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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 11 décembre 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)

(page 107) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les sieurs Vanden Berghe, Moyson et autres membres d'une société flamande à Bruges, proposent des modifications au projet de loi concernant les jurys d'examen pour les grades académiques. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Thiry, ancien veilleur de nuit à la station de Louvain, prie la Chambre de lui faire accorder une place dans l'administration du chemin de fer ou de lui faire restituer les sommes qu'il a versées dans la caisse de retraite et de secours des ouvriers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Metsers, ancien receveur des contributions directes, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Les facteurs de postes du canton de Nandrin appellent l'attention de la Chambre sur la différence de conditions pour être admis à la pension, qui existe entre les facteurs de postes et les militaires. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bossuyt demandent que l'école dentellière de cette commune soit affranchie du droit de patente dont elle est frappée. »

« Même demande pour l'école dentellière de Saint-Denis. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Gheel demandent qu'il soit pris des mesures pour préserver des inondations les propriétés riveraines des deux Nèthes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Caudron appelle l'attention de la Chambre sur l'admission de chevaux pour la remonte de l'armée, qui ne présentent pas les conditions exigées par le cahier des charges. »

- Même renvoi.


« Les blanchisseurs de Gand présentent des observations contre une demande adressée au gouvernement et tendante à obtenir la libre entrée pour les toiles et les linges de table envoyés au blanchiment à l'étranger. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le conseil communal de Sprimont demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subsidier les travaux d'entretien de la voirie vicinale, et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »

« Même demande du conseil communal de Cortessem. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de budget de l’intérieur.


« Les huissiers de l'arrondissement de Bruges prient la Chambre de maintenir, pour les huissiers, le droit de faire les ventes volontaires de meubles et effets mobiliers ; de supprimer l'article 15 du projet de loi sur l'organisation judiciaire ; de décider que les huissiers seront seuls chargés des citations, etc. ; de leur allouer un traitement pour le service de la cour d'assises, au tribunal correctionnel et au tribunal de simple police, d'augmenter le tarif de leurs émoluments. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur Mourmens demande que le projet de loi relatif au traitement des membres de l'ordre judiciaire comprenne les commis greffiers des tribunaux de commerce avec un traitement égal à celui des commis-greffiers près les tribunaux de première instance, et présente des observations sur l'article 65 du projet de loi concernant l'organisation judiciaire. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le traitement des membres de l'ordre judiciaire et renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l’organisation judiciaire.


« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode prient la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de placer dans les chefs-lieux de canton un officier judiciaire remplissant les fonctions de ministère public près des tribunaux de simple police, et qui aurait la haute surveillance sur la police du canton. »

- Même renvoi.


« Le sieur Poumay demande que le projet de loi relatif aux traitements des membres de l'ordre judiciaire accorde un supplément de traitement aux greffiers de justice de paix qui, parvenus à l'âge de 55 ou de 60 ans, ont 20 ou 25 années de fonctions. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Sprimont demande qu'il soit porté au budget de l'intérieur un crédit spécial pour subsidier les travaux d'entretien de la voirie vicinale, et que le gouvernement organise une surveillance spéciale pour cet objet. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Louis Pire, secrétaire de la société royale de Botanique de Belgique, fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires du premier numéro des bulletins de la société royale de Botanique de Belgique. »

- Distribution aux membres de la Chambre, et dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Renynghe, obligé de s'absenter pour affaires administratives, demande un congé. »

- Accordé.


« MM. de Paul et Guillery, retenus chez eux par une indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

- Accordé.


MpVµ. - Par message du 11 décembre, M. le ministre des finances rappelle que le mandat de M. Loos, nommé par la Chambre des représentants, membre de la commission de surveillance près de la caisse d'amortissement, des dépôts et consignations, doit cesser le 31 décembre 1862, et qu'il est nécessaire de procéder à une nouvelle nomination avant la fin de l'année, conformément à l'article 2 de la loi du 15 novembre 1847.

- La Chambre décide qu'elle procédera mercredi, 17, à cette nomination.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée de l’année 1863

Dépôt

Projet de loi assimilant au grade d’officier les chefs de musique militaires

Dépôt

MCGµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° le projet de loi qui fixe le contingent de l'armée pour l'exercice 1863 ;

2° un projet de loi qui permet d'assimiler au grade d'officier les chefs de musique après 10 années de service dans leur emploi.

Ce dernier projet de loi a été présenté conformément à un vœu souvent exprimé dans cette Chambre.

- Impression et renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget de la guerre.

Projet de loi réformant les lois sur la milice

Motion d’ordre

M. Coomans. - Messieurs, il y a à peu près un mois que le projet de loi qui a pour objet de réformer la législation sur la milice a été déposé sur le bureau.

La Chambre en a ordonné l'impression et la distribution. Cet ordre n'ayant pas reçu d'exécution jusqu'ici, je demanderai une explication à cet égard.

MVIµ. - Ce projet de loi a été envoyé à l'imprimerie de la Chambre immédiatement après le dépôt. Mais eu égard à la besogne considérable dont cette imprimerie a été chargée depuis la rentrée de la Chambre, l'impression du projet n'est pas entièrement terminée ; elle l'est aux deux tiers, et je pense que le document ne tardera pas à être distribué.

MpVµ. - La distribution du projet de loi pourra avoir lieu au commencement de la semaine prochaine.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1862

Discussion générale

MFOFµ. - Messieurs, j'ai essayé de démontrer, dans la dernière séance, combien étaient inexactes (page 108) les inductions que l'on tirait de certains chiffres acceptes sans examen suffisant, et combien il y avait d'exagération dans l'appréciation de la consommation du sel dans les divers pays. J'ai essayé de démontrer aussi qu'on s’égarait en voulant établir une corrélation, en quelque sorte mathématique, entre le montant des taxes sur le sel et l’importance de la consommation.

Ce qui se passe en Hollande nous offre à cet égard un exemple assez remarquable.

En Hollande, la moyenne du produit de l'impôt pour les années 1858 à 1861 a été de 2,567,736 florins ; la taxe étant de 9 florins par 100 kilogrammes, ce produit constate une consommation de 28,530,400 kilogrammes, soit 8 kilog. 150 grammes par habitant.

Voilà donc, messieurs, qu'avec un impôt de 18 francs la consommation se trouve à peu près équivalente à celle de la France, où l'impôt n'est que de 10 francs ; voilà que la Hollande, qui est à nos portes et où le sel est soumis à une taxe égale à celle qui lui est appliquée ici, voilà, dis-je, que la Hollande présente, quant à la consommation, autant de différence que la France, comparativement à la Belgique. Peut-on, en présence d'un fait aussi significatif, prétendre à toute force que la différence entre la consommation des deux derniers pays doit être attribuée uniquement à la différence du taux qui y est appliqué ?

Messieurs, ce fait démontre une fois de plus qu'il est impossible, à l'aide des statistiques, de connaître d'une manière absolument exacte la quantité de sel qui sert véritablement à l'alimentation humaine ; c'est là un problème dont je pense qu'il n'existe pas de solution certaine. De même, il est possible, pour ne pas di

re probable, que, par une foule de causes qui nous échappent, la quantité de 8 à 8 1/2 kilog., accusée par nos calculs pour la consommation moyenne en France soit, en réalité, exagérée ; cette exagération peut provenir de ce que les quantités de sel destinées aux fabriques de produits chimiques sont plus considérables qu'on ne le suppose, ou bien encore de ce qu'on emploie le sel en plus grandes proportions pour certaines industries et pour certains genres de préparations alimentaires spéciales à certaines localités.

Ainsi, par exemple, pour la Hollande, si l'on veut se rendre compte du véritable état des choses, on reconnaît bien vite qu'il y a là des causes particulières qui expliquent l'apparente élévation du chiffre moyen de la consommation du sel dans ce pays. En Hollande, en effet, indépendamment du genre d'alimentation générale, qui peut exiger l'emploi d'une plus grande quantité de sel, on fabrique de grandes quantités de beurre et de fromage qui sont livrés à l'exportation.

Les relevés du commerce hollandais indiquent que la moyenne des exportations de beurre et de fromage s'élève à plus de 40 millions de kilogrammes. Il faudrait donc, pour pouvoir déterminer avec un certain degré d'exactitude l'importance de la consommation moyenne du sel par habitant, tenir compte des quantités qui sont entrées dans la préparation des produits livrés à la consommation étrangère.

Mais on invoque, en faveur d'une réduction d'impôt, l'exemple de la Prusse. « En Prusse, dit la section centrale, où la vente du sel est monopolisée par l'Etat, le prix du sel fut réduit d'un cinquième en 1842 et cette réduction exerça la plus heureuse influence sur la consommation. »

Comme la Chambre peut le remarquer, la déclaration est vague ; elle ne précise rien. Examinons cependant si elle est bien conforme aux faits constatés.

La vente du sel, en Prusse, faisant l'objet d'un monopole, la réduction de prix opérée en 1842 équivaut à une réduction du droit de consommation, qui y est virtuellement contenu. En admettant que le prix du sel soit de trois thalers par tonne, soit 405 livres (ce qui est une hypothèse assez large, d'après les renseignements que possède l'administration des finances), le droit de consommation contenu' ans le prix de vente, avant l'abaissement de ce prix de 15 thalers à 12 (1/5) étant de 12 thalers par tonne, il en résulte que la réduction opérée en 1842 a été de 25 p. c. relativement au droit.

Cette réduction a-t-elle eu pour effet une augmentation proportionnellement correspondante de la consommation ? Il n'y parait en aucune façon. Si nous ouvrons la statistique financière du baron de Redon, nous y lisons : « Les indications suivantes démontrent le peu de progrès qu'a faits la consommation du sel. » Puis vient un tableau que je publierai aux Annales et qui pourra être consulté ; ce tableau se résume ainsi :

Consommation par tête pendant l'année 1835, 16 livres 3/10

Moyenne des années 1846 à 1848, 16 libres 8/10.

C'est-à-dire augmentation presque nulle, avec une réduction de 25 p. c. du droit. Je présume que l'assertion de la section centrale est tirée de ce que dit M. de Parieu, dans un de ses écrits sur le produit comparé du sel, avant et après la réduction dont on vient de parler.

