(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)
(page 286) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vander Stichelen procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance du 18 décembre.
- La rédaction en est adoptée.
Il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Par trois pétitions, des habitants de Bruxelles prient la Chambre de rejeter l'ensemble du projet de révision du Code pénal. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur de Munter se plaint de ce que, dans une succession collatérale, on n'a pas admis la représentation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques anciens volontaires de 1830 prient la Chambre de leur accorder une pension. »
- Même renvoi.
« Des négociants en grains, dans le Hainaut, demandent la restitution du droit de patente supplémentaire qui leur a été réclamé par l'administration provinciale des contributions, pour fréquentation du marché de Mons. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Herle prie la Chambre de convertir en loi l'arrêté royal portant que les inspecteurs des écoles seront choisis de préférence parmi les instituteurs ou les élèves diplômés de l'école normale. »
- Même renvoi.
« Des fabricants de sulfate de soude demandent l'établissement d'un droit sur le sulfate de soude étranger.
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Par 22 messages, en date du 17 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »
- Pris pour notification.
« M. J. Lebeau retenu chez lui pour affaires de famille, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. le ministre de la guerre (M. Berten). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'exercice 1859.
- Il est donné acte à M. le ministre de la guerre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoie à l'examen de la section centrale qui a examiné le dernier budget de la guerre.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, avant d'aborder la discussion du quatrième titre du second livre du Code pénal, je demanderai à la Chambre la permission de revenir sur différentes dispositions qui déjà ont été soumises à son approbation. II importe que l'œuvre à l'examen de laquelle nous nous livrons ne soit pas dénaturée par l'ignorance et par la critique de commentateurs qui, s'ils ont lu le projet, ne l'ont certainement pas compris.
Pour vous démontrer la légèreté avec laquelle toutes les questions qui se rattachent au Code pénal ont été appréciées, il me suffira de vous citer quelques faits.
Différents journaux, et des plus importants, ont commencé par se récrier de ce que le gouvernement soumettait à la Chambre et de ce que celle-ci discutait le second livre du Code pénal avant le premier qui contient les principes généraux du Code. Ils ignoraient que le premier livre a été l'objet de vos débats dans les sessions de 1850 à 1851, de 1851 à 1852 et de 1852 à 1853, et qu'il a été adopté par la Chambre le 25 février 1853.
Autre grief, messieurs. On a dit que la Chambre procédait avec tant de précipitation, qu'à peine le rapport était fait, déjà les dispositions se trouvaient votées, et qu'ainsi les articles qui depuis leur adoption ont fait l'objet de critiques très vives n'ont pu être soumises à un examen sérieux. Et cependant quelle est la vérité ?
Toutes les critiques s'adressent au titre II du second livre. Ce titre a été présenté une première fois par mon honorable prédécesseur, en 1857. La Chambre en ayant été dessaisie par suite de la dissolution, le projet fut représenté par moi le 20 janvier de cette année.
Le rapport fut fait au mois d'avril dernier et distribué immédiatement après ; entre la distribution de ce rapport et sa discussion, il y a donc eu un intervalle d'au moins six mois ; malgré ce délai il a fallu que ce fût de l'étranger qu'on vînt nous apprendre toutes les énormités que doit contenir le projet.
Enfin, et ceci est à peine croyable : à lire les journaux qui ont attaqué les dispositions que vous avez déjà votées, nous inscrivons dans la loi de nouveaux délits, nous attentons à la liberté de la presse, à la liberté des cultes, à la libre manifestation des opinions. Cependant, messieurs, je le déclare tout haut, et je défie qui que ce soit de démontrer le contraire, il n'y a pas dans toutes les dispositions critiquées un seul délit nouveau, un seul fait incriminé par le projet qui ne tombe pas en ce moment sous l'application de la loi qui nous régit.
Par ces quelques faits l'on peut juger combien peu sont fondées toutes les clameurs qui se sont élevées autour de ce projet
Toute la réforme du Code pénal, réforme immense, on l'a réduite à quelques articles qui touchent à des questions politiques, et qui pouvaient mettre les partis en présence, et on a laissé à l'écart toutes les autres réformes qui intéressent la grande masse du pays et doivent exercer sur les populations la plus heureuse influence.
Pour juger de cette réforme, que fallait-il faire ? Il fallait remonter à son origine, l'étudier dans son esprit, dans son ensemble et dans ses détails. Si elle avait été appréciée de cette manière, on aurait trouvé qu'une large part a été faite à la science, à la philosophie, en laissant de côté et la politique et l'esprit de parti.
L'idée de la réforme du Code pénal date d'assez loin.
La révision du Code de 1810 était recommandée, ainsi que celle des autres Codes, par la Constitution ; et peu après les événements de 1830, les ministres qui se sont succédé au département de la justice s'en sont occupés. Ainsi, dès 1833, une commission fut nommée, et en 1834 l'honorable M. Lebeau, alors ministre de la justice, déposa un projet de révision.
Pour le dire en passant, et ceci répondra à certains organes de la presse étrangère, qui ont vu dans les dispositions soumises à la Chambre un esprit de réaction, qui ont même cru y apercevoir l'influence des gouvernements étrangers ; pour le dire en passant, les dispositions relatives à la presse qui se trouvent dans le projet actuel, se trouvaient déjà dans le projet de 1834.
Ainsi, ce n'est ni l'influence de faits nouveaux, ni la pression étrangère que nous avons subies.
Le projet de 1834 ne fut pas discuté ; il fut examiné en dehors de la Chambre par des hommes sérieux, par des jurisconsultes distingués, par des professeurs de nos universités, et ces travaux déterminèrent la nomination d'une nouvelle commission qui élabora le projet soumis en ce moment aux délibérations delà Chambre
Cette commission fut composée de magistrats éminents et de professeurs à la science desquels l'Europe rend hommage ; elle comptait dans son sein MM. de Fernelmont et Stas, conseillers à la cour de cassation, M. Delebecque, que la magistrature et la science ont perdu trop tôt, M. Haus, professeur à l'université de Gand. et M. Nypels, professeur à l'université de Liège.
Cette commission fut nommée en 1848. Ainsi que je l'ai dit, la première partie de son travail fut soumise aux Chambres en 1850. La dernière partie a été terminée en 1857.
Après examen, j'ai déposé le second livre sur le bureau tel qu'il est sorti des mains de la commission, me réservant d'introduire pendant la discussion toutes les modifications dont l'utilité serait démontrée.
Je dis ceci, non pour décliner la responsabilité qui m'incombe du chef de la présentation du projet, mais pour que l'on puisse bien juger du caractère, de l'esprit du travail par son origine.
A quel point de vue cette commission s'est-elle placée ? Avant tout elle a dû se préoccuper des imperfections, des vices du Code pénal actuel. Son but a dû être d'y introduire les améliorations que la science avait indiquées. Faisons à notre tour l'examen qu'elle a dû faire.
Que reproche-t-on au Code pénal actuel ?
De reposer presque exclusivement sur la base de l'utile ; de ne tenir compte de la justice, de la morale, dans l'appréciation des faits, que d'une manière secondaire ; de mesurer la gravité des faits, moins sur la perversité qu'ils annoncent que sur les dangers qu'ils entraînent ; et partant de ce principe, d'avoir élevé au rang de crimes ou de délits des faits qui ne sont pas punissables en eux-mêmes ; d'avoir confondu des actions qu'une grande distance sépare, sous le rapport de la criminalité, d'avoir frappé de la même peine des faits qui, au point de vue de la morale, sont essentiellement différents ; d'avoir établi des peines draconiennes, disproportionnées avec le fait qu'il s'agit de punir ; d'avoir multiplié la peine de mort, les peines perpétuelles et les peines afflictives et infamantes ; d'avoir fait exclusivement de la peine un moyen d'intimidation au (page 287) lieu d'en faire un instrument de moralisation et d'amendement pour le coupable ; d'avoir édicté des peines qui rendent même l'amendement impossible : ainsi de la marque, du carcan.
On lui reproche des définitions sans précision, des termes d'une élasticité telle, qu'ils permettent d'étendre l'incrimination d'un cas à un autre.
Enfin le système d'atténuation est considéré comme tout à fait insuffisant ; la latitude entre le minimum et le maximum, là où cette latitude existe, n'est pas suffisante pour que l'on puisse, dans tous les cas, proportionner la punition à la faute. Ce qui est admis en matière correctionnelle par l'article 463, d'appliquer une peine inférieure, est refusé au criminel. L'on trouve même des peines temporaires fixées invariablement, sans tenir compte des circonstances ; le maximum doit être prononcé quelles que soient les causes d'atténuation.
