(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 257) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vermeire procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des membres du conseil communal et des cultivateurs de Moersel demandent l'établissement d'un droit d'entrée sur le houblon. »
« Même demande de membres du conseil communal et de cultivateurs de Teralphene. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Le conseil communal de Chaufontaine demande un subside permanent de 6,000 francs qui serait destiné aux frais d'entretien, de fêtes et d'embellissements dans cette commune. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre le tome II des Documents statistiques publiés par son département. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
M. de Fré. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'accorder une pension à la veuve Partoes et d'ouvrir un crédit de 4,316 fr. au département des travaux publics pour couvrir les frais des funérailles du dernier ministre de ce département.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour après le budget des voies et moyens.
La discussion continue sur l'article Postes
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai presque toujours un rôle assez ingrat à remplir : soit que je me trouve dans la nécessité de résister à l'entraînement des dépenses, soit qu'il me faille combattre pour maintenir le revenu public, je suis toujours l'objet des mêmes accusations, je dirai presque des mêmes anathèmes. Mais quand je songe aux peines que nous avons endurées, aux luttes que nous avons dû affronter et que d'honorables amis rappelaient hier en termes si bienveillants, pour arriver à introduire quelques améliorations dans les finances de l'Etat, je sens que je faillirais à un devoir impérieux envers le pays, envers la Chambre, envers l'opinion même à laquelle j'appartiens, si je faisais taire le cri de ma conscience pour me laisser persuader que je serais un grand citoyen, mieux que cela, un réformateur, à la seule condition de consentir bénévolement, sans résistance, à sacrifier une source importante du revenu de l'Etat, sans procurer aux populations un avantage équivalent aux sacrifices imposés au trésor public.
Certes, l'occasion m'a été souvent offerte dans cette discussion même de conquérir cette gloire facile. Il me suffirait d'additionner ce que demandent et M. Loos et M. Prévinaire, ce qu'ils présentent comme étant impérieusement réclamé, pour prouver qu'afin de satisfaire les honorables membres, il nous faudrait incontinent sacrifier plus de trois millions de revenu. Et remarquez que les honorables membres, si modérés dans leurs désirs, si peu exigeants, qui trouvent ma résistance presque incompréhensible, ces honorables membres ne font pas la moindre distinction entre les choses qu'ils réclament ; elles sont toutes également utiles, également bonnes, également urgentes.
Messieurs, je ne veux point me retrancher derrière la situation financière. Je ne veux pas faire le relevé de nos recettes et de nos dépenses, calculer par sous et deniers quelles seront les charges du gouvernement cette année. Je ne veux point vous dire par avance que notre dette flottante, réduite de 24 à 12 millions, grandira cette année et que, par les dépenses que vous serez amenés à voter, elle s'augmentera nécessairement de quelques millions. Je ne veux pas qu'on puisse m'accuser de faire des tableaux assombris pour exercer la moindre influence sur l'opinion de la Chambre dans la question qu'elle a maintenant à décider.
Mais on m'a dit, c'est l'honorable M. Orts : vous avez signalé, dans la dernière session, des excédants de revenus sur lesquels vous comptiez ; ils s'élèvent à quelques millions, ne pouvez-vous donc sacrifier une partie de ces excédants pour faire lace au déficit que doit causer l'abaissement de la taxe sur les lettres ?
Je ne sais, messieurs, si je me suis mal expliqué dans le cours de la dernière session ; je ne sais si j'ai annoncé à la Chambre que, à l'exemple des rois d'Orient, nous allions thésauriser, que nos excédants de revenus seraient soigneusement conservés dans nos caisses ou même que nous allions, peut-être, les faire fructifier au profit du trésor public.
Il me semblait, au contraire, qu'en annonçant des excédants de revenus j'avais signalé des dépenses considérables. Il me semblait même que lorsque je signalais ces excédants de revenus, beaucoup d'honorables membres de cette Chambre me trouvaient beaucoup trop optimiste.
Je ne sais si, parmi les adversaires que je rencontre aujourd'hui, ne se trouvent pas précisément ceux de ces honorables membres qui étaient les plus ardents à railler l'optimisme qu'ils me reprochaient. Quoi qu'il en soit, si j'ai signalé les dépenses auxquelles il fallait pourvoir à l'aide de ces excédants ; et si d'honorables membres veulent qu'on sacrifie ces excédants pour couvrir le déficit à résulter de l'abaissement de la taxe des lettres, la conséquence n'est-elle pas qu'il faudra supprimer des dépenses que vous serez les premiers à déclarer urgentes, indispensables, qui auraient été votées incontestablement par la Chambre et qui se produiront en partie dans le cours de cette session ?
Ainsi, l'objection qu'on me fait ne vaut absolument rien : elle consiste à dire qu'on réduira les dépenses les plus utiles en proportion de la perte que l'on essuiera par la réduction de la taxe des lettres.
Je sais, messieurs, qu'à envisager la question de la sorte, je m'expose à ce reproche presque humiliant de ne pas aborder cette grande question de la réforme postale au point de vue des vastes intérêts sociaux qu'elle renferme dans ses flancs. Ecoutez l'honorable M. Vandenpeereboom : Imitez donc, nous dit-il, ces ministres d'un pays voisin ; imitez ces ministres anglais qui n'ont pas hésité un seul instant devant le sacrifice qu'il fallait s'imposer pour obtenir cette réforme postale. Qui jamais s'est plaint en Angleterre de cette réduction si grande opérée dans le revenu public ?
Ainsi l'on parle, messieurs, lorsqu'on fait le roman de la réforme anglaise au lieu d'en raconter l'histoire.
Lorsque le chancelier de l'échiquier du cabinet de lord Melbourne proposa, en 1839, la réforme postale, envisageait-il comme une question secondaire et indifférente en quelque sorte la question du revenu public ? Voici, messieurs, dans quels termes il s'exprimait.
« Si ma proposition, disait le chancelier de l'échiquier dans la séance du 5 juillet 1839, se bornait à réduire la taxe au taux uniforme d'un penny, sans compensation pour combler le vide qui pourrait en résulter pour le trésor, je m'exposerais non seulement au blâme de la chambre, mais au ridicule et au mépris de tout homme de bon sens ; mais telle n'est pas ma proposition, et dans toutes les communications que j'ai eues avec les personnes qui s'intéressent le plus vivement à la mesure, j'ai tenu invariablement le même langage.
« Si le comité ne veut pas prendre l'engagement, ajoutait-il, de combler le déficit par d'autres ressources, j'abandonne le bill d'une manière absolue, et si quelque honorable membre du parlement voulait reprendre la direction de l'affaire à de telles conditions, il rencontrera comme moi une hostilité égale au zèle que je mettrai à la défendre, si le parlement veut prendre l'engagement que je pose comme condition absolue. »
Mais, messieurs, vinrent les déceptions. Le déficit, qui n'avait été estimé qu'à 500 ou 600 mille livres sterling la première année, s'éleva à 1,179,000 livres sterling pour aller s'accumulant d'année en année, jusqu'à laisser dans les finances de l'Angleterre un déficit équivalent à un demi-milliard de francs.
Alors, messieurs, les yeux commencèrent à s'ouvrir. Alors la position du cabinet qui avait introduit cette réforme fut gravement compromise. Alors un homme qui ne manquait assurément pas de cœur, un homme qui était sérieusement et sincèrement préoccupé des intérêts des classes populaires, un homme qui ne manquait pas d'audace pour les réformes, sir Robert Peel, fit une motion de défiance contre le ministère dans la séance du 27 mai 1841. Et comment justifiait-il cette motion de défiance contre le cabinet de lord Melbourne ? Au nombre de ses griefs se trouvait la perte imprudemment essuyée sur la poste.
« Ma motion, disait-il, repose sur les principes constitutionnels ; je crois avoir suffisamment démontré que les ministres n'ont pas la confiance des communes, et, en pareille circonstance, l'esprit de la constitution ne permet pas qu'ils restent au pouvoir. La manière dont le gouvernement administre les finances du pays n'inspire aucune confiance. Pourquoi les ministres ont-ils donc perdu 1,200,000 liv. sterl. (30 millions de francs) sur les postes ? Je crois qu'ils ont abandonné ce revenu par la même raison qui les porte à employer aujourd'hui l'expédient des sucres et des céréales ; leur faiblesse en est la cause. Quand les ministres ont senti la nécessité d'adopter des principes conservateurs, ils ont déplu à nos adversaires, et pour regagner leur confiance, ils ont présenté le bill concernant les postes, et remarquez que le bill concernant la poste a été présenté après l'échec éprouvé sur le bill de la Jamaïque. »
Et la chambre des communes renversa le cabinet de lord Melbourne.
Sir Robert Peel, appelé aux affaires, songeait d'abord à relever la taxe sur les lettres. Mais on avait réussi à passionner l'opinion publique pour cette réforme. Rien d'ailleurs n'est plus difficile que de relever des taxes, une fois abaissées. Il dut recourir à d'autres moyens, et l'Angleterre subit l’income-tax.
(page 258) A cette époque, les écrivains les plus accrédités, les autorités les plus considérables de l'Angleterre ne firent aucune difficulté de déclarer qu'on s'était entièrement mépris sur les résultats de la réforme.
Assurément, messieurs, l'idée de la réforme était magnifique ; elle restera l'honneur et la gloire de celui qui l'a inaugurée. Cette idée se formulait ainsi : en réduisant notablement la taxe, vous provoquerez un si grand mouvement de lettres, que vous conserverez le revenu qui est acquis au trésor ; cette idée se complétait par l'introduction du timbre-poste, qui devait donner de si grandes facilités au public et à l'administration.
Mais la quotité de la taxe, c'était l'inconnu, c'était l’x du problème, et là fut l'erreur dans l'application.
