(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)
(page 68) (Présidence de M. Vervoort, président.)
M. de Florisone, secrétaire, lait l'appel nominal à deux heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la séance du 24, dont la rédaction est adoptée.
Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Muller, gendarme pensionné, demande à jouir du bénéfice de la loi du 4 juillet dernier, relative aux pensions des gendarmes. »
« Même demande du sieur Mosselman, brigadier de gendarmerie pensionné. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants d'Iseghem demandent qu'il soit donné cours légal à la monnaie d'or de France. »
« Même demande d'habitants de Haringhe, Wevelghem, Heule, Audenarde, Thielrode, Ayghem, et des membres du conseil communal de Bulscamp. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi relative à la monnaie d'or.
« Les membres du conseil communal et des habitants de Haelen demandent la construction d'un chemin de fer entre Louvain et Hasselt, par Diest. »
« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Kersbeek-Miscom, Waenrode, Glabbeek, Suerbembpde, Cappellen, Kerkom, Attenrode-Wever, Pellenberg. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Lampe, Sénave et autres membres de la commission directrice de l'atelier d'apprentissage établi à Cortemarcq, prient la Chambre de conserver les ateliers d'apprentissage avec l'enseignement professionnel. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« Des facteurs attachés au bureau des postes de Nandrin demandent une augmentation de traitement ou un secours. »
- Renvoi à la section centrale du budget des travaux publics.
« Des habitants de Tourinnes-Saint-Lambert demandent la suppression du droit de barrières. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des bateliers à Liège demandent qu'il soit ouvert une enquête sur la convenance de retirer à la société Corvilain l'autorisation provisoire d'établir un service de navigation à vapeur sur les canaux de la Campine. »
- Même renvoi.
« Le sieur Grevelink se plaint de l'insuffisance du matériel pour le transport des marchandises aux stations du chemin de fer d'Esemael et de Tirlemont et demande que le matériel du chemin de fer soit mis en rapport avec les besoins du pays, s
- Sur la proposition de M. Landeloos, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Le conseil communal de Vonêche réclame l'intervention de la Chambre pour être autorisé à faire vider judiciairement une contestation au sujet de la propriété du terrain sur lequel est bâtie l'église de cette commune. »
- Sur la proposition de M. De Fré, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Par dépêche du 20 novembre, M. le ministre de l'intérieur fait connaître qu'il a chargé une commission d'examiner et de déterminer quelle part revient au sieur Fafchamps dans l'invention et la propagation des machines à traction directe destinées à l'épuisement des mines et transmet à la Chambre : 1° une expédition de l'arrêté instituant la commission ; 2° unecopie des instructions qui ont été données à celle-ci ; 3° une copie du rapport de MM. Liagre, Brasseur et Lamarle. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« M. Jamar, qui vient de perdre son beau-père, M. Van Overloop, retenu par une indisposition, MM. Jacquemyns et de Moor, obligés de s'absenter pour affaires urgentes et de famille, demandent un congé de quelques jours. »
- Ces congés sont accordés.
M. le président. - Nous avons reçu une lettre de la cour des comptes, dont il va être donné lecture à la Chambre.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture de cette lettre :
« Monsieur le président,
« Vous me faites savoir, par votre lettre du 21 de ce mois, que la Chambre des représentants a chargé son bureau d'inviter la cour des comptes à lui faire parvenir le plus tôt possible son cahier d'observations sur le compte général de l'Etat, et vous me priez de donner des ordres pour que ce document lui soit adressé dans un bref délai.
« J'ai l'honneur de vous informer que ce cahier, auquel la cour a travaillé activement depuis qu'elle a reçu le compte de l'administration générale des finances pour l'exercice clos de 1837 et le compte provisoire de 1858, sera transmis sous peu de jours à la Chambre des représentants.
« La cour elle-même, M. le président, a, dans plusieurs de ses rapports, exprimé le vœu d'être mise en situation de pouvoir présenter son cahier d'observations à l'époque de l'ouverture de la session.
« Il ne dépendra pas d'elle qu'il n'en soit ainsi à l'avenir. Il est toutefois à faire observer que, d'après l'article 116 de la Constitution combiné avec l'article 35 de la loi de comptabilité, c'est dans le mois qui suit l'ouverture de la session ordinaire des Chambres que la cour des comptes doit leur soumettre, avec ses observations, le compte général de l'Etat.
« Ce compte constitue un ouvrage considérable et qui exige un examen approfondi ; il est impossible, quelque diligence qu'on y apporte, d'en opérer toujours la vérification dans un délai aussi rapproché qu'on pourrait le désirer. D'ailleurs, cet examen provoque, comme cela est inévitable, des renseignements1 qui font naître entre le gouvernement et la cour des comptes une correspondance plus ou moins longue, dans le but d'éclaircir les points douteux et de lever autant que possible les difficultés.
« Enfin, l'achèvement du travail de la cour peut parfois être retardé (comme c'est aujourd'hui le cas) par l'insertion dans son cahier d'observations particulières de nature, pensons-nous, à offrir quelque intérêt.
« La cour aime à croire, M. le président, que ces explications satisferont la Chambre des représentants.
« Veuillez, M. le président, agréer l'assurance de ma haute et respectueuse considération.
« Le président de la cour des comptes, Th. Fallon. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer un projet de loi relatif à l'organisation d'un conseil de prud'hommes à Bruxelles.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution, et le renvoi à l'examen des sections.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. M. J. Jouret. - Dans la séance du 15 décembre 1854, j'ai appuyé le renvoi à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice d'une pétition qui signalait une partie des nombreux abus qui résultent, en certaines localités, du cumul des fonctions de notaire et de celles de bourgmestre, comme contraire à l'esprit de nos institutions et particulièrement à la loi organique du notariat.
Le ministre de la justice de cette époque ne put objecter à la requête que des considérations personnelles aux pétitionnaires, car il n'y avait rien à opposer à leurs raisons juridiques.
Comment parviendrait-on, par exemple, à concilier l'article 7 de la loi du 25 ventôse an XI qui déclare les fonctions de notaire incompatibles avec celles de commissaire du gouvernement près les tribunaux, et les articles 9, 11 et 144 du Code d'instruction criminelle, qui font du bourgmestre un officier de police judiciaire et un commissaire du gouvernement près les tribunaux de simple police ? Au surplus, s'il m'est donné de (page 69) prendre part à la discussion de la loi d'organisation judiciaire, je me réserve de revenir sur ce sujet, et de proposer, s'il y a lieu, un amendement qui préviendra, par une disposition formelle et précise, le retour d'une flagrante illégalité.
En attendant cette réforme, qu'il me soit permis d'appeler encore la sollicitude de MM. les ministres que la chose concerne sur les dangers d'un cumul, où le titulaire a tout à gagner, mais la chose publique beaucoup à perdre.
Il y aurait encore bien d'autres inconvénients à éviter dans le choix des bourgmestres. Si la nomination était toujours entourée des garanties qui doivent y présider, si le gouvernement connaissait toujours bien les candidats qu'on lui présente, on ne verrait pas quelques-uns de ces fonctionnaires se constituer les adversaires politiques du pouvoir dont ils tiennent leur mandat, se liguer ouvertement avec l'opinion qui lui est hostile et, pour faire triompher cette opinion dans les luttes électorales, mettre en œuvre tous les moyens, même l'autorité qu'on leur a confiée ; on ne verrait pas certains fonctionnaires chercher à neutraliser le bienfait de la loi récente sur les octrois, pour abaisser le mérite de ses auteurs.
Et comment s'y prennent-ils ? Ils font ajourner jusqu'à d'autres temps dont ils appellent le retour, l'abolition de la cotisation personnelle, taxe arbitraire tant maudite dans les campagnes.
Et qu'on ne croie pas que j'invente ou que j'exagère : je pourrais nommer et prouver, je m'en abstiens parce que je crois devoir signaler un abus, mais je ne veux dénoncer personne.
M. Coomans. - Les fâcheux retards que le gouvernement apporte à l'exécution de la promesse qu'il nous a faite de réformer la loi sur la milice m'obligent à demander des renseignements à ce sujet. Je prie l'honorable ministre de bien vouloir nous dire où en sont ces projets de réforme et je me réserve de m'expliquer ultérieurement.
M. de Renesse. - Je crois devoir aussi adresser à l'honorable ministre de l'intérieur une interpellation par rapport à la présentation d'un projet de loi pour réprimer les fraudes électorales.
Il a été, en effet, reconnu, l'année dernière, lors de la discussion sur l'enquête parlementaire, qu'il y avait lieu de proposer des mesures législatives, pour empêcher les fraudes électorales ainsi que les dépenses extraordinaires et parfois exorbitantes que les candidats à la représentation nationale sont obligés de s'imposer dans plusieurs de nos arrondissements pour assurer leur élection.
J'ai donc l'honneur de prier M. le ministre de vouloir nous dire si ce projet de loi sera présenté assez à temps à la Chambre pour pouvoir être discuté avant les prochaines élections générales de l'année prochaine.
M. Manilius. - J'appuie les observations de l'honorable M. de Renesse.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La Chambre, dans les deux dernières sessions, a voté des lois de la plus haute importance. Je citerai la loi relative à l'agrandissement d'Anvers, la loi sur l'abolition des octrois. Ces deux projets ont occupé longtemps la Chambre ; ils ont en quelque sorte absorbé tout son temps et presque toute son activité.
Un assez grand nombre de projets soumis à la Chambre doivent encore recevoir leur solution ; la Chambre n'en a pas encore délibéré.
Nous croyons qu'avant de soumettre à la Chambre de nouveaux projets de lois, il serait utile que l'arriéré fût autant que possible épuisé. Si nous apportions à la Chambre beaucoup de projets nouveaux, nous viendrions ajouter à l'encombrement sans aucune utilité pratique.
A ce seul point de vue, je ne reconnais pas l'opportunité de déposer en ce moment le projet de loi relatif à la milice.
La commission chargée d'étudier cette grande réforme a terminé ses travaux et a remis son projet au gouvernement. Le gouvernement s'est occupé de l'examen des conclusions de la commission. Il y a, messieurs, de nombreuses améliorations à introduire dans nos lois de milice au point de vue purement administratif, mais il est une question de principe en quelque sorte, qui a une très grande importance et sur laquelle, je dois le dire, le cabinet ne s'est pas encore mis d'accord. Il s'agit de décider si le service de la milice donnera lieu à une rétribution extraordinaire au profit du milicien, il s'agit de se fixer sur le montant de cette rétribution et sur les moyens de la couvrir. Cette question a une grande important.