Quant aux circonstances aggravantes, la théorie en est tout aussi défectueuse ; elles peuvent dépendre du hasard, être tout à fait indépendantes de la volonté de l'auteur.
Voilà les reproches principaux qu'on élève contre le Code nouveau.
Pour apprécier le projet, pour le juger sérieusement, à quel point de vue eût-il donc fallu se placer ? Mais précisément au point de vue des critiques dirigées contre la législation actuelle.
Ce qu'il eût fallu examiner, c'est si le principe du Code, principe qui a exercé son influence sur toutes ses dispositions, est resté le principe, la base du projet qui vous est soumis.
Il eût fallu voir si, dans l'appréciation des faits et dans la mesure de la peine, c'est l'utilité, le danger que le délit peut faire courir à la société qui sont pris en considération, ou si ce n'est pas l'immoralité du délit et la perversité qu'il décèle chez l'agent. Il eût fallu voir si dans la pensée du projet, pensée qui se manifeste et par la nature de la peine, et par le mode d'application, l'intimidation est restée le but exclusif de la peine, ou si l'on ne cherche pas aussi l'amendement du coupable.
Il eût fallu examiner s'il existe encore dans le projet, élevés au rang de crimes ou délits, des faits qui ne sont pas punissables en eux-mêmes.
Il eût fallu examiner si l'on a encore confondu des faits de nature différente et frappé des mêmes peines des actions qui, sous le rapport de l'immoralité, sont à de très grandes distances l'une de l'autre.
Il eût fallu examiner si les définitions sont suffisamment claires, les termes suffisamment précis pour exclure tout arbitraire, toute application extensive de la loi pénale.
Enfin il eût fallu examiner si le système d'atténuation et d'aggravation est suffisant, et organisé de manière à permettre au juge de proportionner, dans tous les cas, la punition à la faute.
Voilà ce qu'il eût fallu examiner au lieu de s'attacher à quelques articles dont on s'est complu à obscurcir le sens et à travestir l'origine.
Pour vous citer, messieurs, toutes les améliorations que contient le projet, je devrais vous donner lecture de toutes les définitions nouvelles, vous citer toutes les distinctions, toutes les modifications introduites dans les pénalités actuelles : je devrais, en un mot, reproduire le projet : je me bornerai à vous faire connaître les modifications apportées aux peines établies par le Code actuel.
Le projet supprime la déportation, le bannissement, l'exposition publique. La dégradation civique disparaît également.
La déportation suppose un lieu de déportation. Le bannissement est dans bien des cas une peine impolitique, par exemple, quand elle est comminée contre celui qui a entretenu des intelligences avec des puissances étrangères. La dégradation civique, le carcan, sont des peines qui, bien loin de favoriser l'amendement, y mettent obstacle ; elles étaient donc en opposition manifeste avec l'esprit du projet et devaient disparaître.
La peine de mort est prononcée par 39 articles du Code actuel, et plusieurs de ces articles comprennent un grand nombre de cas différents. Il n'y a pas d'exagération à dire que plus de soixante faits entraîner la peine de mort.
D'après le projet, la peine de mort n'est plus en réalité applicable qu'à quatre espèces de crimes.
1° Attentat contre la vie du Roi ou de l'héritier présomptif de la couronne.
2° Attentat contre la personne du Roi.
3° Meurtre commis avec préméditation, comprenant l'assassinat, l'empoisonnement, l'incendie, la destruction de bâtiments, d'édifices, ayant entraîné la mort de personnes que l'auteur de l'incendie savait se trouver dans les bâtiments et édifices.
4° Meurtre sans préméditation, comprenant le meurtre des pères et mères légitimes ; le meurtre de l'héritier présomptif de la couronne, le meurtre commis pour préparer, faciliter ou exécuter un autre crime, ou pour assurer l'impunité des auteurs et des complices de ce crime.
En matière politique, la peine de mort est supprimée. Elle n'est plus prononcée pour complicité ou récidive. Elle n'est plus prononcée contre les individus âgés de moins de dix-huit ans.
Les peines perpétuelles ne sont plus comminées que dans des cas très graves ; elles sont destinées à remplacer la peine de mort.
Le Code actuel porte la peine des travaux forcés à perpétuité dans 18 Articles. Cette peine n'est plus prononcée que dans 13 articles du projet ; mais il importe de remarquer que ce projet n'a conservé les travaux forcés à perpétuité dans aucun de ces cas où ils sont prononcés par le Code actuel.
Le projet ne punit de cette peine que les crimes les plus graves contre les personnes et que le Code actuel punit de mort.
La détention perpétuelle est seulement portée dans cinq articles du projet. Elle n'est appliquée qu'aux attentats les plus graves contre la sûreté de l'Etat.
Presque toutes les autres peines criminelles sont abaissées d'un, et très souvent de deux degrés.
Un très grand nombre de crimes ont été correctionnalisés. La peine d'emprisonnement a été réduite ; le minimum a été abaissé, et ce n'est qu'exceptionnellement et pour laisser une certaine latitude aux juges dans l'application des peines quand un cas grave se présente, que ce maximum a été élevé.
Dans certains cas l'emprisonnement obligatoire d'après le Code actuel est devenu facultatifs même il a été absolument remplacé par l'amende.
La tentative n'est plus assimilée au crime consommé, la complicité à l'acte principal ; la tentative et la complicité sont punies de la peine inférieure. La récidive ne donne plus nécessairement lieu à une peine plus forte.
Enfin, comme remède à ce que, dans certains cas donnés, la peine pouvait avoir de trop sévère, un système d'atténuation très large est admis, dans le cas où des circonstances particulières sont reconnues par le juge.
J'ajoute, comme dernière observation, en ce qui concerne les pénalités, que les peines qui consistent dans la privation de la liberté, sont établies dans la supposition qu'elles doivent être subies en commun, et qu'elles seront encore notablement réduites, quand elles seront subies isolément.
Voilà les reformes sérieuses, utiles, que nous introduisons dans la législation actuelle. Comprenez-vous après ces indications, que l'on ait osé dire que le projet consacrait des peines dont le législateur de 1810 condamnerait la sévérité ?
J'aborde maintenant les critiques qui ont été dirigées contre quelques articles du projet et je rencontre d'abord l'article 132 relatif à une catégorie de délits qui se commettent principalement par la voie de la presse.
Cet article a donné lieu à de vives réclamations ; mais on s'est gardé de faire connaître l'ensemble des modifications qui y ont été introduites et de leur assigner leur véritable caractère.
Ainsi que je vous l'ai dit au commencement, un des griefs articulés contre le Code pénal, c'était de ne pas laisser au juge une échelle de peines assez grande pour pouvoir, dans tous les cas, proportionner la punition à la faute. Pour éviter cet inconvénient, les auteurs du projet ont fait ici ce qu'ils ont fait dans d'autres cas ; ils ont élevé le maximum de trois ans à cinq ans, mais par contre, et c'est ce que l'on s'est bien gardé de dire, le minimum, qui était de six a été réduit à trois mois.
De sorte que si la peine peut être plus sévère, elle peut être aussi plus douce ; et comme ce n’est pas en Belgique que l'on peut se plaindre des rigueurs de la répression des délits de la presse, dans la réalité la position de celui qui se trouvera poursuivi sera améliorée et non empirée. Voilà la véritable situation que nous créons.
Après cela l'on a dit que nous ajoutions l'interdiction des droits civils, qui n'était pas prononcée jusqu'à présent, et la mise sous la surveillance de la police. Quant à l'interdiction de certains droits civiques et civils, c'est une erreur de prétendre qu'elle n'existait pas. L'article 3 de la loi du 6 avril 1847 la prononce formellement et non seulement pour les délits qui font l'objet de ses dispositions, mais aussi pour les délits prévus par l'article 5 du décret du 20 juillet 1831.
Quelles sont les raisons qui ont déterminé la commission à modifier les pénalités ?
Je l'ai dit tantôt, la commission n'a été déterminée par aucune idée de réaction ; la commission est restée étrangère à toute préoccupation politique.