Il a été reconnu depuis que, si au lieu d'abaisser la taxe à un penny, on l'avait abaissés à 2 pence en Angleterre, le même service eût été rendu au public et le revenu du trésor eût été assuré. Aussi le principe de la réforme a été universellement accepté, la taxe à 10 centimes universellement repoussée.
Messieurs, cet exemple mémorable était présent à notre esprit, lorsque nous avons eu à nous occuper, à notre tour, pour ce pays, de la réforme postale. Après un examen approfondi, nous avons reconnu que c'était à la taxe de 20 c. que, selon nous, il convenait de s'arrêter. Nous avons pris cette résolution dès le mois de novembre 1847.
Lors de la discussion de l'adresse, prenant la parole pour la première fois dans cette Chambre, j'exprimais l'opinion que c'était à la taxe de 20 centimes par lettre qu'il fallait s'arrêter. Mais nous eûmes une autre idée. Ce fut celle d'abaisser le port des journaux et des imprimés. Dès le mois de décembre 1847, sur notre proposition, cette réforme fut votée par la Chambre. Après diverses péripéties que la Chambre connaît, on arriva, par voie de transaction, à une taxe de 10 centimes pour les lettres circulant dans un certain rayon et à une taxe de 20 centimes pour les lettres circulant dans un rayon plus étendu.
L'ensemble de cette réforme est tel, que vous avez le tarif le plus libéral du monde entier ; et cependant, à entendre nos honorables contradicteurs, nous nous trouverions dans un état d'infériorité honteuse ; il nous faudrait aller beaucoup au-delà.
Mais, dans cette passion pour la réforme anglaise, il y a une chose étrange : c'est qu'on ne nous offre pas l'application du tarif anglais purement et simplement. On répudie le système anglais dans tout ce qu'il a d'onéreux, on le veut dans tout ce qu'il aurait de prétendument favorable à la correspondance. L'esprit libéral de notre réforme est pourtant bien plus remarquable que celui de la réforme qui a porté sur les lettres. Est-ce qu'on écrit des lettres pour faire des sermons aux gens ? Ecrit-on des lettres pour faire de la morale ? Ecrit-on des lettres pour éclairer les questions à l'ordre du jour, qui intéressent le pays ? Ecrit-on pour instruire les gens ?
Non, on écrit par nécessité, on écrit, en général, pour ses affaires, exceptionnellement, et surtout dans notre pays, à raison de l'exiguïté de notre territoire et de la facilité des communications, exceptionnellement pour les relations intimes et de famille.
Avant l'établissement des chemins de fer, on devait beaucoup plus écrire pour des motifs d'affection ; quand on était à des distances qui obligeaient à des voyages longs et onéreux, on écrivait davantage. Aujourd'hui au lieu d'écrire, on va voir ses parents et ses amis ; on n'est plus dans ce pays qu'à quelques heures les uns des autres ; inutile de compter les lieues, et pour juger si l'on se déplace facilement, on n'a qu'à compter les millions de voyageurs que transporte le chemin de fer.
Mais les journaux que nous portons gratuitement en quelque sorte sur toute la surface du pays, qui permettent à tous les habitants de se tenir régulièrement, journellement au courant de toutes les affaires publiques, voilà la réforme, la véritable réforme libérale ; voilà celle que nous avons faite, voilà celle que l'on doit applaudir. Et puis, messieurs, quand on nous cite, avec une complaisance remarquable, le tarif anglais comme établissant la taxe unique d'un penny, on oublie qu'il renferme deux très grandes exceptions, deux exceptions de la plus haute importance : la première, que les lettres mises à la poste à la dernière heure payent une surtaxe de 60 centimes. Que l'on propose au commerce de payer une surtaxe de moitié pour les lettres mises à la poste à la dernière heure, croyez-vous qu'il y consentira ?
M. A. Vandenpeereboom. - Nous prenons du système anglais ce qu'il a de bon.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous le vantez sans réserve et vous lui empruntez seulement ce que vous croyez bon ! Le trouvez-vous bon en ce qu'il établit un timbre de 10 c. pour les journaux et pour les imprimés ? Non, sans doute ; ce n'est pas non plus la surtaxe dont on frappe les lettres déposées à la dernière heure. Approuvez-vous cette autre partie du tarif, la seconde exception que je voulais vous signaler, qui frappe d'une surtaxe les lettres pour les localités qui ne sont pas desservies par des bureaux de poste ? C'est autre chose qu'une taxe de 20 c., et surtout si vous saviez quelle est l'importance des localités qui ne sont pas desservies par un bureau de poste en Angleterre.
En Angleterre, il n'existait, en 1840, que 4,028 bureaux de poste ; en 1856, ce nombre n'était encore que de 10,866, c'est-à-dire qu'il y a des milliers de localités qui ne sont pas desservies par un bureau de poste, des milliers de localités ! Et voici l'énumération de quelques-unes de ces localités qui ne sont pas des villages perdus au fond de l'Irlande ou de l'Ecosse, qui se trouvaient privées, l'an passé, d'un bureau de poste, comme le constate le rapport du post-office de 1857, vingt ans après la réforme. L'honorable M. Orts peut vérifier, il a le document sous ses yeux.
« Dans 1,041 localités, dit ce rapport officiel, des distributions en franchise ont été établies pour la première fois l'année dernière, et dans 297 autres localités, comprenant Dublin, Bristol, Bath, Exeter, Oldham, le district populeux autour de Manchester et les environs de Belfast, la distribution en franchise a été étendue ou autrement améliorée. »
Est-ce donc véritablement d'une taxe uniforme à dix centimes qu'il s'agit dans le tarif anglais ? Et remarquez que c'est un peu à l'état de système que les choses ont été ainsi pratiquées par l'auteur de la réforme, M. Rowland Hill.
Croyez-vous que M. Rowland Hill, proposant la taxe à un penny, s'est imaginé qu'il fallait faire le service de toutes les localités à ce prix ? Détrompez-vous ; il a même combattu cette idée, il l’a trouvée absurde et déraisonnable. On voit, dans le second rapport sur la réforme, que M. Hill a exprimé l'opinion que les habitants, obligés de payer une surtaxe, ne sont pas fondés à se plaindre ; il ne considère pas ce supplément comme une taxe, mais comme une indemnité pour un travail extra.
Dans la pensée de M. Hill, qui fut partagée par le pouvoir exécutif, la poste ne pouvait être astreinte à faire un service qui l'aurait constituée en perte. Lorsque cette éventualité se présente, disait-on, les localités doivent supporter elles-mêmes la dépense.
Il développe cette idée dans le Post office reform, pages 58 et 39.
« Plusieurs personnes, dit-il, ont paru croire que toute lettre devait être remise dans toute localité, quelque petite qu'en fût la population, à la taxe réduite d'un penny, et comme cette extension de service doit être une source de pertes pour le revenu public, je crois que ce sujet doit être mûrement examiné.
« En premier lieu, on doit remarquer qu'une limite doit être posée quelque part,
« On ne peut prétendre, continue-t-il, que les lettres soient distribuées à un penny dans des localités où la population est disséminée sur de grandes surfaces, comme cela se présente en Ecosse, dans le pays de Galles et même en Angleterre. C’est dans des circonstances de ce genre qu'une taxe additionnelle doit être perçue.
« Il est évident qu'il est de l'intérêt de la société de faire quelques sacrifices, pour étendre les bienfaits de la poste à ces localités déshéritées, parce qu'elles sont des refuges impénétrables de préjugés et d'ignorance.
« Comme proposition absolue, cela est incontestable, et en étendant le service de la poste à toutes les localités où on peut l'amener sans dommages pour le trésor, le principe recevrait une grande satisfaction, mais aller au-delà, ce serait sacrifier les localités les plus peuplées sans avantage pour celles qui le sont moins, car la taxe devant être dans toutes les éventualités, uniforme, il est manifeste ou bien que le revenu public souffrirait, ou bien que la taxe des grandes villes devrait être augmentée.
« Si le gouvernement veut renoncer au revenu, il n'y a point de difficulté ; mais si l'administration veut continuer à retirer un revenu de la poste, le principe d'une taxe égale, uniforme, pour les villes et les villages, doit conduire à une augmentation de taxe sur toutes les catégories de lettres, et dans cette position, il n'y a pas de choix à faire, la taxe générale doit être de deux pence (20 centimes), mesure qui nuirait aux villes, sans bénéfice pour les villages, car les habitants de ceux-ci ne considéreraient pas comme un avantage de faire payer une forte taxe aux villes pour sauvegarder le principe de la taxe uniforme.
« Et si des réclamations pouvaient s'élever, elles devaient être repoussées, parce qu'il semble qu'en formant un établissement considérable pour la correspondance du pays, on doit avoir plus d'égards pour l'opinion des personnes éclairées que pour celles des personnes qui le sont moins ; car, si l'on devait prendre ces réclamations en considération, et si la taxe doit être la même pour toutes les parties de l'Etat, si chaque lettre doit être remise partout à une taxe uniforme, ou bien la taxe doit être supérieure à un penny, ou bien le gouvernement doit renoncer à considérer plus longtemps la poste comme une branche de revenus publics ; or, un arrangement de cette sorte ne peut jamais être adopté, parce qu'il ne pourrait produire de revenu quelque peu considérable au gouvernement. » (Second report on postage, page 58, question 733.)
Avons-nous introduit des principes de ce genre dans notre réforme ? Avons-nous des restrictions aussi onéreuses dans notre organisation postale ? N'avons-nous pas un système qui, de l'aveu de M. Rowland Hill, ne devait fonctionner qu'avec une taxe de deux pence ? N'avons-nous pas encore ici l'avantage dans la comparaison avec l'Angleterre ?
Car, messieurs, indépendamment des avantages que je viens de signaler par la comparaison des deux tarifs, nous avons encore celui-ci : Il n'y a pas un village en Belgique, pas un hameau isolé, pas une maison solitaire, pas un poste douanier perdu sur la frontière qui ne puisse recevoir ses lettres au prix de 20 centimes au plus chaque jour, et chaque jour un journal pour un centime !
