(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)
(page ) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Maubach, ancien avocat du département des finances, demande une pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Baudoux, demeurant à Souvrel, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger. ».
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des artistes belges demandent que les œuvres d'art destinées à figurer à l'exposition de Londres soient soumises à un jury nommé entièrement par les artistes en dehors de toute influence gouvernementale. ».
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lelong, imprimeur, demande la mise en adjudication publique des impressions des départements ministériels. »
- Même renvoi.
M. Goblet. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission avec invitation de faire un prompt rapport. La question qu'elle soulève est assez grave et demande une prompte solution.
- Cette proposition est adoptée.
« M. de Paul, obligé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé. -
« Le ministre de la guerre adresse à la Chambre 2 exemplaires de l'Annuaire officiel. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, depuis que la section centrale a examiné le budget du ministère de l'intérieur, j'ai reconnu la nécessité de présenter quelques amendements. Ce sont de légères augmentations de crédit que je demande ; j'ai cru plus régulier de les faire connaître au début de la discussion, au lieu d'attendre qu'on en soit arrivé aux articles auxquels ils se rapportent. De celle façon, la section centrale pourra les examiner et faire un rapport qui sera communiqué à la Chambre avant qu'elle ait à s'occuper de ces articles.
M. Rodenbach. - En quoi consistent ces amendements ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ils sont de peu d'importance ; c'est d'abord une augmentation de 10 mille francs pour le personnel de l'administration centrale, eusuite une augmentation de 2 mille francs pour subsides à accorder à la caisse de prévoyance des secrétaires communaux, cette demande est justifiée par des chiffres ; un autre amendement est relatif au tir national ; enfin un dernier amendement consiste en un subside de six mille francs à une société qui vient, de se constituer pour faire des essais de pisciculture.
- Ces amendements seront imprimés distribués, et la Chambre en ordonne le renvoi à la action centrale qui a été chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, je pense que la discussion du budget de l'intérieur est l'occasion qui nous est naturellement offerte pour apprécier la conduite du gouvernement dans la nomination des magistrats communaux ; nous avons à examiner si l'impartialité, si la bonne direction à donner aux affaires administratives ont toujours été la règle qu'il a invariablement suivie en pareille circonstance.
L'on comprendra facilement que les observations que j'ai à présenter ne peuvent pas s'adresser directement au. le ministre de l'intérieur actuel arrivé au pouvoir depuis trois mois à peine ; il faut nécessairement qu'un pareil examen comprenne toute la période qui s'est écoulée depuis la rentrée aux affaires de l’opinion libérale. S’il en était autrement, toute discussion sur ce sujet serait impossible.
En prenant la parole dans ce moment, c’est l’ensemble d’une situation que je vais constater, et d’ailleurs j’ai lieu de supposer que l’honorable ministre de l’intérieur ne répudie ni la politique ni les actes posés par son prédécesseur, dont je ne sache pas qu'il ait accepté la succession, en faisant certaines réserves et sous bénéfice d'inventaire.
Si même j'avais à interpréter des paroles prononcées par M. le ministre de l’intérieur, dans un discours, publié par plusieurs journaux, et notamment par l’Indépendance, qu'il adressait à une députation d'électeurs libéraux qui venaient le féliciter à la suite de la dernière élection, je devrais craindre que, loin d'en revenir à une politique plus modérée et plus nationale, il n'entrât encore dans ses intentions de lui donner un caractère plus agressif et plus irritant.
Voici les paroles auxquelles je fais allusion :
« Du reste, j'ai tout lieu de croire qu'il sera donné une légitime satisfaction au libéralisme, qui désire que la politique intérieure soit plus accentuée, et c'est pour obéir à cette tendance de l'opinion publique que la reconstitution du ministère a été opérée. »
J'espère me tromper dans mon appréciation, mais je désirerais beaucoup que M. le ministre appelé à diriger la politique à l'intérieur voulût bien nous expliquer ce qu'il entend par sa politique plus accentuée.
Je crois donc ne pas soulever une discussion inopportune ; et si, dans tous les cas, je puis obtenir, par quelques-unes des considérations que j'ai à faire valoir, que l'honorable ministre actuel renonce à sa politique accentuée et au système exclusif suivi par son prédécesseur, et qui a fait tant de mal au pays en y semant l'irritation, je croirai avoir fait acte de bon citoyen en contribuant à obtenir un pareil résultat.
L'honorable M. Kervyn de Lettenhove, dans le discours qu'il a prononcé dans une de nos dernières séances, faisait observer « qu'il y a des hommes qui croient que la lutte des partis est l'état normal des gouvernés. » Je m'empresse de déclarer que je ne suis pas de ces hommes et que je les combattrai partout où j'aurai occasion de le faire ; je les combattrai parce que je crois que le principe qu'ils représentent est compromettant pour l'avenir de mon pavs.
Messieurs, le premier reproche que je crois devoir adresser à la ligne de conduite qui a été suivie par le gouvernement depuis 1857 en ce qui concerne les nominations de bourgmestres et d'échevins, c'est d'avoir, par la plupart des choix qu'il a faits, non seulement lorsque des places étaient vacantes mais souvent en ne renommant plus d'anciens titulaires pour les remplacer par des hommes de son choix et selon son cœur, c'est, dis-je, d'avoir introduit, avec exagération, et à l'exclusion de toute autre considération, la politique au sein des conseils communaux.
Je puis dire que l'introduction de cet élément dissolvant dans nos hôtels de ville et jusque dans nos plus petites communes rurales a porté une profonde atteinte à nos institutions communales et en a dénaturé l'esprit.
La politique a pris la place des affaires administratives et trop souvent le tribun celle du magistrat communal.
Ce qui arrive de plus fâcheux lorsqu'un pareil système prévaut dans un gouvernement, c'est de voir la médiocrité prendre la place réservée au mérite et au talent. Tandis que les hommes indépendants se retirent dégoûtés des fonctions publiques, elles deviennent la proie de ces hommes à conscience élastique que l'on est toujours sûr de trouver, sous tous les régimes, dans l'antichambre des ministres le lendemain du jour où ils ont pris possession du ministère ; car un gouvernement qui se prive du concours d'un fonctionnaire en motivant cette exclusion sur l'opinion qu'il professe aboutit fatalement à cette conséquence, qu'il ne peut plus s'adresser qu'à des hommes de parti ou à celle catégorie d'individus auxquels je viens de faire allusion et que l'on appelle, en langue vulgaire, des intrigants.
Nos communes rurales aussi bien que nos grands centres de population ont été trop souvent victimes de cette politique que je combats et qui n'est assurément pas belge, car elle jure avec les traditions que nous a léguées notre immortel Congrès, glorieux fondateur de nos libertés et qui avait pris pour devise : l'Union fait la force !
Que doit être la commune eu Belgique ?
La commune, si je puis m'exprimer ainsi, c'est le foyer domestique du citoyen, et à l'exemple du foyer domestique du père de famille, il faut tâcher d'y faire régner la paix, la tranquillité et la concorde.
Le système d'exclusion que l'on pratique a produit un résultat tout opposé ; nulle part les divisions, les animosités, je dirai presque les haines ne sont plus profondes ; il s'est trouvé partout, à point nommé, des agents colporteurs du désordre qui ont semé la division dans les communes naguère les plus tranquilles. Il était rare autrefois d'en trouver où régnait la discorde, mais ce qui était l'exception autrefois est devenu aujourd'hui la règle.
L'on comprend de suite où un pareil système peut nous mener.
C'est, messieurs, dans les campagnes, et surtout dans les communes (page 560) flamandes du pays, où les luttes de parti étaient presque inconnues, que l'on cherche à introduite le genre d'émancipation que l'on décore du nom de procès, et j'appelle sur ce point votre attention toute spéciale.
Je me permettrai ici une considération prise à un point de vue général, mais qui mérite d'être méditée par les hommes que l'avenir préoccupe.
Ce qui un jour peut occasionner de graves perturbations dans un Etat, ce ne sont pas les mesures que l'on prend avec éclat, qui frappent l'opinion et qui, pour un moment, soulèvent des tempêtes, mais c'est ce travail de désorganisation de tous les instants qui s'opère presque dans l'ombre et qui ainsi échappe à tout contrôle.
Nous avons dans nos campagnes une population morale et religieuse, laborieuse et calme. Si, sous prétexte de lui donner une éducation libérale, vous veniez à changer les conditions essentielles de son existence, ah ! croyez-le bien, ce n'est pas pour la civilisation que vous auriez travaillé, mais pour l'anarchie d'abord, pour le despotisme ensuite.
Mais l'on me dira peut-être : Ces divisions que vous signalez, ces prétendues luttes de partis, c'est la vie politique qui se répand dans les campagnes et qui vous effraye ; c'est un progrès que vous devriez favoriser au lieu de le combattre.
Pour répondre à une pareille objection, j'ai besoin d'abandonner les hautes régions de la théorie pour descendre dans le domaine de la vie réelle et suivre terre à terre les faits tels qu'ils se passent autour de nous.
Messieurs, j'habite la campagne une partie de l'année et dans les promenades, quelquefois solitaires, que je fais à travers champs, il m'arrive fréquemment de lier conversation avec des habitants soit de la localité, soit des localités voisines que je rencontre sur mon chemin. Chaque fois que cela m'arrive, c'est toujours une bonne fortune pour moi, car je trouve chez ces excellents campagnards un bon sens, un jugement droit et un certain type de bonhomie qui m'enchantent, et que je ne rencontre pas dans nos grands centres de population.
Lorsqu'il arrive qu'une élection communale a eu lieu dans les environs, je m'informe auprès de mon interlocuteur, afin de connaître un peu sa manière de juger les choses, du résultat de la lutte, et toujours sa réponse est celle-ci : Ce sont les catholiques qui ont été nommés, ou bien : Ce sont les libéraux qui l'ont emporté. Cette réponse provoque invariablement de ma part la question suivante : Mais, mon ami, vous me parlez de catholiques et de libéraux dans telle commune, quelle différence y a-t-il entre les uns et les autres ? Qu'entendez-vous par catholique ou par libéral ?... Mais monsieur, vous savez cela mieux que moi, me répond le campagnard, non sans quelque embarras... J'insiste néanmoins pour le savoir, et lui de me répondre dans son langage naïf :
« Eh ! monsieur, les catholiques sont les amis du curé et les libéraux ses adversaires. »
J'en appelle à tous mes honorables collègues qui sont en rapport avec les campagnes et qui savent ce qui s'y passe ; n'est-ce pas là le caractère propre du libéralisme qu'on y importe ?
