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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 28 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 683) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Thielrode prie la Chambre d'accorder à la compagnie Bauwens la concession d'un chemin de fer de Malines à Terneuzen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

« Des habitants de Landeghem présentent des observations relativement aux nouveaux bâtiments à établir à la station des chemins de fer dans cette commune. »

- Même renvoi.

« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi révisant le code pénal

Rapport de la commission

M. Moncheur. - J'ai l'honneur de déposer le rapport sur quelques articles réservés du Code pénal qui ont été envoyés à la commission.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.


M. Beeckman (pour une motion d’ordre). - Je désire interpeller, à la séance de demain, M. le ministre de la guerre sur les fortifications d'Anvers.

M. le président. - M. le ministre de la guerre sera informé de votre intention.

Proposition de loi relative à la monnaie d’or

Discussion générale

(page 723) M. Vander Donckt. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de prendre la parole dans cette discussion ; mais interpellé nominativement par l'honorable ministre des finances, je suis forcément amené à m'expliquer.

J'en demande pardon à la Chambre parce que je suis obligé de m'occuper de ma personne, ce que j'évite en toute circonstance, autant que possible.

Après avoir cité, dans la séance de samedi dernier, les paroles qu'en ma qualité de rapporteur de la commission des pétitions j'ai prononcées dans la séance du 26 février 1858, au sujet des pétitions sur la question de l'or, l'honorable ministre dit : Et cette motion fut adoptée par la Chambre à la majorité de 41 voix contre 27, et cette majorité commençait par l'honorable M. Verwilghen, et finissait à l'honorable M. Verhaegen. D'ordinaire si rigoureusement juste dans ses citations.

L'honorable ministre, pour être dans le vrai, aurait pu ajouter ; Et le rapporteur Vander Donckt a voté contre cette motion. Voilà la première rectification que je tenais à faire à la Chambre.

Maintenant je continue mes citations. L'honorable ministre me permettra de citer à mon tour ses propres paroles.

L'honorable ministre nous dit dans cette même séance :

Après avoir parlé du besoin de modifier la loi de 1852, il disait que le système de 1850 était devenu indispensable.

« Et il ajoute : En veut-on sortir aujourd'hui, y a-t-il utilité, nécessité quelconque d'en sortir ? Pas le moins du monde. A part les quelques pétitions qui arrivent des villes frontières, de certaines localités, de certains villages des Flandres, à part cela, il n'y a point de pétitions, il n'y en a point venant de centres industriels. »

C'est ce que nous examinerons tout à l'heure. Mais avant d'aller plus loin je vous citerai quelques paroles prononcées par l'honorable M. Matou en réponse à M. Prévinaire. Il dit : « L'honorable préopinant nous dit qu'il nous arrive beaucoup de pétitions très mal raisonnées.

« Lorsque je vois se produire un pétitionnement sur plusieurs points du pays, sans qu'il ait rien de politique, sans impulsion ni contrainte, la première question que je me pose est de savoir si les pétitionnaires n'éprouvent pas une gêne réelle, des griefs sérieux dont ils demandent le redressement.

« On ne peut pas se le dissimuler, car les faits subsistent ; malgré toutes les dénégations qu'on peut y opposer, il y a, pour une grande partie du pays, une véritable gêne dans la circulation. Voix nombreuses. Oui ! oui !

« Ce fait incontestable domine toutes les théories parce que c'est un fait.

« Si le courant qui entraîne constamment l'argent vers d'autres contrées persiste à se maintenir, je n'hésite pas à le dire, vous serez amenés, un jour, bientôt peut-être, à accepter la monnaie d'or française en Belgique. »

J'en appelle à vous tous, messieurs, sur le point de savoir s'il y a aujourd'hui des pétitions venant des grands centres industriels.

Mais c'est de ces centres industriels que nous sont venues les pétitions les plus nombreuses et les plus pressantes.

Je continue mes citations.

Dans la séance du 9 mars 1860, je disais : « Je dois, messieurs, appeler toute votre attention non seulement sur le nombre des pétitionnaires qui est très considérable, à Tournai, à Bruxelles, à Gand et dans beaucoup d'autres localités les plus importantes du pays, mais sur la qualité des pétitionnaires.

« Ce sont tous des chefs de maisons de commerce et d'industrie les plus importantes du pays. »

Dans la séance du 25 mars, je disais ;

« Le nombre des pétitions est devenu tellement considérable, qu'à l'heure qu'il est, il est beaucoup plus facile de compter les communes qui n'ont pas pétitionné que de compter celles qui ont adressé des pétitions à la Chambre. »

Je vous laisse à juger si des circonstances de cette nature ne sont pas propres à faire modifier l'opinion que l'honorable ministre continue à soutenir avec tant d'insistance et tant de talent.

Dans la séance du 7 décembre, je faisais rapport sur la pétition émanant des industriels et des commerçants de la ville de Bruxelles, au nombre de 1.200, et qui a été examinée par plusieurs honorables députés de Bruxelles.

Dans cette pétition encore, on insistait pour obtenir une modification à la loi qui nous régit.

Vous comprenez qu'aujourd'hui, l'honorable ministre ne peut plus, en bonne logique, avec un peu de bonne foi, contester que la situation est complètement modifiée, que la situation n'est plus ce qu'elle était en 1858.

Alors que toutes les notabilités du commerce et de l'industrie, les chefs des premières maisons du commerce et de l'industrie de la capitale, ces hommes honorables consommés dans les affaires, vous signalent les embarras, les nombreuses difficultés, la gêne et les pertes sans cesse renouvelées que l'état actuel de la législation leur cause, pouvez-vous méconnaître cette situation précaire, pouvez-vous nier plus longtemps que ces griefs soient réels et sérieux ?

En présence de cette triste et grave situation, en présence de ces faits incontestés et incontestables, je dis à l'honorable ministre : Oui, j'ai été des vôtres aussi longtemps que j'ai cru que les plaintes n'étaient pas fondées, aussi longtemps que j'ai cru que les griefs et les doléances dont l'honorable M. Dumortier se faisait l'écho dans cette enceinte étaient exagérées et prématurées ; oui, j'étais des vôtres parce que je crois qu'il ne faut toucher à nos lois organiques qu'avec la plus grande réserve, parce que mes principes sont avant tout conservateurs ; oui, j'étais des vôtres, oui, j'ai défendu la loi de 1850 aussi longtemps que je l'ai crue efficace pour maintenir la monnaie d'argent en circulation en quantité suffisante et empêcher les flots d'or français d'inonder la Belgique ; mais alors que j'ai vu que cette loi était impuissante à empêcher le courant qui entraîne constamment l'argent vers d'autres contrées, alors que j'ai vu la situation s'aggraver de jour en jour et l'argent disparaître pour faire place à l'or qui de fait le remplaçait sur une grande échelle, alors je me suis séparé de vous ; quand j'ai vu l'honorable ministre des finances s'embourber dans une fausse voie, je m'en suis séparé ; j'ai combattu ses théories et ses doctrines de 1859 comme je l'ai prouvé tout à l'heure en citant mes rapports ; j'ai combattu ses statistiques auxquelles les faits patents qui se passent journellement sous nos yeux donnent un démenti formel. Dois-je lui rappeler la discussion sur les péages du canal de Charleroi, où ses statistiques au rapport des bateliers se sont encore trouvées en défaut.

Et dans un travail remarquable au sujet de notre système monétaire, l'honorable M. Malou nous dit : Cette situation monétaire est si originale que sans doute le pays en rirait s'il n'avait pas tant à en souffrir.

Or, la divergence d'opinion entre mon honorable ami, M. B, Dumortier et moi provenait de ce que nous ne sentions pas dans nos Flandres les inconvénients qu'il a sentis plus tôt que nous sur les frontières. C'est en effet, sur les frontières que le mal a commencé, et lorsque j'ai vu qu'il était impossible de continuer sur le même pied à payer les contributions, alors que vous ne pouviez plus présenter une pièce d'or sans perte en échange de la monnaie d'argent, alors j'ai dit que le moment était venu de modifier la loi monétaire. Dans cette situation, je ne me suis pas trouvé seul de mon avis ; la commission des pétitions que l'honorable ministre a complaisamment citée, a partagé à l'unanimité ma manière de voir.

La section centrale aujourd'hui déclare à l'unanimité qu'il y a nécessité, qu'il y a urgence d'apporter des modifications à la loi de 1850, je cite ce passage textuellement.

Je me trouve encore en parfaite harmonie avec M. Malou et avec l'honorable comte de Meeus et certes M. le ministre ne contestera pas l'autorité de ces hommes de finance. Dans une lettre en réponse à M. le baron Cogels, voici comme ce dernier s'exprime : Le cours légal de l'or français est donc devenu pour moi une nécessité en l'absence d'une monnaie nationale que je désire pour le bien de mon pays. L'honorable ministre n'a pas eu la main heureuse dans le choix de ses citations qu'il n'a faites que pour le besoin de sa cause et toute ma conduite dans cette affaire prouve la sincérité de mes opinions ; elle prouve que je n'étais guidé ni par l'esprit de parti, ni par aucun sentiment d'hostilité envers l'honorable ministre, mais par le seul sentiment du bien-être de mon pays, et je déclare hautement que je crois que l'honorable ministre agit de bonne foi ; que ses intentions sont pures et désintéressées, et je blâme ce journal qui les incrimine, je flétris comme elles le méritent ces insinuations malveillantes et calomnieuses dont nous tous nous sommes fréquemment les victimes. Mais j'ajoute tout de suite que je regrette que tant d'éloquence et de talent soient employés à défendre une mauvaise cause.

Messieurs, dans toutes les circonstances où des questions graves, des questions fortement controversées se trouvent portées devant la Chambre, vous voyez une série de pétitions pour et des pétitions contre ; dans la situation actuelle, pas une seule voix ne s'élève pour demander le maintien de la loi de 1850. Tous les pétitionnaires demandent une (page 724) modification dans un sens ou dans un autre, sous ce rapport il y a unanimité dans le pays.

Messieurs, non seulement je suis aujourd'hui d'accord avec la section centrale, mais je suis encore d'accord avec les sommités de la finance.

L'honorable comte Meeus, dont M. le ministre des finances a également invoqué l'autorité, est aujourd'hui d'opinion que la nécessité de modifier la loi est devenue indispensable.

Il dit : J'aimerais mieux de conserver l'étalon d'argent, mais le temps a fait son œuvre, et l'argent, pour plus d'une raison, n'est plus destiné qu'à servir de vaisselle ou en monnaie divisionnaire. Je considère le maintien de la loi de 1850 comme impossible.

La lettre de M. Meeus a été publiée dans les journaux ; tous, vous avez pu en prendre connaissance.

L'honorable M. Malou était encore du même avis. A cette époque, en 1858, il nous disait : « Je ne me hâte pas de conclure. Non, je ne veux pas dire qu'il faut immédiatement, hic et nunc, adopter une modification à la loi monétaire. Mais si ce courant continue à exister, vous serez fatalement amenés à la modifier sous peu de temps. »

Voilà donc encore des autorités avec lesquelles nous sommes d'accord.

On a dit : « Il faut éclairer les populations, il faut éclairer l'opinion publique qui est égarée. Messieurs, éclairer l'opinion publique, c'est une véritable tactique pour éconduire les pétitionnaires. Cela n'est pas sincère. A ce propos, je dirai à mes honorables collègues de Boe, Jamar et Pirmez : Vous voulez endoctriner les hommes les plus éminents de l'industrie et du commerce, vous voulez les éclairer sur leurs véritables intérêts, mais ne craignez-vous pas qu'ils ne vous répondent immédiatement : « Sur ce chapitre-là, nous en savons plus que vous. »

Ne craignez-vous pas qu'on ne vous renvoie à la Chambre étudier les lois et faire en sorte que nous ne regrettions pas ces législateurs célèbres qui ont doté leur pays des lois les plus sages, et qui font encore aujourd'hui l'admiration de tous les pays civilisés ?