En 1842, dit M. de Parieu, une réduction d'un cinquième dans le prix, n'a amené qu'une réduction d'un dixième dans le produit du monopole. Mais, M. de Parieu n'infère pas du fait qu'il constate « l'influence heureuse, » dont parle la section centrale. » En Prusse, dit-il, la réduction de l'impôt accomplie en 1842 paraît avoir exercé peu d'influence sur la consommation, et le progrès de celle-ci n’a point compensé la perte résultant pour le trésor de l’abaissement de la taxe. On voit du moins dans l'ouvrage de Tegoboraki que le produit de l'impôt du sel en Prusse était, en 1841, de 5,975,000 écus ou 22,406,250 fr., et, d'après le Dictionnaire d'économie politique, ce produit, en 1850, a été dans le même pays de 31,501,261 fr. ; si l'on en déduit les frais de fabrication, portés à l11,476,286 fr., le produit net se trouve ramené à 20,024,975 fr. Il y aurait eu réduction d'un dixième environ sur le produit du monopole du sel, à la suite d'une réduction d'un cinquième dans le prix du sel ordinaire, vendu, à partir de 1843, 12 écus la tonne, au lieu de 15 écus, prix antérieurement adopté. L'augmentation de consommation n'aurait compensé qu'à moitié la réduction du taux de l'impôt, il est vrai qu'on a constaté aussi, comme nous l'avons vu plus haut, un accroissement assez rapide entre 1849 et 1851 dans la consommation du viehsalz ou sel des animaux. Mais bien que nous sachions que le prix du viehsalz, qui était, d'après Tégoborski, de 37 silbergros 1/2 le quintal, ou de 5 thallers la tonne, n'était plus, en 1851, que de 4 thallers, nous ignorons si l'accroissement en question est la conséquence de cet abaissement de prix, dont nous ne connaissons pas le moment précis. »

Que la réduction du droit d'un cinquième ait été suivie d'une augmentation de consommation de 10 p. c. en dix ans, de 1841 à 1850, je ne le conteste pas ; ce que je conteste, c'est que cette augmentation ait eu pour cause unique la réduction du droit. On est fondé à soutenir cette thèse lorsque l'on constate que la consommation en Belgique a augmenté de 10 p.c. en dix ans, l'impôt étant resté le même.

Ce qui démontre encore plus l'erreur dans laquelle on est tombé, ce sont les chiffres que donne M. de Parieu, dans le même travail sur la consommation en Prusse de 1821 à 1836.

En 1821, le monopole a vendu 437,120 tonnes de sel, ayant donné un produit brut de 6,556,800 thalers, soit 15 thalers par tonne.

En 1836, il a vendu 549,580 tonnes pour 8,017,650 thalers, soit à raison de 14 thalers 6 1/10 par tonne.

Ainsi le prix se trouve à peu de chose près le même aux deux époques de 1821 et de 1836, et l'augmentation de la consommation est de 25 p. c, On ne saurait trop répéter qu'il faut bien se garder de conclure de la réduction de la taxe en cette matière à une augmentation proportionnelle de la consommation.

On dira que nous ne nous sommes occupés jusqu'à présent que des pays où des taxes plus ou moins considérables grèvent le sel ; on nous concédera peut-être que nous avons prouvé que, certaines différences dans le taux de l'impôt et même des différences assez notables, n'influent guère sur la consommation ; mais on fera remarquer que nous ne parlons pas des pays où la taxe est abolie. Or, il a été affirmé que c'est surtout dans ces pays que se sont produites les grandes merveilles dues à l'abolition de la taxe, et parmi eux on cite particulièrement l'Angleterre. La consommation y serait aujourd'hui, selon les uns de 16 kil. par tête selon d'autres de 20 kil. ; quelques-uns vont même jusqu'à 23 kil.

La section centrale a pris le chiffre de 16 kil. ; elle a fait preuve en cela de modération ; elle aurait pu aussi bien prendre le chiffre de 25, car elle aurait indubitablement trouvé quelque autorité plus ou moins importante pour étayer ce dernier chiffre aussi bien que celui de 16 auquel elle s'est arrêtée.

C'est qu'il y a en effet une espèce de fanatisme à propos de l'extension de la consommation du sel, et s'il fallait en croire ceux qui s'y abandonnent, le sel serait en quelque sorte une panacée universelle.

Voyons cependant ce qui en est pour l'Angleterre.

L'impôt du sel était énorme dans la Grande-Bretagne au commencement du siècle. Il était de 75 francs par 100 kilog. pour l'Angleterre et de 50 francs par 100 kilog. pour l'Ecosse.

Il fut abaissé à 10 francs en 1822 ; donc réduction considérable de 75 francs à 10 francs pour l'Angleterre, et de 50 francs à 10 francs pour l'Ecosse.

II fût enfin complètement supprimé en 1825.

Eh bien, messieurs, les effets de la réduction opérée en 1822 semblent avoir été à peu près nuls, si l'on en juge du moins par les indications contenues dans le Statistical illustration of the British empire de 1825, page 83.

En 1823, dernière année du droit de 75 francs en Angleterre et de 50 francs en Ecosse, le produit de l'impôt a été de 40,647,000 francs ; les (page 109) quantités consommées de 57,275,7000 kil., et la consommation par habitant de 4 kilog. 8 grammes par habitant.

En 1824, dernière année de l'existence du droit de 10 francs, le produit de l’impôt a été de 5,845,000 francs, la consommation de 58,430,000 kilog., soit 4 kilog. 17 grammes par habitant, soit enfin une augmentation de 9 grammes par habitant.

Il est probable que l'abolition complète de la taxe en 1825 a eu une plus grande influence sur la consommation, mais qui peut la déterminer ? On ne saurait, messieurs, trop se mettre en garde contre les résultats véritablement fabuleux que certaines personnes leur attribuent C'est ainsi que M. Demesmay, cité par l'honorable M. Royer de Behr, et auteur de la proposition de réduction à la chambre des députés de France, évaluait la consommation domestique en Angleterre à 20 kil. 430 grammes, ce qui faisait, pour une population de 28 millions d'âmes, la quantité prodigieuse de 560,000 kilogrammes.

Mais ces informations, messieurs, ont été soumises à un contrôle assez sérieux par un savant qui fait autorité en ces sortes de matières, M. Milne Edwards, membre de l'Institut et de la société d'agriculture de France, qui fut envoyé spécialement en Angleterre en 1850 pour y étudier la question du sel. Dans le rapport qu'il adressa au gouvernement français à la suite de sa mission, au nom de la commission dont il faisait partie et dont il était rapporteur, il fait complètement justice de toutes ces exagéra lions.

M. Milne-Edwards fait remarquer « qu'en Angleterre, d'après les calculs de M. Porter, les salines produisaient environ 600,000 tonnes de sel par an ; mais qu'il n'en reste environ que 300,000 tonnes sur ce marché intérieur, la moitié des quantités produites étant livrée à l'exportation. »

Il est donc absolument impossible d'admettre les chiffres qui' ont été cités. Quelle est la vérité ? Elle est incontestablement très difficile à discerner, parce qu'il n'y a pas de droits, pas de quantités constatées, et que l'on est ainsi obligé de se livrer à des appréciations plus ou moins incertaines.

Pour arriver à une solution aussi exacte que possible de cette difficile question, M. Milne Edwards a eu recours, comme vous le verrez tout à l'heure, à une méthode d'investigation qu'il appelle la méthode d'investigation directe, et qui l'a conduit à consigner dans son judicieux rapport des résultats tout à fait opposés à ceux qui ont été allégués.

Je n'hésite pas à dire, messieurs, que ce document est le plus sérieux qu'on puisse consulter à cet égard. Après avoir fait les recherches les plus minutieuses pour évaluer les quantités de sel provenant des grandes salines de l'Angleterre, il arrive à cette conclusion que la production générale ne dépasse pas en moyenne 648,000 tonnes, dont l'exportation enlève 308,000 tonnes et les pêcheries 40,000 tonnes. Il reste donc 300,000 tonnes pour des usages quelconques dans l'intérieur du pays, soit 10 kil. par habitant. Si de cette quantité, dit-il, on déduit 113,000 tonnes que l'on emploie pour l'industrie, il reste 187,000 tonnes, ou 6 kil. par habitant pour la consommation domestique et l'agriculture.

Après avoir fait une enquête chez un grand nombre de personnes et. dans plusieurs établissements importants (je donnerai tantôt des indications à ce sujet à la Chambre) pour connaître, par la méthode directe, quelle était la consommation humaine, il a reconnu qu'elle ne dépassait pas 5 kil. 6 grammes par habitant, soit pour tout le pays 162,000 tonnes. A ce compte, il resterait 25,000 tonnes pour l'agriculture, la préparation des fromages, des viandes salées, etc.

Il y a loin de là, comme vous le voyez, aux évaluations qui ont été produites par la section centrale, évaluations n'émanant pas d'elle, je le reconnais, et qu'elle a puisées dans un grand nombre de documents que l'on peut très bien croire sérieux, mais qui, soumis à la vérification approfondie que leur a fait subir la commission dont M. Milne-Edwards faisait partie, doivent être considérés comme étant absolument sans valeur.

On doit, je le répète, se méfier des statistiques, dont les chiffres sont parfois erronés, et doivent presque toujours être appuyés d'explications qui font défaut dans la plupart des ouvrages officiels On ne peut davantage s'en rapporter à des documents où l'on n'a établi le chiffre de la consommation moyenne des divers pays, qu'à l'aide de calculs hypothétiques et d'éléments peu certains, dans le choix desquels les personnes les plus habiles. les plus expérimentées peuvent très bien commettre les plus étranges méprises.

M. De Parieu, que je cite ici à dessein, parce que je pense que la plupart des chiffres indiqués dans cette discussion lui ont été empruntés, M. De Parieu constate que dans la Saxe, le Wurtemberg, l'Autriche, le Piémont et la Belgique, la consommation varie seulement de 6 kil. 5 à 6 kil. 8, avec des impôts de 10 à 26 francs le quintal métrique.

Ces chiffres, pour la consommation, paraissent tout au moins vraisemblables.

Mais, messieurs, comme je le disais tout à l'heure, Milne Edwards qui a fait une enquête approfondie dans les établissements publics et dans un grand nombre de maisons particulières, a constaté, cette fois d'une manière qui paraît bien plus rationnelle ou plus exacte, quelle est véritablement la consommation.

« Pour juger, dit-il, la valeur des résultats généraux auxquels on pourrait arriver à l'aide d'un certain nombre de faits particuliers relatifs à la consommation effective du sel en Angleterre, j'ai pris d'abord pour sujet d'études la ville de Paris, où les registres de l'octroi me fournissaient des moyens de contrôle.

« Ici, comme dans les recherches à poursuivre en Angleterre, il était nécessaire de tenir compte des différences d'âge et de sexe.

Effectivement, les physiologistes savent, par les expériences publiées il y a dix ans par M. Lecanu et par quelques autres travaux analogues, que la quantité de sel expulsée journellement de l'organisme par la voie des sécrétions est beaucoup plus considérable chez l'homme que chez la femme, et qu'elle est moins grande dans l'enfance qu'à l'âge adulte. Or, la quantité de sel ainsi expulsé correspond à peu près à la dose ingérée dans l'estomac, et par conséquent on devait s'attendre à trouver la consommation de cette matière stimulante beaucoup plus forte chez les hommes que dans le reste de la population.

En établissant mes calculs sur des observations recueillies dans des réunions d'homme, seulement, comme on l'a fait quelquefois, je serais donc arrivé, suivant toute apparence, à des résultats exagérés, et j'ai évité avec soin cette cause d'erreur, dont l'influence peut être très considérable.

La statistique de nos établissements de bienfaisance prouve la justesse de ces vues.

Ainsi, les comptes des dépenses de l'hospice de la Salpetrière font voir que, dans cette maison, habitée par des femmes seulement, la consommation du sel de cuisine, pendant une année, est en moyenne de 3 kilog. 22 par individu.

A Bicêtre, dont la population ne se compose que d'hommes, la quantité de sel de cuisine employée pour l'alimentation de chaque individu est beaucoup plus grande, elle s'élève, terme moyen, à 5 kilog. 21 par an.

