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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 mai 1857

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1420) M. Vermeire procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart, et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Tack présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur Tulpinck réclame l'intervention de la Chambre pour être mis en possession de biens dépendants d'une succession à laquelle il dit avoir des droits. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La veuve Legon, tenant estaminet à Ypres, se plaint de ce que le colonel du 2ème de ligne a interdit aux militaires de son régiment l'entrée de cette maison. »

- Même renvoi.


Il est procédé au tirage au sort des sections pour le mois de mai.

Projet de loi prorogeant la loi sur le tarif des correspondances télégraphiques

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre aux délibérations de la Chambre un projet de loi portant prorogation de la loi du 1er mai 1851 concernant le tarif des correspondances télégraphiques.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi relatif à la pharmacopée officielle

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la promulgation de la pharmacopée officielle.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et figurera à la suite des objets à l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition sans date, le sieur Van Leemput, combattant de la révolution, demande une récompense nationale. »

- La commission conclut au renvoi à M. le ministre de l'Intérieur.

M. Rodenbach. - J'appuie ces conclusions. Il paraît que le pétitionnaire a été fait prisonnier, et que se trouvant détenu en Hollande, il n'a pu faire valoir ses droits.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 21 janvier 1857, le sieur Petersen, ancien employé des douanes, demande la révision de sa pension. »

« Par pétition datée de Bruxelles, le 20 février 1857, le sieur Petersen, blessé de septembre, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le subside qui est accordé aux décorés de la croix de Fer. »

La commission conclut au renvoi de ces deux pétitions à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Par pétition sans date, des exploitants de charbonnages, des industriels, négociants et bateliers de l'arrondissement de Charleroi prient la Chambre d'allouer au budget des travaux publics les fonds nécessaires à l'exécution des travaux d'approfondissement de la Sambre. »

La commission conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics.

M. Brixhe. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer aux conclusions qui vous sont soumises, au contraire.

La commission propose le renvoi à M. le ministre et c'est bien, mais si elle disait avec demande d'explication, ce serait mieux.

Messieurs, j’ai plusieurs fois entretenu la Chambre des vives réclamations qui font l'objet de la pétition de nos charbonniers et industriels. Mes collègues de Charleroi, de Namur et de Thuin ont également soutenu avec instance ces réclamations. Nous vous avons expliqué combien elles sont fondées. Nous avons dit les entraves qui nuisent depuis longtemps à la navigation da la Sambre et qui compromettront, dans un avenir très prochain, les intérêts du bassin de la Sambre, dès que les charbons de Mons et du Centre pourront être expédiés, sur la Sambre française, vers Paris, par des navires de 300 et 350 tonneaux, alors que les charbons de Charleroi, grâce au mauvais état où le gouvernement a laissé jusqu'à présent k Sambre belge, ne pourront faire les mêmes parcours pour les menus destinations qu'au moyen de bateaux de 150 ou 200 tonneaux.

Je ne reviendrai pas maintenant sur les faits, car je les ai assez expliqués. L'honorable ministre des travaux publics les connaît et il comprend parfaitement, je pense, que le bassin de la Sambre ne peut point plus longtemps se payer de bonnes intentions sans plus.

Il y a urgence, le gouvernement doit le savoir, il le sait ; et si je désire de sa part des explications sur la pétition, ce n'est guère pour connaître son opinion, qui ne peut être douteuse, mais bien pour qu'il veuille nous dire enfin les mesures qu'il se propose de prendre pour faire droit, sans tarder davantage, aux trop légitimes plaintes de notre industrie et de notre commerce sur lesquelles nous reviendrons sans cesse.

Du reste, la meilleure explication que le gouvernement pourrait nous donner, ce serait de faire, de la pétition dont nous nous occupons, l'objet des prévisions de son prochain budget.

Il y aura bientôt deux ans que, dans mes premières interpellations, j'ai eu l'honneur de lui exposer les réclamations du bassin de la Sambre, et depuis lors jusqu'à ce jour, on aurait pu, si c'eût encore été à faire, compléter les études de la canalisation de la Sambre tout entière.

Le gouvernement doit être aujourd'hui en mesure de prendre un parti.

Je propose donc d'ajouter aux conclusions de la commission ce complément : « Avec demande d'explications avant la présentation du budget de 1858 pour les travaux publics. »

M. Wautelet. -Je viens me joindre aux recommandations que vient de faire l'honorable M. Brixhe en appuyant les conclusions du rapport de la commission des pétitions. Je veux démontrer seulement qu'il y a urgence dans cette question.

Il y a urgence dans l'intérêt du trésor, et cet intérêt je l'invoquerai ici en faisant comprendre combien il se trouve engagé, combien il se trouve compromis par les retards que l'on apporte à l'exécution de ces travaux.

Le gouvernement est propriétaire de la Sambre belge. Cette rivière produit chaque année une ressource de 700 à 800 mille fr. au budget. La Sambre est en communication avec les grandes lignes de navigation qui transportent dans le nord de la France, vers Paris, Rouen, Reims, etc., les produits des charbonnages placés sur les bords de la Sambre.

Cette ligne de navigation se trouve aujourd'hui en concurrence arec le chemin de fer du Nord ; par suite de la jonction de la ligne de Saint-Quentin, les transports se font par cette ligne à peu près au même prix que les transports qui se font par la voie navigable.

La Sambre belge ne permet la navigation qu'avec un tirant d'eau d'un mètre 50, alors que d'après l'acte de concession, il devait être de deux mètres.

Il n'y a guère que cette lacune de la Sambre belge qui empêche la navigation sur tout le parcours avec ce mouillage. Or on comprend qu'un bateau tel que ceux qui naviguent sur cette ligne et portant 200 tonneaux en moyenne, avec un enfoncement d'un mètre 80, transporterait 250 tonneaux s'il pouvait prendre 30 centimètres de plus d'enfoncement.

Eh bien, ce surcroît de charge ne nécessiterait aucune dépense de plus, et les frais resteraient les mêmes. Il résulte des calculs que j'ai faits et que j'ai communiqués à M. le ministre des travaux publics ; il en résulte, dis-je, qu'il y aurait une économie de 1 fr. 50 par 1,000 kilog. sur les frais de transport de Charleroi à Paris et à Rouen.

Or, on comprend facilement qu'avec une réduction de fr. 1-50 c. sur le prix de transport, on peut lutter dans de meilleures conditions avec le chemin de fer du Nord qui cherche à accaparer tous les transports.

Cette concurrence est extrêmement active, la compagnie du Nord s'adresse aujourd'hui aux principales maisons qui font le commerce du charbon à Paris et sur la ligne, et elle leur dit : »Je vous ferai une réduction de 15 ou 20 p. c. sur vos transports si vous voulez vous engager à vous servir exclusivement du chemin de fer pour exécuter tous vos transports. » Eh bien, messieurs, si vous n'exécutez pas les travaux pour améliorer la navigation, si vous n'armez pas celle-ci de tous ses avantages, le chemin de fer atteindra facilement son but ; et quand il se sera emparé des transports, que le commerce qui reçoit aujourd'hui ses charbons et ses fers par le canal, sera venu se placer à côté du débarcadère du chemin de fer, il sera trop tard pour remédier à l'inconvénient que je signale, car les habitudes du commerce étant une fois changées, il sera impossible de les faire revivre.

La ligne du Nord prend à cet égard des dispositions qui ne peuvent manquer d'avoir un grand succès. Elle accorde aux maisons qui font de grands transports, des terrains à côté des stations, à des prix extrêmement réduits, et gratuitement même, en donnant toutes les facilités possibles pour attirer à elle tous les transports.

Or, le gouvernement qui est concessionnaire de la Sambre n'a-t-il pas le plus grand intérêt à prendre toutes les mesures pour empêcher ce résultat et pour conserver à la navigation le plus grand nombre de transports possible, afin de conserver les revenus considérables qu'elle lui rapporte ?

Il est donc important et de la plus grande urgence qu'on mette immédiatement la main à l'œuvre, car de toutes les dépenses pour lesquelles des sommes considérables figurent au budget des travaux publics, il n'en est pas une seule qui présente à un aussi haut degré un caractère d'urgence et de nécessité absolu.

(page 1421) Tous les instants perdus pour l'exécution de ces travaux donnent gain de cause au chemin de fer du Nord qui profite de ces retards dans la concurrence qu'il fait à la ligne de navigation.

Je crois savoir que M. le ministre des travaux publics est très bien disposé pour la prompte exécution de ces travaux ; les études sont terminées, on pourrait donc mettre les travaux en adjudication dès aujourd'hui et en faire exécuter au moins une partie cette année ; mais il est, paraît-il, un obstacle à cette exécution immédiate, c'est, dit-on, l'absence des fonds nécessaires pour couvrir les dépenses qu'elle doit occasionner.

Mais ces dépenses qui s'élèvent, je crois, pour la partie du canal existant sur le Hainaut à un million de francs environ, cette dépense peut sans inconvénient se faire en deux années ; je ne comprendrais pas que pour une dépense urgente où l'intérêt du trésor se trouve gravement compromis, ou ne pourrait pas trouver 500 mille francs. Si M. le ministre en faisait la demande à la Chambre, elle les lui accorderait certainement, car ce n'est pas une somme de 500 mille francs qui peut exercer une sérieuse influence sur notre situation financière. Je prie instamment M. le ministre des travaux publics de prendre à cet égard une résolution et de demander à la Chambre les crédits nécessaires pour l'exécution de ces travaux qu'on ne peut sans inconvénient pour.le trésor public, et sans un dommage considérable pour l'industrie et la navigation, ajourner plus longtemps.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire à la Chambre que cette affaire est à l'instruction ; les études ont été commencées, à la demande des honorables préopinants ; de la part des ingénieurs en chef des provinces, le travail est terminé, leurs propositions sont parvenues au département depuis quelque temps, elles sont soumises à l'appréciation du comité permanent du corps des ponts et chaussées.

Je suis d'accord sur l'utilité et l'importance des travaux dont il s'agit, sur la nécessité de les exécuter pour ne pas enlever à la Sambre belge le contingent important qu'elle apporte au budget des voies et moyens. Vous n'ignorez pas combien le département est assailli par des demandes de la nature de celle dont il s'agit, et comme nous devons avoir bâte de terminer les travaux commencés, il y aurait imprudence, de ma part, à venir demander eu ce moment un crédit pour l'exécution de l'amélioration à faire à la Sambre.

Tout ce que je puis faire, c'est de promettre que parmi les nouveaux travaux pour lesquels nous demanderons ultérieurement le concours de la Chambre, celui-là sera certainement un de ceux qui préoccuperont le plus le département des travaux publics.

- La proposition de M. Brixhe est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi relatif aux établissements de bienfaisance

Discussion générale

M. Tesch. - Je pensais, messieurs, avant que commençât la discussion du projet, que nous n'aurions à examiner que la loi en elle-même, je pensais que nous le ferions tous avec le calme, avec l'esprit de bienveillance que le sujet même commande. Mais longue n'a pas été mon erreur. On a a cru, dès le début, devoir passionner le débat. On s'est livré, depuis M. Nothomb jusqu'à M. Malou, à des récriminations, à des accusations injustes, à des insinuations de toute espèce ; on a reproduit, réchauffé, ravivé toutes nos anciennes discussions ; on a immédiatement fait de cette affaire une question de parti. Je comprends nos adversaires ; pour faire passer un pareil projet, il faut de la passion bien plus que de la raison.

L'honorable M. Malou me force de discuter de nouveau des actes qui, plusieurs fois déjà, ont fait l'objet de nos débats. Je le regrette, messieurs, pour la Chambre, en raison du temps que je dois lui prendre, mais il m'est impossible de laisser, sans réponse, tous les faits qui ont été signalés, toutes les inductions qu'on en a tirées, tous les reproches qu'on nous a adressés.

