(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page 1103) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre :
« Des propriétaires, cultivateurs et industriels à Ville-en-Hesbaye demandent la suppression des barrières. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Neerpelt déclarent adhérer à la demande relative à la concession d'un chemin de fer de Liège à Eyndhoven par Hasselt, Zonhoven, etc. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur la pétition relative à cette concession.
« Le sieur Arvent demande la révision des règlements relatifs au mariage des commis des accises et des employés de la douane. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve du sieur Teyart, ancien instituteur communal, demande un secours. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal et des habitants d'Oostham présentent des observations en faveur des chemins de fer projetés de Hasselt à Eyndhoven et de Herenthals à Maeseyck, et demandent que la première de ces lignes soit dirigée vers le camp de Beverloo. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur les pétitions relatives à ces chemins de fer.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Lommel prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Eyndhoven. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion sur les pétitions relatives à cette concession.
« Les membres du conseil communal et des industriels de Marchienne-au-Pont demandent la construction d'un chemin de fer de Marchienne à Baume. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Kervyn de Volkaersbeke, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, prie la Chambre de lui accorder un congé. »
- Accordé.
M. Guillery. - Je demanderai si, en l'absence de M. le ministre des affaires étrangères, on ne pourrait pas discuter le deuxième objet à l'ordre du jour, la pétition relative aux expropriations pour cause d'assainissement.
M. Coomans. - Je fais une proposition qui me paraît plus digne de la Chambre, c'est de prier M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien se rendre parmi nous.
M. le président. - C'est fait déjà ; j'ai envoyé chez M. le ministre pour l'engager à se rendre à la séance.
M. de Renesse. - Nous pourrions commencer l'examen du budget, sauf à suspendre les articles sur lesquels il y aurait des explications â demander au gouvernement.
M. Goblet. - On ne peut pas discuter un budget en l'absence du ministre. Cela ne s'est jamais fait.
M. de Naeyer. - M. le ministre peut avoir des observations à présenter.
- M. le ministre des affaires étrangères entre dans la salle.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, j'ai cru, et le Moniteur m'a induit en erreur à cet égard, que l'on devait commencer par les rapports de pétitions.
« Art. 12. Pays-Bas : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Art. 13. Prusse : fr. 43,000. »
- Adopté.
« Art. 14. Russie : fr. 65,000.”
M. Coomans. - Messieurs, je puis, à propos de cet article, comme à propos de tout autre de ce chapitre, présenter une observation que j'avais à faire hier, sur une parole de l'honorable ministre des affaires étrangères. Au sujet du crédit pour la légation de Turin, l'honorable ministre nous a dit que tout le monde, dans cette Chambre, reconnaissait qu'il y avait lieu d'augmenter les traitements de nos agents diplomatiques ; je demande à faire exception et à constater le fait aux Annales parlementaires. Chaque fois que l'honorable ministre ou un autre viendra demander une augmentation d'appointements pour les agents diplomatiques, je m'y opposerai et je m'expliquerai alors plus longuement et plus catégoriquement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai dit qu'on était généralement d'avis qu'il y a lieu d'augmenter les traitements de nos agents dans plusieurs postes diplomatiques, mais je ne crois pas m'être servi de l'expression : « tout le monde ».
M. Coomans. -Je l'ai compris ainsi.
- L'article est adopté.
« Art. 15. Brésil : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 16. Danemark, Suède et Norvège, etc. : fr. 17,000. »
- Adopté.
« Art. 17. Espagne : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 18. Etats-Unis : fr. 20,000. »
- Adopté.
« Art. 19. Portugal : fr. 17,000. »
- Adopté.
« Art. 20. Turquie: fr. 40,000. »
- Adopté.
« Art. 21. Indemnités à quelques secrétaires et attachés de légation : fr. 14,000. »
- Adopté.
« Art. 22. Traitements des agents consulaires et indemnités à quelques agents non rétribués : fr. 161,500. »
M. le président. - Le chiffre de l'article 22 se trouve réduit à 160,000 fr., par suite du vote de l'art. 2. Je mets aux voix le chiffre de 160,000 francs.
- Ce chiffre est adopté.
« Art. 23. Frais de voyage des agents du service extérieur et de l'administration centrale, frais de courriers, estafettes, courses diverses : fr. 70,500. »
- Adopté.
« Art. 24. Indemnités pour un drogman et autres employés dans diverses résidences en Orient : fr. 10,380. »
- Adopté.
« Art. 25. Frais divers : fr. 75,120. »
- Adopté.
« Art. 26. Missions extraordinaires, traitements d'agents politiques et consulaires en inactivité, et dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 47,000. »
- Adopté.
« Art. 27. Personnel : fr. 5,240. »
- Adopté.
« Art. 28. Frais divers : fr. 360. »
- Adopté.
M. le président. - Nous passons au chapitre VIII (commerce, navigation, pêche).
M. Crombez (pour une motion d’ordre). - Je demande à la Chambre de vouloir bien m'autoriser à lui faire rapport sur la pétition du sieur Lampe, qui est le second objet à l'ordre du jour. Cette pétition est relative aux certificats d'origine, et se rattache dès lors au commerce. L'affaire ne tiendra pas la Chambre pendant cinq minutes.
- La Chambre consultée décide que le rapport sur la pétition du sieur Lampe lui sera fait immédiatement.
M. le président. - La parole est à M. Crombez, pour présenter ce rapport.
M. Crombez, rapporteur. - Messieurs, par pétition en date du 5 mars 1862, le sieur Lampe, marchand briquetier, domicilié à Néchin, village situé sur la frontière, du côté de la France, se plaint d'être obligé de produire un certificat d'origine chaque fois qu'il fait une fourniture de briques à des consommateurs français.
Son industrie consiste dans la fabrication de briques qu'il vend en détail. Il arrive souvent que, pour une livraison d'une valeur de 10 francs, le pétitionnaire doit se rendre à Tournai, afin de présenter le certificat d'origine au visa du consul français. Indépendamment de ce déplacement de six lieues, ce visa coûte 2 fr. 50. Le pétitionnaire paye donc, en réalité, et de ce seul chef, un droit d'entrée de 25 p. c. sur sa marchandise.
La situation dans laquelle il se trouve, par suite de l'exécution du traité de commerce avec la France, mérite l'attention du gouvernement. Déjà la section centrale, chargée d'examiner le budget des affaires étrangères, a eu l'occasion de s'occuper des plaintes nombreuses dont les certificats d'origine ont été l'objet, et M. le ministre a déclaré que le gouvernement rechercherait les moyens de les faire cesser.
Il est urgent de remédier aux inconvénients signalés, avec raison, par le pétitionnaire. L'exportation des briques de Belgique en France, par la voie de terre, devrait être affranchie de ces formalités gênantes et inutiles. Les briques pourraient être assimilées à la chaux et aux pierres qui sont dispensées de tout certificat d'origine.
La commission des pétitions propose donc le renvoi de la pétition du sieur Lampe à M. le ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne m'oppose pas à ces conclusions.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
La Chambre reprend l'examen des articles du budget des affaires étrangères.
« Art. 29. Ecole de navigation. Personnel : fr. 18,060. »
- Adopté.
« Art. 30. Ecole de navigation. Frais divers : fr. 8,080. »
- Adopté.
« Art. 31. Chambres de commerce : fr. 2,500. »
- Adopté.
« Art. 32. Frais divers et encouragements au commerce : fr. 48,800. »
- Adopté.
« Art. 33. Encouragements de la navigation à vapeur entre les ports belges et les ports étrangers (pour mémoire. Voir l'article 2 de la loi.) »
- Adopté.
« Art. 34. a. Service de navigation à vapeur entre la Belgique et New-York : Remboursement des droits de pilotage : fr. 28,800.
« b. Service de navigation à vapeur entre la Belgique et le Brésil : remboursement des droits de tonnage, de pilotage, de phares et fanaux (pour mémoire).
« c. Service de navigation à vapeur entre Anvers et le Levant, remboursement des droits de tonnage, de pilotage, de phares et fanant, spécifiés à l’article 9 de la convention du 12 novembre 1855 (crédits non limitatifs) : fr. 20,270.
« Total : fr. 49,070. »
- Adopté.
« Art. 35. Pêche maritime. Personnel : fr. 7,550. »
- Adopté.
« Art. 36. Primes: fr. 92,050. »
M. Vander Donckt. - Messieurs, c'est à l'article 36 que le gouvernement a porté l'allocation ordinaire des années précédentes comme encouragement pour la pêche nationale.
La majorité de la section centrale vous propose une réduction de 5,000 fr. C'est contre cette réduction que j'ai demandé la parole. J'appartiens à la minorité de la section centrale.
Les habitants de Nieuport et autres intéressés à la pêche ont adressé une pétition pour demander que cette allocation soit maintenue au budget pour l'exercice 1862.
La section centrale a proposé le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du budget.
L'honorable rapporteur n'a pas analysé cette pièce, j'y suppléerai et je tiens à donner quelques explications à la Chambre à ce sujet.
Les pétitionnaires disent que bien loin de craindre la libre concurrence, le libre-échange, ils affirment qu'il ferait la fortune de leur port, c'est-à-dire que s'ils étaient dans des conditions de réciprocité pour les relations avec la France, s'ils pouvaient introduire en France et le produit de leur pêche, la morue surtout, ils ne réclameraient aucune prime et c'est précisément du système protectionniste de la France qu'ils se plaignent.
Le gouvernement, en faisant le traite avec la France, s'est vu dans la nécessité d'accorder à ce pays le maintien des privilèges dont jouit la pêche nationale en France, c'est-à-dire d'un droit qui est en quelque sorte prohibitif de l'introduction de la morue de Belgique en France.
Vous comprenez, messieurs, que le gouvernement ayant été obligé de sacrifier les intérêts de la pêche nationale dans le traité avec la France, il incombe au gouvernement d'encourager à son tour les pêcheurs de Nieuport et d'Ostende, pour les indemniser en quelque sorte de ce qu'on ne leur accorde pas l'introduction en France, comme on l'a fait pour les autres articles, dont les tarifs ont été considérablement réduits, tandis qu'on n'a rien pu faire pour eux en ce qui concerne la pêche de la morue.
La taxe est de 73 fr. par tonneau pour l'introduction de la morue en France entre les frais de transport. Il n'y a pas d'exemple qu'une tonne de morue ait été introduite à ce taux en France.
Ce serait cependant là une excellente affaire pour les pêcheurs d'Ostende et de Nieuport.
C'est sous ce rapport qu'ils vous disent que s'ils pouvaient introduire la morue en France, cela ferait la fortune de leur port. Car, tandis que, en Belgique, la morue se vend au prix de 40 francs elle coûte en France 70 à 80 francs, pour une marchandise notoirement inférieure et moins bien préparée.
Si donc nos pêcheurs avaient été quelque peu favorisés par le traité de commerce conclu avec la France, ils auraient pu entretenir avec ce pays un commerce très avantageux.
Messieurs, plusieurs autres considérations militent en faveur des ports d'Ostende et de Nieuport. D'abord, la France, pour attirer les marins belges, accorde une prime de 50 francs par homme et d'autres conditions très avantageuses.
» Elle nous enlève ainsi nos marins les plus valides, attirés chez elle par l'appât des avantages qui leur sont offerts. Les pétitionnaires, messieurs, demandent aussi qu'on les mette à même de s'adonner à la pêche du poisson frais. Pour le moment, cela ne leur est pas possible quant à Nieuport, à défaut d'une estacade d'ouest. Der crédits ont été votés pour ce travail par la législature, mais jusqu'à présent on n'a rien fait encore et les travaux ne sont pas même commencés. Cependant, c'est dans ces circonstances que la section centrale propose une réduction immédiate et des réductions successives jusqu'à suppression complète de toutes les primes et de tous les encouragements dont la pêche jouit.
(page 1105) Messieurs, les pétitionnaires nous demandent de raccorder la ville de Nieuport au chemin de fer de Furnes, c'est une condition sine qua non pour pouvoir s'adonner à la pêche du poisson frais pour l'expédier en temps utile et en bon état de conservation.
Moyennant ces deux conditions et en attendant l'époque du libre échange réel et réciproque avec la France, si ce vœu pouvait se réaliser, les pétitionnaires déclarent que Nieuport ne demanderait plus jamais ni primes ni faveurs. J'ose donc espérer que la Chambre accueillera favorablement la pétition de Nieuport qui ne demande que l'exécution des travaux de l'estocade d'ouest qui est en projet et un embranchement du chemin de fer de Furnes, pour mettre Nieuport comme Ostende en position de soutenir la concurrence. Il faut de toute nécessité construire le petit tronçon de chemin de fer dont je parle.
Quoi qu'il en soit, je demande formellement que l'allocation ne soit pas diminuée et que l'on ne réduise pas les encouragements accordés jusqu'à présent à la pêche nationale, aussi longtemps du moins que les conditions actuelles du port de Nieuport n'auront pas été améliorées. On est généralement d'accord sur l'utilité, au point de vue général, de supprimer les primes accordées à la pêche nationale ; les pétitionnaires eux-mêmes sont d'accord sur ce point ; mais l'équité exige qu'on ne prenne une mesure de ce genre que lorsque nos pêcheurs auront été mis à même de se livrer avec avantage au commerce du poisson frais et qu'ils se trouveront dans des conditions équitables de réciprocité pour leur commerce de morue.