Si j'ajoute à ces sommes la dose de sel contenue dans le pain, le fromage et les salaisons dont ces mêmes personnes ont fait usage pendant l'année 1846, période qui a servi pour les évaluations précédentes, je trouve que la quantité totale consommée a été, terme moyen, d'environ :

6 kil. 50 pour les hommes ;

4 kil 25 pour les femmes.

Dans ces deux établissements de bienfaisance, destinés à la vieillesse indigente, on fournit tout ce qui est nécessaire à une alimentation salubre ; mais, comme de raison l'économie la plus stricte préside à toutes les distributions, et pour voir si cette circonstance influait d'une manière notable sur la consommation du sel, j'ai voulu comparer aux évaluations dont il vient d'être question les résultats donnés par l'examen des dépenses de nourriture dans les maisons de retraite, ou chaque commensal paye pension, et où le bien-être est beaucoup plus grand que dans les hospices ordinaires.

Il existe à Paris trois grands établissements de ce genre (les Ménages, la Rochefoucault et Sainte Périne), dont la population totale est d'environ douze cents âmes et se compose de personnes de l'un et de l'autre sexe, en nombre à peu près égaux. Là, il ne m'a pas été possible de séparer la consommation faite par les hommes de celle attribuable aux femmes, mais j'ai vu qu'en 1846 la quantité de sel employée pour chaque individu était en moyenne de 5 kil. 350 grammes.

Dans les deux hospices de Bicêtre et de la Salpétrière, cette moyenne a été de 5 kilog. 220 grammes.

Ainsi, sous ce rapport, il n'existe aucune différence notable entre le régime dans les maisons de refuge et dans les hospices.

Un résultat analogue m'a été fourni par l'examen des dépenses faites en 1845 et 1846 par l'administration de l'hôtel des Invalides, où l'Etat inspiré par un sentiment de juste reconnaissance, pourvoit amplement à tous les besoins de ses soldats mutilés. A l'aide des documents qui m'ont été communiqués en 1847, par ordre du ministre de la guerre, j'ai constaté que la quantité de sel employée tant pour la cuisine et la table que pour le service de la boulangerie, s'est élevée en moyenne à 6 kilog. 850 grammes par individu et par année. La consommation a donc été sensiblement la même qu'à Bicêtre.

Pour les enfants, cette consommation est au contraire beaucoup moindre.

(page 110) Ainsi, au collège Henri IV, dont la population se compose pour les 5/6 de jeunes gens âgés de neuf à dix-huit ans, la quantité de sel de cuisine employée en 1846 ne s’est élevée qu’à 2 kilog. 600 grammes par individu. Or, il est de notoriété publique que, dans cet établissement universitaire, les élèves reçoivent une alimentation saine, suffisante, et même agréable.

J'ajouterai que dans ma famille qui, en se composait de six adultes et de quatre enfants de douze à dix-sept ans, la consomation du sel de cuisine n'était qu'à raison de 3 kil. 650 gr. par tête.

Enfin, des analyses chimiques analogues à celles de M. Lecanu, dont il a déjà été question, mais faites il y a plusieurs années au laboratoire de la faculté des sciences, et portant sur la totalité des matières qui s'échappent journellement du corps humain, ont conduit également à des résultats fort rapprochés de ceux dont il vient d'être question. Effectivement, les hommes adultes soumis à ces expériences se nourrissant de la manière ordinaire dans les classes aisées de la population parisienne, n'ont fourni, terme moyen, que 42 grammes de sel par jour, ce qui suppose une consommation annuelle d'environ 4 kil. 500 grammes par individu.

D'après tous ces faits je crois pouvoir conclure qu'à Paris la quantité de sel consommée dans l'espace d'une année est, terme moyen :

6 k. 500 gr. pour un homme adulte ;

4 k. 500 gr. pour une femme ;

2 k. 500 gr. pour les enfants et les jeunes gens des deux sexes.

On voit par les tableaux de Montferrand : que chez nous la population se compose de partie, à peu près égale, d'individus appartenant à chacune de ces trois catégories. Il en résulte que, pour Paris, la consommation de sel, évaluée sans distinction ni d'âge ni de sexe serait, terme moyen, d'environ 4 k. 500 g. par individu.

Voyons maintenant si les faits de statistiques constatés par l'administration municipale s'accordent avec cette évaluation.

En 1825, 1826 et 1827, il est entre dans la ville de Paris, terme moyen, 3,974,631 kilogrammes de sel par an.

D'après le recensement fait en 1826, la population de Paris était à cette même époque de 882,941 âmes.

La part attribuable à chaque individu était donc d'environ 4 kilogrammes 500 grammes, c'est-à-dire précisément la ration à laquelle j'étais arrivé par l'observation directe.

Il était donc légitime de penser qu’en employant des moyens analogues pour évaluer la consommation effective de sel en Angleterre, on ne s'écarterait pas beaucoup de la vérité.

La commission dont je faisais partie s'est donc appliquée à recueillir en aussi grand nombre que possible, des données précises touchant la quantité de cette substance, dont on fait usage tant dans les établissements publics de l'Angleterre que dans les familles privées.

Sur votre demande, M. le ministre, M. Watt, le fils et le successeur du célèbre mécanicien dont la part a été si grande dans l'invention de la machine à vapeur, a bien voulu faire dans cette vue, une enquête sur la quantité de sel de cuisine consommée par les ouvriers attachés à sa belle manufacture de Soho, près Birmingham. Il en est ressorti que la consommation annuelle par individu, sans distinction d'âge ni de sexe, varie entre 2 kil. 250 grammes et 3 kil. 250 grammes. Le sel contenu dans le pain ne se trouve pas compris dans cette évaluation. Mais, en Angleterre on mange peu de pain, comparativement à ce qui s'en consomme en France, et la ration annuelle des personnes dont il vient d'être question, ne dépassait pas, en moyenne, 150 kilogrammes. D'un autre côté, ce pain est beaucoup plus salé que le nôtre, car la proportion de sel que l'on y met, à Birmingham, s'élève jusqu'à 1 p. c.

Il en résulte que la quantité de sel consommée par la population ouvrière de Soho paraît devoir être évaluée à environ 4 kil. 500 grammes par tête.

A l'école municipale de Birmingham, renfermant 200 enfants de 9 à 15 ans et 11 femmes adultes, on a employé en 1846, 435 kil. de sel de cuisine, ce qui correspond à environ 2 kil. par élève ; chaque enfant recevait aussi par semaine 1 kil. de pain fabriqué hors de l'établissement et par conséquent la ration totale de sel se trouvait élevée à environ 3 kil. par an.

« Dans la maison de refuse de la Cité de Londres, situé à Stepnay et renfermant une population moyenne de 450 adultes de l'un et l'autre sexe, la consommation de sel de cuisine est d'environ 5 kil. par tête. Dans les établissements de ce genre, la ration de pain ne s'élève pas ordinairement à plus de 6 onces par jour ou 62 kilogramme par an, contenant environ 600 grammes de sel. La quantité totale de sel reçue par chaque individu a donc été d'environ 5 kilogrammes 600 grammes. Dans une autre maison du même genre, situé à Peckham, près Londres, et renfermant 400 adultes, la consommation du sel s'est montrée plus forte et s'est élevée à environ 7 kilog. par tête.

« Les vieux matelots entretenus aux frais de l’Etat, à Greenwich, reçoivent une ration encore plus considérable. En compulsant les comptes de l'administration, pour 1843, 1844 et 1845, j'ai trouvé que la consommation du sel correspond à environ 8 kilog. par homme, mais cette ration me paraît tout à fait exceptionnelle. Ainsi à Bristol, la consommation moyenne des adultes nourris dans la maison de refuge est d'environ 5 kilog. 200gr. par an.

« A Portsmouth, dans un établissement de même nature et dont la population est de 750 adultes, la consommation (tout compris) est restée au-dessous de 5 kilog. par individu.

« Dans la maison de refuge de Penzance, j'ai constaté qu'en 1846, la consommation totale correspondait à 6 kil. 500 gr., par adulte. A Falmouth elle était de 6 kilog. 600 gr. ; à Chichestcr, elle a atteint 7 kilog. 600 gr. ; et dans la prison de Newcastle, elle doit être évaluée à 6 kilog. 600 gr., toujours y compris le service de la boulangerie.

« Enfin il a été constaté aussi qu'à l'école de charité de Norwood, près Londres, la part de chaque enfant est d'environ 4 kil. 800 gr. par an. Il résulte de tous ces faits que la quantité de sel employée pour l'alimentation de l'homme est réellement un peu plus forte en Angleterre qu'en France ; mais la différence est bien loin d'être aussi considérable que l'avaient supposé quelques économistes. Effectivement, j'ai tout lieu de croire que la ration annuelle d'un homme adulte ne dépasse pas terme moyen, 8 kilogrammes ; celle d'une femme adulte 6 kilogrammes et celle d'un enfant âgé de moins de 17 ans, 4 kilor ammes.

« On voit par l'un des derniers recensements que les individus âgés de moins de 18 ans forment à peu près la moitié de la masse totale de la population de l'Angleterre, et que, parmi les adultes, les hommes sont un peu moins nombreux que les femmes. Aujourd'hui, cette population est d'environ 17,000,000 ; elle peut donc se décomposer en :

4,250,000 hommes adultes, qui, à la ration de 8 kil. de sel par tête donneraient une consommation totale de kil. 34,000,000

4,250,000 femmes, dont la consommation totale à raison de 6 kil. par tête, s'élèverait à kil. 35,500.000

Et 8,500,000 individus non adultes dont la consommation, évaluée à 4 kilog, par tête, serait de kil. 34,000,000

Total : 93,500,000 ou pour n'employer ici que des nombres ronds 940,000 quintaux métriques. »

D'après ces données, la consommation humaine serait pour l'Angleterre, et en ne tenant compte ni de l'âge, ni des sexes, terme moyen, d'environ 5 kilogrammes 500 gr. par individus.

Voilà, messieurs, ce que l'on peut, je crois, présenter de plus exact, de plus concluant quant à la consommation du sel, et, au lieu d'arriver au chiffre fabuleux de 23, 20, 16 kilog. par habitant, on arrive à une consommation qui n'excède pas celle qui est constatée dans notre pays.

Ces faits bien établis, peut-on espérer quelque chose d'une réduction par fraction de l'impôt du sel en Belgique ? Là est la question.

La section centrale, et son excellent et judicieux rapporteur tout le premier, reconnaissent qu'il ne peut pas être question, à l'heure présente, de parler de la suppression du revenu ; on indique un moyen d'arriver peut être à donner quelque satisfaction à ceux qui espèrent un accroissement de la consommation par une réduction de la taxe ; on propose de réduire chaque année l'impôt d'un franc, jusqu'à ce qu'on ait atteint le chiffre de 10 fr.

Eh bien, en présence des faits que j'ai soumis à l'assemblée, n'est-il pas de la plus grande évidence qu'une réduction de cette nature ne pourra absolument opérer aucun effet ? Je me trompe : elle aura un effet certain : ce sera celui de priver le trésor d'un revenu de 2 millions.

Mais il est impossible d'admettre que la réduction annuelle d'un franc pendant huit ans, à supposer que la taxe soit un obstacle à l'extension de la consommation, puisse avoir pour résultat d'accroître cette consommation de manière à compenser la perte qui en résultera pour le trésor.

