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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 28 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 549) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des huissiers de contrainte dans l'arrondissement de Courtrai demandent que leur position soit améliorée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des commissaires de police dans la Flandre orientale prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Même renvoi.


« Le sieur Cassier, milicien congédié pour infirmité contractée au service, demande une pension ou un subside. »

- Même renvoi.


« Des huissiers près le tribunal de Neufchâteau demandent que les tarifs de leurs émoluments soient augmentés et que les huissiers audienciers reçoivent un traitement' fixe et annuel pour le service intérieur du tribunal. »

- Même renvoi.


« Le sieur Botteman, ancien employé des accises, demande une augmentation de pension ou un secours. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Westerloo demande la révision de la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande des administrations communales de Caggevine-Assent, Desschel, Beersel, Moerbeke et Hoogstraeten. »

- Même renvoi.


« Le sieur Bourgeois, combattant de 1830, demande la croix de Fer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Grégoire demande une récompense honorifique pour services rendus en 1830. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson, ancien directeur de boulangerie militaire, réclame des arriérés de solde et demande sa pension ou qu'on le mette en non-activité. »

- Même renvoi.


« La veuve Guelff demande un congé illimité ou bien de trois mois, pour son fils, milicien de la levée de 1861, qui est incorporé au 2ème régiment de. chasseurs à pied. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Minette demande la suppression de l'impôt de capitation. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Neerheylissem prie la Chambre d'accorder à cette commune un subside de 400 fr. destiné à procurer du travail à la classe nécessiteuse. »

- Même renvoi.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers prie la Chambre de s'occuper du projet de loi relatif aux warrants. »

Ordre des travaux de la chambre

M. de Boe. - Je viens appuyer la demande de la chambre de commerce d'Anvers. Ce corps prie la Chambre des représentants de bien vouloir mettre en discussion et de vouloir bien voter le projet de loi relatif à l'institution des warrants. Le rapport sur ce projet de loi a été déposé sur le bureau au commencement de la session de 1860-1861, dans le mois de novembre, de telle sorte que les membres de la Chambre ont ce travail entre les mains depuis bientôt quinze mois.

On attache à Anvers une certaine importance à l'adoption du projet de loi dont je parle. On espère que, grâce à ce projet de loi, on parviendra à introduire dans nos mœurs commerciales l'usage des warrants, usage qui sera surtout favorable au développement du crédit des jeunes négociants, des maisons de commerce qui s'établissent et dont le crédit n'est pas très étendu.

Je demanderai donc à la Chambre de bien vouloir porter à son ordre du jour ce projet et de le voter afin qu'il puisse être promulgué dans le cours de cette session.

Puisque j'ai la parole, je signalerai aussi à l'attention de la Chambre le retard que subit l'examen du projet de loi relatif à l'institution d'une caisse d'épargne et de retraite.

Le rapport en est depuis longtemps déposé. Les pays voisins sont dotés de cette institution si éminemment utile au développement matérielle moral de la classe ouvrière, la Belgique n'a rien fondé d'efficace à cet égard, et il est fâcheux qu'un projet qui organise le système sur de nouvelles bases ne puisse être mis en discussion dans cette enceinte.

Un troisième projet tout aussi ancien, tarde tout autant à être soumis à nos délibérations ; c'est le projet de loi relatif à la propriété artistique et littéraire.

D'ans l'exposé des motifs, le gouvernement belge se félicite, à juste titre, d'être des premiers à inscrire dans sa législation le principe de la reconnaissance internationale de la propriété artistique et littéraire.

Or, le gouvernement français vient de nommer une commission qu'il a chargée d'examiner ce principe, et il y a lieu de croire, d'après la rapidité avec laquelle marchent les affaires dans ce pays, que cette commission fera son rapport, que le gouvernement soumettra au corps législatif un projet de loi et que ce projet de loi sera voté et promulgué avant qu'en Belgique on ait législativement résolu la question.

Enfin, messieurs, les demandes en naturalisation ne subissent pas de moindres retards. Pour qu'une demande de naturalisation aboutisse, il faut souvent un an et demi à deux ans. La loi impose à l'étranger qui demande cette faveur, la condition de la preuve d'une résidence de cinq années en Belgique ; par suite des retards dont je parle, ce délai se trouve de fait prolongé de deux ans.

Je crois que ces retards proviennent de causes les unes temporaires, les autres permanentes. Ce n'est pas à l'occasion d'une pétition qu'il y a lieu d'aborder ces questions ; je les soulèverai lorsque se présentera une occasion plus opportune. Quant à présent, je prie le bureau d'ordonner le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport et je prie la Chambre de mettre le projet de loi relatif à l'institution des warrants en prompte discussion, immédiatement après le deuxième vote du Code pénal, à moins toutefois que ce second vote ne se prolonge d'une manière indéfinie.

On espère que les amendements adoptés au premier vote seront adoptés, mais il se peut que la discussion qu'ils soulèveront dure un mois. (Voix : Non ! non !)

Cela est possible, nous n'en savons rien. Il est possible, probable même, que pour certaines questions on recommencera, à l'occasion du second vole, les discussions qui ont eu lieu à l'occasion du vote primitif, je demande donc que si l'examen du Code pénal dure trop longtemps, on veuille bien l'interrompre pour s'occuper de projets qui ne peuvent indéfiniment rester en souffrance.

Quoi que nous fassions, le Code pénal ne pourra pas être promulgué avant un an ou deux, car le Sénat y introduira sans doute des amendements sur lesquels la Chambre des représentants ne pourra, au plus tôt, statuer que vers la fin de la session prochaine.

M. le président. - Je propose à la Chambre de mettre à la suite de son ordre du jour les projets de lois rappelés par M. de Boe, en leur laissant le rang qu'il leur a assigné dans ses observations.

M. H. Dumortier. - Messieurs, les observations que vient de faire l'honorable M. de Boe ne sont malheureusement que trop fondées. Il est très vrai que depuis un an et plus un grand nombre de projets de lois très importants paraissent à l'ordre du jour, en disparaissent, y reparaissent, mais, en définitive, ne sont jamais mis en discussion. Cela est très regrettable, parce que cela nous empêche de faire de bonnes lois, et que, d'un autre côté, cela est très désagréable pour les membres de la Chambre qui se sont spécialement occupés de ces projets et notamment pour les rapporteurs des sections centrales.

Je demande, messieurs, que le projet de loi sur l'institution d'une caisse d'épargne et d'une caisse de retraite, qui est plus ancien que le projet de loi sur les warrants, et dont le rapport a été déposé avant le rapport sur le projet de loi concernant les warrants, soit mis à l'ordre du jour après le Code pénal et avant le projet de loi sur les warrants.

Je dois d'autant plus insister pour qu'il en soit ainsi, qu'au commencement de la session, l'honorable ministre des finances lui-même a déclaré qu'immédiatement après les budgets, il convenait de mettre en discussion avant tout le projet de loi concernant la caisse de retraite.

J'espère que M. le ministre des finances maintiendra cette manière de voir sur cet objet.

(page 550) M. de Boe. - Le projet de loi relatif à la caisse d'épargne et de' retraite soulève les questions les plus graves, notamment celle de la garantie et de la responsabilité de l'Etat.

Ces questions donneront lieu à une discussion approfondie et peut-être longue. Il n'en est pas de même du projet de loi sur les warrants, qui ne soulève guère qu'une ou deux questions de principe, dont la solution pourra être obtenue peut-être en une seule séance.

La loi dans son ensemble est une loi de procédure, dont la discussion ne peut offrir d'intérêt que pour les personnes qui en ont fait une étude spéciale.

Je demande donc à la Chambre d'adopter la résolution que je lui ai soumise, c'est-à-dire, de mettre le projet de loi sur les warrants à l'ordre du jour immédiatement après le vote du Code pénal, sauf décision ultérieure si la discussion de ce code se prolongeait outre mesure.

M. Rodenbach. - Messieurs, on nous a distribué, il y a quelque temps, une pièce qui constate qu'il y a au moins 25 à 30 projets de lois arriérés.

Eh bien, messieurs, je demande que l'on décide ultérieurement ce qu'on mettra à l'ordre du jour et qu'en attendant l'on s'occupe avant tout des budgets. Nous avons le budget de la guerre, le budget de l'intérieur, le budget des travaux publics, le budget des affaires étrangères. Ce sont là des objets dont il faut s'occuper avant toute autre chose. Pour le moment, le reste est prématuré.

M. le président. - M. Henri Dumortier maintient-il sa proposition ?

M. H. Dumortier. - Certainement M. le président. Mais je désirerais savoir si M. le ministre des finances consent à 'ce qu'on discute le projet de loi sur les warrants avant le projet de loi sur la caisse d'épargne.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je désire très vivement que ces projets de loi, présentés il y a fort longtemps, soient mis à l'ordre du jour et discutés prochainement. Il m'est assez indifférent que le projet de loi sur les warrants vienne avant le projet de loi sur la caisse d'épargne et de retraite. Je ferai seulement observer à l'honorable M. H. Dumortier, qu'ainsi que l'a dit l'honorable M. de Boe, la loi sur les warrants ne paraît pas de nature à donner lieu à de longues discussions ; il n'y a pas de principes contestés dans cette affaire ; le projet de loi n'est pas non plus très étendu. Il n'en est pas de même de la loi sur l'institution d'une caisse d'épargne et de retraite. Ce projet de loi pourra occuper la Chambre pendant un temps beaucoup plus long.

Je pense que l'on pourrait sans inconvénient mettre ces projets de loi à l'ordre du jour à la suite du Code pénal, sauf à statuer ultérieurement sur la question de priorité, qui dépendra du degré d'avancement des travaux de la Chambre.

M. le président. - M. H. Dumortier, je vous engage à ne pas insister.

M. H. Dumortier. - Je n'insiste plus, M. le président.

M. le président. - Je reproduis donc la proposition que j'ai faite tout à l'heure, de mettre ces divers projets de loi à la suite de l'ordre du jour ; nous y ferons figurer, d'abord le projet de loi sur les warrants, puis le projet de loi sur la caisse d'épargnes et la caisse de retraite ; enfin le projet de loi sur la propriété artistique et littéraire.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - M. de Boe avait proposé le renvoi de la pétition de la chambre de commerce d'Anvers à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. Mais comme il existe un projet de loi sur la matière, je crois qu'il y a lieu d'ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi. J'en fais la proposition.

- Cette proposition est également adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1862

Discussion du tableau des crédits

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, dans la dernière séance, l'emploi des troupes aux travaux de fortification d'Anvers a été critiqué, sous tous les rapports, par l'honorable M. Goblet.

Déjà, l'année dernière, des explications m'avaient été demandées au sujet de l'intervention de l'armée dans ces travaux ; j'ai fourni alors à la Chambre des renseignements qui ont paru la satisfaire.

Cette année, la section centrale a de nouveau demandé, et j'ai donné des éclaircissements sur le même sujet ; ils sont consignés dans une note jointe au rapport de la section centrale.

Je serai donc obligé, pour répondre au discours de l'honorable M. Goblet, de reproduire en partie les mêmes explications.

Je vous demande pardon à l'avance, messieurs, de ces répétitions, et je vous prie de m'accorder encore quelques instants de cette bienveillante attention à laquelle vous m'avez habitué.