Je dis donc qu'il ne serait pas raisonnable de supprimer d'emblée les encouragements à la pêche, de la ruiner par une suppression prématurée de la prime, chose qui arriverait infailliblement si cette faute est commise ; il faut bien se pénétrer de ceci : c'est que le gouvernement, en faisant le traité avec la France a sacrifié les intérêts de Nieuport et d'Ostende, en laissant au gouvernement français le monopole de la pêche de la morue ; il est donc rationnel qu'on continue à l'encourager jusqu'à ce que l'estacade de l'ouest soit établie, que le chemin de fer de Nieuport soit construit pour leur permettre de soutenir la concurrence.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la réduction de 5,000 francs proposée par la section centrale ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Non, M. le président.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, ce n'est pas en ma qualité de rapporteur de la section centrale, mais comme simple représentant que je prends la parole. Je faisais partie avec l'honorable M. Vander Donckt de la minorité dans le vote de la réduction de 5,000 francs proposée par la section centrale.
Messieurs, s'il est une industrie qui mérite un encouragement, une protection, c'est bien la pêche, car c'est une industrie exceptionnelle, soumise aux caprices des éléments et remplie de danger. Quand le pêcheur quitte le port, il ne sait comment ni quand il reviendra ; tous les ans les localités du littoral perdent de leurs bateaux ; d'autres, et j'en ai vu, qui sont restés deux mois en mer, à la grande pêche de morue, et n'ont rapporté qu'une vingtaine de tonnes, ce qui donne une immense perte ; il est impossible de comparer cette industrie aux autres industries du pays.
Ces dernières produisent quand elles veulent, tandis que le pêcheur n'est jamais sûr d'arriver avec un plein chargement.
La prime n'est accordée que pour la grande pêche de marée et pour la petite marée, et la grande pêche de poisson frais n'est pas primée.
La pêche de la morue traverse aujourd'hui une véritable crise. Il y a quelques années le nombre de vos bateaux de pêche était moins considérable que maintenant, ils rapportaient 17 à 18 mille tonnes de poissons salés ; ils n'en rapportent plus, depuis 3 à 4 ans que 9,500 à 11,000 tonnes.
L'honorable M. Vander Donckt vient de dire à combien s'élève le droit d'entrée sur la morue en France ; au droit il faut ajouter des primes qui s'élèvent à 4 millions de francs ; et comment voulez-vous que nous soutenions la concurrence ?
Trois cents de nos pêcheurs sont allés en France pour profiter de cet encouragement, il en résulte que quelques-uns de nos bateaux seront obligés de rester inactifs dans nos ports.
Si peu à peu vous supprimez la prime, nos pêcheurs partiront encore en plus grand nombre. Ordinairement la prime est payée pendant l'été quand les pêcheurs se trouvent en mer c'est la femme qui reçoit alors la part qui revient au marin, cette part s'élève de 50 à 00 francs et sert à l'entretien du ménage pendant l'absence du mari.
Du moment donc que la prime n'existera plus, tous les pêcheurs déserteront notre pays et les femmes n'auront plus aucun intérêt à influencer leur mari à rester en Belgique.
L'Angleterre donne une bien plus grande protection à sa pêche nationale, elle ne permet pas aux marins étrangers de pêcher le long de ses côtes.
Il en est résulté que la pêche du hareng a été par cette mesure anéantie pour nos pêcheurs sur les côtes de l'Ecosse.
Peut-on dire que nos pêcheurs gagnent trop ? Les chiffres que je citerai prouveront le contraire ; à Ostende on peut calculer qu'ils gagnent 500 fr. par an ; à Blankenberghe et Heyst moins de 9 fr. par semaine ; à Nieuport, de 1 à 1-50 par jour, etc., etc.
On ne peut pas dire que la position de ces pêcheurs soit brillante, elle est au contraire très malheureuse.
Cependant par suite des encouragements qu'on a accordés à la pêche, le nombre des bateaux est augmenté dans quelques localités. A Anvers le nombre a doublé depuis cinq à six ans. Il augmente à la Panne et à Heyst.
A Ostende, depuis 1856, la flottille s'est accrue d'environ 40 bateaux. C'est donc au moment où le nombre des armements de la pêche prend du développement que l'on veut réduire la prime. Or, par suite de l'augmentation du nombre des chaloupes, comme la somme a toujours été maintenue au même chiffre dans le budget, la prime se réduit d'elle-même.
Ainsi en 1855, la prime était de 83 1/2 p. c, en 1856 elle a été de 82 p. c ; en 1857, de 80 p. c. et en 1860, elle a été seulement de 75 p. c. des chiffres fixés par les règlements organiques.
Nos pêcheurs ne reçoivent donc plus que les trois quarts de la prime fixée par ces règlements, en conséquence la prime se réduit déjà d'elle-même.
La section centrale propose de diminuer le crédit de 5,000 fr. ; je sais que cette réduction n'est, pour le moment, pas considérable ; comme nous avons 1,200 à 1,300 pêcheurs, cela ne ferait que 4 fr. par pêcheur. Mais j'ai peur de cette réduction, l'intention des auteurs de la proposition étant de demander chaque année une nouvelle réduction, au bout de quatre ou cinq ans, la réduction sera de 25 p. c, et alors on viendra dire que la prime est insignifiante et qu'il faut la supprimer complètement.
Messieurs, n'est-il donc pas d'autres industries auxquelles on accorde des encouragements ? Je ne citerai qu'un exemple. On a craint que le charbon anglais ne vînt sur nos villes environnantes faire concurrence au charbon belge, et le gouvernement s'est empressé de diminuer le fret par chemin de fer pour que la houille puisse soutenir la concurrence du charbon étranger.
Les ateliers d’apprentissage sont aussi une protection accordée à l'industrie, ce sont des écoles comme la pêche.
Notre marine marchande est dans un état pitoyable ; si un jour elle pouvait se relever, la pêche sera en mesure de lui fournir des matelots. Tous les ans le nombre de nos bâtiments diminue, et ces derniers ne sont pas remplacés. Nous avons encore une bonne pêche ; notre flottille de pêche est une des plus importantes des divers ports de mer. Si on détruit peu à peu cette industrie, nous n'aurons plus de navires en mer qui montreront notre pavillon.
Ces hommes courageux ne rendent-ils pas tous les hivers de grands services en mer ? Combien d'équipages n'ont-ils pas sauvés ? C'est aussi grâce à la pêche nationale que le gouvernement a pu organiser, en 1842, le service de pilotage des bouches de l'Escaut ; si on n'avait pas eu nos pêcheurs à la main, il aurait été impossible d'organiser cet important service maritime.
J'engage donc la Chambre à ne pas adopter la réduction de 5,000 fr. Si on veut absolument, pour le principe, réduire de quelque chose le chiffre de 92,050 fr. je ne m'y opposerai pas, mais jamais je n'admettrai une diminution de 5,000 fr.
M. de Ridder. - Messieurs, chaque fois que la Chambre s'occupe de la discussion du budget des affaires étrangères, un débat s'élève à l'occasion du subside que le gouvernement sollicite pour la pêche maritime.
Et cependant la Chambre a persisté à maintenir au budget la somme que le gouvernement proposait.
C'est, je pense, que la Chambre ne s'est pas laissé tromper par la signification propre du mot « prime » qui semblerait ne désigner qu'une simple faveur de protection industrielle ; mais qu'elle y a vu, en réalité, une subvention de l'Etat justifiée au point de vue de l'intérêt général.
Mais aujourd'hui une proposition formelle est faite par la section centrale de réduire de 5,000 fr. cette subvention ; et cette proposition est faite dans l'intention avouée de réduire annuellement Insomnie jusqu'à son extinction.
(page 1106) Je ne puis pas, messieurs, adhérer à cette proposition : je crois qu'une somme devra être maintenue au budget comme subside de l'Etat, non pas uniquement dans l'intérêt d'une industrie importante, dans l'intérêt de l'alimentation publique, mais bien plus, comme acte de prévoyance et de bonne administration, afin de maintenir la pêche dans une situation telle, qu'elle puisse toujours répondre et satisfaire à l'exigence de différentes branches du service public qui ne peuvent se dispenser de recruter parmi le personnel qu'elle forme et emploie, et à la création d'une marine nationale.
La pêche est certes une industrie viable, dans certaines limites, par ses propres forces, susceptible de certaines améliorations que l'initiative privée peut suffisamment provoquer et satisfaire. Mais elle se trouve dans une position particulière et. exceptionnelle, en ce qu'elle offre des dangers et des chances permanentes que nul ne peut prévoir, ni calculer, ni conjurer ; qui présente par conséquent des résultats toujours incertains.
De plus, les travailleurs de la pêche ne sont pas comme ceux de la plupart des autres métiers. Ceux-ci ont presque toujours plus d'une ressource dans des temps d'arrêt, de chômage ; ils peuvent presque toujours s'adonner à d'autres occupations ; les pêcheurs, au contraire, sont exclusivement attachés à leur chaloupe, et ont besoin, sous peine de les voir émigrer, d'une protection que les résultats précaires de l'industrie privée ne peuvent leur donner, pour ranimer leur courage et leur persévérance, alors que dans la mauvaise saison tous leurs efforts restent stériles pour mettre à profit leur pénible profession...
Ajoutez à cela les moyens dont disposent les armateurs d'une nation voisine pour nous enlever nos ouvriers-pêcheurs par les avantages qu'une protection exagérée leur permet d'offrir.
Et voyez si dans ces circonstances, en ôtant au gouvernement les moyens d'aider l'industrie de la pêche, vous ne courez pas le danger de voir diminuer une source d'alimentation, surtout pour la classe ouvrière ; et la ressource dont le gouvernement dispose, comme je vais le dire, pour ses services d'utilité générale.
Ainsi, au point de vue de l'industrie privée, la pêche mérite une attention exceptionnelle.
Mais la pêche est non seulement une industrie ; elle est aussi une école, une véritable école d'apprentissage à laquelle le gouvernement ne peut se dispenser de recourir pour certaines branches du service public, notamment le service des bateaux à vapeur, la douane, le pilotage et la marine en général.
Le pilotage surtout demande des marins expérimentés : nul de vous, messieurs, no pourrait contester l'importance de ce service public. La réputation de nos pilotes est connue à l'étranger, et contribue puissamment à donner toute sécurité aux capitaines de navires étrangers qui fréquentent nos parages.
Eh bien, c'est dans la pêche que le gouvernement recrute nos pilotes ; il doit les y chercher pour subvenir à un service de l'Etat, essentiel pour la sécurité et la prospérité de notre commerce ; l'Etat a donc le devoir de contribuer par des subventions à créer et à former de bons marins dont il ne peut se dispenser, et à maintenir à cet effet la ressource de la pêche qu'il ne pourrait remplacer par nulle autre.
La Chambre a voté et vote annuellement, et avec raison, des subsides considérables pour le développement de l'instruction générale, pour le développement des écoles industrielles dans les grandes villes en particulier.
Elle ne pourra se refuser à voter un même subside pour l’école de pilotage et de marine qui se résume pratiquement dans la pêche maritime, que l'industrie privée commence à former, à ses risques et périls, et dont le gouvernement fait ensuite son profit dans l'intérêt de l'Etat.
Et certes, le gouvernement ne pourra jamais mieux utiliser les subsides mis à sa disposition, qu'en trouvant, comme ici, le moyen de les appliquer de manière à servir aussi bien les intérêts de l'Etat que les intérêts d'une industrie qui mérite toute sa sollicitude.
Messieurs, je regretterai d'autant plus l'adoption du principe proposé par la section centrale, et la diminution considérable du subside qu'elle met en avant, que la pêche de Blankenberghe, dans laquelle je m'intéresse spécialement, se trouve à la veille de se modifier considérablement.
Un port de refuge a été décrété pour Blankenberghe. M. le ministre des travaux publics nous a annoncé que les études étaient faites et que probablement encore cette année les travaux seraient entamés : dans cette prévision, l'administration communale, et le commissaire maritime de concert avec des armateurs de Blankenberghe et de Bruges font de louables efforts pour détruire les préjugés qui ont trop longtemps dominé l'esprit de nos pêcheurs et leur faire adopter certains règlements propres à donner une impulsion plus active à leur industrie. Ils ont besoins à cet effet, de tout l'appui de l'administration supérieure et de la bienveillance de la Chambre, qui, je l'espère, ne leur fera pas défaut.
Je puis d'ailleurs, messieurs, constater que de la part qui revient à la pêche de Blankenberghe dans la subvention pétitionnée, rien ne profite aux armateurs. La part attribuée de ce chef à chaque chaloupe sert à stimuler le zèle et le courage des apprentis-pêcheurs, en les initiant à l'exercice de leur profession.
Je voterai donc contre l'amendement proposé par la section centrale.
Puisque j'ai la parole, je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères, si, à l'occasion de l'exposition, qui a eu lieu dans les Pays-Bas, machines et d'engins servant à l'industrie de la pêche, il a reçu des rapports à ce sujet des agents du gouvernement ; et s'il se dispose à y donner quelque publicité ?
Je ne sache pas que jusqu'à présent aucune communication de renseignements ait été faite à la chambre de commerce de Bruges, ou aux autorités locales de nos côtes, très intéressées à les connaître et très disposées à en tirer leur profit.