Messieurs, je le leur demande, quel intérêt ces honorables membres peuvent-ils avoir à venir déclarer du haut de la tribune qu'ils représentent dans cette enceinte des hommes ignorant leurs véritables intérêts des ignorants, des imbéciles. Evidemment ces honorables collègues sont eux-mêmes dans l’erreur.

Il y a une telle unanimité dans l'industrie et dans le commerce qu'on ne peut résister davantage aux réclamations d» ces hommes vieillis sous le harnais qui ont le droit de vous dire :

« Nous aussi nous sommes de l'étoffe dont on fait des représentants ; et un jour, bientôt peut-être, viendrons nous occuper vos sièges par la volonté des électeurs. »

Je demanderai encore à l’honorable M. Pirmez, ce grand apologiste des théories ; je lui demanderai s'il reconnaît avec moi qu'il y a des théories creuses, absurdes, insoutenables ; eh bien, à mon avis, les théories qui sont défendues très adroitement sur la question monétaire dans le parlement belge sont de cette catégorie.

Messieurs, un mot encore au sujet de la presse.

Avez-vous jamais vu dans aucune question controversée autant d'unanimité dans les organes de la presse que dans la situation actuelle ?

A part quelques journaux serviles... tous sont unanimes à soutenir les demandes des pétitionnaires.

- Une voix. - C'est cela.

M. Vander Donckt. - En général tous les organes de la presse, de cette presse dont on a parlé beaucoup trop peu dans cette enceinte, ont été favorables aux pétitionnaires.

En d'autres occasions c'était le quatrième pouvoir de l'Etat ; c'était l'expression de l'opinion publique ; il fallait à tout prix s'incliner et se soumettre.

Aujourd'hui on n'en fait pas mention., On se tait sur cette autorité parce qu'on est condamné partout ce qu'il y a de plus sérieux et de plus compétent en fait d'organes de la presse.

Eh bien, messieurs, je crois que le temps est venu et que c'est vainement que l'honorable ministre opposera une résistance désespérée à la mesure qui est réclamée.

Il est impossible de persister davantage, et maintenant encore, quand on voit l'association libérale de Gand, ce Manchester de la Belgique, qui, son lord maire en tête, vient trouver l'honorable vice-président de cette Chambre pour déooser entre ses mains une protestation des plus énergiques et insister pour obtenir l'objet de ses vœux, je vous le demande, peut-on soutenir qu'on ait voulu mêler une idée politique aux pétitions ? Autant vaudrait accuser l'association libérale de Gand de catholicisme. C'est absurde !

Il y a donc unanimité dans toutes les opinions, et s'il y a une chose vraie, c'est celle-ci : c'est que parmi les pétitionnaires le nombre des libéraux est infiniment plus grand que celui des catholiques.

Et pourquoi ?

Parce que, en général, il est reconnu que dans toutes les questions, alors surtout que de grands intérêts sont en jeu, les libéraux sont beaucoup plus remuants que les catholiques.

Un dernier mot, messieurs, sur l'amendement de notre honorable collègue M. Pirmez- et Cie. Ils demandent que la loi ordonne de fixer tous les six mois le cours de l'or.

C'est là ce que j'appelle une demi-mesure, qui est cent fois pire que l'état actuel.

Je préférerais, s'il fallait opter et si je n'avais pas d'autres chances d'obtenir satisfaction, de voter pour le statu quo que d'adopter l'amendement de mon honorable collègue.

Messieurs, c'est comme si l'on avait prévu cet amendement, et permettez-moi, à ce propos, de donner lecture du passage fait exprès pour ainsi dire à ce sujet.

L'honorable M. Malou nous dit :

Quand l'agent qui sert à solder les innombrables transactions qui se font, ne possède pas ce triple caractère d'être la mesure commune, d'être obligatoire et indiscutable, il y a fatalement une lutte de tous les instants et une somme énorme de duperies et de pertes qui se renouvellent sans cesse parce qu'il n'y a pas de véritable monnaie. Supposons par exemple qu'il y ait en Belgique en ce moment deux cent millions d'or français et qu'en moyenne chaque pièce de 20 francs change seulement de mains vingt fois par an, donnée ou reçue tantôt au pair, tantôt avec une différence de 8 à 10 centimes ; qu'il y ait pour les uns un bénéfice, pour les autres une perte moyenne de 5 centimes par pièce et par transaction ; il en résulterait que le capital flottant, l'enjeu en quelque sorte entre tous ceux qui luttent pour gagner ou pour faire perdre est annuellement de dix millions de francs.

Dans ces luttes incessantes, la victime n'est ni le riche, ni le créancier, c'est le pauvre et le faible ; c'est, en général, le débiteur ; les fermiers ou les ouvriers ne dictent pas la loi à leurs propriétaires ou à leurs patrons pour forcer ceux-ci à prendre au pair, ou selon le cours officiel, les pièces d'or qu'ils peuvent refuser. Aussi lorsqu'on pénètre, dans le vie réelle en jetant le bagage scientifique de la valeur comparée du milligramme d'or et du milligramme d'argent, demeure-t-on profondément convaincu que depuis longtemps la situation actuelle serait devenue tout à fait intolérable, si le sens moral, la loyauté et l'honnêteté innés dans nos populations n'en avaient atténué dans la pratique les funestes effets.

L'honorable ministre conteste les pertes continuelles et sans cesse renouvelées par la circulation de l'or à l'état actuel ; il n'admet pas que les classes inférieures en sont la première victime ; d'après lui les inconvénients sont petits et les pertes minimes ; c'est faire, dit-il, beaucoup d'agitation et de bruit pour la perte insignifiante de 4 centimes par 20 francs.

Je lui rétorque l'argument, et je dis : C'est faire beaucoup de résistance et d'opiniâtreté pour une légère augmentation de 4 centimes par 20 francs qui procurerait une monnaie fixe et courante que le pays réclame et qui ne donnerait pas lieu à cette lutte de tous les instants et à l'agiotage si odieux.

Et maintenant, messieurs, une dernière réflexion.

J'entends défendre, dans cette enceinte, avec un acharnement inouï les intérêts du créancier. Mais j'ai toujours dès ma plus tendre jeunesse entendu dire que la loi devait protéger le faible contre le fort, le pauvre contre le riche. Or, nous assistons ici à ce spectacle étrange : nous voyons prendre la défense des créanciers contre le débiteur. N'est-ce pas intervertir complètement les rôles et les idées de justice reçues de tout temps ?

Pour moi, messieurs, c'est une manière de faire que je ne puis pas admettre. Je crois, et par le passage que je viens de citer, j'ai prouvé que c'est le faible, que c'est le pauvre, qui est la première victime du système actuel et qu'il le serait plus encore dans le système de l'honorable M. Pirmez. Cette mesure ne contenterait personne.

Je voterai donc contre son amendement et en faveur de la proposition de loi de l'honorable M. Dumortier.

(page 683) M. Royer de Behr. - Un orateur, exagérant ma pensée, m'a reproché d'exposer dans cette Chambre les théories les plus dangereuses, des théories conduisant à la négation même des principes sur lesquels reposent nos institutions. Cet honorable membre s'est écrié avec indignation : « Notre devoir est de nous éclairer et d'éclairer surtout l'opinion publique par une discussion sérieuse, approfondie, sur la valeur des mesures que l'opinion publique croit efficaces et que nous devons refuser si nous les croyons dangereuses. »

Si, messieurs, j'avais soutenu la théorie du mandat impératif ou ce système de pression antipathique, inconciliable avec toute dignité dans les assemblées délibérantes ; système dont la France nous a donné de si tristes exemples à ses époques révolutionnaires ; si, dis-je, j'avais exposé de pareilles idées, oh ! je comprendrais la susceptibilité de l'honorable M. Jamar. Mais je n'ai rien fait de semblable ; j'ai plutôt indiqué que développé une thèse très constitutionnelle : Faut-il, oui ou non, compter avec l'opinion publique, avec cette presse qu'un illustre pamphlétaire, comme vient de le dire l'honorable M. Vander Donckt déclarait être un quatrième pouvoir dans l'Etat.

Je vois la nation exprimer ses opinions sons une forme très constitutionnelle, et avec une persistance désespérante pour les partisans de la loi de 1850. Du haut de cette tribune, où règne la liberté de la parole, j'ai le droit de croire et de dire, jusqu'à preuve du contraire, que vous n'êtes pas, en ce moment, avec la nation. J'ai surtout le droit de le dire alors qu'il s'agit d'une question d'une si haute importance et qui, comme l'a dit M. le ministre des finances, si elle était résolue dans le sens du projet de loi, serait de nature à flétrir le Parlement belge dans l'histoire.

Pour juger cet incident j'invoquerai, en faveur de ma manière de voir, l'opinion d'un des plus savants commentateurs de notre droit constitutionnel, et je dirai d'abord que le droit conféré au Roi de dissoudre les Chambres est un hommage à la puissance de l'opinion publique.

« Sans le droit, dit M. Thonissen, réservé au Souverain de dissoudre les Chambres, le chef de l'Etat se trouverait forcé d'agir (en certaines circonstances) dans un sens contraire à l'opinion publique. La dissolution, dit-il encore, est une reconnaissance formelle de la souveraineté nationale. La dissolution est un appel à l'opinion du pays. » Vous voyez donc, messieurs, que l'opinion du pays peut légalement se tromper.

Savez-vous ce que disait M. Rossi dans son rapport du 22 mai 1840 ? Il s'agissait d'une grande question financière, de la loi du 8 juillet 1840 portant prorogation du privilège de la Banque de France. Voici les paroles de l'éminent rapporteur :

« Nous sommes en présence de deux faits irrécusables auxquels nul n'a le pouvoir ni le droit de résister : 1° le système français, c'est la circulation métallique ; 2° quoi qu'il en soit en théorie du système contraire, l'opinion générale du pays lui est décidément opposée. Essayer de supprimer aujourd'hui la circulation métallique, ce serait en quelque sorte tenter une révolution. »

Si la théorie des monnaies n'était pas conforme à mes conclusions en faveur de l'étalon d'or, je pourrais appliquer au débat actuelles paroles de M, Rossi :

Mais telle n'est pas heureusement la situation, et l'emploi de l'or comme étalon monétaire ne constitue aucune infraction à la théorie des monnaies l'opinion nationale, en théorie comme en pratique, est l'opinion rationnelle.

De même que MM. Pirmez, Jamar, de Boe et l'honorable ministre des finances, je suis partisan d'un seul étalon, mais je donne la préférence à l'étalon d'or : pourquoi ? Parce que l'étalon d'argent est devenu impossible. L'honorable M. Pirmez, avec un talent auquel je rends ici un hommage mérité, s'est chargé de justifier ma manière de voir. La monnaie plus faible, dit-il, chasse la monnaie dont le prix est plus élevé ; la monnaie d'or ayant diminué de prix doit donc chasser la monnaie d'argent.

L'or continue à baisser, l'or français s'obstine à envahir notre circulation quoiqu'il n'ait pas cours légal et chasse notre monnaie d'argent ; c'est ce que je démontrerai plus tard.

Dans cette situation je choisis entre les deux métaux qui servent de monnaie ; je choisis, je me trompe, cette faculté ne m'est pas même laissée ; j'accepte l'or.

Si vous voulez un seul étalon, me dit-on, vous ne pouvez pas adopter la proposition de M. Dumortier, qui demande le double étalon.

Si je ne connaissais pas toute la bonne foi de l'honorable membre, je pourrais dire qu'il joue sur les mots.

