(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1857-1858)
(page 337) (Présidence de M. Verhaegen.)
M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance précédente. La rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées la Chambre.
« Des habitants de Wemmel demandent la réforme de la loi sur la milice, dans le sens des enrôlements volontaires.
« Par vingt-sept pétitions, des habitants de Neeroeteren, Ocquier, Lembecq, Herent, Anvers, Beco, Lebbeke, Quiévrain, Jandrain, Houthalen, Staevele, Laroche, Comblain-au-Pont, Grâce-Berleur, Minerie, la Clyte, Walet-la-Chaussée, Membach, Hoorebeke-Saint-Comeille, Verviers, Sauvenière, Rhode-Saint-Pierre. Saint-Nicolas, Poelcappelle, Overboulaere, Schoore et Cortemarcq font la même demande. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Crepin présente des observations sur les faits articulés contre des membres de la commission administrative de la fondation Jacques à Rochefort. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Mahud demande qu'il soit accordé une gratification de cent francs à tous les employés du gouvernement, appartenant à l'instruction et dont le traitement est inférieur à mille francs. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Andennes demandent qu'on fasse cesser les travaux exécutés dans cette commune pour découvrir des minerais. »
- Même renvoi.
« D'anciens volontaires de la compagnie courtraisienne demandent une récompense nationale. •
- Même renvoi.
« Des habitants de Frasnes-lez-Buissenal demandent qu'il soit fait des réparations à la tour de l'église de cette commune. >
- Même renvoi.
« Le sieur Huygh, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une augmentation de pension ou un secours. »
- Même renvoi.
« Les administrations communales et des habitants de Baillœul, Pecq et Esquelmes prient la Chambre de donner cours légal à la monnaie d'or de France. »
« Même demande de fabricants et commerçants à Tournai, Templeuve et Thielt. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles et de la banlieue prient la Chambre de ne pas donner suite aux demandes relatives à la réforme de la loi sur la milice. »
- Même renvoi.
« Le sieur Gérard propose de rendre l'enseignement primaire obligatoire, de s'occuper de la réforme douanière et d'organiser l'enseignement laïque des femmes. » .
- Même renvoi.
« Des meuniers et huiliers à Anseghem demandent la réduction du droit de patente auquel ils sont assujettis. »
« Même demande de meuniers et huiliers à Thielt. »
- Même renvoi.
« Le sieur J.-A.-J. Lacroix, sergent au 6e régiment de ligne, prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »
- Renvoi la commission des naturalisation».
« Le sieur P. F. D'hondt, ouvrier à Houthem, né à Hondschoote (France), demande la naturalisation ordinaire et réclame l’interventîon de la Chambre, pour que le bureau de bienfaisance de Houthem continue à le secourir. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« M. le gouverneur de la Banque nationale fait parvenir à la Chambre 120 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement, pendant l'année 1557. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. le président (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la Belgique vient de faire une perte bien sensible, je dirai irréparable, dans la personne de notre bien-aimé collègue, l'honorable M. Delfosse. Notre ancien président a succombé hier à sept heures du matin, à la suite d'une attaque d'apoplexie. Sa veuve éplorée, messieurs, vient de nous annoncer officiellement ce grand malheur en ces termes :
« Monsieur le président,
« J'ai la douleur de vous faire part de la perte immense que je viens d'éprouver dans la personne de mon cher époux, M. Auguste Delfosse, officier de l'Ordre de Léopold, ministre d'Etat, membre de la Chambre des représentants, décédé subitement aujourd'hui à sept heures du matin.
« L'absoute, suivie de l'enterrement, aura lieu le mercredi 24 février, à 3 heures de relevé. On se réunira à la maison mortuaire.
« Veuillez, M. le président, agréer l'assurance de ma considération la plus distinguée.
« Liège, le 22 février 1858.
« Ve Delfosse. »
Je suppose que la Chambre chargera le bureau d'adresser une lettre de condoléance à Mme veuve Delfosse ? (Oui! oui !).
Ensuite nous aurons d'autres mesures à prendre en nous rappelant que notre ami a été président de cette assemblée.
M. de Renesse. - Messieurs, ce n'est pas sans une vive émotion que je prends la parole pour faira une proposition à la Chambre.
Par la mort si prématurée de notre honorable ancien président, collègue et ami, M. Delfosse, le pays perd l'un des hommes politiques les plus estimés de la représentation nationale qui, par sa longue et si utile carrière parlementaire, laisse les plus honorables souvenirs.
Delfosse, par sa haute intelligence des affaires publiques, par sa grande probité politique, par son attache tient sincère à nos institutions constitutionnelles, et à la dynastie justement vénérée, que la Belgique s'est librement donnée, a su mériter l'estime, la considération de tous ; aussi pendant ses quelques années de présidence, il s'est toujours distingué par sa grande impartialité, par son désir de donner une bonne direction aux débats de la Chambre, et lorsqu'il a cru devoir donner sa démission de président, de toute part on lui a témoigne le regret de cette résolution.
Lorsque la Chambre, le pays, perdant un pareil homme de bien, aussi modeste que sans ambition personnelle, il faut que l'on témoigne publiquement la part très sensible que la Chambre prend à un si triste événement.
J'ai donc l'honneur de proposer qu'une députation de six membres, y compris l'un de MM. les présidents, soient délégués par la Chambre, pour assister à Liège, demain mercredi, à 3 heures de relevée, à l'enterrement de notre honorable et digne ancien président.
M. B. Dumortier. - Messieurs, je viens appuyer de toutes mes forces la proposition do mon honorable ami M. de Renesse. Siégeant sur des bancs opposés à ceux de l'honorable et si regretté défunt, je crois que vous me permettrez de rappeler en quelles mots les services que notre ami et digne collègue a rendus au pays.
Ainsi que vient de le dire l'honorable préopinant, M. Delfosse a été parmi nous un exemple de zèle dans l’exercice de ses fonctions, d'assiduité parlementaire, de désintéressement, de dévouement à la chose publique et d'amour pour la patrie. Ce peu de mots renfermant un bien grand éloge, mais cet éloge est bien certainement mérité.
Dans les circonstances les plus difficiles où le pays a pu se trouver, la voix de Delfosse se faisait entendre, cette voix avait un grand et noble retentissement dans le pays.
Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler ces paroles qu'il prononça dans une occasion bien solennelle, et qui contribuèrent beaucoup au maintien de notre indépendance, par le juste retentissement qu'elles eurent dans le pays : « Si la liberté doit faire le tour de l'Europe, elle n'a pas besoin de passer par la Belgique. »
L'homme qui prononça ces nobles paroles dans de telles circonstances, alors que la Belgique était menacée par l'esprit de désordre qui fit le tour de l'Europe, est digne de nos plus vils regrets, comme il a toujours en une large place dans nos sympathies.
En me ralliant donc à la proposition de mon honorable ami, M. de Renesse, je prendrai la confiance de demander à la Chambre qu'elle n'ait pas de séance demain.
L’état de ma santé ne me permettra probablement pas de me rendre à Liège, mais je crois savoir que beaucoup de nos honorables collègues désirent pouvoir payer un dernier hommage à cet excellent ami ; il faut que chacun de nous puisse remplir ce devoir de cœur envers notre infortuné collègue. (Oui ! oui !) je demande donc que la Chambre ne siège pas demain. C’est un hommage que nous rendrons à notre digne et excellent collègue, à notre ancien président que nous avons tous aimé et dont la mémoire nous sera toujours chère. (Adhésion générale.)
M. le président. - Ainsi on est d’accord pour n'avoir pas de séance demain, et pour charger une députation de 6 membres, tirée au sort, d'assister aux obsèques de notre honorable et si regretté collègue ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je désire savoir si avec la députation d'autres membres se proposent de se rendra à Liège pour assister à cette triste cérémonie. Dans ce cas, il serait convenable que le gouvernement mît à leur disposition un convoi spécial pour les conduire et les ramener, comme on l'a fait pour le Sénat dans une circonstance semblable.
Si la députation seule devait se rendre à Liège, il ne serait pas nécessaire d'organiser un convoi spécial.
(page 338) M. le président. - Une députation de six membres va être tirée au sort et ceux de mes honorables collègues qui voudront se joindre à la députation pourront se faire inscrire près de M. le greffier.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le convoi spécial devrait partir de Bruxelles à 11 heures 45 pour arrivera Liège à 2 heures, à 2 heures 15. Pour le retour, le départ de Liège aurait lieu à 7 heures du soir pour arriver à Bruxelles à 9 heures et demie.
M. le président. - Je vais tirer au sort la députation qui devra assister aux obsèques de notre regretté collègue M. Delfosse.
Le sort désigne M. Lesoinne.
M. Lesoinne. - Tous les députés de Liège se proposant d'assister aux obsèques de leur collègue, je vous prie de ne pas me comprendre dans la députation.
M. le président. - Nous passerons outre.
Les membres désignés par le sort sont MM. Dumortier Henri, d'Hoffschmidt, Pirson, Coppieters ’t Wallant, Moncheur, E. Vandenpeereboom.
La députation sera présidée par le président de la Chambre.
Il n'y aura pas de séance demain.
M. Jouret. - Dans la séance de samedi dernier, la Chambre s'était montrée favorable à la demande que j'avais faite d'être admis à développer la proposition de loi que d'honorables collègues et moi avons formulée, quand M. le ministre de l'intérieur ayant manifesté le désir qu'il ne fût pas apporté de retard à la discussion du budget de la guerre, j'ai, pour donner satisfaction à ce désir, annoncé l'intention de n'entrer dans ces développements qu'hier lundi. La Chambre l'avait décidé ainsi ; mais plus tard mon honorable ami M. Dolez a demandé que la Chambre s'ajournât à aujourd'hui mardi. J'espère maintenant que la Chambre maintiendra sa résolution première et qu'elle voudra bien entendre aujourd'hui mes développements.
Je fais surtout cette demande parce que, pour donner aux travaux de la Chambre un ordre rationnel et logique, il est indispensable que ces développements soient connus et imprimés avant la discussion d'un autre objet qui est également à l’ordre du jour; je veux parler de la réduction des péages sur le canal de Charleroi.
Ces deux objets ont une corrélation intime, et mes développements appuient les conclusions de la commission de l'industrie, d'une manière toute spéciale, bien qu'elle s'en écarte sur un point essentiel. Je demande donc que la Chambre veuille bien entendre immédiatement les développements de notre proposition de loi.
- Plusieurs membres. - A jeudi !
M. Lelièvre. - Il me semble que l'honorable M. Jouret pourrait se borner à faire imprimer les développements de sa proposition de loi.
M. Jouret. - Cela ne serait pas conforme aux précédents. Et je crois qu'il est de mon devoir de donner ces développements à la Chambre.
Je demande, pour tout concilier, que ces développements soient mis à l'ordre du jour après la discussion du projet de loi sur le Code pénal.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - M. le ministre de la justice se rallie-t-il aux amendements de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, M. le président, sauf, toutefois, que je proposerai un léger changement de rédaction à l'article 6. Ce n'est qu'un simple changement de rédaction.
M. le président. - La discussion peut donc s'ouvrir sur le projet de la section centrale ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, M. le président.
M. Moncheur. - Messieurs, avant de m'expliquer sur la loi elle-même qui est en discussion, je crois utile de constater ici quelques faits relatifs à la manière dont la Chambre s'en trouve saisie.