Je recommande de plus à la sollicitude de M. le ministre, à l'occasion de la négociation du traité de commerce avec l'Angleterre, de s'enquérir s'il n'y aurait pas moyen d'obtenir de cette puissance les avantages dont la pêche flamande jouissait autrefois sur ses côtes, notamment d'y pêcher librement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pour répondre à la demande de l'honorable député de Bruges, je dirai qu'en effet j'ai envoyé à l'exposition hollandaise des agents chargés de constater l'état actuel et les progrès des appareils et instruments destinés à la pêche dans le royaume des Pays-Bas, pays plus avancé que nous dans la pratique de l'industrie de la pêche ; des rapports m'ont été faits ; ils seront publiés.
De plus j'ai chargé ces agents de faire l'acquisition des instruments de pêche les plus perfectionnés afin de les donner comme modèles à nos pêcheurs ; ces instruments et appareils et ne doivent pas tarder à nous arriver.
M. Rodenbach. - Messieurs, la pêche n'est pas dans une position assez prospère pour qu'on puisse maintenant réduire les 5,000 fr. sur la somme demandée par le gouvernement.
On a signalé dans plusieurs requêtes que les pêcheurs de la Panne, près de Furnes, sont forcés, par la misère, d'émigrer en France ou ils ont une prime pour s'engager dans la marine française.
Si la pêche était prospère en Belgique, ces nombreux pêcheurs de la Panne et d'autres localités ne s'expatrieraient pas.
Pour protéger la pêche, nous devrions peut-être faire ce qu'on fait en Angleterre, en France, en Prusse et même en Danemark ; dans ces pays, on a réglementé la pêche, et en Angleterre comme en France cette industrie est infiniment plus prospère que dans notre pays.
Ici, d'année en année le poisson frais, et la morue deviennent plus rares.
Un ancien armateur, M. Bortier et une foule d'autres pétitionnaires ont signalé que sur nos côtes on pêche le frai, dont on nourrit les animaux immondes, M. Bordier signale le fait avec les plus grands détails.
On se sert même du frai comme engrais. On détruit ainsi la pêche dans sa source.
Je soumets cette question à M. le ministre des affaires étrangères ; je suis persuadé qu'il la fera examiner ; elle est réellement d'une grande importance.
On a voté dernièrement plusieurs milliers de francs pour la pisciculture. Eh bien, messieurs, voilà une pisciculture naturelle, toute créée sur nos côtes, et lorsque, d'un côté, on accorde de l'argent, il faudrait bien établir une police en ce qui concerne la pêche. Il y a des lois pour protéger le gibier contre le braconnage, pourquoi donc n'y aurait-il pas une loi pour protéger le frai qui est destiné à devenir la matière première d'une industrie nationale très importante et très productive ? J'ai la conviction que l'honorable ministre des affaires étrangères voudra bien s'occuper de cette question.
- Un membre. - On peut le faire sans dépense.
M. Rodenbach. - L'honorable député d'Ostende et l'honorable M. Vander Donckt, ainsi que d'autres orateurs, ont fait remarquer que d'année en année le poisson diminue ; il faut donc chercher le moyen de protéger efficacement la pêche, et tous les moyens sont bons pourvu qu'ils réussissent,
M. Vermeire. - Messieurs, contrairement aux observations qui (page 1107) ont été faites par les orateurs qui n'ont précédé et qui ont demandé le maintien des primes pour la pêche nationale, je viens demander, au contraire, que les primes disparaissent le plus tôt possible.
Il y a deux jours à peine qu'on disait qu'il fallait affranchir de tous droits les matériaux qui entrent dans la construction des navires, parce que c'était le moyen de permettre à la navigation de soutenir la concurrence avec la navigation étrangère ; aujourd'hui, messieurs, on demande tout autre chose.
Non seulement on veut maintenir des droits d'entrée sur le poisson venant de l'étranger, mais on exige encore le maintien d'une prime en faveur de la pêche nationale.
Je crois que cette prime n'est pas nécessaire, et voici un très simple raisonnement sur lequel j'étaye mon opinion : les chemins de fer ont mis les localités où la pêche se fait, en communication directe avec les grands centres de consommation.
Il en est résulté, messieurs, que depuis une vingtaine d'années le poisson a non seulement doublé mais centuplé de valeur pour certaines catégories. C'est à tel point que là où le poisson arrivait autrefois il ne peut plus arriver aujourd'hui.
Si la pêche nationale était une industrie qui se trouvât dans une mauvaise position, je concevrais qu'on voulût faire quelque chose pour elle ; mais c'est une de ces industries qui ont pris de grands développements depuis plusieurs années et qui aujourd'hui, quand tout est si cher, veulent encore conserver la prime pour rançonner les consommateurs. Ainsi lorsqu'on pouvait autrefois se procurer le poisson qui était un des aliments principaux de nos populations, on ne peut plus se le procurer aujourd'hui qu'à des prix presque ruineux, de telle sorte qu'il est devenu un objet de luxe.
Pour vous convaincre, messieurs, que la pêche nationale est dans une bonne position, vous n'avez qu'à constater le nombre toujours croissant des bateaux que l'on construit ; vous n'avez qu'à voir les compagnies pour la pêche nationale, qui ont été montées par actions, les forts dividendes qu'elles donnent à leurs actionnaires. C'est la meilleure preuve de leur prospérité.
Depuis plusieurs années, nous voulons réformer nos lois économiques, nous voulons surtout supprimer les primes.
C'est encore là une de ces primes qui figurent dans notre budget, et l'une de celles qui pourraient en disparaître le plus facilement.
Quoi ! lorsque les ouvriers des fabriques n'ont pas d'occupation, lorsqu'ils sont dans la misère, lorsqu'ils devraient pouvoir se procurer les aliments au meilleur marché possible, ne faudrait-il pas aussi que le poisson pût être acheté par eux à bon compte ?
Je voudrais, pour mon compte, que l'on supprimât tous les droits sur le poisson étranger, afin que les classes ouvrières pussent se pourvoir encore à bon compte de cette denrée qui entrait autrefois dans leur alimentation habituelle.
Je voterai donc contre l'article, et pour ma part, je regrette infiniment que le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la section centrale. S'il était entré dans cette voie, nous aurions pu voir disparaître la prime dans plusieurs années. Maintenant elle disparaîtra peut être tout d'un coup, et dans tous les cas, elle n'existera pas longtemps.
M. de Smedt. - Un mot d'abord, messieurs, sur le premier objet actuellement en discussion, je veux parler de la réglementation de la pêche. Je me joins aux judicieuses observations présentées sur cette intéressante question par l'honorable M. Rodenbach, et je suis d'avis avec lui qu'il y a quelque chose à faire. Je crois que le gouvernement ferait bien de nommer une commission d'hommes compétents et de savants ayant étudié notre littoral et qui examineraient quelles sont les causes de la décadence de notre pêche.
S'il est vrai que la mer est moins poissonneuse qu'autrefois, Cela tient-il à des causes zoologiques ou zéologiques, ou bien encore à l'absence, comme l'affirment les pétitionnaires, de toute réglementation en ce qui concerne les lieux, les époques et les engins de pêche ? Ces questions méritent bien l'examen.
Mais il ne faut pas aller se renseigner aux pêcheurs ou aux armateurs comme on l'a fait jusqu'ici, c'est-à-dire à ceux qui vivent de l'abus ; ce serait, à mon avis, aller se confesser au diable.
Avant de produire quelques arguments pour la défense des primes d'encouragement accordées à la pêche nationale, je tiens à me laver d'une accusation dont j'ai été l'objet dans cette Chambre et dans la presse.
Lorsqu'il y a quelques semaines je me déclarais l'adversaire de la prime de 30,000 fr. pour les courses de chevaux que quelques membres de cette Chambre auraient voulu rétablir au budget de l'intérieur, je fus accusé d'inconséquence en me portant en même temps défenseur de la prime qui est destinés à favoriser la pêche nationale.
Il me tarde de me laver de ce reproche et il me sera facile, je l'espère, de démontrer à la Chambre que cette inconséquence n'est qu'apparente.
En effet, messieurs, peut-il y avoir une analogie quelconque entre l'encouragement que l'on sollicitait pour les courses et celui qui est accordé à l'industrie de la pêche ?
Evidemment aucune.
Ici il s'agit de favoriser une des choses les plus indispensables à la vie de l'homme : son alimentation ; là tout au contraire, comme je crois l'avoir démontré lors de la discussion des 30,000 fr. pour les courses, le sacrifice que l'on demandait à l’Etat n'était pas seulement improductif, mais destructif de richesse.
Je conçois que pour certaines personnes étrangères à toute notion d'économie politique et, par conséquent, n'établissant aucune distinction essentielle entre la consommation productive et la consommation improductive, je conçois, dis-je, que pour celles-là il y ait une contradiction apparente à refuser l'un subside et à voter l'autre.
Et certes, je ne devais pas m'attendre à un pareil reproche de la part d'un homme aussi intelligent que l'ancien ministre des affaires étrangères.
Ce que je crois, c'est que l'honorable membre a cherché à me compromettre vis-à-vis de certains de mes commettants ; mais le but sera évidemment manqué, car ils savent que toujours dans cette chambre, j'ai pris chaleureusement la défense de tous leurs intérêts, et si jusqu'à ce jour on n'a pas fait droit à toutes leurs justes réclamations, la faute ne peut nullement m'en être attribuée.
Ce qui, messieurs, serait d'une inconséquence flagrante, ce serait de voir les honorables membres de cette Chambre qui ont cru devoir voter en faveur de l'encouragement des courses de chevaux, voter aujourd'hui contre l'encouragement accordé à une des branches les plus utiles et les plus pénibles du travail national.
Je le demande, serait-il juste, serait-il rationnel alors que tant d'autres protections restent debout, de supprimer celle-là qui seule par le but qu'elle atteint et par les circonstances où elle se produit est l'a plus digne de la sollicitude du gouvernement dans le système d'intervention qui a prévalu jusqu'ici dans cette Chambre ?
En effet, messieurs, ne nous faisons pas illusion ; la prime est une espèce de Protée qui prend toutes les formes ; elle existe, quoi qu'on dise dans nos différents budgets pour une somme de 2 à 3 millions de francs.
Qu'est-ce, en effet, que notre vaste réseau de droits de douanes ? Primes pour favoriser les fabricats belges.
Qu'est-ce que la remise des droits à la sortie ? Primes pour favoriser l'exportation de certains produits belges.
Qu'est-ce que les subsides accordés aux ateliers d'apprentissage ? Primes pour l'industrie de la manufacture.
Au budget de l'intérieur seul, n'y a-t-il pas pour une somme de 2 millions de subsides et d'encouragements pour l'agriculture, l'industrie manufacturière, les belles lettres, les sciences, les beaux-arts, etc. ?
La garantie d'un minimum d'intérêt accordée à certaines sociétés de chemins de fer ? Ne sont-ce pas là toutes primes accordées à toutes les branches à peu près du travail national ? Pourquoi voulez-vous en exclure une ?
Voulez-vous renoncer à ce système d'intervention en tout et pour tout ? Soit, j'y souscris volontiers ; mais alors soyez juste et logique et abaissez successivement tous vos subsides. Mais pour Dieu, n'allez pas sacrifier l'industrie qui produit ce qui manque le plus au peuple : la subsistance.
Une remarque, en effet, messieurs, bien digne de votre attention, et qui, je l'espère, aura sur vos esprits une influence décisive, c'est que de tout ce que la nature et l'activité de l'homme produisent, une chose seule ; la plus essentielle, la plus importante de toutes reste presque toujours en deçà des plus strictes nécessités de la vie humaine : l'alimentation publique.
Alors que l'industrie manufacturière, que vous croyez devoir favoriser cependant, produit généralement au-delà des besoins réels du pays, alors qu'à grand-peine on cherche des débouchés à l'étranger, l'industrie des produits alimentaires est impuissante à satisfaire les véritables besoins du peuple belge. De là une hausse croissante des salaires, de là aussi une impossibilité pour certains de nos industriels de lutter sur le marché étranger par suite du prix trop élevé de la main-d'œuvre en Belgique.
Tous dans cette Chambre, ce me semble, nous devrions être d'accord pour reconnaître que de tous les besoins d'un peuple, le plus légitime, le plus impérieux est celui de son alimentation.
Et ce n'est certes pas en tarissant, sous le futile prétexte d'une (page 1108) économie mal placée, une des sources les plus importantes de l'alimentation publique qu'on y parviendra.
Il faut bien, messieurs, quoi qu'on dise, compter un peu aves les faits et voir ce qui se passe. Or j'ai ici sous les yeux un journal de Nieuport qui m'est parvenu hier matin, et j'y lis que, ces jours-ci, 150 à 160 pêcheurs sont encore partis de nos côtes pour s'engager à Dunkerque pour la pêche de la morue.
Or les armateurs de Dunkerque accordent à chacun de ces émigrants une prime de 50 fr. par homme, outre les conditions d'engagement les plus avantageuses.
Puis, après nous avoir enlevé ainsi nos instruments de production, ils nous vendent les produits deux à trois fois plus chers que nous ne les vendons en Belgique.
Ainsi, en France, la morue se vend généralement de 70 à 80 fr. par tonne de 150 kil. En Belgique, de 35 à 40 fr.