(page 259) Et vous vous plaignez ? Et vous nous parlez de réforme à faire et vous croyez qu'il y a encore grand-chose à faire en Belgique pour la réforme postale !
La réforme postale ! Un drapeau qu'on agite, une réforme magnifique que l'on promet, comme si la réforme n'était pas faite !
Que l'on nous dise en quel autre pays du monde on a fait plus pour les intérêts moraux, intellectuels et politiques par les faveurs accordées, à la presse !
Avec l'abolition du timbre et le transport des journaux presque gratuit, nous avons ici créé la presse à bon marché. Le nombre des journaux transportés par la poste était en 1847 de 4,200,000. En 1857 il a été de 22,820,000. Différence en plus, 368 p. c. ou 18,620,000.
La Belgique, messieurs, il n'est pas mal que l'on répète enfin ce qu'elle a fait, qu'on ne la laisse pas trop humilier eu présence des réformes introduites ailleurs, la Belgique est aujourd'hui le pays d'Europe, si ce n'est du monde, où la publicité a acquis les proportions les plus considérables.
Ainsi eu Angleterre, avec une population de 27,600,000 habitants, la poste en 1857 a transporté 71 millions de journaux. En Belgique, avec une population de 4,500,000, la poste en a transporté 22,820,000, ce qui fait une publicité presque double en faveur de la Belgique.
Je le répète donc, messieurs, la réforme n'est pas à faire en Belgique. Elle est faite plus complète, plus large, plus libérale que nulle part ailleurs. Elle est faite même au taux de 10 centimes. Nous n'avons pas besoin de réformateur pour en arriver là. La loi a prononcé. Elle est faite au taux de 10 centimes ; mais à une condition, c'est que le revenu net de 2 millions soit atteint ou plutôt, pour être dans la vérité, à la condition que, par un nouvel abaissement, le revenu net de 2 millions sera conservé au trésor public.
Il n'y a pas un discours dans lequel vous ne retrouviez cette pensée. Il n'y a pas un orateur qui n'ait déclaré, dans la discussion de ta loi de 1849, qu'il était indubitable que si la réforme première qui était proposée donnait un accroissement tel, que l'on récupérât le revenu de 2 millions perçu alors par le trésor, il serait évident qu'un nouvel abaissement de la taxe à 10 centimes rendrait également au trésor ce revenu de 2 millions. Et à ceux qui me demandent d'exécuter loyalement ce qu'on a qualifié d'engagement pris en 1849, je demande à mon tour d'exécuter loyalement l'engagement qui a été pris alors.
Qu'ils viennent dans cette Chambre me convaincre d'abord que les deux millions sont atteints ; et ensuite qu'avec un nouvel abaissement de la taxé, comme ils l'annonçaient, comme ils l'affirmaient, le trésor public récupérera les 2 millions de revenu net qu'on a entendu lui conserver.
Nous n'avons donc pas, messieurs, à voter sur la taxe à 10 centimes. Nous avons purement et simplement à constater un fait : Le revenu net est-il atteint ?
Messieurs, avant d'examiner cette question, je suis obligé de signaler à l'attention de la Chambre la série d'erreurs à l'aide desquelles on est arrivé à se former la conviction que la réforme a répondu entièrement aux espérances qu'elle avait fait concevoir.
J'ai voulu dissiper ces erreurs. J'aurais pu me contenter de soumettre à la Chambre les renseignements qui m'étaient demandés, les tableaux que l'honorable M. Vandenpeereboom avait réclamés.
J'ai cru devoir, au contraire, procéder avec la plus entière franchise, avec la plus entière loyauté ; j'ai fait précéder les chiffres demandés d'une note explicative où j'ai livré tous les arguments que le gouvernement pouvait faire valoir pour justifier l'attitude qu'il a dans ce débat. Et comment a-t-on considéré cette manière de procéder ? On a tout répudié, sommairement, sans examen et avec un dédain qui suffirait pour inspirer certaines défiances après les instances faites, afin d'obtenir les renseignements que j'ai donnés. C'est de la statistique, me dit l'honorable M. Vandenpeereboom, et savez-vous, ajoute-t-il, comment on fait la statistique des lettres ? On compte pendant un certain temps les lettres qui passent, on en multiplie le nombre par un certain chiffre et on a le nombre de lettres pour l'année entière.
Vous le voyez, cela fait pitié !
Mais je demande à l'honorable membre comment se fait la statistique des lettres en Angleterre ; la fait-on autrement ? Mais non : on ne saurait pas la faire autrement, et cependant vous avez jusque dans ces derniers temps raisonné exclusivement sur la statistique des lettres en Angleterre. C'est sur la statistique des lettres en Angleterre qu'on a formé la statistique des lettres en Belgique ; c'est de l'accroissement des lettres en Angleterre qu'on a conclu à l’accroissement des lettres en Belgique.
Mais, messieurs, il y a un moyen de contrôler les chiffres ; l'honorable membre n'y a pas pensé : on vérifie la statistique par la recette ; et je vais vous prouver que la statistique que j'ai soumise est mathématiquement exacte.
L'exercice 1858 donne 20,610,000 lettres et une recette de 3,792,500 francs.
En 1857 nous avons eu 20,229,533 lettres, d'après la statistique, et une recette de 3,703,410 fr., soit une augmentation de 380,467 lettres et une recette en plus de 89,090 fr. Les lettres se décomposent ainsi ; lettres étrangères en plus, 300,000, à 20 centimes, 60,000 francs ; lettres pour l'intérieur à 20 centimes : 228,678, donnant 45,000 fr. Les lettres à 10 centimes ont subi une diminution de 148,203 ce qui fait 14,820 fr. à défalquer ; reste 90,914 fr. ; soit une différence insignifiante de 1,84 fr. sur 3,792,000 fr. et un mouvement de 26,600,000 lettres. N'ai-je pas le droit de dire que les résultats sont mathématiquement exacts ?
M. A. Vandenpeereboom. - Cela ne me rend pas plus confiant dans la statistique.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je sais fort bien qu'on ne peut pas imposer la confiance ; mais lorsqu'il se trouve que la statistique des lettres concorde avec la recette, à quelques centaines de francs près, les personnes qui n'ont aucun motif de récuser la statistique qu'elles invoquaient d'abord, ne diront-elles pas que les résultats sont exacts ?
Ce n'est pas la seule objection. On dit : Fatras de chiffres ! Et l'on passe sans examiner, ou bien : Ce sont des chiffres groupés avec beaucoup d'habileté ! Ainsi parle l'honorable M. Vandenpeereboom, et il ne discute pas et pour cause ; il conteste encore moins et je dirai tout à l'heure pourquoi. Ou bien encore : C'est une invention de la bureaucratie, c'est l'administration qui résiste, qui entasse chiffres sur chiffres pour imposer son opinion au ministre, c'est elle qui conduit le ministre comme un sot, par le bout du nez. Ce sont les bureaux qui ont retardé de dix ans la réforme postale en Angleterre, c'est l'honorable M. Loos qui nous l'apprend.
Messieurs, c'est là encore, pour le faire remarquer en passant, une partie du roman de la réforme anglaise. Voici l'histoire.
M. Rowland Hill a publié sa brochure sur la réforme en 1837 : en 1838 la commission d'enquête parlementaire était à l'œuvre ; en 1839 la réforme était exécutée. Voilà, messieurs, comment l'administration, comment les bureaux, ces horribles bureaux, ont retardé de 10 ans la réforme postale.
Je ne sais, messieurs, si, lorsque le commerce d'Anvers, par exemple, se plaint si vivement des droits de quai, des droits de bassin, des droits de cuisine que perçoit la ville si bien administrée par l'honorable M. Loos, en résistant toutefois à la demande de suppression ou de réduction de ces droits, je ne sais ce que l'honorable M. Loos répondrait si l'un des conseillers communaux d'Anvers lui disait en réponse aux comptes qu'il fournit : Vous laissez votre administration vous mener par le bout du nez. Je ne sais s'il trouverait l'argument très fort et surtout très gracieux ; mais je présume qu'il répondrait : Mon administration me fournit des chiffres ; elle examine les questions que je lui soumets ; mais j'ai pour habitude de scruter à mon tour, de discuter, d'apprécier les raisons que l'on fait valoir pour maintenir une mesure et je me détermine selon ma raison plus ou moins éclairée. Eh bien, je prie l'honorable M. Loos de croire que j'agis exactement comme lui.
J'ai pour habitude d'examiner aussi bien que je le puis, aussi scrupuleusement, avec autant d'attention que possible les chiffres qui me sont soumis, et c'est lorsque je crois à leur exactitude, lorsque je crois qu'ils répondent réellement aux faits, que je les produis et les défends.
L'administration peut se tromper, je puis me tromper également, mais l'honorable M. Loos peut être persuadé que, comme lui, je ne me laisse pas imposer d'opinion.
Mais je vais vous dire, messieurs, pourquoi les chiffres sont maintenant repoussés par d'honorables membres.
Notre honorable ami M. Vandenpeereboom a une conviction très forte, j'en conviens, mais sur quoi est-elle fondée ? Il disait en 1856 :
« Je ferai remarquer que les craintes qu'on manifeste aujourd'hui sont exactement les mêmes que celles manifestées en 1849. Or, l'expérience a démontré l'inanité des appréhensions des adversaires de la réforme et prouvé que toutes nos prévisions et nos évaluations sont fondées ; les résultats ont même été au)delà de toutes nos prévisions.
« Ainsi, par exemple, l'honorable M. Cools qui, à cette époque, était rapporteur, estimait que même avec une taxe de vingt centimes, les recettes de la poste n'auraient atteint (en 1856) qu'une somme de fr. 3,372,000.