Il faut remarquer que la plus grande quantité du sel consommé pour l’usage domestique se vend en détail par kilogr., par 1/2 kilog., par l/4 kilog. On a fait un relevé, dans un certain nombre de localités, du prix de vente au détail du kilogr. de sel ; ce prix varie de 28 à 30 centimes. Eh bien, la raison dit, comme l'expérience le démontre, qu'une réduction de l'impôt qui aurait pour résultat de diminuer successivement la valeur vénale (page 111) du sel dans une proportion tout à fait inappréciable, eu égard aux quantités minimes qui se débitent à la grande masse de la population, une telle réduction, dis-je, ne pourrait exercer aucune influence dans le sens d'un accroissement de la consommation.

En effet, comme je viens de le dire, le sel ne se vend guère en détail pour l'alimentation humaine, que par 1/2, par 1/4, et même par 418 de kilog. Or, que représente l'impôt dans cette vente ? C'est là ce qu'il faut constater. Il représente 50 p. c. du prix de vente au détail. 50 p. c., rien de plus ! Il y a loin de là, pour le dire en passant, aux 900 p. c. et même aux 700 p. c. dont a parlé l'honorable M. Royer de Behr. Quel effet aura donc pour le consommateur qui se fournit en quantités aussi minimes une réduction de taxe d'un franc par 100 kilog ? Elle n'en produira absolument aucun.

En France, le prix de vente au détail était de 40 à 50 centimes ; ce prix est descendu à 20 et même à 15 centimes ; il s'est donc trouvé réduit de 50 à 60 p. c, et cependant on ne constate guère une progression bien considérable dans la consommation : cette augmentation n'est surtout nullement en proportion avec la réduction du droit. Cela est si vrai que, d'après les rapports des préfets en France, cette consommation n'a pas varié dans la plupart des départements ; la variation ne s'est fait sentir que dans une vingtaine de départements.

Eh bien, nous sommes obligés de rappeler la réserve que nous avons faite quant à la nature même de l'objet qui est imposé ; c'est qu'il s'agit d'une denrée dont on ne peut faire un emploi abusif ; à la différence du vin, de l'eau-de-vie et de la bière, qui laissent une large part à la consommation abusive, l'usage du sel est nécessairement limité.

Aussi, messieurs, ce n'est pas à proprement parler au point de vue de la consommation humaine que se place la section centrale ; elle a surtout en vue l'extension de l'emploi du sel aux usages agricoles et aux usages industriels.

Mais quel est, d'abord, le rôle du sel en agriculture ? Messieurs, je décline quant à moi toute compétence pour me prononcer sur un pareil sujet ; je ne puis que m'en rapporter à ce qui est écrit par des hommes spéciaux et compétents.

J'invoque encore ici l'autorité de M. Milne-Edwards.

« Le rôle agricole du sel, dit-il, est extrêmement faible en Angleterre. Si on en a tant parlé il y a 25 ans, c'est qu'on voulait monter l'opinion et se défaire d'un impôt gênant pour les pêcheries et lourd pour la consommation ; on a mis en avant sir John Sinclair et quelques agronomes éminents de l'époque, mais une fois ce dégrèvement obtenu, on a laissé tomber toute cette effervescence d'opinion, toute cette fièvre de promesses, on n'a plus parlé du sel comme engrais et on a cultivé la terre comme auparavant sans rien changer aux procédés. (Rapport de M. Milne-Edwards Paris, imprimerie nationale, 1850, p. 55.)

« Sir Robert Peel, consulté à ce sujet, répondait avec ironie qu'il n'y avait pas l'ombre d'un doute sur l'utilité du sel, dans l'agriculture, pour les personnes engagées dans le commerce du sel. (Ibid., p. 55).

« La production du sel, dit l'auteur, s'élève dans la Grande-Bretagne à 648,000,000 de kilog. On en exporte 308,000,000.

» Pour les usages domestiques, on en consomme 162 millions ; pour l'industrie 115 millions ; pour la pêche 40 millions.

« Conséquemment, il n'en reste que 25 millions à peine pour la salaison des viandes, pour les fromages, etc., et pour l'agriculture, y compris la nourriture des bestiaux. (Ibid., p. 44 )

« M. Stephens, regardé par les agriculteurs du pays comme l'homme le mieux informé sur la question des engrais, est d'avis que l'expérience est décidément contraire à l'usage du sel comme engrais (Ibid., p. 50).

«M Lobb, l'un des directeurs du British salt company, regarde comme très faible la quantité de sel employée par l'agriculture anglaise en général, et comme nulle celle qui concernerait l'amendement des terres en particulier.» (Ibid., p. 55.)

Et tout cela dans un pays où l'accise sur le sel a été supprimée !

Ce n'est pas que M. Milne Edwards, après avoir recueilli les avis les plus divers, veuille exclure le sel de la culture. « Mais, dit-il, il faut se borner à des essais et bien se garder d'exciter les cultivateurs à introduire le sel dans la pratique comme principe fertilisant d'une efficacité reconnue. » (Ibid., p. 59.)

Pour ce qui concerne la nourriture du bétail, ses conclusions sont loin d'être favorables à l'usage du sel. « Seulement, dit-il, il est bon d'en donner aux moutons soumis à l'influence nuisible de l'humidité.» (Ibid., p. 84.)

En Belgique, le conseil supérieur d'agriculture a-t-il repoussé ces conclusions ?

Voici ce que je lis, messieurs, dans un rapport adressé à ce conseil par une commission composée de MM, du Trieu de Terdonck, d'Omalius, Jacquelart, de Mathelin, Goupy et Verheyen, rapporteur :

« Avant le travail de M. Milne Edwards, M. de Weckherlin disait que les agronomes anglais ne pouvaient assez s'étonner, lorsqu'il leur racontait combien on avait écrit, parlé et expérimenté en Allemagne sur les résultats qu'on avait obtenus en appliquant sur une vaste échelle le sel comme engrais.

« En effet, ajoute M. de Weckherlin, mes recherches sur les lieux ne me firent pas découvrir la moindre trace de l'application en grand du chlorure sodique ; au contraire, l'expérience faite en Angleterre concorde avec mes essais ; le sel n'influe pas sur les récoltes d'une manière profitable ; aussi y a-t-on généralement renoncé dans la Grande-Bretagne. » (Neber Englische landwithschaft, p. 77.)

« Vers la fin de 1847, des marchands de sel distribuaient avec une incroyable profusion une brochure sur les usages du sel en agriculture ; en tête se trouvait un préambule où l'on rendait compte d'un meeting agricole tenu chez sir Robert Peel, dans le dessein de recommander une agitation en faveur du sel. Les journaux politiques parlèrent beaucoup des discours prononcés dans cette réunion ; on savait parfaitement que le -intérêts agricoles n'étaient pas en jeu, mais que l'agitation avait pour but la destruction du monopole dont la compagnie des Indes jouît dans ses possessions asiatiques ; il s'agissait d'ouvrir ce grand débouché aux produits des salines de l'Angleterre.

« Et d'abord, tout le monde doit en convenir, le sel qui, chez les anciens, était employé avec grande modération, et plus en qualité d'agent thérapeutique que d'agent hygiénique, qui, au moyen âge, conserva le même caractère, s'est transformé de nos jours en une panacée universelle. Le chlorure sodique maintient les animaux en santé, les préserve de la maladie, augmente la puissance fertilisante de leurs déjections, transforme en excellents fourrages des matières alimentaires peu nutritives ou avariées, détruit les productions cryptogamiques dont ils sont couverts ; enfin, avec du sel, on fabrique de la viande et du lait.

« Tout cela a été avancé sérieusement, et le public agricole y a ajouté foi.

« En signalant la grande agitation en faveur de l'abolition de la taxe sur le sel, en Angleterre, nous avons mentionné l'opuscule de l'avocat Johnson. Cet écrit, qui a eu plusieurs éditions, a fait autorité sur le continent, et un apôtre fervent de l'abolition du droit sur le sel, en France, M. Demesmay, tout en propageant les exagérations qui se produisaient sciemment dans la Grande-Bretagne, s'est encore emparé d'un proverbe suisse qu' « une livre de sel fait dix livres de graisse ». Vulgarisé en France, ce proverbe est devenu un article de foi, et c'est à qui, parmi les partisans du sel, le répétera.

« Le dicton populaire existe en effet ; il faut seulement y apporter la restriction que celui qui l'a transcrit le premier doit l'avoir lu l'œil armé d'un microscope, car il a marqué dix pour un, Ein pfund salx macht ein pfund schmalz. Réduit à ses véritables proportions, et en supposant que le fait découle réellement de l'observation, l'on peut se demander si les plantes alimentaires des Alpes suisses trouvent dans le sol les alcalis nécessaires à l'exercice des fonctions physiologiques des animaux. Ce point devrait d'abord être résolu par l'analyse chimique avant de généraliser es bons effets que l'on paraît obtenir de ce condiment dans les montagnes de la Suisse.

« Sir John Sinclair s'appuie encore sur la Flandre, pour prouver aux Anglais que le sel préserve les bestiaux de maladies. Il invoque M. Mosselman, dont le troupeau, composé de 100 bêtes à cornes, de 25 chevaux et de 250 moutons, fut entièrement exempt de maladies pendant les cinq années qu'il lui donna du sel. Rien n'est plus commode, quand on veut soutenir une thèse, que de chercher à l'étranger des exemples que l'immense majorité des lecteurs se trouve hors d'état de vérifier.

« Schwerz, qui décrit avec tant de minutie le régime alimentaire du bétail, tel qu'il le trouva établi dans la Flandre au commencement de ce siècle, ne mentionne pas le sel.

« Si cet usage avait existé, peut-on admettre qu'il eût négligé de l'indiquer, alors qu'il commence par demander pardon des détails micrologiques, c'est son expression, dans lesquels il va entrer (Anleitung zur Belgischen Landwirthschaft, B 11, paragraphe 240) ? Vanaelbroeck garde le même silence sur ce sujet.

« L'exagération des journalistes anglais qui ont presque toujours un but de spéculation, les innombrables brochures distribuées par les marchands de sel, ont fait plus de dupes sur le continent qu'en Angleterre même.

« (...) Le sel, en effet, devient inutile, lorsque les animaux reçoivent une (page 112) nourriture bonne, variée et rationnellement distribuée ; il est nuisible, lorsqu'ils sont soumis à une alimentation échauffante. »

Je ne sais, messieurs, si, en Angleterre on a changé d'opinion ; je ne sais si d'autres hommes, plus compétents que ceux dont je viens de citer les écrits, peuvent faire autorité. Je le veux bien. Mais je remarque que, depuis 1851 que ces choses ont été écrites, les nouvelles investigations auxquelles on s'est livré également pour l'Angleterre continuent à les vérifier. Dans l'enquête qui a été ouverte en France sur les résultats du traité avec l'Angleterre, la question du sel a été également l'objet d'un examen particulier.

Des négociants anglais ont été entendus, et ils ont été également d'avis que les quantités de sel employées dans l'agriculture en Angleterre étaient immenses. Cependant, M. Dumas, homme passablement expérimenté, je pense, M. Dumas, ce chimiste distingué qui présidait l'enquête, y déclarait ceci, contredisant un témoin :

« M. Dumas. - J'ai cherché, pendant trois mois, un agriculteur qui mît du sel sur sa terre, et je vous déclare que je n'en ai pas trouvé un.

