurs se loger à proximité de ces magasins, et si un procès-verbal devenait nécessaire, l'employé préposé à la surveillance de nuit pourrait sans doute éveiller son compagnon.
La dépense pour deux employés étant insignifiante, elle serait facilement supportée par l'Etat, et ainsi disparaîtrait le plus grand grief de l'industrie chimique.
En résumé, les lois et les instructions ministérielles ayant le sel pour objet sont tellement restrictives de toute liberté, qu'elles semblent dirigées contre une population de contrebandiers. Un fait, messieurs, à l'appui de cette assertion.
Il est une industrie destinée à acquérir peut-être une grande importance et qui ne saurait trouver l'hospitalité sur le sol belge, grâce à notre législation draconienne.
C'est un nouveau procédé de fabrication du nitrate de baryte ; le résultat de ce nouveau procédé, est d'obtenir à la fois, et du nitrate de baryte de chlorure de sodium, c'est-à-dire du sel marin. A coup sûr c'est là un beau progrès.
Ce progrès, savez-vous comment vous devez le traiter pour ne pas avoir deux poids et deux mesures ? Comme vous traites le malheureux qui ferait évaporer de l'eau de mer ; (page 98) par une amende de 800 fr., et la confiscation des appareils, ce qui serait fort grave s'il s'agissait d'une usine.
Eh bien, messieurs, cela n'est-il pas absurde ?
S'il faut surveiller l'emploi du sel, au moins n'entravez pas l'industrie. S'il faut que le fisc soit établi dans les ateliers, que ce soit à vos frais.
C'est une question de justice et d'équité, en même temps que c'est un devoir, si vous voulez rester fidèle au principe de la liberté du travail.
Si la législation sur le sel est défectueuse au point de vue de l'industrie, que ne doit-on pas dire quand on l'examine au point de vue de l'agriculture ?
On s'est dit qu'il fallait que le sel employé aux usages agricoles fût dénaturé de manière à ne pouvoir plus servir aux usages domestiques.
Voici comment ce problème a été résolu et vous conviendrez avec moi, messieurs, que la solution serait risible si elle n'était presque odieuse. C'est un arrêté royal du 21 février 1855 qui nous enseigne les différentes méthodes de dénaturer le sel.
Ces méthodes, messieurs, sont au nombre de trois ; les voici : première méthode : on mélange 100 kilogrammes de sel avec 25 kilogrammes de déchet d'orge, 5 kilogrammes de sel de Glauber et 5 kilogrammes de suie de bois.
2ème méthode : remplacer les déchets d'orge par des farines de graines oléagineuses.
3ème méthode : amalgamer le sel avec un litre d'huile, dix kilog. de mélasse et dix kilog. de son.
Chose étrange ! Comme si ces amalgames n'étaient pas assez repoussants par eux-mêmes, on a été jusqu'à en limiter la consommation ; on a dit au cheval : Vous n'en consommerez que 50 grammes par jour ; au gros bétail : Vous n'en consommerez que 100 grammes ; au mouton, 20 grammes, et au porc, 25 grammes. Voilà le système.
Messieurs, les animaux ont fort heureusement un instinct qui ne les trompe pas. Leur avidité pour le sel est bien connue, et si la statistique n'était pas là pour montrer que les animaux n'acceptent pas le sel ainsi amalgamé, presque tous les agriculteurs viendraient constater la répugnance du bétail pour la drogue qu'on leur ordonne en vertu d'un arrêté royal, Le sel ainsi dénaturé serait nuisible à l'homme, il ne saurait être bienfaisant pour les animaux.
Le sel de Glauber est un véritable purgatif qui, administré journellement, finit par occasionner une irritation de l'estomac et des intestins, et exerce d'ailleurs une action débilitante sur l'économie.
Ce qui prouve la valeur de mes assertions, c'est la consommation du sel par le bétail. Elle s'élève à 75,000 kilogrammes par an. A ce propos, je signalerai une erreur qui s'est glissée dans le rapport de la section centrale : on a renseigné le chiffre de la consommation en francs, et elle aurait dû l'être en kilogrammes.
Ce chiffre de 75,000 kilogrammes est très curieux, si on le rapproche des faits démontrés par la statistique agricole de 1846.
Le recensement de 1846 constate que nous possédions alors 2,777,348 têtes de bétail de toute race et 294,537 chevaux également de toute race et de tout âge. Voilà, messieurs, le nombre total des animaux entre lesquels se partage cette consommation de 75,000 kilog. de sel. Eh bien, ce simple rapprochement suffit pour juger l'arrêté royal de février 1855.
Je vous ai démontré, messieurs, que c'est un véritable médicament qu'on offre au bétail et aux chevaux, mais ce que je n'ai pas dit, c'est qu'il est très difficile de se procurer ce médicament ; il faut compter avec la paperasserie administrative et qui ne sait à quel point la paperasserie administrative est détestée par l'habitant des campagnes ? Ce fait est de ceux que nous sommes tous à même de constater, je ne m'y arrêterai point. L'agriculture doit pouvoir se procurer librement et facilement du sel pur, à cette condition, elle en emploiera d'énormes quantités.
Mais au point de vue même de ceux qui prétendent qu'il faut maintenir le système de dénaturer le sel, je dirai que ce système est impuissant.
Un chimiste très distingué a bien voulu, sur ma demande, se livrer à des expériences de régénération du sel, dénaturé selon les prescriptions du département des finances.
Je ne sais pas si je dois rendre compte de ces expériences à la Chambre. (Oui ! oui !) Je le ferai, si la Chambre n'y voit pas d'inconvénients. (Non ! non ! Parlez !)
« Le premier moyen consiste à sécher convenablement le sel ainsi mélangé et à le soumettre à l'action d'un ventilateur, dont on se sert habituellement pour le nettoyage du froment et autres blés ; et ensuite à faire dissoudre, dans l'eau, le sel ainsi débarrassé des déchets d'orge ou de la farine de graines oléagineuses et de la suie de bois, lesquelles substances, à cause de leur légèreté, se séparent aisément du sel, en se laissant entraîner par le courant d'air produit par le ventilateur. On obtiendra ainsi une liqueur contenant le sel et le sulfate de soude.
« Le second moyen consiste à faire dissoudre le sel mélangé avec la substance prérappelée et à faciliter la dissolution ainsi obtenue, à travers un filtre de molleton de coton, à tissu assez serré. Le filtre retiendra les déchets d'orge, la farine de graines oléagineuses et la suie, en laissant passer la solution qui renfermera le sel et le sulfate de soude.
« La solution ou liqueur préparée par l'un ou par l'autre de des moyens peuvent, sans aucun inconvénient sérieux, être évaporée, comme cela se fait ordinairement dans les raffineries de sel, et donner du sel raffiné parfaitement propre à être utilisé, comme sel de cuisine, puisque beaucoup de sels raffinés du commerce contiennent au moins 5 p. c. de sulfate de soude.
« Mais si l'on veut éliminer cette dernière substance, on peut facilement le faire et presque sans frais. Il suffit, pour cela, d'ajouter au sel, 5 à 6 p. c. de plâtre cuit en poudre, de dissoudre ensuite ce sel dans l'eau comme il est dit ci-dessus, de soumettre la solution obtenue à l'action d'un feu assez vif pour la porter à une ébullition tumultueuse. Dans cette condition il se forme un double sulfate de soude et de chaux qui se précipite au fond de la chaudière, d'où on le retire au moyen d'une pelle ou drague. Cela fait, on continue l'opération, comme dans le raffinage ordinaire, et l'on obtient un sel raffiné aussi exempt que possible de sulfate de soude.
« Les frais du raffinage du sel mélangé suivant les recettes n°1 et 3, ne dépasseront pas, selon moi, d'un franc par 100 kil., ceux du raffinage du sel ordinaire ou non mélangé.
« Aux moyens que j'ai eu l'honneur de vous indiquer hier, pour séparer le sel des déchets d'orge, suie de bois et farines de graines oléagineuses, vous pouvez ajouter le moyen que je vous donne ci-après pour débarrasser le sel de la mélasse, du son et de l'huile (recette n° 2, 10 kil. mélasse, 10 kil. son et 1 litre d'huile par 100 kil. de sel).
« Le moyen dont il s'agit consiste tout simplement à chauffer au rouge sombre et au contact de l'air, le sel mélangé avec les susdites substances organiques, lesquelles se transforment alors en charbon ou se réduisent en cendre, selon le moins ou le plus de durée de la calcination. En faisant dissoudre dans l'eau, le sel ainsi préalablement calciné, le charbon ou les cendres restent en suspension dans la dissolution. Celle-ci, passée à travers un filtre en toile ou en coton, laisse déposer sur le filtre le charbon ou la cendre dont elle se trouve ainsi complètement débarrassée. Elle ne contient donc plus, après cela, que du sel marin. Pour en retirer ce dernier, il suffit de faire évaporer cette dissolution comme dans le raffinage ordinaire du sel. Le produit qui en résulte est du sel parfaitement raffiné et tout à fait franc de goûts autres que celui qui est propre au sel marin. Toutes ces opérations sont tellement simples qu'elles peuvent être pratiquées par toute femme de ménage qui a à sa disposition une chaudière en fonte telle que celles dont on se sert habituellement dans les ménages pour le lavage du linge. A l'aide de cette chaudière on peut faire la calcination du sel en portant la chaleur au rouge sombre. Après cela on peut la faire servir à l'évaporation de la dissolution de sel ; après qu'elle aura été filtrée à travers un linge de toile ou de coton, lequel linge retiendra le charbon ou la cendre qui se trouvaient dans le sel calciné.
