(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 893) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance du 1er mai.
- La rédaction en est adoptée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« le sieur César de Cruzolt, ancien officier polonais, agriculteur à Ligny, né à Boraun (Lithuanie), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« La dame Roland demande une augmentation de pension pour son mari, milicien congédié pour infirmité contractée au service. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Blaregnies demandent que la somme à payer pour la cotisation personnelle soit répartie au marc le franc des contributions foncières et signalent à l'attention de la Chambre des faits relatifs à l'administration de cette commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Deshayes prie la Chambre d'améliorer la position des employés des commissariats d'arrondissement. »
- Même renvoi.
« L'administration communie de Waereghem se plaint de ce que le gouvernement a fait retomber à charge de cette commune les frais d'entretien d'un individu devenu fou, qui a été gracié d'une condamnation aux travaux forcés. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Lokeren prie la Chambre d'accorder aux sieurs de Perre et de Rechter la concession d'un chemin de fer de Lokeren à Tornagen. »
- Même renvoi.
« La veuve Deceunick, ouvrière à Clercken, demande que son fils unique, milicien de la levée de 1858, soit exempté du service militaire. »
- Même renvoi.
« Des instituteurs à Anvers se plaignent de la concurrence qui leur est faite par les écoles gratuites. »
- Même renvoi.
« Le sieur Rasquart, blessé de la révolution, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« M. de Smedt demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. J. Jouret. - Messieurs, dans la séance de samedi, on a analysé une pétition du sieur L'hoir, pharmacien à Enghien, qui relate des faits d’une grande importance, il s’agit d'une créance légitime, dont le sieur L'hoir demande vainement le payement ; ce payement n'a pu s’obtenir jusqu'à ce jour par suite d'un conflit existant entre deux administrations, l'administration du bureau de bienfaisance et celle des hospices civils d'Enghien. Malgré les avis paternels émanés de toutes les autorités compétentes, de M. le commissaire d’arrondissement, de M. le gouverneur et, d'après les renseignements qui me sont donnés, de M. le ministre de la justice lui-même, la créance est encore à payer.
Les faits étant très graves, je demanderai que la chambre veuille bien ordonner un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
Il est procédé au tirage au sort des sections de mai.
M. Vander Stichelen. - Messieurs, j'ai l'honneur de vous faire rapport de l'examen nouveau que la section centrale a fait de l'article 36 du projet de loi (article 39 du projet de la section centrale).
D'après l'article 36, paragraphe premier, du projet du gouvernement, voici quel était le système, quant aux peines disciplinaires à appliquer :
« Indépendamment des poursuites devant 1s tribunaux de répression, disait le paragraphe, les prud'hommes peuvent infliger des peines disciplinaires pour tout fait tenant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier. »
Il n’y avait donc, messieurs, qu'une seule peine disciplinaire, ou plutôt il y avait une peine disciplinaire qui était appliquée pour un seul ordre de faits, pour les faits tendants à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier.
La section centrale avait assez profondément modifié ce paragraphe-premier, c'est-à-dire le système du gouvernement. Elle avait appliqué la peine disciplinaire à deux ordres de faits nouveaux : 1° aux actes d'infidélité, et 2° aux manquements graves des ouvriers envers leurs maîtres ou des maîtres envers leurs ouvriers.
Revenant sur cette rédaction dans un but de conciliation, je n'ai pas besoin de vous le dire, la section centrale maintient la répression par voie disciplinaire des actes d'infidélité.
Vous vous rappelez, messieurs, que cette expression : « les actes d'infidélité, a été inscrite dans la loi à la suite notamment de réclamations venues de Bruges et d’Ostende.
La section centrale maintient donc dans son projet l'expression : « les actes d'infidélité ». Pour le surplus, elle reprend et fait sienne la rédaction de l'article du gouvernement, c'est-à-dire qu'a côté des faits d'infidélité il n'y aurait plus de punis par voie disciplinaire que les faits tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier.
La section centrale supprime dans sa rédaction la fin du premier paragraphe de son article primitif ainsi conçu : « tout manquement grave des ouvriers envers les maîtres ou des maîtres envers les ouvriers. »
Voilà donc une première modification importante que la section centrale apporte à son projet. Elle en a porté une seconde, qui est encore plus importante.
Les faits prévus soit par l'article du projet du gouvernement, soit par l'article primitif de la section centrale, étaient punis, d'aptes le projet du gouvernement, des arrêts simplement, d'après la section centrale, de l'amende ou des arrêts, soit séparément, soit cumulativement. La section centrale propose aujourd'hui la suppression des arrêts ou plutôt ne les conserve, d'après le droit commun, que comme mode ordinaire d'exécution au cas où l'amende, qui serait la seule peine disciplinaire maintenue, ne serait pas payée dans un délai déterminé. Au fond c'est l'exécution par la contrainte par corps, sauf que cette contrainte est limitée au temps maximum de trois jours.
Voici, messieurs la rédaction que la section centrale a l’honneur de proposer à la Chambre, et qui mentionne les différents changements sur lesquels je viens de faire rapport.
« Art. 36 du projet du gouvernement (53 du projet de la section centrale). Sans préjudice aux poursuites devant les tribunaux ordinaires, les conseils de prud'hommes pourront réprimer par voie disciplinaire tout acte d'infidélité et tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier.
« La peine ne pourra excéder vingt-cinq francs d'amende.
« En cas de condamnation à l'amende, les conseils de prud'hommes ordonneront qu'à défaut de payement dans la huitaine, elle soit remplacée par la mise aux arrêts pendant un temps qui ne pourra excéder trois jours sans qu'il soit nécessaire de signification des sentences contradictoires ni de mise en demeure.
« Le gouvernement déterminera le mode d’exécution des arrêts de manière, qu'ils soient subis dans des locaux spéciaux. La partie condamnée pourra toujours se libérer des arrêts en payant l'amende.
« L'appel des sentences qui prononceront cette peine sera porté devant le tribunal civil de première instance de l’arrondissement du siège du conseil de prud’hommes dans le délai de huit jours à dater de la prononciation ou de la signification du jugement s'il est par défaut. Il sera signifié au procureur du roi. »
Vient alors, messieurs, l'article 40 de la section centrale, dont le premier paragraphe est ainsi conçu :
« Les infractions prévues à l'article précédent se prescrivent par quinze jours. Ce délai court, pour les faits commis à bord des bateaux de pêche, du jour de la rentrée du bateau au port. »
Ce paragraphe serait maintenu.
Le paragraphe 2 de l'article 40 vient à tomber. Il statuait que :
« Les sentences rendues sur la poursuite desdites infractions ne sont point sujettes à appe1. »
L'honorable M. Muller a aussi présenté un amendement que la section centrale a accepté et voici l'article nouveau qu'elle propose :
« Tout prud'homme qui s'abstient de prêter serment ou qui s'absente des séances pendant deux mois consécutifs sans congé du conseil on sans motif légitime, pourra être déclaré démissionnaire par la députation du conseil provincial. »
Cet article serait à classer.
- La Chambra décide, sur la proposition de M. le président, qu'elle statuera en premier lieu sur les articles qui ont été laissés en suspens.
« Art. 5. Les conseils de prud'hommes sont composés, non compris le président et le vice-président, s'ils sont nommés en dehors du conseil, de six membres au moins et de seize au plus, choisis moitié parmi les chefs d'industrie et moitié parmi les ouvriers. »
- Adopté.
M. le président. - Vient maintenant l'article 26.
« Art. 26. Dans toute délibération, en cas de partage des voix, la voix du président est prépondérante. »
Il a été décidé que le conseil siégera toujours en nombre impair. Cet article vient donc à tomber.
(page 894) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). Il faut maintenir l'article. Si le président est choisi en dehors du conseil, il ne compte pas dans le nombre des conseillers, et comme le conseil doit en principe siéger par moitiés égales, là, le cas d'égalité dans les votes ne se présentera pas ; mais ce cas peut se présenter, lorsque le président est choisi dans le sein du conseil.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, d'après la disposition qui a été adoptée, le conseil doit toujours être composé en nombre impair ; un président d'abord et puis un nombre égal de patrons et d'ouvriers. Il est donc impossible que le conseil siège en nombre pair.
M. le président. - Nous reverrons la disposition au second vote ; pour le moment, on peut la supprimer.
M. Tack. - Je pense qu'il y a un cas spécial qui nécessite le maintien de la disposition en vertu de laquelle voix prépondérante est donnée au président lorsqu'il y a partage ; c'est celui qui se présente quand après une première réunion à laquelle l'élément ouvrier ou l’élément patron a fait défaut, le conseil de prud'hommes est forcément composé, lors de la seconde réunion, des membres présents, quand bien même ils seraient tous chefs d'industrie ou tous patrons ; il peut arriver ici que les membres du conseil siègent en nombre pair et il convient pour lorsqu'en cas de partage la voix de celui qui préside soit prépondérante.
Quand ce ne serait qu'en vue de cette hypothèse, il importe, ce me semble, d'adopter la disposition que propose le gouvernement.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne pense pas qu'il en soit ainsi dans le cas prévu par l'honorable M. Tack ; la seule différence est celle-ci :1e conseil siégera encore en nombre impair ; mais la parité d'ouvriers et de patrons ne sera plus exigée.
Voilà le système qui a prévalu dans les dispositions qui ont été adoptées jusqu'à présent.
Si ce système est condamné en second vote, nous pourrons revenir sur la disposition ; mais pour le moment, l'article dont M. le président a donné lecture, vient à tomber.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a un moment où les prud'hommes siègent, quel que soit leur nombre.
- Un membre. - Par cela même qu'il aura été supprimé, l'article sera soumis à un second vote.