Voici maintenant la conséquence à tirer de ces paroles :
Le progrès dont vous parlez consiste donc, en définitive, à ameuter l'habitant des campagnes contre son curé, à lui apprendre à aboyer à la soutane, à porter atteinte à la juste considération dont jouit l'homme qui préside à tous les actes les plus importants de sa vie pour y imprimer le cachet de la religion ; de celui qui a béni son union, qui a admis son nouveau-né au banquet de la vie chrétienne, qui plus tard lui a appris à respecter ses parents et lui a donné ses premières notions de morale et de religion, de celui qui vient visiter et consoler ses malades et qu'il retrouve au chevet du lit de son vieux père mourant ; de celui enfin qui est le soutien du pauvre et le consolateur de toutes les misères.
Si c'est là le progrès, cela assurément le progrès de la démoralisation, et celui-là je le repousse de toutes mes forces !
Un honorable membre de cette Chambre, dont le libéralisme n'est pas douteux, l'honorable M. J. Lebeau, disait un jour qu' « un bon curé valait une brigade de gendarmes » ; eh bien, je dis que c'est méconnaître la mission civilisatrice du prêtre dans la société et aller à l’encontre de la pensée que voulait exprimer l'honorable M. Lebeau, que d'en faire le point de mire des attaques d'un parti.
Le système exclusif que je signale et que je combats produit encore dans les communes, et ici c'est surtout aux villes que mes observations s'adressent, des résultats bien fâcheux et dont les conséquentes blessent des intérêts sacrés qu'une sage politique ne devrait pas mêler à nos luttes.
Ainsi ce sont les conseils communaux qui nomment les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance. Depuis qui la politique domine exclusivement dans ces conseils, tous les administrateurs soumis à une réélection, quels que soient les services qu'ils aient rendus dans l'exercice de leurs fonctions, quelque soient leur capacité, leur mérité personnel, le dévouement et l'abnégation dont ils ont donné des preuves, quelle que soit la juste considération qui s'attache à leur personne, du moment qu'ils sont seulement soupçonnés d'être conservateurs, c’est-à-dire étrangers aux coteries libérales de la localité, ils sont impitoyablement éliminés et remplacés par des hommes de parti.
Peu importe l'intérêt du pauvre qui est ici en jeu, il faut avant tout donner satisfaction à la passion politique. Des éliminations faites dans de pareilles circonstance ont eu lieu, à ma connaissance, notamment à Lierre, à Malines, à Louvain, à Gand, enfin dans toutes les communes où domine l'opinion exclusive patronnée par le gouvernement.
Cette désorganisation des administrations les mieux composées est, pour moi, un des côtés les plus déplorables de la situation.
Les nominations de bourgmestres et d'échevins faites trop souvent sans tenir compte du vœu des électeurs et pour donner seulement satisfaction à l'esprit de parti, m'amènent à poser une question ? Le bourgmestre est-il, selon une expression reçue, l'homme de la commune ou l'homme du gouvernement ? Je n'hésite pas à répondre : Il est l'homme de la commune. La manière dont les choses se passent souvent me ferait croire que le gouvernement envisage la chose sous un autre point de vue et qu'il tend à confondre le maire français avec le bourgmestre belge.
Le maire français est l'humble agent du gouvernement, le bourgmestre belge est le représentant de sa commune. Ses attributions, ses devoirs comme ses droits lui sont tracés par la loi communale ; il est responsable vis-à-vis du gouvernement de la bonne gestion des affaires de sa commune, rien de plus. En faire une espèce d'agent du pouvoir, le faire descendre quelquefois jusqu'au rôle de courtier électoral, c'est le dégrader.
L'institution des bourgmestres date de loin dans nos institutions, le nom même que portent ces magistrats a une signification qui rappelle à nos souvenirs nos anciennes franchises communales ; bourgmestre (borgemeester) le maître, le chef de la bourgeoisie, c'est non pas pour dominer mais pour la représenter et défendre ses droits s'ils venaient à être méconnus ou menacés par le pouvoir. Il est impossible qu'aujourd'hui nous interprétions ce nom en lui donnant la signification de serviteur du gouvernement.
La nomination de ce même magistrat par le gouvernement doit avoir lieu aujourd'hui à certains intervalles, par suite du renouvellement par l'élection des conseils communaux, et cela aux époques déterminées par la loi communale. Cette circonstance laisse subsister constamment une menace de destitution à l'égard du magistrat qui ne se montrerait pas toujours assez soumis à certaines exigences du gouvernement.
C'est là, je n'hésite pas à le dire, une arme entre les mains du gouvernement pour porter atteinte à la liberté et à la sincérité des élections. Il se crée ainsi une situation contraire à l'esprit de nos institutions, que nous avons tous intérêt à voir fonctionner sans entraves.
Le Belge respecte le gouvernement, mais il ne veut pas subir son joug. Libre dans ses institutions, il veut aussi la liberté dans ses allures, et un bourgmestre qui n'ose se mouvoir que dans le cercle que lui trace le gouvernement est, pour lui, un personnage ridicule.
Il y a donc ici un mal auquel il faut porter remède.
Il y a quelques années, mon honorable ami, M. Dumortier, en a proposé un : c'était la nomination du bourgmestre par le conseil communal. Cette question, que je ne fais qu'indiquer pour le moment, mérite un examen sérieux, elle est trop importante pour être tranchée d'une manière incidente, mais je crois que ce mode de nomination serait propre à sauvegarder la dignité de la commune et l’indépendance de son premier magistrat.
Je termine par une dernière considération.
Conservons, messieurs, à la commune belge son caractère propre, sa liberté et son indépendance, et ne la laissons pas absorber par le gouvernement qui ne lui prodigue ses faveurs et ses subsides que pour la placer sous sa dépendance. La centralisation en Belgique et un système qui n'est pas dans nos traditions et qui répugne à nos mœurs, et ne perdons pas de vue que de la centralisation au despotisme, il n'y a plus qu'un pas.
M. Moncheur. - Messieurs, je viens adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur.
Ainsi que vient de le dire mon honorable ami, M. Vanden Branden de Reeth, la politique et l'esprit de parti n'ont été que trop souvent le mobile et cachet des nominations faites par le gouvernement dans les administrations communales, à la suite des dernières élections. Or, c'est surtout pour la ville de Namur que ce fait s'est manifesté avec évidence, et c'est là, sans doute, la cause principale des scènes déplorables qui se passent aujourd'hui dans le sein du conseil communal de cette ville. Ces scènes, messieurs, vous avez pu les lire dans la plupart des journaux du pays.
Je prétends, messieurs, qu'il s'est passé quelque cho.ie d'anomal et de tout à fait contraire au véritable esprit de nos institutions, dans la reconstitution du collège échevinal de Namur, après les dernières élections communales.
(page 561) En effet, lors de ces élections» cinq membres du conseil communal étaient soumis à réélection. De ces cinq membres, les deux qui appartenaient à la nuance conservatrice on catholique, ont été renommés au premier tour de scrutin, et cela à une immense majorité ; tandis que les trois autres, de la nuance libérale, et qui étaient précisément trois anciens échevins, ont échoué à ce premier tour de scrutin et ont été remplacés, également à une forte majorité, par trois candidats conservateurs. L'un des trois ex-échevins n'est rentré au conseil qu'au scrutin de ballottage, à la faveur de l'abstention complaisante de celui qui aurait probablement été son heureux adversaire. Quant aux deux autres ex-échevins, ils n'ont été nommés membres du conseil que pour remplir les nouveaux sièges créés par la loi nouvelle déterminant le nombre des conseillers communaux en raison de la population. De gracieuses abstentions, au moment du vote, ont également, paraît-il, assuré leur réélection.
Dans ces circonstances et comme parmi les conseillers qui avaient été nommés à une très forte majorité au premier tour de scrutin, il y en avait plusieurs qui réunissaient certainement toutes les conditions nécessaires pour bien remplir les fonctions échevinales, et que l'un d'eux, même, les avait remplies antérieurement et n'avait laissé que d'excellents souvenirs de son passage aux affaires, il eût été sage, de la part du gouvernement, d'appeler à l'administration plus directe de la commune au moins un sinon deux des conseillers qui avaient clé l'objet d'une manifestation si sympathique et éclatante du corps électoral ; tout le monde s'y attendait et je serais fort étonné que ce n'eût pas été là l'avis des autorités que le gouvernement consulte toujours en pareille occurrence. Mais il n'en fut rien ; les trois amis de la politique ministérielle ont été reconnus échevins. (Interruption.)
Oh ! je sais bien que le gouvernement avait le droit de les renommer, je ne conteste pas ce droit, mais tout le monde à Namur, je dois le dire, supposait, que le gouvernement en ferait un usage judicieux et conforme au jeu de nos institutions populaires, en faisant la part du mouvement électoral. Il a préféré renommer les trois anciens échevins malgré cette manifestation...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ils n'ont donc pas été éliminés ; on n'a pas fait de despotisme à leur égard.
M. Moncheur. - Il n'y a pas de despotisme à agir dans le sens de l'opinion des citoyens légalement manifestée, et j'ai expliqué comment les anciens échevins sont rentrés au conseil.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est à l'honorable M. Vanden Branden qu'il faut répondre, puisque vous voulez l'élimination.
M. Moncheur. - Je ne veux pas d'élimination ; mais je demande que l'on se conforme à l'esprit de nos institutions. Or, nos institutions, messieurs, sont basées sur le vœu populaire et c'est se mettre en contradiction flagrante avec le vœu populaire que d'agir comme on l'a fait en cette circonstance.
Quand on agit de cette manière, messieurs, on aboutit infailliblement à des faits du genre de ceux qui sont l'objet de mon interpellation, c'est-à-dire à une sorte de scandale. (Interruption.)
Souvent en usant de son droit on en abuse, et c'est ce qui est arrivé dans cette circonstance.
Il en est résulté des tiraillements et des violences jusqu'alors inconnus dans le sein du conseil communal de Namur ; et il est arrivé enfin que la majorité libérale a opprimé la minorité de la manière la plus évidente et la plus scandaleuse.
C'est ainsi, messieurs, que dernièrement on a vu, dans une séance du conseil communal, un honorable conseiller, membre de la minorité, ayant obtenu la parole pour discuter les comptes de la commune, comptes qui étaient à l'ordre du jour, sur lesquels il y avait eu un rapport d'une commission et des mémoires, on a vu, dis-je, ce conseiller privé de son droit par l'oppression violente de la majorité. La parole lui a été retirée illégalement par cette majorité à laquelle le bourgmestre n'a pas eu la force de résister.
