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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 11 mai 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 1526A) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l'appel nominal à midi un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

M. de Florisone communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre :

« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Anvers prie la Chambre de décréter le principe du prolongement jusqu'à Anvers du canal dit de la Campine, dans la nouvelle loi de travaux publics et de majorer en conséquence le crédit sollicité par le gouvernement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Gabrien prie la Chambre de comprendre la commune de Gheel dans le raccordement du chemin de fer d'Herenthals vers la commune de Westerloo. »

- Même décision.


« Le collège échevinal d'Orp-le-Grand prie la Chambre d'aviser aux moyens d'obtenir une nouvelle loi sur les fabriques d'église. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lamblin, commissaire de police, prie la Chambre de lui accorder une indemnité ou un traitement du chef des fonctions de ministère public qu'il remplit près du tribunal de simple police du canton de Chimay. »

- Même renvoi.


« La dame Marie-Françoise Laplanche, veuve Dalle, demande an secours. »

- Même renvoi.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Discussion des articles et des amendements

Article 5, paragraphe 6

M. le président. - Un amendement à l'article 5, paragraphe 6 vient d'être déposé ; il est ainsi conçu :

« Pour la construction du canal de Turnhout à Anvers, par Saint-Job in 't Goor, un million de francs. »

Cet amendement est signé par tous les députés d'Anvers, sauf M. le ministre de l'intérieur.

Article 4

M. le président. - Nous étions restés à l'article 4, ainsi conçu :

« Art. 4. Le gouvernement est autorisé à concéder aux conditions ordinaires :

« 1° Un chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille ;

« 2° Un chemin de fer de Marienbourg à la Meuse en amont de Dînant. »

Il faut ajouter un paragraphe : « 3° Canal de jonction de la Lys à l’Yperlée », proposé par la section centrale, le gouvernement s'étant rallié à cette proposition. »

Maintenant viennent trois amendements.

Le premier est de M. de Breyne : « 4° Prolongement du chemin de fer de Lichtervelde à Furnes jusqu'à la frontière de France. »

Le deuxième est de MM. Van Overloop, Janssens, Verwilghem, d'Ursel, Van den Branden de Reeth, Notelteirs, et Snoy : « Un chemin de fer de Malines à la frontière hollandaise vers Terneuzen passant par Tamise et St-Nicolas. »

Enfin celui de MM. B. Dumortier et Rodenbach : « Il sera exécuté un canal d'Harlebeke à Roulers, soit aux frais de l'Etat, soit par concession. »

La discussion est ouverte sur l'article 4 et les amendements qui s'y rapportent.

M. de Smedt. - Messieurs, il y a quelques jours l'honorable député de Dixmude a déposé un amendement qui a pour objet de relier la ville de Furnes à la frontière française : ce projet a incontestablement pour but de relier la Belgique à la France.

Ce chemin nous conduira à Dunkerque et peut-être plus tard jusqu'à Calais.

L'honorable député de Dixmude a déjà développé les différentes considérations qui militent en faveur de l'établissement de cette ligne ; il a démontré l'utilité qui en résultait pour les deux pays également riches en produits agricoles et industriels. Cette nouvelle ligne faciliterait les rapports internationaux entre la Hollande, l'Allemagne et même la Russie, d'une part, et de l'autre le nord-ouest de la France et de l'Angleterre. D'un autre côté elle améliorerait l'exploitation du chemin de fer de Lichtervelde à Furnes et réduirait nécessairement ainsi la garantie du minimum d'intérêt que le gouvernement est obligé d'accorder annuellement à la compagnie de Lichtervelde à Furnes dont la somme s'élève à 200,000 fr. par an.

Cette nouvelle ligne vers Dunkerque étant décrétée, on pourrait se demander si, en raison des avantages accordés à la compagnie de Lichtervelde à Furnes, du chef de cette nouvelle concession, le gouvernement ne pourrait pas lui imposer quelques charges onéreuses ; je veux parler d'une ligne vers Nieuport, la seule ville de la Flandre occidentale qui ne soit pas reliée au réseau des chemins de fer.

C'est cependant une ville assez importante comme port de mer surtout et qui mérite de fixer l'attention du gouvernement. Il serait peut-être difficile d'obtenir de la société de Lichtervelde à Furnes qu'elle exécute le chemin de fer à moins qu'on ne lui accorde la garantie d'un minimum d'intérêt.

Mais si on tient compte de l'augmentation inévitable de la circulation sur le chemin de fer de Lichtervelde à Furnes, augmentation qui résulterait du double raccordement de cette ligne d'une part au chemin de fer du Nord, un des plus productifs de la France, et de l'autre à une ville qui est un port de mer destiné à prendre une rapide extension grâce surtout aux travaux d'amélioration que le gouvernement va y faire exécuter, il paraîtra probable pour ne pas dire incontestable, que dans un bref délai l'Etat né sera complètement exonéré de sa garantie du minimum d'intérêt. Ce serait donc par suite de l'exécution de cette double ligne vers Dunkerque et vers Nieuport une économie de 200,000 fr. par an réalisé, par l'Etat belge.

En accordant un minimum d'intérêt à la société de Lichtervelde pour la construction du petit embranchement vers Nieuport qui ne comporte d'ailleurs qu'un développement de 7 kilomètres et dont la dépense ne dépassera pas un million et demi, le gouvernement n'aurait à payer de ce chef que 40,000 à 50,000 fr. tout au plus au lieu de deux cent mille qu'il doit payer aujourd'hui.

La garantie serait tout au plus de 50,000 fr. Je crois d'ailleurs que cette garantie irait, en s'éteignant d'année en année, vu les travaux que le gouvernement est en voie d'exécuter à Nieuport, et qui amélioreront les conditions de ce port, donneraient à cette ligne un élément sérieux de prospérité.

L'honorable M. Guillery, dans la séance de mercredi dernier, appelant les paroles de l'honorable M. de Naeyer, disait :

« Lorsqu'il s'agit d'une voie de communication qui est reconnue utile et qui suffit à elle seule à ses dépenses. qui produit plus qu'elle ne coûte, personne n'a le droit de demander l'ajournement de l'exécution. »

Or, messieurs, toutes ces conditions se trouvent réunies dans la ligne pour laquelle nous demandons la concession immédiate.

(1526B) Plus tard, en réponse au discours de l'honorable M. Guillery, l'honorable M. Frère disait ; « Le gouvernement ne combat la concession que parce qu'elle serait trop onéreuse, parce que ce serait un emprunt usuraire. » Or rien de cela ici. C'est précisément l'inverse.

Plus loin (en parlant de la concession de la ligne directe de Louvain à Bruxelles), l'honorable ministre disait : Si vous aviez affaire à un concessionnaire voulant tout à la fois construire et exploiter la ligne, votre argumentation vaudrait quelque chose. »

Or, je le répète, pour notre chemin de fer ces conditions se trouvent réunies, ce serait la compagnie concessionnaire qui exploiterait le chemin de fer.

L'honorable M. de Naeyer disait aussi :

« Quand une affaire est reconnue bonne, utile, productive, la différer, l'ajourner, qu'est-ce que c'est ? C'est gaspiller le temps qui est la chose la plus précieuse que le bon Dieu nous ait donnée. »

Or, messieurs, retarder l'exécution de la ligne de Lichtervelde à la frontière de France, ce ne serait pas seulement gaspiller le temps, qui est très précieux sans doute, mais ce serait encore gaspiller les deniers du trésor. Car, plus longtemps on tardera d'exécuter cette ligne, plus longtemps le gouvernement payera la garantie de minimum d'intérêt.

Je ne veux pas cependant que l'amendement que je désire déposer et qui a pour objet de construire un embranchement vers Nieuport, puisse retarder l'exécution de la ligne de Furnes à la frontière de France. Je ne voudrais pas entraver un projet aussi utile. Mais je crois aussi qu'il est bon que le gouvernement ne se désarme pas vis-à-vis de la société de Lichtervelde à Furnes et conserve ses moyens d'action sur elle.

Je n'ajouterai pas, pour le moment, d'autres considérations pour appuyer l'amendement de l'honorable M. de Breyne. Je crois que ce simple exposé suffira pour convaincre le gouvernement et la Chambre que tous les intérêts sont d'accord pour obtenir la construction immédiate de cette ligne.

En effet, messieurs, il ne s'agit plus ici, comme pour le chemin de fer direct de Louvain à Bruxelles, d'un conflit entre le trésor public et l'intérêt des populations auxquelles la ligne devait profiter. Tout au contraire, l'intérêt du trésor, l'intérêt des deux riches pays que ce chemin de fer doit relier, l'intérêt de la société concessionnaire de Lichtervelde, tout se réunit ici pour appuyer et justifier la prompte exécution de cette ligne internationale.

Je comprends parfaitement que le gouvernement ne veuille pas laisser entamer son projet de loi en acceptant un amendement plutôt qu'un autre. Mais, messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Breyne est dans des conditions toutes spéciales, il ne soulève aucune question grave, ni aucun conflit d'intérêt, et le gouvernement, je l'espère, voudra bien s'y rallier, à moins qu'il ne veuille attendre que de nouvelles propositions plus complètes lui soient soumises.

M. le président. - Il vient d'être déposé un sous-amendement à l'amendement de MM. Van Overloop et consorts. Il est ainsi conçu :

« Les soussignés ont l'honneur de sous-amender l'amendement relatif au chemin de fer de Malines à la frontière hollandaise de la manière suivante :

« Un chemin de fer de Malines par Tamise à Saint-Nicolas, avec prolongement vers Saint-Gilles et Stekene.

« (Signé). Th. Janssens. E.-J. Isidore Van Overloop, Verwilghen, Vanden Branden de Reeth, J. Notetiers, J. de Smedt, d’Ursel. »

M. Janssens. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de signer avec plusieurs honorables collègues un amendement se rapportant à l'article 4, et ainsi conçu :

« Un chemin de fer de Malines à la frontière hollandaise vers Terneuzen, par Tamise et Saint-Nicolas. »

Cet amendement a été défendu par plusieurs des honorables signataires d'une manière si remarquable et si complète, que je désire être bref en y rappelant l'attention de la Chambre.

L'honorable ministre, tout en opposant à notre amendement des fins de non-recevoir, a bien voulu nous donner certaines assurances, dont je tiens à prendre acte.

« Si l'on demandait au gouvernement, a dit l'honorable ministre, une ligne de Saint-Nicolas, par exemple, à Bruxelles, je n'hésiterais pas à solliciter de la Chambre l'autorisation de l'accorder, sauf à examiner l'affaire plus à fond ultérieurement. »

J'aime à remercier l'honorable ministre des dispositions bienveillantes qu'il nous a témoignées, et je tâcherai de lui offrir, pendant cette discussion même, l'occasion de les traduire en fait.

Répondant, dans une de nos dernières séances, au discours de mon honorable ami, M. Van Overloop, l'honorable ministre a prétendu que notre amendement ne pourrait être mis aux voix d'une manière régulière, attendu que ce que nous proposions n'est point une modification de la loi, mais un projet nouveau, qui devrait faire l'objet d'une présentation spéciale et d'un examen dans les sections.

Mais peut-on se refuser à reconnaître que l'objet que nous vous demandons d'inscrire dans la loi a autant de rapport avec celle-ci, que les différents articles qui la composent en ont entre eux. L'article 4 comprend la désignation des travaux que le gouvernement est autorisé à concéder aux conditions ordinaires, nous proposons de compléter cette série, je ne pense pas que ce soit là autre chose qu'un amendement.

Dans le projet du gouvernement, cet article fait mention de deux chemins de fer ; le premier de Tournai à la frontière de France, le deuxième de Marienbourg à la Meuse. Y a-t-il une autre corrélation entre ces projets que celle qui existerait entre ceux-ci et notre amendement ? Il est évident que non.

Je comprends la difficulté d'introduire un amendement qui implique un sacrifice pour le trésor, celui-là peut déranger les combinaisons financières de la loi, et pourtant des amendements de cette nature sont présentés. Mais tel n'est pas celui que nous appuyons, il est uniquement une autorisation de concéder sans conditions onéreuses.

On nous oppose la nécessité d'un examen dans les sections ; mais cet examen fût-il indispensable, ce qui n'est pas, n'a point fait défaut pour le projet qui nous occupe, plusieurs sections en ont été saisies et deux en ont formellement voté l'adoption.

Du reste, messieurs, je ne puis admettre la théorie défendue par l'honorable ministre, elle me semble restrictive des droits de la Chambre ; elle a été soutenue dans une autre circonstance ; mais jamais, je pense, elle n'a passé comme une règle admise, et je la crois destinée à être tour à tour invoquée et laissée dans l'oubli suivant les besoins du gouvernement. Et pour ne pas remonter bien haut dans les précédents de la Chambre, je citerai un exemple parfaitement identique et actuel. Dans le même projet de loi, à propos du même article, un amendement a été proposé par la section centrale. Il s'agit du canal de jonction de la Lys à l'Yperlée. Ce travail n'était pas inscrit au projet de loi, il a été moins examiné en sections que notre amendement et que lisons-nous à ce sujet dans les réponses du gouvernement ? Que celui-ci ne trouve pas de difficulté à laisser inscrire au projet de loi une clause en vertu de laquelle il est autorisé à concéder un canal de jonction entre la Lys et l’Yperlée.

Si l'on répond que le gouvernement a admis cet amendement parce qu'il s'agit là d'un projet étudié et approuvé par lui, alors ce n'est plus la question préalable qu'on discute. Au point de vue de celle-ci, le canal de la Lys à l'Yperlée se trouve exactement dans les mêmes conditions que notre chemin de fer ; l'un comme l'autre est un projet distinct de ceux qui sont inscrits dans la loi. Si on peut introduire l'un comme amendement, on le peut pour l'autre ; s'il faut une présentation spéciale pour l'un, il en faut une pour l'autre.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Mais le gouvernement accepte ce projet.

M. Janssens. - Oui, M. le ministre, le gouvernement l'accepte ; mais cela ne forme pas une présentation spéciale, il n'y a pas eu d'arrêté royal, il n'y a pas eu d'envoi aux sections. Que le gouvernement accepte cet amendement-là et combatte celui-ci, je le comprends ; mais qu'il veuille en écarter un par la question préalable, je ne le conçois pas. Aussi ai-je la confiance que l'honorable ministre des travaux publics, qui a montré beaucoup de loyauté dans cette discussion, renoncera à ce moyen.

L'honorable ministre, combattant toujours l'opportunité plutôt que le fond de notre amendement, a soutenu qu'aucune décision ne devait être prise pour l'une des lignes se dirigeant vers Terneuzen avant que l'enquête ouverte, sur ces différents projets, ne fût terminée.

Cette opposition non d'hostilité, mais de réserve, est de nature à faire impression sur vos esprits et pourrait nous aliéner, pour le moment du moins, le vote de quelques honorables collègues, qui ont bien voulu témoigner leurs sympathies pour la cause que nous défendons.

Cependant les réponses de l'honorable ministre nous donnent le droit de nous plaindre de deux choses : la première est la comparaison établie entre des projets de nature différente ; la seconde, le choix trop restreint, je dirais presque trop exclusif, des autorités consultées.

Ce dernier grief a été signalé plus d'une fois pendant cette discussion ; (page 1526C) j'espère que l'honorable ministre en tiendra compte. S'il a voulu prêter une attention particulière aux objections qui pourraient être faites au nom des intérêts de Gaud et d'Anvers, il voudra bien ne pas perdre de vue les pétitions nombreuses et énergiques qui lui sont parvenues en faveur de notre projet ; il ne se refusera pas à consulter d'autres intérêts importants, que nous considérons comme engagés dans la question ; tels sont ceux de Bruxelles, de Louvain, de Charleroi et même ceux de Liège, de Verviers et de Namur.

Qu'il me soit permis d'appuyer sur le préjudice qui résulte pour nous de voir le projet de chemin de fer de Malines vers Terneuzen mis en parallèle avec d'autres projets qui n'ont pas le même caractère. Mon honorable ami, M. Van Overloop, l'a parfaitement établi ; les tronçons de Terneuzen à Gand ou à Lokeren n'ont guère d'autre but que de relier cette première localité à l'un des points les plus rapprochés de notre réseau de chemins de fer.

Ce qui pourrait être comparé à cela serait une ligne de Saint-Nicolas vers Terneuzen ; mais ce n'est point là ce qui constitue le projet que nous défendons ; ce projet comprend en outre et surtout une ligne importante vers l'intérieur du pays de Saint-Nicolas par Tamise à Malines.

Une observation m'a frappé, messieurs, c'est que toutes les objections qui nous ont été opposées se rapportent à la partie du projet qui relie Terneuzen, tandis que la plupart des arguments produits en faveur du projet concernent la partie qui s'étend de Malines à la frontière.

On se mettrait donc facilement d'accord en scindant la demande.

Cette considération nous a engagés, d'honorables collègues et moi, à vous proposer une rédaction nouvelle de notre amendement, qui serait conçu comme suit :

« Un chemin de fer de Malines par Tamise à Saint-Nicolas, un prolongement vers Saint-Gilles et Stekene. »

J'espère que non seulement M. le ministre ne fera aucune opposition à l'adoption de l'amendement ainsi modifié ; mais qu'il voudra même se montrer disposé à user de la faculté qu'il lui donne, aussitôt qu'une demande en concession sera présentée en ce sens.

Notre proposition sous-amendée ne préjuge rien quant au raccordement vers Terneuzen. Le gouvernement conserverait sa parfaite liberté de peser toutes les considérations qui lui seraient présentées pour ou contre chacune de ces lignes. La partie sur laquelle nous insistons aujourd'hui étant assurée, la partie restante du projet deviendrait susceptible d'être comparée aux tracés partant de Lokeren ou de Gand et nous pourrions attendre en toute confiance le résultat de l'examen auquel ces projets donneraient lieu.

En laissant, pour le moment, la ligne de Terneuzen hors du débat nous satisfaisons au désir exprimé par M. le ministre et aussi, je le pense, au vœu de la Chambre.

Cependant, comme les trois lignes vers Terneuzen vont donner lieu à un examen comparatif, je me permets de présenter rapidement une opinion sur leur valeur respective.

L'honorable ministre des travaux publics a émis cet avis que de ces trois tracés, celui qui se dirige vers Lokeren est le moins avantageux. Je ne partage point cette manière de voir, et je n'hésite pas à dire que la ligne qui rendrait le moins de services serait celle de Terneuzen à Gand. Ces deux villes se trouvent reliées par un canal, travail d'une utilité immense, mais qui enlève toute raison d'être à un chemin de fer parallèle.

En effet pour les transports de marchandises pondéreuses, le chemin de fer ne pourra jamais soutenir la concurrence du canal et ce ne seront point les recettes fournies par les voyageurs qui pourront faire vivre un railway vers Terneuzen.

De plus cette ligne ne dessert, de toute la Zélande, que la seule localité de Terneuzen, la route se trouverait même isolée du pays par les eaux du Braeckman d'un côté et par le canal de l'autre.

Une petite ville importante en Zélande par les transactions nombreuses auxquelles l'agriculture y donne lieu, c'est Axel. Cette localité laissée à l'écart par la ligne de Gand est reliée par les deux autres. Le tracé qui se dirige sur Saint-Nicolas aurait en outre l'avantage considérable de passer à Hulst, qui, de toutes les villes zélandaises, est celle qui a le plus de rapports avec la Belgique. Au point de vue de la Zélande la ligne de Saint-Nicolas dessert évidemment le plus d'intérêts et celle de Gand le moins.

Cette considération a sa valeur, non seulement à cause des avantages qu'offriraient à notre pays ses relations avec ces contrées laissées aujourd'hui en dehors du mouvement des chemins de fer ; mais encore à cause de la nécessité qu'il y aura de tomber d'accord avec le gouvernement hollandais.

Celui-ci, ayant comme nous le choix entre les trois lignes, ne manquera pas, sans doute, de choisir celle qui satisfait aux besoins et aux vœux du plus grand nombre de ses administrés.

Des arguments très puissants ont été présentés en faveur du chemin de fer par St-Nicolas vers Terneuzen, notamment par mon honorable ami M. Verwilghen. Le gouvernement ne les aura pas perdus de vue.

Quant à la ligne de Malines à St-Nicolas, j'ai lieu de croire que le vote de la Chambre ne peut être douteux. En effet, cette partie du projet n'a soulevé aucune critique, elle a trouvé un accueil sympathique chez ceux mêmes qui combattaient le projet dans son ensemble.

L'exécution d'une voie ferrée qui relie le pays de Waes, et pour laquelle nous ne demandons aujourd'hui que la concession pure et simple, ne serait qu'un acte de stricte justice alors même qu'elle devrait se faire au prix de certains sacrifices. Et il ne se trouve personne parmi tous, messieurs, qui ne s'empressât d'en convenir si je pouvais vous tracer un exposé exact de nos droits toujours méconnus, de nos intérêts toujours sacrifiés, de notre dévouement toujours oublié.

A l'époque de notre émancipation politique, aucune ville ne fut plus rudement atteinte dans ses intérêts matériels que Saint-Nicolas. Notre séparation brusque de la Hollande lui fermait tout à coup le marché immense qu'offraient à ses fabricats les colonies de notre ancien allié ; et le commerce de Saint-Nicolas, qui pourvoyait aux besoins d'une majeure partie de la Zélande, se voyait subitement enlevée une grande ressource.

Cette épreuve n'a point porté atteinte à nos sentiments de nationalité. Nous étions de chauds patriotes. Et ne croyez pas que je vienne vous demander une compensation tardive à ces sacrifices, nous les avons accomplis généreusement et nous les avons réparés avec courage. Je suis fier de le dire, et on l'a trop compris peut-être, il n'y avait aucun danger politique à laisser la patrie nous coûter cher et ne nous rien donner ; mais ce serait là une bien mauvaise excuse de la conduite tenue envers nous.

Plus tard, cherchant les moyens de nous créer de nouveaux débouchés, nous avons réclamé avec énergie des mesures commerciales, qui nous ont toujours été refusées. Ce n'était pas une protection outrée que nous voulions, c'étaient des mesures de liberté. Nous demandions, pour alimenter notre tissage, des fils à bon marché. Les filatures de coton au contraire jouissaient d'une protection énorme ; elles en exigeaient le maintien. On n'osa point y porter la main et nous fûmes encore les victimes.

On le savait, toujours nous étions dévoués et actifs.

Entravés constamment dans le développement de notre industrie, nous avons transformé celle-ci ou plutôt nous en ayons introduit de nouvelles ; et sans réclamer aucune intervention, nous avons réussi à tel point que lorsqu'on a vu d'autres parties du pays en proie à une crise industrielle, on n'a rien trouvé de mieux à faire que de leur montrer notre exemple et de leur donner des subsides pour nous imiter.