Nous sommes d'accord sur ce point : il affirme que si nous adoptons l'étalon d'or, bientôt nous n'aurons plus une seule pièce de cinq francs en Belgique, il ne nous restera plus que de la monnaie d'or.

Le fait se substituera au droit, et j'ai raison de dire qu'il ne restera plus qu'un seul étalon. Le mieux sera de régulariser cette situation anormale et d'adopter le système anglais avec une monnaie divisionnaire aux 9/10 ou 9/10 1/2 et de limiter la somme qu'on sera tenue de recevoir à 20 fr., au lieu de 50, comme en Angleterre.

Votre théorie, la voici résumée en quelques mots par un économiste que M. le ministre des finances n'a pas désavoué dans la question des octrois. Toute monnaie est marchandise et toute marchandise est monnaie. L'or et l'argent sont des marchandises ; comme telles on peut leur conférer la qualité de monnaie, et si je préfère l'or, c'est que l'argent est devenu une véritable chimère.

Tel n'est pas l'avis de M. le ministre, nous examinerons tantôt la question.

Dans la plupart des discours prononcés par nos adversaires, je n'ai entendu parler d'intérêts froissés qu'en ce qui concerne les rentiers et les créanciers.

Cependant les débiteurs ont aussi voix au chapitre. Voyons donc quelle sera la position des débiteurs par suite du maintien de la loi de 1850. L'argent augmente de valeur, qu'en résultera-t-il ? Il en résultera que celui qui emprunte aujourd'hui une somme d'argent, verra sa dette s'accroître chaque jour, et qu'en fin de compte, le débiteur restituera bien au créancier le même nombre d'unités, mais il restituera des unités d'une plus grande valeur, c'est-à dire des francs d'argent pouvant acheter plus de choses qu'à la date où la dette a été contractée.

(page 684) Il suit de là, qu'en voulant sauvegarder les intérêts des créanciers, vous sacrifiez impitoyablement ceux des débiteurs. M. Pirmez se fait le champion des créanciers au point de vue du droit, et comme jurisconsulte il devrait soutenir plutôt la cause des débiteurs.

Voyons comment l'intérêt des créanciers est sauvegardé. Je laisse la parole à M. Pirmez. J'ouvre son rapport page 21 ; voici ce que je lis :

« Les monnaies françaises sont en très grande majorité dans la circulation ; parmi les pièces de deux francs on en trouve environ 89 0/0 ; parmi les pièces de 1 franc 85 0/0 ; parmi les pièces de 1/2 franc 79 0/0. Encore faut-il tenir compte de ce fait que les espèces usées, qui ne portaient plus d'empreinte, n'ont pu être comptées et n'appartiennent pas toutes à la France.

Où est donc, s'il vous plaît, votre monnaie d'argent, votre monnaie nationale ? Elle n'existe plus ; elle est à dose homéopathique, à dose infinitésimale dans la circulation.

Et cependant, ajoute le rapporteur, l'état du numéraire d'origine étrangère est notablement plus défectueux ; la perte du poids est presque double sur ce numéraire que sur celui frappé à Bruxelles.

Ne parlez donc plus du numéraire frappé à Bruxelles, c'est un mythe.

« La diminution du poids sur les pièces françaises est énorme ; elle atteint en nombre rond 2 1/2 p. c. sur les pièces de 2 fr.,7 p. c. sur les pièces de 1 fr. et plus de 10 p. sur les pièces d'un demi-franc.

« On voit qu'il y a dans cet état de choses une situation très grave. Il n'est pas tolérable qu'un créancier doive recevoir les 9/10 de sa créance en pièces diminuées de 7 p. c. et le 1/10 restant en espèces ayant perdu plus de 10 p. c. de leur poids. »

Je pense que l'obligation de recevoir de la monnaie divisionnaire est limitée, mais cela n'atténue nullement la position des petits créanciers.

Les pièces de 5 fr. ne sont guère dans un meilleur état. Voici le tableau que le rapport nous offre de cette monnaie. Par 1,000 fr. les pièces de 5 fr. de Louis-Philippe ont perdu 3 fr. 40 c.

Diverses pièces françaises, triées, 3 fr. 50 c.

Pièces belges diverses, triées, 90 c.

Notez que ce pesage a été opéré en 1856, de sorte que les pièces ont encore éprouvé l'usure de quatre années.

Je conviens que la pièce de 20 fr. en or est parfaitement droite de poids.

Eh bien, nous n'avons, comme le disait M. le ministre des finances, qu'à faire une simple opération d'arithmétique. Une somme de 1,000 fr. en or perd, on l'a dit assez dans cette assemblée, 2 fr., et les pièces de 5 fr. françaises perdent 3 fr. 40, 3 fr. 50, et les .pièces belges, 90 centimes.

Jugez maintenant de l'importance de l'écart entre les deux métaux, et cette importance est généralement favorable à l'or.

La tarification ! je tiens à mettre au jour ce système que je pourrais appeler un système bâtard. M. Pirmez m'a dit que je paraissais être l'adversaire déguisé de M. Dumortier, mais je pourrais lui répondre qu'il est le complice déguisé du ministre des finances. Car la tarification, c'est le maintien par et simple de l'état de choses actuel, empiré peut-être.

Vous demandez que l'or soit tarifé tous les six mois ou plus souvent, si cela est nécessaire. Mais cela se fait. Le Moniteur donne la cote de l'or chaque jour et il s'agit simplement de transférer cette cote de l'or de la quatrième page du journal officiel à la première page.

Je me trompe. Il s'agit de recevoir l'or dans les caisses de l'Etat. Je n'irai pas chercher bien loin des arguments pour réfuter cette doctrine. Je la vois combattue par la commission monétaire elle-même. Je sais que l'honorable rapporteur ne partage pas l'opinion de la commission ; du moins il nous l'a déclaré hier. Mais les raisons données par la commission monétaire ne sont pas moins bonnes, et je tiens à vous les rappeler.

« L'admission d'une monnaie d'or dans les caisses de l'Etat à un taux variable offre des difficultés pratiques très grandes ; chaque jour le cours réel se modifie, en sorte que la fixation mensuelle n'est infailliblement, pour chaque moment donné, qu'une approximation défectueuse. La tarification est-elle plus élevée que le cours, les caisses publiques ne recevront que de l'or ; est-elle plus basse, elles ne recevront que de l'argent. D'un autre côté, les préposés aux recettes de l'Etat se trouveront entraînés à spéculer sur leur encaisse, sans qu'un contrôle paraisse pouvoir les arrêter. Si, au moment de verser leurs fonds, l'or a haussé, ils le retireront pour le remplacer par de l'argent ; s'il a baissé, ils le substitueront à l'argent. L'Etat se place donc dans une position toute passive, dans laquelle les moindres variations de cours seront exploitées contre lui.

« Ces mesures tendraient, d'un autre côté, à fixer une somme considérable d'or dans le pays ; admettant même qu'elles n'augmentant pas l'envahissement de notre circulation, par la concession d'un avantage aux pièces françaises, elles retiendront forcément celles qui y ont pénétré. Or, c'est là un mal, puisque si l'or continue à baisser, nous aurons à subir toute la dépréciation de ce numéraire. Il vaut bien mieux, en rendant l'emploi de l'argent indispensable, le forcer à revenir et rétablir aussitôt que possible notre circulation-argent au point où elle était il y a quelques années.

« C'est donc en maintenant dans son intégrité notre système, qu'il faut chercher à le faire prévaloir. »

Il eût été mieux, messieurs, au lieu de proposer la tarification, de proposer les moyens d'épurer notre système monétaire, et d'indiquer un mode efficace de rétablir une circulation en argent. Nous n'eussions pas ainsi continué à payer les créanciers avec des pièces d'argent rognées et usées sur toutes les coutures. Mais les systèmes qui se sont produits pour ramener la monnaie d'argent dans notre pays sont presque tous impraticables, attendu qu'ils conduisent infailliblement à la refonte des monnaies et qui plus est, à la refonte des monnaies françaises, ce qui est tout à fait inadmissible.

M. le ministre des finances, dans le remarquable discours qu'il a prononcé, a pris avec énergie la défense des créanciers et soutient que l'argent ne manque pas.

L'abondance des métaux précieux peut occasionner de grandes perturbations dans des intérêts respectables, mais il n'y a au monde aucune puissance humaine capable d'empêcher ces perturbations. Et remarquez que la rareté des métaux précieux donne lieu également à des perturbations, des désastres dans des intérêts non moins respectables.

Vous craignez les effets de l'abondance de l'or et vous voulez vous lancer à corps perdu vers la pénurie de l'argent. Permettez-moi de vous le dire, c'est, pour éviter un écueil, vouloir échouer sur un banc de sable. L'or abonde, la dépréciation existe. Il y va, dit M. le ministre des finances, de l'honneur national. Vous ne pouvez payer les créanciers de l'Etat avec une monnaie dépréciée, avec une monnaie que Philippe le Bel lui-même ne désavouerait pas.

Mais, messieurs, à quoi pensez-vous ? Que faites-vous ? Ne voyez-vous pas qu'en élevant très haut les intérêts des créanciers vous abaissez bien bas les intérêts des débiteurs ?

Et ne voyez-vous pas que vous laissez aux créanciers le droit de prélever en quelque sorte une dîme à titre gratuit sur le trésor public ? Votre système, c'est une lame à deux tranchants.

Je le répète, je donne la préférence à l'étalon d'or. C'est la seule solution possible de ]a question qui nous occupe, et je voudrais qu'il fût inscrit en tête de nos lois monétaires que l'or servira désormais à mesurer les valeurs.

Que disiez-vous en 1850 ? Veniez-vous, dans cette Chambre, protester au nom des débiteurs ? Cependant ceux qui avaient contracté sous l'empire de la loi de 1847, pouvaient payer à leur choix en or ou en argent ; et vous les avez obligés à se libérer en argent.

Nous avons encore dans le moment actuel des contrats qui datent de 1847, 1848, 1849, 1850, et ceux qui les ont consentis sont obligés à se libérer en une monnaie d'argent ayant plus de valeur que la monnaie d'or avec laquelle ils pouvaient se libérer sous l'empire de la loi de 1847.

L'argent ne manque pas ? s'écrie M. le ministre des finances. La preuve, s ii vous plaît ? Que les contributions sont payées exactement. Demandez donc aux receveurs de contributions ce que disent les contribuables. Ils se plaignent ; ils se plaignent tous et si vous consultez les contribuables, ils vous diront, ce qu'affirmait hier mon honorable ami M. Dumortier : Si nous ne payons pas, nous devrons subir l'expropriation.

L'argent ne manque pas, Dans ce pays encombré d'or, la Banque Nationale, en six semaines, n'a su réunir que 4,500,000 fr. Mais on ne demandait pas l'or au pair. Les négociants, les détenteurs d'or vous diront tous qu'ils échangent entre eux les pièces de 20 fr., à 20 fr. L'Etat, les changeurs, les banquiers, ne reçoivent pas les pièces de 20 fr. à 20 fr., et si les négociants ne peuvent payer ils s'exposent avoir protester leurs effets.

Je ne blâme pas, messieurs, je vous prie de le croire, je ne blâme ni les changeurs ni les banquiers : l'or est une marchandise, dont on discute librement le prix ; mais j'ai bien le droit de demander qu'on choisisse un autre étalon. Nous ne pouvons être rivés éternellement à (page 685) l’étalon d'argent, alors que l'argent n'existe plus. L'étalon d’argent est aussi impossible que ce franc idéal dont parlait M. Dumortier.

