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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 30 avril 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1410) M. Tack fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière -séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal, du bureau de bienfaisance et d’autres habitants d'Etichove demandent que les indigents et les vagabonds arrêtés hors de leur commune y soient renvoyés après une détention de quinze jours et que les dépôts de mendicité soient supprimés. »

M. Magherman. - Messieurs, cette pétition, que j'ai en occasion devoir, contient des vues très utiles. J'en demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les dépôts de mendicité. Je demande en outre qu'elle soit déposée sur le bureau pendant la discussion.

- Cette proposition, qui est appuyée par M. de Smedt, est adoptée.


« Les membres du conseil communal et des habitants d'Etichove demandent que les élections aux Chambres et au conseil provincial aient lieu dans la commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des secrétaires communaux, dans l'arrondissement de Virton, déclarent adhérer aux pétitions adressées par les secrétaires communaux, en décembre 1855 et novembre 1856. »

M. Lelièvre. - Non seulement je recommande cette pétition à l'examen spécial de la commission, mais je prie le gouvernement de prendre sans délai des mesures en faveur des secrétaires communaux, mesures dont la justice est généralement reconnue.

- Le renvoi à la commission des pétitions est ordonné.


« La section centrale d'Esneux prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet, par la vallée de l'Ourthe. »

- Même renvoi.


« La veuve Verbrugghe demande que son fils Charles soit libéré du service militaire. «

- Même renvoi.


« Le sieur Wils, remplaçant de la levée de 1853, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'autorisation de se faire remplacer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jacques, plombier à Virton, combattant de la révolution, demande une récompense nationale. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal et plusieurs autres habitants de Tirlemont demandent l'uniformité du ressort des notaires. »

- Même renvoi.


M. le ministre des finances adresse à la Chambre le compte spécial de toutes les opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l'année 1856.

- Impression et distribution aux membres de la Chambre.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. Osy. - Messieurs, après les discours si éloquents, si logiques, si concluants, remplis de tant de faits, de nos honorables amis, MM. de Liedekerke et Malou, dont je partage entièrement les opinions sur la loi dont nous nous occupons, je pourrais me dispenser de prendre la parole. Il serait même à désirer, dans l'intérêt des travaux de la Chambre, que l'on s'entendît, des deux côtés, pour ne pas trop prolonger la discussion ; mais comme je crains que chaque membre ne veuille parler, je ne puis, pour ma part, renoncer à la parole dans une question aussi grave, et je tiens à motiver mon vote.

Messieurs, depuis 1804 jusqu'en 1847, on n'a pas vu surgir de plaintes sur la manière dont on exécutait les lois et les arrêtés sur la charité. Lors de la révolution de 1830, on a recherché tous les griefs contre l'ancien gouvernement ; or, jamais à cette époque on n'a articulé ce grief-là. En 1847, à l'avènement du ministère libéral qui ne tint aucun compte de ce qu'avaient fait ses prédécesseurs de la même opinion en 1833 et en 1840, on introduisit un nouveau système. Cependant l'honorable M. Lebeau était ministre en 1833 avec l'honorable M. Rogier ; l'honorable M. Rogier n'imagina pas alors le système de 1847, mais il se rallia à l'opinion qui avait prévalu jusqu'alors. A l'avènement du ministère de 1847, le premier testament qu'on a réformé a été celui du curé du Finisterrae. Vous vous rappelez que dès cette époque on a commencé à blâmer la manière dont le ministère d'alors entendait les lois sur la charité. Plus tard, en 1849 parut la circulaire et on continua de réformer, de spolier, puis-je dire, les testaments. Eh bien, la cour de cassation vient de blâmer la circulaire.

On ne tient aucun compte de l'arrêt. Deux de nos honorables collègues, grands jurisconsultes, n'ont-ils pas blâmé l'arrêt ; ils sont venus-plaider devant la Chambre comme s'ils étaient devant la cour d'appel de Gand. J'ai toujours entendu dire que, quand un procès est pendant, on s'abstenait d'en parler devant la Chambre, tandis qu'on a ici plaidé cette affaire comme si on était devant la cour de Gand.

Pour moi, j'attendrai avec confiance l'arrêt définitif. Si la jurisprudence du pays était telle que la cour de cassation vient de la formuler par son arrêt, la loi actuelle serait inutile.

En effet, plus on lit le projet de loi et le rapport de la section centrale, plus on voit que nous ne voulons rien de plus qu'avant le 12 août. Seulement nous voulons y ajouter des garanties, nous voulons assurer une reddition de comptes. Nous renforçons le système. Pour ma part je déclare que si on propose des moyens de contrôle plus efficaces que ceux contenus dans la loi, je m'y rallierai, parce qu'en voulant des fondations avec administrateurs spéciaux je veux aussi qu'elles soient contrôlées pour en éloigner les abus. Si, contre toute attente, le système du 12 août prévalait, soyez persuadés que la charité ne tarirait pas, parce qu'enfin la Belgique est religieuse, et religion et charité se donnent la main, elle trouverait encore l'occasion de se produire, mais sans contrôle, sans que le gouvernement puisse veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus.

C'est pour cela que je préfère le système qu'on propose d'établir par le projet de loi, parce que c'est là le seul changement qu'il apporte à ce qui a été fait avant 1847.

Pendant ces dix années je sais que plusieurs personnes, connaissant l'opinion du ministère de 1814, ont trouvé moyen de donner une grande partie de leur fortune aux pauvres, bien qu'elles eussent des parents éloignés, et le gouvernement n'en sait rien.

La charité continuera donc, quoi qu'on fasse, et nous ne nous passerons pas de nos évêques et de nos curés pour faire l'aumône, mais nous n'aurons pas de contrôle, et comme je veux un contrôle, j'appuie la loi. Je veux la liberté pleine et entière pour la charité. Je ne suis en rien contraire aux bureaux de bienfaisance et aux hospices, mais je veux placer à côté la charité privée.

Voyons ce que sont les bureaux de bienfaisance. Ils sont dotés de très grands biens, cependant dans beaucoup de communes, dans beaucoup d'endroits ces biens ne suffisent pas aux besoins, la commune est obligée de venir au secours des pauvres. Le bureau de bienfaisance donne des secours aux pauvres ordinaires, permanents, qui se trouvent inscrits sur ses listes ; ce sont les curés, ce sont les administrations charitables qui sont obligés de venir au secours des malheureux dans des moments de crise.

Comme l'honorable M. Thiéfry, j'ai également été administrateur d'un bureau de bienfaisance pendant cinq ans. Depuis dix ans nous avons traversé beaucoup de calamités. Il était impossible à la charité légale de venir seule au secours de tous les pauvres. Eh bien, on s'est adressé à la charité privée. Je ne parlerai que de ce qui s'est passé à Anvers depuis dix ans et vous verrez ce que la charité privée y a fait.

Chaque fois qu'une grande calamité s'est manifestée, non seulement à Anvers, mais dans les autres provinces, lorsqu'il y a eu une disette dans les Flandres, des inondations à Liège, le choléra, la cherté des vivres, chaque fois il s'est formé des comités pour faire des quêtes en ville et en distribuer le produit à l'aide d'administrateurs spéciaux. Si les bureaux de bienfaisance, si les hospices avaient dû faire des quêtes pour venir au secours des malheureux, la première réponse qu'on aurait faite aux personnes qui seraient venues présenter des listes de souscription, c'était qu'on ne signait pas, parce que ce serait une aumône que l'on ferait à la commune et que comme on payait des contributions, si la commune devait venir au secours des hospices et des bureaux de bienfaisance, on préférait contribuer à la dépense au marc le franc. Celte réponse eût été très naturelle.

Depuis 1846, six ou sept comités se sont formés à Anvers. Toujours on m'a fait l'honneur de me nommer président. Dans les circonstances graves, nous avons recueilli les sommes les plus considérables, et je profite de l'occasion pour dire que chaque fois M. le président du conseil communal, qui est en même temps président du bureau de bienfaisance, a toujours accueilli ces comités de la manière la plus convenable. L'honorable M. Loos, à qui nous nous sommes adressés, a toujours trouvé que ce que nous faisions était convenable, était bien ; chaque fois il nous a encouragés.

Lorsque en 1847 les Flandres étaient dans le plus grand besoin, nous nous sommes formés en comité et nous avons recueilli 110,000 fr. que nous avons envoyés à MM. les gouverneurs des deux Flandres pour les répartir aux communes selon leurs besoins. Je crois que plusieurs membres des Flandres se rappelleront cette circonstance.

D'autres fois, lors de la cherté des vivres, lors du choléra, il s'est formé des comités et jamais nous n'avons eu moins de 80,000 fr. de souscriptions. Chaque fois, nous nous empressions de demander aux bureaux de bienfaisance la liste des personnes auxquelles ils distribuaient leurs aumônes ordinaires, et cela parce que nous voulions prévenir le grief dont parlait hier l'honorable M. Moreau, parce que nous voulions éviter les doubles emplois. Nous distribuions nos secours à des personnes qui ne se trouvaient dans le malheur que par suite des circonstances, par suite de la cherté des vivres ou par suite des épidémies, et qui ne figuraient pas sur la liste des pauvres.

(page 1411) L'hiver terminé, ces personnes retrouvaient du travail, et les distributions des secours cessaient. Jamais nous n'avons fait des distributions en argent. Nous donnions aux malheureux les objets dont ils avaient besoin. Nous avions des sous-comités qui visitaient les pauvres, et on donnait à ceux-ci des objets de couchage, de la nourriture, du chauffage. Nos distributions ne s'arrêtaient pas là. Nous avions dans nos comités des personnes qui ne partageaient pas nos opinions religieuses et ces personnes disaient avec nous : Il faut s'adresser au clergé. Nous remettions des secours aux curés, parce qu'ils connaissent les besoins des pauvres honteux, parce qu'ils connaissent les pauvres qui ne sont pas inscrits sur les listes des pauvres ; et les curés, tout en donnant de l'argent, donnaient des conseils favorables. Or, c'est ce qu'il faut ; il faut en même temps nourrir l'âme et le corps. Si vous voulez seulement la charité légale, vous aurez l'une sans l'autre et vous ne ferez pas le même bien.

Messieurs, je me rappelle que lorsque nous en étions à examiner la loi de l'ancien ministre, M. Faider, je me trouvais dans la même section que l'honorable M. Ch. De Brouckere. Nous étions 14 membres, et malheureusement, par suite de l'âge, l'honorable M. de Brouckere ne put être nommé rapporteur. Mais alors l'honorable M. de Brouckere, guidé non par la théorie mais par la pratique, car il était bourgmestre, président des hospices et du bureau de bienfaisance de Bruxelles depuis nombre d'années, l'honorable M. de Brouckere combattait la loi de M. Faider.

Il voulait le système d'avant 1847, et si nous avions eu le bonheur de conserver l'honorable M. de Brouckere parmi nous, je suis persuadé que sa voix savante et éloquente, que sa grande expérience auraient pu nous venir puissamment en aide. Malheureusement l'honorable M. de Brouckere a quitté la Chambre, et pourquoi ? Nous le savons tous, il y a à Bruxelles un comité libéral et ce comité ne permet pas d'avoir une opinion.... (Interruption.)

Je dis ce que je pense, le comité libéral de Bruxelles ne permet pas d'avoir une opinion. La preuve que je cite n'est pas la seule. Lors de la loi sur les successions, l'honorable M. Dindal, sénateur appartenant au parti libéral, a été repoussé, parce qu'il ne voulait pas de la loi de succession. Il n'a pas été seul traité de cette manière. A Liège, l'honorable M. de Waha, dont nous ne partagions pas ordinairement l'opinion, a été repoussé parce qu'il ne voulait pas de la loi de succession.