Il s'agit, en effet, d'une augmentation qui doit aller à environ 2 millions, si l'on veut que la rétribution accordée aux miliciens ait quelque efficacité. Donc, messieurs, sur ce point très important le cabinet a encore besoin de délibérer. Si l'on pouvait séparer cette question de toutes les autres questions qui se rattachent à la milice, je pourrais dès demain déposer le projet de loi.
Vient maintenant un autre projet de loi également important sur lequel d'honorables représentants ont bien voulu m'interpeller. Il s'agit du projet de loi destiné à réprimer les fraudes électorales. Ce projet de loi est prêt ; faut-il le soumettre à la Chambre dès maintenant ? Faut-il le présenter dans le cours de cette session ?
Qu'on ne le perde pas de vue, messieurs, ce projet destiné à réprimer les fraudes électorales se rattache à un autre projet dont la Chambre se trouve saisie par une section centrale et sur lequel je ne sais pas s'il existe un accord parfait, je ne dirai pas parmi tous les membres, mais parmi tous les membres de la gauche.
L'année dernière, une section centrale a soumis à la Chambre une proposition ayant pour objet de faire voter les électeurs suivant l'ordre alphabétique de leurs noms.
Cette proposition a soulevé une vive émotion au sein de la Chambre, surtout au sein de la minorité, qui a cru y voir une sorte de stratagème, d'expédient violent destiné à la supprimer tout entière de la représentation nationale.
Pour répondre à cette émotion plus ou moins légitime, j'ai déclaré, l'année dernière, que, quant à nous, sans repousser le principe, nous ne consentirions pas à ce qu'il en fût fait application dans les élections suivantes ; et l'événement prouva que la force de l'opinion libérale était telle, qu'elle n'avait pas besoin de recourir à des moyens de cette espèce pour triompher. Je ne doute pas que, sous ce rapport, l'avenir ne réponde au passé et que l'opinion libérale ne continue de l'emporter par les moyens à l'aide desquels elle a triomphé jusqu'ici.
Mais enfin cette question est encore soumise à la Chambre, et je demande, avec une entière franchise, à la Chambre et particulièrement à la gauche si elle croit le moment opportun, les circonstances favorables à des débats politiques irritants ?
Nous ne déclinons pas, nous ne fuyons pas les débats politiques. Dans plusieurs occasions, du banc ministériel sont parties ce qu'on a pu appeler des provocations à des débats politiques. Sous ce rapport, nous connaissons nos devoirs et nous saurions les remplir. Je le répète, nous ne redoutons pas les discussions politiques. Seulement, comme gouvernement, il est de notre devoir de juger si dans telles circonstances données, si, en présence de telle ou telle situation extérieure, il est opportun d'entamer un débat politique irritant. Je n'en dirai pas davantage sur ce point.
Messieurs, je ne sais si je dois répondre au discours par lequel on a commencé la discussion générale.
On a trouvé mauvais que des notaires fussent nommés bourgmestres. Messieurs, on ne doit pas ignorer que les candidats propres à former de bons bourgmestres sont un peu rares, je ne dirai pas dans nos villes, mais particulièrement dans nos campagnes et que, s'il était interdit au gouvernement de choisir les bourgmestres parmi les personnages les plus éclairés, les plus instruits et les plus habitués aux affaires, le choix du gouvernement, déjà très restreint, deviendrait en quelque sorte impossible. Dans beaucoup de nos campagnes, quel est l'homme qui se présente le premier comme le plus éclairé, le plus habitué aux affaires ? C'est le notaire. Ou bien ce sera un agent d'affaires qui n'a d'autre titre quelquefois que d'être un brouillon. Ou ce sera l’instituteur. Mais l'instituteur ne peut être bourgmestre. Reste le curé. Je ne pense pas qu'on veuille le transformer en bourgmestre. Il ne peut l'être légalement ; mais s'il le pouvait, je crois qu'on ferait très bien de le laisser exclusivement à ses fonctions ecclésiastiques.
Voilà la situation. Sans doute, il vaudrait mieux prendre des hommes tout à fait indépendants, n'ayant pas d'opinion à ménager, ni personne à favoriser.
Sans doute il y a certains inconvénients à nommer des médecins, des notaires bourgmestres. Ils sont dans une position plus ou moins gênée vis-à-vis de leurs administrés. Il leur faut certes une grande dose d'impartialité pour exercer consciencieusement leurs fonctions, mais quant à renoncer à choisir parmi les notaires, c'est un parti que je ne pourrais prendre, c'est une promesse que je ne pourrais faire.
On vient de dire, messieurs, qu'on a nommé des bourgmestres hostiles au ministère, qui combattent le ministère dans les élections.
Je crois que ces bourgmestres ont tort et qu'ils feraient mieux de ne pas combattre le ministère qui a concouru à leur nomination, mais, messieurs, nous sommes tolérants.
(page 70) Nous n'entendons pas établir que tous les bourgmestres doivent, en toute occasion, voter en faveur du candidat ministériel. Je crois qu'il est des raisons de convenance qui doivent les déterminer à ne pas se mettre en hostilité avec le gouvernement, mais nous ne pouvons interdire aux bourgmestres d'user de leur indépendance électorale, de voter comme ils l'entendent.
Sous ce rapport, je ne comprends pas le gouvernement de la même façon que l'honorable préopinant. Ce sont des sentiments de convenance qui doivent porter un fonctionnaire investi de la confiance du ministère a ne pas se montrer ouvertement hostile à la politique de ce ministère ; mais il faut laisser au bourgmestre sa liberté électorale.
J'ajoute que lorsqu'un bourgmestre se déclare ouvertement l'adversaire d'un ministère, lorsqu'il se livre à une opposition violente, son devoir lui dit de ne pas rester l'agent de ce ministère. Un sentiment de délicatesse lui commande alors de se retirer, de donner sa démission.
J'espère que cette manière de voir sera partagée par la grande majorité de cette Chambre.
S'il y a d'autres questions, je m'efforcerai d'y répondre.
M. Coomans. - Il s'en faut de beaucoup que je sois satisfait de la réponse de l'honorable ministre, réponse qui n'est qu'un déni de justice. Je crois pouvoir lui donner cette qualification.
Ce déni de justice repose sur deux raisons ou plutôt sur deux prétextes que je ne puis pas accepter comme sérieux.
En premier lieu, d'après l'honorable ministre nous devrions suivre, dans la discussion des projets de loi soumis à la Chambre, une sorte d'ordre chronologique.
- Une voix. - Alphabétique.
M. Coomans. - Non ! Chronologique. Soyons raisonnables.
D'après M. le ministre, nous sommes déjà accablés de projets de loi ; quand il daignera nous en apporter d'autres, il faudra les placer après les premiers.
Messieurs, cela n'est pas admissible en principe : la Chambre n'a pas à suivre d'ordre chronologique dans ses travaux ; l'ordre qu'elle a à suivre, le bon sens l'indique : c'est celui que tracent l'urgence et la justice. La Chambre doit s'occuper d'abord des projets de loi qui lui paraissent le plus urgents et qui sont réclamés par la justice. L'honorable ministre lui-même ne peut pas nier que la réforme des lois de milice ne doive, à ce point de vue, passer en première ligne. Il y a plus de vingt ans qu'il qualifiait d'odieux le système de milice en vigueur chez nous Il s'est servi à cet égard d'expressions que je tiens pour très justes et qui sont aussi dures que celles dont je me suis servi dans cette enceinte et ailleurs.
Cependant, si je prenais M. le ministre au mot, il serait quelque peu embarrassé ; si j'acceptais l'ordre chronologique, ce serait encore la réforme de nos lois de milice qui devrait primer les autres projets de loi. La Chambre, bien qu'elle ait été notablement renouvelée depuis huit à neuf ans, se rappellera que nous avons été saisis en 1852 d'un projet de réforme complète de nos lois de milice. Le gouvernement jugeait, sous ce rapport, qu'il y avait urgence, et il nous communiqua un projet de loi qui fut imprimé et qui passa même par la filière des sections de la Chambre. Si cette réforme était nécessaire, et elle était proclamée telle en 1852, pourquoi ne l'est-elle plus en 1860, surtout après toutes les réformes que d'autres Etats ont opérées en cette matière ?
Ce n'est peut-être pas le moment d'entrer dans ces détails ; en tous cas, l'état de ma santé m'en empêcherait ; mais je pourrais vous démontrer que les lois de milice belges sont en ce moment les plus défectueuses, les plus détestables de l'Europe tout entière.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). -Mais non !
M. Coomans. - J'ai fait, pour ma part, une étude comparée des lois de milice des différents Etats de l'Europe et je ne sais vraiment pas quel Etat de l'Europe je pourrais excepter du jugement que je porte ici. Dans tous les cas, il me semble qu'il ne suffit pas qu'on puisse dire et prouver qu'il y a des nations plus mal loties que la nôtre en fait de législation sur la milice ; nous devrions avoir la prétention de marcher au moins de pair avec les nations qui auront fait le plus de progrès en cette matière.
Or, messieurs, examinez la législation de nos voisins et vous vous convaincrez sans peine que notre législation sur la milice est la plus défectueuse de toutes les législations des peuples les plus civilisés. Vous voyez que je n'ai pas besoin d'aller jusqu'au Bosphore pour donner du poids à mon accusation.
La seconde raison que me donne M. le ministre n'est guère plus fondée que la première. MM. les ministres ne se sont pas encore mis d'accord sur un des principes du projet de loi ! Messieurs, cela m'importe assez peu ; si vous n'êtes pas d'accord depuis de longues années que vous discutez ou que vous devez discuter cette question, il est vraisemblable que vous ne serez pas encore d'accord l'année prochaine. Mais alors laissez cet article en blanc ; ayez quelque confiance dans la Chambre ; communiquez-nous le projet de loi que vous avez élaboré, nous dites-vous, et nous tâcherons de remplir la lacune.
Le besoin d'examiner une question cent fois traitée depuis 30 ans et indiquée par la Constitution même, n'est pas une raison sérieuse, elle n'eût pas été acceptée l'année dernière, elle ne l'eût pas été par M. le ministre lui-même ; aujourd'hui elle peut l'être moins que jamais.