L'honorable M. Malou s'est appuyé sur l'opinion des ministres libéraux qui ont été au pouvoir avant 1847, pour attaquer le système suivi depuis cette époque. Mais l'honorable M. Malou sait que lorsque ces honorables membres étaient aux affaires, la question n'avait pas surgi,' la question n'avait pas été examinée. L'honorable M. Malou sait mieux que moi que les actes étaient extrêmement rares, qu'ils s'appliquaient principalement à un ordre de faits, à un ordre d'idées, à des institutions qui n'avaient pas encore été réglées par la loi.

Ainsi la plupart de ces actes avaient trait à l'instruction, et l'instruction à cette époque, n'avait pas encore fait l'objet d'une loi. L'instruction était-elle communale : Etait-elle une obligation de l'Etat ? Etait-elle exclusivement dans le domaine de la liberté ? N'était-ce qu'un devoir des parents ? Cette question n'était pas décidée, et c'est ainsi que s'expliquent parfaitement certains actes que l'on invoque aujourd'hui comme des précédents auxquels le cabinet de 1847 aurait dû s'assujettir.

Ajoutez à cela qu'en 1834, et même en 1840 les tendances de nos adversaires n'étaient pas marquées comme elles le sont aujourd'hui, que ce n'est que plus tard que l'on a aperçu le danger, que l'on a v dans quelle voie l'on entraînait le pays au moyen des fondations.

Mais puisque l’honorable M. Malou cite les antécédents de 1847, pourquoi ne cite-t-il pas les actes qui ont suivi ? Le système inauguré par l'honorable M. de Haussy. en 1847, n'a pas été appliqué par lui jusqu'à présent. A l'honorable M. de Haussy ont succéda d'autres ministres.

Je ne parlerai pas de moi. On me dirait : Vous aussi vous étiez un homme de parti, un homme exclusif, quoique, en entrant au pouvoir, je l'affirme, je n'eusse sur cette question aucun parti pris, quoique j'y sois entré avec la plus grande liberté d'opinion, sans engagement aucun et avec la ferme décision de l'examiner et de la décider selon ma conscience et les lumières que je retirerais de cet examen…

M. Rogier et M. Frère-Orban. - C'est vrai !

M. Tesch. - Eh bien, j'ai continué la jurisprudence suivie par mon prédécesseur parce qui, dans ma conviction, à moins de violer ouvertement la loi, elle ne pouvait pas être autre.

Mais quand j’ai quitté le pouvoir, qui y est entré ? Non pas un homme de parti, mais un jurisconsulte à la capacité, à la science, à l'impartialité duquel vous avez souvent eu occasion de rendre vous-même hommage

Et pourquoi donc, si c'était pour nous une affaire de parti, si nous violentions la loi par notre système, pourquoi l'honorable M. Faider qui, comme membre de la cour de cassation, devait plus que tout autre être habitué à respecter la loi, ne changeait-il pas ce système contre lequel vous vous récriez tant aujourd'hui ?

Et pourquoi l'honorable M. Nothomb n'a-t-il pas changé notre jurisprudence depuis deux ans ? Pourquoi l'honorable M. Nothomb n'a-t-il pas autorisé la création de tous les administrateurs spéciaux ? Pourquoi l'honorable M. Nothomb, au lieu d'avoir 30, 40 ou 50 affaires en suspens, ne les a-t-il pas immédiatement décidées ? Si nous étions dans l'erreur, si nous nous trompions, si toutes les conditions imposées par les testateurs étaient légales, il pouvait immédiatement provoquer l'approbaion royale et terminer en un instant toutes ces difficultés.

Vous invoquez des antécédents, des antécédents qui n'en sont pas, car je répète que jamais la question n'avait été examinée ; et demandez à l'honorable M. Lebeau, demandez à l'honorable M. Leclercq s'ils ont pénétré dans les entrailles de ces difficultés, et je crois être sûr qu'ils vous répondront négativement.

Ainsi, ces antécédents sans examen, vous ne pouvez les porter en ligne de compte. Et nous, au contraire, nous attestons des jurisconsultes éminents, nous attestons même les vôtres, auxquels la bonne volonté n'a certes pas manqué, et ce sont là des autorités que vous ne pouvez récuser.

Maintenant, dois-je discuter de nouveau le système avec l'honorable M. Malou ? Dois-je démontrer eu quelques mots que ce système est en tout conforme à la loi ? Ce sera chose très facile, ce sera chose qui prendra peu de temps et je crois que je convaincrai tous ceux qui n'ont pas le parti pris de ne pas être convaincus.

L'honorable M. Malou résume notre système en trois points. Il consiste à dire : 1° qu'il n'y a rien de légal, rien de possible, ni administration, ni distribution, ni collation hors des établissements qui sont préposés par la loi au service public de la charité officielle.

Messieurs, permettez-moi une réflexion. L'honorable M. Malou s'est beaucoup occupé du système que l'on a suivi. Il nous a reproché toutes espèces de violations de la loi. Mais l'honorable M. Malou s'est bien gardé de nous citer le moindre article de loi. M. Malou s'est bien gardé d'y mettre la moindre précision et de nous dire une seule fois : Voilà un article de loi que vous avez violé.

M. Dumortier. - Je vous cite la loi communale.

M. Tesch. - C'est la question de l'article 84, dont nous parlerons. C'est votre opinion ; mais vous n'êtes pas l'évangile, et surtout en matière de droit.

Je dis donc que l'honorable M. Malou a eu bien soin de ne jamais citer le moindre texte qui aurait été violé par nous.

L'honorable M. Malou, dans tout son discours, a, au contraire, eu l'air d'insinuer, de faire croire que la charité n'était réglée par aucune loi et que le système que nous appliquions était un système de bon plaisir, de fantaisie, que nous pouvions, à notre gré, accepter ou refuser. Mais il n'en est pas ainsi.

La charité est réglée par la loi, et elle n'est pas seulement réglée par les décrets du directoire ; elle l'est par le Code civil.

Les décrets du directoire tracent les règles selon lesquelles les biens des pauvres seront administrés. Ils instituent pour les hospices une commission d'hospices, pour les secours à domicile un bureau de bienfaisance.

Après ces décrets du directoire contre lesquels on manifeste tant (page 1422) d'aversion est intervenu le Code civil, qui a déclaré, par son article 537 : « Les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent sous les modifications établies par les lois. Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers (c'est-à-dire les biens des fabriques, les biens des bureaux de bienfaisance, les biens des hospices, les biens des communes), les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont particulières,. »

Et l'article 937 que porte-t-il ?

« Les donations faites au profit d'hospices, des pauvres d'une commune ou d'établissements d'utilité publique seront acceptées par les administrateurs de ces communes ou établissements après y avoir été dûment autorisés. »

Où donc alors qu'il y a une organisation pour l'administration des biens des pauvres, alors qu'il y a des bureaux de bienfaisance, des commissions d'hospices, alors que les donations et legs doivent être acceptés par ces établissements selon le Code civil, alors que les biens doivent être administrés par ces établissements et qu'ils ne peuvent être aliénés que par eux et selon les règles établies par les décrets de vendémiaire et de frimaire an V, où donc est la place pour les administrateurs spéciaux ? D'un côté les administrations sont organisées, d'un autre côté le Code civil dit que les biens doivent être administrés par elles, ne peuvent être aliénés que par elles, où donc trouvez-vous le droit de créer des administrateurs, des distributeurs spéciaux ? Il faut avoir ou l'intelligence bien obstruée ou la volonté de ne pas comprendre bien arrêtée pour ne pas se rendre à d'aussi décisives raisons.

Le système que nous avons suivi n'est donc pas un système de fantaisie, n'est pas un système inventé à plaisir pour donner lieu à des discussions dans cette Chambre ; c'est le seul système légal et je le dis de nouveau, à moins de violer la loi, il devait être suivi par nous.

M. Malou nous reproche d'avoir introduit un second principe qu'il résume de la manière suivante : « Il y a une spécialité tellement nette des attributions des personnes civiles que c'est violer toutes les lois que de permettre, par exemple, qu'une fabrique d'église, lorsqu'un legs pour un anniversaire lui est donné, distribue à la suite de cet anniversaire quelques pains aux pauvres, quoique dans l'esprit du donateur, cet acte religieux et la prière des pauvres sur la tombe du bienfaiteur fussent une pensée une et indivisible. »

Messieurs, un des grands bienfaits de la révolution de 1789, c'est d’abord d'avoir séparé les pouvoirs, d'avoir séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif, le pouvoir législatif du pouvoir exécutif. Un autre bienfait de la révolution de 1789, c'est d’avoir, pour chaque administration, séparé exactement les attributions, d'avoir laissé au conseil communal l’administration des intérêts généraux de la commune, d'avoir créé pour les pauvres une autre administration, et une autre encore pour les besoins du culte.

C’était ramener l'ordre et c'était assurer les services. Mais, messieurs, la spécialité des attributions que nous avons maintenue n'est pas autre chose que e respect, la fidélité à ce principe, consacré du reste par les lois ; et ce que nos adversaires voulaient, c’était faire un pas en arrière et confondre de nouveau tous les services, car si la fabrique a le droit d’administrer les aumônes, le bureau de bienfaisance aura le droit d’administrer les biens du culte, l’administration des hospices aura le droit d’administrer le mont-de-piété, c’est-à-dire que nous rentrerons dans le chaos où l’on était avant 1789. Voilà l’état de choses auquel on voulait revenir.

Messieurs, ce système est, en outre, contraire à la loi. L’article 937 dont je viens de donner lecture et qui maintien, quant à l’acceptation des donations, la séparation entre les différentes administrations auxquelles les donations sont faites, auxquelles les legs affèrent, si je puis m’exprimer ainsi, l’article 937 veut que le bureau de bienfaisance n’accepte plus les dons faits à l’église, que la fabrique d’église n’accepte plus les dons faits au profit des pauvres.

Pour rétablir cette confusion, il faut donc méconnaître, violer les véritables principes, l’esprit des institutions et le texte formel des articles 537 t 937 du Code que j’ai cités.

Mais l’honorable M. Malou lui-même, qui nous reproche si amèrement ce système, l’honorable M. Malou, c’est lui qui l’a introduit en Belgique, c’est l’honorable M. Malou qui en est le père.

Voici, messieurs, une pièce que je puis citer sans indiscrétion ; je l’ai trouvée au ministère de la justice quand j’étudiais la question, et c’est l’honorable M. Malou qui m’a convaincu sur ce point.

Voici, messieurs, ce que dit l’honorable M. Malou ; j’aurai tout à l’heure l’occasion de lire d’autres passages de cette pièce ; en ce moment, je me borne à citer le passage qui a rapport à cette question-ci :

« L’on a toujours admis que les legs faits aux pauvres sont acceptés par les bureaux de bienfaisance, et il ne pouvait en être autrement, à moins de dénaturer le caractère de l’institution, de la fausser dans son principe et dans ses résultats. Une application remarquable de cette règle a été faite lorsqu’il s’est agi d’autoriser l’acceptation d’un legs de la dame Becquet de Bérenger (V. la note de M. Fabri) et là se présentaient des circonstances très favorables aux prétentions des fabriques des églises catholiques et du consistoire protestant. Ces prétentions ont été écartées avec raison : les bureaux de bienfaisance représentent, à l’exclusion de tous autres, les pauvres de tous les cultes ; ils ont donc seul qualité pour accepter le legs fait purement et simplement aux pauvres protestants d’Hoorebeke, par la dame Van Cauberg, mais ils ne peuvent distribuer les revenus que conformément aux intentions de la testatrice. » (Le texte intégral de la note écrite par Malou se trouve en bas de page du Moniteur. Il n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

(page 1423) « Je conçois, ajoutait M. Malou, je conçois surtout en présence des précédents et des usages locaux sur lesquels on se fonde, que l'on admette, quant au mode d'exécution du legs, une espèce de transaction, par exemple, que la diaconie soit autorisée à désigner au bureau de bienfaisance les pauvres protestants, ou même qu'elle reçoive du bureau de bienfaisance une partie du produit des biens pour la distribuer elle-même aux pauvres de son culte ; mais je ne concevrais pas que l'on transigeât sur le principe de l'attribution de la propriété. Le mode d'exécution peut et doit varier suivant les clauses de l'acte de fondation ou les circonstances de chaque affaire : mais le principe doit rester intact. Si on l'abandonne en faveur d'une diaconie protestante, il faudra l'abandonner pour une fabrique d'église catholique, pour les synagogues, etc. Vous substituerez ainsi l'institution religieuse à l'institution civile ; vous fractionnerez les moyens de bienfaisance qu'il faut s'attacher, au contraire, à centraliser si l’on veut que la charité légale s'exerce avec intelligence et avec équité. »

Voilà, messieurs, ce que disait M. Malou qui, hier, nous reprochait si amèrement d'avoir maintenu des principes qu'à une autre époque il proclamait lui-même.

