Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 885) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est adoptée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Spillemaeckers Van Roy prie la Chambre de statuer sur sa demande qui a pour objet le déplacement d'un conducteur des ponts et chaussées. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Lhoir, ancien pharmacien à Enghien, réclame l’intervention de la Chambre pour obtenir le payement des médicaments qu'il a fournis aux malades admis à l'hôptial civil d’Enghien pendant le premier semestre de 1854. »
- Même renvoi.
« La veuve du sieur Delmoitié, ancien courtier de cabinet et ancien vérificateur des douanes, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Rixensart demandent la réforme de la loi sur la milice. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jean Henri-Charles Van Geffen, mineur de première classe au régiment du génie, né à Anvers, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service à l'étranger. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 110 exemplaires du tome X du Bulletin du conseil supérieur d'agriculture, contenant l'exposé de la situation de l'agriculture pendant l'année 1856. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.
M. le président. - Nous en sommes arrivés à l'article 39 du projet de la section centrale, qui a été définitivement rédigé comme suit :
« Indépendamment des poursuites devant les tribunaux de répression, les prud'hommes peuvent infliger des peines disciplinaires pour tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier et tout manquement grave commis à l'occasion des rapports de maîtres à ouvriers. »
Cet article a pour corollaire un article 39bis ainsi conçu :
« Art. 39bis (de la section centrale). Ces peines ne peuvent excéder vingt-cinq francs d'amende ni trois jours de mise aux arrêts.
« Elles pourront être prononcées cumulativement ou séparément.
« En condamnant à l'amende, le conseil de prud'hommes ordonnera qu'à défaut de payement dans la huitaine, elle soit remplacée par la mise aux arrêts pendant un temps qui ne pourra excéder trois jours, sans qu’il soit nécessaire de signification des sentences ni de mise en demeure.
« Le gouvernement déterminera le mode d'exécution des arrêts, de manière à ce qu'ils soient subis dans des locaux spéciaux.
« Dans les cas où les arrêts sont prononcés comme peine subsidiaire, le condamné peut toujours s'en libérer eu payant l'amende.
« L'appel des sentences qui prononceront ces peines, sera porté devant le tribunal civil de première instance de l'arrondissement du siège du conseil de prud'hommes dans le délai de huit jours à dater de la prononciation, ou de la signification du jugement s'il est par défaut. »
M. Lelièvre a proposé par amendement d'ajouter :
« Il sera notifié au procureur du roi. »
M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, je ne crois pas me tromper en disant que cet article est un de ceux qui rencontrent le plus de répugnance chez un grand nombre de membres de cette Chambre. La section centrale y a déjà apporté des changements, elle a tâché de l'améliorer, mais il est très difficile de rendre bon ce qui est mauvais en soi. Je crois que ce qu'il y aurait de mieux à faire ce serait de supprimer cet article. Cela rentrerait assez dans le système de simplification que l'honorable ministre de l'intérieur défendait l’autre jour en termes énergiques. Je crois d'ailleurs qu'il n'en résulterait aucune espèce d'inconvénient. En effet, messieurs, ne perdons pas de vue que cette juridiction disciplinaire qu'on veut attribuer aux prud'hommes, est étrangère au véritable but de cette institution. L'honorable rapporteur de la section centrale, qui en a fait une étude très approfondie, a insisté beaucoup pour nous faire bien comprendre que les prud'hommes sont établis avant tout et principalement pour concilier les parties, pour éviter les procès, pour amener des transactions.
Et, sous ce rapport, cette institution a rendu de grands services. Les chiffres qui vous ont été cités sont très remarquables ; ils se résument en ceci, que, sur une centaine de contestations, il y a eu 95 transactions, souvent 96, quelquefois même 100.
Eh bien, la faculté de prononcer des peines disciplinaires n'a rien de commun avec cette mission de conciliation des prud'homme ; car enfin, nous n'admettons pas que les parties qui comparaissent devant les prud'hommes font des arrangements parce qu'elles sont menacées d'être mises en quelque sorte aux arrêts, si elles ne s'accordent pas.
S'il en était ainsi, il faudrait reconnaître que les nombreuses transactions qui ont été citées perdraient, pour ainsi dire, toute leur valeur morale, puisqu'elles seraient dues à la menace de moyens de contrainte, au lieu d'être amenées par des moyens de persuasion. Je pense que personne ne soutiendra une pareille chose. Je dirai même que je l'espère pour l'honneur de l'institution dont il s'agit.
J'en conclus donc que les prud'hommes peuvent, sans être armés de la faculté de prononcer des peines disciplinaires, continuer de rendre de grands services, les services essentiels qu'ils ont rendus jusqu'ici.
On a répété, à différentes reprises, que l'article 39 ne fait que maintenir ce qui existe.
Si cette assertion était même vraie, elle me toucherait assez peu ; en effet, si nous ne voulons pas apporter des modifications à la législation actuelle, pourquoi donc faisons-nous une nouvelle loi ? Je ne pense pas que ce soit pour nous amuser, car alors nous aurions véritablement manqué notre but.
Mais il n'est pas exact de dire que l'article 39 ne fait que maintenir ce qui existe. Aucunement. La composition des conseils de prud'hommes est modifiée essentiellement dans ses éléments constitutifs.
D'après la législation de l'empire qui nous a régis jusqu'ici, le conseil de prud'hommes n'était autre chose qu'une juridiction de patrons, fonctionnant avec l'assistance et le conseil des ouvriers et très souvent sans cette assistance et sans ce conseil.
Aujourd'hui se sera tout autre chose. L'élément patron et l'élément ouvrier seront représentés sur le pied d'une parfaite égalité. Je ne critique pas cette modification. Au contraire, je la crois bonne, juste et réellement conforme au véritable but de l'institution qui est un but de conciliation.
Mais il ne résulte pas de là que ce soit tout à fait la même chose, quant à l'exercice de cette juridiction disciplinaire. Il n'est surtout pas vrai de dire que rien n'est changé, parce que vous attribuez cette même juridiction à un collège dont l'organisation repose sur des bases essentiellement différentes. Sous ce rapport donc, il y a une innovation notable.
Il y a une innovation sous un autre rapport. Aujourd'hui la juridiction des prud'hommes peut prononcer des pénalités... contre qui ? contre les ouvriers ; tandis que, suivant la rédaction qui nous est proposée, les prud'hommes pourront prononcer également des peines et notamment la mise aux arrêts contre les patrons.
On me dira que cette modification a été adoptée en vertu du principe d'égalité qui doit former la base de toutes nos institutions. Je l'admets, en principe.
Je dis aussi qu'il ne serait pas juste qu'on pût prononcer des peines contre les ouvriers, sans qu'on pût en prononcer contre les maîtres, Mais je veux appliquer les principes de l'égalité d'une autre manière, en supprimant la juridiction disciplinaire dont il s'agit, aussi bien pour les ouvriers que pour les maîtres, et j'arrive ainsi à avoir l'égalité non seulement entre les industriels et leurs ouvriers, mais aussi entre les industriels et tous ceux qui emploient des ouvriers ou des domestiques et qui n'ont à rendre compte de leur conduite qu'à la justice ordinaire. Je ne vois réellement pas pourquoi il n’en serait pas de même à l'égard des entrepreneurs d'industrie et pourquoi ils seraient soumis à un justice répressive spéciale, en ce qui concerne leurs procédés envers leurs inférieurs.
La mesure me paraît donc exorbitante, relativement aux maîtres on patrons et par conséquent elle est, par cela même, inadmissible quant aux ouvriers, puisque en vertu du principe d'égalité, il faut que les uns et les autres soient placés sur la même ligne en ce qui concerne l'accomplissement de leurs obligations.
L'honorable ministre de l'intéricur disait que l'institution des prud’hommes a ceci de bon, c’est qu'elle relève l'ouvrier à ses propres yeux. Je partage cette manière de voir, c'est un des bons côtés de l'institution, dans ma manière de voir.
II est bon que les sentiments non d'orgueil mais de dignité personnelle, se répandent dans la classe ouvrière ; c'est un grand moyen d'amélioration ; mais je ne veux pas que ce résultat soit obtenu au détriment de l'autorité et de la dignité des maîtres et des patrons. Or, j'ai la conviction intime que la disposition qui nous est proposée ne saurait être adoptée sans porter une atteinte grave à cette dignité et surtout à cette autorité.
On nous a dit qu'il s'agit ici d'une juridiction toute paternelle, d'une justice paternelle qui ne déshonore pas. Je ne vois pas nu quoi elle serait plus paternelle et moins déshonorante que celle des juges de paix. Veuillez remarquer ceci, c'est que d'après la disposition dont il s'agit, le conseil de prud'hommes pourra prononcer des peines pour des actes d'infidélité, pour de petits vols ; or, ce n'est pas, à proprement parler, la peine qui déshonore, mais bien le fait qui la motive.
Celui qui aura été condamné pour un des faits que je viens de citer, (page 886) encourra nécessairement la déconsidération, n'importe par qui la peine sera appliquée. Il en résulte que, du moment qu'un individu aura été mis aux arrêts par le conseil de prud'hommes, il y aura soupçon dans l'opinion publique non seulement d'une faute légère, mais d'une véritable violation des lois de l'honneur et de la loi. Ce soupçon pourra planer non seulement sur les ouvriers, mais aussi sur les patrons ; cela me paraît beaucoup plus grave qu'une condamnation par un juge de paix dont les jugements précisant les faits qui auront été punis, offrent bien plus de garanties contre une véritable déconsidération lorsqu'il s'agira de fautes légères et sont évidemment plus propres à écarter les soupçons injustes.
Messieurs, dans le cours de la discussion on a beaucoup comparé le conseil de prud'hommes à un tribunal de famille. Je trouve que cette assimilation est juste quand vous vous bornez aux véritables attributions de cette institution.