Le bourgmestre a seul, il est vrai, la police de l'assemblée et la direction des débats, mais la pression de la majorité ne paraît pas lui avoir laissé la liberté de maintenir la parole à celui qui voulait en user et qui avait le droit de le faire.
Eh bien, je dis que c'est là un fait très déplorable qui mérite certainement l'attention de la Chambre, et sur lequel j'ai le droit de demander des explications au gouvernement. Je désire savoir s'il s’est fait rendre un compte exact de ces faits et s'il a cru devoir prendre quelque mesure pour qu'ils ne se renouvellent plus.
L'honorable préopinant a dit tout à l’heure que le bourgmestre n'est pas seulement l'agent du gouvernement ; cela est vrai, mais il est, en quelque sorte, le représentant du gouvernement dans le sein du conseil communal ; il est chargé d'y maintenir l'ordre et la fidèle application de tontes les dispositions de la loi communale quant aux délibérations du conseil. Or, si un membre de la minorité se trouve sous l'oppression de fait de la majorité et si le bourgmestre n'a plus le pouvoir de faire respecter son droit de parler, alors que ce conseiller déclare positivement qu'il ne s'écartera pus de l'objet de l'ordre du jour, c'en est fait de toute liberté de discussion et par suite de toutes les libertés communales.
Vous n'avez plus, en réalité, de loi communale et tout se résume dans l'oppression du plus faible par le plus fort.
Eh bien, messieurs, je rattache l'état de choses violent qui existe aujourd'hui dans le conseil communal, à ce que, comme je l'ai dit en commençant, le gouvernement n'a fait que de la politique exclusive et de parti dans les nominations qu'il a faites, en dernier lieu, pour l'échevinat de Namur et je blâme cette politique.
En tout cas, il ne doit pas être indifférent à ce qui se passe dans le conseil, car le sentiment public en est vivement alarmé.
M. Hymans. - Messieurs, je crois que, sur un point du moins, il est utile que le discours de l'honorable député de Malines qui a parlé le premier dans cette discussion, ne reste pas sans réponse.
La doctrine de l'honorable membre m'a profondément surpris. J'ai toujours pensé que lorsqu'un parti politique était au pouvoir, il était de son droit de faire des nominations politiques dans le sens de son opinion. J'ai toujours cru même que c'était son devoir.
Je dis que c'est son devoir, parce que s'il en était autrement, une opinion nouvelle, portée aux affaires par le vœu du pays, se mettrait en contradiction avec elle-même ; elle donnerait raison à ses adversaires, elle s'inclinerait devant eux, elle perpétuerait l'influence des principes qu'elle a regardés comme funestes, comme dangereux pour le gouvernement du pays.
Celte doctrine, messieurs, domine dans tous les pays où règne le régime représentatif. Elle est entendue d'une manière beaucoup plus large en Angleterre et aux Etats-Unis que chez nous.
En Angleterre, quand le ministère change, tout change avec lui, et l'honorable M. Dechamps, qui connaît l'histoire politique de l'Europe, sait parfaitement bien que lorsque en 1845, sir Robert Peel arriva aux affaires, il alla jusqu'à exiger que trois dames d'honneur de la reine, femmes de grands seigneurs appartenant au parti adverse, cessassent d'avoir un emploi à la cour.
Je répète que je ne comprends rien au système de l'honorable membre. S'il ne faut tenir aucun compte des élections communales dans la nomination dos bourgmestres, il ne faut tenir aucun compte non plus des élections générales lorsqu'il s'agit du gouvernement ; il faut maintenir un ministère malgré l'opinion du pays qui le renverse.
Je crois que le gouvernement a usé de son droit de nomination et de destitution avec une modération extrême, avec une modération trop grande aux yeux de beaucoup de ses amis dans cette Chambre et au dehors.
- Une voix. - C'est trop fort !
M. Hymans. - Puisque vous dites que c'est trop fort, je vous citerai l'exemple d'une ville où pendant quinze mois le gouvernement a hésité à nommer un bourgmestre libéral, alors qu'il n'y avait que deux membres catholiques dans le conseil communal.
Les élections avaient eu lieu le 30 octobre 1860, à Termonde ; l'administration communale, qui était catholique, avait été remplacée par une administration libérale et on n'a nommé un bourgmestre libéral qu'au mois de décembre 1861.
- Un membre. - Et à Lokeren ?
M. Hymans. - Je cite Termonde, et je pourrais citer une commune très importante du Hainaut dans l'arrondissement même que représente l'honorable M. Dechamps, qui a demandé la parole tout à l'heure.
M. de Decker. - A Termonde, c'est une destitution.
M. Hymans. - J'espère que le gouvernement à l'avenir nommera des bourgmestres libéraux comme les cabinets catholiques ont nommé des bourgmestres catholiques.
On a, messieurs, parlé d'intrigues ; il n'y a pas d'intrigue dans de pareils actes, il y a défense légitime de principes que l'on croit bons et que l'on cherche à faire prévaloir par tous les moyens légaux dont on dispose.
Sous un ministère quelconque, à quelque opinion qu'il appartienne, il n'y a qu'une seule espèce d'intrigants, ce sont les adversaires du cabinet, qui après l'avoir toujours combattu et avec l'intention de le combattre encore, viennent solliciter ses faveurs. (Interruption.)
.M. Dechamps. - Je n'avais pas l'intention de prendre part à ce débat, mais le système que vient de défendre l’honorable préopinant ne me permet pas de garder le silence, alors surtout que les paroles de (page 562) l’honorable député de Bruxelles viennent de recevoir une certaine adhésion sympathique dans les rangs de la majorité ministérielle,
L’honorable membre prétend que dans un gouvernement représentatif, le pouvoir représentant un parti, il est de son droit comme de son devoir de faire des nominations politiques. Il n'a pas distingué, il a parlé d'une manière général et absolue, et il a appliqué cette théorie aux nominations administratives dans la commune. Sans doute dans la sphère exclusivement politique, je comprends les nominations politiques et encore, dans les mœurs de la Belgique, faut-il y apporter beaucoup déménagement et ne pas dépasser les limites d'une sage modération.
Mais, messieurs, si on peut admettre les nominations politiques dans la sphère politique, faut-il les admettre, comme le prétend l'honorable membre, dans la sphère purement administrative ? Faut-il que les nominations, dans le domaine communal ou judiciaire, revêtent un caractère politique et une couleur de parti ? Il a cité l'Angleterre et les Etats-Unis ; l'honorable membre n'ignore pas sans doute que, dans ces deux pays, la nomination des fonctionnaires communaux n'est pas remise aux mains du gouvernement ; ce sont les corporations, ce sont les électeurs qui les nomment et non le gouvernement.
Quand nous avons discuté la loi communale en 1836, en 1842 et depuis, bien que nous fussions en dissidence sur certains points, nous avons toujours été d'accord sur ce principe, que les bourgmestres et les échevins étaient les représentants de la commune, avant d'être les représentants du pouvoir. (Interruption.)
Je ne devrais pas rappeler ce principe aux adversaires de la réforme de 1842 qui l'ont soutenu à outrance. Je dis qu'on était d’accord que le bourgmestres et les échevins devaient être nommés, en principe, dans le sein du conseil communal, puisqu'ils devaient être avant tout les représentants de la commune, des électeurs. On a admis en 1842 une modification, je ne discute pas sur la nuance qui nous a séparés alors ; nous voulions, comme vous, que les nominations hors du conseil fussent l'exception ; vous avez ajouté, après 1848, que le gouvernement, pour le faire, devait obtenir l'avis conforme de la députation permanente. Est-ce là un abîme qui nous sépare ?
M. Muller. - C'était pour vous un droit absolu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment l’avez-vous pratiqué ?
.M. Dechamps. - Le système que le gouvernement pratique aujourd'hui nous conduit à des conséquences autrement graves que celles que vous attribuez au nôtre. Mais je reviens à l'honorable M. Hymans.
L'honorable représentant de Bruxelles a été jusqu'à dire que le gouvernement a le droit et même le devoir de recourir à ce qu'il a appelé des destitutions politiques des bourgmestres et des échevins.
Il a cité les deux faits de Termonde et de Jumet, et il fait un grief au gouvernement d'avoir hésité si longtemps à faire acte de parti.
J'aurais voulu éviter de parler de faits particuliers, pour ne rien compromettre, mais l'honorable membre, en citant un fait relatif à une commune de mon arrondissement, et en provoquant le ministre à y poser un nouvel acte de parti, me force à vous en parler, pour encourager au contraire le ministre à la modération.
Je viens de rappeler un principe incontesté, c'est que le mandat des bourgmestres et des échevins est avant tout communal, c'est que le vœu de la commune, manifesté par les élections, doit être la première règle du gouvernement dans les nominations.
Il est de jurisprudence constante que quand les bourgmestres et les échevins anciens ont été renommés dans leurs communes ; qu'ils ont pour eux la confiance des électeurs et le vœu populaire ; qu'il sont restés à la tête de la majorité du conseil communal ; qu'aucun grief administratif ne peut être articulé contre eux ; quand ils sont des hommes honorables remplissant toutes les conditions d'expérience et de capacité ; quand surtout les autorités supérieures, les commissaires d'arrondissement et les gouverneurs proposent au gouvernement de les maintenir, il est de jurisprudence constante depuis 1830, sauf peut-être de rares exceptions qui ne peuvent que confirmer la règle et qui peuvent avoir été des fautes ; il est de jurisprudence constante, dis-je, de renommer les fonctionnaires communaux dans ces conditions.
M. Muller. - Vous ne l'avez jamais fait.
.M. Dechamps. - Nous l'avons toujours fait.
Je sais très bien, messieurs qu'un ministre est entraîné facilement à subir l’influence de l'esprit de parti ; qu'à son insu même il peut faire une nomination à caractère politique ; que des fautes peuvent être commises : mais j'affirme que les ministères conservateurs n'ont jamais pratiqué comme un principe, le système de destitution dont a parlé l'honorable M. Hymans.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A outrance !
.M. Dechamps. - Citez des faits.
Puisque vous m’y provoquez, je vais vous en citer et qui vous prouveront que vous avez pratiqué ce système à outrance. Je m'en tiendrai à l'arrondissement de Charleroi qui m'a envoyé ici comme député.
Voici ce qui s'y est passé en 1857 : il y avait dans l'arrondissement de Charleroi quinze bourgmestres à nommer. Tous avaient été réélus comme conseillers communaux ; tous l'avaient été à de fortes majorités ; plusieurs avaient réuni l'unanimité des suffrages, moins quelques voix.