« Or, nous venons de voir que cette recette, au lieu d'être de fr. 3,372,000 sera bien réellement de fr. 4,556,900. Voilà donc une différence de fr. 1,184,904 en notre faveur. »
Première erreur matérielle, base de la conviction de l'honorable membre. Le chiffre de 3,372,000 francs ne comprend que les produits probables des lettres, tandis que le chiffre qu'on lui oppose et qu'on prend pour terme de comparaison comprend toute la recette des postes.
M. A. Vandenpeereboom. - J'ai reconnu cette erreur et je l'ai rectifiée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'explique comment cette conviction si profonde est née, sur quelle erreur matérielle elle est fondée ; on me répond que l'erreur est reconnue, et cependant la conviction subsiste !
Il continuait ainsi :
« On évaluait aussi alors la perte de l'Etat, selon les uns, à 900,000 fr. pour la première année, d'autres à 1,200,000 francs ; d'autres à deux millions. L'expérience a donné un démenti éclatant à toutes ces prévisions exagérées.
(page 260) « Vous connaissez tous la progression presque incroyable qu'a suivie le nombre des lettres transportées.
« Le ministre, dans un document, nous a fait connaître que, de 1847 à 1855, le nombre des lettres transportées avait triplé et le nombre des journaux quintuplé.
« Ainsi, en 1847, on a transporté par la poste, 6,452,000 lettres.
« En 1855, 18,143,000 lettres.
« En 1847, il a été distribué en journaux et imprimés, 4,200,000.
« En 1855, 19,669,000 journaux.
« En présence de cet accroissement rapide, je crois que nous ne devons pas craindre une grande diminution de recettes pour le trésor. D'abord, la progression actuelle continuera ; ensuite, nous avons une progression infiniment plus forte, à raison même de la diminution de la taxe. »
Deuxième erreur matérielle, ni reconnue, ni relevée cette fois. Le chiffre de 6,452,000 donné pour 1847 ne comprend que les lettres de l'intérieur ; l'honorable membre a omis 2,579,000 lettres de l'étranger, tandis que le chiffre de 18,143,000 comprend 4,700,000 lettes de l'étranger, qui auraient dû être exclues. Et c'est sur de telles erreurs que l'on se fonde pour affirmer que la réforme a répondu à tout ce qu'on avait promis en son nom et que l'on promet de nouveau une progression beaucoup plus forte encore !
D'après l'honorable membre, sous le rapport des recettes, les craintes que l'on avait manifestées ne s'étaient point réalisées.
« Lorsqu'on 1849, disait-il, on a parlé pour la première fois de la réforme postale, on a craint que le trésor ne subît une perte énorme, une perte de plusieurs millions ; on a soutenu que l'on ne parviendrait à couvrir les pertes subies par le trésor, que longtemps après la promulgation de la loi. Eh bien, l'expérience a démontré que ces craintes ont été, pour ainsi dire, chimériques.
« Les recettes brutes de la poste, depuis 1850 jusqu'en 1855, ont augmenté chaque année, en moyenne de fr. 234,000 ; de 1851 à 1853 l'accroissement moyen a été de fr. 206,000, et de fr. 280,000 pour les deux dernières années.
« Sous ce rapport, donc, les prévisions des pessimistes ne se sont pas réalisées.
« Les recettes nettes se sont également accrues d'une manière considérable ; la recette nette n'était en 1850 que de fr. 1,415,000 et pour 1855, elle s'est élevée à 2,441,000 fr. Voilà donc un accroissement de plus d'un million, et dans une période de 5 années. »
Erreur encore. L'accroissement ne résulte pas de la réforme postale ; elle ne résulte pas de l'abaissement de la taxe des lettres. L'accroissement provient des articles étrangers aux lettres, et ces articles étrangers aux lettres figurent dans l'accroissement pour un million !
« Cette augmentation, disait toujours l'honorable membre, est beaucoup plus grande qu'on n'aurait pu l'espérer. Une note communiquée en 1849, à la section centrale, par l'honorable M. Cans, je pense, qui était grand partisan de la réforme, estimait que le produit brut de la poste dépasserait en 1855 de 512,000 fr. les recettes de 1848. Qu'est-il arrivé ? C'est que la recette brute de 1855 dépasse la recette brute de 1848, non pas de 512,000 fr., mais de 873,000 fr., de sorte qu'ici encore le résultat a dépassé toutes les espérances. »
Erreur matérielle ; le chiffre de 512,000 francs, indiqué dans cette note, s'appliquait aux lettres de l'intérieur seules, tandis que l'excédant signalé de 873,000 francs comprend toutes les lettres sans exception.
Maintenant on parle de mon fatras de chiffres. Mais c'est mon fatras de chiffres qui a fait voir clair. C'est mon fatras de chiffres qui a démontré que l'erreur avait été complète.
M. A. Vandenpeereboom. - Mes chiffres sont très exacts.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Vandenpeereboom se trompe.
M. A. Vandenpeereboom. - Je maintiens que la recette de la poste a été en 1850 de 1,415,000 fr. et que la recette nette en 1855 a été de 2,441,000 fr., mais en prenant tous les articles de recettes et tous les articles de dépenses, ainsi que le voulait l'honorable M. Rolin,
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je prie l'honorable M. Vandenpeereboom de remarquer que je relève une de ses assertions portant que la recette de 1855 dépasse la recette de 1848 non pas de 512,000 fr., comme on l'avait présumé, selon lui, mais de 873,000 francs ; de sorte, nous a dit l'honorable membre, qu'ici encore le résultat a dépassé toutes les espérances.
Je dis que là il y a erreur. Le chiffre de 512,000fr., qui était indiqué dans la note de l’honorable M. Cools, ne comprenait que les prévisions exclusivement relatives aux lettres, tandis que le chiffre que vous comparez à celui-là comprend toute la recette de la poste ; voilà où est l'erreur.
L'honorable membre n'avait pas une conviction moins forte quant aux pertes essuyées par le trésor.
« La réforme, se demandait-il, a-t-elle fait subir une perte considérable au trésor ? Non, messieurs, de 1845 à 1848, le produit net de la-poste avait été de 2 millions environ. Malgré les circonstances fâcheuses au milieu desquelles le pays s'est trouvé depuis 1849, malgré des crises politiques, industrielles, commerciales et financières, quelle somme le trésor public a-t-il perdue en huit années par suite de la loi de 1849 ?
« Je crois être dans le vrai en disant que, depuis 1848 jusqu'à ce jour, la perte totale n'excède pas 400,000 à 500,000 francs. »
Or, cette maudite statistique, ce fatras de chiffres fourni par l'administration, a démontré que la perte s'élevait à plusieurs millions. Comprend-on maintenant pourquoi l'on a tant de dédain pour la note que j'ai soumise à la Chambre ?
L'honorable membre nous déclare qu'il s'en réfère à ce qui a été dit dans le rapport de la section centrale en 1849, et qu'il maintient que si les prévisions n'ont pas été toutes atteintes, on s'est singulièrement rapproché dans le fait de la réalité.
Or, messieurs, l'honorable membre est tombé ici et c'est dans cette dernière discussion, c'est avant-hier, répétant ce qu'il avait dit du reste à une autre époque, il est tombé dans une des erreurs les plus incroyables que l'on puisse commettre en cette matière.
On trouve en effet dans le rapport de la section centrale une note émanée de l'honorable M. Cools, adversaire de la réduction de la taxe à 10 centimes, qui établissait une série de calculs de probabilité pour démontrer que les espérances des partisans de la réforme étaient impossibles, que les espérances même du gouvernement étaient singulièrement exagérées. L'honorable M. Cools fut traité de pessimiste ; il fut déclaré unanimement que toutes les observations de M. Cools ne supportaient pas le moindre examen. M. Cans s'attacha, dans un discours que j'ai sous la main, à réfuter complétement les observations de M. Cools. Il terminait en disant : « Tout cela nous conduit à des calculs très ingénieux, mais dans lesquels je crois inutile de le suivre, parce que, comme ceux de l'exposé des motifs, ils partent d'une base entièrement fausse. »
Et qu'arrive-t-il maintenant, messieurs ? On prend les calculs du pessimiste pour ceux des optimistes et l'on en conclut que toutes les prévisions, ou à peu de chose près, des partisans de la réforme se sont réalisées !
C'est absolument le contraire qu'il faudrait faire, c'est-à-dire que la note que l'on invoque à présent prouve qu'aucune des prévisions ne s'est réalisée. L'honorable M. Cools, le plus pessimiste de tous, est celui qui s'approchait le plus de la vérité !
Eh bien, ce sont toutes ces erreurs matérielles qui ont été mises sous les yeux du public. Aucun des chiffres que j'ai eu l'honneur d'indiquer dans la note que j'ai remise à la Chambre n'a été contesté ni critiqué ; mais on a essayé de les écarter comme étant des calculs plus ou moins hypothétiques ou problématiques, sur lesquels on pouvait avoir des opinions divergentes. C'est là une très grande erreur. Ce ne sont pas, à proprement parler, des calculs que j'ai soumis à la Chambre ; ce sont des faits qui se traduisent en chiffres, mais ce sont purement et simplement des faits. J'ai dit : Vous aviez pensé qu'on aurait un accroissement de 600, de 500, de 200 p.c. Voici les faits ; dès la première année, l'accroissement au lieu d'être de 200 p. c. n'a été que de 50 p. c. Je dis : Vous avez estimé qu'on aurait telle recette ; voilà les prévisions ; voilà la vérité, je n'ai pas fait autre chose et cela n'est pas contestable.
Toutefois l'honorable M. Vandenpeereboom me fait un reproche : Vous avez choisi à dessein, me dit-il, les chiffres de l'année 1858 pour établir vos calculs relatifs aux produits nets. L'honorable M. Vandenpeereboom a oublié que c'est lui qui m'a demandé, dans cette Chambre, d'établir mes calculs sur l'année 1858.