« La calcination du sel dont je viens de parler peut également se faire avec facilité dans un four à cuire le pain, préalablement chauffé au rouge sombre, c'est-à-dire à température dépassant un peu celle qui est nécessaire à la cuisson du pain.
« Abstraction faite de la valeur des substances organiques mélangées au sel, lesquelles sont perdues par la calcination, les frais occasionnés par les opérations nécessaires à leur élimination ne dépasseront pas, selon moi, 50 centimes par 100 kil. de sel raffiné. »
Voici donc, messieurs, comment le sel a été régénéré et comment l'on peut obtenir un bénéfice considérable sur le droits d'accise de 18 francs.
Vous voyez donc qu'au point de vue de ceux qui veulent continuer à dénaturer le sel, vous voyez donc que les méthodes doivent être modifiées ; avec les méthodes actuelles, il est impossible d'empêcher la fraude. Je soutiens d'ailleurs que pour rendre le sel impropre aux usages domestiques, il faut en quelque sorte l'empoisonner. Et je le demande, empoisonner le sel destiné au bétail, cela peut-il entrer dans l'esprit d'un homme sérieux ?
Messieurs, je terminerai en indiquant les moyens qui me semblent les plus convenables pour arriver à une réduction de l'impôt qui serait un progrès considérable vers l'abolition complète. Provisoirement je ne ferai pas de proposition.
(page 99) Je comprends volontiers que l'initiative parlementaire ne saurait se produire avantageusement dans une telle circonstance. Je voudrais que le département des finances commençât à étudier mûrement la question, elle en vaut la peine, et qu'après cette étude l'honorable M. Frère nous proposât des voies et moyens pour arriver à la réforme que je réclame.
L'accise est de 18 fr. par 100 kil. ; je suppose une réduction graduelle jusqu'à concurrence de 5 fr. ; cette taxe serait encore très élevée puisqu'elle s'élèverait à 230 p. c.
Ici je dois ouvrir une parenthèse pour rechercher l'influence qu'exercerait sur la consommation le dégrèvement du sel. Le rapport de la section centrale est déjà fort explicite sur ce point. Je n'aurai donc qu'à ajouter d'autres faits à ceux qu'il mentionne.
Et d'abord je vais au-devant d'une objection qui me sera, sans doute, présentée.
L'expérience de la France témoigne, me dira-t-on, contre les conclusions du rapport de la section centrale. Je ne veux pas affaiblir l'objection ; je la produirai dans toute sa force.
En France, de 1849 à 1861 le produit de l'impôt du sel a été de 443 millions. Si l'on avait conservé l'ancien droit perçu d'après les principes de la loi de 1816, le trésor aurait reçu 70 millions par an. Total 980 millions pour 14 années. Donc le trésor a fait une perte de 537 millions. Ce fait est constaté par M. Wuitry, rapporteur du projet de loi portant fixation du budget extraordinaire de 1863.
Je laisse parler maintenant M. Wuitry lui-même :
« Toutefois, il faut reconnaître que la réduction de l'impôt a eu pour effet d'augmenter la consommation du sel.
« Dans la période de quatorze ans qui s'est écoulée de 1833 à 1847, cette consommation avait passé de 206,000,000 kil. à 243,000,000, s'élevant ainsi de 37,000,000 kil. ; elle a été en 1861, de 380,000,000 kil., mais il faut retrancher 65,000,000 kil. employés dans les fabriques de soude et qui étaient exempts d'impôt avant 1852 : il reste 315,000,000 kil.
« Dans la période de quatorze ans, de 1847 à 1861, la consommation s'est donc accrue de 82,000,000 kil. C'est un accroissement presque double de celui qui s'était produit dans la période précédente, et bien que dans le même temps, ou plutôt depuis 1852 seulement, tous les impôts de consommation aient suivi une progression considérable, il ne serait pas juste de ne pas attribuer au moins en grande partie le développement de la consommation du sel à l'abaissement de la taxe. Mais ce développement n'a eu, soit au point de vue de l'alimentation des hommes, soit au point de vue de l'alimentation des bestiaux et de l'amendement des terres, ni l'étendue, ni l'importance qui étaient espérées. »
Il faut donc constater que la réduction de l'impôt du sel en France a augmenté la consommation, tout en occasionnant une perte pour le fisc. Si la perte éprouvée par le trésor a été grande, notons que M. Wuitry lui-même déclare que « même avec la taxe réduite à un décime par kilogramme, le prix du sel paraissait encore trop élevé pour être généralement et largement employé par l'agriculture. » Or, dans mon système, le droit à 5 fr. permettrait l'emploi du sel par l'agriculteur.
Toutefois, je dirai qu'en 1861 la consommation du sel en France s'est élevée à 380,000,000 de kilog., ce qui pour la population (Nice et la Savoie comprises) donne plus de 10 kil. par tête d'habitant, tandis qu'en Belgique nous n'arrivons qu'à raison de 5 kil. et demi.
Du reste, le rapport de M. Wuitry a soin de passer sous silence d'autres faits imposants que voici :
Avant la première révolution française, la consommation du sel dans les provinces de grande gabelle était de 4 kil. 580 grammes ; de 1793 à 1806, la consommation atteignit 10 kil, ; après la loi de 1806, elle se réduisit à 6 kil. 630 grammes, et après la loi ultra fiscale de 1813, à 3 kil. 467 grammes.
(Rapport de M. le ministre des finances sur l'abolition de l'impôt sur le sel en 1848.)
Maintenant, messieurs, je cite plus rapidement ma nomenclature de faits :
En Suisse, l'abolition des droits a élevé la consommation à 15 ou 18 kil. par tête, et le président du conseil fédéral, dans une dépêche officielle au gouvernement français, terminait cette dépêche en déclarant qu'on avait fait l'expérience dans presque tous les Etats qu'une diminution proportionnelle du droit avait augmenté la consommation.
Dans le duché de Bade, un abaissement de droits de 26 p. c. a quadruplé la consommation.
Dans le Hanovre, l'impôt rapportait 75,601 thalers en 1856. Une diminution de 1/9 porta la recette de 1836 à 1837 à 81,685 thalers, et en 1848-1849 elle atteignit 113,239 thalers.
En Angleterre, deux ans après l'abolition de la taxe, la consommation avait quadruplé ; six ans après elle était sextuplée ; aujourd'hui elle est de 23 kilos par habitant,
En présence de ces faits et d'autres encore qu'on pourrait citer, je suis autorisé à dire que l'expérience a démontré que la réduction da droits sur le sel accroît notablement la consommation de ce produit.
Je ferme maintenant ma longue parenthèse, et je reprends mon argumentation.
En Belgique, la consommation du sel est de 5 à 6 kilog. par habitant, l'accise à 18 francs a donc limité la consommation à 5 ou 6 kilog.
La suppression complète des droits a porté cette consommation, en Angleterre et en Suisse, à 18 et 23 kilog. par tête, à 16, selon le rapport de l'honorable M. Jamar, dont je n'admets pas le chiffre. Le droit étant à zéro, la moyenne de la consommation est donc 20 1 /2. Quelle sera cette consommation, le droit étant à 5 fr. ?
Elle sera de 14 et une fraction. Soit 15 en chiffres ronds.
Je n'ignore pas que ces calculs sont purement théoriques. Aussi ne les indiqué -je que comme expression d'une tendance.
La population belge était de 4,731,000 (statistique de 1861), il se consommera donc 70,965,000 kilogrammes de sel qui, à 5 fr. pour 100 kil. produiront 3,548,250 fr.
Comme le revenu présumé est aujourd'hui de 5,000,000 environ, le déficit sera donc de 14 à 15 cent mille francs. En réalité, ce déficit ne sera pas aussi considérable parce que le chiffre de 15 kilog. par tête, les consommations agricoles comprises, est inférieur à la vérité.
Deux mots pour le prouver :
J'ai pris comme base de mon raisonnement la consommation du sel en Angleterre et en Suisse.
Je ne sais ce qui se passe en Suisse. J'ignore quelle est l'importance des industries chimiques employant le sel comme matière première et l'importance que joue le sel dans les emplois agricoles. Mais la situation de l'Angleterre sous ce rapport m'est connue. En Angleterre comme en Belgique, l'usage du sel en industrie est considérable, mais en Angleterre l'usage du sel ne semble pas très nécessaire à l'alimentation du bétail et à la culture des terres.
Voici l'opinion de M. Verheyen dont le nom fait autorité en Belgique :
Ma conclusion la voici, c'est que je crois être au-dessous de la vérité en signalant le chiffre de 15 kilos par tête comme chiffre de consommation probable en Belgique.
Le sel est nécessaire à l'agriculteur belge, et ne l'est point à l'agriculteur anglais.
