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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 3 avril 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 1091) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Les membres de l'administration communale et des habitants de Gheel prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer projetés de Liège à Eyndhoven par Hasselt et de Herenthals à Maeseyck. »

« Même demande des membres de l'administration communale et d'habitants de Desschel et de Baelen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives à «es concessions.


« Le conseil communal de Moirey demande des subsides pour l'aider à couvrir les frais de construction d'une église dans cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dumont-Libert demande que la citadelle de Namur soit rasée à niveau du sol de la ville. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Houthalen déclarent adhérer à la pétition relative à la concession d'un chemin de fer de Liège à Eyndhoven par Hasselt, Zonhoven, etc. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des pétitions relatives à cette concession.


« M. le ministre de la justice, transmet avec les pièces de l'instruction, les demandes de naturalisation ordinaire formées par les sieurs I.-F. Vandermersch, à Wervicq et C.-L.-D, Scheneck, à Schaerbeek. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. le président. - La Chambre a chargé le bureau de remplacer dans la commission des naturalisations M. Savart, décédé.

Le bureau a désigné à cette fin M. Crombez.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1862

Discussion générale

M. le président. - La section centrale a introduit quelques amendements dans le budget ; je demanderai au gouvernement s'il se rallie à ces amendements.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je m'expliquerai aux articles.

M. le président. - En conséquence, la discussion s'établit sur le projet du gouvernement.

La parole est à M. de Boe.

M. de Boe. - Messieurs, il a été question, ces jours derniers, dans le sein du parlement anglais, des négociations ouvertes entre la Belgique et l'Angleterre au sujet d'un nouveau traité de commerce. Il semble résulter des explications qui ont été données qu'il y a une pause dans les négociations et que cette pause est due à des difficultés qui ont surgi, par suite de la demande qu'a faite le gouvernement belge au gouvernement anglais de capitaliser les droits de navigation que le gouvernement néerlandais perçoit, en vertu du traité du 19 avril 1839, sur les vaisseaux qui remontent et descendent l'Escaut.

L'abolition de ce péage se rattache, je pense, dans l'esprit du gouvernement, à la réduction de certains droits, à l'abolition complète de certains autres droits qui grèvent la navigation de l'Escaut. A ce titre, la question a une très grande importance au point de vue du commerce maritime.

Je demande donc au gouvernement s'il ne verrait pas d'inconvénient à donner quelques explications à cet égard, et je le prie de vouloir bien maintenir la connexité qu'il me semble avoir établie jusqu'ici entre la conclusion d'un nouveau traité de commerce et une convention relative à la capitalisation du péage de l'Escaut.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je ne vois pas le moindre inconvénient à répondre à l'interpellation de l'honorable représentant d'Anvers.

Il n'y a pas de rupture dans les négociations ouvertes entre la Belgique et l'Angleterre.

Ainsi qu'on l'a dit dans le parlement anglais, il y a un temps d'arrêt, une pause dans la marche des négociations. Les faits ont été exposés au parlement dans une séance récente, mais ils ne l'ont pas été d'une manière complète.

Je profiterai de l'interpellation qui m'est adressée, pour exposer les faits de la manière la plus nette et la plus complète.

D'abord, messieurs, que nos intentions à l'égard de l'Angleterre, comme à l'égard de tous les gouvernements avec lesquels nous avons à traiter, que nos intentions soient toujours restées loyales, personne ne le mettra en doute ; qu'en particulier pour l'Angleterre, notre désir soit de resserrer de plus en plus nos relations politiques et commerciales, personne également ne mettra en doute les intentions du gouvernement à cet égard.

Nous n'avons pas ici à nous plaindre de l'Angleterre. En différentes circonstances elle nous a rendu des services.

Nous n'oublions pas la part qu'elle a prise à l'établissement de la nationalité belge, en même temps qu'un gouvernement voisin qui, il faut le dire, ne nous a pas aussi vivement reproché que l'Angleterre le service qu'il nous a rendu.

Messieurs, en traitant avec l'Angleterre, avec ce pays essentiellement libéral, tant au point de vue politique qu'au point de vue commercial, nous avons été guidés par cette pensée, qui rencontrera, je crois, l'approbation de cette Chambre, qu'il faut établir nos relations commerciales avec les pays étrangers sur les bases les plus larges.

Il ne suffit pas en effet, messieurs, dans une négociation commerciale, de s'accorder réciproquement des facilités à l'entrée des deux pays qui traitent ensemble ; il ne suffit pas d'abaisser les droits de douane sur les marchandises, il faut encore que ces marchandises puissent pénétrer facilement dans le pays dont l'accès leur est ouvert par l'abaissement des tarifs de douane.

Ainsi, nous aurions beau ouvrir nos frontières aux marchandises anglaises, si la voie principale par où elles nous arrivent, si l'Escaut se trouvait fermé, comme il l'a été à une époque de triste mémoire, ou s'il se trouvait seulement entravé, notre ouvrage serait stérile ou incomplet.

Vainement nous aurions donné toutes les facilités d'entrée si nous n'avions pas complété le système en facilitant les moyens d'arriver.

Or, voici comment nous avons procédé vis à-vis de l'Angleterre.

Nous lui avons dit : Nous sommes prêts à traiter avec vous comme nous l'avons fait avec la France ; nous sommes prêts à traiter sur le même pied et à négocier un traité douanier stipulant des abaissements de tarifs, en faisant certaines réserves relativement à quelques industries.

Puis nous avons ajouté : Indépendamment d'un traité relatif aux droits de douane, faisons un traité de navigation au moyen duquel nos relations commerciales pourront de plus en plus s'étendre en devenant plus faciles.

Pour notre part, nous nous engageons à supprimer dans l'Escaut et dans nos ports de mer les droits de tonnage que nous percevons sur les navires. Ces droits s'élèvent aujourd'hui à peu près à 800,000 francs par an.

Nous nous engageons aussi à abaisser dans une proportion considérable les droits de pilotage et enfin à obtenir de certaines villes l'abaissement des droits qu'elles perçoivent dans leurs bassins et sur leurs quais.

Voilà ce que nous vous offrons comme éléments d'un traité de navigation.

Nous vous demandons de concourir de votre côté à l'affranchissement complet de nos voies navigables, de l'Escaut notamment, en contribuant, avec les autres nations et dans une juste proportion, à racheter le péage qui pèse sur l'Escaut.

Voilà, messieurs, les éléments du traité de navigation que nous proposons à l'Angleterre. Nous obtiendrions ainsi un grand et beau résultat qui serait l'affranchissement complet, définitif, du magnifique fleuve de l'Escaut, qui n'est pas un fleuve anversois, qui est un fleuve ouvert au commerce du monde entier, qui est d'ailleurs un fleuve anglais autant qu'un fleuve belge, puisqu'il n'est en quelque sorte que la continuation de la Tamise vers le continent. II est ridicule de localiser une grande voie de navigation.

(page 1092) Des fleuves comme l'Escaut sont des fleuves qui appartiennent à tout le monde ; et voilà pourquoi ç'a été une chose exorbitante de voir établir sur ce fleuve, aux frais du commerce et de la navigation, un péage au profit du pays où ce fleuve a son embouchure ; c'est en 1831 et 1839 que ce haut fait diplomatique s'est passé.

A la vérité, messieurs, la Belgique a protesté contre ce péage établi sur l'Escaut, après que l'Escaut était resté entièrement libre pendant 40 ans, aussi bien sous la domination française que sous la domination hollandaise. La Belgique a protesté contre l'établissement de ce péage ; mais elle n'a pas été écoutée ; alors elle a fait un grand effort sur elle-même et pour tâcher de ressaisir le commerce qui lui avait échappé pendant les temps de trouble, pendant les temps révolutionnaires, elle s'est chargée de payer pour les autres.

Elle a dit : Ce péage est imposé à tous les pavillons étrangers, mais je ne veux pas qu'ils s'aperçoivent d'un changement de traitement et je vais me charger de payer pour eux.

Elle a continué cette libéralité, cette galanterie commerciale, si l'on veut, à tous les pavillons étrangers, et les pavillons étrangers s'en sont très bien trouvés.

Dans le principe, on pouvait n'y pas regarder de si près : il ne s'agissait que de quelques centaines de mille francs par an ; mais grâce à la prétendue décadence toujours croissante du port d'Anvers, signalée quelquefois par les organes de cette ville, grâce à cette prétendue décroissance des affaires commerciales 'd'Anvers, voilà que les 500,000 francs de 1839 sont arrivés, en 1861, à 2,176,000 francs.

Eh bien, messieurs, devons-nous continuer cette libéralité ? N'est-il pas à craindre qu'en présence de l'augmentation du produit du péage, les Chambres quelque jour ne se lassent de voter ce remboursement ? Aussi, messieurs, le gouvernement a été depuis longtemps attentif à cet accroissement progressif du péage qu'il veut bien payer, mais qu'il ne doit pas payer, et qu'il paye pour d'autres ; et dans tous les traités de commerce conclus depuis un certain nombre d'années, le gouvernement belge s'est toujours réservé la faculté de cesser ce remboursement.

Une clause spéciale a stipulé qu'à l'avenir le gouvernement belge se réservait de ne plus rembourser le péage. Néanmoins, l'opinion s'est introduite et répandue en Europe et ailleurs que c'était là une dette de la Belgique, que la Belgique devait ce remboursement.

On s'est figuré que le péage avait été imposé à la Belgique comme supplément de sa dette à la Hollande, comme si elle n'avait pas été assez chargée de ce chef vis-à-vis de la Hollande.

Il n'en est rien ; il faut détruire cette erreur qui a été produite dans la presse anglaise comme dans la presse d'autres pays ; il n'est pas vrai que la Belgique soit tenue de payer ce droit ; c'est volontairement, gratuitement, qu'elle s'est chargée de le faire ; le jour où elle voudra cesser de payer pour les autres ce droit de navigation sur l'Escaut, elle ne le payera plus, il n'y a pour cela qu'une loi à rapporter. (Interruption.)

Evidemment l'état de choses actuel devra avoir son terme. L'Europe, ou plutôt le monde commercial depuis 1839, a fait heureusement de grands progrès en ces sortes de questions ; nous l'avons vu concourir à la suppression du péage du Sund et de l'Elbe ; chaque nation est venue apporter sa part dans la capitalisation des droits du Sund et de l'Elbe ; et cependant ni le Danemark ni le Hanovre en recevant le montant de la capitalisation n'a donné aux nations étrangères aucune compensation.

Nous, que faisons-nous ? Nous disons aux nations étrangères : Nous payons votre dette depuis longtemps ; nous ne pouvons pas continuer sur ce pied-là ; comme nous poursuivons la liberté commerciale, nous voulons affranchir nos voies fluviales, nos voies commerciales ; concourez à la suppression du péage de l'Escaut que nous payons pour vous ; et de notre côté, nous supprimerons nos droits de tonnage, nous réduirons le droit de pilotage à ce qu'exigent les frais du service, nous abaisserons les droits de bassin et de quai.

Voilà les arrangements que nous proposons ; nous avons été plus loin que le Danemark et le Hanovre qui ont obtenu le remboursement des droits sans s'obliger à aucune compensation.

Et voilà aussi en quoi l'exposé qui a été fait dans le parlement anglais est incomplet ; on a dit : La Belgique exige que l'Angleterre concoure au rachat du péage de l'Escaut, c'est sa condition sine qua non d'un traité de commerce.

Si nous demandons le rachat, nous offrons des compensations dans le traité de navigation, nous apportons nos sacrifices quand nous demandons aux autres nations d'en faire de leur côté ; on n'a pas dit dans le parlement anglais que nous faisions le sacrifice des droits de tonnage, de pilotage et de bassin.

Je le dis afin que l'on sache bien eu Angleterre qu'en vertu de notre système, la navigation avec la Belgique serait dégrevée de toute espèce de droit sur l'Escaut.

J'espère que la lumière se fera aussi bien en Angleterre que dans d'autres pays sur cette question fort intéressante, qui n'a pas été suffisamment comprise jusqu'ici, sur laquelle beaucoup de gouvernements étaient dans une complète erreur, quand ils ont pensé et dit que le péage avait été imposé exclusivement à la Belgique et non à toutes les nations qui font le commerce avec elle.