Eh bien, messieurs, savez-vous combien sur ces quinze bourgmestres le gouvernement en a destitué, pour me servir de l'expression de l'honorable M. Hymans, combien il y a eu de révocations indirectes ? Les deux tiers ; dix sur quinze. (Interruption.)
Tous ces bourgmestres étaient cependant, et je défie toute contradiction sur ce point, étaient des hommes honorables et respectés ; plusieurs étaient conseillers provinciaux et chefs de nos grandes industries. Quelques-uns se trouvaient plus près de l'opinion libérale que de l'opinion conservatrice.
Aucun n'était un homme de lutte et de parti ; aucun grief administratif n'était soulevé contre aucun d'eux.
La plupart exerçaient leurs fonctions depuis un grand nombre d'années, depuis 10, 15 et même 20 ans, et jouissaient de la confiance de leurs administrés.
J'espère qu'ici, messieurs, l'honorable M. Hymans ne fera pas au gouvernement le reproche d'avoir été trop modéré et d'avoir trop hésité. Une hécatombe de dix bourgmestres sur quinze, il me semble qu'il y a de quoi satisfaire les plus exigeants
Savez-vous, messieurs, quelle a été la raison ou plutôt le prétexte de. ces révocations en masse ? Je vais l'apprendre à la Chambre.
Comme il n'y avait aucune raison administrative à invoquer, il a fallu trouver un prétexte, et ce prétexte le voici.
Dans la lutte électorale de 1857 qui, comme vous vous en souvenez, a été très vive, soulevant les passions vivement excitées, l'association libérale de l'arrondissement avait publié une circulaire électorale ; c'était son droit, et je n'en fais pas un reproche, et cette circulaire agressive reflétait la vivacité des passions en mouvement à cette époque.
Une réunion d'hommes politiques, appartenant non seulement à l'opinion conservatrice, mais aussi à une fraction de l'opinion libérale...
M. Ch. Lebeau. - Non.
.M. Dechamps. - L'honorable M. Lebeau, qui m'interrompt, oublie que. plusieurs de ces hommes honorables dont je parle l'ont sauvé du naufrage électoral en 1861.
II ne le niera, pas je crois.
M. Ch. Lebeau. - Je ne dois pas une voix aux catholiques, mais vous en devez plusieurs aux libéraux pour votre demi-conversion.
.M. Dechamps. - L'affirmation de l'honorable M. Lebeau étonnera l'arrondissement de Charleroi tout entier ; il me paraît difficile qu'il ait oublié que ce sont trois signataires de la circulaire conservatrice de 1857 qui ont amené la transaction à laquelle il doit sa réélection.
Eh bien, messieurs, le grief, c'est que dans une réunion électorale qui avait lieu chez un homme qui porte un des plus beaux noms du libéralisme belge, une circulaire fut rédigée pour proposer le maintien des trois députés sortants ; ce n'était pas un acte bien agressif, c'était pour proposer le maintien du statu quo, cette circulaire électorale était très inoffensive ; on l'a appelée à Charleroi le manifeste électoral de la droite, pour en grossir l’importance, et le gouvernement interdit au gouverneur de lui proposer, comme bourgmestres ou échevins, les signataires de cette circulaire, quels que fussent leurs titres administratifs.
Permettez-moi, messieurs, de vous lire les passages les plus significatifs de cette circulaire, qui avait ému à ce point le gouvernement, et vous reconnaîtrez, eu égard à la lutte passionnée engagée en 1857, qu'elle a un caractère de modération poussé presque jusqu'à l'exagération :
« L'arrondissement de Charleroi est modéré, ses choix ont toujours eu et doivent conserver ce caractère. Les intérêts si importants de notre riche bassin industriel exigent que nous évitions les passions qui divisent et séparent, et que nous résistions aux représailles et aux injustices des partis.
« Nous n'avons pas imposé à nos candidats un autre programme que la Constitution elle-même telle qu'elle est interprétée depuis 27 ans ; nous n’avons pas d’autre mandat impératif à leur prescrire que celui (page 563) dicté par leur conscience d'être fidèles à ses principes et à leur serments.
« La loi sur la charité cause, selon les uns, et prétexte, selon les autres, des événements regrettables ; cette loi a complètement disparu ; le retrait de ce projet, annoncé par le Roi, et décidé par la majorité dissoute, est aujourd'hui un fait accompli ; nous n'avons ici, pour le passé comme pour l'avenir, que des convictions à respecter.
« C'est l'avenir de notre nationalité et du régime représentatif compromis, c'est la prospérité publique tout entière, qui seuls sont aujourd'hui en cause.
« Pour garantir l'un et assurer l'autre, il faut envoyer à h Chambre des hommes dévoués à nos institutions, éprouvés par les services qu'ils ont rendus, modérés dans leur conduite politique, libres d'engagements incompatibles avec leur indépendance et capables de défendre les intérêts nombreux de notre arrondissement.
« Les voix qui vous parlent, messieurs, vous sont connues ; nous ne sommes pas des hommes d'exagération et de parti. C'est le patriotisme, c'est l'amour de nos libres institutions qui animent nos intentions sincères ; c'est le calme, la prospérité et la grandeur du pays, c'est un avenir digne de notre passé que nous ambitionnons pour la Belgique, qu'il ne faut pas livrer au courant de dangereuses et stériles passions. »
Voilà cette circulaire, ce manifeste électoral. Je vous en laisse juges ; un bourgmestre, un échevin signataire d'une pareille déclaration de principes modérés, pouvait-il prévoir qu'on en ferait un grief pour provoquer sa révocation ?
J'ai dit tout à l'heure que c'était un prétexte plutôt qu'une raison invoquée, et ce qui le prouve, c'est que sur 18 éliminations de fonctionnaires communaux opérées en 1857 et en 1861 dans mon arrondissement, onze n'avaient pas signé la circulaire de 1857 ; on a passé au-dessus de ce prétexte pour les frapper.
Mais eussent-ils été signataires de cette circulaire électorale, n'en avaient-ils pas le droit ? Les bourgmestres et les échevins sont-ils à ce point les hommes-liges du ministère, ont-ils à ce point abdiqué toute indépendance, qu'ils n'aient plus le droit de manifester leurs convictions et qu'on puisse les frapper de destitution pour leurs votes politiques ? C'est à peu près la théorie de l'honorable M. Hymans ; mais je ne puis croire que ce soit la théorie avouée par le gouvernement. On ne veut pas faire, j'espère, des fonctionnaires élus de nos communes des instruments électoraux aux mains du gouvernement ; on ne prétend pas, j'aime à le croire, comme on le fait ailleurs, remettre les élections du pays aux mains des préfets et des maires. Si c'est là ce que l'on veut, le pays, qui n'aime pas ces théories, les aura vite jugées.
Mais alors que devient l'indépendance communale, que deviennent vos discussions de 1842, quand vous refusiez de permettre au gouvernement de nommer les bourgmestres et échevins en dehors du conseil communal ?
L'honorable M. Hymans a fait un grief au gouvernement d'avoir hésité jusqu'à ce jour à nommer un bourgmestre dans la commune de Jumet qui appartient à mon arrondissement.
Je demanderai de mon côté quelle peut être la raison qui peut faire hésiter, depuis un an, le ministère à confirmer le bourgmestre et l'échevin dans leurs fonctions qu'ils ont remplies à la satisfaction de leurs administrés ?
Je vais rappeler les faits et je les soumets à votre impartiale appréciation.
Le bourgmestre de cette commune est un homme capable et honoré, à tous égards ; il est membre du barreau de Charleroi ; ce n'est, en aucune manière, un homme de lutte et de parti.
L'échevin est le chef d'un des plus grands établissements industriels du pays ; ses adversaires eux-mêmes lui ont voué un respect qu'il mérite, il remplit les fonctions d'échevin depuis 1830.
Tous les deux, ont réuni, lois des dernières élections communales, une belle majorité.
Ils sont à la tête d'une majorité de huit à neuf voix dans le conseil communal qui ne compte qu'une minorité de quatre voix.
Voilà donc bien un bourgmestre et un échevin dans les conditions exigées pour être renommés ; leurs compétiteurs ne sont entrés dans le conseil qu'à l'aide d'un scrutin de ballottage. Si je ne me trompe, et M. le ministre pourra nous le dire, les deux fonctionnaires communaux ont été proposés par le commissaire d'arrondissement et par le gouverneur au choix du ministre. Une élimination dans ces conditions ne serait-elle pas un scandale ?
En présence de l'ajournement de ces nominations, une pétition signée par 117 ou 127 électeurs sur 100 dont se compose le corps électoral de la commune, a été adressée au gouvernement pour demander le maintien du bourgmestre et de l’échevin menacés. La majorité du conseil, sept membres de ce conseil signèrent une seconde pétition adressée au ministre de l’intérieur, et une députation de trois membres obtient une audience du ministre pour la lui présenter et la défendre.
Ceci se passait avant les élections générales de 1861.
Eh bien, messieurs, je ne puis pas mettre en doute l'affirmation de membres honorables de cette députation qui a été reçue à l'audience du ministre ; ils ont déclaré que M. le ministre leur a laissé l'espoir, sinon la promesse, que si le statu quo électoral était maintenu à Charleroi dans les élections générales de 1861, s'il n'y avait pas de lutte politique dans cet arrondissement, il ne voyait pas pourquoi ce bourgmestre ne serait pas maintenu.
Les élections ont eu lieu ; le statu quo électoral a été maintenu dans l'arrondissement de Charleroi, la lutte politique a été évitée, et malgré cela, cette nomination n'a pas encore été faite. L'honorable M. Hymans reproche au gouvernement d'hésiter. Je lui adresse le même reproche ; et je demande comment il est possible d'hésiter, lorsqu'il s'agit d'un bourgmestre et d'un échevin dans les conditions que je viens de rappeler.
Eh bien, dans ces conditions, si vous admettez que le gouvernement puisse faire une nomination à caractère politique, je dis que la loi communale n'existe plus.
Messieurs, permettez-moi de finir par une observation. Je dis que ce système d'un ministère de parti gouvernant, selon les conseils de l'honorable M. Hymans, pour un parti dans toutes les nominations qu'il a à faire, est destructif de toutes les notions de justice, d'impartialité et de gouvernement.