Dans les pays où. l'élévation du droit ne permet pas considérablement l'usage agricole du sel, la consommation s'élève à 10 kil. Exemple la France ; oh le chiffre de 10 kilos représente plus spécialement les usages domestiques. Le fait que j'ai signalé à propos de la commune de Waereghem vient à l'appui de cette assertion.
L'agriculture belge consommera autant de sel que la population pour les usages culinaires si le droit était réduit.
Je suis donc très modéré dans mes probabilités.
Il est facile du reste de se rendre compte de la consommation possible de sel par l'agriculteur belge, si l'on se rappelle la statistique agricole que j'ai indiquée tantôt en faisant la critique de l'arrêté royal de 1855. Malgré ces considérations je suppose un déficit. Le problème est-il pour cela insoluble ? Je ne le pense pas.
2° En Angleterre, où le sel n'est soumis à aucune taxe, les cultivateurs ne l'emploient pas à titre de condiment pour les bestiaux et n'en fabriquent pas moins des animaux de toute beauté.
3° En Angleterre toujours, le sel n'intervient pas dans la préparation des engrais, ce qui n'empêche point les cultivateurs d'obtenir de superbes récoltes.
A ces assertions un agronome du plus grand mérite, M. Joigneaux, répond :
« En Angleterre, nous dit-on, bien que le sel n'y soit point imposé, les cultivateurs ne s'en servent pas pour condimenter les vivres du bétail. C'est très vrai, et nous en félicitons les cultivateurs anglais qui se trouveraient fort mal d'agir autrement. Les vents qui soufflent sur la Grande-Bretagne sont chargés de molécules d'eau de mer qui salent suffisamment les terres et les récoltes. Tant que l'année dure, le bétail y mange de l'herbe salée, aussi bien sur pied qu'à l'état de foin. On ne pourrait que gâter le fourrage ou mieux le rendre malsain en augmentant la dose du condiment. M. Peterson nous racontait dernièrement, à Neufchâteau, que l'air humide déposait parfois sur les arbres du littoral des quantités de sel tellement considérables que ces arbres en souffraient beaucoup.
« Donc, soutenir que le sel n'est pas nécessaire à l'agriculture parce que les Anglais ne l'utilisent pas, c'est soutenir implicitement que, dans le même cas, la chaux n'est bonne à rien, parce qu'on ne chaule pas le terrains calcaires.
(page 100) « Pour rester dans le vrai, on peut, on doit même admettre que l'utilité agricole du sel se fait moins sentir dans le voisinage de la mer que dans l'intérieur des terres, mais on aurait tort d'aller plus loin. Néanmoins, il est à remarquer que sur le littoral, où le sel est moins nécessaire qu'ailleurs, ses propriétés n'en sont pas moins constatées. »
Pour combler le déficit, l'impôt sur le cigare a été indiqué en section centrale, et bien d'aunes impôts sur des objets de luxe pourraient être établis.
N'avons-nous pas une situation financière pour parer à ce déficit ? Les excédants de budgets sont engagés. Soit. Mais ils ne le sont pas pour toujours, et les ressources de l'Etat vont en augmentant.
Le ministre des finances nous disait, dans son exposé des motifs de la loi portant abolition des octrois : « Les taxes d'octroi exercent une influence fâcheuse sur le produit de nos droits de douane et d'accises. En frappant sur des objets déjà imposés au profit de l'Etat, ils en compriment la consommation et mettent ainsi obstacle à l'accroissement du revenu que le trésor public devait en tirer. »
Cette opinion est exacte ; l'expérience vient la ratifier. J'en déduis un argument de plus en faveur de la réduction du droit sur le sel, puisque l'on retrouvera sur l'augmentation des autres impôts de consommation, la perte, si perte il y a, du chef du sel.
Si les impôts indirects augmentent, on en peut dire autant des impôts directs.
En 1857, les contributions personnelles et les patentes réunies étaient de 13,635,908
En 1863, on suppose qu'elles produiront 14,663,000.
La contribution foncière est stationnaire.
Mais je pense que quand elle sera révisée, elle pourrait, en raison des avantages qu'elle trouverait dans le dégrèvement du sel, supporter une partie de ce dégrèvement.
On m'assure que dans le travail de la péréquation cadastrale la base de la contribution foncière relative aux bois défrichés n'est pas comprise. Ainsi ce qui était bois en 1828, malgré sa conversion en terre labourable en 1862, ne payera pas plus après la péréquation ? Il y aurait là quelque chose d’anomal, et si le fait est vrai, je puis encore indiquer cette source de revenus à l'honorable M. Frère. Les propriétaires trouveraient dans le libre emploi du sel une compensation à l'impôt qu'on leur réclame.
Je conclus, messieurs, en disant que la réforme que je demande est praticable. J'ajouterai qu'elle serait incomplète si le droit se percevait encore à l'accise. Nous ne produisons pas de sel dans l'intérieur du pays, donc le droit peut sans difficultés être perçu à la frontière. Ainsi l'agriculture serait débarrassée des formalités administratives et renoncerait volontiers à la franchise d'impôt, si cet impôt était très modéré. La modération de l'impôt viendrait aussi diminuer l'importance de l'objection présentée par M. le ministre relativement aux crédits dont jouissent les sauniers.
Enfin, la suppression des douanes ne pourrait être retardée par une semblable transformation, attendu qu'il semble évident que les douanes en tombant doivent entraîner les accises dans leur chute.
Au commencement de ce discours, j'ai rappelé 1848.
Si 1848 fut une époque fertile en utopies, on ne contestera pas qu'elle fut féconde aussi en idées généreuses.
L'abolition de l'impôt sur le sel fut de ce nombre.
Pendant que le ministre des finances en France démontrait, dans un langage empreint d'une grande éloquence, que l’impôt du sel pèse plus spécialement sur le pauvre ; que de tous les impôts de consommation, celui du sel est le plus onéreux et le plus inique ; que son abolition est impérieusement réclamée par la santé du peuple, par la prospérité de l'agriculture et le développement du commerce et de l'industrie ; qu'une semblable réforme serait la réparation d’une de plus criantes injustices de siècles passés ; pendant que ce langage était tenu en France, en Belgique, l'association libérale de Bruxelles, réunie en congrès demandait par l'organe d'hommes éminents, qu'une réduction partielle du droit sur le sel vînt au moins faire présager l'abolition complète d'un droit qui, dans un Etat démocratique, est un véritable anachronisme.
Je finis messieurs, en adjurant l'honorable M. Frère de renverser le vieil édifice fiscal, auquel ses amis ont porté les premiers coups.
M. de Renesse. - Déjà, depuis assez longtemps et même avant 1848, j'ai, à plusieurs reprises, lors de la discussion du budget des voies et moyens, présenté des observations à la Chambre et au gouvernement sur l'utilité et la convenance d'abaisser le taux exagéré de l'accise sur le sel, denrée de première nécessité, surtout pour la classe ouvrière, pour l'agriculture ainsi que pour différentes autres industries.
Je crois donc devoir appuyer les justes observations contenues dans l'excellent rapport, fait par l'honorable M. Jamar, sur le budget des voies et moyens pour l'exercice 1863.
Il y est démontré à l'évidence que partout où le taux du droit sur le sel a été réduit ou tout à fait aboli, comme en Angleterre, la consommation s'en est considérablement augmentée, tandis qu'en Belgique, où le droit exorbitant de 18 fr. par 100 kil. a été maintenu, cette consommation est restée stationnaire ; elle ne dépasse guère 5 kil. par habitant.
En Angleterre, où il n'y a plus de droit, ainsi que dans l'Amérique du Nord, la consommation se monte actuellement à plus de 16 kilog. par tête, et, en France, où le taux a été réduit de 30 francs à 10 francs, elle est portée à près de 10 kilog. Lorsque la situation financière du pays n'était pas prospère, l'on pouvait concevoir que le gouvernement ne consentait pas facilement à se priver d'une ressource aussi importante ; mais maintenant il en est autrement. Par le bien-être dont jouit la Belgique, par suite d'une plus grande liberté commerciale, par le plus grand mouvement des affaires qui en résulte, et par la très grande extension que prennent chaque année nos moyens de communication, nous voyons successivement nos ressources financières s'accroître ; je crois donc que le moment est venu d'abaisser graduellement le taux de l'impôt actuel sur le sel ; il est d'ailleurs à prévoir, qu'en augmentant notablement par ce dégrèvement la consommation du sel, l'on parviendra à conserver la plus grande partie de la recette de ce produit naturel.
D'après la note jointe au rapport de la section centrale, il y est constaté que l'agriculture, la première industrie du pays, n'a guère pu employer le sel, soit pour l'amendement des terres, soit pour l'élève et l'engraissement du bétail, par suite des formalités gênantes à remplir pour obtenir cette denrée en exemption de droit.
Il y a donc une certaine nécessité de modifier l'exagération du droit actuel sur le sel, ainsi que cela a eu lieu dans d'autres pays. J'ai tout lieu de croire que l'honorable ministre des finances, qui nous a donné déjà tant de preuves de son aptitude pour introduire des modifications utiles dans notre système financier, trouvera aussi, dans un avenir rapproché, le moyen de faire droit à nos justes et si anciennes réclamations en faveur d'une réduction du droit sur le sel, si même pas pour la totale abolition de cet impôt.