Dans une famille, quand un procès est sur le point de naître, les parents se réunissent et font des efforts pour empêcher qu'il n'arrive devant les tribunaux, pour qu'il intervienne une transaction. Voilà en quoi vous pouvez comparer le conseil de prud'hommes à un tribunal de famille ; mais je ne connais pas de tribunal de famille qui condamne aux arrêts. (Interruption).
Il peut arriver que l'on consigne un enfant dans sa chambre, qu'on le mette au pain sec, mais cela ne se fait qu'à l'égard des enfants. Cela ne se fait pas à l'égard des majeurs ; je ne veux pas du tout qu'on traite les ouvriers et les maîtres comme des enfants ; je ne veux pas d'une législation de ce genre-là.
Je crois qu'il serait plus vrai de dire que cette juridiction disciplinaire a été empruntée, non pas à l'organisation des familles, mais à l'organisation militaire. et ce qui confirmerait mon opinion sur ce point, c'est l'époque même où l'idée a pris naissance : elle date, en effet, du temps du premier empire, de l'empire de la guerre. C'est alors que cette juridiction a été établie sous l'influence des tendances de l'époque à introduire en toutes choses une organisation militaire qui paraissait être alors le type de la perfection. Voilà, messieurs, la véritable origine de cette juridiction disciplinaire que l'on veut encore maintenir aujourd'hui, et qui jure, je ne crains pas de le dire, avec nos mœurs actuelles.
Messieurs, on a encore insisté sur cette considération que cette juridiction serait en quelque sorte essentielle, et que la suppression offrirait des inconvénients pour la police des ateliers.
Mais, mon Dieu ! les trois quarts de la Belgique n'ont pas cette juridiction disciplinaire ; elle n'existe que là où il y a des conseils de prud'hommes et vous savez que ces conseils n'existent pas dans un grand nombre de centres industriels. Je ne crois pas que les devoirs entre maîtres et ouvriers soient moins respectés là qu'ailleurs.
Une observation très juste a été faite que je tiens à rappeler : Ou bien, a-t-on dit, les faits ont quelque gravité et alors pourquoi ne pas les déférer à la justice ordinaire, ou bien les faits n'ont pas d'importance et alors pourquoi ne pas les abandonner à la seule sanction de l'opinion publique ?
Nous ne devons évidemment pas nous immiscer ainsi dans tous les détails de la vie sociale ; cette manie de tout réglementer est contraire aux sentiments d'un peuple animé d'un véritable esprit de liberté.
Je ne prolongerai pas plus longtemps cette discussion ; je suis bien décidé à voter contre la disposition dont je viens de m'occuper ; et j'espère bien qu'elle ne prendra point place dans notre législation.
Je n'ajouterai plus qu'un mot, c'est que, en 1842, cette juridiction a été combattue déjà par plusieurs honorables membres, et entre autres, par notre honorable président et par l'honorable M. H. de Brouckere.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demanderai le renvoi de la proposition à la section centrale. Je le demanderai pour deux raisons. D'abord parce que la Chambre ne me paraît pas assez nombreuse pour résoudre avec autorité cette question qui a de l'importance ; en second lieu parce que la proposition concerne plus le projet de la section centrale que le projet du gouvernement.
Le projet de la section centrale, auquel, d'ailleurs, je me suis rallié, a ajouté à la proposition du gouvernement, les dispositions qui sont particulièrement l'objet des critiques des opposants. Veuillez revoir l'article 36 du gouvernement ; il se bornait à dire :
« Indépendamment (si l'expression n'est pas exacte, on pourrait dire sans préjudice aux) des poursuites devant les tribunaux de répression, les prud'hommes peuvent infliger des peines disciplinaires pour tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier. »
Ainsi, l'article 36 du projet du gouvernement se bornait à prévoir les faits tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier. La section centrale a ajouté l'éventualité de manquements graves d'ouvriers envers leurs maîtres, et de maîtres envers leurs ouvriers. Je dois dire que j'ai adhéré aux additions faites par la section centrale mais je constate en même temps que le projet du gouvernement ne renfermait pas cette disposition.
Je ne me dissimule pas, messieurs, que la disposition inspire des répugnances assez vives à une portion assez notable de la Chambre. Je crois que nous devons rendre cette loi acceptable par le plus grand nombre, il est désirable de propager autant que possible l'institution des prud'hommes dans toutes les parties du pays. S'il existait certaines industries, certaines parties du pays où l'institution ne pourrait point s'établir à cause de certaines dispositions, je crois qu'il faudrait s'appliquer à trouver le moyen de faire disparaître, si possible, toute cause de défiance.
En proposant le renvoi de cette disposition à la section centrale, ce n'est pas à dire que j'abandonne la proposition primitive du gouvernement ni que je retire l'adhésion que j'ai donnée, à celle de la section centrale.
Il est utile, je pense, que les conseils de prud'hommes restent investis du droit d'infliger certaines peines corrélatives non pas à certains délits, mais à certains manquements, à certaines fautes.
On dit qu'il faut supprimer toute la disposition, qu'on peut enlever aux conseils de prud'hommes cette faculté d'infliger certaines peines, attendu qu'ils n'ont pas pour ainsi dire fait usage de cette faculté. Maïs, messieurs, la seule possibilité de les appliquer, la seule perspective pour les justiciables d'être soumis à ces peines ne peut-elle pas exercer une influence salutaire sur l'esprit des ouvriers ; les conseils de prud'hommes n'y puisent-ils pas une autorité plus grande que s'ils n'avaient d'autre pouvoir que celui d'un tribunal arbitral, d'un tribunal de conciliation ? C'est pour ce motif que plusieurs conseils de prud'hommes tiennent beaucoup à cette attribution, bien qu'ils ne prévoient guère la probabilité d'en faire un fréquent usage.
On m'assure que le conseil de prud'hommes de Bruges, par exempte, considère cette attribution comme essentielle à son existence. Sous ce rapport, il me serait agréable d'entendre l’honorable député de Bruges, à l'opinion duquel je fais allusion.
La section centrale a tout fait jusqu'ici pour rendre cette disposition acceptable par tout le monde. Rappelons-nous, messieurs, le point de départ de la discussion. Dans le principe, la disposition se présentait pour ainsi dire toute nue. On disait : Les manquements réciproques d'ouvriers à maître et de maître à ouvriers seront punis des arrêts.
On objecta d'abord le cas d'un conseil de prud'hommes où les ouvriers se trouveraient en majorité et qui frapperait d'une peine arbitraire un maître, un chef d'industrie, et l'on ajoutait que cela aurait les effets les plus désastreux. Eh bien, en vue de répondre à cette objection on a modifié plusieurs dispositions et celle-ci même a subi une modification importante.
Nous avons formulé dans la séance d'hier, des dispositions qui ont pour but d'assurer autant que possible l'égalité dans la composition des conseils de prud'hommes appelés à juger, de telle manière qu'une majorité d'ouvriers ne put point se coaliser pour infliger dans certaines circonstances des peines aux maîtres.
On a proposé la nomination d'un président, le cas échéant, en dehors du conseil ; deuxième modification introduite toujours en vue de cette éventualité, de peines appliquées aux maîtres. En outre, à côté de la peine des arrêts, qui était unique, on a placé l'amende, ce qui offre le choix entre deux peines.
Enfin, messieurs, comme dernière garantie, on a introduit l'appel des condamnations, c'est-à-dire que si une condamnation arbitraire est prononcée, le recours est ouvert au maître comme à l'ouvrier.
Il me semble, messieurs, qu'avec toutes ces précautions, les abus que l'on redoute deviennent en quelque sorte imaginaires.
Aujourd'hui, messieurs, que toutes ces dispositions conciliatrices ont été convenues au sein de la section centrale et acceptées par les auteurs des amendements, voilà qu'on ne veut plus rien du tout.
C'est l'article même qu'il faut faire disparaître, l'article qui conserve aux conseils de prud'hommes le droit d'appliquer certaines peines légères, droit qui existe depuis un demi-siècle. On repousse toute espèce de disposition de ce genre ; on propose la suppression de l'article.
On vient de citer la discussion de 1842, comment se fait-il qu'en 1842, cette disposition a été adoptée, alors que la Chambre renfermait, je pense, des membres tout aussi bons jurisconsultes que ceux que la Chambre renferme aujourd'hui ?
Ils n'y étaient pas en aussi grand nombre, je le veux bien, mais, certes, il y avait là des hommes d'une certaine autorité. Vous aviez, par exemple, M. Dubus, M. Raikem, pour citer les deux noms qui me viennent les premiers à l'esprit, vous aviez M. de Muelenaere et d'autres, qui tous acceptaient cette disposition sans aucune espèce de répugnance. Il y a plus, la disposition a été fortement appuyée par l'honorable M. de Muelenaere qui la considérait comme essentielle, comme indispensable.
La loi qui renfermait cette disposition que quelques membres considèrent aujourd'hui comme inconstitutionnelle, la loi, qui renfermait également la disposition par laquelle le gouvernement était autorisé à établir des conseils de prud'hommes en fixant leur ressort, cette loi a été adoptée à la presque unanimité ; c lie n'a eu que quatre voix contre elle. Dans ces quatre voix se rencontre, il est vrai, celle d'un honorable opposant d'aujourd'hui, de l'honorable M. H. de Brouckere ; mais je désire qu'en 1858 il ne soit pas fidèle à cet antécédent.
Au contraire, l’honorable M. Ch. de Brouckere a défendu le principe des peines disciplinaires à prononcer par le conseil en des termes que je tiens à reproduire parce que je ne pourrais pas m'expliquer aussi bien, que l'a fait l'honorable bourgmestre de Bruxelles. Voici ce que disait l'honorable M. Ch. de Brouckere au sein du conseil communal de Bruxelles (séance du 22 janvier 1848) :
« M. Ch. de Brouckere. - Restent donc les trois jours d'arrêts que peuvent infliger les prud'hommes en vertu de la loi de 1842, et qui, pour moi, représentent les trois jours de prison du décret du 3 août 1810. Je ne tiens pas au nom : mais cela ne me paraît pas plus révoltant, plus (page 887) inconstitutionnel, que le pouvoir que la loi donne aux conseils de discipline de la garde civique, qui n'est pas une institution judiciaire, d'envoyer nos concitoyens pendant trois jours à l'Amigo parce qu'ils ne seront pas allés à une parade. Ce n'est, d'ailleurs, que dans le cas de délit tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier que cette peine peut être prononcée, sans préjudice (dit le décret) de la concurrence des officiers de police et des tribunaux.