L'honorable M. Vermeire vient de nous dire que la meilleure preuve que l'industrie de la pêche n'a pas besoin d'encouragement ; c'est, dit-il, d'abord le nombre toujours croissant de barques équipées pour la pêche et le gros dividende des sociétés qui se sont formées dans ce but. Or l'une et l'autre de ces assertions est fausse. Le nombre des bateaux de pêche, au moins en ce qui concerne Nieuport, diminue plutôt qu'il n'augmente, et quant à la société de pêche, elle faisait de si brillantes affaires qu'elle vient de se dissoudre depuis quelques mois. Et les actionnaires de cette société n'ont jamais touché au-delà de 5 p. c. par an.
L'honorable membre s'est étendu ensuite longuement sur des considérations d'humanité pour obtenir l'abaissement du prix du poisson. Moi aussi et nous tous nous désirons que cet important objet de l'alimentation publique descende au plus bas prix possible ; mais est-ce un moyen d'arriver à ce but que de diminuer la prime ? Je voudrais bien que l'honorable membre m'expliquât comment dans le cas même où l'on supprimerait complètement la prime, le prix du poisson fléchirait.
M. Vermeire. - Et les droits d'entrée pour le poisson étranger !
M. Vermeire. - Il n'est pas question des droits d'entrée, ce n'est pas l'objet en discussion, il s'agit des primes d'encouragement, sans lesquelles nous ne pourrions pas retenir nos pêcheurs qui n'émigrent déjà que trop vers la France surtout, où les conditions d'engagement sont de tout point plus avantageuses qu'en Belgique, grâce surtout à la puissante protection du gouvernement de ce pays qui n'hésite pas à dépenser annuellement quatre millions pour primes et encouragements à cette importante industrie.
Je termine, messieurs, en disant que je ne pourrai pas me rallier à la proposition de la section centrale, qui propose de réduire de 5,000 francs le chiffre du subside accordé pour encouragements à la pêche nationale. Je trouve cette diminution trop forte et de nature à décourager complètement nos pêcheurs et nos armateurs.
Les circonstances actuelles sont pénibles, bien des industries chôment, le manque de travail se fait sentir partout ; n'allons pas, de grâce, messieurs, aggraver encore une situation générale aussi navrante par une lésinerie fâcheuse et, en tout cas, tout à fait intempestive.
M. Vander Donckt. - Messieurs, on semble déduire de mon discours la conséquence, que je suis l'adversaire du libre échange, que je veux soutenir les primes. Eh bien, le contraire résulte de l'analyse que j'ai eu l'honneur de vous faire de la pétition des habitants et des intéressés à la pêche, de Nieuport. Les habitants de cette ville sont partisans du libre échange, et ils le déclarent en toutes lettres dans leur pétition ; ils disent qu'ils ne demandent pas mieux que d'être dans le cas d'une réciprocité réelle avec la France.
L'honorable M. Vermeire nous parle de l'état brillant des sociétés qui se sont formées. Or, l'honorable M. de Smedt vient de vous apprendre que la société qui s’était formée à Nieuport, et qui est dissoute, n'a pas touché 5 p. c. pendant tout le temps de son existence. Voilà à quoi se réduit l'état brillant dont parle l'honorable M. Vermeire !
On vient souvent s'apitoyer ici, et on a raison, sur le sort des classes ouvrières des grandes villes ; mais soyons justes et protégeons également la classe ouvrière, si intéressante et si courageuse, de nos côtes maritimes.
Messieurs, j'ai vu ces populations de près. J'ai habité parmi eux, j'ai eu l'occasion d'admirer leur courage et cette vie toute de dévouement à une industrie pleine de périls et bien autrement dangereuse et chanceuse que le travail dans les mines. Ils sont dignes de toute notre bienveillance et de nos sympathies, et l'honorable membre, ce grand partisan du libre échange, qui demande l'entrée libre du poisson hollandais, devrait bien demander aussi, pour être conséquent avec son système, l'entrée libre de la morue belge en France.
A cette condition nous lui accorderons l'entrée libre du poisson frais hollandais ; nous ne sommes donc pas éloignés de nous entendre. Je dois cependant lui dire en passant que ce qu'il a dit du poisson comme matière alimentaire, en le comparant a la viande, constitue, en bonne physiologie, une hérésie qui prouve qu'il n'a pas bien examiné cette affaire.
De deux choses l'une ; ou vous voulez maintenir la pêche dans le pays, ou vous voulez la faire émigrer complètement en France. Eh bien, c'est le cas. Accordez à la ville de Nieuport son estacade d'ouest, chose qu'elle vous demande avec instance, ainsi que le raccordement du chemin de fer, et du moment qu'elle l'aura obtenue, elle ne vous demandera plus de prime ; accordez-lui le tronçon de chemin de fer qui doit la relier au chemin de fer de Furnes, elle viendra elle-même vous demandez la suppression des primes.
Mais si vous supprimez la prime en ce moment, vous allez la ruiner ; laissez donc au gouvernement le temps d'établir l'estacade d'ouest pour laquelle une allocation est déjà portée au budget ; les travaux vont commencer incessamment ; et c'est en ce moment où ils soutiennent péniblement la concurrence, qu'on propose de diminuer le chiffre de la prime !
Nous ne demandons pas le maintien indéfini des primes ; nous demandons simplement un ajournement de quelques années ; et lorsqu'on aura réalisé les mesures dont je viens de parler, nous serons les premiers à demander la suppression des primes.
M. Sabatier. - Je désirerais d'abord savoir quelle est l'opinion du gouvernement sur la proposition de la section centrale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai déclaré que je ne m'y ralliais pas.
M. Sabatier. - La déclaration que fait ou que renouvelle l'honorable ministre des affaires étrangères m'oblige à dire que je ne comprends pas la position que prend le gouvernement dans cette affaire de prime.
Les idées économiques qu'il professe devaient me faire supposer qu'il se serait rallié à une proposition dont le but est de sanctionner le principe de l'abolition de la protection accordée jusqu'à présent à la pêche.
La section centrale, procédant avec infiniment de réserve et de prudence, se borne à demander cette fois une réduction de fr. 5,000 sur les 92,000 formant l'objet de l'article 36 ; non seulement je voterai cette réduction, mais ma conviction que la prime sur la pêche est plutôt nuisible qu'utile est si grande que si je croyais qu'une proposition de réduire le chiffre du gouvernement de 10,000 fr. avait quelque chance de succès, je n'hésiterais pas à la faire.
Messieurs, à mon sens, s'il avait manqué au gouvernement un argument pour s'opposer à ce que dans cette enceinte on voulût discuter article par article un traité de commerce, les honorables orateurs qui ont pris la parole en faveur de la prime sur la pêche eussent fourni cet argument et il eût été décisif.
En effet, si nous devions voir se renouveler à propos de tous les articles d'un traité de commerce ce qui se pratique à l'endroit de la pêche, je suis porté à croire que la discussion serait à peine terminée en dix ans.
Nous semblons partager tous, ou à peu près, les mêmes idées quant aux bienfaits de l'extension à donner à la liberté commerciale, mais aussitôt que des intérêts locaux sont en jeu, les représentants de ces intérêts élèvent la voix et viennent défendre une cause qui est en contradiction avec leurs principes.
Un jour, il n'y a pas longtemps de cela, l'honorable M. Henri Dumortier s'exprimant dans le sens que je viens d'émettre, disait que dès l'instant où l'on voulait toucher à l'industrie gantoise, de vives réclamations s'élevaient du banc gantois. Aujourd'hui la même chose se passe à l'égard des députés qui croient représenter les intérêts de la pêche nationale et je me permettrai de leur en faire un reproche.
Messieurs, la section centrale qui avait examiné le budget des affaires étrangères de 1861 avait adopté, par six voix contre une, le principe d'une réduction annuelle, mais sans fixer de chiffre. Il s'agissait conséquemment de diminuer d'année en année la prime sur la pêche, de manière à arriver, sans secousse, à la suppression totale de cette prime.
Le gouvernement n'ayant pas cru devoir tenir compte de ce fait, la question a cette fois changé de face et la section centrale du budget de 1862, ne se bornant plus à émettre un vœu, a admis, par 5 voix contre 2, la proposition de réduire 5,000 fr., vous le savez, messieurs, le montant de l'article 36 ; c'est un progrès.
Voyons donc maintenant quelles sont les raisons invoquées par les défenseurs de la prime sur la pêche. Je vais les indiquer d'abord, nous les discuterons ensuite.
L'honorable M. Van Iseghem a exprimé la crainte de voir nos marins se rendre en France, notamment à Dunkerque, où la journée, dit-il, est mieux rétribuée qu'à Nieuport ou Ostende.
(page 1109) On a parlé ensuite de la nécessité de venir en aide à la pêche sous prétexte qu'elle périclite.
Puis sont venues les réclamations, fort justes cette fois, relatives au droit de minque. au prix trop élevé de transport du poisson par chemin de fer et à l'empêchement apporté au colportage du poisson.
En dernier lieu, on a mis en avant le fait de la protection accordée à la pêche en France, et l'honorable M. Van Iseghem a cité le chiffre de 4 millions de francs pour montant de cette protection ou de cette prime, comme on voudra.
L'argument qui consiste à dire que la pêche nationale doit être protégée parce qu'elle périclite ne vaut pas mieux.
Messieurs, il est un principe économique qui veut que les industries les plus protégées sont précisément celles qui font le moins de progrès et qui payent le plus mal les ouvriers.
M. de Naeyer. - Cela est vrai.
M. Sabatier. - Si mes honorables contradicteurs attachent une grande importance à la prime et s'ils croient aider aux progrès de la pêche nationale par son maintien, ils se trompent étrangement. Je trouve que cette prime est insignifiante, mais, enfin, elle devrait, d'après mes honorables adversaires produire, de bons effets : nous allons voir.
Le nombre d'armements pour la pêche de la morue s'est sans doute accru depuis quelques années, mais qu'ont-ils produit ? En 1856, la pêche donnait 3,200,000 kil. pour descendre successivement à 1,850,000 kil. en 1860.
II faut remonter à l'année 1839 pour trouver un résultat aussi déplorable.
M. Van Iseghem. - Il faut tenir compte des éléments.
M. Sabatier. - Oui, mais il est bon de noter aussi que les droits de douane sont de 30 fr. par tonne sur la morue ordinaire et de 50 fr. sur la morue en saumure. La tonne est de 150 kil. seulement. Ce droit constitue donc une protection énorme que tous les consommateurs payent.
Il est à remarquer que MM. Vander Donckt, de Smedt et Van Iseghem ont eu soin de ne pas rappeler cette circonstance.
S'il est vrai que nos marins ou plutôt nos pêcheurs puissent être bien plus largement rétribués à Dunkerque qu'à Ostende, je n'y vois vraiment pas grand mal et je me demande comment, au moyen de la faible prime réclamée par quelques honorables membres dans cette enceinte, on pourrait retenir ces pêcheurs dans le pays.
Veuillez-le remarquer, messieurs, la prime de 92,000 fr. se partage entre les pêcheurs, les armateurs et la caisse de prévoyance à Ostende et Nieuport ; 2/3 reviennent aux pêcheurs, 1/3 aux armateurs. A Blankenberghe et Heyst, la prime est divisée par tiers également entre les pêcheurs, les armateurs et la caisse de secours. Que résulte-t-iilde cela ? C'est que les pêcheurs touchent environ moitié des 92,000 fr. réclamés, soit 40,000 fr.
Or, la statistique montre que si en 1856, par exemple, le nombre de pêcheurs n'était que de 1,293, il s'est élevé en 1860 à 1,528, ce qui donne pour chaque pêcheur 52 francs à peine, c'est-à-dire moins de 10 centimes par jour.
J'imagine, après cela, que ce n'est pas sérieusement que l'on prétend retenir les marins, puisque l'on nous dit qu'en France, la journée rapporte 1 fr. ou fr. 1-50 de plus que sur nos côtes.
La grande pêche du hareng avait en 1836 5 bateaux. En 1848 elle en avait 7, et à partir de 1857 ce nombre est descendu à zéro. Voilà le progrès.
- Un membre. - Malgré la prime.
M. de Naeyer. - A cause de la prime.
M. Sabatier. - J'arrive à la petite pêche du hareng et je trouve qu'en somme elle ne donne guère plus de 35,000 francs par année pour 15 ou 16 armements.
Les plaintes que font les défenseurs de la prime au sujet des prix de transport, du droit de minque et des entraves apportés au colportage sont beaucoup plus sérieuses, je dirai qu'elles sont légitimes, et si j'avais l'honneur d'être représentant d'Ostende ou de Nieuport je voudrais être le premier à proposer une réduction sur la prime pour avoir le droit de réclamer énergiquement contre tout ce qui met un empêchement à la vente et au transport du poisson.
Il est évident qu'aux réclamations des pêcheurs on peut répondre, et on répond sans doute : Vous avez une prime, vous n'en voulez rien rabattre, vous n'avez donc pas le droit de vous plaindre.
La protection accordée en France aux pêcheurs de morue a produit de trop déplorables résultats pour qu'on puisse l'invoquer. Elle était, en effet, assez forte pour permettre à ces pêcheurs de toucher dans les possessions françaises une prime sur de la morue invendable que l'on devait jeter ensuite à la mer.
Un fait qui a quelque analogie avec celui-là a été cité lors de la discussion, dans cette enceinte, de la loi sur les sucres. Il s'agissait de mélasses qui touchaient une prime. On les exportait, mais pour les jeter aussi à la mer.