M. Malou. - N'y aurait-il pas une date au bas de cette pièce ?

M. Tesch. - 24 mars 1842. A cette époque M. Malou, sentant sans doute encore un peu l'avocat d’Ypres, comme mes honorables amis et moi, nous sentons, selon M. Malou, le barreau de Charleroi, de Liège et d'Arlon ; il n'était pas devenu l'homme d'Etat éminent que vous savez tous et qui trouve aujourd'hui que les principes peuvent et doivent plier quand l'intérêt de parti le commande.

Messieurs, la question de spécialité, à propos de quoi s'est-elle principalement présentée ?

Elle s'est principalement présentée à propos de la distribution des aumônes à faire par les fabriques d'église. On a beaucoup parlé dans cette discussion de ce qui se passait dans les pays étrangers, de ce qui se passait en France. Ou vous a cité avec complaisance, avec amour, les paroles de M. Portalis, de M. Portalis dont on fait ici un homme tout à fait impartial et qui était en France l'homme du parti catholique.

En semblable matière l'opinion de M. Portalis n'a donc pas pour moi plus de poids que, par exemple, l'opinion de l'honorable M. Malou.

Ce qui prouve l'exactitude de mon assertion et de mon appréciation, c'est que M. Portalis, malgré sa haute position, n'est jamais parvenu à faire prévaloir son opinion en France et, messieurs, j'en atteste un des membres les plus éminents de l'opinion catholique de ce pays, j'en atteste l'opinion de M. de Melun qui dans les Annales de la charité de 1852, page 69, déclare, après avoir cité les articles des lois organiques et les paroles de Portalis que : La jurisprudence du conseil d'Etat et des tribunaux a donné un complet démenti au texte même des articles organiques et s'est bien écartée du commentaire si sensé de Portalis.

Or, messieurs, sommes-nous donc si coupables lorsque nous appliquons les lois tout à fait comme elles le sont en France où elles ont leur origine, comme les applique le conseil d'Etat, qui mieux que personne en possède l'esprit et la portée.

Enfin, le troisième principe dont on nous fait un grief, c'est d'avoir appliqué l'article 900 du Code civil, en interprétant mal la loi. Mais, qu'il me soit permis de le dire, cela n'est autre chose qu'une pétition de principe. Ce qu'il aurait fallu faire et ce que l'honorable M. Malou n'a pas fait, c'était de prouver d'abord que la loi avait été mal interprétée. Car si la loi a été bien interprétée, si nous sommes restés fidèles à ses dispositions, force nous était d'appliquer l'article 900 du Code civil, du moment où l'on voulait introduire des administrateurs spéciaux ou jeter la confusion dans les services.

L'honorable M. Malou aurait donc dû, pour que son argumentation eût une base, commencer par démontrer quels étaient les articles de la loi qui avaient été violés. C'est ce qu'il n'a pas fait. Loin de là, lorsqu'il a parlé de l'article 84 de la loi communale et de l'arrêt de la cour de cassation, il a répondu à deux de nos honorables collègues, MM. Lelièvre et Vervoort, qui avaient traité la question d'une manière péremptoire : « Je ne m'occupe pas de cela ; vous irez plaider cela à Gand. » Chose admirable ! L'honorable M. Malou prétend que nous avons violé la loi, et quand il s'agit de démontrer que la loi a été violée, l'honorable membre dit : « Non ; allez à Gand, la question se débattra là. » C'est une manière extrêmement ingénieuse de se tirer d'affaire.

L'honorable M. Malou a cité différents faits sur lesquels, après les principes que je viens d'établir, il me sera possible de passer très rapidement.

Le premier de ces faits concerne le testament du curé Lauwers. Si la loi ne permet pas que les biens, légués aux pauvres, soient acceptés par des administrateurs autres que les administrateurs des établissements de bienfaisance qu'elle a organisé, si elle ne permet pas que ces biens soient administrés, aliénés, par d'autres que par ces administrateurs, comment pouvait-on, sans violer manifestement la loi, sans violer les règles établies, admettre des administrateurs ou des distributeurs spéciaux ? Montrez-nous que les règles établies ont été changées ou modifiées ; car si elles ne l'ont pas été, comment voulez-vous que nous permettions à des administrateurs spéciaux d'accepter pour les pauvres et d'aliéner ?

On a dit encore qu'il serait impossible de citer un seul pays où la loi a été interprétée de cette manière. J'ai déjà, dans une autre occasion, rappelé à la Chambre ce qui s'était passé en France dans un cas tout i fait identique. Je suis forcé de vous lire encore une fois le décret qui a consacré les véritables principes en cette matière en France. C'est un décret pris à propos d'un legs fait à des prêtres de la ville de Malines. Voici ce document :

« Art. 1er. Les legs faits par le sieur Philippe-Joseph Bernaerts aux curés et desservants de six églises tant paroissiales que succursales de la ville de Malines, département de Deux-Nèthes et montant ensemble à la somme de deux mille sept cent vingt-deux francs quatorze centimes, pour être distribués par eux aux pauvres de leurs paroisses respectives suivant le testament dudit Bernaerts, du 14 floréal an XII, reçu par Colebrant, notaire, seront acceptés par la commission administrative du bureau de bienfaisance de ladite ville.

« Art. 2. Le receveur de ladite administration fera tous les actes conservatoires qui seront jugés nécessaires pour le recouvrement dudit legs.

« Art. 3. Le montant en sera employé en acquisition de rentes sur l'Etat, à la diligence du directeur général de la caisse d'amortissement ; le produit annuel en sera remis par le bureau, dans les proportions fixées par le testament, aux curés et desservants des paroisses indiquées dans son testament pour par eux être distribués sous la surveillante du bureau, entre les pauvres résidant dans leur paroisse et inscrits au rôle général des pauvres de la ville. »

Ce que nous avons fait en Belgique est donc non seulement conforme aux vrais principes, mais est conforme encore à ce qui se pratique dans un pays où, comme je viens de le dire, la législation a été faite et où par conséquent on doit en connaître parfaitement la pensée.

Messieurs, la seconde affaire a rapport aux sœurs hospitalières ; on a créé une commission des hospices ; on a soutenu avec le décret de 1809 que les sœurs hospitalières avaient la personnification civile, non pas pour posséder et administrer des hospices à elles, mais pour donner des soins dans les hospices des villes et des communes.

Maintenant on prétend que nous avions violé la loi. Je désirerais que l'honorable M. Malou voulût bien me citer un texte que nous aurions violé. Je ne demande pas qu'il plaide, mais qu'il discute ; et quand on discute, il faut au moins dire : Vous avez violé tel ou tel article de loi, qui a telle ou telle signification, signification sur laquelle vous vous êtes mépris.

Mais, a-t-on dit, il s'agissait là d'une restitution.

S'il s'agissait d'une restitution, à qui devait-elle être faite ? Elle devait être faite non pas à la personne civile, mais aux sœurs qui avaient apporté la dot.

Mais si c'eût été une restitution, ce n'était en aucun cas une raison cas d'accorder la personnification civile. C'était un fait qui, s'il avait été établi, aurait pu avoir une certaine influence sur l'acceptation ou la répudiation de la libéralité, mais qui n'en pouvait pas avoir au point de vue légal, au point de vue de l'interprétation de la loi en ce qui concerne la personnification civile.

Le troisième fait, c'est le refus d'accepter la donation que voulait faire Mme de Montmorency, qui voulait obtenir pour sa fondation la personnification civile, et la faire administrer en dehors du bureau de bienfaisance et de la commission des hospices.

Messieurs, aux termes de l'article 78 de la Constitution, le Roi n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution. L'honorable M. Malou pourrait-il me citer un seul texte qui accorde au Roi le droit d'accorder la personnification civile ? J'ai fait des recherches ; je ne suis pas parvenu à découvrir un semblable texte.

Si l'honorable M. Malou a été plus heureux que moi dans ses recherches, je le prie de vouloir bien nous faire connaître la disposition qu’il a trouvée.

Dans cette affaire, du reste, le gouvernement était allé jusqu'aux dernières limites des concessions ; et il était parvenu à se mettre d'accord avec Mme de Montmorency.

Quand il s'est agi d'exécuter les intentions qu'elle avait manifestées, sont venus des obstacles qui n'étaient plus dans la loi, qui ont surgi d'autre part, comme je le disais dans la discussion de 1850, certaines personnes très charitables, sans doute, ont trouvé qu'il valait mieux que les pauvres fussent privés de ce bienfait que de le faire gérer, administrer par les administrations de bienfaisance organisées par la loi.

La quatrième affaire, messieurs, est l'affaire Mellenius qui voulait léguer au consistoire protestant une certaine somme ou certains biens dont le produit serait distribué aux pauvres protestants par les membres du consistoire. Ce que j'ai dit quant aux fabriques me dispense de rien ajouter quant aux diaconies et aux consistoires.

Si les fabriques ne peuvent pas s'immiscer dans l'administration de» biens des pauvres, les diaconies ne le peuvent pas davantage, et ici j'ai encore pour notre système l'opinion de M. Malou lui-même, et quand M. Malou a exprimé cette opinion il y avait aussi des précédents que cet honorable membre n'a guère respectés. Si on a commis des erreurs à cette époque, disait-il, ce n'est pas une raison pour en commettre de nouvelles.

Voici comment raisonnait M. Malou dans un cas tout à fait identique.

« Je ne puis, après avoir mûrement examiné cette affaire, me ranger à l'opinion émise par les auteurs de plusieurs notes jointes au dossier, (page 1424) opinion d'après laquelle la diaconie protestante d'Hoorebeke Sainte-Marie aurait le droit d'accepter le legs fait par la dame Van Caubergh aux pauvres protestants de cette commune.

« C'est à tort, ce nie semble, que l'on compare une diaconie à un bureau de bienfaisance ; il n'y a pas d'analogie réelle entre ces deux institutions : une diaconie doit, au contraire, être assimilée à une fabrique d'église ; elle en a les caractères essentiels et les attributions.

« La question n'est pas de savoir si les diaconies ont une existence légale ; je ne crois pas qu'elle puisse leur être contestée. Mais la question est celle-ci : lorsqu'un legs est fait aux pauvres protestants, appartient-il à la diaconie ou au bureau de bienfaisance d'accepter la fondation ? »

Et comme je vous l'ai lu tantôt, M. Malou répondait : Les bureaux de bienfaisance représentent, à l'exclusion de tous autres, les pauvres de tous les cultes ; ils ont donc seuls qualité pour accepter le legs fait purement et simplement aux pauvres protestants de Hoorebeke, etc., etc.

A propos de cette affaire M. Malou nous demandait dans la séance de mardi :

« Quand vous appliquez cette règle aux protestants, quand vous chargez, de la gestion d'une fondation faite en faveur d'un consistoire protestant, une commission d’hospices composée exclusivement de catholiques, est-il bien vrai que vous respectiez la liberté de conscience dont vous parlez à tous propos, et même quelquefois hors de propos ? »

Ecoutez M. Malou répondant à M. Malou.