On ne se présente pas, dit M. le ministre des finances, dans les bureaux de la Banque Nationale, afin d'échanger les billets contre des pièces de cinq francs. Je le conçois : les billets de banque sont disséminés dans un très grand nombre de mains et les bénéfices qui résulteraient d'une pareille opération sont réellement trop faibles pour séduire les porteurs de billets de banque. Le transport de l'argent coûterait trop pour rendre l'opération fructueuse s'il s'agissait de la réaliser sur des sommes importantes. Qu'il survienne une crise, que la guerre vienne malheureusement à éclater, et vous verrez si l'on ne se présentera pas dans les bureaux de la Banque Nationale pour échanger les billets.

M. le ministre dit : « Vous pouvez vous présenter dans les bureaux de la Banque Nationale, elle est prête à rembourser les billets dans son établissement principal et dans ses 26 comptoirs. » (Interruption.) J'ai compris que M. le ministre des finances disait que la Banque Nationale, contrairement à son règlement, rembourse ses billets dans ses comptoirs comme à son siège principal.

La circulation des billets de banque étant de 110 à 120 millions, je dis que dans le cas d'une crise la Banque Nationale serait dans l'impossibilité de rembourser tout à bureau ouvert.

Elle ne le pourrait pas, l'utilité de cet établissement financier disparaîtrait complètement si cela était possible. Au 31 décembre 1860, l'encaisse métallique pur de la Banque Nationale était de 63,023,534 francs. Sur cette somme on comptait 37,157,509 fr. en pièces de cinq francs ; les lingots et matières d'argent atteignaient 14,899,184 ; les lingots d'or y figuraient pour 1,386,549 ; il y avait pour 34,884 d'or français ; le restant de l'encaisse métallique se composait de bons d'affinage, de monnaies divisionnaires et de monnaies de cuivre.

Je pense, messieurs, que la Banque Nationale ne peut et ne doit pas avoir en caisse des espèces métalliques en quantité suffisante pour rembourser les billets en circulation ; je le pense, parce que l'utilité de la Banque comme établissement de crédit et de finances, disparaîtrait complètement. (Interruption.) Rembourserait-elle en lingots ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle rembourserait en pièces de cinq francs.

M. Royer de Behr. - Je le répète, qu'une guerre européenne éclate, en deux fois vingt-quatre heures on se présentera à tous les comptoirs pour obtenir le remboursement des billets de banque. En temps de crise la monnaie, et même cette monnaie qui vous déclarez avilie, serait beaucoup plus recherchée que les billets de banque.

Je partage l'opinion de M. le ministre des finances que la circulation métallique est onéreuse pour un pays, mais la conséquence extrême de cette doctrine serait le papier-monnaie. (Interruption.) La monnaie de papier présente des avantages et d'immenses inconvénients. Les inconvénients de la monnaie de papier, c'est qu'elle est extrêmement économique, extrêmement facile à multiplier et qu'on en émet presque toujours au-delà des besoins réels.

Cela est d'autant plus facile que dans l'état actuel de la science économique il est impossible d'apprécier exactement la quantité de monnaie presque toujours nécessaire à la circulation.

Il arrive donc que l'on émet une trop grande quantité de papier-monnaie, ce qui ne prouve nullement contre la théorie absolue du papier-monnaie, et on aboutit à un résultat comme celui des assignats ; la livre de beurre monte à 400 francs et de la banqueroute l'on finit par tomber dans les mandats territoriaux du Directoire.

Je reviens, messieurs, à cette allégation que l'argent ne manque pas. L'argent ne manque pas ; dire le contraire est un mensonge ! Il ne reste à cette assertion qu'à subir une dernière épreuve. Je prie la Chambre de m'accorder encore quelques instants d'attention. Je pourrais, messieurs, à propos d'une question sociale de la plus haute importance, je pourrais vous dire : Consultez la nation.

Je ne vous le demande pas, mais consultez au moins les représentants de la nation assemblés dans cette enceinte. Il ne s'agit pas d'une question politique. La section centrale a été unanime, y compris l'honorable M. Pirmez, pour déclarer l'urgence de modifier notre législation monétaire. M. le ministre des finances, lui seul, trouve que tout est bien ou au moins trouve que tout est bien eu égard aux dangers de la mesure proposée. Posez donc à la Chambre la question de principe préalable : « Y a-t-il lieu de changer la législation monétaire ? Votons par appel nominal.

Ceux qui diront « oui » constateront que l'argent manque dans les arrondissements, ceux qui diront « non » constateront que l’argent ne manque pas. C'est une enquête, et si le vote vous condamne vous êtes ministre des finances et le devoir vous incombe d’apporter un remède à la situation. Nous attendrons volontiers vos propositions.

Je termine en faisant la proposition que je viens d'indiquer. Les débats actuels menacent de s'éterniser. Un assez grand nombre d'orateurs sont encore inscrits. Voyons s'il y a lieu de continuer la discussion. Mettons aux voix la question que je viens de poser : « Y a-t-il lieu de modifier la législation monétaire ? » C'est la conclusion de la section centrale.

On aurait dû peut-être commencer par là, c'est ce qu'on a fait dans la section centrale. Je vais déposer cette proposition sur le bureau et je demande que l'on vote séance tenante afin de ne pas perdre davantage nos instants.

M. le président. - Voici la proposition de M. Royer de Behr :

« Y a-t-il lieu de modifier la loi monétaire ? »

M. Royer de Behr propose de soumettre immédiatement cette question au vote de la Chambre.

- La proposition est appuyés

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne puis pas m'opposer à ce que des propositions, de quelque nature qu'elles soient, soient déposées sur le bureau ; mais la proposition de l'honorable M. Royer de Behr ne peut pas suspendre la discussion ; la discussion doit continuer, précisément pour savoir ce qu'il y a lieu de faire.

J'avertis, au surplus.la Chambre que cette question de principe, ainsi posée, ne me paraît pas en harmonie avec le règlement de la Chambre ; je la combattrai au moment où elle sera mise aux voix ; elle implique une équivoque, car tous les membres de la Chambre pourraient voter cette proposition-là, sans qu'il en résultât le moins du monde qu'on fût d'accord sur une chose quelconque à faire.

Nous en avons une preuve dans ce qui s'est passé au sein de la section centrale.

Ainsi, je pourrais moi-même voter cette proposition, car je pourrais soutenir qu'il y a lieu de modifier l'état de choses actuel, en refondant la monnaie d'argent, pour la mettre en rapport exact avec l'étalon monétaire ; je pourrais soutenir que c'est là un remède à la situation.

Je pourrais donc voter la proposition dans ces termes. D'autres membres la voteraient, voulant l'étalon d'or ; d'autres la voteraient, voulant le cours légal et l'or français ; d'autres la voteraient, voulant la tarification de l'or. Qu'est-ce que la Chambre déciderait par là ? Absolument rien.

La proposition, dès lors, ne me paraît pas pouvoir être mise aux voix.

M. Orts. - Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de nous montrer d'une manière évidente que la proposition de l'honorable M. Royer de Behr nous mène directement à l'équivoque et qu'il n'y aurait rien d'étonnant à voir l'unanimité de la Chambre se prononcer en faveur de cette proposition.

Ainsi, pour ma part, je dois dire que, quoiqu’adversaire de la proposition de l'honorable M. Dumortier, je suis disposé à voter celle de l'honorable M. Royer.

Mais je demande à l'honorable membre de vouloir bien préciser le sens qu'il attache au vote affirmatif de sa proposition, car il y a une hypothèse qui se présente à mon esprit, et si cette hypothèse est cette que l'honorable M. Royer de Behr prévoit, j'entrevois alors une solution possible au débat. Si la Chambre répond, à la majorité ou à l'unanimité, qu'il y a lieu de modifier la situation monétaire de la Belgique par un procédé qu'on n'indique pas, que veut alors, comme conséquence de ce vote, l'honorable M. Royer de Behr ? Entend-il, par ce vote, mettre le gouvernement en demeure d'étudier la question et de nous présenter un projet de loi ? Entend-il, après ce vote affirmatif, que la discussion cesse ? En ce cas, la proposition est une question d'ajournement, et dans ce sens je la comprends, il n'y aura pas d'équivoque si c'est là la signification que l'honorable membre attache à sa proposition.

(page 695) M. Nothomb. - Messieurs, je ne puis, pour ma part, trouver aucune équivoque à la proposition de mon honorable ami, M. Royer de Behr ; et c'est cependant le seul reproche que M. le ministre des finances et l'honorable M. Orts lui ont adressé !

Que demande l'honorable M. Royer ? C'est qu'on décide si le statu quo créé par la loi de 1850 sera maintenu. L'honorable ministre des finances a, pendant deux séances, défendu avec une grande énergie le système de 1850 ; eh bien, mon honorable ami demande que la Chambre vote sur la question de savoir si ce système sera maintenu, ou s'il sera changé !

Si la Chambre décide que le système de 1850 ne sera pas maintenu, nous restons en face de la proposition de l'honorable M. Pirmez qui demande la tarification de l'or, et de celle de l'honorable M. B. Dumortier qui demande le cours légal de l'or français.

De cette façon, je crois que le débat serait singulièrement simplifié. Si la Chambre décide qu'il n'y a pas lieu de maintenir le statu quo monétaire de 1850, elle votera sur l'une ou l'autre des deux propositions que je viens de mentionner ou sur toute autre proposition qui pourrait se présenter.

(page 685) M. Pirmez. - Messieurs, la question posée par l'honorable M. Royer de Behr a été faite au sein de la section centrale, et j'ai répondu affirmativement à cette question, et cela par une raison bien simple ; c'est que j'avais, dès ce moment, l’intention de présenter à la Chambre la proposition que MM. Jamar et de Boe ont signée avec moi.

(page 686) Mais cette proposition, remarquez-le bien, ne modifie la législation actuelle que sur un point secondaire, et elle maintient la loi de 1850 dans ses principes essentiels que M. Royer veut renverser et contre lesquels il vont obtenir un préjugé.

Je suis prêt encore à répondra de la même manière à cette question prise en elle-même ; mais ce n'est pas ce que l'on veut.

Voici la position qu'on nous fait.

Si nous répondons « oui » à la question, on ne manquera pas, grâce aux développements que MM. Royer et Nothomb lui ont donnée, de dire que nous répudions les principes de la loi de 1850.

Si nous répondons « non », on en induira une approbation complète, entière, sans restriction, sans désir d'amélioration même de détails, de l'état de choses actuel.

Je ne pense pas que l'on puisse soumettre, dans ces termes, la proposition à la Chambre.

Pourquoi la proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, la proposition de l'honorable M. Dumortier ne seraient-elles pas directement l'objet d'un vote ?

Pourquoi faudrait-il que la Chambre décidât préalablement qu'elle va faire quelque chose, qu'elle se prononçât sur un principe qui ne signifie rien, qui n'aboutit à rien, qui n'engage personne et qui n'éclaircit pas le moins du monde le point à résoudre ?

Cette proposition ne fera qu'allonger le débat. Il faudra pour la discuter entrer dans tous les éléments du système monétaire, les examiner tous, dans toutes les hypothèses, dans toutes les éventualités possibles.

Je ne vois dans cette motion qu'une tactique parlementaire à laquelle on ferait bien de renoncer.

La discussion a déjà été assez longue, on y a déjà assez fait entrer les influences extérieures pour que l'on ne doive pas chercher à éliminer tout ce qui n'y est pas nécessairement compris.

M. Coomans.— Messieurs, il est clair que la proposition de mon honorable ami M. Royer de Behr, ne peut pas interrompre la discussion et que les orateurs inscrits, qui tiennent à parler, auront le droit de parler.

Il est clair encore que si le vote était affirmatif sur la question posée par l'honorable membre, à savoir. ; Y a-t-il lieu de maintenir la législation actuelle ? Il est clair, dis-je, que dans ce cas nous aurions gagné du temps et simplifié le débat.