Messieurs, ne comprenez-vous pas que ce système n'est possible qu'à la condition que nous ne le pratiquions pas au pouvoir ? Qu'arriverait-il si le parti conservateur, arrivant au pouvoir, non seulement déplaçait une partie des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement dans un intérêt de parti pour les remplacer par des amis politiques, mais qu'il descendît jusqu'à la commune, et lors du renouvellement des conseils communaux, pour y faire des nominations politiques du genre de celles que je signale ? Vous faites-vous une idée du pays administratif, passant presque tout entier, tous les quatre ou six ans, du camp libéral dans le camp conservateur, et de l'anarchie qui résulterait d'un pareil système ? Non, il n'est possible qu'à la condition que nous ne le pratiquions pas.
Messieurs, on nous rappelait tout à l'heure la loi de 1842. Eh bien, permettez-moi d'exprimer franchement mon opinion.
Oui, messieurs, je crois comme en 1842, que la nomination par le gouvernement du bourgmestre et des échevins, en principe dans le conseil communal, exceptionnellement en dehors, peut être une bonne chose en point de vue de l'unité administrative. Mais c'est à une condition ; c'est à la condition que le gouvernement soit gouvernement et ne soit pas un parti, c'est à la condition que le gouvernement, dans ces nominations, tienne dans cette sphère élevée et impartiale où l'esprit de parti disparaît et où la justice prédomine. Et tenez note de mes paroles, c'est un avertissement que je me permets de vous donner. Si ce système que vous pratiquez prévaut définitivement, s'il est vrai de dire, comme l’honorable M. Hymans et ses amis le soutiennent et comme vous le pratiquez, qu'un parti au pouvoir gouvernera comme parti dans toutes les nominations, politiques, administratives et même judiciaires, je dis que ces idées de 1842 n'ont plus de raison d'être.
Elles étaient bonnes avec un gouvernement qui voulait gouverner d'après les principes d'impartialité ; mais elles sont détestables quand c'est un parti qui gouverne ; et je le déclare, lorsque nos honorables amis arriveront au pouvoir, mon premier conseil sera de restituer à la commune, au conseil communal, la nomination des bourgmestres et des échevins.
Nous avions cru donner ces nominations à la royauté et non à un parti. Du moment qu'il est prouvé que ce sont là des armes confiées à un parti pour vaincre la minorité opprimée, ces armes dangereuses, nous vous les ôterons.
Voilà où nous mènera votre système politique, c'est de forcer les partis opprimés tour à tour de désarmer le pouvoir et de ne plus se confier qu'à la liberté. (Interruption.)
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, qui a ouvert ce débat, m'a mis personnellement en cause et m'a adressé une question sur un acte qui s'est passé en dehors de cette Chambre.
Dans une réunion, à la suite d'une élection, j'aurais prononcé un discours dans lequel je me serais posé en quelque sorte en avant du cabinet et dans lequel j'aurais manifesté l'intention de donner à la politique de l'administration une couleur plus accentuée.
(page 564) Messieurs, le fait que l'on cite, je dois le déclarer d'abord, n'a rien d'officiel. J’ai été fort étonne de lire, dans un journal de ma localité, un discours fort bien fait, très bien écrit, mais dont je ne puis pas me déclarer l'auteur. Je ne mérite pas cet honneur.
Il est vrai qu'après les élections, d'honorables amis politiques et même des personnes que je n'avais pas l'habitude décompter parmi eux, ont bien voulu venir me féliciter, et que je leur ai adressé quelques paroles. Dans ces circonstances, j'ai peut-être fait dix discours, si discours il y a, lorsque différentes corporations, différentes sociétés sont venues m'adresser des félicitations. Il me serait très difficile de dire quelles sont exactement les paroles que j'ai prononcées alors. A Ypres il n'y a pas de sténographes, je n'ai pu revoir les épreuves ; mais je sais que j'ai déclaré à tous ceux qui m'ont fait l'honneur de venir me féliciter, qu'associé de cœur et d'âme aux principes libéraux depuis que j'étais entré dans la vie politique, je n'abandonnerais pas mon drapeau et que je marcherais toujours avec persévérance dans la voie où j'étais entré au début de ma carrière. Ai-je prononcé le mot « accentué » ? C'est possible. Du reste, la position que j'ai dans le cabinet est nette ; mes antécédents devraient à cet égard donner toute garantie. Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, depuis 1848, j'ai constamment soutenu, au moins dans toutes les grandes circonstances, le cabinet qui a été formé en 1847 et qui s'est reconstitué en 1857. Dans toutes les circonstances, mes votes ont été d'accord avec mes principes et ils le seront aussi longtemps que je ferai partie de cette assemblée.
C'est vous dire que, sous tous les rapports, je suis parfaitement d'accord avec mes honorables collègues ; que je ne veux pas marcher plus vite qu'eux, mais que je ne veux pas non plus marcher moins vite qu'ils ne l'on fait.
Mon désir est que le cabinet marche résolument dans la voie où il est entré, et qu'il applique largement les principes du libéralisme : ils doivent, dans mon opinion, faire le bonheur du pays.
Messieurs, ceci dit et mes pouvoirs, pour m'exprimer ainsi, étant vérifiés, puisque j'ai déclaré quels étaient mes principes, consignés, du reste, dans le discours de la couronne, je répondrai quelques mots aux discours des honorables orateurs qui m'ont précédé à cette tribune.
L'honorable M. Vanden Branden de Reeth a critiqué vivement le système que, d'après lui, le gouvernement applique en matière de nominations de bourgmestres et d'échevins. D'après lui, le gouvernement destitue ses adversaires, il en fait une razzia chaque fois que l'occasion s'en présente. D'après lui, le gouvernement ne nomme que ses créatures, et ces créatures, malheureusement, s'il faut, en croire l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, sont, en général, des intrigants ; il a dit le mot.
D'après l'honorable membre, le gouvernement introduit la politique dans les communes, il trouble l'ordre dans les communes et il est ainsi cause des grandes discordes qui agitent aujourd'hui le pays.
Je m'attendais, messieurs, à ce que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth préciserait ses attaques ; je croyais qu'il allait nous citer des faits, mais jusqu'ici dans cette discussion, sauf le fait allégué par l'honorable M. Dechamps, nous sommes restés dans les généralités.
L'honorable M. Dechamps a cité une statistique ; je dois déclarer qu'il m'est impossible en ce moment d'y répondre ; je n'ai pas ce dossier sous les yeux ; les faits se sont passés antérieurement à mon administration et je ne puis répondre que sur des faits que je connais pertinemment. Ainsi j'aurais pu répondre à l'honorable M. Vanden Brandon de Reeth s'il m'avait interpellé plus directement, sur des faits qui se sont passés dans les arrondissements de Louvain. Voici pourquoi. Un hasard heureux amis entre mes mains un document qui me permet de faire une sorte d'enquête dans l'arrondissement de Louvain quant à la nomination des bourgmestres et échevins.
C'est un document assez curieux que je communiquerai à la Chambre, il est extra-parlementaire, extra-administratif.
C'est une enquête faite par des citoyens de Louvain et transmise à leurs amis politiques, et, d'après les renseignements que j'ai reçus, à quelques membres du clergé dans cet arrondissement.
Voici, messieurs, comment cet écrit entre en matière :
« Je viens vous prier de vouloir me fournir, pour dimanche 19 de ce mois, les renseignements demandés ci-dessous, lis doivent servir à notre honorable représentant M. Van Bockel pour la discussion du budget de l'intérieur qui commencera mardi prochain. On se propose de faire quelque chose d'important. »
La Chambre comprendra qu'en présence de la chose importante qui devait se faire, je me suis mis en garde, c'est-à-dire que j'ai pris les renseignements nécessaires pour être à même de répondre si l'on citait quelques faits relatifs à l'arrondissement de Louvain.
Voici, maintenant, ce que l’on demandait :
« 1° Y a-t-il dans l’arrondissement de Louvain dos communes ou il n'y a pas de bourgmestre ?
« 2° Y a-t-il des places d'échevin vacantes ?
« 3° Depuis combien de temps existent les vacatures ?
« 4° Pour quel motif le gouvernement n'a-t-il pas nommé de bourgmestre ?
« 5° Idem d'échevin ?
« 6° Y a-t-il des communes dans lesquelles les anciens bourgmestres et échevins, réélus conseillers communaux, n'ont pas été renommés par le Roi.
« 7" Par qui ont-ils été remplacés ?
« 8° Est-ce par un libéral ?
« 9° Ou par un conservateur ?
« 10° Y a-t-il des communes où le gouvernement ou ses agents ont fait, des démarches et des promesses, pour faire entrer des libéraux au conseil communal, afin de pouvoir les nommer ensuite bourgmestre et échevin ?
« 11° Lorsqu'il y avait dans le conseil un seul libéral, n'était-il pas de préférence nommé bourgmestre ou échevin ?
« Veuillez, je vous prie, avoir l'obligeance de me faire connaître confidentiellement, pour dimanche, tous les renseignements qui sont à votre connaissance depuis 1857 et concernant les administrations communales. La chose presse. »
Je lis, messieurs, sans commentaires ; si je voulais en faire je dirais que c'est plus qu'une enquête : c'est presque de l'inquisition. On engage, en effet, des amis politiques et des membres du clergé à faire des démarches et des recherches dans les familles pour savoir s'il y a des personnes à renommer, quelle est l'opinion des candidats, etc.
M. Vanden Branden de Reeth. - A qui cela était-il adressé ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - A un grand nombre de membres d'une association de Louvain et à quelques membres du clergé, m'assure-t-on.
La pièce est signée : « Coppin, rédacteur du Moniteur de Louvain ».
Du reste, messieurs, si je cite ce document, c'est pour dire que si j'avais été interpellé sur ce qui se passe dans l'arrondissement de Louvain, j'eusse été à même de répondre, et je suis satisfait que, malgré cette enquête, on n'ait jusqu'ici constaté aucun fait grave à charge de mon honorable prédécesseur ou de moi-même.
Messieurs, si, pour répondre à l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, je voulais récriminer, si je voulais rappeler ce qui s'est passé dans cette Chambre et dans le gouvernement avant 1847, j'aurais, je crois, des griefs à articuler contre le parti qui siège de l'autre côté de cette Chambre.
On n'a pas oublié les actes pour ainsi dire de violence, qu'il a posés à cette époque et les efforts inutiles qu'il a faits alors pour conserver un pouvoir qu'il a pour ainsi dire définitivement perdu depuis 1847.
Comment ! messieurs, on vient nous dire que nous voulons faire des bourgmestres des agents politiques, que nous voulons exciter la discorde dans les communes ; mais, qui est donc venu demander dans cette enceinte que l'on confie la nomination des bourgmestres directement au Roi, même en dehors des conseils communaux ?