M. Malou. - Vous l'entendrez répondant à M. Tesch.

M. Tesch. - Il lui sera difficile de répondre après avoir entendu ce que je vais lire.

M. Malou. - On m'a déjà cité cela en 1848.

M. Tesch. - En attendant écoutez M. Malou répondant à M. Malou.

« Si les bureaux de bienfaisance étaient des institutions religieuses gérées par ou sous la surveillance des ministres d'un culte, l'on concevrait que les biens dont le revenu est destiné à soulager les pauvres professant un autre culte, fussent attribuées à des institutions spéciales à celui-ci : mais il n'en est rien : les bureaux de bienfaisance sont des établissements civils ; leur mission est de soulager les misères, sans demander au malheureux s'il est catholique ou protestant. »

Messieurs, quant à l'affaire de Rare, je l'ai traitée. C'est toute la question des administrateurs spéciaux.

J'ai démontré qu'en présence des décrets de brumaire et de frimaire, sur l'organisation des administrations de bienfaisance ou des hospices, qu'en présence des articles 537, 937 du Code civil et 78 de la Constitution qui limite le pouvoir du Roi, le gouvernement n'avait pas le droit d'établir des administrateurs spéciaux, qu'interprétant les lois selon leur texte et leur esprit, il devait agir comme il a fait.

Je ne dirai rien de l'article 84 de la loi communale, j'imiterai en cela l'honorable M. Malou, mais pour une autre raison.

J'ai une vive répugnance de discuter devant la Chambre une question soumise aux tribunaux et je regrette que l’honorable M. Nothomb ait mêlé cette question au débat.

Je crois qu'il serait de grande convenance, alors que les tribunaux ont encore à examiner, à juger, que les Chambre législatives ne vinssent pas exercer une pression indirecte sur leur décision. J'aurais voulu qu'on s'abstînt. Si je pouvais discuter je démontrerais que l'arrêt de la Cour de cassation repose sur une équivoque, qui résulte des mots : législation actuelle qui ont été employés dans la discussion de la loi communale.

Je n'hésite pas à dire qu'à cette époque personne dans cette Chambre, ni M. de Theux ni M. Dubus, n'a entendu abolir par une simple réserve toute la législation sur la bienfaisance.

M. de Theux. - J'ai toujours compris l'article comme la cour de cassation.

M. Dumortier. - Il n'y a jamais eu deux opinions sur ce point.

M. le président. - N'interrompez pas.

M. Tesch. - M. de Theux dans ce cas a eu un grand tort ; ministre il aurait dû déclarer qu'il voulait modifier, abolir, la législation sur la bienfaisance et il n'en a pas dit un mot, j'ai lu et relu très attentivement toute la discussion.

Vous vous êtes complu dans des équivoques : « nous maintenons la législation actuelle, nous n'innovons pas, » avez-vous répété ; vous n'avez jamais dit que par la législation actuelle vous entendiez des actes isolés émanés de l'arbitraire impérial ou du gouvernement du roi Guillaume ; et c'était de la législation légale, si je puis m'exprimer ainsi, que tout le monde dans cette Chambre et dans le pays devait croire que vous entendiez parler ; tout le monde a dû penser que vous entendiez parler du Code civil, et des décrets de frimaire et de brumaire.

Personne n'a pu comprendre que vous vouliez appliquer les mots « nous n'innovons pas » à ce qui n'était pas une législation, mais des faits isolés, nés de l'arbitraire et des actes ou dispositions dont la légalité n'est pas soutenable.

M. Dumortier. - Nous savions ce que nous faisions.

M. Tesch. - Mais vous ne le disiez pas ; ce n'est pas au moyen d'arrière-pensées qu'on modifie des lois positives.

Vous ne pouvez pas argumenter de vos réticences pour soutenir que toute une législation a été abolie, qu'une simple clause de non-préjudice, une réserve a livré toute l'administration de la charité à l’anarchie.

Messieurs, l'honorable M. Malou nous a fait encore un autre grief.. Il nous a dit qu'on n'autorisait pas même des donations anonymes. L'honorable M. Malou recommande aux administrations de toujours bien respecter la loi. Ce sont de charitables conseils qu'il leur donne. Mais je lui demanderai comment il leur serait possible d'accepter des donations anonymes et de respecter la loi. Je défie l'honorable M. Malou de respecter la loi el de soutenir que les administrations de bienfaisance peuvent accepter des donations anonymes.

Aux termes de la loi, comment doivent se faire les donations ? Voici ce que porte l'article 931 du Code civil :

» Art. 931. Tous actes portant donation entre-vifs seront passés devant notaires, dans la forme ordinaire des contrats, et il en restera minute sous peine de nullité. »

Que dit la loi de ventôse an XI ? Elle porte :

« Art. 15. Tous les actes des notaires.....contiendront les noms, prénoms, qualités et demeure des parties ainsi que des témoins qui seraient appelés dans le cas de l'article 11(…) à peine de cent francs contre le notaire contrevenant. »

Ainsi voilà le Code civil qui dit que toutes les donations doivent être faites par actes notariés. La loi de ventôse dit que tous les actes notariés doivent porter les noms des parties à peine de cent francs d'amende. Pouvez-vous me dire comment cela peut se concilier avec une donation anonyme ? J'attends. A moins qu'il n'y ait des lois que je ne connais pas, je déclare que cela est radicalement impossible. Vous ne pouvez exiger que les donations soient faites autrement que par actes notariés.

Vous ne pouvez exiger qu'un acte notarié ne porte pas les noms des parties ; les termes du Code civil, ceux de la loi de ventôse sont un obstacle péremptoire à votre prétention.

Mais il y a des raisons autres que des raisons légales pour proscrire les donations anonymes. Ce sont des raisons tirées de l'intérêt des familles.

La loi garantit aux enfants, aux père et mère, une certaine part du patrimoine des ascendants dans le premier cas, des descendants dans le second.

Or, si vous admettez les donations anonymes au profit des établissements de bienfaisance, est-ce qu'on ne pourra pas éluder la loi ? Comment les héritiers à légitime réclameront-ils contre une donation anonyme, quand la quotité disponible sera dépassée ?

Comment réclamer contre une donation dont il deviendrait impossible de prouver l'existence ?

On a dit : Mais le ministre des finances ne se montre pas aussi délicat ; il n'a pas tous ces scrupules ; il accepte, lui, des restitutions anonymes. Or, les donations le plus souvent ne sont que des restitutions. Que M. le ministre des finances accepte des restitutions, je l'admets ; ce sont réellement des restitutions. Ce sont des droits d'enregistrement, des droits de succession qui n'ont pas été payés. Mais quand il s’agit d'une restitution au bureau de bienfaisance, ce qu'on donne aux pauvres est-ce bien une restitution ? Non, l'on a peut-être dépouillé un riche, et l'on rend aux pauvres.

Mais le vol fait au riche reste un vol, et ce que vous abandonnez aux pauvres est vis-à-vis de ceux-ci une véritable donation, car à eux, vous ne leur aviez rien pris. C'est là une différence que je signale à l'honorable M. Malou.

Mais, dit l'honorable membre, voyez ce qui se passe en France. Il y a dans le Bulletin officiel une quantité de donations anonymes. Mais cela s'explique très bien et ce qui s'est fait eu France, nous l'avons fait en Belgique, les noms des donateurs se trouvent dans les actes notariés, et dans la publication des arrêtés d'autorisation les noms ne se trouvent pas.

Cela a été ainsi réglé en France par une circulaire du 28 juillet 1827 ainsi conçue :

« Les donations faites à des établissements de bienfaisance par des personnes qui désirent rester inconnues ne peuvent être autorisées. Il faut que le donateur consente à se faire connaître, et à se laisser nommer dans l'acte notarié qui devra être passé à cet effet, sauf à lui à demander que son nom ne soit pas inscrit sur l'ordonnance royale à intervenir, ce qui lui sera accordé sans difficulté. »

Mais, nous dit toujours M. Malou, dans aucun pays chrétien, jamais la législation n'a été appliquée, interprétée comme dans notre pays ! Je soutiens qu'en France la loi est interprétée et appliquée comme nous l'avons interprétée et appliquée en Belgique.

Et encore une fois j'en atteste de nouveau, l’honorable M. de Melun que j'ai déjà cité, et qui parle de la législation française tout à fait dans les mêmes termes que l'honorable M. Malou.

Voici ce que dit l’honorable M. de Melun :

« Le catholique est libre de confier à un prêtre la conduite de sa famille, la direction de sa vie morale et de celle de ses enfants, et si de son vivant ou à son lit de mort il veut imprimer à ses œuvres le sceau de moralité et de perpétuité qui appartient à son église, la loi se met entre lui et le prêtre et le force, sous peine de frapper sa volonté d'impuissance, de remettre sa pensée et son héritage à des administrateurs fort éclaires, fort dévoués sans doute, mais qu'il ne connaît pas, qu'il n'a pas choisis et, qui peut-être ne partagent, ni sa croyance, ni ses sentiments, ni sa manière de comprendre et de faire la charité. (De Melun, Annales de la charité, 1852, p. 66.)

M. Frère-Orban. - C'est M. Malou qui parle.

(page 1425) M. Tesch. - Un peu plus loin : « La charité religieuse qui nous a légué presque tous nos établissements de bienfaisance presque toute la fortune de nos pauvres, à qui nous devons les filles de St-Vincent de Paul et les petites sœurs, n'a pas droit à l'existence ; elle ne vit que des concessions de l'administration et de la tolérance de la police, à la condition de s'enfermer dans le cercle le plus étroit, d'agir le moins possible et de réduire le bien qu'elle fait à la plus éphémère et à la plus stérile expression. » (M., ibid., p. 67.)

Voici ce qu'il ajoute encore :

« L'assistance publique a le monopole de la bienfaisance ; elle a un privilège exclusif sur tout ce qui est donné aux pauvres, sur tout ce qui est demandé pour eux ; elle peut mettre la main sur les recettes des œuvres, sur les legs faits aux paroisses et vient disputer au curé jusques dans son église les quêtes et les aumônes de ses paroissiens. » (Ibid., p. 68.)

Et en 1850, M. de Melun à propos de modifications qu'il demandait à la loi, déclarait ce que l'honorable M. Malou nous disait à peu près dans les mêmes termes :

« Et pour poser nettement la question, dit-il, je dois aller plus loin. Aujourd'hui un individu a le droit de donner tous son bien à une prostituée et un homme charitable n'aurait pas le droit de laisser aux pauvres la moitié de la quotité disponible de sa fortune ? Ce serait se mettre, en contradiction flagrante avec la morale et l'humanité. » (Ibid., p. 234.)

Vous avez entendu l'honorable M. Malou il y a quelques jours. Je viens de vous citer les écrits et les paroles de M. de Melun en 1850 et en 1852. Ou l'honorable M. Malou trompe le public en Belgique, ou l'honorable M. de Melun trompe le public en France, choisissez.

M. de Liedekerke. - Il y a le droit et il y a le fait.

M. Tesch. - Je le disais tantôt, nous avons le tort d'être de petits avocats d’Arlon ou de Charleroi ou de Liège, selon M. Malou, et de nous préoccuper beaucoup du droit.

Et nous croyons que là où est le droit, on ne peut faire prévaloir le fait. C'est ainsi qu'on comprend le droit à Arlon, à Charleroi et à Liège.

M. Frère-Orban. - Et c'est du fait que se plaint M. Malou,

M. Malou. - Laissons parler ; n'interrompons pas.

M. Tesch. - Après avoir discuté notre système en droit, l'honorable M. Malou a voulu aborder la question du fait, de la statistique, et avec un bonheur d'expression très grand, il nous a dit qu'elle était frelatée.

Jadis, messieurs, lorsqu'on discutait le système, on disait : Vous tarissez les sources de la bienfaisance, et nous vous attendons dans l'avenir. Dans quelques années vous verrez ce qui adviendra ; vous verrez si les statistiques constateront encore une quantité égale de dons. Nos adversaires ont été complètement trompés. Aujourd'hui ils changent de tactique.

Ils disent : Votre statistique ne signifie rien, elle est frelatée. Et pourquoi ? Vous avez cassé quarante ou cinquante testaments, vous avez pris à d'autres un bien qui ne vous appartenait pas et vous ajoutez cela au bien des pauvres. Il n'est pas étonnant que vous ayez un chiffre plus élevé.