Ce projet, qui punit spécialement Jes attentats et les complots contre la personne et l'autorité des souverains étrangers, ainsi que les outrages et les voies de fait envers les agents diplomatiques, ne forme qu’un des chapitres (et c'est le chapitre V) du livre II du projet de Code pénal, qui avait été proposé à la législature au mois d'avril dernier par M. Nothomb, alors ministre de la justice.
L'arrêté royal ordonnant la ptésentation de ce projet porte la date du 30 mars 1857.
La dissolution de la Chambre ayant fait tomber ce projet, l'honorable ministre actuel l'a repris et l'a représenté à la Chambre nouvelle absolument dans les mêmes termes que l'avait fait son prédécesseur.
Ainsi, ce chapitre V, intitulé : Des crimes cl délits qui portent atteinte aux relations internationales, chapitre qui est soumis aujourd'hui à vos délibérations comme loi spéciale, ce n'est qu'un extrait du projet de Code pénal dont la Chambre dissoute avait été saisie, il y a près d’un an, par le précèdent ministère.
Les dispositions de ce chapitre ont, du reste, été élaborées de même que toutes les autres du livre II par une commission composée de magistrats distingués et de professeurs des universités de l'Etat.
Le savant M. Haus, l'un d'eux, a été le rapporteur de ce projet.
Messieurs, j'ai cru que ces faits étaient, à plusieurs égards, importants à constater.
Ils prouvent, notamment, que si un récent et horrible attentat a démontré la solidarité qui existe entre toutes nations, en ce qui touche la nécessité de réprimer des faits de ce genre, le gouvernement belge n'avait pas, quant à lui, attendu un événement aussi détestable pour considérer les dispositions répressives dont il s'agit, comme reposant sur les principes vrais, justes et absolus du droit criminel et du droit des gens.
Nous pouvons donc, messieurs, nous devons même discuter cette question avec une parfaite liberté d'esprit et sans préoccupation aucune, due à des circonstances qui, dans un autre pays, pèsent si fortement sur une discussion analogue.
Nous devons être d'autant plus libres, messieurs, que M. le ministre de la justice, interpellé dans le sein de la commission spéciale sur le point de savoir si le gouvernement belge avait reçu quelque communication du gouvernement de l'empereur des Français relativement à ce qui fait l'objet du projet de loi, a déclaré qu'aucune communication semblable n'avait été faite au ministère. Il ajouta que les dispositions pénales qu'il avait présentées pour la répression des crimes et délits portant atteinte aux relations internationales, il les avait présentées comme une chose bonne, juste et utile en elle-même.
Je ne doute pas que M. le ministre ne renouvelle ici, pour le pays tout entier, cette déclaration.
Quant à moi, je puis déclarer sincèrement que j'accepte la loi proposée, comme une loi juste dans son principe et qu'elle a, par conséquent, à mes yeux, une autre raison d'être que celle de l'utilité et l'opportunité.
D'ailleurs, l'utilité et l'intérêt ne suffisent point comme base d'une loi pénale.
Considérer comme une base suffisante l'intérêt du droit de punir, ce serait tomber dans le système utilitaire, système que je réprouve.
« La justice humaine, comme le dit le célèbre Rossi, ni dérive pas d'un principe matériel. »
Donc, lorsque le législateur veut écrire une loi pénale, il doit se demander d'abord s'il a le droit de l'écrire, et ce droit il ne le puise que dans l'injustice même de l'action qu'il punit.
Or, l'attentat et les complots contre la vie, la personne ou l'autorité des souverains étrangers, les offenses, les outrages, les menaces oa les voies de fait contre ces souverains ou leurs représentants sont des actions essentiellement injustes dans l'ordre moral et au point de vue social.
« L'existence sociale, dit encore Rossi, n'est pas seulement un droit de l'homme, elle est un devoir. »
Ne pas consolider, ne pas améliorer le système social autant qu'il est possible, c'est donc manquer à une loi morale de la nature humaine.
Ainsi, l'homme qui essaye d'arrêter ou de troubler l'ordre social est injuste essentiellement envers ses semblables.
« La société, ajoute encore Rossi, est un fait complexe. Elle est le produit de trois éléments constitutifs, d'une réunion d'hommes qui en forment la base, d'un ordre qui en fixe les lois, d'un pouvoir ou d'une autorité qui la protège.
« Celui qui attente à ce pouvoir, à cette autorité, attente par cela même à l'existence du corps social. Il veut lui enlever les moyens d'exister d'une manière paisible et régulière, il viole son devoir et commet un acte injuste et punissable. »
Vous serez tous frappés, messieurs, de la profonde vérité de ces paroles du grand criminaliste.
Le législateur a donc le droit de punir ces actes injustes et criminels de leur nature et s'il en a le droit, il en a le devoir.
Ce qui précède, messieurs, justifie la loi, quant au fond. Mais en outre, de cette manière d'envisager la question du fond, découle la solution d'une autre question, qui se présente dans cette discussion, celle de savoir, si, dans le cas d'offense envers le chef d'un gouvernement étranger, l'action de la justice ne peut être mise en mouvement, que par la plainte de ce souverain lui-même.
Or, la négative ressort évidemment des prémisses que nous venons de poser, car l'accomplissement, en Belgique, d’un devoir ne peut pas dépendre de la volonté du souverain étranger. Le gouvernement belge doit rester juge de l'opportunité ou de la nécessité de réprimer des actes qui blessent le corps social en général et qui portent atteinte à la chose publique. C'est donc le droit commun qui doit être observe dans cette matière, c'est à-dire la faculté de poursuivre d’office.
Aussi, la commission des magistrats a-t-elle été unanime sur ce point. Si, en 1852, une grande majorité de la Chambre a adopté l’obligation de la plainte, c'est parce que cette mesure était présentée par le gouvernement, comme un atténuement à la loi qui était déjà trop vivement combattue alors, et cela afin d'obtenir une majorité assez respectablc.
Messieurs, la commission des magistrats, et, après elle, MM. les ministres Nothomb et Tesch avaient jugé utile de refondre la loi du 20 décembre 1852 dans le chapitre V, qui forme la loi aujourd’hui en discussion.
Cette loi du 20 décembre 1852 est, comme vous savez, celle qui punit les offenses envers les chefs des gouvernements étrangers et qui a été l'objet d'une si vive opposition dans cette enceinte.
(page 339) Mais la commission spéciale de la Chambre a cru devoir éliminer du présent projet les deux articles de celte loi de 1852, parce que, dit le rapport de la section centrale, il était inutile d’en soumettre les prescriptions à un nouveau débat, tandis que le véritable motif a été de mettre plus à l’aise les anciens opposants à la loi du 20 décembre 1852.
Comme membre de la commission spéciale, je n'ai pas cru devoir m'opposer à cette marche. La chose m'était fort indifférente puisque j'ai voté pour la loi du 20 décembre 1852, mais je regrette que l'ensemble de la loi soit ainsi rompu, par l'absence de dispositions qui devraient en faire partie intégrante; et il est fâcheux qu'il faille recourir à deux textes différents pour connaître la législation sur la même matière.
Et je le regrette d'autant plus, que le but qu'on s'est proposé ne sera point atteint, puisque la loi du 20 décembre 1852 va recevoir, de quelque manière qu'on s'y prenne, une consécration nouvelle par la loi qui va être adoptée.
En effet, puisque nous allons abroger l'article 3 de la loi dite Faider, article qui exigeait la plainte du souverain étranger pour que des poursuites pussent être exercées en Belgique, il est bien clair que si les articles i1et 2, qui forment la loi tout entière et qui punissent les offertes commises par la voie de la presse contre les chefs de gouvernements étrangers, si, dis-je, ces deux articles déplaisaient à la nouvelle majorité, elle aurait une excellente occasion à les abroger également.
Au reste, des conversions nombreuses ont eu lieu depuis 1852, aussi je ne doute pas et je dirai même que j'espère que la loi que l'on nous propose sera adoptée à une très grande majorité.
Quant à moi, je lui donne mon assentiment, parce que, comme je l'ai dit, je la crois juste avant même de la croire utile et opportune.
M. Pierre. - Ce n'est point au moment où je m'estime heureux de voir le gouvernement de notre pays en des mains amies, que je voudrais contribuer à jeter, en travers de la marche d'un pouvoir qui a toutes mes sympathies politiques et dans lequel j'ai toute confiance, sous ce même rapport, des difficultés, des obstacles, des embarras. La situation revêt un assez haut degré de gravité, qui commande à chacun de nous la prudence, la réserve, la circonspection. Il résulte de là, pour la discussion actuelle, des limites dont je me garderai attentivement, le plus possible, de sortir et de m’écarter.
C'est vous dire, messieurs, que mon intention n'est point de me livrer, ici, à la discussion approfondie du projet de loi qui nous est soumis maintenant, non plus que des considérations de dignité nationale qui se rattachent, plus ou moins directement, à la présentation du projet.
Je me bornerai à motiver, brièvement, le vote que je suis appelé à émettre sur ce projet et je regarde ceci comme un devoir impérieux auquel je ne puis me soustraire sans faillir à la tâche, car mon vote d'aujourd'hui, s'il était donné sans être accompagné d'aucune explication, pourrait, du moins en apparence, quoique non pas an fond, impliquer une contradiction susceptible d'être traitée d'injustifiable, puisqu'elle ne serait point justifiée, avec le vote que j'ai cru devoir émettre sur le projet de loi de 1852.
Des jurisconsultes éclairés et compétents prétendent et soutiennent, du reste avec raison et fondement, que la loi de 1852, en excluant la poursuite d'office, constituait une exception ou dérogation au droit commun, tandis que le projet de loi actuel, au contraire, en consacrant la poursuite d'office, nous fait rentrer, en l'espèce, dans la règle du droit commun.
Je pourrais, à la rigueur, m'appuyer exclusivement sur cette considération de strict droit, pour motiver suffisamment mon vote d'aujourd'hui ; mais il est d'autres raisons qui, pour moi, ont été d'un ordre beaucoup plus élevé. Evidemment, la haute politique domine beaucoup plus le projet de loi dont nous avons à nous occuper, qu'une question de droit commun proprement dit. Ce qui vient de se passer dans le parlement d'un grand pays voisin nous le dirait assez, s'il nous avait été possible d'en douter un seul instant Disons-le donc, et pourquoi ne le dirions-nous pas, puisque chacun le sait? La loi de 1852 et le projet de loi actuel sont issus de circonstances dont il n'est point possible de méconnaître le caractère essentiellement anormal et accidentel; leur origine est commune et néfaste.
Cela étant, et il en est ainsi à toute évidence, il faut, pour être à même de juger sainement, d'une manière impartiale et en parfaite connaissance de cause, le vote émis en 1852, se reporter, par la pensée, aux circonstances qui ont amené la présentation du projet de loi de !852, ce qu'il importe à chaque appréciation de faire, pour sa gouverrne, comme pour juger sainement, d'une manière impartiale et en parfaite connaissance de cause, le vote que nous sommes appelés aujourd'hui à émettre, il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles nous nous trouvons.
Or, pour apprécier sainement, d'une manière impartiale et en parfaite connaissance de cause, le vote de 1852 et le vote d'aujourd'hui ou d'après-demain peut-être, il faut, sans conteste, comme je viens de le dire et comme je le répète, faire le rapprochement des circonstances des deux époques ou périodes qui sont complétement, absolument, radicalement, différentes et distinctes l'une de l'autre.