Voilà à travers quels obstacles s'est maintenue et renouvelée l'industrie, aujourd'hui prospère, de Saint-Nicolas.

Nous avons lutté contre les événements, contre les défaveurs du pouvoir et même contre celles de la nature.

Ainsi, Saint-Nicolas manque d'eau pour alimenter ses fabriques.

Et la prospérité de notre agriculture, croyez-vous que nous la devions à la richesse particulière de notre sel ?

Non, messieurs, l'arrondissement de Saint-Nicolas se compose en majeure partie de terres naturellement peu fertiles. Il a fallu le travail séculaire de bien des générations laborieuses pour faire de ce pays ce que l'on nommé maintenant un jardin. Et nos pères, que je sache, n'ont eu ni canaux d'irrigation, ni chaux à prix réduit.

Et nos voies de communication, qui les a faites ? Quelle serait la partie du pays où les sommes consacrées à la voirie vicinale sont dans une si grande proportion avec les subsides de l'Etat ?

Le chemin de fer avait déjà, dans une foule de localités heureuses, porté une vie nouvelle, qu'il n'avait fait encore pour notre arrondissement qu'éteindre celle que lui donnaient nos anciennes roules.

Encore une fois, nous étions laissés à l'écart ; mais il y avait dans cette partie du pays une vitalité trop grande, des transactions trop actives pour que ce nouvel oubli ne fût pas à son tour réparé par l'industrie privée ; et la première concession de chemin de fer demandée en Belgique traversait le pays de Waes. Cette ligne fut exécutée sans aucune charge pour l'Etat ; mais vous le savez, messieurs, cette voie est à petite section, elle ne peut donc se raccorder arec les autres lignes, de plus elle est parallèle à la frontière et ne se dirige point vers le cœur du pays. Aussi quelque utile qu'elle soit, elle ne répond plus à tous les besoins qui ont droit d'être satisfaits.

Rattacher au centre de la Belgique le pays de Waes et notamment Saint-Nicolas et Tamise est un projet d'utilité générale. Combien n'a-t-on pas fait de sacrifices pour donner des embranchements à des villes qui n'ont pas, tant s'en faut, l'importance de Tamise, ni pour la population, ni pour la richesse, ni pour le commerce, ni pour l'industrie ! Cette localité qui ne porte pas le nom de ville, n'est pas suffisamment connue par plusieurs de nos honorables collègues, et ce ne sont certes pas nos lois de crédits qui ont pu la rendre célèbre.

Elle figurait autrefois assez modestement dans un de nos budgets pour un service de bateaux à vapeur, l'Etat l'a supprimé et, comme le rappelait encore mon honorable ami M. Van Overloop, le gouvernement n'a pas même pris les mesures nécessaires pour maintenir en bon état le lit du fleuve. Toutes les instances que nous avons faites à ce sujet n'ont abouti qu'à des sondages et à quelques rapports officiels.

Ce n'est pas seulement de l'absence de travaux que nous avons à nous plaindre ; pour combien de services publics l'arrondissement dont nous parlons n'a-t-il pas été laissé dans l'oubli ? Est-il, par exemple, une ville en Belgique de l'importance de Saint-Nicolas, qui n'ait point de tribunal civil ? Il n'en est pas une seule.

Qu'on n'oppose pas à nos justes plaintes le tableau de la prospérité dont nous jouissons. J'aurais le droit de répondre : Cette prospérité est notre œuvre et non la vôtre ; cette prospérité est le résultat du travail et de la lutte.

Si le gouvernement y a contribué, ce ne peut guère être que pour nous avoir laissés aux prises avec les difficultés de tout genre que les circonstances ont semées autour de nous. Et je ne suis pas éloigné d'admettre cette pensée dans une certaine mesure. Sans doute la lutte est un stimulant énergique et salutaire à toutes les industries. Mais cela nous conduit à vous engager, messieurs, à mettre toutes les parties du pays à ce régime fortifiant ; sinon nous nous trouverons bientôt assez forts pour vivre du régime commode que vous nous réservez.

Jusqu'ici nous ne vous demandons aucun sacrifice. Nous voulons bien encore vous voter nos millions ; et que demandons-nous ? Rien que l'autorisation d'employer chez nous, à un travail d'une utilité reconnue, les capitaux de l'industrie privée.

Quand nous offrons si généreusement de faire vos travaux à frais communs, nous refuseriez-vous jusqu'au droit de faire les nôtres ?

Messieurs, il me semble impossible que notre concours, offert à des conditions si modestes, soit repoussé.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Hymans dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet d'un crédit de 640,000 fr. au département de l'intérieur pour mesures relatives aux arts et aux lettres.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

M. le président. - Deux sections centrales se réunissent lundi ; la Chambre veut-elle fixer la séance publique à 1 heure ?

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Article 4

M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je serai très bref et je tâcherai d'être conciliant, pour les différentes propositions faites relativement à des chemins de fer vers Terneuzen.

Je voudrais d'abord, pour simplifier la position, adresser à M. le ministre des travaux publics, deux questions. La première est celle-ci :

« Est-il entendu que tous les projets de chemin de fer vers Terneuzen ou la Zélande, y compris celui qui pourrait résulter éventuellement à l'occasion de l'article 45 de la convention provisoire Neelemans, feront l'objet de l'enquête administrative, sans qu'il y ait préférence a priori pour aucun d'eux. »

Vous voyez, messieurs, que je me place sur le terrain de la concurrence.

Je demande que l'enquête se fasse sur tous les projets, sans exclusion. On peut être confiant, quand on soutient ce qui est utile et ce qui est juste.

La deuxième question, messieurs, est la suivante :

« Si le chemin de fer de Gand à Terneuzen empruntait, pour son parcours, une partie de la ligne de Gand à Eecloo, la préférence, dont fait mention l'article 45 de la convention provisoire, pourrait-elle être invoquée par M. Neelemans ? »

En d'autres termes, cette préférence ne doit-elle pas s'appliquer, pour ce dernier demandeur, seulement pour une ligne vers la Zélande, en tant qu'elle parte de la ligne d'Eecloo à Bruges ?

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il peut lui convenir de répondre, avant la clôture de la discussion de l'article.

Quand il aura répondu, je n'aurai plus que quelques mots à ajouter.

Je demande d'abord, si l'enquête se fera sur toutes les propositions qui pourraient être faites ; je demande, en second lieu, si l'article 45 de la convention provisoire avec M. Neelemans peut être invoqué, à l'occasion d'un chemin de fer qui irait de Gand à Terneuzen.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je répondrai tout à l'heure.

M. E. Vandenpeereboom. - Vous voyez, messieurs, que nous, qui soutenons le chemin de fer de Gand à Terneuzen, nous nous plaçons sur le terrain de la concurrence la plus étendue, parce que nous croyons, par la situation de cette ligne, n'avoir aucune concurrence à craindre.

Nous ne voulons certainement pas a priori la préférence d'aucun de ces chemins de fer, nous ne voulons pas même établir la supériorité de l'une ou l'autre des trois lignes.

J'aurais cependant de très bons motifs à invoquer et je pourrais dire que la ligne de Gand doit servir à prolonger celle de Hainaut-Flandres, qui sera incessamment achevée, qu'elle servira également de prolongement au chemin de fer que vous avez décrété hier et qui est celui de Braine-le-Comte à Gand. Et certes ce n'est pas peu de chose, pour un chemin de fer, de servir de prolongement à des lignes aussi importantes. Quels avantages ne présentera pas une ligne ferrée, non interrompue, portant les charbons de Mons et de Charleroi, un port de relâche, comme est celui de Terneuzen.

Je ne dis pas que cette ligne soit la plus utile. Mais il doit m’être permis d'en établir l'utilité. Eh bien, pour ne citer que trois chiffres, voici la distance qu'il y aurait, en prenant comme point extrême Charleroi.

De Charleroi à Terneuzen, par Louvain et Malines, il y aura 150 kilomètres ; par Enghien, les Acren et le chemin de fer de Lokeren, 165 kilomètres ; par Braine-le-Comte et Gand, 136 kilomètres.

Vous m'avouerez que ce sont là des différences, dont il faut tenir compte.

Je dirai aussi qu'il est important pour un chemin de fer d'avoir Terneuzen d'un côté et Gand de l'autre ; c'est-à-dire, d'être une ligne qui fera que rien ne pourra plus jamais interrompre les communications entre notre métropole industrielle et la mer. Je ne veux cependant pas nier l'importance des deux autres chemins de fer.

Qu'on les fasse tous les trois ; pour mon compte, je ne m'y opposerai pas.

Mais il doit être entendu que si, au commencement de la session prochaine, un ou plusieurs de ces chemins de fer, ou d'autres encore qui pourraient surgir, avaient été l'objet d'une enquête administrative favorable, s'ils se présentaient avec des conditions certaines d'exécution, si un cautionnement avait été voté, si on avait la garantie que le capital nécessaire est au complet, j'engagerais le gouvernement à les soumettre à la Chambre. Je crois que ce sont là les intentions du gouvernement.

Notre prétention n'est donc pas exagérée, et j'espère que sur ce terrain je trouverai des adhérents.

Je dirai, pour conclure, que ce qu'il y aurait de mieux à faire, ce serait de retirer tous les amendements, de laisser les choses en état, et d'attendre que l'un ou l'autre des projets soit arrivé à un degré d'instruction qui permette au gouvernement de saisir la législature d'une proposition.

Si tout le monde l'entend ainsi, si nos honorables collègues n'insistent pas sur les amendements qu'ils ont présentés, nous n'avons rien à ajouter ; mais s'ils insistent, nous devons proposer un nouvel amendement pour demander que la ligne de Gand soit une de ces lignes concessibles par le gouvernement.

Mais réellement, dans l'état où est la question, le meilleur parti est d'attendre ; il faut que la question demeure ouverte pour tout le monde. Les projets vraiment utiles et viables n'ont rien à craindre de cette épreuve de l'enquête administrative ; et, à l'ouverture de la session prochaine, nous pourrons les juger au point de vue sérieux de la position financière. Les lignes productives viendront avec la preuve d'un capital complété, les autres viendront avec des ressources d'exécution insuffisantes. Nous jugerons tous ces projets, après les avoir soumis à cette pierre de touche infaillible. Je n'insiste pas, parce que j'attends avec assurance cette épreuve pour le projet de Gand à Terneuzen.

M. de Decker. - Messieurs, dans les premières observations que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre, j'avais insisté sur la (page 1527) nécessité évidente, selon moi, de ne prendre en ce moment aucune décision, de soumettre à une instruction impartiale les trois projets de chemin de fer du centre du pays vers Terneuzen.

Cette conclusion vient d'être appuyée par notre honorable premier vice-président. Je ne puis que m'associer à ses observations. Je persiste dans mon opinion que, dans ce moment, l'étude des projets n'est pas assez mûre et qu'il est impossible que la Chambre et le gouvernement prennent, dans l'état actuel des choses, une décision basée sur la connaissance approfondie des intérêts qui sont ici en jeu.

Mais, messieurs, il paraît que d'honorables collègues ne partagent pas cette manière de voir, et voudraient immédiatement et sans instruction ultérieure emporter une décision favorable à l'un de ces trois tracés.

J'avais pensé que ces honorables collègues se seraient ralliés à une proposition d'examen ultérieur, sans vouloir, pour ainsi dire, faire violence à la Chambre et au gouvernement en demandant une décision immédiate en faveur d'un des trois projets.

Remarquez bien, messieurs, que les honorables collègues qui avaient commencé par introduire un amendement en faveur d'un chemin de fer international de Malines à Terneuzen ont abandonné complètement la grande pensée d'une communication internationale. Il n'est plus question pour eux que de la partie de Malines à Saint-Nicolas. L'honorable M. Van Overloop dans son discours n'a plus insisté sur la partie de Saint-Nicolas vers Terneuzen. Mon honorable ami M. Janssens a été plus loin. Il a demandé formellement, par un nouveau sous-amendement, un chemin de fer de Saint-Nicolas vers Malines, laissant complètement à l'écart la partie de l'amendement principal qui constituait, au début de la discussion, la partie la plus importante, la partie internationale.

Je crois, messieurs, que la Chambre s'est trouvée et se trouve encore devant un projet plus grand que le projet amendé de mes honorables amis de Saint-Nicolas. Il s'agit pour la Chambre et pour le gouvernement de maintenir le projet dans son ensemble, c'est-à-dire la communication la meilleure et la plus utile du centre du pays vers la Zélande, vers la rive gauche et une partie de la Hollande.

Voilà, messieurs, le problème à résoudre. Ce que le gouvernement doit examiner, ce n'est pas la partie restreinte du chemin de fer de Malines à Saint-Nicolas, mais le chemin de fer reliant directement la capitale à Terneuzen et à la Zélande.

C'est à ce point de vue international qu'il faut, me semble-t-il, examiner les trois projets.

Je suis persuadé, pour ma part, que cet examen ne peut qu'être favorable au projet que j'ai soutenu une première fois.

Ce projet a un double caractère. Il a d'abord un caractère international, ensuite il est d'une immense utilité pour les polders, c'est-à-dire pour la rive gauche de l'Escaut. C'est là encore un intérêt belge ; car la plupart des propriétaires des polders de la rive gauche sont Belges. Depuis quinze ans tous les polders qui s'endiguent sur la rive gauche, toutes les propriétés qui y sont acquises, le sont par des propriétaires belges. C'est donc encore un intérêt belge que nous défendons, lorsque nous défendons les intérêts des polders situés sur la rive gauche.

Or, le tracé de Gand à Terneuzen méconnaît complètement cet intérêt.

Il se peut que ce chemin de fer puisse sous certains rapports offrir des conditions favorables au point de vue international, mais il ne faut pas négliger non plus le deuxième but à atteindre, le but d'utilité pour les polders de la rive gauche.

M. E. Vandenpeereboom. - Qu'on les fasse tous les trois.

M. de Decker. - Il est évident que le chemin de fer de Gand à Terneuzen méconnaît l'intérêt des polders. Il se peut qu'il soit favorable à ceux de Gand et de Terneuzen, mais je puis dire qu'il méconnaît tous les intérêts intermédiaires.

J'ai reçu, il y a quelques jours, une communication où l'on assure que le chemin de fer de Gand à Terneuzen n'aurait aucune espèce d'utilité pour les polders.

Comme l'a dit l'honorable M. Janssens, il y a, à partir du Sas de Gand vers Terneuzen, d'une part le canal de Terneuzen et d'autre part un bras de mer, appelé le Braeckman, de manière que le chemin de fer projeté de Gand à Terneuzen serait complètement inaccessible pour les polders. Il faut absolument que le chemin de fer vers Terneuzen, pour qu'il ait une utilité pour les polders, passe par Axel.

C'est tellement vrai que ce chemin de fer ayant un caractère international et devant nécessiter l'assentiment du gouvernement hollandais, tout porte à croire que ce gouvernement tiendra à ce que ce chemin de fer passe par Axel. Là est le centre des polders, le marché des grains. C'est de là qu'il faudra importer en Belgique les grains.

C'est vers ce centre qu'il faudra diriger les charbons, les pierres à diguer et tous les produits pondéreux, en un mot. De toute nécessité, je le répète, il faut que le chemin de fer vers Terneuzen passe par Axel. Si vous le confinez entre le canal de Terneuzen et le Braeckman, il perd toute son utilité pour cette partie de la Zélande, et je suis convaincu que la Hollande insistera pour le passage par Axel et en fera peut-être une condition sine qua non de son assentiment au passage du chemin de fer sur son territoire.

Messieurs, en comparant les divers projets en présence, il faut considérer non seulement le but qu'on veut atteindre, mais aussi les moyens d'exécution ; c'est ce qu'a fait remarquer tout à l'heure l'honorable M. Vandenpeereboom.

Le gouvernement aura donc à examiner le projet qui offre les garanties les plus sérieuses d'exécution.

Sous ce rapport encore, le projet que j'ai l'honneur de défendre se recommande tout spécialement.

Ce matin même, j'ai reçu, de la part d'un propriétaire de Gand, l'engagement formel de verjsr immédiatement le cautionnement nécessaire à la construction de la ligne de Lokeren à Terneuzen. Les fonds sont faits et le cautionnement peut être versé quand on le voudra. On ne contestera donc pas le caractère parfaitement sérieux de ce projet.

Je ne pense pas qu'aucun des trois projets, je pourrais même dire aucun des quatre projets, puisqu'il s'agit encore de relier la ligne à concéder au chemin de fer d'Eecloo, soit parvenu à un degré d'avancement tel que celui du chemin de fer projeté de Lokeren à Terneuzen.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - A mes yeux, la réunion des fonds à verser pour le cautionnement ne constitue pas une preuve complète de la formation probable du capital ; du reste, le cautionnement m'est offert également pour la ligne de Gand à Terneuzen.

M. de Decker. - C'est possible, mais j'affirme que le projet pour Lokeren à Terneuzen est très sérieux. Tout ce que nous demandons, c'est un examen impartial et attentif de ce projet.

L'honorable M. Vandenpeereboom nous disait : Qu'on examine tous les projets et au besoin qu'on les concède tous ! Moi non plus, messieurs, je ne suis pas exclusif ; mais il ne faut pas que, sous prétexte de n'exclure aucun projet, on les compromette tous. Il se peut que plus d'un des projets soit exécutable, mais, encore une fois, il ne faut pas que tous soient compromis par l'effet d'une concurrence ruineuse pour chacun d'eux. C'est là un mécompte contre lequel je tiens à prémunie le gouvernement

J'engage une dernière fois le gouvernement à se livrer à un examen impartial de tous les projets, en se plaçant au point de vue des grands intérêts du pays. Le problème à résoudre consiste à relier la capitale du pays et nos centres houillers, avec Terneuzen sans négliger un des côtés du grand intérêt national, l'intérêt des polders, qui exige que le chemin de fer passe par Axel. J'appelle la plus sérieuse attention du gouvernement sur cette considération.

J'attendrai donc cet examen impartial, et je regrette que mes honorables collègues de Saint-Nicolas ne comprennent pas l'impossibilité de faire voter maintenant par la Chambre la préférence d'un projet sur l'autre ; il est impossible, en effet, que la Chambre passe par de telles exigences. Un examen impartial, voilà tout ce que nous demandons et ce que la Chambre peut voter.

M. le président. - Si vous faîtes une proposition formelle d'ajournement, M. de Decker, veuillez la faire parvenir au bureau.

M. Desmaisières. - Le district d'Eecloo, qui touche à la frontière hollandaise sur une grande étendue, est nécessairement intéressé à tout embranchement de chemin de fer qui serait dirigé vers cette frontière. Cela a été reconnu, en principe, par l'article 45 du cahier des charges qu'a cité tout à l'heure l'honorable M. Vandenpeereboom.

Je demande donc à M. le ministre des travaux publics qu'il veuille bien, qu'il y ait demande de concession ou qu'il n'y en ait pas, entendre les autorités commerciales et communales d'Eecloo, dans l'enquête qui aura lieu. Je le répète, messieurs, la ville d Eecloo est intéressée à ce qu'il soit fait un bon choix. Peut-être ne se présentera-t-il pas de demande de concession, je crois le contraire, mais c’est possible, et dans ce cas-là même Eecloo doit pouvoir donner son avis et choisir, entre les lignes proposées, celle qui lui paraît le plus avantageuse au pays.

M. E. Vandenpeereboom. - Je suis étonné qu'après avoir tendu la main à Lokeren, à Saint-Nicolas, à Malines, l'on vienne jeter des pierres dans mon jardin de Gand. Je ne fats de mal à personne ; je demande, si nous avons des droits à quelque chose, qu'on nous le donne et qu'on donne aux autres ce à quoi ils ont droit. Je ne comprends pas (page 1528) qu'on vienne faire des récriminations, et s'adonner à des dénigrements.

M. de Decker. - Je n'ai pas fait de récriminations.

M. E. Vandenpeereboom. - Je vous demande pardon, vous avez cherché à établir qu'une ligne est plus utile que l'autre ; et même que notre ligne a peu d'importance ; ce qui n'a pas besoin d'être réfuté.

Je demande qu'on soit juste pour tout le monde, et qu'on se fie à la concurrence. Si notre ligne est bonne, elle aura de l'argent : je sais déjà qu'elle en a ; je sais que quand la libre carrière sera ouverte, le chemin de Gand à Terneuzen se fera ; je ne demande qu'une seule chose, c'est qu'on ne lui ferme pas l'occasion de prouver sa vitalité.

J'aurais droit de dire, à mon tour, la véritable direction du quatrième projet n'est pas d'Eecloo vers Terneuzen, mais d'Eecloo vers Breskens.

On ne peut pas prétendre non plus que le chemin de Terneuzen doive passer par Lokeren, pour arriver à Gand. Outre l'augmentation de la distance, il y a un autre motif : c'est que le chemin de fer de Gand à Anvers par Lokeren ne peut servir d'intermédiaire entre Terneuzen et Gand, parce que ce chemin est établi sur un autre écartement des voies, ce qui nécessiterait des transbordements.

Encore une fois, je demande qu'on ne préjuge rien ; qu'on laisse libre carrière à ceux qui peuvent vivre ; que ceux qui sont assez forts pour vivre ne soient pas empêchés par ceux qui font des plans sur le papier, sans pouvoir faire preuve de posséder les moyens sérieux de prompte exécution et d'exploitation fructueuse.

Je demande que tous les amendements soient retirés ou écartés, et que le gouvernement prenne l'engagement de vous faire des propositions formelles, dans le cours de la prochaine session.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je ne puis qu'engager les auteurs des divers amendements à les retirer ; s'ils ne le font pas, je serai obligé de leur opposer un vice de forme, indépendamment de l'argument au fond que j'invoque contre leurs propositions.

Le vice déforme ne peut être contesté ; il a été produit dans d'autres circonstances et admis par la Chambre.

Chaque membre a le droit de proposer un amendement à une disposition qui est en discussion ; il a, en outre, le droit de faire une proposition émanant de son initiative personnelle ; s'il propose une modification à une disposition de loi soumise à la Chambre, c'est un amendement et l'amendement fait partie de la discussion ; mais s'il fait une proposition nouvelle, elle doit être examinée suivant un mode déterminé par le règlement.

Ainsi, de la nature même des propositions dépend la question de savoir s'il faut suivre à leur égard les règles tracées par le règlement pour des projets nouveaux ou s'il faut les discuter concurremment avec le projet de loi.