Messieurs, c'est encore une équivoque, car les points de comparaison restent les mêmes. Prenons la statistique d'avant 1847. Cette statistique que comprend-elle ? Elle comprend non seulement les donations faites directement aux bureaux de bienfaisance et aux hospices sans administrateur spécial, mais aussi les donations faites aux pauvres ou aux fabriques avec des administrateurs particuliers. Eh bien, la statistique d'aujourd'hui, que comprend-elle ? Mais elle ne comprend pas autre chose.

Si les dotations ne figuraient pas dans les tableaux à la rubrique ; bureaux de bienfaisance ou hospices, mais les chiffres en seraient déduits et ils figureraient sous une autre rubrique. Mais le total serait toujours le même et le point de comparaison reste le même. L'honorable M. Malou aurait raison si la statistique d'avant 1847 n'avait pas compris tout ce qui était donné avec administrateurs particuliers comme sans administrateurs particuliers. Mais cette statistique comprend tout, comme le chiffre actuel comprend tous les dons faits aux administrations de bienfaisance, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas d'administrateurs spéciaux.

Ainsi, messieurs, il est bien avéré que les faits sont venus démentir les prévisions et les prédictions de nos adversaires.

Mais, nous a dit l’honorable M. Malou, la preuve que votre système a révolté le pays, c'est que vous êtes devenus immédiatement minorité ; Tous, au contraire, nous sommes redevenus majorité, et nous le sommes redevenus parce que nous nous sommes associés aux intérêts moraux du pays, à ses tendances morales, à ses tendances religieuses et conservatrices ; et c'est là le secret de notre force.

L'honorable M. Malou aurait bien pu, à ce sujet, nous donner une petite explication ; il devrait bien nous dire pourquoi en 1847 son parti est devenu minorité. S'il est le représentant des intérêts moraux et religieux du pays, je ne comprends pas trop comment il a perdu la majorité.

Maintenant en 1848, le système existait et cependant la minorité catholique est encore devenue beaucoup plus faible qu'elle ne l’était en 1847 ? Cela eût mérité aussi une explication.

Le secret de votre force, voulez-vous que je vous le dise ? Je vais m'en expliquer avec beaucoup de franchise.

Messieurs, il y a dans le monde deux pouvoirs : un pouvoir temporel et un pouvoir spirituel. Quand a été faite la Constitution, l'on a pris des précautions très grandes contre le premier, l'on a donné au second toute sa liberté, toute son indépendance.

L'on a, autant que possible, vinculé le pouvoir temporel ; de crainte d'attentat à la liberté on lui a enlevé presque toutes ses attributions ; on l'a enfermé comme dans un cercle de fer ; on lui a imposé des liens de toute espèce. C'est à peine si on lui a laissé la nomination directe, le choix d'un seul agent. Et pendant que le pouvoir civil était mis complètement en tutelle, le pouvoir religieux dans un intérêt religieux, était complètement émancipé.

Vous vous êtes depuis organisés militairement ; vous avez dans chaque commune un représentant, un représentant obéissant passivement à vos ordres, tandis que pour le pouvoir civil, vous lui avez enlevé toute espèce d'action.

Le bourgmestre même, vous l'avez rendu, autant que possible, indépendant de lui. Et aujourd'hui le pouvoir civil est réduit à l'état d'esclave, beaucoup d'attributions, de nominations lui ont été enlevées, et au pouvoir spirituel vous avez donné toute la force, tout le pouvoir, toute la liberté, toute l'indépendance imaginable, et vous en abusez pour assurer votre prépondérance politique.

Aujourd'hui vous êtes en présence du pouvoir civil comme un individu armé de pied en cap vis-à-vis d'un autre individu qui a les pieds et les mains liés. (Interruption.)

Je constate un fait ; il est possible que cela ne vous convienne pas, mais je pense que j'ai le droit de le faire.

Le secret de votre force, c'est que vous transportez dans la politique ce qui a été fait pour la religion ; et ce qui est bon dans la religion est un danger dans la politique.

Maintenant, messieurs, vous êtes redevenus majorité pour bien des raisons. La première, c'est que vous avez eu une extrême adresse de faire confondre le libéralisme avec le socialisme et que vous êtes arrivé ainsi à faire frapper le libéralisme de la réprobation qui ne devait atteindre que le socialisme.

La deuxième raison c'est que quand l'administration catholique a quitté le pouvoir elle a laissé les caisses vides et que l'opinion libérale, a été chargée de rétablir les finances ; c'est parce que l'opinion libérale dans l'intérêt de la sécurité nationale, a dû demander des impôts pour rétablir l'équilibre dans les finances, qu'elle a, en grande partie, succombé dans les élections de 1852.

Cela seul ne vous a pas encore suffi pour redevenir majorité, il vous a fallu d'autres auxiliaires, ces auxiliaires vous sont venus de l'étranger ; il a fallu alarmer tous les intérêts en 1852, il a fallu que la presse étrangère vînt, en quelque sorte, nous menacer d'un blocus commercial, d'un blocus industriel sur l'une de nos frontières. Voilà ce qu'il a fallu.

Il a fallu jeter le trouble dans l'industrie, voilà une troisième aide que vous avez eu.

Cela ne vous eût pas encore suffi. Il vous a fallu venir dans le camp libéral semer les haines, les jalousies, exciter les ambitions. C'est ainsi que vous avez triomphé, grâce aux auxiliaires les plus tristes qu'un parti puisse avoir à son secours, l'étranger et la trahison.

Et, messieurs, si vous avez si fort pour vous l'opinion du pays, pourquoi donc est-ce que vous tramez déjà des modifications à la loi électorale ? Est-ce que la loi sur la charité ne serait que l'avant-coureur de la réforme électorale, et trouve-t-on que le curé, dans le village, quand même on aurait le vote à la commune, serait encore un jour ou l'autre insuffisant et qu'il faut mettre à côté de la loi deux ou trois moines pour assurer le vote des électeurs bien-pensants ?

Au moyen âge, quand les empereurs étaient excommuniés, c'étaient aussi les ordres religieux qui étaient chargés de l'exécution. Je ne désespère pas de voir revenir ces temps-là et de leur voir confier la même mission, en matière électorale, vis-à-vis des libéraux.

J'arrive, messieurs, à la loi elle-même.

Messieurs, dans cette loi que s'agit-il de régler ? Est-ce la liberté de la charité ? Est-ce la liberté des fondations ? L'honorable M. de Brouckere vous a parfaitement démontré que la charité est complètement libre et que l'on est libre aussi de faire des fondations.

Les fondations et la charité, que votre loi passe ou qu'elle ne passe pas, resteront absolument dans les conditions où elles se trouvent aujourd'hui. La seule chose qui soit en discussion, c'est de savoir si le testateur, le donateur aura le droit de nommer les administrateurs spéciaux gérant, administrant complètement en dehors des administrations charitables d'aujourd'hui.

Voilà la véritable question ; la charité, la liberté de la charité, les fondations, la liberté des fondations sont tout à fait étrangères au débat.

Messieurs, nous sommes hostiles à ce projet, et nous y sommes hostiles, d'après M. le ministre de la justice, parce que la charité, selon nous, fait trop, parce que nous sommes des malthusiens, parce que nous sommes des gens exclusifs, que sais-je ? Ah ! encore parce qu'il y a moins de pauvres dans les arrondissements d'Arlon et de Liège que dans d'autres parties du pays et que dans ces circonstances nous pouvons à notre aise faire de cette question une question de parti, une question politique ? Quant à ce dernier argument, c'est une très mauvaise injure. Je ne sais si M. le ministre a des sentiments de cette espèce, mais, dans tous les cas, je le prie de ne pas nous les prêter.

(page 1426) Nous ne descendons pas à d'aussi ignobles, a d'aussi mesquins calculs.

Où M. le ministre a-t-il vu que nous disions que la charité fait trop ? Quant à moi, j'ai toujours pensé, dit et écrit le contraire.

Mais nous sommes des théoriciens et des malthusiens. Nous sommes des malthusiens, chose, réellement, qui démontre l'esprit logique de M. le ministre : nous ne voulons, dit-il, que la charité légale ; Malthus était le plus grand adversaire de la charité légale ; et voilà, tout à coup, que nous sommes transformés en malthusiens.

Mais nous sommes des théoriciens !

C'est là une grave erreur. Nous ne sommes pas du tout théoriciens, en cette matière, ni M. le ministre de la justice, ni nous ne sommes ni l'un ni l'autre théoriciens, et la raison en est fort simple : l'un et l’autre système ont existé, l'un et l'autre système ont produit leurs résultats et nous sommes hostiles à ce projet parce que nous avons examiné dans les faits, dans les résultats, les deux systèmes et que nous avons trouvé que le système que vous reproduisez aujourd’hui et qui a duré dans toute sa pureté depuis le Bas Empire jusqu'au XVIIIème siècle et plus ou moins modifié jusque vers 1789, a produit les plus détestables, les plus abominables résultats.

Il ne s'agit donc pas de théories, mais de faits.

J'ai dit, dans une autre discussion, que les établissements de charité, dans le système qu'on nous propose, que les établissements de charité s'étaient transformés en couvents.

Messieurs, j'ai cité à cet égard différents documents sur lesquels' je m'appuyais, j'attends encore une réponse.

Il me semble que quand on présente le même système, il fallait au moins prouver par quel miracle il ne produirait plus les mêmes résultats.

A-t-on contesté que les établissements de charité se sont transformés en couvents ? Voilà ce que j'ai vu dans le passé. Ce n'est pas une théorie.

Nous avons dit enfin que, dans ce système, par la fractionnement des administrations les frais de gestion étaient énormes, nous l'avons dit en nous appuyant sur des documents irrécusables : le rapport du magistrat de Bruxelles, le rapport du magistral d'Anvers ; qu'a-t-on répondu ? Absolument rien.

Il y a là des faits ; quand vous les aurez renversés, vous pourrez nous accuser de ne vous opposer que des théories.

Et pour en revenir un instant à l'ordre d'idées que je vous indiquais tout à l'heure, la transformation des établissements de charité en couvents, Jean Vandamme, dont vous avez parlé, vous cite à cet égard différents faits qui se sont passés, non pas au XIVème, au XVème ou au XVIème siècle, mais au XIXème, qui sont pleins d'actualité.

Il me semble que nos adversaires devraient au moins y répondre.

Ainsi, il vous dit en toutes lettres : qu'actuellement à Assche pour 27 pensionnaires il y a douze religieuses, qu'a Braine-le-Comte, pour vingt malades il y a 27 religieuses ; qu'à Hooglede, six sœurs de charité qui étaient suffisantes pour le service et avec les soins desquelles l'établissement prospérait, ont été remplacés par 18 religieuses.

C'est-à-dire que l'école, que l’hospice ne sont plus que des enseignes.

Comment voulez-vous donc, quand nous voyons des choses semblables se passer aujourd'hui sous nos yeux, que nous ajoutions foi à l'assurance que vous nous donnez qu'avec le système actuel d'administration ces faits ne peuvent plus se reproduire ? Mais ils existent, ils sont là présents ; et vous soutenez encore qu'ils sont impossibles !

Nous avons prétendu enfin que, grâce à notre système, la mendicité et l'immoralité s'étaient développées dans des proportions effrayantes. L’honorable comte de Liedekerke nous a dit que la science était une chose très respectable, pourvu qu'elle fût sincère et sérieuse.

Je suis tout à fait de l'avis de l'honorable membre, mais il me permettra aussi de désirer que la contradiction soit sérieuse et sincère ; Sincère ? elle l'est, sérieuse ? elle ne l'est pas. Je vais le prouver.

L'honorable comte de Liedekerke a dit que l'état de choses qu'on signalait date de la réforme et que les peines sévères énormes, portées contre la mendicité sont contemporaines de la réforme. C'est une très grave erreur. A quelle époque remonte la réforme ? A 1518 ; Quand les premières idées de la réforme se manifestent-elles en Belgique ? Guère avant 1524 et 1525. En 1826 Charles V défend de combattre les hérésies en chaire ; les premières bibles flamandes paraissent en 1530. Quand la première église protestante a-t-elle été fondée ? Vers 1545 ; et les troubles sont postérieurs.