Puisqu'on parle de franchise, j'en montrerai beaucoup, c'est assez mon habitude ; eh bien, je pense qu'on est décidé à ne pas faire de réformes sérieuses aux lois sur la milice.
Tout ce qui se passe depuis une vingtaine d'années, à cet égard, m'autorise à le penser et à dire. On a beaucoup parlé de nos lois de milice, on n'a rien fait contre les abus dont elles fourmillent.
Quand M. le ministre de l'intérieur n'était pas ministre, il attaquait vivement les lois sur la milice ; il n'avait pas tort, mais c'était là un engagement d'agir selon ses convictions.
Le ministre doit agir conformément au langage de l'orateur.
Pour moi, évidemment, je ne serai jamais ministre, mais si j'avais l'honneur de l'être pendant trois jours seulement, je ne dormirais pas avant d'avoir déposé un projet de loi sur la milice.
Je crois qu'il est convenable d'agir suivant ses convictions ; je ne doute pas que les convictions de M. le ministre de l'intérieur soient conforme à ses paroles, mais je me plains qu'il n'emploie pas mieux la grande autorité qu'il exerce dans le cabinet pour nous faire présenter un projet de loi.
Quand on veut, on peut ; on l'a démontré au sujet des octrois, on le démontrera au sujet de la milice, quand on le voudra bien.
Je désire qu'on s'en occupe et qu'on reconnaisse une fois pour toutes que notre régime de conscription est une duperie effroyable pour les cinq sixièmes de la nation... (Interruption.)
Qu'on ne me force pas à en dire davantage sur ce point ; je puis démontrer cela clair comme le jour.
L'honorable ministre a fait allusion à ce que j'appelle, moi, un détail ; il s'agit de l'origine de l'indemnité à allouer au milicien forcé.
J'attends la rédaction qu'on nous apportera de la disposition ; quant au principe adopté par la commission, j'appelle l'attention du gouvernement sur la gravité qu'il présente. Pour moi la question n'est plus de savoir qui payera cette indemnité, je ne veux pas la mettre à la charge des miliciens non appelés sous les drapeaux. J'aime mieux l'imposer à la caisse des contribuables, c'est-à-dire que l'indemnité doit être prise sur le budget de la guerre et non dans la poche des familles. Cette question, très grave, est, à mes yeux, tranchée d'avance ; il ne m'a pas fallu pour cela de longues années de réflexion. Je repousse le système des indemnités prises aux miliciens pour passer d'une poche dans une autre. Au lieu d'améliorer la législation par ce système, vous l'empirerez et vous ferez bien plus de mécontents qu'aujourd'hui. En réalité vous serez injustes, car de quoi se plaint-on à présent ? On se plaint de l'inégalité de la charge militaire.
Il est parfaitement vrai que, contrairement à tous les principes, l'impôt milice n'est pas proportionnel, comme devraient l'être tous les impôts. L'impôt milice pèse lourdement sur la classe laborieuse, durement sur la classe moyenne et très peu, presque insensiblement sur la classe supérieure. Or, votre indemnité, semblable ou à peu près à celle qui est admise en France, ne détruira pas ce grand grief que j'ai contre nos lois de milice, car vous serez forcé, invinciblement forcé, en admettant ce système, de supprimer le rachat, c'est-à-dire que vous condamnez forcément à toute la durée du service le jeune homme qui n'aura pas pu racheter d'avance les mauvaises chances du tirage au sort.
Eh bien, ce sera encore une criante injustice. Je me borne à ces paroles sur un sujet qui mériterait d'être longuement développé. Comme je crois que l’intention de la Chambre n'est pas d'avoir en ce moment une discussion approfondie sur cette question, je termine en engageant très vivement le gouvernement à nous apporter les améliorations annoncées. Il le doit, d'aborl parce que la justice lui en fait un devoir et ensuite parce qu'il n'est pas permis de continuer ce grand déni de justice opposé à 76,000 pétitionnaires belges ; le plus grand mouvement que la liberté du pétitionnement ait provoqué depuis 1830, a été celui-ci. Nous avons eu 76,000 pétitionnaires pour la réforme des (page 71) lois de milice. Et qu'on ne dise pas que ce mouvement n'ait pas été sérieux. Car je pourrais démontrer, nous le ferons à l'occasion, que plus de 3,000 bourgmestres, échevins et secrétaires communaux de Belgique y ont pris part. Une telle manifestation est très grave et je m'afflige de voir qu'on n'en tienne pas assez compte.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne nie pas qu'un grand nombre de pétitionnaires aient réclamé des réformes dans le système de milice ; aient demandé la suppression de l'impôt de la milice. Je crois qu'il y aurait un très grand nombre de pétitionnaires pour la suppression de toute espèce d'impôts.
La loi de la milice est certainement une loi très onéreuse. Mais dire qu'elle soit très impopulaire dans le pays, c'est ce que je ne puis pas admettre. Elle est onéreuse, elle n'est pas impopulaire.
Y a-t-il lieu d'introduire des améliorations dans la loi de la milice ? Oui, messieurs, nous le reconnaissons ; nous l'avons proclamé il y a bien des années ; dans le gouvernement ou hors du gouvernement, nous l'avons déclaré, et j'espère que nous arriverons à améliorer sérieusement cette législation. Non pas que je la tienne pour la plus mauvaise de l'Europe. Je n'ai pas, comme l'honorable membre, une connaissance approfondie de toutes les législations de l'Europe, en ce qui concerne la milice. Il prétend qu'il a étudié toutes ces législations et que c'est la loi belge qui est la plus mauvaise de toutes. Je prendrai cela pour une simple assertion, et jusqu'à ce qu'on veuille bien me le démontrer, j'aurai des doutes.
Messieurs, l'honorable préopinant ne peut pas reprocher au gouvernement ou supposer même au gouvernement l'intention de ne pas introduire les réformes promises dans la loi de la milice. Je serais très heureux pour mon compte de pouvoir introduire ces réformes, Mais je viens de dire où est la difficulté principale, et l'honorable préopinant lui-même a eu soin de la faire ressortir.
Distinguons dans les réformes à introduire. Il y a des réformes purement administratives qui ne peuvent donner lieu à aucune espèce de difficulté et qui introduiront de grandes améliorations dans l'institution telle qu'elle est. Si on voulait présenter un projet de loi ayant pour but d'introduire ces améliorations, ce projet de loi est prêt ; la commission s'en est occupée.
Mais il est un point essentiel qu'il plaît à l'honorable membre de qualifier de détail, mais qui est un principe de la plus haute portée. Sur ce principe, la commission composée d'hommes très compétents, très sympathiques aux réformes, ne s'est pas trouvée d'accord. Il lui a fallu de longues délibérations, de longues discussions avant d'arriver à une conclusion et sur cette conclusion la commission ne s'est pas trouvée d'accord, et qu'arrive-t-il ?
La commission, après un laborieux examen, après de longues délibérations qui lui ont été ici même reprochées, apporte des conclusions et ces conclusions consacrent précisément le système que l'honorable préopinant vient combattre comme devant non pas améliorer la loi, mais empirer la loi. Ainsi, messieurs, avant même que le projet ait vu le jour, avant qu'il ait été déposé sur le bureau, voici déjà son principe essentiel attaqué par un représentant qui a, dit-il, beaucoup étudié la matière, voilà déjà le principe ruiné dans sa base ; voilà que le projet qui a donné tant de peine à une commission d'hommes spéciaux très éclairés, très capables, est frappé de malédiction par l'honorable préopinant. Il voudra bien, dans de pareilles conditions, permettre au gouvernement d'hésiter quelque peu avant de se rallier aux conclusions de la commission. J'ai dit que le point sur lequel le cabinet délibère est de savoir : 1° s'il y a lieu de rétribuer extraordinairement les miliciens, en raison de leurs services, et 2° sur quelle base sera prélevée cette rétribution. La commission propose qu'elle soit couverte en partie par les miliciens qui prennent part au tirage. L'honorable M. Coomans repousse ce système comme inique, comme odieux, comme empirant le système actuel.
Si ce ne sont pas les miliciens concourant au tirage qui contribuent à solder les miliciens qui concourent au service, qui donc payera ? Ce sera la généralité des contribuables ; ou plutôt, suivant l'honorable préopinant, ce sera, si je l'ai bien compris, le budget de la guerre.
M. Coomans. - C'est bien la même chose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Entend-il faire porter sur le budget de la guerre une réduction de 2 millions destinés à augmenter la solde des miliciens, ou veut-il augmenter le budget de la guerre d'une somme de 2 millions destines à augmenter le pécule des miliciens ?
Voilà la question. Eh bien, cette question mérite examen. Cette question vaut bien la peine que le cabinet en délibère.
L'honorable préopinant dit que s'il était ministre, en trois jours il aurait résolu la question. Il est possible qu'en trois jours l'honorable préopinant aurait pris un parti.
M. Coomans. - Après vingt années de méditations.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais est-il bien certain qu'en dépit de ses vingt années de méditations, il apporterait à la Chambre un projet de loi qui serait accueilli par la majorité ? Voilà le point important.
Il ne s'agit pas d'apporter à la Chambre un projet quelconque ; rien n'est plus facile que de formuler un système ; mais il faut formuler un système pratique, un système ayant chance d'obtenir l'assentiment de la Chambre et l'assentiment du pays. Eh bien, je le dis en toute sincérité, le système de la commission m'avait d'abord souri ; je m'étais rallié au système qui consiste à ce que les miliciens qui ne servent pas rémunèrent les miliciens qui servent ; mais on m'a fait comprendre qu'il y aurait là pour certaines familles une nouvelle charge extrêmement onéreuse. Maintenant le cabinet délibère non pas sur le point de savoir si les miliciens recevront une rétribution, mais sur le point de savoir comment le montant de cette rétribution sera couvert ; faut-il créer un impôt spécial, ce serait le système le plus simple et peut-être le plus équitable, mais encore, avant d'établir un nouvel impôt de deux millions, il faut bien y réfléchir.
Nous prions la Chambre d'être bien convaincue que ce n'est pas par une sorte de timidité puérile, par une sorte d'inertie qui nous répugne, encore moins par oubli de nos devoirs, que nous ne présentons pas immédiatement le projet de loi. Nous cherchons à arriver à un système qui rencontre dans cette Chambre une forte adhésion, nous cherchons à formuler un système qui puisse être adopté avec faveur par le pays.