« (...) Quoi qu'il en soit, votre chiffre me paraît exagéré ; j'ai de la peine à croire que 100,000 tonnes de sel soient consommées pour l'agriculture en Angleterre.

« Herman Falk. - C'est un chiffre modéré ; nous pensons que d'ici à quelques années, il sera plus élevé. Vous verrez, dans tous les rapports des sociétés agricoles, que l'on recommande l'emploi du sel et qu'il est regardé comme étant d'un bon usage pour les fermiers qui cultivent bien.

« M. Dumas. - Mais il était très recommandé à cette époque-là ; j'étais en Angleterre, lorsque sir Robert Peel provoqua une petite réunion pour recommander l'emploi du sel ; c'était de la théorie : mais dans la pratique je n'ai vu personne qui s'en servît, et cependant j'ai été un peu partout ; j'ai parcouru toute l'Angleterre.

« Il est très important de constater ce fait, parce qu'un des motifs qui pourraient déterminer la France à prendre votre sel, serait sans application possible aux usages agricoles. Il est très important, par conséquent, que vous établissiez bien si l'Angleterre emploie en agriculture le sel qu'elle n'employait pas autrefois.

« Je n'ai rencontré le sel dans l'agriculture anglaise, que sous la forme de blocs que l'on fait lécher aux bestiaux, ou bien pour les fourrages avariés, ou bien encore pour le mêler, le dimanche, à la ration des chevaux et les purger un peu. »

Voilà, messieurs, mes autorités ; elles vous montreront si l'on peut prétendre qu'il y a nécessité de prendre des mesures extraordinaires, d'aller jusqu'à réduire ou supprimer la taxe, pour favoriser davantage l'emploi du sel en agriculture. Vous voyez que l'utilité de cet emploi est fort contestée, par des autorités assurément très compétentes.

Au surplus, ce n'est certes pas la taxe qui fait obstacle ici, car le sel destiné aux emplois agricoles est exempt d’impôt. Seulement, on se plaint des formalités ; on se plaint des mélanges qu'on est obligé d'opérer afin d'éviter la fraude. Eh bien, messieurs, sans y être nullement provoqué, quoique aucune réclamation n'ait été adressée à mon département, mais ayant eu, pendant le cours de cet été, une conversation avec une personne compétente en agriculture, qui me fit remarquer les inconvénients dont quelques agronomes se plaignaient, j'ai ouvert une enquête qui se poursuit en ce moment, et journellement j'en reçois les résultats partiels. J'ai consulté, non seulement l'administration, mais encore les comices agricoles. J'attends les lumières qu'on pourra m'apporter, et je suis très disposé à introduire toutes les simplifications possibles, pour que l'emploi du sel en agriculture soit rendu plus facile qu'il ne l'est aujourd'hui.

Je répondrai, je pense, en agissant ainsi, au vœu principal de la section centrale. Viennent les usages industriels. Pour ces usages, pour la fabrication des produits chimiques principalement, on nous dit que nous ne nous trouvons pas dans de bonnes conditions vis-à-vis des Anglais.

Je pense qu'il y a erreur dans cette allégation ; les faits que j'ai sous les yeux me portent à ne pas y ajouter foi. Dans la période décennale de 1841 à 1850, les fabricants de sulfate de soude, n'ont eu qu'à s'applaudir du régime qui existe chez nous.

De 1851 à 1860 la moyenne de la consommation annuelle du sel par les fabriques a été de 10,577,000 kil. De 1841 à 1850, cette moyenne n'a été que de 4,676,000 kil. On peut donc dire que la fabrication du sulfate de soude a été en progrès constant, puisque, en 10 ans, elle a doublé les quantités de sel mises en œuvre. Pour l'année dernière, 1861, on constate que les fabriques ont employé plus de 12,000,000 de kil., c'est-à-dire qu'elles ont décomposé environ le tiers de la quantité de sel qui forme la consommation totale du pays.

Tout cela prouve d'une manière assez concluante, me paraît-il, que ces fabriques ne sont pas dans des conditions aussi défavorables qu'on le prétend. On est gêné, dit-on, par la surveillance, cette surveillance qui va jusqu'à doser les mélanges ! C'est une gêne incessante, une entrave intolérable ; pour tout dire en un mot, c’est une véritable atteinte portée à la liberté industrielle ! Ainsi parle M. Royer de Behr. Je ne sais si les fabricants de produits chimiques sont de son avis. Ils ont aussi été entendus dans l'enquête française, et, entre autres, le directeur d'un établissement que doit connaître l'honorable M. Royer de Behr, M. Henroz, directeur de la fabrique de Floreffe.

Voici ce que je lis dans cette enquête :

« M. le président. - Vous avez l'exercice ?

« M. Henroz, directeur de la fabrique de produits chimiques de Floreffe, en Belgique. - Nous avons un magasin fermé de deux serrures ; le chef de service de surveillance a une clef, et nous, nous en avons une autre.

« M. d'Eichthal. - Vous n'éprouvez pas une grande gêne, si vous avez besoin d'entrer dans votre magasin quand les employés sont absents ?

« M. Henroz. - Dès six heures du matin, il y a deux employés de l'accise.

« M. Michel Chevalier. - Et ces employés sont là tout le temps du travail ?

« M. Henroz. - Oui, monsieur ; il y en a quatre, avec un chef de service : ils se relèvent alternativement. On sort du magasin principal les sels en une seule fois, pour vingt-quatre heures ; on les met dans un petit magasin fermé dont les employés ont seuls la clef, et là, pendant toute la journée, ils pèsent eux-mêmes ces sels. Sous ce rapport, c'est un avantage pour nous, car ils dirigent plutôt la fabrication que nous-mêmes.

« Depuis que le gouvernement a cru devoir exercer une surveillance, sur les fabriques de produits chimiques, on pèse également l'acide sulfurique. Ces agents doivent également assister au dosage et à l'introduction de l'acide sulfurique. De sorte que, grâce à eux, on sait que tout est mis dans les proportions convenants.

« M. Michel Chevalier. - Ce sont des agents de l'Etat transformés pour ainsi dire en contremaîtres. Combien vous coûtent-ils ?

« M. Henroz. - Nous n'avons rien à leur payer.

« M. Amé. - L'exercice, en France, n'est pas organisé aussi largement que cela.

« M. le président. - C'est un progrès de l'exercice, que d'en avoir fait ainsi un auxiliaire de la fabrication.

« M. de Forcade la Roquette. - Dans nos fabriques de sucre, souvent les fabricants se félicitent de l'exercice. »

M. Royer de Behrµ. - Et l'impôt des 40 centimes.

MFOFµ. - Nous y viendrons ; nous avons vu cet exercice que l'on représentait comme si fâcheux, considéré, au contraire, par ceux qui dirigent les établissement industriels, comme une chose assez utile, comme un excellent contrôle ; les employés de l'administration sont considérés, en quelque sorte, comme des contre-maîtres, comme d'excellents contrôleurs.

Quant aux 40 centimes d'accise par 100 kil., faut-il les supprimer ? La loi du budget contient déjà diverses dispositions favorables au commerce et à l'industrie, elle supprime une foule de perceptions considérées comme une charge pour le commerce et l'industrie. Ainsi le droit de pesage de 2 1/2 centimes, auquel l'honorable M. Royer de Behr faisait allusion, est compris dans ces suppressions. Eh bien, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de maintenir plus longtemps ce droit de 40 centimes sur le sel destiné à la fabrication de la soude.

Je suis aussi partisan que qui que ce soit de la suppression de toute charge, de toute gêne inutile, quand l'intérêt du trésor me permet de donner satisfaction à des réclamations fondées.

Je prendrai des mesures pour que les fraudes ne soient pas possibles, pour qu'on ne puisse pas revivifier le sel dénaturé. Je proposerai d'ajouter quelques dispositions, par amendement, au budget des voies et moyens, et la suppression du droit de 40 centimes sera ainsi, non une promesse pour l'avenir, mais un fait accompli dès maintenant.

Je crois avoir examiné tous les côtés de cette question de l'imposition du sel. Après cette longue dissertation, cette longue étude, quand on aura mûrement réfléchi aux arguments que j’ai fait valoir, aux faits concluants que j'ai soumis à l'appréciation de la Chambre j'ai lieu d'espérer qu'on demeurera convaincu que cette question a été l'objet, dans tous les pays, de beaucoup de préventions peu justifiées, et d’une persistante et déplorable exagération.

(page 113) M. Jamar, rapporteur. - Messieurs, l’honorable ministre des finances a commencé son discours en nous racontant une petite histoire dont j’ai vainement cherché l’application à la discussion actuelle.

Un homme riche, exposé aux demandes d'emprunts d'amis avides, prend le sage parti de ne consacrer à ces emprunts que son superflu. Quand il n'en avait pas, il répondait aux emprunteurs : Votre tour n'est pas venu.

C'est, a dit M. le ministre, le système que j'applique à la gestion des finances de l'Etat. Je l'en félicite.

Sur le livre, où j'inscris toutes les demandes qu'on m'adresse, ajoute l'honorable ministre, il y a 60 millions de réductions sollicitées. Et l'honorable ministre les énumère avec complaisance.

Douanes et accises, 50,000,000.

Impôt du sel, 5,000,000.

Barrières, réforme postale, etc.

Je cherche, je le répète, l'application de cette histoire à la discussion actuelle. M. Royer de Behr demande au ministre des finances d'étudier cette question de l'impôt du sel, et il indique la taxe de 5 fr. comme celle qui, rendant l'usage du sel possible pour l'agriculture, compenserait, par un accroissement considérable de la consommation, une partie de la réduction de la taxe.

L'honorable M. de Renesse a présenté des considérations très judicieuses sur l'exagération de la taxe du sel ; enfin M. de Boe a demandé la réduction de la taxe en Belgique au taux de la taxe en France.

Qui donc est venu importuner l'homme riche, lui demander un sacrifice immédiat de 5 millions en s'exposant à un mauvais accueil ?

Est-ce la section centrale qui s'est exposée à s'entendre dire : Votre tour n'est pas venu ? En aucune façon.

La section centrale a demandé une seule réforme. Elle l'a demandée avec insistance. C'est une réforme faite dans quelques pays voisins, avec grand profit pour le trésor ; la réforme des tarifs télégraphiques.

Ici nous étions en communauté d'idées et de sentiments avec le gouvernement, et le Moniteur du 7 de ce mois a fait droit aux réclamations de la section centrale, aux applaudissements du commerce de tout le pays.

Quant à l'impôt du sel, la section centrale sachant que l'homme riche est assez disposé à rudoyer les gens qui lui demandent des réductions d'impôts considérables, la section centrale voyant M. le ministre des finances, au budget de 1863, majorer de 100,000 francs les prévisions de cet impôt, s'est bornée à lui dire :

Voilà un impôt qui, à tort ou à raison, est odieux aux populations. Il pèse lourdement sur un objet de consommation nécessaire à la vie, qui prive l'agriculture d'une matière première, dont elle retirerait les meilleurs résultats et dont la privation la met dans une position d'infériorité vis-à-vis des producteurs anglais et français. L'Angleterre a supprimé cette taxe depuis longtemps, la France l'a réduite des 2/3 et depuis 14 ans la Chambre demande que l'on s'occupe de cette question.