A quelle époque remontent les idées de réforme au sujet de la mendicité ? A 1525.

L'ordonnance de Charles-Quint qui constate l'accroissement continuel des mendiants est de 1531. Et à cette époque, ce n'étaient pas les protestants qui persécutaient les catholiques, qui attaquaient les couvents et leur enlevaient leurs ressources, ce n'étaient pas les couvents qui avaient à souffrir des protestants ; c'étaient au contraire, les protestants à qui l'inquisition faisait le procès et qui les brûlait en pleine place publique. Voilà la vérité sur cette époque.

L'honorable comte de Liedekerke a dit aussi que le paupérisme n'existait pas avant la réforme, que c'était à la réforme que nous le devions.

Le mot n'existait pas, mais la chose, la mendicité existait, existait dans toute sa laideur, dans toute son intensité, et ce n'est pas le protestantisme qui l'a produite.

Mais les peines barbares que les ordonnances comminent datent de la réforme ! Je vais encore démontrer à l'honorable M. de Liedekerke qu'il n'en est pas ainsi.

Je tiens en main une note des différentes ordonnances publiées dans le Luxembourg seul et émanées tant de l'autorité souveraine que de l'autorité provinciale. Vous allez vous convaincre qu'elles ne sont pas toutes contemporaines de la réforme. Loin de là.

En voici les dates : (non reprises dans la présente version numérisée)

Est-il vrai maintenant, comme le prétend l'honorable M. de Liedekerke que les peines exorbitantes datent de la réforme ? C'est encore une grave erreur. Je vais le prouver texte en main.

L'ordonnance du 10 octobre 1713 (faites attention à l'année) punit le vagabondage de la fustigation pour la première fois, de la marque pour la deuxième fois et de la mort pour la troisième fois.

Voyons maintenant l'ordonnance du 29 décembre 1725. Ici il y a progrès, car dans l'ordonnance de 1713, la mort n'arrive qu'en troisième ligne ; dans l'autre ordonnance, le vagabondage est puni de la fustigation et de la marque pour la première fois et de la hart pour la seconde fois.

L'ordonnance du 14 décembre 1765 punit les mendiants valides qui ne travaillent pas, de la fustigation pour la première fois, de la flétrissure avec un fer ardent pour la deuxième fois, et de peines plus graves pour la troisième fois.

M. de Liedekerke. - C'était le siècle de la philosophie.

M. Tesch. - Celait le siècle de la philosophie, mais c'était un legs fait par les siècles d'obscurantisme au siècle de la philosophie.

Voilà donc ce qu'avait produit votre système.

Qu'on ne dise pas que cet état de choses tenait à d'autres causes, car personne dans ce temps ne s'est mépris à cet égard, et c'est pour cela que pendant les trois siècles qui ont précédé le XIXème, gouvernement central, administrations provinciales et urbaines, tous ont tenté des réformes.

Charles-Quint, par son ordonnance de 1531, marche dans cette voie ; il établit la bourse commune, or qui dit « bourse commune » exclut les bourses spéciales, c'est-à-dire vos administrateurs spéciaux : Ypres, Ath étaient entrés dans la même voie, Bruxelles la suit à son tour, Gand fait la même chose ; Anvers demande, unanimement des réformes, les consacre et obtient l'assentiment de Marie-Thérèse.

Maintenant, quant aux écrivains, je vais vous en citer que vous n'accuserez certes pas de libéralisme. Je citerai, par exemple, l'abbé de Feller qui constate quel était l'état de la mendicité en 1789, qui en indique les raisons et qui va vous indiquer immédiatement les remèdes qu'il faut y appliquer.

M. de Feller n'était assurément pas libéral ; il jugeait en 1789 qu'on pouvait expédier les libéraux de l'époque sans aucune forme de procès. Voici la citation :

« Le mal de la mendicité a été universellement connu dans tous les temps. Le nombre des mendiants, toujours plus grand d'année en année depuis plusieurs siècles, a fait naître des inconvénients plus grands et plus fréquents ; enfin de nos jours, ils se sont multipliés au point que des villes ils se répandent dans les campagnes, où ils font le dégât, volant les épis dans les champs, les pommes dans les vergers, les fruits dans les jardins, les poules jusques dans les poulaillers, rien n'est plus en sûreté. Le paysan, occupé le jour à la récolte, doit veiller la nuit de peur de la trouver en partie enlevée le lendemain. S'il saisit le voleur nocturne, content de retrouver ce qu'il lui n'avait enlevé, il n'ose se plaindre parce qu'il connaît la lenteur ou plutôt l'inaction du bailli, qui n'agit point ou qui n'agit que faiblement, parce qu'il connaît l'intention du seigneur, dont l'intérêt s'oppose au devoir dans l'administration de la justice. »

(page 1427) Voilà la situation à laquelle on était arrivé.

Voulez-vous savoir ce qui se passait à Gand.

« Gand, cette grande ville, est étonnée du nombre prodigieux de ses pauvres ; pour moi, je le serais si le nombre n'en était pas si grand, parce que je sais que l'homme n'agit que faiblement par le devoir seul, et bien plus faiblement encore quand l'intérêt s'oppose au devoir ; or, la quantité de fondations, de revenus de la table des pauvres et des aumônes fait que ceux qui ne travaillent pas sont plus à leur aise que ceux qui travaillent. Joignez à l'intérêt la paresse naturelle à l'homme, vous établissez la fainéantise : or, il est clair que cela se fait à Gand ; aujourd'hui dans cette paroisse on distribue du pain, dans une autre de la viande, du drap, des chemises, des souliers, etc., dans d'autres de l'argent, ajoutez-y les aumônes abondantes d'une ville vaste et opulente, qui se font aux portes des églises et dans les rues, cela est considérable, l'ouvrier le plus laborieux et le plus excellent est bien éloigné de gagner autant.

« Il y a tel mendiant qui ne donnerait pas sa journée pour vingt escalins ; ne croyez pas que j'exagère, il y en a beaucoup qui gagnent bien au-delà. Voici à ce propos un fait qui vient d'arriver il y a peu de temps. Une mendiante d'une ville du Hainaut, où la défense de mendier venait d'être publiée et en même temps observée exactement, passa à Gand pour y continuer sa profession ; elle n'y était arrivée que d'un jour, qu'elle écrivit à une de ses amies pour lui faire part de sa bonne fortune, en lui mandant qu'elle avait déjà ramassé treize escalins, elle ajoute : Dieu veuille que cela continue ! Vous comprenez assez que pareil avis doit gagner d'autres à prendre la même route : or, si la mendiante étrangère qui ne connaît point encore le rôle des aumônes et des distributions, gagne autant, que ne doivent point y gagner les autres ! Après cela, devez-vous être étonnés que les mendiants abondent chez vous de toute part ? Vous les attirez, vous les engagez par toutes vos largesses, et puis vous vous plaignez ; leur grand nombre vous fait trembler, vous faites comme ces abbayes qui bâtissent des appartements magnifiques et commodes pour recevoir les étrangers, et qui se plaignent ensuite du grand nombre de ceux qui viennent en profiter. »

Maintenant, messieurs, quel est le système proposé par l'abbé de Feller pour remédier à cet état de choses ? C'est à peu près l'organisation de nos administrations de bienfaisance d'aujourd'hui.

Voici le règlement qu'il propose :

« Art. 1er. Pour fonder l'aumône générale, de chaque communauté, on y attribuera les revenus de la table de charité, ceux de toutes les fondations et donations faites ou à faire pour les pauvres soit en grains, pains ou autres denrées qu'on réduira toutes en argent ; pareillement les revenus des fondations quelconques, dont la destination n'existe plus ou n'est plus bonne aujourd’hui, ainsi que la produit des quêtes qui se feront de la manière dont nous allons le dire ; et si ces produits ne suffirent pas pour sustenter tous les pauvres, la communauté devra y suppléer.

« II. On partagera la ville ou le village en plusieurs quartiers, proportionnellement à l'étendue et au nombre des pauvres, de façon qu'un homme puisse parcourir toutes les demeure ; du quartier pour quêter ou pour porter l'aumône aux pauvres, moralement pendant l'espace de deux heures.

« III. Les quartiers ainsi partagés, les magistrats ou gens de loi dénommeront pour chaque quartier deux administrateurs ou maîtres des pauvres, pour faire la quête dans leurs quartiers respectifs une fois le mois, et porter l'aumône aux pauvres une fois la semaine, suivant la liste qui leur sera remise. Ils dénommeront pareillement deux personnes pour quêter aux offices et messes paroissiales ; je dis deux maîtres des pauvres el deux quêteurs, quoiqu'un seul suffise ; ainsi qu'au défaut de l’'un l'autre puisse y suppléer.

« IV. Un député, des magistrats ou gens de loi, le curé ou son vicaire et l'administrateur accompagnés d’un écrivain et d'un sergent, se transporteront chez tous les pauvres de chaque quartier ; ils jugeront à trois du besoin de chaque pauvre dans sa demeure, après avoir pris toutes les précautions pour ne pas se tromper, c'est-à-dire après l'avoir questionné sur son âge, sur ses infirmités, sur ses ressources, le nombre de ses enfants, ce que chacun d'eux gagne ou peut gagner par jour ou par semaine ; et si après cela ils ont encore quoique doute sur l'état de ce pauvre, ils s'en informeront aux voisins ; ils fixeront alors la somme que l'administration lui portera par semaine. L’écrivain formera une liste générale et une particulière pour l'administration du quartier.

« Les administrateurs quêteront dans leurs quartiers respectifs, tous les premiers vendredis du mois, et rapporteront les aumônes à un bureau général, ainsi que les quêteurs des paroisses : elles seront remises dans une caisse à cet usage. Les administrateurs s'y rendront tous les samedis à trois heures après midi ; l'échevin préposé à l'administration générale, ne manquera pas de s'y trouver avec l'écrivain ou secrétaire ; il donnera en argent à chaque administrateur la portance de sa liste, pour en faire la distribution le même jour. L'échevin préposé fera tenir une note exacte de la recette et de la distribution, et en rendra compte tous les six mois, en présence des magistrats ou gens de loi, des curés et des administrateurs.

« La visite générale se fera de six en six mois, en avril et en octobre. On aura soin d'assigner quelque chose de plus aux pauvres dans ce dernier mois, à cause des besoins d'hiver ; comme habillements, chauffage, couvertures, etc. Dans l'intervalle d'une visite générale à l'autre, les administrateurs tiendront note des changements de fortune, et de la mort des pauvres, ainsi que des nouveaux indigents ; ils ajouteront ceux-ci et en ôteront les autres ; ils feront le rapport de ces changements le samedi suivant à l'échevin préposé, qui en fera tenir note dans la liste générale. »

Ainsi voilà la centralisation la plus absolue de la charité prônée, prêchée par un prêtre en 1789 comme le seul remède à apporter à la mendicité. Je fais grâce à la Chambre de la réfutation qu'il fait de diverses objections, entre autres de celle que l'on ne peut enlever aux curés la distribution des aumônes. Il conteste que la disposition des aumônes soit un moyen propre à attirer les pauvres vers les devoirs religieux.

A côté de ce document j'en ai trouvé un autre, qui prouve que, à cette époque, dans les pays voisins, la centralisation de la bienfaisance a été considérée comme le seul moyen de remédier à l'état de choses dont on se plaignait. C'est le résumé de plus de cent mémoires adressés à l'académie de Chalons qui en 1772 avait mis au concours l'étude des moyens de remédier à la mendicité, et le résumé de tous ces mémoires,, c'est l'établissement d'une administration de bienfaisance, comme nous l'avons aujourd’hui, c'est la centralisation de tous les secours.

Voici le projet, tel qu'il était proposé :

« Il serait établi, dans toutes les villes, bourgs et villages du royaume, des bureaux de charité, sous la dénomination de bureaux généraux et de bureaux de paroisse. (Suit l'organisation des bureaux.)