M. Lelièvre. - Si l'on maintient l'article en discussion, on devrait évidemment établir une exception quand il s'agit de prononcer une peine disciplinaire. En effet, en ce cas la voix du président ne peut être prépondérante. D'après les principes qui règlent la matière, en cas de partage le parti le plus favorable à l'inculpé doit prévaloir. C'est là un principe qui domine toute la législation criminelle, et il me semble qu'on ne doit pas s'en écarter dans l'espèce. En conséquence, si l'article est maintenu, il est indispensable d'établir l'exception que je viens de signaler.
- L'article 26 est mis aux voix.
Il est maintenu.
M. le président. - Nous en venons à l'article 39 de la section centrale, 36 du projet du gouvernement.
Vous avez entendu la nouvelle rédaction proposée par la section centrale.
Je vais en donner une nouvelle lecture :
« Art. 36 du projet du gouvernement. Sans préjudice aux poursuites devant les tribunaux ordinaires, les conseils de prud'hommes pourront réprimer par voie disciplinaire tout acte d'infidélité et tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier.
« La peine ne pourra excéder vingt-cinq francs d'amende.
« En cas de condamnation à l'amende, les conseils de prud'hommes ordonneront qu’à défaut de payement dans la huitaine, elle soit remplacée par la mise aux arrêts pendant un temps qui ne pourra excéder trois jours, sans qu'il soit nécessaire de signification des sentences contradictoires ni de mise en demeure.
« Le gouvernement déterminera le mode d'exécution des arrêts de manière qu'ils soient subis dans des locaux spéciaux. La partie condamnée pourra toujours se libérer des arrêts en payant l'amende.
« L'appel des sentences qui prononceront cette peine sera porté devant le tribunal civil de première instance de l'arrondissement du siège du conseil de prud'hommes dans le délai de huit jours à dater de la prononciation ou de la signification du jugement s’il est par défaut. Il sera signifié au procureur du roi. »
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je préfère de beaucoup la rédaction nouvelle à toutes les rédactions précédentes ; cependant, je ne peux pas encore m'y rallier. Quoi qu'il en soit, je pense que nous parviendrons à nous entendre. Je trouve la peine de 25 francs d'amende tout à fait disproportionnée avec la compétence des conseils de prud'hommes. J'avais eu en vue de proposer une amende, mais le maximum aurait été de 3 à 4 journées de travail.
La journée de travail est déterminée tous les ans dans chaque province ; cela me semblait au moins suffisant. En matière de simple police, les juges de paix ne peuvent pas condamner à plus de 15 fr. d'amende, et voici le conseil de prud'hommes qui condamne à 25 francs d'amende. Je n'adopterai pas l'article si le chiffre n'est pas réduit, parce que 25 francs d'amende pour un ouvrier est une somme exorbitante.
Si je comprends bien la rédaction de l'article, le patron n'y est plus compris... (Interruption.) Je ne puis pas interpréter l'article autrement.
« Pour réprimer par voie disciplinaire tout acte d'infidélité et tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier. » Il est probable que ce ne sont pas les ouvriers qui iront se plaindre de ce que les patrons auront troublé l'ordre chez eux Ce serait là, en effet, quelque chose d'inconcevable. Si donc j'admets cette disposition, c'est parce que je vois que les patrons ne se trouvent pas sous le coup d'une peine.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. Ch. de Brouckere. - M. le ministre de l'intérieur m'a fait la gracieuseté, dans la dernière séance, de citer l'opinion qu'en une autre circonstance j'ai émise sur la question.
Je suis bien certain de la droiture de M. le ministre de l'intérieur et je dois croire qu'il n'a cité mon opinion que parce qu'il n'a pas trouvé de meilleur argument en faveur de la disposition ; mais, tout en rendant justice à la droiture de M. le ministre de l'intérieur, je suis fâché de dire que sa sagacité habituelle lui a fait complétement défaut.
Je suis un très grand partisan des prud'hommes et je crois en donner une preuve, en prenant une part active à cette discussion. Je suis grand partisan des prud'hommes et, en 1848, j'ai pris une grande part à la discussion à laquelle cette institution a donné lieu au sein du conseil communal de Bruxelles.
Mais, messieurs, j'ai commencé par dire que tout n'était point parfait dans la loi et après avoir fait la part de tout ce qui s'y trouvait de bon, j'ai fini ainsi : « Restent donc les trois jours d'arrêt que peuvent infliger les prud'hommes, en vertu de la loi de 1842, qui, pour moi, représentent trois jours de prison. » C'est ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la discussion générale, contrairement à l'avis qu'avait émis M. le ministre de l'intérieur, qu'on avait déguisé le mot prison sous le nom d'arrêt.
J'ai ajouté que « je n'étais pas plus révolté de trois jours de prison infligés par un conseil de prud'hommes que trois jours d'Amigo infligés par un chef de garde civique ; que d'ailleurs cela se présentai très rarement et que c'était seulement pour le cas où l'on troublerait l'ordre et la discipline de l'atelier. C'était une concession que je faisais, trouvant les autres dispositions de la loi parfaitement bonnes. Est-ce là approuver, défendre la disposition ?
Ici j'ai un autre rôle à jouer. Si, contrairement à mon opinion, la loi passait même avec les 25 francs d'amende, il est probable qu'au conseil communal je dirais : Malgré les 25 francs d'amende, je trouve I institution des prud'hommes tellement bonne que je propose de l'établir à Bruxelles. Et pourquoi, messieurs, agirais-je ainsi ? Parce que c'est une manière de relever les ouvriers à leurs propres yeux ; de les identifier à notre forme du gouvernement en les appelant à concourir à des élections ; de leur donner enfin une certaine importance dans l'ordre social.
Mais le conseil communal de Bruxelles, quoiqu'on ait dit le contraire et qu'on ait cherché à me mettre en contradiction avec lui, n'est pas partisan absolu des conseils de prud'hommes, car il n'admettait cette institution qu'avec une restriction de compétence ; c'est-à-dire qu'il considérait ces conseils comme des tribunaux essentiellement de paix et de conciliation. Voilà, messieurs, à quelle condition le conseil communal de Bruxelles aurait adopté l'institution. Aussi, il n'a jamais pris l'initiative ; il y avait quatre ans qu'on l'invitait à se prononcer, quand cette résolution a été prise en 1848.
Je dis donc que, tout en étant partisan de la loi, je désire cependant la rendre aussi bonne que possible. J'admets l'article comme je le comprends, avec diminution du maximum de l'amende.
Cependant j'aurais préféré qu'on en revînt à la rédaction de la loi de 1842 et qu'on n'adoptât pas la rédaction de la section centrale, car c'est la section centrale qui a mis les patrons en jeu.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - Pas le moins du monde.
M. Ch. de Brouckere. - La rédaction primitive du gouvernement c'était la loi de 1842 ; il n'était pas question de patrons dans l'une ni dans l'autre.
Quant à moi, je comprends cette rédaction-ci comme je comprenant celle de la loi de 1842 ; je suis prêt à m'y rallier si l'on veut mettre l'amende en rapport avec l'autorité que doit avoir un conseil de prud'hommes ; je voudrais la faire descendre au-dessous de 15 fr.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - On a porté l'amende à 25 fr. parce que, d'après la législation nouvelle, les juges de paix pourront appliquer l'amende de 25 fr.
M. Ch. de Brouckere. - Permettez ; nous avons de singulières manières de faire les lois. Dernièrement l'honorable M. Lelièvre voulait qu'on qualifiât certaines peines de criminelles parce que, dans un projet de loi, on supprimera les peines afflictives et infamantes. Aujourd'hui (page 895) on va établir l'amende de 25 fr. parce que plus tard les juges de paix auront leur compétence jusqu'à 25 fr. Mais qui nous dit que la Chambre admettra cette amende de 25 fr. ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La loi a été votée par les deux Chambres.
M. Ch. de Brouckere. - Quoi qu'il en soit, je demande que les amendes qui doivent frapper de simples ouvriers, que les amendes qu'auront à prononcer les conseils de prud'hommes, n'aillent pas jusqu'à 25 fr .: que ce soit 3, 4 ou au maximum 5 journées de travail. Dans certaines provinces ce sera 8 fr., dans d'autres 10 fr. Puisque ce sont les ouvriers que vous frappez, il faut mettre l'amende en rapport avec la journée de travail de l'ouvrier. Or, 25 fr. dans une petite ville, c'est le double de 25 fr. dans une ville dont la population est plus considérable.
Je le répète, je me rallierai à l'article, si on le modifie en ce qui concerne les pénalités.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant a rappelé que j'avais cité son opinion ; je l'avais fait sans aucune mauvaise intention.
M. Ch. de Brouckere. - C'est ce que j'ai dit, j'ai reconnu votre droiture.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre n'a pas mis en doute ma droiture ; mais il paraît avoir mis en doute ma sagacité. Je ne sais en quoi ma sagacité a pu faire défaut dans la citation que j'ai faite. J'ai cité les paroles de l'honorable M. de Brouckere qui s'est montré, en 1848, très chaud partisan des conseils de prud'hommes. Il me paraissait que ce zèle s'était un peu refroidi en 1858 et que, dans son premier discours, il ne se montrait pas entraîné par le même enthousiasme vers cette institution.
Messieurs, il faut s'expliquer avec beaucoup de franchise dans cette discussion, la loi que nous faisons n'est pas une loi contre les ouvriers. Ce n'est pas une loi contre la classe ouvrière, c’est une loi pour l'ouvrier et en même temps pour le maître. Nous tâchons d'arriver à la justice entre ces deux classes de citoyens qui ont un droit égal à la protection de la législature.
Je croyais, quant à moi, que l'honorable M. de Brouckere allait trouver l'amende trop peu élevée, et pourquoi ?
Parce que cette amende sera surtout applicable aux maîtres qui par leur conduite auraient jeté le trouble et l'indiscipline dans l'atelier ; à l'ouvrier en général, sera réservée la mise aux arrêts, à défaut du payement de l'amende.