M. Vermeire. - Messieurs, les orateurs que vous venez d'entendre demandent l'abolition de l'accise sur le sel, ou du moins une réduction tellement forte, qu'il faudrait que l'augmentation de la consommation de ce produit fît des progrès énormes pour que la perte ne fût que d'un million et demi.
Quant à moi, je ne viens pas demander l'abolition ni la diminution de ce droit, et si j'en agis ainsi, c'est précisément parce que cet impôt me paraît une des ressources du trésor qui se perçoivent le plus facilement, sans jeter la moindre perturbation dans l'économie de nos populations.
On vient de nous dire que la taxe sur le sel pèse d'un poids énorme, surtout sur le pauvre. Je ne suis pas de cet avis. Effectivement je n'ai qu'à faire aussi un peu de statistique pour prouver que cet impôt n'est pas aussi lourd que l'ont prétendu les orateurs qui ont parlé avant moi.
L'impôt sur le sel rapporte en Belgique 5,300,000 fr., ce qui fait 1 fr. 07 par tête. En supposant que le quart de la population ne pût pas payer cet impôt, vous vous trouveriez en 'ace d'une population d'un million que vous dégrevez d'un impôt d'un franc par tête. Vous voyez donc que toutes ces déclamations en faveur de l'abolition de l'impôt ne peuvent avoir pour résultat que d'enlever au trésor un de ses revenus principaux.
Messieurs, on a cité beaucoup de documents, tant de France que d'autres pays. Qu'il me soit donc permis d'en citer un aussi : c'est le rapport adressé par le ministre des finances, M. Fould, à l'empereur des Français, au mois de janvier dernier. Dans ce rapport, il établit que l'augmentation de la consommation du sel n’est pas, à beaucoup près, en rapport avec la diminution du droit, et qu'alors que la réduction à 10 centimes par kil. aurait dû avoir mathématiquement et relativement une augmentation de consommation de 54 millions, cette augmentation s'est réduite à 38 millions. Il cite en même temps différents chiffres constatant les résultats à diverses époques où la taxe différait. Ainsi, avec le droit de 10 centimes, la consommation en France était de 8 kil. par tête, et non de 10 kil.t comme on l'a dit, et avec le droit doublé, au lieu que la consommation du sel ait diminué dans la même proportion, elle n'a été réduite qu'à 6 1/2 kil. par tête, d'où je conclus que le sel, aliment indispensable, aliment de première nécessité sans doute, ne s'emploierait pas dans une proportion aussi grande qu'a bien voulu le dire l'honorable M, Royer de Behr si l'on diminuait considérablement l'impôt.
Cette taxe d'un franc par habitant, réduite de moitié, laisserait au trésor une perte sèche et nette de 3 millions. Si vous réduisiez à 10 centimes la taxe actuelle de 18 centimes, vous auriez une perte de 2,700,000 fr., (page 101) Le déficit que nous rencontrerions ainsi dans nos ressources devrait cependant être comblé par d'autres impôts. Ces impôts, où les prendrez-vous ? Augmenterez-vous encore, par exemple, l'impôt sur la bière ? augmenterez-vous l'impôt sur le genièvre, ou augmenterez-vous l'impôt foncier ?
Il me semble qu'il n'y a pas d'impôt qui se perçoive plus facilement que celui sur le sel. Sauf quelques pétitions qui nous ont été adressées par certains agriculteurs en faveur de l'abolition de la taxe sur le sel, il n'y a pas de réclamations contre cet impôt. Et remarquez bien que c'est presque toujours aux époques auxquelles il y a eu des bouleversements dans des gouvernements, que, par un esprit que je ne qualifierai pas, on a demandé la réduction des taxes qui apportaient des ressources au trésor, pour les remplacer, par quoi ? Par l'impôt progressif qui ne peut qu'appauvrir les pays où il est établi.
J'engage donc le gouvernement à agir avec la plus grande prudence, afin de ne pas affaiblir nos ressources et de ne pas être forcé de nous proposer d'autres impôts qui seraient bien plus onéreux à nos populations.
M. de Boe. - Je ne veux pas entrer dans de bien longues considérations. Comme l'honorable M. Royer de Behr, je suis partisan d'une réduction de l'impôt du sel ; l'honorable membre vient d'émettre à peu près toutes les considérations que l'on peut invoquer pour justifier cette opinion.
Comme on vous l'a dit, l'impôt du sel pèse également sur toutes les classes de la population ; il manque de proportionnalité ; à ce titre il grève aussi lourdement les classes pauvres que les classes aisées. La classe ouvrière en Belgique, à la différence des classes ouvrières des autres nations, se nourrit presque exclusivement de matières végétales, c'est-à-dire de matières qui exigent plus que d'autres le sel comme condiment.
L'homme consomme donc d'autant plus de sel que sa nourriture est moins fortifiante, qu'il est moins riche. Le pauvre paye par tête une portion plus considérable de cet impôt que le riche.
On est assez généralement d'accord sur ce point.
Les adversaires de la réduction arguent de la perte qu'elle causerait au trésor. Je crois qu'une réduction analogue, par exemple, à celle qui s'est faite en France et qui tendrait à ramener peu à peu le taux de l'accise à ce qu'il est aujourd'hui dans ce pays, n'amènerait pas pour l'Etat une perte aussi forte qu'on pourrait le croire au premier abord. La réduction serait d'à peu près 40 p. c. sur le droit.
Elle serait loin d'amener une perte de 40 p. c. pour le trésor.
Indépendamment de l'accroissement de consommation qui suit en général un abaissement de taxe, l'Etat soumettrait à la perception de nombreux produits qui y échappent aujourd'hui.
Avant que l'impôt fut réduit en France de 30 fr. à 10 fr., il y avait un commerce interlope considérable de la Belgique vers la France.
Depuis l'abaissement de la taxe en France, le commerce interlope se fait de la France vers la Belgique, et dans des proportions assez fortes. Ce fait a été constaté par M. le ministre des finances dans une lettre adressée en 1859 à la commission de l'industrie.
Les sauniers de la province de Hainaut se plaignaient des bénéfices considérables que les sauniers de la province d'Anvers et des Flandres tiraient de l'emploi qu'ils faisaient de l'eau de mer, d'où pour eux un bénéfice, qui leur permettaient de vendre le sel à un prix auquel les sauniers du midi ne pouvaient le livrer. Le ministre des finances, ayant examiné leurs griefs, répondit que la décadence dans laquelle se trouvaient les sauniers du Hainaut et de Namur, ne provenait pas de la concurrence victorieuse que leur faisaient les sauniers des Flandres par suite de l'emploi avantageux de l'eau de mer, mais était due au commerce interlope qui se faisait de la France vers la Belgique.
Avant 1848 la différence du droit d'accise était en faveur de la fabrication belge de 67 p.c. environ sur la fabrication française. Depuis cette époque les sauneries françaises jouissent sur les sauneries belges d'un avantage de 55 p. c. C'est cet avantage qui encourage la fraude et le commerce interlope ; et l'infiltration est assez considérable pour amener la décadence de l'industrie saunière dans les provinces limitrophes de, la France.
Si l'on abaissait le droit à 10 francs, ce commerce viendrait à cesser.
Les raffineries belges fourniraient à la consommation une quantité plus considérable de sel, et les recettes du trésor seraient augmentées d'autant.
Messieurs, si je suis partisan d'une réduction de l'impôt, je ne puis cependant m'associer à quelques exagérations qui ont été commises pour la combattre. L'honorable M. Royer de Behr vient de dire que l'impôt est de 900 p. c. de la valeur de la marchandise, et il en a conclu, d'une manière assez logique, que l'impôt est odieux. Heureusement, messieurs, ce chiffre est complètement erroné. Le sel coûte, dans le commerce, environ 25 francs par 100 kilogrammes. (Interruption.) Je parle du sel livrable à la consommation, c'est-à-dire, raffiné.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 32 francs au détail.
M. Royer de Behr. - J'ai calculé sur le prix du sel brut.
M. de Boe. - C'est là votre erreur. Il s'agit d'un impôt de consommation, il faut donc prendre pour point de comparaison le prix du sel livrable à la consommation, c'est-à-dire raffiné. Lorsque nous parlons de l'impôt du sucre nous n'examinons pas quel est le taux de l'impôt relativement au prix de la betterave ; mais nous examinons de combien l'impôt pèse sur le sucre fabriqué, raffiné, livré à la consommation. Nous agissons de même pour la bière et pour les impôts de consommation en général.
Je dis donc que dans le commerce le sel coûte 25 francs par 100 kilog. soit 27 fr. 50 c. par 110 kilog. que donnent au raffinage 100 kilog. de sel brut.
L'accise entre dans ce prix pour 18 francs et nous trouvons comme prix de la marchandise, y compris le bénéfice du marchand, 9 fr. 50 c. C'est sur ces 9 fr. 50. que frappe l'impôt de 18 fr. de sorte que l'impôt est de 190 pour cent au lieu de 900 pour cent, comme on l'a soutenu.
L'honorable M Royer de Behr a parlé de 700 nécessiteux de la commune de Waereghem qui consomment pour 9,000 francs de sel et qui payeraient de ce chef 5,400 francs par an d'accises ; ces chiffres prouvent ce que je viens d'annoncer.