Messieurs, depuis longtemps on a senti qu'il pourrait être utile d'employer les troupes aux travaux de fortification ; on a reconnu que c'était un complément d'instruction à donner à l'armée ; cette utilité a été proclamée partout.

Je ne remonterai pas aux exemples reculés du passé pour vous le prouver ; je ne remonterai même pas jusqu'à Vauban qui, en préconisant l’emploi des troupes à des travaux de ce genre, avait élaboré un règlement complet pour l'application de ses idées sur cette matière.

Je me bornerai à citer ce qui se fait aujourd'hui dans tous les pays, et à m'étayer de l'opinion des militaires les plus compétents.

Un homme dont, à coup sûr, personne ne déclinera l'autorité, le général Oudinot, qui a commandé des armées en chef, qui, après un siège mémorable, a pris Rome défendue par Garibaldi, a publié un ouvrage sur l'emploi des troupes aux travaux publics et sur les résultats de leur coopération aux fortifications de Paris, dans lequel il se prononce sans réserve en faveur de l'emploi des troupes aux fortifications, mais il n'admet pas leur intervention dans les travaux publics qui n'ont pas un caractère militaire, c'est-à-dire dans les travaux civils. Voici l'épigraphe donnée à son livre par le général Oudinot et qui en caractérise l'esprit :

« Endurcir le soldat aux fatigues, l'exercer à faire des tranchées et des fortifications pendant la paix, c'est le plus sûr moyen d'éviter les revers et d'assurer le succès pendant la guerre. »

Voilà, messieurs, comment, en résumé, le général Oudinot juge la question qui nous occupe ; il développe et défend ce principe avec toute l'autorité du savoir et de l'expérience.

On a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même en disant que, pendant la session de 1847-1848, j'avais combattu l'idée de l'emploi des troupes aux travaux publics, et l'on a cité quelques phrases de mes discours de cette époque.

Messieurs, le discours que j'ai prononcé à ce sujet est tout au long dans les Annales parlementaires de l'époque et aujourd'hui, à 15 années de distance, je n'ai pas une phrase à en retrancher. J'ai relu ce discours, et mes opinions sont absolument aujourd'hui ce qu'elles étaient alors.

De quoi s'agissait-il en 1848 ? On proposait d'employer l'armée à des travaux civils, au défrichement de la Campine, et je disais qu'il n'y aurait aucune espèce d'avantage à l'adoption de ce système ; qu'il aurait au contraire pour effet de nuire à l'armée, en ce sens qu'il lui enlèverait son caractère militaire.

Si aujourd'hui, messieurs, on faisait la même proposition, je soutiendrais absolument la même thèse.

Mais lorsqu'il s'agit de travaux de fortifications, de travaux de défense, c'est tout autre chose.

Les travaux militaires sont faits dans l'intérêt de l'armée ; ils lui sont utiles, nécessaires et même indispensables aujourd'hui plus qu'à aucune autre époque, parce que, par suite du perfectionnement des armes à feu, il sera désormais impossible de se défendre si l’on n'a pas de soldats capables de faire des retranchements et toute espèce de travaux de fortifications.

J'expliquerai cela tout à l'heure plus en détail.

L'exécution des vastes travaux de fortification que nous avons décrété de faire à Anvers, nous donnaient une occasion précieuse, unique, qui ne se présenterait plus, de donnera nos troupes cette instruction, préconisée par le général Oudinot et par tant d'autres illustrations militaires de tous les pays.

Le gouvernement eût été blâmable, très blâmable, à mon avis, s'il n'avait pas saisi cette occasion d'apprendre aux soldats un métier qu'ils devront nécessairement faire si nous avions à défendre le pays.

Aussi, messieurs, je me suis bien gardé, dès qu'il a été question des fortifications d'Anvers, de la laisser échapper et j'ai songé tout d'abord aux moyens de faire participer l'armée à cette vaste entreprise.

Dans cette prévision, dès que la Chambre eut voté la loi qui autorisait le gouvernement à entreprendre ces travaux, j'ai fait insérer dans le cahier des charges qui devait servir de base à l'adjudication et être communiqué au public et à tous les soumissionnaires, une clause qui vous montrera quelles étaient mes intentions et mon projet arrêté d'avance. Voici celle clause, telle qu'elle est consignée à l'article 4, paragraphe 32.

« Le département de la guerre se réserve le droit de faire exécuter par la troupe, tels ouvrages qu'il jugera convenable. Les dépenses qui résulteront de cette mesure seront imputées sur la somme de trente-cinq à quarante millions indiquée à l'article 5, paragraphe 33.

(page 551) « L'entrepreneur fournira, pour l'usage de la troupe et lorsqu'il en sera requis par le commandant du génie, les matériaux et au besoin le matériel nécessaire à l'exécution des travaux dont il s'agit, d'après les prix du tarif général mentionné à l'article 5, paragraphe 34 de la deuxième section, diminués, s'il y a lieu, au prorata du rabais, résultant de l'adjudication. »

Vous voyez donc que ce n'est pas pour favoriser un entrepreneur, que nous ne pouvions pas connaître alors, que nous avons inséré cette clause, mais c'est par des considérations d'un ordre plus élevé et dans un but incontestable d'utilité pour le pays et pour l'armée.

Nous n'avons pas spécifié la somme de travail à fournir par nos troupes, parce que nous voulions nous réserver le droit de faire exécuter par l'armée la quantité de travail que nous jugerions utile à son instruction, et à la plus ou moins grande rapidité d'exécution que commanderaient les événements ou la situation politique de l'Europe.

Lorsque je vous ai dit que de tout temps mes prédécesseurs avaient compris comme moi l'utilité d'occuper les troupes à des travaux de ce genre, et avaient prescrit qu'on les y employât dans les différentes garnisons du. pays, en leur faisant exécuter des travaux de fortification, on a contesté cette conformité de vues des précédents ministres de la guerre.

J'avais cité des circulaires de mes prédécesseurs. L'honorable M. Goblet a pris une de ces circulaires ; il vous l'a lue ; il y a trouvé tout le contraire de ce qu'elle dit et en a défiguré la signification par ses commentaires. Je vais à mon tour vous en donner lecture, messieurs, et vous pourrez voir si elle est contraire aux travaux que nous faisons exécuter par les troupes à Anvers.

Cette circulaire est du 25 octobre 1845 ; elle a été adressée par le ministre de la guerre d'alors, M. le général Dupont, si je ne me trompe, à tous les lieutenants généraux commandant les divisions territoriales. Voici ce qu'elle dit :

« Parmi les exercices auxquels doivent se livrer les troupes de différentes armes dans les garnisons et qui sont prescrits par les circulaires ministérielles des 21 août et 11 décembre 1843 et du 22 août 1844 » (Vous voyez que, antérieurement déjà, il y avait des circulaires conçues dans le même esprit.) «... il me paraît utile de comprendre l'exécution d'ouvrages de fortification passagère et celle des dispositions offensives et défensives que les troupes d'infanterie et d'artillerie peuvent se trouver dans le cas d'exécuter en campagne, ainsi que les travaux auxquels elles peuvent être appelées à concourir en cas de siège.

« Ces exercices commenceront par les dispositions les moins compliquées. Le résultat des premiers essais donnera la mesure de l'extension dont ils seront susceptibles dans l'avenir.

« Les ouvrages de défense à exécuter seront d'un tracé simple, tels que ceux qui font l'objet de la dix-neuvième leçon du cours d'art militaire du major Fallot ou des redoutes carrées.

« Le développement et le profil des ouvrages seront en rapport avec le nombre de travailleurs, et déterminés de manière qu'ils soient mis en état de servir à leur destination après 36 heures de travail continu ; ils seront exécutés par des brigades qui se relèveront de 6 en 6 heures.

a On appliquera, pour ce qui concerne le choix des profils et la répartition des travailleurs, les indications contenues dans la 27ème leçon du traité précité.

« Les soldats d'infanterie masseront les terres et les mettront sous profil ; les troupes du génie, s'il y en a dans la garnison, et au besoin les troupes de l'artillerie feront les revêtements et autres détails d'art ; les artilleurs construiront les barbettes et les embrasures.

« Lorsqu'il y aura lieu et moyen d'employer une partie de revêtement en claies, en fascines ou en gabions, on exercera les troupes d'artillerie et d'infanterie, et particulièrement les cadres de sous-officiers et caporaux, à la confection de ces matériaux,.»

On a voulu induire des termes si clairs et si précis de cette instruction que nous faisons à Anvers tout l'opposé de ce qu'elle prescrit ! Parce qu'elle recommande de commencer l'instruction de la troupe par les travaux les plus simples de la fortification, par de petites redoutes, est-ce à dire qu'il ne faille pas employer les troupes, lorsqu'on le peut, à des travaux plus sérieux ? Mais dans des garnisons qui n'ont qu'un très faible effectif et où il n'y a qu'un terrain très limité à la disposition du gouvernement, était-il possible de prescrire autre chose que des travaux sur une échelle restreinte ? Quand on ne possède pas d'argent pour donner, même dans des limites bornées, ce genre d'instruction à l'armée, pouvait-on entreprendre de grands travaux ?

On a dit que la circulaire ne prescrivait que des travaux de fortification passagère. Cela est parfaitement juste, et il ne pouvait pas en être autrement en 1845, puisqu'il ne pouvait pas être question de faire exécuter des fortifications permanentes sur nos terrains de manœuvre. Mais s'ensuit-il que, parce que, en 1845, on n'était pas dans le cas d'avoir à faire exécuter des travaux de fortification permanente, il soit contraire à l'esprit de la circulaire de faire exécuter par nos troupes des travaux de ce genre ? Evidemment non, messieurs ; la nature des travaux est ici sans aucune importance ; que ces travaux doivent être passagers ou permanents, le résultat pour les soldats qui les ont exécutés est absolument le même, et quand des soldats savent faire les fortifications passagères, ils savent faire les fortifications permanentes, et réciproquement.

Messieurs, à l'époque où l'on faisait exécuter ces travaux dans les différentes garnisons, ils entraînaient l'Etat à une certaine dépense prévue par cette circulaire. Elle dit :

« Les soldats seront pourvus des outils nécessaires, qui seront pris dans les arsenaux et délivrés par les gardes d'artillerie.

« Les chefs de corps seront autorisés à faire les dépenses pour l'achat des perches, clous, lattes, etc., qui doivent servir à l’établissement des profils, et, s'il y a lieu, pour le bois nécessaire à la confection des fascines, gabions ou claies.»

C'était donc avec les fonds et les outils de l'Etat que ces travaux devaient se faire. Quand ces outils étaient usés ou brisés, il fallait bien les remplacer aux frais de l'Etat. Après l'achèvement des travaux il fallait les détruire et en général, comme on était obligé de les élever sur les terrains des manœuvres, ces terrains bouleversés enlevaient aux troupes des garnisons la possibilité de se livrer aux exercices ordinaires pendant la durée des travaux d'exécution et de démolition.

Ces travaux étaient onéreux à l'Etat, ne servaient à rien lorsqu'ils étaient terminés ; leur seul but était d'instruire l'armée.