Je n'entrerai point, ici, dans un développement plus étendu, plus catégorique, plus précis de ces circonstances, qui dépasserait les limites dans lesquelles je reste scrupuleusement circonscrit, car, s'il est exact de dire que la lumière physique a ses ménagements pour arriver à nos faibles et débiles organes, il n'est, assurément, pas moins vrai de dire que la lumière de l'ordre moral, qui est la vérité, a aussi ses ménagements et doit souvent se revêtir d'un voile pour parvenir à son but providentiel ; et ne sommes-nous pas, précisément, dans le cas que je détermine ? C'est pourquoi je laisserai le champ libre à chaque appréciateur, séparément et en particulier, afin qu'il puisse faire, par devers lui et suivant qu'il l'entendra, le rapprochement que je me contente d'indiquer, à titre de simple mode d'appréciation.
Néanmoins, je ne puis ne dispenser de dire que, selon moi, il résulte, sans aucun doute, du rapprochement des deux époques ou périodes qui nous occupent, que les circonstances de l'une diffèrent complétement, absolument, radicalement, des circonstances de l'autre, au point que ces deux époques ou périodes sont séparées par une ligne tranchée de distinction.
J'insiste, de la manière la plus expresse, la plus formelle, la plus instante, sur ce point qui domine tout le débit auquel nous assistons. Il ne m'est point difficile de démontrer combien est logique et rationnel le mode d'appréciation que je propose de suivre. En effet, n'est-il pas logique et rationnel que le vote sur une loi de circonstances peut et doit se modifier conformément aux circonstances qui sont la source, l'origine, la raison d'être de cette loi ? Or il est, selon moi, incontestable, évident, avéré, que ce principe, non moins incontestable en lui-même, constitue la règle à laquelle nous devons nous soumettre, dans ce cas-ci, tout particulier. Ai-je besoin d'ajouter que si cnus nous retrouvions dans la situation de 1852, mon vote d'alors serait encore mon vote d'aujourd'hui?
C'est par cette raison, appliquée en sens inverse dans le fait, quoique restant logiquement identique en principe, que mon vote d aujourd'hui ne sera plus le même que mon vote de 1852, puisque les circonstances du temps respectif de chaque époque ou période, dont il s'agit, qui sont le motif, la base, la justification de ces deux votes, sont devenues entièrement divergentes et distinctes l'une de l'autre.
Ce n'est point, messieurs, que les circonstances, dont je viens de parler à l'instant, tout en modifiant mon vote, ainsi qu'elles se sont modifiées elles-mêmes, me causent la moindre inquiétude, la moindre crainte, laâ moindre préoccupation sur l'avenir réservé à notre chère et belle patrie, non plus que sur l'avenir réservé aux autres pays, avenir auquel nous ne pouvons, sans un égoïsme inqualifiable, autant que sans la plus maladroite imprévoyance, demeurer indifférents, car le sort d'un pays subit, toujours, plus au moins, l'influence du sort des autres pays, et surtout de proche en proche.
C'est encore, précisément, le cas dans lequel nous nous trouvons, en ce moment, comme j'ai dit, tout à l'heure, qu'il en était de même, pour l'application d'un autre raisonnement. Or, dût-on m'adresser le reproche immérité de me créer, à plaisir, de riantes illusions, conformes à mes désirs, puisqu'il y a, chez l'homme, une propension naturelle à prendre ses désirs pour la réalité, dût-on me croire, en ceci, passagèrement, bien entendu, quoique sans raison légitime, en dehors de la vérité, dût-on même me qualifier, à la légère et inconsidérément, d'optimiste, je n'hésite point de répéter ce que j'ai dit, antérieurement, plusieurs fois, j'ai pleine et entière confiance dans l'avenir du libéralisme, car, je le soutiens et le déclare, avec bonheur, sans aucune arrière-pensée, le libéralisme est l'instrument ou moyen providentiel de la régénération que l'humanité appelle de ses vœux les plus vifs, les plus ardents, les plus incessants, depuis tant d'années, sans néanmoins, s'en former une idée, je ne dirai pas exacte, mais approchant quelque peu de la réalité à atteindre, gradationnellement. Ne devons-nous point nous féliciter, tous, sans exception, d'être entrés, enfin, aussi heureusement et d'une façon aussi inespérée, dans la voie nouvelle de l'accomplissement de ces vœux dont le comble sera de beaucoup dépassé assurément.
N'oublions pas que les progrès immenses de la civilisation ont été, pour nous, moralement parlant, le véritable et puissant levier d'Archimède. N'est-ce point vous dire, messieurs, qu'en présence de telles considérations, dont la certitude est radicale et absolue, je me garde, avec soin, de me préoccuper, péniblement, des circonstances d'opposition, dont d'autres se plaignent, souffrent et gémissent amèrement, non point que je ne sois profondément, touché, attendri, ému de ces plaintes, de ces souffrances, de ces gémissements, mais je comprends que cette manière d'être est inhérente à l'humanité et je considère ceci comme étant les douleurs de l'enfantement du genre humain, pris dans son ensemble et non pas envisagé individuellement ou homme par homme.
Je ne perds pas davantage de vue que la nuit précède le jour, comme, dans la création, les ténèbres ont précédé la lumière dans l'ordre physique, et je conclus de là, par analogie, que la même règle a présidé et préside à l'ordre moral, puisque des faits irrécusables et nombreux me fournissant une preuve éclatante de cette grande vérité et attestent sa certitude, malgré qu'elle ait été incomprise jusqu'ici, il faut bien le constater, car cela est ainsi.
C'est pourquoi je dis que les circonstances d'opposition dont il s'agit touchent à leur terme, leur cessation est là, imminente, et faudrait-il s'étonner de la voir commencer avant que l'astre du jour se soit vingt fois levé et couché, depuis l'apogée de la belle et magnifique saison du plus prochain printemps, à partir d'une journée similaire de celle-ci, vers la partie médiane ? Et je me hâte de le dire, quoi que nous soyons un peuple petit par le nombre, l'œil de la vigilance et l'attention générale de l’Europe sont ouvertes sur nous en ce moment, car cette journée remarquée par la solennelle discussion actuelle, restera l’une des plus mémorables entre celles consignées déjà en nos annales parlementaires.
(page 340) C'est par le motif préindiqué que j'appellerai le printemps dont je viens de parler, le printemps de la liberté, puisque, pour plusieurs pays, c'est du sein fécond de ce printemps que doit éclore et éclore réellement la liberté, grand signal du réveil des peuples, auxquels était, providentiellement, réservée l'ère nouvelle, déjà commencée, de prospérité, de bonheur, de transformation tout au moins morale. Pourquoi, conséquemment, me préoccuperais-je péniblement des circonstances d'opposition qui ont amené la présentation du projet de loi en discussion, si je les regarde pour ce qu'elles sont en elles-mêmes et en faisant abstraction de mes sympathies non équivoques pour leurs victimes, puisque le caractère essentiellement anomal, passager, accidentel de ces circonstances nous permet, assurément, d'espérer leur cessation aussi prompte, aussi rapprochée de nous, à aussi bref délai, en un mot, pour me servir d'une expression de palais, que je l'ai dit tout à l'heure.
Du reste, la lumière de l'ordre moral, éclairant les hommes, à travers les bienfaits vivifiants de la civilisation et de l'instruction à tous les degrés, fait, chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, son chemin, par la voie de l'extension, quelque peu lente, sans aucun doute, mais progressive, gradationnelle, non intermittente.
Si quelques-uns me faisaient des objections, en tout ceci, je trouverais, aussitôt et très facilement, la justification de ce que j'avance, dans l'histoire de l’humanité elle-même, et, sans sortir du passé de celle-ci, un arsenal inexpugnable, au milieu duquel les plus nombreux arguments basés sur des faits pertinents et incontestables, abondent el abonderont, de plus en plus, à toute profusion, me procurerait des armes irrésistibles et victorieuse*s à l'avance, car, en style oriental, riche de brillantes figures de rhétorique, on ne se contenterait pas de qualifier d'inexpugnable cet arsenal, et pour compléter le véritable sens de ces deux mots : Arsenal inexpugnable, on ajouterait, avec empressement non moins qu'avec une bien légitime fierté, ceux-ci : d'où pendent mille boucliers.
Qu'il me suffise donc de faire remarquer que l'humanité, tout en paraissant avoir, d'intervalles à intervalles, des temps d'arrêt et de halte dans sa marche en avant vers le progrès, ne s'arrête cependant jamais, pas même quand elle semble reculer vers les temps écoulés et déjà loin en arrière; elle marche incessamment et sans solution de continuité ascendante, dans la voie du progrès ouverte devant elle et éclairée par la puissante boussole de la raison.
J'ai, de nouveau, l'occasion opportune de dire, aujourd'hui, ce que je disais, dans cette enceinte, lors de la discussion importante du projet d'adresse, au commencement de la session dernière, dite officiellement de 1856 à 1857. Or, voici ce que je disais à cette époque : « Ces derniers temps ne sont point favorables au libéralisme. Je ne me fais, assurément, sur ce fait aucune illusion. Le grand parti, auquel j'ai l'honneur d'appartenir, saura attendre, avec calme, patience, dignité, des temps meilleurs que je crois très prochains. Quoi qu’il arrive, il ne perdra pas de vue que, parfois, le navigateur touche, à l'improviste, au port, alors que d'épais nuages pouvaient lui faire supposer qu'il était encore éloigné de celui-ci. » N'est-il point patent et manifeste, messieurs, que les faits ont été en concordance irréprochable et parfaite, sous tous les rapports et à tous égards, avec ces paroles, empreintes du sceau de la vérité ?
Personne ne pourrait, raisonnablement, ni même avec l'ombre du moindre fondement, le nier ou la contester, puisque c'est véritablement et effectivement ainsi que le libéralisme a, tout récemment, triomphé dans notre pays ; or, c'est précisément ainsi que le libéralisme triomphera, également, dans plusieurs autres pays, aussi prochainement que je viens de le dire. Telle est ma conviction intime, profonde, inébranlable.
Au surplus, au fond et quant au jeu des événements, en lui seul, il n’y a là rien de fort étonnant, attendu que, comme nous le savons, par la logique ordinaire et normale des faits, l'action est le résultat naturel et régulier de la réaction et vice versa. C'est pourquoi je m'estime heureux de répéter ce que j'ai dit, précédemment, concernant notre pays, puisque cela est, aujourd'hui, devenu applicable à divers autres pays qui espèrent, maintenant, non sans la meilleure des raisons, comme nous l'espérions alors, voir triompher, chez eux, respectivement les principes libéraux.
De ce qui précède, il conste péremptoirement, je pense, que je me dégage de toute préoccupation des circonstances d'opposition et que j'envisage le projet de loi uniquement pour ce qu'il est en lui-même.
Certes, je ne voudrais pas exposer la Belgique à boire au ruisseau, en dessous de celui qui boita la source, et, pour agir de la sorte, n'ai-je pas une excellente raison ? Or, cette excellente raison, je la puise dans l'enseignement moral et exemplaire d'une fable célèbre, que nous avons tous apprise, dans notre jeune âge, et dont nous avons conservé bon souvenir.
Je n'ai pas l'intention de rechercher si le projet de loi nous est plus ou moins directement imposé par une pression quelconque, venant de l'étranger ; je préfère rester dans un certain doute, quelque faible qu'il puisse être, sur la question de savoir si, oui ou non, il y a pression du dehors exercée sur nous, à ce sujet, et, si, oui ou non, on est allé au-delà des bornes de la persuasion.