Mais il est clair aussi que si le vote est négatif et rendu à une grande majorité, nous n'aurons pas beaucoup avancé. Si je comprends bien la pensée de l'honorable membre, il s'agissait de faire gagner du temps à la Chambre, et ce temps nous l'aurions gagné si une majorité était venu dire nettement, loyalement, qu'il y a lieu de maintenir la législation de 1850.

Dans ce cas tous les discours que nous aurions à faire encore seraient inutiles.

J'avoue que l'honoraire M. Royer de Behr n'avait guère le droit de s'attendre à une opposition de la part de M. le ministre des finances à sa proposition, attendu que la question proposée par l'honorable M. Royer de Behr répond exactement, semble-t-il, à la pensée de l'honorable ministre des finances.

L'honorable ministre a prononcé un très long discours dans lequel il s'est attaché simplement à démontrer que la législation de 1830 est bonne, que notre situation monétaire est satisfaisante, qu'il n'y a rien à y changer.

Je n'ai pas saisi, quelque attention que j'y ai mise, dans le double discours de l'honorable ministre, une seule allusion à un remède quelconque à apporter au mal dont la Belgique se plaint.

Donc nous devons croire jusqu'à présent que, dans la pensée du gouvernement, le statu quo doit être maintenu, et si telle est la pensée du gouvernement, quel obstacle peut-il voir à ce que la Chambre se prononce sur ce point ?

Du reste d'après ce qui se manifeste dans l'assemblée, je ne tiens pas beaucoup à ce que la question posée par l'honorable M. Royer de Behr soit maintenue. Du moment que l'on veut créer une équivoque alors que nous voulons en faire disparaître une, et que l'on manifeste l'intention de voter à l'unanimité, autant vaut continuer le débat.

Mais je le redis, s'il y avait dans la Chambre une majorité décidée à maintenir, conformément à la pensée du gouvernement, la législation aujourd'hui en vigueur, si cette majorité existait, il serait loyal et prudent de sa part de le dire, de se manifester, et de mettre ainsi un terme à un débat qui n'a déjà duré que trop longtemps.

M. Royer de Behr. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire : Si vous décidiez que vous maintenez la législation de 1850, nous pourrions en finir ; nous n'aurions plus à discuter.

Le discours qui a été prononcé par l'honorable ministre des finances m'a paru aboutir à cette conclusion. Il me semble que son discours n'en que l'apologie de la loi de 1850. Ma proposition ne me paraît pas du tout irrationnelle. Y a-t-il lieu de maintenir la législation actuelle ?

Si vous décidez oui, à quoi bon continuer la discussion ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est toute la question.

M. Devaux. - Vous avez parlé deux fois, laissez parler les autres.

M. Royer de Behr. - Je ne m'oppose pas à ce que d'autres prennent la parole, mais je crois que nous ne sommes pas ici uniquement pour parler, et que si la Chambre jugeait qu'il y a lieu de maintenir la législation de 1850, nous n'aurions plus beaucoup de discours à faire sur cette question.

Le but de nos discussions est de faire des travaux utiles, et non de faire des discours.

M. Devaux. - C'est de nous éclairer.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne pense pas qu'il s'agisse de mettre aux voix mes discours.

M. Royer de Behr. - Vos conclusions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelles conclusions ?

M. Royer de Behr. - Est-ce que vous ne concluez pas ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais quelles conclusions ?

M. Royer de Behr. -Que la législation de 1850 doit être maintenue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est évident que j'ai soutenu qu'il fallait maintenir l'étalon d'argent. Cela est bien clair.

Maintenant, vous voulez y substituer l'étalon d'or.

Faites-en la proposition et nous l'examinerons.

Il y a des propositions secondaires, intermédiaires. Il y a la proposition des honorables MM. Pirmez, de Boe et Jamar, qui, je l'ai dit, se concilie parfaitement et complètement avec mon système. (Interruption.)

Si vous ne l'avez pas lu dans mon discours...

M. Royer de Behr. - Je ne l'ai pas vu imprimé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous renvoie au contraire à mon discours imprimé, et vous y lirez que la tarification des pièces d'or est admissible, que c'est une mesure qui existe dans divers pays, qu'elle existe dans les Etats qui ont le système monétaire le plus parfait, le plus pur et que par conséquent aucun obstacle n'existe à ce qu'on tarife les pièces d'or.

Voilà ce que j'ai dit le premier jour. Vous avez donc, ainsi que l'honorable M. Coomans, fort mal compris ce que j'ai dit.

M. Coomans. - Je n'ai rien entendu de semblable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'entend quelquefois que ce que l'on veut entendre.

Maintenant quel est le caractère de la proposition de l'honorable M. Royer de Behr ? C'est une demande de clôture, si je ne me trompe.

L'honorable membre a parlé et il est satisfait. Il est convaincu qu'il a parfaitement éclairé l'assemblée et du moment qu'il l'a si bien éclairée il ne reste plus qu'à voter.

Nous demandons, nous, que la délibération continue et qu'on entende ceux qui ont à répondre à l'honorable M. Royer de Behr et à d'autres.

Je dis en outre que la motion de l'honorable membre, qui implique une équivoque comme je l'ai démontré tout à l'heure parce qu'elle pourrait être votée à l'unanimité et ne rien signifier, est une question de principe qui ne peut être mise aux voix que de l'assentiment unanime de l'assemblée.

On ne peut mettre aux voix des questions de principe de ce genre. L'assemblée a mission de voter sur des propositions formelles, de voter des lois, de les adopter ou de les rejeter et nullement de proclamer des principes. Elle courrait risque de se trouver dans une position ridicule, si, après avoir proclamé qu'il y a quelque chose à faire, elle se déclarait impuissante à faire quelque chose.

Cette manière de procéder serait, du reste, tout à fait contraire au règlement et par conséquent j'y opposerai, lorsque le moment sera venu, la question préalable.

M. de Haerne. - J'ai demandé la parole sur l'incident pour dire un mot de ce qui s'est passé en section centrale. (Interruption.)

L'honorable ministre des finances émet des idées qui devraient aboutir à la discussion générale. Il compare la situation du pays à celle des pays où l'or est tarifé. Je devrais donc le suivre pour lui répondre, comme j'en ai le droit, sur le terrain de la discussion générale ; mais je m'en abstiendrai pour le moment, et je demanderai la parole plus tard (page 687) pour montrer que nous ne sommes pas dans la même situation que les pays qu'il a cités.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Discutons.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est le fond de la question.

M. de Haerne. - Je tiens à dire ce qui s'est passé en section centrale parce que j'en ai fait partie.

M. le président. - M. de Haerne, vous avez la parole sur l'incident.

M. de Haerne. - Oui, M. le président, c'est sur l'incident que je parle. Par conséquent, je m'occupe de ce qui s'est passé en section centrale. Toute la discussion a roulé sur ce point. L'honorable M. Pirmez a cité la section centrale dans son sens, il doit donc m'être permis de répondre en disant ce qui s'est fait dans la section centrale.

M. le président. - La discussion générale a été interrompue par la proposition qu'a faite l'honorable M. Royer de Behr. L'honorable membre a réclamé la priorité pour la discussion et la vote de sa proposition. Vous avez donc la parole sur l'incident.

M. de Haerne. - C'est précisément sur l'incident que je veux parler.

D'après ce qui s'est passé en section centrale, cette motion avait pour but, non pas une tactique parlementaire, comme vient de le dire l'honorable M. Pirmez, et je m'étonne que l'honorable membre ne se soit pas énoncé dans ce sens en section centrale. Il s'agissait de simplifier la question.

Vous dites que cela ne simplifie rien. C'est votre opinion, mais il y en a qui pensent le contraire.

Je tiens à constater qu'il y avait, sous ce rapport, unanimité dans la section centrale.

M. le président. - La parole est à M. de Brouckere.

M. Royer de Behr. - Je la demande pour faire une déclaration.

M. le président. - M. de Brouckere consent-il à céder son tour de parole à M. Royer de Behr ?

M. de Brouckere. - Volontiers !

M. Royer de Behr. - M. le ministre des finances s'est rallié à la proposition de l'honorable M. Pirmez sur la tarification, je suis très heureux d'avoir provoqué cette résolution. Puisque la Chambré voit une équivoque dans ma proposition, je la relire, sauf à la reproduire, si je le juge à propos lorsque tous les orateurs qui soutiennent la cause contraire à telle que je défends dans cette assemblée, auront exprimé leur opinion.

M. le président. - La proposition étant retirée, nous reprenons la discussion générale.

M. Allard. - Nous avons gagné du temps. (Interruption.)

(page 695) M. Tack. - S'il est manifeste, comme l'a soutenu M. le ministre des finances, que l'adoption du cours légal de l'or français en Belgique serait un acte de spoliation audacieusement perpétré au détriment du créancier et au bénéfice du débiteur, une espèce de confiscation déguisée, une violation de la foi publique, une atteinte portée au respect dû aux contrats, le vol organisé, la réduction arbitraire de la rente, la banqueroute de l'Etat, à coup sûr ce ne serait pas une Chambre belge qui songerait un seul instant à adopter une pareille mesure. Vous avez toujours, messieurs, placé la justice au-dessus de toute autre considération ; et, à part le devoir absolu qui vous recommande de respecter scrupuleusement ses lois, je dirai qu'il n'y a de réellement profitable, d'utile, de durable pour les nations comme pour les individus, que ce qui est juste, loyal, honnête. C'est sur ces sentiments, messieurs, qui vous honorent, qui font votre prestige devant le pays comme aux yeux de l'étranger, que M. le ministre des finances semble surtout compter pour faire maintenir intacte et invulnérée sa loi de 1850, battre en brèche, flétrir et stigmatiser la proposition de 1 honorable M. Dumortier.

Mais est-il bien vrai que la proposition de l'honorable M. Dumortier soit cette chose abominable, détestable, cette iniquité sans nom que vous signale M. le ministre des finances ? Pour ma part, messieurs, je ne puis le croire ; et c'est à démontrer le contraire que je m'attacherai plus spécialement.

Je laisserai de côté ou je dirai peu de chose de la question économique, des conséquences matérielles du projet de loi ; à ce point de vue la question monétaire a déjà été amplement traitée : elle l'a été à cette tribune ; elle l'a été antérieurement dans la presse, dans de nombreuses brochures, dans des publications dont quelques-unes sont très remarquables ; elle a suscité une foule de controverses, ce qui ne doit pas étonner, car il ne peut se présenter guère de question plus compliquée, plus difficile, plus ardue.

Ces mêmes controverses ont été débattues il y a longtemps déjà, il y a des siècles ; et, messieurs, jusqu'à présent on n'est point parvenu à se mettre d'accord.

Nous les discuterions pendant des semaines que nous ne parviendrions pas à nous entendre. Les convictions sur ces dissidences sont faites en ce moment pour chacun de vous dans un sens ou dans un autre, aussi, je ne m'occuperai pas du point de savoir s'il faut préférer l'étalon simple à l'étalon double ; quels sont les avantages de l'un et de l'autre ; si le double étalon est définitivement condamné ; je n'examinerai pas non plus quel est l'avenir qui est réservé aux exploitations minières de la Californie, de l'Australie et de l'Oural ; s'il est vrai, comme on nous l'annonce, que la production des gîtes aurifères diminue, ou si elle tend au contraire à s'accroître.

Je n'examinerai pas davantage s'il est vrai que le renchérissement du prix des choses doit être attribué principalement à l'avilissement de l'or ; quelle peut être l'influence du choix de l'étalon sur le taux de l'escompte ; jusqu'à quel point la profusion de l'agent monétaire dans un pays est un bien ou un mal.

L'or a-t-il réellement baissé ? Dans quelle proportion ? N'est-ce pas l'argent qui a augmenté de valeur, ou plutôt la vérité serait-elle que les deux métaux précieux se sont dépréciés ?