Si vous ne pouvez la résoudre en ce moment, n'est-il pas sage au moins de restreindre l'impôt du sel au chiffre de 5 millions en réduisant la taxe d'un franc ?

Voilà, me semble-t-il, messieurs, un langage excessivement modéré.

MFOFµ. - Je le reconnais.

M. Jamar. - Vous avez dit que nous étions peu logiques en ne proposant pas les moyens de remplacer le déficit du trésor.

MFOFµ. - Cela s'adressait à ceux qui demandaient la suppression de l'impôt.

M. Jamar. - La section centrale croyait d'autant moins qu'il y eût lieu de remplacer cet impôt par un autre, que dans sa pensée cette réduction de 6 p. c. par an pouvait fort bien s'opérer, dans l'excellente situation financière du pays, sans recourir à d'autres impôts. Il fallait tenir compte, au surplus, de l'augmentation du produit de l'impôt amenée par l'accroissement de la population et par la réduction de la taxe.

La section centrale appuyait ses conclusions en comparant les chiffres de la consommation du sel en Belgique à ceux de pays voisins, qui avaient aboli ou réduit la taxe.

Ces malheureux chiffres ont exposé le rapporteur de la section centrale à des critiques aussi vives que peu fondées.

En entendant l’honorable ministre critiquer l'abus des chiffres et des statistiques, dont on ne se rend pas compte suffisamment, en l'entendant lire avec une certaine ironie le paragraphe du rapport de la section centrale dans lequel on parlait de l'influence désastreuse de la taxe qui, écrasant la consommation, tendait à l'immobiliser, j'ai ressenti, je l'avoue, un certain malaise.

Je croyais avoir commis quelqu'une de ces méprises dont on conserve le souvenir et je me disais que lorsqu'il s'agirait de quelque assertion téméraire, on penserait aux chiffres de mon rapport.

Heureusement, cette crainte s'est vite évanouie, et je n'ai pu m'empêcher, je vous l'avoue, de penser à ce charmant conte de la Montagne qui accouche d'une souris, en voyant l'exorde de M. le ministre aboutir à constater quoi ? Une erreur de 4 p. c. dans le rapport de la section centrale.

Il est vrai, messieurs, que par un artifice oratoire, inutile à un homme d'un aussi grand talent que celui de l'honorable M. Frère-Orban, il faisait ressortir tout d'abord un accroissement de consommation de 30 p. c, mêlant ainsi l'accroissement de consommation industrielle à la consommation du sel pour les usages domestiques, qui seule est en question.

Je suis convaincu qu'il n'y a pas eu, de la part de M. le ministre, la moindre préméditation ; mais je lui signale seulement le résultat de cette assertion.

Plusieurs membres ont dû croire que c'était là un chiffre définitif, et dans l'analyse de la séance de la Chambre plusieurs journaux indiquent l'accroissement de 30 p. c. comme étant le résultat de la comparaison établie par M. le ministre des finances.

Messieurs, la vérité est - et je pense être d'accord avec M. le ministre des finances - que ses calculs aboutissent à un accroissement de la consommation en Belgique, de 4 p. c. en 10 ans.

Je regrette en vérité, messieurs, de ne pas pouvoir laisser cette mince illusion à M. le ministre. Il n'y a pas 4 p, c. d'accroissement dans la consommation du sel en Belgique.

La consommation de 1848, dit M. le ministre, est une consommation exceptionnelle, et toutes les conclusions qui reposent sur cette base, qui est fausse, sont également fausses.

Il faut que M. le ministre des finances ait supposé que j'avais oublié le respect que je dois à la Chambre et que je m'efforce de lui prouver en toute occasion, pour croire que j'aie pu prendre ainsi au hasard les chiffres sur lesquels la section centrale appuyait des conclusions qui devaient sévir de base à la discussion.

Il a dû me croire, en outre, peu d'intelligence en supposant qu'ayant affaire à un adversaire aussi redoutable et aussi redouté que lui, j'aurais été lui fournir des armes pour me combattre et m'exposer à une défaite aussi certaine qu'humiliante.

Les conclusions du rapport, messieurs, ne reposent pas uniquement sur les chiffres de consommation des deux années indiquées dans le rapport.

J'ai scruté avec un soin scrupuleux tous les chiffres qui se rapportent à l’impôt sur le sel depuis une période de 20 ans et je continue à affirmer cette proposition, que M le ministre des finances combat que l'influence, de la taxe est désastreuse et que la consommation sous ce poids tend à s'immobiliser. J'ajoute qu'elle tend à décroître.

La comparaison des deux périodes quinquennales de 1846 à 1850 et de 1851 à 1855 donne des résultats qui confirment mes assertions. En voici le tableau : (Suit un tableau statistique, non repris dans la présente version numérisée.)

Les droits perçus de 1851 à 1855 s'élèvent à 23,303,898 francs, soit en moyenne 4,660,779 francs.

La moyenne du droit perçu de l846 à 185 ne s'élève qu'à 4,610,707 fr. soit pour la période de 1851 à 1855 un accroissement de produit de 50,072 francs ou de 1.08 p. c.

Pendant cette même période, la population s'accroît de 4.07 p. c.

En effet, le chiffre de la population de 1851 à 1855 est en moyenne de 4,546,023 habitants, tandis que la moyenne de 1846 à 1850 est de 1,5368,203, soit une majoration de 177,820 habitants.

(page 114) La consommation, pendant cette période, décroit donc de 2.99 p. c. Mais comme il faut tenir compte de l'influence du recensement de 1846, la réduction de la consommation n'est que de 1.50 à 2 p. c.

La comparaison entre les deux périodes décennales indiquées par l'honorable ministre donne-t-elle un autre résultat ?

Non, messieurs, et vous verrez dans les Annales parlementaires les chiffres du produit de l'impôt pendant ces deux dernières périodes. Ce sont les seuls chiffres utiles à comparer, car ce sont ceux qui déterminent d'une manière incontestable la consommation domestique, la seule dont nous ayons à nous occuper.

(Suit un tableau statistique, non repris dans la présente version numérisée.)

De 1851 à 1860, le trésor perçoit 48,828,419 fr., soit en moyenne 4,882,841 fr.

De 1841 à 1850, le trésor perçoit 44,645,013, soit en moyenne 4,464,501 francs. L'accroissement de produit est de 418,340 francs ou 9.37 p. c.

Vous remarquerez que je m'approche ici du chiffre de M. le ministre des finances, qui est de 10 p. c. Voici seulement où nous commençons à différer avec M. le ministre.

Quant à l'accroissement de la population, dit M. le ministre des finances, pendant la même période, elle n'a pas excédé 6 p. c. Ce chiffre n'est pas exact.

Lorsqu'il s'agit, messieurs, d'établir le chiffre de la population en France, l'honorable ministre des finances fouille, dissèque, analyse les chiffres de la section centrale avec l'amour d'un statisticien, et il arrive à réduire le chiffre de la population indiqué dans le rapport de la section centrale.

Mais pour la Belgique, l'honorable ministre n'en agit plus de même ; il se borne de dire : L'accroissement de la population n'excède pas 6 p. c. Eh bien, je le regrette, mais ce chiffre n'est pas exact. Il y a là une différence de 15 p. c. et il faut absolument en tenir compte.

Les chiffres officiels sont ceux-ci :

Pendant la première période, c'est-à-dire de 1841 à 1850, l'accroissement de la population est de 355,040 habitants, soit 8.67 p. c.

Dans la seconde période de 1851 à 1S60, l'accroissement a été de 305,755 habitants, soit 6.91 p. c.

Mais, messieurs, non seulement l'honorable ministre des finances ne tient pas compte de la fraction de 0.91, ce qui constitue une différence de 15 p. c. ; mais il oublie l'influence excessivement sérieuse que produit le recensement de 1856, qui vient réduire considérablement le chiffre de population de l'année 1856, comme vous le verrez dans le tableau ci-dessus.

Pour être équitable, pour trouver le chiffre réel de l'accroissement de la population, il faudrait prendre la moitié de l'accroissement des deux périodes, soit 7,75 p. c. Mais je ne veux pas tenir compte de cet accroissement. Je prends le chiffre officiel, 6,91 p. c.

En tenant compte de l'accroissement de la consommation, 9,37 p. c. et de l'accroissement de la population 6,91 p. c., on arrive à un accroissement de 2.68 p. c.

Mais cet accroissement n'est qu'apparent et la Chambre verra, en comparant les chiffres du produit de l'impôt de 1854 aux chiffres des années antérieures à 1860, qu'il y a un accroissement anomal de 8 p. c. à peu près à partir de 1854. Quelle en est la cause ? Le gouvernement l'explique dans la note préliminaire du budget des voies et moyens pour l'exercice 1859 :

« L'exemption maintenue pour le sel destiné à la fabrication du sulfate de soude et étendue ultérieurement, par la loi du 2 janvier 1847, au sel servant à l'alimentation du bétail et à l'amendement des terres, donnait lieu à des abus. Le gouvernement, pour les faire cesser, prescrivit, en novembre 1853 et en avril 1854, de nouvelles mesures de surveillance. Il en est résulté que d'assez fortes quantités de sel ont cessé d'être soustraites à l'impôt.

« L'augmentation de produit de ce chef peut être estimée à 300,000 francs. »

Messieurs, je connais trop la loyauté de l'honorable ministre des finances pour ne pas être certain qu'il avait complètement perdu de vue les modifications radicales apportées au régime de l'impôt en 1853 et 1834, et qu'il n'en contestera pas l'influence. En en tenant compte dans des conditions équitables, on voit la décroissance indiquée par la comparaison des deux périodes quinquennales complètement confirmée, ainsi que l'affirmation de la section centrale que la consommation en Belgique tend à s'immobiliser.

Suivrai-je, messieurs, l'honorable ministre des finances dans la dissection minutieuse des chiffres indiqués dans le rapport de la section centrale à propos de l'accroissement de la consommation du sel en France ? Ce serait une discussion fort aride et inutile à la cause que je défends. Quelques-uns des chiffres indiqués dans le rapport de la section centrale ont été empruntés au rapport de M. Vuitry, président de section au conseil d'Etat et chargé d'établir le budget extraordinaire de 1863.

Il s'agit, messieurs, et j'appelle votre attention sur ce point, de rétablir la taxe du sel de 10 à 20 fr. C'est vous dire dans quel esprit le rapport est conçu. Le rapporteur, en effet, s'efforce par tous les moyens possibles d'arriver à atténuer les effets de la réduction de la taxe sur l'accroissement de la consommation. M. le ministre des finances va-t-il se contenter de cette arme très bien fourbie déjà que lui fournit son allié officiel français ? En aucune façon.

M. Vuitry établit le chiffre de la consommation industrielle du sel pour la fabrication de la soude à 65 millions de-kilogrammes..

Ce chiffre semble insuffisant à l'honorable ministre des finances, et cette fois il ne se montre pas excessivement difficile sur la valeur des documents auxquels il emprunte certains chiffres ; c'est sur une simple déclaration d'un fabricant de produits chimiques de Lille, M. Kulman, qu'il s'appuie pour porter à 68 millions le chiffre de 65 millions.