D'un autre côté, quoi qu'en disent des hommes éclaires et versés dans la jurisprudence, je ne me dissimule pas les inconvénients graves auxquels pourrait donne lieu la poursuite d'office.
Somme toute et pour des motifs, encore, qu'une prudente et sage réserve me commande de taire actuellement, je suis loin de professer, à l'endroit du projet de loi, des sympathies bien caractérisées, tant s'en faut. Il est vrai que ce projet, en passant à l'état de loi, servira très peu de temps, comme venant en aide à ce que j'appellerai l'antithèse du libéralisme, afin que mes paroles soient aussi irréprochables au point de vue de la modération qu'elles le sont au point de vue de la vérité. La loi sera donc en fait, pour ainsi dire morte-née, puisque vis-à-vis de gouvernements libres et constitutionnels son action n'aura plus guère de raison d'être. Toutefois, afin que l'on ne se méprenne pas sur la portée du vote affirmatif que je suis disposé à émettre, je déclare hautement et sans détour, que ce sera, de ma part, un vote de résignation patriotique et nationale.
M. Lelièvre, rapporteur. - Le principe qui sert de base au projet n'est contesté par personne ; je crois donc pouvoir me dispenser de prendre la parole dans la discussion générale. Ce sera seulement lors de l'examen particulier de l'article 13 qu'il sera question de discuter le système concernant la poursuite d'office. Je me réserve alors de répondre aux objections qui pourraient se produire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois, dès maintenant, devoir répondre quelques mots et au discours de l’honorable M. Pierre et à l'appel que m'a fait en quelque sorte notre honorable collègue M. Moncheur.
Messieurs, le projet qui vous est soumis n'est le résultat d'aucune pression.
Le projet que nous discutons ne sera, s'il est admis, ni une loi politique, ni une loi de circonstance.
Cette loi est destinée à prévenir, d'une manière permanente, toute atteinte à un principe du droit des gens qui n'est pas contesté. Elle est destinée à garantir d'une manière permanente les bonnes relations que le pays a le plus grand intérêt à entretenir avec toutes les puissances étrangères.
La preuve la meilleure que je puisse donner que ce n'est ni une loi politique ni une loi de circonstance, ce sont les faits mêmes qui déjà ont été rappelés par l'honorable M. Moncheur. Il y a plusieurs années déjà qu'une commission a été nommée pour examiner les réformes qu'il y avait lieu d'apporter au Code pénal.
Cette commission a été choisie en dehors de toute prévention politique; elle a été choisie en dehors de toute prédilection de parti. Elle a été composée de juristes étrangers aux luttes politiques, de magistrats et de professeurs de nos universités.
Le projet qui vous a été présenté, est l'œuvre exclusive de cette commission, et l'on peut dire qu'aucun homme politique n'y a en quelque sorte touché.
En effet, M. le ministre Nothomb, mon prédécesseur, déclare textuellement dans l'exposé des motifs de ce projet : « Le gouvernement adopte toutes les propositions de la commission et vous les présente, messieurs, en forme de projet de loi avec le rapport à l'appui qui y est annexé. »
Ainsi les préoccupations politiques sont restées étrangères aux dispositions que vous avez à discuter en ce moment, et je demande, du reste, comment sérieusement on peut regarder soit comme le résultat d'une pression étrangère, soit comme le résultat des circonstances politiques actuelles, un projet élaboré à une époque où les circonstances dont on parle n'existaient pas et que certainement personne ne pouvait prévoir. Les faits résistent donc de la manière la plus évidente et la plus manifeste à toute idée que le projet soumis aujourd'hui soit le résultat des circonstances ou d'une pression quelconque de l'étranger.
Du reste, je répète ce que j'ai dit à la commission : il n'a été adressé au gouvernement ni demande verbale ni demande par écrit pour qu'il soit apporté la moindre modification à notre législation. Je parle du gouvernement actuel. Je ne sais pas ce qui peut avoir été fait auparavant ; mais dans tons les cas, je n'en ai trouvé aucune trace. De sorte que je suis fondé à dire que de même qu'à l'intérieur l'esprit de parti est resté étranger au projet, de même de l'extérieur aucune pression n'a eu lieu.
Il y a plus, en ce qui concerne la poursuite d'office, point que j'aurai probablement lieu de traiter encore tantôt, la question a été examinée à une époque très éloignée déjà. Elle a été examinée en 1840 par une commission dont je pense, l’honorable M. Malou faisait partie.
M. Malou. - J’en étais secrétaire.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable ministre de la justice de l'époque, M. Leclercq, la présidai t; des conseillers de la cour de cassation, MM. Crutzen, Paquet, Van Hoegarden, Fernelmont en faisaient partie et admettaient le système de la poursuite d'office tel qu'il est admis aujourd'hui par le projet de loi. Je déclare, messieurs, que je regarde ce système comme étant le plus conforme aux principes de nos lois et que si j'avais eu à présenter ce projet n'importe à quelle époque, et en dehors de toute circonstance politique, je l'aurais présenté comme je le présente aujourd'hui.
M. Savart. - Je suis disposé à adopter le projet de loi qui nous est présenté.
Cependant, dans les circonstances graves où nous nous trouvons, je désire motiver mon vote.
Il est un principe sur lequel il ne se manifestera, je pense, aucune divergence d'opinions dans cette assemblée. C'est que ce qui est crime, suivant les lois naturelles, ne doit être protégé et toléré nulle part. C'est (page 341) que l'assassinat, l'empoisonnement ne doivent nulle part être couverts du privilège de l'impunité.
C'est que notre pays ne doit pas être une officine ouverte aux préparateurs de poison, aux fabricants de machines infernales, alors que les poisons et les engins meurtriers sont disposés pour amener la réussite des forfaits les plus odieux.
Il est encore un second point sur lequel les Belges sages et prudents seront d'accord.
C'est qu'il ne peut être licite, par ce qu'on réside en Belgique, de diffamer d'injurier, d'outrager, de léser, d'attaquer les souverains étrangers et par cette conduite méchante ou inconsidérée, d'exposer la Belgique au mauvais vouloir, aux fâcheuses représailles, aux hostilités des pays voisins.
La Belgique ne peut souffrir qu'il soit porté impunément préjudice aux puissances placées vis-à-vis d'elle comme alliées, comme amies ou comme neutres.
Au gouvernement belge incombe l'obligation de sauvegarder l'Etat de tout péril, que ce péril soit amené ou provoqué par des Belges ou des étrangers.
Celui qui nous compromet doit être puni, abstraction faite de la personne qui commet l'action compromettante, et de celle contre qui elle est commise.
Déjà la Belgique a pris l'initiative de ce que j'appellerai le droit nouveau ; par la loi du 30 décembre 1856, nous avons modifié l'article 7 du code d'instruction criminelle.
D'après cet article 7, il paraissait que les tribunaux belges n'avaient pas juridiction pour punir en Belgique un crime commis par un Belge à l'étranger contre un étranger.
Au moins l’a-t-on décidé ainsi pour les Français en France en présence du texte du code d'instruction criminelle.
Nous avons voulu, nous, que la loi belge suivît le Belge partout, même hors du cercle du territoire, que le Belge soit moral sur tous les points du globe.
D'après les changements introduits, le Belge qui commet un crime ou délit prévu par la loi du 1er octobre 1833 à l'étranger contre un étranger, est justiciable des tribunaux belges et puni en Belgique. Cette loi du 1er octobre 1833 renferme presque toute la catégorie des crimes et délits ; nous avons donc protégé le simple individu étranger, même au sein de son propre pays, contre le préjudice que pourraient lui causer les crimes ou les délits d'un Belge. Pouvons-nous faire moins pour les souverains que nous n'avons fait pour les simples particuliers ? Pouvons-nous faire moins, alors que les crimes et délits sont préparés chez nous, et que les délits ou les crimes s'aggravent et prennent de plus grandes proportion*?
Nous avons encore pris l'initiative du droit nouveau dans le traité conclu avec la France le 22 septembre 1856. L'article premier porte : « Ne sera réputé délit politique ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne d'un souverain étranger lorsque cet attentat constitue le fait de meurtre, d'assassinat, d'empoisonnement. » Cette clause fera probablement, dans un temps donné, partie intégrante de tous les traités.
L'extradition des assassins ne pourra plus être refusée sous prétexte que les assassins, sont, non de simples homicides, mais des régicides.
La facilité, la rapidité, la multiplicité des communications établiront la réciprocité des lois et une espèce de solidarité européenne. Un droit des gens nouveau sera substitué à l'ancien. L'Angleterre tardera peut-être un instant à s'engager dans la voie nouvelle ; elle tient fortement à ses anciennes coutumes ; sa position est d'ailleurs exceptionnelle. Les mers qui l'entourent l'isolent des autres nations. Mais le temps n'est déjà plus où l'Angleterre recevait, conservait les proscrits dans le but de pouvoir s'en servir contre certaines puissances rivales du continent ; le temps n'est plus où l'on comparait l'Angleterre à l'antre d'Eole ; les tempêtes y étaient enchaînées, mais on pouvait les déchaîner et leur ordonner de souffler le ravage sur les pays désignés comme leur proie. Le temps brise bien des résistances, et l'Angleterre finira par entrer dans la législation générale, dans le concert européen. Déjà l'Italie nous vient ; à Turin le gouvernement propose une législation qui a une analogie frappante avec la nôtre. Il est prêt à luire pour tous, le jour où le droit des gens reconnaîtra et consacrera les principes de la justice universelle. Pour nous, Belges, ce jour a lui ; ces principes, nous les avons reconnus et nous les appliquons dans nos traités, dans nos lois. Les articles 1, 2, 3 de la loi soumise les consacrent, et viennent combler une lacune dans notre législation. L'article 4 qui définit le complot et l'article 5 qui aide à le découvrir ne me paraissent susceptibles d'aucune critique.
Les articles 6 et 7 ne sont que la répétition des articles 175 et 176 du Code pénal ; ils accordent aux agents diplomatiques étrangers une protection qui leur est due puisqu'ils représentent leurs souverains. Ils les assimilent à nos propres magistrats et fonctionnaires.
L'article 8 e3t également la reproduction de l'article 177, et l'article 9, celle de l'article 178 du Code.
L'article 10 est une initiation éventuelle qui doit recevoir notre approbation. L'article 11 est la répétition des articles 4 et 5 de la loi de 1852. Plus tard ces articles devront disparaître du Code pénal et faire partie intégrante du Code d'instruction criminelle, le Code d'instruction criminelle traitant du mode de procéder et des prescriptions.
L'article 12 met à l’abri des dispositions de la loi belge lorsque ce crime a été poursuivi et contradictoirement jugé à l'étranger ; on a cherché à éviter l'éventualité de la coexistence de deux jugements contradictoires.
L'article 13 et dernier est le seul de nature à ouvrir carrière aux plus graves discussions.
On a voulu changer la loi de 1852.
Tel était le but, tel est le résultat.
Dès lors, il me paraissait rationnel d'introduire ce changement dans la loi de 1852.
On voulait la poursuite d'office, on pouvait ajouter le mot office à l'article 3.
Pas n'était nécessaire d'insérer l'importante modification dans une loi de 1858.
C'est là une complication inutile.
Ces renvois d'une loi à une autre ne font qu'embrouiller notre droit pénal.
L'article 3 aurait porté : La poursuite aura lieu d'office ou sur la demande du représentant du souverain, etc.