En est-il de même de ceux que nous faisons exécuter par nos soldats à Anvers ?

Ils ne coûtent rien à l'Etat, Ils s'exécutent sur le crédit alloué pour les travaux d'Anvers ; ils ne sont pas détruits après leur achèvement et accélèrent au contraire l'exécution de notre système de défense nationale ; enfin ils permettent de donner aux officiers, aux sous-officiers et aux soldats une instruction complète de ce genre de travail.

J'ai été à plusieurs reprises chargé de la direction des travaux de fortification qu'on faisait exécuter dans les garnisons. Comme colonel, j'ai fait construire au camp de Bcverloo des redoutes par nos soldats d'infanterie ; comme général de brigade, j'ai dirigé les travaux de ce genre exécutés par la garnison de Mons, et je puis dire par expérience que cette instruction était loin de valoir celle que nos troupes reçoivent à Anvers.

Enfin, pour vous prouver que l'emploi des troupes à des travaux de fortification a toujours été reconnu nécessaire à leur instruction, et que leur coopération aux travaux d'Anvers n’est pas une innovation, je vous rappellerai que l'année qui a précédé le vote de l'agrandissement d'Anvers, la garnison de Bruxelles a été employée à construire deux ouvrages de fortification, l'un à la plaine de manœuvres, l'autre dans la plaine du Chien-Vert, au bas de la ville.

L'honorable M. Goblet vous a dit qu'on avait voulu faire usage de la troupe pour la construction des fortifications de Paris, et que cet essai avait si mal réussi, qu'on avait depuis lors renoncé en France à l’employer à ce genre de travail. II vous a indiqué la manière dont la troupe avait été employée à Paris.

Eh bien, je vais vous démontrer que l'honorable M. Goblet a été complètement mal renseigné à cet égard, et que les choses ne se sont pas passées comme il vous l'a dit.

L'honorable M. Goblet prétend qu'aux travaux de Paris 100,000 hommes cantonnés autour de la ville fournissaient des détachements qui n'étaient occupés aux travaux que pendant quelques heures, après lesquelles ils étaient relevés par d'autres détachements et rentraient à leurs corps ; que par conséquent, ils n'étaient pas uniquement employés aux travaux, auxquels ils ne participaient que, de loin en loin.

Messieurs, cela est inexact. Si vous lisez le rapport de M. Thiers, alors président du conseil des ministres, vous verrez qu'il demandait l'emploi aux fortifications de Paris de 20 bataillons d'infanterie ; ce n'est pas 100,000 hommes qu'il voulait cantonner autour de Paris pour ces travaux, c'est vingt bataillons, c'est-à-dire 12 à 15 mille hommes qu'il voulait baraquer et loger près des travaux.

Voici ce qu'il dit dans son remarquable rapport :

« Des baraques ont été construites pour dix-neuf bataillons. Le vingtième bataillon doit être placé au village de Maisons-Alfort, dans une propriété prise à loyer.

« Il faut reconnaître que l'appel de ces vingt bataillons à Paris a été une mesure prise plutôt dans l'intérêt de l'exécution même des travaux que dans un but d'économie, cette mesure ayant principalement pour objet d'empêcher les coalitions d'ouvriers civils, en mettant à même de les remplacer, le cas échéant, pur des militaires. »

(page 552) C’est donc 20 bataillons au lieu de 100,000 hommes qui ont été employés aux travaux de Paris. Les bataillons avaient à peu près une force de 600 hommes. Cela fait 12,000 hommes employés à élever les fortifications de Paris.

Ces soldats étaient-ils renouvelés tous les jours ? ne travaillaient-ils que quelques heures par jour, comme on nous l'a dit ? Voyons encore ce que rapporte à ce sujet le général Oudinot :

On avait demandé qu'une partie de ces 20 bataillons ne prissent pas part aux travaux et restassent dans le camp.

« A cette demande, le directeur supérieur des fortifications opposa la nécessité d'assurer la prompte exécution des travaux ; il prouva que si l'on ne mettait à sa disposition les 4/5 de l'effectif, la division ne pourrait, dans le délai fixé, s'acquitter de la part de travail qui lui était assignée. Cette dernière opinion ayant prévalu, les troupes baraquées demeurèrent étrangères aux manœuvres de bataillon et de régiment. L'instruction des recrues ne s'étendit pas au-delà de l'école de peloton. Le cinquième de l'effectif put à peine suffire à la garde des camps et aux corvées de toute nature. »

Eh bien, messieurs, pour ce qui nous concerne, nous avons agi différemment. Nous n'avons pas commis la faute d'envoyer aux travaux des recrues qui n'avaient vu que l'école de peloton. Tous nos soldats, avant d'être envoyés à Anvers, ont passé plusieurs mois au camp de Beverloo. Ils y ont reçu l'instruction d'exercice et de manœuvres tout entière. Ils ont parcouru toutes les écoles ; celles du soldat, de peloton, de tirailleur, de bataillon et les évolutions de ligne. Ils ont exécuté le tir à la cible et ont pris part aux grandes manœuvres d'ensemble de la période de campement. Ce n'est qu'après avoir reçu cette instruction complète qu'ils sont envoyés aux travaux d'Anvers. Là, en dehors des heures de travail, et les jours où le temps ne permet pas de travailler, on achève leur instruction par les théories qu'on leur fait sur tous les services. Car l'instruction du soldat ne consiste pas seulement à savoir le maniement des armes et quelques manœuvres ; elle consiste aussi à connaître tous les devoirs que lui prescrivent les règlements sur le service de campagne, sur le service intérieur et dans les garnisons, ainsi qu'à savoir entretenir ses armes et ses effets, etc., etc. C'est là ce qui complète l'éducation militaire de nos miliciens ; c'est pour cela qu'il faut un temps assez long pour former un soldat, car on ne lui apprend tous ses devoirs que par des théories répétées, on ne le plie à la discipline que par un service prolongé, par, une pratique continuelle du service. Nulle part, il ne pourrait être dans de meilleures conditions qu'aux travaux d'Anvers pour recevoir ce complément d'éducation.

Sans cesse sous l'œil de ses chefs qui jamais ne le perdent de vue un seul instant, le soldat s'y forme plus vite que dans les garnisons.

Pour en revenir encore à ce que vous a dit l'honorable M. Goblet, les travaux de Paris n'ont pas été jugés d'une manière si défavorable, qu'on ait renoncé depuis lors à employer en France la troupe à des travaux de ce genre ; le rapport que je vous ai déjà cité dit absolument le contraire et prouve que d'excellents résultats ont été obtenus à plusieurs points de vue.

Voici ce que dit encore le général Oudinot :

« Au point de vue d'une économie absolue, l'application des troupes aux fortifications de Paris est donc très loin d'avoir réalisé les espérances de certains économistes.

« Mais, empressons-nous de le dire, ce n'est pas dans un intérêt matériel et directement productif que les esprits pratiques et les hommes d'Etat ont réclamé ici le concours de l'armée. Reportons-nous, en effet, aux documents qui accompagnent le mémorable rapport de M. Thiers, en date du 13 janvier 1841.

« Il y est dit : « Il faut reconnaître que l'appel de 20 bataillons à Paris a été une mesure prise plutôt dans l'intérêt de l'exécution même des travaux que dans un but d'économie, cette mesure ayant principalement pour objet d'empêcher les coalitions d'ouvriers civils, en mettant à même de les remplacer, le cas échéant, par des militaires.

« Cette attente a été pleinement réalisée. M. le ministre de la guerre se plaît à le confirmer dans le dernier rapport au roi sur les fortifications.

« Le but principal qu'on s'était proposé en réunissant des travailleurs militaires a, dit-il, été pleinement atteint. Ces utiles auxiliaires ont rendu impossibles les coalitions d'ouvriers, prévenu tout désordre dans les ateliers, assuré partout la tranquillité, et, par suite, la rapide exécution des travaux. »

« L'emploi des troupes aux travaux était donc ici une nécessité impérieuse. Il a procuré indirectement au trésor des avantages que nous ne voulons pas passer sous silence, mais qu'on ne saurait apprécier, même d'une manière approximative, II est impossible, en effet, de calculer l'influence qu'aurait eue sur les dépenses l'élévation du prix de la main-d'œuvre et de celui des matériaux ; conséquence inévitable des coalitions d'ouvriers et du manque de bras pour l'exploitation des carrières.

« Sans les troupes, il eût été impossible d'obtenir ces importants résultats : leur concours aux travaux a produit un effet moral dont la fécondité et la puissance sont inappréciables. »

On n'agissait nullement dans un but d'économie en employant l'armée aux travaux des fortifications de Paris, de même que nous n'avons pas eu un but économique en faisant concourir la troupe aux travaux d'Anvers.

Mais nous avons voulu aussi que ce ne fût pas un sujet de dépense pour le pays et par suite nous avons adopté d'autres mesures que celles qui ont été prises à Paris. Nous avons profité de l'expérience faite en France, et nous avons organisé nos travaux sur des bases nouvelles, de manière à ne pas entraîner de dépenses pour l'Etat.

C'est pour atteindre ce but que nous avons pris d'autres dispositions et que nous nous sommes écartés, sous beaucoup de rapports, des dispositions, des mesures prises dans les autres pays.

Vous avez vu de quelle manière s'expliquait le ministre de la guerre à propos de ces travaux. La preuve qu'en France on a reconnu des avantages réels à cette intervention de l'armée, c'est que depuis lors on n'a pas cessé d'employer la troupe aux travaux militaires. En Algérie ce sont les troupes qui ont exécuté les travaux de tout genre qu'on y a faits.

A Lyon, au moment où je parle, l'armée est employée aux travaux militaires, on y a même créé, comme à Anvers, des ateliers de maçons, et ce sont des militaires qui maçonnent les grandes casernes de cavalerie qu'on élève dans cette ville.

A Lille, à nos portes, on peut voir encore aujourd'hui des militaires qui travaillent aux fortifications de cette place.

Je le répète, en France, on n'a pas condamné ce système, on le met au contraire constamment en pratique et il y est préconisé par les hommes de guerre les plus illustres.

En Angleterre, quand on a vu les résultats que nous obtenions par l'emploi de la troupe aux travaux d'Anvers, on nous a demandé communication de nos règlements et de notre mode d'administration, et j'ai appris qu'au cap de Bonne-Espérance, on avait entrepris des fortifications auxquelles les troupes avait été employées.

Je sais même, par des renseignements qui m'ont été donnés, que les soldats anglais ont reçu une indemnité de travail équivalente à celle que nous donnons à nos troupes. Le soldat anglais recevait 4 pence de supplément de solde.

En Autriche les troupes travaillent à toutes les constructions militaires ; on les a employées aux fortifications de Cracovie et à celles du camp retranché de Vérone ; les nouveaux forts de ce camp sont construits par l'armée.

En ce qui concerne la Russie, tout le monde sait que si Sébastopol a pu faire une résistance aussi prolongée, c'est grâce à l'habileté que les troupes ont déployée dans les travaux de terrassement. Sébastopol n'était pas pour ainsi dire fortifiée du côté de la terre ; il a fallu improviser des fortifications sous le feu de l'ennemi.