« Quant à moi, j'attends un très grand bien pour la classe ouvrière de l'institution ces prud'hommes. Je voterai pour. Je connais des localités où l’on a émis un avis défavorable à cette institution, non par amour pour les ouvriers, mais parce qu'on trouve beaucoup plus commode pour les fabricants que les ouvriers n'aient pas ce moyen d'obtenir justice. »
Telle était l'opinion de l'honorable M. Ch. de Brouckere, en 1848, en ce qui concerne les peines disciplinaires.
L'honorable M. de Muelenaere s'exprimait de la manière suivante :
« M. de Muelenaere. Je suis convaincu que l'attribution la plus utile, la plus indispensable, c'est l'action répressive ou disciplinaire. Il m'importe peu de quel nom on la qualifie, je tiens moins aux mots qu'à la chose elle-même.
« Si vous dépouillez les conseils de prud'hommes de cette attribution, à l'instant ils perdent aux yeux des ouvriers toute la considération, tout le respect dont les décrets de l'empire ont eu soin de les environner.
« Pour ma part, je suis entièrement persuadé que c'est dans ce droit de répression que cette institution puise toute sa force morale. Dès lors, il faut, autant que possible, conserver à ces conseils cette puissance morale, si vous voulez qu'ils puissent faire quelque bien.
« Je sais que l’inamovibilité du juge est le principe fondamental de notre organisation judiciaire ; mais je vous ferai observer tout à l’heure qu'il existe une foule de juridictions qui prononcent des peines, quoique leurs membres ne jouissent pas de l'inamovibilité.
« Il est une considération, d'ailleurs, qu'il convient de ne pas perdre de vue, c'est que si, d'après la Constitution, les conseils de prud'hommes ne peuvent prononcer la peine de l'emprisonnement, en vertu du même principe, ils ne pourraient prononcer aucune autre peine ; car, rien ne vous autoriserait à faire cette distinction entre les peines. Toute peine devrait être prononcée par un juge nommé à vie. Si une pareille assertion était rigoureusement vraie, nous serions dans un état flagrant d'inconstitutionnalités de toute espèce.
« En effet, le conseil de discipline de l'ordre des avocats prononce des peines disciplinaires ; la chambre des notaires prononce, dans certains cas, des peines disciplinaires ; les conseils de discipline de la garde civique prononcent la peine de l'amende et de l'emprisonnement.
« Un officier commandant un corps peut infliger à tout officier sous ses ordres les arrêts sans accès dans son appartement ou son domicile, et les arrêts dans la prison militaire. Ces arrêts peuvent, si je ne me trompe, être de quinze jours.
« Il est encore d'autres cas, que je pourrais citer, dans lesquels des peines sont prononcées par des corps ou des individus qui n'ont que des attributions temporaires. »
Voilà quelle était l'opinion de l’éminent orateur.
Je pourrais citer aussi les paroles de l'honorable M. Dumortier, mais je crois, sans vouloir en aucune manière rabaisser le mérite de cet honorable représentant, que peut-être son opinion n'aurait pas, dans cette question, la même autorité que celle d'autres jurisconsultes.
Ainsi, messieurs, voilà de quelle manière, en 1842, cette question qui paraît, aujourd'hui si grave, a été examinée, de quelle manière elle a été résolue à l'unanimité moins 4 voix.
Dans les années suivantes les conseils de prud'hommes ont été successivement organisés. Après 1848, époque où l'attention était encore beaucoup plus éveillée sur les garanties constitutionnelles, sur le respect dû à nos institutions, eh bien, messieurs, à cette époque des lois ont passé sans que le moindre scrupule se soit manifesté sur la prétendue inconstitutionnalité de cette attribution donnée aux conseils de prud'hommes d'appliquer des peines disciplinaires.
Je sais, messieurs, que la Chambre n'est pas liée par ces antécédents, mais je crois, que les ayant devant nous, nous étions autorisés, sans être suspects de violer les principes du droit, présenter les dispositions qui nous occupent en ce moment.
Comme je veux, messieurs, être conséquent et comme j'ai demandé que les modifications importantes fussent renvoyées à la section centrale, je demanderai que la proposition de supprimer cet article soit renvoyée à la section centrale.
Je serais très heureux que sur cette question l'on pût arriver également à une conciliation. Je rappelle seulement que la défense que j'entreprends ici n'est pas la défense de l'œuvre du gouvernement. Les additions que l'on combat encore sont l'œuvre de la section centrale. C'est particulièrement pourquoi il convient aussi que les propositions lui soient renvoyées ; les auteurs de ces propositions se rendront au sein de la section centrale ; on suivra la marche qui a été suivie depuis dix jours, et nous tâcherons d'arriver à une transaction.
Aujourd'hui nous pourrions continuer la discussion des autres articles.
Puisque j'ai la parole, je demanderai à pouvoir faire une déclaration qui peut-être aussi sera de nature à exercer une certaine influence sur les esprits hésitants.
La section centrale a proposé, dans une disposition transitoire, de maintenir, dans leur ressort actuel, les conseils de prud'hommes qui ont été organisés en vertu de la législation antérieure. Je pense que cette disposition sera acceptée par la Chambre.
Les conseils de prud'hommes qui sont institués et qui fonctionnent, sont établis à Bruges, à Gand, à Courtrai, à Roulers, à Alost, à Lokeren, à Renaix, à St -Nicolas, à Termonde, à Anvers et à Dour, A Louvain, qui est désigné dans la loi de 1842, un conseil de prud'hommes a été institué, mais il ne fonctionne pas. Il en est de même à Bruxelles et à Pâturages. Voilà une première catégorie.
Dans la loi de 1842, se trouvait mentionnée une série d'autres villes où le conseil de prud'hommes n'a pas été institué, faute d'entente entre les diverses autorités ou pour d'autres motifs ; ce sont les villes d'Arlon, de Charleroi, de Liège, de Mons, de Namur, d'Ostende, de Tournai et de Verviers.
Je demanderai s'il y a lieu de maintenir comme institués les conseils de prud'hommes qui sont mentionnés dans la loi de 1812, mais qui ne fonctionnent pas.
D'après la première rédaction et d'après les opinions qui avaient été émises, tous les conseils de prud'hommes, mentionnés dans la loi de 1842, auraient été maintenus. Or, je ne vois pas la nécessité de maintenir de par la loi ces conseils de prud'hommes qui n'existent pas ; il faudra commencer pour eux une nouvelle instruction. Voilà une seconde catégorie. (Interruption.)
C'est une nouvelle concession que je fais. Je remarque que plusieurs représentants de ces localités ne veulent pas de conseil de prud'hommes et qu'ils se figurent qu'on veut leur donner un conseil de prud'hommes malgré eux ; eh bien, ils pourront avoir la conscience parfaitement tranquille.
Il y a une autre catégorie de conseils de prud'hommes dont on a parlé peu jusqu'ici et qui, à mes yeux, sont très dignes d'intérêt. S'il y a des localités qui ne veulent pas de conseil de prud'hommes, il en est d'autres qui en demandent avec beaucoup d'instance, et à celles-là nous devons en donner. Les localités qui demandent l'institution d'un conseil de prud'hommes sont Eecloo, Audenarde, Grammont, Thielt, Fayt, Jemmapcs et Mouscron. Dernièrement un honorable représentant s'est rendu dans mon cabinet avec les industriels de Mouscron, qui ont vivement insisté pour obtenir le plus tôt possible un conseil de prud'hommes, en faisant ressortir toute l'utilité de cette institution pour Mouscron.
Il y aurait un déni de justice à ne pas accueillir la demande des villes qui réclament l'institution d'un conseil de prud'hommes.
M. Van Iseghem. - Ostende est également en instance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Effectivement ; à Ostende, le conseil de prud'hommes n'est pas encore institué, mais il est décrété. Il en est de même à Verviers.
Il y a aussi une commune très voisine de Liège qui a demandé un conseil de prud'hommes ; c'est la populeuse et importante commune de Seraing...
- Une voix : En 1842.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Peu importe à quelle époque.
La commune de Seraing était donc en instance pour obtenir un conseil de prud’hommes. La chambre de commerce de Liège s'est prononcée contre cette demande ; elle trouvait qu'il ne convenait pas que, le chef-lieu ne possédant pas de conseil de prud'hommes, une commune voisine en eût un ; la députation permanente s'est prononcée, en principe, dans un sens favorable à la demande ; mais comme la chambre de commerce a été d'un avis contraire, la députation permanente s'est rangée à l'opinion de la chambre de commerce.
Eh bien, s'il résulte d'une instruction nouvelle qu'on ne veut plus aujourd'hui d'un conseil de prud'hommes dans la commune de Seraing, cette commune n'aura pas de conseil de prud'hommes.
En résumé, je demande à la Chambre la permission de soumettre à la section centrale les propositions que je viens d'indiquer ; je crois que formulée de cette manière, et sans que ses principes essentiels en soient affectés, la loi rencontrera une adhésion encore plus générale.
Nous tenons beaucoup à ce que l'on sache bien que le gouvernement, dans les affaires de ce genre, n'a aucune espèce d'intérêt politique même administratif. Il n'a en vue que le maintien de l'ordre public et la satisfaction des intérêts des localités.
Je demande que la Chambre continue la discussion et remette à lundi le débat relatif aux peines disciplinaires.