L'article 13 et dernier est de nature à ouvrir la carrière aux plus graves discussions.
Par l'abrogation de l'article 3 de la loi du 20 décembre 1852, les procureurs du roi sont autorisés à poursuivre d'office les crimes et délits contre les souverains étrangers et leurs représentants.
Les poursuites pour offenses contre les gouvernements étrangers ne peuvent être commencées aujourd'hui que sur la plainte des gouvernements qui se croient lésés.
Dans la loi de 1852, nous avons suivi la loi du 28 septembre 1816, qui admet la plainte ou la réclamation officielle des gouvernements étrangers et nous avons imité la loi française de 1819 qui porte :
« Art. 3. Dans le cas de délit contre la personne des souverains étrangers la poursuite n'a lieu que sur la plainte ou requête du souverain ou chef du gouvernement étranger qui se croit lésé. »
Contrairement à la pensée de M. Nothomb premier, M. Faidier a pris pour modèle la loi des 19 et 26 mai 1819 qui régit la France.
Et dans un premier rapport on appuyait vivement ce système, système qui est combattu aujourd'hui avec non moins de vivacité dans un second rapport que nous avons sous les yeux.
En 1852, on faisait remarquer que la poursuite était subordonnée à la plainte des gouvernements étrangers qui ne s'exposeraient certainement pas à un échec, réservé indubitablement à une action dénuée de fondement.
On repoussait la poursuite d'office, non seulement au nom des intérêts de la presse, mais au nom même de l'intérêt des puissances. Le rapport s'exprimait ainsi :
« La section centrale a pensé que l'on ne pouvait autoriser la poursuite d'office sans plainte préalable du gouvernement étranger ; celui-ci doit rester juge exclusif de l'opportunité et du fondement de la poursuite. C'est à lui qu'il appartient d'en apprécier les conséquences, et par suite de décider s'il y a lieu de l'exercer. Son intérêt exige qu'il en soit ainsi et une disposition contraire donnerait lieu à de graves inconvénients.
Ce langage est très explicite.
M. Faider repoussait aussi la poursuite d'office, en ces termes :
L'article 8 de la loi du 6 avril 1847 (sur les offenses envers le Roi des Belges et les membres de la Famille royale) porte que les poursuites auront lieu d'office. Cette disposition convenable, lorsqu'il s'agit des attaques contre les institutions de notre pays, pouvait ne pas être sans inconvénient, lorsque les offenses ont pour objet un gouvernement étranger. Si, dans le premier cas, nous pouvons apprécier la nécessité et l'opportunité des poursuites, nous ne pouvons, dans le second, nous substituer au gouvernement lésé et entreprendre de le venger d offenses que souvent il croirait devoir dédaigner.
Il a donc paru préférable de conserver ici le principe de la loi de 1816, qui exige la plainte préalable : ce principe est, d'ailleurs, celui qui a prévalu dans la législation étrangère. Ces arguments ont leur poids et leur mérite.
Mais ils peuvent être fortement combattus par des raisons puissantes.
Et malgré les lois qui se sont succédé en 1816, 1819 et 1852, tant en France qu'en Belgique, je croyais en 1852, et je persiste à croire, que la poursuite d'office a son utilité et son efficacité.
Je ne me dissimule pas cependant que la presse aura la vie plus dure et plus difficile, qu'elle devra se montrer plus circonspecte et plus prudente.
Certes si on laissait aux procureurs du roi le pouvoir de poursuivre tout ce qui leur paraîtra offense contre un souverain étranger, il est à craindre qu'un zèle ardent ne les pousse à pressurer les écrits pour en faire sortir des délits.
Certains esprits ombrageux pourraient même craindre (crainte que je n'ai pas pour ma part, car j'estime profondément nos magistrats), que l'espoir d'obtenir de tels ou tels souverains une récompense honorifique ne surexcite l'activité des parquets.
Ce danger peut-être imaginaire a son remède. Les ministres dans lesquels nous avons placé notre confiance peuvent enjoindre aux officiers du ministère public de ne commencer aucune poursuite sans autorisation ministérielle préalable, et j'ai des raisons de penser qu'en matière de presse, il existe de pareilles instructions depuis longtemps.
(page 342) Les officiers du parquet n'étant pas inamovibles devront se soumettre à cette règle générale.
D'ailleurs la responsabilité de toutes les poursuites remontera aux ministres. Le fait de leurs subdélégués amovibles, des procureurs du roi, sera le fait des ministres.
Ils sont enlacés dans la solidarité de toutes les mesures qui seront prises.
Aujourd'hui, quand un souverain étranger se plaint, l'affaire fondée ou non doit être nécessairement intentée et la responsabilité ne repose sur personne.
Le jugement par jury est aussi une sérieuse garantie. Lors même que la loi présenterait en fait certains inconvénients, ces inconvénients pèseront légèrement dans la balance, si l’on considère les dangers éventuels dont elle nous préserve.
A part même les raisons politiques, qui de haut dominent la question, on peut soutenir avec succès que d'après les principes du droit et de la raison la poursuite d'office doit être admise.
1° Celui qui injurie, offense, outrage un souverain étranger reconnu par le souverain belge, manque de respect au souverain belge lui-même. Le souverain belge doit avoir le droit de faire châtier ce manque de respect.
Celui qui agit ainsi viole un acte international qui a été posé ; il appartient à la Belgique de ne pas laisser voiler cet acte impunément. L'offenseur d'un souverain étranger affaiblit, dénoue ou brise les liens d'amitié et de cordialité que la diplomatie s'efforce de nouer.
Il met en péril et l'intérêt public et l'intérêt privé des Belges qui voyagent ou résident en pays étranger. Il expose le pays à des hostilités et les voyageurs souvent à ne plus trouver l'aide et la protection convenables.
La Belgique doit avoir le droit de préservation et de conservation pour tous ses sujets, au dedans et au dehors.
Elle ne peut laisser pérorer leur position, elle ne peut rester désarmée et impuissante vis-à-vis di péril qu'on lui fait courir ou du préjudice qu'elle essaie sous prétexte qu'il n'y a pas de plainte du gouvernement étranger.
Si l'étranger ne se plaint pas parce qu'à son point de vue il ne croit pas les poursuites indispensables, le gouvernement belge, qui apprécie les choses au point de vue belge, peut avoir des raisons pour croire les poursuites efficaces et la punition utile.
L'étranger, qui est le meilleur juge de ses convenances à lui, n'est pas le meilleur juge de nos convenances à nous.
Il est, d'ailleurs, des circonstances où un souverain étranger, sensiblement blessé, croirait abaisser sa dignité en déposant une plainte et conserverait au fond du cœur le souvenir de l'injure et le désir de la vengeance.
Ce désir caché ne ferait que grandir et croître, et le moment de sa vengeance arrivé, l'explosion serait en raison de la compression.
C'est là surtout ce que nous devons éviter. Nous devons deviner les pensées cachées, deviner les passions qui grondent dans l’âme, et avec tact appliquer au coupable une juste punition qui apaisera le souverain blessé en secret dans son amour-propre.
Le ministre belge ne peut rester muet et impassible en présence de faits qu'il sait lui être préjudiciables.
11 y a imprudence à se dépouiller d'un attribut de la souveraineté.
Il y a imprudence de subordonner son droit de poursuite au bon plaisir d'un étranger.
Cette abdication d'un pouvoir que je regarde comme précieux, utile, indispensable, n'a pas mon approbation. Ce serait un acte d'imprévoyance auquel je ne prêterai pas les mains.
Dans mon opinion, l'étranger a le droit de se plaindre, et alors à nous de poursuivre.
Mais à nous le droit de poursuivre, lors même que l'étranger ne se plaint pas, si nous jugeons nos intérêts mis en péril, compromis ou lésés.
Quant à moi je voterai la loi qui nous est présentée, parce qu'elle sauvegarde nos droits, en même temps qu'elle garantit les souverains étrangers.
Je regarde cette loi comme l'accomplissement d'un grand devoir international, comme l'acquittement d'une dette que nous avons contractée le jour où nous avons été admis dans la grande famille européenne, le jour où nous avons reçu le baptême diplomatique.
M. Lelièvre. - L'honorable M. Savart demande pour quel motif la commission a énoncé l'article 13, tel qu'il est conçu dans le projet. Mais les motifs qui servent de base à cette disposition découlent du discours de l'honorable membre. La loi du 20 décembre 1852 portait que la poursuite n'aurait lieu que sur la plainte préalable du chef du gouvernement étranger.
C'était là une exception au droit commun. Or, comme nous voulons aujourd'hui sanctionner le retour aux principes généraux, nous devons abroger la disposition qui énonçait l'exception.
Par conséquent, l'article 13 du projet est la conséquence nécessaire du caractère exceptionnel qu'avait l'article 3 de la loi du 20 décembre 1852.
Tels sont les motifs de l'article dont nous nous occupons actuellement. J'aborderai maintenant l'examen de l'article lui-même.
La commission n’a pas hésité à admettre le principe de la poursuite d'office qui lui a paru fondée sur des arguments sérieux qui ne peuvent être contestés avec fondement.
D'abord la poursuite d'office est la règle générale en matière pénale. Tous les crimes, tous les délits, toutes les contraventions, les faits même qui ne sont réprimés que par une légère amende, sont soumis à la poursuite d'office.
Je demande à quel titre on établirait une exception en ce qui concerne les offenses envers les souverains étrangers,
Oui, qu'on ne se le dissimule pas, l'ordre de choses auquel nous résistons serait exceptionnel et en voulez-vous une preuve évidente ? C'est qu'en cas de silence sur le mode de poursuite, c'est la poursuite d'office qui prévaut, comme conforme aux règles générales du Code d'instruction criminelle.
Aussi, dans la loi que nous discutons, nous n'énonçons pas le principe de la poursuite d'office, nous nous bornons à abroger l'article 3 de la loi du 20 décembre 1852, exigeant la plainte ; en un mot, nous faisons disparaître la disposition exceptionnelle, et cette abrogation fait revivre de plein droit la loi commune, sans que nous devions sanctionner cette conséquence par un article formel.
À mon avis, il n'existe aucun motif plausible justifiant dans l'espèce une exception.
Aussi nos contradicteurs n'ont-ils par aucun moyen juridique justifié le régime qu'ils prétendent établir contrairement aux principes qui servent de base à l'exercice de l'action publique.
Mais, messieurs, la poursuite laissée à la volonté des gouvernements étrangers serait une véritable anomalie dans la législation. Pourquoi ? Parce que le caractère des faits prévus par la loi du 20 décembre 1852 résiste à semblable système. Il s'agit de délits contre la chose publique, de délits commis envers la société belge, comme le disait fort bien le législateur de 1810.
Les faits dont il s'agit sont réprimés dans un intérêt national, parce qu'en troublant les relations amicales de la Belgique avec les gouvernements étrangers, ils portent préjudice aux intérêts belges. Comment, dès lors, admettre qu'il dépendrait de la volonté des souverains des Etats voisins de paralyser une poursuite qui doit être introduite pour sauvegarder nos intérêts matériels, pour protéger le sentiment moral dont nous ne pouvons tolérer le froissement sur notre territoire ?
Dans toute notre législation, il n'existe pas un seul délit contre la chose publique qui ne soit soumis à la poursuite d'office. Introduire notre système dans le cas qui nous occupe, c'est donc violer tous les principes qui servent de base à notre législation pénale.