On a été plus loin : on est venu proposer de rendre obligatoire, pour les communes belges, la nomination des bourgmestres en dehors du conseil communal, et cette proposition soutenue par un grand nombre de membres de la droite n'a échoué qu'à la majorité d'une seule voix.
Vous avez donc mauvaise grâce d'adresser au parti auquel je suis heureux d'appartenir des griefs et des reproches qui ne peuvent être attribués qu'à vous-mêmes.
Vous demandez : Qu'est-ce donc qu'un bourgmestre en Belgique ? Est-ce l'agent de la commune ? Est-ce l'agent du gouvernement ? Dans mon opinion, le bourgmestre de la commune belge est en même temps l'un et l'autre.
Puisqu'il est pris dans le conseil communal, il représente la commune, et puisqu'il est nommé par le Roi, il est aussi l'agent du gouvernement.
Qui donc, je le demande, est chargé, dans notre pays, de l'exécution des lois, qui donc est chargé de la police ? N'est-ce pas le bourgmestre, et peut-on supposer que le chef de la commune ne soit pas en même temps le délégué du pouvoir central ? Il ne pourrait pas faire exécuter les lois ? et il n'aurait pas capacité pour diriger la police, s'il ne tenait pas cette délégation de l'autorité centrale.
Messieurs, pour vous prouver que la lutte existe fatalement dans (page 565) toutes les communes, l'honorable M. Vanden Branden de Reeth nous a dit qu'après une élection, il suffisait de demander quel était le parti qui avait triomphé et qu'on disait ordinairement ; « Ce sont les amis du curé qui ont triomphé ou qui ont succombé. »
M. Vanden Branden de Reeth. - Pardon ; voici ce que j'ai dit : Quand des campagnards me déclaraient que c'étaient des libéraux ou des catholiques qui avaient été nommés, je demandais à ces campagnards quelle était la signification du mot libéraux et du mot catholiques ; les campagnards me répondaient que le catholique était l'ami du curé et le libéral, l'adversaire du curé
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je suis d'accord avec l'honorable M. Vanden Branden de Reeth pour dire qu'il est déplorable qu'il y ait dans une commune des amis et des adversaires du curé ; tout le monde dans la commune devrait être l'ami du curé, comme le curé devrait être l'ami de tout le monde.
Mais pourquoi voyons-nous cette distinction dans les communes ? Pourquoi le curé a-t-il des adversaires ? Pourquoi tout le monde n'est-il pas l'ami du curé ? Parce que souvent le curé descend des hautes régions où il est et doit rester placé pour descendre dans l'arène politique et, permettez-moi de vous le dire, pour y compromettre sa robe. En se tenant dans une sphère élevée, en ne se mêlant pas à des luttes politiques, le clergé ne rencontrerait partout que des amis et non des adversaires.
Messieurs, voici encore une circonstance anomale qui se présente. Quand le clergé intervient dans les luttes électorales, qu'il descend dans l'arène politique, sans doute nous avons le droit de l'y suivre et de l'y combattre. Que vient-on dire alors ? On dit que le curé est un bon citoyen, qu'il use de ses droits politiques.
Le clergé use, il est vrai, de son droit, et personne ne songea le lui contester. Mais quel langage tient-on à l'égard du représentant de l'autorité civile si, usant, à son tour, de ses droits politiques il intervient dans la lutte électorale ? On le représente comme une espèce de despote, on le traite comme un instrument servile de l'autorité centrale. Il y a là une injustice flagrante. Je dis que si le clergé a le droit d'intervenir dans les élections, publiquement, ostensiblement, à plus forte raison le même droit appartient-il aux membres des administrations communales, et spécialement aux bourgmestres ; je dis que ce n'est pas seulement pour eux un droit, mais encore un devoir de soutenir les principes de l'autorité civile.
Messieurs, en terminant, l'honorable M. Vanden Branden de Reeth nous a dit : Conservons à nos communes leur caractère d'autrefois. Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre. Oui, conservons à nos communes leur caractère libre et indépendant ; laissons-les agir sans contrainte dans la limite des attributions que la loi leur confère, et repoussons loin d'elle l'oppression, de quelque côté qu'elle puisse venir.
Messieurs, je répondrai maintenant un mot à l'honorable M. Wasseige...
M. Wasseige. - Je n'ai encore rien dit ; mais je parlerai tantôt.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'aurai alors l'honneur de répondre à l'honorable M. Wasseige.
Je me trompais, je voulais répondre à l'honorable M. Moncheur.
Messieurs, les faits qui se sont passés à Namur ne sont pas à ma connaissance. En ce qui concerne le personnel de l'administration communale, on a, si je suis bien renseigné, renommé les anciens titulaires, ces titulaires appartiennent à la majorité du conseil communal.
Sous ce rapport, donc, les exigences administratives et les exigences politiques sont satisfaites...
M. Moncheur. - Il y a une forte minorité qui n'est pas représentée.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demanderai à l'honorable membre si, dans son opinion, la minorité devrait être représentée dans le cabinet.
Quant aux faits qui se sont passés à Namur, je ne les connais pas bien, je ne puis rien affirmer. Les membres actuels de l'administration communale de Namur remplissaient déjà, me dit-on, leurs fonctions avant les élections communales ; ils ont été réélus, puis renommés par le gouvernement ; ils appartenaient, je le répète, à la majorité du conseil communal de cette ville.
M. Moncheur. - Le conseil communal n'est pas un corps politique, mais administratif.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ainsi, dans le système de l'honorable M. Moncheur, il fallait éliminer de l'administration communale les anciens membres qui avaient été réélus et qui, je ne puis assez le dire, appartiennent à la majorité du conseil communal ; en d'autres termes, il fallait, pour être agréable à l'honorable M. Moncheur, faire à Namur, précisément ce que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth nous reproche si injustement d'avoir fait ailleurs ; il fallait ne tenir aucun compte du vœu exprimé par le corps électoral. Je prie ces deux honorables membres de vouloir bien se mettre d'accord sur ce point.
L'honorable M. Moncheur prétend que ce qu'il demande était le vœu des électeurs.
Mais il me semble que les électeurs ne peuvent émettre légalement un vœu que par l'élection. Du reste, il est exorbitant de demander au cabinet de destituer des échevins qui étaient dans l'exercice de leurs fonctions, et qui faisaient partie de la majorité du conseil communal.
Au surplus, le gouvernement, en agissant comme il l'a fait, a usé de son droit ; l'honorable M. Moncheur le reconnaît, et il reconnaîtra que celui qui use de son droit, ne nuit à personne.
Messieurs, l'honorable membre a encore appelé l'attention du gouvernement sur un autre fait. Il nous a parlé d'un incident assez grave qui a eu lieu dernièrement au sein du conseil communal de Namur. Je n'ai eu connaissance de cet incident que par les journaux. Aucune plainte n'est arrivée au département de l'intérieur. Aucun recours ne lui a été adressé contre les décisions qui ont pu être prises, et, dans cette situation, je ne pense pas que le gouvernement ait à intervenir.
Les conseils communaux, sauf pour les actes qu'ils posent contrairement à la loi, sont parfaitement indépendants de l'autorité supérieure. Je crois que l'honorable M. Moncheur m'accuserait de vouloir porter atteinte à la liberté communale, si je voulais m'initier à ce qui se passe au sein du conseil communal de Namur ; l'honorable membre me dit que j'aurais dû agir sur le bourgmestre de cette ville ; mais l'honorable membre fait confusion ; dans un conseil communal, il n'y a plus de bourgmestre ; le bourgmestre n'est là que le président du conseil communal ; dans le conseil communal, il n'y a pas de distinction entre les membres du collège des bourgmestres et échevins d'une part, et les autres membres du conseil communal, d'autre part ; il n'y a là que des conseillers communaux ; c'est une assemblée purement communale, en dehors de toute action gouvernementale, de sorte que, quelle que soit la conduite du bourgmestre dans le sein du conseil communal, le gouvernement n'a rien à lui dire. Mais c'est très regrettable, je le reconnaît qu'à Namur on ait étouffé la voix d'un orateur qui parlait : pareille chose s'est vue ailleurs, on en a vu un exemple dans cette Chambre, et ce sont les amis de M. Moncheur qui ont donné ce mauvais exemple.
Un orateur ayant pris la parole, on est parvenu par du bruit et des cris, à couvrir sa voix et à l'empêcher de parler, et la séance a dû être levée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Seulement ici c'était la minorité qui étouffait la voix de l'orateur qui appartenait à la majorité.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ici c'est la minorité, là c'est la majorité.
Je suis loin d'approuver ces actes, mais je dois déclarer que le gouvernement ne peut rien y faire.
L'honorable M. Dechamps en terminant son discours a demandé si nos institutions si précieuses résisteront, pourront résister à ces luttes de partis que l'on veut, d'après lui, surexciter dans le pays.
Je pense, messieurs, que les luttes poussées à l'extrême peuvent offrir des dangers, mais je pense aussi qu'un pays où les citoyens ne s'occupent pas des intérêts généraux de la patrie est bien près de tomber dans le marasme.
S'il est un danger pour nos institutions, ce n'est pas l'usage, c'est l'abus ; ce sont vos attaques constantes, incessantes contre tout ce qui est autorité à tous les degrés.
Je sais fort bien, messieurs, que, comme membres du cabinet, nous devons être en butte à toutes les attaques ici et ailleurs.
M. Rodenbach. - Même au théâtre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Même au théâtre. J'accepte volontiers ce rôle et je ne me plaindrai pas de ces attaques qui sont tout à fait dans nos mœurs ; mais ce que je crains, ce qui pourrait nuire à nos institutions, c'est cette guerre acharnée que vous faites, comme je l'ai dit tout à l'heure, à toutes les autorités à différents degrés, au gouvernement, aux administrations communales, aux provinces et qui pourraient compromettre indirectement le clergé lui-même.
- Un membre. - La presse est libre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne me plains pas de la liberté de la presse, mais je dis que le danger est dans la licence plutôt que dans l'usage des libertés que la Constitution nous a données.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je voudrais répondre quelques mots au discours de l'honorable M. Dechamps, mon honorable successeur s'étant parfaitement acquitté de sa tâche en ce qui le concerne vis-à-vis d'autres membres de l'opposition.
(page 566) L'honorable M. Dechamps, contre son habitude, a fait descendre son discours à des détails que je qualifierai de très minutieux et sur lesquels je regrette de devoir m'expliquer.