Si le droit était aboli, au lieu de payer leur sel 9,000 francs ils le payeraient 9,000 francs moins 5,400 francs soit 4,600 francs. Donc l'accise ne grève le produit que de 110 p. c.
L'impôt est lourd, c'est pourquoi j'en demande la réduction.
Il est inexact de dire qu'il est odieux.
(page 103) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, vous connaissez tous, je pense, cette histoire d'un particulier qui était devenu tout à coup riche ; il se vit aussitôt entouré d'un grand nombre de personnes qui, désirant profiter de sa bonne situation financière, demandaient à lui emprunter. Il le fit d'abord généreusement ; mais il ne tarda pas à s'apercevoir que, s'il persévérait dans ce système, toute sa fortune serait bientôt absorbée. Il prit en conséquence le parti d'ouvrir un livre, dans lequel il inscrivit toutes les demandes d'emprunt qu'on lui adressait à mesure qu'elles étaient faites. Lorsqu'il n'avait pas de fonds disponibles pour satisfaire à ces demandes, il répondait aux emprunteurs : « Votre tour n'est pas venu ; il faut attendre. »
Messieurs, comme ministre des finances, je suis un peu dans la position de ce particulier. Depuis que la situation du trésor est prospère, je n'entends plus parler que des moyens de la ruiner, et il me paraît utile de suivre l'exemple que je viens de citer. Je tiens note, avec le plus grand soin, de toutes les propositions de réductions d'impôt qui me sont faites, et j'enregistre, avec non moins d'exactitude, les demandes d'augmentation de dépenses que l'on m'adresse. Je fais le plus grand cas des conseils que l'on veut bien me donner, et je tiens grand compte aussi des espérances que l'on me fait concevoir lorsqu'on parle de réductions d'impôts ; mais je garde cependant mon livre ouvert, et vous allez voir que ce n'est pas sans raison.
Jusqu'à présent je suis arrivé à un chiffre assez honnête ; les réductions d'impôts qui ont été demandées, et qui, toutes, sont proclamées également nécessaires, également indispensables, s'élèvent déjà, si je ne me trompe, à quelque chose comme 60 millions. Or, je crois, et j'ai lieu d'espérer que je ne serai pas seul de mon avis, que le moment n'est pas encore venu de faire de pareilles entailles dans le budget de nos recettes.
En effet, messieurs, que nous dit-on ?
La douane est odieuse, exécrable ; elle doit disparaître ; mais comme la douane et les accises ne forment qu'un seul système parfaitement indivisible, c'est, de ce seul chef, environ 50 millions de revenus que l'on nous convie d'abandonner.
Maintenant, il s'agirait de l'impôt sur le sel, impôt inique, monstrueux, et qu'il faut à tout prix supprimer.
Nous avons eu déjà beaucoup d'autres propositions du même genre, qu'il nous a fallu successivement écarter ; c'est ainsi qu'on a parlé des barrières, des postes, etc., sans que jamais on ait indiqué les moyens à l'aide desquels on entendait combler le vide que l'on voulait faire dans le trésor de l'Etat.
Messieurs, je renouvellerai une déclaration que j'ai déjà eu l'occasion de faire : je n'adore pas plus la douane, les accises, le sel et toutes les autres taxes, que qui que ce soit dans cette assemblée ; je suis très disposé à trouver, avec l'honorable M. Royer de Behr, que l'impôt du sel ne vaut rien, et que beaucoup d'autres impôts ne valent pas grand-chose. Mais je demande comment il sera possible de concilier ces doubles exigences qui se reproduisent constamment, et qui tendent, d'une part, à faire décréter beaucoup de dépenses nouvelles, et d'autre part, à faire supprimer beaucoup de recettes ? Je me déclare, pour mon compte, parfaitement impuissant à mettre en harmonie des propositions d'une nature aussi incompatible.
Je reconnais volontiers, cependant, que l'honorable membre qui a pris la parole au commencement de la séance, a été plus logique ; à l'appui de sa proposition de réduction, il a signalé quelques moyens de faire face au déficit qui en résulterait pour le trésor. Je ne me refuse pas absolument à examiner l'idée émise par l'honorable M. Royer de Behr, de supprimer la taxe du sel en augmentant l'impôt foncier dans une proportion équivalente à cette taxe. C'est là un terrain sur lequel on peut discuter. Reste à l'honorable membre la mission, assez difficile peut-être, de convaincre la Chambre que nous pourrions arriver ainsi à une bonne solution de la question.
Ce n'est pas, messieurs, que je partage les opinions, évidemment exagérées, qui ont été émises quant aux désastreux inconvénients que présenterait l'impôt sur le sel ; il n'a, en définitive, que l'inconvénient de tous les impôts. S'il s'agissait de le faire disparaître, sans se trouver dans la nécessité d'y suppléer par un impôt équivalent, il est certain que l'ensemble de la production du pays se trouverait dégrevé d'une somme égale à celle qu'il procure aujourd'hui à l'Etat. Mais si l'on supprime cet impôt pour le remplacer par un autre d'une importance égale, l'ensemble de la production du pays se trouvera encore exactement dans les mêmes conditions ; les charges par habitant seront ce qu'elles sont aujourd'hui ; on n'aura obtenu aucun résultat vraiment sérieux, vraiment économique.
On dit que la taxe pèse plus spécialement sur les classes laborieuses, et l'on prétend que c'est en quoi elle est inique, injuste. Mais, messieurs, qui donc pourrait établir qui cette taxe tombe nécessairement, fatalement, d'une manière plus lourde sur la classe moyenne et sur la classe pauvre que sur les classes aisées ? Les impôts de toute nature se répartissent sur l'ensemble de la production d'une façon pour ainsi dire mystérieuse ; nul ne pourrait calculer les effets de cette répartition et dire à quelles catégories de citoyens incombe en définitive le payement de tel ou tel de ces impôts.
Messieurs, lorsqu'une taxe nouvelle est introduite, il est clair qu'elle renchérit l'objet imposé ; il est clair encore que si la taxe affecte un objet de première nécessité, consommé par tous, et par conséquent par les classes laborieuses comme par les autres, il est clair, dis-je, que c’est momentanément une sorte de réduction de salaire, car (trois ou quatre mois illisibles nouvelle. Mais, lorsque la taxe est très vieille, l'équilibre est rétabli depuis longtemps, le salaire ayant dû s'élever proportionnellement aux besoins, aux nécessités des classes laborieuses, et dès lors ce n'est plus l'ouvrier lui-même qui acquitte le montant de l'impôt.
Je crois, messieurs, qu'on se trompe singulièrement sur les effets de l'impôt sur le sel et sur les conséquences probables de la réduction ou même de la suppression de cet impôt. Il y a, à cet égard, beaucoup d’erreurs et d exagérations, qui sont propagées, d'une part, par des personnes de très bonne foi, sincèrement désireuses d'améliorer la condition des contribuables, mais, d'autre part aussi, par des intérêts très puissants et très habiles, qui savent se dissimuler derrière les apparences du dévouement au bien-être des masses.
Messieurs, on abuse, en cette matière, des chiffres et des statistiques, qu’on ne scrute pas avec un soin assez scrupuleux ; on ne cherche pas la raison des chiffres ; on les prend tels qu'ils sont, sans les soumettre à une étude approfondie. Il en est de cette statistique comme de celle de l'indigence dont vous a parlé tout à l'heure l'honorable M. Royer de Behr. L'honorable membre ouvre la statistique ; il y trouve que beaucoup de secours sont distribués par les bureaux de bienfaisance de certaines communes, et de ces données, fort incertaines comme vous allez le voir, il conclut tout d'abord qu'il s'y trouve un grand nombre d'indigents, puis il établit, d'après cette conclusion, le chiffre total de la population pauvre du royaume !
Eh bien, rien n'est moins exact que de pareils calcul En voulez-vous une preuve palpable ? La statistique ne renseigne pas les communes où il ne se trouve pas de bureau de bienfaisance, par le motif qu'il n'y existe pas de ressources fondées en vue d'une administration de cette nature. Or, si vous tirez dee conséquences de ce que vous apprend la statistique à propos de ces communes, vous direz : « il n'y a pas là d'indigents ! »
Voici maintenant un exemple dans un autre sens- La ville de Nivelles possède des ressources très considérables, et la statistique déclare qu'il y a beaucoup d'indigents dans cette localité ! Il en est de même en ce qui concerne la ville de Tournai. Or, je le demande, peut-on, du nombre des secours distribués, faire la base d'un calcul semblable à celui auquel s'est livré l'honorable membre, et en tirer les conséquences qu'il vient d'énoncer ? Evidemment, ce serait là faire usage d'une étrange méthode d'appréciation.
Nous pourrions citer vingt exemples de ce genre dans le pays.
Il est donc impossible de s'arrêter absolument à la statistique pour connaître quelle est véritablement la condition des populations en Belgique, vous arriveriez à entasser presque toujours erreurs sur erreurs, c’est-à-dire, par exemple, qu'il y a beaucoup de pauvres, parce que les bureaux de bienfaisance ont beaucoup à donner. Nous aurons bien d'autres erreurs semblables à relever, à propos de ce que l'on a dit concernant l'impôt sur le sel.