Messieurs, pour ne pas prolonger inutilement ce débat, je veux bien accepter tous les chiffres de M. le ministre des finances, qui en définitive démontrent toute la valeur des conclusions de la section centrale.

Que vous preniez la déclaration de M. Fould, ministre des finances, sur laquelle le ministre s'appuie, qu'il cite textuellement et qui déclare que la réduction de l'impôt sur le sel a eu pour unique résultat de porter de 6 à 8 kilog., la consommation par tête, ou que vous acceptiez les chiffres de l'honorable M. Frère-Orban, réduisant l'accroissement de la consommation de 6,919 grammes à 8,477, il n'en reste pas moins constant que pendant que la consommation s'immobilisait en Belgique, il y avait en France, en 10 ans, un accroissement de 2 kilos d'après la déclaration de M. Fould.

A l'appui de son opinion, l'honorable ministre des finances a invoqué l'opinion de deux ministres des finances français, M. Fould et M. de Parieu.

Je constate en passant que M. de Parieu n'a d'autorité que lorsque ses arguments peuvent étayer l'argumentation de l'honorable ministre ; mais cette autorité est douteuse quand ce sont les adversaires du ministre qui lui empruntent des chiffres et si M. Milne-Edwards les conteste, c'est à M. Milne-Edwards qu'il faut donner la préférence.

En invoquant ainsi l'opinion de MM. de Parieu et Fould, l'honorable ministre des finances laisse complètement dans l'ombre un paragraphe de l'exposé des motifs précédant le décret d'abolition de la taxe sur le sel, document dont M. Royer de Behr a donné lecture.

Je suppose que M. le ministre des finances a perdu le souvenir de la citation de l'honorable. M. Royer de Behr et je lui demande la permission de la lui rappeler en la complétant.

« On a beaucoup discuté, on discutait hier encore sur la question de savoir si le prix vénal du sel exerçait quelque influence sur la consommation. Quelques chiffres tranchent le débat.

« Avant la révolution, dans les provinces de grandes gabelles, la consommation par tête était de 4 kil. 580 gr. De 1795 à 1800 la taxe disparaît et la consommation atteint 10 kil. par tête.

(page 115) « Après la loi de 1806, la consommation redescend à 6 kil. 650 gr. Et après la loi ultra-fiscale de 1813, qui portait la taxe de 30 à 40 centimes, à 3 kil. 467 gr. »

Messieurs, il y avait une réponse assez facile à faire pour atténuer la portée de ce document, et je m'attendais à la voir présenter par M le ministre des finances. On pouvait dire que l'impôt du sel a toujours été odieux aux classes ouvrières et aux populations agricoles qu'il fallait rattacher à la république ; qu'il fallait flatter un peu les passions du peuple souverain et que l'impôt du sel fut le sacrifice offert à l'idole.

Mais avant le ministre des finances de la république française, que l'on pourrait soupçonner de vouloir faire de la popularité aux dépens du trésor en abolissant un impôt odieux aux populations, un autre ministre des finances, Necker, avait publié sur cette question du sel un travail remarquable, dans lequel cette question de l'influence de l'impôt sur la consommation est traitée à un point de vue diamétralement opposé à celui de l'honorable ministre des finances. Ce travail se trouve dans le deuxième volume de l'Administration des finances publié par Necker. J'en extrais seulement quelques chiffres qui sont les meilleurs arguments dans une discussion de ce genre.

Vous savez, messieurs, quelles ressources l'ancienne monarchie française trouvait dans cet impôt. La taxe était inégalement répartie de province à province et l'impôt pour quelques-unes était de près de cent fois la valeur réelle du produit.

Voici, d'après Necker, des indications très précises sur l'organisation de cet impôt et son produit dans les diverses provinces du royaume. Celle-ci se divisent en :

Provinces de grandes gabelles, provinces de petites gabelles, provinces de salines, provinces franches et provinces rédimées.

On donnait le nom de pays rédimé aux provinces qui, sous Henri II et pour un capital de 1,750,000 livres environ, s'étaient libérées des gabelles et n'étaient restées soumises qu'à un droit modique perçu sous le nom de Convoi de traité de Charente.

Dans toutes ces provinces le prix du sel varie.

Quelle est l'influence du prix sur la consommation ? La voici :

Dans les provinces de grandes gabelles le prix moyen est de 62 livres par quintal et la consommation est de 9 livres et un sixième par tête d'habitant,

Dans les provinces de petites gabelles,1e prix du sel est de 33 livres 10 sous et la consommation est de onze livres trois quarts par habitant.

Dans le pays de salines, le prix est de 21 livres 10 sous et la consommation de quatorze livres.

Enfin dans ces pays rédimés et les provinces franches le prix du sel varie de 10 à 12 francs et la consommation s'élève à dix-huit livres.

J'appelle sur ce dernier chiffre de dix-huit livres toute l'attention de M. le ministre des finances parce que chaque fois que l'impôt disparaît ou se réduit à une taxe très minime, on voit la consommation s'élever à une moyenne de 8 à 10 kilos.

Il est vrai, messieurs, que mes pauvres chiffres sont fort maltraités par M. le ministre des finances, surtout ceux qui concernent l'Angleterre et la Prusse. Je désire les défendre pour prouver à la Chambre que je croirais, comme je le disais tout à l'heure, manquer de respect envers elle en venant, dans un rapport sur une question aussi importante, produire des chiffres sans autorité.

Quel est, messieurs, le chiffre qui a surtout attiré l'attention de M. le ministre des finances ? C'est le chiffre de la consommation en Angleterre. Quelle est l'autorité qui vient donner quelque valeur à mes assertions ? Ce sont deux hommes : M. de Parieu, que M. le ministre des finances citait tantôt, mais surtout Porter, et j'avoue que je n'ai pas compris M. le ministre des finances préférant l'assertion de Milne-Edwards à celle de Porter.

Porter fut secrétaire du département des finances et du commerce et l'un des fonctionnaires les plus éminents de l'administration anglaise. C'est par ses soins et sous sa direction que les publications statistiques annuelles du Board of trade sur le commerce, l'industrie et les finances de la Grande-Bretagne sont parvenues à ce haut degré d'intérêt et d'utilité qui les distingue aujourd'hui.

Si l'on vous donnait, messieurs, un rapport de l’honorable ministre des finances sur la consommation du sel en Belgique, hésiteriez-vous un instant à lui donner la préférence sur le travail d'un Français envoyé en Belgique pour y constater cette même consommation !

Messieurs, je m'arrête, car en vérité je croirais abuser des moments de la Chambre en discutant cette proposition de M. le ministre des finances : « La taxe n'exerce aucun effet sensible sur la consommation d'un objet indispensable à la vie. »

N'est-il pas étrange de me voir soutenir l'opinion contraire contre l'honorable ministre des finances qui tant de fois, dans ces beaux discours qui captivent notre attention, nous a démontré les lois économiques présidant à la production et à la consommation, et l'influence fâcheuse, que l'impôt exerce sur celle-ci ?

Il est vrai qu'il s'agissait d'impôts dont l'honorable ministre nous proposait la réduction, et je serais tenté de croire qu'en dehors des théories consacrées par la science, il en est une, à l'usage des ministres des finances passés, présents et futurs, adoptée par nécessité d'état.

Cette théorie consiste à diviser les impôts en deux catégories ; ceux qui agissent sur la consommation et ceux qui n'ont aucune influence sur elle !

Cette classification est élémentaire et les signes caractéristiques de chaque catégorie sont faciles à reconnaître.

Si le gouvernement propose la suppression ou la réduction d'un impôt, soyez sûrs qu'il exerçait l'influence la plus pernicieuse sur la consommation et la production ; mais soyez convaincus aussi que si l'initiative de cette suppression émane de quelque membre ou de quelque section centrale, le résultat de la mesure proposée sera une perturbation fâcheuse dans la situation financière, sans compensation suffisante par l'accroissement de la consommation.

On peut classer dans cette dernière catégorie l'impôt sur le sel, la réforme postale.

Malheureusement pour cette théorie, tout le talent de l'honorable ministre ne saurait prévaloir contre les faits qui condamnent tous l’impôt sur le sel et qui prouvent que le moment est venu de ne plus ajourner la réforme postale, si nous ne voulons nous laisser devancer par les pays voisins, comme pour la réforme des tarifs télégraphiques.

Il n'y a, à mon sens, qu'un moyen de défendre cet impôt, et si j'avais l'honneur d'être ministre des finances, je dirais à la Chambre :

« Je suis d'accord avec vous sur les résultats probables de la réforme, mais il y aura pendant quelques années une perte pour le trésor et j'ai besoin de toutes mes ressources. Je veux doubler encore la dotation de l'enseignement primaire. Nous devons détruire l'ignorance, il y va de l'honneur et de la grandeur morale du pays.

« Dans l'ordre matériel il nous reste beaucoup à faire encore. Il est des localités qu'aucune voie de communication, canal, route ou chemin de fer ne relie aux grandes artères internationales et il faut qu'elles aient une part équitable à cette progression constante de la prospérité et de la richesse publique que le budget que nous discutons constate. »

Mais j'ajouterais que, ces plans réalisés, je supprimerai l'impôt sur le sel au lieu de le réduire progressivement et le pays, éclairé sur mes desseins, supporterait pendant quelques années encore cet impôt condamné, sachant quelles compensations il est en droit d'en attendre.

M. Hymans. - Messieurs, la question du sel paraissant épuisée, je voudrais présenter à la Chambre quelques observations sur deux autres points qui se rattachent au budget des voies et moyens.

Et d'abord je dirai quelques mots du droit qui frappe le poisson à l'entrée en Belgique.

L'année dernière, j'ai abordé cette question à propos du traité conclu avec l'Angleterre. Je me suis élevé spécialement, à cette époque, contre les droits différentiels qu'on voulait maintenir sur les huîtres destinées à la consommation ou introduites dans les parcs d'Ostende.

L'honorable rapporteur de la section centrale fit observer alors que la question que je soulevais se rattachait à notre tarif douanier et n'avait rien de commun avec le traité.

L'honorable ministre des finances répéta la même observation. On m'opposa la question préalable ; je déposai alors sur le bureau une proposition de loi.

Je n'ai pas insisté jusqu'à présent pour que les sections examinassent cette proposition, parce que je ne voulais pas retarder par une question spéciale l'examen des importantes mesures que le gouvernement a soumises à la législature. Aujourd'hui que nous discutons le budget des voies et moyens, je crois que le moment est opportun pour reproduire ce que j'ai dit en 1861, et l'on ne pourra plus m'opposer une fin de non-recevoir.

Après avoir examiné de très près cette question, je suis convaincu, plus que jamais, que cette législation douanière sur les produits de la pêche est une véritable anomalie dans notre régime fiscal ; une anomalie de toutes les façons, une anomalie déplorable tout d'abord, parce qu'elle frappe d'un droit exorbitant une denrée alimentaire de toute première nécessité ; une anomalie insoutenable de la part d'un ministre des finances, parce qu'elle rapporte au trésor une somme insignifiante rendue (page 116) beaucoup plus insignifiante encore parla prime que nous payons en faveur de la pêche nationale, c'est-à-dire en faveur de quelques armateurs d'Ostende.