« Tous les évêques, aussitôt l'envoi qui leur serait fait de l'édit, publieraient, chacun dans leur diocèse, un mandement tendant à exciter la charité des riches et à les engager à concourir, autant qu'il serait en leur pouvoir, au soulagement des malheureux, en versant leurs aumônes dans les caisses des bureaux de charité.

« Ils renouvelleraient leurs exhortations une fois chaque année dans le temps de carême et dans toutes les circonstances où ils le croiraient nécessaire pour le besoin des pauvres de leur diocèse.

« Les revenus de toutes les fondations particulières dont les curés, marguilliers et autres sont chargés de faire la distribution aux pauvres et aux prisonniers, seraient versés dans les caisses des bureaux de charité, pour être employés conformément aux délibérations des administrateurs desdits bureaux.

« Les bureaux de charité seraient autorisé, à recevoir toutes donations entre vifs ou testamentaires, soit en argent ou immeubles quelconques, en se conformant aux ordonnances rendues sur le fait des donations.

« Il serait fait défense à toutes personnes de faire à l'avenir aucune donation ou fondation quelconques dont la destination serait de faire faire aux pauvres des distributions autres que celles qui devraient être faites par lesdits bureaux de charité.

« Et dans le cas où il serait contrevenu à l'article précédent, les donations et fondations seraient appliquées au bureau di charité du lieu où devraient se faire les distributions.

« Toutes les quêtes qui se font dans les églises paroissiales, conventuelles et chapelles, autres que celles faites au profil de la fabrique de chaque paroisse seraient et demeureraient supprimées.

« Tous les troncs que se trouvent actuellement dans lesdites églises, sous telles inscriptions que ce puisse être, aunes néanmoins que les troncs des hôpitaux et ceux qui ont pour objet le soulagement des pauvres, en seraient incessamment retirés.

« Il serait fait très expresse inhibition et défense à tous ecclésiastiques et gens attachés aux églises de faire aucune quête que ce soit dans les églises, soit dans les maisons des paroisses en aucuns temps, circonstances et sous tels prétexte, que ce soit, sous peine de désobéissance. »

Voilà, messieurs, quel était l'état des esprits en 1772 en France, en présence de la mendicité qui allait toujours croissant.

Notre vote contre la loi, notre opposition n'est donc pas, comme le disait M. le ministre, déterminé par une théorie. Voilà des faits, des documents qui prouvent quel a été le résultat de son système, et pour qui n'a pas le parti pris d'adopter le projet, il y a là plus qu'il ne faut pour le déterminer à voter contre.

Messieurs, nous ne sommes pas seulement, selon M. le ministre, des théoriciens, nous sommes encore des gens exclusifs. C'est parce que nous sommes exclusifs, que nous ne voulons pas du projet de M. le ministre de la justice.

Ici encore des assertions contradictoires. Nous sommes des gens très exclusifs. Mais le cabinet dont M. de Brouckere était le chef, était un cabinet modéré et le projet qu'il avait présenté, M. le ministre de la justice vous l'a dit, était une œuvre de modération, de conciliation, de transaction.

Si ce projet était si modéré si conciliant, s'il portait à un si haut degré le cachet de la transaction, comment se fait-il que nous, si exclusifs, nous l'ayons accepté ? Nous l'avons accepté et nous l'avons défendu. Il est un seul point qui n'a pas été accepté par l'opinion libérale, c'est (page 1428) un point qui ne l'est pas davantage par nos adversaires ; si ma mémoire est fidèle, la présence obligatoire du prêtres dans le bureau de bienfaisance était repoussée dans sa section par M. le ministre des affaires étrangères et acceptée avec bien de la tiédeur par l'honorable M. Dedecker. Ainsi, dans ce projet, œuvre de modération, nous ne repoussions, nous, gens exclusifs, que ce que nos adversaires n'acceptaient pas et n'ont pas introduit dans leur projet.

Je dois encore ici rectifier une erreur de M. de Liedekerke, Cet honorable membre disait : Vous repoussiez l'abolition de l'art. 900 ! Vous vouliez que lorsqu'il y a dans une donation des clauses contraires aux lois ou aux bonnes mœurs, la donation fût toujours frappée de caducité. C'est une erreur. Sa mémoire l'a mal servi. Ce qui le prouve c'est ce qui a été adopté par la section centrale.

- Un membre. - Il y a une légère modification.

M. Tesch. - Voici l'article 3, tel qu'il a été accepté.

« Art. 3. L'autorité appelée à statuer s'assurera que la disposition ne contient rien de contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à l'intérêt général.

« Toute clause ou condition contraire aux lois, impossible ou immorale, sera réputée non écrite ; elle ne viciera la libéralité que si le donateur ou le testateur a fait dépendre de l'exécution de cette clause ou condition, l'existence de la disposition.

« (Disposition ajoutée par la section centrale.) Dans ce cas, les biens donnés ou légués retourneront aux héritiers du disposant nonobstant toute clause contraire. »

M. de Liedekerke. - Nous sommes d'accord.

M. Tesch. - Du reste, j'ajoute que le projet de M. le ministre de la justice diffère, sous ce rapport, du projet de l'honorable M. Faider ; car l'article. 900 reste applicable. Mais il sera d'une application très rare. Puisque tout sera permis, il n'y aura rien de contraire aux lois.

Je pourrais ajouter aussi, à propos de ce reproche d'exclusivisme, que le principe d'administrateurs spéciaux administrant concurremment avec les administrateurs légaux se trouve déposé dans les projets qui ont été laissés par nous au département de la justice.

Les principes de ces projets sont les nôtres. Quoique appliquant la loi comme nous l'avons fait, parce que nous pensions que c'était la loi, nous trouvions que, si l'on pouvait, sans danger pour la société et pour les pauvres, laisser aux testateurs plus de liberté, cela serait, dans bien des cas, utile.

C'est la combinaison que nous avons cherchée.

Le ministre nous dit que sa loi est une loi de transaction et de modération. Il reconnaissait déjà ce caractère à la loi de l'honorable M. Brouckere, et je suis tenté de croire qu'elles sont toutes deux des lois de conciliation et de transaction, nuis de conciliation et de transaction d'une nature différente.

Je trouve que la loi de l'honorable M. de Brouckere était une loi de transaction, en ce sens qu'elle cherchait autant que possible à concilier les véritables intérêts engagés dans le débat, et je crois que la loi de l’'honorable M. Nothomb est une loi de conciliation et de transaction, en ce sens qu'il s'est mis d'accord avec les honorables MM. Malou, de Theux, d'Anethan, etc. Voilà la différence ; voilà comment les deux projets sont des lois de conciliation et de transaction.

Quels sont les véritables intérêts engagés dans le débat ? Il faut d'un côté qu'il y ait abondance de dons, de l'autre, qu'ils soient bien administrés. Pour faire une loi de conciliation et de transaction, il faut faire en sorte de donner satisfaction à ce double intérêt. Celait là le problème qu'avait résolu le projet de MM. Faider et de Brouckere.

Vous favorisiez l'abondance des secours parce que vous donniez, par des administrateurs particuliers, l'assurance positive que jamais les fondations ne seraient diverties des intentions du donateur, et vous assuriez la bonne administration parce que, à côté des administrateurs spéciaux, vous aviez des personnes électives, sujettes à réélection, agissant sous le contrôle de l'autorité supérieure.

Voilà les deux éléments réunis, et l'on avait fait ainsi pour l'intérêt social et pour l'intérêt des pauvres tout ce qu'il était possible de faire de plus complet, de plus avantageux.

Aujourd’hui, que faites-vous ?

Sous prétexte d'une abondance qui ne sera en définitive qu'un déplacement, qu'un détournement en ce sens qu'on donnera aux administrations particulières ce qu'on donnait aux bureaux de bienfaisance, vous sacrifiez la bonne administration, c'est-à-dire que vous n'êtes pas sûrs d'avoir l'abondance, mais vous êtes sûrs d'avoir une détestable administration.

Les garanties dont on parle, sont-elles réelles ? Nos adversaires nous ont conviés à les discuter. Je vais le faire et j'espère prouver que dans toutes vos garanties il n'y a absolument rien de sérieux, et que les garanties sérieuses, qui étaient toutes indispensables quand on entrait dans l'ordre d'idées des administrateurs spéciaux, vous les avez toutes négligées.

Vous avez une garantie, dites-vous, en ce que c'est le bureau de bienfaisance qui devient propriétaire. Mais ce n'est pas sérieux. Le bureau de bienfaisante est propriétaire ! Mais quels sont ses droits ? Il accepte la donation ; s'il ne le fait pas volontairement, on le lui impose d'office ; après cela, quand le voit-on reparaître ? Pour donner un avis avant le conseil communal, avant la députation dans un seul cas, si je ne me trompe.

Ainsi, voilà un bureau de bienfaisance qui est réputé propriétaire, auquel on impose d'office la propriété et qui n'a plus rien du tout à y dire.

M. Moreau. - Il aura les procès.

M. Tesch. - Non, il ne les aura même pas ; il ne pourra aliéner, louer, percevoir les revenus, il ne pourra plaider ; il donnera un avis dans un cas déterminé.

Cela est-il sérieux ?

Je déclare que je ne vois pas plus d'inconvénients à ce que M. le ministre de la justice demande purement et simplement, dans son projet, que la personnification civile soit accordée aux fondations qu'au système qu'il propose.

M. Frère-Orban. - Cela sera plus honnête.

M. Tesch. - C'est réellement une injure faite à l'intelligence de la Chambre que de présenter de pareilles dispositions.

Mais, dit-on, vous avez des budgets et des comptes, et ces budgets et ces comptes, qui sont une si grande chose quand il s'agit de l'Etat, quand il s'agit des communes, vous les tenez pour rien quand il s'agit de bienfaisance !

Messieurs, les budgets, les comptes sont une très grande chose quand il s'agit du budget de l'Etat, du budget des communes, et ils ne sont absolument rien quand il s'agit de la bienfaisance.

Quand nous discutons les budgets, est-ce que nous discutons vis-à-vis d'administrateurs inamovibles ? Et quand nous avons voté un chiffre, ne sont-ce pas les ministres qui doivent venir ici nous rendre compte dans cette Chambre, vis-à-vis du public, devant le pays, de l'emploi qui en a été fait ? El si cet emploi n'est pas justifié, je ne dirai pas sous le rapport de la dépense, mais de l'utilité, ce ministère ne sera-t-il pas forcé de se retirer ?

En sera-t-il de même d'administrateurs inamovibles sur lesquels personne n'aura la moindre action ?

Et quand il s'agit des communes ? Je crois que M. le ministre de la justice ne sait pas encore très bien ce que c'est qu'un budget communal. Il y a dans un budget communal deux choses : il y a des dépenses obligatoires et il y a des dépenses facultatives. Les dépenses obligatoires sont portées au budget ; l'emploi ne peut donner lieu à aucune contestation. Mais quant aux dépenses facultatives, il ne suffit pat qu'elles soient portées au budget ; il faut qu'elle» soient autorisées par la députation permanente. Alors même qu'un crédit figure au budget, que l'argent est fait, la commune n'a pas, dans tous les cas et sans avoir besoin d'une autorisation préalable, la disposition des fonds qui se trouvent au budget, il faut dans bien des cas une autorisation nouvelle, et c'est à l'occasion de cette autorisation spéciale que la députation peut s'assurer de l'utilité, de la convenance de la dépense.

Les budgets de l’Etat, des communes, d'un établissement de bienfaisance, comprennent-ils la même nature de dépenses ? Le budget d'un établissement de bienfaisance qu'est-ce qu'il peut comprendre ? Il comprendra à l'actif les revenus des biens, de la fondation et au passif la dépense, c'est-à-dire ce qu'on donnera aux pauvres. Mais que voulez-vous que les communes et les députations voient à ces comptes ? On donnera aux pauvres, mais en fait de bienfaisance, il n'y a qu'une chose essentielle, c'est le bon emploi. Et comment voulez-vous contrôler l'emploi ? Par des comptes ? C'est tout à fait impossible, le compte ne peut pas porter sur le bon emploi. Le bon emploi, voilà la grande chose en fait de bienfaisance. Les fonds pourront être dépensés. Mais qu'est-ce que cela prouve ? La dépenses est ce qu'il y a de plus mauvais, quand elle n'est pas bien faite, car je l'a déjà dit, quand ce n'est pas la misère que vous soulagez,, c'est la fainéantise que vous engendrez.