Le maître se soustraira aux arrêts, en payant l'amende. Je sais qu'on trouve très extraordinaire que certains maîtres, que des chefs de grandes industries, de grandes manufactures, puissent courir la chance de se voir traduits devant le conseil de prud'hommes pour des manquements graves envers leurs ouvriers.
On peut dire qu'en fait, ce cas n'arrivera pas, mais voici des cas qui peuvent se présenter fréquemment. Tout ce qu'il s'appelle maître ou patron n'est pas directeur d'une grande fabrique, d'une grande manufacture.
Dans les relations de l'ouvrier et du maître, le plus grand nombre de cas qui se présenteront sont ceux-ci : un maître charpentier, un maître cordonnier, un maître serrurier, ayant 5 ou 6 ouvriers travaillant avec lui, maltraitera ses ouvriers ; il rentrera ivre, par exemple, dans son atelier, il frappera son apprenti, il se livrera à d'autres désordres. Je veux qu'il soit justiciable du conseil de prud'hommes comme l'ouvrier lui-même.
Voilà comment j'entends la loi et comment l'entendent les commentateurs dont je vais vous dire en quelques mots l'opinion. Voici l'opinion de M. Mollot sur le décret du 3 août 1810 :
« Il est évident que la disposition générale du 3 août 1810 s'applique an marchand-fabricant comme à l'ouvrier. Elle punit tous ceux qui troublent l'ordre et la discipline de l'atelier, quel que soit l'auteur de ce trouble. »
Voilà l'opinion d'un commentateur éminent ; ainsi il ne s'agit pas d'introduire une peine qui n'aurait pas été dans les vues du législateur de 1810. En 1812, lorsque la loi a été votée, j'ai interpellé le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Nothomb. A propos de l'article, qui parle des manquements de l'ouvrier vis-à-vis du maître, je disais : C'est très bien ; mais les manquements du maître vis-à-vis de l’ouvrier ? Et je faisais spécialement allusion aux cas que je signalais tout à l'heure ; eh bien, l'honorable M. Nothomb me répondit :
« Je ferai remarquer à l'honorable préopinant que les expressions : tous faits tendants à troubler l'ordre et la tranquillité dans l’atelier sont d'une grande généralité, et qu'elles pourraient s'appliquer à toute voie de fait qui amènerait ce résultat. »
C’est avec cette interprétation que la loi a été votée par la Chambre à l'unanimité moins 4 voix.
Ces paroles n'ont pas rencontré de contradicteurs à cette époque. J'espère que la Chambre de 1858 se montrera au moins aussi libérale que la Chambre de 1842 ; et par libéral, j'entends juste, équitable.
Messieurs, si l'on avait en vue les chefs des grandes industries, l'amende de 25 fr. serait dérisoire. Ce ne serait pas à 25 fr. mais à 2,500 fr. qu'il faudrait l'élever pour qu’elle fût efficace.
Je reconnais la nécessité de rendre cette loi acceptable par tous les intéressés. Aussi ai-je fait de grands efforts pour amener la conciliation des opinions sur les dispositions qui ont donné lieu à des contestations. Je reconnais qu'il ne faut pas que cette loi soit antipathique aux patrons, qu'il faut qu'elle soit acceptée par les patrons en même temps que par les ouvriers. J'ai fait ce que j'ai pu pour amener cette conciliation des opinions, mais il vient un moment où l'esprit de conciliation ne peut aller au-delà sans abdiquer entièrement. Je crois avoir, sous ce rapport, atteint la dernière limite.
Depuis l'ouverture des débats, nous avons chaque jour consacré plusieurs heures à tâcher d'obtenir pour les diverses dispositions l'accord d'opinions diverses ; si, après le dernier effort fait aujourd'hui, on persistât encore à contester les dispositions qui sont maintenant proposées, ce serait à n'en pas finir. Je déclare, que, quant à moi, il m'est impossible d'aller plus loin. Je crois que nous avons épuisé les voies de la conciliation et qu'il est temps que chacun vote suivant sa conscience.
M. Lelièvre. - Si la section centrale a adopté le chiffre de 25 francs, c'est évidemment parce que d'après le premier livre du Code pénal, déjà adopté par les Chambres législatives, le maximum des peines de simple police peut être porté à vingt-cinq francs.
Or, comme évidemment la loi en discussion fonctionnera après la publication du nouveau Code pénal, on a voulu mettre notre article en harmonie avec la législation nouvelle. C’est, du reste, la marche qui a été suivie dans diverses lois spéciales, notamment dans la loi sur les poids et mesures, et, au surplus, il me semble évident que le taux de vingt-cinq francs n'a rien d'exorbitant et que sous ce rapport on ne peut concevoir aucune crainte sérieuse.
Je dois maintenant demander à M. le rapporteur une explication qui puisse servir à l'interprétation de l'article en discussion. D'après notre disposition, les jugements rendus par défaut par les conseils de prud'hommes en matière disciplinaire ne seront pas susceptibles d'opposition ; la voie d'appel seule est ouverte.
C'est ce qui me paraît résulter de l'article qui fait courir le délai d'appel du jour de la signification du jugement par défaut. Aussi, n'indique-t-on aucun délai pour l'opposition.
Je désire savoir si c'est en ce sens que la disposition est comprise par la section centrale.
M. Jacquemyns. - Je crois, messieurs, qu'il y a dans les explications de M. le ministre de l'intérieur des paroles qui pourraient conduire à une certaine confusion.
Ainsi, l'honorable ministre parle d'abus qui pourraient être commis par un maître charpentier. Mais, messieurs, si je ne me trompe, le maître charpentier sera considéré comme ouvrier, d'après la définition que la loi donne de l'ouvrier. (Interruption.)
Maintenant, messieurs, si vous admettez que les peines disciplinaires peuvent être appliquées aux chefs d'industrie, cela nous conduit à ce fait que, éventuellement un tribunal composé exclusivement d'ouvriers pourra punir un maître. (Interruption.) D'après l'amendement de l'honorable ministre de l'intérieur, il pourra se faire, après plusieurs convocations, que le tribunal soit exclusivement composé d’ouvriers, et ce tribunal pourra connaître de faits tendants à troubler l'ordre dans l'atelier, qui auraient été posés par le patron.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sauf appel.
M. Jacquemyns. - Je trouve, messieurs, qu'il est anomal que les ouvriers soient appelés à juger les patrons. M. le ministre de l'intérieur appelle cela une justice paternelle. Effectivement, messieurs, il existe dans notre législation, et il existait surtout dans la législation des Pays-Bas, une justice paternelle, une autorité paternelle, mais je ne sache pas que dans aucune législation il ait jamais existé une justice filiale ; or les ouvriers occupent en quelque sorte, à l'égard des maîtres, une position filiale.
Je comprends difficilement dès lors que les ouvriers puissent exercer la justice sur leurs patrons, et il y a un motif pour lequel nous ne pouvons pas l'admettre ; ce motif le voici : lorsqu'un ouvrier a détourné quelques écheveaux de fil, lorsqu'un pêcheur a détourné quelques poissons, dans ce cas je comprends parfaitement qu'une justice paternelle soit applicable ; en effet les faits ont été pesés par des gens peu éclairés qui se seront laissé tenter par un intérêt minime ; en pareil cas on peut être indulgent.
Mais si un patron commettait un acte de ce genre, alors la nature de l'acte serait complétement changée et au lieu de le juger d'une manière paternelle il faudrait le juger d'une manière très sévère, car vous avez affaire à un homme qui doit connaître la différence qu'il y a entre sa propriété et la propriété d'autrui, entre le juste et l'injuste ; et si cet homme se rend coupable du plus léger larcin, c'est un acte indigne qui appelle toute la sévérité de la loi.
Eh bien, messieurs, quel est le but de la déposition que nous discutons aujourd’hui ? C'est d'établir en quelque sorte une dérogation à la sévérité du Code.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous voulez donc moins que ce que nous avons aujourd'hui ?
(page 896) M. Jacquemyns. - Je veux la loi de 1848. Vous en étiez parfaitement satisfait. Elle fonctionne depuis des années. M. le ministre est venu nous demander de développer la loi des prud'hommes par le motif que la loi de 1842 a produit de si bons effets.
Eh bien, la peine de l'emprisonnement existe dans la loi de 1842 ; tous les conseils de prud'hommes en demandent le maintien ; maintenez-la telle qu'elle est ; mais est-il un seul conseil de prud'hommes qui ait demandé qu'on donnât à la loi de 1842 une extension telle, que les ouvriers pussent juger leurs maîtres ?
D'un autre côté l'argument que M. le ministre de l'intérieur a présenté en faveur de cette mesure se borne à ceci : c'est qu'il est des cas pour lesquels la justice ordinaire est d'une trop grande sévérité et qu'il faut alors un pouvoir paternel qui puisse déroger à la sévérité ordinaire des lois.
Eh bien, messieurs, cela s'applique parfaitement au cas où un ouvrier a commis un léger larcin ; amis lorsque le patron s'est approprié injustement un objet quelconque, c'est un vol, et la loi doit être appliquée dans toute sa sévérité.
Mais, messieurs, il faut mettre d'autant plus de soin à constater un fait qu'il y a lieu de le punir avec plus de sévérité.
Je viens de dire qu'un ouvrier qui se serait approprié injustement un objet d'une valeur de quelques centimes devrait être puni avec indulgence, tandis qu'il faudrait punir sévèrement le patron qui se serait approprié un objet même minime appartenant à autrui ; mais il faut que ce fait soit dûment constaté et je ne pense pas que le soin de le constater puisse être confié à l'ouvrier.