Enfin, on a comparé la prime accordée à la pêche à l'aide qu'offre le gouvernement aux ateliers d'apprentissage, par exemple. Jusqu'à présent je ne vois aucune analogie entre ces deux faits, mais on pourrait l'établir si l'on avait donné suite aux idées émises l'an dernier par l'honorable M. de Vrière, alors ministre des affaires étrangères. Il se proposait de modifier le libellé de l'article 36, en ce sens qu'il reconnaissait que certains encouragements pouvaient être favorables à la pêche sans s'en tenir exclusivement à la prime jusqu'alors accordée.
L'honorable ministre se demandait pourquoi la morue de notre pêche se vendait l'hiver et jusqu'au printemps moitié moins cher que la morue hollandaise. Nous ne préparons pas comme les Français, ajoutait-il, la sardine, quoique ce poisson ou son équivalent l'anchois abonde sur nos côtes. Le saurage, le soufrage et la salaison de certains poissons qui entrent dans l'alimentation publique ne sont pas en usage chez nous. Le procédé Appert, au moyen duquel la France exporte pour plusieurs millions de poisson conservé, est totalement ignoré dans notre pays.
L'honorable M. de Vrière concluait en exprimant l'intention d'appliquer les observations qui précèdent et de modifier l'article 36, en y ajoutant « et autres encouragements pour la pêche. »
Si l'honorable M. Rogier entrait dans ces idées, il ferait bien, selon moi. Toutefois, cela ne changerait rien à la mesure proposée par la section centrale, et je ne puis que répéter que je voudrais que la réduction sur la prime accordée, soit à la pêche seulement, soit aux encouragements nouveaux, s'élève à 10,000 fr.
Je n'en fais cependant pas la proposition, parce que je ne suis pas assez sûr du succès.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le reproche a été adressé au gouvernement de ne pas se rallier à la proposition de la section centrale : on trouve le gouvernement inconséquent, en quelque sorte, avec les principes qu'il professe et qui consistent à faire disparaître successivement de notre législation économique tout ce qui ressemble à une prime, à une protection quelconque.
Messieurs, je pense que les partisans de la liberté commerciale, comme les partisans de la liberté politique, ne doivent pas se monter trop absolus ; et qu'ils doivent, dans certaines circonstances, admettre certaines exceptions.
Or je soutiens que les principes de liberté commerciale qui font heureusement tant de progrès dans tous les esprits en Belgique et ailleurs, n'auraient absolument rien à craindre du maintien, au budget des affaires étrangères, d'une prime en faveur d'une industrie toute spéciale comme la pêche.
Depuis 1837, ce qu'on appelle la prime à la pêche nationale a été introduit au budget. L'honorable représentant de Charleroi soutient que cette prime a été la cause de la décadence de la pêche ; et, tout en soutenant cette thèse, il constate cependant que le nombre de nos chaloupes s'est successivement accru.
Je ne veux pas dire que ce nombre ne se serait pas accru, si la prime n'avait pas existé ; mais il n'est pas juste non plus de dire que la prime a contribué à la décadence de la pêche.
Voici les résultats comparés, depuis 1837 jusqu'en 1860 :
En 1837, le nombre des chaloupes destinées à la pêche était de 175 ; en 1860 ce nombre s'élevait à 248. Le tonnage en 1837 était de 4,611 tonneaux ; en 1860 il s'est élevé à 7,611 tonneaux. Ce n'est évidemment pas là un signe de décadence.
Enfin, j'appelle l'attention de la Chambre sur ce troisième chiffre : le nombre de nos marins-pêcheurs était de 1,007 en 1837 ; il est aujourd'hui de 1,528.
Eh bien, m'arrêtant un moment à ce chiffre, je dis qu'il n'est pas indifférent pour l'avenir commercial de la Belgique de compter 1,500 individus s'occupant de la pêche ou de n'en posséder que 1,000.
La pêche est la pépinière de la marine marchande ; on peut dire qu'elle est l'école primaire de la marine. Quant à moi, je constate avec regret l'état de notre marine marchande ; je constate aussi avec regret l'état de notre marine militaire, et tout à l'heure j'aurai une proposition à faire à cet égard.
M. Goblet. - C'est un enterrement.
(page 1110) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais je ne saurais me résoudre à condamner à perpétuité la Belgique à ne pas être une nation maritime. Je crois qu'il y a dans l'avenir de la Belgique de grands progrès à faire au point de vue maritime. Nous avons un fleuve magnifique, des côtes d'une grande étendue ; eh bien, la nature ne nous a pas doués de ces dons pour que la Belgique n'en tire point parti et pour qu'elle s'abstienne d'être une nation maritime. Donc, tout ce qui pourra contribuer à faire progresser la Belgique dans cette voie, je le soutiendrai ; tout ce qui pourra contrarier ce mouvement, je le combattrai.
A ce point de vue, je dis que l'insertion au budget d'une allocation quelconque pour la marine belge et notamment aux pêcheurs belges, doit être maintenue.
M. H. Dumortier. - C'est un cercle vicieux ; il faudrait d'abord justifier le point de départ.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il faudrait d'abord prouver, dit-on, que la Belgique peut devenir une nation maritime. Mais, messieurs, n'ai-je point constaté tout à l'heure que le nombre de nos marins pêcheurs, qui n'était que de 1,000 en 1837, est aujourd'hui de 1,528 et cela n'indique-t-il pas un progrès dans la voie où je voudrais voir la Belgique entrer plus résolument.
J'ai dit que la pêche est l'école de la marine marchande. Je puis aussi soutenir qu'il y a de l'analogie entre les subsides accordés à cette institution et ceux que l'on accorde aux ateliers d'apprentissage. Qu'avons-nous fait pour les ateliers d'apprentissage ? Nous avons commencé par établir des primes assez considérables pour les encourager, et successivement ces primes ont été réduites.
Je ne suis pas éloigné d'adopter un pareil système en ce qui concerne la pêche.
Mais, messieurs, il faut y mettre de grands ménagements, surtout dans les circonstances où nous sommes.
La classe ouvrière dans plusieurs de nos villes est dans un état de souffrance qu'on ne peut contester. Les populations de nos villes manufacturières, il faut leur rendre cet hommage, se montrent calmes et résignées ; faut-il, dans de telles circonstances, créer une nouvelle cause de découragement pour d'autres catégories de travailleurs. Je ne connais pas de classe ouvrière plus intéressante que celle de nos pêcheurs ; il n'en est pas qui doive montrer plus de résolution et plus de courage, qui soit exposé à plus de fatigues, à plus de souffrances, à plus de dangers.
Eh bien, je ne voudrais pas soumettre, dans le moment actuel surtout, cette classe si digne d'intérêt à l'expérience radicale dont on nous menaçait tout à l'heure. (Interruption). Je dis radicale, M. Muller, puisqu'on parlait tout à l'heure de supprimer tout d'un coup l'allocation.
M. Muller. - Il n'y a pas de proposition.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je le sais, et c'est pour cela que j'ai dit qu'on nous menaçait d'une suppression.
Messieurs, je reconnais aussi qu'il y a autre chose à faire pour la pêche que de fournir des primes à partager ou à ne pas partager la prime, entre les armateurs et les pêcheurs.
Il y a d'autres moyens encore et des moyens plus efficaces à employer en faveur de la pêche ; et, à ce point de vue, je me rallierais volontiers à l'amendement qui a été indiqué par l'honorable représentant de Charleroi.
Ce mot « prime » fait un mauvais effet, je le reconnais, dans nos budgets ; eh bien, remplaçons le mot « encouragement ». (Interruption.)
J'adopte la proposition d'un représentant qui s'est posé ici, nous avons pris acte de ses déclarations, comme libre-échangiste complet : Il appelle lui, représentant d'un district essentiellement industriel, la concurrence de tous les produits étrangers. C'est très bien pour le représentant d'un district houiller et métallurgique.
J'adhère à sa proposition, d’autres qui se disent plus avancés prétendent que l'encouragement est synonyme de prime, quant à moi j'y vois autre chose. (Interruption.)
Cette question ne vaut pas de vifs débats, personne ne veut maintenir au budget des primes inutiles, mais chacun comprend la nécessité d'agir avec ménagement en pareille matière. C'est contre les systèmes absolus que je me prononce.
Si donc il reste bien entendu que la Chambre n'entend procéder qu'avec de grands ménagements, n'entend pas passer brusquement d'un système à l'autre, elle devra se rallier à un amendement qui indiquera cette pensée.
Mais que la réduction soit diminuée à des proportions telles qu'elles ne soient qu'une indication donnée, qu'elle ne puisse pas devenir par son élévation un obstacle ou empêchement à une industrie qui a l'habitude depuis longues années de profiter de la totalité de la prime.
M. le président. - M. Tack vient de déposer un amendement par lequel il propose de fixer le chiffre de l'article 36 à 90,050 fr. Cette proposition implique une réduction de 2,000 fr.
M. Tack. - Tout le monde semble d'accord qu'il y a lieu d'opérer une réduction quelconque sur la prime accordée pour la pêche nationale ; l'honorable M. Van Iseghem lui-même, a déclaré qu'il ne repousserait pas une diminution modérée du chiffre qui figure sous l'article 36.
Mais ces honorables membres qui représentent plus spécialement dans cette enceinte l'industrie de la pêche nationale, s'effrayent du chiffre de 5,000 francs ; ils craignent les secousses trop brusques, et l'émigration de nos marins en France, ce qui serait une chose très fâcheuse. Diminuons donc le chiffre de 5,000 francs proposé par la section centrale, et fixons-le à 2,000 francs ; les honorables représentants des arrondissements d'Ostende, de Furnes et de Bruges, n'auront plus à se plaindre. D'autre part, les partisans de la suppression de la prime obtiendront satisfaction, en ce sens, que le principe qu'ils veulent faire adopter aura été consacré par la Chambre ; ils en seront plus forts l'année prochaine, ils pourront ultérieurement poursuivre la réalisation du but qu'ils désirent atteindre.
Je présume, d'après les déclarations que l'honorable ministre des affaires étrangères vient de faire tantôt, qu'il se ralliera à mon amendement. Cet amendement concorde avec ses vues qui consistent dans la suppression successive, mais lente et graduelle, de la prime.
La réduction de 2,000 fr. ne découragera point les entrepreneurs de la pêche et elle sera pour eux en même temps un avertissement pour l'avenir.
M. le ministre s'est rallié à l'amendement que j'ai proposé ; je crois qu'il doit concilier toutes les opinions.
- L'amendement est appuyé et fait partie de la discussion.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je propose de dire dans le libellé : « encouragement, » au lieu de « primes. »
M. Vermeire. - Messieurs, je n'abuserai pas de vos moments ; je n'ai qu'une seule observation à faire. Je crois que l'amendement proposé par la section centrale mérite d'être accepté par la Chambre. Déjà un honorable membre de la section centrale vous a démontré que la prime accordée aujourd'hui ne constitue que 10 centimes par journée de marin. Ainsi une réduction de 5,000 fr. ne peut en aucune manière rendre sa position plus mauvaise,
La question a été examinée au point de vue des armateurs et des pêcheurs. Dans les premières observations que j'ai présentées, j'ai parlé au point de vue des consommateurs ; je demande, aujourd'hui que la viande est si chère et que les denrées alimentaires ont acquis une valeur exorbitante, qu'on fasse quelque chose pour faciliter l'entrée de celles qui sont encore frappées de droits.
Je voudrais voir proposer la libre entrée du poisson étranger. Do cette manière une grande partie des populations des Flandres, qui sont en communication avec la Hollande, pourraient se procurer encore cet aliment qui, comme je l'ai démontré, est devenu, pour eux, un objet de luxe.
J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement.
Je n'abuserai pas plus longtemps de l'attention de l'assemblée.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Je désire répondre deux mots à l'honorable M. Vermeire et à l'honorable M. Sabatier. Le premier, en parlant de la consommation, a dit que le poisson se vendait à un prix très élevé, et qu'on rançonnait les consommateurs.
Le poisson frais se vend à Ostende et à Blankenberghe 20 centimes le kilogramme, et le poisson salé, la morue, à Ostende et à Nieuport, à 30 centimes le kilogramme ; ce n'est certes pas là un prix très élevé. S'il coûte plus cher à l'intérieur du pays, ce n'est la faute, ni de nos pêcheurs, ni de nos armateurs ; cela tient aux causes que l'honorable M. Sabatier vient d'énumérer.
L'honorable membre a dit aussi que la pêche périclite, produit beaucoup moins que les autres années. Cela tient positivement à ce que, depuis trois ou quatre ans, il fait très mauvais temps en mer ; que les bateaux, bien que le nombre ait augmenté et qu'ils restent le même temps sur les lieux de la pêche, sont revenus avec des pêches médiocres ; au lieu de 100 tonnes, comme d'habitude, beaucoup n'ont rapporté que 20 ou 30 tonnes. Ce n'est pas aux pêcheurs, mais au mauvais temps seul qu'il faut attribuer cet état de choses. On trouvera peu de pêcheurs aussi actifs que les nôtres.
L'honorable membre a parlé de la grande pêche du hareng ; j'ai déjà, dit que nous n'en avons plus, depuis que les Anglais nous ont chassés de leurs côtes.
(page 1111) C’est la seule cause de la décadence de ce genre de pêche ; pour favoriser les Ecossais, le gouvernement britannique prend des mesures efficaces, il interdit à tout étranger de pêcher le long de la côte.