C'est, du reste, constituer un gouvernement maître d'arrêter une poursuite qui concerne les intérêts de notre patrie, qu'il appartient à administration nationale de sauvegarder.
Mais, messieurs, l'article 10 du décret de 1831 introduit l'action d'office lorsqu'il s'agit d'injures et de calomnies dirigées envers les fonctionnaires publics. Pourquoi ? Parce que l'intérêt national exige que les fonctionnaires jouissent de la considération nécessaire pour s'acquitter de la mission qui leur est confiée.
Le même principe doit être appliqué aux souverains étrangers, que le gouvernement doit faire respecter, parce qu'il nous importe de conserver avec les Etats voisins des relations bienveillantes, indispensables pour maintenir intacts des intérêts de l'ordre le plus élevé.
Or, si l'on exige une plainte préalable du gouvernement étranger, il arrivera souvent que celui-ci reculera devant une démarche dont il redoutera les conséquences au point de vue de sa dignité. Entre-temps des délits se commettent et nos relations avec les gouvernements étrangers seront troublées à raison de faits que nos voisins ne peuvent voir avec indifférence.
Le mode de procéder que nous maintenons est donc le seul qui puisse sauvegarder efficacement les intérêts belges.
La poursuite d'office se justifie par d'autres motifs non moins concluants. Des injures, des calomnies dirigées contre les chefs des gouvernements étrangers, sont des faits contraires à l'ordre public et aux principes de moralité qu'on ne viole pas impunément dans une société civilisée. Semblables actes sont un germe de désordres sociaux qui peuvent produire de funestes conséquences.
Comment admettre que la justice nationale soit entravée dans son action, parce qu'un gouvernement étranger trouverait convenable de ne pas en réclamer la punition ? Il dépendrait donc d'un souverain étranger au pays, d'enlever au gouvernement national le droit de réprimer des faits blessant nos lois et le sentiment public, des faits qui peuvent avoir pour résultat d'altérer le sentiment du juste et du vrai dans notre patrie.
Pour moi, je ne saurais me rallier à semblable système qui porte atteinte au droit qui appartient à tout gouvernement, de réprimer des faits délictueux qui se commettent sur son territoire.
Du reste, même en matière de presse, du moment qu'il s'agit de l'intérêt général, jamais on n'exige la plainte préalable. C'est ainsi que les délits contre le Roi et la Famille royale, les attaques dirigées contre la force obligatoire des lois, les droits ou l'autorité des Chambres, les faits mêmes qui concernent les individus remplissant un service public sont soumis à la poursuite d'office.
Le délit d'offenses envers les chefs des gouvernements étrangers serait le seul pour lequel on exigerait une plainte, quoique sa répression fût commandée par des motifs d'ordre et d'intérêt publics.
Ce sont donc nos adversaires qui veulent introduire dans nos lois une anomalie que leur esprit réprouve.
(page 343) Ce sont eux qui veulent déroger aux principes qui, de tout temps, ont été la base de l'action publique, ce sont eux qui exigent une plainte dans une circonstance où l'intérêt général est en jeu et qui prétendent ainsi faire fléchir des considérations d'un ordre supérieur devant la volonté individuelle.
Les principes les plus élémentaires du droit appuient donc le système de la commission ; mais au point de vue des inconvénients que peut présenter le système opposé, la question n'est pas encore douteuse.
La poursuite d'office impose une responsabilité sérieuse au gouvernement belge qui veillera, par conséquent, à ce qu'on n'exerce aucune action vexatoire et mal fondée.
Les inculpés trouveront dans la responsabilité ministérielle des garanties sérieuses contre toute exagération, contre toute injustice, tandis que sous le régime actuel, c’est le gouvernement étranger qui est seul juge de l’opportunité et du fondement des poursuites.
Or, je prétends qu'une doctrine qui conserve au gouvernement belge la liberté d'appréciation, qui le laisse maître de l'action publique, est plus conforme à la dignité nationale.
Sous l'empire de notre législation actuelle, les inculpés n'ont pas de garanties contre des actions téméraires, tandis que dans le système de la poursuite d'office, le fondement de l'action sera préalablement apprécié par le ministre de la justice qui se gardera bien de conseiller une poursuite qui serait incertaine dans ses résultats.
L'expérience du reste démontre qu'on n'a jamais abusé, en matière de presse, de ce mode de procéder. Ainsi dans tous les délits commis par la voie de la presse, sauf ceux qui concernent les particuliers, le ministère public a le droit de poursuivre sans plainte préalable.
Eh bien, peut-on citer des exemples nombreux où il ait été fait abus de cette faculté conférée par la loi aux agents appelés à demander la répression des délits ?
Il y a plus, c'est l'administration du pays qui doit être responsable vis-à-vis des individus contre lesquels des poursuites sont exercées. Par conséquent, à ce point de vue encore, l'initiative doit nécessairement lui appartenir.
Mais, messieurs, en définitive, de quoi s'agit-il ? Uniquement de déférer un fait aux tribunaux, à qui il appartient de l'apprécier. Ce sera le jury qui statuera sur la culpabilité, et dans le cas seulement où la prévention aura été reconnue suffisamment justifiée par la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation.
Le jury lui-même n'est donc saisi qu'après que deux corps judiciaires, présentant toutes les garanties possibles, auront décidé qu'il existe des indices suffisants, motivant la mise en jugement.
Il faut donc avouer franchement que la poursuite d'office n'investit pas le gouvernement d'une attribution bien importante.
Mais la mesure que nous défendons est commandée par des motifs dont il est impossible de contester sérieusement la valeur.
Peut-on forcer un gouvernement étranger à prendre la position d'un particulier implorant la justice du pays ? Cette attitude est-elle conforme à la dignité des Etats voisins ? La négative ne saurait être douteuse Les gouvernements traitent entre eux sur le pied d'une parfaite égalité. Au point de vue des relations internationales, ils se doivent un mutuel appui. C'est donc à l'administration du pays qu'incombe le devoir de faire respecter sur son territoire les gouvernements étrangers avec lesquels il importe de conserver des relations amicales.
La poursuite d'office est donc un acte légitime.
Elle est la conséquence des obligations qui existent entre les gouvernements d'après les principes du droit des gens.
Il serait contraire à la dignité des gouvernements étrangers de les astreindre à réclamer directement la protection de la justice d'un autre Etat. C'est à l'administration nationale qu'il appartient de réprimer les offenses commises à leur égard, par le motif bien simple que c'est un devoir pour elle d'empêcher que semblables faits, contraires aux relations internationales, se commettent dans les limites de son territoire.
Enfin, a-t-on bien pesé les conséquences de la mesure qui fait dépendre la poursuite de la volonté de l’étranger ?
Que ferait-on, si un gouvernement secrètement hostile, provoquait lui-même des attaques outrageantes dans le pays, pour venir en faire un grief au gouvernement national, dont il minerait l'existence ?
Le système de la loi de 1852 aurait pour conséquence de laisser l'administration désarmée contre une pareille manœuvre, qui serait de nature à compromettre notre nationalité et l'indépendance de la patrie.
Repoussons donc un principe dont certains gouvernements, que des événements rendent possibles, seraient en position d'abuser pour menacer notre existence politique.
Quant à moi, je veux l'indépendance de la justice belge en ce qui concerne les délits qui se commettent sur notre territoire ; je ne veux pas qu'elle ne puisse se mouvoir que sur la volonté de l'étranger ; et lorsque je défends la poursuite d'office, je crois mieux que nos adversaires servir les intérêts du pays, je crois remplir un devoir de véritable patriotisme.
Quant au rapport de la section centrale de 1852, il est essentiel d'examiner l'état de choses existant à cette époque.
Le gouvernement proposait alors à la Chambre un projet qui exigeait la plainte préalable émanée du souverain offensé. L'administration entendait rester étrangère à la poursuite et ne voulait se charger d'aucune responsabilité à cet égard.
Qu'a fait la section centrale? Elle a indiqué les motifs qui appuyaient semblable disposition. Elle a signalé les inconvénients que pouvait présenter le système opposé. Certes, c'eût été un acte exorbitant de notre part, de vouloir imposer au gouvernement belge, contre son gré, une responsabilité qu'il déclinait formellement. Les considérations qui pouvaient militer en faveur du principe de la poursuite d'office ne furent pas même alors examinées.
Mais aujourd'hui l'étal de choses est complétement changé. Après avoir discuté la question sous toutes ses faces, le gouvernement estime que l’initiative des poursuites lui appartient. Il prend à lui la responsabilité de la poursuite et il revendique le droit d'apprécier le mérite de la plainte dans la plénitude de sa liberté.
La commission a dû dès lors se livrer à un examen attentif des deux systèmes ; tous deux présentaient des inconvénients ; eh bien, après avoir pesé les considérations qui les appuyaient l'un et l'autre, elle a pensé que la poursuite d'office était en réalité le mode de procéder qui sauvegardait le plus efficacement tous les intérêts. Elle consacre, du reste, le retour au droit commun en matière pénale, en faisant cesser un régime exceptionnel qui, même dans le doute, doit céder le pas au principe général.
En 1852, la section centrale ne pouvait évidemment se montrer plus gouvernementale que le ministère lui-même. II eût été ridicule, de sa part, d'attribuer au gouvernement un droit d'initiative et d'examens qu'il répudiait à cette époque.
Le rapport a donc dû se borner à énoncer les motifs qui servaient de base à la disposition du projet relative à l'introduction de la poursuite.
Aujourd'hui, que le ministère propose un autre système et qu'il se charge d'une responsabilité que repoussait hautement l'administration de 1852, n'est-il pas évident que nous avons dû nous livrer à un examen attentif des avantages du système nouveau, et des objections auxquelles il pouvait donner lieu ? Or, c'est le résultat de cet examen qui nous a fait reconnaître que la disposition proposée par le cabinet réalise une véritable amélioration du régime en vigueur.
Du reste, il faut bien le dire, le rapport de la section centrale déposé en 1852 a, en général, été peu compris.
La pensée qui présidait à ce travail, c'est que le gouvernement belge était tenu de donner suite à la plainte du gouvernement étranger.
Nous n'admettons d'exception à ce principe que pour des cas excessivement rares : par exemple dans l'hypothèse où la poursuite aurait été considérée comme portant atteinte aux intérêts de la Belgique. Dans ce cas seulement, nous réservons le droit du gouvernement de considérer la plainte comme non avenue.
C'est dans cet ordre d'idées qu'on a exigé la plainte du gouvernement étranger, et ce qui est remarquable, c'est qu'à cette époque on n'a pas même dû examiner le système de la poursuite d'office qui ne fut alors proposé par aucun membre des deux Chambres.
Aujourd'hui on reconnaît qu'il est préférable de rendre au pouvoir exécutif sa liberté d'action et son droit d'appréciation préalable de la poursuite.
Eh bien, je dis que les précédents législatifs ne font naître aucun préjugé contre cette opinion nouvelle dont le mérite ne fut pas même examiné en 1532.
Du reste, messieurs, pourquoi ne le dirais-je pas ? En 1852, un seul système s'était produit ; eh bien, nous n'avions pis suffisamment examiné la question ; pourquoi donc, aujourd'hui mieux informé, ne soutiendrais-je pas loyalement l'expression de ma conviction?
Je sacrifie volontiers mon amour-propre aux intérêts de ma patrie, et dans une circonstance où il est impossible de m'attribuer le moindre motif d'intérêt personnel, je ne crains pas de défendre aujourd'hui le système que je crois le meilleur et le plus conforme à la vérité des choses.