On me demande de lire les articles 132 et 133. Voici comment ils sont rédigés :
« Art. 132. Quiconque, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, aura attaqué l'autorité constitutionnelle du Roi, l'inviolabilité de sa personne, ou les droits constitutionnels de sa dynastie, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs. »
« Art. 133. Sera puni des mêmes peines quiconque, parmi des moyens énoncés en l'article précédent, aura attaqué les droits ou l'autorité des Chambres, ou la force obligatoire des lois. »
Messieurs, vous remarquerez qu'il s'agit ici des faits les plus graves, de faits qui, dans les autres pays, sont déclarés attentats contre la sûreté de l'Etat. Il s'agit d'attaques contre l'autorité constitutionnelle du Roi ; contre les droits constitutionnels de la dynastie ; il s'agit d'attaques contre l'autorité des Chambres, (page 288) contre la force obligatoire des lois. Ce sont, je le répète, les délits les plus graves qui puissent être commis par la voie de la presse. C'est ce qui constitue notre existence, qui est mis en question, c'est la Constitution elle-même, la garantie de toutes nos libertés, de tous nos droits, de tous nos intérêts qui est menacée.
La commission a donc eu à examiner la moralité des actes ; elle a eu à apprécier le danger qu'ils peuvent faire courir à la société. Jusqu'à présent, ceux qui ont discuté ces articles, qui les ont critiqués, ne se sont pas demandé quelle était la criminalité des faits. Ils ne se sont pas inquiétés de la question de savoir si les faits étaient graves et si la peine était en rapport avec cette gravité. Ils se sont exclusivement préoccupés de leur propre importance dans la société.
C'est cependant là la seule chose que nous ayons à prendre en considération ; nous n'avons qu'à nous demander s'il est des circonstances où les attaques contre l'autorité du Roi, l'autorité des Chambres, contre la force obligatoire des lois, méritent le châtiment qui est comminé par la loi. C'est, à mon avis, la seule chose dont nous ayons à nous préoccuper.
Il est certainement des faits qui, commis dans des circonstances données, ne méritent pas le maximum de la peine.
La commission a même pensé que dans certains cas le minimum établi par l'ancienne loi était trop élevé, et elle l'a réduit à trois mois.
La commission a encore eu une autre raison d'établir les pénalités comme elle l'a fait. Ne perdons pas de vue que nous faisons un Code et qu'il faut en harmoniser toutes les dispositions. Dans la mesure des peines la commission a suivi un système. En établissant la peine quant à un fait, elle a tenu compte de la peine établie pour un autre fait. C'est une proportion qui est indispensable.
Vous ne pouvez punir des faits d'une importance moindre d'une peine supérieure à celle que vous appliquez à des actes d'une importance plus grande.
Au risque de me répéter, je dirai de nouveau qu'il est des circonstances où les attaques contre l'autorité constitutionnelle du Roi deviennent un danger social. Pour en être convaincu, il suffit de se rappeler les événements de 1848. Il serait donc fort peu logique de réduire les peines au-dessous de celles qui sont comminées contre le plus petit délit qui s'attaque à la propriété privée.
Quant à l'interdiction des droits civils et politiques, il n'est pas de peine plus en rapport avec le délit. On a abusé des droits civils, des droits politiques que la Constitution confère, que les lois garantissent, eu attaquant la Constitution et les lois ; on est privé de ces droits, c'est en quelque sorte la peine du talion que l'on inflige à celui qui a commis le délit.
Quanta la surveillance de la police, je répéterai ce que j'ai dit tantôt ; il est des cas où cette mesure est nécessaire ; un individu aura outragé, aura offensé le Roi, ne peut-il pas être utile, indispensable et fort légitime de l'écarter de la capitale ? Un individu aura par la presse attaqué l'autorité du Roi, l'autorité de la Chambre ; il aura cherché à préparer par la presse ce qu'il est décidé à exécuter dans la rue ; je demande encore si, dans des cas pareils, il ne serait pas nécessaire et légitime d'écarter cet individu d'un lieu donné ?
Messieurs, une chose qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que l'interdiction et la mise sous la surveillance ne doivent pas nécessairement être prononcées par le juge, qu'elles ne sont que facultatives. Le juge les appliquera ou ne les appliquera pas selon que les circonstances l'exigeront.
Et par qui les peines sont-elles appliquées en Belgique, par qui le fait est-il jugé ? Il est utile de le dire, car hier je recevais un journal d'une des principales villes du pays, qui ignorait que c'était au jury qu'appartient le jugement des affaires de presse et qui critiquait la loi parce qu'elle entraînait la magistrature à toujours condamner. C'est le jury qui prononce sur le fait et c'est à une magistrature inamovible, indépendante, sur laquelle le gouvernement n'a aucune espèce d'influence qu'il appartient de mesurer la peine d'après la gravité du délit.
Ainsi quand on prétend la presse menacée, quand on prétend que c'est une mesure réactionnaire que la Chambre a votée, on dit des choses qu'on sait ne pas être vraies. S'il y avait eu une idée réactionnaire dans le projet, je vous demande si nous serions venus vous proposer de diminuer le minimum de la peine ? Cette réduction ne vous donne-t-elle pas le véritable caractère de la disposition et ne vous prouve-t-elle pas que ce que nous avons voulu, ce n'est pas aggraver la position des écrivains, mais donner au juge pour tous les cas qui peuvent se présenter le moyen de proportionner la peine au délit.
Messieurs, pour apprécier si la peine est en rapport avec la gravité de l'acte, il est bon d'examiner de quelles peines les mêmes faits sont punis dans les autres pays. C'est un moyen de contrôler l'œuvre qui vous est soumise.
Si, dans les pays dont les institutions se rapprochent des nôtres, on n'attribue à ces faits qu'une gravité moindre que celle que nous y attachons, si on les réprime moins sévèrement, je comprends qu'on se récrie et qu'on trouve que les peines prononcées sont exagérées.
Mais si, au contraire, les peines sont plus sévères, l'on nous permettra bien de dire qu'il est fort ridicule de venir ici parler de législation draconienne.
Examinons donc la France sous la branche aînée. Les faits dont nous nous occupons étaient prévus par la loi de 1819, et punis d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 francs à 10,000 fr.
Sous la branche cadette nous trouvons une loi du 29 novembre 1830 qui punit les attaques contre la dignité royale, l'ordre de successibilité au trône, les droits que le Roi tient du vœu de la nation, d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans, et d'une amende de 300 à 6,000 fr.
Par le Code pénal de 1832, et ce n'était certes pas là une loi exceptionnelle, l'offense commise publiquement envers la personne du Roi était punie d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 10,000 francs, de l'interdiction des droits civils et de la mise sous la surveillance de la haute police.
Telle était la législation française jusqu'au mois de septembre 1835, époque où, quant à plusieurs délits, elle a subi de profondes modifications : l'offense au Roi, commise par un des moyens indiqués à l'article premier de la loi du 17 mai 1819 (discours, cris, menaces, écrits, imprimés, gravures, etc.), lorsqu'elle a pour but d'exciter à la haine et au mépris de sa personne ou de son autorité constitutionnelle, est déclarée un attentat à la sûreté de l'Etat ; celui qui s'en rend coupable doit être jugé, conformément aux deux paragraphes de l'article premier. Ces deux paragraphes punissent le fait de la détention et d'une amende de 10,000 à 50,000 fr., la détention est de 5 à 20 ans ; elle entraîne la dégradation civique, et la mise sous la surveillance de la police pendant toute la vie du coupable. Le fait peut être déféré au jugement de la chambre des pairs.
L'attaque contre le principe ou la forme du gouvernement établi par la charte de 1840, telle qu'elle est définie par la loi du 29 novembre 1830, est également déclarée un attentat contre la sûreté de l'Etat, lorsqu'elle a pour but d'exciter à la destruction ou au changement du gouvernement et elle est punie des mêmes peines.
Telle est l'aggravation que les lois introduisirent dans la législation française ; et, chose remarquable, c'est que ces modifications avaient la haute approbation d'un journal qui trouve que les peines que nous proposons en ce moment indiquent un esprit réactionnaire des plus prononcés, un sentiment d'hostilité vis-à-vis de la presse. Ce journal, en 1835, trouvait que la législation qui existait à cette époque et qui était plus sévère que celle que nous proposons aujourd'hui, était tellement clémente, tellement débonnaire, qu'elle était la source de tous les débordements de la presse française.,
Voici ce qu'il disait au mois d'août 1835 :
« Le mal que la presse a pu faire est moins sa faute que la faute de la législation et de ceux qui ont été chargés d'appliquer la législation. La presse a souvent abusé de sa liberté comme en abuserait quiconque se sentirait sans frein. La liberté absolue est l'écueil des âmes les plus fortes. Tout le monde a besoin de la règle qui contient, de la crainte qui arrête. La législation actuelle est impuissante, l'expérience l'a démontré, etc. »
Rappelez-vous, messieurs, que ce qu'on appelait la liberté absolue, c'étaient des dispositions plus sévères que celles qui ont été admises par vous.