En ce qui concerne l'observation de l'honorable M. Vermeire que les armements donnent de beaux dividendes, l'honorable membre a été induit en erreur, c’est le contraire qui arrive, peu d'intérêt et en outre diminution annuelle du capital, je puis lui prouver cela par des comptes.
Il n'existe aucune société de pêche à Ostende.
Quant à la morue qui aurait été jetée à la mer, je ne sais ce que l'honorable député de Charleroi veut dire. Jamais cela ne s'est fait. Les primes se divisent en deux parts en France ; il y a la prime d'importation de la morue et une prime supplémentaire pour l'exportation de la morue séchée.
Or, quand la morue reste dans le pays, elle reçoit déjà la prime principale, et pour la recevoir on n'a pas besoin de jeter le poisson par-dessus le bord ; quant à celle qu'on exporte pour la Méditerranée ou les colonies françaises, elle vaut trop d'argent dans ces pays, pour qu'on la jette dans la mer, opération donc impossible.
- La clôture est demandée.
M. Devaux. - Je demande la parole contre la clôture. Je désire que la discussion puisse continuer encore, d'autant plus qu'il n'y aura rien à l'ordre du jour après le budget.
Mais j'ai une raison principale c'est que j'ai un amendement à proposer et l'on voudra bien me faire la grâce de le laisser déposer.
M. B. Dumortier. - Messieurs, il serait imprudent de clore une pareille discussion d'une manière aussi brusque. Il s'agit ici d'un intérêt énorme et cela à plusieurs points de vue, et l'on ne peut sacrifier un intérêt quelconque ou même le menacer sans entendre ceux qui veulent prendre sa défense.
Quant à moi, je demande la parole pour prendre la défense de la pêche nationale comme un des plus grands intérêts du pays. J'ai défendu cet intérêt depuis trente ans, et j'espère qu'on me permettra encore de le défendre.
- La demande de clôture n'est pas adoptée.
M. B. Dumortier. - Je crois, messieurs, que la question qui s'agite dans ce moment, est digne de toute la sollicitude de l'assemblée et que ce serait une grande imprudence que d'y toucher légèrement.
En effet, qu'est-ce que la pêche dans un pays ? La pêche, on l'a dit depuis longtemps, c'est l'agriculture de la mer. (Interruption.)
Le mot n'est pas de moi, il est d'un homme certainement qui ne vous aurait pas fait rire, il est de Mirabeau. Maintenant riez, si vous le voulez.
La pêche donc, disait Mirabeau, est l'agriculture de la mer ; c'est une source immense de richesse pour le pays qui doit l'exploiter, et le pays qui a sous la main le moyen de tirer parti de cette agriculture et qui la néglige, manque à son devoir. Car le devoir de toute nation est l'augmentation de la richesse nationale.
Non seulement la pêche est l'agriculture de la mer ; c'est encore la pépinière des vaisseaux. Il est impossible qu'un peuple, quel qu'il soit, songe à avoir une marine marchande. Si vous n'avez pas avant tout une pêche nationale, si vous n'avez pas une pêche pour former des marins, vous ne pourrez jamais songer à avoir des navires, et quand vous n'aurez pas de navires, vous n'aurez pas de navigation nationale.
Messieurs, dans cette question, vous le voyez, tout s'enchaîne. Il s'agit, d'une part, de créer pour le pays une source de revenu qui n'existerait pas sans cela.
II s'agit, d'autre part, de créer l'instrument indispensable de la formation d'une marine nationale.
D'un autre côté, la marine nationale est aussi une des plus grandes sources de richesse pour un pays. Jusqu'aujourd'hui, nous avons laissé faire la navigation par d'autres ; nous ne savons pas profiter d'un des plus grands bénéfices pour un peuple maritime, et certes il est déplorable de voir que le prix de tous les transports sur mer soit aujourd'hui acquis à la Hollande, à l'Angleterre et que la Belgique n'en prenne pas une part considérable.
D'où cela provient-il ? Cela provient de deux choses et avant tout d'une chose, de ce que nous avons commis la faute énorme de supprimer les droits différentiels qui auraient nécessairement eu pour résultat de nous créer une marine nationale.
Messieurs, la France a adopté le double système d'accorder des primes à sa pêche, d'accorder des primes à la création des navires, et jamais, dans aucune circonstance, elle n'a consenti à sacrifier ses droits différentiels, bien persuadée que c'est l'unique moyen qu'elle ait de lutter contre les nations maritimes, contre l'Angleterre, contre les Etats-Unis, contre la Hollande et d'entretenir une marine nationale dont en définitive tous les bénéfices reviennent au pays.
Maintenant, messieurs, y a-t-il lieu de s'effrayer de ce qu'au budget ou inscrit le mot « prime » ? Nous sommes des gens trop sérieux pour nous effrayer d'un mot. Vous combattez les primes et vous repoussez avec une espèce d'enthousiasme tout ce qui est encouragement de l'industrie au budget.
Mais, messieurs, tout est encouragement, tout est prime au budget. Vous avez des primes pour le maintien de l'ordre en Belgique ; vous avez des primes pour empêcher les crimes en Belgique ; les universités qui sont payées sont des primes ; tous les établissements d'instruction sont des primes.
Tout, je le répète, est prime dans un pays. Ne vous effrayez donc pas de ce mot. Un pays doit protéger tout ce qui est grand, tout ce qui est utile, tout ce qui doit contribuer à augmenter la richesse nationale et le développement de l'intelligence.
Ainsi ce mot ne doit en aucune manière effrayer le pays, La question est de savoir si ces primes sont, oui ou non, utiles.
Si elles sont utiles, pourquoi ne pas les maintenir ? Si elles sont inutiles, vous les supprimerez, mais pas parce qu'elles s'appellent primes, mais parce qu'elles sont inutiles.
Tous les droits quelconques, même les droits que l'on appelle fiscaux sont de véritables primes que vous accordez à l'industrie du pays contre l'industrie de l'étranger.
Toutes les mesures qui sont protectionnistes en quoi que ce soit, sont autant de primes payées par le budget, par la généralité en faveur de telle ou telle classe d'individus.
Maintenant y a-t-il lieu de supprimer les primes pour la pêche ? Messieurs, veuillez le remarquer, et M. le ministre de l'intérieur vient de le dire, ces primes ont amené un résultat considérable. Le nombre des navires est augmenté d'un tiers ; le nombre des pêcheurs est doublé. N'est-ce rien que d'avoir atteint un pareil résultat ? Et si par l'effet de la suppression de cet encouragement si peu considérable qui se trouve au budget, votre pêche nationale venait à être anéantie, la Belgique en serait-elle bien plus heureuse ?
Vous aurez fait prévaloir ce que vous avez qualifié glorieusement du nom de principe et ce qui n'est qu'une opinion à vous. Vous aurez fait prévaloir un principe et vous aurez perdu vos colonies. Dites alors si vous le voulez : Périssent les colonies plutôt qu'un principe.
Eh bien, moi je suis pour conserver avant tout les colonies, et comme ici la pêche a besoin d'encouragements ou de primes, je dis que ce serait une grande faute que de supprimer ces primes.
Je voterai cependant l'amendement de l'honorable M, Tack parce qu'en définitive la Chambre veut faire quelque chose ; mais j'adjure la Chambre de ne plus s'effrayer du mot « primes » lorsqu'il s'agit, en définitive de servir un grand intérêt national. Vous devez savoir si vous voulez une navigation ; eh bien, une navigation ne s'improvise pas, une navigation ne se crée pas sans encouragement de la part du gouvernement. Dans tous les pays, en Angleterre, en Hollande, en France, partout il y a toujours eu, aux époques de création, des encouragements pour la marine nationale.
Je crois que la marine nationale est un intérêt trop considérable pour qu'on ne vienne pas ainsi supprimer le seul encouragement qu'elle puisse avoir, encouragement sans lequel elle devrait nécessairement périr. J'adjure donc la Chambre de prendre en considération l'immense intérêt qui est en jeu, intérêt que vous ne pourriez plus rétablir une fois que vous l'auriez détruit.
N'oubliez pas, messieurs, que la France donne 4 millions pour la pêche nationale.
M. Coomans. - Messieurs, c'est un étrange spectacle que celui d'un ministère partisan de la liberté du commerce et qui en même temps préconise et défend les primes sous leur forme la plus surannée, la plus grossière et la plus inefficace ; ce qui est plus étrange encore, c'est l'argumentation du gouvernement. La Belgique, nous dit-il, a un beau fleuve, de belles côtes ; elle a de grandes destinées commerciales à accomplir, et jamais je ne consentirai à ce qu'on entrave et compromette ces destinées ; je les défendrai, je les soutiendrai, et vous devez m'y aider, etc.
Et tout cela, messieurs, dépend de 3,000 francs ! Car l'honorable ministre n'est séparé de ses adversaires que par 3,000 fr.
Ainsi voilà tous ces grands mots, car il n'y a pas autre chose là-dessous, voilà tous ces grands mots prononcés en pure perte, voilà de bien grands efforts pour maintenir 3,000 fr. en plus dans les caisses de deux ou trois petites localités. (Interruption.)
S'il n'en était pas ainsi, M. le ministre n'aurait rien à dire, il n'avait (page 1112) qu'à déclarer immédiatement qu'il se ralliait aux conclusions très modérées de la section centrale, et le débat ne se serait point produit.
C'est donc pour ces 3,000 fr. que vous avez prononcé votre discours et provoqué le mien. Cela n'en valait pas la peine.
Soyons francs, messieurs, la question qui nous sépare est beaucoup plus large ; si nous étions raisonnables, si nous étions justes, nous dirions : Le poisson est un aliment de première nécessité, il l'est surtout chez un peuple comme le nôtre où la grande majorité croit devoir en faire une consommation spéciale, obligée... (interruption.)
Ceci est un argument politique, économique aussi bien que religieux.
- Des membres. - C'est vrai.
M. Coomans. - Or, nous avons aboli tous les droits d'entrée sur la viande, sur le blé et sur d'autres denrées alimentaires, nous devons les abolir pour le poisson, d'autant plus que le poisson est une denrée saine, équivalente à la viande. (interruption.)
Oui à poids égal, je ne dis pas à volume égal, le poisson renferme autant de matière nutritive que la viande. (Interruption.) Cela a été démontré par des chimistes et des médecins auxquels je m'en rapporte. (Interruption.) Je vous renvoie à différentes brochures qui m'ont été recommandées par des membres de cette assemblée.
Eh bien donc, messieurs, nous devrions dire : Puisque nous acceptons le bétail hollandais et avec reconnaissance, acceptons le poisson hollandais. Mais nous n'osons pas être justes et, hélas ! nous ne savons pas toujours être raisonnables.
Je m'attriste quand je vois des hommes instruits, honorables, bien intentionnés, signaler une sorte de danger public dans l'abaissement du prix du poisson. Le grand malheur, vraiment, si nous recevions à moitié prix le poisson qui nous est nécessaire ! Pour être logiques, mes contradicteurs ne devraient-ils pas désirer aussi l'augmentation de la valeur vénale de la viande de boucherie et du pain ? Que diraient-ils de nous si nous nous opposions à l'entrée de la viande et du blé et si notre opposition était basée sur la crainte d'en voir diminuer les prix ? Il n'y a pourtant aucune différence entre les poissons communs et les viandes de boucherie.
Voilà, messieurs, la question dans toute sa vérité, dans toute sa grandeur et, au fond, c'est là-dessus que nous discutons, je le dis pour l'honneur de la Chambre.
Messieurs, un gouvernement réellement libéral, non seulement en théorie, mais en pratique, devrait abolir tout droit d'entrée sur le poisson étranger et s'applaudir de l'importation croissante qu'il provoquerait. (Interruption.)
Tant mieux si le poisson hollandais est moins cher que le poisson belge. Tant mieux, non seulement pour la Belgique, mais pour l'humanité, pour la science, pour la grande solidarité humaine qui est le but idéal des gens de bien et le grand bienfait de l'avenir.
Tant mieux si la viande hollandaise est à meilleur marché que la viande belge.
Messieurs, nous représentons la Nation et, en vérité, on dirait que très souvent c'est le moindre de nos soucis de défendre les intérêts de la Nation, qui se compose de consommateurs.
Après cela, messieurs, le gouvernement devrait, pour se montrer libéral, diminuer grandement le droit de péage sur le chemin de fer pour le poisson. Il devrait abolir ou, au moins, régler sévèrement l'exploitation financière des minques et permettre le colportage.
C'est encore un attentat à la liberté du commerce que de défendre à nos armateurs et à nos pêcheurs de vendre là où ils veulent et comme ils veulent les produits de leur pénible industrie.
Voyez, messieurs, quelle logique : à Bruxelles, le colportage est interdit et de l'autre côté des boulevards il ne l'est pas ; on colporte le poisson dans les faubourgs, et en ville, on ne peut pas le montrer dans les rues.
Voilà, messieurs, ce qu'il faudrait faire en faveur de la pêche nationale. Ce qu'il faudrait surtout, c'est de donner une bonne leçon aux pêcheurs et de leur dire : Si vous chômez, profitez de vos loisirs pour aller en Hollande apprendre comment on pêche. (Interruption.) Tant pis, M. Van Iseghem, si vous ne connaissez pas les filets hollandais ! Vous devriez apprendre à vos administrés le chemin du progrès. (Interruption.)