Il n'y a d'amendement, dans la véritable acception du mot, que dans le cas où il s'agit d'une modification à un article du projet de loi. Or, quelle est la disposition de notre projet qui se trouve modifiée par la proposition de construire un chemin de fer de Malines à Terneuzen par Saint-Nicolas ? Je n'en vois pas. Nous nous trouvons donc en présence d'une proposition nouvelle, sur laquelle le gouvernement, pas plus que la Chambre, ne peut accepter une discussion immédiate.

Au fond, messieurs, j'ai déjà dit que l'admission d'une proposition concernant un chemin de fer de Terneuzen à Malines impliquerait décision quant à la préférence à donner à l'une des lignes par lesquelles on projette de relier Terneuzen à Lokeren, à Gand ou à Malines.

Le gouvernement ne peut pas prêter les mains à une décision de cette nature, que l'on prendrait incidemment.

Les auteurs de cet amendement semblent l'avoir compris, car ils déposent aujourd'hui un sous-amendement ayant pour but d'autoriser le gouvernement à concéder un chemin de fer de Saint-Nicolas à Malines avec embranchement sur Saint-Gilles et Stekene.

Je ne puis pas davantage me rallier à ce sous-amendement, d'abord à raison encore de vice de forme et ensuite par des motifs puisés au fond des choses.

Je ferai remarquer qu'il s'agit de savoir si cette ligne ainsi réduite a fait l'objet d'une demande en concession adressée au gouvernement, et que l'on voudrait appuyer ? Y a-t-il probabilité qu'il y aura un demandeur ? C'est possible ; mais s'il est possible qu'il y en ait, il est possible qu'il n'y en ait pas. Rien ne révèle au gouvernement que les capitaux nécessaires à l'exécution de cette ligne soient faits.

Que faites-vous ? Vous dites : Entre tel point et tel autre point pris sur la carte, on pourrait établir une communication utile. Mais on pourrait ainsi trouver cent points qu’il serait utile de relier ; pourquoi dès lors n'autoriserait-on pas le gouvernement à concéder ces différentes communications ? Je n'ai pas besoin d'insister, messieurs, pour faire comprendre que le gouvernement ne peut accueillir de semblables propositions.

Si l'on voulait savoir la conduite que je tiendrais dans le cas où une proposition formelle dans ce sens me serait faite, j'ai déjà déclaré, tout en me réservant ma complète liberté d'appréciation, que je ne ferais pas, à première vue, obstacle à une pareille concession ; la seule objection qui se présente, avant d'avoir fait un examen approfondi de la question, c'est la concurrence que ce chemin de fer pourrait faire aux lignes de l'Etat. Mais cette concurrence ne me semble pas de nature à arrêter seule le gouvernement.

Quelle serait, en effet, l'utilité d'un pareil chemin de fer ? Ce serait de relier au réseau de l'Etat une contrée assez importante par sa population et son industrie. Si une demande sérieuse était faite, je crois donc que je l'accueillerais, mais cette demande n'est pas formulée.

Je pense qu'en présence de ces considérations, les honorables membres n'insisteront pas sur leurs amendements.

Maintenant quant au raccordement avec le cœur du pays, trois projets de chemins de fer ont été présentés ; je ne veux pas me prononcer sur la préférence à donner à l'un ou à l'autre de ces projets. La Chambre comprendra que, comme organe du gouvernement, je suis tenu à une extrême réserve ; je puis seulement donner l'assurance que les différentes ligues proposées seront étudiées, dans l'enquête, avec la plus grande impartialité.

On a parlé d'une quatrième ligne, de celle qui relierait la Zélande au chemin de fer d'Eecloo sur Bruges, qui fait l'objet de la concession que nous discutons. L'honorable M. Vandenpeereboom a demandé si cette ligne serait également comprise dans l’enquête. Je dois dire qu’aucune proposition concernant ce projet ne m’a été faite ; que, par conséquent, je n’ai pas pensé qu’il pût seulement y avoir utilité d’étendre l’enquête administrative à laquelle je me livre en ce moment à cette quatrième ligne ; que je serais même très embarrassé d’élargir ainsi le cercle de l’instruction ; car je ne sais à quel point de la ligne d’Eecloo à Bruges on raccorderait éventuellement l’embranchement sur la Zélande. L’enquête, sous ce rapport, ne pourrait pas porter sur une section de ligne bien déterminée.

Il y a une objection à ce que cette quatrième ligne soit jointe aux trois autres, dans l'instruction. Toutefois si l'on y peut voir quelque utilité, je pourrais faire soumettre à l'enquête une ligne dans la direction qui semblerait la plus rationnelle. Je n'y verrais pas de grave inconvénient, mais franchement, je n'y verrais pas d'avantage.

L'honorable M. E. Vandenpeereboom m'a posé une seconde question. Il m'a demandé si, pour le cas où la ligue de Terneuzen sur Gand emprunterait une partie de la ligne de Gand à Eccloo, le droit de préférence stipulé dans l'article 45 du cahier des charges sur lequel nous délibérons serait applicable à cette première ligue.

Il est évident que cet article 45, qui accorde un droit de préférence au concessionnaire de la ligne d'Eecloo à Bruges, ne pourrait être invoqué.

Le droit de préférence n'est stipulé que s'il s'agissait d'un raccordement de la Zélande à la ligne d'Eecloo à Bruges et nullement s'il s'agissait d'un raccordement à la ligne de Gand à Eccloo. Par conséquent cet article 45 ne serait d'aucune application ; la chose ne peut souffrir le moindre doute.

Quant à l'amendement de l'honorable M. de Breyne relativement au prolongement de la ligne de Lichtervelde à Furnes, je dois également, et dans l'intérêt même de ce prolongement, prier l'honorable membre de retirer son amendement.

Le même vice de forme que je viens de faire valoir existe pour cette proposition ; la question préalable devrait être opposée à l'honorable x membre.

Mais je trouve que pour les intérêts mêmes que cet amendement a pour objet de sauvegarder, il serait fâcheux qu'il fût ainsi écarté. Cette affaire ne peut être décidée aujourd'hui. Une enquête est ouverte en France ; nous n'en connaissons pas le résultat. Nous ne savons pas, comme je l'ai dit dans une séance précédente, si le gouvernement français autorisera la construction sur son territoire ; ces questions doivent être résolues avant que nous puissions prendre une décision. Nous reconnaissons la grande importance de cette ligne ; le gouvernement a déclaré précédemment qu'il a un intérêt, au point de vue du trésor, à chercher à se libérer de la garantie qu'il paye aujourd'hui, en favorisant le prolongement de la ligne.

Si j'engage donc l'honorable membre à retirer son amendement, c'est parce que je suis persuadé que c'est ce qu'il a de mieux à faire.

(page 1529) M. le président. - M. le ministre vient de soumettre à la Chambre une question très importante. Il élève une fin de non-recevoir contre les divers amendements qui ne se rattachent pas à une disposition du projet.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je m'expliquerai successivement sur les divers amendements. Je tiens à constater que je n'invoque pas seulement un vice de forme, et que le gouvernement est mû par des raisons plus importantes que la raison de procédure.

M. Van Overloop. - Ainsi que l'honorable ministre des travaux publics vient de le dire, le dépôt de notre sous-amendement présageait le retrait de notre amendement primitif.

En présence des paroles bienveillantes, des paroles rassurantes pour le pays de Waes que vient de faire entendre M. le ministre des travaux publics, nous ne pouvons persister dans nos amendements. Nous serions d'ailleurs repoussés, selon les derniers précédents de la Chambre, par la question préalable. Notre insistance serait dès lors inutile. Mais nous prenons acte des paroles de l'honorable ministre, nous prenons acte de la déclaration qu'il vient de faire : que la ligne que nous proposons est une ligne éminemment utile. Nous prenons acte qu'en principe M. le ministre a déclaré qu'il était favorable à une ligne traversant le cœur du pays de Waes.

Nous prenons acte surtout que l'honorable ministre déclare formellement que les intérêts de la société de Dendre-et-Waes ne seraient pas de nature à faire refuser la concession d'une ligne importante de Malines par Tamise et St-Nicolas vers Saint-Gilles et Stekene.

Nous demandons seulement à l'honorable ministre qu'il veuille encore ajouter un mot. Nous le prions de prendre l'engagement, en tant qu'il dépend de lui, de faire en sorte que l'enquête sur les trois lignes de chemin de fer demandées soit achevée pour la session prochaine.

L'arrondissement de Saint-Nicolas pourra alors renouveler ses réclamations ; on ne lui opposera plus la question préalable, et justice finira par être rendue à l'industrieux pays de Waes, qui ne perdra rien à attendre quelques mois, puisque, dans tous les cas, l'instruction administrative doit être achevée avant que le gouvernement accorde une concession.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai déclaré sans prendre aucune espèce d'engagement, que je ne vois pas aujourd'hui d'objection grave contre l'établissement d'une ligne entre Malines et Saint-Nicolas : mais je n'ai pas parlé d'une ligne entre Malines et Terneuzen.

Quant à l'engagement que me demande l’honorable membre de hâter l'enquête, j'y suis on ne peut plus disposé ; il y a déjà quelque temps qu'elle est ouverte et je ne demande pas mieux que de la voir terminée.

M. le président. - M. Janssens, retirez-vous votre amendement et votre sous-amendement ?

M. Janssens. - Oui, M. le président.

Article 4. Paragraphe premier

M. le président. - Je mettrai l'article aux voix par paragraphes.

« Art. 4. Le gouvernement est autorisé à concéder, aux conditions ordinaires :

« 1° Un chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille. »

M. Allard. - Messieurs, il y a cinq ans qu'à pareil jour, nous discutions un projet de loi pour l'exécution de certains travaux publics. J'avais proposé alors un amendement qui consistait à autoriser le gouvernement à concéder, moyennant de conserver l'exploitation, un chemin de fer de Tournai à Lille, et un chemin de fer d'Ath à Hal en passant par Enghien.

Aujourd'hui le gouvernement vient nous demander d'être autorisé à concéder, aux conditions ordinaires, un chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille.

Il semblerait donc que l'on m'accorde une partie de ce que j'avais demandé en 1846, il n'en est cependant rien, je ne puis me contenter de l’espèce de bienfait qu’on veut nous accorder, attendu que nous n’aurons rien du tout.

Le gouvernement n'a pas de concessionnaire ; il n'est pas même certain que le gouvernement français consentira à ce que ce chemin de fer passe sur son territoire ; aussi j'aime autant qu'on ne nous demande aucune autorisation ; car le gouvernement n'a pas besoin de loi pour autoriser la création d'un chemin de fer de Tournai à la frontière de France.

Ce chemin de fer partirait probablement de la station de Templeuve, et il y a peut-être trois à quatre kilomètres de cette station à la frontière, or, vous savez que le gouvernement est autorisé à concéder sans loi tout chemin de fer qui n'a pas plus de dix kilomètres.

Il en sera de cette inscription dans la loi des travaux publics comme de toutes celles qui ont été faites au profit de Tournai et de son arrondissement. On lui a accordé un embranchement de chemin de fer vers Mouscron et on nous fait faire ainsi 20 ou 30 kilomètres de plus, pour aller à Gand, que la distance que nous aurions eu à parcourir si on avait fait un chemin de fer direct, comme nous avions le droit d'obtenir.

Tournai a un chemin de fer sur Bruxelles, mais, comme l'a dit l'autre jour l’honorable M. Dumortier, on nous envoie d'abord aux portes de Mons pour de là, nous diriger sur Bruxelles. Nous devions avoir un chemin de Saint-Ghislain à Tournai, qui nous aurait rapprochés de 30 kilomètres au moins du chef-lieu de la province, mais ce chemin de fer, qui a été voté en 1856, et qui devait être exécuté en 1859, nous l'avons d'abord vu sur une carte, mais maintenant nous ne voyons plus rien du tout. Nous n'avons même plus cette consolation, on a imprimé de nouvelles certes et le chemin de fer de Tournai à Saint-Ghislain n'y figure plus. Vous savez, messieurs, que les demandeurs en concession s'adressent maintenant au gouvernement pour être autorisés à ne pas l'exécuter. Il semblerait qu'on est certain que cette demande sera favorablement accueillie et par conséquent on la fait disparaître déjà des cartes.

Ainsi, messieurs, chaque fois qu'on nous présente un projet de loi pour l'exécution de travaux publics, Tournai est toujours favorisé, à ce qu'on dit, mais le résultat définitif de toutes ces faveurs, c'est que nous n'avons rien, car aucuns travaux ne s'exécutent. Ce sont de véritables tours de cartes ou de mobiles.

Dernièrement, nous entendions les honorables députés de Bruxelles se plaindre que la capitale n'obtint rien.

Eh bien, messieurs, Tournai qui était aussi, autrefois, une capitale... (Interruption.) Elle était la capitale des Nerviens... Tournai qui a été le berceau de la monarchie française... (Interruption.) Clovis y est né ; eh bien, Tournai a peut-être autrefois exigé beaucoup comme le fait actuellement Bruxelles, et on l'aura probablement abandonné à cause de ses exigences. Bruxelles se plaint de ce que son théâtre n'est pas subsidié, à Tournai notre théâtre n'est pas non plus subsidié. Bruxelles dit qu'elle donne de l'argent pour l'instruction moyenne et primaire, Tournai en donne également. Bruxelles a construit des casernes, Tournai en a construit également.

Mais, messieurs, la différence qu'il y a, c'est que Tournai n'a rien et que Bruxelles, qui se plaint tant, a tout.

On parlait dernièrement des miettes que Bruxelles obtenait. Tournai n'a pas même les miettes des miettes. Il est plus que temps de songer à l'ancienne capitale des Nerviens. (Interruption.)

Les honorables députés de Bruxelles disent : Nous sommes jeunes, nous ne suivrons pas toujours le gouvernement ; moi je suis vieux, et moi aussi je ne suis pas toujours le gouvernement ; est-ce pour cela qu'on abandonne aussi Tournai, et son arrondissement ?

Il me semble, messieurs, qu'on devrait montrer de meilleurs sentiments pour une ville comme Tournai qui a donné tant de preuves de patriotisme.

On a reconstruit l'écluse d'Antoing, on nous a inondés pour débarrasser la France des eaux qui la gênaient, et depuis lors nos prairies sont inondées ; j'en ai qui se trouvent dans ce cas ; on a voté des subsides en 1851 peur remédier au mal, mais on n'a rien fait ; on n'a pas encore dépensé un centime. Voilà comme on nous traite.

Et quand nous demandons quelque chose on dit : Voyez tous les projets de lois de travaux publics, Tournai y figure toujours.

Oui, messieurs, Tournai y figure, mais il en est toujours comme du chemin de fer de Saint-Ghislain, que nous ne voyons même plus pointillé sur cette carte, mais qui n'est pas encore exécuté et ne le sera peut-être jamais.

J'espère cependant, messieurs, que nous finirons par avoir un chemin de fer direct de Lille à Bruxelles par Hal, qu'il soit construit par l'Etat ou qu'il soit créé par une société, aux conditions, par exemple, qui ont servi de base à la concession de la ligne de Tournai à Jurbise.

Je désire que le chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain ne soit construit que par l'Etat, parce qu'il se trouve au milieu du réseau des chemins de fer construits par l'Etat. Celui d'Ath à Hal pourrait, sans aucun inconvénient, être concédé aux conditions de la concession de (page 1530) Tournai à Jurbise, puisque l'Etat exploite déjà la ligne de Tournai à Ath, créée par cette compagnie.

J'espère donc que la prochaine fois, dans cinq ou six mois, dans un an, nous aurons au moins quelque chose.

Quant au chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille, tel que le gouvernement nous le propose, je n'y tiens pas ; car je suis certain qu'on ne l'exécutera pas.

Pourquoi inscrire dans une loi une chose que l'on sait d'avance ne pouvoir se faire ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je serais presque tenté de faire à l'honorable préopinant la question que j'ai adressée aux honorables députés de Bruxelles et à laquelle on n'a pas répondu. Je leur avais dit : Quelle est la chose demandée par Bruxelles, qui ait été refusée par le gouvernement ? Cette question, messieurs, est restée jusqu'ici sans réponse.

Et, en effet, messieurs, Bruxelles a eu tout ce qu'elle a demandé, sauf le chemin de fer de Bruxelles à Louvain, qui n'a pas été refusé par le gouvernement, mais a été proposé et sera encore proposé par le gouvernement. Je serais tenté de faire la même question à l'honorable et spirituel représentant de Tournai : Quelle est la chose que Tournai a demandée au gouvernement et que le gouvernement ait refusée ?

M. Allard. - Me permettez-vous de répondre ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Tenez-vous à répondre tout de suite ?

M. Allard. - Tout de suite.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il me vient à la mémoire deux choses qui ont été faites pour Tournai. Nous avons réorganisé et mis sur un pied très respectable l'école industrielle de Tournai, nous allouons des subsides considérables à cet établissement.

Nous allons concourir avec la ville de Tournai à ériger une statue à la catholique, à l'héroïque princesse d'Epinoy ; c'est un monument qui entraînera l'Etat à uue dépense assez considérable.

Depuis de longues années, messieurs, nous allouons des subsides très élevés pour la magnifique cathédrale de Tournai.

Je rappelle ces faits, messieurs, non pour récriminer, mais pour prouver que le gouvernement n'est pas indifférent à la ville fort intéressante et fort importante de Tournai.

J'attendrai que l'honorable membre veuille bien nous dire les choses qui manquent à Tourna'iet pour lesquelles le gouvernement refuse son concours.

M. Allard. - Je n'ai parlé que des travaux publics, j'ai dit que chaque fois qu'on a fait une loi de travaux publics, on y a inscrit quelque chose pour Tournai mais qu'en n'en exécute jamais rien. Je n'ai pas dit qu'on n'accorde pas des subsides pour l'école industrielle. C'est un bienfait dont je suis reconnaissant, mais cela ne nous procure pas un kilomètre de chemin de fer.

Quant à la statue de la princesse d Epinoy c'est peut-être à moi qu'elle est due. J'ai acheté de vieux bâtiments, j'y ai percé une rue à laquelle on a donné le nom de rue d'Epinoy, l'idée de la statue est venue ensuite.

Je suis très content de voir ériger une statue à Marie de Lalaing, princesse d'Epinoy. Qu'il me soit permis, puisque j'en ai l'occasion, de dire que, si j'avais l'honneur d'être magistrat de Tournai, je m'opposerais à ce que cette statue soit érigée sur la place ; je la placerais au parc en face des anciens remparts qu'elle a défendus, près de la rue qui porte son nom.

Je le répète, je n'ai pas prétendu que le gouvernement n'accorde pas de subside à la ville de Tournai ; j'ai dit simplement qu'on inscrivait toujours des travaux dans des projets de loi pour la ville de Tournai et son arrondissement, et qu'aucun de ces travaux ne s'exécute. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur parle de la statue de la princesse d'Epinoy ; mais cette statue n'est pas un chemin de fer, je la donnerais pour le plus petit chemin ele fer qu'on voudra bien nous octroyer.

L'honorable ministre parie des subsides accordés à la ville de Tournai pour sa cathédrale. Je ferai observer que si on avait exécuté un chemin de fer direct de Tournai à Bruxelles, la ville de Tournai aurait pu payer les sommes qui lui ont été allouées par l'Etat, et elle aurait fait par là une excellente affaire, car il résulte des calculs présentés dans le temps par l'honorable M. B. Dumortier, que par suite du détour qu'on fait faire par Jurbise, les voyageurs et les marchandises payent annuellement, pour aller de Tournai à Bruxelles, 400,000 fr. de plus qu'ils ne devraient payer si on nous avait construit une ligne directe par Ath, Enghien et Hal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'avais dit que l'honorable membre exagérait, quand il prétendait qu'on ne faisait rien pour Tournai. Il n'a pas seulement parlé de chemin de fer ; il a parlé d'une manière générale ; il a dit que Tournai ne recevait pas même des miettes.

Maintenant, l'honorable préopinant dit que le chemin de fer de Tournai à Lille n'est rien, qu'il ne tient pas du tout à son maintien dans la loi. Nous croyons, nous, que ce chemin de fer a une grande importance pour Tournai et que c'est un beau cadeau qu'on lui fait.

M. le président. - On vient de déposer l'amendement suivant :

« Le redressement de la ligne de Louvain à Ath par Bruxelles et de Tournai à la frontière de France, fermant la ligne directe de l'Allemagne vers Calais, aura lieu soit par concession, soit aux frais de l'Etat. »

Cet amendement est signé de MM. B. Dumortier, J. Orts, Prévinaire, Faignart, Goblet, Savart, Van Volxem, de Rongé, Van Humbeeck, David, Frison, de Naeyer, Allard, J. Jouret, M. Jouret, Crombez, Beeckman, Hymans, Jamar, Landeloos, Van Dormael, Guillery. »

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, je regrette de devoir dire qu'il sera toujours impossible au gouvernement de contenter l'honorable M. Allard. Quand il demande une chose et qu'on la lui accorde, il la refuse.

Lorsqu'il s'est agi de la concession du chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand, l'arrondissement que représente l'honorable préopinant a demandé l'embranchement de Saint-Ghislain sur Tournai. Cet embranchement a été inscrit dans la loi.

Il se trouve que l'embranchement n'est pas exécuté ; mais l'honorable membre n'en imputera pas la faute au gouvernement ; il sait bien pourquoi ce travail n'a pas été encore exécuté.

Depuis que j'ai l'honneur de diriger le département des travaux publics, j'ai reçu, plus d'une fois de la part des représentants de Tournai des réclamations au sujet de la construction d'un chemin de fer direct de celle ville sur Lille. Je l'inscris dans le premier projet d'ensemble que j'ai l'honneur de présenter à la Chambre comme ministre des travaux publics, et l'honorable préopinant en fail fi !

Vous n'êtes pas sûr, dites-vous, que le gouvernement français consentira à ce que la ligne se prolonge sur son territoire.

Encore une fois, qu'y pouvons-nous ? En faisant la ligne sur le territoire belge, n'épuisons-nous pas nos droits ? Je suis vraiment étonné que l'honorable membre impute à grief au gouvernement ce qu'il ne dépend pas du gouvernement d'éviter.

Est-ce que j’aurais dû me munir préalablement du consentement ni du gouvernement français ? Voici pourquoi je ne l'ai pas fait : c'est qu'à Lille on est aussi désireux d'être raccordé à Tournai qu'à Tournai on peut l'être d'être raccordé à Lille.

Si donc il y avait de l'opposition, en France, contre cette voie de communication, il nous viendrait, de ce pays même, de très nombreux appuis.