Messieurs, je suis loin de regretter cette discussion ; elle se présente, je dois le reconnaître, dans de très bons termes, d'une manière très sage de la part de cette assemblée ; c'est plutôt une étude sur la question, qu'une demande formelle et directe de réduction, que tout le monde reconnaîtra sans doute impossible, impraticable à l'heure qu'il est.
Eh bien, messieurs, je veux précisément, pour entrer dans les vues de l'assemblée, ne pas me borner aux réponses que je viens de faire, et qui, à la rigueur, pourraient paraître suffisantes de la part du ministre des finances, puisqu'elles se résument en une déclaration très catégorique, très juste, très raisonnable ; Il n'y a pas moyen de faire face aux dépenses de l'Etat, si ce n'est avec les ressources qui sont actuellement à la disposition du gouvernement. Mais j'ai voulu aller au-delà, et examiner une bonne fois, avec soin, avec impartialité, de la manière la plus scrupuleuse, cette question de l'imposition du sel.
(page 104) La section centrale et les honorables membres qui ont pris la parole, croient que la consommation du sel en Belgique, comprimée par la taxe, tend à s'immobiliser à un chiffre de 5 1/2 kilogrammes par habitant. On est amené à exprimer cette opinion, après avoir rapproché le produit de la taxe en 1848 et en 1861, du chiffre de la population pendant ces deux années.
Le produit a été : en 1818, de 4,850,250 fr. 80 c ; en 1861, de 5,100,000 fr. A la première époque, la population était de 4,400,000 habitants ; à la seconde époque, elle était de 4,750,000 habitants. D'après ces éléments, non seulement la consommation moyenne par habitant se serait arrêtée, mais elle aurait même subi une certaine décroissance ; et c'est du rapprochement de ces chiffres qu'on prétend tirer la preuve que l'impôt a exercé en Belgique une influence désastreuse. Ce sont les expressions dont on s'est servi.
Je me garderais bien, messieurs, de contredire les honorables membres qui parlent ainsi, si le fait était réel. Mais rien n'est moins exact que le raisonnement de la section centrale, quoique basé, en apparence, sur des chiffres officiels ; et je pense, messieurs, que peu de mots suffiront pour le prouver.
Je pourrais d'abord faire remarquer que la consommation réelle en Belgique est supérieure à celle qui est accusée par le chiffre du produit de l'impôt divisé par le chiffre de la population. Lorsque l'impôt était de 30 fr. en France et de 18 francs en Belgique, il y avait nécessairement, par suite de la différence des deux taxes, une infiltration d'un pays dans l'autre, bien que je n'aille pas jusqu'à prétendre qu'il y eût fraude, comme le rappelait tout à l'heure l'honorable M. de Boe. L'infiltration qui se produisait sur toute la frontière de Belgique vers la France, exerçait naturellement très peu d'influence au point de vue de la consommation moyenne par habitant dans ce dernier pays, et cela à raison du chiffre élevé de la population française. Mais maintenant que les conditions sont changées, lorsque la taxe est ici de 18 francs, tandis qu'elle n'est plus que de 10 francs en France, l'infiltration opérée sur toute la frontière, infiltration inévitable, vient exercer nécessairement une influence sur le chiffre officiel et apparent de la consommation en Belgique, et cette influence est d'autant plus grande que notre population est relativement moins nombreuse.
Mais ce sont là des considérations qui peuvent être contredites, discutées ; je ne m'y appesantirai donc point : j'y appelle seulement l'attention raisonnable de ceux qui s'occupent de cette question, au cœur de laquelle je veux aller directement.
L'erreur des honorables membres auxquels je réponds provient de ce qu'ils ont pris pour point de départ l'année 1848, pendant laquelle des circonstances que je n'ai pas besoin d'énumérer ici, avaient déterminé des mises en consommation tout à fait exceptionnelles. Ainsi, le produit de l'accise, pendant cette année 1848, a dépassé de 400,000 francs le produit moyen des cinq années qui l'ont précédée et des cinq années qui vont suivie. Il n'est donc pas admissible, messieurs, que l'on prenne l’année 1 848 pour terme de comparaison ; ce serait manifestement se tromper à plaisir.
Le produit de l'accise sur le sol, comme le produit de tous les impôts indirects, est soumis à des fluctuations inévitables dont il est parfois fort difficile de discerner les causes. Pour connaître véritablement la consommation, il faut opérer sur des périodes assez longues, afin que les fluctuations dans un sens et dans l'autre soient compensées.
L'impôt sur le sel n'étant pas de création récente en Belgique, nous pouvons aisément opérer sur de longues périodes. Prenons donc deux périodes décennales ; 1841 à 1850, et 1851 à 1860. Dans la première, la consommation moyenne s'est élevée à 21,221,607 kilogrammes ; dans la seconde, elle atteint 40,467,772 kilogrammes ; donc, il y a eu une augmentation de 9,255,165 kilog. ou 30 p. c.
Si l'on déduit maintenant les quantités qui ont été concédées en exemption de l'accise pour les usages agricoles, pour l'industrie, pour la pêche, il reste, pour la première période, 25,146,142 kilogrammes, et pour la seconde, 27,724,170 kilogrammes, soit une augmentation de 2,578,028 kilog. ou un peu plus de 10 p. c. en dix ans.
Dans le même temps, l'accroissement de la population n'a pas excédé 6 p. c. et la consommation par habitant a été portée de 5 kil. 861 grammes à 6 kil. 60 grammes, ou environ 4 p. c. en plus.
Le premier fait sur lequel on se fonde pour crier : à la situation désastreuse ! est donc positivement erroné ; il y a loin des allégations qui ont été produites à la réalité des faits que je viens citer, et qui prouvent l’inexactitude de la prétendue immobilisation de la consommation dans la limite 5 1/2 kilog. par habitant.
Mais en reconnaissant cette erreur, qui est manifeste, en renonçant (et il le faudra bien) à soutenir que l'influence de l'impôt est désastreuse, on ne dira pas moins qu'une réduction de taxe accroîtrait la consommation, et c'est en effet ce que soutiennent les honorables membres. On invoque à cet égard l'exemple de la France. D'après les chiffres que la section centrale a produits, la consommation, qui n'était que de 6 kilog. 75 grammes par habitant en 1845, alors que la taxe était de 30 francs par cent kilog., serait montée à 10 kilog. en 1860, sous l'influence de la réduction du droit à dix francs.
Pour le moment, messieurs, je ne discute pas les chiffres : je vous démontrerai tout à l'heure qu'ils sont manifestement exagérés, Je les prends tels qu'ils sont, pour prouver le vice de l'argumentation de la section centrale. Car, s'ils étaient exacts, il en résulterait que le taux de l'impôt n'a qu'une influence relative assez restreinte sur le mouvement de la consommation, et qu'on serait très peu fondé à conclure du chiffre de celui-là au chiffre de celle-ci. En effet, avec un droit de 30 fr., on consommait 6 k. 73 grammes en France, avant 1848 ; en Belgique, dans le même temps, avec un droit de 18 francs seulement, la consommation ne dépassait pas 5 1/2 kilogrammes par habitant. En France, le droit était de 66 p. c. plus élevé qu'en Belgique, et la consommation y était pourtant de 22 p. c. plus forte !
Nous sommes donc autorisé à soutenir, - nous le serons surtout si nous suivons le système de la section centrale, - que les situations étant aujourd'hui renversées quant à l'impôt, la consommation par tête resterait sensiblement la même dans les deux pays.
Ces rapprochements, messieurs, semblent heurter de front des idées qui sont reçues comme des axiomes, à la faveur desquels on soutient que toute réduction de taxe correspond nécessairement, et dans une proportion en quelque sorte arithmétique, si ce n'est géométrique, à un accroissement de consommation. Sans doute, et je suis loin de le contester, il y a dans cette idée, sinon dans les conséquences qu'on prétend en déduire, un fond réel de vérité. Le bon sens, à défaut de l'expérience, de l'observation, de la statistique, indique en effet très clairement que plus un objet est cher, moins il se présente de personnes pour l'acheter, et pour l'acheter surtout en grandes quantités ; que si on abaisse le prix d'un pareil produit, on le rend évidemment accessible à des classes de la société qui auparavant ne pouvaient y prétendre, et qu'ainsi, en thèse générale, l'abaissement des prix correspond à des accroissements de consommation en quelque sorte illimités.
Cet axiome, qui est vrai dans son essence, doit être cependant l'objet de certaines réserves ; il faut l'entendre et l'appliquer judicieusement. S'il s'agit d'objets de luxe ou de simple utilité, et si ces objets sont grevés d'une taxe trop lourde, il est indubitable que la suppression du droit en accroîtra la consommation dans une proportion considérable. Mais lorsqu'il s'agit d'un objet dont la nécessité est absolue, dont le besoin est indispensable, une taxe même élevée, n'en comprimera la consommation que dans une mesure relativement faible, et la suppression ou la réduction du droit ne pourra exercer également qu'une influence médiocre dans le sens d'un accroissement de la consommation.