Et le même journal avait si peu peur que ce régime pût nuire à la discussion, qu'il craignait même qu'on n'atteignît pas le but qu'on poursuivait.
Voici ce que je lis dans un de ses numéros de septembre : « Sauf l'offensé à l'inviolabilité du Roi et à la provocation au désordre qui, de l'aveu de tout le monde doivent être réprimées, on verra si la loi met l'interdit sur la discussion. Pour nous, nous sommes si loin de craindre que la loi ne porte atteinte à la liberté, que nous doutons même qu'elle atteigne complétement le but qu'elle se propose, celui de supprimer les attaques contre le Roi et contre la Constitution. La gravité même des peines et l'élévation du tribunal supposent l'énormité des délits. »
Ainsi, messieurs, la détention, la dégradation civique, la mise sous la surveillance de la police, l'amende de 10,000 à 50,000 fr., n'effrayaient pas ce journal à cette époque ; il ne craignait pas que de pareilles dispositions fussent une entrave à la libre discussion ; il craignait même qu'on ne parvînt pas à prévenir les attaques contre le Roi, contre le principe et la forme du gouvernement.
D'où viennent donc à ce journal ces inquiétudes soudaines pour la liberté de la presse dans notre pays ? Si des peines criminelles à appliquer par une juridiction exceptionnelle ne peuvent pas compromettre la liberté de la discussion, comment des peines correctionnelles à appliquer par une magistrature inamovible ensuite d'un verdict du jury pourrait-il avoir ce résultat ? Cette contradiction est si étrange, si manifeste que la critique de ce journal n'a paru à bien des gens qu'une critique indirecte de la législation de son propre pays.
L'Angleterre est certes un pays de libre discussion ; quelles sont cependant les peines qui sont appliquées aux faits dont nous nous occupons ?
Voici ce que je lis dans Blackstone et, si j'en crois des recueils très récents, la législation sur ce point n'a pas changé en Angleterre depuis que cet auteur a écrit.
« Parler ou écrire contre la personne du roi et son gouvernement c'est mépris et misprision de même que de souhaiter du mal au roi, de faire (page 289) ou des imprécations contre lui ou des histoires scandaleuses qui le concernent ou toute autre chose qui tende à le rabaisser dans l'opinion de ses sujets, à affaiblir son gouvernement et la confiance mutuelle en son peuple.
« … Pour cette espèce de mépris, un homme peut non seulement encourir l'amende et la prison, niais encore être mis au pilori et subir d'autres peines corporelles infamantes. »
Il est même des attaques contre les droits du Roi qui donnent lieu à des pénalités plus graves, la détention perpétuelle ou la peine de mort.
La première république française punissait des peines les plus sévères des faits que nous rangeons dans la catégorie des délits. Aux termes de la loi du 29 germinal an IV, tous ceux qui par leurs discours ou par leurs écrits imprimés, soit distribués, soit affichés, provoquent la dissolution de la représentation nationale ou celle du directoire exécutif, sont punis de la peine de mort. D'autres faits, tels que provocation au rétablissement de la royauté, cris séditieux poussés dans les rues, sont punis de la déportation. (Loi du 1er germinal an III.)
Comme vous le voyez, tous les gouvernements ont senti la nécessité de mettre les principes de leur existence, la base sur laquelle ils reposent, à l'abri d'attaques dont le but prochain ou éloigné, mais dont le but final est leur renversement.
Je dois encore appeler spécialement l'attention de la Chambre sur la nature et le petit nombre de faits que nous punissons, en matière de presse, et faire remarquer ici que, quant aux faits incriminés, nous ne modifions pas la législation actuelle. Ce qui est licite aujourd'hui, le sera encore, quand le projet sera devenu loi. Nous ne réprimons que les attaques contre ce qui constitue l'existence du pays, les outrages adressés au Roi et à la Famille royale, et nous laissons au domaine de la libre discussion tous les actes du gouvernement, des fonctionnaires, nous laissons dans le domaine du libre examen, l'étude et le débat de faits, de théories, de questions qu'il ne serait pas même permis de soulever dans bien d'autres pays.
Je parlais tout à l'heure des lois de septembre. Ces lois étaient une atteinte à la liberté de la presse, moins par les peines dont elles frappaient certains délits que par les faits nouveaux qu'elles atteignaient. Ainsi faire acte d'adhésion à un autre gouvernement, prendre la qualification de républicain ou toute autre incompatible avec la charte, exprimer le vœu, la menace ou l'espoir de la destruction de l'ordre monarchique étaient des délits. Il en était de même des attaques contre la propriété, contre le serment, etc.
Voilà de véritables restrictions à la liberté de discussion, et j'eusse compris, si nous avions proposé de semblables mesures, qu'une émotion se fût produite dans le pays ; mais quand nous ne touchons en rien aux limites dans lesquelles la presse peut remplir sa mission, quand nous nous bornons à changer l'échelle des peines par une diminution du minimum et l'élévation du maximum, les alarmes qu'on affecte pour la libre manifestation de la pensée ne peuvent être prises au sérieux par personne.
Avant de passer à un autre ordre de faits, je ferai encore une observation en ce qui concerne la presse.
C'est qu'en vertu du système d'atténuation proposé par la combinaison des divers articles du projet, il se peut que le délit de presse le plus grave ne soit puni que d'un franc d'amende. Dans le cas de circonstances atténuantes qu'il appartient au juge d'apprécier et d'admettre, la peine peut descendre jusqu'aux peines de simple police.
Voilà les dispositions draconiennes, barbares que vous avez votées.
Je désirerais qu'on citât un pays au monde où le délit de presse le plus grave peut n'être puni que d'une peine de simple police, et où la peine la plus grave devient une peine correctionnelle.
Messieurs, il est une autre disposition peu importante qui, cependant, a fait l'objet d'attaques assez vives ; un journal étranger a également cru devoir s'en occuper ; c'est l'article 147, qui porte :
« Est aussi punie d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs toute distribution d'écrits ou imprimés injurieux ou anonymes, de pamphlets ou caricatures, dans le local où se fait l'élection. »
Cette disposition existe dans notre législation depuis 1843, et n'a donné lieu à aucun inconvénient. Elle a peut-être contribué à maintenir l’ordre dans les élections, à empêcher certaine surprise au moyen du ridicule ou d'injures contre un candidat, au moment où celui-ci ne pouvait plus répondre.
On a aussi demandé ce que c'était qu'un écrit anonyme, si un journal était un écrit anonyme, si l'introduction d'un journal dans le collège électoral tomberait sous l'application de la loi.
Si l'on avait voulu rechercher l'origine de cette disposition, on eût trouvé la réponse dans ce que disait M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, au moment même où la disposition a été votée.
« En me ralliant à cette rédaction, disait-il, je déclare d'abord que dans ma pensée cet article ne peut pas s'appliquer à la circulation et à la distribution des bulletins, ensuite qu'un journal portant un nom d'imprimeur n'est pas un écrit anonyme. Le nom de l'imprimeur donne la signature au journal parce que d'après le terme fictif de la loi, l'imprimeur est censé être l'auteur jusqu'à désignation contraire. » (Séance du 24 mars 1843).
- Une voix. - C'est évident.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Sans doute, c'est évident ; je n'en suis pas moins forcé de le dire, comme je serai encore bien souvent forcé de revenir sur les choses les plus évidentes.
Je passe à l'examen des articles relatifs au culte.
Les articles 14 et 15 de la Constitution garantissent la liberté de conscience et des cultes. L'existence des dispositions des articles 148 et suivants dépend de la question de savoir si la Constitution recevra ou ne recevra pas de sanction, si la liberté des cultes, si le principe du libre exercice des cultes recevront une protection ou n'en recevront pas. Si l'exercice du culte, si les réunions auxquelles il donne lieu doivent être traités comme des réunions électorales ou littéraires, comme un meeting, il faut supprimer tout ce chapitre.
Mais si le droit que la Constitution assure aux citoyens d'exercer librement leur culte, a pour corrélatif l'obligation pour tous de respecter cet exercice, il est indispensable de comminer des peines contre ceux qui violeraient cette obligation. Toute la question est donc de savoir si nous allons au-delà de ce qui est exigé pour que les citoyens puissent jouir paisiblement d'un droit que leur assure la Constitution.