Nous ne tenons pas à encombrer le bureau de la Chambre de projets de lois devant peut-être rester à l'état de projets pendant des années ; nous n'avons pas cette ambition. Notre ambition, c'est d'apporter des projets pratiques, des projets qui puissent être transformés en loi et en bonnes lois le plus tôt possible.
M. Manilius. - Sans le regrettable accident qui a empêché le vénéré chef de l'Etat d'ouvrir la session, je n'aurais pas insisté pour que M. le ministre s'expliquât sur les travaux de cette session. Maintenant M. le ministre vient dire assez carrément qne nous n'aurons à délibérer que sur les projets arriérés.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n’ai pas dit cela.
M. Manilius. - Je regretterais infiniment que la loi sur les fraudes électorales dût subir des retards. M. le ministre paraît avoir puisé ses raisons exclusivement dans le désir exprimé par plusieurs électeurs de voir établir le vote par ordre alphabétique pour faire cesser certaines fraudes très graves ; mais, messieurs, il ne s'agit pas de ces seules fraudes ; la loi électorale donne lieu à une foule d'abus, qui ont été dénoncés à l'occasion de l'enquête sur les élections de Louvain et à l'occasion de beaucoup d'autres élections.
Il y a deux jours encore on a renvoyé à M. le ministre de l'intérieur une pétition où l'on se plaint de la formation des listes électorales. On ne donne pas toujours les fonctions de bourgmestre à des notaires ou à d'autres personnes instruites, on nomme souvent un simple cultivateur qui laisse faire ; il en résulte souvent qu'on est obligé de rayer des listes électorales 6, 7, 8 habitants qui ne sont pas électeurs.
Voilà un fait à l'égard duquel la loi électorale doit être corrigée. Je dis, messieurs, que de nombreuses réclamations nous sont transmises, et je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur en comprend toute l'importance. Je ne pense pas que, pour corriger de semblables abus, il faille attendre l'approche des élections. Il faut remédier au mal dès qu'il est connu, et le mal dont il s'agit est suffisamment connu.
Ainsi, messieurs, je le répète, ce n'est pas seulement du vote par ordre alphabétique qu'il s'agit ; il ne s'agit pas non plus de prendre des mesures pour que les électeurs soient favorables à l'opinion libérale ; il s'agit d'obtenir que les élections soient sincères et loyales, quel que soit le parti qui triomphe.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre a interprété d'une manière carrément erronée ce que j'ai dit à la Chambre. Je crois avoir été parfaitement clair. Je n'ai pas dit que le ministère ne présenterait aucune espèce de projet de loi avant que la (page 72) Chambre eût délibéré sur les projets dont elle se trouve actuellement saisie, mais j'ai fait comprendre à la Chambre qu'il est inutile de présenter beaucoup de lois nouvelles avant qu'il ait été statué sur les lois déjà présentées.
Il est si peu dans l'intention du gouvernement de ne pas présenter des projets de lois nouveaux que le discours du Trône, qui n'a pu être prononcé à cause d'une circonstance bien regrettable, contenait les passages dont je vais avoir l'honneur de donner lecture à la Chambre.
« Indépendamment des divers projets de lois actuellement soumis aux Chambres, elles auront à délibérer sur d'autres projets que je recommande à leur sérieux examen. Ces projets concernent, entre autres l'organisation judiciaire, la révision de la loi sur la contribution personnelle, l'amélioration de nos lois de milice, un ensemble de travaux publics complémentaires de ceux qui ont été votés. »
Le discours du Trône ajoutait :
« La Chambre trouvera sans doute opportun de délibérer d'abord sur les projets dont elle se trouve déjà saisie et parmi lesquels je rappellerai ceux relatifs au code pénal, aux caisses d'épargne, aux warrants, à la police sanitaire, à la propriété littéraire et artistique, au grade d'élève universitaire. »
« J'ai fait en outre (disait le Roi) préparer des projets de loi sur les marques de fabrique, sur le travail des enfants et des femmes, sur les livrets d'ouvriers. »
Voilà quel était le programme d'affaires qui devait être communiqué à la Chambre dans le discours du Trône, programme, comme vous voyez, très vaste, trop vaste évidemment pour la session. Il est manifeste que, sous ce rapport, le gouvernement avait fait son devoir et que tous ces travaux qui avaient été préparés n'avaient pas la chance d'être tous convertis en lois dans le cours de la session.
J'espère donc que l’honorable préopinant sera convaincu que l'intention du gouvernement n'est nullement de ne pas présenter de projet de loi à la Chambre dans le courant de la session actuelle ; au contraire, le gouvernement ne demande pas mieux que d'en déposer le plus grand nombre possible qui aient la chance d'être discutés et votés.
M. Rodenbach. - Messieurs, depuis plusieurs années je me suis joint constamment à l'honorable député de Turnhout pour demander la réforme de nos lois sur la milice. L'année dernière encore, j'ai réclamé avec force cette réforme, et j'ai dit que le gouvernement ne pouvait plus tarder à présenter un projet de loi.
M. le ministre de l'intérieur vient de nous annoncer que le projet de loi est achevé. Eh bien, j'adjure le gouvernement de le déposer. Il y a vingt ans que l'on demande le redressement de ce grief ; le temps est venu enfin d'y faire droit. Nulle loi n'est plus urgente.
Je ne suis pas d'accord sur un point avec l'honorable membre qui a pris le premier la parole sur la milice ; lui, voudrait augmenter les contributions publiques de quelques millions pour remplacer les miliciens. Je crois que le système français, convenablement modifié d'après notre régime constitutionnel, est un système beaucoup plus praticable que celui que mon honorable collègue préconise.
Je ne pense pas qu'il y ait dans cette Chambre beaucoup de partisans d'augmentations d'impôts. Nos charges et contributions atteignent déjà un chiffre très élevé, et je ne vois nullement la nécessité de les augmenter sans cesse.
Dans les premières années qui ont suivi la révolution, nous avions des budgets de 80 à 90 millions ; aujourd’hui nous sommes arrivés à un budget d'au-delà de 140 millions. Je crois, dès lors, que l'économie doit être dans les vœux de tous les membres du parlement.
Pour en revenir à la question de principe, je dirai que l'armée française est la meilleure armée de l'Europe et du monde entier ; elle a donné et elle donne encore des preuves de cette supériorité.
Eh bien, qu'est-ce que le système français ? Il consiste en ceci ; que les personnes qui ont le bonheur de naître dans l'opulence ou dans l'aisance, indemnisent, par l'intermédiaire du gouvernement, celles qui appartiennent à la classe infime de la société. C'est là un système de compensation qui vaut infiniment mieux que celui qui consisterait à augmenter les impôts.
D'ailleurs, il paraît que ce système, avec plusieurs modifications et améliorations, est adopté par une partie du cabinet ; rien ne s'oppose donc à ce que le projet de loi soit déposé. On cherchera à se mettre d'accord sur ce point spécial. Je le répète, rien n'est plus urgent que la réforme de la loi sur la milice. Cette loi est on ne peut plus inique ; 70,000 pétitionnaires ont demandé qu'elle fût réformée. Je persiste donc à prier M. le ministre de l'intérieur de déposer le projet de loi sans aucun délai.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, ce n'est pas le moment de discuter les différents systèmes ; mais je tiens à constater que l'honorable préopinant, partisan de la réforme, est en complet désaccord avec l'honorable M. Coomans, autre partisan de la réforme. L'honorable M. Rodenbach propose le système français, auquel le ministre, d'après l'honorable membre, semble s'être rallié partiellement.
L'honorable membre se trompe, messieurs. S'il y a un système onéreux, c'est bien celui-là. S'il est exécuté cette année, comme il l'a été les années précédentes, en quoi consiste-t-il ? Un milicien est exonéré à un prix exorbitant, vu l'état de guerre ; le gouvernement lui fournit un remplaçant ; où va-t-il chercher ce remplaçant ? Il va le chercher parmi les autres miliciens ; il force un individu, exempt par le sort, à servir pour le compte d'un individu qui ne sert pas moyennant le payement d'une indemnité. Voilà une injustice flagrante dont la Chambre ne voudra certes pas. (Non ! non !)
La question n'est donc pas aussi facile qu'on paraît le croire.
(page 77) M. Rodenbach. - Je répondrai à M. le ministre que je ne prétends pas dire qu'il faille suivre complètement le système français tel qu'il existe ; je veux seulement qu'on apporte dans le nôtre une modification qui le rapproche du système français sous ce point que celui-ci favorise l'homme que ses moyens ne permettent pas de remplacer. C'est' donc le perfectionnement de ce système que je demande, et je crois ce perfectionnement possible. En effet, qu'on prélève sur la classe aisée une indemnisation en faveur de la classe pauvre : de cette manière, celle-ci ne supportera pas seule le fardeau de cet impôt inique.
(page 72) M. Hymans. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur a fait allusion deux fois, dans son discours.au projet de loi sur la propriété littéraire et artistique. Déjà deux fois aussi, dans la session précédente, M. le ministre a demandé que la discussion de ce projet eût lieu. Eh bien, je déclare que si l'on veut que cet objet très important soit discuté dans la session actuelle, il est absolument indispensable que le bureau veuille bien se charger de compléter au plus tót la section centrale. Par suite du renouvellement du bureau, la section centrale de la propriété littéraire et artistique se trouve complètement modifiée. L'honorable M. Dolez, qui en était le président, ne fait plus partie du bureau ; l'honorable M. Vervoort, qui en était membre, est devenu président de la Chambre.
Or, il y a une chose à faire : c'est d'ordonner la lecture du rapport pour qu'il soit imprimé ensuite, et je crois qu'il est utile, comme l'impression sera assez longue, comme il faudra que M. le ministre ait le temps d'examiner ce rapport, la section centrale ayant complètement modifié le projet, de faire cette nomination le plus tôt possible ; sans cela nous ne discuterions pas, dans la session actuelle, ce projet de loi auquel le gouvernement attache, avec beaucoup de raison, une (erratum, page 77) grande importance.
M. Guillery. - Messieurs, je remercie le chef du cabinet de la communication qu'il vient de faire à la Chambre du programme de la session.
Je crois que cette communication était indispensable d'après toutes les traditions constitutionnelles qui veulent qu'au commencement d'une session les Chambres examinent la politique du cabinet, que la majorité comme la minorité soient appelées à discuter les intérêts qui leur sont confiés.