M. Frère-Orban. - Qu'avez-vous fait de M. Vilain XIIII à Saint-Nicolas ?

M. Osy. - Pour la loi sur la charité, l'honorable M. de Brouckere, que je regrette d'avoir vu se retirer devant la cause si belle de l'humanité souffrante, n'a pas été le seul ; l'honorable M. Coppyn, notaire depuis nombre d'années et devant parfaitement connaître les besoins du peuple, s'est retiré également, parce qu'il ne voulait pas suivre les ordres, les instructions, le programme du comité libéral de Bruxelles.

Ce sont des faits. Nous savons tous que ces deux honorables membres se sont retirés à cause de cela.

Maintenant on dit que l'honorable M. de Brouckere a été remplacé par un honorable député qui partage entièrement l'opinion du parti libéral. Il est vrai que l'honorable M. Rogier, aujourd'hui, marche d'accord avec le parti libéral sur la charité, mais en 1833 il n'en était pas ainsi, car on exécutait alors la loi comme nous voudrions qu'on eût continué à l'exécuter. Mais, messieurs, voyons un peu ce que sont les élections à Bruxelles ?

L'honorable M. Rogier a été nommé lorsqu'il y avait 1,500 votants sur 11,000 électeurs. L'honorable M. Coppyn a été remplacé lorsqu'il y avait 940 votants sur 11,000 électeurs, Vous direz, messieurs, que si les électeurs ne viennent pas c'est de leur faute. Eh bien non : ils ne viennent pas parce qu'ils savent que le mot d'ordre est donné et qu'ils n'ont rien à y faire. Les électeurs ne veulent pas être déplacés à chaque instant et si vous ne changez pas votre loi électorale, si vous ne donnez pas aux campagnards les facilités que vous donnez aux habitants des villes, il arrivera partout la même chose qu'à Bruxelles.

M. Frère-Orban. - Pour que le curé donne le mot d'ordre.

M. Osy. - Le ministère de 1847 a bien trouvé convenable de changer la loi électorale et de fixer le cens à 20 florins, tandis qu'il s'élevait auparavant à 80 florins dans les grandes villes. Je ne vois pas pourquoi nous ne demanderions pas que chaque électeur puisse voter dans sa commune, comme cela se fait en Hollande. (Interruption.)

M. Delehaye. - M. Osy, veuillez-vous renfermer dans la question de la charité.

M. Frère-Orban. - C'est la même chose. C'est la même réaction.

M. Osy. - L'honorable M. Rogier n'a fait que parler d'élections. Me nous a-t-il pas dit : Oh ! ce qui fait le mal, c'est que les curés viennent aux élections. Avant 1830 les curés, en France, ne venaient pas aux élections.

Mais l'honorable M. Rogier oublie qu'avant 1830 le cens électoral en France était de 300 fr. ; les curés ne venaient donc pas aux élections parce qu'ils n'étaient pas électeurs, parce qu'ils ne payaient pas 300 fr. de contributions.

Vous voyez, messieurs, que ce que je dis n'est pas an hors d'œuvre ; c'est une simple réponse à l'honorable M. Rogier.

Je disais donc, messieurs, que l'honorable M. de Brouckere a été remplacé par 1,500 électeurs sur 14,000 et l'honorable M. Coppyn par 940 électeurs sur 11,000. Pouvez-vous dire que c’est là l'expression du pays ? Je veux bien que vous le disiez, mais permettez-moi de ne pas partager votre opinion.

Messieurs, je crois donc que ce que le pays demande, c'est que la charité puisse continuer à être exercée comme elle l'a été jusqu'en 1847, qu'on ne réforme pas les testaments, que chacun puisse faire de sa fortune ce qu'il juge le plus avantageux pour le bien-être des classes malheureuses qu'il veut soulager, même après sa mort.

Messieurs, on a dit que la loi en discussion ne sera pas une loi de charité ; on l'a appelée la loi de la dotation des couvents. Cela m'amène à dire quelques mois des couvents.

Je suis singulièrement étonné que ceux qui tous les jours parlent de nos libertés veulent les abolir, quand elles retournent contre eux. Vous ne pouvez pas plus empêcher un Belge qui, par une raison quelconque, veut embrasser la vie monacale, de réaliser son intention qu'on ne peut empêcher qu'il n'y ait des congrès libéraux, des associations libérales, des loges maçonniques.

Nous avons le droit de nous établir en corporation religieuse, tout comme vous avez le droit de vous associer d'une manière libérale ; vous ne pouvez pas vous y opposer, sans violer la Constitution que nous avons tous juré d'observer.

N'a-t-on pas été jusqu'à qualifier les religieux et les religieuses de fainéants et de fainéantes ? L'honorable M. Thiéfry, en faisant l'éloge des hospitalières qui sont dans les hôpitaux, a dit qu'il ne faut pas les confondre avec les hospitalières qui vont dans les maisons particulières, parce qu'elles ne font qu'un commerce au profit de l'établissement. Je dois avouer que l'honorable M. Thiéfry ne connaît pas les faits. J'ai fait le relevé des sœurs noires et des sœurs grises ; d'après le tableau que ; j'ai ici, elles sont au nombre de 622 ; elles ont un revenu de 33.000 fr. ; divisez cette somme par le nombre de ces religieuses, et vous trouverez un revenu d'un peu plus de 50 fr. pour chaque religieuse.

Et voulez-vous savoir quel est ce grand commerce que les religieuses feraient ? J'ai chez moi depuis trente ans une de ces religieuses qui est d'Alost. Elle a sept sous par jour. Dans les grandes villes, on paye sept sous à la religieuse en sept sous au couvent, pour entretenir les vieilles religieuses qui ont servi pendant quarante ou cinquante ans. Et comparez à cette mince rétribution les services que ces braves femmes rendent. Souvent elles ne rendent pas seulement des services à la malade qui les appelle ; mais lorsque celle-ci le permet, elle va soulager dans le voisinage d'autres malades pour lesquelles elles ne sont pas payées. Et l'on dit que ces religieuses ne sont pas utiles

Il y a d'autres institutions dirigées par des religieuses ei qui se consacrent à l'instruction des enfants à la campagne. Rappelez-vous la pétition qui nous est venue de Cappellen, et ce que nous disait l'honorable ministre de l'intérieur, à savoir qu'il serait à désirer que partout à la campagne il y eût des écoles de filles ; mais la loi s'y oppose : on ne peut pas contraindre des communes à établir des écoles de filles. Je connais beaucoup de communes dans la province d'Anvers et dans les Flandres où des particuliers ont érigé des écoles de ce genre indépendantes du gouvernement et de la commune. Ces écoles font le plus grand bien. Si les communes devaient organiser ces écoles, ce serait une forte charge pour elle.

Messieurs, je pourrais m'étendre beaucoup sur tous les services que les religieuses rendent à la société. Mais la discussion serait trop longue. Je suis convaincu que la charité privée, libre de toute entrave,, pourra l'exercer de la manière la plus efficace. Dans un pays catholique comme la Belgique, dans un pays où toujours ont régné les meilleurs, principes, soyez persuadés que la charité privée ne fera pas défaut.

M. Delfosse. - Messieurs, lorsque le ministère a paru pour la première fois dans cette enceinte, il nous a promis d'être un ministère de modération et de conciliation ; je me suis levé alors pour lui prédire qu'il suivrait, au contraire, inévitablement, fatalement une politique partiale et irritante. Je n'étais que trop sûr de ne pas me tromper : l'avenir était pour moi clairement écrit dans le passé.

Les idées de l'honorable M. Dedecker, en matière d'enseignement et de charité, m'étaient bien connues. J'avais lu son rapport sur la proposition Brabant-Dubus, cette proposition qui, elle aussi, était un anachronisme ou un défi et qui excita dans le pays une émotion telle, que ses auteurs durent la retirer. Je l'avais entendu, dans une section centrale que je présidais, combattre avec chaleur, presque même avec fanatisme, les principales dispositions du projet de loi de M. Faider. D'une conviction aussi ardente, aussi absolue, il ne fallait attendre aucune concession sérieuse.

L'honorable vicomte Vilain XIIII professait en ces matières des opinions non moins absolues, non moins ardentes. Comment, d'ailleurs, aurais-je pu croire à sa modération ? Dans un moment de vivacité causée par quelques paroles de mon honorable ami, M. Verhaegen, ne nous avait-il pas menacé d'une mesure que l'honorable M. Osy vient de prôner et qui doit profondément altérer, vicier notre système électoral ?

Je ne pouvais espérer que M. Mercier résisterait aux idées, aux tendances de ses collègues ; il n'en aurait pas la volonté, et l'eût-il, il manquerait de force pour la faire prévaloir. Si M. Mercier a une valeur, c'est en finances et non en politique.

Les trois autres membres du cabinet, étant des hommes nouveaux, des (page 1412) accidents, comme a dit l'honorable M. Nothomb, devaient nécessairement graviter dans l'orbite des deux principaux ministres.

La loi de M. Faider, œuvre de modération et de conciliation, s'il en fut jamais, ne pouvait convenir à un ministère ainsi composé ; elle a donc été retirée pour faire place à un projet qui certes n'a rien de modéré, ni de conciliant.

Ce projet, dont M. le ministre de la justice s'est fait l'éditeur responsable, mais qui a dû être élaboré dans les hautes et mystérieuses régions du parti catholique, est rédigé avec une habileté que j'admirerais, s'il m'était possible d'admirer une conception qui sera funeste à mon pays.

La charité, cette fille du ciel que chacun vénère, est le mot magique derrière lequel on a abrité une série de dispositions que je trouve dangereuses pour les familles, dangereuses pour les pauvres, dangereuses pour nos institutions.

Je m'attacherai' uniquement à ces trois points, laissant aux membres du ministère du 12 août qui siègent dans cette enceinte, le soin, dont ils sauront s'acquitter mieux que moi, de justifier la circulaire de 1849, violemment et injustement attaquée par l'honorable M. Malou.

Le Code civil qui a plus fait pour la gloire de Napoléon que ses victoires et ses conquêtes, a prévu que le prêtre appelé au lit des mourants pourrait abuser de son influence pour se faire instituer légataire.

Si beaucoup de prêtres inspirent et doivent inspirer le respect, s'il en est même qui, comme l'a dit M. Nothomb, poussent le dévouement jusqu'au martyre, on en voit aussi qui excellent dans l'intrigue et dont il faut se défier.

De là cette précaution de l'article 909 du Code civil défendant aux ministres des cultes comme aux médecins qui auront assisté une personne pendant la maladie dont elle meurt, de profiter des dons et legs faits en leur faveur pendant le cours de cette maladie.

Par cette sage mesure, le patrimoine des familles se trouvait sauvegardé contre les manœuvres qui ne se pratiqueraient que trop au lit des malades, si elles pouvaient être couronnées de succès.

Cette garantie, inscrite dans l'art. 909 du Code civil, dans l'intérêt des familles, va être implicitement annulée par la loi que nous discutons, le ministre du culte qui aura assisté une personne à ses derniers moments, ne pourra être ni donataire, ni légataire, mais il pourra devenir administrateur spécial, largement salarié, d'une riche fondation.

Si, comme cela arrivera souvent, le ministre du culte est un homme honorable, désintéressé, qui répond qu'il ne sera pas poussé par le désir fort naturel d'augmenter l'influence du corps auquel il appartient ? Ce qu'il ne ferait pas dans son intérêt privé, il le fera peut-être dans ce qu'il croira être l'intérêt de l'Eglise.