Si les troupes n'avaient pas été habiles aux travaux, elles n'auraient pas pu tenir si longtemps en échec deux des plus puissantes armées du monde. A Cronstadt, ce sont encore les troupes qui ont exécuté le camp retranché ; j'en puis parler en pleine connaissance, puisque je me trouvais à cette époque en Russie et que j'ai pu visiter ces travaux pendant que l'armée les construisait.

Or, j'ai été frappé de l'activité et de l'ardeur que les soldats russes mettaient à élever ces fortifications.

Je pense donc, messieurs, que chacun comprendra combien il est avantageux pour nos soldats de prendre part aux travaux d'Anvers. Pour nos jeunes officiers sortant de l'école militaire, c'est une occasion qu'il fallait saisir, de leur faire acquérir une pratique qui leur manque.

L'occasion est d'autant plus précieuse, que le système de fortification qu'on exécute à Anvers est nouveau.

Or, si ce qu'à Dieu ne plaise, cette place venait à être assiégée de nos jours, ne serait-il pas fort avantageux pour le gouvernement d'avoir sous la main des officiers, des sous-officiers et des soldats qui défendraient les fortifications et les répareraient pour ainsi dire sans guide, puisque les ayant élevées de leurs propres mains, ils en connaîtraient parfaitement les communication et les détails.

Ce point est fort important ; car dans une place assiégée, une partie du jour et la presque totalité de la nuit sont employées à réparer les dégâts causés par le feu de l'ennemi et à élever des retranchements derrière les fronts attaqués, pour prolonger la défense.

Ce n'est pas seulement dans la guerre de siège qu'il est utile d'avoir des troupes exercées aux travaux de terrassements. Dans les opérations (page 553) en campagne, on se trouve fréquemment dans la nécessité d'élever des retranchements passagers, de fortifier des villages, de faire des têtes de pont et de barrer un défilé.

Eh bien, messieurs, pour répondre à toutes les éventualités, nous avons eu la précaution de détacher aux travaux d'Anvers des hommes pris, en nombre égal, dans chaque régiment, de sorte que, dans toutes les circonstances possibles, nous disposerons de troupes habiles à remuer la terre, et vous reconnaîtrez, messieurs, que c'est là un immense avantage, puisque, selon toute probabilité, la guerre que nous pourrions avoir à faire serait essentiellement défensive.

On a objecté, messieurs, que certains officiers se plaignent de la mesure que j'ai prise, parce qu'elle a eu pour résultat de réduire l'effectif des régiments. Je comprends jusqu'à un certain point les plaintes de ces officiers, parce qu'elles démontrent qu'ils ont à cœur les devoirs de leur commandement.

Pour les chefs de corps, la responsabilité ne s'étend pas au-delà des hommes inscrits sur leurs contrôles. Mais évidemment la responsabilité du gouvernement s'étend plus loin.

S'il envisageait la question comme certains officiers ont pu le faire, il s'exposerait à sacrifier à un intérêt secondaire le grand et suprême intérêt national, qui se rattache à la prompte exécution des fortifications d'Anvers.

Des considérations d'un ordre supérieur ont obligé le gouvernement à se placer à un point de vue plus élevé, plus général sans se laisser arrêter par des raisons secondaires.

L'honorable M. Goblet prétend que nous n'aurons qu'une réserve composée de terrassiers et de maçons.

Je vous ai dit, messieurs, qu'avant d'être employés aux travaux d'Anvers, nos miliciens ont passé plusieurs mois au camp de Beverloo, et qu'ils y ont appris tout ce qu'il leur importe de connaître des différentes écoles.

On leur donne, à Anvers, le complément d'instruction théorique et pratique qui leur est nécessaire, et leurs forces physiques s'y développent par le travail. Je suis donc fondé à dire que nous aurons une réserve de soldats propres à tous les services de la guerre et qui seront certainement l'élite de l'armée. Du reste, on n'a qu'à les voir sous les armes ou aux exercices, pour se convaincre qu'ils ne le cèdent en rien aux hommes qui sont restés dans les corps.

En effet, ces soldats, je le répète encore, ne sont pas uniquement employés aux travaux de fortification. Ils sont souvent de garde ; ils passent des inspections ; ils concourent à tous les détails du service ; par conséquent, loin d'oublier ce qu'ils ont appris, ils se perfectionnent et ils apprennent des choses qu'on n'a pas pu leur enseigner au camp de Beverloo.

L'emploi des troupes aux travaux d'Anvers a encore ce grand avantage qu'elle a rendu les grèves et les coalitions d'ouvriers presque impossibles, et prévenu des désordres sur les chantiers. La présence de la troupe a rassuré les habitants, qui auraient pu s'inquiéter de voir 18,000 à 20,000 ouvriers concentrés à Anvers.

Si l'on n'avait pas eu recours aux travailleurs militaires, la plus vulgaire prudence aurait commandé d'augmenter la garnison de la ville dans des proportions assez considérables.

Il y a enfin, messieurs, un intérêt majeur qu'on ne peut perdre de vue. Nous devons, par tous les moyens en notre pouvoir, assurer le prompt achèvement de notre système de défense. Dans la situation politique de l'Europe, c'est quelque chose que de gagner du temps.

Voyez l'étrange contradiction dans laquelle est tombé l'honorable M. Goblet sous ce rapport.

« Nous ne sommes, dit-il, en mesure nulle part ; nos places du midi sont en démolition et désarmées », et malgré cela l'honorable membre propose de ralentir les travaux d'Anvers en envoyant en congé les hommes qui travaillent aux fortifications.

Mais, messieurs, les places que l'on démolit étaient-elles défendables ? N'avait-on pas laissé envahir leurs zones de servitude par des constructions de toute nature ? N'avait-on pas laissé faire des routes partant de tous les points de la frontière, et qui permettaient de les tourner sans coup férir ?

En réalité, ces places n'avaient plus aucune valeur stratégique. De plus, elles ont été construites d'après des principes et des méthodes basées sur la bonne portée des anciens canons qui ne s'étend pas à plus de 1,200 mètres, tandis qu'on tire aujourd'hui avec la plus grande précision à 3,000 mètres et au-delà.

C'est pour des motifs semblables que le système de cordon tombe partout en Europe, et qu'on remplace les petites forteresses par de grandes places.

II ne sera pas inutile de vous faire remarquer, messieurs, que l'opinion que j'exprime sur nos places fortes est précisément celle de l'honorable général Goblet.

Cet officier général est le premier qui ait condamné plusieurs de nos places, puisqu'il a signé la convention du 14 décembre 1831 qui prescrivait la démolition de Mons, d'Ath, de Menin, de Philippeville et de Marienbourg.

C'est surtout en 1856 qu'il a eu l'occasion de développer son opinion lorsque l'honorable général Greindl, alors ministre de la guerre, a demandé à la législature un crédit de 8,900,000 francs pour l'agrandissement du camp retranché d'Anvers et un crédit de 8,029,000 francs pour agrandir la ville du côté du nord.

La section centrale, dont l'honorable général Goblet était rapporteur, se prononça en faveur de l'agrandissement général d'Anvers et de l'établissement d'un camp retranché composé de grands forts détachés. En conséquence, elle adopta les résolutions suivantes : « Considérant que les intérêts de la défense militaire, de la population et du commerce d'Anvers réclament l'agrandissement général de cette ville ;

« Considérant que les études ne sont pas assez avancées pour apprécier la portée financière de l'ensemble des travaux nécessaires à cet effet ;

« Considérant, néanmoins, qu'il y a lieu de décréter, dès maintenant, l'exécution des ouvrages qui peuvent se combiner avec les différents projets ;

«Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre, un crédit extraordinaire de cinq millions pour la construction de nouvelles fortifications projetées au nord de la ville d'Anvers, depuis le bastion indiqué au plan sous le litt. F. jusqu'à Austruweel, et en face de ce village, sur la rive gauche de l'Escaut.

« Art. 2. Un crédit extraordinaire de 1,260,000 francs est ouvert au même département pour la transformation du fort détaché n°2.

« Art. 3. Il est ouvert au même département un crédit extraordinaire de 100,000 fr. pour commencer la démolition des fortifications de Mons.

« La résolution formulée dans l'article 3 ci-dessus - disait le rapporteur, - a été prise à la suite de l'avis donné officiellement à la section centrale, que le gouvernement avait arrêté le démantèlement de la place de Mons, si la législature adoptait le camp retranché, qui est actuellement soumis à ses délibérations. Or, la construction du camp paraît admise par cela même que l'on accorde les fonds nécessaires à la construction de lui des forts qui le composent.

L'on a donc cru devoir prendre acte de la décision du gouvernement en accordant immédiatement une somme de 100,000 francs pour commencer à la réaliser.

La démolition immédiate de Mons, consacrée par l'article 3, fut justifiée dans les termes suivants par M. le lieutenant général comte Goblet, rapporteur de la section centrale :

« Les forteresses, dont l'utilité n'est pas constatée à l'évidence, doivent être condamnées, non seulement comme étant une charge permanente pour le trésor, mais encore, parce que, dans le cas de guerre, elles peuvent nous entraîner dans des complications compromettantes pour le pays ; sans valeur pour nous, elles ne le seraient pas pour l'ennemi, qui, après s'en être emparé sans grands sacrifices, y trouverait un point d'appui, en même temps qu'un matériel précieux pour ses opérations ultérieures.

« La nécessité de supprimer un certain nombre de places fortes a donc paru évidente, et la section centrale a reçu, avec satisfaction, l'avis que les fortifications de la place de Mons étaient condamnées. «

Telle était l'opinion de l'honorable général Goblet. Je la partage au fond ; mais je n'ai pas cru prudent d'en admettre toutes les conséquences.

Ainsi, loin de démolir les places condamnées avant que les travaux d'Anvers fussent entamés, comme le proposait la section centrale, j'ai cru devoir attendre que ces travaux fussent assez avancés pour ajouter un degré de force notable à la vieille enceinte et au camp retranché que nous conserverons jusqu'à ce que les nouvelles fortifications soient assez avancées pour être efficacement défendues.

Je crois, messieurs, avoir fait en cela une chose bonne et utile pour le pays.

Messieurs, pour réussir dans l'emploi des troupes aux fortifications d'Anvers, il fallait s'écarter des errements suivis jusqu'à ce jour parce qu'ils n'ont, je le reconnais, donné le plus souvent lieu qu'à des mécomptes au point de vue économique.

Ce qui a rendu l'emploi des troupes désavantageux, c'est l'exagération des dépenses auxquelles ou a été entraîné. En général, les travaux (page 554) s'exécutaient par corvées ; les hommes n'étaient pas toujours employés aux mêmes parties de travail ; ils étaient répartis tantôt sur un point tantôt sur un autre ; ils n'avaient pas toujours les mêmes chefs d'ateliers pour les diriger, les mêmes sous-officiers pour les commander.

De plus, les officiers de troupes qui n'avaient pas à se mêler des travaux proprement dits et qui n'avaient qu'un contrôle de surveillance, se trouvaient mécontents du rôle secondaire qui leur était assigné et ne se prêtaient pas de bonne grâce aux vues de l'autorité supérieure.

Telles sont les cause pour lesquelles le travail était fait sans goût par les soldats.