Les faits dont l'honorable membre nous parle remontent à 1857.
Si j'avais pu m'attendre à ce que dans une séance du mois de janvier 1862, on fût venu rappeler des faits accomplis en octobre 1857, j'aurais demandé à mon collègue de vouloir bien me renseigner, car l'honorable M. Dechamps voudra bien reconnaître qu'en pareil cas la meilleure mémoire aurait besoin d'être quelque peu rafraîchie. Il nous parle d'une élimination de dix bourgmestres sur 15 qui étaient à nommer dans l'arrondissement de Charleroi.
Je ne me rappelle pas ce fait, et je crois que l'honorable M. Dechamps exagère. Il n'y avait qu'un certain nombre de bourgmestres à renommer en 1857 et je ne pense pas que sur quinze bourgmestres on en ait pu éliminer dix.
.M. Dechamps. - Pardonnez-moi,
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable M. Dechamps a insisté sur l'élimination d'un bourgmestre appartenant à une commune importante. Voici ce que je me rappelle quant à ce fait :
Il s'agissait d'un conseil communal composé en majorité de libéraux.
Quelques semaines avant l'élection générale de 1857, on a imposé à ce conseil communal un bourgmestre choisi dans son sein, mais appartenant à l'opinion de la minorité.
.M. Dechamps. - C'est une erreur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pour exercer sans doute de l'influence sur les électeurs, on a trouvé opportun de lui donner l'investiture quelques semaines avant que les électeurs eussent pu se prononcer. (Interruption.)
Cette nomination a été un acte purement politique, ultra-politique. Voilà ce qui s'est passé, suis-je mal renseigné ?
.M. Dechamps. - Certainement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce bourgmestre n'a-t-il pas été nommé quelques semaines avant les élections ?
.M. Dechamps. - Oui, dans un conseil où il avait la majorité et où il l'a toujours eue.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'entends pas incriminer le fonctionnaire dont il s'agit, mais si vous aviez eu quelque respect pour l'opinion publique et pour la liberté électorale, vous auriez attendu que les électeurs se fussent prononcés et vous n'auriez pas imposé d'avance un bourgmestre à la commune en contradiction avec la majorité du conseil communal.
M. de Decker. - Je n'ai aucun souvenir de ce fait, mais je puis attester, si le fait a eu lieu comme vous le dites, si cette nomination a eu lieu, que c'est sur la présentation des autorités, et c'est à elles qu'il faut en faire remonter la responsabilité. Jamais personne n'a pesé sur moi, jamais je n'ai fait de nomination politique.
- Un membre. - De qui s'agit-il ?
- Un autre membre. - Du bourgmestre de Gosselies.
M. de Decker. - C'était le candidat du gouverneur.
M. Ch. Lebeau. - Du commissaire d'arrondissement, qui était catholique.
M. de Decker. - Jamais je n'ai fait de nomination politique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je reconnais la loyauté de l'honorable M. de Decker, mais je pense que pendant ses deux années de ministère il aura bien eu aussi quelques petites peccadilles à se reprocher.
M. de Moor. - Et la nomination du bourgmestre d'Ath !
M. de Decker. - Elle a été faite dans l'intérêt du gouvernement.
M. de Moor. - Jolie affaire !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, on reproche au conseil communal de Namur d'interrompre les orateurs, je prie la Chambre de ne pas donner de mauvais exemple au conseil communal de Namur.
Nous savons tous que l'honorable M. de Decker, il l'a déclaré lui-même, avait, dans plusieurs circonstances, courageusement résidé à des influences illégitimes, à des influences venant du côté de ses propres amis et que ces résistances lui ont attiré, de leur part, de très vifs reproches.
Sous ce rapport, je rends hommage à l'énergie dont l’honorable M. de Decker a fait preuve.
M. de Decker. - J'ai eu ce courage-là. Je vous le souhaite.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, dans la circonstance spéciale dont je parle, il paraît que l'honorable M. de Decker n'aurait pas eu ce courage-là et qu'il aurait cédé à ses amis.
M. de Decker. - Pas le moins du monde ; personne ne m'a parlé de cette affaire.
M. le président. - M. de Decker, veuillez-vous faire inscrire.
M. de Decker. - Mais, M. le président, je ne puis cependant pas permettre qu'on m'attribue une conduite que je n'ai pas tenue.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'avais pas nommé d'abord l'honorable M. de Decker.
M. de Decker. - Je vous demande pardon.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne me souviens même pas si vous étiez ministre à cette époque. Je me borne à rappeler ce fait qu'un bourgmestre du parti catholique a été nommé quelques semaines avant les élections au sein d'un conseil communal composé en majorité de libéraux.
M. de Decker. - Il était candidat du gouverneur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ajoutez qu'il était proposé aussi par le commissaire d'arrondissement de Charleroi, et ou le comprendra parfaitement.
Eh bien, messieurs, que s'est-il passé ? Il y a eu une réaction contre ce bourgmestre, réaction de la part des électeurs libéraux de la commune, et on a dit au nouveau ministre : Puisqu'on a voulu nous l'imposer, nous espérons bien que vous ne nous l'imposerez pas de nouveau. Et, en effet, le ministère d'alors n'a pas renommé ce bourgmestre qui n'avait été en fonctions que pendant quelques semaines seulement.
On dit que la politique doit rester étrangère aux nominations municipales.
En règle générale, oui, messieurs, je l'admets, et c'est d'après ce principe que nous agissons : nous avons un grand nombre de bourgmestres qui appartiennent à l'opposition ; nous en avons qui siègent dans cette Chambre et au Sénat ; et jamais nous n'avons songé à les troubler dans leur position.
Mais, messieurs, il ne faut pas non plus que ceux qui aspirent à des fonctions purement administratives, comme on les appelle, posent des actes politiques ; s'ils le font, ils s'exposent naturellement à subir les conséquences de leurs actes.
Or, parmi les anciens bourgmestres de l'arrondissement de Charleroi qui n'ont pas été renommés par le cabinet, il y avait des hommes qui avaient posé des actes politiques. Cette circulaire si anodine dont a parlé l'honorable M. Dechamps en parfaite connaissance de cause, était signée par un certain nombre d'électeurs, en leur qualité de bourgmestres et non pas comme simples citoyens, et cela évidemment pour exercer sur l'opinion des électeurs de la commune l'influence qu'ils devaient à leur qualité de bourgmestre. Ils se mettaient donc en avant comme hommes politiques, appuyant leur influence électorale de leur influence de fonctionnaire. Il était donc juste de les traiter en hommes politiques. C'est pourquoi le gouvernement ne les a pas renommés, et je crois qu'il a bien fait.
Du reste, messieurs, je l'ai déjà dit, si un reproche pouvait être adressé à mon administration, ce serait d'avoir été peut être trop modérée.
- Voix à droite. - Oh ! oh !
- Voix à gauche. - Oui ! oui. Certainement !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous avons quatre à cinq mille nominations de bourgmestres et d'échevins à faire à la suite de chaque renouvellement périodique.
Eh bien, je voudrais que l'on fît le compte et qu'on nous indiquât le nombre des victimes qui ont subi les violences politiques qu'on nous reproche.
Et chose remarquable, messieurs, c'est d'un représentant de l'arrondissement de Charleroi que nous vient le reproche de violences politiques, d'actes de partialité politique ; et il n'y a pas six mois que, dans le même arrondissement., nous avons vu une association politique, l'association libérale, dénoncer le ministre de l'intérieur, le gouvernement, comme trahissant la cause libérale en ne donnant à l’arrondissement de Charleroi que des bourgmestres et des échevins catholiques.
L'honorable M. Dechamps ne niera pas le fait, je pense ; et, non seulement, cette association politique parlait pour l'arrondissement de Charleroi, mais elle faisait un appel général à tout le pays ; elle voulait que tout le pays s'associât à l'arrondissement de Charleroi pour protester contre la politique ultra-modérée du cabinet et particulièrement du ministre de l'intérieur.
Que prouve ce fait, messieurs ? Il prouve évidemment l’extrême modération, la grande impartialité que le cabinet a apportées dm» la nomination des magistrats municipaux.
(page 567) Nous ne voudrions pas, messieurs, récriminer, nous n'aimons pas ce genre de discussions ; mais si nous voulions remonter aux antécédents, il nous serait très facile de démontrer que toujours l'opinion libérale s'est montrée plus réservée, plus modérée dans les nominations des magistrats municipaux que l'opinion contraire.
Il y a d'ailleurs un fait qui établit de la manière la plus absolue que ce n'est pas l'opinion libérale qui a voulu ériger en principe que le magistrat communal était avant tout un magistrat politique. Cette doctrine est venue des bancs de la droite ; c'est de ces bancs, en effet, qu'est partie la proposition de nommer les bourgmestres en dehors du conseil. Ce sont des ministres de la droite qui ont fait de nombreuses nominations de bourgmestres en dehors du conseil, de nombreuses nominations purement politiques. Voilà le fait.
M. Muller. - C'est scandaleux !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Maintenant, en 1848, alors que toutes les passions politiques étaient surexcitées, alors que tout le monde subissait l'entraînement politique, qu'a fait le ministère libéral ? Il s'est dessaisi de l'arme politique que lui avaient léguée ses adversaires ; il a demandé à la Chambre que désormais les magistrats municipaux ne fussent plus nommés en dehors du conseil, excepté pour des raisons administratives et moyennant l'avis conforme de la députation permanente.
Voilà, messieurs, comment nous avons écarté des nominations l'élément politique municipal ; voilà comment nous sommes autorisé à vous renvoyer le reproche d'introduire la politique dans la commune.
Et, messieurs, de quelle manière avons-nous usé de cette faculté de nommer les bourgmestres en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation ? A-t-il été fait abus de cette faculté ? Combien de bourgmestres ont été nommés en dehors du conseil ? Pendant ma première administration qui a duré cinq ans, je ne pense pas en avoir fait deux, et dans la dernière période de mon administration, il se peut qu'en j'en aie proposé une ; mais je suis certain de n'en avoir pas proposé davantage.
Voilà, messieurs, de quelle manière nous avons usé de la faculté de nommer les bourgmestres en dehors du conseil.
A une autre époque, on n'y mettait pas tant de scrupule, et nous avons vu, dans un seul arrondissement jusqu'à 10 bourgmestres nommés en dehors du conseil.
Messieurs, je ne pense pas que la discussion continue longtemps encore sur ce terrain. Toutefois, si des faits spéciaux pouvaient être invoqués à ma charge, je demanderais à mes honorables adversaires de vouloir bien me signaler, d'ici à demain, les actes auxquels ils se proposeraient de faire allusion.