Je prévois que peu d'années après la publication de la loi, les ministres du culte et surtout les évêques seront administrateurs spéciaux d'une foule de fondations, qu'ils auront d'immenses revenus à distribuer.

Il ne faut pas, messieurs, comme l'honorable M. Malou nous y conviait hier, juger de ce qui arrivera après le vote de la loi, par ce qui s'est passé de 1830 à 1847.

A cette époque la législation même interprétée dans un sens contraire à la circulaire de 1849 ne donnait pas aux testateurs en matière de fondation des droits aussi étendus, aussi certains que ceux qu'ils vont tenir des articles 72 et 78 de la loi.

L'Eglise d'ailleurs ne marchait pas alors aussi résolument, aussi ouvertement qu'aujourd'hui à la poursuite de la domination temporelle.

Le clergé va donc avoir d'immenses revenus à distribuer. Tant mieux, me dira-on, il y a, dans notre pays et surtout dans les Flandres tant de misères à soulager, que jamais, quoi qu'on fasse, les secours n'atteindront les besoins.

C'est, messieurs, une triste vérité ; oui, il y a dans notre pays de grandes misères à soulager Oui, les secours, quoi qu'on fasse, resteront toujours au-dessous des besoins. Mais d'honorables collègues l'ont fait observer avec raison, c'est surtout par le travail qu'il faut agir sur la misère. L'aumône seule est un vain palliatif.

Vous aurez beau verser d'abondantes aumônes, si le nombre des travailleurs, si la quotité du travail productif diminue, la misère augmentera.

Le reproche que j'adresse au projet de loi c'est justement de tendre à diminuer le nombre des travailleurs. La distribution des secours n'étant plus centralisée se fera nécessairement avec moins de discernement, avec moins de connaissance des vrais besoins. Elle sera une excitation permanente à l'oisiveté qui, pour me servir d'une expression de Charles-Quint, est commencement de tous maux, de tous vices, et qui de la part d'un homme apte au travail, est un vol fait aux vrais pauvres.

M. de Theux. - Nous sommes d'accord.

M. Delfosse. - Le nombre des travailleurs diminuera encore par l'accroissement des corporations religieuses, qui, j'en suis convaincu, sera la conséquence de la loi.

Oui, messieurs, malgré les dénégations plus subtiles que solides, plus spirituelles que concluantes de l'honorable M. Malou, cette loi aura pour résultat de multiplier les couvents.

Personne ne peut nier que les couvents ont toutes les sympathies, du haut clergé. Cela est prouvé par ce qui se passe à Rome et dans tous les pays ou le clergé domine.

On peut donc être sûr que le clergé usera de tous les moyens en son pouvoir pour propager, pour étendre ces institutions qu'il croit utiles au développement des idées religieuses.

Qui empêchera un évêque, devenu administrateur spécial d'un hospice ou d'une école, de confier cet établissement à une corporation religieuse ? Et qui sera jugé, si ce n'est lui, du nombre des religieux nécessaires au service ?

Il faudrait des abus bien criants, il faudrait un personnel religieux bien exubérant, bien envahissant pour qu'un procureur du roi se décidât, soit d'office, soit sur la demande de la députation permanente, par laquelle il n'est pas lié, se décidât à intenter à son évêque une action en détournement, à provoquer contre lui une mesure de rigueur.

L'honorable M. Malou, pour l'opportunité, pour l'utilité de sa cause, mettait hier en présence du procureur du roi un tout petit administrateur d'une toute petite fondation. Pour être dans le vrai, il faut y placer l'évêque, personnage très respecté et très puissant, et je maintiens que le procureur du roi réfléchira longtemps avant de poursuivre.

L'honorable M. Malou nous a demandé si à ces garanties qui, d'après nous, seront très souvent illusoires nous préférerions l'absence de garanties Ce n'est pas là, messieurs, un argument sérieux ni digne de l'honorable membre.

Nous devons nous attendre à voir plus d'une fois se reproduire impunément le fait de la présence d'un religieux ou d'une religieuse pour deux malades, pour deux vieillards, pour deux enfants. A ceux qui se plaindraient l'évêque administrateur spécial répondra qu'il tient à ce que les malades, les vieillards, les enfants soient bien soignés, et qu'un personnel trop nombreux vaut mieux qu'un personnel insuffisant.

M. le ministre de la justice répondrait, lui, c'est le sens d'une réponse qu'il a faite à la section centrale, que le personnel religieux n'étant aux malades, aux vieillards, aux enfants que dans la proportion d'un à deux, reste l'accessoire de l'œuvre de bienfaisance, et que par conséquent les plaintes ne sont pas fondées.

Quant à la presse, ce quatrième pouvoir dont M. le ministre de la justice nous a parlé, si elle s'occupe de cette affaire, il y aura quelques journaux qui crieront à l'abus, au scandale. Il y en aura d'autres qui diront que tout est pour le mieux, et la plupart des lecteurs qui n'ont aucun moyen de vérifier les faits ni de remonter aux sources, flotteront indécis entre les deux opinions.

En général à peu d'exceptions près, les corporations religieuses s'établiront, s'étendront, et vivront, paisiblement à l'ombre des fondations dont l'administration sera confiée au clergé,, et les corporations contemplatives auront leur part comme les autres.

En vain l'honorable comte de Liedekerke nous a-t-il dit que la corporation qui desservirait un hospice, une école, cesserait par cela même d'être contemplative. Les religieux sauront bien organiser le service de manière à conserver la plus grande partie de leur temps pour la contemplation, pour la prière. Le travail n'étant que l'accessoire, ne les empêchera pas de rester un ordre contemplatif.

Les corporations contemplatives ou autres attachées aux fondations de charité seront à l'évêque administrateur spécial ce que celui-ci sera au bureau de bienfaisance. Les fondations de charité ne jouiront pas de la personnalisation civile ; mais elles en retireront tous les avantages Le bureau de bienfaisance qui devrait tout faire, puisqu'il jouit seul de la personnification civile, ne fait rien ; il n'intervient que pour la forme, il n'est que le prête nom de l'évêque, administrateur spécial. De même, l’évêque, administrateur spécial, sera le prête-nom des corporations religieuses.

Voilà, si je ne me trompe, les couvents rétablis indirectement comme personnes civiles ; les couvents, ces institutions du moyen âge (je me sers de cette expression, malgré la réprobation dont elle a été frappée hier par l'honorable M. Malou) ; ces institutions du moyen âge qui ont été la scène d'abus dont plus d'un fait récemment signalé prouve que le retour n'est pas impossible et qui néanmoins sont l'objet de l'admiration de l'honorable M. Malou et de l'honorable comte de Liedekerke ; les couvents que nous sommes loin de vouloir abolir, comme le prétend l'honorable M. Osy, nous respectons la liberté d'association inscrite dans la Constitution, mais auxquels nous ne voulons pas, même indirectement, accorder le privilège de la personnification civile.

Tel est, messieurs, le but ; tel sera le résultat de la loi. La charité, j'en ai la conviction, n'est qu'un prétexte. Vous demandez la liberté de la charité, on vous l'a dit et répété à satiété, cette liberté, vous l'avez. Ne pouvez-vous pas, dans les limites de la quotité disponible, donner ou léguer tous vos biens aux pauvres, à un ou plusieurs pauvres désignés, comme vous pourriez, pour répondre à une comparaison de l'honorable M. Malou, que cet honorable membre a crue piquante, mais qui n'était pas digne du sujet, comme vous pourriez les donner ou léguer à votre maîtresse, à une fille perdue ?

Ne pouvez-vous pas former des associations charitables de toute espèce ? Ne pouvez-vous pas donner ou léguer aux hospices et aux bureaux de bienfaisance ?

Le prêtre, dites-vous, est exclu par nous. Mensonge ! Le prêtre peut, comme tout autre citoyen, faire partie des commissions administratives et des comités de charité.

Cette liberté si grande, dont vous jouissez, ne vous suffit-elle pas ? Vous faut-il quelque chose de plus ? Voulez-vous le droit d'ériger des (page 1413) fondations, de les confier à des administrateurs de votre choix ? Soit ! Nous le voulons bien. Mais souffrez que, dans ce cas, l'exercice de votre droit soit soumis à l'approbation du pouvoir législatif, dont l'intervention sera beaucoup plus efficace pour prévenir les abus, que celle d'un ministre parfois trop facile et trop complaisant.

C'est là ce que voulait le projet de loi de M. Faider ; c'est ce que nous voulons. C'est ce que vous accepteriez, si vous n'aviez en vue que la charité.

Comme à vous, messieurs, la charité nous est chère. Comme vous, nous reconnaissons, nous apprécions les services rendus par les sœurs de charité à l'humanité souffrante, par ces sœurs qui, plus humbles et plus désintéressées que les prélats, refusent (c'est l'honorable M. Malou qui nous l'a dit) les médailles et les décorations, et n'attendent leur récompense que du Ciel.

Comme vous, nous admirons les belles paroles de Jésus-Christ : Aimez-vous les uns les autres. Mais les sœurs de charité, mais les âmes sensibles n'ont pas besoin de votre loi pour aimer et pour se dévouer. Non ! ; non ! une loi qui est destinée à assurer la domination du clergé, n'a pas été inspirée par Celui qui a dit : Mon royaume n'est pas de ce monde.

Messieurs, cette loi, sachez-le bien, tenez-vous-le pour dit ; c'est en vain que vous vous flattez de l'éterniser, elle subira toutes les vicissitudes parlementaires. Elle durera jusqu'au moment où le pays, voyant enfin où l'on veut le conduire, enverra dans les Chambres une majorité libérale pour en faire justice.

Je sais bien, et vous nous l'avez donné à entendre, que le clergé usera plus que jamais dans les élections de tous ses moyens d'influence, qu'il défendra la lecture des journaux qui signalent ses prétentions et ses fautes, qu'il pèsera sur les consciences au profit de ses candidats, qu'il voudra réussir à tout prix ?

Y parviendra-t-il ? Il ne faut pas se le dissimuler, la lutte sera difficile, aux moyens d'influence que le clergé possède et qui sont bien grands surtout dans notre pays, la loi, et c'est en cela que je vois un danger pour nos institutions, va ajouter le poids d'immenses richesses. Administrateur spécial d'une foule de fondations, le clergé aura bien des faveurs à répandre, bien des places lucratives à conférer, bien des choses à acheter. Que d'appâts nouveaux pour attirer, pour enlacer les électeurs !

J'ai néanmoins assez de foi dans l'intelligence, dans la fermeté, dans la probité de mes concitoyens pour espérer qu'ils ne se laisseront ni tromper, ni séduire, ni intimider, qu'ils sauront séparer le domaine religieux du domaine politique et qu'ils ne livreront jamais nos belles institutions à un parti qui leur serait hostile.

S'il en était autrement, si l'intrigue l'emportait sur le bon droit, l'intérêt d'une caste sur les intérêts de tous, j'en serais désolé pour mon pays. Il ne tarderait à déchoir dans l’estime du monde et à voir tarir la source de sa prospérité.

Si alors de mauvais jours, comme on en a vu, revenaient, si les passions révolutionnaires étaient de nouveau déchaînées, aurait-il encore la force, aurait-il encore la volonté d'y résister, de s'en préserver ? Je crains que non, messieurs, car il n'aurait plus, comme en 1848 le sentiment de son bien-être et de sa liberté.

Profondément dévoué à mon pays et à ses institutions, je repousse de toutes mes forces, de toute mon énergie un projet de loi qui les met en péril.