Il fallait donc entrer dans une voie nouvelle. Avant de mettre les troupes à l'œuvre, je formulai un règlement complet indiquant à chacun, d'une manière claire et précise, ce qu'il aurait à faire dans les travaux, et j'établis les campements sur les travaux mêmes, en prenant toutes les mesures hygiéniques pour mettre la santé des hommes à l'abri de tout danger.

Messieurs, si je ne craignais d'abuser de votre patience, je vous donnerais quelques détails sur les mesures qui ont été prises et sur les résultats qu'elles ont amenés. (Non, non. Parlez !)

Voici les principales dispositions prises en vertu du règlement du 1er mars 1860 :

Les troupes furent partagées en 8 divisions, commandées chacune par les mêmes officiers. Chaque régiment, chaque bataillon, chaque compagnie de l'armée fut appelée à fournir le même nombre d'hommes. Les ateliers furent formés des hommes d'un même régiment, et furent toujours commandés par les mêmes sous-officiers et les mêmes caporaux.

On attacha aux compagnies des officiers de bonne volonté choisis, autant que possible, parmi ceux qui provenaient de l'école militaire et qui désiraient mettre leurs études en pratique.

Il s'en présenta beaucoup plus qu'on n'en avait demandé.

On s'attacha également à prendre des sous-officiers et des soldats de bonne volonté, et il s'en présenta, de même qu'il s'en présente toujours, plus qu'il n'est nécessaire.

Pour la formation des ateliers, composés de 20 à 25 hommes, nous imitons ce qui se pratique de temps immémorial dans l'organisation des ateliers civils des terrassiers dans les polders de Hollande, organisation qui n'a peut-être pas son égale dans le monde, et qui consiste à faire des compagnons de travail toujours commandés par les mêmes hommes.

L'indemnité de travail a été réglée de la manière suivante :

Elle a été divisée en deux parties, une partie invariable et une partie variable. La partie invariable, savoir 25 centimes de supplément de solde accordé à tous les travailleurs d'Anvers, se verse intégralement au ménage ; elle sert à augmenter la nourriture des travailleurs. La partie variable dépend de la somme de travail exécutée par chaque atelier.

On donne à chaque atelier une portion de travail fixe ; tous les prix sont déterminés, et à raison de ces prix, on paye, le samedi, à l'atelier le nombre de mètres cubes de travail qu'il a exécutés.

Par conséquent, ces ateliers sont intéressés à faire la plus grande somme de travail possible, pour avoir un gain plus considérable, et comme les caporaux et les sous-officiers reçoivent la même paye que les soldats à raison du travail exécuté, ils sont intéresses à ce que le travail soit bien dirigé et bien exécuté. Aussi mettent-ils tous la main à l'œuvre avec les soldats.

Il y a également émulation dans chaque atelier. C'est à qui fera le plus de travail et à qui le fera le plus convenablement, parce qu'il y a des récompenses pour ceux qui travaillent le mieux, le plus fort et avec le plus de régularité.

Je vous ai dit, messieurs, que le samedi on calculait le nombre de mètres cubes de travail exécuté pendant la semaine, mais je dois ajouter qu'on ne les paye que le lundi.

Dans le commencement on payait le samedi ; mais on a remis depuis le payement au lundi pour que le soldat ne dépensât pas le dimanche le salaire de toute sa semaine. Comme il est pris le lundi par le travail et qu'il ne peut quitter les travaux pendant toute la semaine, il n'a pas l'occasion de dépenser en un jour le produit de son travail pendant huit jours, il n'est pas exposé aux entraînements des loisirs du dimanche et il peut au contraire se procurer tous les jours, sur les travaux mêmes, quelques petites douceurs, ou se préparer un petit pécule pour l'avenir.

Les travaux qui ne peuvent se faire à la tâche, tels que les épuisements, l'entretien des cunettes et autres, sont payés d'après un tarif et par heure de travail.

Il est résulté de toutes ces mesures une telle émulation parmi les hommes, que c'est à qui gagnera le plus et à qui fera le meilleur ouvrage.

Vous venez de voir, messieurs, que le salaire avait été calculé, outre les 25 centimes de supplément de solde versés au ménage, de manière à permettre aux soldats de gagner, pour un travail ordinaire, au moins 20 centimes par jour.

Eh bien, messieurs, bien souvent des ateliers sont parvenus à gagner le double de cette somme. Cela vous prouve combien cette émulation a produit de bons résultats.

Bien loin de devoir exciter les hommes au travail, il a fallu souvent modérer leur zèle, car parfois ils voulaient consacrer au travail les heures fixées pour le repos.

Je dois ajouter, pour compléter ces renseignements, qu'on ne remet pas au soldat la totalité de l'argent gagné par lui. La moitié de la partie variable du supplément de solde qu'il gagne en raison du travail qu'il produit est versée à sa masse d'habillement, pour payer les vêtements de travail qu'on lui délivre.

Par ce système, on prévient le mauvais usage, les excès qu'il pourrait commettre si on laissait à sa disposition immédiate des deniers de poche trop élevés.

Si les versements à la masse d'habillement sont supérieurs au prix des effets reçus et usés par le soldat, le boni disponible lui forme un petit capital qui lui sera remis à son départ des travaux et qu'il pourra rapporter dans ses foyers.

Ces mesures réglementées, messieurs, il fallait pourvoir au logement des soldats. Nous ne pouvions pas songer à les loger aussi dispendieusement qu'on l'avait fait à Paris. Le baraquement des vingt bataillons réunis à Paris, évalué d'abord à 3,800,000 francs, avait coûté en définitive 4,600,000 francs. Nous devions agir beaucoup plus économiquement. Nous avons fait un baraquement bien plus simple. Nous avons construit des baraques comme on en fait en campagne, c'est-à-dire, en perches couvertes d'une épaisse toiture de chaume.

Nous avons donné un bon aérage à ces baraques au moyen de ventilateurs, et nous les avons orientées de manière à les mettre à l'abri du vent régnant dans cette partie du pays. Nous avons tâché de les rendre claires, sèches et aussi saines que possible.

Dans l'inférieur on a élevé à 50 centimètres environ au-dessus du sol un plancher sur lequel sont placés les lits dans lesquels couchent les soldats.

Outre les baraques, messieurs, il fallait établir des cuisines, creuser des puits, des réservoirs d'eau et établir des pompes, car il était essentiel que le soldat eût de l'eau saine et potable à son usage ; il fallait aussi construire des magasins et des cantines.

Enfin nous fîmes un établissement nouveau sans précédent dans des travaux de ce genre, c'est un grand séchoir.

Dans chaque campement il y a un grand séchoir afin que tout soldat mouillé soit pour avoir été exposé à la pluie, soit pour avoir travaillé dans l'eau, pût, en rentrant, faire immédiatement sécher ses vêtements de travail.

De cette manière on le met à l'abri des maladies qu'il pourrait contracter en conservant sur lui des habillements humides.

Je demande pardon, messieurs, d'entretenir si longtemps la Chambre de ces détails.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! parlez ! parlez !

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Mais comme il s'agit en définitive des enfants du pays, je crois que ces renseignements sont utiles, parce qu'ils sont de nature à rassurer tout le monde et à démontrer que j'ai pris toutes les mesures possibles pour ménager la santé du soldat.

Quand le soldat revient mouillé du travail, il entre dans le séchoir, il y trouve ses vêtements militaires ; il les endosse pendant que ses vêtements de travail sèchent, et quand il retourne au travail il remet ceux-ci complètement secs.

Il fallait enfin, messieurs, organiser un costume approprié au travail, qui ménageât l'équipement militaire et n'occasionnât pas de dépenses exceptionnelles. On distribue aux soldats une veste et un pantalon en toile et deux chemises de coton.

Les soldats avaient auparavant deux chemises de toile, mais comme pendant les chaleurs de l'été, ils se mettent en transpiration et que la toile, quand elle est mouillée, devient très froide et pourrait devenir ainsi dangereuse, nous avons décidé de conserver les chemises de toile pour l'uniforme, et pour le travail nous avons donné des chemises de coton.

Nous leur avons donné en outre une cravate de coton bleu qui serre moins que le col militaire et dont ils peuvent se servir pour s'abriter du soleil. Enfin, nous leur avons donné un gros gilet de flanelle, de molleton, afin que si après avoir été mouillés ils avaient froid, ils pussent se réchauffer, une paire de grosses bottines et une paire de sabots.

Pour payer cet équipement ou retient au soldat, comme je vous l'ai dit, la moitié du produit de son travail fait à la tâche, c'est-à-dire la moitié de la partie qui excède les 25 centimes affectés à la nourriture ; l'autre moitié. lui est remise en main comme denier de poche.

De sinistres prédictions nous avaient dit que le sol d'Anvers était (page 555) pernicieux par sa nature marécageuse et que nous exposerions à la fièvre tous ceux qui y travailleraient.

II fallait donc, messieurs, prendre de très grandes précautions pour éviter la réalisation de ces alarmantes prévisions.

Après avoir examiné le terrain et m'être entouré, sur les lieux, de tous les renseignements possibles, après avoir consulté des médecins que j'avais chargés d'étudier aussi, sur les lieux, les meilleures dispositions à prendre, j'ordonnai les mesures qui devaient satisfaire à ce grand intérêt de conserver la santé de nos soldats. J'avais puisé d'utiles enseignements dans la lecture d'un excellent écrit qui doit faire autorité en ces matières. Je mis donc en pratique plusieurs des dispositions prescrites par le docteur Baudens, médecin en chef, chargé de la direction sanitaire des armées françaises en Afrique et en Crimée.

Le service médical fut organisé de la manière suivante :

Des médecins de bataillon furent logés dans les campements ou à proximité. Un médecin de régiment, qui avait fait des études spéciales toutes particulières sur l'hygiène militaire, fut chargé de la haute direction de ce service.

Un service d'ambulance fut organisé et des infirmeries établies à proximité des travaux, afin qu'en cas d'accidents les soldats pussent recevoir immédiatement tous les secours nécessaires. L'établissement des camps, baraques, logements des officiers, cuisines, séchoirs, magasins, cantine, puits, etc., etc., nous a coûté 271,000 fr., les infirmeries 22,000 fr., c'est un total de 295,000 fr. de frais d'installation, payés sur les fonds alloues pour les travaux d'Anvers.

Or, veuillez le remarquer, messieurs, à Paris, pour une réunion de troupes d'un peu plus du double, on a dépensé 4,650,000 francs.

Vous voyez, par ce rapprochement, avec quelle économie tout a été fait, et cependant chacun de vous peut aisément se convaincre qu'il serait difficile de loger les soldats plus convenablement qu'ils ne le sont à Anvers. Pour ma part, je voudrais qu'ils fussent aussi bien logés dans toutes les casernes du pays.

Quant au couchage, il se compose d'un lit en fer, d'une paillasse, d'un matelas, d'un traversin, de deux paires de draps de lit et d'un nombre de couvertures de laine qui peut aller jusqu'à trois, d'après l'état de la saison.

Une des principales causes des épidémies contagieuses qui se déclarent dans les grandes agglomérations d'hommes provient de la corruption de l'air produite par les émanations du sol imprégné d'immondices.