M. A. Vandenpeereboom. - J'ai demandé un renseignement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous m'avez demandé le nombre des lettres et la recette en 1858, j'ai produit ce renseignement, j'en tire les conclusions, l'honorable membre m'en fait un grief ; cela ne me paraît pas juste.
Je n'y avais pas pensé, j'avais demandé les chiffres de 1857, comme étant ceux d'une année close, et tous les calculs étaient établis sur 1857. C'est à la demande de l'honorable M. Vandenpeereboom que les chiffres de 1858 ont été relevés et ont été donnés ; mais l'honorable M. Vandenpeereboom, s'apercevant que l'année 1858 était bien moins favorable encore que l'année 1857, répudie cette année comme la statistique, il n'en veut plus.
Eh bien, je veux montrer mon esprit conciliant, je consens à effacer tous ces calculs et à prendre ceux de 1857.
Voilà de quoi satisfaire mon honorable contradicteur. Rétablissons donc les chiffres.
La recette des lettres s'est élevée en 1857, à 3,703,409 fr. 98 ; la dépense à 2,164,113 fr. Différence : 1,539,296 fr. 98.
Si l'on déduit les timbres-poste non annulés, 134,352 fr. 70, le produit net ne s'élève qu'à 1,404,944 fr. 28.
Si l'on opère sur les produits généraux, on obtient les résultats suivants :
Recettes des produits généraux : 4,520,707 fr. 60
Dépenses : 2,722,963 fr.
Reste un produit net de 1,797,744 fr. 60
(page 261) Voilà les chiffres de 1857 substitués à ceux de 1858 ; mais cela revient à peu près à dire ceci : Que la Chambre ferme les yeux ; que la Chambre ne regarde pas l'année 1858 qui donne un résultat plus défavorable encore. Ne vous occupez que de 1857. Après 1858, le déficit existera ; nous aviserons.
Ainsi nous partons des chiffres de 1857.
Mais ici j'ai commis un très grand crime. J'ai calculé le produit net non de la poste, comme le dit l'article de la loi de 1849, mais seulement le produit net sur les lettres.
L'honorable membre m'arrête ici et me fait cette objection : Voire base est fausse ; elle est contraire à celle qui a été indiquée par l'honorable M. Rolin, ministre des travaux publics en 1849. Vous deviez comprendre dans vos calculs non seulement le produit des lettres, mais le produit des journaux, des imprimés, des articles d'argent, etc., en un mot, toutes les autres recettes de la poste. C'est ainsi que la chose a été entendue.
L'honorable membre en est-il bien sûr ? Il a cité quelques ligues fort peu explicites d'un discours de l'honorable M. Rolin qui annonce que l'on suivra ultérieurement, pour calculer les produits nets, les bases indiqués dans le tableau qu'il avait alors sous les yeux. Mais M. Rolin n'a rien spécifié. C'est une phrase vague dont l'honorable M. Vandenpeereboom tire mal à propos des conséquences en sa faveur.
M. A. Vandenpeereboom. - C'était une déclaration formelle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous allons voir. Je vais au contraire vous démontrer textuellement que M. Rolin excluait les journaux, les imprimés, les articles d'argent.
M. A. Vandenpeereboom. - Alors M. Rolin s'est contredit.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Rolin savait parfaitement ce qu'il disait ; il ne s'est pas contredit ; je vais vous le prouver.
D'abord, messieurs, cette manière de calculer est la seule rationnelle. Pourquoi ? Parce qu'on nous dit : La taxe des lettres abaissée a donné tel résultat ; un nouvel abaissement nous donnera un résultat également favorable. Comment donc pourrait-on établir des calculs sur des articles qui sont complétement étrangers aux lettres ? Evidemment c'est impossible. Comment démontrer que l'abaissement de la taxe a produit ses effets, a produit d'heureux résultats si, pour les apprécier, on prend la recette sur les articles d'argent, sur les journaux et sur les imprimés ? En quoi l'abaissement de la taxé des lettres a-t-il pu opérer sur les journaux et sur les imprimés ?
Cela seul déjà nous serait une suffisante démonstration.
L'idée d'abaisser la taxe, lorsqu'un produit net serait atteint, cette idée, quand elle a été introduite, était-elle nouvelle ? Non ; elle a été prise, comme l'a rappelé l'honorable M. A. Vandenpeereboom, dans un rapport du 23 avril 1847, fait par M. de Corswarem, sur un projet de réforme du tarif des lettres ; voici ce qu'on lit dans ce rapport :
« Après avoir examiné plusieurs systèmes et après s'être concertée avec M. le ministre des travaux publics, elle a introduit (la section centrale) dans le projet de loi, le principe de la réforme la plus large, en conservant, transitoirement, toutes les ressources que les postes offrent en ce moment au trésor.
« Le but en vue duquel elle a introduit ce principe dans la loi, pourra être atteint par l’augmentation du nombre des lettres. «
L'on fait donc dépendre l'abaissement de l'augmentation du nombre des lettres.
Un peu plus loin, on lit dans le même rapport :
« On propose d'admettre le projet présenté par le gouvernement, mais de poser en même temps le principe de la suppression ultérieure et successive des zones.
« Cette suppression n'aurait lieu pour chaque zone, en commençant par la plus élevée, qu'autant que le produit net des postes s'élevât au-dessus de ce qu'il a été en 1846.
« Voici l'avis donné par M. le ministre sur cette question.
« Le gouvernement croit pouvoir se rallier à la proposition tendant à décréter la suppression ultérieure et successive des zones chaque fois que le produit net des postes s'élèvera au-dessus du chiffre qu'il a atteint pendant l'année 1846.
« Au moyen de cette restriction, la réforme ne présentera plus de danger pour le trésor, attendu qu'elle serait introduite par degrés, et de telle sorte que la réduction de recette et, éventuellement, l'augmentation de dépense provenant de la suppression de chaque zone, fussent toujours couvertes par un accroissement proportionnel du nombre des lettres, avant de toucher à la zone inférieure. »
Cette déclaration est remarquable : la question posée n'était pas claire en parlant du produit des postes ; le gouvernement répond explicitement en faisant dépendre l'abaissement de 1 accroissement du nombre des lettres.
Voilà qui est bien formel.
L'honorable M. Rolin procédait de la même manière. Le 28 mars 1849, au Sénat, il fait une évaluation probable des recettes après la réforme.
Le ministre estime que cette perte sera de 85,000 fr. pour la première année seulement.
Or, comment établit-il ce calcul ? En opérant sur les recettes des lettres exclusivement. lI ne comprend ni journaux, ni imprimés, ni articles d'argent ; il compte partout et clairement l'accroissement résultant du nombre des lettres. Voici ce que disait le ministre :
« En Angleterre, la réduction de la taxe a été de 84 p c. et l'augmentation de la correspondance s'est élevée, la première année, à 115 p. c. La réduction, en Belgique, étant moins forte, l'accroissement probable de la correspondance sera moins aussi considérable ; on a cru pouvoir l'évaluer rationnellement en raison de la réduction de la taxe, c'est-à-dire, pour les lettres actuellement taxées à 20 centimes, dans la proportion de 53 à 84.
« Cela étant, le nombre des lettres de cette nature s'élèverait, la première année, à 4,331,458 ,qui, à raison de 10 centimes par lettre, donneraient un produit de 433,145 80.
« J'ajoute 8 p. c. pour les lettres pesantes, soit 34,651 60
« Ici ce n'est pas un simple calcul de probabilité, c'est une sorte de certitude ; la proportion des lettres pesantes restant à peu près constamment la même.
« Voilà, messieurs, le résultat de la mesure que j'ai indiquée pour cette catégorie de lettres, dont la taxe descendait de 20 centimes à 10.
« J'arrive à celles que je propose de soumettre à la taxe uniforme de 20 centimes ; le nombre de lettres de cette espèce s'élève actuellement à 5,444,961, qui ont donné un produit de 2,191,055 90
« On voit, par la comparaison du nombre des lettres au produit, que la taxe moyenne à laquelle elles sont actuellement soumises s'élève à 40 centimes.
« En faisant le même calcul que je viens de faire pour les lettres dom la taxe serait réduite, de 20 centimes à 10, on arrive à constater que la réduction de la taxe moyenne de 40 centimes à une taxe uniforme de 20, donnera pour résultat préalable, dès la première année, une augmentation de correspondance qui élèverait le nombre de ces lettres à 9,147,534 qui, à raison de 20 centimes, donneraient 1,829,506 .
« Ajoutez-y 8 p. c pour les lettres pesantes, 146,360 50
« Et enfin (pour ne pas aller au-delà des limites du probable), 10 p. c. pour les lettres non affranchies et soumises comme telles à une taxe supplémentaire d'un décime, 146,544 40
« 2 p. c. pour les lettres chargées, 58,617 60
« Vous obtiendrez pour le produit total, 2,773,990 fr. 50
« Et le chiffre de la recette de 1847 ayant été de 2,859,824 fr. 40
« La diminution sera de 85,833 fr. 90. »
Le ministre n'indiquait donc pour le revenu de 1847 que la somme de 2,859,824 fr. 40 c. Vous entendrez tout à l'heure son explication qui démontre qu'il a exclu les recettes étrangères au port de lettres.
Si l'opinion de l'honorable M. A. Vandenpeereboom est fondée, le ministre des travaux publics aurait dû déduire incontinent le produit résultant de l'accroissement des autres articles de la poste.
II n'y a point de milieu. Il ne l'a pas fait ; il a donc opéré exclusivement sur les lettres sans avoir tenu aucun compte de l'augmentation qui devait résulter inévitablement de l'accroissement du nombre des journaux.