Je jette le cri d'alarme. Puisse-t-il être entendu, puisse la sagesse des Chambres ou, plus tard, celle des collèges électoraux écarter les dangers dont nous sommes menacés par un parti qui n'a rien appris et rien oublié.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour motiver laconiquement mon vote sur une loi aussi importante que celle que nous discutons.

Je demande de toutes mes forces que la loi actuelle soit sanctionnée. Je ne pense pas, comme l'honorable préopinant, qu'elle doive être fatale au pays ; je crois, au contraire, qu'elle augmentera le patrimoine des pauvres, je crois qu'elle adoucira considérablement le sort de nos 800,000 malheureux et je suis convaincu que le principe de liberté qui se trouve dans la loi diminuera la somme des misères morales et matérielles qui accablent l'humanité.

Je connais, messieurs, un grand nombre de personnes qui étaient disposées à donner, en faveur de l'humanité souffrante, des sommes considérables. Eh bien, elles ont reculé par cela seul qu'on les forçait.de confier leurs donations à l'autorité publique, au pouvoir ; elles voulaient, en faisant du bien à l'humanité, disposer de leurs dons comme elles l'entendaient ; elles trouvaient que c'était une espèce de tyrannie que de leur dire : Le bien que vous ferez doit passer par les bureaux de bienfaisance ou par les administrations des hospices ; elles trouvaient que c'était un attentat à la liberté, une chose inconcevable dans un pays libéral comme le nôtre, où nous avons proclamé le grand principe de liberté de l'enseignement, de la presse et de l'association.

Voyez, messieurs, ce qui se passe en Hollande, en Angleterre, en France et dans tous les pays civilisés ! Dans ces pays, de temps immémorial on est maître de son bien, on est libre de le donner à qui l'on veut. Et vous voudriez le contraire en Belgique !

Messieurs, les frais qu'occasionne la charité privée tout bien moindres que ceux de la charité officielle. Cela est prouvé par des chiffres. Mais, dit-on, il n'y a pas de contrôle. A cet argument, je répondrai que nous voulons la liberté de la charité, mais nous voulons un contrôle efficace et ce contrôle est organisé par le projet de loi : il y a inspection de la part de la province, de la commune et du gouvernement.

On ne peut donc pas dire que la liberté que nous demandons soit sans contrôle ; elle est, au contraire, fortement contrôlée.

Si l'on augmentait les attributions des bureaux de bienfaisance, on augmenterait en même temps le travail de ces administrations.

Eh bien, les fonctions des membres de bureaux de bienfaisance sont déjà très pénibles, elles sont exercées gratuitement, et par humanité, et dans nos campagnes on a beaucoup de peine à trouver des maîtres des pauvres ; si on augmentait encore leur travail, il faudrait bientôt faire comme pour le jury : frapper d'une amende ceux qui refuseraient de remplir ces fonctions.

J'ai vu, messieurs, dans nos campagnes le bien immense que fait la charité libre ; il suffirait de citer ces institutions agricoles, ces espèces de fermes dirigées par quelques sœurs de charité ; il y a là quelques hectares de terre administrés par trois ou quatre sœurs et on y entretient plusieurs centaines de vieillards moyennant 16 à 20 centimes par jour et par individu.

Toutes ces belles institutions ont été fondées par la charité libre.

Il y a, messieurs, dans nos Flandres plusieurs communes où l'en est parvenu à abolir la mendicité. Ainsi à Rumbeke lez-Roulers, il n'y a plus de mendiants.

C'est à la charité libre qu'on le doit ; des personnes bienfaisantes vont visiter les pauvres et procurent de l'ouvrage aux valides, des secours aux vieillards et aux incurables.

Des notables, et la classe aisée se sont cotisés pour aider ces dernières catégories de malheureux. Vous aurez beau faire, les vieillards et les infirmes devront toujours être soutenus, et l'on peut dire à juste titre qu'en Belgique la charité n'a jamais été séparée de la religion.

Je suis donc intimement convaincu, messieurs, que la loi en discussion, loin d'être fatale, comme le pensent nos honorables adversaires, fera infiniment de bien, et je terminerai comme j'ai commencé, ex disant qu'elle aura pour effet d'augmenter considérablement le patrimoine des pauvres.

Et je répète que si la loi passe, je suis persuadé que les dons augmenteront dans de vastes proportions et qu'on parviendra à adoucir le sort de nos 800,000 pauvres.

M. de Brouckere. - Messieurs, je débute en réclamant votre indulgence. Cette précaution oratoire n'est point superflue. Après les chaleureux discours que vous avez entendus depuis dix jours, mon langage vous paraîtra bien froid. A chacun son rôle. Le mien n'est point de passionner la discussion. Pendant que j'étais au pouvoir, tout le monde me rend cette justice, j'ai tout fait pour prévenir les discussions irritantes. La conduite du représentant ne démentira pas celle du miistre.

Aux exagérations, aux phrases à effet, je répondrai en n'appelant à mon secours que la logique. Je tâcherai, non pas de toucher et d'émouvoir, mais de démontrer et de convaincre.

En demandant la parole, je n'ai qu'un but, celui de justifier le projet de loi qui vous a été présenté en 1854. Je m'efforcerai de vous prouver que ce projet donnait pleine satisfaction à toutes les exigences raisonnables, qu'il était de nature à pouvoir être accepté par toutes les opinions modérées, sauf peut-être quelques modifications de détail sur lesquelles on eût pu s'entendre ; et vous verrez alors que si le cabinet actuel a si dédaigneusement écarté ce projet, il a été mû en cela par un intérêt tout autre que celui des pauvres.

Vous vous rappelez, messieurs, qu'au nombre des questions en présence desquelles se trouvait le ministère de 1852, dès son entrée aux affaires, figurait en première ligne celle qu'on est convenu d'appeler la question de la charité. Des faits qu'il est inutile de rappeler lui imposaient le devoir d'en présenter la solution.

Il ne s'est pas un seul instant dissimulé ni l'importance ni les difficultés de cette question. Aussi, le membre du cabinet que cela concernait plus particulièrement, ne tarda-t-il pas à s'en préoccuper et le travail qui fut le résultat de ses études, démontre et les recherches laborieuses auxquelles il s'était livré et sa profonde connaissance de la matière.

Au surplus, avant d'être présenté à la Chambre, ce travail avait été délibéré dans de nombreuses conférences auxquelles présidait, je l'affirme sur l'honneur, la plus entière impartialité.

Jamais il n'est entré dans la pensée de mes honorables collègues ni dans la mienne que la charité pût être organisée dans l'intérêt d'un parti. Il y avait accord entre nous, pour nous dépouiller en quelque sorte de toute préoccupation étrangère à la loi elle-même, chaque fois que nous nous réunissions pour examiner et discuter les dispositions formulées par M. le ministres de la justice, et quand nous avons décidé l'entrée de droit du curé dans les administrations de bienfaisance, nous n'avons pas plus voulu faire une concession à la droite que nous n'avons cherché à complaire à la gauche, quand nous avons combiné notre projet de manière à prévenir la trop grande multiplicité des personnifications civiles. Une pensée plus élevée, plus noble, permettez-moi de vous le dire, nous dominait tous : celle de faire une loi' qui favorisât autant que possible les intérêts de la classe pauvre et souffrantes, sans mettre en péril les intérêts à coup sûr non moins sacrés de d'ensemble de la société.

(page 1414) Et ici je rencontre la dernière phrase du discours de l'honorable M. Malou, celle qui résume en quelque sorte ce discours. L'honorable membre veut que nous fassions une loi, comme les pauvres la feraient, s'ils étaient appelés à délibérer à notre place.

Sans doute les pauvres sont l'objet principal, le but de la loi ; mais, en les protégeant autant que possible, la loi a d'autres intérêts à sauvegarder, des intérêts tout aussi dignes d'attention ; et le législateur qui, en faisant une loi sur les fondations ou les dépôts de mendicité, n'aurait devant les yeux que les pauvres seuls, comme celui qui, en s'occupant d'une loi électorale, ne penserait qu'aux seuls électeurs, ce législateur serait bien imprudent et s'exposerait à compromettre grandement les intérêts mêmes qu'il veut protéger.

Au surplus, supposons pour un instant que les pauvres soient appelés à discuter eux-mêmes la loi sur les dons et legs ; supposons que l'ensemble des électeurs soit convoqué pour voter une nouvelle loi électorale ; les notaires, une loi sur le notariat ; les négociants, une loi sur un nouveau système commercial, croyez-vous, messieurs, que pauvres, électeurs, notaires, négociants s'entendraient mieux que nous ? Quant à moi, je n'en crois rien.

Le cabinet de 1852 arrêta donc deux projets de loi, l'un concernant les dons et legs, l'autre relatif à la fusion des bureaux de bienfaisance et des commissions administratives des hospices.

Ces deux projets ayant été revêtus de la signature royale, furent présentés aux Chambre dans la séance du 17 janvier 1854. Occupons-nous pour le moment exclusivement du premier projet.

Les débats auxquels il donna lieu dans les sections témoignent, dit l'honorable rapporteur de la section centrale, de toute l'importance que la Chambre y attachait, de l'examen sérieux et approfondi dont il avait été l'objet.

Quel fut le résultat de cet examen sérieux et approfondi ? Le projet fut accepté par la majorité des membres présents ; et alors, comme aujourd'hui encore, beaucoup d'entre eux qui ne croyaient pas pouvoir l'accepter reconnaissaient du moins qu'il était empreint d'un caractère de modération que reflétaient d'ailleurs les développements dont il était accompagné.

L'épreuve de la section centrale fut également favorable au projet, qui fut, de la part de l'honorable M. Tesch, l'objet d'un remarquable rapport.

Après ce double examen préalable il restait au projet à subir la grande épreuve de la discussion générale. Si elle avait eu lieu pendant que nous étions au pouvoir, loin de diviser, dès le début, la Chambre en deux catégories, ceux qui trouvent qu'on fait trop peu pour les pauvres et ceux qui trouvent qu'on fait trop pour eux, catégories qui 'existent que dans certaines imaginations ; nous aurions employé tous (manquent quelques mots$) violente ; car la chanté dont il s'occupe, la charité est indulgente, la charité est bienveillante, et à ceux qui ne font que rechercher las moyens de la rendre aussi efficace, aussi fertile que possible, un langage modéré et calme convient mieux que les accusations et les insinuations malveillantes. (Interruption.)

Si j'avais entendu l'interruption je pourrais y répondre.

Depuis dix jours je n'ai pas interrompu une seule fois un seul orateur.

M. Malou. - Je n'ai pas interrompu, j'ai demandé à un de mes voisins si c'était à moi que l'observation s'adressait.

M. de Brouckere. - Je ne vous adressais pas la parole.

Notre projet ne pouvait convenir à nos successeurs dans toutes ses dispositions, je le comprends, mais ne pouvait-il être de leur part l'objet d'amendements qui eussent été soumis à un examen préalable ? Il était modéré, le ministre de la justice en convient lui-même ; d'autres adversaires en conviennent avec lui. Il semblait dès lors, et telle était, messieurs, à une certaine époque l'opinion de plusieurs membres influents de la droite, il semblait, selon ces derniers, pouvoir servir de base à une transaction, à un arrangement entre les partis, si on avait réellement voulu une transaction, un arrangement sur une matière qui intéresse tout le monde au même degré. Mais non, le cabinet paraît n'avoir rien de plus à cœur que de faire montre vis-à-vis du pays de la réprobation dont il frappe ce projet arrêté par l'unanimité de ses prédécesseurs, signé par le chef de l'Etat et approuvé par la majorité de la Chambre dans deux épreuves successives.