La permanence des campements amène l'infection, et le sol est promptement infecté par l'habitation, dit le docteur Baudens. C'est à ces émanations, à ces gaz délétères qu'il attribue le typhus, le choléra et toutes les épidémies qui déciment souvent les armées. Il était donc d'une importance essentielle, indispensable, d'entretenir dans les campements une propreté parfaite.

L'exposé des mesures que nous avons prises peut paraître infime ou vulgaire ; je crois cependant devoir le faire parce qu'il s'agit de la santé de nos soldats et que l'expérience que nous avons faite a fourni la preuve que partout où il y aura de grandes agglomérations d'hommes on fera très bien de prendre des précautions semblables.

Il n'est pas toujours facile d'obtenir une extrême propreté de la part des soldats, même par l'emploi des mesures de rigueur. Aussi, nous sommes-nous ingénié à y parvenir par d'autres moyens.

L'idée nous est venue de faire acheter à Anvers un grand nombre de tonneaux ayant servi au transport du goudron et qui n'ont qu'une faible valeur, pour en faire les réceptacles des immondices. Ces tonneaux ont été placés dans des guérites de manière à en rendre l'accès facile aux hommes sans exiger d'eux de trop grands déplacements. Afin d'intéresser les soldats à l'entretien de la propreté, ils ont été autorisés à vendre à leur profit les vidanges aux paysans des localités environnantes, pourvu que les tonneaux fussent enlevés toutes les nuits et remplacés dès le point du jour par des tonneaux propres.

Ce moyen bien simple a produit les meilleurs résultats et nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir mis cette idée en pratique, car les camps sont toujours restés parfaitement sains et sans odeur.

Et, en effet, messieurs, rappelez-vous qu'on nous avait fait craindre une augmentation considérable du nombre de nos malades, par suite de l'emploi des troupes aux travaux de fortifications d'Anvers. Or, je suis heureux de pouvoir annoncer, au contraire, que ce nombre a diminué dans une forte proportion. Voici des chiffres qui justifient pleinement cette assertion :

Le nombre des journées d'hôpitaux a été en 1856 de 576.557, en 1857 de 555,668, en 1858 de 549,749 et en 1859 de 611,780.

En 1860, époque à laquelle nos soldats ont commencé à travailler à Anvers, ce nombre n'a plus été que de 519,702 et en 1861 il est tombé à 477,409. C'est-à-dire qu'en 1860 nous avons eu 92,078 journées de moins qu'en 1859 et qu'en 1861 cette réduction a été de 134,371 journées. Ces chiffres se traduiront en une économie sur l'allocation portée au budget de la guerre pour l'entretien des malades dans les hôpitaux. Ainsi, au lieu d'avoir à demander un crédit supplémentaire, comme on l'a dû faire très souvent, il y aura, pour 1860, un excédant de 66,326 fr. et pour 1861 un excédant de 75,000 fr.

C'est là, je pense, un résultat dont nous pouvons nous féliciter et que je suis heureux de vous signaler.

Je n'ai pas besoin, je crois, messieurs, de vous parler de l'esprit des troupes employées aux travaux d'Anvers ; nulle part au monde on ne pourrait voir de soldais plus dociles, plus ardents à l'ouvrage, plus satisfaits et animés de meilleure volonté.

Je vais souvent visiter les travaux de fortifications ; je m'adresse aux soldats et jamais je ne reçois la moindre plainte de leur part. Bien au contraire, quand je leur demande s'ils désirent retourner à leur régiment, ils refusent, et il est même arrivé que des soldats pour qui des membres de la Chambre m'avaient demandé des congés, n'ont pas voulu en profiter.

D'un autre côté, messieurs, et ce résultat a certes son importance, nos soldats apprennent un métier qui pourra les faire vivre quand ils retourneront dans leurs foyers. Aussi cette idée les stimule, les encourage et explique la satisfaction qu'ils éprouvent aux travaux d'Anvers.

Il me reste, messieurs, à dire un mot de l'école de maçons que nous avons formée.

Quand on a discuté les travaux d'Anvers, je vous ai dit que nous prendrions toutes les dispositions nécessaires pour que la position acquît chaque jour un degré de force plus marqué. Pour réaliser cet engagement, il a fallu entamer les travaux sur toute l'étendue de la position. Nous pouvions obliger les entrepreneurs à travailler sur tous les points ; mais c'était une charge immense que nous leur aurions imposée.

Il leur eût été impossible de réunir le nombre de maçons nécessaires ou, tout au moins, ils n'y seraient parvenus qu'en provoquant un renchérissement considérable de la main-d'œuvre et en entravant l'exécution de beaucoup de travaux civils et particuliers. Pour éviter cet inconvénient et dans un intérêt politique que tout le monde comprendra, je me suis demandé si avec des soldats de si bon vouloir, aussi intelligents, nous ne pourrions pas former des maçons. Un officier du génie, expérimenté, le major Rousseaux, que je me plais à citer, crut que la chose était possible, et il me proposa de faire, à titre d'essai, l'apprentissage de vingt hommes de bonne volonté.

Cet essai ayant réussi, j'augmentai successivement le nombre des hommes, et le chiffre des maçons militaires s'éleva bientôt à 330. Ces soldats ont exécuté des travaux que tout le monde reconnaît être aussi beaux que ceux des ouvriers ordinaires.

En présence de ce résultat j'ai l’espoir que, dans la campagne qui va s'ouvrir, le camp retranché sera assez avancé pour être considéré comme en état de défense et nous donnera pleine sécurité.

M. Goblet a fait encore nu grief au département de la guerre de s'être contenté d'employer, dans l'origine, un nombre restreint de militaires, nombre qui avait ensuite été augmenté jusqu’à l'exagération.

Je réponds, messieurs, que nous n'aurions pas pu commencer avec beaucoup de monde, parce que nous n'avons eu les terrains que successivement.

il y a des terrains qui ont été expropriés judiciairement et dont l'envoi en possession s'est fait longtemps attendre.

Je dois ajouter qu'eu égard aux mécomptes économiques qu'on avait généralement rencontrés dans l'emploi des troupes aux travaux publics, je n'ai voulu commencer à employer les soldats qu'en petit nombre d'abord, afin de ne pas exposer l'Etat à des sacrifices. Ce n'est qu'après avoir reconnu l'efficacité des mesures que j'avais prises, que j'ai augmenté successivement le nombre des travailleurs.

En 1860, nous avons commencé les travaux du fortin° 2 avec 356 soldats d'infanterie et du génie. Quand nous avons vu qu'ils travaillaient convenablement, nous avons entamé le fort n°4 avec 650 soldats.

En juillet nous avons porté à 1,850 le nombre des hommes employés à la construction de ces deux forts.

837 hommes ont ensuite été envoyés à la 3ème section et 746 à la 4ème section de l'enceinte.

(page 556) Lorsque plus tard nous sommes entrés en possession des terrains du fort n°7, nous y avons placé 1,700 hommes.

Ce fort étant commencé longtemps après les autres, il fallait y mettre un plus grand nombre de travailleurs afin de le faire arriver promptement.au niveau de ceux qui avaient été entamés plus tôt. Il fallait agir ainsi pour faire marcher tous les travaux de front et afin que la position acquît chaque jour une valeur défensive nouvelle. L'avancement successif de différentes parties du camp n'aurait eu aucun avantage défensif immédiat ; à quoi aurait servi, par exemple, l'achèvement d'un fort du camp retranché, ou d'un front de l'enceinte si le reste de la position restait ouvert ? Mais tous les forts du camp, et. tous les fronts de l'enceinte ne fussent-ils qu'ébauchés pouvaient servir de retranchement et protéger toute la position.

La première année n'a été qu'un temps d'apprentissage. La saison d'été fut détestable, nous avons eu sans discontinuer des pluies exceptionnelles ; les travaux étaient constamment inondés. Les soldats travaillaient dans la boue et dans l'eau ; c'était plus qu'il n'en fallait pour décourager des hommes moins dévoués et moins bien disposés.

On n'a pas pu se contenter des moyens ordinaires d'épuisement, et il a fallu recourir aux machines à vapeur.

Après un été et un automne désastreux nous avons eu un hiver rigoureux qui a obligé de suspendre les travaux pendant les mois de janvier et de février. Il eût été peu équitable dans ces circonstances, alors que la troupe faisait son apprentissage, de payer les soldats à la tâche, car ils n'auraient pas pu produire une somme de travail suffisante pour être raisonnablement indemnisés. En 1860, on les paya donc à la journée.

En 1861, les travaux furent repris le 1er mars, et la saison fut des plus favorables.

On mit environ 2,000 hommes à l'enceinte et 3,000 aux forts, y compris le fort un°8, pour la construction duquel les terrains venaient d'être expropriés.

Los hommes et les cadres ayant acquis de l'expérience pendant la première année de travail, on modifia le règlement et les soldats furent mis à la tâche.

La quantité de terrassements exécutés pendant cette première année d'installation, d'apprentissage et de temps détestable, et pendant les huit mois de la seconde année, est à l'enceinte de. 608,584 m cubes, de terrassements et aux forts de 1,390,162, soit un total de 1,998,740 m cubes de terrassement, plus 5,620 mètres cubes de maçonnerie.

Pour tous, ces travaux la société entrepreneur a dû fournir les machines d'épuisement que nous lui avons payées au prix du tarif et conformément au paragraphe 32 de l'article 4 du contrat ; elle a également fourni les outils et apparaux qui ne se trouvaient pas dans les arsenaux ou qui n'y étaient pas en quantité suffisante, tels que planches de roulage, éperons et crochets de terrassiers.

L'honorable M. Goblet a dit, messieurs, que les outils employés à Anvers sortaient des arsenaux et constituaient une perte pour l'Etat el un avantage fait à l'entreprise, au détriment du trésor public.

Je puis vous démontrer que cette appréciation est inexacte. Les arsenaux de l'Etat renfermaient une certaine quantité d'anciens outils, qui avaient servi à toute espèce de travaux. Nous avons jugé utile de distribuer d'abord ces outils aux soldats pour leur apprentissage. Dans le règlement des travaux, il est dit qu'un atelier pour la construction et la fabrication des outils sera organisé à l'arsenal de construction d'Anvers et que des ateliers de réparation seront établis sur les travaux mêmes.

D'un autre côté l'entrepreneur doit fournir à un prix déterminé par le contrat, les outils dont la troupe peut avoir besoin. Lorsque les vieux outils des arsenaux ont été usés, brisés, détruits, on les a remplacés par des outils neufs de bonne qualité et de nouveau modèle, délivrés par l'entrepreneur, ou fabriqués à l'arsenal de construction et payés sur les fonds alloués pour les fortifications d'Anvers.

Comme les ateliers de réparations entretiennent les outils dans le meilleur état et qu'ils seront inusables comme le couteau de Jeannot qui était toujours neuf parce qu'on y mettait un jour une nouvelle lame, et le lendemain un nouveau manche, il arrivera qu'à la fin des travaux, les vieux outils des arsenaux auront été remplacés par des outils de nouveau modèle, qu'ils seront aussi bons que neufs, en nombre beaucoup plus considérable et que leur acquisition, faite sur les fonds d'Anvers, sera un véritable avantage pour l'Etat, au lieu d'avoir occasionné une perte, comme le disait l'honorable M. Goblet.