Les mauvais filets ce sont ceux du budget. Je l'ai dit, et c'est une vérité, on pêche la prime et je veux, moi, que l'on pêche du poisson.
Le gouvernement ne s'est pas contenté de faire miroiter à nos yeux les grandes destinées commerciales de la Belgique en vous montrant les grandes ressources de l'Escaut et de nos côtes ; il a soutenu aussi qu'il y allait du salut de notre marine, au moins de notre marine marchande ; on n'ose plus, c'est un progrès, invoquer l'intérêt de la marine militaire, on fait bien.
Il y va donc des intérêts de la marine marchande et l'honorable ministre vous prouve que le nombre des pêcheurs s'est considérablement accru depuis plusieurs années ; pourquoi n'a-t-il pas ajouté immédiatement, en regard, les chiffres concernant notre marine marchande et dont il résulte que la marine marchande a diminué de moitié.
Ainsi, il est bien clair que l'argumentation de l'honorable ministre ne vaut rien. En effet, l'encouragement de notre marine de pêche coïncide avec la diminution de notre marine marchande.
La vérité est que ces questions ne sont pas connexes.
M. le ministre, appuyé par un de nos honorables amis, a répété pour la cinquième ou sixième fois un argument qui traîne sur nos bancs depuis des années.
C'est l'exemple de la France, qui donne des primes de trois à quatre millions à sa pêche. Donc, disent-ils, accordons des primes en Belgique. Ce « donc » est sujet à caution.
La France fait beaucoup de choses que nous ne devons pas imiter, je pense. Je doute que M. le ministre me contredise en ce point. Cependant je reconnais que la France peut avoir, non pas au point de vue maritime, mais au point de vue militaire et politique, de bonnes raisons pour accorder des primes à ses pêcheurs et se créer des marins.
La France, comme l'Angleterre, est une grande puissance militaire ; comme puissance maritime, elle a besoin de bons matelots ; et sa marine militaire coûtant énormément cher, il semble assez logique de sa part de consacrer 3 à 4 millions à la conservation de sa marine côtière et de pêche, dans laquelle elle recrute des matelots pour sa marine militaire.
Ah ! si le gouvernement venait nous dire, comme il se l'est permis plus d'une fois en 15 ans, qu'il s'agit pour nous d'alimenter notre marine militaire, je le comprendrais. Et, en effet, c'était là le gros argument qu'on nous a opposé pendant de longues années : « Le sort de la marine militaire ! » Que faire de nos beaux navires sans matelots ?
L'argument était embarrassant ; j'espère que nous allons l'écarter à tout jamais. Aujourd'hui donc la question a changé ; il ne s'agit plus de notre marine militaire ; nous serons, je pense, à peu près tous d'accord pour la supprimer.
Je dois protester contre la singulière concession que nous fait le gouvernement. « Le mot « primes », dit-il, a quelque chose de déplaisant..... de déplaisant, oui, pour le ministère ; eh bien, ajoute-t-il, nous le remplacerons par un autre mot, par le mot « encouragements » ; nous consentons à ce changement. »
Mais, MM. les ministres, pour qui nous prenez-vous ? Que me font les mots ? C’est aux choses que je m'attache.
Quand même vous entoureriez vos primes de phrases trompeuses, de toutes les fleurs de rhétorique, elles ne me paraîtraient pas moins mauvaises, et je les repousserais encore.
Je dis qu'il n'est pas digne d'un ministre parlant à une Chambre consciencieuse de proposer un amendement de cette nature.
C'est de l'hypocrisie budgétaire.
En voilà assez.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je ne veux pas faire une longue réponse à l'honorable préopinant. Il s'est attribué la mission de faire rire la Chambre.
M. Coomans. - Ce n'est pas mon but ; je ne ris ni ne plaisante jamais.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je tiens l'honorable membre pour très sérieux ; mais il a l'avantage de faire rire la Chambre.
M. Coomans. - Les arguments ennuyeux ne sont pas toujours les meilleurs.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je consens volontiers à ce que l'honorable M. Coomans fasse rire la Chambre, et je rirai avec mes collègues.
M. Coomans. - Cela m'est égal.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais je prie l'honorable M. Coomans de ne pas faire rire au moyen d'inexactitudes ; je veux rester poli.
L'honorable M. Coomans prétend que pour me donner le plaisir de faire un discours j'ai consenti à un amendement qui réduisait le crédit seulement de 2,000 francs, au lieu de 5,000 francs, comme le propose la section centrale ; et j'aurais soutenu l'amendement, pour avoir l'avantage de faire des fleurs de rhétorique et d'annoncer à la Belgique de hautes destinées maritimes.
Si l'honorable membre avait bien voulu se rendre compte de mon discours avec loyauté il aurait compris la signification de cet amendement auquel j'adhérais ; il aurait rendu hommage à la bonne volonté que le gouvernement montre dans cette circonstance.
(page 1113 J'ai dit qu'en adoptant l'amendement de 2,000 fr., nous n'apportons pas do brusques changements à un état de choses établi depuis 25 ans ; que l'amendement de 2,000 fr. était le commencement de la diminution d'une prime dont chacun veut voir arriver la suppression dans un temps plus ou moins éloigné ; que cet amendement était un avertissement donné à ceux qui jouissaient de cet encouragement.
L'on nous accuse d'avoir introduit ce qu'on a appelé une hypocrisie budgétaire.
Que l’honorable membre le sache bien : je suis ennemi de toutes les hypocrisies, de l'hypocrisie budgétaire, comme de l'hypocrisie politique et de l'hypocrisie économique.
Si j'ai prononcé les mots « encouragements spéciaux », je n'en suis pas l'inventeur ; c'est l'honorable M. Sabatier qui a indiqué la formule, qui l'a développée, en déclarant qu'il y avait autre chose à faire que de distribuer des primes, qu'il y avait des encouragements plus efficaces à donner.
J'ai partagé les vues de l'honorable membre, et je me suis rallié à la proposition, qui consiste à élargir l'expression « prime », et à y substituer le mot « encouragement ». Voilà toute l'hypocrisie.
Messieurs, l'honorable M. Coomans fait aujourd'hui une profession de foi extrêmement libérale en matière de commerce : c'est un grand progrès : les idées de l'honorable membre, à une autre époque, étaient toutes différentes. Je constate ce progrès avec plaisir ; je ne désespère pas de voir un jour ce progrès qui se manifeste dans les opinions de l'honorable membre, passer du commerce à d'autres matières.
Quoi qu'il en soit, je persiste à soutenir les deux amendements auxquels je me suis rallié. La Chambre a parfaitement compris dans quelle intention j'adhérais aux amendements ainsi formulés. Je ne veux pas revenir sur mon premier discours ; je le maintiens tout entier ; je l'ai prononcé, je crois, sans prétention à l'effet ; j'ai tâché de dire des choses utiles, pratiques, et je ne pense pas que la Chambre ait trouvé mauvais mon langage, lorsque j'ai désiré pour le pays un avenir maritime que lui commande sa position et que malheureusement il n'a pas encore atteinte.
M. Devaux. - Messieurs, en matière de commerce, la Chambre n'a pas l'habitude de céder à des idées absolues ; elle n'est pas absolue, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, comme l'honorable M. Coomans qui tranche les questions très lestement et, la plupart du temps, par des plaisanteries.
La Chambre, bien certainement, ne tient pas d'une manière absolue aux primes ; mais elle ne veut pas non plus que tout ce qui a pu exister sous ce nom soit supprimé au risque de froisser les intérêts légitimes, et quand de bonnes raisons s'y opposent.
L'année dernière le même amendement vous a été présenté. On a demandé une réduction de 5,000 fr. La Chambre a rejeté cet amendement par 55 voix contre 35, si j'ai bonne mémoire, c'est-à-dire à une grande majorité.
Le moment, messieurs, est-il mieux choisi cette année ? Je ne le crois pas. C'est une année de cherté, une année où la population ouvrière en général ressent du malaise.
D'un autre côté, depuis l'année dernière on a décidé deux grands et coûteux ouvrages, l'un à Blankenberghe, l'autre à Nieuport, tout cela pour donner une plus grande impulsion à la pêche.
Or, que veut-on maintenant ? On veut, dit-on, faire adopter une réduction comme principe, comme effet moral.
Je demande si le moment est bien choisi pour cet effet moral.
Faut-il refroidir, paralyser les entreprises des armateurs alors qu'on veut d'un autre côté les stimuler à grands frais ?
Quelques capitalistes se sont associés et ils attendent pour faire construire des chaloupes que le gouvernement commence les travaux décrétés. L'effet moral qu'on produira par une réduction ne sera-t-il pas d'arrêter ces essais nouveaux et avant même qu'on les ait commencés ?
Il faut, messieurs, beaucoup de confiance, beaucoup d'esprit d'entreprise ou beaucoup de philanthropie pour se livrer à la pêche avec les résultats qu'elle donne aujourd'hui, car l'honorable M. Vermeire a fait un tableau de pure imagination quand il a dit que le produit de la pêche était centuplé depuis quelques années.
Je m'étonne qu'un collègue qui d'ordinaire traite les questions positives et industrielles d'une manière si judicieuse et en ayant toujours égard aux faits, tienne un pareil langage.
M. Vermeire. - Le prix du poisson est centuplé depuis dix ans.
M. Devaux. - On vient de vous dire le prix d'une tonne de morue. Vous êtes dans une erreur complète.
Vous avez dit aussi qu'il s'était formé un grand nombre de sociétés de plus riches. Ces sociétés n'existent que dans votre imagination, de même que les dividendes énormes dont vous avez parlé,
Remarquez-le, messieurs, on choisirait, pour invoquer contre la pêche les principes absolus du libre échange, le moment où précisément on vient de lui appliquer le principe le plus opposé dans le traité de commerce fait avec la France ; car à la différence de tant d'autres produits de nos industries la morue rapportée par nos pêcheurs est exclue du marché français par des droits prohibitifs. Peut-on appliquer à une même industrie deux principes contraires à la fois et toujours à son détriment ?
Messieurs, l'industrie de la pêche est dans une position toute spéciale sous plusieurs autres rapports encore.
C'est qu'elle recrute ses ouvriers dans une population très restreinte. On ne fait des pêcheurs que sur la côte ; or, tout le monde sait que notre côte n'est presque pas peuplée, et comme nous avons à côté de nous une puissance qui a en sa faveur des droits prohibitifs et qui vend le poisson plus cher, elle peut faire des recrues et attirer à elle les pêcheurs. Ainsi la pétition adressée de Nieuport nous apprend que les pécheurs qui vont s'établir à Dunkerque reçoivent une prime de 50 fr.
C'est un peu plus que vous ne donnez pour la prime annuelle de Blankenberghe et de Heyst.
Elle est de 200 francs par chaloupe, ce qui équivaut à 40 francs par homme.
Cette nécessité de se recruter dans une population peu nombreuse qui est attirée par l'étranger au moyen de primes, constitue un fait tout particulier. Aussi il arrive qu'on manque d'hommes pour les équipages. Dans la pétition de Nieuport qui nous est parvenue, on dit qu'on est obligé de convertir en marins des ouvriers qui ne connaissent pas la mer.
A Blankenberghe et à Heyst les hommes manquent.
L'année dernière on m'a signalé et je suppose que cela existe encore, cette année-ci, plusieurs chaloupes qui chômaient faute d'équipage.
D'après les anciens règlements chaque chaloupe a un mousse, c'est-à-dire un apprenti. C'est par là que les équipages et la population des pêcheurs se recrutent. On peut dire que, sans les mousses, cette industrie dépérirait. Or, si l'on m'a bien informé, sur la côte du nord de Bruges, 1/5 des chaloupes en est réduit à ne plus pouvoir trouver de ces apprentis marins.
Je vous disais tout à l'heure que des capitalistes avaient voulu s'associer pour l'exploitation de la pêche à Blankenberghe.
J'ai eu l'occasion de me trouver avec des personnes qui étaient de ce nombre.
Elles m'ont exprimé l'inquiétude qu'elles avaient de ne pouvoir composer les équipages.
Elles auraient désiré que le gouvernement fît quelque chose pour instruire et attirer les jeunes mousses dans quelque établissement de la côte destiné à cet objet.
Il avait été question de mettre une institution de ce genre eu rapport avec l'école des mousses de Ruysselede ; mais il paraît qu'à Ruysselede il s'est rencontré de l'opposition à un tel projet, ce qu'il faut peut-être regretter ; car si les marins font défaut, si notre marine marchande ne trouve plus à recruter ses équipages, il faudra bien employer quelque moyen nouveau, ne fût-ce, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. de Ridder, que pour les seuls besoins du pilotage.
Cet intérêt est si grand pour nos navigateurs et pour notre commerce que si les pilotes nous manquent il faudra bien établir sous un nom ou un autre une instruction pratique pour les former. Messieurs, la prime que l'on donne se compense par des charges. L'industrie de la pêche n'est pas libre ; elle est réglementée. Il faut dès lors la subsidier.
Si vous voulez lui imposer l'obligation de prendre un certain nombre de jeunes gens et de les former, il faut nécessairement que vous lui donniez une indemnité.