Supposons maintenant que je me fusse adressé au gouvernement français, que celui-ci eût consenti à l'établissement de ce chemin de fer ; que je fusse venu solliciter de la Chambre l'autorisation nécessaire pour faire la construction sur notre territoire et que la Chambre y eût vu quelque difficulté, voyez dans quelle position nous nous serions trouvés vis-à -vis d'un gouvernement voisin. J'ai jugé plus prudent de demander à la Chambre l'autorisation de concéder, sauf à m'adresser ensuite, avec toutes chances de succès, au gouvernement français.

Voilà pourquoi il se trouve que cette affaire n'est pas complètement résolue, mais elle est résolue en ce qui concerne le gouvernement belge ; il y a une concurrence sérieuse quant à la concession ; plusieurs demandeurs très solides se présentent, et nous n'aurons qu'une difficulté, ce sera de faire notre choix.

Des crédits ont été alloués pour l'amélioration de l’Escaut et n'ont pas encore été employés. J'ai l'avantage de pouvoir donnera l'honorable membre l'assurance qu'avant très peu de temps une adjudication assez importante se fera relativement à ces travaux. Il s'agit d’établir dans l'Escaut à Tournai un bief à niveau constant, pour mettre les bateaux à quai ; il en résultera une amélioration importante pour la navigation aux environs et, dans la traverse de Tournai, et l'honorable membre sera le premier à se féliciter de ce qui se fera dans cette vue.

M. Allard. - Messieurs, j'ai dit que je croyais que le chemin de fer de Tournai sur Lille ne s'exécuterait pas ; j'en jugeais ainsi par la réponse qui a été faite par M. le ministre des travaux publics à une demande de la section centrale. D'après cette réponse, l'opinion du gouvernement à cet égard se fonde sur la connaissance qu'il a d'une (page 1531) information que le gouverneur de la province de la Flandre orientale a reçue du préfet du département du Nord et de laquelle il résulte que ce fonctionnaire a été autorisé à faire procéder à l'étude d'un chemin de fer de Tournai à Lille.

Etait-ce là une information suffisante pour nous faire croire que l'entreprise pourrait s'exécuter ?

M. le ministre des travaux publics nous affirme qu'il y a des demandeurs en concession très sérieux et qu'on n'est pas fondé à dire que le gouvernement français ne donnera pas l'autorisation de construire le chemin de fer sur son territoire ; tant mieux, au moins, nous pouvons espérer d'avoir enfin un chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics a dit encore que je n'étais jamais content ; que j'avais demandé un embranchement de Saint-Ghislain vers Tournai, que je l'avais obtenu.

Je n'ai pas eu besoin de demander ce chemin de fer ; le projet de loi, présenté par l'honorable M. Dumon, désignait trois chemins de fer partant de Saint-Ghislain, l'un vers Tournai, l'autre vers Renaix, le troisième vers Ath. Je n'ai pas demandé d'embranchement. Du reste, nous n'avons pas, je le répète, un chemin de fer de Tournai à St-Ghislain.

M. le ministre des travaux publics nous annonce que dans peu de jours il y aura une adjudication pour les travaux à exécuter dans l'Escaut, ce qui amènera l'évacuation des eaux.

J'en suis enchanté, il vaut mieux tard que jamais ; je constate que ce travail ne se fera que dix ans après avoir été décrété, car le crédit a été voté en 1851.

M. Savart. - Un ministre qui vient de se rasseoir a prononcé ces paroles : Qu'est-ce que Tournai a demandé ?

Qu'est-ce qu'on lui a refusé ? Tournai va éprouver la bonne volonté du gouvernement à l'instant même.

Tournai vient aujourd'hui réclamer une grande ligne qui a un double caractère.

Un caractère international et d'intérêt général, et un caractère d'intérêt particulier pour certaines villes.

L'amendement que j'ai présenté, et qui est revêtu de vingt-cinq signatures, est des plus importants.

Il mérite de fixer à un haut degré la sollicitude du gouvernement, et l'attention de la section centrale à laquelle je demande qu'il soit renvoyé.

La voie ferrée avec les rectifications que postulent Tournai, Ath, Enghien, Bruxelles et Louvain, non seulement est appelée à être éminemment utile à toutes ces villes, mais il exercera encore une influence irrésistible sur le bien-être de tout le pays.

Un rapide coup d'œil sur la situation le prouvera.

Lille avec les communes attachées à sa ceinture compte une population de plus de trois cent mille hommes. Trois longues heures sont exigées, à l'instant où je parle, pour franchir la distance de Tournai à Lille par le chemin de fer. Il y a des temps d'arrêt des convois.

Les voyageurs en sont réduits à préférer les anciennes diligences avec leurs lentes allures au chemin de fer.

En empruntant la voie de terre et les voitures publiques, les voyageurs sont à Lille plus vite et à moins de frais qu'avec le chemin de fer.

Les diligences souvent surchargées de bagages et de voyageurs font aujourd'hui le service de Tournai à Lille et vice-versa, tandis que des voitures et des waggons parfois vides glissent sur le railway.

Avec la ligne directe de Tournai à Lille, on ferait en chemin de fer la route en quarante minutes.

Il y aurait économie de temps, d'argent et affluence de voyageurs, tels sont les résultats certains.

Dans certains jours de fête, Lille déverserait une notable partie de sa population dans la Belgique, et cette population y ferait des dépenses dont nous profiterions.

Tournai et Ath, par suite des méandres que décrit le chemin de fer de Jurbise à Bruxelles, ont vivement à se plaindre. Non seulement il y a perte de temps et d'argent pour les voyageurs entraînés dans d'interminables circuits, mais le commerce est douloureusement atteint dans ses intérêts.

Les marchandises expédiées de Tournai pour Bruxelles payent, me dit-on (et la chose me paraît très extraordinaire), le prix coté au tarif pour tout l'espace parcouru, tandis que sur d'autres lignes il y a des compensations admises, des modifications de tarif adoptées, et que les marchandises circulantes ne payent que pour une distance à vol d'oiseau et comme s'il y avait une ligne directe.

Le commerce de Tournai serait ainsi constitué en perte de plusieurs centaines de mille francs. Tournai est dans une position exceptionnellement défavorable : il y a privilège pour d'autres, il n'y a plus égalité ; redressez la ligne, l'égalité reviendra et il y aura justice pour tous. Puisse le jour de la réparation luire enfin pour nous ! Par la ligne que nous demandons Ath serait mis en communication avec Enghien et à son tour Enghien, aujourd'hui délaissé, isolé, abandonné, viendrait se relier à Bruxelles.

Plus les voies ferrées sont nombreuses, plus elles rapprochent le populations de la capitale, mieux cela vaut pour la capitale. L'affluence des visiteurs augmente ; de cette affluence, le commerce de la capitale profite grandement.

D'autre part, à force de visiter la capitale, nombre de personnes s'y acclimatent et finissent par y fixer leur domicile. C'est par suite de l'influence exercée par les chemins de fer que nous voyons croître avec tant de rapidité les populations de certaines villes.

C'est au point même que les esprits pusillanimes ou timides s'alarment de voir se former ces grandes agglomérations.

Bruxelles aurait ses vœux exaucés en obtenant la ligne directe vers Louvain, et Louvain à son tour verrait se réaliser l'objet de ses désirs.

Voilà donc cinq villes contentées par une seule décision. Dans les intérêts généraux du pays, nous établirions une grande ligne internationale, la voie directe du transit du nord de la France, de Calais et de Lille vers l'Allemagne.

Ce transit, il nous importe au plus haut degré de l'accaparer et de le conserver.

Il y a, suivant moi, urgence. Il faut se hâter.

Quand le commerce a contacté des habitudes, il en sort difficilement. Présentons donc au commerce des avantages de nature à nous attirer le transport des marchandises, et traçons un itinéraire dont on ne sortira plus.

Par suite du nouveau traité avec la France, il est à prévoir que le commerce de Verviers va prendre d'immenses développements. Les draps, les tissus de Verviers (malgré le droit protecteur conservé aux industriels français) iront faire concurrence sur les marchés français aux produits fabriqués en France. Verviers a donc aussi intérêt à trouver la ligne la plus courte et la plus directe vers Lille et Calais.

Si cette question est comprise par mes honorables collègues comme je la comprends, la grande ligne sollicitée doit être accordée, elle sert à tout et ne nuit à personne.

La question n'est peut-être pas assez mûre pour recevoir une solution immédiate, aussi tout ce que je demande est qu'elle soit examinée par la section centrale en même temps que le tronçon de Bruxelles à' Louvain par Cortenberg ; on s'occupera alors d'un plan d'ensemble, et non d'une partie divisée d'un plan général qu'il faudra nécessairement réaliser dans l'avenir.

M. Faignart. - J'avais demandé la parole pour appuyer l'amendement dont je suis l'un des signataires. L'honorable M. Savart ayant pris la parole avant moi, j'y renonce, pour le moment, me réservant de parler ultérieurement s'il y a opposition.

M. le président. - L'amendement développé par l'honorable M. Savart fait partie de la discussion.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Messieurs, l'honorable membre vient d'avouer lui-même que ce projet n'est pas mûr. Je croirais donc abuser des instants de la Chambre en insistant sur ce point.

Les honorables membres qui ont signé l'amendement présentent deux modes de construction : l'un, c'est l'exécution par l'Etat et dans ce cas je les prie d'indiquer les voies et moyens nécessaires pour faire face à la dépense ; l'autre, c'est la construction par voie de concession, et dans ce cas, je les prie de faire connaître les demandeurs.

Il n'y a pas de demandeurs et il n'y en a jamais eu, et je vous prie de le croire, pour des projets même chimériques, il n'en manque habituellement pas.

M. Savart. - J'ai voulu laisser au gouvernement la faculté d'exécuter ce travail par voie de concession ou par lui-même. Mais, dans la pensée des auteurs de l'amendement, il conviendrait que le gouvernement construisît lui-même toute ligne internationale. Il doit la faire lui-même, d'abord à cause de son important politique et ensuite parce qu'elle doit procurer des bénéfices et qu'il est désirable que ces bénéfices entrent dans le trésor public.

Maintenant qnu veut la fin veut les moyens. Je sais qu'il faut des millions, mais quand nous demandons au gouvernement la ligne que (page 1532) nous indiquons, c'est que nous sommes prêts à lui accorder les subsides nécessaires pour son exécution,

M. le président. - Je propose à la Chambre de voter par division sur les différents paragraphes.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il est entendu que je demande la question préalable sur la proposition de l'honorable M. Savart et consorts.

M. le président. - Le premier paragraphe de l'article 4 est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à concéder aux conditions ordinaires :

« 1° un chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille. »

L'amendement est rédigé en ces termes :

« Le redressement de la ligne de Louvain à Ath par Bruxelles, et de Tournai à la frontière de France, formant la ligne directe de l'Allemagne vers Calais, aura lieu soit par concession, soit aux frais de l'Etat. »

C'est l'amendement de MM. Prévinaire et collègues.

M. le ministre propose la question préalable sur cette proposition.

- La question préalable est mise aux voix et admise.

« 1° Un chemin de fer de Tournai à la frontière de France vers Lille. »

- Adopté.

Article 4, paragraphe 2

« 2° Un chemin de fer de Mariembourg à la Meuse, en amont de Dinant. »

M. Thibaut. - Je n'ai qu'une explication à demander. D'ordinaire, dans les lois da concessions de chemins de fer, on désigne clairement les deux points extrêmes de chaque ligne ; pour celle qui nous occupe l'un des deux seulement est indiqué, c'est Marienbourg ; mais le point objectif quel est-il ? La Meuse en amont de Dinant ; c'est-à-dire un point indéterminé de la Meuse, et qui peut être aussi bien Givet que Dinant. Ces termes me paraissent trop élastiques.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Cela veut dire du côté de Dinant.

M. Thibaut. - C'est ainsi que je l'entends ; mais je demanderai s'il y aurait quelque obstacle à ce que, dans le libellé de ce paragraphe on indiquât Dinant même comme le point où la ligne à concéder doit aboutir.

Je propose donc de substituer au libellé du projet de loi, celui-ci : « Un chemin de fer de Marienbourg à Dinant » ; ou tout au moins, « vers Dinant ». M. le ministre des travaux publics faisant allusion à ce railway, dans une séance précédente, l'a lui-même désigné par ces expressions : « Chemin de fer de Marienbourg à Dinant ». J'espère donc qu'il se ralliera à l'amendement

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Je ne vois pas d'inconvénient à l'adoption de la modification proposée par l'honorable M. Thibaut. Toutefois, voici la raison pour laquelle le libellé proposé n'est pas plus précis. Il y a deux demandes en concession, dont les tracés aboutissent à des points différents de la Meuse. Mon choix n’étant pas encore fait entre ces deux demandes, je n'ai pu indiquer d'une manière plus précise le point de la rivière où la ligne aboutira. Dans tous les cas, il s'agit d'un raccordement à proximité de Dinant et non de Givet. Si l'honorable membre croit que sa rédaction répond mieux à cette pensée, je ne vois aucun inconvénient à l'adopter.

M. de Baillet-Latour. - Je crois avoir compris que M. le ministre de travaux publics nous a dit qu'il y avait des demandeurs en concession très sérieux pour cette ligne de Marienbourg à la Meuse. Je désirerais cependant obtenir une déclaration formelle à cet égard et apprendre de M. le ministre si les demandeurs en concession auxquels il a fait allusion sont les anciens concessionnaires de la ligne de Chimay à Marienbourg ou si ce sont des demandeurs nouveaux.

J’appuie la proposition que vient de faire l'honorable M. Thibaut ; il appartiendra au gouvernement de décider si la ligne doit s'arrêter à Château-Thilaire ou au Bac du Prince. Mais il est très important que la lai précise autant que possible les deux points extrêmes de la ligne. M le ministre des travaux publics fera d'ailleurs étudier cette direction de Château-Thilaire à Dinant qui, ce me semble, deviendrait alors parallèle jusqu'à Dinant, ensuite, reste à juger si cela ne dérangera pas les concessionnaires dans leurs calculs et ne retardera pas l'exécution de cette ligne !

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Tout ce que je puis dire en réponse à la question que vient de m’adresser l’honorable M. de Baillet, c’est que je n’ai reçu jusqu’à présent que l’offre du cautionnement exigé ; j’ignore complétement si, derrière cette offre, il y a le capital nécessaire à l'établissement de la ligne demandée en concession. Je suis tout disposé à le croire, mais je ne puis rien affirmer à cet égard.

M. de Baillet-Latour. - J'ai ouï dire que des entrepreneurs très sérieux avaient demandé la concession de cette ligne et j'espère vivement qu'elle pourra être incessamment accordée ; c'est le prolongement vers la Meuse du chemin de fer du Nord venant de Soissons sur Momignies, travail d'une incontestable utilité pour le transport des minerais, de la calamine de plomb, et d'une foule d'autres matières pondéreuses dont l'exploitation se développerait considérablement et procurerait des bénéfices assurés à la société concessionnaire de la ligne dont je m'occupe. J'insiste donc vivement pour que M. le ministre fasse tout ce qui dépendra de lui pour arriver à une prompte solution de cette affaire.

M. le président. - Le paragraphe serait donc libellé comme suit : « Un chemin de fer de Marienbourg à la Meuse vers Dinant », au lieu de « en amont de Dinant ».

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Il est entendu que cette modification tend simplement à préciser ce point : que le raccordement aura lieu du côté de Dinant et non du côté de Givet.

M. Thibaut. - Et le plus près possible de Dinant.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - Quant à ceci, c'est une question à étudier. 1

M. le président. - Je mets donc aux voix cette rédaction : « un chemin de fer de Marienbourg à la Meuse vers Dinant. »

M. Moncheur et M. Thibaut. - Il n'est pas nécessaire de dire à la Meuse.

M. le président. - On dirait donc simplement « un chemin de fer de Marienbourg vers Dinant. »

- Le paragraphe ainsi libellé est mis aux voix et adopté.


M. le président. - M. le ministre de l'intérieur a déposé, le 30 avril, un projet de loi tendant à l'allocation de divers crédits concernant son département. M. Muller a fait un rapport sur ce projet de loi. Aujourd'hui, je reçois une lettre par laquelle M. le ministre de l'intérieur demande que ces crédits soient augmentés de 5,000 et quelques francs pour les prix quinquennaux d'histoire et de sciences morales et politiques. Je proposerai à la Chambre de faire imprimer cette lettre comme annexe au projet de loi et au rapport ; l'objet n'étant pas assez important pour qu'il faille le renvoyer à la section centrale.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi relatif à l’exécution de certains travaux d’utilité publique

Discussion des articles et des amendements

Article 4, paragraphe 3

« Art. 4. Paragraphe 3. Un canal de jonction de la Lys à l'Yperlée. »

- Adopté.

Article 4. Amendement

M. le président. - Ici vient un amendement de M. de Breyne ainsi conçu :

« Prolongement du chemin de fer de Lichtervelde à Furnes jusqu'à la frontière de France. »

M. de Breyne. - Messieurs, après avoir entendu le développé de mon amendement, M. le ministre des travaux publics a bien voulu me répondre et déclarer que la ligne dont je demandais le prolongement n'était pas complète, n'était pas définitive.

J'avais aussi présenté quelques observations relativement à la question financière et relativement aux formalités qui ont eu lieu en France pour le prolongement de la ligne que je propose sur le territoire français.

M. le ministre, dans sa première réponse, n'a pu être aussi explicite que je l'eusse désiré. Aujourd'hui, il a été beaucoup plus catégorique, je prends acte de sa déclaration et, en présence de cette déclaration, je retire ma proposition. Toutefois, messieurs, j'engage le gouvernement à ne pas perdre l'occasion qui s'offre sous d'heureux auspices et à continuer l'étude de la question, parce que j'ai lieu de croire que cette étude est pins avancée en France qu'en Belgique. Je recommande donc cette affaire à la plus sérieuse attention de M. le ministre des travaux publics, et je le prie de ne pas négliger les bonnes dispositions que nous montrent à cet égard nos voisins du Midi.

- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil de la présidence.

M. de Smedt. - Si j'ai bien compris la première réponse faite par M. le ministre des travaux publics à la proposition de l’honorable M. de Breyne et celle qu'il vient de faire aujourd'hui, je crois que cette réponse renferme la promesse implicite qu’il accordera la concession dès que toutes les difficultés, soit qu’elles viennent de la France ou de la Belgique, seront levées. J’espère que M. le ministre voudra bien me répondre et me dire si j’ai bien interprété sa pensée.

(page 1533) M. le président. - M. de Breyne, maintenez-vous votre amendement ?

M. de Breyne. - Il est retiré.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - J'ai dit que le gouvernement, si des obstacles imprévus ne se présentaient pas, serait disposé à accorder la concession. L'honorable M. de Smedt a demandé si, pour le cas où le prolongement de la ligne jusqu'à la frontière française serait accordé à la compagnie de Lichtervelde à Furnes, il n'y aurait pas lieu de stipuler qu'elle exécuterait un embranchement sur Nieuport.

Je ne m'explique pas sur ce point, car si la construction de cette ligne était trop onéreuse, il ne faudrait pas l'imposer à la compagnie de Lichtervelde ; ce serait, au lieu d'améliorer sa position, la rendre pire qu'elle n'est aujourd'hui.

M. de Breyne. - Quand j'ai retiré mon amendement, c'est que j'avais foi dans les paroles du ministre. Je dois insister pour que le gouvernement ne perde pas cette question de vue ; il est important de s'en occuper quand la France est bien disposée, et nous avons la certitude qu'aujourd'hui la France est bien disposée.

J'engage donc le gouvernement à ne pas perdre cet objet de vue.

M. le président. - L’amendement de M. de Breyne est retiré.

Article 4. Amendement

M. le président. - Reste l'amendement de MM. B. Dumortier, Rodenbach et le Bailly de Tilleghem :

« Il sera exécuté un canal d'Harlebeke à Roulers, soit aux frais de l'Etat, soit par concession. »

M. Rodenbach. - Mon honorable collègue M. Dumortier, qui a signé l'amendement, ainsi que M. le Bailly de Tilleghem m'a chargé de développer cet amendement. Je serai court, je sais que la Chambre est très pressée d'en finir.

D'abord je dirai que nous ne demandons pas d'argent au gouvernement. Comme dit mon honorable collègue, nous demandons de l'eau. Nous désirons que le principe du canal d'Harlebeke à Roulers soit admis par la Chambre, comme on vient de le faire, à l'instant, pour le canal de jonction de la Lys à l’Yperlée.

Je dirai en peu de mots pourquoi ce canal de Harlebeke à Roulers serait d'une très grande importance. M. le ministre et la section centrale ont beaucoup préconisé la prospérité de la ville de Roulers, de son industrie, de ses manufactures.

D'après les travaux faits à la Lys, ce canal peut facilement se faire. La Mandel peut donner suffisamment d'eau jusqu'à Ingelmunster et à partir d'Ingelmunster, au moyen de machines à vapeur et de réservoirs là où le besoin l'exigera, on s'en procurera en quantité suffisante, de manière qu'on n'aura aucune crainte d'en manquer jusqu'à Roulers. Trois projets ont été faits ; le dernier est de M. Sermoise, habile ingénieur. Il assure que ce canal ne doit coûter à petite section que 1,100,000 ; fr. et à grande section 1,500,000 fr. ; c'est ce dernier que nous demandons.

Il est certain que la Chambre ne risque rien d'admettre le principe. Un commerce considérable viendra alimenter la navigation ; tout le Hainaut a intérêt à ce que les charbons arrivent dans le Centre de la Flandre occidentale, aujourd'hui les charbons belges se payent à Roulers plus cher qu'à Lille ; ce canal servira t à transporter les charbons et les produits de toutes les carrières du Hainaut, les pierres, les briques, la chaux, les engrais, les cendres ; il y a une foule d'articles qui devraient passer par la Mandel ; les produits couvriraient largement les dépenses.

Je demande donc que la Chambre reconnaisse la nécessité de cette construction, en admette le principe. Le ministre et la section centrale ont à peu près donné leur assentiment ; mais je demande quelque chose de plus que des paroles.