Plusieurs Etats ont reconnu la parfaite équité du principe que j'expose ici. Nous avons l'adhésion de sept ou huit gouvernements, qui sont prêts à donner leur concours à la capitalisation du péage de l'Escaut, à faire pour l'Escaut ce qui a été fait pour le Sund et pour l'Elbe.

J'espère, messieurs, que successivement nous arriverons à obtenir la même adhésion des autres gouvernements.

Voilà donc, messieurs, la cause qui a provoqué ce ralentissement, cette halte, si l'on veut, dans nos négociations avec l'Angleterre Nous ne sommes pas encore parvenus à nous mettre complètement d'accord sur ce qui doit faire l'objet de l'un et l'autre traité.

Quant à ce qui concerne le traité de commerce proprement dit, le traité de douane, je dois dire que l'Angleterre se montre assez disposée à admettre des tempéraments, des atermoiements en ce qui concerne certaines industries que l'abaissement immédiat du tarif des douanes paraît effrayer et effraye, à mon avis, beaucoup trop.

Sur ce point, je crois que nous parviendrons à nous mettre d'accord avec le gouvernement anglais.

Sur le traité de navigation, l'accord ne paraît pas aussi prochain, aussi facile.

Mais, je le répète, nous devons repousser comme erronée l'assertion qui a été mise en avant et qui consiste à dire que nous entendons imposer à la puissante Angleterre, le remboursement du péage comme condition absolue, comme condition sine qua non des négociations avec la Belgique.

.On nous a représentés en Angleterre comme un peuple plein d'audace, plein d'astuce.

Nous osons imposer la loi à l'Angleterre, lui dire : Je ne traite pas avec toi, puissante Angleterre, si tu ne concours pas au remboursement du péage de l'Escaut.

D'un autre côté, on dit à la Belgique : vous avez promis à l'Angleterre de lui appliquer immédiatement les avantages faits à la France par le traité franco-belge et vous n'exécutez pas votre promesse. C'est un manque de loyauté.

Messieurs, de pareils reproches, nous devons les repousser avec la plus grande énergie. Nous avons mis dans nos relations avec l'Angleterre une loyauté complète. Nous nous sommes expliqués devant elle dans les mêmes termes, pour ainsi dire, que j'emploie devant cette assemblée et je suis bien convaincu que mes paroles ne recevront ailleurs aucune espèce de démenti.

Ce n'est pas, messieurs, une faute et encore moins un crime pour la Belgique que de demander à la puissante Angleterre, à la commerçante Angleterre, d'établir avec elle des relations commerciales sur les bases les plus larges, d'affranchir à la fois et l'entrée des marchandises dans les deux pays et les moyens de transport de ces marchandises.

Voilà ce que nous demandons : une double émancipation. Il n'y a en cela rien de déloyal, rien de menaçant de notre part.

J'espère, messieurs, que le temps fera faire des progrès salutaires et efficaces à cette question de l'Escaut, qui n'a pas été suffisamment comprise. Il n'est pas possible que les gouvernements de l'Europe, que les gouvernements d'Amérique consentent à accepter comme parfaitement équitable et comme définitif un état de choses que l'on a supprimé sur le Sund, sur l'Elbe et que l'on a condamné formellement en principe et au congrès de Vienne en 1815 et au dernier congrès de Paris,

A Dieu ne plaise, que je veuille jamais engager la Belgique à désavouer, à renier le traité sur lequel est fondée son indépendance. Nous avons protesté contre le péage de l'Escaut, mais nous l'avons (page 1093) accepté et nous devons rester fidèles à nos engagements. Mais rien n'empêche de proclamer que l’établissement de ce péage constituait une véritable injustice, un véritable anachronisme.

Je le demande, messieurs, si aujourd'hui, si en 1602, on voyait se réunir une conférence, qui s'arrêterait un moment à l'idée d'établir à titre de redevance des péages sur un fleuve, y aurait-il dans le monde politique et commercial assez de sifflets contre une pareille pensée ?

Vous le reconnaîtrez, cela ne serait plus possible, c'est donc un état de choses qui doit nécessairement disparaître.

Le pays au profit duquel le péage a été établi, ce pays lui-même devrait désirer de voir cette rente se capitaliser, car il faut compter avec le progrès des idées, et les principes modernes ne pourront pas toujours s'accommoder d'un état de choses qui rappelle une autre époque, d'un état de choses qui n'est plus conciliable avec ces principes et que repousse incontestablement l'intérêt de toutes les nations. Le jour où la Belgique refusera de payer cette dette, qu'elle paye aujourd'hui pour autrui, ce jour-là il pourra surgir des conflits assez sérieux.

Ce péage a été établi par cinq puissances ; mais il en est qui n'y ont pas donné leur consentement. Une de ces puissance 'auxquelles on s'est adressé, a déclaré à la Belgique que le jour où le gouvernement belge ne payerait plus pour elle, elle ne payerait pas davantage, attendu qu'elle n'a pas concouru aux traités qui ont imposé ce péage sur l'Escaut. Si plusieurs Etats prenaient ce rôle, je ne sais ce qui pourrait résulter d'une pareille position.

Mais, dans l'intérêt du commerce en général, dans l'intérêt de l'industrie, je dirai aussi dans l'intérêt de la Hollande, je crois que nous devons tous désirer que l'état actuel des choses cesse.

Nous avons le plus grand désir d'entretenir avec nos anciens frères les relations les plus amicales, les plus intimes, de faire disparaître successivement tout ce qui est resté de germes de dissensions entre nous. Eh bien, disons-le, le péage sur l'Escaut, établi au profit de la Hollande, est comme un poids qui pèse sur le cœur du pays, c'est comme un restant d'une domination ancienne que nous avons repoussée. Il y a là une cause de trouble, de désaffection entre la Belgique et la Hollande.

Il faudrait faire disparaître ce dernier ferment de désaccord, ce dernier souvenir de nos hostilités, ce souvenir surtout d'une époque néfaste où la Belgique, pendant 150 ans, a été privée de la navigation de ce beau fleuve. Voilà des souvenirs qu'il y a intérêt pour les deux pays à effacer.

Je le répète, je n'entends pas contester à la Hollande le péage que lui assure un traité. Il faut être juste avant tout, mais il faut aussi être juste et loyal pour la Belgique.

Parce que la Belgique a fait depuis vingt-deux ans des sacrifices considérables et qui s'accroissent d'année en année, il ne faut pas la condamner à cette peine perpétuelle qui consiste à dégrever les autres pays, en chargeant son propre trésor.

Nous cherchons à diminuer ces charges d'une manière pacifique, conformément aux antécédents qui ont été posés pour le Sund et pour l'Elbe et en offrant de faire des sacrifices spéciaux qui n'ont été demandés ni au Danemark ni au Hanovre.

Je suis entré dans ces explications, parce que je les ai crues nécessaires, en présence de beaucoup d'erreurs qui ont été répandues ; et parce qu'elles font connaître aussi les motifs pour lesquels nous n'avons pu procéder en Angleterre d'une manière aussi rapide qu'avec d'autres pays.

Mais je dis aussi : Nous n'avons pas fait à l'Angleterre du traité de navigation une condition sine qua non d'un traité de commerce, nous lui avons dit : Voici deux traités, nous n'entendons pas les rendre solidaires l'un de l'autre, en ce sens que si le traité de navigation n'était pas approuvé par le parlement et qu'il se bornât à approuver le traité de commerce, nous ne regarderions pas le traité de commerce comme non avenu ; nous établissons une distinction entre les deux traités ; nous ne rendons pas les deux traités solidaires l'un de l'autre ; l'un peut être adopté, l'autre peut être rejeté.

Mais sans entendre imposer à l'Angleterre, bon gré, mal gré, comme condition sine qua non, un traité de navigation, nous avons exprimé le plus vif désir de voir les deux traités adoptés simultanément ou successivement à un intervalle rapproché ; ce désir, nous continuerons à l'exprimer à l'Angleterre.

Messieurs, je n'ai pas autre chose à ajouter en ce moment : j'espère qu'on ne me forcera pas, on demandant des explications plus complètes, de compromettre peut-être ce que nous avons encore de chances d'amener la négociation à bonne fin.

Ordre des travaux de la chambre

(page 1102) M. Vander Donckt. - Messieurs, je n'ai pas réclamé quand on a commencé la discussion des affaires étrangères ; mais je demande que pour demain vendredi le règlement soit exécuté, et que la Chambre s'occupe des pétitions.

Nous n'aurons plus que ce jour pour nous occuper de cet objet, avant les vacances de Pâques.

M. le président. - M. Vander Donckt, personne dans la Chambre n'a fait la proposition de ne pas mettre les pétitions à l'ordre du jour de demain.

M. Vander Donckt. - M. le président, je suis heureux d'apprendre que personne ne s'oppose ; mais jeudi dernier la Chambre, discutant le budget des travaux publics, a décidé que le lendemain vendredi elle ne s'occuperait pas de pétitions, voilà pourquoi je demande que demain les pétitions viennent à l'ordre du jour, conformément au règlement ; le budget des affaires étrangères sera bien certainement voté avant les vacances de Pâques. Il n'y a donc point d'objection de ce chef.

M. le président. - Attendons la fin de la séance avant de régler l'ordre du jour de demain.

Vous avez demandé la parole dans la discussion générale du budget des affaires étrangères ; vous proposez-vous de parler sur le traité avec l'Angleterre ? Il vaudrait mieux vider d'abord cet incident.

- Des membres. - Oui.

M. Vander Donckt. - Je ne m'oppose pas à qu'on vide l'incident, pourvu que mon tour de parole soit maintenu sur l'article 36.

- Un membre. - Ce n'est pas un incident, c'est la discussion générale.

M. le président. - C'est un débat sur un objet spécial, débat qui vient prendre place dans la discussion générale.

Projet de loi portant le budget du ministère des affaires étrangères de l'exercice 1862

Discussion générale

(page 1093) M. J. Lebeau. - M. le président, c'est une véritable innovation que vous voulez introduire dans notre manière de discuter. La discussion générale ouverte, l'honorable ministre des affaires étrangères allant au-devant, probablement sous l'influence d'une préoccupation très grave...

M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a été interpellé par M. de Boe.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J’ai été interpellé.

M. J. Lebeau. - M. le ministre répondant à une interpellation anticipée en quelque sorte sur la discussion générale, je n'en fais pas un reproche à son auteur, a très bien fait de répondre à cette interpellation.

Je crois qu'on ferait mieux de reprendre la discussion générale, à moins qu'on ne veuille continuer la discussion sur l'incident.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il n'y a pas d'incident.

M. le président. - Au début de la discussion générale se présente un débat spécial sur un objet qui se rattache à la discussion du budget des affaires étrangères.

Je pense que la Chambre est d'avis qu'il faut que ce point soit d'abord vidé.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui.

M. B. Dumortier. - Messieurs, je crois, d'après le peu d'explications que je viens d'entendre, que l'on a bien tort en Angleterre de prétendre que le gouvernement belge veuille imposer des lois à la puissante Angleterre, car pour moi, le traité ou du moins les indications qui viennent de nous être données sur le traité, sont à mes yeux le sacrifice le plus flagrant des droits du pays.

La discussion, messieurs, se présente sous un triple point de vue. La motion d'ordre faite par l'honorable député d'Anvers soulève effectivement trois questions.

Premièrement, les paroles prononcées en Angleterre et les accusations qui y ont été lancées contre notre pays.

En second lieu, le traité de commerce.

En troisième lieu, le traité de navigation.

Les paroles prononcées en Angleterre au sujet de la Belgique sont, à mon avis, éminemment déraisonnables.

Il est bien vrai que lors de notre émancipation politique, l'Angleterre nous a donné un certain concours ; mais comme on l'a dit avec beaucoup de raison tout à l'heure, il est une autre puissance qui nous a donné un concours. Ce concours a été bien plus loyal, bien plus efficace et il ne nous a pas été reproché

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai pas dit plus efficace, ni plus loyal. J'ai dit qu'elle nous avait rendu le même service.

M. B. Dumortier. - C'est possible, mais je le dis moi ; lorsque qu'on accuse la Belgique de déloyauté en Angleterre, j'ai bien le droit, je pense, de m'expliquer au nom de la Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous avez le droit de le dire, mais vous ne pouvez pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.