L'article 148 est la sanction de l'article 15 de la Constitution, il garantit la liberté du croyant comme celle du non-croyant ; il punit toutes les violences ou menaces, toute contrainte ayant pour objet d'empêcher un individu d'exercer son culte ou de le forcer de participer, malgré lui, à l'exercice d'un culte ; la liberté et l'opinion du non-croyant sont garanties à l'égal de la liberté et de la foi du croyant. Je ne pense pas que cet article puisse donner lieu à une objection sérieuse.
L'article 149 porte : « Ceux qui, par des troubles ou des désordres, auront empêché, retardé ou interrompu les cérémonies ou les exercices religieux qui se pratiquent dans un édifice destiné ou servant habituellement au culte, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs. »
Cet article 149 n'est pas autre chose que la sanction de l'article 14 de la Constitution, qui garantit le libre exercice du culte, et si l'on efface cet article, toute protection due à cette liberté, à ce droit, disparaît. Si chacun peut impunément, par des troubles et des désordres, empêcher, retarder ou interrompre les cérémonies ou les exercices religieux d'un culte, que devient donc la liberté des cultes ? Qu'est une liberté à laquelle chacun peut apporter des entraves ! Supprimer l'article 149 n'est-ce pas livrer un droit constitutionnel aux caprices du plus fort ? Si c'est là ce que l'on veut, il faut le dire franchement.
Je passe à l'article 150 ; il est ainsi conçu :
« Toute personne qui, par des faits, par paroles, gestes ou menaces, aura outragé les objets d'un culte, soit dans des lieux destinés ou servant actuellement à son exercice, soit à l'extérieur de ces lieux, dans des cérémonies publiques de ce culte, sera punie d'un emprisonnement de quinze jours à six mois et d'une amende de 26 à 500 francs »
Cet article contient, dit-on, une innovation. Cela est complétement inexact.
Cet article contient un changement de rédaction, mais il ne change absolument rien au fond de la disposition de l'article 262 du Code pénal.
Les faits qu'il prévoit, les faits qu'il punit, sont atteints sous l'empire du Code pénal actuel. On a dit que le Code de 1810 ne punissait les outrages adressés par paroles ou gestes que dans le cas où ces outrages se produisaient dans les lieux destinés au culte, ou y servant habituellement ; que par conséquent les outrages adressés à des objets du culte, à l'occasion d'une procession ne tombaient pas sous l'application de la loi. Voyons donc l'interprétation donnée à ces mots : « lieux destinés au culte ou y servant habituellement », interprétation donnée non pas a posteriori, non pas par la jurisprudence qui aurait eu à interpréter l'article 150, mais au moment même où l'art. 150 a été rédigé.
C'était au conseil d'Etat. S. A. S. le prince archichancelier de l'empire disait :
« L'article ne punit l'outrage fait aux objets d'un culte que lorsqu'il a lieu dans les édifices destinés à exercer ce culte ; cependant dans les villes où il n'existe pas de consistoire, l'exercice du culte catholique est public ; or la loi n'atteindrait pas l'homme qui se permettrait d'enlever le viatique qu'on porte à un mourant. »
M. le comte Treilhard répond :
« L'article remplit les deux premières vues de S. A. S. Là où les processions sont permises, les lieux où elles passent deviennent momentanément des lieux où le culte s'exerce. »
Il est donc de toute évidence que, sous l'empire du Code actuel, il n'est pas plus permis d'outrager les objets du culte dans des cérémonies publiques, dans des processions, qu'il ne le sera sous l'empire du projet.
J'ajoute que, ni la doctrine, ni la jurisprudence, en France, en présence de ce qui s'est passé au conseil d'Etat, n'ont jamais élevé de doute sérieux sur l'interprétation à donner à l'article 262 du Code pénal.
Voici, messieurs, ce que disent MM. Chauveau et Hélie.
« Enfin, l'article 261, et après cet article, l'article 262 punissent les troubles causés non seulement dans le temple, mais dans les lieux destinés ou servant actuellement à l'exercice du culte. Ces termes un peu obscurs ne se trouvaient pas dans la première rédaction de l'article ; Cambacérès crut apercevoir une lacune : « L'article, dit-il, ne punit l'outrage fait aux objets d'un culte que lorsqu'il a lieu dans les édifices (page 290) destinés à exercer ce culte ; cependant dans les villes où il n'existe pas de consistoire, l'exercice du culte catholique est public : or, la loi n'atteindrait pas l'homme qui se permettrait d'enlever le viatique qu'on porte à un malade. » Treilhard répondit que l'article devrait être entendu dans le sens de cette opinion et que, par exemple, là où les processions sont permises, les lieux où elles passent deviennent momentanément des lieux où le culte s'exerce. Telle est la pensée que la loi a voulu exprimer ; et Berlier l'a rappelée avec clarté dans l'exposé des motifs : « Ces expressions mêmes, a-t-il dit, indiquent la limite dans laquelle le législateur a cru devoir se renfermer ; la juste protection due aux différents cultes pourrait dégénérer en vexation ou tyrannie, si de prétendus outrages faits à des signes placés hors de l'enceinte consacrée pouvaient devenir l'objet des recherches juridiques.» C'est donc là seulement où s'exerce le culte, là où son service est célébré, que les troubles et les outrages peuvent être incriminés ; car la loi pénale n'a pas voulu punir le sacrilège, mais seulement l'entrave au libre exercice du culte.
« Les lieux servant même momentanément à l'exercice du culte sont compris dans notre article (261), et comme le disait l'orateur du gouvernement lors de la discussion. « Là où les processions sont permises, les lieux où elles passent deviennent momentanément des lieux où le culte s'exerce. » (V. Locré, tome 30, p. 103). Il a été décidé dans ce sens, 1° que le fait d'avoir troublé une procession dans une rue constitue le délit de trouble volontaire à l'exercice du culte dans un lieu servant actuellement à cet exercice, délit prévu par l'article 261 du code pénal. (Paris, 14 février 1826, aff. Labille, M. Seguin pr.) ; 2° que le fait d'avoir forcé le passage avec une voiture et traversé une procession en marche constitue le délit de trouble à l'exercice du culte (Paris 28 août 1846, aff. femme David, D, p. 44, 4,149).
Ainsi, messieurs, comme je le disais il y a un instant, nous n'ajoutons absolument rien aux dispositions actuelles ; ce qui n'est pas puni en ce moment ne le sera pas sous l'empire de la législation nouvelle. L'incrimination, quant aux faits, reste identiquement la même ; il n'y a, sous ce rapport, rien de changé.
Nous nous sommes bornés à faire disparaître dans la rédaction une certaine obscurité, qui existait dans les termes, mais non dans le sens de la loi qui était éclairé par la discussion du conseil d'Etat.
A propos de cet article on a eu l'infamie de parler de la loi du sacrilège. Ceux qui ont parlé de cette loi ignorent donc ce qu'elle était ; ils ne la connaissent ni dans son principe ni dans son but ; de même qu'ils ignorent le principe et le but de la disposition actuelle.
Quel était le but de la loi sur le sacrilège ?
De faire respecter le caractère sacré des objets d'un culte, indépendamment de toute cérémonie publique, de tout exercice de ce culte. Le respect était commandé par la loi exclusivement en raison du caractère sacré des objets du culte ; taudis que dans notre projet c'est la circonstance de la cérémonie publique, du culte actuellement rendu qui détermine la criminalité. Encore une fois ce n'est pas le caractère sacré des objets que nous voulons protéger, c'est le libre exercice du culte, que nous garantissons contre les outrages.
Aussi, a-t-on eu bien soin, quand on a commenté cet article, de ne jamais parler des cérémonies publiques ; on a eu bien soin d'oublier que la condition indispensable pour que l'outrage soit punissable c'est qu'il ait lieu dans une cérémonie publique.
Et au sujet de cet article ou s'est permis de faire les questions les plus saugrenues, d'inventer les hypothèses les plus ridicules.
Ainsi, on a demandé si, une procession passant, ce serait un outrage de ne pas ôter son chapeau. Messieurs, cela n'est pas sérieux, un outrage suppose un fait positif.
Qui donc a vu jusqu'à présent un outrage au Roi dans le fait de ne pas le saluer ? Ou ôtera ou on n'ôtera pas son chapeau quand passe une procession, quand passe un convoi funèbre, selon ses croyances, selon l'éducation qu'on a reçue, selon le respect que l'on a pour des croyances que l'on ne partage même pas, mais assurément on n'aura de ce chef rien à craindre de la loi.