M. de Muelenaere. - La Chambre paraît disposée à renvoyer à lundi le début sur les peines disciplinaires. Cependant, si la Chambre veut bien me le permettre, je répondrai deux mots à l'espèce d’interpellation qui a été faite par M. le ministre de l'intérieur aux députés de Bruges et des autres arrondissements, où l'on pratique l'industrie des dentelles.
La suppression de peines disciplinaires rendrait inefficace l'action des prud'hommes, notamment dans la Flandre occidentale. Si un petit nombre de jugements emportant la mise aux arrêts est prononcée c'est grâce aux mesures que prennent les prud'hommes pour les prévenir. Ainsi le conseil de Bruges qui traite annuellement un millier d'affaires au moins, a bien souvent recours au texte de la loi aujourd'hui en vigueur pour inspirer aux ouvrières dentellières une crainte salutaire. Ce (page 888) texte se trouve même inscrit au bas des lettres d'invitation du secrétaire, de sorte que les parties sont prévenues, avant de se rendre à la séance, de toutes les conséquences que peut avoir le jugement.
Ce n'est qu'après des réprimandes souvent répétées que le conseil a recours à la mise aux arrêts, et encore ne la pratique-t-il pas dans le sens rigoureux de la loi. Il agit comme un conseil de famille, car avant de prononcer une peine d'un jour entier, il condamne bien souvent les délinquants à une, deux ou trois heures de mise aux arrêts.
En admettant donc la proposition qui nous est faite de supprimer cet article, on rendrait un bien mauvais service à l'industrie dentellière, la principale qui se pratique dans la Flandre occidentale.
C'est, du reste, également l'opinion du conseil de prud'hommes de la ville d'Ypres.
Messieurs, cette note que je viens d'avoir l’honneur de vous lire n'est pas de moi ; elle m'a été remise tout à l'heure, avant la séance, par une personne appartenant au conseil de prud'hommes de la ville de Bruges et qui, par intérêt pour l'institution, s'est donné la peine de venir à Bruxelles et de suivre tous nos débats. Je dois ajouter que cette personne m'a déclaré que le conseil de prud'hommes de Bruges qui fonctionne, comme vous savez, avec le plus grand succès depuis 1813, attache la plus grande importance au maintien des peines disciplinaires.
Au surplus, je ne veux pas entrer actuellement dans le fond de la discussion ; je me bornerai à répéter ce que j'ai eu l'honneur de dire au commencement de cette longue discussion, c'est que nous ne devons pas chercher à innover, mais à conserver les dispositions qui ont pour elles la sanction du temps, qui ont été reconnues bonnes et qui n'ont jamais provoqué aucune espèce de plainte.
Or, une de ces dispositions, c'est notamment celle relative aux peines disciplinaires qui a été établie, si je ne me trompe, par le décret impérial de 1810, qui, par conséquent est appliquée, le cas échéant, depuis un demi-siècle, à la satisfaction de tous les intéressés, et sans avoir fait naître aucune récrimination.
Il me semble qu'il serait souverainement imprudent de supprimer cet article de la loi, surtout lorsque la Chambre, d'après la note que je viens de lire, doit être convaincue qu'un des plus anciens conseils de prud'hommes, que celui qui traite incontestablement le plus grand nombre d'affaires, considère cette disposition comme une disposition essentielle, comme une disposition sans laquelle la marche du service serait entravée et le conseil hors d'état de remplir ses devoirs. C'est l'opinion que m'a exprimée, au nom du conseil, la personne à laquelle j'ai fait allusion.
Je me sers de ses termes singulièrement énergiques : Supprimer les peines disciplinaires, m'a-t-elle dit, c'est déchirer la loi. Son application deviendrait illusoire dans la ville de Bruges.
Au premier abord cela peut paraître fort étrange, à beaucoup d'honorables membres qui ne considèrent pas la question au même point de vue que nous. Cela dépend de l'industrie exercée dans les diverses localités. Chez nous l'industrie des dentelles est très répandue. II y a environ dans la ville de Bruges saule, huit à dix mille dentellières. M. le ministre des affaires étrangères pourrait peut-être nous dire le chiffre exact.
Toutes ces dentellières travaillent à domicile ; elles reçoivent souvent des avances ; on leur confie aussi, je crois, des patrons ou des dessins. Par conséquent, il faut qu'elles soient soumises à une sorte de discipline paternelle, et elles ne peuvent être maintenues dans cette discipline envers les maîtresses et les marchandes que par l'intervention des conseils de prud'hommes.
Il faut que les conseils aient certains moyens d'influence qui ne peuvent pas leur faire défaut à peine de faire périr l'institution elle-même, Or vous voyez de quelle manière le conseil fat usage de ces moyens d'influence et de répression. Depuis plus de 40 ans le conseil de prud'hommes de Bruges n'a prononcé qu'un nombre fort restreint de condamnations proprement dites, de 1 à 3 jours d’arrêt ; mais il a cependant, indépendamment de ces condamnations, fait usage de la disposition pénale, en prononçant contre des ouvrières indociles, récalcitrantes ou infidèles la peine d'une heure ou de deux heures d'arrêt.
Voilà de quelle manière le conseil de prud'hommes de Bruges procède et maintient une discipline salutaire parmi une dizaine de mille ouvrières qui résident dans la ville. Je crois que ce résultat est satisfaisant et tout entier dans l'intérêt bien entendu de la population ouvrière elle-même.
La disposition qui permet de l'obtenir doit être maintenue dans l'intérêt de plusieurs grandes localités.
Je comprends qu'elle pourrait ne pas produire les mêmes avantages dans les provinces industrielles, comme Liége et le Hainaut où les ouvriers sont réunis dans d'immenses ateliers et où la loi pourrait ne pas s'appliquer de la même manière que dans les Flandres.
Ce que nous désirons, nous, c’est qu'on parvienne à trouver une disposition qui contente, autant que possible, tout le monde, et ne tue pas une industrie aussi considérable que celle des dentelles qui s'exerce dans toute la Flandre occidentale, et dont la population laborieuse de cette province a un si grand besoin.
Je me rallie à la proposition de M. le ministre de l'intérieur.
Je demande aussi que toutes les dispositions relatives à cet objet soient renvoyées à la section centrale. Je forme le vœu qu'elle trouve moyen de lever tous les scrupules et qu'elle parvienne à proposer une disposition qui satisfasse tous les intérêts.
M. H. de Brouckere. - J'ai demandé la parole pour combattre la disposition, comme j'ai combattu une disposition analogue en 1842. Mais on fait appel à la conciliation, je ne suis jamais sourd à un pareil appel, j'ajourne mes observations et je suspens mon vote.
M. Muller. - Messieurs, on a parlé de transaction, je suis disposé à entrer dans cette voie. Si les observations de l'honorable M. de Muelenaere m'ont frappé, c'est en ce sens que le pouvoir déféré aux conseils a été plutôt un pouvoir comminatoire qu'un pouvoir d'application de peines. Eh bien, s'il en est ainsi, je soumets à M. le ministre de l'intérieur et à la section centrale la question de savoir si les conseils de prud'hommes ne seraient pas suffisamment armés lorsqu'on leur attribuerait le pouvoir de déférer aux juges de paix la répression de ces délits qui seraient qualités comme vous le faites dans la loi : tout fait tendant à troubler l'ordre et la discipline de l'atelier et tout manquement grave commis à l'occasion des rapports de maîtres à ouvriers,
J'attire sur ce point l'attention de la section centrale.
M. de La Coste. - Messieurs, puisque M. le ministre de l'intérieur a proposé et que la Chambre paraît être également d'avis de renvoyer à la section centrale les diverses questions dont il a parlé et entre autres celle de savoir quelles seront les communes où l'on considérera les conseils de prud'hommes comme devant exister de plein droit, je demanderai que la section centrale examine en même temps (pour que la Chambre puisse se prononcer quand la question se présentera devant elle) s'il faut comprendre parmi les communes où le conseil de prud'hommes est censé exister en vertu de la loi de 1842, celles de Louvain et de Pâturages, je pense, où il n'existe que sur le papier. Il est évident pour tout le monde que l'utilité des conseils de prud'hommes dépend en grande partie de la nature et de l'organisation du travail dans chaque localité.
Là où ils ont été établis, mais où ils n'ont jamais pu prendre racine, il est à croire que les dispositions des habitants, la nature des industries qui y existent, l'organisation de ces industries, ne rendent pas l’établissement de ces institutions nécessaire. Je pense donc, sous réserve de la discussion ultérieure, que les communes qui ont montré si peu d'empressement à établir cette institution chez elles pourraient fort bien être admises à l'épreuve à laquelle sont admises toutes celles où il n'existe pas encore de conseils. Je demanderai donc que la section centrale examine aussi cette question qui se rapporte aux deux communes dont j'ai parlé plus haut.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici, en deux mots, le système que je propose. Maintien, dans leur ressort actuel, des conseils de prud'hommes institués et qui fonctionnent, jusqu'à ce qu'ils aient été réorganisés en exécution de la loi que nous discutons. Quant aux autres conseils mentionnés dans la loi de 1842, qui ont été institués, mais qui ne fonctionnent pas, ils seront considérés comme n'existant pas, et l'on procédera à leur égard comme vis-à-vis de toutes les localités qui sont en instance pour en obtenir.
M. de La Coste, rapporteur. - S'il en est ainsi, j'abandonne mon observation.
M. Coppieters 't Wallant. - Je dois déclarer à la Chambre, pour répondre à l'appel de M. le ministre de l’intérieur, que les conseils de prud'hommes dans la Flandre occidentale et surtout celui de Bruges tiennent essentiellement à ce qu'on leur conserve la faculté de prononcer des peines disciplinaires, quand le besoin s'en fait sentir. On vous a dit que ces conseils fonctionnait parfaitement bien, qu'ils ont rendu de très grands services. Cela est vrai, messieurs, et je crois que les bons résultats qu'ils ont obtenus sont dus en grande partie à la faculté dont je parle.