C'est donc un bénéfice que nous réalisons par cette combinaison.

Il me reste à dire encore un mot des maçonneries exécutées par nos soldats.

L'école de maçons dont je parlais tout à l'heure, a été installée en novembre 18600 et l'instruction de 330 maçons était terminée au 30 juin 1861. Ou les a mis de suite à l'œuvre et on leur a donné les travaux les plus difficiles à exécuter.

Ces soldats ont fait en quatre mois 566 mètres cubes de maçonnerie. Ces maçonneries, tout le monde peut les voir aujourd'hui : c'est la porte de Boom, c'est le pont de Boom, c'est un grand aqueduc, c'est un petit aqueduc ; c'est un mur crénelé et plusieurs voûtes de caponnières. Au dire de tous les hommes du métier, il est impossible de voir des travaux plus parfaits, et si quelques-uns d'entre vous, messieurs, allaient visiter les fortifications d'Anvers, j'appelle leur attention toute spéciale sur ce travail qui est vraiment remarquable. La paye des maçons est déterminée par les règlements. On a parlé de la convention faite avec l'entrepreneur pour l'exécution des maçonneries. Permettez-moi de vous donner encore quelques explications à ce sujet, elles vous prouveront que cette convention n'est pas faite dans le but d'avantager l'entrepreneur et qu'elle ne lui procure en réalité aucun bénéfice.

L'entrepreneur doit établir les baraques à mortier conformément au cahier des charges. Il doit y transporter la chaux, le sable et les bases hydrauliques nécessaires à la confection du mortier.

Il doit conduire les briques, les moellons, les pierres de taille à pied d'œuvre ou au moins, à une distance qui ne doit pas être plus grande que 100 mètres de l'endroit où les maçonneries s'exécutent. Il doit fournir les chevaux et les conducteurs pour fabriquer le mortier ; les charpentiers pour le placement des profils et des cintres ; les tailleurs de pierre pour retoucher les pierres de taille ; enfin il doit fournir tous les outils nécessaires aux maçons à l'exception de ceux que les maçons ouvriers proprement dits sont obligés d'avoir en propriété.

Le gouvernement fournit les maçons el les manœuvres. Par conséquent nous ne payons à l'entrepreneur, qui a tout fourni moins la main-d'œuvre, que le prix stipulé au contrat pour la maçonnerie, défalcation faite du prix de la main-d'œuvre accordée aux maçons civils. Par exemple, je suppose que, le prix d'un mètre cube de maçonnerie exécuté par des maçons civils est de 21 francs ; nous ne payerons à l'entrepreneur, pour un. mètre cube de maçonnerie exécuté par les soldats, que 16, 17 ou 18 fr., selon le prix de la main-d'œuvre des ouvriers civils, et en raison de l'espèce de maçonnerie exécutée.

C'est au moyen de cette retenue faite à l'entrepreneur sur les travaux exécutés par les soldats que nous indemnisons ceux-ci de leur travail, et que nous couvrons toutes les dépenses de leur entretien.

Vous voyez donc qu'il n'y a dans cet arrangement aucune espèce d'avantage financier pour les entrepreneurs..

Pour l'Etat lui-même, les avantages financiers de l'emploi des troupes ne sont pas de grande importance, mais nous n'avons jamais cherché à réaliser des bénéfices considérables ; nous avons tenu seulement à ne pas éprouver de portes.

Notre but a été de former des soldats sachant exécuter des travaux de terrassement et de fortifications, d'avancer, d'accélérer le plus possible l'exécution des travaux d'Anvers et de rendre cette position susceptible de défense dans le plus court espace de temps possible.

Les 1,998,740 mètres cubes de terrassement et les 5,650 mètres cubes de maçonnerie ont coûté à l'Etat 1,610,816 fr., y compris la haute paye de la troupe, le supplément de solde des officiers, la fourniture et j'entretien des outils, des machines d'épuisement, une partie proportionnelle des frais de logement et plusieurs autres dépenses encore. La même quantité de travail exécuté par l'entrepreneur aurait coûté 1,066,549 francs.

Il y a donc eu un bénéfice réel de 57,533 fr.

Eh bien, je dis que c'est là un résultat inespéré el qui n'a été obtenu nulle part ailleurs. C'est la première fois que les travaux exécutés par la troupe rapportent une économie de 3 p. c.

Nous pouvons revendiquer l'honneur d'avoir les premiers obtenu ce résultat et résolu ce difficile problème.

Pour infirmer ce résultat, l'honorable M. Goblet a été obligé de faire entrer en compte des dépenses la solde ordinaire de la troupe. Vous auriez pu renvoyer ces hommes dans leurs foyers, nous disait-il, si vous ne les aviez employés à Anvers. En même temps qu'il regrettait que ces hommes ne fussent pas envoyés en congé chez eux, M. Goblet me reprochait de ne pas les avoir laissés dans leurs régiments, où ils étaient indispensables.

Que l'on complète l'instruction des soldats à Anvers ou dans leurs régiments, cela ne revient-il pas au même ? Si on n'avait pas fait travailler ces hommes aux fortifications, n'aurait-il pas fallu les laisser dans leur corps pour achever de les instruire, ou les réunir à Anvers dans l'intérêt ()page 557) de l’ordre et du repos public en présence de l'immense agglomération d'ouvriers civils qu'il aurait fallu concentrer sur ce point ?

Ainsi donc on ne peut porter au compte des travaux d'Anvers la solde ordinaire des soldats travailleurs, puisque, dans aucun cas, elle ne pouvait disparaître du budget.

Messieurs, si je résume les avantages de l'emploi des troupes aux travaux d'Anvers, je trouve : qu'il y a célérité dans l'exécution des travaux ; que la défense sera plus vite possible parce que la coopération de l'armée a permis de commencer les travaux sur. tous les points à la fois ; je trouve encore que nous avons mis à profit une occasion unique de donner à nos jeunes officiers et à nos soldats une instruction pratique et une expérience précieuse, instruction et expérience que nous apprécierons hautement si nous sommes un jour appelés à la gloire de défendre notre pays.

Au point de vue de la moralité, n'y a-t-il pas encore un avantage sérieux à habituer nos soldats à cette vie de rudes et utiles labeurs, à les tenir constamment occupés loin des grands centres de population, des entraînements de la vie de garnison.

Au point de vue de la discipline n'y avait-il pas encore un précieux avantage à maintenir constamment, du matin au soir, ces hommes sous les yeux de leurs chefs, officiers et sous-officiers ?

Au point de vue de l'hygiène, ce travail assidu, cette gymnastique incessante, cette nourriture substantielle, ces soins paternels, cette vie au grand air n'offrent-ils pas aussi de précieux avantages ? Enfin, indépendamment des bénéfices personnels que les soldais retireront de leur passage à Anvers, ne résultera-t-il pas encore un bénéfice évident pour leur commune, pour le pays, d'avoir créé une multitude de bons ouvriers dont les moyens d'existence seront assurés, et qui pourront, rentrés dans leurs foyers, rendre des services chez eux et améliorer le sort de leur famille ? N'est-ce pas un sérieux résultat d'avoi -créé de bons soldats, d'habiles ouvriers et des citoyens moraux et laborieux ?

J'espère donc, messieurs, que ces considérations et les développements dans lesquels j'ai été forcé d'entrer, vous auront convaincu de l'utilité et des avantages de l'emploi des troupes aux travaux d'Anvers, et que vous approuverez cette mesure, qui n'a été prise que dans un intérêt militaire et dans un intérêt national.

M. Goblet. - Messieurs, je n'ai pas le temps de chercher de longues citations à opposer, à l'honorable général Chazal. Je me bornerai à toucher les questions sur lesquelles il m'a spécialement répondu.

La Chambre comprendra que je n'entrerai pas dans tous les détails de mesures sur lesquelles il s'est longuement étendu, quoique intéressant que soit ce règlement qui touche à la fois à la santé du soldat, à son travail et à sou existence matérielle.

La première question abordée par l'honorable général Chazal est celle de l'emploi des troupes aux travaux publics. D'après lui l'emploi des troupes aux travaux publics est préconisé partout, et les hommes les plus compétents ont à cet égard la même opinion que l'honorable ministre de la guerre.

Messieurs, nous avons déjà vu, dans une circonstance récente, que des deux côtés on citait les mêmes textes de lois et les mêmes arguments comme favorables aux deux causes. L'honorable ministre de la guerre est allé chercher des opinions favorables à la thèse qu'il soutient et il a cité des noms qui, selon lui, défendaient l'emploi des troupes aux travaux publics.

Permettez-moi, messieurs, de vous répéter, comme je l'ai déjà affirmé, que la question n'est pas neuve en Belgique, qu'elle y a été longuement discutée et qu'en Belgique comme partout ailleurs, jusqu'aujourd'hui l'emploi des troupes aux travaux publics a été condamné. L'honorable général Chacal a cherché à établir une distinction entre l’emploi des troupes aux travaux civils et aux travaux militaires. Les travaux d'Anvers sont de véritables travaux publics, aussi constants, aussi instructifs au point de vue militaire que le serait tout autre travail fait, au profit de l'Etat. Ne s'agit-il pas ici d'une besogne de longue durée, de maniements considérables de terres, de maçonneries considérables, eu un mot, de véritables travaux qui n'ont rien de ce que l'on peut appeler des exercices militaires,

Pourquoi venir dénaturer le texte des circulaires en confondant des fortifications passagères avec des fortifications de longue durée ? Il est bien évident que ces circulaires indiquent la volonté de ne pas distraire trop longtemps les troupes des exercices purement militaires.

Il suffit de lire les circulaires citées pour être convaincu de la vérité de mon assertion. Les travaux auxquels on peut convenablement employer les troupes sont des travaux qui ne doivent avoir qu'une utilité momentanée et qui ne peuvent les occuper qu'accidentellement.

Vous avez à peine le temps d'exercer vos miliciens au maniement des armes, vous avez à peine le temps d'en faire un soldat d'infanterie passable, et vous avez la prétention, grâce à l'emploi des troupes à Anvers, d'arriver dans les mêmes délais à en faire non seulement un bon fantassin, mais encore un soldat du génie habile. N'est-ce pas là une exagération impossible à soutenir ?

Parmi les hommes que l'honorable général Chazal a cités comme étant favorables à sa cause, il y en a plusieurs qui pensent cependant le contraire, selon le point de. vue où ils se placent.

Un officier appartenant à l'armée a traité avec un talent remarquable ces questions, le major Brialmont.

Il est aussi d'un avis diamétralement opposé à celui de l'honorable ministre de la guerre, non seulement au point de vue pratique, mais encore au point de vue de la Constitution, et il résume son opinion en condamnant l'emploi des troupes aux travaux publics :

« A cause de l'injustice qu'il y aurait à forcer un milicien, appelé sous les armes pour un service militaire, à exécuter des travaux de défrichement ; et à cause des dépenses que ce système exige, dépenses que le budget de la guerre ne peut supporter. »

Ailleurs, M. Brialmont combat en ces termes l'idée d'appliquer à la Belgique certaines mesures qui sont adoptées en France : « En appliquant à la Belgique certains résultats obtenus en France, M. Eenens ne songe pas que notre armée est organisée tout différemment. Que si l'armée française a pu travailler quelquefois sans nuire à son institution militaire ni à sa discipline, il ne s'ensuit pas que l'armée belge obtiendrait le même résultat, car celle-ci est composée en grande partie de recrues, qui ont besoin de tout leur temps pour les exercices et qu'il faut tenir plus sévèrement que d'anciens soldats. »

L'opinion que je soutiens est tout à fait conforme également à celle des huit officiers supérieurs du génie belge chargés, en 1836, d'examiner la question.