Je vois avec plaisir que l'activité de M. le ministre des finances ne s'est pas ralentie, et qu'au projet de loi si important de l'abolition des octrois, il fait succéder un projet de loi non moins important, celui portant révision de la contribution personnelle. Cette réforme est demandée depuis longtemps.
Il aura l'honneur à la fois d'avoir pris l'initiative de cette réforme et d'en avoir amené l'accomplissement.
Mais quelque important que soit ce projet de loi, quelque important que soit le projet de loi de travaux publics qui, je l'espère, ne sera plus accompagné cette fois d'accessoires trop compromettants et trop inséparables, il est, messieurs, des questions d'un ordre plus élevé encore et que la Chambre ne peut passer sous silence ; je veux parler des questions qui touchent à la constitution même de l'Etat, à la sincérité de nos institutions, a la formation du parlement lui-même.
Les honorables MM. de Renesse et Manilius ont soulevé une question qui n'est pas neuve dans cette enceinte, c'est celle des fraudes électorales.
Que la Chambre soit saisie de projets de loi importants, que son ordre du jour soit surchargé ou non, il ne peut y avoir de motifs, suivant moi, d'ajourner d'un seul jour la réforme qui est demandée par le (page 73) pays, qui a été demandée unanimement par la section centrale de cette Chambre.
La Chambre elle-même, vous vous le rappelez, messieurs, a adopté le principe de cette réforme à une immense majorité.
Sans doute, il y a encore des projets de loi arriérés, mais, veuillez, messieurs, remarquer une chose, c'est que si des projets de loi très importants restent un certain temps devant la Chambre, la cause en est au travail des sections centrales, la cause en est au temps qu'il faut aux sections centrales et aux rapporteurs pour terminer leurs travaux.
La commission du Code pénal a fait preuve d'une louable activité et néanmoins, il reste encore deux rapports à déposer ; on ne peut voter un code pénal en une ou deux sessions.
Chaque fois qu'un projet de loi a été à l'ordre du jour pendant la dernière session, il a été examiné par la Chambre et elle a statué ; par conséquent, la Chambre a fait toutes les diligences possibles.
Tous les projets de loi qui nous seront présentés seront, je crois pouvoir en répondre, placés à notre ordre du jour pendant cette session et seront examinés par la Chambre.
Quant à la question des fraudes électorales, on ne peut donner pour excuse que le temps nous manque.
M. le ministre de l'intérieur dit : Lorsque la Chambre aura terminé les travaux dont elle est saisie maintenant, nous pourrons aviser à la question électorale.
Je suis d'avis, au contraire, que la Chambre devrait ajourner tous ces travaux, quels qu'ils fussent, pour examiner cette question.
Rappelez-vous, messieurs, dans quelles circonstances s'est produite cette question.
L'honorable ministre de l'intérieur a rappelé l'émotion produite par la présentation de la proposition de la section centrale. Qu'il veuille se rappeler l'émotion qui a dicté la proposition de la section centrale, l'émotion qui a remué tout le pays lorsqu'on a fait connaître que notre système électoral se trouvait menacé dans sa sincérité ; lorsqu'on a fait connaître que le mandat lui-même des députés pouvait être contesté.
Mais, messieurs, comment cette proposition a-t-elle été ajournée ?
Pour un seul motif apparent, pour un seul motif allégué, c'est qu'à la veille des élections on ne peut modifier une loi électorale. On a dit : Nous ne voulons pas, nous majorité, faire un acte de parti à la veille des élections.
Je n'admets pas l'argument, parce que je crois que si la loi renfermait des abus, c'était à la veille des élections qu'il fallait les réprimer.
Mais enfin, on a ajourné dans la précédente session, n'en parlons plus.
Nous ne sommes plus à la veille des élections, les mêmes motifs n'existent plus. Faut-il attendre que nous nous trouvions de nouveau dans la même situation au mois de juin prochain, pour que les mêmes motifs puissent être produits ?
A la fin de la discussion sur les élections de la ville de Louvain, j'avais fait une proposition bien modeste. J'avais demandé que la Chambre émît le vœu qu'une révision de la loi électorale eût lieu dans le plus prompt délai possible.
Il me semblait que l'enquête si longue, si douloureuse pour nous et le pays qui avait eu lieu à l'occasion des élections de Louvain ne devait pas avoir pour résultat unique l'annulation d'une élection et le retour dans cette enceinte des élus qui avaient été 'désignés une première fois par les électeurs. Ce résultat ne me paraissait pas assez haut ni assez grand pour la mission que nous avons à remplir.
Il me semblait qu'il fallait une grande décision de principe et que la Chambre devait itérativement émettre le vœu que les abus qui avaient été signalés ne pussent continuer d'exister dans nos lois, il me semblait qu'il suffisait que ces abus fussent connus pour qu'il fût de la dignité du pays de les faire disparaître.
De deux choses l'une : ou ces abus ne compromettent pas la loi électorale (qu'on le dise franchement et n'en parlons plus), ou ils compromettent la sincérité des élections, c'est-à-dire qu'ils incriminent notre mandat et alors nous n'avons pas le droit de les laisser subsister un seul jour.
Quelle fut, messieurs, la réponse que l'on fit à ma proposition ? Elle fut écartée par une motion d'ordre et à la suite d'une déclaration de M. le ministre de l'intérieur. On me dit : Mais qui vous presse ? Vous voulez une déclaration de principe, mais des déclarations de principe, tous en aurez tant que vous pourrez en désirer. N'avez-vous pas toute sécurité par la déclaration de la Chambre sur la proposition de l'honorable M. Orts à la fin de l’année 1858 ? Est-ce que cette déclaration de principe n'est pas une garantie suffisante que la session ne se passera pas sans que cette déclaration soit traduite en loi. Qui vous presse ? me disait-on ; on accusait un peu la proposition de n'être qu'une tactique ; il y avait là-dessous des intentions sur lesquelles on ne s'expliquait point ; et on me demanda : Mais comment pouvez-vous persister après les déclarations de M. le ministre de l’intérieur, qui est tout sympathique à la proposition et qui promettait même, avec beaucoup de générosité, de présenter un projet de loi dans le cours de la session ; non pas, disait M. le ministre, de manière qu'il puisse être voté dans cette session même (c'est l'affaire de la Chambre). Je ne puis pas faire marcher la Chambre plus vite qu'elle ne veut. Mais je poursuis activement l'enquête. Celle-ci avait été commencée dès le 2 août. Il est vrai qu'elle avait été ordonnée dans-le mois d'avril ; mais enfin trois mois après, on n'avait pas perdu de temps ; l'enquête était près d'aboutir à un résultat.
Mais malheureusement, au moment où l'on allait y parvenir, survint l'affaire de Louvain qui força le gouvernement, par mesure de prudence, de suspendre l'enquête. Mais dès que l'enquête sur les élections de Louvain serait terminée, on devait recommencer l'enquête administrative. Cette enquête est reprise depuis le mois de janvier, d'après ce que nous a appris le Moniteur ; il me semble donc que le moment est venu d'en faire connaître le résultat. La session dernière s'étant écoulée sans que la promesse ministérielle ait été tenue, nous serions autorisés à espérer la prochaine présentation d'un projet de loi.
Mais un nouveau motif apparaît aujourd'hui ; nous ne sommes pas à la fin d'une session ; il n'y a plus d'enquête administrative qui puisse nous arrêter : il y a les événements extérieurs.
Les événements extérieurs sont-ils plus graves aujourd'hui qu'au 23 décembre 1859 ? Les événements extérieurs ! Mais il me paraît qu'ils sont plus tranquillisants que jamais pour la Belgique. Les événements extérieurs, mais c'est le triomphe de la liberté dans toute l'Europe. Les événements extérieurs ! Mais c'est la reconnaissance du droit de libre discussion dans les pays mêmes où on l'avait le plus contesté. Les événements extérieurs ! Mais c'est le régime parlementaire réhabilité par ceux qui avaient été les plus ingrats envers lui. Les événements extérieurs ! Mais c'est la condamnation de cette crainte qu'on émettait tout à l'heure de discussions irritantes qui puissent compromettre notre position. Discussion ! c'est notre force, c'est notre vie. Il n'y a que les peuples qui ont discuté qui ont vécu.
Je ne crois pas d'ailleurs que la loi sur les fraudes électorales soit de nature à produire cette émotion que l'on craint.
On a pu signaler ces fraudes ; pourquoi donc ne pas les réprimer ? Si vous ne croyez pas que le vote par ordre alphabétique soit un remède ; si des révélations nouvelles sont venues ; si la Chambre a eu tort en 1858, qu'on le dise franchement, on trouvera d'autres remèdes. Quant à moi, je l'avoue, dussé-je passer pour très réactionnaire, je suis resté dans l'état où j'étais en 1858 ; c'est-à-dire que, selon moi, l'ordre alphabétique est un des remèdes les plus énergiques contre les fraudes signalées. Je crois que ce remède empêchera cette tyrannie qui est exercée sur les électeurs dans les campagnes, il empêchera la violation du secret du vote.
Je crois que l'ordre alphabétique constituera l'indépendance complète de l'électeur ; dès ce moment, l'électeur ne relèvera plus que de sa conscience et on ne pourra plus, comme on l'a fait encore récemment, surveiller l'électeur jusqu'au scrutin.
L'ordre alphabétique, c'est l'électeur non plus réparti par brigades, conduit par des personnes plus ou moins influentes sur telle ou telle catégorie, sur telle ou telle section, sur tel ou tel village ; mais l'électeur agissant librement sans autre guide que sa conscience et déposant le bulletin qui contient l'expression de sa propre volonté.
Eh bien, messieurs, si telle est encore l'opinion du cabinet ; s'il croit encore ce que la section centrale proclamait avec enthousiasme il y a 2 ans et ce que la Chambre proclamait avec un enthousiasme non moins grand ; si aucune révélation nouvelle n'est venue effacer ce qui a été dit et écrit, pourquoi donc ne pas en finir ? L'enquête doit être terminée ; cette enquête, commencée au mois de janvier, a déjà près de onze mois d'existence ; elle doit être achevée, et n'y eût-il même pas d'enquête du tout, nous devrions nous en passer. Ne cherchons pas à faire trop bien ; nous ne ferions rien ; mais, je le répète, et je termine par cette considération, il me paraît impossible que, du moment que la Chambre a proclamé par un vote solennel que les fraudes électorales étaient telles (page 74) qu'elles devaient être empêchées par une révision de la loi, il est impossible que la Chambre permette que de nouvelles élections se fassent sous l'empire de la loi électorale qui nous régit.