Il sollicite et obtient un arrêté royal qui en annule un autre de date récente, sans qu'aucune circonstance soit venue changer l'état de choses entre la date du premier arrêté et la date du second ; il présente an pouvoir législatif un ensemble de dispositions basées sur des principes diamétralement opposés à ceux qui n'attendaient plus que l'épreuve de la discussion publique.

Un tel fait est grave ; il a peu d'antécédents ; et je regrette de devoir rappeler comment il a été justifié par l'auteur du projet actuel.

En présentant son projet, dit-il, il a obéi à la volonté du pays, laquelle volonté du pays s'était manifestée dans les dernières élections. Sur quoi repose cette allégation ? On ne vous l'a pas dit, et je vous l'avoue, je l'ai vainement cherché.

Elle démontre, me semble-t-il, de il part de M. le ministre de la justice une singulier manque de mémoire. En effet, dans les dernières élections, un double fait doit l’avoir particulièrement frappé et l'a particulièrement frappé ; ce double fait s'est passé dans le Hainaut. L'auteur du projet de loi actuel s'est présenté devant les électeurs de cette province. Certes l'on n'a épargné pour faire réussir sa candidature, ni démarches ni dépenses ; et pourtant cette candidature a échoué.

D'autres électeurs de la même province ont.au contraire élu, sans aucune démarche de sa part, le chef du cabinet qui avait présenté le projet de 1854 ; et croyez-le bien, la perspective de la discussion actuelle n'a pas été pour rien dans ce double fait.

Si je ne me suis pas rendu dans le Hainaut avant les élections, j'ai reçu la visite de bon nombre d'électeurs ; aucun ne m'a parlé de mes opinions politiques ni de mes opinions économiques. Mais il en est plusieurs qui ne m'ont pas caché que s'ils avaient jeté les yeux sur moi, étranger à leur province, c'est parce qu'ils désiraient le triomphe des principes du projet de 1854.

Je me rapporte à la réponse de chacun de vous sur la question que je vais poser : Croyez-vous que si j'avais répondu à ces électeurs : Vous vous trompez, je ne professe plus les opinions que j'ai pratiquées toute ma vie ; j'ai passé, des opinions de la gauche aux opinions de la droite, je répudie le projet de 1854, je parlerai et je voterai pour le projet de M. Nothomb ! Croyez-vous que les électeurs de Mons m'eussent élu ? Evidemment non. D'ailleurs, permettez-moi de vous le dire, j'ai trop d'estime pour les électeurs du Hainaut, pour croire qu'ils accepteraient pour leur représentant un homme qui du jour au lendemain renierait les opinions de toute sa vie. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président. - Je rappelle aux personnes placées dans les tribunes, qu'elles ne peuvent se permettre aucun signe d'approbation ou d'improbation.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Nothomb ne s'est pas trompé sur le sens du double fait que j'ai rappelé, et il n'a pas caché que le cabinet eût été en général satisfait de l'ensemble du résultat électoral, n'était ma malheureuse élection. J'en suis convaincu, les regrets de l'honorable M. Nothomb ne touchent pas ma personne. Mais il comprenait parfaitement bien quel parti l'on tirerait à bon droit de mon élection mise en présence de son échec dans la même province, quel parti l'on en tirerait quant au projet de loi qui nous occupe.

Voyons cependant, messieurs, en quoi les deux projets diffèrent essentiellement ; ce rapprochement ne sera pas inutile.

Le projet de 1854 avait pour but de faciliter les fondations, veuillez le remarquer, de faciliter les fondations et d'éviter la multiplicité de» personnifications civiles. A cet effet, il posait les principes suivants :

1° Il reconnaissait la liberté de la charité privée, de la charité individuelle ou associée.

2° Il établissait la centralisation et le régime de la charité organisée, de la charité publique ou fondée.

3° Il décrétait la saisine des établissements de bienfaisance, des biens légués aux pauvres et comme conséquence immédiate il leur confiait l'administration de ces biens ou une part dominante dans cette administration.

4° Il consacrait la faculté de fonder soit un établissement complet par une loi spéciale, soit des œuvres charitables au moyen d'une coopération de la part des bienfaiteurs.

5° Enfin il sanctionnait la spécialité de mission des administrations officielles ; c'est-à-dire, que ce qui est bienfaisance ne pouvait appartenir aux fabriques, ni aux conseils communaux, et réciproquement.

Voilà le résumé du projet de 1854.

Le projet de 1856 admet largement tout ce que le projet de 1854 voulait éviter.

L'article 70 supprime évidemment les limites, quant à l'application des fondations.

L'article 71 admet la saisine des établissements officiels ; maïs le projet les prive en même temps de l'administration, en cas de fondation particulière.

Les articles 78 et 79 admettent d'une manière absolue les administrateurs, collateurs et distributeurs spéciaux.

Là est l'extension illimitée de la personnification civile, et la multiplicité sans bornes, des individualités fictives.

Le correctif devrait être le contrôle efficace, c'est-à-dire le bon emploi des revenus au moyen de l'unité administrative.

Dans le projet de 1854 le contrôle perpétuel et certain se trouve dans le principe d'une administration dominante, d'une administration officielle dans la gestion. Dans ce système, point d'abus, ou du moins le moins d'abus possible.

Dans le projet de 1856, le contrôle consiste dans des moyens de contrainte, moyens auxquels finiront par échapper un peu plus, tôt ou un peu plus tard, tous les administrateurs spéciaux sans exception selon qu'ils seront plus ou moins puissants. Là est le danger quant aux abus d'administration, tout comme le danger, quant aux abus de la personnification civile, est la faculté de créer des administrateurs spéciaux indépendants.

Je reprends.

Le projet de 1854, ai-je dit, admettait complètement, de la manière la plus absolue la liberté de la charité.

Quoi ! nous dit-on il consacre la libellé de la charité et, il refuse au (page 1415) gouvernement le droit d'accorder la personnification civile aux fondations de charité ! Il refuse aux fondateurs le droit d'instituer à perpétuité pour les biens qu'ils lèguent des administrateurs spéciaux !

Messieurs, la charité pratiquée par celui qui donne de son vivant, qui ne prive que lui-même pour venir en aide à ceux qui souffrent, cette charité que personne ne veut entraver n'a pas les mêmes caractères que les fondations. Pour cette charité, liberté entière, sans restriction aucune. Pour les fondations la société réclame toujours, et partout elle a établi des restrictions dont il y aurait grand danger à les affranchir.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire quelques lignes du rapport de l'honorable M. Tesch. Je ne saurais expliquer dans de meilleurs termes que lui la différence qu'il y a entre la charité, la charité proprement dite, et les fondations que nos adversaires semblent toujours vouloir confondre.

« La liberté de la charité, dans l'acception vulgaire du mot, c'est le droit de distribuer, de son vivant, ses biens aux pauvres, de les mettre en circulation, si l'on peut dire ainsi, par l'aumône.

« La liberté d'établir des fondations, c'est le droit de disposer de ses biens, de son vivant, pour une époque où l'on ne sera plus, de leur donner une affectation particulière, de leur imposer des liens qui résistent au temps et aux modifications sociales.

« Celui qui fait la charité se dépouille lui-même ; celui qui fonde dépouille d'ordinaire sa famille. La charité se trouve ainsi en lutte avec un des sentiments les plus forts chez l'homme, l'amour de soi, tandis que le droit de fonder n'a de contrepoids que dans l'amour de la famille, beaucoup moins puissant, surtout quand il s'agit de collatéraux.

« La charité implique l'idée d'une distribution que fait lui-même celui qui donne ou qu'il fait faire par une personne qu'il connaît. La charité suppose le discernement dans celui qui agit ou la confiance dans celui qu'il fait agir.

« La fondation, après un certain temps d'existence, entraîne la nécessité d'une distribution par des administrateurs complètement ignorés du fondateur.

« La liberté de la charité laisse l'avenir intact ; la liberté de fondation l'entreprend : plus il y aura de biens, de richesses soumises à des affectations spéciales immuables, plus il y aura de limites posées à la liberté des générations futures.

« Celui qui fait la charité agit dans la plénitude de l'intelligence et de la santé. Celui qui fonde dispose souvent sous l'empire de circonstances qui lui enlèvent une partie de sa raison et de sa liberté.

« La liberté de la charité est sans inconvénient. Le droit de créer des fondations, s'il n'est pas sagement réglé, peut avoir des dangers sérieux pour la famille et pour la société. L'on comprend donc que ces modes différents, par lesquels se manifeste l'amour du prochain, soient soumis a des règles diverses. »

Ainsi, messieurs, liberté entière pour la charité, et quant aux fondations, liberté de fonder un établissement sauf approbation du pouvoir législatif.

Voici les termes de l'article 5 du projet de 1854 : « Tout établissement indépendant, régi par une administration spéciale complète, devra être autorisé par une loi. »

C'est donc encore une liberté dans le sens le plus absolu du mot : liberté de fondation, avec personnification civile, sauf l'approbation du pouvoir législatif.

En second lieu, liberté de stipuler la coopération de la famille des bienfaiteurs à la direction des établissements qu'ils fondent ou qu'ils dotent. Voici comment étaient conçus les articles 12 et 15 du projet :

« Art. 12. Les fondateurs et les bienfaiteurs d'hospices pourront réserver pour eux ou pour les membres de leur famille, le droit de concourir à la direction des établissements qu'ils ont fondés ou dotés, et d'assister, avec voix délibérative, aux séances de leurs administrations ou à l'examen et à la vérification des comptes, à la charge de se conformer aux lois et règlements qui dirigent l'administration des bureaux de bienfaisance et des hospices.

« Sera réputé fondateur d'un hospice, celui qui aura personnellement donné ou légué les fonds et les bâtiments de l'hospice ou des valeurs suffisantes pour en permettre l'élection.

« Sera réputé bienfaiteur d'un hospice quiconque aura personnellement fourni une dotation suffisante pour assurer l'existence de l'établissement.

« Si plusieurs individus s'associent pour fonder ou pour doter un hospice, ils peuvent se réserver le même droit de concours.

« Dans les cas prévus par cet article, le nombre des tiers intervenants pourra être égal à celui des administrateurs légaux, moins un. »

« Art. 13. Les fondateurs de lits dans les hospices pourront réserver peur eux ou pour les membres de leur famille, le droit de présenter les indigents pour occuper les lits dépendant de leurs fondations, à charge de se conformer pour le surplus aux lois et règlements qui dirigent l'administration des bureaux de bienfaisance et des hospices.

« Est réputé fondateur de lit, celui qui a personnellement assuré à l'établissement une dotation suffisante pour entretenir un ou plusieurs naïades. »

Que reproche-t-on à ce système ?

Sur le premier point, on veut que la simple autorisation du gouvernement suffise pour la personnification civile. Mais pourquoi donc cette peur du pouvoir législatif ? Pourquoi cette méfiance à son endroit ? Ce n'est ni peur ni méfiance, répond-on. Mais une pareille mission est au-dessous de sa dignité.

Mon honorable ami M. Faider a répondu par avance à cette objection : « Une telle mission, dit-il, n'est pas indigne du législateur. S'il est appelé à créer un simple citoyen par la naturalisation ordinaire, à rectifier les limites d'une commune, à régulariser une dépense minime, il peut à plus forte raison et sans déroger, être appelé à conférer la vie civile à une institution qui peut offrir ou acquérir une grande importance et se trouver ainsi digne d'occuper la pensée des premiers pouvoirs de l'Etat.