Mais quoique cette preuve-là fût assez évidente, le ministre des travaux publics rencontrait au Sénat un rude jouteur ; c'était l'honorable M. Cogels. Il ne se tenait pas pour très satisfait des explications qu'on voulait bien lui donner ; et le ministre des travaux publics, répondant à ses objections, s'exprimait ainsi :
« Mais, dit-on, pour vous prouver combien le revenu net indiqué est incertain, remarquez que tandis qu'à la page 5 du premier rapport, la recette pour 1847 est portée à 3,764,271 fr. 55 c, la part afférente aux ports de lettres n'est indiquée dans les documents fournis en dernier lieu que comme étant de 2,859,824 fr. 40 c. »
L'objection est décisive. Elle doit recevoir une solution dans le sens de l'opinion de l'honorable M. Vandenpeereboom ou dans le sens de celle que je défends. Le ministre a compris ou il a exclu les recettes étrangères aux ports de lettres.
« La réponse est simple, dit le ministre ; la recette totale des postes est bien de 3,764,271 fr. 35 c, niais c'est en y comprenant diverses recettes étrangères et la correspondance anglaise, lesquels ne subiront aucune influence de la réforme que vous voulez établir. »
Et bientôt après il ajoute : « ... si la progression de la correspondance, sous l’empire de la nouvelle réforme, est telle, que vous atteigniez le revenu net de deux millions, vous n'auriez point sujet de craindre l'effet d'une nouvelle baisse de la taxe jusqu'à 10 centimes (…)
« Ce qui doit rassurer les plus craintifs, c'est que le revenu net de deux (page 262) millions ne pourra être atteint qu'à la condition que la réduction de la taxe amène une augmentation de correspondance considérable. »
Est-ce clair ? Est-ce évident ?
M. A. Vandenpeereboom. - L'augmentation de la correspondance a été considérable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est très peu de chose ; c'est bien moins qu'on n'avait espéré ; vous l'avouez vous-même en essayant de composer le revenu net, non par l'accroissement de la correspondance, mais par des produits qui n'ont rien de commun avec les ports de lettres.
Eh bien, l'honorable M. Cogels, comme l'honorable M. A. Vandenpeereboom, n'est pas satisfait encore, il insiste, et voici ce que lui déclare M. le ministre des travaux publics, le 3 avril 1849 :
« II me reste à répondre aune observation de l'honorable rapporteur de votre commission, M. Cogels. Cet honorable membre a fait remarquer que les explications qu'il a provoquées de la part du gouvernement sur la manière dont il entendait les dépenses, n'étaient pas inutiles, puisqu'il en ressort qu'une certaine partie des dépenses, à savoir celle afférente à l'administration centrale, n'y est pas comprise.
« Il a fait remarquer d'un autre côté, qu'il y a une partie des recettes, celle provenant des imprimés affranchis, des journaux affranchis, du transit des dépêches étrangères, qui n'est pas renseignée dans un des chiffres du revenu net qui vous a été indiqué. Mais, sans qu'il soit besoin de rentrer dans le débat, je vous ferai remarquer qu'il est absolument indifférent de savoir si telle ou telle somme devrait être portée, soit dans la dépense, soit dans le revenu des postes, puisque nous faisons dépendre l'application de l'article du rapport existant entre le revenu net actuel et le revenu net futur. Or, pour que ce rapport soit exact, il suffit que les termes en soient établis sur la même base et de la même manière, sous les deux régimes. »
Le doute est impossible : le ministre exclut les journaux, les imprimés, le transit des correspondances étrangères et c'est sur cette même base qu'il faut opérer sous les deux régimes.
Je le répète et je rends la Chambre attentive à cette déclaration : il y a une partie de recettes, celle provenant des imprimés, des journaux affranchis et du transit des dépêches étrangères qui n'est pas renseignée dans les chiffres du revenu net qui a été indiqué.
Voilà qui est hors de contestation possible : on n'avait pas renseigné, dans les chiffres composant le revenu net, le produit de l'affranchissement des journaux et imprimés, non plus que le produit du transit des dépêches étrangères
M. A. Vandenpeereboom. - Quel était ce revenu ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le revenu net dont nous recherchons les bases et sur lequel nous discutons en ce moment.
Il y a donc dans les discours du ministre autre chose que ce qu'on y avait découvert. J'ai prouvé que dans les chiffres indiqués comme représentant le revenu net ne se trouvait compris, ni le produit des journaux et imprimés, ni celui du transit des dépêches étrangères ; j'ai prouvé qu'il faut établir le revenu de la même manière sous les deux régimes.
C'est ce que je fais, et je l'ai fait encore sur les indications mêmes de l'honorable M. A. Vandenpeereboom. Une des premières fois qu'on s'est occupé ici de la réforme postale et de la signification de l'article 10 de la loi du 22 avril, on produisait un tableau des recettes et des dépenses générales de la poste, et dans ces dépenses on avait compris celles qui sont acquittées par le chemin de fer pour le service de la poste.
L'honorable M. Vandenpeereboom fit remarquer que dans la discussion de 1849 on avait exclu cette dépense ; plus tard nous fîmes observer qu'on avait aussi exclu certaines recettes et qu'on avait pris pour base les données présentées par le gouvernement.
Mais si je justifie comment doit s'établir le revenu net des lettres, M. Vandenpeereboom n'est pas plus satisfait et il soulève une nouvelle critique.
En admettant la base que vous indiquez, me dit-il, il faut du moins déduire la part de la dépense afférente au transport des journaux et imprimés. Mais si la Chambre avait décidé que le transport des journaux aurait lieu gratuitement, y aurait-il lieu de déduire la dépense afférente au transport des journaux ? Cela ne pourrait pas faire question. Or, les journaux et imprimés transportés à un centime ou gratuitement, c'est à peu près la même chose. Mais voyez le singulier résultat auquel arrive M. Vandenpeereboom !
Un article donnant une recette d'environ 300 mille fr. devrait occasionner et supporter dans ses calculs une dépense de 1,319,000 fr. tandis que les lettres qui rapportent 3,792,000 fr. ne devraient supporter que 872 mille fr. de dépense : C'est là le calcul étrange de l'honorable membre, parce qu'il se borne à répartir la dépense sur le nombre des objets transportés. Mais, encore une fois, si l'Etat avait déclaré qu'il transporterait gratuitement les journaux, et le transport à un centime équivaut au transport gratuit, et qu'on ne portât cet objet ni en recettes ni en dépenses, ne serait-on pas dans la vérité ?
Le service était organisé pour les lettres, en 1847, sur toute la surface du pays ; il répondait à ce besoin principal et essentiel ; on a dit : Le service étant, ainsi organisé pour les lettres, ce ne serait pas une dépense considérable si nous nous chargions aussi du transport des journaux à très bas prix. Fixons à un centime le port des imprimés et des journaux ; l'Etat sera suffisamment récompensé par la légère rémunération qu'il exige du supplément de dépenses qu'il s'impose. Voilà pourquoi ou n'a pas compris dans les calculs les recettes et les dépenses afférentes aux journaux.
Mais, soit ; ce n'est pas ainsi qu'on calcule les résultats d'une entreprise ; il faudrait opérer sur les dépenses générales et sur les produits généraux. Le voulez-vous ?
J’'admets que si on chargeait non l'Etat, mais un négociant de faire ce service, pour savoir s'il est en gain ou en perte, ce négociant prendrait les recettes générales et les dépenses générales. Mais les honorables membres trouvent commode, en cette hypothèse, de ne pas tenir compte de certaines dépenses, parce que, disent-ils, elles sont acquittées par le chemin de fer et que le chemin de fer transporte les dépêches gratuitement. Ce transport est gratuit pour la poste, oui, mais non pour le pays.
Imaginez donc un négociant qui, ayant une fabrique de papiers et une fabrique de fer, porterait à la charge de sa fabrique de fer ses charbons, ses bois, ses charrois et tous ses frais d'administration et ne laisserait au compte de la fabrique de papier que certains menus frais de peu d'importance, puis qui viendrait dire : Je fais d'admirables affaires dans ma fabrique de papier, mais malheureusement j'ai là une fabrique de fer qui absorbe la plus grande partie des produits que j'obtiens. Le premier homme de bon sens auquel il s'adresserait lui répondrait : Mon brave homme, portez au compte de votre fabrique de papier, ses dépenses et ses produits ; faites-en autant pour votre fabrique de fer et vous saurez exactement ce que chacune coûte et produit.
Il ne serait pas plus raisonnable de mettre à la charge du chemin de fer, les frais du transport des lettres ; car au chemin de fer il y a des frais de traction, l'usure du matériel, les frais d'administration centrale
Or, si l'on opère sur les produits généraux, en portant en compte toutes les dépenses, le produit net de deux millions n'existe pas. On ne le conteste pas.
Maintenant je n'entre plus dans les détails de chiffres ; je ne puis pas discuter non plus les nouvelles prophéties des auteurs de la proposition, sur les augmentations probables qu'éprouveront les correspondances par suite de la réduction à 10 centimes.
En fait de postes, nous avons assez de prophéties comme cela. Les faits sont que depuis la réforme opérée l'augmentation des lettres a été de 1,100,000 annuellement. Pour récupérer une perte d'un million que doit entraîner l'abaissement de la taxe à 10 centimes, il faudrait que le nombre des lettres augmentât de 10 millions ; il n'y a pas de calcul qui puisse donner la moindre probabilité d'un pareil accroissement.
La perte sera, comme je l'ai dit, d'un million au minimum. Elle sera bien aggravée par suite des traités que vous serez obligés de faire avec les puissances étrangères pour le transport de leurs lettres en transit ; déjà les dernières conventions postales amènent une réduction de revenus de près de 300,000 fr. et en abaissant votre taxe vous serez probablement conduits à diminuer également la taxe du transit. Les puissances étrangères vous offrent de réduire chez elles le port de vos lettres et elles vous demandent de réduire chez vous le port de leurs lettres.