J'abandonne toutes ces questions et bien d'autres encore à la dispute ; leur solution, sans doute, offre le plus haut intérêt, et si je ne m'y attache, pas, c'est que je la crois, pour le moment, impossible ; ce qui me touche davantage, comme beaucoup d'autres membres de cette Chambre, ce sont, messieurs, ces doléances, ces réclamations parties d'une extrémité du pays, il y a cinq ans, et qui retentissent à l'heure qu'il est jusqu'à l'extrémité opposée ; on l'a rappelé hier, la première réclamation est émanée d'une ville frontière du côté de la France, de la ville de Courtrai ; aujourd'hui il nous en vient du Brabant, de la province d'Anvers et du Limbourg ; ce qui me frappe, c'est cette opiniâtreté des pétitionnaires, qui ne se rebutent devant rien, pas même devant vos condamnations à l'ordre du jour ; ce mouvement si général, messieurs, prouve à toute évidence qu'il y a un malaise profond, une gêne considérable trop longtemps prolongée et non pas une gêne accidentelle, momentanée, insignifiante, comme l'a dit M. le ministre des finances. J'en conclus, avec l'honorable M. B. Dumortier, et au besoin avec la section centrale elle-même, que le statu quo est devenu intolérable, qu'il y a lieu d'opposer au mal, non pas un palliatif, mais un remède prompt et énergique.

Pouvons-nous, messieurs, en présence d'une situation aussi tendue que celle qu'on nous dénonce de toutes parts, nous croiser les bras, et dire : Laissons passer la bourrasque, le calme renaîtra de lui-même ; nous sommes impuissants contre la tourmente ? Vous pourriez tenir un pareil langage si votre législation était parfaite, mais l'est-elle ? Je prétends que non. D'où viennent, messieurs, tous nos déboires, toutes nos difficultés, tous nos embarras ? Du vice de notre législation. Je ne soutiens pas, remarquez-le bien, que la loi en vigueur, la loi de 1850 est basée sur un principe faux : non, le principe de cette loi, qui admet provisoirement l'étalon unique, est le même que celui qui a été adopté par l'Angleterre, avec cette différence que nous avons l'étalon d'argent, tandis que l'Angleterre a l'étalon d'or ; je laisse ce principe en dehors du débat, et je dis que la loi est défectueuse parce qu'elle est inopérante, inefficace ; parce qu'elle est une lettre morte pour les masses, parce qu'elle n'est pas en harmonie avec nos mœurs, avec des habitudes invétérées, qu'elle ne parviendra pas à déraciner : à cause de la communauté imparfaite, incomplète, partielle, qui rattache notre législation à la législation française, à cause de la similitude apparente, imaginaire si vous voulez, qui existe entre les deux régimes, à cause de la confusion que fait le public entre le franc d'or et le franc d'argent.

Le public, direz-vous, a tort de confondre deux choses essentiellement distinctes. Espérez-vous le guérir de cette infirmité ? N'aurez-vous pas en présence, tant que votre loi de 1850 sera debout, l'homme habile, puissant, le spéculateur comme vous l'appelez, et l'homme illettré, ignare, faible, qui sera la victime du premier ?

L'honorable ministre des finances a voulu attribuer à la loi de 1847 tout le mal dont nous souffrons actuellement.

L'honorable M. B. Dumortier a déjà fait justice de cette prétention qui n'est nullement fondée.

En effet, il est incontestable que si nous n'avons pas le cours légal de l'or français en Belgique, c'est la loi de 1850 qui en est cause. Si cette loi n'avait pas été portée, nous aurions en Belgique le cours légal de l'or français.

L'honorable ministre a essayé de faire comprendre que la loi de 1832 n'avait pas donné cours légal à la monnaie d'or française.

L'or, nous disait-il, devait, aux termes de l'article 23 de la loi de 1832, être reçu que dans les caisses de l’Etat, ce qui n'entraîne pas cette conséquence qu'il avait cours légal en Belgique.

Cette opinion n'était pas celle du ministre en 1850 ; à cette époque il ne faisait aucun doute, aucune réserve à cet égard ; il déclarait que, d'après la loi de 1832, l'or français avait cours légal en Belgique. En effet, dans son exposé de motifs je lis : « On donna également cours légal en Belgique aux pièces de 20 et de 40 fr. »

Et dans la séance du 23 décembre 1853, il s'exprimait comme suit :

« Je sais parfaitement qu'une loi de 1832 déclare que les pièces de 20 et de 40 francs de France ont cours légal en Belgique » et plus loin « la loi admet l’or français comme legal tender.)

Ainsi donc en 1850, le ministre n'émet pas le moindre doute que l'or français ait cours légal en Belgique. Ce serait un arrêt de la cour de cassation dont les considérants supposaient erronément que l'or français avait cours forcé en Belgique qui aurait provoqué l'insertion dans la loi (page 696) de 1850 d'un article final portant que les monnaies d'or étrangères cessent d'avoir cours légal en Belgique, et cela pour faire tomber le doute ; comment comprendre qu'il n'est fait nulle part mention de ce doute ?

Les complications auxquelles il s'agit de remédier proviennent donc des dispositions de la loi de 1850, sans laquelle nous aurions aujourd'hui en Belgique le cours légal de l'or français.

Notre situation est vraiment singulière ; à toutes les époques la circulation monétaire en Belgique a été alimentée par la monnaie française. Même sous le régime de la loi néerlandaise, qui nous avait imposé une nouvelle unité monétaire, les pièces de 5 francs étaient reçues dans notre pays avec faveur ; et quel est le problème qu'on se propose aujourd'hui ?

On veut que la France continue à nous fournir de la monnaie d'argent, alors qu'on déclare qu'elle n'en possède plus elle-même. C'est vouloir l'impossible ; et c'est pourquoi nous avons une monnaie légale, mais nous n'avons pas une monnaie de fait.

L'honorable ministre a beau contester la chose, l'évidence est là qui repousse ses allégations.

Les contributions, nous dit-il, sont payées régulièrement en monnaie d'argent ; qu'en inférer, si ce n'est qu'il y a assez d'argent pour les acquitter au prix d'embarras de toute espèce, souvent moyennant des pertes ? Mais cela ne prouve pas qu'il y en a assez pour toutes les transactions du commerce et de l'industrie.

En 1853, dit-on, la Banque n'avait reçu que 116 millions en écus, en 1860 elle en a reçu 202 millions. La raison en est que le chiffre des affaires de la Banque est à peu près doublé dans cet intervalle.

Supposons que dans ces versements la même pièce ait figuré dix fois ou, si l'on veut, cinq fois seulement.

Il s'ensuivrait que ce chiffre de versements de 202 millions a nécessité l'emploi de 20 ou de 40 millions de francs. On sait que les besoins du pays réclament une circulation de 200 millions en numéraire au moins. La somme de 40 millions est par conséquent loin de suffire. On n'a guère échangé de billets en 1860, ajoute M. le ministre des finances. D'abord on en a présenté à l'échange pour 76 millions ; c'est quelque chose ; mais si je n'ai que de l'or, comment voulez-vous que je me présente à la Banque pour recevoir de l'argent ? Je le pourrais, bien entendu, à condition d'essuyer une perte. Les billets répondent à un besoin, la circulation métallique répond à un autre besoin.

Dans un pays où le crédit et le système monétaire sont bien organisés, il faut une certaine quantité de billets et une certaine quantité de numéraire.

La question est de savoir si nous avons des agents métalliques en quantité suffisante dans notre circulation.

Ce n'est pas assez qu'on vienne nous dire : Moyennant quelque embarras, quelque perte, vous pouvez obtenir, en échange de votre or, de la monnaie d'argent.

La monnaie a été inventée pour aider aux transactions, aux négociations, pour faciliter les échanges ; du moment que votre loi ne satisfait pas à ce but essentiel principal de la monnaie, elle est par cela même jugée.

Les pièces de 5 francs nationales se retrouvent dans la circulation, par rapport aux pièces françaises dans une proportion de 13 p. c ; il ne s'agit ici que d'une comparaison tirée de la circulation en argent.

Mais si vous faites la comparaison avec la circulation totale, à quel chiffre arrivez-vous ? Peut-être à 4 p. c. tout au plus ; de sorte que la circulation en monnaie nationale se réduit à 4 p. c. de la circulation totale.

Il est évident qu'il n'est plus guère possible de faire une offre réelle un peu importante, surtout dans les villes frontières ; cependant les villes frontières ont droit à la protection de la loi comme celles qui sont au centre et qui peuvent plus aisément et plus promptement puiser au réservoir de la Banque Nationale.

La difficulté deviendrait beaucoup plus grande, insurmontable même, si l'opinion de l'honorable ministre des finances qui soutient que jamais la pièce d'or française n'a eu cours légal en Belgique, était vraie, car, veuillez bien le remarquer, la disposition de la loi de 1832, qui concerne les monnaies décimales d'or français, est la même que celle qui s'applique aux monnaies décimales d'argent, de sorte que d’après ce que nous a déclaré M. le ministre des finances, les pièces françaises en argent, c'est-à-dire les pièces de 5 fr., de 2 fr., de 1 fr. n'ont pas cours légal dans le pays ; de manière qu'il serait impossible de faire avec cette monnaie d'argent une offre légale libératoire.

Vous le voyez, messieurs, nous sommes dans une véritable impasse.

Nous nous débattons sur le lit de Procuste. Il s'agit de sortir d'embarras. Là est toute la question. Trois moyens se présentent.

Le premier, c'est la conservation de l'étalon d'argent, mais à la condition d'adopter une nouvelle unité monétaire. Or, personne ne veut de ce remède radical ; personne ne l'accepte. Il donnerait lieu à de la confusion, à de la gêne, à des embarras, à des duperies, à des erreurs, à des inconvénients de tout genre.

Le second moyen, c'est l'adoption de l'étalon d'or. Jusqu'à présent aucune proposition n'a été faite.

Reste la proposition de l'honorable M. Dumortier, le cours légal de l'or français ; soit avec la tarification comme le propose l'honorable M. Pirmez, soit purement et simplement, comme nous le demandons, avec ou sans monnaie divisionnaire billonnée.

Quant à la tarification, je n'en veux pas. C'est un système exhumé en partie de la loi du 28 thermidor an III, système abandonné par le législateur français, système condamné par la loi du 7 germinal an XI.

Je ne veux pas de la tarification, parce qu'elle ne remédie à rien, parce qu'elle ne fait pas cesser les difficultés ni les luttes. Ce que le public demande, ce n'est pas une monnaie lingot, mais une monnaie ayant une valeur nominale fixe.

Je préfère l'adoption du cours légal de l'or français qui nous place provisoirement, en droit, mais non en fait, sous le régime du double étalon ; la mesure nous conduira peut-être au régime de l'étalon unique, de l'étalon d'or. Nous subirons momentanément, peut-être définitivement le sort de la France ; notre communauté monétaire avec elle, du temps que cette communauté était parfaite, ne nous a pas trop mal servi.

Mais, dit-on, si vous admettez l'or français dans la circulation, nous n'aurons plus de monnaie divisionnaire ; elle va s'exporter. Je crois qu'il y a là un peu d'exagération. L'honorable M. Sabatier vous a démontré d'une manière assez péremptoire que ce fait n'est pas à redouter.

On insiste en avançant qu'en France il y a pénurie de monnaie divisionnaire. Il se peut qu'il y ait eu momentanément quelques difficultés dans certains grands centres industriels, mais je doute que la disette de monnaie divisionnaire y existe encore à l'heure qu'il est. Je pense que nous sommes sensiblement à cet égard dans, la même situation que la France.

L’honorable ministre des finances disait hier : Mais la banque nationale regorge de monnaie divisionnaire.