Quant au second point, on pourra regretter peut-être que la coopération de la famille ne soit pas plus large, mais cette coopération devait nécessairement être établie de manière à maintenir dominante l'admission officielle, précisément en vertu du principe de la saisine qui n'est rien sans l'administration.

C'est le principe qui domine et qui devait dominer toutes les dispositions relatives aux administrateurs, aux collateurs et aux distributeurs.

Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit dans l'esprit de nos honorables contradicteurs. Il s'agit de tout autre chose, et ici j'aborde le point délicat, le point essentiel de la discussion.

Dégageons d'abord le débat de toutes les exagérations dont on s'est plu à l'entourer. C'est en vain que les orateurs qui ont parlé en faveur du projet de loi, se sont bénévolement attribué à eux-mêmes le rôle de défenseurs de la religion, de défenseurs de la liberté de conscience, de protecteurs de la liberté de la charité.

La liberté de la charité n'est pas plus en cause ici que la liberté de la religion ou la liberté de conscience.

En quoi, je le demande, la pratique de la religion est-elle gênée par notre projet de loi ?

En quoi la liberté de conscience est-elle restreinte ? Je défie qu'on me cite une ligne de tout notre projet qui ait eu ce but ou qui puisse avoir ce résultat.

Ce sont là, messieurs, des mots à effet, ce sont des mots que l'on emploie pour produire une certaine impression.

Ce sont également des phrases à effet et rien de plus que celles que l'on nous répète tous les jours pour nous vanter les services que rendent à leurs semblables les sœurs de charité, les sœurs noires, ces nobles filles, ces sœurs hospitalières auxquelles on rend hommage de ce côté de la Chambre au moins autant que du côté droit.

Les sœurs noires, les sœurs hospitalières, à quelque ordre qu'elles appartiennent, ne sont point en cause ici ; mais, messieurs, permettez-moi de vous faire saisir par un seul mot la différence qu'il y a entre protéger les sœurs hospitalières on bien vouloir l'extension sans limite des personnifications civiles ; les sœurs hospitalières, messieurs, soignent, soulagent, consolent, elles n'administrent pas.

La liberté de la charité n'est pas plus intéressée dans le débat.

La charité, messieurs, est libre, elle restera libre, entièrement libre, quel que soit le résultat de cette discussion. Ah ! je concevrais que l'on vînt soutenir, à l'occasion, par exemple, d'un projet sur la mendicité, à l'occasion d'un projet sur les dépôts de mendicité, je concevrais que l'on vînt soutenir que ce serait entraver la liberté de la charité, si, non content de proposer une peine contre ceux qui mendient dans les rues, et les places publiques, on érigeait également en délit les quêtes qui se font à domicile, les quêtes dont nous a parlé aujourd'hui l'honorable M. Osy et auxquelles certainement personne ne veut apporter aucune entrave et qui sont également hors de cause dans la discussion. Je concevrais, dis-je, que l'on soutînt alors que nous portons atteinte à la liberté de la charité. J'admettrai même que ceux pour lesquels.la mendicité est une vertu, l'état de mendiant une profession honorable, j'admettrais même que ceux-là s'opposassent à ce qu'on punisse la mendicité, mais il n'est question de rien de tout cela dans le projet.

Cherche-t-on à défendre, à limiter, à borner d'une manière quelconque les dons, sous quelque forme que ce soit, en faveur des pauvres ? Quelqu'un songe-t-il à défendre de donner ou de léguer en œuvres de bienfaisance toute la partie disponible de son patrimoine ? Pas le moins du monde.

Ainsi, messieurs, j'ai établi que la religion est hors de cause, que la liberté de conscience est hors de cause, que la liberté de la charité est hors de cause et que les sœurs hospitalières sont hors de cause. Je vais plus loin sans cesser d'être exact, et je dis, c'est improprement que l'on qualifie l'ensemble des dispositions que nous discutons, de loi sur la charité ; on devrait les nommer : loi sur les fondations et sur les personnifications civiles, car ce sont les fondations et les personnifications civiles qui en sont le principal objet et ce sont elles, à coup sûr, qui ont fait tous les frais de la discussion.

Et les fondations, encore, veut-on les empêcher, veut-on les limiter ? Cela n'est pas vrai. Il s'agit seulement de savoir comment elles seront administrées.

Il y a plus, nous admettons, sans fixer de bornes, nous admettons les personnifications civiles, avec cette seule différence que nous voulons, que ce soit la loi qui les prononce et que nos adversaires veulent que cet soit le gouvernement, auquel nous ne reconnaissons, nous, point de mission à cet effet.

La question principale porte donc sur la manière dont seront administrées les fondations. Nous voulons que les administrations de bienfaisance régulièrement et légalement établies, aient non seulement la saisine des biens qui font l'objet de la fondation, mais, qu'elles en aient (page 1416) aussi la gestion, sans laquelle, messieurs, la saisine, permettez-moi de le dire, n'est qu'une puérilité.

Nos adversaires veulent que tous les fondateurs puissent désigner des administrateurs à perpétuité, en d'autres termes, à côté des administrations de bienfaisance officielles, ils veulent que l'on puisse créer, en faveur du clergé, autant d'administrations spéciales de bienfaisance que l'on voudra.

C'est donc une lutte, je ne veux pas dire d'influence, mais à coup sûr, c'est une lutte d'attributions entre l'élément laïque et l'élément ecclésiastique, entre l'autorité civile et le clergé.

C'est cela, ou la loi ne signifie rien ; elle n'a aucune portée. En présence de cette lutte, le précédent cabinet se considérant comme le représentant de l'autorité civile, avait cru, messieurs, devoir se prononcer pour cette autorité. Nos successeurs prennent un autre rôle ; le pays jugera lesquels d'eux ou de nous ont le mieux compris leurs devoirs.

D'abord, que le législateur ait le droit de régler les fondations, de déterminer comment elles seront administrées, cela ne saurait être douteux pour personne. Tout ce qui concerne les successions, les testaments, les legs, est réglé par la loi.

Ainsi la loi défend les fidéicommis, elle défend les substitutions, elle règle la légitime de certains membres de la famille ; elle limite, quant à la répartition de leurs biens, la liberté du père et de la mère de famille ; elle limite cette liberté, tantôt quant à leurs générosités, dans l'intérêt des enfants, et tantôt en sens contraire, par exemple, quand il s'agit des enfants naturels et des enfants adultérins.

Le droit du législateur, quant aux fondations, n'est.donc pas contestable. Qu'on ne vienne donc plus nous dire que notre projet de loi enchaînait la volonté du donateur ou du testateur, qu'il l'empêchait de disposer de sa fortune à son gré.

Le législateur qui défend à un père de disposer de son bien au-delà d'une génération, pouvait bien, je pense, proscrire la désignation, pour un même bien, d'administrateurs spéciaux à perpétuité, d'administrateurs spéciaux, non pas pour deux générations seulement, mais pour toutes les générations qui suivent.

La question est donc de savoir si en autorisant sans limites et sans bornes des fondations avec administrateurs spéciaux et par suite des personnifications civiles, le législateur fait chose utile, soit au point de vue des pauvres, soit au point de vue des intérêts de la société.

Nous ne l'avons pas pensé. D'abord, nous croyons que les fondations au profit des pauvres seront mieux gérées par des administrateurs, élus à cette fin, dont la mission est précisément d'administrer, qui sont soumis à une surveillance continue et efficace, sujets à réélection, que par des gens qui n'administreront que parce qu'ils occupent une position ou parce qu'ils portent un certain nom, qui le font de plein droit et avec le privilège de l'inamovibilité, au-dessus desquels il y n'a aucune hiérarchie civile, pour lesquels il n'y a pas de dépendance civile.

Je sais bien que la loi renferme une foule de dispositions, destinées, à ce qu'on prétend, à assurer la bonne gestion des administrateurs spéciaux ; mais personne n'est dupe de cet arsenal de moyens coercitifs, pas plus ceux qui les proposent que nous-mêmes.

Les membres du clergé, administrateurs d'une fondation, l'administreront comme ils voudront ou plutôt, comme le voudront leurs supérieurs ecclésiastiques. Je défie les autorités administratives et judiciaires, malgré les articles 92 et 93 du projet dont on a fait un si grand étalage, je les défie de rester maîtres dans la lutte qui s'établirait entre elles et les membres du clergé qui refuseraient de se soumettre à leurs exigences.

« La fraude ne se présume pas, » a dit un honorable orateur, mais la loi est faite précisément pour prévenir la fraude. La preuve que la fraude se présume, je la trouve précisément dans ces nombreux moyens de coercition qu'établit le projet de loi que je combats.

Si la fraude ne se supposait pas, le projet de loi, au lieu de compter une centaine d'articles, aurait pu être formulé en trois articles : « La charité est libre. Les fondations sont libres. Il y aura autant de personnifications civiles qu'on voudra. » Voilà les trois articles dont le projet de loi pourrait se composer, si la mauvaise gestion, si la fraude, si les abus ne se supposaient pas, si la loi ne devait pas, autant que possible, prévenir la mauvaise gestion, la fraude, les abus.

Messieurs, je fais un appel à chacun de vous. Veuillez me dire si vous deviez confier l'administration de votre fortune à des étrangers, ne préféreriez-vous pas des administrateurs reconnus capables comme administrateurs, responsables, sujets à une surveillance de tous les jours, rééligibles au bout d'un certain temps ; ne préféreriez-vous pas ces administrateurs à des hommes que le hasard vous fournirait, qui seraient administrateurs de plein droit, en vertu d'une position qu'ils occupent et qui ne réclame aucune connaissance administrative, ou même en vertu d'un acte de naissance qu'ils produiraient ? Je crois que si une pareille question était posée pour votre fortune, la réponse serait la même sur tous les bancs.

En second lieu, le projet actuel a pour but de créer une concurrence permanente, dans l'administration des biens des pauvres, entre des administrateurs officiels et une foule d'administrateurs spéciaux, entre l'autorité civile et le clergé ; et nous ne pensons pas que cette lutte et surtout cette multiplicité de personnifications civiles soient dans l'intérêt des classes souffrantes et dans celui de la société.

Certes, les vrais pauvres ne se sont jamais adressés à un bureau de bienfaisance qui avait les moyens de les secourir sans qu'ils aient trouvé aide et assistance. Et cependant votre but avoué est de tarir la source qui fournit à ces administrations de bienfaisance les moyens d'aider les malheureux.

Mais qu'on me dise donc quels seront les pauvres, quels seront las malheureux qu'on aidera avec le produit des fondations administrées par des hommes spéciaux ! Seront-ce des pauvres d'une catégorie spéciale aussi ? seront-ce des pauvres privilégiés ?

S'il n'en est pas ainsi, je ne comprends pas la ligue qui s'est formée sur tous les bancs de la droite contre les bureaux de bienfaisance et les administrations des hospices.

« Mais, dit-on, avec votre système exclusif, vous empêchez les libéralités. » Et l'on cite un homme généreux qui a annoncé l'intention de disposer d'une somme considérable en œuvres de bienfaisance, mais qui est arrêté par l'incertitude de la loi.

Ah ! je conçois que l'incertitude dans laquelle nous sommes depuis quelque temps ait arrêté les bienfaiteurs. Incertains, non pas seulement sur la législation qui allait intervenir, mais même sur la portée de la législation qui existait, je conçois qu'ils aient différé la réalisation de leurs bonnes intentions ; mais que le projet de 1854 soit voté au lieu du projet actuel, et l'homme généreux dont on nous a parlé pourra disposer de la somme qu'il entend employer à de bonnes œuvres, il pourra même fonder un établissement complet avec des administrateurs spéciaux, sauf l'approbation de la loi qui à coup sûr ; si la fondation ne présente pas de conditions fâcheuses, ne lui fera pas défaut.