Ou a, messieurs, parlé aussi d'outrages adressés à des statuettes de saints qui se trouvent dans des constructions, dans des niches. Si l'on choisit pour se livrer à des outrages envers ces objets le moment où, dans une cérémonie publique, cette statuette est l'objet d'un culte, évidemment on tombera sous l'application de la loi ; mais quand la cérémonie est terminée, celui qui commettra cet outrage, sera justiciable de l'opinion publique, je pourrais dire du mépris public, mais pas des tribunaux.
- Un membre. - Des lois de police, pour dégradation.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il est, messieurs, une considération que l'on a complétement perdue de vue. A entendre certains organes de la presse, on dirait réellement que cette disposition n'est faite que dans l'intérêt du culte de la majorité et que ce n'est qu'au culte de la majorité qu'elle accorde certaines garanties ; mais, messieurs, la loi protège tous les cultes, les cultes dissidents comme le culte de la majorité, et c'est surtout pour les cultes des minorités, que la garantie est nécessaire.
Le culte de la majorité trouve dans le nombre de ses adhérents toute la protection nécessaire. La majorité sait faire respecter son culte même par la force, lorsqu'il est entravé ou outragé. Ce n'est pas généralement le culte de la majorité qui a besoin de recourir à l'autorité des lois, c'est au contraire le culte des minorités et c'est ce dont nous avons pu nous convaincre en Belgique aussi souvent que de semblables faits se sont produits.
Voilà, messieurs, ce qu'on a beaucoup trop oublié dans l'examen des articles 149 et 150 du projet.
Enfin, messieurs, à propos de ces articles, on a demandé aussi ce que c'était qu'un culte. On nous a dit que nous créions en Belgique deux espèces de cultes : des cultes qui vont être protégés et des cultes qui ne seront pas protégés. Cette question et cette objection s'adressent beaucoup plus à la Constitution qu'elles ne s'adressent au Code pénal.
La Constitution met à la charge du trésor le traitement des ministres des cultes.
La Constitution n'a pas cependant entendu que l'Etat serait tenu de payer un traitement à quiconque voudrait se déclarer ministre d'un culte et donné au premier illuminé venu le droit de se faire inscrire au budget de l'Etat.
La Constitution a donc nécessairement dû laisser au gouvernement, sous la responsabilité et sous le contrôle des Chambres, le soin de décider quels seraient les cultes qui seraient salariés et quels seraient les cultes qui ne seraient pas salariés. Elle lui a laissé le soin de décider cette question, d'après l'importance du culte, d'après la nature du culte, d'après le nombre des fidèles qu'il pouvait compter dans le pays. Vous avez donc aujourd'hui la distinction dont on parle. Vous avez des cultes salariés et peut-être des cultes qui ne le sont pas. C'est une difficulté qui est inhérente à la Constitution même. Eh bien, vous aurez des cultes protégés et peut-être des cultes ou des actes qualifiés tels par certaines personnes qui ne seront pas protégés. Le salaire pourra être l'indication des cultes qui méritent la protection de la loi.
Ce système a l'avantage de déterminer exactement l'étendue de la loi pénale. Mais si cela n'était pas admis, il faudrait laisser au juge le soin de décider si le culte qui se prétend troublé est véritablement un culte, si c'est un culte sérieux.
On a dit que le prêtre est un simple citoyen et que, par conséquent, il ne doit jouir d'aucune espèce de protection spéciale, comme il ne doit être assujetti à aucune obligation spéciale.
Je ne pense pas que le prêtre, dans l'exercice de son ministère, puisse être considéré comme un simple citoyen La preuve que la Constitution ne l'a pas entendu ainsi, c'est qu'elle lui alloue un traitement. Il est évident que si le prêtre était un simple citoyen, le traitement qui lui est alloué ne serait pas payé par l'Etat. La Constitution, en mettant à charge de l'Etat les traitements des ministres des cultes, a rendu hommage à cette idée que les cultes sont un besoin, une nécessité sociale ; et c'est à ce titre que le traitement est inscrit au budget de l'Etat.
La Constitution, tout en proclamant la séparation complète de l'Eglise et de l'Etat, ayant considéré la religion comme un besoin social ; il appartient à la législature de déterminer le degré de protection dont doit jouir le prêtre dans l'exercice de sa mission sociale, comme il appartient aussi à la législature de décréter quels sont les délits qui peuvent être commis par le ministre du culte dans l'exercice de cette même mission.
On ne peut donc pas soutenir que la protection accordée au prêtre dans l'exercice de son ministère soit contraire à la Constitution. On ne peut soutenir que nous créons un privilège en sa faveur, en déclarant que celui qui l'outragera ou le frappera dans l'exercice de ses fonctions, sera puni d'une peine plus forte que celui qui outragera ou frappera un simple citoyen.
Restent, messieurs, les articles 295, 296 et 297, relatifs aux délits qui peuvent être commis par des prêtres dans l'exercice de leur mission. Ces articles ont également été attaqués comme inconstitutionnels. L'argument qui sert aux uns pour soutenir que le prêtre ne doit jouir d'aucune espèce de protection, parce qu'il est un simple citoyen, a servi aux autres pour soutenir que les prêtres ne devaient être assujettis à aucune espèce de règle particulière dans l'exercice de leur ministère.
Ici encore le reproche d'inconstitutionnalité est complétement dénué de fondement.
L'article 14 de la Constitution qui proclame la liberté des cultes, le libre exercice des cultes, réserve expressément la répression des délits qui pourront être commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. Bien loin d'être inconstitutionnelles, les dispositions proposées trouvent leur justification dans l'article 14 de la Constitution.
Quant aux articles 298, 299 et 300, ils concernent les lettres pastorales Ces dispositions ont aussi donné lieu à des objections, objections, cette fois qui ont un caractère assez sérieux pour mériter d'être examinées ; je' demanderai que la commission s'en occupe de nouveau, et j'espère qu'il sera facile d'apaiser tous les scrupules.
Il ne reste plus, messieurs, que les articles 269, 270, 271 du projet. On leur prête également des dispositions beaucoup plus sévères que celles du code actuel.
L'article 182 du code pénal porte : « Si, par l'effet de la corruption, il y a eu condamnation à une peine supérieure à celle de la réclusion, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au juge ou au juré coupable de corruption. »
Ainsi aux termes de cet article, tout juge ou tout juré, qui, par suite (page 291) de corruption, aura prononcé, par exemple, la peine de mort, sera condamné à mort.
C'est la législation actuelle. On prétend que nous proposons une disposition plus sévère, que nous avons renchéri sur cet article.
D'abord, il serait assez difficile, quand il s'agit de la peine de mort, de renchérir. Mais voici ce qui en est quant à cette peine.
Le Code pénal, comme vous le voyez, punit de la peine de mort le juré ou le juge qui aura, par suite de corruption, condamné à mort. Eh bien, d'après le projet, le juge qui, par suite de corruption, aura condamné à mort, sera puni de la peine de mort, mais à la condition que l'individu qui a été condamné, aura été exécuté, condition qui n'existe pas aujourd'hui.
Le juré qui aura déclaré la culpabilité d'un crime passible de la peine de mort, sera condamné à la même peine, mais, à deux conditions : d'abord que le condamné ait subi la peine de mort, et, en second lieu, que le juré ait rendu le verdict dans l'intention de faire condamner à mort.
Ainsi vous voyez comme nous sommes plus sévères, nous introduisons des conditions là où le Code pénal n'en admet pas.
Messieurs, en terminant, je demande de nouveau que le projet soit examiné sérieusement, mais, comme je le disais tantôt, dans toutes ses dispositions et l'on se convaincra qu'il n'est pas en Europe un seul Code pénal où l'on ait, autant que dans celui-ci, tenu compte, à la fois des exigences de la répression, des enseignements de la science et des sentiments d'humanité qui doivent exister même vis-à-vis de ceux qui offensent la société.
M. De Fré. - Messieurs, je dois déclarer d'abord que si j'avais été présent lorsqu'on a discuté les articles 131, 132 et suivants, qui aggravent les peines contre les écrivains, j'aurais voté contre ces articles.
Si j'avais été présent à la séance où a été discuté l'article qui punit l'outrage par paroles aux objets d'un culte, à l'extérieur du temple, j'aurais voté contre cet article.
Mais, comme notre honorable président, j'étais empêché pour motif de santé.
Messieurs, un code pénal doit refléter les traditions, les mœurs et les principes politiques d'un peuple. Quand on ouvre un code pénal, on voit, on reconnaît l'histoire politique du peuple auquel ce code pénal appartient.