Qu'un patron se soit approprié indûment un objet d'une valeur de 50 centimes aux dépens de l'ouvrier, quelle que soit la punition que ce fait entraîne, il a en lui-même une telle gravité qu'il faut faire la plus grande attention au choix du pouvoir qui sera appelé à le constater.
Les patrons seraient condamnés à la peine la plus légère pour s'être approprié des objets qui ne leur appartiendraient pas, que la condamnation entraînerait encore pour eux les conséquences les plus graves, à cause de la nature du fait.
Il faut bien que les faits soient bien et dûment constatés ; or je pense que toutes les formes que la loi met à notre disposition ne sont pas en ce cas, précisément par la raison que les rigueurs superflues de nos lois pénales ne sont point exagérées pour des faits de cette nature.
M. Moncheur. - Messieurs, il est évident, à mes yeux, que l'article en discussion ne peut pas s'appliquer à des condamnations à prononcer par le conseil de prud'hommes contre les patrons, et puisque M. le ministre de l'intérieur vous a fait des citations, j'aurai l'honneur de vous eu faire une aussi qui vous prouvera qu'en 1842, on ne l’avait pas entendu comme M. le ministre l'entend aujourd'hui.
Mais d'abord je ferai remarquer qu'il ne résulte nullement de la citation que vient de faire M. le ministre de l'intérieur que, dans la pensée de M Nothomb, ministre de l’intérieur en 1842, les conseils de prud'hommes eussent juridiction contre les patrons.
En effet, M. Nothomb a dit que les expressions : « faits qui troublent l'ordre, » étaient très générales et qu'elles s'appliquaient à tout ce qui trouble l'ordre de l'atelier ; mais il n'a pas dit que ces expressions dussent s'appliquer même au trouble causé par le maître de l'atelier lui-même.
Mais, messieurs, voulez-vous avoir la preuve qu'en 1842, on n'a considéré le conseil de prud’hommes que comme une espèce de tribunal de famille, appelé à exercer une sorte de juridiction sur les ouvriers semblable à celle du père sur ses enfants ? La voici :
Je n'ai qu'à vous lire, à cet effet, les paroles qu'a prononcées, en 1842, l'honorable M. Raikem, dont M. le ministre de l'intérieur a voulu, dans une précédente séance, invoquer l'opinion en faveur de son système.
L'honorable M. Raikem, traitant la grave question de constitutionnalité, quant à la disposition qui investit le conseil de prud'hommes du pouvoir de prononcer des peines, a déclaré qu’il avait des doutes sérieux sur cette question, mais qu'à ses yeux, si les pénalités que prononcerait un conseil de prud'hommes pouvaient être mises au rang des peines, et si elles ne constituaient pas exclusivement une espèce de correction disciplinaire, la disposition serait entachée d’inconstitutionnalité ; selon lui, en effet, il n’y a que les tribunaux ordinaires, composés de juges inamovibles, qui pussent légalement prononcer des peines ; la question était donc tout entière, celle de savoir si la disposition qu'on proposait comminait une peine-ou bien une simple correction disciplinaire.
Or, on avait fait, pendant le cours de la discussion, cette objection : on avait dit : Mais la partie ne sera pas égale entre les ouvriers et les patrons, les ouvriers pourront être punis, tandis que les maîtres ne le seront pas. A cette objection l'honorable M. Raikem répondit comme suit :
« Maintenant, faut-il s'appesantir sur l'objection qui a été faite que tout manquement de l'apprenti à l'égard du maître sera puni de certaines peines, tandis qu'il n'y aurait pas réciprocité, pour les apprentis vis-à-vis des maîtres ; mais on sait la grande différence qu'il y a dans la position des personnes vis-à-vis l'une de l'autre. Un maître dans certains cas déterminés par la loi est responsable des faits de ses ouvriers et apprentis comme un père est responsable des faits de ses enfants mineurs. De ce que le père a un droit de correction à l'égard de son fils, jamais on n'a conclu que, par réciprocité, qu'on devrait accorder au fils un droit de correction sur son père. »
Voilà, messieurs, comment M. Raikem envisageait l'institution des prud’hommes, et les Annales parlementaires ajoutent après son discours entre parenthèses les mots : Rires d’approbation, ce qui indique la pensée de la Chambre, elle-même.
Puisque j'ai la parole, messieurs, je ferai remarquer à la Chambre que l'institution des prud'hommes a singulièrement dévié du caractère primitif qu’elle avait quand on l'a établie. Le décret organique du 11 juin 1809 ne conférait aux conseils de prud'hommes qu'une juridiction relative aux intérêts purement civils, mais nullement à la police. La principale et pour ainsi dire l'unique mission des conseils de prud'hommes était de veiller à l'exécution des mesures conservatrices de la propriété des marques empreinte, aux différents produits de la fabrique.
Tout le titre II du décret roule sur cette propriété des marques et sur le soin avec lequel les conseils de prud'hommes devaient veiller à leur conservation. L'article 12 portait que les prud’hommes ne connaissaient que comme arbitres des contestations entre fabricants et marchands pour les marques et, entre un fabricant et ses ouvriers, des difficultés relatives aux opérations de la fabrique ; or, ces mots « opérations de la fabrique » indiquent assez que la juridiction des prud'hommes ne s'appliquait qu'aux contestations relatives au travail même qui s'exécutait dans les ateliers, mais n'avait nullement pour objet la police des ateliers, ni la répression des délits qui pouvaient s'y commettre.
Ce n'est que le 3 août 1810 que l’empereur, avançant toujours dans sa manière un peu leste de faire de la police en grand, ajouta au décret de 1809 un nouveau titre sous cette rubrique : attributions des prud'hommes en matière de police, et vous allez voir avec quel sans-gêne tout impérial ce décret de 1810 mit le pied sur un autre terrain que celui de l'arbitrage et de la conciliation réservé jusque-là aux conseils de prud'hommes pour leur faire faire de la répression :
L'article 10 du décret du 3 août 1810 statua ce qui suit :
« Tout délit tendant à troubler l'ordre, et la discipline de l'atelier, tout manquement grave des apprentis envers leurs maîtres pourront être punis par les prud'hommes d'un emprisonnement qui n'excédera pas trois jours, sans préjudice des officiers de police et des tribunaux. »
Vous voyez qu'à cette époque on appelait l'emprisonnement par son véritable nom. Mais lorsque en 1842 il s'est agi de modifier la loi sur les prud'hommes, le mot emprisonnement choqua sans doute les oreilles ou arrêta la plume du rédacteur du projet de loi et il substitua au mot emprisonnement les mots : mise aux arrêts ; mais la chose demeura la même, sous un nom différent.
Aussi, messieurs, plusieurs orateurs de cette Chambre ne se laissèrent pas tromper par cette substitution de mots. Ils démontrèrent que l’emprisonnement restait dans la loi, que c'était là une peine et que dès l'instant qu'il s'agissait de faire prononcer une peine par un conseil de prud'hommes, composé de juges amovibles, on tombait dans une inconstitutionnalité flagrante.
Voici ce que disait à cet égard l'honorable M. Orts, père, dans la séance du 19 mars 1842 :
« S'il est vrai que les tribunaux de commerce ne peuvent jamais porter aucune peine, n'cst-il pas évident que la juridiction des prud'hommes, qui n'est qu'une juridiction commerciale au premier degré, ne peut pas être investie de plus de droits que les juges de commerce eux-mêmes. Sous ce rapport, il y a infraction à l’article 100 combiné avec l'article 105 de la Constitution. »
L'honorable M. Verhaegen, aujourd'hui président de cette assemblée, tenait, sur cette question de constitutionnalité, le langage que voici ;
« Ainsi, messieurs, toute la question est là : Les conseils de prud'hommes peuvent-ils prononcer les peines que vous proposez de leur permettre de prononcer et que vous appelez disciplinaires ? Le peuvent-ils, aux termes de la Constitution ? Je ne le pense point. Je pense, au contraire, qu'il a été démontré, à la dernière évidence, qu'ils ne le peuvent point. »
J'ai beaucoup réfléchi à ce point, et je vous avoue, messieurs, que j'ai la profonde conviction qu'il y a une véritable inconstitutionnalité à donner à un conseil de prud'hommes le droit d'infliger une peine quelconque.
Cette inconstitutionnalité existe dans le nouvel amendement de la section centrale, comme dans sa précédente rédaction.
Toute la différence qu'il y a, c'est que, d'après l'amendement, la peine sera d'abord une amende et que les trois jours d'arrêts ou d'emprisonnement ne devront être subis par le condamné, que s'il ne peut pas payer l'amende dans les huit jours. Ainsi les ouvriers qui n'auront pas 25 francs en poche, et ils sont nombreux....
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vingt-cinq francs, c'est le maximum.
M. Moncheur. - Soit ; mais enfin, s'ils ne peuvent pas payer ce maximum, et cela dans les huit jours de la condamnation, on les enfermera dans le local que vous appellerez local de mise aux arrêts et que tout le monde appellera prison. Il en sera de même, d'après M. le ministre, quant aux patrons, s'il en est qui ne puissent se libérer immédiatement de l'amende de 25 francs.
(page 897) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Certainement !
M. Moncheur. - Eh bien, j'admets que, constitutionnellement parlant, si vous avez le droit de faire prononcer des peines contre les ouvriers, vous avez ce même droit à l'égard des patrons. Mais je pense que, pour les uns comme pour les autres, ce droit n'existe pas en présence des articles 94 et 100 de la Constitution, car l'article 94 porte qu'il ne peut être créé de commission extraordinaire sous quelque dénomination que ce soit ; et l'article 100 prescrit l'inamovibilité des juges.
Certes, la liberté de l’ouvrier es est aussi précieuse que celle du maître : donc à ce point de vue, la question est absolument la même. Mais à un autre point de vue, c’est-à-dire à celui où s'est placé l'honorable M. Jacquemyns, une condamnation prononcée contre un maître a infiniment plus de gravité que celle qui serait prononcée contre un ouvrier.