Nous avons annulé les élections de Louvain ; nous l'avons fait par un sentiment de moralité politique ; nous l'avons fait, non pas par esprit de parti, mais par un sentiment de dignité, dans l'intérêt de la dignité parlementaire elle-même.
Eh bien, si nous avons dû pousser la rigueur jusqu'à annuler des élections, ce qui est toujours une mesure très grave, nous avons un devoir à remplir, c'est d'empêcher que de pareils abus ne se renouvellent et que nous n'ayons encore des mesures aussi rigoureuses à prendre à l'avenir.
M. B. Dumortier. - Mon intention n'était point de prendre la parole sur le terrain où le débat est maintenant engagé. Je voulais simplement demander à M. le ministre de l'intérieur des explications sur une décision prise récemment par la députation permanente du conseil provincial du Brabant sur les dernières élections communales qui ont eu lieu dans la capitale.
Je me réserve de prendre la parole quand le débat actuel sera vidé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pourquoi cela ? Faites votre interpellation maintenant, je la comprendrai dans ma réponse.
M. B. Dumortier. - Soit. Je voulais donc demander à M. le ministre de l'intérieur des explications sur le point que je viens d'indiquer.
Je ne veux point ici examiner de quelle couleur politique sont les élus ; je me place sur le terrain de la légalité et je déclare tout d'abord que je considère la décision de la députation permanente du Brabant comme diamétralement opposée à tous les principes de la loi communale.
Cette question, messieurs, est extrêmement sérieuse et délicate. Il ne s'agit pas ici de limiter les pouvoirs des villes ; s'il n'était question que de cela, je n'en parlerais pas ; il s'agit d'une question de principe, question qui peut prêter à de graves abus.
Je regrette que les paroles que je prononce en ce moment se rapportent à une élection de la capitale ; mais le droit doit toujours avoir la priorité sur la question de fait.
Vous le savez, messieurs, lorsque dans notre pays il faut procéder à des élections tout à la fois pour remplacer des membres sortants par expiration de mandat et des membres décédés ou démissionnaires, les élections se font généralement et se faisaient toujours, conformément aux anciennes circulaires, par deux scrutins séparés.
C'est ainsi que cela s'est pratiqué dans le plus grand nombre des localités, à l'élection dernière ; toutes les nominations pour remplacer les membres dont le mandat était expiré se faisaient par un scrutin spécial et s'il y avait lieu de remplacer des conseillers décédés ou démissionnaires, il était procédé à un scrutin séparé pour déterminer les personnes chargées d'achever le mandat des places accidentellement vacantes. Voilà le principe généralement admis jusqu'à ce jour. Cependant pour l'une des principales localités du royaume, un principe différent vient d'être admis. Dans l'arrêt dont je parle on a admis qu'on peut, par un même scrutin et sans désigner le temps pour lequel les élus sont nommés, procéder à la nomination des membres dont le mandat expire par la cessation de leurs fonctions et de ceux qui doivent remplacer les membres décédés ou démissionnaires.
Je soutiens que ce dernier système est contraire à toute espèce de principe en matière d'élection, à toute espèce de logique.
Quel est le devoir du bureau en matière d'élection ? C'est de constater la volonté du corps électoral, lequel est souverain en matière d'élection.
Son devoir consiste à faire cette constatation, il n'a pas autre chose à faire ; comment est-il possible de constater la volonté du corps électoral, quand, dans un même scrutin, sans établir de distinction dans les bulletins, vous avez confondu des personnes élues les unes pour six ans, les autres pour deux et trois ans ?
C'est impossible, la volonté électorale, seule fait loi en matière d'élection, qui ne peut pas être connue, on ne peut savoir à qui elle a voulu donner un mandat de six ans, ni à qui un mandat de trois ans ; par conséquent ce système est contraire à tous les principes ; s'il pouvait prévaloir, vous arriveriez à un autre résultat, c'est que vous devriez annuler toutes les élections pratiquées d'après le système contraire ; car la vérité ne peut pas être des deux côtés, dans le pour et le contre.
Elle existe dans les deux scrutins séparés, ou dans un seul et même scrutin. Vouloir admettre les deux systèmes, c'est vouloir valider une élection à cause des élus.
II n'y a pas de droit contre le droit ; le droit seul doit prévaloir en matière d'élections et de vérification de pouvoirs. Or où est ici la preuve que le corps électoral a voulu nommer un tel pour six années, tel autre pour deux ou trois années, nommer les uns pour remplacer les conseillers dont le mandat est expiré et les autres pour pourvoir aux places vacantes par suite de décès ou de démission ?
Le bureau électoral n'a qu'une chose à faire, c'est de constater la volonté du corps électoral. Comme cette constatation devient impossible dans un pareil système, ce système est radicalement vicieux.
J'ajouterai que toutes les députations avaient annulé les scrutins faits de cette façon en pareille circonstance.
Dans la province que j'habite, la députation du Hainaut avait annulé toutes les élections où par un même scrutin on avait nommé les membres qui devaient accomplir un mandat et ceux qui devaient remplacer les conseillers dont le mandat était expiré. Vous aurez donc des jurisprudences de toute espèce, une jurisprudence qui approuvera les élections de deux catégories d'élus par un même scrutin, une autre qui annulera des élections ainsi faites, une troisième qui exigera deux scrutins ; tout cela n'est pas possible.
Il y a un point de droit à établir, à constater ; j'appelle sur ce point l'attention la plus sérieuse du gouvernement. Je regrette que les paroles que j'ai à prononcer soient relatives à l'élection de la capitale. Si je regrette que mes paroles viennent à l'occasion de l'élection de aà capitale, je n'en reste pas moins convaincu que le système est éminemment vicieux, contraire à la loi électorale, contraire aux principes, contraire aux circulaires mêmes : qu'il peut vicier le principe constitutionnel, à savoir la sincérité du mandat conféré par le corps électoral.
Un de mes honorables amis avec lequel je m'entretenais de cette question, me cita le fait suivant : Dans une ville de province on avait procédé comme dans la capitale pour la nomination de membres en remplacement de ceux qui sortaient régulièrement et de membres ayant quelques années à siéger ; eh bien, le dernier membre élu était précisément un conseiller communal en fonctions. Qu'en résulte-t-il ? Qu'il s'est trouvé investi de deux mandats : de son mandat jusqu'au terme de ses fonctions et d'un deuxième mandat pour celui auquel il doit succéder. Je demande si un pareil système est possible.
- Un membre. - Cela arrive dans les deux systèmes.
M. B. Dumortier. - Cela est possible ; mais cela n'arrivera pas ; il y a le bon sens des électeurs sur lequel vous pouvez vous en reposer, il n'ira pas donner un mandat de deux ans à un conseiller dont le mandat expire ; de deux choses l'une : il lui confère un nouveau mandat complet ou il ne le réélit pas. C'est une question excessivement sérieuse.
Jê conçois que M. le ministre ne puisse pas répondre immédiatement à cette question, comme ancien rapporteur de la loi communale, j'ai cru devoir faire entendre ces quelques paroles pour protester au nom du droit et appeler l'attention sérieuse du ministre sur la gravité de cette question. Une règle unique doit exister pour tout le pays ; si vous n'établissez pas une règle vous arriverez à avoir des scrutins par lesquels on aura créé des suppléants, système que nous avons toujours repoussé.
Pourquoi fait-on un scrutin unique au lieu de deux pour les élections ? Afin de favoriser la paresse des personnes qui doivent figurer au bureau et qui aiment mieux terminer en une séance qu'en deux. Le deuxième scrutin, qu'on reconnaît nécessaire, viendra à disparaître, et alors comment aurez-vous la garantie que la volonté du corps électoral sera respectée ?
Aux termes de nos lois et de notre Constitution, les corps électifs doivent être une émanation de la volonté nationale ; elle se manifeste par l'élection ; il n'y a qu'un seul système possible, si on veut que cette manifestation soit vraie, c'est celui qui proclame la volonté du corps électoral, non d'après des suppositions, mais par un vote positif contre lequel il ne peut y avoir de contestation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je répondrai d'abord au dernier orateur.
L’honorable M. Dumortier vient de signaler la décision récemment prise par la députation permanente du Brabant qui avait été saisie d'une réclamalion en annulation des élections de la capitale. Les réclamants disent que l'élection était irrégulière en ce que l'on avait compris, dans un seul et même scrutin, des conseillers appartenant à des séries différentes ; des conseillers dont le mandat devait durer six années, et un conseiller dont le mandat devait durer trois années.
En effet, l'administration communale de Bruxelles a procédé de cette (page 75) manière. Elle a décidé que tous les conseillers à remplacer seraient nommés par un seul scrutin, qu'il y aurait une seule liste et que le dernier de la liste, c'est-à-dire celui qui aurait obtenu le moins de voix, remplacerait le conseiller dont le mandat ne devait durer que trois années.
Cette résolution, soumise au conseil communal, donna lieu, de la part du gouverneur de la province, à des observations. Il fit savoir à l'échevin remplissant les fonctions de bourgmestre que cette marche ne lui paraissait pas régulière, qu'elle était contraire, notamment, à une circulaire du département de l'intérieur de 1839, sous le ministère de M. de Theux, circulaire en vertu de laquelle il fallait deux scrutins lorsqu'il y avait à nommer des conseillers à mandats différents.
L'échevin faisant fonction de bourgmestre répondit au gouverneur que la chose s'était passée de la manière proposée en 1854 et en 1857. A ces deux époques, on avait nommé par un seul et même scrutin tous les conseillers, sans distinguer entre la durée de leur mandat, et cette manière de procéder n'avait pas été trouvée irrégulière.
La députation permanente du Brabant, ajoutait l'honorable M. Fontainas, qui avait eu à délibérer sur des cas analogues qui s'étaient passés dans d'autres communes, avait confirmé ce mode de procéder. Quoique le trouvant peu régulier, la députation avait en effet pensé que l'irrégularité n'était pas assez grave pour entraîner l'annulation.
Les choses restèrent en cet état. Le gouverneur ne répondit plus à l'échevin qui avait invoqué ces deux antécédents de 1854 et de 1857.