M. de Theux. - Messieurs, l'honorable rapporteur a abandonné les théories qu'il a développées dans le rapport de 1852 sur la poursuite d'office ; nous ne nous en occuperons donc plus; nous nous occuperons exclusivement du rapport de 1858.
Dans ce rapport il y a des raisons à l'appui du projet de loi, que je trouve suffisamment fondées ; il y en a d'autres que je ne trouve point fondées ; néanmoins le motif principal suffit pour me déterminer à voter l'adoption de la loi.
Ce motif est, messieurs, qu'il y a utilité, je dirai même nécessité pour un pays d'entretenir de bonnes relations avec les autres pays.
Il est évident, l'expérience prouve aujourd'hui que les gouvernements doivent, de part et d'autre, apporter de la bienveillance dans leurs rapports et s'aider mutuellement à sauver l'ordre social.
Que la nécessité de la plainte du gouvernement étranger constitue ce gouvernement dans une position difficile, cela est évident pour tout le monde.
La loi de 1852 a surtout pour objet de réprimer les offenses dirigées contre les souverains étrangers: or, la poursuite ne pouvant être intentée que sur la plainte de l'agent diplomatique du souverain offensé, elle revêt en quelque sorte un caractère personnel et dès lors, le jugement prononcé, soit qu'il condamne, soit qu'il acquitte, n'a plus le caractère qu'il devrait avoir, car dans certaines circonstances ou pourrait dire que (page 344) le gouvernement étranger a trop pesé par sa plainte, dans d'autres circonstances on pourrait dire que le verdict du jury est un acte de mauvaise politique.
Mais, messieurs, je n'admets en aucune manière que la poursuite d'office soit le droit commun en cette matière ; c'est une véritable dérogation au droit commun. En effet, lorsque quelqu'un est lésé par la voie de la presse, il n'appartient qu'à lui d'en saisir la justice, et chacun en comprend la raison ; or, ce qui est vrai pour les particuliers est également vrai pour les souverains étrangers, et cette vérité a été reconnue à diverses époques ; elle a été reconnue en 1810,'sous le royaume des Pays-Bas ; elle a été reconnue en 1852, sons le gouvernement belge.
Il est évident que la poursuite d'office place le gouvernement dans une situation embarrassante.
Il faudra, dit-on, que le gouvernement dirige l'action des parquets, qu'il leur donne des instructions. Dès lors, à l'exception des autres délits dont la poursuite a lieu sur la seule initiative des parquets, ceux dont il est ici question seront poursuivis d'après les instructions mêmes du gouvernement. Voilà pour l'intérieur. A l'étranger, la position du gouvernement ne sera pas moins délicate ; cette position offrira des difficultés qu'on ne peut se dissimuler et que l'expérience fera certainement ressortir plus tard. Tantôt, le gouvernement pourra avoir montré un zèle un peu trop empressé à faire réprimer les offenses envers les souverains étrangers : tantôt, au contraire, il pourra être accusé de n'avoir pas apporté un zèle suffisant à la répression de ce délit. Il y aura donc dans cette situation quelque chose d'embarrassant pour un gouvernement qui assume en quelque sorte la responsabilité des poursuites d'office.
Cette raison est très puissante ; et certainement si ce n'était la nécessité de maintenir de bons rapports internationaux et d'affranchir les gouvernements étrangers de l'obligation de porter plainte, obligation qui entraîne pour le souverain des inconvénients que chacun comprend plus facilement encore qu'il ne m'est possible de l'exprimer, je ne voudrais pas de la poursuite d'office.
La meilleure manière de défendre une loi, comme la meilleure politique, est de dire des raisons vraies et de s'arrêter à celles-là. C'est ainsi que les lois acquièrent l'autorité morale qui leur est indispensable pour leur durée.
M. le ministre de la justice a dit avec beaucoup de raison que cette loi doit être permanente. En effet, la nécessité de maintenir de bons rapports internationaux est une nécessité permanente : c'est aussi ce motif qui nous déterminera à voter la loi Ce n'est pas un vote de confiance que nous accordons au cabinet actuel ; car il ne prétend pas sans doute à une vie éternelle, pas plus que la majorité actuelle de la Chambre. Les gouvernements représentatifs sont pleins de vicissitudes ; la loi fonctionnera sous le cabinet actuel, mais elle fonctionnera encore sous d'autres cabinets qui auront peut-être des vues politiques différentes des siennes.
Du reste, quels que soient les hommes assis au pouvoir, ils devront user de la loi avec beaucoup d'intelligence et de prudence.
Toutes les lois qui ont été présentées pour réprimer les abus de la presse ou pour renforcer certains abus politiques, ont toujours excité dans cette enceinte de vives et longues discussions. Nous en avons pour témoin la loi qui a été présentée en 1846 pour réprimer les offenses envers les membres de la famille royale. C'était une première barrière posée à la licence. La loi de.1852 en a posé une deuxième ; celle de 1856, relative à l'extradition, que je me félicite, dans cette circonstance, d'avoir appuyée de ma parole et de mon vote, était encore une loi sagement conçue.
Le cabinet de 1855 avait pris l'initiative de la proposition des poursuites d'office ; le ministère actuel maintient les errements de ses prédécesseurs, et je ne puis que l'en féliciter. Je remarque avec plaisir que les discussions n'ont plus ce caractère d'emportement et de vivacité qu'elles ont eu à d'autres époques. J'espère que ce sera un bon signe et un bon gage pour régler dans l'avenir, sans aucun esprit de passion les véritables intérêts de notre politique nationale et extérieure.
M. Wala. - Messieurs, je prendrai toujours à tâche de ne pas abuser des moments de la Chambre. Je m'étais fait inscrire pour parler en faveur de la poursuite d'office. Mais les considérations qui viennent d'être présentées par trois honorables préopinants étaient précisément celles que je voulais faire valoir à l'appui de mon opinion. Ce que je pourrais dire ne donnerait pas à ces considérations plus de poids que ne leur en ont donné ces honorables représentants qui poursuivent ici leur tâche avec beaucoup de talent et de distinction. Je me borne donc à déclarer que je voterai en faveur de la poursuite d'office.
M. H. de Brouckere. - Messieurs, puisque l'article 13 du projet a fait presque lui seul les frais de la discussion générale, je demanderai à la Chambre la permission de lui expliquer en peu de mots quel est le vote que j'émettrai sur cet article et quels sont les motifs de ce vote.
Je n'ai pas le même bonheur que l'honorable M. Lelièvre. Partisan, comme lui, en 1852, du système consacré par la loi du 20 décembre, je ne saurais m'enthousiasmer aujourd'hui pour un système contraire.
Mais je déclare franchement que je voterai l'article 13 ; je le voterai, non pas pour des motifs puisés dans la loi elle-même, je ne saurais me donner un pareil démenti, mais mon vote sera déterminé par des considérations politiques, parce que je reconnais, avec l'honorable rapporteur de la section centrale, que les relations internationales imposent des obligations qu'on ne peut méconnaître.
Je déclare donc que j'approuve le gouvernement d'avoir présenté l'article 13 de la loi et je désire bien vivement qu'une grande majorité fie cette Chambre adopte cette disposition.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je comprends parfaitement que l'honorable M. de Brouckere soit partisan du système qui a été adopté en 1852 ; je respecte ses convictions ; mais l'honorable M. de Brouckere me permettra d'avoir une opinion contraire, de croire que le système que je défends aujourd'hui est beaucoup plus en harmonie avec tous les principes qui dominent dans notre législation.
Messieurs, ce qui d'après les règles de la raison, comme d'après les principes du droit, détermine l'action, c'est l'intérêt. Partout où la société a un intérêt à réprimer un fait, à en poursuivre la punition, là aussi l'action lui est ouverte.
Toute la question est donc de savoir si la Belgique a intérêt à maintenir avec les autres nations de bonnes relations ; s'il est juste, nécessaire de sévir contre les offenses, les outrages, en un mot, contre tous les faits qui peuvent compromettre ces relations ?
Du moment où l'on est d'accord que la Belgique a un intérêt à ce que nos relations internationales ne soient pas altérées, il faut être d'accord aussi qu'au gouvernement doit appartenir le droit d'agir quand il croit que ces relations peuvent être atteintes par des faits quelconques.
Il ne faut pas que ces relations puissent être altérées et que le gouvernement soit condamné à une inaction complète. Ce serait là un contre-sens. On ne peut pas sérieusement admettre d’une part que la Belgique ait intérêt à maintenir de bonnes relations avec les autres pays et refuser d'autre part à son gouvernement les moyens d'agir, quand ces bonnes relations peuvent être compromises.
On a dit, je le sais, que c'était à la puissance étrangère d'apprécier jusqu'à quel degré il lui importait de demander la répression des faits dont elle pouvait avoir à se plaindre. On a déjà répondu à celte considération. La nécessité d'une plainte de la part de la puissance étrangère fait en quelque sorte de celle-ci une partie en cause, et c'est précisément la position devant laquelle les puissances étrangères reculent.
Considérée comme partie en cause, tout ce qui se fait devient pour la puissance qui s'est plainte une affaire personnelle, si je puis m'exprimer ainsi, et l'acquittement devient une nouvelle offense.
Les puissances étrangères, considérant cette position comme peu digne, s'abstiennent ; mais nos relations n'en sont pas moins exposées à s'altérer et le pays dans le cas de souffrir dans ses intérêts, par suite d'injures, d'offenses, que la législation ne lui donne pas le droit de réprimer.
C'est à cette situation que nous voulons porter remède.
Maintenant, quant à la presse, sa position sera-t-elle plus difficile ?
C'est ce que je ne saurais admettre. La loi est-elle une atteinte portée à cette liberté ? On ne peut pas sérieusement le soutenir ; nous n'introduisons pas de pénalité nouvelle, nous n'établissons pas d'emprisonnement préventif, la juridiction est la même. Tout ce que nous demandons pour le pouvoir, c'est le droit de poursuivre les prévenus devant les juges établis par la Constitution pour juger les délits de presse, devant le jury.
Or, peut-on admettre que le jury ira condamner des écrivains ou journalistes quand il n'y aura pas de délit ? Ce résultat n'est pas fort à craindre. Il n'est pas de faits de ce genre que l'on puisse invoquer, et je pourrais ajouter que ce n'est certes pas de la trop grande sévérité du jury qu'on se plaint ; la preuve en est qu'aujourd'hui les délits de presse sont poursuivis par la voie de l'action civile en dommages intérêts et devant la juridiction civile, ce qui tendrait plutôt à prouver une certaine méfiance des décisions du jury.
Or, le gouvernement étant investi du droit de poursuivre devant le jury, il n'est pas à craindre qu'il abuse de ce pouvoir, fasse traduire devant cette juridiction des journaux qui ne seraient pas coupables et tente d'obtenir une condamnation imméritée.
La nécessité de soumettre ces délits au jury est une garantie complète que le pouvoir n'abusera pas de la loi.
Je me borne à ces considérations, me réservant de reprendre la parole, s'il y a lieu, quand nous nous occuperons de l'article 13.
M. Malou. - Je désire motiver mon vote sur le principe de la poursuite d'office.
Entre la loi de 1852 et la loi actuelle il y aura cette différence que la plainte, au lieu d'être officielle, sera officieuse. Je ne comprends pas que M. le ministre de la justice puisse soutenir que, dans cet ordre de délits, le droit commun c'est la poursuite d'office. Toutes les fois que l'intérêt privé, l'honneur, qui est un intérêt de premier ordre, est attaqué, la loi pénale subordonne l'action publique à la plainte de l'individu lésé.