Je conviens que si un ouvrier est condamné à être enfermé sous les verrous, il est déjà, lui-même perdu pour l'atelier ; il devra aller chercher du travail ailleurs ; mais si c'est le maître qui a été condamné ou si même il n'a fait que comparaître devant le conseil des prud'hommes comme accusé, par exemple, d'infidélité par ses ouvriers, je le défie de reparaître dans son atelier et devant les mêmes ouvriers.
Je déclare donc, messieurs, que si une peine quelconque (et l'amende est une peine) reste dans l'article 36, il me sera impossible de le voter ni d'admettre la loi parce que pour moi la question d'inconstitutionnalité est évidente.
Je tiens à reproduire l'observation de l’honorable M. Jacquemyns que si un maître tombe assez bas pour se rendre coupable d'une infidélité quelconque vis-à-vis des ouvriers, ce n’est pas devant le conseil de prud'hommes qu'il doit comparaître, mais c'est devant la justice ordinaire.
Messieurs, je ne suis nullement opposé aux conseils de prud'hommes ; mais à la condition qu'ils soient limités à leur véritable mission, qui est la conciliation entre les ouvriers ou entre les maîtres et les ouvriers D'ailleurs, je ne sache pas que l'opinion publique ait réclamé des modifications à la loi existante, et il était fort inutile de consacrer plus de quinze jours de discussion à modifier cette loi, puisque, d'une part, l'on dit qu'elle marchait très bien dans les localités où la prud’homie est en usage, et que, d'autre part, cette institution est inconnue dans les trois quarts du pays.
En résumé, messieurs, je pense que toute peine doit disparaître de l'article en discussion, ou bien que cet article lui-même doit être supprimé. Que s'il ne s'agissait que de donner aux conseils de prud’hommes le pouvoir d'infliger ces réprimandes, comme l'a proposé M. Orts, j’y consentirais ; ce serait plus que suffisant, et, du moins, ce ne serait pas inconstitutionnel.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je regrette de ne pas pouvoir me rallier aux nouvelles propositions faites pari la section. Je dois persister dans l'opinion que j'ai émise dans notre dernière séance. Je pourrais présenter bien des arguments pour la justifier complétement ; mais pour ne pas prolonger la discussion, je me bornerai à quelques observations. Il est évident que le principe fondamental de l’institution des prud'hommes sera entièrement changé par la nouvelle loi ; en effet, aux termes très formels des décrets de l'empire qui ont été en vigueur jusqu'ici, l’élément patron devait prédominer, les patrons devaient toujours être en majorité dans le conseil, et en fait ils étaient très souvent seuls sans même être assistés par des ouvriers.
Nous avons adopté un autre principe, le principe de l'égalité entre les deux éléments Je me rallie à ce changement par des considérations que j'ai déjà eu l'honneur de faire connaître, niais ce principe nouveau doit recevoir une application franche et sincère, il faut qu'il si t respecté dans toutes les dispositions de la loi ; dès lors si vous établissez une juridiction disciplinaire ou répressive, il faut qu'elle puisse atteindre tout aussi bien les patrons que les ouvriers. Or c'est là un véritable bouleversement, dans ce qui a existé, et surtout dans ce qui a été pratique jusqu'ici. Il est impossible que l'autorité des maîtres et la véritable discipline des ateliers n'aient pas à en souffrir. Ces inconvénients vous ont été signalés par des hommes pratiques, par l'honorable M. Jacquemyns entre autres.
La suppression de l'article me paraît donc le seul moyen de rester fidèle au principe d'égalité, sans tomber dans des inconvénients très sérieux et très réels. D'ailleurs, trouvons-nous bien dans les propositions de la section centrale une application franche et loyale du principe d'égalité qui forme la base du projet de loi ? Mais, messieurs, réduisons les propositions qui nous sont faites à leur véritable valeur, appelons les choses par leur nom, ce qu'on vous propose c'est la prison pour l'ouvrier et une amende, qui est une véritable bagatelle, pour le patron.
Je dis que c'est une égalité qui n'est qu'apparente, et qu'il m'est impossible d'admettre, et voilà pourquoi je suis plus convaincu que jamais de la nécessité de supprimer l’article.
Je ne veux pas prolonger cette discussion ; je dois cependant signaler encore un autre motif pour supprimer cette disposition, c'est que l'on a fait réellement abus de ces pénalités, et cela résulte des explications mêmes qui ont été données dans la dernière séance.
Ainsi n'est-ce pas un véritable abus que d'obliger un individu à renoncer à ses prétentions en le menaçant d'une amende ou d'un emprisonnement ? Un tel abus est d'autant plus grave qu'il tend à dénaturer chez la classe ouvrière les notions du juste et de l'injuste ; et cette considération seule me suffirait pour me déterminer à ne pas donner mon assentiment à une pareille disposition. En armant le conseil de prud'hommes du droit de prononcer des peines, vous ôtez en grande partie aux transactions opérées par son intermédiaire leur véritable caractère moral.
M. Vervoort. - Le projet de loi, messieurs, est conçu dans un esprit sagement démocratique qui doit faire approuver l'initiative prise par M. le ministre de l'intérieur.
Comme l'observe l'honorable M. de Naeyer, il faut, en établissant la juridiction disciplinaire des prud'hommes, maintenir l'égalité entre l'élément patron et l'élément ouvrier ; mais je ne suis pas de son avis quand il soutient que l'amende de francs appliquée aux patrons détruit le principe de la loi. Il faut, messieurs, tenir compte de l'effet moral d'une condamnation prononcée contre un patron. Il suffira à établir l'équilibre entre les pénalités applicables aux deux catégories de justiciables.
Je regrette qu'on ait poussé trop loin le sacrifice qui, par esprit de conciliation, a été fait à son projet primitif par la section centrale. Elle ne défère plus à la juridiction disciplinaire des prud'hommes les manquements graves commis à l'occasion des rapports de maîtres à ouvriers. Cette juridiction n'aura plus à s'occuper que des cas d'infidélité et des faits qui tendent à troubler l'ordre et la discipline, dans l'atelier.
Mais quand, en dehors de l'atelier, l'ouvrier aura commis un manquement grave, employé, par exemple, un sobriquet blessant ou proféré quelque injure contre son patron ; quand, d'un antre côté aussi, le patron aura injurié ou frappé même un de ses ouvriers, pourquoi la justice ordinaire s'occupera-t-elle de ces faits, alors que la connaissance en appartiendra aux conseils de prud'hommes quand ils se produiront au sein de l'atelier ? Je ne vois pas de motifs sérieux pour maintenir cette suppression, et ce n'est que pour payer aussi mon tribut à cet esprit de conciliation auquel M. le ministre de l'intérieur a déjà fait tant de sacrifices, que je ne veux pas reproduire ces mots sous forme d'amendement.
Mais la fin de la disposition, relative à l'appel des sentences prononçant des amendes, me semble devoir être nécessairement complétée
Je sais que la faculté d'appeler de la sentence disciplinaire perd de son importance si l'on interdit aux prud'hommes de prononcer directement des condamnations aux arrêts ; il convient cependant de donner, suivant le système de la section centrale, un guide complet à l'ouvrier dans la loi même.
La section centrale propose de faire signifier l'appel au procureur du roi. C'est une manière dispendieuse et compliquée d'arriver au résultat que l'on obtient par une simple déclaration faite au greffe des conseils de prud'hommes. Or il faut, autant que possible, éviter les frais et faciliter à l'ouvrier l'accès de la justice.
L 'appel étant formé l'appelant pourra comparaître devant le tribunal civil en personne ou se faire représenter par un avoué : mais qui provoquera la décision de l’affaire en degré d'appel ? Il importe de laisser ce soin au parquet. A cet effet il est nécessaire qu'une copie de l'acte d'appel et une expédition de la sentence lut soient transmises.
Je propose donc d'insérer au dernier paragraphe de l'article 39bis de la section centrale, après les mots : « du conseil des prud'hommes, » les mots suivants :
« Il sera formé, sous peine de déchéance, par une déclaration faite au greffe du conseil dans les huit jours, etc. »
Et d'ajouter à cet article un dernier paragraphe ainsi conçu :
« Dans la huitaine, à partir du jour de la déclaration d'appel, le greffier adressera une copie de cette déclaration et une expédition de la sentence attaquée, au procureur du roi, et ce magistrat fera les diligences nécessaires pour qu'il soit immédiatement statué sur l'appel. »
- L'amendement est appuyé.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens à faire remarquer à la Chambre, avant le vote, que la disposition dont il s'agit n'innove pas ; que sous l'empire des décrets de 1809 et 1810 comme sous la loi de 1842, les patrons étaient autant que les ouvriers justiciables du conseil de prud'hommes pour tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier.
Voici, comment s'exprime la loi de 1842, qui n'est que la reproduction de ces décrets :
« Les prud'hommes pourront infliger des peines disciplinaires pour tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier. »
Voilà une première catégorie de manquements. Ensuite, pour tout manquement grave des apprentis envers leur maître. Le mot ouvrier ne se trouve pas mentionné ici, où se trouve donc l'ouvrier ? Au paragraphe précédent, où il s'agit de faits tendants à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier ; mais il s'y trouve avec le patron.
J'ai demandé, en 1842, à M. le ministre de l'intérieur de cette époque, s'il y avait réciprocité, si, dans le cas où il y aurait manquement du maître envers l'ouvrier, le maître serait justiciable du conseil, et M. le ministre Nothomb m'a répondu dans les termes que j'ai cités tout à l’heure. J'ai cité également le commentaire de M. Mollot sur le décret de 1810, et vous avez vu que cet auteur professe également l'opinion que la disposition s'applique aussi bien aux maîtres qu'aux ouvriers. Voilà donc quel est l'état de la législation commentée, d'une part, par une autorité toute spéciale, et de l'autre, par le ministre même qui présentait la loi à (page 898) la Chambre en 1842. On dit que très rarement il a été fait usage de cette faculté d'appliquer des peines. Cela est vrai, et il en sera sans doute encore de même à l’avenir.