Aussi, je pense qu'il serait extrêmement imprudent de la part de la Chambre de s’exposer à désorganiser des institutions qui fonctionnent bien dans certaines localités, et cela dans l'esprit très incertain de faire accepter les mêmes institutions par certaines autres localités qui hésitent à les adopter et qui semblent même n'en pas vouloir.
Il est indubitable que l'action des conseils de prud'hommes ne peut s'exercer avec quelque fruit sur la classe ouvrière (et dans nos Flandres cette classe possède malheureusement peu de ressources et par conséquent est très souvent insolvable) que lorsqu’il leur est permis, dans certaines éventualités, d'appliquer des peines disciplinaires, ou plutôt (car ils ne font guère usage de cette faculté) lorsque les justiciables savent qu'ils sont menacés de l'application de ces peines.
On vous a dit, messieurs, que ces peines n'ont été que bien rarement appliquées, et il m'a paru que quelques honorables membres ont voulu en conclure que ces peines étaient tout a fait inutiles.
J'avoue que je ne comprends pas ce raisonnement. Je concevrais qu'on voulût enlever aux conseils de prud'hommes la faculté d'appliquer des peines disciplinaires, s'il était démontré qu'on eût abusé de cette faculté ; cela serait logique. Mais loin de là, il est reconnu que l'application de peines disciplinaires a été très rare ; il n'est donc, en réalité, qu'une espèce d’épouvantail qui n'a pas peu contribué à augmenter l'influence des conseils de prud'hommes et à amener des résultats utiles qu'ils ont obtenus. Veuillez-vous rappeler que presque toutes les affaires dont ils ont été saisis se sont terminées par la voie de la conciliation.
M. de Naeyer, rapporteur. - On a concilié avec des peines.
M. Coppieters 't Wallant. - Non pas avec des peines, mais avec la faculté d'en infliger. On a concilié presque toutes les affaires, (page 889) parce que les prud'hommes ont apporté tout le dévouement possible dans l'accomplissement de leur mission ; parce qu'ils ont employé tous les moyens possibles pour faire comprendre aux justiciables qui se sont présentés devant eux qu'il était de leur intérêt, pour éviter les peines auxquelles ils étaient exposés, d'entrer en arrangement.
Voilà, messieurs, le secret de l'influence de cette faculté accordée aux conseils de prud'hommes. La preuve qu'il en est ainsi, c'est que, dans l'enquête faite en 1848, tous les conseils de prud'hommes, sans exception aucune, ont insisté pour le maintien, pour l'extension même de cette faculté. Pourquoi donc aujourd'hui, quand aucun fait n'a été produit tendant à établir qu'un mauvais usage aurait été fait de cette faculté, pourquoi vouloir l'enlever ? Cela me paraît tout à fait incompréhensible.
Les résultats sont admirables ; tout le monde est d'accord pour rendre hommage au dévouement des prud'hommes, et aujourd'hui on veut leur enlever une faculté dont ils jouissent depuis un demi-siècle et à laquelle ils tiennent essentiellement.
Je répète, messieurs, que c'est là une tentative très dangereuse et que, si la Chambre pouvait consacrer une pareille décision, on risquerait beaucoup d'anéantir les conseils de prud'hommes là où ils ont parfaitement fonctionné jusqu'aujourd'hui, et cela dans l'hypothèse très incertaine de les voir accepter par d'autres localités qui ne les connaissent pas, et qui, par cette raison même, ne les ont pas encore admis jusqu'à présent. Mais je crois, qu'avec le temps, l'institution des conseils de prud'hommes se répandra de plus en plus dans le pays, et que beaucoup de localités qui n'en ont pas voulu jusqu'à présent, finiront par les accepter également.
J'invite donc la Chambre à ne pas détruire ce qui existe aujourd'hui, et à consacrer dans la nouvelle loi la disposition qui permet aux conseils de prud'hommes d'appliquer certaines peines disciplinaires.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je ne puis admettre que les bons résultats qui ont été obtenus par les conseils de prud'hommes soient dus à cette disposition pénale. J'ai déjà fait remarquer tout à l'heure que soutenir cela, ce serait singulièrement amoindrir l'utilité de cette institution. Il ne faut pas accréditer cette idée que les nombreuses transactions dont on a parlé ont eu lieu, parce que les parties se trouvaient sous la menace d'une pénalité, par exemple d'une mise aux arrêts.
Maintenant je remarque ceci : c'est que cette disposition pénale est défendue surtout au nom de l'industrie de Bruges, qui est l'industrie des dentellières. Mais je crois que là le conseil de prud'hommes était composé exclusivement de patrons, et il était difficile qu'il en fût autrement ; car les ouvrières sont des femmes, et je ne crois pas que les femmes seront admises à prendre part aux délibérations des conseils de prud'hommes. Vous voyez donc que la position de cette industrie est tout à fait exceptionnelle. Je crois qu'il faut surtout avoir en vue les industries où les ouvriers seront représentés dans les conseils de prud'hommes sur le pied d'une parfaite égalité ; ce n'est qu'à cette condition que l'institution peut bien fonctionner, puisqu'elle a pour base le jugement par ses pairs. Or, les femmes soumises à la juridiction des patrons ne sont pas jugées par leurs pairs. C'est même une difficulté à laquelle il faudra chercher un remède lorsqu'il s'agira de réorganiser le conseil de prud'hommes de Bruges en exécution de la nouvelle loi.
M. de Muelenaere. - Comme vient de le dire mon honorable ami, M. de Naeyer, une des principales industries, à Bruges, est la fabrication de la dentelle, qui s'exerce principalement par les femmes. Mais, heureusement ce n'est pas la seule industrie que nous pratiquions. Il y en a d'autres dont les ouvriers seront appelés, en vertu de la loi, à faire partie des conseils de prud'hommes. Mais il est vrai que jusqu'à présent le conseil de prud'hommes à Bruges est composé exclusivement de patrons.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pas de tous fabricants de dentelles.
M. de Muelenaere. - Non, sans doute ; toutes les industries y sont représentées. Je crois qu'il n'y en a que deux ou trois qui représentent plus particulièrement la fabrication dentellière.
Or, les prud'hommes sont au nombre de neuf, et ils apportent tant de zèle, tant de dévouement à l'accomplissement de leurs devoirs, que généralement, à chaque convocation, le conseil est au grand complet ; les neuf membres se trouvent réunis ; ce n'est que dans des cas tout à fait exceptionnels qu'un membre manque à l'appel.
- Le renvoi des article 39, 39bis et 40 à la section centrale est prononcé.
« Art. 41. Les parties peuvent toujours, de commun accord, se présenter devant les prud'hommes pour être conciliées par eux, même sur des différends en dehors de la compétence du conseil : dans ce cas, elles sont tenues de déclarer qu'elles demandent leurs bons offices.
« Cette déclaration est signée par les intéressés, ou mention en est faite, s'ils ne savent ou ne peuvent pas signer.
« La disposition qui précède est également applicable aux contestations des chefs d'industrie entre eux. »
- Adopté.
Art. 42. Les conseils de prud'hommes connaissent des demandes de leur compétence jusqu'à 200 francs, sans appel, et, à charge d'appel, à quelque valeur que la demande puisse monter.
« Il n'y aura lieu à appel des sentences préparatoires on interlocutoires qu'après les sentences définitives et conjointement avec l'appel de ces dernières. L'exécution des sentences définitives ne portera aucun préjudice aux droits des parties quant à l'appel de ces sentences préparatoires ou interlocutoires, sans qu'elles doivent faire, à cet effet, aucune notification, ni réserve.
« L'appel est porté, soit devant le tribunal de commerce, soit devant le tribunal de première instance, selon les règles établies pour la compétence. »
M. Orts. - L'article me paraît présenter une difficulté assez sérieuse, que je signale à l'attention du gouvernement. Si elle n'a pas frappé jusqu'à présent, peut-être pourrait-elle mériter un examen nouveau en section centrale de la disposition dans sa partie finale.
L'article dit que l'appel des sentences prononcées par le conseil des prud'hommes pourra être porté soit devant les tribunaux de commerce, soit devant les tribunaux civils, selon les règles de droit commun établies pour la compétence.
Je fais une première objection à cette désignation de deux juge d'appel, dont la compétence est définie d'une manière assez vague. La loi indiquant deux juges d'appel sans donner une manière certaine de discerner celui qui sera le véritable, expose les plaideurs qui appelleront des décisions des conseils de prud'hommes à de grandes difficultés. Il n'est pas toujours facile de distinguer si une contestation appartient aux tribunaux civils ou aux tribunaux de commerce. Je ne connais pas de questions donnant lieu à plus de procès, que les questions de compétence commerciale, là où elles se combinent avec la compétence ordinaire. Vous avez donc ouvert dans votre article une source de procès difficiles, de procès sur des questions de droit qui peuvent aboutir dès lors à des pourvois en cassation. On peut toujours se pourvoir en cassation contre un jugement rendu en dernier ressort par un tribunal de commerce ou par un tribunal civil sur une question de droit.
Ne vaudrait-il pas mieux faire un choix entre ces deux juridictions d'appel ? Au moins serait-on certain que lorsqu'on appellerait d'une sentence d'un tribunal de prud'hommes, on s'adresserait nécessairement au juge compétent pour apprécier la valeur de l'appel. Les incertitudes disparaîtraient immédiatement. Cela serait plus simple, plus pratique, plus conforme à l'esprit de la loi.
Je n'ai pas même, à ce point de vue, une prédilection arrêtée pour le tribunal de commerce plutôt que pour le tribunal civil, ou pour le tribunal civil plutôt que pour le tribunal de commerce. Je désire seulement que toute incertitude disparaisse.
Cependant je dois dire que dans le cas où il conviendrait de ne pas désigner qu'un seul juge, j'inclinerais pour la juridiction d'appel déférée au tribunal civil de première instance, et voici pourquoi. Le tribunal de commerce est un tribunal de patrons. Par conséquent l'élément patron, en degré d'appel, c'est-à-dire pour les affaires les plus importantes, dominera l'élément ouvrier.