Je regrette que mon honorable collègue ne puisse pas défendre cette proposition, il aurait peut-être eu d'autres arguments à présenter. Pour moi je n'en dirai pas davantage, je me bornerai à rappeler en terminant que voilà plus de 25 ans que nous réclamons cette faveur et qu'il est temps qu'on nous l'accorde.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen). - L'honorable membre dit qu'il ne s'agit que de décréter en principe le canal qui fait l’objet de sa proposition. C'est ce que je dois repousser ; si vous décrétez en principe l'élargissement du canal de Charleroi, le canal de Harlebeke à Roulers, le chemin de fer de Louvain à Bruxelles, etc., etc. ; voyez où vous arrivez. Le gouvernement est obligé d'écarter toutes ces demandes, dans l'impossibilité où il est d'y faire face. Les honorables membres qui ont signé cette proposition auraient tort d'insister ; jamais la question n'a été aussi bien posée pour Roulers que par ma réponse, qui est pleine de promesses pour l'avenir. (Interruption.) Ce ne sont que des promesses, dites-vous ! mais jusqu'ici vous n'en avez pas eu ; il y a donc amélioration notable.

- La question préalable est mise aux voix et prononcée.

Article 5

« Art. 5. Il est accordé au gouvernement, pour l'exécution des travaux ci-après désignés, les crédits suivants :

« Au ministère des travaux publics.

« § 1er. Pour la construction d'une section de chemin de fer d'Aerschot à Diest, deux millions de francs : fr. 2,000,000. »

- Adopté.


« § 2. Pour l'établissement d'un port de refuge et la construction d'écluses à Blankenberghe, quinze cent mille francs : fr. l,500,000. »

M. de Ridder. - Je viens appuyer le projet de loi soumis à vos délibérations, spécialement en ce qui concerne le crédit pétitionné pour l'établissement d'un port de refuge et la construction d'écluses à Blankenberghe.

Les observations que j'aurai l'honneur de soumettre à la Chambre auront pour but de justifier ce crédit au point de vue d'un intérêt général, et à détruire l'impression défavorable que semble avoir faite, sur l'esprit de plusieurs membres de rassemblée, l'opinion mise en avant « que le crédit proposé doit non seulement consacrer une dépense tout à fait exagérée.eu égard à l'intérêt en jeu, mais encore ouvrir une source de dépenses futures dont il serait impossible de calculer l'étendue. »

Fort heureusement, l'instruction longue et développée que les différents projets d'exécution ont subie, les investigations minutieuses qui ont été faites à ce sujet dans les diverses sections, investigations qui se dénotent par les renseignements de détail qui ont été réclamées au département des travaux publics, les réponses positives données par le ministre en section centrale, tout vient constater le contraire. Aussi, je suis porté à croire que cette opinion ne s'est faite que parce qu'on ne s'est pas rendu compte des faits qui s'accomplissent dans nos ports et sur notre côte maritime, et qu'on a exagéré l'importance des avis et considérations d'une commission qui a été consultée sur quelques points de détails, mais qui a risque, en dehors de ses attributions, de faire des propositions de modification aux travaux, qui ont été écartés et qui devaient l'être, et que l'honorable membre avait cru n'être qu'ajournés.

Messieurs, le crédit proposé a un double objet.

Le premier, c'est de construire une écluse d'évacuation qui permette l'écoulement dans la mer des eaux surabondantes des terres les plus fertiles, dans un rayon considérable, qui par la privation que l'Etat leur a fait subir de la voie d'écoulement qui leur était propre, et l'affluent des eaux provenant d'autres localités, ne trouvent plus d'écoulement possible et sont ainsi périodiquement inondées.

C'est là un acte de réparation, de restitution depuis longtemps réclamé, dont la justice a été reconnue, dont l'impérieuse nécessité n'a été contestée par personne, et qui a reçu l'assentiment unanime des sections et de la section centrale. Il serait inutile de donner à cet objet de plus grands développements et d'y insister davantage.

Mais à l'occasion de cette dépense nécessaire, indispensable, urgente, le gouvernement, pour satisfaire de légitimes besoins, vous propose de mettre ce crédit à profit, de combiner ce premier travail avec la construction d'un port de refuge, au moyen d'un surcroît de crédit, et de faire ainsi un travail d'ensemble qui, en restituant à l'agriculture ce qui lui est dû, en rendant possible le développement de l'industrie de la pêche, en ferait un travail d'utilité publique.

Messieurs, ce port de refuge aurait pour résultat immédiat de conserver, en les tenant à flot, les bateaux pêcheurs qui aujourd'hui sont obligés de se laisser échouer à chaque marée sur la grève ; de les soustraire aux avaries auxquelles ils sont exposés aujourd'hui par le talonnage et le frôlement continuel sur le sable dur et compacte, avaries qui ne permettent pas d'assigner à ces embarcations une existence de plus de huit ans dans les circonstances les plus favorables, et qui leur occasionnent des dégâts considérables à la moindre tempête, par la nécessité de les laisser exposés, pendant tout le temps, à l'impétuosité des brisants.

Il aurait pour résultat immédiat de transformer le mode de débarquement qui se ferait désormais à quai. Tandis qu'aujourd'hui les pécheurs et surtout les femmes chargées du transport du poisson, sont obligés d'aborder les chaloupes, et de débarquer le produit de la pêche en se tenant dans l'eau jusqu'à la ceinture, et en risquant d'être à chaque instant renversés et écrasés par le choc des chaloupes continuellement ballottées.

(page 1534) Il aurait pour résultat de lever l'obstacle qui empêche les pêcheurs de se rendre en mer en tout temps, et toute saison, qui les oblige à se tenir les bras croisés, quelquefois pendant un temps long ; alors surtout que les glaçons charriés par les fleuves viennent encombrer la plage, et les empêchent, malgré tous leurs efforts et toute leur bonne volonté, de mettre les embarcations à flot.

Il suffît, messieurs, d'avoir parcouru la plage, pendant la moindre petite tempête, pour avoir pu se convaincre de la situation fâcheuse de nos pêcheurs, et des inconvénients et des obstacles qui en résultent pour l'exercice de l'industrie de la pêche, malgré le courage et la persévérance de ceux qui s'en occupent.

Dans des conditions aussi défavorables que celles où se trouve le fret, il est impossible que la pêche sur nos côtes prenne du développement. Le capital d'exploitation doit trop souvent se renouveler sans compensation, il se retire ; l'exercice de la profession est trop périlleux et trop peu lucratif. Les travailleurs finissent par émigrer, chassés par la misère.

Cette condition actuelle que le port de refuge aurait pour résultat de modifier à l'instant, motiverait déjà par elle seule ce surcroît de dépense par des motifs de justice et d'humanité, alors que l'Etat intervient partout ailleurs pour rendre possible le développement de toutes les industries par le creusement de canaux, l'amélioration des voies navigables, l'établissement de chemins de fer, les modifications de tarifs de transport.

Mais, messieurs, la pêche sur nos côtes n'est susceptible de tout son développement que lorsque la pêche de marée peut se combiner avec la grande pêche, la pêche de la morue. C'est le moyen d'utiliser en tout temps, en toute saison, le matériel et les bras ; c'est le moyen d'empêcher les chômages qui ne sont pas commandés par la force des choses.

Aussi vous voyez la pêche à Ostende, où les deux pêches se combinent, prendre successivement du développement : celle de Nieuport où la pêche de marée ne se pratique pas, celle de Blankenberghe où la pêche de la morue est impossible, restent dans une situation complètement défavorable.

Et c'est encore ce résultat que le port de refuge a pour but de faire inévitablement atteindre.

Par le port de refuge projeté, les chaloupes de Blankenberghe qui aujourd'hui sont construites sans quilles devant nécessairement se faire échouer sur la plage, et ne pouvant tenir la mer que pendant un jour, seront bientôt transformés en chaloupes pontées et à quille, et pourront s'adonner à la grande pêche.

L'intérêt des armateurs le commandera, et le concours de capitaux étrangers viendra bientôt seconder les vues du gouvernement, parce qu'il y aura possibilité d'exercer l'industrie avec sécurité, dans toute son étendue, et avec les mêmes avantages qu'ailleurs.

Cette transformation de l'industrie de la pêche à Blankenberghe, résultat nécessaire et incontestable de la mesure proposée, prend ainsi un caractère d'intérêt général par cela seul qu'elle doit faciliter et augmenter les moyens d'alimentation publique, notamment des classes ouvrières, alors que le prix de toutes les denrées alimentaires tend toujours à s'élever, et que partout on cherche des moyens d'encouragement pour en augmenter la production.

Un motif d'intérêt général se déduit encore de la nécessité d'établir une station de sauvetage. Des navires viennent malheureusement s'échouer souvent sur les bancs de sable qui se trouvent à certaine distance de la côte : les marchandises sauvées doivent aujourd'hui être débarquées le long des dunes, et sont ainsi exposées à toutes les intempéries de la saison et à des frais de transport exorbitants.

Messieurs, ces considérations ont été de nature je pense, à former l'opinion favorable de la majorité de la section centrale. Mais la minorité a émis d'autres considérations qu'il est important de rencontrer parce qu'elles sont très habilement présentées dans une note insérée dans le rapport de cette section.

Elles se résument néanmoins à prétendre :

1° Que le crédit que l'on demande présente une exagération de dépense, eu égard à l'importance peu considérable des intérêts qui sont en jeu.

2° Que le crédit ne se bornera pas là, mais qu'une fois accordé, il sera la source d'autres dépenses, résultat de mécomptes qu'on ne peut calculer.

Si l'Etat, pour prêter son intervention, devait attendre que tous les intérêts qui se rattachent à une industrie paralysée dans ses efforts fussent nés, plus d'une industrie, plus d'un richesse publique eût tardé bien longtemps à se développer, et nous ferait même complètement défaut.

C'est pour utiliser, ici, comme dans bien d'autres circonstances, des intérêts qui se sont maintenus avec persévérance, et pour rendre possible leur développement resté inerte à cause de travaux indispensables, inaccessibles à l'initiative privée, et où il faut combiner et arrêter d'un seul coup tout à la fois, que l'intervention de l'Etat est légitime et nécessaire, alors que l'on peut constater que cette intervention doit amener des résultats qui profitent au bien-être général.

Je comprendrais l'importance de l'objection, si Blankenberghe était dénué de ressources, isolé, et réduit à lui-même : mais depuis quelques années Blankenberghe a changé de face ; la station des bains de mer lui a donné une impulsion nouvelle et ce sont précisément les ressources que lui crée encore cette position nouvelle, mais qui ne tiennent qu'une partie seulement de la population en activité et deux mois seulement de l'année, que sa population courageuse sollicite si ardemment les travaux qui rendent possible l'extension de son industrie naturelle, et le moyen de la pratiquer pendant toute l'année.

Les bains de mer (pour lesquels je remercie l'honorable rédacteur de la note de porter quelque sympathie, et pour lesquels il voudrait autoriser d'autres dépenses), les bains de mer, dis-je, procurent certes à Blankenberghe un bien-être qu'il ne faut pas dédaigner. Mais si, messieurs, ce bien-être, pour se maintenir, crée d'un côté des besoins pour lesquels il faut faire des sacrifices auxquels l'initiative et l'intérêt privé sauront suppléer, d'un autre côté, il ne faut pas se le dissimuler, il profite spécialement à quelques-uns, et laisse de côté la classe des travailleurs-pêcheurs qui sollicitent votre appui.

Mais Blankenberghe n'est pas isolé ; le concours de capitaux étrangers ne lui fait et ne lui fera pas défaut. Bruges et d'autres localités sont engagés dans son agrandissement, et dans ses établissements, et se préparent à prendre une large part dans le développement de sa pêche, dès qu'elle pourra se pratiquer dans des conditions normales.

Qu'il me soit permis de vous signaler à ce sujet un fait qui a son importance.

Avant même qu'il fût sérieusement question de reprendre l'étude des projets du port de refuge, la formation d'une société de pêche était projetée à Bruges. Je tiens en mains les statuts de la société qui en fixe les conditions.

Elle avait pour but non seulement de donner une extension à la pêche, en faisant construire et armer des chaloupes à quille et pontées destinées à la grande pêche, mais aussi de donner à la société une direction morale et charitable. Il s'agissait de combiner le développement de la pêche avec une institution de mousses qui auraient été pris dans des établissements de charité parmi les jeunes garçons qui manifesteraient le goût de la profession de marin.

Ce projet de société était dû à l'initiative d'un honorable négociant de Bruges, alors membre du conseil communal, aujourd'hui membre du conseil provincial de la Flandre occidentale, de commun accord avec d'autres négociants et personnes notables et des membres du clergé.

La formation en a été d'abord retardée par des difficultés de détail, puis suspendue lorsqu'il s'est agi sérieusement de l'établissement du port de refuge à Blankenberghe, et je ne doute aucunement que, le port de refuge décrété, ces honorables citoyens ne reprennent la formation, à Blankenberghe, de cette société, tant dans un but industriel que dans un but de moralisation.

Il m'aura suffi, je pense, d'avoir émis ces observations pour justifier le crédit et en légitimer l'emploi.

Mais à part le crédit demandé, que sera-ce, dit la note de l'opposition de la section centrale, si l'on tient compte de tous les travaux déjà prévus, mais que l'on trouve convenable d'ajourner, et de toutes les dépenses dont la nécessité ne tardera pas à se révéler pour conserver l'ouvrage une fois exécuté ?

Messieurs, l'honorable membre auteur de la note dont il s'agit, a voulu faire allusion ici à des travaux non pas, comme il semble le croire, arrêtés indispensables dont les dépenses seraient ajournées, mais à de simples propositions qu'une commission d'officiers de marine avait cru pouvoir soumettre à l'appréciation du département des travaux publics, et voici dans quelles circonstances.

L'ingénieur en chef de la Flandre occidentale n'était pas tout à fait d'accord avec le conseil permanent consultatif des travaux publics sur la disposition générale des travaux projetés par rapport à la direction des vents qui règnent le plus habituellement sur la côte.

Une commission spéciale fut nommée pour donner des renseignements (page 1535) sur ce point. Elle fut uniquement composée d'officiers de marine, dont j'apprécie l'honorabilité, mais dont je dois constater l'intérêt trop minutieux pour les chaloupes de Blankenberghe.

Celte commission de marine, dans l'avis qu'elle avait à émettre, s'est ralliée au projet du conseil permanent des travaux publics, avec quelques légères modifications de détails.

Mais elle a cru que M. l'ingénieur en chef directeur de la Flandre occidentale, ni les ingénieurs qui font partie du conseil permanent, n'avaient aucunement songé au sort qui était réservé aux chaloupés amarrées dans le port durant le jeu de l’écluse de chasse, et a proposé d'assigner dans le port un emplacement spécial que les chaloupes auraient dû occuper pendant cette opération, sous peine de voir leurs amarres se briser, rouler les unes contre les autres et se faire de graves avaries.

Et pour réparer ce singulier oubli, obvier à ce prétendu inconvénient, à ce prétendu danger, la commission de marine proposait de couder tout simplement le bassin de refuge en deux, et de séparer les deux parties par un mur de 282 mètres de longueur sur 10 mètres de large à fleur d'eau, de construire une troisième écluse de chasse ce qui devait entraîner une dépense de plus de six cent mille francs.

Si cela pouvait être vrai, il y aurait à désespérer d'exécuter jamais aucun projet.

Mais, messieurs, il saute aux yeux que les ingénieurs qui ont eu mission d'étudier, d'arrêter des projets pour l'exécution de travaux à faire aux fins de soustraire les chaloupes aux avaries qu'elles subissent actuellement sur la plage, ont dû songer à ne pas les exposer à un nouveau danger d'avarie dans le port par l'action des chasses qui devaient s'effectuer.

Ce serait faire injure à leur sagacité, à leur expérience que de croire un instant que le contraire fût possible.

Aussi le département des travaux publics n'ajourne pas ces dépenses, mais il les écarte, parce que, loin d'être indispensables, il n'y a aucune nécessité de les exécuter. L'honorable ministre, dans ses réponses à la section centrale, le déclare formellement. Et si le comité consultatif, dans un de ses rapports, a dit, en rejetant cette dépense excessive, exorbitante proposée par la commission de marine, « qu'on pouvait attendre pour se décider à faire une crique de refuge à côté du port de refuge, que l'expérience en eût fait reconnaître la nécessité, » c'est tout bonnement une manière courtoise d'énoncer que cette proposition ne méritait pas d'être prise en sérieuse considération, et qu'elle se réfutait d'elle-même par les faits qui se produisent tous les jours dans nos ports et nos fleuves.

Il y a à tout cela, en effet, une explication bien simple.

La commission de marine n'a pas tenu compte, comme l'ingénieur en chef de la Flandre occidentale et les ingénieurs composant le comité consultatif permanent ont dû le faire, de la manière dont s'opéreront l'évacuation ordinaire des eaux du port de refuge et du bassin de retenue et les chasses extraordinaires lorsque le besoin s'en fait sentir.

D'ordinaire les eaux du port de refuge, à la marée montante, s'introduiront dans le bassin de retenue, et les portes de l'écluse de chasse restant ouvertes, les eaux du bassin et du port confondues s'écouleront et baisseront successivement avec la marée, en formant dans le chenal un courant qui le maintiendra à sa profondeur. Dans ce cas, les chaloupes amarrées contre les digues, ne peuvent certes essuyer aucun choc, aucune avarie, c'est le courant qui se produit dans les fleuves d'une manière continue, et plus spécialement à leur embouchure.

Dans les chasses extraordinaires qui se feront à de rares intervalles (puisque depuis quinze ans que l'écluse d'Heyst existe, aucune chasse n'y a été jugée nécessaire), les eaux introduites dans le bassin de retenue y seront maintenues par la fermeture des écluses jusqu'à ce que le port soit vide à la basse marée : les vannes alors s'ouvrent, et les eaux du bassin de retenue se précipitent dans le chenal.

Certes, si les chaloupes se trouvaient imprudemment délassées dans le port devant la chute des eaux, sans précaution aucune, des avaries se produiraient.

Mais, messieurs, les chasses par les écluses n'ont pas lieu à l'improviste, on fixe les jours d'avance, on les change, on recule d'après les convenances, chacun est prévenu, chacun prend ses précautions et chaque patron surveille son embarcation pendant les 40 à 50 minutes que dure l'opération.

Le jeu des écluses devant s'opérer à la basse marée, on choisira d'habitude les jours où les chaloupes sont en mer ; celles qui resteront pourront par une manœuvre facile se retirer à la marée montante, dans le bassin de retenue (à quel effet des portes ont été expressément ménagées dans 1’écluse) : elles pourront même s'adosser tout simplement contre les digues, d'un côté du port, où cinquante mètres au moins pourront leur être ménagés, en dehors du courant de l’écluse, en prenant soin d'assurer leurs amarres.

Et moyennant ces précautions si faciles et si simples qui évitant et écartent la dépense exorbitante proposée par la commission maritime, rien ne fait craindre des avaries par l'action des chasses qui, comme je l'ai dit, ne s'opèrent qu'à de rares intervalles, en plein jour, et après avertissement préalable.

La commission maritime a-t-elle signalé avec plus de raison la probabilité de la formation d'une barre devant le chenal de Blankenberghe, et par suite la crainte de devoir y remédier, dans un avenir plus ou moins éloigné, par de nouvelles dépenses ?

Il suffit, messieurs, pour dissiper cette crainte, de consulter encore une fois les faits et de parcourir tout simplement le budget annuel du département des travaux publics, et je n'hésite pas à dire, d'accord avec les ingénieurs des ponts et chaussées, que la côte de Wenduyne, Blankenberghe et Heyst, se trouve à raison de sa situation topographique dans des conditions tout autres que celles d'Ostende, Nieuport et autres villes signalées, et la preuve, c'est que sur la côte de Blankenberghe et Heyst, la mer cherche à empiéter sur les dunes, sur les terres, et qu'il faut l'arrêter, la combattre par des travaux très dispendieux.

Tous les ans, vous votez des dépenses considérables pour l'entretien ordinaire et extraordinaire des ports et côtes.

Ces dépenses ont pour objet des travaux de toute autre nature pour la côte d'Ostende que pour celle de Blankenberghe.

A Ostende, elles doivent améliorer le port, en cherchant à le débarrasser des obstacles qui s'opposent à son approfondissement, ainsi à écarter l'ensablement.

Sur la côte de Blankenberghe, elles ont pour but de préserver les dunes, qui, sans cela, seraient envahies, et d'augmenter l'estran, qui sans cela diminue et s'approfondit.

Ainsi on ne cherche pas à Blankenberghe à se préserver, comme à Ostende, contre l'ensablement, mais à le provoquer et à l'activer par les épis que l'on construit contre les dunes et les jetées en fascines que l'on avance dans la mer.

L'ensablement à Blankenberghe par les cours de vent ne se produit donc pas d'une manière naturelle, il faut le provoquer aujourd'hui par des moyens factices et à grands frais, il se produira bien moins encore devant le chenal, lorsque l'action du courant journalier des eaux du port de refuge, du bassin de retenue et des eaux d'évacuation des terres viendront encore aider à l'en préserver.

A l'appui de ce que j'avance, s'il pouvait y avoir quelque doute à cet égard, je vous dirai qu'il y avait, en 1808, projet d'abandonner les dunes et de construite une nouvelle digue à l'intérieur.

Depuis quinze ans, rien n'a été observé à l'écluse d'Heyst, et cependant la même crainte avait été manifestée.

On voit encore quelquefois, à marée basse, les vestiges de l'ancien chenal de l'écluse d'évacuation qui existait autrefois et qu'il s'agit aussi de rétablir aujourd'hui.

Les dépenses d'un travail éventuel d'un second bassin de retenue ne peut donc préoccuper la Chambre.

Il faut d'ailleurs ne pas perdre de vue que le port de refuge de Blankenberghe n’est pas destiné à recevoir des barques américaines, des bateaux à vapeur qui ont un tirant d’eau de 5 à 6 mètres, mais simplement des bateaux de pêche d’un tirant d’eau de 70 centimètres, et que si jamais quelque atterrissement pouvait se produire à l’embouchure du cheval, cela ne pourrait jamais mettre obstacle à sa destination.

Je crois, messieurs, avoir rencontré, dans mes courtes observations les points principaux que l'honorable auteur de la note de la section centrale avait cru constituer des travaux indispensables déjà prévus, et dont la dépense était simplement ajournée ; ce qui faisait principalement le sujet de ses scrupules.

Je pourrais m'étendre sur quelques points de détail. Je le crois inutile à moins que 1a discussion n# nous y ramène.

Il me suffit, messieurs, d'avoir pu constater que le crédit de 1,500,000 francs se trouve justifié - qu'il n'est pas exagéré - il est suffisant et rien ne fait supposer qu'il puisse devoir être augmenté.

Je comprends que lorsqu'il s'agit de travaux maritimes, lorsqu'il s'agit, comme on l'a dit, de s'attaquer à la mer et de lutter avec elle, et lorsqu'il faut faire une première expérience, il faut être circonspect, et que des mécomptes soient possibles.