Mais, dit l'honorable M. Vandenpeereboom, vous résisterez. Vous résisterez naturellement, vous résisterez autant que vous le pourrez afin de conserver le revenu le plus considérable possible. Mais quand on aura réduit la taxe à 10 centimes, notre résistance s'appuiera sur de très mauvaises raisons. On nous dira : Comment ! votre taxe est de 10 centimes et vous voulez que nous payions 20 ou 25 centimes. Lorsque nous avons une taxe de 20 centimes nous pouvons objecter : Nous ne vous traitons pas plus mal que nous ne traitons les correspondances de l'intérieur.
M. Rolin disait à cet égard qu'il était impossible de croire que lorsqu'on aurait abaissé la taxe à l'intérieur, on n'arriverait pas nécessairement, dans un temps donné, à abaisser également la taxe des correspondances étrangères.
Ce n'est donc pas, messieurs, une perte d'un million, c'est une perte beaucoup supérieure sur laquelle il faut compter.
Mais la dépense, messieurs ! Savez-vous jusqu'où nous poussons la bonhomie ? Nous discutons sur les chiffres de 1857 ou si l'on veut de 1858 ; nous supposons une dépense fictive qui est autre que la dépense réelle. Vous avez déjà voté au budget de 1859, un accroissement de dépense de 125,000 fr. ; le résultat serait tout différent si nous ajournions de six semaines la discussion, nous aurions alors à prendre le chiffre de 1859.
Bien plus, nous avons des dépenses à faire qui ont été retardées, comme elles le sont presque toujours dans l'administration publique, à raison de la difficulté d'obtenir des augmentations de crédit. Nous avons des dépenses inévitables indispensables à faire, j'en ai indiqué quelques-unes, et personne n'a rien trouvé à objecter. Supposez seulement qu'au budget de 1860 vous ayez à créer un petit nombre de perceptions et de distributions et à satisfaire au nombre de facteurs qui est réclamé pour les différentes localités, et ce nombre est de 200 au moins ; ce sera une dépense de 300,000 francs, dépense inévitable, que vous serez obligés de voter.
Il serait tout simple que, traitant raisonnablement la question, l'on (page 263 portât cette dépense en compte ; mais alors qui donc eût pu parler d'un produit net de 2 millions ?
Et cette perte, messieurs, que je viens de vous signaler, où irait-elle ? A qui ce gros million, si difficile à obtenir, à qui ce gros million va-t-il profiter ? Qu'importe, nous dit-on, c'est un service public ! Service public, qu'est-ce que l'on entend par là ? C'est un mot.
Je comprends le mot, mais l'idée, je ne la comprends pas. Veut-on dire par là que l'Etal ne peut pas être rémunéré, qu'il ne peut pas prélever quelque chose sur les services qu'il exploite ?'
M. Orts. - Le moins possible.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le moins possible, je le veux bien ; mais l'enregistrement est aussi, je crois, un service public. Je soupçonne même qu'il a été établi afin de donner aux particuliers le moyen de constater la date certaine d'un acte. En vertu de ce mot, service public, supprimons donc le droit d'enregistrement !
Les hypothèques, voilà un service établi exclusivement dans un intérêt privé. La dépense couverte, tout sera dit, il n'y aura plus rien à prélever de ce chef. Après avoir réduit ou supprimé les péages, le tonnage, l'enregistrement, les hypothèques, la poste, combien de millions d'impôts nouveaux nous faudra-t-il ?
Mais notre poste, a dit l'honorable M. Orts, a été mise aux mains du gouvernement pour qu'il fît mieux et à meilleur marché que les particuliers. Si c'est là le motif principal, je voudrais bien savoir pourquoi on donne le monopole du transport des lettres à l'Etat, pourquoi on punit de prison ou tout au moins d'amende ceux qui s'avisent de transporter des lettres en fraude des droits de la poste !
M. Coomans. - C'est une absurdité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement, ce sont là autant d'absurdités ; mais les gens absurdes qui ont fait tout cela se sont dit : Confions le monopole du transport des lettres au gouvernement, c'est une chose qui peut être mieux faite par lui que par les particuliers et il se procurera ainsi un revenu parfaitement légitime. En conséquence nous interdirons à tout autre de transporter des lettres.
M. Orts. - Il n'est pas plus légitime de bénéficier sur ce service que sur la fabrication de la monnaie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelle étrange comparaison ! Ne comprend-on pas que la monnaie sur laquelle l'Etat bénéficierait serait de la fausse monnaie ?
Le bénéfice qui serait prélevé sur la fabrication de la monnaie serait nettement qualifié de vol. Je ne vois donc pas quelle analogie il pourrait y avoir entre la fabrication de la monnaie et le monopole du transport des lettres. Ce monopole a été confié à l'Etat tout à la fois parce que l'Etat est mieux à même que les particuliers de se charger d'un pareil service et parce que l'Etat pourrait y trouver une source de revenus. Peut-on supposer sérieusement que si le monopole n'existait pas, des particuliers se chargeraient d'assurer le transport des lettres dans tout le royaume ? Ah ! sans doute, je veux bien le croire ; nous aurions un service parfaitement établi entre tous les grands centres du pays. Partout où il y aurait des bénéfices à réaliser, le service ne laisserait pas à désirer ; mais partout où il serait onéreux, qui donc l'établirait ? Qui donc établirait ce service rural qui, moyennant dix ou vingt centimes pour vos lettres, un centime pour vos journaux, transporte vos journaux et vos lettres jusqu'aux confins du royaume ?
Qui, je vous le demande, qui, si ce n'est le gouvernement, pouvait créer un service postal qui permît ainsi la transmission quotidienne et régulière de toutes les idées politiques et sociales qui surgissent chaque jour dans la presse ? Qui, je le demande, eût songé à organiser un pareil service pour n'en retirer aucun bénéfice ? Permettez-moi de le dire, messieurs, cela n'est pas sérieux.
L'idée que l'on ne doit retirer aucun bénéfice du service de la poste n'est, d'ailleurs, pas nouvelle, elle s'est produite, si je ne me trompe, dans la dernière assemblée française, en 1848 ou 1849.
Quelqu'un s'est levé pour soutenir cette thèse : Point de profit du chef de la poste ; afin qu'il y ait des communications plus faciles entre les hommes, je propose la taxe à cinq centimes. Eh bien, dans cette assemblée, qui n'était certes pas suspecte de ne point s'occuper des intérêts populaires, la proposition n'a pas même été appuyée. Elle n'émanait cependant pas d'un socialiste, je le fais remarquer, pour que mon honorable ami, M. Orts, ne puisse attribuer à cette idée une origine qu'elle n'avait pas et qu'il ne s'offense point du rapprochement.
M. Orts. - Les socialistes ont quelquefois dit de très bonnes choses.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement, je le reconnais volontiers. Je veux constater seulement que l'insuccès de cette idée ne peut pas être attribuée au patronage sous lequel elle s'était produite ; l'auteur de la motion était M. Bastiat, un économiste très distingué. Eh bien, la proposition ne fut pas même appuyée. Tout le monde reconnut la légitimité du bénéfice prélevé par l'Etat sur le transport des lettres. Tout le monde reconnut, je présume, comme nous le démontrerons tout à l'heure, que c'est une excellente source de revenu.
Mais, dit-on, tout abaissement de la taxe postale doit amener nécessairement une progression dans la correspondance ; il doit profiter à toutes les classes de la société.
Ce raisonnement, fondé en apparence, me semble faux en réalité. Supposons que la taxe ne fût plus que de dix centimes et qu'on la réduisît même encore ; en quoi cela changerait-il la condition des personnes qui ont des relations par voie de correspondance ?
Il faut, sous ce rapport, distinguer entre une taxe faible et une taxe élevée. Ce qui est possible avec une taxe élevée n'est plus vrai du tout avec une taxe faible. Ainsi je comprends que la réduction de la taxe à 10 et à 20 centimes a pu provoquer un développement assez considérable de la correspondance, parce qu'elle offrait une notable différence avec la taxe antérieure. Mais ici la différence ne serait plus que de dix centimes pour un certain nombre de lettres, et l'expérience que nous avons faite nous a prouvé que la progression des lettres à 20 centimes a été égale et même supérieure à celle des lettres à 10 centimes. Les faits ont parlé.
Or, on n'écrit pas pour le plaisir d'écrire ; c'est toujours une peine ; on n'écrit que par nécessité, parce que les affaires obligent de le faire, et dans ce cas la question de savoir si l'on devrait payer 10 centimes de plus ou de moins ne peut évidemment exercer aucune influence sensible sur la détermination de celui qui est obligé d’écrire. Il suffit donc en cette matière que la taxe soit raisonnable, qu'elle ne soit pas oppressive, qu'elle ne détourne pas de l'emploi de la poste, qu'elle ne fasse pas rechercher des moyens illicites de s'y soustraire.
Mais, dit-on, n'est-il pas injuste, inhumain, d'obliger les parents des malheureux miliciens à payer le plus souvent 20 centimes pour correspondre avec leurs fils ? C'est le côté sentimental de la question. Eh bien, soit, inscrivons dans la loi que les lettres adressées aux sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats sous les drapeaux ne payeront que dix centimes quelle que soit la distance parcourue ; j'y consens, l'objection tombe.
M. A. Vandenpeereboom. - C'est déjà quelque chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, je suis heureux de pouvoir au moins vous faire une concession qui vous soit agréable.
Mais l'abaissement de la taxe des lettres, s'il profite aux grands négociants, se fera aussi sentir son influence sur les autres particuliers, nous dit l'honorable M. Orts. Est-ce que, par exemple, M. de Rothschild, qui fait les affaires du gouvernement à Paris, ne lui porte pas en compte ses ports de lettres ?
M. Orts. - Et très exactement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'en suis bien fâché, mais il ne les porte pas en compte ; j’ai vérifié le fait. Jamais cela ne se porte en compte.