J'ai cité des cas spéciaux où l'on pourrait attraire un patron (et par patron nous avons dit que nous entendons les patrons tailleurs, serruriers, charpentiers, etc.) qui jetterait le désordre dans l'atelier ; il pourra arriver qu'il soit jugé par le conseil de prud'hommes ; mais ce cas aussi se présentera très rarement ; car s'il offre une certaine gravité, il sera du ressort de la justice de paix et ne se produira pas devant le conseil de prud'hommes.
Quant à réserver des peines exclusivement pour une catégorie de justiciables, c’est-à-dire pour les ouvriers seulement, je déclare que, comme l'honorable M. de Naeyer, je préférerais voir supprimer tout l'article que de le maintenir avec cette distinction inacceptable. C'est cette distinction qui serait une innovation dans notre législation. Mieux vaudrait encore la législation actuelle qu'une législation nouvelle, avec une aussi choquante inégalité. Mais je crois qu'on peut adopter maintenant l'article tel qu'il est ; on y a mis tous les tempéraments, tous les adoucissements qu'on peut imaginer ; je ne sais ce qu'on pourrait faire de plus.
Comparez la proposition actuelle de la section centrale avec sa proposition primitive et vous verrez qu'elle a poussé l'esprit de conciliation aussi loin qu'il peut aller.
Quant à moi, voici ma position. Dans le projet du gouvernement, je disais : « Les patrons peuvent infliger des peines disciplinaires pour des faits tendants à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier, » et ces faits, je les attribuais aussi bien aux maîtres qu'à l'ouvrier ; voilà ce que proposait le gouvernement en se référant aux commentateurs de la loi de 1842.
La section centrale a ajouté à cette disposition une disposition nouvelle qui, je pense, aura l'assentiment de toute la Chambre ; ce sont les cas de petites infidélités, de petits détournements, cas qui se présentent dans un certain nombre de localités et que cinq ou six conseils ont demandé le maintien de certaines pénalités pour les cas de l'espèce. Le gouvernement a accepté la proposition de la section centrale en ce qui concerne ces petits détournements qu'on ne peut pas traduire devant la justice ordinaire. Pour le reste, la disposition, telle qu'elle se trouve aujourd'hui rédigée, est acceptée par le gouvernement, parce qu'il la croit de nature à calmer toutes les inquiétudes.
Et que les opposants au projet de loi ne l'oublient pas ; plusieurs dispositions ont été introduites précisément pour échapper aux inconvénients qu'ils redoutent. Au lieu de la peine des arrêts il y a l’amende. Il y a l'appel même contre l'amende, il y a nécessairement égalité dans le nombre des juges. Il y a plus, car il faut être vrai ; il y a inégalité en ce sens, que le président sera choisi par le gouvernement et que généralement le président sera choisi parmi les patrons. Donc il y aura un élément prépondérant, il ne faut pas le dissimuler, du côté des patrons. Voilà tout ce qui a été fait en vue de cet article que l'on vient maintenant remettre tout entier en question.
Je supplie la Chambre de prendre un parti : ou il faut adopter l'article tel qu'il est aujourd'hui amendé ou il vaut mieux le rejeter, si l'on veut y introduire cette inégalité entre les deux catégories de justiciables.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il faudrait remplacer les mots : « Le conseil de prud'hommes ordonnera qu'à défaut de payement dans la huitaine, elle soit remplacée, etc. » il faut dire : « Le conseil de prud'hommes ordonnera qu'à défaut de payement dans la quinzaine, elle soit remplacée, etc. » En effet, le prévenu a huit jours pour interjeter appel. Or, on ne peut le contraindre à l'exécution du jugement, alors que les délais d'appel ne sont pas expirés. Il est donc essentiel de n'autoriser le mode d'exécution dont il s'agit que lorsqu'il s'est écoulé un certain temps après que le jugement est passé en force de chose jugée. C'est ce qui justifie ma proposition de substituer le délai de quinzaine à celui de huitaine.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Vervoort et l'amendement de M. Lelièvre sont successivement mis aux voix ; ils sont adoptés.
L'article, ainsi modifié, est mis aux voix par appel nominal.
72 membres prennent part au vote.
45 votent pour l'adoption.
27 votent pour le rejet.
En conséquence, l’article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Frison, Godin, Grosfils, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, J. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mascart, Moreau, Orban, Pierre, Rodenbach, Rogier, Tack, Tesch, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Stichelen, Van Iseghem, Vervoort, Veydt, Wala, Coppieters 't Wallant, Crombez, David, de Bast, de Bronckart, de Haerne, Deliége, de Luesemans, de Muelenaere, de Perceval, de Terbecq, Devaux, d’Hoffschmidt et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. Jacquemyns, Ch. Lebeau, Moncheur, Muller, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Sabatier, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Dautrebande, de Baillet-Latour, Ch. de Brouckere, H. de Brouckere, de Decker, de la Coste, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières et Dolez.
« Art. 74. Les prud'hommes ont droit à des jetons de présence. La quotité de ces jetons sera déterminée, dans chaque province, par la députation permanente du conseil provincial, en prenant comme base la moyenne d'une journée d'ouvrier.
« Il est alloué, en outre, aux prud'hommes des frais de déplacement lorsque le lieu de leur domicile est situé à une distance de plus de 5 kilomètres de la localité où siège le conseil. Ces frais de déplacement seront déterminés par un arrêté royal. »
- Adopté.
« Art. 75. Il est alloué au greffier un traitement annuel à fixer par l'arrêté qui institue le conseil de prud'hommes.
« Ce traitement est à la charge de l'Etat.
« Les frais de papier, de registres et d'écritures, ainsi que les menus frais de bureau, sont supportés par le greffier. »
M. de Renesse. - Messieurs, d'après le paragraphe 2 de l'article 63, les traitements du greffier et du commis greffier sont mis à la charge de l'Etat.
Je crois devoir présenter quelques courtes observations contre cette disposition du projet de loi ; il me paraît que le trésor public ne doit pas être grevé de cette charge nouvelle ; car l'on ne peut assimiler les greffiers des conseils de prud'hommes à ceux des cours, des tribunaux et des justices de paix, dont tous les habitants du pays sont justiciables ; il était donc rationnel de mettre les traitements de ces fonctionnaires à charge du budget de l'Etat ; ils sont véritablement institués dans un intérêt général.
Quant aux greffiers des conseils de prud'hommes, il n'en est pas de même ; ces conseils ne sont établis que pour une juridiction toute particulière, dans l'intérêt des patrons et ouvriers de certaines industries. Ce n'est pas ici un véritable intérêt général qui réclame l'institution de pareis conseils de conciliation, puisque même beaucoup d'industries n'en veulent pas, n'en sentent pas la nécessité.
Pour celles des industries où des conseils de prud'hommes sont déjà établis ou qui, dans le futur, pourraient en réclamer, je crois qu'il faut imposer les charges qui en résulteront aux différentes industries qui se soumettent à cette juridiction tout exceptionnelle, et l'on doit, d'autant plus insister à cet égard, que ces industries ne contribuent jusqu’ici que peu aux ressources du trésor public, comparativement à la propriété immobilière.
La répartition de la part contributive de chaque industrie pourra être établie par la députation permanente du conseil provincial.
L'on ne tend déjà que trop à grossir la plupart des budgets de l'Etat ; il n'y a que celui des finances qui maintienne, depuis 1848, le principe et l'application des économies.
En étendant constamment les attributions du gouvernement, l'on est ensuite obligé d'augmenter le nombre des fonctionnaires publics ; nous voyons actuellement, plus que jamais, l'insistance d'une quantité de jeunes gens, n'ayant pu rencontrer l'une ou l'autre position sociale convenable, à rechercher les fonctions de l'Etat ; c'est une véritable course au clocher, et pour la moindre des places, il y a toujours une quantité de concurrents ; aussi, les membres de la représentation nationale, en savent quelque chose ; ils deviennent aujourd'hui de véritables agents solliciteurs, et pour les stimuler, au besoin, l'on use parfois de toute l'influence électorale.
Si le gouvernement s'occupait plus spécialement de la haute administration, s'il ne cherchait pas à étendre sa sphère d'action, les budgets de l’Etat devraient être définitivement réglés depuis longtemps ; il n'y aurait plus lieu de les augmenter que pour les circonstances tout extraordinaires.
Dans tin pays de liberté comme le nôtre, il faut éviter la trop grande centralisation, il faut laisser beaucoup à l'initiative particulière ; car, si le gouvernement veut intervenir en toute chose, l'on finira par croire que c'est à lui à tout faire, à tout diriger, et il mettra ainsi en pratique des théories plus ou moins socialistes.
Il me semble qu'il est temps que l'on s'arrête dans cette marche qui entraînerait, par la suite, une augmentation des dépenses de l'Etat, que nous devons éviter, pour ne pas devoir accroître les contributions publiques.
D'après ces observations, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre l'amendement suivant qui remplacerait le paragraphe 2 de l'article en discussion :
« Ces traitements sont à la charge des différentes industries dont les patrons et ouvriers sont soumis à la juridiction de ce conseil.
« La répartition de la part contributive de chaque industrie sera établie par la députation permanente du conseil provincial. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tiens compte des observations de l'honorable préopinant, en ce qui concerne la tendance que pourrait avoir le gouvernement à exagérer ses attributions, sou patronage et, par suite, les dépenses de l'Etat. Je crois qu'en principal, ces observations doivent être approuvées par la Chambre ; quant à moi, je m'y rallie ; je crois qu’il faut se mettre en garde contre certains entraînements lorsqu'il s'agit d'étendre l'intervention du gouvernement : ce n'est pas à dire que je sois partisan d'un gouvernement paresseux, d'un gouvernement qui ne fait rien ; c'est un autre extrême qu’il faut également, éviter avec soin.