(page 1536) Mais nos ingénieurs n’en sont pas à leur premier essai : et je dois le dire, je ne connais pas de travaux dont les études aient pu se faire dans de meilleures conditions que ceux dont il s’agit.

Les travaux que l’on construit actuellement à Ostende, les écluses que l’on a érigées à Heyst pour les canaux de Zelzaete et de Schipdonck, sous la direction et la surveillance des mêmes ingénieurs ont été autant d’éléments d’appréciation pour les nécessités à prévoir et les dépenses à faire pour des travaux identiques à exécuter à Blankerberghe.

Et lorsque le comité permanent des travaux publics vient vous dire, après une instruction minutieuse et prolongée, que la dépense ne s'élèvera pas à plus de 1,500,000 francs, les bases d'estimation ayant à dessein été établies d'une manière très large, ce serait, il me semble, faire injure aux ingénieurs distingués qui se sont occupés de ce projet, que d'en douter un instant.

J'attends, messieurs, avec confiance un vote affirmatif de la Chambre, elle aura par là posé un acte de réparation pour l'agriculture, un acte de justice et d'humanité pour une industrie qui ne demande que la possibilité de se développer.

Vous aurez puissamment contribué à doter d'un établissement durable et d'intérêt public une petite ville qui fait des efforts et des sacrifices pour se relever, et qui mérite toute votre sympathie.

M. de Naeyer. - Je regrette beaucoup de devoir prolonger cette discussion, parce que j'ai hâte aussi d'en finir. Mais je me vois obligé de vous présenter quelques observations sur le crédit qui nous est demandé.

Si je n'avais pas fait partie de la section centrale, j'aurais probablement voté le crédit, car j'ai beau chercher dans les plis et replis de ma conscience, je n'y trouve absolument rien qui soit hostile à la population de Blankenberghe. Au contraire, je n'y trouve que des sympathies.

Je serais donc tenté de dire : Puisqu'il faut faire quelque chose pour Blankenberghe, faisons ce que Blankenberghe demande ; mais comme membre de la section centrale, j'ai été naturellement amené à étudier cette question d'une manière spéciale, je dirai même à en faire l'objet d'une étude assez approfondie, et je vous l'avoue, il m'est impossible de voter ce crédit. Je le regrette parce je ne me rappelle pas d'avoir jamais repoussé un crédit destiné à des travaux d'utilité publique.

Il m'est impossible de le voter, pour deux motifs.

D'abord, parce que la dépense est réellement d'une exagération incroyable, eu égard à la faible importance des intérêts qui sont en jeu, eu égard aux résultats minces et problématiques qu'on peut en espérer.

Co n'est pas tout. Positivement cette dépense aura des queues et des queues à peu près comme celles de certains monstres marins.

j'ai craint naturellement de ne pas me trouver à cet égard d'accord avec les honorables membres de la députation, de Bruges, et vous avez vu par le discours que vous venez d'entendre que mes craintes étaient parfaitement justes.

Cela n'est pas étonnant. Moi je suis père depuis une vingtaine d'années et je n'oserais pas soutenir que jamais l'amour paternel ne m'a aveuglé sur les défauts de mes enfants.

Tâchons avant tout de préciser la question, c'est le meilleur moyen d'arriver au port sans sombrer.

Le crédit qu'on vous demande a deux objets. Il s'agit d'abord d'une écluse d'évacuation, il s'agit ensuite d'un port de refuge.

La première dépense est d’une justice incontestable. Un ouvrage a été détruit, il y a plus d'un siècle, par le fait de l'autorité, parce qu'à cette époque il était inutile peur l'évacuation des eaux surabondantes de certains terrains ; aujourd'hui, une nouvelle situation ayant été créée, ce même ouvrage est devenu indispensable, il faut donc le rétablir. Celle dépense est juste et elle n'a pas rencontré d'adversaire. Tout le monde est d'accord là-dessus.

Mais je dis que cette dépense a été parfaitement trouvée pour en masquer une autre qui est très contestable, et je dirai que sous ce rapport on en a tiré un admirable parti. Ainsi, dans le projet de loi qui nous a été proposé en 1858, il y a toute une longue page pour justifier ce premier crédit qui réellement n'avait besoin que de deux mots pour sa justification, et il n'y a que quelques mots pour le port de refuge, qui n'est pas même qualifié port de refuge. On l'appelle tout bonnement un petit bassin de refuge. Vous voyez que c'est très habilement caché. Je ne lirai pas ce passage, il se trouve dans l’exposé des motifs de 1858, page 47.

Aujourd’hui on présente à cet égard un argument encore plus habile et plus ingénieuse ; on vous dit : il faut absolument une écluse d'évacuation. Eh bien, voulez-vous l'avoir à bon marché, faites un port en même temps. Si vous faites l'écluse seule, elle vous coûtera trois à quatre cent mille francs ; mais si vous faites en même temps le port, l’écluse ne vous coûtera que 200,000 fr. Tâchons, messieurs, de dégage la question de toutes ces subtilités.

Si vous vous bornez à faire ce que la justice réclame, c'est-à-dire l'écluse d'évacuation, vous aurez à dépenser 300,000 à 400,000 fr. Mais si vous voulez faire en outre un port, vous aurez à dépenser, suivant le uns un million et demi, et suivant d'autres 2 millions et près de 300,000 fr. Donc, le compte bien fait, dans l'hypothèse la plus modérée, vous dépenserez pour le port 11 à 12 cent mille fr. ; suivant d'autres, et je crois qu'ils ont raison, je tâcherai de le prouver tout à l'heure, vous aurez, pour le port de refuge, à dépenser 18 à 19 cent mille fr. Voilà le fait dans toute sa simplicité, dans toute sa vérité.

Laissons donc là l'écluse d'évacuation ; celle-là n'est pas contestée ; et occupons-nous du port de refuge.

Messieurs, sous ce rapport, il y a une première observation qui m'a frappé. Vous ne le croirez pas, mais l'entreprise qui est projetée à Blankenberghe est sans exemple. Sur toute la côte de la mer du Nord, on n'a jamais entrepris ce qu'on veut entreprendre à Blankenberghe. Jamais on ne s'est avisé de créer un port de mer en l'absence de toute disposition et je dirai même de toute indication naturelle.

Cette côte ne vous présente aucune partie rentrante, aucun enfoncement, aucune entaille, aucune déchirure, rien qui ressemble même à une crique.

Et c'est là qu'on veut faire un port. Cela ne s'est jamais fait, cela est sans exemple, et si la chose s'exécute, M. le ministre des travaux publics pourra se glorifier, si sa modestie n'y met pas obstacle, d'avoir attaché son nom à une œuvre qui est sans pareille dans l'univers entier peut-être. Reste à savoir si 'cela lui fera grand honneur.

Messieurs, on a cherché, et l'on a cherché avec beaucoup de soin, à trouver un exemple. Je dirai même que le télégraphe a été mis en réquisition sous ce rapport. Ou a voulu savoir s'il n'y avait pas quelque chose de semblable en Hollande ; si, à Scheveningue, l'on ne s'avisait pas de faire un port de ce genre.

Je dis que le télégraphe a été mis en réquisition. C'était en 1859, et, en effet, vous avez pu voir, par le rapport de la section centrale, qu'il nous était arrivé un télégramme à ce sujet.

Eh bien, ce port de Scheveningue, si je ne me trompe, c'est un projet qui a excité un certain enthousiasme en Hollande, mais qui paraît être abandonné aujourd'hui. Remarquez, messieurs, qu'il y a cette différence-ci, c'est que le gouvernement hollandais est resté complètement étranger à ce projet, et cependant vous savez s'il a de la sollicitude pour les intérêts des populations maritimes et surtout des populations qui se livrent à1a pêche.

C'est un projet qui avait été conçu par la ville de la Haye, et l'idée de créer un port de refuge pour la pêche était tout à fait secondaire ; le but principal qu'on avait en vue, c'était de faire un grand port maritime qui pût servir de refuge aux bâtiments de mer, surtout en hiver, parce qu'alors ces parages sont, à ce qu'il paraît, très dangereux. On voulait faire de la Haye une ville de commerce, faire arriver à Scheveningue des paquebots, y faciliter par tous les moyens les correspondances maritimes.

C'était, je le répète, l'administration communale de la Haye qui avait conçu ce projet. Pour qu'il y eût ici analogie, il faudrait donc que ce soit Bruges qui se charge de créer un port maritime à Blankenberghe, mais Bruges trouve plus commode de mettre cet établissement à charge du trésor public, que d'en poursuivre h réalisation à ses risques et périls.

Les Hollandais, messieurs, quoique plus flegmatiques que nous, se passionnent cependant aussi pour une idée qui leur paraît grande, mais avant d'en venir à l'exécution, ils examinent avec le plus grand soin.

Il y a eu là commissions sur commissions et la question a été examinée sous toutes ses faces.

Il y a eu une commission d'ingénieurs maritimes, il y a eu une commission de mariniers, puis l'institut royal des ingénieurs de Hollande s’est à son tour occupé de la question. De toutes parts on s'est efforcé de provoquer les lumières. On a été frappé de la grandeur et de la nouveauté de l'entreprise, de l'incertitude des résultats, des frais énormes dans lesquels on serait entraîné, surtout pour entretenir l'ouvrage proprement dit ; les Hollandais ont reculé.

Cependant ils sont hardis que nous pour attaquer la mer, ils ont à cet égard plus d'expérience que nous.

Je le disais donc, messieurs, c'est une entreprise sans exemple et pour me servir de l'expression de notre honorable vice-président qui a (page 1537) fait rapport en 1858 et 1859 sur le projet relatif aux travaux publics, c'est s'attaquer à la mer et c'est s'y attaquer avec une incroyable légèreté, une légèreté qui, je ne crains pas de le dire, serait ridicule si on ne devait pas la payer si cher.

Messieurs, comme il s'agit d'une entreprise sans précédents, il était fort naturel qu'on se fût livré à une étude approfondie de la question, qu'on l'eût examinée sous toutes ses faces, et on serait tenté de croire qu'il en a été ainsi si l'on se contentait de regarder superficiellement l'exposé des motifs. On remarque, en effet, que presque la moitié de ces documents se compose de pièces relatives à l'affaire de Blankenberghe.

II y a une quinzaine de pièces qui forment environ 40 pages. Mais quand on examine à fond, quand, au lieu de compter on se fait un devoir de peser et d'examiner de près, alors, je ne crains pas de le dire, on reste convaincu de l'absence d'une instruction sérieuse sur les points fondamentaux de l'affaire, sur les points les plus essentiels.

Cependant, on en a chargé un ingénieur en chef que je n'ai pas l'honneur de connaître, mais qu'on dit être un homme de grand mérite ; on l'a soumise au comité permanent qui siège à Bruxelles, on l'a soumise encore à une commission de la marine instituée, je pense, par l'honorable ministre des affaires étrangères, ou bien au département des affaires étrangères.

Tout cela est vrai, messieurs, mais un examen attentif des pièces de l'instruction prouve que ces fonctionnaires et ces commissions n'ont reçu qu'une mission limitée, qu'ils n'ont pas eu à étudier la question sous toutes ses faces, mais qu'ils ont reçu un programme, programme qui se résume à peu près en ces termes :

« Il nous faut un port de mer à Blankenberghe ; indiquez les ouvrages indispensables pour cela et donnez-nous une évaluation de la dépense. »

Or, voici, messieurs, quelques-uns des points qu'il aurait fallu examiner principalement et sérieusement.

Quelle sera la véritable utilité du nouveau port, les bateaux de pêche y seront-ils réellement en sûreté, quelle sera la position probable en ce qui concerne les dangers à l'entrée et à la sortie, quels seront les résultats de la transformation qu'on veut amener dans l'industrie de la pêche, quels sont les avantages et les inconvénients attachés respectivement aux bateaux plats et aux bateaux à. quille, eu égard surtout aux habitudes et à l'expérience des pêcheurs de Blankenberghe ?

Enfin, messieurs, un autre point est de la plus haute importance et a été laissé complètement dans l'ombre, c'est la question de savoir ce que coûtera l'entretien du port.

Eh bien, messieurs, sur aucun de ces points il n'y a eu une instruction complète et sérieuse. Il y a bien quelques observations éparpillées dans la description des ouvrages et des projets, mais tout cela sans suite et sans but bien déterminé, et ce qui plus est sur les points les plus essentiels, les avis sont absolument en désaccord lorsqu'ils ne sont pas négatifs.

La question fondamentale était évidemment celle de savoir si les chaloupes de pêche seraient suffisamment abritées dans le port de refuge, et que trouvons-nous à cet égard ? L'ingénieur en chef dit positivement que les bateaux de pêche ne s'y trouveront pas en sûreté, que pour atteindre ce but qui est le but principal, il aurait fallu donner au port une direction parallèle à la digue, tandis qu'on a adopté une direction perpendiculaire ou oblique.

Maintenant, la commission de la marine instituée par le département des affaires étrangères s adopte la même opinion, en ce sens qu'elle trouve aussi que le port de refuge, tel qu'il est proposé par le comité permanent, ne suffit pas pour abriter les bateaux pendant les gros temps.

Je ne sais pas, messieurs, comment on pourrait suspecter l'impartialité de cette commission, car voici comment elle a été instituée. Il y avait désaccord entre l'ingénieur en chef et le comité permanent sur la disposition des principaux ouvrages ; ils ne parvenaient pas à s'entendre. Eh bien, la commission a été instituée comme juge et elle a prononcé réellement comme juge.

Nous voyons tous les jours les plaideurs critiquer et maudire même leurs juges, mais cela en général n'est pas pris au sérieux.

Je ne pense pas que ce soit cette position qu'on veuille prendre à l'égard de la commission maritime. Cette commission dit positivement et prouve que les bateaux ne seront pas en sûreté dans le port de refuge, elle en est tellement convaincue, qu'elle vous propose d'annexer au port une crique de sûreté.

Ainsi sur la question principale, sur celle de savoir si la port projeté sera un véritable lieu de refuge, l'opinion de l'ingénieur en chef est négative, celle de la commission marinière est également négative et le comité permanente garde pour ainsi dire le silence, s’abstenant de réfuter les observations présentées à cet égard ; et néanmoins on nous propose de voter des millions !

Sur la question du danger à l'entrée et à la sortie, encore absence complète d'instruction. L'ingénieur en chef avertit que, pour rendre l'accès facile, il fallait donner au chenal une direction en ligne droite.

Cette proposition est rejetée, on adopte au contraire une direction curviligne, et il y a absence complète d'éclaircissement sur le point de savoir quelles seront les conséquences de ce changement en ce qui concerne les dangers à l'entrée du port.

Pour la sortie, il y a une simple observation : c'est que la commission marinière a demandé qu'on prolongeât une des jetées ; mais voilà tout sur un point qui est aussi de la plus haute importance.

On ne trouve rien, absolument rien sur les conséquences de la position toute nouvelle qui sera faite à la pêche de Blankenberghe par la substitution de bateaux à quille aux bateaux plats.

Quant à l'entretien du port, on ne s'en est pas même occupé, on ne produit aucune évaluation quelconque, on ne donne pas la moindre indication. A cette question de l'entretien du port se rattache celle extrêmement grave de l'ensablement, et la manière dont celle-ci a été examinée est extrêmement curieuse. Je me permettrai d'entrer dans quelques détails à cet égard.

L'ingénieur en chef de la province a réellement joué de malheur dans cette affaire, car toutes ses propositions quant à la disposition des ouvrages ont été rejetées. Ainsi que je viens de le dire, il avait proposé de donner au port une direction parallèle à la digue ; on n'a pas tenu compte de la proposition et l'on a adopté une direction oblique ; il voulait que le chenal fût fait en ligne droite, cette proposition est encore écartée.

Il avait proposé de ne donner aux portes des écluses de chasse qu'une ouverture de 2 à 3 mètres ; on a voulu une ouverture de 6 mètres

Son avis a donc été écarté en tout, et cela principalement parce qu'il ne tenait pas assez compte des mesures à prendre contre l'ensablement.

L'ingénieur avait dit que l'ensablement n'était pas à craindre. Il n'a donné aucune raison, mais il a invoqué deux exemples, et je vais vous prouver que ces exemples n'ont aucune valeur.

Il a cité l'exemple du port d'Ostende et a cité ce qui se passe à Heyst. A Ostende, anciennement, il y a, je pense, environ un siècle, le port ne s'ensablait pas, le courant alternatif de la marée moulante et de la marée descendante suffisait pour empêcher l'ensablement, le chenal gagnait même en profondeur, et cela en l'absence de moyens artificiels de chasse. La raison en était fort simple, c'est qu'une étendue de trois à quatre mille hectares, située derrière Ostende, était inondée chaque jour par la marée montante, et les eaux amassées là formaient, à la marée descendante, une chasse extrêmement puissante.

La nature y avait tout fait. Eh bien, le corps permanent des ponts et chaussées a fait comprendre à l'ingénieur que cet argument ne valait rien, qu'il ne présentait aucune analogie avec ce qui aurait lieu à Blankenberghe ou les moyens de chasse seraient réduits à un bassin de retenus de 4 à 5 hectares.

Cet exemple était donc trop vieux, on en a produit un autre qui est tout neuf, c'est celui d'Heyst. J'ai fait observer que cet exemple n'a pas de valeur, par cela même qu'il est d'une date trop récente ; mais je dirai de plus que l'argument qu'on veut tirer de ce qui se passe à Heyst n'est pas même sérieux.

Vous dites qu'il n'y a pas d'ensablement à Heyst, je le crois bien : il n'y a pas de port, ni rien qui ressemble à un port. Il y a un chenal, dites-vous, mais entre un port et un chenal il y a une grande différence ; le chenal se trouve sur la plage tandis que le port est dans l'intérieur des terres : s'il n'y a pas d'ensablement à Heyst, cela n'est pas étonnant. De même que vous ne pouvez pas avoir un civet sans lièvre, de même vous ne pouvez avoir un port ensablé là où il n'y a pas de port.

Une vérité élémentaire dans cette matière c'est que ce sont les ports, les enfoncements dans les terres, qui provoquent des ensablements. Quelle est la cause des ensablements ? C'est que la marée montante a plus de puissance pour amener le sable que la marée descendante n'en a pour la chasser de nouveau vers la mer.

Cette action se fait sentir partout où il y a des ports, partout où les eaux de la mer pénètre sans obstacle aucun par une ouverture plus ou moins étroite dans l'intérieur des terres pour s'y répandre ensuite sur (page 1538) un espace plus ou moins large. La marée ascendante apporte alors des sables que la marée descendante ne peut pas enlever sans être aidée par des moyens de chasse naturels ou artificiels.

Ces moyens naturels existaient à Ostende, il y a un siècle ; il y avait alors derrière le port des criques qui recevant chaque jour une énorme quantité d'eau par la marée montante, rendaient cette même quantité par la marée descendante, en formant ainsi une chasse excessivement puissante. Cet état de choses a été changé par l'endiguement des polders qui a eu pour conséquence d'empêcher les eaux de la marée montante de se répandre sur les terrains situés au-delà du port. A défaut de ces moyens naturels, il faut absolument suppléer à l'insuffisance de l'action de la marée descendante par des bassins de retenue, c'est-à-dire par des chasses artificielles qui, comme nous le savons, occasionnent des dépenses extrêmement considérables.

Ainsi donc, argumenter de l'état de la côte dans un endroit où il n'existe pas de port, cela n'est réellement pas sérieux, et voilà pourquoi l'exemple de Heyst n'a pas la moindre valeur. (Interruption.)

Il y a un chenal, dites-vous qui ne s'ensable pas ; c'est possible, mais il ne s'ensable pas parce que derrière ce chenal il n'y a pas de port qui, ainsi que je viens de le démontrer, est la véritable cause de l'ensablement. Entre un chenal isolé et un chenal avec port, il y a cette énorme différence que dans le dernier cas les eaux pénètrent dans l'intérieur des terres, et y déposent des sables, qui, par l'action même de la marée descendante, viennent ensuite ensabler le chenal et former ce qu'on appelle les barres.

Aussi, remarquez que l'opinion que je combats ne peut s'appuyer sur aucune autorité.

En Hollande, quand on a examiné la question, on a été frappé de l'inconvénient des ensablements, et tous ceux qui ont écrit sur la matière sont d'accord que c'est la règle générale pour tous les ports situés sur la côte de la mer du Nord.

D'ailleurs, messieurs, cette opinion n'est pas même partagée par le comité permanent, car on se trompe à cet égard. Pourquoi le comité ne veut-il pas de ce port parallèle à la digue ?

Justement parce qu'en adoptant cette direction les chasses perdraient de leur puissance pour nettoyer le chenal qui s'ensablera par l'influence même de l'ensablement du port.

Pourquoi le comité permanent n'a-t-il pas voulu de 4a ligne droite pour le chenal ? Encore une fois pour remédier à l'ensablement.

Maintenant quant à la commission marinière, elle considère cette opinion comme n'étant pas sérieuse. A chaque vent du nord, dit-elle, le port s'ensablera et il faut y remédier par des moyens artificiels, par des chasses.

Messieurs, je demande pardon à la Chambre d'être un pou long sur cette question. Je l'ai un peu étudiée, et comme il s'agit d'une chose sans précédent, je croirais manquer à mon devoir si je ne disais pas ce que j'en sais.

Nous venons donc de voir, messieurs, qu'il n'y a pas eu d'instruction sérieuse sur les points les plus essentiels et que les opinions plus ou moins éparses qu'on trouve dans les pièces de l'instruction, démontrent que, sur ces points essentiels, il y a désaccord complet entre tous ceux qui ont examiné la question. Je ne sais pas si j'ai bien compris l'honorable M. de Ridder, mais je pense qu'il a dit que la commission de la marine avait outrepassée ses pouvoirs,

M. de Ridder. - J'ai dit qu'elle avait émis une opinion en dehors de ses attributions.

M. de Naeyer. - C'est cela. Eh bien, c'est une erreur complète.

D'abord j'ai dit que je regrettais amèrement que cette commission n'ait pas été investie de la mission d'examiner la question sous toutes ses faces, et c'est ce qui aurait dû avoir lieu.

C'est ce qui était naturel et logique si on avait voulu une décision rendue en pleine connaissance de cause.

Mais dans tout ce que la commission a dit, elle n'a nullement excédé ses attributions.

On lui a posé des questions et elle s'est bornée à y répondre.

Si elle a donné des réponses qui contrarient un peu certaines personnes, ce n'est pas ma faute, ni celle de la commission qui a dû nécessairement exprimer consciencieusement sa conviction.