On comprendra que si ces faits sont fort anciens, s'ils remontent à 5 ans, je serai dans la nécessité de recourir aux archives pour pouvoir répondre d'une manière péremptoire.
Du reste, je n'entends pas prendre ici la place de mon honorable successeur ; je prends pour moi les faits qui me concernent, bien convaincu qu'il lui sera facile de défendre les actes qu'il a posés pour son compte.
M. Hymans. - L'honorable M. Dechamps, dans une intention peu charitable, m'a fait dire beaucoup plus que je n'ai dit.
J'ai répondu à une théorie développée par l'honorable M. Vanden Branden de Reeth, théorie d'après laquelle le gouvernement ne doit tenir aucun compte des élections communales en matière de nomination de bourgmestres.
M. Vanden Branden de Reeth. - J'ai dit tout le contraire.
M. Hymans. - Vous avez dit qu'on ne devait pas tenir compte, en matière dénomination communale, des élections communales. (Interruption.)
Votre phrase ne veut rien dire ou elle veut dire cela.
A cette théorie absolue j'ai répondu par une autre théorie non moins absolue, dont le gouvernement n'est pas tenu d'accepter la solidarité, mais que je considère comme parfaitement conforme aux principes du régime représentatif ainsi qu'à l'honneur et à la dignité politique.
Je ne veux pas renouveler une discussion que je considère comme épuisée depuis longtemps, sur l'utilité des partis politiques, ni fournir à l'honorable M. Dechamps l'occasion de développer pour la cinquième ou la sixième fois la théorie de gouvernement neutre dans un pays neutre, en y ajoutant le bourgmestre neutre dans la commune neutre.
Je me borne à constater que nous n'avons pas encore trouvé l'honorable M. Dechamps neutre dans un discours neutre et je l'en félicite, car l'honorable membre défend avec beaucoup d'éloquence les idées les plus absolues et les plus exclusives de son parti qui, Dieu merci, n'est pas plus neutre ici qu'en dehors de cette enceinte. Pour mon compte je ne comprends pas la politique sans la politique, je ne comprends pas surtout que nos adversaires déclarent la guerre à la politique, eux qui en font à propos de tout, même à propos de l'or ou des logements militaires.
J'ai surtout pris la parole pour repousser le reproche que m'adresse l'honorable M. Dechamps de vouloir faire intervenir la politique dans les nominations judiciaires. Je ne veux pas qu'on fasse ici une confusion qu'on exploiterait au-dehors contre mes amis et contre moi.
Je serais le premier à blâmer le gouvernement s'il faisait de l'opinion politique la condition de la nomination d'un magistrat ; je lui rends cette justice qu'il n'en a rien fait.
Je ne connais d'exemple de révocation de magistrats pour cause d'opinion politique que sous des ministères conservateurs.
Ainsi la révocation d'un procureur du roi de Gand a été contre-signée par un collègue de M. de Theux, la révocation du procureur du roi de Nivelles a été contre-signée par M. de Theux en 1845 ou 1846.
M. de Theux. - Je n'ai jamais été ministre de la justice.
M. Hymans. - Vous étiez chef du cabinet ; et puisqu'on rend M. le ministre des affaires étrangères responsable des actes de M. Vandenpeereboom, je puis bien rendre M. de Theux responsable des actes de son collègue de la justice.
D'ailleurs, si l'honorable M. de Theux n'a pas pu faire des révocation dans l'ordre judiciaire, il en a fait assez dans les administrations dont il était le chef. Il n'est pas arrivé souvent à l'opinion libérale de révoquer des gouverneurs pour opinion politique, surtout sur l'ordre d'un pouvoir occulte qui ne devrait rien être dans l'Etat ; c'est l'honorable M. de Theux qui a révoqué M. de Stassart, parce qu'il était le grand maître de la maçonnerie.
M. de Theux. - Quoique.
M. Hymans. - J'ai le droit de dire parce que.
M. de Theux. - Et moi quoique.
M. Hymans. - En descendant d'un degré l'échelle des révocations administratives, je crois que c'est encore l'honorable M. de Theux qui a destitué le commissaire d'arrondissement de Waremme quoiqu'il se fût porté candidat aux élections contre un partisan de l'administration dont M. de Theux était le chef.
M. de Theux. - Je m'expliquerai.
M. Hymans. - C'est bien là une révocation politique.
Dans cette circonstance, l'honorable M. de Theux avait d'excellentes raisons à donner en faveur de l'acte que je cite ; il a suivi ma doctrine, et si quelqu'un doit m'attaquer pour l'avoir émise dans cette enceinte, ce n'est pas à coup sûr un membre de la droite.
Je n'ai parlé que des fonctionnaires politiques. Vous admettrez que les bourgmestres sont en grande partie des fonctionnaires politiques. J'ai dit que lorsqu'un conseil communal était libéral, c'était le droit et même le devoir du gouvernement de nommer un bourgmestre libéral.
Le contraire serait impossible, l'administration ne pourrait plus marcher si on laissait un bourgmestre catholique à la tête d'un conseil communal libéral. Il faut, avant tout, que l'harmonie règne dans un conseil communal, et c'est pour cela que j'ai trouvé que le gouvernement avait eu tort d'hésiter pendant 15 mois à donner un bourgmestre libéral à une grande commune libérale.
L'arrondissement dont cette commune est le chef-lieu est représenté ici par trois députés conservateurs ou catholiques, mais la commune est libérale ; la preuve, c'est que les électeurs en 1860 ont nommé un conseil communal où l'opinion libérale avait la majorité ; elle avait, à deux voix près, l'unanimité.
Il n'est resté que deux membres catholiques dans le conseil, l'un d'eux était le bourgmestre ; aussi l'administration était devenue impossible, le bourgmestre ne venait pas aux séances, il refusait de convoquer le conseil, c'était une anarchie complète.
Aux yeux de mes adversaires c'est un abus d'avoir mis fin à une pareille situation. Cependant ils sont les défenseurs de l'autorité. Ils sont le parti du pouvoir en toute circonstance ; ils ne se doutent pas que leurs doctrines mènent tout droit à l'anarchie.
Je répète, messieurs, que le gouvernement en beaucoup de circonstances a fait preuve, de l'avis de beaucoup de ses amis, d'un excès de modération, et le regret que nous éprouvons de ce chef s'explique parfaitement.
Car en définitive nous ne sommes pas tenus de faire les affaires de nos adversaires.
(page 568) Je trouve très déplorable que le gouvernement ait des agents politiques qui travaillent contre lui, dans les élections, et tout le monde sait parfaitement qu'il en est un grand nombre.
Mais si je trouve cela déplorable, je trouve incroyable que, dans les communes libérales, ou ne nomme pas des bourgmestres libéraux, comme, je trouverais fort étrange que l'honorable M. Dechamps, revenant au pouvoir, préférât ses adversaires à ses amis et les principes qu'il a combattus à ceux qu'il défend et que, je suppose, il défendra toujours.
Je ne répondrai qu'un mot à la dernière partie du discours de l'honorable M. Dechamps.
Il nous prédit la mort du régime parlementaire pour la vingt-cinquième ou la trentième fois.
Je me rappelle que la première fois que j'entrai dans cette Chambre, non pas dans l'enceinte législative, non pas même dans la tribune de la presse, mais dans la tribune publique, étant tout enfant, j'entendis l'honorable M. Dechamps parler ici.
C'est le premier orateur politique que j'ai entendu en Belgique ; et ce jour-là j'entendis l'honorable M. Dechamps prédire la mort du régime représentatif ; la révolution des ruines.
J'ai entendu l'honorable membre répéter maintes fois depuis cette prédiction. Je l'ai lue dans les Annales parlementaires ; je l'ai entendue sur ces bancs. Je me rappelle encore qu'en 1857, dans la mémorable discussion sur l'enseignement supérieur, l'honorable M. Dechamps, six mois avant cette grande réaction libérale, avant ce mouvement qui se produisit dans le pays et qui fut une révolution pacifique (interruption) ; oui, messieurs, une révolution pacifique, et légitime, et légale, l'honorable M. Dechamps déclarait ici que si le libéralisme arrivait au pouvoir, il ne reviendrait qu'en portant dans les plis de son manteau César ou Catilina.
.M. Dechamps. - Vous vous trompez de date.
M. Hymans. - C'était en 1857 ; six mois avant que le libéralisme revînt au pouvoir, vous avez annoncé au pays et à l'Europe, que cette opinion ne reviendrait au pouvoir qu'en portant dans les plis de son manteau Catilina ou César,
.M. Dechamps. - C'est une erreur complète. Veuillez relire ce que j'ai dit. Vous êtes à cent lieues de la vérité. Je ne parlais pas même de la Belgique ; je faisais allusion à toute autre chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'était une prédiction générale.
M. Hymans. - C'était une prédiction générale à laquelle l'honorable M. Orts vous a répondu alors, sans que vous ayez protesté le moins du monde, et puisque vous voulez que je précise, je vais vous lire la réponse de mon honorable ami.
.M. Dechamps. - Non, lisez ma phrase.
M. Hymans. - Il n'y a que des discours libéraux dans la brochure que je tiens en main. (Interruption.) Je suppose que vous avez aussi des brochures qui ne contiennent que vos discours à vous. En tous cas, je constate que mon honorable collègue, M. Orts répondait à la prédiction que vous avez faite et que vous n'avez pas protesté, vous avez dit que le libéralisme ne reviendrait au pouvoir qu'en apportant dans les plis de son manteau Catilina ou César. Il est revenu sans apporter ni l'un ni l'autre.
Vous parliez six mois avant les événements de 1857. Dans l'intervalle vous-même, vous avez apporté quelque chose au pays ; vous lui avez apporté un acte de conciliation, de modération : 4a loi sur la charité.
L'événement nous a montré qui de vous ou de nous menait à l'anarchie.
M. Vanden Branden de Reeth (pour un fait personnel). - L'honorable M. Hymans, à deux reprises différentes, me prête une opinion que je n'ai pas émise. D'après lui, j'aurais soutenu que le gouvernement, dans la nomination des bourgmestres et échevins, ne devait tenir aucun compte de l'opinion des électeurs. C'est précisément le contraire de ce que j'ai dit, dans le discours que je viens de prononcer. J'ai fait un grief au gouvernement d'avoir, dans mainte circonstance, éliminé par esprit de parti des bourgmestres ou des échevins qui venaient d'être réélus à une grande majorité.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.