M. B. Dumortier. - Je n'ai voulu que rappeler que, comme vous 'avez dit, la France ne nous a rien reproché.

Ces reproches adressés à la Belgique sont d'autant plus injustes que tout le monde sait que pendant la première période de notre indépendance, l'Angleterre a fait tous ses efforts pour ramener la Belgique sous la dynastie que nous avions congédiée, qu'elle n'a pris fait et cause pour nous que lorsque, et ç'a un bonheur pour nous, que lorsque nous avons choisi un prince anglais pour le mettre sur le trône.

Voilà, messieurs, la générosité dont on se vante à notre égard ; il est bon de la réduire à son véritable niveau, alors surtout que les ministres anglais viennent nous accuser d'ingratitude en se représentant comme les fondateurs de la nationalité belge.

On a été plus loin encore en Angleterre. On a été jusqu'à attaquer (page 1094) l'armée belge, et cela parce que la Belgique neutre ne consentait pas à immoler ses soldats dans une guerre contre la Russie, pour la défense de l'Angleterre, qui manquait de soldats.

C'est un système excessivement commode pour une grande puissance que d'injurier et d'accuser les autres pour les réduire en servitude. Mais la Belgique a sa dignité, elle est libre comme l'Angleterre, et si elle est moins grande, elle ne consentira pas à s'humilier devant l'Angleterre, ni à lui servir d'exploitation.

Maintenant quelle est la part que l'Angleterre a prise dans le traité des 24 articles ?

Le premier traité de 1831 n'imposait pas à la Belgique sur l'Escaut le droit qui existe actuellement. Le traité de 1831 se borne à établir sur l'Escaut les droits de navigation compris dans le traité de Vienne.

Or, le traité de Vienne était très explicite. II admettait qu'avant tout on aurait maintenu comme provisoire les droits existants, et comme à l'époque où le traité de Vienne avait été conclu, il n'existait point de droits sur l'Escaut. Dès lors la Hollande ne pouvait y établir un péage.

Voilà la situation claire, nette, évidente dans laquelle se trouvait la Belgique par le traité de 1831.

La question vaut bien la peine qu'on s'en occupe. Permettez-moi de vous rappeler les dispositions du traité :

« Art. 9. Les dispositions des articles 108-117 inclusivement de l'acte général du congrès de Vienne, relatives à la libre navigation des fleuves et rivières navigables, seront appliquées aux fleuves et rivières navigables qui séparent ou traversent à la fois le territoire belge et le territoire hollandais.

« En ce qui concerne spécialement la navigation de l'Escaut, il sera convenu que le pilotage et le balisage, ainsi que la conservation des passes de l'Escaut en aval d'Anvers, seront soumis à une surveillance commune ; que cette surveillance commune sera exercée par des commissaires nommés à cet effet de part et d'autre ; que des droits de pilotage modérés seront fixés d'un commun accord ; et que ces droits seront les mêmes pour le commerce hollandais et pour le commerce belge.

« Il est également convenu que la navigation des eaux intermédiaires entre l'Escaut et le Rhin, pour arriver d'Anvers au Rhin, et vice versa, restera réciproquement libre, et qu'elle ne sera assujettie qu'à des péages modérés, qui seront provisoirement les mêmes pour le commerce des deux pays.

« Des commissaires se réuniront de part et d'autre à Anvers dans le délai d'un mois, tant pour arrêter le montant définitif et permanent de ces péages, qu’afin de convenir d'un règlement général pour l'exécution des dispositions du présent article, et d'y comprendre l'exercice du droit de pêche et de commerce de pêcherie dans toute l'étendue de l'Escaut, sur le pied d'une parfaite réciprocité en faveur des sujets des deux pays.

« En attendant, et jusqu'à ce que ledit règlement soit arrêté, la navigation des fleuves et rivières navigables ci-dessus mentionnés restera libre au commerce des deux pays, qui adopteront provisoirement à cet égard les tarifs de la convention signée le 31 mars 1831, à Mayence, pour la libre navigation du Rhin, ainsi que les autres dispositions de cette convention. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est pas l'Angleterre seule qui nous a imposé le péage.

Lord Palmerston a déclaré en plein parlement qu'il avait fait tout ce qui était possible pour rendre l'Escaut libre et que d'autres puissances lui avaient forcé la main.

M. B. Dumortier. - Il n'en est pas moins vrai que c'est par le traité de 1839 que le droit de 1 1/2 fl., fr. 3 15, par tonneau de jauge, a été imposé à la navigation de l'Escaut.

Eh bien, ce second péage, c'est l'Angleterre qui a contribué à l'établir. Elle ne peut donc nous reprocher un acte qui est son fait et contre lequel la Belgique, comme l'a dit l'honorable ministre des affaires étrangères, n'a cessé de protester.

Lorsque ce droit fut établi sur la navigation de l'Escaut, nous avons décidé que pour un an l'Etat rembourserait le péage sur la navigation de l'Escaut. La loi n'était que temporaire.

Le projet de loi devait être ensuite renouvelé ; mais, veuillez le remarquer, un rapport a été fait par l'honorable M. de la Coste, et ce rapport n'est jamais arrivé à discussion.

De sorte qu'aujourd'hui la Belgique ne paye pas même en vertu d'une loi, mais en vertu d'une habitude. La Belgique paye les péages à la décharge des autres puissances parce qu'elle veut bien payer, et si demain elle ne voulait plus payer, il n'y aurait absolument rien à dire.

Comment donc pourrait-on prétendre encore que le péage de l'Escaut constitue une charge permanente pour la Belgique ? Mais le traité dit formellement le contraire ; il déclare dans les termes les plus formels que ce sont les vaisseaux entrants et sortants de chaque nation qui devront payer.

Eh bien, la conférence a appliqué, à cette époque, à l'Escaut un régime semblable à celui qui existait pour le Sund et pour le Stade.

Ce régime a été supprimé en ce qui concerne le Sund et le Stade, par conséquent il est rationnel de supprimer aussi le régime créé par le traité de 1839, et cela par les mêmes moyens, c'est-à-dire par le remboursement définitif du péage par les nations intéressées.

Ah ! je le comprends, il serait excessivement commode à l'Angleterre, elle qui contribue pour 40 p. c. dans le mouvement de la navigation vers la Belgique par l'Escaut, de n'avoir pas à s'imposer un sacrifice correspondant à près d'un million, qu'elle aurait à payer chaque année pour droit de péage.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous exagérez.

M. B. Dumortier. - Le chiffre total des droits de péage est de fr. 2,176,000 ; eh bien, l'Angleterre entre dans ce chiffre pour 40 p. c.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - 33 p. c.

M. B. Dumortier. - Soit ! C'est donc 700,000 à 800,000 francs.

Eh bien, je dis qu'il est excessivement commode à l'Angleterre de trouver un pays qui consent à payer tous les ans pour elle cette somme de 700,000 francs. Mais est-ce là de la justice ?

Il me semble que la justice veut, au contraire, que, conformément au traité rédigé par l'Angleterre elle-même et contre nous, à l'entrée de l'Escaut, chaque nation paye pour ses navires comme nous payons pour les nôtres quand les péages de Stade et du Sund existaient.

Aussi, voyez combien est flagrante l'injustice commise à l'égard de la Belgique. Si un navire anglais chargé de charbon vient en Belgique pour faire concurrence à nos houillères à nous, la Belgique payera un droit de fr. 3-15 par tonneau de charbon. C'est donc une véritable prime qu'on accorde aux charbons anglais, au détriment des charbons belges. Et l'on parle de libre échange ? Mais, en vérité, c'est une mauvaise plaisanterie que de parler de libre échange quand on jouit d'une prime au détriment de l'industrie avec laquelle on va lutter sur son propre marché !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et malgré cela il ne nous arrive pas de charbons anglais.

M. B. Dumortier. - Il en vient.

M. Muller. - Cela ne vaut pas la peine d'en parler.

M. B. Dumortier. - Il suffit qu'il nous en vienne pour que je sois autorisé à dire que tout tonneau de charbon qui entre en Belgique par l'Escaut fait concurrence à notre propre commerce avec une prime de 3 fr. 15 par tonneau. Au reste, s'il en vient peu aujourd'hui il en viendra beaucoup quand vous aurez opéré les abaissements de tarifs que vous méditez. Il en est de même de tous les autres produits.

Je tire de tout ceci la conclusion que nous ne devons rien donner à l'Angleterre en échange du rachat du péage sur l'Escaut, ce péage, incombant, en vertu des traités, à toutes les puissances qui profitent du fleuve.

Plus l'Angleterre se sert de l'Escaut, plus elle a intérêt à rembourser ce péage. Mais je ne puis concevoir qu'en échange du rachat du péage, nous accordions à l'Angleterre,1a suppression du droit du tonnage, l'abaissement du droit de pilotage et l'abaissement du droit de port. Voilà, cependant, ce que l'on va faire, et je ne vois vraiment pas de quoi et à quel propos se plaint l'Angleterre.

D'une part, elle veut que nous continuions à payer pour elle à la Hollande un péage qu'elle devrait payer elle-même, et que nous pourrions l’obliger à payer elle-même, si par le vote de la loi du budget nous rejetions le crédit affecté au remboursement de péage de l'Escaut.

Si l'Angleterre payait elle-même, elle ne ferait, en définitive, qu'exécuter les traités qu'elle nous a imposés. Parce qu'elle nous a imposé ces traités, est-ce un motif pour réduire encore de près d'un million nos produits annuels ? Je dis que le ministère, bien loin d'imposer la loi à l'Angleterre, subit, d'une manière déplorable, la loi de l'Angleterre.

Le ministère doit avoir le courage de dire à l'Angleterre : Par le traité de 1839 dont vous êtes l'un des signataires, vous avez établi un péage sur l'Escaut ; eh bien, ce droit payez-le vous-même ; quant à moi je ne le rembourse plus à vos navires.

Les navires belges payeront le droit et je le rembourserai si je le veux, mais il est injuste de vouloir me faire rembourser le droit payé par nos propres navires, et en agissant de la sorte l'Etat n'a rien à donner à l'Angleterre en échange du rachat du péage de l'Escaut.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cet arrangement-là est offert à toutes les puissances.

M. B. Dumortier. - Eh bien, je regrette que vous fassiez de pareils arrangements.

Il me semble qu'une loi en deux lignes, portant : « Le rachat du péage (page 1965) de l'Escaut est supprimé, » suffirait pour remettre toutes les choses dans l'état où elles étaient en 1840. Et le jour où une pareille loi serait portée, quinze jours ne s'écouleraient pas avant que toutes les puissances ne vinssent demander de conclure de nouveaux traités pour faire cesser les réclamations qui surgiraient de toutes parts.

Aussi longtemps que vous payerez pour les autres, vous imaginez-vous que vous trouverez des gens d'assez bonne volonté pour vous offrir de payer à votre place ?

Je doute que vous trouviez des gens assez mal avisés pour tenir une pareille conduite.

Et cependant, que faites-vous ? Non contents de payer pour eux-mêmes, vous consentez encore à faire de nouvelles concessions à l'occasion du traité qui est en voie de négociation.

Ce système est excessivement imprudent de la part d'un gouvernement libre qui représente un pays libre comme la Belgique.

Messieurs, à côté de cette question, se présente la question du traité de commerce.

Nous avons offert à l'Angleterre, nous dit M. le ministre, de la traiter sur le même pied que la France.

Eh bien, je demande encore si le gouvernement a bien réfléchi à une pareille proposition, en présence des résultats affligeants que le traité conclu entre l'Angleterre et la France a produits pour ce dernier pays, et en présence de la différence des relations entre la France et l'Angleterre.

Quand le dernier traité de commerce a été conclu entre les deux pays, la France a consenti à de grands sacrifices ; elle a consenti à une réduction considérable du droit sur les vins ; elle a consenti à une réduction considérable sur les eaux-de-vie ; elle a consenti à une réduction considérable sur les soieries de Lyon.

Est-ce que, par hasard, l'Angleterre va vous accorder les faveurs qu'elle a obtenues de la France ? Quelles faveurs voulez-vous que l'Angleterre vous accorde ?