Je crois que vous introduisez des défiances contre l'exécution loyale de la loi, en déférant l'appel au tribunal de commerce. Vous déférez déjà l'application des peines en degré d'appel au tribunal civil. Rendez-le juge d'appel en toutes matières pour les prud'hommes et vous inspirerez plus de confiance, ca lie tribunal civil et au moins neutre entre l'élément patron et l'élément ouvrier.
On pourrait faire à ce système l'objection que les formes devant le tribunal civil sont plus lentes et plus coûteuses que devant les tribunaux de commerce.
L'objection est facile à lever. Il suffira de déclarer que pour le jugement de ces affaires, les tribunaux civils suivront les formes des tribunaux de commerce ; pareille décision exclura l'intervention des avoués ; on n'exigera pas davantage que les parties soient assistées d'un avocat. Les parties comparaîtront en personne, si elles le préfèrent. L'expédient que je propose n'est pas une innovation sans précédent, sans exemple.
Lorsque les tribunaux civils d'arrondissement font fonction de tribunaux de commerce, comme à Charleroi, les formes commerciales sont suivies pour l'instruction et pour le jugement des affaires. J'appelle donc l'attention du gouvernement sur cette question, qui me paraît digne aussi de la sollicitude de la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le double appel est nécessaire dans la loi, à raison même de la nature des contestations soumises au conseil de prud’hommes. Ces contestations roulent sur des intérêts commerciaux. Ces intérêts n'ont pas la même importance devant les conseils de prud'hommes, que devant les tribunaux de commerce, mais ils n'en ont pas moins ce caractère spécial qui exige chez les juges certaines connaissances qui ne sont pas nécessaires au juge civil pour l'accomplissement de ses fonctions. Il est donc naturel, messieurs, que lorsque les parties ne sont point parvenues à se mettre d'accord devant le tribunal du premier degré, la contestation soit renvoyée devant un juge ayant en quelque sorte le même genre d'aptitude que le tribunal du premier degré ; et sous ce rapport, je pense qu'il convient de maintenir l'appel devant le tribunal de commerce.
Quant à l'appel devant le tribunal civil, il faut également que la loi le maintienne, d'abord parce qu'il n'existe pas de tribunaux de commerce partout ; en second lieu, il est des questions qui se produiront à l'avenir devant le conseil de prud'hommes et pour lesquelles le tribunal de commerce ne serait pas compétent. Telles sont les questions qui se rattachent à l'industrie des mines. Les mines entrent pour la première fois dans la compétence des conseils de prud'hommes, et les tribunaux de commerce ne sont pas compétents pour juger les (page 890) contestations relatives à cette industrie. Il faut donc conserver le recours devant les tribunaux civils pour toutes les affaires qui concernent l'industrie des mines.
Voilà, messieurs, pourquoi l'on admet le double appel.
Je finirai par une observation générale.
On a introduit dans la loi beaucoup de dispositions de simple procédure, qui sont nécessaires, mais dont il sera très rarement fait usage. Nous avons pour nous les antécédents ; nous voyons comment les choses se passent ; nous voyons presque toutes les affaires conciliées, soit par le bureau de conciliation, composé de deux membres, soit par le conseil.
Les appels sont excessivement rares ; une seule affaire a été portée devant le tribunal de commerce de Bruges ; et c'est dans une circonstance tout à fait exceptionnelle : le conseil de prud'hommes s'était déclaré compétent dans une affaire entre patron et patron ; l'affaire a été portée devant le tribunal de commerce de Bruges qui, je pense, a donné raison au conseil de prud'hommes. Je crois que c'est le seul exemple d'un appel.
Je le répète donc, messieurs, il peut être utile que la marche et les formalités de la procédure soient prévues par la loi ; mais dans la pratique il en sera fait un usage extrêmement rare.
Et vraiment je désire que les conseils de prud'hommes restent ce qu'ils sont, qu'ils continuent à expédier les affaires sans frais d'éloquence ni autres frais, sans avoués, sans avocats, qu'ils continuent surtout à concilier les parties dans l'immense majorité des cas.
Voilà le caractère que nous devons conserver aux conseils de prud'hommes, et je crois que nous pouvons passer un peu rapidement sur toutes ces dispositions déjà existantes et nécessaires, mais ici sans importance pratique.
M. Van Overloop. - Je crois, messieurs, comme l'honorable M. Orts, qu'il faut déférer l'appel au juge civil. On fera ainsi pour les conseils de prud'hommes ce qui existe déjà pour les tribunaux de commerce. En effet, ce sont les juges civils qui connaissent des appels en matière commerciale. Pourquoi n'appliquerait-on pas le même principe quand il s'agit des conseils de prud'hommes ?
Remarquez, messieurs, que, par cette loi, nous étendons considérablement la compétence des conseils de prud'hommes ; il est donc très vraisemblable qu'il y aura, à l’avenir, beaucoup plus d'appels qu'il n'y en a eu jusqu'ici.
Maintenant, messieurs, je n'insiste pas, mais je ne sais pas si M. le ministre de l'intérieur ne ferait pas bien, avant de décider cette question, de l'examiner encore une fois en section centrale (Interruption.) On doit reconnaître que les questions de compétence sont des questions excessivement graves. Je crois qu'en adoptant l'opinion de l'honorable M. Orts, les complications que je crains, comme cet honorable membre, disparaîtraient ; mais je n’insiste pas. L'expérience démontrera si nos prévisions étaient justes.
M. Orts. - Messieurs, la disposition proposée sera le premier exemple dans nos lois d'une juridiction d'appel mal définie, sujette à discussion, à controverse. Aujourd'hui, pour toutes les juridictions supérieures le plaideur mécontent de la sentence rendue sait parfaitement devant quel juge il peut porter sa plainte ; ce n'est pas sans de graves motifs que le législateur a établi pareille garantie.
Pourquoi ne pas faire la même chose pour les affaires qui sont du ressort des conseils de prud'hommes ? Vous allez livrer les justiciables de ces conseils aux plus grandes difficultés ; chaque fois qu'un justiciable appellera, s’il appelle devant le tribunal civil, on prétendra que c'est devant le tribunal de commerce qu'il doit appeler et vice versa.
Les choses se passent ainsi aujourd'hui devant les tribunaux de commerce où l'on juge plus d'exceptions d'incompétence que d’autres procès.
Pourquoi ne pas lever cette incertitude ? Pourquoi ne pas donner cette facilité aux parties engagées dans les contestations dont sont saisis les conseils de prud'hommes ?
Faites attention qu'il s'agit ici de gens peu éclairés à qui vous voulez avec raison ne pas imposer la nécessite de recourir à des hommes de loi.
Je voudrais, pour ma part, que jamais ni avocat ni homme de loi n'intervînt dans des affaires déférées aux conseils de prud'hommes ; je désire que l’ouvrier n'ait à consulter d'autre guide que sa conscience et son intérêt bien entendu, Mais, du moment où plane l'incertitude sur la question de savoir à quel tribunal l'appel sera déféré, vous forcez l'ouvrier à recourir à un homme de loi.
On dit que les appels sont très bons ; ils l'ont été jusqu'à présent, et c'est un très grand bonheur. Je désire qu'il en soit toujours de même.
Mais je dirai à M. le ministre de l'intérieur que je ne crois pas à cette rareté excessive des appels dans l'avenir, avec la loi telle que nous l'avons organisée, avec l'extension de juridiction qu'elle comporte.
L'honorable M. Van Overloop vient de faire à ce sujet des observations très justes. J'ajouterai un argument. Désormais les conseils de prud'hommes auront parmi leurs justiciables des gens qui ne seront pas arrêtés par la considération qui a empêché les anciens justiciables de recourir facilement à la voie d'appel.
Vous faites juger les patrons par les conseils de prud'hommes pour manquements envers les ouvriers, et vous avez raison ; j'approuve très fort cette extension de la juridiction. Mais les patrons sont gens qui ne reculeraient pas, comme les ouvriers, devant l'éventualité des frais d'un appel. Leur amour-propre blessé fera d'eux des plaideurs impatients. Ils trouveront même là un moyen de peser sur l'élément ouvrier, contrairement au principe fondamental de la loi, un moyen de forcer l’ouvrier, par la crainte de dépenser de l'argent, à renoncer au bénéfice de la sentence qu'il a obtenue devant le conseil de prud'hommes.
C'est donc pour donner plus de garanties à l'élément ouvrier que je désire voir le tribunal d'appel clairement déterminé, voir indiquer comme tel le tribunal civil, tribunal qui ne sera pas au moins contre les ouvriers un tribunal de patrons.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - Messieurs, les inconvénients dont parle l'honorable M. Orts n'existent pas d'une manière spéciale pour les appels relatifs aux affaires décidées par les prud'hommes. Eu fait quels sont les inconvénients que l'honorable M. Orts a constatés ? Ces inconvénients, s'ils ont réellement existé, seront considérablement réduits dans l'avenir, attendu que la compétence des prud'hommes se trouve étendue.
Aujourd'hui, le conseil décidera les affaires en dernier ressort jusqu'à concurrence de 100 francs ; d'après la rédaction adoptée, ce taux est porté à 200 fr. Les appels seront donc beaucoup plus rares.
Maintenant faut-il déférer à une seule juridiction déterminée ce petit nombre d'affaires en appel ? Ce serait violer tous les principes du droit ; ce serait déférer aux tribunaux civils des affaires d'une nature commerciale et aux tribunaux de commerce des affaires d'une nature civile.
Y a-t-il des motifs suffisants pour introduire dans cette loi un principe tout nouveau ? Je ne le pense pas.
L'honorable M. Orts n'a présenté, à mon avis, aucune considération de quelque valeur, pour modifier nos principes de législation dans ce sens.
- Personne ne demandant plus la parole, l'ar.icle 42 est mis aux voix et adopté.