Le code pénal de 1810 reflète complétement l'histoire politique de la France. Vous y voyez la peine de mort prodiguée après les excès de 1793 : c'était dans les traditions.
Vous y voyez ce luxe de dispositions en matière d'attentats contre le chef de l'Etat dans un pays où le régicide s'est produit à toutes les époques et sous tous les gouvernements ; c'était dans les traditions.
Dans un pays où un général heureux avait fait un contrat avec le clergé, où il avait relevé le clergé, où il avait donné au clergé toutes les libertés dont il devait jouir ; dans ce pays il y a pour le clergé tantôt des privilèges, tantôt une persécution.
Dans un pays où l'homme qui avait fait le Code pénal de 1810 avait fait en même temps le coup d'Etat du 18 brumaire, il devait nécessairement ranger dans la catégorie des délits l'association de plus de 20 personnes.
Tout cela est loin des traditions, des mœurs et des principes politiques de notre pays.
Je demande la permission de déclarer que je n'approuve pas complétement la méthode suivie par la commission.
Lorsqu'il s'agit de rédiger un Code pénal, il ne faut pas prendre pour modèle la législation d'un peuple dont les traditions, les mœurs et les principes sont en opposition complète avec le peuple pour lequel on veut faire la loi.
En second lieu, je me permettrai de dire à l'honorable ministre de la justice qu'il y a eu d'abord une aggravation en certains points, et puis des délits nouveaux qui n'existaient pas sous l'empire du Code pénal de 1810.
Messieurs, je comprends, pour la France, cette position de l'écrivain. En France, la royauté, la monarchie, les souverains, à toutes les époques, ont été attaqués avec une virulence extrême, et vous avez eu, après l'affaire Fieschi, la législation réactionnaire de septembre.
Pour ce qui concerne la presse, la commission n'a tenu compte ni de nos traditions, ni de nos mœurs.
On a quelquefois, en Belgique, fait crouler une monarchie, mais jamais on n'a voulu tuer les souverains. C'est de l'histoire.
Eh bien, il fallait tenir compte de ces traditions, ou n'en a pas tenu compte. Il fallait tenir compte de nos mœurs, on n'en a pas tenu compte.
M. Coomans. - Quel conte !
M. De Fré. - J'aurai l'honneur de répondre tout à l'heure à l'honorable M. Coomans...
M. Coomans. - Je ne vous ai pas interrompu.
M. De Fré. - Vous m'avez dit : « Quel conte ! »
M. Coomans. - Ce n'est pas dans ce sens.
M. De Fré. - Je disais donc qu'il fallait tenir compte de nos mœurs, et l'on n'en a pas tenu compte.
Nous avons le plus grand intérêt à faire une bonne loi. M. le ministre de la justice, et vous le saviez, du reste, par les passages qu'il vous a lus, passages émanés de la presse étrangère ; M. le ministre de la justice vous a fait voir qu'à l'étranger on s'est occupé de la Belgique, à l'occasion du Code pénal.
Eh bien, dans l'intérêt de l'honneur commun, dans l'intérêt de la gloire commune de la Belgique, unissons nos efforts pour que, par une bonne loi, la Belgique maintienne sa réputation en Europe.
Messieurs, pour ce qui concerne la position faite aux écrivains, je dois faire observer à l'honorable ministre de la justice que l'aggravation de peine qui existe depuis 1831 à l'endroit de la presse est une chose qui doit être condamnée dans un pays libre.
J'ai été peiné de voir l'honorable ministre de la justice invoquer les lois réactionnaires de septembre contre lesquelles l'opposition dynastique sous Louis-Philippe s'est ruée pendant 15 ans et qui ont été une des causes de la chute de ce gouvernement ; je rougis pour mon pays de voir invoquer ici pour justifier les articles que nous combattons, la législation draconienne sur la presse du mois de septembre 1835.
Voici la vérité : en 1831, vous avez fait une loi sur la presse ; elle était douce, bienveillante ; elle punissait, mais dans des conditions raisonnables.
Après, on a fait la loi du 6 avril 1847, loi présentée par l'honorable ministre d'Anethan. Vous savez qui a fait voter cette loi et qui l'a combattue. Cette loi a été votée par 53 voix contre 29.
La loi du 6 avril 1847 punissait de 6 mois à 3 ans, et le nouveau Code pénal punit de 3 mois à 5 ans. Voilà une aggravation.
La loi de 1847 prononçait une interdiction civile de 2 à 5 ans, et le nouveau Code pénal prononce une interdiction civile de 2 à 10 ans. Nouvelle aggravation.
La loi de 1847 n'admettait pas la surveillance de la police ; elle ne plaçait pas l'écrivain sur la même ligne qu'un forçat libéré, qu'un faux monnayeur.
L'honorable ministre de la justice nous dit : « Il s'agit ici de ce que nous avons de plus cher ; il s'agit de la royauté, de la monarchie... »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et de la Constitution et des lois.
M. De Fré. - Et de la Constitution et des lois ; certainement, quand il s'agit des attaques de ce genre, nous dit M. le ministre de la justice, il faut bien que, par une peine forte, inscrite dans la loi, on ôte aux citoyens l'idée de se hasarder à de semblables attaques.
L'honorable ministre de la justice a confondu deux choses distinctes : l'attaque contre le Roi, etc., avec la simple offense. Le chapitre premier du titre II contient quatre articles. Voici l'intitulé du chapitre : « Les attaques contre le Roi, contre les membres de sa famille, contre les Chambres et contre la force obligatoire des lois. »
L'article 132 porte :
« Quiconque, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, aura attaqué l'autorité constitutionnelle du Roi, l'inviolabilité de sa personne, ou les droits constitutionnels de sa dynastie, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs. »
L'honorable ministre vous a dit : Vous voyez bien qu'il s'agit ici d'un délit qui a un caractère grave, extraordinaire ; il vous a cité la législation de la France et la législation de l'Angleterre, à l'effet d'établir que dans ces pays les attaques de ce genre étaient punies plus sévèrement ; mais il ne s'agit pas de cela ; voici l'objection : à l'article 134, il ne s'agit pas d'attaques contre la personne du Roi ou sa dynastie, il s'agit d'offenses. L'article porte :
« Toute offense commise publiquement envers la personne du Roi, par des paroles, des gestes ou des menaces, par des écrits, des imprimés, des images ou des emblèmes quelconques, sera punie d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de cinquante francs à trois mille francs. »
Et bien, cette simple offense, qui était punie de trois mois de prison en 1831 et qui a été punie en 1847 de 5 ans de prison est aujourd'hui punie de cinq ans ; et c'est pour cette simple offense qu'il y a dix années de surveillance de la police et dix années d'interdiction des droits civils.
Je dis que tout ce que l'honorable ministre a dit relativement aux attaques à la royauté, aux droits constitutionnels du Roi et à sa dynastie ne s'applique pas à l'article 134. Je concède tout ce qu'il a dit quant aux attaques, mais je ne puis l'admettre pour les offenses. Comment ! dans un pays comme la Belgique, où la presse se respecte, où les offenses au Roi n'existent pas, où le monarque est entouré de l'estime générale, où il est considéré comme un roi tolérant et constitutionnel, vous arrivez avec des aggravations de ce genre ! Mais qu'est-ce que l'étranger dira ?
En Belgique, depuis que l'opinion libérale est au pouvoir, le Roi doit donc être protégé par des pénalités plus fortes ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le projet a été présenté avant l'avènement de l'opinion libérale au pouvoir.
M. De Fré. - Vous avez prouvé, M. le ministre, que les accusations sont souvent lancées avec légèreté et vous avez trop la connaissance des hommes et des choses pour ne pas savoir qu'il faut éviter les apparences. Il ne faut pas qu'il paraisse à l'étranger que l'estime pour le (page 292) monarque et pour la Constitution s'est amoindrie ; il y a du danger, dans l'intérêt du pays, à laisser croire des choses de ce genre.
Je dis donc qu'il y a là une sévérité que rien ne justifie, une sévérité qui est contraire à nos mœurs, contraire à ce qui se passe en Belgique et que cette sévérité est au moins inopportune.
Lorsque en 1847 M. d'Anethan a présenté la loi qui punissait de trois ans de prison les offenses commises envers le Roi, savez-vous ce qui s'était passé ? Un fait que tout le monde connaît, que je ne rappellerai pas, et il y avait eu un acquittement de personnes qui dans l'opinion du ministère avaient outragé le Roi, mais depuis 1847, rien de semblable n'est arrivé et aucun fait nouveau ne pouvait engager le ministre à renforcer les dispositions contre la presse.