La Belgique n'a pas de vins, elle n'a pas d'eau-de-vie, elle n'a pas de soieries. Qu'est-ce donc que l'Angleterre nous offrira en échange des réductions de droit sur les fabricats indigènes ? Rien, puisqu'elle ne peut rien vous donner, puisque vous n'exportez en Angleterre que des produits de consommation qui lui sont indispensables et dont elle ne peut pas se passer. Pensez-vous que ce soit pour vos beaux yeux qu'elle reçoit ces produits ? Non, c'est parce qu'elle ne pourrait s'en passer. Pourquoi donc étendre à l'Angleterre les principes du traité que nous avons récemment conclu avec la France, et cela sans tenir compte des énormes sacrifices que l'Angleterre a faits pour obtenir son traité, et qu'elle n'est pas même dans le cas d'avoir à nous offrir. En vérité, messieurs, ce serait faire acte de détestable, de pitoyable gouvernement.

Si vous aviez en Belgique les immenses vignobles de la France, si vous aviez une immense exportation de vins, d'eaux-de-vie, de soieries vers l'Angleterre, je comprendrais que ce pays eût quelques sacrifices à vous offrir en échange de la concession que vous voulez lui faire.

Si vous aviez d'immenses fabriques de soieries dont vous exportiez les produits en Angleterre, je. comprendrais le traité de commerce, parce qu'on vous donnerait autre chose à raison du sacrifice que vous feriez. Mais à vous, on ne vous fait aucun sacrifice ; vous ne fabriquez pas de soieries ; vous ne produisez ni les vins ni les eaux-de-vie de France. On dit à mes côtés : Vous ne produisez pas les articles Paris. Vouloir appliquer à la Belgique les mesures appliquées à la France sans tenir compte des concessions, des sacrifices que l'Angleterre a dû faire, ce serait un acte inconcevable que la Belgique ne pourrait assez flétrir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Attendez que le traité soit fait pour en parler.

M. B. Dumortier. - Je parle au nom du commerce belge ; il est inquiet de la position que le gouvernement veut lui créer ; partout les fabriques chôment, on ne fabrique plus rien ; eu présence de cette épée de Damoclès suspendue sur leur tête, les fabricants ne veulent rien faire de crainte que l'entrée des marchandises anglaises ne vienne les exposer à des pertes considérables sur les produits qu'ils auront en magasin.

La cause de la crise ouvrière qui existe, c'est la grande inquiétude que votre traité fait naître.

Quand on vient dire que le traité sera le même que celui avec la France, quand je viens de démontrer que l'Angleterre ne nous fait aucun des sacrifices qu'elle fait à la France, on ne peut assez flétrir un pareil acte, car il serait désastreux pour notre pays.

Imitez la Prusse ; est-ce que le gouvernement prussien a imité la France. Il agit lentement, avec prudence, il ne consentirait pas à sacrifier le travail de ses ouvriers à une question de vanité vis-à-vis de l'Angleterre.

Je viens de démontrer combien ces questions sont graves. L'Angleterre veut exploiter la Belgique. La Belgique libre et indépendante a le droit de se défendre contre l'exploitation de l'Angleterre. L'Angleterre voudrait faire de la Belgique un second Portugal, elle voudrait que la Belgique lui sacrifiât son industrie et son commerce ; la Belgique, j'en suis certain, n'y consentira pas ; elle repoussera un système qui réduirait à la misère et à la paille un grand nombre de ses ouvriers.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable préopinant aurait dû ajourner à un autre moment sa philippique contre un traité qui n'est pas encore fait.

M. B. Dumortier. - Il serait trop tard.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La Chambre aurait à l'apprécier.

II y a beaucoup d'exagération dans le langage de l'honorable membre. Il est cependant une partie de son discours auquel je m'associe, c'est qu'il a dit sur l'origine du péage de l'Escaut, non pas que le traie de 1831 eût été plus avantageux à l'Escaut que celui de 1839, car il y a eu, sous ce rapport, progrès dans le traité de 1839, le droit a été réduit ; le traité de 1831 imposait le régime du Rhin, celui de 1839 a adouci le traité sous ce rapport.

Je dois faire des réserves et des protestations contre la manière dont l'honorable membre s'est exprimé vis-à-vis d'un gouvernement étranger avec lequel nous sommes unis par les liens commerciaux et politiques les plus intimes, auquel nous devons une grande reconnaissance, qui nous a montré un grand attachement : malgré quelques attaques injustes dont nous avons été l'objet en Angleterre, nous n'hésitons pas à le proclamer.

Lord Palmerston a déclaré qu'il avait fait tous ses efforts pour affranchir l'Escaut de tout péage, mais qu'il avait dû céder à la majorité de la conférence.

Je regrette qu'il n'ait pas pu exercer une plus grande influence sur la conférence, mais voilà la déclaration que lord Palmerston a faite dans le parlement anglais.

Je ne sais pourquoi l'honorable membre traite avec une si grande rigueur le système suivi par le gouvernement. Ce système a été exposé en termes exprès dans la discussion du traité avec la France, nous avons dit alors que ce traité était destiné à devenir la base de notre système commercial, que ses stipulations entreraient successivement dans les traités à conclure avec d'autres puissances jusqu'à ce qu'elles devinssent d'application générale.

La Chambre n'a rien trouve d'exorbitant dans ce système.

A la vérité, dans le traité que nous sommes en train de négocier avec elle, l'Angleterre n'offre pas grand-chose à la Belgique, elle n'introduit pas grande réforme dans son tarif ; c'est qu'en vertu du principe du libre échange dont l'Angleterre, à son grand honneur, a pris l'initiative, beaucoup de nos produits sont affranchis de tout droit.

Sous ce rapport, l'Angleterre n'a rien à nous offrir, nous aurons à lui donner plus qu'elle ne nous donnera.

C'est aussi pourquoi nous pensons qu'il y a lieu d'introduire un élément nouveau dans la négociation, pour que l'Angleterre ait quelque chose à donner à la Belgique. De là l'offre que nous avons faite de renoncer à certains de nos revenus sur l'Escaut si l'Angleterre voulait intervenir pour affranchir complètement le fleuve. Ces dispositions ne sont pas spécialement faites à l'Angleterre, elles sont faites à tous les gouvernements qui voudraient traiter avec nous sur le même pied.

Ce système est simple et pratique ; je ne suis pas sans espoir de le voir triompher, d'autres Etats déjà ont accueilli la proposition, et à mesure que la lumière se fera, que les esprits pourront mieux s'éclairer sur la question, nous ferons des progrès.

M. Rodenbach. - Je suis d'avis qu'il faut qu'il y ait solidarité entre le traité de commerce et le traité de navigation.

Si vous admettez l'un sans l'autre, vous devrez continuer à payer les 2,700,000 fr.

(page 1096) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pas du tout.

M. Rodenbach. - Vous serez désarmé, vous n'aurez plus de moyen d'action pour obtenir la capitalisation du péage de l'Escaut.

On dit que nous ne pouvons plus obtenir de faveur de l'Angleterre parce qu'elle a appliqué le principe du libre échange dans son tarif douanier ; mais on perd de vue que beaucoup de nos articles introduits en Angleterre sont frappés d'un droit d'accise qui tient lieu de droit de douane.

L'Angleterre en présentant son tarif de douane, vous dit : Nous sommes libre-échangistes ; mais, comme cela arrive pour beaucoup d'articles du Hainaut et des Flandres qu'on introduit en Angleterre, elle perçoit un droit d'accise.

Ainsi, pour pouvoir dire qu'ils sont libre-échangistes, ils prélèvent un droit d'accise qui équivaut à un droit de douane très élevé.

Je l'ai dit, et je le répète, j'ai la conviction intime que si vous faites un traité de commerce seul, sans traité de navigation, je crains que vous ne soyez dupes, et je crois que c'est l'opinion exprimée par l'honorable député d'Anvers, je crois qu'il a demandé la connexité pour les deux traités.

M. de Theux. -Il est incontestable qu'en 1839 le péage sur l'Escaut a été réduit considérablement ; je pense même qu'il a été réduit de plus de moitié.

A cette époque, il a été impossible d'obtenir la suppression complète de ce péage, et je crois que s'il a été réduit considérablement en 1839, c'est que les puissances intéressées ont compris qu'il y allait en réalité de la liberté de la navigation du fleuve, parce qu'un droit excessif aurait pu entraver cette navigation.

La Belgique a posé un acte généreux et grand en proposant de rembourser le péage sur l'Escaut. Cependant je dois dire qu'il y avait à cette époque une opinion qui soutenait que ce remboursement n'aurait jamais dû être fait sur les navires de la puissance qui percevait le péage.

Voilà une distinction.

On aurait pu à cette époque établir d'autres distinctions. On aurait pu ne rembourser le péage que sur les navires apportant les marchandises qu'il nous était le plus utile de recevoir, notamment les matières premières. On aurait pu aussi n'accorder le remboursement que sur certaines marchandises de transit qui n'entraient pas en concurrence avec l'industrie de la Belgique.

Mais on n'est pas entré dans ces distinctions, on a pris une mesure large.

Depuis lors, on a vu ce péage s'accroître d'année en année. On a vu aussi que les puissances ont accepté de rembourser les péages sur le Sund et sur l'Elbe, et la Belgique elle-même y a contribué.

C'est donc un grand pas fait dans la voie de la liberté de la navigation, et je crois que l'Angleterre, qui précisément aurait désiré voir l'Escaut libre de péage, qui a eu l'honneur de soutenir cette opinion, devrait la reprendre aujourd'hui avec une nouvelle persistance et donner pratiquement la preuve de l'importance qu'elle attache aux principes libéraux concernant la navigation.

C'est à elle à prendre surtout l'initiative de contribuer à la capitalisation du péage sur l'Escaut, d'autant plus que le gouvernement offre de son côté de supprimer les droits qui pèsent également sur la navigation. De cette manière on arriverait à un grand résultat, digne de notre époque, digne des nations commerciales et surtout d'une nation grandement commerciale et maritime comme l'Angleterre.

J'espère que le gouvernement réussira dans ses efforts et je l'engage à employer à cet égard tous les moyens dont il pourra disposer.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 114,491. »

M. le ministre a proposé à la section centrale d'augmenter ce chiffre de 2,000 francs, en diminuant de 500 francs l'article 3 et de 1,500 francs l'article 22. La section centrale adopte.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La section centrale rapporte l'opinion exprimée par un membre de la seconde section et qui consiste à dire qu'il faut appliquer surtout au département des affaires étrangères la déclaration faite par M. le ministre des finances, quant à l'esprit qui guidera le gouvernement dans les améliorations de position à effectuer dans le personnel du ministère des affaires étrangères, en ce sens que cette amélioration doit résulter surtout de la diminution du nombre des employés.

Je ne sais quel est le membre de la seconde section qui a fait cette observation en l'appliquant surtout au département des affaires étrangères, où il y aurait, semble-t-il, un surcroit d'employés.

Eh bien, je déclare que c'est surtout au département des affaires étrangères que l'observation ne serait pas applicable.

Le nombre d'employés au département des affaires étrangères est excessivement restreint. Il est même insuffisant dans plusieurs directions très importantes, et quant au traitement de ces employée, il est relativement moins élevé au département des affaires étrangères que dans les autres départements.

Je tenais à faire cette rectification. Je crois que les affaires du département des affaires étrangères sont bien conduites par un nombre relativement restreint d'employés et qui sont relativement moins payés que d'autres. Mais il ne faut pas que l'erreur mise en avant par un membre de la seconde section vienne à se propager..

M. Van Iseghem, rapporteur. - Cette question n'a pas été soulevée dans la section centrale. Mais je l'ai trouvée dans le procès-verbal de la seconde section, et il est du devoir du rapporteur de la section centrale de signaler dans le rapport toutes les observations faites par les diverses sections.

Maintenant je suis d'accord avec l'honorable ministre que les employés sont peu nombreux au département des affaires étrangères et qu'en conséquence il n'y a aucune réduction à faire sur le nombre des employés.

- Le chiffre de 116,491 francs est adopté.

Articles 3 à 5

« Art. 3. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 2,800. »

D'après le transfert opéré à l'article 2, le chiffre doit être réduit à 2,300 francs.

- Le chiffre de 2,300 francs est adopté.


« Art. 4. Secours à des fonctionnaires et employés, à leurs veuves ou enfants, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,500. »

- Adopté.


« Art. 5. Matériel : fr. 37,600. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Achat de décorations de l'Ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 8,000. »

Le gouvernement a proposé à la section centrale de porter le chiffre des charges ordinaires et permanentes à 10,000 francs et de porter comme charges extraordinaires et temporaires la somme de 18,500 fr.