« Art. 43 nouveau, du projet de la section centrale, auquel le gouvernement s'est rallié). Lorsque à la demande principale il est opposé une demande reconventionnelle ou en compensation, et que chacune d'elles est susceptible d'être jugée en dernier ressort, le conseil de prud'hommes prononce sur toutes sans appel. Si l'une des demandes n'est susceptible d'être jugée qu'à charge d'appel, il ne sera prononcé sur toutes qu'en premier ressort.
- Adopté.
« Art. 44 (du projet de la section centrale, 39 du gouvernement). Les dispositions qui régissent actuellement les attributions des conseils de prud'hommes sur les livrets d'ouvriers, et en ce qui concerne les marques et les dessins de fabrique, demeureront en vigueur jusqu'à ce qu'il soit autrement statué. »
- Adopté.
« Art. 45 (du projet de la section centrale, 40 du gouvernement) . Le gouvernement peut toujours, lorsqu'il le juge convenable, de réunir les conseils de prud'hommes pour les appeler à donner leur avis sur les questions qui leur sont posées. »
- Adopté.
« Art. 46 de la section centrale, 41 du projet du gouvernement). L'appel des parties, soit devant le bureau de conciliation, soit devant le conseil, a lieu par une simple lettre du greffier, indiquant le lieu, le jour et l'heure de la comparution. Cette lettre est délivrée sans frais.
« Il y aura au moins un jour franc entre la remise de la lettre et la séance indiquée. Si le justiciable invité ne se présente pas, il est cité par huissier. »
M. H. de Brouckere. - Le délai est extrêmement court ; je demanderai qu'on donne un délai de trois jours francs.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - La section centrale voulait d'abord aussi augmenter le délai ; elle s'est cependant ralliée au projet du gouvernement parce que le délai qui est stipulé est le même que celui qui existe pour les affaires de commerce qui ont plus d'importance. D'ailleurs, le patron qui est empêché peut se faire représenter par son contre-maître ou un ouvrier, et l'ouvrier peut se faire représenter par un autre ouvrier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ferai remarquer qu'il est indispensable d'aller vite dans ce cas-ci ; si vous forcez l'ouvrier qui est en contestation avec son maître, à perdre deux ou trois jours de salaire, ce serait très grave.
M. H. de Brouckere. - Je n'insiste pas.
- L'article 46 est mis aux voix et adopté.
« Art. 47 (projet de la section centrale auquel le gouvernement s'est rallié). Cette citation indique les lieu, jour, mois et an de la comparution ; elle mentionne les noms, profession et résidence actuelle des parties, et énonce sommairement l'objet et les motifs de la demande.
- Adopté.
(page 891) « Art. 48. la citation est notifiée à la personne ou à la résidence actuelle du défendeur ; s'il ne se trouve personne à sa résidence, la copie est laissée au bourgmestre ou à l'un des échevins de la commune, qui vise l'original sans frais. Il doit y avoir un jour franc au moins entre celui ou la citation a été donnée et le jour indiqué pour la comparution, si la partie réside dans le rayon de trois myriamètres ; si elle réside au-delà, le délai est augmenté d'un jour par trois myriamètres.
- Adopté.
« Art. 48bis (de la section centrale). Dans les cas urgents, le président donnera une cédule pour abréger les délais et pourra permettre d'appeler ou de citer les parties, même dans le jour et à l'heure indiqués. »
- M. Van Overloop avait présenté un amendement, il s'est rallié à cette rédaction de la section centrale.
- L'article 48bis est mis aux voix et adopté.
« Art. 49. Dans le cas où les délais n'auraient pas été observés, si le défendeur ne comparaît point, les prud'hommes ordonneront une nouvelle citation ; les frais de la première citation seront à la charge du demandeur. »
M. le président. - M. Van Overloop avait proposé un amendement à cet article, il l'a retiré en section centrale.
- L'article 49 est mis aux voix et adopté.
« Art. 50. Le président a la police de l'audience. Les parties sont tenues de s'exprimer avec modération, et de garder en tout le respect qui est dû à la justice ; si elles y manquent, le président les rappelle à l'ordre d'abord par un avertissement ; en cas de récidive, elles peuvent être condamnées à une amende qui n'excédera pas la somme de 10 francs, avec affiche du jugement dans la localité où siège le conseil.
« Dans le cas d'insulte ou d'irrévérence grave, les prud'hommes en dressent procès-verbal, et peuvent condamner celui qui s'en est rendu coupable, à un emprisonnement de trois jours au plus. »
M. le président. - Un amendement proposé à cet article, par M. Van Overloop, a été retiré.
- L'article 50 est mis aux voix et adopté.
« Art. 51. Les sentences rendues en vertu de l'article qui précède sont exécutoires par provision. »
- Adopté.
La section centrale avait adopté la rédaction proposée par le gouvernement, mais après nouvel examen, elle a proposé la rédaction suivante :
« Art. 52. Lorsque à l'audience, l'un ou plusieurs des assistants donnent des signes publics, soit d'approbation, soit d'improbation, ou excitent du tumulte de quelque manière que ce soit, le président les fait expulser ; s'ils résistent à ses ordres ou s'ils rentrent, il les fait arrêter et conduire à la maison d'arrêt : il est fait mention de cet ordre dans le procès-verbal, et, sur l'exhibition qui en sera faite au gardien de la maison d'arrêt, les perturbateurs y seront reçus et retenus pendant 24 heures.
« Lorsque le tumulte a été accompagné d'injures ou de voies de fait, donnant lieu à l'application ultérieure de peines de simple police, ces peines peuvent être prononcées séance tenante, et immédiatement après que les faits ont été constatés ; quand il s'agit d'un crime ou d'un délit commis à l'audience, le président, après avoir fait arrêter le délinquant, et après avoir dressé procès-verbal des faits, envoie ces pièces et le prévenu devant les juges compétents.
« Les sentences prononcées en vertu du présent article ne sont point sujettes à appel. »
Deux amendements avaient été proposés à cet article, l'un par M. Lelièvre qui l'a retiré en section centrale, et un autre par M. Van Overloop qui consistait à remplacer la disposition par les articles 89, 91 et 92 du Code de procédure. Cet amendement a également été retiré.
- L'article 52, proposé par la section centrale, est mis aux voix et adopté.
« Art. 53 (nouvelle rédaction de la section centrale). Lorsque l'une des parties déclare vouloir s'inscrire en faux, dénie l'écriture ou déclare ne pas la reconnaître, le président parafe les pièces, le conseil donne acte de la déclaration et renvoie la cause devant les juges compétents.
« Néanmoins, si la pièce n'est relative qu'à un des chefs de la demande, il pourra être passé outre au jugement des autres chefs. »
Il y avait un amendement de M. Van Overloop qui proposait de remplacer la disposition par l'article 427 de la procédure en matière commerciale.
M. Van Overloop. - La nouvelle rédaction de la section centrale atteignant le but que je me proposais par mon amendement, je m'y suis rallié.
- L'article 53 est mis aux voix et adopté.
« Art. 54. Dans les cas urgents, le conseil ou le bureau de conciliation peuvent prescrire telles mesures qu'ils jugent nécessaires, à l'effet d'empêcher que les objets donnant lieu à une réclamation ne soient enlevés, déplacés ou détériorés. »
- Adopté.
« Art. 55. Le conseil ou le bureau de conciliation peuvent commettre un ou plusieurs prud'hommes à l'effet de se transporter sur les lieux pour y vérifier les faits allégués et entendre des témoins s'il y a lieu ; dans ce cas, le greffier accompagnera les commissaires et dressera, le cas échéant, procès-verbal de l'enquête. »
- Adopté.
« Art. 56. Si les parties sont contraires en faits de nature à être constatés par témoins, et dont le conseil de prud'hommes trouve la vérification utile et admissible, il ordonnera la preuve et en fixera précisément l'objet. (Article 34, code de procédure). »
- Adopté.
« Art. 57. Au jour indiqué, les témoins, après avoir dit leurs noms, profession, âge et demeure, feront le serment de dire la vérité, et déclareront s'ils sont parents ou alliés des parties et à quel degré, et s'ils sont leurs serviteurs ou domestiques. (Article 35, code de procédure).
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces articles sont la reproduction du Code de procédure, mais il est inutile d'en faire la mention dans la loi.
M. Vander Stichelen, rapporteur. - Cette mention n'a été faite dans le texte du rapport que pour l'information des membres de la Chambre ; elle ne figurera pas dans la loi.
- L'article 57 est mis aux voix et adopté.
« Art. 58. Ils seront entendus séparément, en présence des parties, si elles comparaissent ; elles seront tenues de fournir leurs reproches avant la déposition, et de les signer ; si elles ne le savent ou ne le peuvent, il en sera fait mention : les reproches ne pourront être reçus, après la déposition commencée, qu'autant qu'ils seront justifiés par écrit. (Article 36, Code de procédure.) »
- Adopté.
« Art. 59. Les parties n'interrompront point les témoins ; après la déposition, le président pourra, sur la réquisition des parties et même d'office, faire aux témoins les interpellations convenables. (Article 37, Code de procédure.) »
- Adopté.
« Art. 60. Dans les causes sujettes à l'appel, le greffier dressera procès-verbal de l'audition des témoins ; cet acte contiendra leurs noms, âge, profession et demeure, leur serment de dire la vérité, leur déclaration s'ils sont parents, alliés, serviteurs ou domestiques des parties, et les reproches qui auraient été fournis contre eux. Lecture de ce procès-verbal sera faite à chaque témoin pour la partie qui le concerne ; il signera sa déposition, ou mention sera faite qu'il ne sait ou ne peut signer. Le procès-verbal sera, en outre, signé par le président et le greffier. Il sera procédé immédiatement au jugement ou au plus tard a la première réunion. (Article 39, Code de procédure). »
- Adopté.