Je dis qu'il y a pour cela une excellente raison. En matière de calomnie, d'offense ou d'outrage, quel est le meilleur juge de l'utilité ou de l'opportunité d'une poursuite ? C'est évidemment la personne calomniée, offensée ou outragée. De quel droit la société ira-t-elle exposer une personne qui ne se plaint pas à recevoir un redoublement d'injures ou d'offense devant un tribunal ?
En fait, le gouvernement n'agira pas d'office quand il s'agira de poursuivre. Il ne fera pas du zèle pour du zèle, il se concertera officieusement avec la puissance offensée ; c'est dans ce sens que je suis prêt à accepter la poursuite d'office. Si le gouvernement, par zèle, faisait inconsidérément des poursuites, qu'arriverait-il ? Il arriverait ce que je viens d'indiquer ; une offense inconnue qui aurait paru dans un journal obscur recevrait un (page 345) immense retentissement et un acquittement rendrait l'offense plus considérable ; mais on agira de concert. C'est pour cela que j'accepte les poursuites d'office. Il y aura plus de poursuites contre la presse, c'est évident.
Je dois maintenant un mot de réponse à l'honorable M. Lelièvre. Entraîné par la ferveur naturelle aux néophytes, l'honorable membre a oublié le sens de la loi de 1852. Il suppose que, sur la plainte d'une puissance étrangère le gouvernement était obligé de poursuivre. C'est le contraire. Pour que l'action ait lieu, il faut une plainte ; mais la poursuite ne s'ensuit pas nécessairement, le gouvernement reste juge de la question de savoir s'il y a lieu de poursuivre. Ainsi la plus grande partie de cette chaleureuse improvisation de tout à l'heure vient à tomber.
M. H. de Brouckere. - La discussion qui vient d'avoir lieu a constaté un fait qui doit nous satisfaire tous : c'est que tous les orateurs qui ont été entendus se prononcent en faveur de l'article 13, approuvent le gouvernement de l'avoir présenté. Que nous ayons des motifs différents pour étayer notre opinion, que les uns fassent valoir des considérations que j'appellerai juridiques, d'autres des considérations politiques, qu'est-ce que cela fait, pourvu que la Chambre se montre disposée à adopter cette disposition ? Tout le monde, gouvernement et Chambre, doit être satisfait.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois un mot de réponse à l'honorable M. Malou.
L'honorable membre s'étonne que je puisse prétendre que la poursuite d'office soit la règle générale en cette matière. Quelque respect que je puisse avoir pour les connaissances de M. Malou comme jurisconsulte, je me permettrai de persister dans mon opinion. La poursuite d’office est de règle, dans tous les cas où l’intérêt social, l’intérêt du pays est attaqué. Passez en revue tous les délits prévus par notre législation sur la presse et vous vous convaincrez que partout où cet intérêt est prédominant, la poursuite n’est subordonnée à aucune plainte. En effet, quels sont les délits pour lesquels il fait une plainte pour mettre l’action publique en mouvement ?
Ce sont exclusivement les délits contre les particuliers, contre les personnes privées, parce que dans ces cas l’intérêt général n'est pas engagé ; c'est aux particuliers à juger s'il leur convient de donner à une attaque dont ils ont été 1 objet, le retentissement d’un débat judiciaire. Mais quand il s'agit, par exemple, des fonctionnaires que le pays a un intérêt à ne pas voir amoindris dans leur réputation et dans leur autorité, des poursuites peuvent être exercées d'office ; s'agit-il d'attaques contre les Chambres, les poursuites d'office sont également admises ; s'agit-il d'attaques contre le Roi, les poursuites se font encore d'office.
Partout donc, comme je le disais, où vous trouvez l'intérêt général, l'intérêt social prédominant, attaqué par la presse, la loi prescrit, au moins permet les poursuites d'office. Or, je demande si le pays a un intérêt à faire réprimer les attaques contre les chefs des nations étrangères ? Personne ne saurait le contester.
Ainsi, en résumé, quand les fonctionnaires sont attaqués, poursuites d'office ; quand les Chambres sont attaquées, poursuites d'office ; quand le Roi est attaqué, poursuites d'office ; toutes les fois que l'intérêt public est engagé, la poursuite a lieu d'office ; ce n'est que quand il s'agit d'un intérêt privé, tout à fait privé, que la poursuite est subordonnée au dépôt d'une plainte.
M. Lelièvre, rapporteur. - L'honorable M. Malou prétend que la plainte est le principe du droit commun ; et la poursuite d'office, l'exception. C’est une erreur. Il est de l'essence de l'action publique qu'elle puisse être exercée librement par les fonctionnaires qui en sont chargés par la loi. Cela résulte des termes clairs et précis de l'article premier du Code d'instruction criminelle. Du reste, la preuve bien positive qu'il en est ainsi, c'est que si la loi crée un délit de presse et garde le silence sur le mode de poursuites, c'est la poursuite d'office qui est la règle à suivie. Du reste, l'honorable M. Malou se méprend complétement sur ce que dit dans la discussion de 1852. Dans mon opinion, le gouvernement belge était tenu, aux termes de la loi alors votée, de donner suite à la plainte des gouvernements étrangers ; seulement dans des cas exceptionnels et lorsque la plainte aurait pu troubler la paix publique dans notre pays, je concevais alors une exception.
Ainsi, dans ma pensée au moins, en règle générale, le devoir du gouvernement belge était de poursuivre ; obligation dont il n'était dispensé que très exceptionnellement.
J'ai expliqué à quel point de vue le système du projet me paraît préférable à la loi en vigueur. Je suis, du reste, sous ce rapport, en bonne compagnie. M. de Brouckere était l'auteur du projet de 1852, et il se rallie aujourd’hui aux propositions du gouvernement.
Un homme, dont la droite ne récusera pas l'autorité, l'honorable M. de Theux, a aussi déclaré, en 1852, que la plainte était exigée, à juste titre, comme une condition de la poursuite. Il félicitait le gouvernement d'avoir adopté cette mesure. Aujourd'hui aussi il croit devoir se rallier au nouveau système, à l'exemple de presque tous mes collègues dont j'invoque avec bonheur l'opinion.
M. Malou. - Je ne veux ajouter qu'un mot. J'ai fait remarquer à la Chambre que, toutes les fois que l'honneur ou l'intérêt privé se liait à l’intérêt public, il était de règle dans notre législation que l'action publique n'était mise eu mouvement que sur la plainte des particuliers.
Maintenant, l'honorable M. Lelièvre dit quelque chose que je ne trouve ni dans son rapport de 1852 ni dans celui qu'il a présenté sur le projet actuel. Il nous dit que, si l'on ne faisait pas d'exception, on appliquerait la poursuite d'office. Mais c'est là véritablement jouer sur les mots. J'ai dit que la poursuite, quand un intérêt privé est engagé, n'a lieu que sur la plainte de celui qui est ou se croit lésé ; et j'ai ajouté que je suis convaincu que, par la force des choses, on arrivera à une entente officieuse dans tous les cas où précédemment il eût fallu une plainte officielle.
Maintenant, messieurs, un mot sur la loi de 1852.
Le texte de cette loi porte : « la poursuite aura lieu sur la plainte… », ce qui impliquait l’obligation de poursuivre dès qu’il y aurait plainte ; j’ai proposé alors la rédaction suivante : « la poursuite n’aura lieu que sur la plainte… » et cela expressément pour réserver l’action du gouvernement belge.
Après ces courtes observations, je crois, messieurs, n'avoir pas besoin de répondre au rapport fait en 185.2, puisque 1 honorable M. Lelièvre, son auteur; s'est chargé lui-même de le réfuter de la manière la plus péremptoire.
M. de Theux. - L'honorable M. Lelièvre paraît attacher beaucoup d'importance à m'associer à son opinion de 1852. Il me permettra de lui faire remarquer que je n'ai pas du tout renié, dans la discussion présente, l'opinion que j'ai exprimée à cette époque. J'ai dit que, dans la position du gouvernement belge, il serait préférable que la poursuite ne pût avoir lieu que sur une plainte ; mais j'ai ajouté que les gouvernements tendant tous à resserrer leurs rapports aujourd'hui, il est d'une sage et prudente politique d'accorder au gouvernement le droit de poursuivre d'office et de supprimer la nécessité de la plainte. J'admets donc les raisons principales que l'honorable M. Lelièvre a présentées dans son rapport, mais je n'admets nullement les raisons subsidiaires qu'il a cru devoir y ajouter.
M. E. Vandenpeereboom. - Plusieurs honorables membres viennent d'expliquer les motifs juridiques ou politiques, pour lesquels ils professent aujourd'hui une autre opinion qu'en 1852. C'est un soin dont je puis me dispenser, attendu que, comme j'ai voté contre la loi de 1852, je compte voter également contre celle qui nous est proposée.
Cette dernière loi me paraît plus mauvaise que l'autre, au double point de vue de la liberté de la presse et de nos relations internationales. Car vous aurez la recherche incessante d'offenses, et les plaintes officieuses seront d'autant plus nombreuses, qu'elles seront sans responsabilité.
Toutefois, ce n'est pas, pour moi, une raison pour ne pas tâcher de rendre la loi moins funeste ; et c'est dans ce but que je crois devoir soumettre deux questions au gouvernement.
Je désirerais savoir, d'abord, s'il est bien entendu que la poursuite d'office ne sera pas abandonnée au zèle des parquets locaux et qu'elle n'aura lieu qu'avec une autorisation supérieure.
Je demande, en second lieu, si la reproduction de certains discours politiques prononcés à l'étranger, c'est-à-dire des débats parlementaires, pourra donner lien à la poursuite d'office.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je ne puis pas engager mes successeurs, je ne puis donc que parler au nom du cabinet actuel. Dans mon opinion, les poursuites contre la presse engagent jusqu'à un certain degré la responsabilité ministérielle, le gouvernement a donc le droit d'exiger que ses agents ne commencent pas de poursuite sans son assentiment.
Aussi longtemps donc que j'aurai l'honneur d'être à la tête du département de la justice, il ne sera point fait de poursuite du chef de délits de presse sans mon consentement, et en agissant ainsi je le ferai en vertu des principes de la responsabilité ministérielle plutôt qu'en vertu des principes du Code d'instruction criminelle.
Je tiens donc, messieurs, à ce que cette distinction soit bien établie.
Quant à la seconde question, elle n'a pas trait à la loi que nous discutons ; elle se rapporte à la loi de 1852 qui n'est pas en question maintenant.
M. Coomans. - Si ! si !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - D'après la loi de 1852, il n'y a que les offenses et les attaques méchantes envers les souverains étrangers qui puissent donner lieu à une action en justice. Quant à la reproduction de débats parlementaires étrangers faite, avec bonne foi, au moment où ils ont lieu, elle échappe, dans mon opinion, à toute poursuite. Mais si, de ces débats, l'on faisait un thème d'injures, un moyen d'outrager les chefs de gouvernements étrangers, l'auteur d'une pareille reproduction tomberait sous le coup de la loi.
M. E. Vandenpeereboom. - J'ai parlé de la reproduction textuelle des discours.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est ainsi que j'ai entendu la question de l'honorable membre.
- Personne ne demande plus la parole.
La discussion générale est close, celle des articles est renvoyée à après-demain à 2 heures.
La séance est levée à 5 heures.