Messieurs, si ce qu'on nous dit est vrai, et je n'en doute pas, et si d'autre part il y a pénurie de monnaie divisionnaire en France, s'il est vrai que les négociants français sont obligés de payer une prime pour obtenir une monnaie divisionnaire, comment se fait-il que la Banque Nationale ne se hâte pas de se défaire à prime de cette monnaie de mauvais aloi, en l'exportant en France ?

Que prouve en définitive cette réserve énorme de monnaie divisionnaire qui s'accumule dans les caisses de la Banque Nationale ? Cela démontre que notre circulation s'appauvrit et se déprécie de plus en plus, qu'au lieu de pièces de 5 fr., nous n'aurons bientôt plus que des pièces usées de 2 francs et de 1 fr.

On objecte encore ceci :si la France allait abroger le rapport de 1 à 15 1/2 qu'elle a adopté par la loi de germinal an XI, si elle allait fixer la valeur de la pièce d'or à 19 fr. au lieu de 20 fr. ; mais c'est supposer une baisse de 5 p. c. Or, quelle est aujourd'hui la baisse ? Quel est l'écart entre la pièce de 20 fr. et les 4 pièces de 5 francs ? L'écart est de 4 centimes, ce qui revient à 20 centimes par 100 francs, ou encore à 1/5 de centime par franc. L'honorable M. Sabatier nous faisait observer que la cote de la bourse d'Anvers avait atteint dernièrement 19-97, c'est-à-dire que la baisse de l'or se réduit à quelque chose comme 1/10 de centime par franc.

On nous parle constamment du renchérissement des denrées et des loyers. C'est résoudre la question par la question. Est-il vrai, oui ou non, que l'or continuer à baisser ? Et puis n'avons-nous donc pas subi ce renchérissement dans notre pays ? Et cependant nous avons l'étalon d'argent.

Vous lésez, dit-on, les créanciers. Voilà l'objection capitale ; je réponds que je n'en sais rien ; l'avenir nous l'apprendra. Cela dépend de mille circonstances qu'il est impossible dès aujourd'hui d'apprécier au juste.

Mais enfin soit, les créanciers seront plus ou moins lésés. Auront-ils à se plaindre ?

Avant de répondre, je fais remarquer que ces créanciers spoliés, dépouillés, rançonnés, sont peu nombreux.

(page 697) Evidemment, il ne peut s'agir que de ceux dont les droits sont ouverts depuis la promulgation de la loi de 1850. Avant la législation de 1850, les débiteurs avaient la faculté de se libérer, soit en monnaie d'or, soit en monnaie d'argent ; leurs obligations étaient alternatives et à leur choix. Ils pouvaient même acquitter leurs dettes, avec de la monnaie d'or d'un titre inférieur à celui de la pièce de 20 francs. Il en a été ainsi sous l'empire des lois de 1832, de 1847 et de 1848, et en effet le guillaume, comparativement à la pièce de 20 francs, ne valait que 20 fr. 86 c, cependant, il avait cours légal à raison de 21 fr. 16 c. La pièce de 25 fr., comparée à la pièce de 20 fr., ne valait que 24 fr. 54 c. ; donc une différence de 46 cent. Le souverain comparé à la pièce de 20 fr. ne vaut que 25 fr. 20 cent., et aux termes de la loi il devait être reçu à raison de 25 fr. 50 cent.

Quant au gouvernement, il peut, en ce qui concerne la grande masse des rentes à charge de l'Etat, avoir la conscience fort tranquille, car la plupart de nos emprunts ont été contractés antérieurement à la législation de 1850

Au surplus, à l'heure qu’il est, la lésion est bien petite, il s'agit de 1/5 de centime par franc.

J'ai à faire ici une observation importante : la valeur usuelle, courante, ce que j'appellerai la puissance d'achat de la monnaie n'est point égale à sa valeur intrinsèque ; tantôt elle est supérieure, tantôt elle est inférieure à cette dernière valeur ; je pense qu'on est en droit de soutenir que le plus souvent, dans les circonstances normales, la valeur usuelle est légèrement supérieure à la valeur intrinsèque.

Pourquoi ? Parce que la monnaie, si elle est une marchandise, ce que je reconnais, est une marchandise sui generis ; elle est une marchandise, mais elle est aussi autre chose, elle a ses caractères spéciaux d'utilité ; à la différence du lingot, elle est, comme on le disait tout à l'heure, une valeur indiscutable, elle est obligatoire pour tout le monde, elle est la mesure commune, elle facilite les échanges.

On peut même concevoir certaines circonstances données où la valeur nominale est pour ainsi dire entièrement indépendante de la valeur intrinsèque. Ainsi, par exemple, dans les pays où le gouvernement s'arroge le monopole du monnayage, la monnaie pourrait circuler comme titre fiduciaire.

Il en est ainsi dans tous les pays pour les monnaies de cuivre et de bronze qui circulent à un taux supérieur à leur valeur intrinsèque.

Pour les métaux précieux là où la fabrication de la monnaie est libre, la valeur du numéraire en tant que métal subit l'inévitable loi de l'offre et de la demande, mais il ne s'ensuit pas que la prime sur le lingot indique d'une manière exacte la valeur coursable, usuelle de la monnaie, ni quelle est la valeur relative des espèces d'or et d'argent là où légalement les deux monnaies sont en présence.

Quand on parle de prime, on fait évidemment la comparaison entre la monnaie d'une part et le lingot d'autre part ; mais au point de vue de la lésion qui peut résulter pour le créancier selon qu'il est payé en monnaie d'or ou en monnaie d'argent, il est évident qu'il faut comparer deux autres termes entre eux, à savoir la valeur du franc d'or et celle du franc d'argent, tel est le principe qui consacre notre droit civil dont je parlerai tantôt.

Eh bien, actuellement le franc d'or achète autant dans notre pays que le franc d'argent, à un cinquième de centime près.

La justice, me répondra-l-on, n'admet point de degrés ; qu'il s'agisse d'une petite ou d'une grande injustice, peu importe ; c'est le principe qui est ici en cause. Soit, je l'admets complètement, mais il me semble que c'est mal poser la question que de venir nous dire : « Le créancier ayant droit à un poids déterminé de métal, si vous le forcez à prendre autre chose qui ait une valeur un peu moindre, vous le spoliez, vous le volez, vous le rançonnez. » C'est sur un autre terrain qu'il convient de se placer. Nous devons nous demander si nous sommes tellement liés par la loi transitoire de 1850, car elle n'est pas autre, elle est une loi de circonstance, une loi exceptionnelle, si, dis-je, nous sommes tellement liés par cette loi, que nous ne puissions y toucher dès que nous aurions à redouter une lésion, un préjudice pour une catégorie quelconque d'individus, créanciers ou débiteurs.

Peut-on admettre que s’'il était prouvé que la loi de 1850 est une loi mauvaise, détestable au dernier chef, il nous serait interdit, même en nous plaçant exclusivement au point de vue de l'intérêt public et alors que nous sommes dominés par des circonstances de force majeure, d'y porter la main et d'essayer d'améliorer ainsi notre situation monétaire ? Voilà le véritable nœud du débat. Evidemment le législateur s'est ici réservé, comme en toute autre matière, une certaine latitude. Sur ce point, je ne suis point réduit à invoquer les principes seulement, je puis recourir au droit positif. Il est dans le Code civil des dispositions que l'on perd trop de vue dans la discussion et dont je me permettrai de donner lecture à la Chambre ; ces dispositions sont celles des articles 1895,1896 et 1897 du Code civil, voici ce qu'ils portent :

« Art. 1895. L'obligation qui résulte d'un prêt en argent n'est toujours que de la somme numérique énoncée au contrat.

« S'il y a eu augmentation ou diminution d'espèces avant l'époque du payement, le débiteur doit rendre la somme numérique prêtée et ne doit rendre que cette somme dans les espèces ayant cours au moment du payement. »

« Art. 1896. La règle portée en l'article précédent n'a pas lieu si le prêt a été fait en lingots.

« Art. 1897. Si ce sont des lingots ou des denrées qui ont été prêtés, quelle que soit l'augmentation ou la diminution de leur prix, le débiteur doit toujours rendre la même quantité et qualité et ne doit rendre que cela. »

Remarquons d'abord, messieurs, que les articles 1895 et suivants ont été portés dans un temps voisin de la loi de germinal an XI. Cette partie du Code civil a été promulguée le 19 mars 1804 (18 vendémiaire an XI).

A tort ou à raison, la loi de 1804 isole la valeur nominale de la monnaie de la valeur réelle, elle déclare positivement que le créancier n'a pas droit à un poids déterminé de métal, mais à une somme numérique ; elle avertit le créancier comme le débiteur ; si le créancier veut se prémunir contre les conséquences de la loi nouvelle, il n'a qu'à prendre ses dispositions ; il peut stipuler que le payement se fera en monnaie d'argent ou en monnaie d'or, ou bien en lingots. On peut, messieurs,, critiquer cette disposition du Code civil, mais enfin c'est la loi. On peut dire qu'un gouvernement despotique pourrait abuser d'un pareil texte de loi, s'en prévaloir dans ce sens qu'il aurait le droit de rogner, d'altérer les monnaies, tout en conservant leur valeur nominale, ou bien d'augmenter, de doubler la valeur nominale sans changer le titre ni le poids.

Mais est-ce bien de cela qu'il s'agit aujourd'hui ? Y a-t-il quelqu'un parmi tous ceux qui sont disposés à voter la proposition de loi de M. Dumortier, qui songe à faire bénéficier l'Etat par suite de l'adoption de cette monnaie ? Certes, non.

Au surplus, ce serait calomnier le législateur (il manque quelques mots) ait voulu se réserver le moyen d’altérer les monnaies, de diminuer tantôt la valeur de la pièce d'or, tantôt la valeur de la pièce d'argent et d'arriver ainsi de chute en chute, de cascade en cascade à réduire le franc d'argent à sa 89ème partie comme on l'avait fait autrefois de la livre de Charlemagne.

Non, messieurs, telle n'a pas été la pensée du législateur de 1804, sa pensée a été celle du législateur de germinal an XI ; j'admets très volontiers que ce dernier s'est interdit de toucher au poids ou au titre de l'unité monétaire, qui est le franc d'argent.

Mais d'abord peut-on conclure de là, comme on le fait, que le législateur de germinal an XI a voulu adopter l'étalon unique ? Cette thèse, soit dit en passant, est un peu nouvelle. Il n'y a pas très longtemps qu'on l’a mise en avant ; autrefois, tout le monde croyait que la France était régie par le double étalon.

La loi de germinal an XI, on le reconnaît, a adopté un rapport légal fixe entre la valeur des deux monnaies.

Or, je dis que l'idée d'un rapport légal entre les deux monnaies est exclusive de l'idée d'un étalon unique ; elle en est le contre-pied, de même que le système du double étalon est la conséquence rigoureuse de l'adoption du rapport légal entre les deux monnaies.

Voici en deux mots, selon moi, le sens de la loi de germinal an XI : 5 grammes d'argent à 9/10 de fin constituent l'unité monétaire appelée franc ; 32 1/4 centigrammes d'or également à 9/10 de fin sont l'équivalent de l'unité monétaire.

En fait, la France est régie depuis 58 ans par le régime du double étalon, on a vu tantôt l'or, tantôt l'argent sortir de la circulation et se remplacer mutuellement.

Il ne faut pas non plus oublier que la loi de germinal an XI a été une espèce de réaction contre celle du 28 thermidor an III qui avait consacré le système de l'étalon unique.

D'autre part Lebreton, orateur du gouvernement au tribunal, défendait manifestement le principe du double étalon.