« Art. 61. Dans les causes de nature à être jugées en dernier ressert, il ne sera point dressé de procès-verbal ; mais la sentence énoncera les noms, âge, profession et demeure des témoins, leur serment, leur déclaration s'ils sont parents, alliés, serviteurs ou domestiques des parties, les reproches et les résultats des dépositions. (Article 40, Code de procédure.)
- Adopté.
« Art. 62 (53 du gouvernement). Les membres des conseils de prud'hommes pourront être récusés :
« 1° Quand ils auront intérêt personnel à la contestation ;
« 2° Quand ils seront parents ou alliés d'uni des parties, jusqu'au degré de cousin germain inclusivement ;
« 3° Si, dans l'année qui a précédé la récusation, il y a eu procès criminel entre eux et l'une des parties, ou son conjoint, ou ses parents ou alliés en ligne directe ;
« 4° S'il y a procès civil existant entre eux et l'une des parties ou son conjoints.
« 5° S'ils ont donné un avis écrit dans l'affaire.
« 6° Quand ils tout patrons ou ouvriers de l'une des parties en cause. »
M. le président. - M. David a proposé d'ajouter à cet article un paragraphe ainsi conçu :
« Si un chef d'industrie siège avec son ouvrier ; l'un des deux peut être récusé par l'une des parties en cause. •
- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 62 est mis aux voix et adopté.
« Art. 63. La partie qui voudra récuser un membre du conseil sera tenue de former la récusation et d'en exposer les motifs par un acte qu'elle fera signifier par huissier au greffier du conseil, qui visera l'original. (Article 45 du Code de procédure.)
« Le membre récusé sera tenu de donner au bas de cet acte, dans le délai de deux jours sa déclaration par écrit portant ou son acquiescement à la récusation ou son refus de s'abstenir, avec ses réponses aux moyens de récusation. (Article 46, Code de procédure.)
- Adopté.
« Art. 64. Dans les trois jours de la réponse du membre qui refusera de s'abstenir, ou faute par lui de répondre, expédition de l'acte de récusation et de la déclaration du membre, s'il y en a, sera envoyée par le greffier, sur la réquisition de la partie la plus diligente, au procureur du roi près le tribunal de première instance dans le ressort duquel le conseil de prud'hommes est situé. La récusation y sera jugée en dernier ressort sur les conclusions du procureur du roi, sans qu'il soit besoin d'appeler les parties. (Article 47, Code de procédure).
(page 892) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le Code de procédure détermine, je crois, le délai dans lequel la récusation doit être jugée. Il porte que la récusation sera jugée en dernier ressort dans la huitaine. Il conviendrait donc d'ajouter ces mots ; « dans la huitaine », à cette phrase : « la récusation y sera jugée en dernier ressort, etc. »
- Cette proposition est adoptée. L'article ainsi complété est adopté.
« Art. 65. Tout membre d'un conseil de prud'hommes qui saura cause de récusation en sa personne, sera tenu de la déclarer au conseil, qui décidera s'il doit s'abstenir. (Article 380, Code de procédure.)
- Adopté.
« Art. 66 (54 du gouvernement). Si, au jour indique par la citation, l'une des parties ne comparaît pas, la cause sera jugée par défaut, sauf la réassignation dans le cas prévu dans l'article... »
- Adopté.
« Art. 67 (55 du gouvernement). La partie condamnée par défaut peut former opposition dans la huitaine de l’assignation faite par huissier.
« Cette opposition contiendra sommairement les moyens de la partie et assignation an premier jour de séance, en observant toutefois les délais prescrits pour les citations, elle indiquera en même temps le lieu, le jour et l'heure de la comparution, et sera notifiée ainsi qu'il est déterminé ci-dessus. »
- Adopté.
« Art. 68 (56 du gouvernement). Si le conseil de prud'hommes sait que le défendeur n'a pu avoir connaissance de la citation, il peut, en adjugeant le défaut, fixer pour le délai de l'opposition, le temps qui lui paraîtra convenable ; et, dans le cas où la prorogation n'aurait été ni accordée d'office ni demandée, le défaillant pourra être relevé de la rigueur du délai et admis à l'opposition, en justifiant qu'à raison d'absence ou de maladie grave, il n'a pu être informé de la citation. »
- Adopté.
« Art. 69 (57 du gouvernement). La partie opposante qui se laissera juger une seconde fois par défaut, n'est plus admise à former une nouvelle opposition. »
- Adopté.
« Art. 70 (58 du gouvernement). L'exécution provisoire des sentences peut être ordonnée, avec ou sans caution, jusqu'à concurrence de 200 francs. Au-dessus de 200 francs, ces sentences sont exécutoires par provision, moyennant caution.
- Adopté.
« Art. 71 (59 du gouvernement). Les minutes de toute sentence sont portées par le greffier sur la feuille d'audience et signées par le président et le greffier.
« La rédaction des sentences contiendra les noms des prud'hommes, les noms, professions et demeures des parties, ainsi que l'exposé sommaire de la demande, de la défense, les motifs et le dispositif.
- Adopté.
Par suite des amendements de M. Van Overloop et de M. Lelièvre, la section centrale a proposé une nouvelle rédaction ainsi conçue :
« Art. 72 (60 du gouvernement). Les sentences prononcées par le conseil de prud'hommes sont signifiées à la partie qui a succombé. Les expéditions des sentences sont revêtues de la forme exécutoire.
« Ces sentences peuvent être mises à exécution 24 heures après la signification.
« Ne sera pas recevable l'appel des jugements mal à propos qualifiés en premier ressort, ou qui, étant en dernier ressort, n'auraient pas été qualifiés. Seront sujets à l'appel les jugements qualifiés en dernier ressort, s'ils ont statué, soit sur des questions de compétence, soit sur des matières dont le conseil de prud'hommes ne pouvait connaître qu'en premier ressort. Néanmoins, si le conseil s'est déclaré compétent, l'appel ne pourra être interjeté qu'après la décision définitive et conjointement avec l’appel de ce jugement.
« L'appel des jugements des conseils de prud'hommes ne sera pas recevable après les quarante jours qui suivront la signification. »
M. Vander Stichelen. - L'honorable M. Lelièvre avait proposé par amendement de supprimer de la rédaction de la section centrale les mots : « ou qu'après un jugement interlocutoire ». M. le président a tenu compte de cet amendement, auquel s'est rallié la section centrale ; dans la lecture qu'il vient de faire de l'article ; il n'a pas reproduit ces mots.
La section centrale avait d'abord proposé la disposition suivante dont l'honorable M. Lelièvre avait demandé la suppression : « Les jugements par défaut qui n'ont pas été exécutés dans le délai de six mois, sont réputés non avenus ; »
Mais la section centrale est revenue sur sa décision et ne propose plus cet article. Elle ne le propose plus parce qu'en vérifiant les choses de plus près, elle s'est aperçue que cet article était emprunté à la procédure devant les tribunaux de première instance, tandis que dans toute cette loi nous suivons la procédure des justices de paix. Dans la procédure devant les justices de paix, cette péremption au bout de six mois d'un jugement par défaut d'exécution, n'existe pas. Nous croyons qu'il n'y a pas ici de motifs pour introduire une disposition qui n'existe pas dans la procédure devant les juges de paix.
M. de Muelenaere. - J'avais demandé la parole pour présenter la même observation que l'honorable rapporteur de la section centrale. Je crois d'abord qu'il n'y a aucune nécessité de déclarer que les jugements seront périmés par un laps de six mois, d'autant plus que toute la procédure que nous suivons ici, est empruntée, comme l'a dit l'honorable rapporteur, à la procédure des justices de paix.
Indépendamment de cela, je crois que cette disposition aurait des inconvenants et des inconvénients assez graves pour les ouvriers. Dans la pratique, un grand nombre de ces jugements ne sont ni levés, ni signifiés, ni exécutés.
Lorsque le patron a obtenu son jugement régulièrement, il intervient une espèce de réconciliation tacite ou expresse, entre le patron et l’ouvrier. Le jugement est prononcé, il n'est pas levé, il n'est pas exécuté, le patron conserve une espèce d'autorité sur l'ouvrier en vertu du jugement qui reste là en suspens.
Si vous exigez impérieuse tient que le jugement soit, sous peine de péremption, exécuté dans le délai de six mois, vous exposerez l’ouvrier à des tracasseries inutiles, et le patron lui-même probablement à des frais frustratoires, parce qu'il ne pourra pas les récupérer sur l'ouvrier.
Je ne vois donc à cela aucun avantage et j'y vois certains inconvénients. A ce point de vue, je pense, avec M. le rapporteur de la section centrale, qu'il vaut mieux ne pas insérer cette disposition dans le projet.
- L'article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - M. Van Overloop, qui avait proposé un amendement à l'article 73, s'est rallié à la rédaction nouvelle, présentée par la section centrale et ainsi conçue :
« Art. 73 (61 du gouvernement). Les sentences qui ne sont pas définitives ne sont point expédiées quand elles ont été rendues contradictoirement et prononcées en présence des parties.
« Dans le cas où la sentence, prononcée comme il est dit ci-dessus, ordonnera une opération à laquelle les parties devront assister, elle indiquera le lieu, le jour et l'heure, et la prononciation vaudra citation.
« Si le jugement ordonne une opération par des gens de l'art, le président du conseil de prud'hommes délivrera à la partie requérante cédule de citation pour appeler les experts, si ceux-ci refusent de comparaître volontairement ; cette cédule fera mention du lieu, du jour et de l'heure, et contiendra le fait, les motifs et la disposition du jugement relatif à l'opération ordonnée.
« Si le jugement ordonne une enquête, la cédule de citation fera mention de la date du jugement, du lieu, du jour et de l'heure. »
- Adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
La section centrale devant se réunir lundi pour l'examen des amendements, la Chambre fixe cette prochaine séance à mardi.
M. Van Iseghem dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi relatif au traité de commerce et de navigation avec la république de Venezuela.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.
La séance est levée à 4 heures.