Cette anomalie est indéfendable encore, parce qu'elle consacre un gâchis sans exemple par la différence qui existe entre les droits établis dans notre tarif général et dans les différents tarifs conventionnels.

Pour ne citer qu'un seul fait, aux termes du traité conclu avec la France, traité qu'on nous a présenté comme le premier pas dans la voie de grandes réformes et auquel j'ai applaudi, nous avons entendu diminuer les droits établis à l'entrée du poisson en Belgique.

Or en voulant réduire nous avons aggravé. Ainsi les harengs, les plies, le stockfisch payent 1 fr. 20 c. par 100 kilogr. d'après le tarif général, et payent 1 fr. 50 c., aux termes du traité français. Voilà comment nous avons dégrevé le poisson !

Reste enfin, messieurs, l'étrange système consacré par la loi quant aux huîtres et aux homards, système dont je crois avoir fait justice dans la dernière session, me trouvant en cela d'accord avec la chambre de commerce d'Ostende, qui a demandé elle-même, dans son dernier rapport, la réduction du droit sur les huîtres.

Pour toutes ces raisons, je serai donc parfaitement autorisé à faire une campagne en règle contre une charge qui pèse sur une denrée de première nécessité, sur un objet de consommation d'une aussi haute importance que le poisson.

Mais une considération m'arrête ; la voici : il est impossible de s'occuper de la question de la pêche, sans constater que toutes les puissances maritimes de l'Europe attachent une importance énorme au développement de la pêche et à des mesures protectrices de cette industrie.

Je crois que des avantages accordés à ces puissances pour les produits de leur pêche, que la suppression ou tout au moins une réduction considérable des droits établis à l'entrée du poisson étranger en Belgique pourrait leur être offerte en même temps que les concussions dont M. le ministre des finances a parlé à la section centrale, pour le rachat du péage de l'Escaut.

Nous demandons le rachat du péage de l'Escaut à l'Angleterre, à la Hollande ; deux puissances maritimes qui attachent un grand prix au développement de leur pêche.

Or, je crois que M. le ministre des affaires étrangères pourrait trouver un heureux élément de négociation dans l'offre de la suppression des droits d'entrée qui frappent le poisson étranger,

MRAµ. - Laissons donc les choses comme elles sont.

M. Hymans. - Permettez-moi d'achever. L'espoir que j'exprime va m'amener à une conclusion qui ne contrariera pas le gouvernement, et si M. le ministre des affaires étrangères, au lieu de me faire un geste de mauvaise humeur, me laissait achever, il verrait que nous sommes à peu près d'accord.

MRAEµ. - Je ne suis nullement de mauvaise humeur.

M. Hymans. - Pardon ; j'ai le privilège de vous mettre de mauvaise humeur chaque fois que je prends la parole. (Interruption.)

L'année dernière, quand je vous disais que l'abandon du droit dont nous frappons le poisson étranger, pouvait servir d'élément de négociation avec l'Angleterre, à propos de la question des fils, M. le ministre des affaires étrangères me répondait, avec beaucoup de sans-façon : « Je n'ai que faire d'un pareil moyen. »

Aujourd'hui l'honorable ministre trouve le moyen utile et me reprocher de le lui enlever.

Ma conclusion, la voici : si le gouvernement croit que cette concession peut lui être utile dans de futures négociations, je ne demanderai pas que ma proposition soit mise à l'ordre du jour. S'il déclare qu'il entre dans ses intentions de proposer, dans un temps donné, d'une façon ou d'une autre, la suppression du droit d'entrée sur le poisson de toute espèce, je demanderai que ma proposition soit retirée de l'ordre du jour ; sinon... (Interruption.) Pardon, elle figure au procès-verbal et j'ai le droit de demander à M. le président de convoquer les sections pour en autoriser la lecture. Si le gouvernement ne veut rien faire, je demanderai que ma proposition soit lue et je crois que les sections n'y feront pas opposition ; je la développerai et je prierai la Chambre de la discuter.

Voilà ce que j'avais à dire quant à cette question.

Je passe à un autre point du budget.

Je voudrais signaler à M. le ministre des finances les conditions défavorables qui pèsent sur l'importation des livres allemands en Belgique.

Les traités que nous avons conclus successivement avec les Pays-Bas, avec la France, avec l'Angleterre ont aboli tous les droits qui existaient encore sur les livres édités dans ces pays et importés en Belgique, tandis que nos relations, sous ce rapport, avec l'Allemagne sont encore soumises à un tarif différentiel des plus onéreux.

Ainsi, tandis que l’entrée des livres français, anglais et hollandais est libre, les livres allemands sont encore soumis, à la frontière belge, à une taxe de fr. 38-20 les 100 kilog. pour les livres brochés et de fr. 50-90 les 100 kilog. pour les livres cartonnés ; et cet impôt tombe en grande partie à charge des libraires domiciliés dans le pays. Vous savez, en effet, qu'en librairie le vendeur n'a pas la faculté d'augmenter le prix de ses marchandises du montant des frais qu'il a dû payer : l'éditeur d'un livre à l'étranger fixe lui-même le prix de vente et ce prix est porté à la connaissance du public par des catalogues, par des prospectus, par des annonces de toute espèce.

Le libraire ne peut donc vendre qu'au prix fixé sur l'ouvrage, et il doit supporter les droits perçus non seulement pour les livres qu'il a vendus, mais encore pour tous les livres qu'il a reçus en consignation et renvoyés plus tard, l'Etat ne remboursant aucune partie des droits perçus. Il arrive ainsi le plus souvent que c'est la moitié de la marchandise expédiée qui paye les droits pour la totalité.

Je crois, messieurs, que le gouvernement ferait chose utile, en attendant qu'un traité soit conclu avec le Zollverein, de renoncer aux droits que nous percevons sur les livres allemands introduits en Belgique. C'est encore une recette très minime que fait là le trésor, et la suppression de ces droits a été demandée il y a bientôt trois ans par la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la propriété littéraire. Le congrès qui, en 1858, a examiné toutes les questions relatives à la propriété intellectuelle et dont les vœux ont été purement et simplement transcrits dans le projet de loi qui nous a été soumis, avait également émis un vœu en faveur de l'abolition des droits de douane sur les livres.

Je crois que le gouvernement ferait chose utile, généreuse et libérale, en dégrevant, sans même songer à la réciprocité, tous les produits de l'intelligence.

D'ailleurs, messieurs, le Zollverein se montre beaucoup plus large que nous ; le Zollverein n'établit pas de catégories ; il taxe uniformément tous les livres, cartes, estampes à 5 fr. 75 c. les cent kilog. ; c'est, vous le voyez, un droit infime, un simple droit de contrôle, tandis que les livres allemands sont frappés d'un droit exorbitant à leur entrée en Belgique.

Ce serait déjà quelque chose si nous pouvions obtenir une réduction égale au chiffre du tarif allemand, et il serait digne du gouvernement belge de proclamer sur-le-champ l'abolition complète de tous droits sur les produits de l'intelligence.

J'ai à présenter une dernière observation qui a rapport à nos relations avec l'Allemagne ; je veux parler des journaux allemands qui sont débités par l'administration des postes en Belgique.

La Chambre ne se doute pas des frais énormes auxquels est soumis un journal allemand depuis la frontière jusqu'à Bruxelles. Ainsi, un journal publié à Berlin et qui, à Aix-la-Chapelle, ne coûte par trimestre que fr. 7,35, coûte à Bruxelles fr. 22-52, c'est-à-dire que le journal qui revient à fr. 7-25 à Aix-la-Chapelle, coûte à Verviers, à deux pas de la frontière, plus du triple.

Le principal élément de cette augmentation est le timbre que l’on perçoit en Belgique.

- Un membre. - Le timbre sur les journaux est aboli.

M. Hymans. - Vous le croyez ; vous ignorez que le timbre existe encore ; les employés de la poste l'ignorent, ou du moins l'oublient aussi parfois. Mais le fait est certain. La loi de 1848, qui abolit le timbre des journaux, l'a maintenu par mesure de réciprocité pour les journaux provenant de pays où le timbre existe encore. J'avoue que je n'ai jamais compris la logique de cette disposition, qui n'atteint pas les gouvernements étrangers, mais les particuliers, Belges et Allemands, qui résident en Belgique.

- Un membre. - Et la réciprocité ?

M. Hymans. - J'y viens. La Prusse par une loi du 29 juin 1861, a modifié sa législation sur le timbre des journaux, en ce sens qu'à partir du 1er janvier 1862 les journaux venant des pays étrangers (non allemands) et par conséquent les journaux belges ne payent plus le timbre.

Pour mettre à exécution la loi de 1848, nous sommes donc obligés de supprimer le timbre qui se perçoit encore sur les journaux allemands. Je demande à M. le ministre des finances de vouloir bien prendre des mesures pour que la loi soit exécutée sur ce point.

MFOFµ. - Cela ne regarde pas mon département, mais le département des travaux publics qui a l'administration des postes.

M. Hymans. - Je prierai alors M. le ministre des finances de transmettre ma demande à son collègue des travaux publics.

(page 117) Voilà les observations que je voulais présenter sur le budget des voies et moyens ; et j'espère que le gouvernement y fera bon accueil.

M. Van Iseghem. - Je demande la parole.

MpVµ. - La parole est à M. de Naeyer.

M. de Naeyer. - Mon intention est de parler de la question du sel ; la Chambre est peut-être disposée à vider la question soulevée par M. Hymans, je cède la parole à M. Van Iseghem.

M. Van Iseghem. - Je n'ai que quelques mots à dire, car pour le moment je trouve inutile de combattre ce que vient de dire l'honorable M. Hymans, aucune proposition définitive n'étant faite. Je me bornerai à lui répondre que la chambre de commerce d'Ostende n'a nullement demandé la suppression du droit d'entrée sur les huîtres, elle a tout bonnement pétitionné pour conserver ce qui existait.

Il y a quelque temps, le gouvernement avait le projet de majorer ces droits et de les porter au poids au lieu de les conserver à la valeur.

Déjà, en 1851, on avait décrété des droits très élevés sur les huîtres, en conservant toutefois pour les parcs fixes un droit moindre que pour celles entrant directement dans la consommation. Ce droit fut modifié plus tard par la première convention de pêche avec l'Angleterre, et la chambre de commerce, je le répète, a protesté contre toute augmentation de droits.

Quant à la prime en faveur de la pêche, c'est une erreur de croire qu'elle est seulement en faveur des armateurs ; les pêcheurs du littoral en ont les deux tiers, et de plus une partie est destinée, dans quelques localités, aux caisses de prévoyance.

L'honorable membre a dit aussi que pour le traité avec la France on avait porté les droits d'entrée sur le stockfisch, les plies sèches, etc., etc., de 1 fr. 20 c. à 1 fr. 50 c. par 100 kil. ; 30 centimes par 100 kil. est vraiment bien peu de chose ; je puis déclarer à mon honorable contradicteur que l'industrie de la pêche est restée étrangère à cette augmentation, et qu'elle a été admise probablement pour simplifier le tarif.

MpVµ. - La parole est à M. de Naeyer.

- Plusieurs voix. - A demain, à demain !

- La Chambre consultée continue la discussion à demain.

La séance est levée à 4 heures et demie.