D'autre part, dans une ville de la Flandre occidentale, à Courtrai, on procéda de la même manière. On décida que tous les conseillers à élire seraient nommés par un même scrutin, sans distinguer entre la durée du mandat. Le gouverneur fit aussi des observations à l'administration Communale de Courtrai qui l'avait consulté. Il répondit que cette marche ne lui paraissait pas très régulière, qu'il fallait procéder par deux scrutins. Mais il paraît que la réponse du gouverneur arriva un peu tardivement. L'administration communale de Courtrai, qui avait consulté l'administration communale de Bruxelles, procéda de la même manière, et à Courtrai on nomma aussi tous les conseillers dans un même scrutin.
La députation permanente du Brabant, conformément à sa jurisprudence, vient de confirmer l'élection de Bruxelles et de passer outre aux réclamations.
Ce mode de procéder de l'administration de Bruxelles est-il très régulier ? est-il complètement correct ? Je ne le pense pas. Je pense que cette manière de procéder n'est pas régulière, n'est pas conforme à l'esprit de la loi. Je crois que la loi veut d'abord assurer la liberté de l'électeur, qu'elle veut que l'électeur puisse désigner d'une manière précise le conseiller qu'il entend nommer pour six ans, et le conseiller qu'il entend nommer pour trois ans. Ce sont deux mandats différents en quelque sorte, ce sont deux actes différents de la part de l'électeur.
Messieurs, rappelons-nous ce qui s'est passé en 1842, à l'époque où la droite se montrait très ardente à réformer nos lois communales, nos lois électorales. On proposa à cette époque de réunir sur une même liste les candidats sénateurs et les candidats représentants sous prétexte ou par le motif qu'il fallait que les électeurs de la campagne eussent le temps de voter pour les sénateurs et pour les représentants ; que l'obligation de voter par deux scrutins séparés faisait que souvent les électeurs de la campagne n'avaient pas le temps de voter pour les représentants.
La gauche, messieurs, combattit très vivement ce système. Elle fit ressortir ce grave inconvénient que, dans le système d'un seul scrutin, l'électeur n'était plus libre ; que, dans ce système il était impossible à l'électeur de nommer représentant un candidat qui n'aurait pas réussi comme sénateur.
Dans le système des deux scrutins séparés, un scrutin pour le Sénat, un scrutin pour la Chambre des représentants, si un ami politique succombe comme sénateur, on peut le proposer comme représentant. Si au contraire sénateurs et représentants sont nommés par un seul scrutin, il est impossible de recourir à ce moyen.
L'opposition d'alors, un ancien honorable président de la Chambre en tête, combattit avec une grande vivacité ce système des listes cumulatives, des listes sur lesquelles on devait inscrire représentants et sénateurs ayant un mandat, les uns de quatre ans, les autres de huit ans. L'honorable M. Verhaegen combattit avec une grande violence ce système ; il fut soutenu par toute la gauche, par l'honorable M. Dolez, et d'autres orateurs de ce côté de la Chambre. Mais la gauche succomba et l'on décida qu'à l'avenir sénateurs et représentants seraient nommés par une même liste.
M. Dolez. - Je n'ai pas changé d'avis. Je garde mon opinion d'alors.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'invoque votre autorité et je la fortifie de celle d'un ancien président de la Chambre.
M. Dolez. - Je tiens à constater que mon avis n'a pas changé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne dis pas que votre avis a changé. Je constate les opinions d'alors.
Eh bien, messieurs, ces raisons que l'on faisait valoir et qui ne manquent pas de force lorsqu'il s'agit d'une seule liste pour des sénateurs et des représentants, ces raisons s'appliquent tout aussi bien à une seule liste pour des conseillers de six ans et des conseillers de trois ans. Dans les deux cas l'électeur se trouve dans l'impossibilité de reporter sa voix au deuxième scrutin sur un candidat qui a échoué au premier.
Le système qui a été suivi à Bruxelles n'est donc pas régulier, mais il a pour justification d'avoir été appliqué deux fois, à deux époques différentes, sans que les élections aient été annulées. Je crois qu'il faut en venir à une règle uniforme et mon intention est non pas, je le dis tout de suite, de provoquer l'annulation des élections de la capitale, ce qui n'a pas été fait à d'autres époques, et il ne faut pas pousser les choses à cette extrémité, mais mon intention est de renouveler les anciennes instructions, de la manière la plus précise, afin que chaque fois qu'il y a à nommer des conseillers dont le mandat expire à des époques différentes, on suive l'usage, généralement admis, qui consiste à procéder par scrutins séparés.
C'est le seul moyen d'agir régulièrement, c'est le seul moyen d'assurer à l'électeur toute sa liberté d'action.
Maintenant, messieurs, je répondrai quelques mots à l'honorable représentant de Bruxelles. Comme lui, j'applaudis à certains événements qui se passent autour de nous. Avec lui j'applaudis à l'installation, au développement, à la consolidation des gouvernements libres. Ce spectacle est sans doute digne d'un grand intérêt ; mais, messieurs, précisément parce que nous attachons un grand prix à la fondation et à la consolidation des gouvernements libres, nous ne pouvons nous défendre de certaine inquiétude quant aux dangers que peuvent encore courir ces gouvernements ; nous ne pouvons nous défendre de certaines appréhensions quant au maintien d'un état de choses que le temps n'a pas encore consacré, qui n'est pas encore définitivement établi, d'un état de choses que des imprudences, que des excès, que des prétentions excessives pourraient encore gravement compromettre.
Ces sentiments que nous éprouvons, nous ne sommes pas seuls à les éprouver, ils sont généralement ceux du pays, je ne crains pas de le dire et si le gouvernement doit tenir compte de l’état de l'opinion, il poserait un acte inopportun, un acte peu en harmonie avec le sentiment public, en provoquant, n'importe par quel projet de loi, des débats politiques irritants au sein de cette Chambre.
Voilà, messieurs, mon sentiment. Voilà la manière dont j'envisage la situation. Il n'y a point ici de crainte puérile, il n'y a point de notre part le moindre désir d'éviter les débats politiques ; nous sommes ici pour les soutenir et pour nous défendre ; mais il y a cette préoccupation qui pèse sur le pays, qui pèse sur beaucoup d'esprits patriotes, cette pensée que le moment n'est point venu de provoquer des débats politiques irritants.
Si d'autres pensent que le moment est favorable, eh bien, qu'ils entament la discussion ; mais nous, nous ne voulons pas en prendre l'initiative.
Un projet de loi relatif à la répression des fraudes électorales peut être présenté, il est prêt, mais ce projet nous conduit inévitablement à un débat politique très irritant.
Eh bien, messieurs, nous ne voulons pas prendre l'initiative d'un tel débat, nous pensons que les circonstances ne le comportent pas. Si d'autres sont d'une opinion contraire, qu'ils prennent, je le répète, l'initiative ; le projet de la section centrale est là, qu'ils en proposent la mise à l'ordre du jour.
Maintenant, messieurs, il est possible qu'avant la fin de la session nous soyons amenés à présenter un projet de loi répressif des fraudes électorales ; nous ne reculons pas devant cette obligation que nous avons contractée ; les circonstances peuvent devenir plus favorables qu'elles ne le sont aujourd'hui.
Nous ne disons pas que nous ne déposerons pas le projet avant la fin (page 76) de la session, mais en ce moment nous ne croyons pas pouvoir le déposer.
M. le président. - Voici une proposition qui vient d'être déposée par M. Guillery :
(page 77) « La Chambre décide qu’il est urgent de réviser la loi électorale, de manière à prévenir le retour des abus signalés récemment dans les élections.
« Elle émet le vœu qu’un projet de loi, dans ce but, soit présenté, en temps opportun, pour pouvoir être adopté dans la présente session. »
(page 76) M. Guillery. -Messieurs, je me trouve lié envers la Chambre par un engagement antérieur. Le 23 décembre 1859, lorsque j'ai eu l'honneur de présenter, avec six de mes honorables collègues, la proposition que j'ai rappelée tout à l'heure, la discussion de l'enquête sur les élections de Louvain était arrivée à son terme ; l'heure était très avancée, et la Chambre devait se séparer le lendemain ; évidemment la discussion ne pouvait pas commencer utilement. J'ai déclaré que j'ajournais ma proposition, et que si M. le ministre de l'intérieur ne présentait pas un projet de loi dans le cours de la session, je m'engageais à présenter une proposition lors de la discussion du budget de l'intérieur.
Un assentiment général de la Chambre m'apprit qu'on approuvait l'ajournement. Voilà dans quels termes je me trouve aujourd'hui l'auteur de la proposition.
Suivant moi, il n'y a rien là qui soit de nature à provoquer un danger quelconque pour la Belgique, pas plus pour ses affaires à l'extérieur que pour ses affaires à l'intérieur. Ce n'est pas une question de politique ; c'est une question d'honnêteté, de probité, et pas autre chose.
S'il est un parti en Belgique qui désire que les élections ne soient pas sincères, s'il est un parti politique ou une fraction de parti politique qui désire que le vœu du corps électoral, qui est le souverain en Belgique, ne sorte pas du scrutin électoral, il n'a qu'à se lever, alors il y aura une question politique entre ce parti-là et le parti opposé.
Je comprends qu'on discute sur les moyens, je ne comprends pas qu'on discute sur la question de savoir si les abus qui ont été signalés, proclamés, reconnus dans cette Chambre, sont des abus ou n'en sont pas, doivent ou ne doivent pas subsister dans nos lois.
Messieurs, il ne faut pas trop de prudence en politique ; il ne faut pas qu'à des idées téméraires qui trahissaient trop de confiance et de hardiesse, on fasse succéder une politique trop timorée ; il ne faut pas qu'on fasse croire à l'étranger que la Belgique n'est pas assez forte pour pouvoir réviser une loi électorale.
S'il y a des pays mal assis, je le regrette pour eux, mais je crois que les pays les plus mal assis ne sont pas les pays libres. En toutes hypothèses, la Belgique n'est pas dans ce cas-là. Elle est parfaitement assise depuis 30 ans ; elle a eu à supporter, dans des temps difficiles, des débats beaucoup plus importants, beaucoup plus considérables que ceux qui se rattachent à la révision d'une loi électorale.
Si l'on ne veut pas admettre le principe de l'ordre alphabétique, soit ; mais ce qui est certain, c'est qu'il faut que la Chambre fasse disparaître les abus qui ont été signalés. C'est pour elle une question d'honneur, de probité ; ce n'est pas une question politique.
- Des membres. - Une nouvelle lecture de la proposition !