M. Coomans. - On propose à cet article deux augmentations, l'une extraordinaire de 18,200 fr. et elle mérite bien ce nom d'extraordinaire ; l'autre, permanente, de 2,000 fr.

C'est-à-dire que le déficit de 18,000 fr. serait comblé par nous cette année et que pour toutes les années suivantes on ajouterait 2,000 fr. au chiffre ordinaire de 8,000 fr.

S'il entre dans les convenances de la Chambre de voter cette nouvelle augmentation en silence, je suis assez disposé à me rasseoir. Cependant je doute qu'on puisse trouver inconvenantes deux ou trois observations que j'ai à présenter.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Coomans. - Messieurs, l'article 6 du budget est rédigé d'une manière spéciale ; il est conçu ainsi :

« Art. 6. Achat de décorations de l'ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles, 8,000 fr. »

En bon français cela signifie que le législateur entend que le chiffre de 8,000 fr. ne soit jamais dépassé. C'est là, évidemment, le sens de cet article.

Tous les autres articles n'ont pas un libellé semblable ; la Chambre s'en rapporte au plus ou moins de respect que le gouvernement montre pour ses décisions ; mais au sujet de l'ordre de Léopold elle décide extraordinairement, que le chiffre de 8,000 fr. doit suffire. Il y a eu à ce sujet violation évidente de la loi.

Le gouvernement vient nous dire qu'il a dépensé 18,000 fr. de plus qu'il n'avait le droit de le faire et il nous demande de combler le déficit.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - 18,000 francs en 7 ans.

(page 1097) M. Coomans. - C'est une longue violation de la loi.

Je ne voterai pas le chiffre de 18,000 fr. ; je ne voterai pas non plus l'augmentation annuelle de 2,000 fr. D'abord, messieurs, je trouve étrange que le gouvernement ne se conforme pas à une excellente prescription légale qui l'oblige à publier au Moniteur tous les arrêtés royaux quelconques, notamment ceux qui accordent des décorations.

La section centrale nous apprend une chose que, du reste, nous n'ignorions pas, à savoir que la plupart des nominations dans l'Ordre de Léopold (à savoir 900 en 5 ou 6 ans), faites au profit d'étrangers, ne figurent pas au Moniteur. Je ne puis aucunement me rendre compte du silence que l'on garde à ce sujet. Il me semble que le gouvernement manque de reconnaissance envers les personnes étrangères qu'il croit devoir décorer pour services rendus à la Belgique en n'imprimant pas leurs noms au Moniteur.

Pourquoi le gouvernement s'abstient-il de publier ces arrêtés royaux, alors que la loi le lui ordonne, alors qu'il serait convenable de désigner les étrangers nombreux et éminents, à qui nous avons des obligations si grandes ?

Il conviendrait de nous permettre de rendre nominativement hommage à ces étrangers, et en même temps on respecterait la loi, ce qui n'est pas non plus à dédaigner.

Je demande formellement à M. le ministre pourquoi on ne publie pas tous ces arrêtés royaux.

Je serais, pour ma part, heureux de pouvoir à l'occasion remercier les centaines d'étrangers, plus ou moins illustres, qui ont rendu des services signalés à mon pays ; aujourd'hui je risquerais de manquer de respect et de reconnaissance envers ces messieurs, lorsque je voyage à l'étranger ou lorsqu'ils nous font l'honneur de venir résider chez nous.

Après tout, ce ne sont pas des choses honteuses, évidemment ; pourquoi les cacher ? Pourquoi, mettre la lumière sous le boisseau ? Première observation.

Deuxième observation, messieurs, sur la prétention mesquine, presque odieuse que le gouvernement élève au sujet des familles de décorés, quand il exige, après leur mort, la restitution du bijou ; je trouve cela excessivement mesquin.

Des membres. - Vous avez raison.

M. Coomans. - En vérité, messieurs, j'ai lu avec peine l'explication qui se trouve à ce sujet dans le rapport de la section centrale. Si le gouvernement osait exprimer sa pensée aux décorés, voici, en réalité, ce que M. le ministre des affaires étrangères devrait écrire à peu près à chacun d'eux :

Monsieur, j'ai le plaisir de vous annoncer que par arrêté royal du.... la décoration de l'ordre de Léopold vous est prêtée ; ayez-en grand soin et hâtez-vous de mourir le plus tôt possible afin que je puisse la donner à d'autres, qui l'attendent avec impatience. (Interruption.)

Messieurs, mon observation est très sérieuse. C'est là la pensée du gouvernement. Je m'étonne que le gouvernement n'ait pas compris ce qu'il y a d'inconvenant, de cruel à exiger, le lendemain ou le surlendemain, si vous le voulez, du décès d'un décoré, la restitution du glorieux bijou par la famille, bijou auquel la famille peut avoir quelque raison de tenir.

Troisième observation, messieurs, qui ressort de la deuxième. Je m'étonne, c'est le sentiment qui me domine le plus dans cette affaire, je m'étonne que le gouvernement ait besoin d'une augmentation de subside et d'un crédit supplémentaire de 18,000 fr. pour des décorations qui rentrent tous les jours et qui ne font que changer de mains ou d'habit.

Si les décorations sont rendues et je dois croire qu'elles le sont, puisque le gouvernement a déclaré à la section centrale que les familles des décédés sont obligées de les restituer, si les décorations sont rendues, j'aime à croire qu'elles sont rendues par toutes les familles, car il serait encore une fois très inconvenant de. favoriser arbitrairement certaines familles, de laisser à quelques-unes le bijou et de l'enlever à d'autres.

Le gouvernement est trop juste, j'espère, en cette matière du moins, pour faire une distinction semblable, et il exige sans aucun doute de tout le monde la restitution de la décoration.

Mais, messieurs, il meurt presque autant de décorés qu'on en fait. Depuis plusieurs mois, nous avons eu le malheur de voir mourir une foule de décorés, et des plus honorables ; d'après ce qu'on m'assure, le nombre des décorations vacantes est à peu près aussi grand, non pas que le nombre des décorations demandées, mais que le nombre des décorations promises ; eh bien, je ne comprends pas que la restitution des décorations ne permette pas au gouvernement de diminuer le crédit et de renoncer à un crédit supplémentaire.

Je crois que la restitution est une innovation. (Interruption.) On me dit que cette restitution a lieu dans tous les pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Dans beaucoup de pays.

M. Coomans. - Je désirerais que cela ne se fît pas en Belgique.

Messieurs, il faut parler net et conclure.

Je ne voterai pas les augmentations demandées ; d'autre part, je n'aurai pas la cruauté de conseiller au gouvernement de refuser beaucoup de décorations ; à mon sens on ne décore pas trop, au contraire. Il faut que je concilie ces deux idées ; je voudrais laisser le gouvernement continuer à satisfaire le plus de monde possible, mais sans augmentation de charge pour le budget.

Il n'y a que trois moyens, ce me semble ; je me bornerai à les indiquer, en vous laissant le soin de choisir.

Le premier moyen serait de diminuer la valeur intrinsèque du bijou. (Interruption.)

- Un membre. - Le faire en carton.

M. Coomans. - Oh ! non. « On pourrait, dit l'honorable M. Orts, employer le nickel. » Il est vrai que le nickel est un métal officiel, légal, partant respectable, et il pourrait entrer, comme d'autres métaux, dans la composition des bijoux d'ordres ; ce n'est pas la matière dont est faite le bijou, qui en constitue la valeur.

Donc le premier moyen serait de diminuer la valeur du bijou.

Le second serait de ne pas délivrer de bijou, de laisser au décoré le soin de se le procurer lui-même chez un fabricant breveté investi d'une confiance officielle.

Ce second moyen concilierait complètement les deux idées que j'ai exprimées, c'est-à-dire que nous pourrions introduire dans le budget une notable économie, parce qu'il n'y aurait que de simples feuilles de papier à distribuer, on pourrait décorer plus de monde encore qu'on ne le peut aujourd'hui ; c'est ce que je désire de tout mon cœur, en ce qui me concerne. (Interruption.) J'en parle avec un désintéressement parfait, quoique je ne sois décoré de rien de tout.

Le troisième moyen serait de faire payer une redevance annuelle par les décorés, surtout par les porteurs de grosses décorations, ou de leur permettre de capitaliser cette petite rente, et de s'acquitter en une fois.

Voilà les trois moyens ; je n'en vois pas d'autres ; je n'en recommande aucun spécialement à M. le ministre, mais je déclare qu’aucun de ces trois moyens n'est plus mauvais que celui que le gouvernement a adopté. A quoi bon chagriner les familles à l'heure même où elles ont le plus besoin de consolation ? (Interruption.)

Messieurs, vous en ferez ce que vous voudrez ; l'essentiel pour moi était de vous dire qu'en tout cas, il m'est impossible de voter les augmentations sollicitées.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je tiens à donner à la Chambre des explications très catégoriques, relativement au crédit de l'article 6.

L'honorable membre a critiqué l'élévation de la dépense et certaines prescriptions administratives qui lui déplaisent.

Depuis l'institution de l'ordre de Léopold, le crédit a toujours été insuffisant.

Je ne veux pas revenir sur le passé, ni faire la part de chaque ministère ; mais il est établi dans les traditions administratives que le crédit affecté aux décorations de l'ordre de Léopold est insuffisant.

En 1848, on a fait subir à l'article une diminution de 2,000 francs ; c'était une année où les décorations furent moins recherchées que dans les années précédentes ou dans les années subséquentes.

On a donc pu faire en 1848 une économie ; mais cela n'a pas duré longtemps.

Depuis lors, l'insuffisance annuelle a été à peu près égale à la diminution que le crédit a subie en 1848 ; les 18,000 francs qui sont demandés doivent couvrir le déficit des cinq ou six dernières années.

Si nous rétablissons le chiffre antérieur à 1848, nous avons l'espoir que ce chiffre suffira désormais ; mais je ne saurais en donner l'assurance positive.

Je prendrai, pour ce qui me concerne, toutes les précautions possibles pour ne pas dépasser le crédit ; mais je ne réponds pas qu'il ne sera pas dépassé, parce que les décorations à décerner ne sont pas, pour ainsi dire, dans le pouvoir du gouvernement, du ministre.

Il est un grand nombre de décorations à l'étranger qui sont en quelque sorte obligatoires.

Le gouvernement a beaucoup de relations, et, grâce à Dieu, de bonnes relations avec les gouvernements étrangers.

(page 1098) Le Roi est reçu à l'étranger avec les mêmes égards, avec le même empressement que dans le pays. Il en est de même des princes.

A chaque voyage de ces augustes personnages, il y a nécessairement des échanges de décorations.

Et il ne s'agit pas là des grades inférieurs, mais des grades supérieurs dont les décorations sont les plus coûteuses ; s'il y a déficit, il faut bien le dire aussi, ce n'est pas à cause du grand nombre de décorations distribuées en Belgique, mais bien à cause du grand nombre de décorations d'un grade élevé qui sont conférées à l'étranger.

Or, je ne vois pas moyen de mettre un terme à cette augmentation de dépense, parce que, je le répète, ces distributions de décorations sont presque toujours obligatoires. C'est une courtoisie, c'est une mode, un usage auquel la Belgique, je pense, ne pourrait pas plus se soustraire que les autres gouvernements.

Et je le dirai à la Chambre, car je ne veux rien lui cacher sous ce rapport ; non seulement le crédit qui figure au budget est insuffisant, il faut y ajouter des crédits supplémentaires, mais la liste civile elle-même a dû, en plusieurs circonstances, contribuer à la dépense. Or, je considère comme regrettable que la liste civile doive concourir à cette dépense.

Les croix restituées ont aussi contribué à alléger la dépense, et si nous n'avions pas en Belgique l'usage, qui existe d'ailleurs dans plusieurs pays, de reprendre les décorations des membres décédés de l'ordre de Léopold, nous aurions encore de ce chef une augmentation de déficit de plusieurs milliers de francs.

C'est grâce au concours de la liste civile et grâce aux décorations rentrées que nous pouvons restreindre l'allocation du budget.

L'honorable M. Coomans trouve qu'il n'est pas digne du gouvernement de demander aux familles éplorées la restitution du bijou du défunt.