Enfin, messieurs, et je suis près de terminer, si le système du ministère prévaut, les fondations spéciales seront nombreuses, elles feront une lutte acharnée aux bureaux de bienfaisance, elles l'emporteront, on a assez dit pourquoi. Ainsi donc, d'ici à un certain nombre d'années les fondations spéciales remplaceront en grande partie les administrations de bienfaisance, mais vienne ce qu'à Dieu ne plaise un nouveau 1848 avec un peu plus de succès pour les idées révolutionnaires, pensez-vous que vos fondations, pensez-vous que vos nombreuses corporations ne courront aucun danger ? Je le souhaite vivement ; je n'oserais en répondre, et remarquez-le bien, je n'ai pas en vue, en vous parlant de mes appréhensions, un de ces cataclysmes affreux dans lesquels les trônes sont compromis aussi bien que l'ordre publie ; je fais seulement allusion à une réaction violente contre la réaction graduelle qui s'opère en ce moment et que nous cherchons à arrêter dans sa marche imprudente.

Les promoteurs et les défenseurs quand même du projet actuel encourent dans l'avenir une grande responsabilité. J'ai reculé devant cette responsabilité étant ministre, je ne l'assumerai pas comme représentant.

(page 1417) M. de La Coste. Messieurs, la Belgique est du petit nombre des Etats de l'Europe qui possèdent une tribune où l'on peut exposer librement, publiquement, ses opinions sans contrainte et sans crainte du côté, soit du pouvoir, soit d'une pression plus fatale encore à toute liberté.

Délibérons donc avec calme, cherchons à nous convaincre mutuellement ; si les circonstances changent, si l'opinion se modifie, cette opinion nouvelle viendra s'asseoir sur ces bancs et fera la loi telle que les temps l'exigeront. Laissons à l'avenir ses secrets ; faisons notre devoir comme notre conscience nous l'inspire.

Cette discussion menace d'être longue ; si nous allions encore discuter la loi qu'a présentée le ministère de M. de Brouckere, quelle serait la fin de ces débats ? Quant à moi, je reconnais que l'honorable préopinant doit mieux connaître que moi l'esprit dans lequel cette loi avait été conçue, mais si je puis m'en rapporter un moment à mon opinion personnelle, je crois que l'honorable M. de Brouckere ne pourrait plus défendre son projet de loi, tel que la section centrale l'avait fait. Je crois que dans l'idée mère de ce projet, la présence du ministre du culte dans les administrations de bienfaisance était une condition essentielle, que c'était par là qu'on voulait appeler la confiance, qu'on voulait suppléer à la liberté que nous demandons.

L'honorable M. Delfosse est un adversaire convaincu ; je ne dirai pas l'adversaire le plus convaincu, car il a fallu retirer une expression semblable, dans la discussion sur les droits de douane ; il est donc un adversaire convaincu ; il l'a prouvé à l'occasion de la loi sur l'enseignement primaire où lui et deux autres membres ont formé la minorité.

Avant ce vote je m'entretenais avec un ancien collègue de la gauche avec lequel j'avais quelque liaison, et je lui exprimais le regret de ce que nous allions être divisés sur la question qui se discutait.

Point du tout, me répondit-il ; car ce n'est pas ici une loi de parti, c'est une loi sociale. Tel est à mes yeux le caractère de la loi qui nous occupe en ce moment, et aussi j'espère que d'honorables membres, qui siègent sur d'autres bancs, s'associeront encore à nous.

Qu'a-t-on à craindre de cette loi ? On craint surtout les couvents. Si l'on entend par là les œuvres de bienfaisance auxquelles des associations religieuses fournissent d'admirables instruments de charité, comme chacun en convient, personne ne peut les craindre ; mais si on veut parler des couvents proprement dits, tout repose sur une équivoque, car nous sommes aussi peu disposés que vous à faire à ces couvents une autre position que celle de l'article 20 de la Constitution.

Pour rassurer à cet égard, il y a d'abord la garantie du gouvernement : rien ne se fera sans l'autorisation du gouvernement. L'honorable M. Delfosse, à qui je réponds, siège à côté d'autres collègues qui ont d'ordinaire la plus grande confiance dans le gouvernement, qui veulent tout lui abandonner ; je ne dis pas que telle soit l'opinion de M. Delfosse, mais c'est au moins celle de beaucoup de ses amis politiques.

En matière d'enseignement, par exemple, on veut tout abandonner au gouvernement, et ici on s'en défie. Quand, ensuite, on offre à l'honorable membre les garanties de la loi, que dit-il ? Elles sont nulles, elles seront inefficaces, la députation permanente, le procureur du roi, les gendarmes, peut-être, tout doit céder devant le seul regard d'un prélat. Mais si telle est l'idée de l'honorable membre, comment atteindra-t-il son but ? Connaît-il pour cela un autre moyen que la loi ? Si elle est sans force, impuissante, son espoir ne sera-t-il pas également déçu, à moins que l'on n'ait recours à des mesures contre lesquelles l'honorable membre serait le premier à se prononcer, à des mesures qui violeraient les secrets les plus intimes ? Ah ! c'était plus facile à l'époque où remonte la législation qui fait la base de nos discussions, mais c'est ici que se place ma réponse à l'objection que la liberté n'est pas en jeu.

Lorsqu'une loi date d'une époque fort différente de la nôtre (et vous direz tous que les lois doivent être en rapport avec l'époque dont elles sont la règle), lorsque cette loi a traversé la république, l'empire, le royaume des Pays Bas et dix-sept années sous la Constitution belge, en recevant successivement des modifications, des tempéraments qui ont corrigé sa rudesse native, qui l'ont en quelque sorte ouverte à plus de liberté, n'est-ce pas restreindre celle-ci, que de rebrousser chemin, de retourner en arrière vers les temps malheureux où la loi a pris naissance ?

Oui, 1789 a laissé de grands souvenirs ; il y a eu de grands orateurs ; on a posé de grands principes ; mais faisons un pas de plus : nous arrivons à 1790, nous trouvons la constitution civile du clergé.

Qui de nous, devant la Constitution que nous avons juré d'observer, voudrait défendre une législation semblable ?

Allons plus loin. Non ! Je passe sur cette époque ; je passe sur 1793, où l'on s'écriait à la tribune de la Convention nationale qu'il fallait faire un désert de la Belgique, au lieu d'y planter des arbres stériles de liberté.

Voyons l'an V maintenant : était-ce une si belle époque ? Il y avait amélioration ; c'était sans doute bien moins mauvais que ce qui avait précédé.

La législation de ce temps a un mérite relatif. Elle a un grand mérite, dira-t-on : la bienfaisance était sécularisée. Je le crois bien, la religion même avait été sécularisée. Les prêtres ! Les uns avaient subi le martyre, les autres l'exil. Bientôt on allait leur imposer un serment de haine ; ils l'ont repoussé comme la prêtresse antique, qui avait des paroles pour bénir, et non pas pour maudire.

J'ai vu moi-même encore les églises fermées ou désertes, les cérémonies du culte cachées dans l'intérieur des demeures. Il y avait bien une église ouverte, celle de la Place Royale. sur le péristyle, David et Moïse, par une transformation, étaient devenus Lycurgue et Salon. L'église était vide et nue. Il restait seulement une chaire, où l'on avait prêché naguère que l'or était un vil métal, qu'il fallait le changer contre des assignats. Cette morale m'a frappé et je l'ai retenue.

C'est dans un moment où il y avait tendance vers le bien, mais parmi les fluctuations de ce régime, que naquirent les lois sur la bienfaisance.

Le régime de la charité est en rapport avec trois choses : le régime du culte, le régime de l'enseignement et le régime des associations.

Si l'on tient compte de ceci, l'on aura la clef de beaucoup de faits qu'on n'expliquerait pas sans cela, de beaucoup d'actes, de dispositions des gouvernements qui ont précédé celui-ci. C'est surtout pour cela que sous l'empire et le royaume des Pays-Bas le droit de fonder était moins large que ne l'ont entendu les honorables MM. Lebeau et Leclercq et la cour de cassation, sous une Constitution plus libérale.

Quant à la législation des Pays-Bas, on l'interprète souvent comme plus d'un écrivain fait de l'histoire. On explique les temps passés avec les idées du jour.

Le royaume des Pays Bas était formé, comme chacun sait, de deux parties : l'une avait concouru, par une révolution nationale, à dégager son territoire de l'occupation française. Elle tenait exclusivement peu aux lois françaises. Aussi la Loi fondamentale ne leur a donné qu'une existence précaire. Par une disposition transitoire, elle disait que les lois en vigueur seraient maintenues jusqu'à ce qu’il y fût autrement pourvu.

Mais suivant la matière et les disposions constitutionnelles, il devait y être pourvu soit par des lois, soit par des règlements. C'est ainsi que les règlements des villes, qui émanent d'une disposition spéciale de la Constitution, avaient une force égale aux lois pour ce qui concernait l'administration communale, et l'on regardait, comme on regard encore, la bienfaisance officielle comme une dépendance de l'administration communale.

Ces règlements avaient tellement une force obligatoire, qu'ils avaient même une force constitutionnelle dans quelques-unes de leurs parties.

Aussi ce ne fut pas la loi de l'an V, ce fut l’enseignement privilégié qui ferma les écoles de charité, mesure dont le résultat fut peu favorable au gouvernement ; c'est encore le même principe qui a fait refuser l'autorisation aux Frères des écoles chrétiennes.

Des lois tombées en partie en désuétude, ou profondément modifiées sous trois régimes différents, peuvent encore défrayer des discussions parmi les jurisconsultes qui interprètent ou appliquent la loi ; mais en tout cas, elles n'ont plus leur valeur intégrale et primitive aux yeux de l'homme d'Etat, du législateur qui n'applique pas la loi, mais qui la fait.

On trouverait dans l'arsenal des lois françaises des mesures qui ébranleraient la propriété et qui n'ont peut-être jamais été régulièrement et entièrement révoquées ; par exemple, la loi sur les biens des émigrés. Il y a eu beaucoup d'exceptions faites à ces lois en vertu d'une espèce de pouvoir discrétionnaire, qui n'ont jamais été ratifiées par la loi. Qui s'aviserait de revenir maintenant là-dessus ?

On nous dit : Votre conscience vous engage à donner ; donnez donc. Mais que vous importe par qui et comment ce que vous donnerez sera employé ? Messieurs, c'est ce qui importe extrêmement.

La charité n'est pas sans discernement, sans intelligence. Elle a pour but un bien à opérer, et ce bien dépend souvent des mains par qui passe le bienfait. Un juif qui fonde un hôpital pour ses coreligionnaires, un protestant qui fonde une école de charité, un catholique qui fonde une institution semblable, tous veulent le bien, tous veulent l'avantage des pauvres ; mais chacun le veut à sa manière. Il ne suffit pis qu'une administration de bienfaisance soit priée de remplir leurs intentions, si elle le veut bien et si cela ne la gêne pas trop. Je dirai même que la discussion qui a déjà eu lieu jusqu'à présent, et je ne borne pas cette observation au côté où je siège, prouve encore davantage ce que je viens d'avancer. Cette discussion montre à l'évidence qu'il y a, sur les moyens d'employer les fonds charitables, de telles divergences d'opinion, que bien certainement celui qui pense d'une manière ne confiera pas le dépôt de ses bienfaits à celui qui pense d'une manière tout opposée.