Messieurs je n'ai plus qu'à vous parler du culte. La liberté des cultes est inscrite dans la Constitution. La société civile doit garantir à chaque citoyen le libre exercice de son culte.
Lorsqu'un citoyen entre dans une église, qu'il prie, qu'il est absorbé dans sa prière, si vous venez le troubler dans le libre exercice de son culte, vous portez atteinte à son droit ; cette atteinte portée au droit du citoyen doit être réprimée, le respect de ce droit doit être garanti par une peine.
Je suis d'accord avec l'honorable ministre sur ce point : quand on trouble les cérémonies du culte dans le temple, la loi doit intervenir, mais l'article 150 contient une innovation.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je le nie formellement.
M. De Fré. - Je vais l'établir. Je comprends, lorsqu'il s'agit d'une cérémonie publique à l’extérieur de l'église, qu'un individu vienne la troubler par des paroles, par des menaces, par des gestes, je comprends, dis-je, votre loi, mais ce n'est pas là ce que vous voulez.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dis ce que dit le Code et pas autre chose.
M. De Fré. - Voici l'article 16 : « Sera puni des mêmes peines toute personne qui, par des voies de fait, par paroles, par gestes ou par menaces, aura outragé des objets d'un culte, soit dans le lieu destiné ou servant actuellement à son exercice, soit à l'extérieur de ce lieu, dans des cérémonies de ce culte, sera puni... »
Si vous aviez dit quand les paroles ont entravé, ont troublé l'exercice du culte
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Lisez le Code.
M. De Fré. - Permettez.
Qu'un juif passe dans la rue au même moment qu'une procession catholique ; qu'il dise à son fils : « Celui dont on porte là-bas l'image ce n'est pas le Christ, le Christ n'est pas fils de Dieu, » et qu'il lui explique sa pensée en lui rappelant la foi, la tradition de ses pères ; il aura donc outragé par paroles le culte catholique ! Il l'aura outragé par paroles, bien que la cérémonie n'en ait pas été troublée ; car, pour troubler la cérémonie, il faudrait un fait comme celui que citait M. le ministre de la justice, celui d'une voiture traversant une procession. Sans donc troubler la cérémonie publique, il aura outragé le culte par des paroles, et cependant ces paroles n'auront été que l'expression d'une conviction personnelle ; elles n'auront fait que traduire une pensée que tout citoyen belge a le droit d'exprimer ; en vertu de la liberté de conscience garantie par la Constitution. Et cependant vous punirez ce juif.
Mais alors vous sortez de votre domaine, vous empiétez sur le domaine religieux, vous punissez un homme qui n'aura fait qu'exprimer librement une opinion, opinion consciencieuse et dont la manifestation est un outrage pour le culte qui passe, et pour les coreligionnaires de ce culte.
Eh bien, messieurs, jamais en France, on n'a entendu par « paroles » l'outrage fait aux objets du culte. La loi sur le sacrilège dont on parlait tout à l'heure, et qui certainement n'a aucun rapport avec l'article incriminé, parlait de voies de fait commises sur les objets du culte et un savant jurisconsulte, qui est en même temps un grand écrivain, M. Hello dit, dans son ouvrage sur le régime constitutionnel français :
« Les cultes, avons-nous dit, sont du domaine de la police de l'Etat ; c’est donc la police de l'Etat qui les protège, et ce seul mot devrait prévenir toute méprise sur la fin, les obligations et la limite de cette protection. La protection est extérieure au culte ; après avoir pourvu à ses besoins matériels, elle écarte autour de lui les obstacles ; elle réprime les voies de fait, adressés du dehors aux fidèles qui les suivent, aux ministres qui le servent, aux objets qu'il consacre ; c'est l'esprit des articles 260, 261, 262, 263 et 264 du code pénal. Mais elle s'en tient à cette police extérieure ; elle ne pénètre pas dans le culte ; elle le laisse à lui-même ; elle n'épouse point ses dogmes ; elle ne prend point parti dans ses querelles ; en un mot, elle est civile, et non théologique. La loi de 1825 sur le sacrilège était plus théologique que civile ; elle confondait les limites ; elle punissait la voie de fait sur un objet sacré, non comme trouble selon la police, mais comme profanation selon le dogme ; elle faisait de la vérité religieuse une vérité légale ; elle changeait le gouvernement, qu'elle mettait sur la pente de la théocratie, et, en vengeant l'attentat contre Dieu, devenait elle-même un attentat. »
Ainsi, messieurs, troubler dans l’église les cérémonies du culte ou troubler à l'extérieur de l'église ces mêmes cérémonies, c'est, je le reconnais, une atteinte portée au libre exercice du culte ; mais la manifestation de la pensée, la manifestation de la conscience, par paroles seulement, est garantie par la Constitution ; elle ne trouble pas l'exercice du culte et la société ne peut pas punir un homme qui exprime dans la rue un sentiment opposé au culte qui passe.
Je ne veux donc pas de l'article 150 parce qu'il constitue un privilège au profit d'une religion ; car, je dois le dire, quand M. le ministre de la justice est venu nous dire tout à l'heure qu'il fallait protéger les religions en minorité, je n'ai pas bien compris sa pensée, puisque, dans notre pays la seule religion qui lasse des processions publiques c'est la religion catholique.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et les enterrements ?
M. De Fré. - Ce ne sont pas là des cérémonies religieuses proprement dites.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ah ! par exemple !
M. De Fré. - Je dis que les enterrements ne sont pas des cérémonies comme des processions, parce qu'ils se font sans aucune pompe.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ou peut en mettre autant qu'on veut.
M. De Fré. - Messieurs, je ne veux pas de privilège pour la religion catholique.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous, non plus.
M. De Fré. - Je ne veux de privilège pour aucune religion et c'est pour cela que je ne veux pas non plus de persécution. Je ne veux pas, pour ce qui concerne les articles 295 et 298, que l'on poste derrière un pilier d'église un commissaire de police pour annoter les paroles du prêtre ; le prêtre doit être libre dans sa chaire comme le professeur dans la sienne. Je ne veux pas que le représentant de l'autorité civile aille surveiller ce qui se passe dans l'église, de même que je ne veux pas que le représentant de l'autorité cléricale aille contrôler ce qui se passe à l'école. Et ici je suis logique : je ne veux pas de persécution contre le prêtre, parce que je ne veux pas de la convention d'Anvers, parce que je ne veux pas plus de l'intervention, à titre d'autorité, du prêtre dans l'école que du commissaire de police dans l'église.
Messieurs, les idées qu'on cherche à faire prévaloir ont été puisées dans la législation française. En France, le clergé a été particulièrement privilégié : Napoléon l'a relevé sous certains rapports ; mais aussi il l'a profondément humilié sous certains autres. Ce qui a été fait en France n'est pas compatible avec nos mœurs, avec nos traditions.
Le prêtre doit rester libre comme tous les citoyens. Il ne doit pas y avoir de privilège pour lui, de même qu'il ne doit pas être exposé à la persécution. Eh, messieurs, cette loi que vous faites, vous ne l'exécuterez pas ; je vous en défie. Lorsque des critiques, des attaques contre l'autorité civile sortiront de la bouche du prêtre, je vous défie de lui appliquer votre loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a vingt jugements de condamnation.
M. De Fré. - Il y a eu l'affaire De Broglie en 1824.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et l'affaire de Boitsfort ?
M. De Fré. - Ce n'est pas une poursuite faite au nom de l'Etat comme l'affaire De Broglie.
Je le répète, messieurs, si le prêtre sort de son droit, il sera puni comme citoyen mais non comme prêtre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si, comme prêtre, pour avoir critiqué en chaire les actes de l'autorité civile.
M. De Fré. - Mais vous ne poursuivrez pas !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a poursuivi et condamné.
M. De Fré. - Oui, je le répète, vous avez eu l'affaire De Broglie mais à cette occasion le sentiment public s'est soulevé contre le gouvernement ; le gouvernement s'est vu l'objet du mépris public parce qu'il avait agi contrairement à nos mœurs et à nos traditions.
Je crois en avoir dit assez, messieurs, pour justifier le vote que j'émettrai. Je voterai contre les articles 295 et 298 en discussion, de même que j'eusse voté contre les deux autres articles déjà admis par la Chambre, si je n'avais été empêché de venir les combattre.
- Plusieurs voix. - A demain.
- La séance est levée-à 5 heures.