Si elle n'a pas dit ce qui plaisait à ceux qui sont plus ou moins engoués de cet établissement maritime, cela est fàcheux, mais on ne peut en faire un reproche à personne.

Moi-même, je n'aime pas à dire ces choses-là, je l'avoue franchement ; j'aimerais mieux pouvoir voter tout bonnement le crédit et ne pas m'occuper autant du port de Blankenberghe ; mais que voulez-vous ? Quand il s'agit d'une question assez importante, il faut avoir le courage d'exprimer sa conviction lors même que cela entraîne certains désagréments.

Maintenant, pour vous prouver que la commission n'est pas sortie du cercle de ses attributions, je n'ai qu'à vous lire les questions qui lui ont été posées : On lui a donc demandé :

« 1° Si le port de refuge, tel qu'il est indiqué sur le plan de l'ingénieur de première classe Declercq ou sur les plans du comité permanent, offrira toute la sécurité désirable aux chaloupes de pêche.

La commission devait donc parler de la position qui serait faite aux bateaux en cas de gros temps. Elle devait s'exprimer également sur le point de savoir ce que deviendraient ces chaloupes exposées à l'action des chasses ; on a donc eu tort de l'accuser d'un excès de pouvoir parce que, sous ce double rapport, elle a émis un avis qui contrarie beaucoup les partisans du port.

« 2ème Question. Quelle est la meilleure direction à donner au chenal d'après les vents régnant sur nos côtes ? »

L'honorable M. de Ridder croyait, je pense, que c'était le seul objet dont la commission avait à s'occuper ; c'est évidemment une erreur, comme nous venons de le voir.

« S'il ne serait pas possible d'adopter une disposition plus favorable que l'une ou l'autre de celles actuellement projetées. »

Par conséquent, si elle trouvait que le port formant un seul tout, ne valait rien et qu'il fallait le séparer en deux parties. Cela rentrait dans la troisième question.

Je ne pense donc pas qu'on puisse indiquer un seul point au sujet duquel la commission aurait dépassé sa mission ou ses attributions. Seulement j'exprime le regret qu'on ne lui ait pas demandé d'examiner la question sous toutes ses faces ; il est assez probable qu'elle aurait fourni d'autres éclaircissements très utiles.

Maintenant quant à la dépense ou plutôt quant aux ouvrages nécessaires pour faire le port de Blankenberghe, encore une fois il y a désaccord complet et ici l'ingénieur en chef est tout à fait hors de cause parce qu'on a rejeté le plan qu'il avait proposé ; sa responsabilité est ainsi absolument à couvert.

Sa mission s'est bornée à évaluer des ouvrages proposés par le comité permanent et à évaluer des ouvrages proposés par la commission de la marine.

Je crois, du reste, que ces évaluations ont été établies consciencieusement, mais entre les deux projets il y a une énorme différence ; vous la connaissez, messieurs, elle est d'un million à peu près, soit de 900,000 fr.

L'évaluation pour le projet du comité permanent n'allait, si je ne me trompe, qu'à un million 300,000 et des francs. L'autre était de 2 millions 200,000 et des francs.

Voici d'où vient la différence. Elle est facile à saisir, et j'espère vous la faire comprendre en peu de mots. Les deux projets diffèrent peu quant aux ouvrages en quelque sone accessoires, le chenal, le bassin de retenue, les écluses de chasse et de garde, et l'écluse d'évacuation.

Mais, sur le point principal, le port, celui qui domine ici parce que c'est le port qui doit abriter les chaloupes, là il y a désaccord complet. La commission augmente de trois mètres la largeur du port tel qu'il est proposé par le comité, et elle le divise en deux parties, l'une ayant une largeur de 100 mètres qui serait le port proprement dit, et l'autre ayant une largeur de 50 mètres qui serait une crique où les embarcations puissent se réfugier non seulement pour se soustraire à l'action des chasses mais aussi à l'agitation de la mer en cas de gros temps, et la commission s'exprime à cet égard d'une manière très claire et très concluante.

Voici ce qu'elle dit page 116 de l'exposé des motifs : « La commission doit cependant faire remarquer que les dispositions du plan proposé n'obvient pas complètement aux inconvénients qu'occasionnera le ressac dans le port de refuge ; le chenal, malgré sa forme privilégiée, n'ayant que 385 mètres de long, on ne peut se dissimuler que par des tempêtes du large, le ressac transversal sera assez fort pour que les chaloupes n'y soient pas suffisamment abritées.

On parle plus loin de ce qui pourra arriver lorsque les écluses de chasse seront ouvertes dans les cas de basse marée.

« Il est à remarquer ensuite qu'aucun des deux projets ne fait mention de l'emplacement que devront occuper les chaloupes de pêche durant les chasses.

« Le plafond du port de refuge étant établi à 1 mètre en contre-bas de la marée base des vives eaux ordinaires, ces embarcations, qui ne (page 1539) tirent que 6 m 72 d'eau, seront toujours à flot; il en résultera, si elles restent dans le port, qu'à l'ouverture des écluses, leurs amarres briseront, qu'elles rouleront les unes contre les autres et se feront des avaries.

« La commission doit aussi signaler à M. le ministre la nécessité d'établir un feu de direction pour l’entrée du port, deux feux de marée aux musoirs et un mât de pavillon pour signaler de jour la hauteur de la marée.

« Aucun projet ne fait mention de ces feux, qui sont cependant indispensables à la sécurité de la navigation. »

Comment la commission veut-elle remédier à tout cela ? voici ce qu'elle propose :

« Le bassin de refuge, de même longueur que celui présenté par le comité, et de 3 mètres seulement de plus en largeur, se compose de deux parties séparées par une jetée en maçonnerie de 10 mètres de largeur à fleur d'eau. La première, d'une largeur de 100 mètres, est le port de refuge pour navires, et son plafond à 1 mètre en contre-bas des marées basses ordinaires des vives eaux, permet d'y recevoir des navires d'un tirant d'eau de 4 mètres à marée haute ordinaire ; la seconde partie, de 30 mètres de, largeur seulement, est une crique dont le plafond entretenu par une éclusette, à 0 m. 50 de profondeur seulement en contre-bas des marées basses ordinaires des vives eaux, permet aux chaloupes de Blankenberghe d'être échouées pendant les chasses du port, en même temps qu'elle les abrite contre le ressac transversal qu'il y aura dans le port de refuge de 100 mètres, pendant les coups de vent ouest-nord-ouest ou nord-nord-est. »

Ainsi, vous le voyez, il faudra faire souvent usage de cette crique de refuge.

Maintenant, messieurs, lequel de ces deux projets est préférable ? L'un doit coûter à peu près un million de plus que l'autre. Eh bien, le choix dépend absolument de la bonté des raisons données à l'appui de l'un et de l'autre.

Or, la commission marinière donne des raisons et des raisons qu'on n'a pas même essayé de réfuter ; le comité permanent n'en donne aucune ; il se borne à dire : Il faut attendre l'expérience. Cela est-il sérieux, messieurs ? Quand un inconvénient grave est signalé, est-il sérieux de dire à celui qui y est exposé : Attendez l'expérience !

Cela n'est donc pas sérieux, je le répète. Et cependant, lisez l'avis du comité permanent, vous n'y verrez pas autre chose ; vous n'y trouverez pas un mot de réponse aux raisons très plausibles et très concluantes de la commission marinière.

Il doit donc être évident pour vous, messieurs, comme il est évident pour moi, qu'à moins de faire une grosse sottise, permettez-moi l'expression, il faut, cependant, construire le port dans les conditions indiquées par la commission, si on veut le construire ; car si, plus tard, vous devez apporter des modifications d'après les indications de la commission marinière, vous aurez un surcroît de dépense considérable.

Ainsi que fait-on aujourd'hui pour tâcher de prouver que les mécomptes ne sont pas à craindre ? On dit : « Nous travaillons derrière la digue et non dans la mer. » En effet, si ayant fait le port de telle manière que les bateaux ne s'y trouvent pas sûreté, vous êtes obligés ensuite d'établir une crique, mais c'est dans la mer que cet ouvrage devra être exécuté et cela avec de très graves inconvénients et avec un surcroît de dépense considérable.

Ainsi donc, messieurs, soyons une bonne fois pour toutes bien convaincu que ce million et demi qu'on demande aujourd'hui n'est qu'un premier crédit, que ce travail coûtera 2,248,000 fr., et que ce n’est encore là qu'in chiffre minimum.

Maintenant, messieurs, un mot des queues, car nous en aurons et il y en a même qui sont déjà prévues, puisque le comité permanent, qui certainement n'a pas cherché à enfler la dépense, a déjà réservé une petite place pour un second bassin de retenue ; pourquoi ? Parce q t'il est incontestable qu'il se formera une barre à l'entrée du chenal, et que, dès lors, il faudra employer des moyens de chasse plus puissants que ceux que nous organisons aujourd'hui. Quelle sera l'importance de ce surcroît de dépense ? Il serait bien difficile de le prévoir dès maintenant.

Il faudrait d'abord prolonger la jetée et creuser un nouveau bassin de retenue. Aujourd'hui, la jetée nous coûte un demi-million, le bassin de retenue aussi environ un demi-million. Or, les dépenses qu'il y aurait lieu de faire pour un second système de chasse seraient relativement plus considérables par cela même que vous serez obligés de prolonger vos jetées pour combattre la barre qui se sera formée à l'entrée du chenal. Or, c'est une règle constante que la puissance d'une chasse doit être augmentée en raison directe de l'éloignement du point qu'il s'agit d'attaquer. C'est du reste une chose que le bon sens indique.

Voilà une première queue. En voici une seconde qui est inévitable.

Vous allez avoir une crique de 30 mètres de largeur. Eh bien, ce n'est que le tiers du port proprement dit ; le jour viendra où l'on trouvera que cette crique est insuffisante et l'on ne manquera pas d'attribuer à cette cause le défaut de développement de la pêche nationale.

Il y en a une autre que je prévois, et malheureusement je suis ordinairement trop bon prophète en pareille matière, je l'ai prouvé même pour la Dendre en prédisant, dès l'origine, que la dépense, qu'on n'évaluait qu'à 2 1/2 millions, s'élèverait bien à 7 ou 8 millions. Vois savez, messieurs, si ma prédiction s'est réalisée.

Eh bien, ici mes prédictions seront probablement dépassées dans de plus fortes proposions ; dans tous les cas, je tiens à rester pur de toutes les illusions que le fameux projet fait naître.

Eh bien, voici une dépense que vous aurez très probablement à faire encore. On dira que si la pêche maritime ne se développe pas, c'est parce que le système d'une crique de sûreté est défectueuse, attendu que les bateaux doivent s'y faire échouer, ce qui a de graves inconvénients surtout pour des bateaux à quille.

Or, messieurs, pour avoir un magnifique développement de la pêche nationale, que faudrait-il ? On ne le dit pas encore, mais on peut aisément le pressentir, il faudrait un bassin à flot. Les bateaux alors seront tout à fait abrités ; ils ne courront plus aucun danger ; ils seraient absolument dépensés de l'échouement ; il n'y aura plus d'avaries possibles ; à cette condition-là la pêche de Blankenberghe aurait une grande importance.

Un bassin à flot ! Qu'est-ce que cela coûtera ? De bien grosses sommes sans doute. (Interruption.) Vous riez, M. le ministre, cela ne m'étonne pas.

Il est très facile de nier des dépenses futures ; mais quand comme moi on a vieilli ici depuis 17 à 18 ans, on en sait assez pour se faire une idée de ce que c'est que toutes ces dépenses qu'il est impossible de calculer d'avance. Quand on aura dépensé ainsi quatre à cinq millions et qu'on verra que cela ne produira rien ou peu de chose, on dira probablement : Pourquoi nous sommes-nous bornés à faire un petit port de refuge pour la pêche qui, en définitive, donne de si minces résultats ? Mais faisons un véritable port maritime. Bruges a été autrefois une grande ville de commerce, Bruges est déjà reliée à Blankenberghe par un canal. Agrandissons ce canal et faisons un véritable port de mer, c'est le seul moyen de rendre productifs les quatre ou cinq millions que nous avons jetés à l'eau.

Il faut bien se demander cependant quelle est l'industrie pour laquelle on demande ces énormes sacrifices, il faut voir son importance, il y a des renseignements positifs au rapport de la section centrale, il en résulte que le capital employé dans cette industrie ne s'élève probablement pas à 300 mille francs.

On serait presque tenté de dire qu’il vaudrait mieux placer à intérêt les sommes qu'on veut dépenser, et faire ainsi une rente à tous les pêcheurs de Blankenberghe.

On dit : C'est parce qu'il n’y a pas de port de refuge, que cette industrie est si petite, qu'elle ne se développe pas Mais elle était florissante il y a cent ans et cependant il n'y avait pas de port de refuge à Blankenberghe. Il faut donc qu'il y ait une autre cause ; cette cause a d'ailleurs été signalée récemment dans une brochure publiée par l'honorable M. Bortier qui porte un si vif intérêt à tout ce qui peut contribuer au développement de l'industrie de la pêche.

La mer le long de la côte de Blankenberghe a cessé d'être aussi poissonneuse qu'autrefois, voilà 1a cause principale de la décadence de la pêche, et non l'absence d'un port de refuge. Y a-t-il un remède au mal qui a été signalé ? C'est là une toute autre question.

Il n'y a donc aucune considération plausible pour justifier la dépense considérable qu'on nous propose et qui sera infailliblement suivie d'une foule d'autres, car c'est bien ici le cas de dire : Abyssus abyssum invocat.

On a invoqué des considérations d'humanité. Ces considérations je les comprends, je dirai même que je les sens profondément. Mais sommes-nous ici pour exercer des actes de charité ! Je dirai, que comme législateurs, nous sommes incapables d'exercer cette grande et sublime vertu qui exige essentiellement des sacrifices personnels. Quels sacrifices (page 1540) faisons-nous donc quand nous puisons dans la poche des contribuables ? Les considérations qui doivent nous guider ici sont des considérations de justice et d'utilité, et les grandes et nobles idées d'humanité doivent nous déterminer à entamer nos ressources personnels pour soulager le malheur.

Veut-on ouvrir une souscription en faveur de ceux pour lesquels on cherche à exciter notre compassion ? Je ne serai pas le dernier à y prendre part dans la mesure de mes moyens, mais je ne m'arroge pas le droit de faire la charité avec l'argent d'autrui.

M. Devaux. - Messieurs, la Chambre est désireuse de finir la séance ; elle rendra cette justice aux défenseurs du port de Blankenberghe, que ce ne sont pas eux qui ont étendu le débat. Je ne demande pas, pour défendre cette partie du projet de loi, la moitié du temps que l'honorable préopinant vient de mettre à l'attaquer ; et pour satisfaire à l'impatience de la Chambre, j'aborde directement l'objection principale qu'on y a faite. Dès l'examen dans les sections on a cherché à effrayer les membres de la Chambre de la proposition réelle de la dépense que nécessitera le bassin de refuge. On rappelle les difficultés contre lesquelles on à lutter pour conserver à la navigation le port d'Ostende, celui de Nieuport, l'Escaut lui-même. On demande si tandis qu'une tendance à l'ensablement a lieu sur toute notre côte ; lorsqu'il y a tant de difficultés à conserver les ports que nous avons, il est raisonnable de faire un bassin artificiel, d'entreprendre de gaieté de cœur une redoutable lutte contre la mer et d'espérer qu'on suffira à ses nécessités avec la modique allocation d'un million ; n'est-ce pas s'engager dans une dépense de 8, 10, 15 millions ou davantage ? Vous voyez, messieurs, que je ne déguise pas l'objection et ne crains pas de l'exposer tout entière.

Si le projet présentait de pareilles difficultés d'exécution et le danger de pareilles dépenses, non seulement je ne le soutiendrais pas, mais on aurait jamais conçu l'idée sur les lieux. Ce qui a donné l'idée d'un bassin de refuge, ce qui l'a fait réclamer depuis si longtemps, c'est précisément la facilité de son exécution et la facilité avec laquelle l'ouvrage exécuté pourra être maintenu.

Si pour maintenir l'accès de ce bassin, on pouvait avoir à craindre les difficulté, qu'on éprouve à tenir ouvert le port d'Ostende, assurément l'entreprise serait téméraire. Mais ce qui fait la base du projet, ce qui lui a donné son origine, c'est la certitude qu'on a que la côte de Blankenberghe se trouve dans des conditions, je ne dirai pas toutes différentes, mais tout opposées à celles de la côte d'Ostende. Le port d'Ostende, d'abord, se trouve dans un enfoncement, derrière une saillie de la côte. Il n'y a pas de position qui favorise plus l'ensablement.

Il y a de plus sur une partie de notre littoral une tendance générale à l'ensablement qui, pour n'être pas partout aussi prononcée qu'à Ostende, n'en existe pas moins.

Mais ce qui est tout aussi certain, ce dont on peut vous faire ici une démonstration bien claire, c'est que la côte de Blankenberghe et sous ce rapport dans une position toute contraire. Il y a en effet sur notre littoral trois lieues de côte, où ce qu'on redoute ce n'est pas l'invasion du sable, mais celle de l'eau, où la mer loin de se retirer fait constamment effort pour avancer, ou si on laissait faire la nature, ce ne serait pas le sable qui viendrait obstruer les cours d'eau, mais l'eau qui viendrait couvrir le sol. Cette partie de la côte s'étend de l'est à l'ouest depuis Heyst jusqu'à Wenduyne, point où la côte fait une inflexion pour se diriger vers Ostende ; c'est là, entre Wenduyne et Heyst, à une lieue de l'un de ces deux points, à deux lieues de l'autre, qu'est situé Blankenberghe.

C'est sur cette disposition particulière de la côte de Wenduyne à Heyst, que repose le projet du bassin de refuge, c'est là ce qui lui a donné un caractère pratique et sérieux.

Mais les conditions particulières de cette partie de la côte qui éloignent tout idée d'ensablement, constituent-elles un fait positif, de la réalité duquel on puisse vous donner la conviction ? De pareils faits, messieurs, il faut en convenir, sont plus propres à être établis par des ingénieurs et pour des ingénieurs qu'au sein d'une assemblée législative. Je crois cependant que ce qu'on en peut dire ici suffit pour dissiper tous les doutes et pour constater le fait de la manière la plus péremptoire.

Lorsque, il y a une vingtaine d'années, il s'agissait de la construction du canal de Zclzaee qui devait déboucher à Heyst et y nécessiter une écluse, quelques personnes s'effrayaient alors aussi des difficultés qu'il y aurait à maintenir aux eaux du canal leur écoulement dans la mer, à empêcher l'ensablement de l'écluse, à donner aux chasses une force suffisante pour la désobstruer et maintenir l'ouverture du canal ; on citait Nieuport et Ostende, et la tendance générale du littoral.

Or, qu’est-il arrivé ? L'événement a prouvé, en ce qui concerne le danger de l’ensablement, non qu'on avait eu trop de confiance dans la côte, mais qu'on n'en avait pas eu assez.

En effet, cédant aux craintes qu'on exprimait avec tant de vivacité, on a fini par avancer l'écluse d'Heyst le plus qu'on a pu vers la mer. Il en est résulté qu'on a trop craint le sable qui n'était pas à redouter, et trop peu la mer qui l'est beaucoup plus. Aussi, quand depuis lors on a fait, à Heyst aussi, l'écluse du canal de Schipdonck, n'a-t-on pas craint de la reculer. On s'est beaucoup plus préoccupé de l'hostilité de l'eau que de celle du sable. Aujourd'hui, dans le projet qu'on a proposé pour Blankenberghe, on s'est si peu préoccupé de la possibilité de l'ensablement du chenal, qu'on place l'écluse de chasse non pas à l'entrée du bassin et contre le chenal, mais au fond du bassin, et avant d'arriver de là au chenal les eaux doivent pour sortir décrire un coude qui diminue nécessairement leur force.

C'est qu'en réalité l'écluse de chasse n'est pas faite pour maintenir l'ouverture du port ; elle n'a pour but que le curement du bassin ; quant au chenal du port il se maintiendra ouvert par le seul mouvement des marées.

Voilà ce qui prouve assurément combien, sur les lieux, les hommes de l'art se préoccupent peu du danger de l'ensablement.

Aussi, quand, dans le comité permanent des ponts et chaussées, un membre a demandé des explications à l'ingénieur en chef sur le peu de précaution qu'il prenait contre l'ensablement du chenal, il a suffi à celui-ci de faire connaître ce fait si important que depuis douze ou quinze ans que l'écluse d'Heyst existe, pas la moindre apparence d'ensablement 'ne s'y produit, que le chenal reste dans le meilleur état, qu'il suffit de l'écoulement naturel et du mouvement des marées pour l'y maintenir et pas une seule fois jusqu'aujourd'hui on n'a opéré de chasses.

Comment résister à l'autorité d'un fait aussi important ? Ne prouve-t-il pas toute la différence qu'il y a entre cette partie de la côte et la côte d'Ostende ?

L'honorable M. de Naeyer vient d'émettre une assertion fort extraordinaire. Il a dit que ce fait n'a pas de portée, parce qu'il n'y a pas de port à Heyst ; mais s'il n'y a pas de port, il y a une écluse et un chenal.

Or, quelle est la difficulté ; à quoi consacre-t-on tant d'argent à Ostende ? N'est-ce pas à maintenir le port ouvert et l'abord accessible ? Pourquoi sans cela serait-on occupé à Ostende à ce grand travail qui consiste à faire une écluse de chasse en avant vers la mer et agissant plus directement sur l'entrée du port ?

A la section centrale, l'honorable M. de Naeyer avait opposé un autre argument, au fait si concluant qui se passe à Heyst. Il l'avait déclaré trop récent.

L'écluse d'Heyst, avait-il dit, n'existe que depuis douze ans et les ensablements, très lents à leur début, n'avancent avec rapidité qu'après s'être accrus jusqu'à un certain point.

A cette objection la réponse est facile ; si l'écluse d'Heyst n'existe que depuis douze ans, la côte existe depuis bien des siècles. Or, où sout sur cette côte depuis des siècles les symptômes d'ensablement ? Ce sont les faits les plus diamétralement contraires qui, depuis des siècles, s'y manifestent sans interruption qu'on remonte jusqu'au moyen âge ; on ne reprochera pas à ces faits-là d'être trop récents ; on trouvera qu'à cette époque, Blankenberghe n'était pas le village le plus avancé du côté de la mer ; il y avait au-delà un village ou hameau avec sa chapelle auquel on donnait le nom de Scarphout. Le hameau et sa chapelle ont disparu. Que sont-ils devenus ? La mer a avancé et l'a couvert de ses flots ; il s'y trouve encore.