Enfin, si ce produit indispensable est en même temps à un prix tellement bas, eu égard à la quantité nécessaire, qu'il n'est pas admissible qu'on en restreigne l'usage à raison de l'impôt qui le grève, évidemment la suppression ou la réduction de cet impôt ne produira que des effets assez insignifiants ; et ces effets seront moindres encore, si un plus grand usage du produit dégrevé n'est guère possible, l'abus inspirant une répulsion naturelle. Or, c'est du sel qu'il s'agit, et le sel se trouve précisément dans toutes les conditions que je viens d'énumérer ; il est impossible de s'en passer, le prix en est très bas, extrêmement bas même eu égard à la quantité nécessaire ; l'impôt, cet impôt si élevé, si exorbitant, ne représente guère qu'un franc par tête d'habitant pour la consommation d'une année ; et, à la différence du vin, de l'eau-de-vie, de la bière, qui laissent plus de place à l'usage abusif qu'à une consommation nécessaire, le sel est d'une emploi forcément limité.
La suppression de la taxe aurait seule peut-être quelques effets appréciables sous le rapport de la consommation.
Remarquez bien que c'est d'un accroissement éventuel de la consommation que je parle ; car, je répète encore ce que j'ai dit, évidemment la suppression de la taxe constituerait un bien pour le contribuable, s'il ne fallait pas la remplacer par un autre impôt. Nous avons à rechercher actuellement, si la consommation est comprimée, si le droit a quelque chose d'inhumain, si on prive de sel des classes qui en ont besoin, et si on améliorerait leur position en supprimant la taxe. Là seulement est la question.
Remarquez d'ailleurs que l'accroissement de la consommation pourrait se produire réellement, et avoir cependant des causes tout autres que (page 105) la suppression ou la réduction de l'impôt. En effet, à mesure que la condition de masses s'améliore, que leur bien-être augmente, leurs consommations générales deviennent beaucoup plus considérables. Dans une société en voie de progrès, et je me crois fondé à dire que c'est le cas de la société en Belgique, il y a augmentation naturelle de la consommation. Mais elle ne résulterait pas surtout de la suppression de la taxe.
On se récriera contre cette allégation, qui est cependant étayée par des faits incontestables, car on abandonne difficilement une idée préconçue. On a tant parlé du sel depuis tant d'années, dans tous les pays ; on a promis tant de merveilles si cet impôt était supprimé, que l'on peut difficilement renoncer à poursuivre la réalisation d'un fait auquel on a, par avance, rattaché de si magnifiques résultats. Je reconnais, d'ailleurs, qu'il y a, pour faire cortège à ces idées, un ensemble de préventions tellement formidables, que c'est avec hésitation qu'on se place sur le terrain où je suis obligé de me maintenir.
On a des statistiques à invoquer, on allègue des faits qu'on déclare précis, qu'on prétend être accablants, et on dit : Expliquez-nous donc les chiffres si éloquents que nous avons cités ! « En France, dit-on, sous l'influence d'un droit de 30 fr., la consommation était de 6 kil. 73 gr. par individu ; en 1860, le droit est réduit à 10 fr., et la consommation s'élève à 10 kilog. En Prusse, les résultats d'une réduction ne sont pas moins brillants ; mais en Angleterre, où tout impôt est supprimé, on arrive à une consommation que les plus chauds partisans de la réduction portent à 23 kilog., et les plus modérés à 16. » Je comprends que, s'il y a seulement une parcelle de vérité dans ces chiffres, il n'y a pas à hésiter et qu'il faut supprimer l'impôt.
Examinons donc si ces chiffres sont exacts.
Voici, messieurs, comment s'exprime la section centrale :
« Le produit le plus élevé, sous l'empire du droit de 30 francs les 100 kilog., avait été de 70,681,542 francs, en 1845, pour une population de 35,160,000 habitants. La quantité consommée était de 244 millions de kilog., soit par tête 6 kilog. 73.
« En 1860, les droits perçus par le fisc ont été de 40,526,552 fr. Si, de cette somme, on défalque 5 millions payés par l'industrie des produits chimiques, qui était affranchie de la taxe avant 1849, il reste un chiffre de 35,000,000, représentant 380,000,000 de kilog., tout compte fait des bonifications de déchets çe d'escompte. »
« La consommation a donc augmenté de 50 p. c. depuis la diminution du droit, tandis que la population s'est accrue de 5 p. c. seulement depuis cette époque. »
« La consommation actuelle est de 10 kilog. par tête au lieu de 6 kilog. 75, chiffre le plus élevé qu'elle eût jamais atteint, quand la taxe était de 30 c. par kilogramme. »
D'après le compte définitif des recettes en France en 1845, les quantités de sel mises en consommation ont été de 236,727,336 kilogrammes soit, pour une population de 34,200,000 âmes, 6 kilog. 919 grammes par habitant, au lieu de 6 kilog. 75 grammes. La consommation n'était donc pas alors de 6 kil. et une très faible fraction, mais de 7 kil. à peu près. Première rectification.
Mais qu'en est-il du chiffre de 10 kilog. par tête en 1860, après la réduction du droit à 10 fr. ? A cet égard, messieurs, on a été induit en erreur, à défaut d'avoir suffisamment scruté les chiffres de la statistique française.
En France, le sel destiné aux fabriques de soude était exempt d'impôt, en vertu d'un décret du 15 octobre 1809. Ces quantités de sel ne figuraient point par conséquent dans les statistiques, qui renseignent les mises en consommation en correspondance avec les droits qui ont été acquittés. De même, les quantités enlevées des magasins pour l'exportation, pour les salaisons et pour la pêche, n'étaient point comprises dans cette statistique.
Ce régime a été modifié par décret du 17 mars 1852, qui soumit le sel destiné à la fabrication du sulfate de soude à un droit de 10 fr. ; (Ce droit disparaîtra à dater du 1er janvier 1863.) Depuis le 1er mai 1852 jusqu'aujourd'hui, le sel expédié aux fabriques de soude a été renseigné dans les comptes pour le montant des droits perçus, et les chiffres sont donnés par les statistiques françaises comme étant ceux de la consommation.
A combien croit-on, messieurs, que s'élèvent ces quantités destinées aux fabriques de soude et qu'il faut nécessairement déduire de la consommation alimentaire ? Il n'existe à cet égard aucun document précis, aucun chiffre certain sur lequel on puisse s'appuyer.
M. Jamar. - Il y a les déclarations de M. De Vuitry...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous avons des déclarations, c'est vrai ; mais vous verrez que le chiffre apparent de la consommation peut être singulièrement influencé, selon que vous considérerez les quantités applicables aux fabriques de soude comme plus ou moins fortes. Tout est là.
Or, messieurs, c'est le premier point à fixer. Quelle est la quantité de sel qui, en France, est destinée aux fabriques de soude ? Nous avons à cet égard des déclarations faites à trois reprises et qui n'ont pas été contredites.
Dans l'enquête ouverte en 1860 en France, sur les résultats du traité avec l'Angleterre, M. Kulman, président de la chambre de commerce et fabricant de produits chimiques à Lille, qui, par cela même, est très compétent, évaluait les quantités de sel employées par année dans les fabriques de soude, à 65 ou 70 millions de kilog.
Dès 1845, la commission de la chambre des députés de France chargée d'examiner la proposition de M. Demesman, tendante à réduire l'impôt à 10 fr., estimait que le sel délivré pour cet objet en franchise de droit s'élevait à 55 millions de kil. Le chiffre actuel est donc présumé de 65 à 70 millions. Nous prendrons la moyenne, soit 68 millions. Ce chiffre n'a rien d'exagéré, puisqu'il est certain que la fabrication des soudes n'a pas cessé de croître en France, malgré le décret de 1852. M. de Vuitry a indiqué le chiffre de 65 millions. Nous sommes donc à peu près d'accord. C'est là, messieurs, un premier élément, pour lequel cependant il n'y a pas de garantie, pas de certitude. C'est une simple appréciation faite par des personnes compétentes, je le veux bien, mais qui n'est pas susceptible de vérification, de contrôle. C'est un premier élément dont nous aurons à tenir compte, lorsque nous aurons établi quelles ont été les quantités livrées à la consommation. Mais ici, messieurs, se présente une première difficulté. Comment procéder ? On ne peut prendre des années isolées pour termes de comparaison ; on ne peut sérieusement aller choisir dans la statistique les années qui conviennent aux arguments que l'on a l'intention de présenter.
Or, en 1848, les mises en consommation en France ont été considérablement réduites, parce que l'on attendait la suppression de l'impôt. Un décret du gouvernement provisoire du mois d'avril 1848 avait supprimé l'impôt du sel à partir du 1er janvier 1849. Aussi, toutes les quantités qui avaient été déclarées étaient sur le marché, mais on se gardait bien d'en déclarer de nouvelles en consommation, même pour les emmagasiner, dans la prévision qu'au 1er janvier 1849 l'impôt devait être supprimé. cette prévision ne se réalisa qu'en partie ; en décembre 1848, la suppression complète fut remplacée par un abaissement de l'impôt au taux de 10 francs.
L'année 1849, à cause même de ce qui s'était passé en 1848, devint à son tour exceptionnelle, car il fallut combler les vides. Les mises en consommation en 1849 ont été d'autant plus considérables, qu'elles avaient été plus faibles l'année précédente.