Voici comment ils la résumaient. :

« Concluons de tout cela que, dans l'état de paix comme dans l'état de guerre, la Belgique n'a pas de troupes qui restent l'arme au bras et qu'il faille ou que l'on puisse utiliser à des travaux publics.... Le trésor ne peut, du reste, que perdre à l'emploi des troupes en corps à des travaux civils ou militaires. » Maintenant, messieurs, voici l'opinion du général Duvivier : « Nul dans l'Etat n'a le droit d'imposer les travaux d'utilité publique aux troupes de l'armée française, recrutée connue elle l'est au moyen de citoyens libres désignés par le sort. Le travail serait un impôt de sueur ajouté à l'impôt du sang. »

On a invoqué l'opinion du général Oudinot. Eh bien, messieurs, voici ce qu'il dit :

« Méfiez-vous des soldats capitalistes ; ne comptez pas sur les soldats industriels ; éloignez de l'armée toute idée de lucre et de spéculation. »

Vous voyez donc bien, messieurs, que le général Oudinot n'est pas du tout favorable à l'emploi des troupes aux travaux publics.

Maintenant, messieurs,lia commission nommée par la chambre des députés, pose les conclusions suivantes :

« 1° Il n'est pas possible aujourd'hui, dans le silence du Code pénal et de la loi de recrutement, de punir légalement le refus de travail ;

« 2° L'emploi du soldat comme travailleur est onéreux à l'Etat ;

« 3° On ne peut employer, sur les chantiers, d'autres troupes que celles d'infanterie :

« 4° On porte atteinte à la constitution, à la discipline, à la force de l'armée. »

Le lieutenant-colonel du génie d'Artois, membre de la chambre des députés de Franco, se prononce ainsi :

« En France, l'emploi de l'armée aux grands travaux d'utilité publique a toujours été onéreux à l'Etat L'emploi des troupes, même aux travaux militaires exclusivement, n'offre, en temps ordinaire, aucun avantage pécuniaire pour l'Etat, et n'est pas utile à l'armée elle-même. L'emploi des troupes aux travaux civils ou militaires n'est pas non plus un bon moyen de préparer l'armée aux fatigues de la guerre. Les camps d'instruction peuvent seuls atteindre ce but. La liberté dont jouît le travailleur relâche nécessairement les liens de la discipline.

« L'infanterie seule peut fournir des travailleurs, et encore, pour ne pas nuire à son instruction, faut-il prendre des hommes ayant plus d'un an de service, et faire changer les détachements de travailleurs le plus souvent possible. »

Enfin, messieurs, on nous a cité l'exemple de l'Autriche et de l'Algérie. En Autriche, le conseil aulique a dû faire cesser les travaux commencés par les troupes, parce que ces travaux exerçaient sur la discipline et l'instruction militaire, une influence fâcheuse.

Enfin, cet argument si péremptoire de l'Algérie, qu'on oppose à tous ceux qui nient l'utilité de l'emploi des troupes aux travaux publics ; cet argument ne peut pas être invoqué en Belgique. En Algérie, les (page 558) troupes sont toujours sur le pied de guerre ; leur emploi, grâce au nombreux effectif et au temps prolongé où l'on retient les hommes sous les armes, ne peut nuire que d'une manière peu sensible à leur instruction et à leur organisation. Enfin, en Algérie, il y a un motif plus péremptoire encore, c'est qu'il n'y a pas d'ouvriers civils, que les bras manquent et qu'à moins de ne pas faire des travaux nécessaires, il a bien fallu y employer l'armée.

Messieurs, je n'ai pas dit que certains officiers, envisageant le petit côté de la question, se plaignaient de n'avoir pas plus de soldats dans les rangs ; je n'ai cité l'opinion d'aucun officier ; les chiffres que j'ai présentés, ce sont des chiffres que j'ai constatés moi-même, et qui de plus sont officiels.

En vous montrant que dans les régiments on n'avait plus que 550 soldats sur 450 gradés, que l'effectif des bataillons était illusoire, au point de faire arriver celui des compagnies au total de 30 hommes, cadres compris ; j'ai établi à l'évidence que l'on était arrivé à désorganiser complètement toute l'infanterie. On n'a présenté aucune objection contre ce chiffre.

Un pareil effectif est en opposition avec tout ce qui a été déclaré nécessaire dans toutes les discussions du budget de la guerre, est évidemment au-dessous de tout ce que l'on avait jamais admis en Belgique, et l'honorable général Chazal tout le premier. Avec un effectif de 550 hommes par régiment, on doit, je le répète, aboutir infailliblement à la désorganisation de l'armée, à l'absence de toute espèce d'instruction.

Messieurs, je rencontrerai encore un argument de l'honorable général Chazal ; car je crois que la Chambre est disposée à terminer le plus tôt possible le budget de la guerre.

L'honorable général Chazal a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même. Il m'a dit : « Vous parlez de la démolition des places du midi ; vous blâmez cette disposition, alors qu'elle a été consacrée par les hommes compétents ; l'autorité militaire, et le général Goblet lui-même avaient déchiré qu'il fallait démolir ces places devenues inutiles.

D'abord, je n'ai pas discuté les systèmes de défense militaire ; j'ai constaté uniquement la situation présente, et j'ai dit : «Vous n'avez plus d'armée, vous n'avez plus de fortification ni devant, ni derrière vous. »

J'ai dit que vous aviez démoli les places du midi, toutes sans exception, tant celles qui étaient désignées dans la convention de 1832 que les autres.

J'ai dit que votre camp de refuge d'Anvers était encore pour longtemps incapable d'une défense quelconque et que la Belgique était par suite désarmée de toutes façons.

Admettons pour un instant que pendant qu'on construisait les travaux de fortifications d'Anvers, il fallût démolir toutes les autres fortifications, avant que celles d'Anvers fussent terminées, était-ce là une raison pour rendre l'armée plus faible, pour diminuer encore l'effectif des régiments ? Non, sans doute, il fallait se souvenir des paroles de l'honorable général Chazal dans la discussion de 1849, à savoir qu'il y avait encore un système de défense pour la Belgique. C'était de se porter au point d'attaque afin d'arrêter l'ennemi au premier pas qu'il ferait sur notre territoire.

Dans ce système préconisé alors par l'honorable général Chazal, il y avait encore une armée prête à lutter et à combattre.

Ce qui n'existe plus aujourd'hui. Vous n'avez plus ni forteresses, ni armée, voilà ce que j'ai constaté.

Vous n'avez ni forteresses, ni armée. Je vous l'ai prouvé et vous n'avez rien répondu.

Vous avez des ouvriers à Anvers et vous avez un effectif qui est diminué sans limites et sans s'arrêter un seul instant devant les considérations les plus sérieuses.

Lorsqu'une armée est réduite à de semblables proportions, elle n'en est plus une, et dans l'hypothèse d'un danger quelconque, on donne à nos soldats une tâche impossible à remplir, malgré tout leur courage et leur dévouement.

On a dit encore que j'aurais prétendu que l'emploi des troupes à Anvers était destiné, dans la pensée du gouvernement, à aider l'entrepreneur.

Messieurs, je n'ai nullement dit que l'emploi des troupes aux travaux d'Anvers était favorable à l'entrepreneur ; j'ai dit qu'en employant les troupes aux fortifications d'Anvers, le gouvernement prévoyait l'impossibilité où se trouverait, l'entrepreneur d'exécuter son contrat dans le délai voulu. (Interruption.)

Le gouvernement a eu raison, dit en m'interrompant M. le ministre des finances. Mais le gouvernement a-t-il eu raison de désorganiser l'armée, de désorganiser l'effectif des régiments, en employant les troupes à des travaux civils ! Il devait employer des ouvriers civils à ces travaux. Comment ! c'est insulter à la bonne volonté, au patriotisme des populations que de prétendre que ces troupes qui sont à Anvers, se trouvent là pour empêcher les coalitions, pour faciliter un travail civil.

Qu'en France on agisse ainsi comme dans un but de police, cela se peut, mais nous ne sommes pas dans les mêmes conditions que lors de la construction des fortifications de Paris : l'honorable général Chazal lui-même l'a constaté, et ce n'était pas le mobile qui devait diriger le gouvernement belge dans les travaux de fortification d'Anvers.

Messieurs, je maintiens tous les chiffres que j'ai donnés dans mon premier discours et toutes les conséquences qu'on peut en tirer ; je les maintiens avec d'autant plus de raison que l'honorable général Chazal n'a pas cité un seul fait qui puisse faire admettre le contraire ni détruire les déductions qui en résultent.

Toutes les allégations de mon premier discours restent debout, et j'ai le droit de dire qu'aujourd'hui nous n'avons pas une armée en état de rendre des services utiles au pays.

- La discussion est close.

Vote de l’article unique et vote sur l’ensemble

M. le président. - Messieurs, nous passons au vote de l'article unique du budget. Il est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget de la guerre est fixé, pour l'exercice 1862, à la somme de trente-deux millions trois cent vingt mille huit cents francs (32,320,800 fr.). conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.


Il est procédé à l'appel nominal.

86 membres y prennent part.

69 adoptent.

14 rejettent.

3 s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui : MM. de Moor, de Naeyer, de Paul, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Lange, C. Lebeau, J. Lebeau, Loos, Moncheur, Mouton, Muller, Nothomb, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack, Thibaut, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Overloop, Van Volxem, Verwilghen, Vilain XIIII, Allard, Braconier, Carlier, Coppens-Bove, de Baillet-Latour, de Boe, de Brouckere, de Florisone, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier et Vervoort.

Ont répondu non : MM. de Smedt, Goblet, Grosfils, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Ansiau, Beeckman, Coomans, Crombez, de Bronckart, Dechentinnes, de Gottal et de Lexhy.

Se sont abstenus : MM. Kervyn de Lettenhove, Lesoinne et Van Bockel.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, j'ai exprimé dans le cours du débat les raisons qui me portent à ne pas approuver le budget de la guerre dont les chiffres ne sont justifiés, selon moi, ni par le caractère de nos institutions politiques, ni par les tendances agricoles et industrielles de nos populations.

Mais d'autre part, après les déclarations faites par d'honorables membres qu'en répondant non, ils entendaient blâmer les principes soutenus par le gouvernement dans l'affaire de la fonderie de Liège, je n'ai pas voulu que mon vote pût recevoir cette interprétation.

M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai voté contre l'organisation de l'armée. Tant que cette organisation subsiste, je ne puis donner mon approbation au budget de la guerre.

D'un autre côté, dans les circonstances actuelles, je ne puis voter contre et je dois laisser au gouvernement la responsabilité.

M. Van Bockel. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Kervyn.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.