D'abord, messieurs, le gouvernement laisse toujours s'écouler un temps moral avant de faire cette réclamation quand la famille n'a pas pris sur elle de faire le renvoi.

Quelle mesure l'honorable M. Coomans propose-t-il de substituer à celle-ci ? D'envoyer des décorations de papier mâché, de carton.

M. Coomans. - Je n'ai pas proposé cela. J'ai dit que cela se faisait en Prusse, mais je n'ai pas conseillé de faire de même. J'ai exposé trois moyens.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je trouve vos moyens excessivement mauvais, et certes on ne vous donnera pas de décoration pour les avoir imaginés. On pourra, je pense, trouver des choses plus généreuses que celle-là.

L'honorable membre a proposé un moyen de battre monnaie, c'est d'exiger une redevance des décorés.

Trouverait-il ce moyen plus digne que la restitution ? Serait-il convenable d'exiger d'un décoré une redevance de 10, 15, ou 20 francs ?

Dans le système de battre monnaie il aurait pu proposer de faire ce qui se pratique dans certaines petites circonscriptions territoriales, c'est-à-dire de vendre les décorations.

M. Coomans. - C'est une idée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Là on délivre des cordons avec le droit de porter un brillant uniforme. On peut ainsi se procurer non seulement l'agrément de porter une décoration sur un habit bourgeois, mais encore celui de se présenter avec un bel uniforme de colonel et avec une décoration.

Il y a de l'argent à tirer d'un semblable trafic.

M. Coomans. - C'est une idée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais au point de vue de la dignité, je ne vois pas ce que le gouvernement y gagnerait.

M. Coomans. -Vous le faites pour les titres de noblesse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il n'en est rien. L'idée a été plusieurs fois mise en avant dans cette enceinte, mais elle n'a jamais reçu d'accueil.

En résumé, messieurs, si l'on n'exige pas la restitution du bijou, il faudra nécessairement augmenter le crédit, car cette restitution nous épargne une dépense assez considérable.

L'honorable membre se plaint, et ici je dois dire que je partage jusqu'à un certain point son opinion, de ce que les décorations accordées à l'étranger ne sont pas publiées au Moniteur.

Je vois ici avec plaisir l'honorable M. Coomans se constituer en défenseur du respect à la loi. C'est très bien de sa part, et je l'engage à persévérer dans de pareils principes, mais voici, au point de vue de l'économie, ce qui arrivera :

Les décorations sont un fruit très recherché, très goûté à l'étranger comme en Belgique.

Chaque publication de décoration éveille beaucoup d'ambitions et provoque un très grand nombre de demandes.

Nous constatons ces effets à l'intérieur. La même chose se produira inévitablement pour l'étranger si nous publions, et nous serons assaillis de demandes.

Voilà un des motifs pour lesquels, je pense, on n'a pas donné de publicité à ces décorations.

Cependant il peut résulter de cette absence de publicité certains abus. On pourra ainsi donner parfois une décoration de complaisance sans que la chose soit connue ; mais faut-il pour échapper à cet inconvénient tomber dans un inconvénient plus grand, résultant du système de l'honorable M. Coomans ?

Comme correctif j'ai proposé de remettre, chaque année, au sein de la section centrale une liste de toutes les décorations accordées à l'étranger.

C'est en quelque sorte une transaction entre la publicité donnée par la voie du Moniteur et l'absence de toute publicité.

Je crois qu'il y aurait plus d'inconvénients que d'avantages à exiger cette publication au Moniteur. Seulement que l'on prenne acte que la liste des décorés étrangers sera remise chaque année à la section centrale en même temps que le budget des affaires étrangères.

Je crois avoir répondu, un peu trop longuement peut-être, aux observations de l'honorable M. Coomans.

Je prends ici, comme je l'ai fait en section centrale, l'engagement d'user avec toute la modération possible de l'allocation nouvelle qui m'est accordée et j'espère que pour 1862, du moins, le chiffre de 10,000 francs ne sera pas dépassé. A l'heure qu'il est, le crédit n'est pas encore entamé ; depuis le mois de janvier, il n'a été donné que 3 ou 4 décorations à l'étranger, et je ne pense pas qu'on en ait accordé davantage à l'intérieur. De manière que je crois pouvoir affirmer que, pour 1862,1e crédit de 10,000 fr. ne sera pas insuffisant.

M. B. Dumortier. - J'aime beaucoup les économies dans un gouvernement ; mais j'avoue que je ne suis point partisan des mesquineries, et je considère comme une chose éminemment mesquine et regrettable que le gouvernement fasse restituer les bijoux délivrés aux décorés en cas de décès de ceux-ci.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est un usage reçu.

M. B. Dumortier. - C'est possible, mais c'est un usage regrettable. Je dis que c'est une chose éminemment pénible pour les familles des décorés de devoir restituer des insignes qu'elles voudraient pouvoir conserver comme souvenir des services rendus au pays par leur auteur. C'est là une mesquinerie tout à fait indigne d'un gouvernement.

Je sais qu'il y a des pays où cela se pratique ; je sais qu'anciennement on devait restituer les insignes de l'ordre de la Toison d'Or. Mais cela s'explique : le nombre des chevaliers de cet ordre était limité et les colliers, qui étaient en or, avaient une valeur assez considérable.

Mais en Belgique, le nombre des grand-croix est illimité. Il serait sage de réduire un peu le nombre des décorations supérieures accordées à l'étranger, et il serait convenable de ne pas faire restituer les bijoux délivrés pour services rendus à la patrie.

Il serait, je crois, très nécessaire de réduire un peu le nombre de ces décorations, car je vois que pendant les 6 ou 7 dernières années le nombre de grand-croix qui ont été nommées à l'étranger s'est élevé à plus de 130.

Or, il ne faut pas se faire illusion à cet égard, ces décorations ne sont bien souvent qu'un moyen pour nos ministres d'être traités avec la même libéralité par les gouvernements étrangers. C'est donc tout bonnement un échange de bons procédés que la Belgique doit payer de son argent. Pour mon compte, je voudrais que nos ministres eussent un peu moins de décorations et qu'ils en accordassent un peu moins à l'étranger.

(page 1090) Il faudrait pour cela renoncer à faire une foule de petits traités ou de petites conventions plus ou moins utiles et qui ne sont souvent qu'un prétexte à décorations.

- L'allocation de 10,000 fr. aux charges ordinaires et de 18,000 fr. aux charges extraordinaires est mise aux voix et adoptée.

Chapitre II. Traitements des agents diplomatiques

Articles 7 à 10

« Art. 7. Autriche : fr. 48,000. »

- Adopté.


« Art. 8. Confédération germanique : fr. 35,000. »

- Adopté.


« Art. 9. France : fr. 53,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Grande-Bretagne : fr. 65,000. »

- Adopté.

Article 11

« Art. 11. Italie: fr. 52,000. »

M. B. Dumortier. - Je voudrais savoir quel est le motif de l'augmentation de 13,000 fr.q ue cette allocation a subie. Cette augmentation ne me paraît nullement justifiée et je ne comprends pas que le gouvernement la propose alors qu'il maintient le chiffre de l'allocation affectée à la mission de Rome. Comme la question que je soumets peut donner lieu à quelque débat, je demande que la suite de la discussion soit renvoyée à demain.

- Plusieurs membres. - Continuons.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il serait à désirer que l'honorable M. Dumortier voulût bien parler ; c'est le seul moyen que j'aurai de lui répondre. Il me demande pourquoi l'allocation est augmentée ; je l'ai dit à la section centrale et je le répéterai en peu de mots à la Chambre.

L'article « Italie » figure depuis un grand nombre d'années au budget ; les légations envoyées dans les Etats italiens ont toujours figuré (chose assez remarquable) sous le titre « Italie ». Depuis la reconnaissance du royaume d'Italie par le gouvernement belge, la situation de notre envoyé à Turin a beaucoup changé ; elle s'est de beaucoup agrandie et elle s'est ressentie de l'accroissement territorial de l'Etat sarde.

Le ministre a dans sa juridiction un très grand nombre de consuls ; il a nécessairement une plus grande position ; et, dès lors, il a fallu augmenter son traitement pour le mettre à la hauteur des traitements des ministres qui nous représentent auprès des grandes nations.

Je crois d'ailleurs que d'autres ministres devront obtenir aussi des augmentations de traitement ; mais ces mesures feront l'objet de propositions spéciales aux budgets subséquents, lorsque des propositions seront faites pour augmenter tous les traitements en général. Il est évident que nos représentants à l'étranger ne sont pas suffisamment payés. Mais nous avons commencé par celui de Turin à cause des circonstances particulières qui se sont produites dans ces derniers temps.

Maintenant, messieurs, s'il convient à la Chambre de recommencer une discussion sur cette grave et délicate question d'Italie, je ne pourrais pas m'y opposer.

Mais je rappellerai que nous avons consacré déjà un grand nombre de séances à cette question et je me demande ce que le pays pourra gagner, soit à l'intérieur soit à l'étranger, à réveiller un débat peut-être irritant.

Je n'entends certes pas imposer le silence à la Chambre ; mais, avant qu'aucune discussion nouvelle s'engage sur ce point, je fais appel aux sentiments de convenance de l'honorable M. B. Dumortier.

M. B. Dumortier. - Je dirai à l'assemblée ce qui me frappe dans l'augmentation de l'article dont il s'agit.

Lors de la discussion de l'adresse, mes honorables amis et moi avons vivement combattu la reconnaissance du royaume d'Italie en ce sens que cette reconnaissance impliquait, à nos yeux, la consécration de principes contraires à notre existence nationale, le principe de l’absorption, le principe de l'annexion des petites nationalités à une nationalité plus forte et envahissante.

Aujourd'hui, c'est comme couronnement à ce principe désastreux pour nous que l'on semble vouloir augmenter le traitement de notre ministre à Turin, au titre de ministre plénipotentiaire.

M. de Brouckere. - Il l'était.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - M. Delannoy était ministre plénipotentiaire dans le petit royaume de Sardaigne.

M. B. Dumortier. - Soit, il était ministre plénipotentiaire ; on augmente donc son traitement en lui laissant le même titre.

Cette augmentation de traitement est évidemment un sacrifice fait à des principes que nous considérons comme dangereux pour notre existence nationale.

Mais, messieurs, à côté de cela vient une autre question.

Dans une séance précédente, il a été question dans cette assemblée de faits excessivement graves au point de vue de l'humanité ; il a été question du massacre de populations commandé par le gouvernement auprès duquel est l'envoyé auquel on veut faire la faveur d'une augmentation de traitement, massacre dont un de nos concitoyens a été victime. Je veux parler de l'assassinat du marquis de Trazegnies.

M. le ministre des affaires étrangères ne nous a jamais répondu à ce sujet. Or, je voudrais bien que M. le ministre des affaires étrangères nous donnât des explications sur ce fait si déplorable et dans lequel la nation belge a été indignement outragée dans la personne d'un de ses plus nobles et de ses plus généreux enfants.

Si c'est pour récompenser le Piémont de s'être conduit de la sorte vis-à-vis d'un des enfants de la patrie, que l'on propose cette augmentation de traitement, je dis que cette augmentation doit être rejetée par nous tous.

Il est, messieurs, une autre circonstance sur laquelle je suis en droit d'appeler l'attention de l'assemblée, et dans d'autres parlements, des orateurs n'ont pas hésité un instant à appeler l'attention de leur gouvernement sur des faits aussi graves.

Il est, messieurs, des lois supérieures à toutes les lois qui nous régissent et qui régissent les peuples, ce sont les lois de l'humanité. Or, les lois de l'humanité sont foulées aux pieds de la manière la plus scandaleuse dans le royaume de Naples, et cela non par des individus isolés, mais par des autorités agissant comme pouvoir public.

Déjà, au mois de décembre dernier, nous avons eu l'occasion, dans une circonstance récente, de citer les actes féroces et barbares des généraux Pinelli et Cialdini ; l'assassinat des hommes désarmés constitué en une espèce de régime régulier. Eh bien, depuis lors, les faits semblables n'ont fait que s'accroître. Voici une circulaire écrite par le. lieutenant-colonel Fantoni, à Lucera, le 9 février :

« Notifie :

« 1° Que personne ne pourra, à l'avenir, mettre le pied dans les bois de Dragonaro, de Sant-Agata, de la Selva Nera, du Gargano, de Santa Maria, de Pietra, de Molta, de Volturara, de Volturino, de Sammarco di Calola, de Celenza, de Carlantine, dans les buissons de Biecari, dans le bois de Vetruscelle et des maisons détruites.