Messieurs, du côté de l'influence religieuse on ne voit qui des abus, des vues cupides. Les secours sont donnés aux fainéants, aux hypocrites, les seuls bons pauvres sont inscrits sur les livres de la bienfaisance officielle.

Mais alors pourquoi appelle-t-on des ecclésiastiques dans des comités de charité, des hospitalières au lit des malades ? La bienfaisance publique a sans doute des livres très bien tenus, elle peut rendre de grands services, parce qu'elle dispose de ressource très considérables, mais si elle s'isole des sentiments religieux, elle s’étonnera, elle s’effrayera du vide qui se fera autour d'elle.

(page 1418) On nous parle des libéralités considérables que les circulaires n’ont pas empêchées. Mais je ne conçois pas bien ce que l'on veut prouver par là. Veut-on prouver que plus la bienfaisance, plus la charité sont contraintes, sont gênées, plus cela stimule la charité et la bienfaisance ? que moins on sera assuré que ses intentions seront remplies, plus on donnera ? Cela me paraît pour le moins paradoxal. Veut-on au contraire vous effrayer, en étalant les sommes qui se donnent ? Est-ce qu'il y a trop de bienfaiteurs, trop de bienfaits, ou trop de malheureux, trop de misères ? Si la première supposition était vraie, s'il y avait trop de bienfaits, mais il y aurait une première mesure à prendre. Les octrois municipaux et de bienfaisance oui été créés principalement afin de pourvoir à l'insuffisance des ressources affectées aux pauvres.

Eh bien, on pourrait alors les diminuer ou les supprimer suivant les circonstances ; car on comprendrait avec peine la folie du législateur qui voudrait arracher par l'impôt ce qui est offert d'un mouvement libre et généreux.

Messieurs, voyons donc autour de nous ce qui se fait et ce que produisent ces vues cupides, ces vues dont on se défie tant.

Voilà, dans quelque commune rurale, un pauvre prêtre qui n'a pas d'autre pensée que d’employer tout son avoir à créer un établissement de charité, une de ces écoles dont les jeunes filles ne sortent peut-être pas très savantes, nais dont elles sortent avec les qualités propres à faire de bonnes mères de famille, avec le talent de s'occuper, de maintenir l'ordre, la propreté, la paix dans un intérieur modeste. A ces établissements sont quelque fois attachées des sœurs qui donnent l'instruction, qui portent des secours aux pauvres, qui soignent les malades.

Ailleurs des particuliers se réunissent, se cotisent, s'imposent des sacrifices de temps et d'argent, pour atteindre le même but.

Là c'est l'hospice de vieillards créé par les petites sœurs des pauvres, si justement populaires ; c'est l'admirable institution où sont recueillis les enfants malades ; ce sont les écoles des frères de la doctrine chrétienne, ou des ouvriers qui sont quelquefois adoptés, patronnés par des administrations fort libérales. Ce sont les de Saint-Vincent de Paul qui vont porter des secours à domicile et qui sont tellement appréciées, que leur seule présence rend les quêtes plus productives. Partout, messieurs, ce sont des soins compatissants, affectueux, que tout l'or du budget ne pourrait payer ; un dévouement que la religion seule sait inspirer et qui va jusqu'à l'héroïsme.

Ou ne saurait trop le demander, sont-ce là les couvents qui sont vus de mauvais œil par quelques-uns et qui ne sont tolérés par eux que parce que la Constitution les couvre de son article 20 ? Evidemment, ce mot de couvent est une équivoque, comme la solution que l'on propose est, dans le fait, une échappatoire. Je ne dis pas dans les intentions parce que je n'attaque jamais les intentions.

En effet, si pour chacun de ces établissements on proposait l'autorisation par une loi spéciale, l'accorderait-on ? Mais non ; toutes les mêmes difficultés, toutes les mêmes objections se reproduiraient ; ce seraient chaque fois les couvents, la mainmorte, toutes les mêmes machines de guerre, que l'on me passe cette expression.

Or avons-nous chaque année le temps, outre nos autres occupations que souvent nous ne pouvons remplir entièrement, de débattre ces questions ? Ce moyen n'a rien de pratique, si ce n'est comme une fin de non-recevoir, une manière d'écarter en bloc ce qu'on promettait d'examiner en détail.

Messieurs, on a dit que c'est un privilège que nous demandons. Nous ne demandons pas d'autre privilège que la loi telle qu'elle existait avant qu'elle eût été prétendument corrigée par les circulaires. En un mot, s’il était permis de le dire, nous voulons la charité avant la lettre.

Messieurs, ce privilège, en quoi consiste-t-il ? C'est tout simplement la durée d'une œuvre et la durée d'une œuvre ce n'est pas la durée des murailles où elle s'exerce, c'est la durée de l'esprit qui l'anime, de l'esprit dans lequel elle a été créée.

Or, messieurs, dans les œuvres de bienfaisance, dans les œuvres de charité (et la charité n'est que la bienfaisance que la religion anime, élève et met au premier rang des devoirs), dans les œuvres de charité, la religion entre par tous les côtés à la fois, elle est la source la plus féconde des libéralités, elle fournil au pauvre dans ses souffrances les soins les plus compatissants et les plus dévoués, elle apporte la lumière la consolation, l'espérance dans ces ruelles, dans ces impasses, dans ces bataillons carrés où tout manque, l'espace, l'air, le jour, les lumières de l'intelligence. Est-il surprenant que, pour conserver l'esprit de ces œuvres, on ait quelquefois recours à des ecclésiastiques ? C'est non seulement la garantie la plus sûre, mais l'intervention qui excite le plus la confiance.

C'est ce qu'avait compris le ministère précédent en appelant un prêtre dans l'administration de bienfaisance. C'est ce que comprennent au fond plusieurs administrations communales fort libérales ; mais cette intelligence des intérêts du pauvre est contrariée à chaque instant par des objections subtiles, par de vieux préjugés. Elle est personnelle, précaire, incertaine dans sa marche.

S'il n'en était pas ainsi, la centralisation s'opèrerait d'elle-même par une confiance réciproque.

Si au lieu de cela on voulait l'imposer, décider combien il entrera de grains de religion et de grains de scepticisme, on se préparerait d'inextricables difficultés.

L'assistance publique, par elle-même et réduite à ses propres forces, est insuffisante en étendue et en efficacité. Unie avec la bienfaisance privée, quel qu'en soit le mobile et surtout avec la charité, s'en prévalant, les encourageant, les secondant, elle ferait des prodiges pour le soulagement des maux du peuple ; mais cet accord doit être libre.

Il n'est pas toujours facile de s'entendre quand le point de vue est différent ; il naît alors des froissements, des conflits. Et nous n'en avons que trop d'exemples dans un pays où il règne une grande liberté de discussion avec une grande divergence d'opinions ; elles montent à la surface, elles s'exaltent et se heurtent, plus que sous un régime de silence et de compression. C'est un résultat qu'il faut admettre avec la liberté qui le produit ; mais il ne faut pas le séparer de l'antidote qu'offre cette liberté même.

L'action officielle n'appartient guère qu'à une partie de la nation. Il faut laisser à côté d'elle, autant que l'ordre public le permet, place à cette action spontanée dans laquelle les minorités successives trouvent tour à tour la garantie de leur droit, l'exercice salutaire de leur activité et de leur intelligence.

Là est précisément le point de partage entre nos institutions et les lois de la révolution française. Nous en gardons ce qui conduit à l'égalité civile ; nous en avons emprunté certaines formes politiques ; mais nous ne nous inspirons pas de leur esprit exclusif et intolérant.

En matière de bienfaisance, cet esprit s'est signalé par des ruines. Selon Fleurigeau, la dotation des établissements de bienfaisance, y compris les octrois, aurait été, avant la révolution, de 40 millions de revenus. En l'an VI, après un commencement de réaction réparatrice, la dotation n'était que de 8 à 9 millions.

Les pauvres, toutes les souffrances humaines avaient ainsi perdu les trois quarts de leur avoir et des soins, des consolations dont l'absence etait plus regrettable encore.

La bienfaisante réaction ne s'arrêta point ; mais la loi s'était rendue complice de tant de maux, qu'on vit avec joie un génie puissant la corriger par des décrets ; l'on avait tant abusé du nom de liberté, qu'on n'attendait plus rien d'elle. Le pouvoir absorbait tout, l'action individuelle était nulle.

Nous n'appartenons plus à ces temps : ni la république, ni l'empire ne nous enferment dans un cercle fatal. Notre pays, notre époque ont leur esprit, qu'il faut respecter. Cet esprit est celui de la Constitution, voilà les limites du législateur ; mais, j'ose le dire, cet esprit, celui de la Constitution n'ont rien de commun avec celui des circulaires.

Un homme touche à la fin de sa carrière. Il se soulève sur sa couche et dicte ses dernières volontés : que va-t-il faire ? Tout laissera une courtisane ? Alors la loi est satisfaite et la famille murmure en vain.

Mais non, c'est un père de famille qui laisse à ses enfants un patrimoine accru par son labeur ou ses économies ; cependant il a fait sur celles-ci la part des malheureux : il fonde, ou il a fondé et veut maintenir, un établissement qui leur est consacré.

Pour que celui-ci continue à servir aux pauvres et à l'usage qu'il a en vue, il n'a d'autres moyens que le choix de ceux qui représenteront sa pensée quand il ne sera plus.

Si c'est là une exception à des règles vulgaires, elle est justifiée par son but élevé.

Mais voici venir les circulaires, et tout change : le mandataire, et avec lui, l'objet du bienfait, son motif déterminant. Tout, du moins, dépendra des volontés mobiles et souveraines d'une administration que le testateur eût désignée lui-même, si elle lui eût paru présenter des garanties nécessaires pour le rassurer.

Si la disposition même était accueillie, à défaut des bénédictions des pauvres, vous auriez du moins ceux des cousins ; mais bientôt ils n'y gagneraient pas davantage ; car dans les deux cas, la charité, ainsi déçue, finirait par trouver d'autres moyens de se satisfaire.

On ne parviendrait pas à la comprimer : elle appartient trop intimement aux plus profonds sentiments du cœur et de la conscience ; mais elle prendrait d'autres voies. Ne vaut-il pas mieux lui en ouvrir par la loi, où elle puisse prendre un cours régulier sous un contrôle qui offre une sérieuse et solide garantie.

Bien loin que je trouve insuffisant celui qui est proposé, je craindrais plutôt qu'il ne manquât le but en le dépassant. Je ne crois pas qu'on se placera avec empressement sous ce régime ; je pense que de vrais couvents ne seront pas tentés d'y entrer, et si des associations religieuses ou le nombre de membres nécessaires pour desservir des fondations charitables se soumettent à ces dispositions, c'est grâce à leur dévouement, à leur humilité, à toutes les vertus qu'elles déploient au service des pauvres ; c'est aussi parce que les associations charitables se composant d'ordinaire de personnes qui n'y apportent que leur zèle pour toute richesse, elles trouveront du moins dans ces fondations un asile et l'occasion de faire le bien.

Il sera temps d'entrer, messieurs, plus avant dans cette discussion, quand nous serons arrivés aux articles. Je voterai pour le projet de loi. S'il s'écarte en partie des lois rendues dans des temps auxquels les nôtres ne ressemblent pas, j'y découvre, en revanche, des traces de l'esprit bienveillant et généreux dont nos ancêtres ont laissé tant de monuments.

(page 1416) - La séance est levée à 4 heures et demie.