Il n'y a pas de négociant qui porte en compte ses ports de lettres. (Interruption.)
Permettez, je vais m'expliquer. Les banquiers portent en compte les ports de lettres en retour d'effets impayés seulement. Mais combien y a-t-il d'effets impayés sur la masse des effets ? C'est insignifiant, eu égard à la circulation, et l'on ferait 10 centimes de déduction dans ce cas exceptionnel ! Le beau résultat !
Messieurs, j'ai fait faire le relevé, dans une maison de commerce que je connais tout particulièrement, du nombre des timbres-poste de diverses catégories employés. J'ai trouvé pour
1856 : 2,500 timbres-poste à 40 centimes, 1,000 fr. ; 9,000 à 20 centimes, 1,800 fr. ; 5,000 à 10 centimes, 500 fr. Total, 3,300 fr.
1857 : 3,000 timbres-poste à 40 centimes, 1,200 fr. ; 10,000 à 20 centimes, 2,000 fr. ; 5,000 à 10 centimes, 500 fr. Total, 3,370 fr.
1858 : 4,000 timbres-poste à 40 centimes, 1,600 fr. ; 10,000 à 20 centimes, 2,000 fr. ; 4,000 à 10 centimes, 400 fr. Total, 4,000 fr.
Le nombre des timbres de 20 et de 40 centimes figure pour la très grosse part dans ces chiffres, et le négociant me fait observer que beaucoup de timbres de 40 centimes ont surtout été employés pour des lettres en destination de la Belgique, dont le poids nécessitait 40 ou 80 centimes. Le surplus a été employé pour des lettres adressées à l'étranger.
Eh bien, par l'abaissement de la taxe, vous ferez à cette maison de commerce un cadeau de 1,500 ou de 2,000 francs à peu près, et il est impossible que cette maison fasse profiter d'un décillionième de centime ses commettants de la réduction que vous lui accorderez, sauf, comme je l'ai dit, pour les ports de lettres en retour d'effets impayés.
Est-ce que vous croyez que ce négociant, à qui vous offrez ce cadeau, va sottement demander l'abaissement de la taxe, au lieu de demander des améliorations dans le service des postes ? Le négociant intelligent demande des améliorations dans le service des postes avant tout.
« Il est évident, m'écrit-on, que la dépense de timbres de 20 et 40 c. est pour la très majeure partie supportée par les maisons de commerce importantes et dont le genre d'affaires est d'une nature telle, que la réduction de 20 à 10 centimes n'augmenterait pas d'une manière sensible le nombre de lettres qu'elles écrivent ou reçoivent.
(page 264) Le port actuel de 20 centimes est faible, sa réduction à 10 centimes n'aurait pas d'influence marquée sur le nombre des lettres ; les ouvriers et les petits négociants n'ont en général de relations et n'écrivent qu'à des personnes qui habitent dans un rayon de quelques kilomètres ; la réduction à 10 centimes, ne profiterait donc qu'aux grands commerçants ; or, ceux-ci ne doivent pas demander une réduction de la taxe de 20 c. ; mais des améliorations dans le service des postes ; un plus grand nombre de distributions journalières de lettres dans les villes et surtout dans les villages ; des relations postales plus faciles et surtout plus rapides de village à village ; un abaissement dont le prix des versements de fonds par petites sommes par l'intermédiaire des bureaux de postes ; l'augmentation du nombre de ceux-ci ; le transport, des petits paquets par les facteurs ruraux ;... voilà des améliorations qui ne peuvent se faire qu'en conservant les recettes actuelles et qui seront plus utiles à la fois au grand commerce, mais surtout aux classes inférieures, aux miliciens, qu'un abaissement de tarif de 20 à 10 centimes, pour les lettres à grandes distances. »
Je trouve ce négociant extrêmement raisonnable ; je le trouve très sensé. La Chambre ne serait-elle pas de cet avis ?
Voulez-vous du reste juger autrement de la manière dont on profiterait du sacrifice ?
Voici des faits assez intéressants :
La recette des quatre bureaux principaux, ceux de Bruxelles, Anvers, Gand et Liège, pour les lettres seulement, est de 1,777,357 fr. 89 c. La recette générale de la poste pour les lettres de tout le pays est de 3,524.497 fr. 32 c. Reste donc pour tous les autres bureaux du pays 1,747,139 fr. 43 c.
Ainsi, ces quatre grands sièges des affaires, du commerce et de l'industrie, ces quatre grands sièges des classes aisées, contribuent à eux seuls pour plus de la moitié dans la recette totale de la poste.
M. Coomans. - Et les journaux !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour les journaux, ce serait à peu près toute la recette.
Si nous ajoutons maintenant quelques villes, Bruges, Namur, Mons, Verviers, Tournai, Charleroi, Courtrai, Louvain, Malines, qui donnent une recette de 541,737 fr. en 1857, nous trouvons plus des deux tiers de la recette fournis par treize localités seulement.
Vous commencez à comprendre que ce sont les affaires qui jouent le grand rôle dans les recettes de la poste.
Si nous ajoutons à ces villes les centres industriels des environs de Liège, de Charleroi, le Borinage, il ne restera presque plus rien pour le reste du pays dans le produit total de la poste !
C'est aussi, messieurs, ce qu'on a constaté en France, non pas en décachetant les lettres, seul moyen, selon l'honorable M. Orts, de distinguer la correspondance privée de la correspondance d'affaires, mais en comparant, par exemple, la correspondance des grands centres de commerce et d'industrie avec celle du reste du pays. On a constaté que la correspondance privée entre pour 1/10 au plus dans le nombre total des lettres.
Les 9/10 restants sont des correspondances d'affaires.
Voici d'autres faits non moins curieux et non moins concluants.
Dans chacune de nos quatre grands villes, nous avons des patentés (chiffres ronds) :
A Bruxelles il y en a 12,000 qui payent en patentes 588,000 fr.
A Anvers, 10,000 qui payent 285,000 fr.
A Gand, 8,000 qui payent 180,000 fr.
A Liège, 8,397 qui payent 164,000 fr.
Qui paye les ports de lettres dans cette masse de patentés ?
Il y a, messieurs, un certain nombre de négociants dans nos villes qui, loin de trouver la taxe des lettres trop onéreuse, s'imposent un nouveau sacrifice assez considérable, et pour avoir une boîte au bureau des postes et pour payer un facteur à eux chargé d'aller chercher leur boîte, afin d'accélérer un peu l'arrivée des dépêches qu'ils attendent.
Ce nombre de personnes ayant des boîtes est de 500 environ pour la Belgique. Cet usage est surtout répandu dans l'une de nos grandes villes. A Anvers le nombre de ces boîtes est assez grand ; on en compte 175 au bureau de poste.
Dans cette ville nous avons 10,000 patentés, î" Combien ces 175 personnes reçoivent-elles de lettres ?
Le nombre total des lettres reçues à Anvers a été en 1857 de 954,890 ; la recette a été de 470,000 fr.
Eh bien, les 175 négociants pris parmi les 10,000 patentés, reçoivent 480,000 lettres et elles ont payé 200,000 fr.
M. A. Vandenpeereboom. - Il y a beaucoup de ces lettres venant de l'étranger.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute ; mais remarquez que j’oppose 175 personnes à 10,000 patentés. Dans cette ville de 100,000 âmes, comme le fait observer à côté de moi l'honorable M. de Brouckere, ces 175 personnes reçoivent la moitié totale des lettres et acquittent la moitié de lataxe ! Si je pouvais faire le compte de 300 ou 400 négociants parmi ces 10,000, que resterait-il donc pour le reste de la population ?
Je vous demande comment il serait possible que ces 175 personnes, lorsque vous les auriez généreusement gratifiées chacune d'une réduction de 1,000 à 2.000 fr., fissent profiter leurs clients de cette réduction ?
Dans quelle maison diminuera-t-on le prix du café, du sucre, de la houille, du fer, parce que la taxe des lettres sera réduite ? Cette réduction tournerait au profit du grand négociant et rien de plus.
Au reste, messieurs, et cela est très honorable pour notre pays, ces négociants qui doivent seuls profiter de la réduction, ces grands industriels, ces grands banquiers viennent-ils s'adresser à vous ? ont-ils envoyé une seule pétition à la Chambre ? Sont-ils parmi les 207 signataires qui ont mis leur nom sous les quatre pétitions copiées sur le même modèle, dont nous a parlé l'honorable M. Orts ? Pas un seul n'a signé.
Et au moment où des rives de l'Escaut, comme des rives du Jourdain biblique, s'élèvent des voix plaintives, accusant les douleurs de notre métropole commerciale, et signalant les plaies qu'il faut guérir, avez-vous entendu une seule voix demander la réduction de la taxe des lettres ? Aucune.
Je dis que cela fait honneur au pays, mais j'en conclus aussi qu'on se trompe lorsqu'on parle de l'opinion publique réclamant l'abaissement de la taxe des lettres.
L'opinion publique le réclamât-elle au surplus ? Elle serait égarée et il faudrait la ramener. L'opinion publique, où la trouvez-vous ?
- Un membre. - Elle attend.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle attend ! Vous me déclarez que l'opinion publique est émue ; que l'opinion publique attend la réforme postale ; mais s'imagine-t-on que ce soit la masse des patentés qui désirent la réforme ? C'est au nom, peut-être, des milliers de petits patentés qu'on demande à dégrever les 175 qui sont en haut !
Vous n'en ferez rien, messieurs, et quand, de retour dans vos foyers, vos commettants vous demanderont ce que vous avez fait, vous pourrez leur répondre : « J'ai conservé au trésor un revenu certain d'un million pour être employé à l'amélioration des chemins vicinaux, à la construction de maisons d'école, au développement de l'instruction primaire, » et ils vous applaudiront.
- La suite de la discussion est remise à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.