Dans ma jeunesse, des vieillards disaient que par une de ces marées exceptionnellement basses qui ont eu lieu à des intervalles séculaires on croyait avoir reconnu, à une certaine distance dïela côte, quelques vestiges des ruines de Scarphout. Quoi qu'il en soit, messieurs, ce fait prouve sans réplique que dès le moyen âge la mer, loin de reculer, s'avance sur cette côte et qu'elle ne s'est pas retirée depuis.

La vieille église de Blankenberghe bâtie du XIII au XIVème siècle à une certaine distance en dehors de l'aggloméré du côté opposé à la tuer, prouve elle-même les craintes qu'on avait de l'invasion de la mer ; aussi depuis lors, sous tous les régimes s'est-on attaché à exécuter sur cette côte des travaux divers non pour empêcher l'ensablement, mais pour le favoriser au contraire et pour prévenir le progrès delà mer.

Au siècle dernier, sous le gouvernement de l'Autriche, ces travaux avaient été négligés. Les habitants de la côte qui voyaient le progrès des eaux et l'affaiblissement des obstacles qui les retenaient, s'alarmèrent vivement ; ils s'adressèrent avec instance au gouvernement pour lui signaler le danger, et dans leur requête ils suppliaient que (page 541) l'occasion des travaux qui étaient devenus indispensables, ne fût pas perdue pour la construction de ce bassin de refuge, qui leur tenait tant à cœur. Mais le gouvernement autrichien était absorbé à cette époque par d'autres préoccupations ; c'était en 1787 ; les démêlés de Joseph II avec les états des provinces préludaient à la révolution brabançonne. Non seulement le bassin ne fut pas creusé, mais la mer ne fut pas combattue. Et l'année suivante, la ville de Blankenberghe fut réduite à envoyer une nouvelle requête dans laquelle elle apprenait au gouvernement que l'événement prévu par elle n'était plus probable, comme l'année précédente ; il s'était réalisé ; la digue était rompue. Heureusement le temps était calme, et il y eut moyen de prévenir les plus grands désastres.

Cette expérience était faite pour rendre prévoyant. Aussi, depuis lors, et surtout depuis le commencement de ce siècle, les gouvernements se sont-ils attachés sans relâche à entretenir avec soin sur la côte de Blankenberghe les travaux qui ont pour but de combattre l'effort des eaux, de favoriser sur le bord de la mer l'accumulation du sable et de protéger les digues.

Ouvrez les budgets que nous avons votés depuis trente ans. Vous y verrez figurer des travaux sur trois points de la côte, à Ostende sans discontinuation, à Nieuport de temps à autre, et toujours sur la côte de Wenduyne à Heyst. Quel est le but de ces travaux ? A Ostende et à Nieuport, c'est de déblayer les ports, de repousser les sables, de maintenir la profondeur de la mer. Mais sur la côte de Blankenberghe, entre Heyst et Wenduyne, il n'y a ni ports ni écluses à protéger contre le sable ; si le sable s'y amassait, on se garderait bien de l'empêcher ; il préserverait le pays.

A quoi donc, sur ces trois petites lieues de côte, dépensons-nous chaque année 90,000 à 100,000 francs ? cette grande dépense a pour unique but de garantir le pays contre l'invasion de la mer, c'est-à-dire de faire tout juste le contraire de ce qu'on fait, à Ostende et à Nieuport ; là on appelle la mer ; ici on la repousse ; à Ostende et à Nieuport, on combat l'ensablement, ici on fait ce qu'on peut pour que le sable s'amasse et se maintienne sur la côte. Que vient-on donc parler du danger de l'ensablement sur la côte de Blankenberghe et des 5,000,000 ou 10,000,000 millions qu'il nous en coûtera pour les prévenir ? Mais s'il y a ensablement à craindre sur cette partie de la côte, je dénonce à la Chambre une énorme dilapidation qui se pratique depuis trente ou cinquante ans.

Car chaque année on y consacre 90,000 à 100,000 fr., à combattre la mer là où la mer recule, à garantir la côte là où le rivage se garantit et s'exhausse de lui-même.

Peut-il, messieurs, rester un doute sur cette question des ensablements ? Le fait si frappant du chenal de l'écluse d'Heyst et de l'inutilité de l'écluse de chasse qu'on y a construite, les événements qui se sont passés depuis des siècles, la destruction de Scarphout, la rupture des digues sous le gouvernement autrichien par suite du défaut d'entretien des jetées, enfin les travaux si coûteux que l'on exécute chaque année sur cette seule partie de la côte pour empêcher la mer d'envahir le pays, tout cela ne prouve-t-il pas à l'évidence que nous n'avons pas à nous occuper ici des dangers d'ensablement ni par conséquent des dépenses imaginaires qui on doivent résulter ? Et n'avais-je pas raison de dire que cela pouvait vous être clairement démontré ? S'il vous fallait une preuve de plus que depuis des siècles le sable n'a fait aucun progrès sur cette côte, ceux d'entre vous qui ont été à Blankenberghe, et ils sont nombreux, je pense, l'ont eue presque tous sous les yeux.

La plupart d'entre eux, en effet, se sont promenés vers Wenduyne ou vers Heyst, or, s'ils sont allés par la digue, qui est au bord de la mer et que ses flots viennent baigner par les hautes marées, sur quoi ont-ils marché ? Sur le sable ? Non, sur l'herbe. Or, cette digue, qui s'appelle la digue du comte Jean, est construite depuis plusieurs siècles. Elle touche au sable qui peut librement s'amasser à ses pieds. Comment ne la recouvre-t-il pas ?

J'ai entendu dire que c'était une grande affaire de s'attaquer à la mer, et que pour avoir raison d'un pareil adversaire, il fallait avoir bien des millions à sa disposition. Oui, sans doute, et la côte de Blankenberghe elle-même en est une preuve, comme le port d'Ostende ; mais qu'a-t-on eu à faire sur ces deux points jusqu'à présent, soit pour combattre la mer, soit pour combattre le sable ? On a eu à contenir l'action de la nature. Voilà ce qui est difficile et coûteux. Ce qu'on veut faire aujourd'hui à Blankenberghe, c'est tout l'opposé. On ne veut pas combattre la mer, mais seconder son action ; non pas la traiter en ennemie, mais en alliée ; lui ouvrir sa voie et puis la laisser faire. S'il s'agissait, à Ostende, non de tenir le port ouvert, mais d'y amener le sable, les travaux ne coûteraient pas bien cher, car on aurait le temps et la mer elle-même pour auxiliaires. C'est par la même raison que sur la côte de Blankenberghe où il en coûte très cher pour contenir la mer qui veut avancer, on a peu de dépense à faire pour la maintenir là où elle tend à se porter d'elle-même.

Il a figuré dans l'instruction de cette affaire, outre les ingénieurs et le conseil des ponts et chaussées, autorités ordinaires et compétentes dans des matières de ce genre, une commission d'un caractère différent qui paraît y avoir joué un rôle tout particulier.

L'ingénieur de la province et le conseil des ponts et chaussées n'étant pas d'accord sur la question de savoir quels vents régnaient le plus fréquemment sur la côte pendant la tempête, on a eu recours au directeur de la marine qui a désigné une commission de trois membres ; cette commission, à qui on a laissé examiner les autres questions qui se rapportent à cette affaire, a fait un rapport où j'ai lu, je dois l'avouer, diverses choses qui m'ont singulièrement surpris. Mais ma surprise a diminué quand j'ai vu que le rapport était daté d'Ostende (Interruption.)

Cette commission en effet, en venue d'Ostende à Blankenberghe, est retournée faire son rapport à Ostende, et se compose de trois personnes résidant à Ostende. Je suis loin d'inculper ni les intentions ni la sincérité des membres de cette commission ; mais nous savons tous avec quelle défaveur ce projet qui doit relever quelque peu l'importance de Blankenberghe a été accueilli à Ostende, et je crois qu'il n'est personne ici qui, s'il voulait consulter sur ce projet des hommes non prévenus, s'adressât de préférence à des personnes qui habitent Ostende.

Il est assurément à Ostende beaucoup de personnes à l'arbitrage desquelles je n'en rapporterais avec pleine confiance dans un grand nombre d'affaires ; et l'honorable représentant d'Ostende qui vient de m'interrompre est de ce nombre ; mais assurément je ne les choisirais, ni elles ni lui, pour être arbitres dans la question du port de refuge de Blankenberghe.

Comment, si leur esprit n'avait subi involontairement l'influence de ces préventions locales, MM. les commissaires auraient-ils pu parler des deux côtes d’Ostende et de Blankenberghe comme se trouvant dans les mêmes conditions et oublier tout l'argent qu'on dépense chaque année pour atteindre, sur chacune de ces deux côtes, un résultat entièrement opposé, pour combattre le sable d'une part, pour combattre la mer de l'autre ? Cette commission a été aussi d'avis qu'il fallait diviser le bassin de refuge proprement dit en deux compartiments et elle veut que cette séparation soit faite au moyen d'une jetée en maçonnerie. Il résulterait de là une dépense supplémentaire de 600,000 francs. Or, remarquez qu'en pleine mer, pour border le chenal, on se contente de jetées en fascinage. Pourquoi faut-il que la jetée soit en maçonnerie dans le port ? Ce n'est pas tout ; un des principaux motifs que donne la commission pour cette division du port en deux, c'est qu'à l'époque où on opérera des chasses les chaloupes seraient ballottées par l'agitation de l'eau et se rouleraient les unes contre les autres, si elles ne pouvaient se mettre à l'écart derrière un mur.

MM. les commissaires paraissent avoir oublié que, non seulement les chasses n'ont pas d'effet analogue à Ostende, mais qu'il ne s'agit pas ici d'un bassin de commerce dans lequel des vaisseaux séjournent constamment ; que plusieurs fois par semaine, les chaloupes sortent toutes à la fois, restent dehors au moins jusqu'au lendemain ; qu'ainsi la plus grande partie du temps le bassin sera complètement vide, et que quand on voudra opérer des chasses, on pourra parfaitement, si l'on y voit quelque avantage, choisir pour cela le temps où aucune chaloupe ne se trouve dans le bassin. Comment une observation aussi simple a-t-elle pu échapper aux membres de cette commission ?

Messieurs, on objecte au projet que l'industrie de la pêche n'est pas assez développée pour mériter de grands sacrifices. Mais cette industrie, par ses rapports avec l'alimentation publique, n'acquiert-elle pas une importance toute particulière ? son extension n'est-elle pas réclamée ainsi par un intérêt bien supérieur à celui des industries ordinaires ? Et son extension possible, pour peu qu'elle s'exerce dans des conditions favorables, n'est-elle point indéfinie, comme l'est, en quelque sorte, la mer elle-même ? Et, remarquez-le bien, ce n'est pas dans un port de commerce que la pêche prendra jamais un très grand développement.

II n'y a que six chaloupes de pêche à Anvers. La vie du pêcheur est trop dure, pour que les marins ne lui préfèrent pas celle des bâtiments de commerce.

Il faut au développement de la pêche des localités spéciales où le goût (page 1542) de la vie maritime qui s'empare aisément des habitants de la côte, ne trouve à se satisfaire que dans cette seule voie.

Nos quatorze lieues de côte sont malheureusement trop peu peuplées. Il en résulte que les marins manquent à notre commerce maritime. C'est la pêche qui doit les lui fournir et les former. Nous n'avons pas assez de grandes agglomérations sur la côte ; et Blankenberghe est, sous ce rapport, dans une voie très progressive. A la manière dont cette commune se développe depuis quelques années, on peut prévoir qu’avant la fin du siècle, elle aura au moins 10,000 âmes et peut-être beaucoup plus. Une partie de cette population sera inévitablement attirée vers la vie maritime, pour peu qu'elle lui soit rendue supportable ; et Blankenberghe pourra ainsi aider puissamment à combler le vide dont souffre notre commerce maritime.

N'est-ce pas une chose bizarre que nous ne cherchions à améliorer la côte que là où la nature est contraire à nos efforts, et nous condamne à les renouveler toujours avec un faible succès, tandis que nous nous refuserions à seconder la nature, là où elle ne demande qu'à nous servir ?

Quand nous rencontrons ailleurs tant de difficultés et des chances de succès si incertaines dans l'avenir, n'y a-t-il pas un intérêt sérieux pour le pays à éprouver cette partie de la côte où la nature se montre si favorable et à constater par une épreuve incontestable le parti que le pays peut en tirer ? Ce seul résultat mérite bien une part des sacrifices que nous faisons au luxe de nos travaux publics.

Tous les travaux qu'un gouvernement entreprend ne sont pas de pure utilité industrielle, et ne reproduisent pas immédiatement ce qu'ils ont coûté. Sous ce rapport le gouvernement d'une nation a des devoirs de différents genres. Tour à tour il a en vue l'industrie, l'agriculture, la sécurité extérieure, les arts, la civilisation, le bien-être des habitants, un certain luxe même qu'il ne faut pas toujours négliger.

Dans cette série de travaux publics proposés à la Chambre en 1859 en même temps que le bassin de refuge de Blankenberghe et dont l'importance s'élève à soixante millions, tous ne reproduiront pas immédiatement ce qu'ils auront coûté.

J'y vois figurer des palais nouveaux et des palais anciens. Je ne m'en plains pas, ce sont là des dépenses qu'une nation doit faire. Mais ce ne sont pas des dépenses qu'un intérêt d'argent commande. Dans nos grandes villes nous donnons aux bâtiments des stations du chemin de fer des proportions et un aspect qui les rendent dignes de ces localités.

Dans une de nos grandes villes, le gouvernement a récemment consacré un ou deux millions à substituer à un pont qui existait depuis des siècles, un pont moins dangereux à la navigation. C'est une dépense d'humanité, un gouvernement a de ces dépenses-là, et ce ne sont pas les moins respectables. Si on a bien fait de dépenser un million dans une ville pour parer aux dangers de la navigation d'une rivière, regretterions-nous de consacrer la même somme à prévenir les dangers assurément bien aussi graves et aussi fréquents que courent nos pêcheurs ?

Dans des dépenses de 60 millions, il ne faut pas regretter qu'il y en ait une assez modique qui aille directement à la classe pauvre. C'est un estimable usage que celui d'une distribution de pain à côté d'une fête splendide.

Ne croyons pas, messieurs, avec un membre de la section centrale, qu'il est inutile de secourir une classe de pauvres parce qu'il y en aura toujours et qu'on ne peut les soulager tous. Ne prenons pas au sérieux un mot qui fermerait les cœurs à toute compassion et à toute charité.

Les habitants de la côte n'ont d'ailleurs pas toujours été aussi pauvres qu'aujourd'hui. Des documents tirés des archives de la localité montrent qu'au siècle dernier, la pêche du poisson frais rapportait assez pendant l'été pour permettre aux pêcheurs de ne pas aller en mer pendant une grande partie de l'hiver. Aujourd'hui le besoin ne leur permet plus tant de ménagement. Comment chômeraient-ils volontairement, lorsque leur part dans la pêche de toute l'année, ne dépasse pas un franc et quelques centimes par jour ? C'est ce que vous pouvez vérifier vous-mêmes ; on vous a fait connaître le produit de la pêche de Blankenberghe et le nombre d'hommes qui y sont employés ; calculez ce qui revient à chacun du tiers de la pêche, vous verrez que cela ne dépasse pas un franc. Ajoutez qu'il y a pour les pêcheurs une dépense sur laquelle il leur est plus indispensable d'économiser que sur les aliments, c'est celle des vêtements de laine et de cuir, qui les aident à supporter les rigueurs de leur métier. Les vêtements dont les patrons font l'avance sont estimés à 70 francs par an, ce qui équivaut encore à une réduction de salaire de plus de 20 centimes par jour. C'est de ce qui reste que la famille doit vivre. Pourraient-ils chômer encore une grande partie de l'hiver comme autrefois ?

Messieurs, soyons pour les habitants de nos côtes plus humains qu’a l'étranger ; ce que les gouvernements de l'étranger leur ont refusé, que le gouvernement national le leur accorde. Faisons bénir la nationalité belge par nos contrées les plus pauvres comme les plus opulentes. Il existe à l'autre extrémité du pays, dans le Luxembourg, dans la Campine, des populations pauvres dont le sort a déjà beaucoup préoccupé la législature.

Il y a quelques années nous avons fait pour celles du Luxembourg un sacrifice que plus d'un d'entre nous a pu croire exagéré, dont il était difficile de préciser d'avance les limites, nous n'avons pas lieu de nous en repentir ; les craintes qu'on avait sur l'étendue possible du sacrifice sont déjà démenties par l'événement et nous aurons fait beaucoup de bien à peu de frais. Il s'agit aujourd'hui de bien moindres engagement. Nous ne nous repentirons pas non plus d'avoir voulu semer un peu de bonheur dans une autre classe d'habitants peu favorisés du sort. Des dépenses de cette nature ne portent pas malheur. Qui dans le pays songerait à nous le reprocher ? Ce sont là de ces lois qui font respecter et bénir le législateur.

- La discussion est close.

M. le président. - M. de Naeyer propose de voter le n°2° de l'article par division, ainsi qu'il suit :

« Pour la construction d'une écluse d'évacuation et le prolongement du canal de Blankenberghe : fr. 400,000 fr.

« Pour l’établissement d'un port de refuge à Blankenberghe : fr. 1,100,000 fr.

M. Devaux (sur la position de la question). - L'honorable M. de Naeyer devait proposer simplement : « Autant pour l’écluse » et ne proposer que cela. L’honorable membre suppose à tort que l’écluse ne coûtera qu’une telle somme, qu’on exécute ou qu’on n’exécute pas le port. Mais cela n’est pas.

M. de Naeyer. - J'ai le droit de demander la division, je me suis prononcé contre le port. Maintenant je me place dans l'hypothèse que le port soit rejeté, et alors je demande 400,000 francs que je considère comme une dépense utile et qui n'est contestée par personne.

- La première partie de la proposition de M. de Naeyer est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix la partie de la proposition de M. de Naeyer, afférente à la construction d'un port de refuge à Blankenberghe.

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

86 membres y prennent part.

53 répondent oui.

33 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte.

Ont répondu oui : MM. Allard, Ansiau, Braconier, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, de Moor, de Renesse, de Ridder, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, J. Lebeau, Lesoinne, Moreau, Mouton, Muller, Neyt, Orban, Orts, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Saeyman, Savait, Tack, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Renynghe, Van Volxem et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non : MM. Crombez, Dechentinnes, de Decker, de Gottal, De Lexhy, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Portemont, de Ruddere de te Lokeren, de Theux, B. Dumortier, M. Dumortier, d'Ursel, Frison, Goblet, Guillery, Janssens, Landeloos, Magherman, Mercier, Moncheur, Nélis, Nothomb, Pirmez, Snoy, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Dormael, Van Iseghem, Verwilghen, Vilain XIIII et Wasseige.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de la justice (M. Tesch) (pour une motion d’ordre). - La Chambre terminera probablement la discussion de ce projet de loi dans sa sénuce de lundi. Je demanderai qu'on porte à l'ordre du jour de mardi la discussion de quelques amendements proposés au premier livre du Code pénal et le second vote du second livre.

M. de Naeyer. - C'est impossible.

M. le président. - La proposition de M. le ministre de la justice tend à reprendre mardi, après le vote de la loi des travaux publics, la discussion des amendements proposés à quelques articles du livre 1 du Code pénal et le second vote du livre II.

(page 1543) M. de Naeyer. - Messieurs, je crois qu'il n'est pas possible de procéder mardi au second voie du Code pénal.

Nous avons été absorbés complètement par le projet qui nous occupe ti qui est extrêmement important. Il ne serait pas de la dignité de la Chambre de procéder au second vote du Code pénal sans que nous ayons eu le temps de l'examiner. Je désirerais pour ma part avoir le temps de l'étudier à loisir avant d'émettre un second vote, parce qu'il y a des articles qui ont été adoptés au premier vote et qui sont de nature à fixer une seconde fois l'attention de la Chambre.

Ce serait en quelque sorte enlever une partie de sa force morale au Code pénal que de procéder ainsi.

M. Dolez. - Voici, messieurs, ce qui a porté le gouvernement et la commission à désirer très vivement que la Chambre pût s'occuper du second vote du Code pénal, dans ce moment-ci. C'est que si la Chambre ne termine pas cet examen dans la session actuelle, il y aura une année de perdue dans l'application de cette grande réforme.

M. de Naeyer. - Je m'y oppose formellement.

M. Dolez. - Permettez, M. de Naeyer, si nous pouvions à la fin de la session actuelle renvoyer au Sénat notre projet de loi voté par la Chambre, le Sénat pourrait immédiatement composer sa commission, celle-ci pourrait charger son rapporteur de faire un examen préalable et le rapporteur pourrait profiter de l'intervalle, des deux sessions pour procéder à cet examen, et à la prochaine session il rendrait compte de cet examen.

Si vous prenez une autre voie, il est évident que la session prochaine sera absorbée au Sénat par les travaux préparatoires.

La Chambre décidera donc, en admettant ou en rejetant la proposition de M. le ministre de la justice, si elle entend ou non retarder d'une année l'application de la grande réforme de notre législation pénale.

M. de Theux. - Messieurs, le premier vote du Code pénal a eu lieu par parties et à de longs intervalles. Les rapports se succédaient de loin en loin. On était appelé à émettre un premier vote, je dois le dire à regret, sans une connaissance suffisante de la matière.

Si, maintenant le second vote se fait en quelque sorte par surprise à la fin d'une session, lorsqu'on est préoccupé de travaux publics et du traité de commerce et au moment de nous séparer, il est évident que c'est une œuvre imparfaite que nous allons renvoyer au Sénat. Il serait contre la dignité delà première branche du pouvoir législatif de procéder ainsi.

Je demande donc que toutes les dispositions votées du Code pénal soient imprimées, que cet ensemble soit mis sous nos yeux, que nous puissions l'examiner à loisir et voir si toutes les dispositions se coordonnent et qu'on y consacre alors, à la session prochaine, une série de séances suffisantes pour terminer ce travail.

M. le président soumet au vote par assis et levé la proposition de M. le ministre de la justice. Il constate que la Chambre n'est plus en nombre et que dès lors il ne peut y avoir de décision sur la question.

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur m'a fait parvenir une nouvelle demande de crédit. Cette pièce sera, d'après la décision déjà prise, imprimée et distribuée.

- La séance est levée à quatre heures et demie.