« 2° Chaque propriétaire, agent ou fermier devra, aussitôt après la publication du présent avis, faire retirer de tous les bois désignés, les travailleurs, pâtres, chevriers, etc., tout le bétail, abattre les cabanes et les abris destinés aux animaux et à ceux qui surveillent.

« 3° Personne ne pourra, à l'avenir, transporter du pays des vivres à l'usage des fermes, et il ne pourra s'en trouver dans celles-ci que la quantité strictement nécessaire à la nourriture d'un jour pour les personnes employés dans la même ferme.

« 4° Ceux qui contreviendront au présent ordre (qui aura son plein effet deux jours après sa publication), seront traités comme des brigands sans exception de temps, de lieux et de personnes, et, comme tels fusillés.

« En publiant cet ordre, le soussigné somme les propriétaires d'en donner avis, en temps utile, à ceux qui dépendent d'eux, afin de prévenir le plus possible l'emploi des mesures de rigueur et faire atteindre le but que le gouvernement s'est proposé en les établissant. Il avertit en même temps que ces mesures seront exécutées sans le moindre ménagement.

« Lucera, 9 février.

« Le lieutenant-colonel Fantoni.»

Ce document est imprimé à Lucera, typographie de Salvator Scepi.

Immédiatement après un autre ordre du même genre, signé du major Fumel, était donné à Ciro, le 12 février :

« Avis.

« Le soussigné, chargé de la destruction du brigandage, déclare que celui qui donnera asile aux brigands, pourvoira à leur subsistance, leur prêtera aide et secours quelconque, les verra ou seulement connaîtra leur refuge sans en avertir immédiatement l'autorité civile et militaire, sera fusillé sans délai.

« Pour la garde des troupeaux, les bergers sont invités à former plusieurs centres avec une force armée suffisante, parce qu'en cas d'attaque, (page 1100) l'excuse de force majeure ne sera point admise. Dans l'espace de trois jours, toutes les chaumières devront être brûlées, et les tours ou les maisons de campagne non habitées ou non occupées par la force, devront être découvertes et leurs fenêtres murées. Passé ce délai, elles seront incendiées, et abattus les animaux qui ne seront pas gardés par une force suffisante.

« Il est formellement interdit de porter du pain ou des vivres, de quelque nature que ce soit, au dehors de la commune. Tout contrevenant à cet ordre sera considéré comme complice des brigands. »

« Provisoirement, et pour la circonstance, les syndics sont autorisés à accorder le port d'armes aux paysans sous la responsabilité des propriétaires qui en auront fait la demande. L'exercice de la chasse est provisoirement défendu, et on ne pourra faire feu que pour avertir l'autorité militaire de la présence ou de la fuite des brigands.

« Chaque garde national est responsable du territoire de sa propre commune.

« Quelques propriétaires de Longobocco ont promis une récompense de 600 ducats pour la destruction de la bande de Palma.

« Le soussigné n'entend voir en cette circonstance que deux partis : les brigands et les contre-brigands ; aussi déclare-t-il que les indifférents seront placés dans cette première catégorie et qu'il sera pris contre eux. les mesures les plus énergiques, parce que, quand l'intérêt général réclame leur concours, c'est un crime de le refuser.

« Signé le major Fumel.

« Ciro, 12 février 1862. »

Quelques jours après, le même major Fumel donnait un avis ainsi conçu :

« Avis au public.

« Le soussigné, chargé de détruire le brigandage, promet une récompense de 100 fr. pour chaque brigand que l'on amènera mort ou vif. Pareille somme sera donnée à tout brigand qui tuera un de ses camarades, outre la grâce qu'il obtiendra pour sa propre vie. Sera immédiatement fusillé quiconque aura donné asile ou moyen de subsistance ou de défense aux brigands, et quiconque, voyant ou connaissant le lieu où ils sont, n'en donnera pas avis aussitôt à la force publique et aux autorités civiles et militaires. Pour garder les animaux, on fera bien de former divers centres que l'on protégera avec des forces suffisantes, parce que l'excuse de force majeure ne sera pas admise. Toutes les pailles devront être brûlées ; les tours et les maisons de campagne qui ne sont pas habitées et défendues, doivent être, dans l'espace de trois jours, dégarnies de leur toiture et les portes devront être murées. Passé ce terme, on y mettra le feu sans rémission, et l'on abattra tous les animaux qui ne seront pas suffisamment gardés. Il reste toujours interdit de porter du pain et toute espèce de vivres en dehors de la commune que l'on habite, et les contrevenants seront considérés comme complices des brigands.

« Provisoirement, et pour la circonstance présente, MM. les syndics sont autorisés à accorder le port d'armes sous la stricte responsabilité du propriétaire qui en fera la demande.

« L'exercice de la chasse est provisoirement défendu, et en conséquence on ne pourra décharger une arme que pour avertir les postes de la présence de brigands ou de leur fuite.

« La garde nationale est responsable du territoire de sa commune respective.

« Le soussigné est décidé à ne voir, dans ces circonstances, que deux partis, que des brigands et des contre-brigands. Il rangera parmi les premiers quiconque voudra demeurer indifférent, et il prendra, en conséquence, des mesures énergiques, parce qu'il y a crime à ne pas les employer quand la nécessité le demande. Les soldats débandés qui ne se présenteront pas dans les quatre jours, seront considérés comme brigands.

« Celico, le 1er mars 1862. « Le major S. Fumel. »

Messieurs, je n'ai pas d'expression pour dire à la Chambre toute l'horreur que j'éprouve à la vue de pareils documents. Je demande si, à l'époque où nous vivons, si, dans le XIXème siècle, des actes d'une pareille sauvagerie, d'une pareille barbarie peuvent exister et si le devoir des gouvernements qui accréditent un ministre plénipotentiaire auprès d'une pareille cour n'est pas de faire les représentations les plus fortes au nom de ce qu'il y a de plus sacré sur la terre, au nom de l'humanité, au nom de toutes les lois civiles et humaines, pour empêcher de pareilles abominations.

Messieurs, c'est une chose horrible de voir massacrer au nom de la liberté. Quand un homme est désarmé, il est sacré pour celui qui a les armes à la main ; les femmes, les enfants doivent être sacrés pour tout guerrier, pour tout combattant, et quand je vois assassiner, comme on a assassiné notre digne et excellent concitoyen, une foule de femmes et d'enfants, quand je vois brûler des villes, massacrer des hommes sans défense, je dis que le devoir du gouvernement belge est de protester contre de pareils actes et d'exiger que les agents fassent les plus grands efforts pour mettre un terme à une aussi odieuse barbarie digne des cannibales et des sauvages et qui couvre.de honte notre époque et les peuples civilisés !!

M. Goblet. - Comme l'honorable M. Dumortier, je m'élève avec force centre tous les excès. Mais ce n'est pas par des faits isolés, par des faits accidentels qu'il faut juger une cause grande et je dirai même généreuse.

Il me serait facile aussi d'aller chercher, chez ceux que l'honorable M. Dumortier a glorifiés, des faits immoraux, des faits sanglants, des assassinats, et si ceux-là ne sont pas commis au nom de la liberté, s'ils sont commis au nom du despotisme, ils doivent être flétris comme les attentats que l'honorable M. Dumortier prétend avoir été posés.

Toutes les causes ont leurs excès ; toutes les causes ont leurs victimes, et je le répète encore, ce n'est pas par des faits isolés qu'il faut les juger.

L'honorable M. Dumortier, au nom des principes qu'il croit devoir défendre dans cette enceinte, s'est écrié qu'au lieu de donner une augmentation de traitement à la légation de Turin, il fallait plutôt infliger un blâme, un blâme immérité, selon moi, au gouvernement de ce pays.

Messieurs, je ne suis pas partisan des dépenses et surtout des dépenses diplomatiques, et j'aurais voté contre cette augmentation de crédit, s'il n'y avait pas eu pour moi une raison majeure de l'approuver. Je félicite le gouvernement d'avoir donné à la légation de Turin le rang qui lui appartient, je le félicite au nom des principes de notre révolution, au nom des principes de 1830, au nom des principes de la souveraineté du peuple. Le royaume d'Italie se constitue, et ce noble pays se régénère par le progrès et la liberté.

M. de Theux. - M. le ministre des affaires étrangères a annoncé l'intention de proposer, dans un autre budget, des augmentations de traitement pour plusieurs missions étrangères ; j'avoue, messieurs, que je ne comprends pas pourquoi la mission de Madrid et celle des Etats-Unis doivent se trouver, au point de vue du traitement, à un rang inférieur à celui de la légation d'Italie.

Je pense que la cherté de la vie en Amérique et à Madrid est plus considérable qu'elle ne peut l'être à Turin. Que le gouvernement, ayant reconnu le royaume d'Italie, n'abaisse pas sa légation, je le comprends, mais qu'il augmente cette légation de préférence à d'autres, qui ont plus de titres à être augmentées, c'est ce qu'il m'est impossible de comprendre.

Malgré les protestations de M. Goblet, quant à moi, je m'associe à la protestation de M. Dumortier ; c'est aux pays représentatifs qu'il appartient de faire prévaloir les idées de générosité et d'humanité. Jamais je ne saurais donner mon approbation à des actes semblables à ceux que l'honorable M. Dumortier a signalés à la Chambre ; je ne puis les considérer qu'avec la plus profonde horreur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je pense, messieurs, que ni l'honorable M. Goblet, ni personne dans cette enceinte n'est venu approuver de ses paroles ou de son vote les excès qui se commettent dans les pays étrangers ; nous sommes tous unanimes pour déplorer et flétrir de pareils excès.

On a dit que nous en parlions avec indifférence ; mais, pour mon compte personnel, j'ai parlé des hommes d'une opinion contraire, qui vont sacrifier leur vie à l'étranger pour une cause qu'ils croient bonne, en des termes tels que des applaudissements me sont venus même de la part de mes honorables adversaires. En faisant allusion à un compatriote qui avait eu le malheur de périr d'une manière violente dans les Etats de Naples, je crois m'être exprimé sur le compte de ce jeune citoyen avec une parfaite convenance.

Le langage que j'ai tenu à cette époque a été étrangement défiguré et odieusement commenté ; cela ne m'empêchera pas, messieurs, de répéter ce que j'ai dit alors.

Le gouvernement belge est-il responsable des violences, des malheurs qui peuvent atteindre ceux de nos concitoyens qui vont courir dans un pays étranger les chances des guerres civiles ?

Par quel moyen le gouvernement pourrait-il intervenir ? Le gouvernement de Turin lui-même aurait-il en ses mains la puissance de faire cesser les excès qui se commettent au milieu des guerres malheureuses qui ensanglantent le royaume de Naples ?

En tous cas, messieurs, le gouvernement belge serait-il admis à venir auprès d'un gouvernement étranger réclamer en faveur de ceux de nos (page 1101) compatriotes qui vont dans des troupes irrégulières prendre les armes contre ce gouvernement ? Le gouvernement étranger nous dirait : Empêchez vos concitoyens de prendre les armes contre moi ; remplissez d'abord ce premier devoir.

Personne d'entre nous n'a eu une parole amère contre les jeunes gens qui subissent un pareil sort : lorsqu'ils agissent avec conviction, avec courage, de pareils jeunes gens peuvent avoir nos sympathies, alors même que nous ne partageons pas leur opinion ; quant au jeune homme dont on vient de parler, diverses versions ont circulé sur la cause de sa mort : d'après certaines versions il aurait péri par un accident, un coup de feu isolé, suivant d'autres, il aurait été, en effet, fusillé, mais fusillé parce qu'à la tête des troupes il aurait lui-même fusillé les habitants d'un village. Voilà, messieurs, différentes versions qui ont circulé.

M. Nothomb. - Avez-vous demandé des renseignements à notre ministre à Turin ? Il a dû vous apprendre quelque chose.

Vous avez dû faire faire par lui des représentations au gouvernement sarde.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne sais pas quelle satisfaction notre ministre à Turin pourrait réclamer à cet égard.

M. Nothomb. - Nous savons une chose, c'est que le corps de notre compatriote a été restitué à des officiers français.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si la Chambre le désire je lui communiquerai la correspondance.