Remarquez que c'est une assez grande dépense et qu'elle peut même dépasser la prime. Ainsi à Blankenberghe le mousse, pour sa part de la pêche, coûte à peu près 70 ou 80 centimes par jour. C'est plus que la prime accordée pour la chaloupe tout entière. Il y a quelques jours nous avons voté sans discussion et sans opposition aucune, un subside pour les caisses de prévoyance des ouvriers mineurs ; une grande partie de la prime que nous votons va directement à la caisse d'épargne des pêcheurs.
M. Muller. - Réduisez la prime à cela.
M. Devaux. - Voilà donc une partie qui n'est pas contestée. Je crois qu’on ne contesterait pas davantage ce qu'on saurait être destiné à (page 1114) l'éducation pratique et professionnelle des pilotes et des marins. Enfin l'honorable M. Sabatier convient lui-même qu'il peut y avoir d'autres mesures à prendre dans l’intérêt de la pêche.
Ce n'est donc pas en réalité, messieurs, au subside lui-même qu'on est opposé, mais au caractère que semble lui donner la dénomination de prime.
Je crois qu'il convient de se servir de termes qui indiquent plus clairement le but de l'intervention du gouvernement en sous-amendant ceux proposés par l'honorable M. Sabatier, je demande à la Chambre d'adopter le libellé suivant :
« Subsides aux caisses de prévoyance des pêcheurs et autres encouragements pour l'éducation pratique des marins et pour la pêche maritime. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je me rallie volontiers à ce changement de libellé.
- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
M. le président. - Messieurs, nous sommes en présence de plusieurs propositions. M. Devaux propose un changement de libellé ; quant au chiffre de l'allocation, le gouvernement propose 92,050 francs, M. Tack, 90,050 francs et la section centrale, 87,050.
Je mets aux voix le libellé.
- La rédaction proposée par M. Devaux est adoptée.
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères s'étant rallié au chiffre de 90,050 francs, proposé par M. Tack, c'est ce chiffre qui doit être d'abord soumis au vote.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal.
- Il est procédé à l'appel nominal.
75 membres y prennent part.
36 membres répondent oui.
39 membres répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Le chiffre de 87,050 francs, proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
Ont répondu oui : MM. Van Volxem, Allard, Coppens, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Brouckere, de Muelenaere, de Ridder, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, Frère-Orban, Grandgagnage, Kervyn de Lettenhove, Lange, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Magherman, Orban, Pierre, Pirson, Rodenbach, Rogier, Tack, Van Bockel, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Iseghem et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Braconier, Coomans, Crombez, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Lexhy, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Moor, de Naeyer, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Theux, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Goblet, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Landeloos, Laubry, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orts, Sabatier, Thibaut, Thienpont, E. Vandenpeereboom et Van Humbeeck.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comme j'ai une proposition assez importante à faire et que je ne voudrais pas la faire discuter séance tenante, je crois que la Chambre me saura gré de la lui soumettre dès maintenant plutôt que demain.
La Chambre, si elle le désire, pourra en ordonner dès aujourd'hui le renvoi à la section centrale, et celle-ci pourra présenter son rapport à l'ouverture de la séance de demain.
Voici de quoi il s'agit :
Le 10 mars 1860, il y a donc plus de deux ans, le gouvernement a soumis à la Chambre un projet de loi ayant pour but de l'autoriser à remplacer les deux navires de guerre qui étaient en quelque sorte hors de service, par deux autres navires dont la dépense était évaluée à 1,500,000 fr.
Ce projet est resté sans suite depuis le rapport de l'honorable M. Goblet ; et il résulte du rapport de la section centrale comme du relevé des votes dans les sections, comme aussi des dispositions de la Chambre que ce projet, dans les circonstances actuelles, n'a guère de chance d'être adopté.
J'ai donc demandé à S. M. l'autorisation de retirer ce projet de loi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Cependant, en retirant ce projet, je fais personnellement toutes mes réserves ; à mon sens, la question de la marine militaire comme de la marine marchande est une question d'avenir pour le pays et quoi qu'on en ait pu dire, je considère que, dans l'avenir, la Belgique doit avoir son développement maritime comme elle s'est développée en industrie et en agriculture.
Nous devons donc autant que possible conserver les éléments qui nous restent de la marine militaire et qui peuvent être utilisés. Nous avons un certain nombre d'officiers très distingués qui ont fait des études et acquis une grande pratique dans la marine ; il serait regrettable de réduire ces officiers à l'inaction, alors qu'on peut faire une application très utile de leur expérience et de leurs connaissances/
Nous avons à proposer à la Chambre deux choses : d'abord la demande d'un crédit pour augmenter le nombre de nos bateaux à vapeur faisant le service postal et le transport des voyageurs entre la Belgique et l'Angleterre, puis un transfert d'articles au chapitre de la marine.
Nous avons aujourd'hui quatre bateaux affectés à ce service ; nous demandons l’établissement d'un cinquième bateau à vapeur pour le même service postal, plus un bateau destiné au pilotage et au sauvetage le long du littoral.
Au moyen de cet accroissement qui emporterait une dépense de 525 mille fr., nous pourrions assurer à la Belgique le grand avantage que voici :
Les communications au moyen de bateaux à vapeur belges entre la Belgique et l'Angleterre, se bornent à trois départs qui s'effectuent le soir d'Ostende sur Douvres ; au moyen des modifications que nous proposons, la Belgique pourrait jouir, indépendamment des trois départs du soir, de six départs de jour, ce qui serait un grand avantage pour les voyageurs et les correspondances ; je me suis assuré que pour le 1er mai ce service pourrait être établi en coïncidence avec le jour d'ouverture de l'exposition de Londres.
Les chiffres du budget n'ont pas besoin d'être augmentés ; avec les ressources que j'y trouve, je puis faire face aux besoins de ce service agrandi ; je ne proposerai pas de dépenses nouvelles, mais seulement une application des dépenses qui se font aujourd'hui inutilement pour la marine militaire à un emploi utile tant pour le matériel que pour le personnel.
Pour que ce service soit complet, il est indispensable que nous ayons un cinquième bateau, plus un bateau pour le pilotage et le sauvetage.
Je proposerai un crédit de 400,000 fr. pour le bateau à vapeur, plus 125 mille francs pour le bateau destiné au pilotage et au sauvetage.
Si la Chambre adoptait ces propositions, il y aurait la réduction de 1,500,000 fr. résultant du retrait du projet de loi, et allocation au budget de 1862 d'un crédit de 525,000 fr. Je déposerai cette proposition sur le bureau.
Je demanderai ensuite qu'aux articles 41 et 42, personnel et matériel de la marine militaire, on ajoute ces mots : « avec faculté de transfert à l’article 48. »
Si on vote le renvoi à la section centrale, je pourrai lui fournir de plus amples renseignements.
M. le président. - Cette proposition pourra être imprimée et distribuée.
M. Goblet. - Je ferai observer qu'il est impossible de considérer comme amendement au budget la proposition que vient de faire M. le ministre des affaires étrangères ; c'est une proposition de loi qui doit passer par les sections. Ce serait un précédent dangereux que l'on poserait si on l'introduisait incidemment au budget.
Voilà une dépense nouvelle que je crois utile, mais on ne peut pas la discuter dans les conditions dans lesquelles elle est présentée. Je crois que la Chambre ferait bien de la renvoyer aux sections, sauf à réserver le vote.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La proposition est facilement saisissable par elle-même. Je vois avec regret l'honorable M. Goblet faire opposition à une proposition motivée comme celle-là. Que cette proposition soit renvoyée aux sections ou à la section centrale, cela m'est indifférent, mais voici pourquoi je désire avoir une solution aussi prompte que possible de la Chambre.
Tant que le crédit n'est pas voté, le gouvernement ne peut rien faire ; cependant le temps presse, nous devrions être prêts pour le 1er mai.
Il faudrait pouvoir annoncer dès maintenant qu'à partir du 1er mai un service de jour quotidien sera établi entre la Belgique et l'Angleterre. Aussi longtemps que la Chambre ne s'est pas prononcée, le gouvernement est paralysé ; si on renvoie aux sections, il est à craindre que la Chambre se sépare sans avoir pris de résolution, et tant que le gouvernement n'est pas fixé sur les intentions de la Chambre, il ne peut rien faire.
Voilà pourquoi j'ai demandé que la section centrale fût chargée de l'examen de la proposition.
M. Coomans. - Ce que demande M. le ministre, c'est que la section centrale se réunisse demain matin et qu'à l'ouverture de la séance (page 1115) nous discutions et surtout votions sa proposition, à propos du chapitre de la marine.
Je fais remarquer que le chapitre de la marine doit venir demain.
Ainsi donc nous aurions un examen improvisé d'une des questions les plus importantes qui divisent cette Chambre depuis de longues années.
Je me joins à l'observation faite par l'honorable comte Goblet et j' ajoute celle-ci : C'est qu'il me semble que le gouvernement montre peu d'égards envers la Chambre, en venant, à la fin d'une séance déjà prolongée et à la veille du vote, jeter incidemment dans la discussion du budget des affaires étrangères, un des articles les plus importants de ce budget.
Je voudrais que l'honorable ministre nous expliquât pourquoi il n'a pu mettre sa proposition sous les yeux des sections qui ont examiné son budget, ou tout au moins sous les yeux de la section centrale qui a fait son rapport.
J'aime à croire que les propositions du gouvernement ne sont pas improvisées, bien qu'elles en aient un peu l'air, j'aime à croire qu'elles ont été mûries, que le ministère y a songé, tout au moins depuis deux ans, et en conséquence il aurait pu nous les soumettre plus tôt.
Le droit de tous les membres de cette Chambre est d'examiner en sections toutes les grandes questions et même les petites ; ce n'est qu'exceptionnellement et en cas d'urgence que l'on charge la section centrale d'improviser un rapport. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui.
Rien ne presse pour la marine ; c'est l'opinion du gouvernement lui-même, puisqu'il ne nous en a pas parlé depuis longtemps. Nous pouvons ajourner la question, et j'aurai demain à faire une proposition formelle à cet égard.
- Plusieurs membres. - On n'est plus en nombre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable M. Coomans m'accuse d'avoir manqué à la Chambre, je tiens à lui répondre.
M. Landeloos. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
La Chambre n'est plus en nombre ; je demande que M. le ministre ne soit pas entendu aujourd'hui. Nous ne pouvons prendre de résolution.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tl me semble qu'il n'y aurait aucun inconvénient à adopter la proposition que fait le gouvernement, car la Chambre pourra juger demain si elle est suffisamment éclairée pour s'occuper immédiatement de la demande de crédit. (Interruption.)
Je comprends parfaitement les objections. On ne connaît pas la proposition ; on ne sait pas quelle en est la portée. Mais pour le gouvernement, qui la connaît, elle est très simple.
Je conçois donc qu'on demande à l'examiner, qu'on ne veuille pas s'engager d'avance à voter dès demain sur cet objet. Mais il est très vraisemblable que le budget ne pourra pas être voté demain ; il ne pourra l'être en aucun cas avant mardi, puisqu'il y a un amendement sur lequel il faudra statuer dans les délais prescrits par le règlement. Dans cet état de choses, il n'y a donc aucune raison pour ne pas décider le renvoi de la proposition à la section centrale ; ce renvoi ne préjuge rien ; la Chambre fera ce qu'elle voudra, lorsque l'examen aura eu lieu en section centrale.
Si la Chambre juge que cette proposition doit faire l'objet d'un projet de loi spécial, elle le dira ; mais la Chambre peut décider autre chose ; clic peut décider qu'avant de statuer sur le budget, elle discutera complètement la proposition, pendant trois, quatre ou cinq jours, si elle le juge convenable. Le renvoi à la section centrale ne préjuge donc rien, et laisse parfaitement intactes toutes les prérogatives de la Chambre.
M. Landeloos. - L'honorable ministre a fait une proposition. Pour qu'elle puisse être mise en discussion, il faut que la Chambre soit eu nombre suffisant pour délibérer. Ainsi le veut le règlement.
Je demande donc que la séance soit levée et que la proposition faite par M. le ministre des affaires étrangères soit reproduite à la séance de demain.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je considère la question comme si simple que je croyais d'abord la présenter demain pendant la discussion. Mais précisément par égard pour la Chambre, je me suis dit qu'il conviendrait de renvoyer ma proposition à la section centrale pour que la question arrivât à la Chambre mieux préparée. Mais je n'ai pas demandé à la Chambre de voter dans la séance de demain sur ma proposition. Je n'ai rien dit de pareil. La Chambre en délibérera. Tout ce que j'ai demandé, c'est le renvoi à la section centrale.
M. Landeloos. - La Chambre n'est plus en nombre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Lorsque j'ai fait ma proposition, la Chambre était en nombre.
M. Landeloos. - Eh bien, je demande l'appel nominal.
M. E. Vandenpeereboom. - Il est certain, et il n'est pas nécessaire de faire l'appel nominal pour le constater que la Chambre n'est plus en nombre pour statuer. Mais il n'est pas prouvé que, lorsque M. le ministre a fait la proposition, la Chambre ne fût plus en nombre.
Il me semble qu'il n'y a pas autre chose à faire que de maintenir la proposition de M. le président de la faire imprimer et distribuer, et demain la Chambre statuera sur ce qu'il y aura à faire ultérieurement. Voilà, si je ne me trompe, la seule voie à suivre, en ce moment, pour agir pratiquement et sans contrevenir aux prescriptions du règlement.
- La proposition sera imprimée et distribuée.
La séance est levée à cinq heures et demie.