M. le président donne une nouvelle lecture de la proposition.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne m'oppose pas à l'impression, à la distribution et à la remise de la discussion de la proposition de l'honorable M. Guillery. J'ai une simple observation à présenter sur cette motion ; elle méconnaît entièrement les pouvoirs de la Chambre.
Dans d'autres pays, les assemblées représentatives n'ont pas le droit d'initiative : elles sollicitent humblement du gouvernement la présentation des projets de loi qu'elles peuvent considérer comme utiles pour le pays. Mais en Belgique la Constitution a garanti aux Chambres le droit d'initiative ; elles n'ont pas à émettre le vœu que le gouvernement présente un projet de loi.
Si donc l'honorable M. Guillery pense qu'un projet de loi, dans le sens qu'il indique, est indispensable, s'il croit qu'il est opportun de le soumettre aux délibérations de la Chambre, il doit user de son droit d'initiative ; mais la Chambre, par le sentiment de sa propre dignité, par respect pour sa prérogative, doit écarter, par la question préalable, la motion de l'honorable M. Guillery, dans les termes où elle est formulée.
Mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, l'a dit tout à l'heure ; le droit dont peut user l'honorable M. Guillery est d'autant plus facile à exercer qu'il existe une proposition due à l'initiative d'une section centrale et qui est encore à l'ordre du jour de la Chambre. Si l'honorable membre ne veut pas rédiger un projet de loi, il suffit qu'il demande que le projet de la section centrale soit discuté, et, si la Chambre accueille cette proportion, le débat s'ouvrira. Le gouvernement ne recule pas devant la discussion ; mais il n'en veut pas prendre l'initiative ; il l'acceptera si quelqu'un veut l'ouvrir ; mais il n'en aura pas la responsabilité. Nous ne voulons pas, dans les circonstances actuelles, provoquer des débats irritants.
Il ne s'agit pas de débats irritants, dit l'honorable M. Guillery ; ce sont des questions d'honneur et de probité. Y a-t-il un parti qui demande que les élections soient entachées des vices les plus graves, que la corruption électorale soit en quelque sorte consacrée ; eh bien, que les organes de ce parti se lèvent, qu'ils s'expriment et qu'ils viennent soutenir une pareille thèse. Mais il ne s'en présentera pas. Or, ajoute-t-il, il ne s'agit que de la répression de ces fraudes ; tout le monde doit être d'accord. Les moyens seuls sont en question.
Oui, les moyens seuls sont en question ; il n'y a certes personne qui prétende qu'il faille tolérer, approuver les fraudes, les corruptions électorales ; mais ce sont les moyens à employer pour les réprimer qui peuvent soulever des discussions de la nature la plus grave.
L'appel des électeurs, suivant l'ordre alphabétique, est un remède qui a été indiqué pour prévenir certains abus. Le remède serait-il efficace ? Ne le serait-il pas ? Je n'examine pas ces questions. Je ne recherche pas davantage si ce mode serait praticable, s'il n'offrirait pas de sérieux inconvénients. Ce sont des points qu'il faudrait examiner, si l'honorable M. Guillery jugeait à propos de mettre en action l'initiative dont il est investi. Mais en reconnaissant avec lui que tout le monde est d'accord, pour ne pas vouloir de la corruption électorale, il sera impossible de contester que le moyen préventif que l'on voudrait consacrer, ne doive soulever les plus vives passions dans cette Chambre et dans le pays. Est-il opportun d'entamer aujourd'hui des débats semblables ? Voilà toute la question.
Messieurs, quels sentiments se font jour dans la presse ? Qu'entend-on de toute part comme expression de l'opinion publique ? Des appels à l'union, à la concorde. On se réunit dans des banquets, on boit à la paix, à l'union. Cette paix, cette union n'est-ce pas ici surtout que nous devons essayer de les faire régner ? N'est-ce pas à nous de considérer si de pareilles propositions ne seraient pas de nature à jeter des ferments de division et de discorde dans le sein même de la majorité ?
Et, toutefois, si ces considérations n'arrêtent pas l'honorable membre, qu'il use, je le répète, de son droit d'initiative ; nous discuterons le projet qu'il pourra présenter.
Il est vrai que, à part le moyen dont je viens de parler, il est certains faits, certains actes qui ont eu un grand retentissement et qui sont de nature à être réprimés. Une proposition qui serait soumise à la Chambre, à cet égard, ne donnerait pas lieu vraisemblablement à des débats irritants.
Nous nous sommes occupés de cette question ; car la Chambre peut être convaincue que nous n'avons pas été inattentifs à ce qui s'est passé, et, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, un projet de loi existe sur cette matière ; il est complet ; à la rigueur on pourrait le présenter ; il est probable que ce projet en lui-même ne provoquerait pas des débats politiques orageux ; nous le croyons suffisant pour réprimer les faits qui ont été signalés ; mais, n'est-il pas à craindre qu'une fois la discussion ouverte sur ce sujet, on ne soit appelé à examiner la question irritante du vote par ordre alphabétique ? (Interruption.) Je ne juge pas la mesure en soi, cela ne paraît pas une chose irrationnelle.
Mais cela peut soulever des objections à divers points de vue. Je n'examine pas.
Messieurs, si dans le cours de la session les circonstances nous paraissent telles qu'on pourrait, sans inconvénient pour le pays, appeler l'attention de la Chambre sur un pareil projet, nous aviserons. Nous ne nous engageons pas à nous abstenir quoi qu'il arrive.
Mais, si les circonstances restent telles qu'elles sont, depuis trop longtemps déjà ; si de graves inquiétudes continuent à tenir les esprits agités ; si des événements que l'on redoute sont encore l'objet de toutes les préoccupations, nous ne présenterions pas ce projet de loi.
Ce serait faire un acte antipatriotique dans les circonstances actuelles, ce serait méconnaître les devoirs que nous impose la responsabilité du gouvernement que de provoquer des débats qui pourraient amener une vive irritation dans cette Chambre, et créer pour la majorité une situation pleine de périls.
M. le président. - La question préalable est demandée.
M. Guillery. - Je ne pense pas que la Chambre s'attende à ce (page 77) que nous discutions devant elle les questions de banquets, ni les toasts qui ont pu être portés.
Je crois qu'il s'agit ici de la proposition que j'ai eu l'honneur de déposer. Je ne répudie, du reste, dans cette enceinte ni ailleurs, aucune des opinions que j'ai pu émettre en quelque lieu que ce soit.
Oui, je désire l'union du parti libéral dans une même pensée, dans cette pensée qui l'a toujours réuni et sous les couleurs qui ont toujours été les siennes.
Je désire l'union du parti libéral sur le terrain de la loyauté et de l'honnêteté politique. Je désire l'union du parti libéral à condition que ce parti, minorité ou majorité, au pouvoir ou non, tiendra haut et ferme les nobles drapeaux qui lui ont été confiés.
Comment ! on viendrait en 1858, à la face du pays, engager cette Chambre à proclamer un grand principe et l'on viendrait deux ans après dire qu'elle doit répudier ce principe, qu'elle doit se déjuger et déclarer que ce qu'elle croyait moral il y a deux ans est de nature maintenant à compromettre l'existence de nos institutions !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui a dit cela ?
M. Guillery. - C'est la majorité libérale qui a proclamé ce principe en 1858.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et qui l'engage à se rétracter ?
M. Guillery. - Permettez. Lui dire qu'elle doit rétracter ce principe, ou le conserver sans en faire l'application, c'est vouloir le même résultat. C'est dire, passez-moi la comparaison : Je préfère vous devoir toute ma vie que de le nier un seul instant.
Je tiens à voir ce principe, non pas triomphant en théorie, mais mis en pratique par le parti libéral, dans les conditions de liberté et de loyauté qui font sa force et son honneur.
On invoque un argument qui réellement me confond.
L'année dernière, ma proposition était intempestive ; cette année-ci elle a fait de grands progrès. Elle est devenue inconstitutionnelle. La Chambre, par respect pour elle-même, doit l'écarter.
Voici ce que disait l'honorable chef du cabinet, à propos de la même proposition, il y a un an : (L'orateur donne lecture de ce passage.)
Ainsi l'on pouvait parfaitement émettre un vœu semblable en 1858. Aujourd'hui il est devenu inconstitutionnel. Pourquoi ? Parce que la Chambre a en Belgique plus de pouvoirs que dans certains pays où elle se borne à émettre des vœux. Parce que la Chambre belge a le droite d'initiative, elle n'a pas le droit d'émettre un vœu !
Le pacte fondamental lui donne le droit de proposer des lois et ce droit si important lui enlève celui d'émettre un vœu !
Si je m'étais attendu à une pareille argumentation, il m'eût été facile de rappeler les propositions du même genre admises par la Chambre à différentes époques.
La Chambre peut faire une adresse au Roi pour demander la retraite des ministres. Elle peut faire tout ce qui ne lui est pas formellement interdit. C'est en elle que réside la souveraineté nationale, qu'on ne l'oublie pas. Et elle ne pourrait émettre le vœu que le gouvernement présente une loi !
Je ne tiens pas à la forme, et je passerais volontiers condamnation sur ce point, mais je ne puis adhérer à cette doctrine.
Tantôt la Chambre ne peut disjoindre un projet de loi, tantôt elle ne peut émettre un vœu !
Comment ! la Chambre ne peut pas dire au gouvernement : Mon désir, mon aspiration est que vous présentiez un projet de loi ?
Mais l'action du gouvernement ne reste-t-elle pas libre ? Se trouve-t-elle le moins du monde entravée ? Son initiative n'existe-t-elle plus ?
N'a-t-il pas le droit de répondre : Vous émettez le vœu que je présente un projet de loi ? Je ne le ferai pas.
On nous dit, d'un autre côté : Peut-être présenterons-nous un projet de loi.
Ces « peut-être » ne me satisfont pas. Ma proposition n'a pas été écartée par des « peut-être » l'année dernière, mais par une promesse bien formelle.
J'ai pris l'engagement de représenter ma proposition s'il n'était pas donné suite à cette promesse.
Je désire donc que la Chambre se prononce sur ce point et je maintiens ma proposition.
M. le président. - Personne ne demandant plus la parole, je déclare la discussion sur la motion close.
L'impression et la distribution de la proposition n'étant pas formellement demandées, je mets aux voix la question préalable.
- La question préalable est adoptée.
La séance est levée à 4 3/4 heures.