Mais ici, messieurs, les observations de l'honorable membre sont-elles (page 899) bien à leur place ? Je ne le pense pas. On impose des dépenses nouvelles aux localités qui obtiennent des conseils de prud'hommes, ce sont celles par exemple, des jetons de présence attribués aux membres du conseil.
Celte dépense se renfermera dans des limites modérées, mais elle pourra cependant s'élever plus haut que le traitement du greffier. Ce traitement doit être modique, mais si on le met à la charge de l'Etat en laissant à la charge de la commune les jetons de présence, on peut admettre qu'il y aura une sorte de compensation.
Or, je crois qu'il vaut mieux que la commune paye les jetons de présence, parce qu'alors le contrôle s'en fera de plus près ; c'est une dépense qui pourrait donner lieu à des abus, si elle était supportée par l’Etat. Il n'en est pas de même du traitement du greffier ; ce sera un traitement fixe et nécessairement très modéré.
Quanta la nomination, le gouvernement nomme les greffiers des justices de paix et on ne l'accuse pas, pour cela, de vouloir envahir ; eh bien, par analogie, nous demandons que le gouvernement nomme les greffiers des conseils de prud'hommes.
Ce sont des fonctionnaires responsables et qu'il faut investir d'une autorité suffisante vis-à-vis des justiciables. Dans la pratique le greffier a un rôle important. On a parlé du grand nombre d'affaires qui se concilient devant le bureau ; le greffier peut en concilier à lui seul autant que le bureau de conciliation. Pour peu que ce fonctionnaire soit à la hauteur de sa mission, s'il est, en même temps, revêtu d'un caractère public, il aura beaucoup d'autorité sur les parties et il rendra de grands services.
Le traitement des greffiers des conseils de prud'hommes constituera une charge légère pour l'Etat ; il sera très modéré. Je ne proposerai pas de fixer le maximum par la loi, car alors tout le monde voudra atteindre au maximum ; mais le budget sera là et le contrôle de la Chambre empêchera ces dépenses exagérées.
M. Muller. - Messieurs, je ne crois pas que l'amendement de M. de Renesse puisse être admis, car il renverse complétement tous les principes sur lesquels l'organisation de la justice repose aujourd'hui. On a mis à la charge de l'État tous les frais qui concernent la justice à rendre aux citoyens ; ici on a déjà fait une dérogation à ce principe en mettant les jetons de présence à la charge des communes ; je ne pense pas qu'on puisse aller au-delà.
Je ne comprendrais pas surtout qu'on fît supporter les traitements du greffier par les justiciables des conseils de prud'hommes, car cela ne se fait pas pour les autres greffiers ; les traitements des autres greffiers sont payés par la masse des citoyens.
On dit qu'il s'agit ici d'une juridiction volontaire ; elle est volontaire pour les autorités qui la demandent, mais une fois que le conseil de prud'hommes sera établi dans la localité, vous serez justiciables du conseil de prud'hommes et vous ne pourrez pas vous adresser ailleurs ; je ne comprendrais pas qu'on mît des frais semblables à la charge directe des justiciables.
Je ne puis donc que me prononcer contre l'amendement de l'honorable M. de Renesse.
M. de Renesse. - Comme je viens de le dire en développant mon amendement, il n'y a nulle comparaison à faire avec les greffiers des conseils de prud'hommes qui ne sont nommés que dans l'intérêt particulier de certaines industries. Les greffiers des cours, tribunaux et des justices de paix sont, au contraire, institués dans un intérêt général, parce que tous les habitants du pays sont justiciables de ces différentes juridictions. .
On ne peut toujours mettre à charge du trésor public tontes les dépenses résultant de l'une ou l'autre institution réclamée par des intérêts particuliers ; car je crois devoir faire remarquer à la Chambre que, depuis 10 années, le budget de l'intérieur a été augmenté de plus de 2,000,000 de francs en grande partie pour l'instruction publique.
M. de Perceval. - Tant mieux !
M. de Renesse. - Ce que j'ai d’ailleurs approuvé ; mais il me semble qu'il ne faut pas toujours imposer à l'Etat des dépenses à faire dans un intérêt tout particulier et qui ne sont pas obligatoires.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. de Renesse a quelque chose d'impraticable : un rôle entre tous les patrons et tous les ouvriers qui profiteront de la juridiction ! A Bruxelles, il y a 10,000 patentables ; supposons que dans le nombre il y ait 3,000 patrons ; mettons, à côté de ces 3,000 patrons, 10,000 ouvriers, vous allez répartir entre 13,000 cotes le traitement du greffier, soit 1,000 ou même 1,300 fr. ; vous allez avoir des cotes de 10, de 20, de 30, de 40 et de 50 centimes, que fait-on de pareilles cotes ? On les abandonne comme irrécouvrables, parce qu'elles ne valent pas la peine qu'on envoie un avertissement et qu'on fasse une poursuite.
Si on adoptait l'amendement, il serait impossible de le mettre en pratique.
- L'amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.
L'article 75 est ensuite mis aux voix et adopte.
« Art. 76. Sont exemptés des formalités et droits de timbre et des droits d'enregistrement, les actes, jugements et autres pièces relatifs aux poursuites et actions devant les conseils de prud'hommes, ainsi que les registres tenus par les prud'hommes et les extraits ou certificats desdits registres qui peuvent être délivrés par eux aux intéressés.
« Ces actes et pièces quelconques sont pareillement exemptés des formalités de l'enregistrement, excepté les citations, jugements et certificats, lesquels sont enregistrés gratis. »
- Adopté.
« Art. 77. Le conseil de prud'hommes, sur l'exposé verbal de la partie qui désire obtenir le pro Deo, et sur la présentation d'un certificat d'indigence en règle, statue à l'égard de la demande sans autre formalité.
- Adopté.
« Art. 78. Un arrêté royal détermine les droits et émoluments du greffier, les salaires et indemnités des huissiers, ainsi que les sommes allouées aux témoins entendus dans les enquêtes. »
M. Lelièvre. - Je propose d'étendre l'article 78 aux experts. On énoncerait en conséquence la phrase en ces termes :
« Ainsi que les sommes allouées aux experts et aux témoins entendus dans les enquêtes. »
Il est essentiel, en effet, qu'on se rapporte, pour l'expertise, aux règles admises pour la procédure devant les justices de paix.
- L'article 78, amendé comme le propose M. Lelièvre, est mis aux voix et adopté.
« Art. 79. Tout greffier, tout huissier, convaincu d'avoir exigé des parties une rétribution ou taxe plus forte que celle à laquelle il a droit aux termes de l'article78 ci-dessus, est puni conformément à ce que prescrit l'article 174 du Code pénal. »
M. Moncheur. - Messieurs, je demanderai au gouvernement et à M. le rapporteur s'ils jugent cet article bien nécessaire ; pour ma part, je crois qu'il est empiétement inutile.
En effet, la disposition de cet article ne fait que répéter ce qui est dit d'une manière générale dans l'article 174 du Code pénal.
Ce dernier article porte que tout fonctionnaire qui se sera rendu coupable de concussion en exigeant ce qu'il savait ne lui être pas dû sera puni de peines qu'il édicté.
Or, comme évidemment le greffier d'un conseil de prud'hommes sera un fonctionnaire public, il tombera de droit sous le coup de cet article. Je conçois qu'on ait inséré dans cette loi sur les conseils de prud'hommes, une quantité de dispositions réglementaires puisées mot à mot dans le Code de procédure ; cela était utile pour guider les membres de ces conseils, qui sont, en général, peu instruits de ces règles ; mais un greffier, même d'un conseil de prud'hommes, ne peut ignorer qu'il ne peut se rendre coupable de concussion ; sa conscience le lui dit assez.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - C'est pour en avertir le publie.
M. Moncheur. - Mais le sens moral du public lui dit assez aussi qu'un fonctionnaire ne peut trafiquer de sa charge.
L'article en discussion est donc un hors-d'œuvre.
M. Lelièvre. - Je pense qu'il est utile de maintenir dans la loi l'article en discussion. Il est à remarquer, en effet, que les lois générales énoncent, à l'égard des greffiers et huissiers près les tribunaux ordinaires, une disposition conçue dans les mêmes termes. Or, par notre article le législateur déclare solennellement que, sous ce rapport, les nouveaux fonctionnaires que créera la loi nouvelle seront traités sur le même pied, s'ils exigent des sommes non légitimement dues. C'est un avertissement salutaire qui leur est donné par la loi même.
Du reste, puisque les lois générales contiennent une prescription de même nature pour les greffiers et huissiers ordinaires, pourquoi ne l'énoncerions-nous pas relativement aux greffiers près les conseils des prud'hommes ?
Une omission sous ce rapport pourrait donner lieu à des inconvénients.
La disposition me semble donc avoir une utilité réelle. Je pense que nous devons la maintenir.
- L'article 79 est mis aux voix et adopté.
« Art. 80. Toute partie qui succombe est condamnes aux dépens.
« Peuvent néanmoins les dépens être compensés, en tout ou en partie, entre conjoints-ascendants, descendants, frères et sœurs ou alliés au même degré ; les prud'hommes peuvent aussi compenser les dépens, en tout ou en partie, si les parties succombent respectivement sur quelques chefs. »
- Adopté.
« Art. 81. A partir du 1er janvier de l'année qui suivra la date de la mise à exécution de la présente loi, les frais des conseils de prud'hommes seront supportés respectivement par toutes les communes comprises dans le ressort du conseil, en proportion du nombre et de la quotité des patentes ou redevances payées dans chaque commune.