On s'appuie principalement, pour soutenir que la loi de germinal an XI est basée sur le double étalon, sur l'opinion de Gaudin, ministre (page 689) des finances à cette époque. Gaudin disait : « L'or sera à l'argent dans la proportion de 15 1/2 à 1, s'il survient avec le temps des événements qui forcent à changer cette proportion, l'or sera seul refondu. »

Est-ce à dire que le rapport légal de valeur entre la monnaie d'or et celle d'argent, devait être toujours, à chaque instant, en harmonie parfaite avec le rapport réel avec la valeur relative entre l'or et l'argent à l'état de lingot ?

Si le législateur de l'an XI avait voulu que le rapport légal fût à chaque instant en conformité exacte avec le rapport réel, il aurait voulu une absurdité, une impossibilité ; il savait fort bien qu'il ne pouvait pas y avoir une corrélation constante entre ces deux rapports ; il savait fort bien qu'au contraire du rapport légal qui est fixe, le rapport réel est variable, éphémère, fugace, changeant de minute en minute.

C'est donc attribuer gratuitement une absurdité au législateur de l'an XI que de prétendre qu'il a voulu d'une corrélation constante et mathématiquement rigoureuse entre le rapport légal et le rapport réel,

Il se serait, au reste, infligé un démenti à lui-même ; car remarquez-le bien, à l'époque où le rapport de 1 à 15 1/2 a été établi, le rapport légal ne correspondait pas au rapport réel.

L'orateur du gouvernement en convient formellement ; le rapport réel était comme 1 à 14.

Si le législateur de l'an XI avait tenu essentiellement à cette fixité entre les deux rapports, il aurait songé probablement à prendre certaines mesures : il aurait, par exemple, mis des bornes à la fabrication de l'or ; il n'en a rien fait.

L'équilibre est-il rompu aujourd'hui ? Je soutiens que la corrélation entre les deux rapports est plus vraie aujourd'hui qu'elles ne l'était en l'an XI, que nous sommes plus près de la vérité. Et, en effet, il est généralement admis que le rapport actuel entre l'or et l'argent à l'état de monnaie est comme 15 1/4 est à 1.

Que la proportion de 1 à 15 1/2 puisse être altérée, dans certaines limites, sans nécessiter de refonte, c'est l'opinion admise en France.

Vous le savez, messieurs, avant 1848, l'argent abondait en France, on se plaignait de pléthore. On demandait des mesures pour empêcher l'exportation de l'or.

Le gouvernement saisit, en 1845, une commission de l'examen de la question ; et quoiqu'il fût reconnu que le rapport légal n'était plus en harmonie avec le rapport réel, la commission émit l'avis qu'il fallait laisser opérer la loi de germinal an XI et ne rien innover. Elle eut raison ; l’avenir démontra qu’elle avait (un mot illisible) jugé.

Que serait-il arrivé si la commission française s'était rangée du côté de ceux qui voulaient qu'on taillât 160 pièces de 20 francs au lieu de 155 au kilogramme ?

Qu'en serait-il avenu de l'écart entre les deux monnaies ? Il serait bien plus considérable qu'il ne l'est actuellement.

La même question s'est présentée en 1858, mais en sens inverse : l'or avait envahi la circulation, l'argent disparaissait.

Le gouvernement français convoqua derechef une commission composée de 12 membres, et dans laquelle siégeaient les savants, les économistes les plus distingués, et les spécialités de la finance ; à l'unanimité moins une voix, la commission décida qu'il n'y avait rien à faire, qu'il fallait laisser agir la loi de germinal an XI ; sans doute parce qu'elle a cru que les événements n'appellent pas encore, comme le disait Gaudin, de changements dans le rapport légal, pas plus qu'en 1845.

Aura-t-elle encore une fois raison ? C'est l'avenir seul qui décidera mais remarquons qu'elle n'a pas été arrêtée par des considérations tirées des droits des créanciers.

Qu'avons-nous fait dans notre pays ? Nous avons modifié par des dispositions transitoires la loi de germinal an XI, ou pour mieux dire la loi de 1832 qui n'en est que la reproduction.

Ainsi en 1847 on a décidé qu'on n'émettrait plus de pièces de 20 fr. ni de 40 fr. ; qu'on les remplacerait par des pièces de 10 et de 25 francs, à un titre inférieur.

Plus tard, en 1848, on a admis, encore une fois par une loi de circonstance, le cours légal des souverains anglais avec une surtaxe

En 1850, on a modifié de nouveau la loi de 1832, mais toujours à titre provisoire, on l'a modifiée en ce sens qu'on a fait temporairement cesser le cours légal des pièces de 20 et de 40 francs d'origine française.

Nous avons donc à nous poser une question analogue à celle qui fut soumise à la commission française ; nous avons à nous demander si la loi de 1850 doit continuer de fonctionner ou s'il faut la rapporter ; si les craintes conçues en 1850 étaient oui ou non exagérées.

Ceux qui croient que ces craintes n'étaient pas fondées, peuvent demander que la loi de 1850 cesse d'avoir ses effets, d'autant plus qu'elle ne produit aucun des résultats qu'on en attendait : elle devait nous conserver la monnaie d'argent et chasser l'or ; sont-ce là les fruits qu'elle nous a donnés ? Non, elle n'a pas abouti ; elle n'a fait que consacrer un système hybride, un système qui n'existe nulle part où plutôt elle a conduit à la négation de tout système.

La proposition de l'honorable M. Dumortier, qu'on accuse de vouloir spolier les créanciers, se réduit dons à demander que nous soyons replacés sous le régime de la loi de germinal an XI, que le provisoire qui suscite de si vives plaintes, ait enfin un terme ; que l'on fasse ce que l’on a fait en France et en Suisse.

Mais, dit l'honorable ministre des finances, les positions ne sont pas les mêmes. La France a maintenu la loi de l'an XI dans toute sa pureté. L'Etat est resté passif, les pouvoirs publics ont laissé faire.

Je réponds que dans votre système il n'était pas permis aux pouvoirs publics de rester passifs. Ils devaient procéder à une refonte ; ils ne l'ont pas jugé nécessaire.

Le système a été maintenu, ajoute l'honorable ministre, du consentement tacite du public. Il n'y a eu que de rares voix dissidentes, des voix qui ont prêché dans le désert.

Je ferai remarquer à l'honorable ministre que parmi ces voix il y en avait de bien grandes, entre autres celle d'un économiste célèbre, la voix de Michel Chevalier.

L'erreur commune, poursuit M. le ministre des finances, fait le droit. L'opinion publique serait-elle par hasard moins unanime en Belgique qu'en France ? L'erreur, si tant est qu'erreur il y a, est-elle moins générale chez nous que chez nos voisins ? Consultez vos chambres de commerce, consultez la presse, consultez les pétitions qui s'accumulent sur le bureau de la Chambre.

La Belgique, disons-nous, a conservé dans toute sa pureté la loi de 1832 jusqu'en 1847 ; depuis lors, des lois provisoires oui été votées.

Qu'on fasse cesser la seule loi temporaire qui reste et qu'on revienne au système primitif.

Que la loi de 1850 fût temporaire, cela résulte des paroles mêmes de M. le ministre des finances.

Voici ce qu'il disait dans l'exposé des motifs :

« On ne peut, à l'occasion de ce projet de loi, décider s'il faut conserver ou non le double étalon monétaire et dans quelles conditions on pourrait l'établir. Cette question est trop gravepour être résolue incidemment. Le gouvernement en fera l'objet de toute sa sollicitude et soumettra à la Chambre, quand le moment lui paraîtra opportun, le système qu'il jugera le meilleur. »

Chacun était donc averti que la loi pouvait être modifiée.

Le gouvernement croit que le moment opportun pour changer la loi de 1850 n'est pas venu ; nous sommes persuadés du contraire ; c'est au fond ce qui nous sépare. Non seulement nous croyons que le moment de rapporter la loi de 1850 est venu, mais nous disons qu'il est au plus haut point urgent d'y songer.

En effet, messieurs, on l'a fait observer à satiété, nous n'avons plus d'étalon monétaire irréprochable. Le débiteur qui paye avec des pièces de 5 francs ne paye pas à raison de 5 grammes par franc. Nos pièces de 5 francs sont frustes, usées, altérées.

L'honorable M. Pirmez dans son rapport évaluait la perte en 1859 à 8 p. c. et il disait que cette perte ne tarderait pas à s'élever à la proportion de 12 p. c., et comment l'honorable M. Pirmez jugeait-il cet état de choses ?

« Il est impossible, disait l'honorable membre, de se le dissimuler : un écart aussi important dans le poids des espèces est un fait très grave.

« Non seulement il constitue une injustice pour tous les créanciers qui ont contracté dans la confiance de recevoir un poids d'argent exact, mais en outre il doit empêcher les pièces droites de poids de demeurer dans la circulation. »

Donc, votre système entraîne à une injustice à laquelle il vous est impossible de remédier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous trompez très fort.

M. Tack. - Remédiez-y donc. Je sais bien que vous m'objecterez que c'est aux particuliers à faire battre monnaie et non au gouvernement ; mais quel est l'homme assez peu soucieux de ses intérêts qui s'avisât d'aller acheter un lingot d'argent moyennant 1,024 fr., et de les porter ensuite à la Monnaie pour ne recevoir en échange que la somme de 1,000 fr. ?

(page 699) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - En or.

M. Tack. - Je termine en disant qu'on ne touche pas en général aux lois sans froisser des intérêts, qu'on ne modifie pas surtout les lois monétaires sans occasionner à quelques-uns un préjudice réel.

Je vous défie de passer de l'étalon d'argent à l'étalon d'or où réciproquement sans lésion pour personne. Il est, messieurs, des circonstances où l'intérêt général commande impérieusement d'agir.

Ainsi, lorsque en 1848, vous donniez cours forcé aux billets de banque, vous avez fait une excellente chose ; si, alors, des détenteurs de monnaie étaient venus vous dire : Par suite du cours forcé des billets de banque vous réduirez la valeur de mon capital ; si des créanciers étaient venus vous dire : Par suite d'une émission de monnaie de papier, vous m'occasionnez un préjudice, vous auriez renvoyé ces créanciers mal avisés et trop exigeants.

Aujourd'hui, nous n'avons plus d'agent légal de la circulation. Dix années d'expérience sont venues prouver que la loi de 1850 est impuissante à nous le procurer. La nation est en droit de demander une loi qui ne soit pas stérile.

Je voterai le projet de loi comme répondant à tous les besoins actuels ; je le considère comme un retour pur et simple à la législation préexistante provisoirement suspendue, temporairement remplacée par une loi exceptionnelle et d'essai.

Si, messieurs, des membres de cette Chambre avaient des scrupules pour voter la proposition de l'honorable M. B. Dumortier, parce qu'ils croiraient qu'il méconnaît les lois de la justice et de l'équité, il leur resterait la ressource, s'ils le veulent, de présenter une disposition additionnelle d'après laquelle, pour toutes les obligations contractées sous l'empire de la loi du 28 décembre 1850, les créanciers comme les débiteurs pourraient exiger que les payements aient lieu en une valeur équivalente, par chaque franc dû au moment de la libération, à 5 grammes d'argent au titre de 9/10 de fin.

Je me borne à mettra l'idée en avant, elle est de nature à apaiser bien des scrupules. Il y aurait cependant à examiner si pareille disposition, qui est une dérogation au Code civil, n'aurait pas un caractère rétroactif.


M. le président. - J'ai à consulter l'assemblée sur l'ordre du jour. Demain, d'après l'usage adopté par la Chambre, nous avons à nous occuper des prompts rapports. L'assemblée entend-elle interrompre la discussion de la proposition de l'honorable M. Dumortier, ou bien veut-elle renvoyer les prompts rapports à la suite de cette discussion ?

- La Chambre décide que les prompts rapports viendront à la suite de la discussion de la proposition de loi.

La séance est levée à cinq heures.