L'année 1852 enfin a également un caractère particulier, étant celle pendant laquelle on a appliqué l'impôt au sel destiné aux fabriques de sulfate de soude.
Eh bien, messieurs, dans mon administration, on a groupé, pour rechercher la vérité, les années 1845 à 1847, 1850 à 1851, 1853 à 1857, 1858 à 1860, et après avoir déduit des moyennes la quantité de 68 millions de kilog. employés à la fabrication de la soude, on est arrivé, pour la consommation par habitant, aux résultats suivants :
1843 à 1847 (droit de 30 fr.) consommation 6 kilog. 808 grammes.
1850 à 1851 (droit de 10 fr.) 7 kilog. 647 grammes. 1
1853 à 1857 (même droit) 7 kilog. 912 grammes.
1858 à 1860 (même droit) 8 kilog. 477 grammes.
L'accroissement de la deuxième période sur la première n'est que de 829 grammes ou environ 12 p. c.
De la troisième sur la première, c'est-à-dire après 10 ans,, l'augmentation a été de 1 kilog/ 104 grammes, ou 19 p. c.
La quatrième donne un accroissement un peu plus notable. C'est ce qui a porté la consommation pour 1858-1860 à 8 kil 477 gr.
Cet accroissement, produit tout à coup, provient presque exclusivement de l'année 1860, pendant laquelle les quantités de sel employés pour les fabriques de soude ont probablement dépassé 68 millions de kilog. (Interruption.)
M. Jamar, rapporteur. - Rien ne prouve votre affirmation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment, rien ne prouve mon affirmation ? J'ai commencé par émettre une affirmation mathématiquement justifiée, c'est que la consommation de 10 kil. par habitant est fabuleuse, et n'a rien de sérieux ; que la consommation alimentaire, en supposant que celle des fabriques ne soit que de 68 millions de kilog., doit être ramenée à 8 kil. par habitant, et j'établis enfin que, jusqu'en 1858, elle était même inférieure à ce chiffre.
Maintenant, messieurs, pour appuyer ma manière d'opérer le (page 106) décompte que j’établis, pour renverser le chiffre de 10 kilogr. qui fait tous les frais de la discussion, et sur lequel on se fonde pour prouver l'état désastreux dans lequel nous vivons, j'ai l'opinion, les déclarations de M. le ministre des finances de France lui-même. M. Fould, dans son rapport à l’empereur, en date du 26 janvier 1802, dit textuellement ;
« La réduction de l'impôt sur le sel, qui a été opérée en 1848 et qui a privé le trésor d'un revenu considérable, a eu pour unique résultat de porter de 6 à 8 kil. la consommation par tête, et à 54 millions de kil. de plus la consommation totale. »
Voilà la vérité, voilà ce qui résulte des chiffres et des comptes définitifs du département des finances et des déclarations du gouvernement français. Ce sont, je pense, des faits de nature à convaincre chacun que les calculs auxquels je me suis livré, ne reposent pas sur une base chimérique.
Un ancien ministre, M. De Parieu, qui a traité spécialement la question des impôts, déclare de son côté que, « si la réforme a été favorable au consommateur, il n'est pas moins vrai qu'elle a été défavorable au trésor et que les prévisions relatives à un accroissement extraordinaire de la consommation ont été en partie déçues. »
IL est donc établi, messieurs, que c'est par suite d'erreurs manifestes que l'on fait monter la consommation de 50 p. c. en France sous l'influence de la réduction de l'impôt, en le faisant passer de 6 kil. 75 à 10 kil. par habitant. Il est constaté que, bien que l'impôt ait été réduit de 30 à 10 fr., réduction énorme, l'augmentation de la consommation n'a pas dépassé 19 p. c. après dix ans, accroissement qui peut être attribué, tout au moins pour la plus grande part, à d'autres causes qu'à la réduction de l'impôt, telles que le développement de l'aisance et de la richesse, l'accroissement des consommations de toute nature, etc.
Ces résultats viennent confirmer encore la remarque que j'ai faite en commençant, que, pour un objet comme le sel, dont le prix est toujours peu élevé, même en y ajoutant l'impôt, qui se consomme nécessairement en quantité relativement minime, quantité qui ne peut être dépassée sans répulsion, l'on ne saurait fonder, sur un abaissement de taxe, de grandes espérances de voir la consommation augmenter dans une proportion assez notable, pour trouver dans cet accroissement une compensation de la réduction des ressources du trésor.
Pour justifier ce chiffre erroné de 10 kil. par habitant, la section centrale n'a pas précisément procédé comme nous, je le reconnais. Elle a pris d'abord une année isolée et exceptionnelle, l'année 1860 ; première cause d'erreur. Ensuite, du produit de l'impôt en 1860, soit 40,526,551 fr., elle a défalqué 5 millions de francs pour le sel livré aux fabriques de soude, ce qui suppose une consommation de 50 millions de kil., au lieu d'une consommation de 68 à 70 millions que nous avons constatée, et ainsi elle a supposé que les hommes avaient mangé ce que les fabriques de soude ont réellement absorbé.
En troisième lieu, après avoir défalqué 5 millions de 40,500,000 fr., chiffre rond, produit de l'impôt, elle a supposé que le reste représentait en quantité 380 millions de kil., tandis que 35,500,000 francs d'impôt à 10 fr. par cent kil. correspondent à 355 millions de kil.
Enfin, prenant à la lettre le compte définitif des recettes de 1860, sans remarquer que la population prise pour base des calculs était celle du dernier recensement officiel de 1856, elle a exagéré le chiffre de la consommation moyenne par habitant. Le compte définitif des recettes de 1860, en ne défalquant pas les quantités employées pour les fabriques de sulfate de soude, indique une consommation moyenne de 11 kil. 21 par habitant. Mais ce compte renseigne la population de la France de 1856, soit 36,039,564 habitants.
M. Royer de Behr. - C'est le chiffre officiel.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute ; mais vous n'avez pas eu égard au recensement de 1861, qui est officiel aussi.
M. Royer de Behr. - J'ai pris mes chiffres dans le rapport de M. de Vitry.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement, vous avez pris ces chiffres ; mais je prends la liberté de les rectifier, et vous aurez à contrôler les miens ; ils seront au Moniteur ; vous verrez s'ils sont exacts.
Le compte définitif ne renseigne donc que la population de 1856, parce que l'administration française (et cela se comprend, elle devait procéder ainsi) n'avait pas d'autre recensement officiel dont elle pût faire usage. Mais voici le compte de la population en 1861, d'après le nouveau recensement. Que donne-t-il pour la population de la France ? 36,713,166 habitants, non compris 669,159 habitants pour les territoires annexés. Eh bien, si j'ajoute les 4/5 de la différence des deux recensements au chiffre de 1856, j'obtiens 36,578,406 habitants. Mais, par arrêté du 24 mars 1860, la Savoie et Nice ont été réunies à la France, et le décret du 12 juin 1860 applique à ces contrées le régime fiscal de l'empire à partir du 4 juin. Le recensement pour 1861 donne, pour les territoires annexés, 669,059 habitants. Il faut donc ajouter à ce chiffre 40,000 habitants pour obtenir la population réelle de 1860, Suit 36,918,406 habitants, ou en chiffres ronds 36,900,000 habitants.
Cela posé, messieurs, quelle a été, toujours d'après le compte définitif, la quantité de sel soumise au droit en 1860 ? Le compte répond : 397,224,922 kilog.
Si, de cette quantité, on retranche 68 millions employés par les fabriques de soude, toujours d'après l'évaluation faite en 1860, il reste 329,224,922 kilog. pour la consommation réelle.
Divisant cette quantité par le chiffre de la population, qui était, comme je viens de l'établir, de 36,900,000 habitants, j'ai pour la consommation moyenne par individu, en 1860. 8 kilog. 922 gr., chiffre qui correspond à peu près à la moyenne de 1858 à 1860, 8 kilogs 477 gr. que nous avons indiqué tantôt.
Mais, messieurs, il suffit de jeter les yeux sur le tableau de la consommation du sel en France que j'ai fait dresser, pour reconnaître que l'année 1860 est exceptionnelle, et ne pourrait pas même servir de terme de comparaison en bonne économie politique pour apprécier l'influence de l'impôt.
J'ajoute enfin, messieurs, que pour peu que les quantités livrées en exemption de droits aux fabriques de soude, aient été plus considérables que le chiffre supposé de 68 millions de kilogrammes, la consommation par tête, en France, doit encore être notablement abaissée.
Quoi qu'il en soit, je crois avoir irréfutablement démontré que le prétendu accroissement de la consommation résultant de la réduction de l'impôt n'existe pas, et par conséquent que les déductions qu'on en tire ne peuvent être admises.
Il y a, messieurs, un accroissement relatif qui est indépendant du chiffre de l'impôt. En Belgique l'accroissement a été de dix p. c. en dix ans ; en tenant compte de l'augmentation de la population qui a été de six p. c, il reste un accroissement de consommation par tête de quatre p. c.
Je dois, messieurs, entrer encore dans d'assez longs détails, et je pense qu'il conviendrait de remettre à la prochaine séance la continuation de cet examen.
(page 101) - La séance est levée à 4 heures 1/4.