M. B. Dumortier. - Quand on prend des ennemis les armes à la main on les fait prisonniers, mais on ne les tue pas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Les faits ne sont pas suffisamment connus, mais il peut arriver qu'un gouvernement prescrive de fusiller les prisonniers pris les armes à la main, et je ne sais pas trop ce qu'un gouvernement étranger pourrait faire pour s'opposer à une pareille mesure.

N'oublions pas, messieurs, que les Belges qui prennent service à l'étranger, sans l'assentiment de leur gouvernement, perdent leur qualité de Belge.

M. Van Overloop. - Quand ils entrent au service d'une puissance étrangère.

M. Nothomb. - Et si même il n'était plus Belge, au moins restait-il homme et prisonnier, ce qui devait le rendre sacré.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si mes paroles justifiaient des récriminations, elles ne répondraient nullement à ma pensée, car je déplore le premier les faits dont on parle.

Maintenant, messieurs, je suppose que de pareils faits existent tels qu'on les a présentés et que le gouvernement belge ait eu des réclamations à adresser au gouvernement de Turin ; eh bien, je demande si, dans l'opinion de l'honorable M. Dumortier, un ministre plénipotentiaire sans aucune espèce de prestige et d'autorité aurait plus d'influence qu'un ministre investi d'un prestige et d'une autorité suffisante.

Je ne sais pas si dans le voyage qu'il a fait à Rome l'honorable M. Dumortier a passé par Turin, s'il a visité celui qui, à cette époque, y représentait la Belgique.

C'était un homme parfaitement honorable et capable, mais il manquait d'une condition essentielle ; il était, comme beaucoup d'entre nous, fils de ses œuvres ; sa position était plus que modeste ; eh bien, je le demande, un ministre placé dans une position plus élevée, plus considérable ne serait-il pas à même de faire des représentations plus efficaces ?

Si nous voulons pouvoir adresser des réclamations à un gouvernement quelconque, nous devons faire en sorte que le ministre qui nous représente auprès de ce gouvernement, soit dans une position respectable.

Je pense qu'il y a lieu de maintenir la proposition qui a été faite.

J'ai déjà dit que je considérais le traitement alloué à certains postes diplomatiques comme insuffisant et qu'il y serait pourvu ultérieurement.

M. Hymans. - L'honorable M. Dumortier vient de nous faire connaître que de grands crimes ont été commis en Italie ; nous protestons tous contre ces crimes. Mais il n'est pas indispensable qu'on soit catholique pour élever cette protestation, et la preuve, c'est qu'il y a quelques jours à peine, on a protesté dans le parlement d'Angleterre, avec une énergie égale contre la circulaire dont l'honorable M. Dumortier a donné lecture ; circulaire dont, du reste, on a nié formellement l'authenticité.

Mais puisqu'il a été question de crimes contre l'humanité, je demanderai si, de l'autre côté de cette Chambre, on a toujours protesté contre les crimes de ce genre qui ont été commis en Italie, et si, entre autres, on a protesté d'une façon quelconque cintre l'enlèvement du jeune Mortara, fait que je considère, quant à moi, comme un crime contre l'humanité.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'ai entendu avec plaisir, et je le dirai franchement, avec reconnaissance, M. le ministre des affaires étrangères déclarer ne pouvoir accepter pour la Belgique aucune espèce de solidarité avec les faits si déplorables dont il a été question dans cette discussion...

M. Goblet. - Personne n'accepte cette solidarité.

M. B. Dumortier. - Bien que l'honorable M. Goblet déclare que personne n'accepte cette solidarité, c'est à lui que je désire répondre.

L'honorable membre a dit tout à l'heure qu'il félicite le gouvernement de l'augmentation de subside dont il s'agit, parce que ce qui se passe en Italie est le renouvellement des principes de 1830, la reconnaissance des actes de la souveraineté populaire.

Messieurs, je crois que l'honorable membre fait à son pays un bien grand outrage, en comparant notre révolution de 1830 aux actes si odieux, si déplorables, si inhumains, si sauvages dont il a été question dans cette séance.

La révolution belge de 1830 a été pure de pareils crimes ; jamais en Belgique, dans ce pays de liberté, il n'a été question de semblable -attentats ; toutes les voix dans cette enceinte se seraient élevées avec énergie contre la plus petite atteinte qui aurait été commise contre les personnes et les propriétés.

Et en Italie, ce ne sont pas des actes isolés, commis par des particuliers ; les faits odieux dont je parle sont des actes officiels ; et l'on viendra les comparer aux souvenirs glorieux de la révolution belge de 1830 ! Je crois qu'il est de mon devoir de protester contre une pareille assimilation.

M. Goblet. - Messieurs, je n'ai nullement entendu assimiler la révolution belge de 1830 à la révolution italienne, au point de vue des excès qui peuvent avoir été commis dans la Péninsule.

J'ai dit que la liberté en 1830 nous était venue en Belgique, comme elle est venue, il y a quelques années et comme elle vient encore tous les jours en Italie.

Nous avons chassé l'étranger ; l'Italie a chassé l'étranger ; l'Italie a proclamé la souveraineté populaire ; nous avons proclamé la souveraineté du peuple.

Et maintenant, vous parlez des excès qui ont été commis.

Oui, il y a eu des excès ; ces excès, je les blâme, je les réprouve ; mais y a-t-il une seule révolution qui ne soit marquée par des excès ? S'il y a, d'ailleurs, des excès en Italie, à qui la faute ? N'est-ce pas la réaction qui les provoque ? Si la réaction cessait d'exciter la guerre civile, de soudoyer les brigandages dans le royaume de Naples, il n'y aurait plus d'excès à déplorer.

On parle des crimes contre l'humanité commis par ceux qui combattent les brigands dans l'Italie méridionale, mais si l'on voulait avec le même zèle, avec la même ardeur, rechercher les excès dont se rendent coupables les satellites de la réaction, si l'on voulait aller fouiller dans les archives, si on voulait apporter ici des récits de journaux, vous auriez sous les yeux le tableau d'atrocités sans nombre ; et vous seriez les premiers à reconnaître que la cause, défendue par ces gens-lâ, est une bien mauvaise cause.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il n'est pas permis dans un parlement libre, qui doit son existence aux principes les plus généreux, de venir qualifier de brigands des hommes qui ne font que défendre leurs foyers contre l'étranger.

Vous qualifiez ces hommes de brigands, et en Belgique, vous marcheriez avec ces hommes, si l'étranger venait à souiller de ses pas le sol de la patrie ; chacun de nous s'armerait pour le défendre : et pourrions-nous-être traités de brigands !

Voilà comment nous entendons la nationalité, la liberté et la patrie. Tout homme qui défend sa patrie contre l’étranger est un héros auquel il faut élever une statue. Et quand les Napolitains défendent leur patrie, leur roi l'héroïque François II, leurs lois et leurs foyers contre l'étranger, ils sont dignes de l'admiration de tous les peuples, et je suis douloureusement affecté de voir un membre de cette Chambre paraître vouloir atténuer d'aussi coupables forfaits que ceux commis par les barbares officiers piémontais.

-La discussion est close.

M. le président. - Je mets l’article aux voix.

Ceux qui adoptent l'article sont priés de se lever.

- Des membres. - L'appel nominal.

- D'autres membres. - On a demandé l'appel nominal.

M. le président. - Si la Chambre ne s'y oppose pas, je ferai procéder à l'appel nominal. Je ferai seulement observer que j'avais (page 1102) demandé qu'on se levât pour l'adoption de l'article, quand on a réclamé l'appel nominal.

M. B. Dumortier. - La division !

M. de Gottal. - On doit commencer par le chiffre le plus élevé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il n'y a pas d'amendement.

M. de Theux. - Il est très vrai que M. le président avait demandé qu'on se levât pour l'adoption du chiffre, mais au moment même de nombreuses réclamations pour l'appel nominal se sont fait entendre.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Soit.

M. de Theux. - Maintenant quel est le chiffre qu'il s'agit de v-ter ?Nous demandons que le chiffre de 52,000 fr. soit diminué de 13,000 fr. et ramené au chiffre primitif.

Je propose cette modification.

- Un membre. - Il n'y a pas d'amendement.

M. de Gottal. - La clôture est prononcée.

M. le président. - Ce n'est pas le moment de présenter des amendements. Il n'y a plus qu'à voter.

M. de Theux. - Je pense que la clôture n'a pas même été formellement prononcée, mais puisqu'il y a opposition je ne ferai pas de proposition. Par le vote sur l'article notre but est du reste atteint.

M. de Gottal. - Je ne conçois pas ce débat. La discussion a été close sur l'article ; c'est sur l'article que nous avons à voter et l'on ne peut plus présenter d'amendement.

- Plusieurs membres. - On est d'accord.

M. de Naeyer. - Il n'y a que le chiffre à mettre aux voix. Ceux qui ne veulent pas d'augmentation atteignent leur but en votant contre.

- Il est procédé à l'appel nominal.

66 membres y prennent part.

36 répondent oui.

30 répondent non.

En conséquence la Chambre adopte.

Ont répondu oui : MM. Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Volxem, Allard, Braconier, Crombez, de Boe, de Breyne, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Renesse, de Ridder, de Rongé, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Hymans,, Jacquemyns, Jamar, Loos, Moreau, Muller, Orban, Pirson, Rogier, Sabatier, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom et Vervoort.

Ont répondu non : MM. Van de Woestyne, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Coomans, Coppens, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Montpellier, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Kervyn de Volkaersbeke, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel et Vander Donckt.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - La Chambre veut-elle suivre demain l'ordre du jour du vendredi ?

- Plusieurs membres. - Non, le budget.

M. le président. - On propose de continuer demain l'examen du budget.

M. Crombez. - Je demande dans tous les cas à la Chambre de vouloir bien maintenir à son ordre du jour la pétition du sieur Lampe. Elle est relative aux difficultés qu'éprouvent les exportateurs de produits belges pour la France, à cause des certificats d'origine qui sont exigés. Cela pourrait venir en même temps que le budget.

M. Goblet. - Messieurs, je pense que le règlement doit être exécuté. On a décidé que les prompts rapports seraient discutés le vendredi.

Vendredi dernier on a déjà remis cet objet. Pour demain, il y a une question excessivement grave, excessivement importante et qui touche au droit de propriété d'une manière directe.

Cette question doit sinon être tranchée, du moins être discutée de la manière la plus prompte parce qu'il doit avant peu intervenir une décision ministérielle et que cette décision pourrait être prise avant que nous ayons pu examiner l'affaire.

Je demande donc qu'on ne déroge pas au règlement.

M. Vander Donckt. - Messieurs, personne n'a réclamé lorsque j'ai eu l'honneur de faire remarquer que demain vendredi c'était le jour fixé par le règlement pour les rapports de pétitions. (Interruption.)

J'insiste fortement pour l'exécution du règlement.

M. le président. - Le règlement ne s'oppose aucunement à ce que la Chambre continue la discussion du budget des affaires étrangères.

M. Muller. - Il n'est pas ici question de violer le règlement. Il dit que les prompts rapports seront discutés le vendredi lorsque la Chambre n'en décide pas autrement. Or, vous avez décidé, lorsqu'il s'est agi de la discussion du budget de l'intérieur, qu'il y avait urgence à continuer.

Je propose à la Chambre de continuer aussi la discussion du budget des affaires étrangères.

M. de Rongé. - Je demande qu'on veuille bien mettre à l'ordre du jour de demain le rapport sur la pétition contre les actes de la douane.

M. Muller. - Cela viendra en même temps que la discussion du budget, comme l'a dit l'honorable M. Crombez.

M. le président. - M. Muller propose de reprendre demain la discussion du budget.

Les honorables MM. Crombez et de Rongé proposent de mettre en même temps à l'ordre du jour la discussion de la pétition dont il s'agit.

M. de Theux. - Je demande que si la Chambre continue demain la discussion du budget des affaires étrangères, immédiatement après le vote du budget on commence la discussion des prompts rapports et qu'on la continue sans interruption.

M. le président. - Il est donc entendu que nous reprenons demain la discussion du budget ; que nous abordons immédiatement après les prompts rapports. La Chambre pourra même s'occuper en premier lieu des prompts rapports dont il vient d'être question.

- La séance est levée à 5 heures et un quart.