« La répartition sera établie par la députation permanente du conseil provincial. »
M. Allard. - La section centrale a ajouté au projet du gouvernement les mots : ou redevances. Je pense que cette addition devrait être écartée. En effet, si on la maintient il y aura des communes qui seront surtaxées énormément : je citerai dans le Borinage le Flénu, où il y a cinq ou six établissements charbonniers auxquels on a accordé des concessions par veine ; il en résulte que dans les mêmes communes il se trouve que le trésor perçoit en droit fixe et droits proportionnels jusqu'à 40 mille francs ; ces redevances prises pour bases de la répartition, ne sont plus en proportion avec les patentes industrielles des autres communes. Saint-Vaast paye 40 mille francs de redevance, Houdeng paye aussi une somme énorme, tandis qu'à Hémeries et dans d'autres localités, où l'on (page 900) emploie d’aussi nombreux ouvriers, l'on ne paye que de très faibles patentes. Dans les unes on payerait une somme énorme, alors que dans les autres on ne payerait rien ou presque rien. Je demande la suppression des mots ou redevances.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ferai observer qu'il ne s'agit pas ici d'imposer des centimes additionnels, mais d'apprécier l'importance industrielle des communes d'après le nombre et la quotité des patentes et des redevances des mines, qui doivent contribuer aux dépenses générales des conseils de prud'hommes. Dans tous les cas, si la supputation des redevances des mines devaient pour certaines communes entraîner une augmentation dans la contribution, elle ne serait pas considérable.
M. Allard. - Je n'ai pas dit un mot des centimes additionnels ; je dis qu'en prenant pour base de la répartition des dépenses à couvrir les patentes industrielles et les redevances des mines, certains établissements qui emploient beaucoup d'ouvriers et ne payent pas de patente comme là où il existe des chaufours qui ne sont pas assujettis à une patente parce qu'on exploite leur propre fonds, ces communes, dis-je, ne payeront rien, tandis que celles où se trouvent des établissements charbonniers contribueront sur le pied des 40 mille francs de redevances que ces établissements payent à l'Etat.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Que concluez-vous ?
M. Allard. - Je conclus que c'est une injustice. Quand toutes les patentes réunies de l'arrondissement s'élèvent au plus à 3,000 fr., une seule commune verra sa part contributive établie sur la base d'une redevance de 40,000 fr.
Je persiste dans ma proposition.
M. Muller. - Je demanderai une explication. En fait de mines il y a deux redevances, la redevance fixe et la redevance proportionnelle : la redevance fixe qui se paye que l'industrie fasse de bonnes ou de mauvaises affaires, la redevance fixe qui est assimilée à la contribution foncière ; il y a en outre la redevance proportionnelle qui varie et s'établit dans chaque province par un comité de répartition. Il est évident qu'il y aurait lieu de distinguer entre ces deux espèces de redevances, car l'une est une véritable contribution foncière.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - La loi ne distingue pas entre les redevances fixes et les redevances proportionnelles ; je n'ai pas le droit de suppléer au silence de la loi et d'interpréter celle-ci de mon autorité privée, mais je dois dire que, selon moi, il n'y aurait pas la moindre injustice à prendre pour base de la cotisation des communes, en même temps les redevances fixes et les redevances proportionnelles des mines situées dans leurs circonscriptions. Il est vrai que les redevances fixes ne sont pas le signe de bénéfices réalisés, qu'elles tiennent lieu en quelque sorte de contribution foncière ; mais les patentes non plus ne prouvent pas nécessairement que les contribuables imposés réalisent des bénéfices.
Cependant les patentes industrielles entrent, en tout état de choses, en ligne pour déterminer la part contributive des communes. Là où l'on ne distingue pas toutes les patentes, il n'y a donc pas lieu non plus de distinguer pour les redevances.
Ajoutons, d'ailleurs, que communément l'exploitation des mines donne les plus brillants résultats financiers, ce qui n'est pas toujours le fait pour les autres industries, et qu'enfin les frais afférents aux conseils de prud'hommes étant supportés en partie par les communes, en partie par l'État, et étant minimes par eux-mêmes, la part imposée aux communes est définitivement si faible, qu'il ne vaut pas la peine de chercher à les en décharger, toute assimilation entre les patentes et les redevances sur les mines même laissée de côté.
M. Allard. - Comme vient de le dire l'honorable M. Muller, on pourrait dire redevance fixe ; la redevance fixe se paye par hectare, et il y a des concessions d'une étendue de 700 à 800 hectares Les communes où se trouvent des exploitations de mines seraient ainsi encore taxées au-delà de bien d'autres communes.
M. Deliége. - Quel que soit mon désir à être d'accord avec mon honorable ami M. Allard, il m'est impossible de me rallier à son amendement ; car, remarquez-le bien, messieurs, la redevance fixe se paye sur la mine alors même qu'on ne 1'expoite pas. Or, une houillère qui n'est pas en activité n'a que faire de prud'hommes et par conséquent il ne serait pas juste de la faire participer à une dépense qui ne la concerne pas. Je crois donc que nous ferons bien d'adopter l'article tel qu'il est proposé.
- L'amendement de M. Allard, mis aux voix, n'est pas adopté.
L'article est mis aux voix et adopte.
« Art. 70 (82 du gouvernement). Les locaux nécessaires pour la tenue des séances sont fournis par les communes du siège de l'institution. Il en est de même des locaux pour les mises aux arrêts. »
- Adopté.
« Art. 71 (83 du gouvernement). Un règlement d'administration publique arrête l'emploi des fonds alloués, par les communes intéressées, aux conseils de prud’hommes, ainsi que l'ordre de comptabilité à suivre par ces conseils. »
- Adopté.
« Art. 72 (84 du gouvernement). Chaque conseil de prud'hommes rédige son règlement d'ordre intérieur.
« Ce règlement est approuvé par arrêté royal avant d'être mis en vigueur. »
- Adopté.
« Art. 73 (83 du gouvernement). Un arrêté royal déterminera l’époque de la mise à exécution de la présente loi.
« A compter de cette date, et sans préjudice de ce que porte l'article 44 ci-dessus, la loi du 18 mars 1806, les décrets impériaux des 11 juin 1809, 3 août et 5 septembre 1810, les lois des 9 avril 1842, 4 mars1848 et 4 juin 1850, cesseront leurs effets. »
- Adopté.
M. le président. - Avant de passer aux dispositions transitoires, nous avons revenir sur l'article 40 de la section centrale, que nous avons laissé en suspens. Cet article est ainsi conçu :
« Les infractions prévues à l'article précédent se prescrivent par quinze jours. Ce délai court, pour les faits commis à bord des bateaux de pêche, du jour de la rentrée du bateau au port.
« Les sentences rendues sur la poursuite desdites infractions ne sont point sujettes à appel. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La section centrale propose la disposition transitoire suivante :
« Sont maintenus et seront réorganisés d'après les bases de la présente loi, les conseils de prud'hommes actuellement existants.
« Le gouvernement est autorisé, en se conformant au paragraphe 2 de l'article 2 ci-dessus, à instituer des conseils de prud'hommes dans les localités suivantes : Arlon, Bruxelles, Charleroi, Liège, Louvain, Mons, Namur, Ostende, Tournai, Eccloo et Verviers. »
M. le ministre de l’intérieur vient de faire parvenir une rédaction nouvelle ainsi conçue :
« Sont maintenus et seront réorganisés d'après les bases de la présente loi, les conseils de prud’hommes actuellement existants à Bruges, Gand, Courtrai, Ypres, Roulers, Alost, Lokeren, Renaix, Saint-Nicolas, Termonde, Anvers, Dour et Pâturages. »
- L'article ainsi rédigé est adopté.
M. Van Iseghem. - Diverses localités du pays sont en instance, depuis des années, pour obtenir l'institution de conseils de prud'hommes.
Je prierai l'honorable M. le ministre l'intérieur d'activer l'instruction de leurs demandes, afin d’être en état de nous présenter, s'il est possible, encore avant la clôture de la session actuelle, les projets de loi destinés à y faire droit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi que je l'ai dit, les conseils qui fonctionnent actuellement seront maintenus. Quant aux conseils qui ont été décrétés par la loi de 1842, et qui ne sont pas en fonctions, ils seront considérés comme n'existant pas et une instruction nouvelle sera faite à leur égard. Enfin, en ce qui concerne les localités en instance pour obtenir l'établissemenf de conseils de prud'hommes, l'instruction de leurs demandes est déjà commencée, et si je le puis, je ne manquerai pas de présenter encore, avant la fin de la session, les projets de loi que l'on sollicite. Ostende, Eecloo, Mouscron, Thielt et d'autres localités sont dans ce cas ; il ne dépendra pas de moi qu'on ne leur accorde la satisfaction qu'elles réclament.
M. le président. - Il nous reste à statuer sur un amendement de M. Muller, adopté par la section centrale et par le gouvernement. II est ainsi conçu :
« Tout prud'homme qui s'abstient de prêter serment ou qui s'absente des séances pendant deux mois consécutifs sans congé du conseil et sans motif légitime, pourra être déclaré démissionnaire par la députation de la province. »
- Cet amendement est appuyé, mis aux voix et adopté.
La Chambre, consultée, fixe à vendredi prochain le second vote duprojet de loi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'après les ordre du Roi, j'ai l'honneur de déposer deux projets de loi : l'un autorisant le gouvernement à aliéner quelques biens domaniaux, l'autre allouant un crédit d'un million de francs au département de la justice à titre d'avance sur l'exercice courant, pour le travail dans les prisons ; pareille somme est portée au budget des voies et moyens.
M. le président. - il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces deux projets de loi, qui seront imprimés, distribués et renvoyés aux sections.
- La séance est levée à 5 heures.