On nous a parlé encore de la publicité. Mais qu'est-ce donc que la publicité dans le cas dont nous nous occupons ? La publicité est une excellente chose quand il s'agit de gens soumis à réélection, de gens qui dépendent du public ; alors la publicité a une grande action ; mais quand il s'agit de gens inamovibles et parfaitement irresponsables, je demande ce que peut faire la publicité ? Ali ! celui qui est périodiquement sujet à réélection, qui a besoin de vivre de l'opinion publique, qui a besoin de l'appui d'électeurs ou d'autorité qui le nomment, pour lui la publicité est une chose immense, parce qu'elle indique quelle est sa manière de faire, quelle est sa manière de gérer. Mais sur des gens sur lesquels personne n'a d'action, que peut faire la publicité ?

Aujourd'hui il est bien certain que le clergé fait intervenir la religion à un très haut degré dans les affaires politiques, dans les élections. La religion en souffre. Qu'est-ce que la publicité empêche ?

Voulez-vous que je vous cite un autre cas ? Ici, dans cette Chambre, à propos d'une pétition demandant que les magistrats de l'ordre judiciaire ne puissent siéger dans une affaire où plaide leur fils, leur gendre, leur frère ou leur neveu, l'honorable M. Faider disait qu'il suffisait d'appeler l'attention de la magistrature sur ce point pour qu'elle s'abstînt. Eh bien, publicité entière a été donnée au dire de l'honorable M. Faider, et cependant s'abstient-on ? L'inamovibilité est là, que peut dès lors la publicité ?

Vous voyez donc que dans le cas dont nous nous occupons il n'y a pas de garantie dans la publicité.

Enfin, messieurs, il y a l'intervention de la justice. Réellement il faut y mettre beaucoup de complaisance pour voir une garantie dans l'intervention de la justice telle que cette intervention est organisée. On aura le droit de demander des comptes, c'est évident. (page 1429) Mais je l'ai dit, que prouveront ces comptes ? Ils prouveront uniquement qu'on a dépensé une somme, une somme que l'on indiquera soit globalement soit en détail. Mais cette somme a-t-elle été donnée aux véritables pauvres ? a-t-elle été donnée dans la mesure des besoins ? Et la seule condition du secours, c'est le besoin. Eh bien, où sera la garantie ?

Quant aux détournements, réellement on se montre fort peu sévère. Je serais tenté de dire que l’on a été moins sévère vis-à-vis de ces administrateurs spéciaux qu'on ne l'a été vis-à-vis des voleurs ordinaires. Ainsi, celui qui détourne peur être condamné à la destitution. Voilà un homme qui a détourné et il pourra être condamné à la destitution ! C'est-à-dire qu'il ne le sera même pas forcément, il y aura encore des accommodements ; il pourra seulement l'être.

Ainsi, messieurs, ces garanties, je le répète, ne sont pas sérieuses.

Du moment, messieurs, où l'on entrait dans la voie des administrateurs spéciaux il y avait, ce me semble, tout autre chose à faire ; il y avait à se demander quels étaient les intérêts qui se trouvaient en jeu dans cet ordre d'idées, et l'on aurait vu qu'il y avait engagés dans la question, l'intérêt de la famille, l'intérêt de la société et qu'il y avait des mesures à prendre contre les dilapidations. Voilà trois choses auxquelles il fallait pourvoir lorsqu'on entrait dans le système des administrateurs spéciaux.

Messieurs, l'intérêt de la famille est très grave, très sérieux, car enfin vous créez aujourd'hui un intérêt d'administrateur, intérêt qui peut être extrêmement puissant ; les personnes pour lesquelles vous le créez se trouvant partout dans la famille, au lit des malades, tenant les clefs du ciel, peuvent être extrêmement redoutables surtout quand le disposant se trouve comme cela arrive souvent, dans une situation où l'esprit n'est plus entièrement intact.

Il fallait donc prendre, à cet égard, des précautions, et vous eussiez trouvé dans l'ancienne législation du pays ces précautions établies. Vous ne reculez pas seulement à l'époque antérieure à 1789, vous reculez à une époque antérieure à Marie-Thérèse. Marie Thérèse, par son édit du 15 septembre 1755, avait stipulé pour cet intérêt :

« Art. 17. Nous voulons que les donations et legs d'argent comptant ainsi que des biens et effets mobiliers ou réputés tels, faits en faveur des gens de mainmorte ou de quelque personne faisant membre d'une communauté religieuse, quand même ils seraient faits sous certaine charge ou forme de fondation, soient et restent assujettis aux solennités ordinaires qui sont requises pour la validité des actes entre-vifs ou de dernière volonté respectivement. Ordonnons de plus que toutes les dites dispositions, lorsqu'une ou plusieurs ensemble faites par la même personne, excéderont la valeur de cinq cents florins une fois ou de vingt-cinq florins par an devront être notifiées et enregistrées par devant le juge du domicile de celui qui les aura faites et cela pendant sa vie, à peine de nullité absolue ; à l’effet de quoi nous ordonnons à nos magistrats et gens de loi de se pourvoir incessamment d'un registre particulier, afin de servir à l'enregistrement desdits actes, qui devront être insérés en entier, pareillement à peine de nullité. Et, quant aux dispositions de l'espèce désignée au présent article qui excéderont seules ou plusieurs ensemble la somme de mille florins une fois, ou de cinquante florins par an, il sera besoin d'obtenir nos lettres d'octroi, ouï nos conseillers fiscaux, et cela pendant la vie de celui qui aura ainsi disposé, pareillement à peine de nullité absolue. »

C'est-à-dire que, pendant la vie du donateur, la donation devait même être approuvée par l'autorité compétente pour qu'elle pût être valable lorsque la valeur excédait mille francs.

Voilà une précaution que vous deviez stipuler quand vous entriez dans la voie des administrateurs spéciaux.

Et pour qu'il n'y ait pas de doute on ne soumet pas à la même précaution les donations faites au profit de la table des pauvres, parce que l'on comprenait qu'il n'y avait pas là cette énorme influence qui s'exerçait en faveur des donations au profit d'administrateurs particuliers.

En Angleterre il existe une disposition tout à fait analogue ; je regrette de ne pas l'avoir sous les yeux, mais elle exige de la manière la plus formelle que la donation soit approuvée avant la mort du donateur.

Maintenant, messieurs, une précaution analogue était stipulée dans un projet discuté dans les conférences tenues à Paris par les partisans de la charité libre et où l'on avait compris qu'il fallait renfermer dans certaines limites le droit de donner ses biens à des institutions charitables gérées par des administrateurs particuliers. Ainsi on avait réduit à la moitié de la quotité disponible la part dont le donateur ou le testateur pourrait disposer en faveur de semblables institutions.

Il y avait aussi des précautions à prendre pour éviter les doubles emplois, précautions qui se trouvent consignées tout au long dans le règlement de la ville d'Anvers de 1779, approuvé par Marie-Thérèse. Ces précautions étaient, indispensables pour que vous n'encouragiez pas la fainéantise, pour que vous ne donniez pas lieu aux faits constatés par l'abbé de Feller, dont je parlais tantôt.

Ainsi les collateurs d'une fondation particulière devaient faire connaître au bureau de bienfaisance quels étaient les individus qui jouissaient de la fondation ; le bureau de bienfaisance de l'époque pouvait ainsi donner à ses secours une autre direction.

D'un autre côté, les administrateurs des fondations particulières étaient tenus de donner aux véritables pauvres, et s'ils ne donnaient pas aux véritables pauvres, l'article 11 de ce règlement permettait de leur retirer immédiatement la collation de la fondation. C'était, au fond, le bureau de bienfaisance, tel que nous le connaissons. L'administrateur particulier, à la différence du projet de M. Nothomb, n'était plus là que pour la forme, tandis que dans le projet de M. Nothomb, c'est le bureau de bienfaisance qui n'intervient plus que pour la forme.

Voilà le progrès de Marie-Thérèse à aujourd'hui.

Voici, messieurs, les principaux articles du règlement de la ville d'Anvers ; approuvé par Marie-Thérèse.

« Art. 5. En cas que la collation ou nomination de quelque fondation fût vacante dans le temps de la publication de la présente, le collateur ou celui qui a la nomination sera tenu (quand même la fondation n'exigerait pas une personne déterminée) de faire immédiatement cette nomination pour satisfaire aux articles précédents ; il sera obligé dorénavant, à chaque nouvelle collation, de l'annoncer au commissaire visiteur du quartier de celui à qui elle vient d'être donnée, par un billet signé du collateur même, lequel contiendra le nom et la demeure du pauvre ; faute de quoi, la collation sera regardée comme non faite. On enjoint aussi audit commissaire visiteur d'annoter la nouvelle collation sur la liste, et d'envoyer ledit billet à la chambre des pauvres pour que l'enregistrement se fasse sur les livres qu'on y tiendra de pareilles fondations.

« Art. 6. Si le collateur confère ou a conféré une fondation pieuse à quelqu'un qui est mis en pension hors de la ville où il demeurera pour quelque temps, il en informera par écrit la chambre des pauvres de la manière et à peine comme dessus.

« Art. 7. Et s'il arrive qu'une fondation vient à vaquer et qu'elle n'est pas conférée au jour de la distribution ordinaire, ou que selon les articles précédents elle doit être considérée comme non conférée$ (manque quelques mots) des pauvres y sera nommé provisoirement, à moins que ce ne fût une fondation consistant en argent dont le payement ne se fait que tous les trois mois ou à un plus long terme, en quel cas la colation n'appartiendra pas à la chambre des pauvres qu'après qu'une pareille fondation aura été vacante trois mois après l'époque de la distribution ordinaire.

« Art. 8. Pour ce qui regarde les fondations dont la distribution se fait par méreaux ou autres marques, les collateurs qui souhaitent de s'en réserver la collation seront tenus de déterminer pour chaque portion une personne déterminée, d’en faire leur déclaration et de se conformer en tout à ce qui est statué par la présente relativement aux autres fondations.

« Art. 9. Et si le collateur desdits méreaux ou marques dans un mois après la publication de la présente, n'a pas délivré par écrit à l’échevin Herry le nom de. la personne qu'il aura déterminée pour chaque portion de sa fondation, il sera présumé alors y avoir renoncé et avoir consenti que ces portions soient distribuées pendant la nouvelle administration par le commissaire des quartiers, à quelle fin les actes dépendant de cette fondation et délivrés en conformité de l'article premier de la présente ordonnance, seront remis à ceux de la chambre des pauvres qui en tiendront un livre particulier et remettront chaque fois ces méreaux auxdits commissaires en les avertissant de la charge qui par le fondateur y est annexée.

« Art. 10. Les collateurs seront obligés d'accorder leurs collations et nominations en faveur des vrais pauvres, et soigneront qu'aucun n’en participe au-delà de ses besoins, afin d'en pouvoir secourir le plus grand nombre possible, et si les commissaires de la nouvelle administration trouvent qu'une collation serait donnée sans vrai besoin ou que le pourvu en abuserait, lesdits commissaires pourront prier le collateur de donner la collation à quelque autre ; et cette réquisition devra se faire par billet signé de trois commissaires du quartier, dans lequel celui qui en profite demeure ; et en ce cas le collateur sera obligé d’y satisfaire et de donner la collation à un autre dans huit jours après la communication dudit billet ; et le distributeur dûment averti de la susdite réquisition faite au collateur, ne pourra plus continuer à faire la distribution à celui qui en profitait auparavant.

« Art. 11. Le collateur ne satisfaisant pas à ce qui est statué par l'article précédent pendant les huit jours y exprimés, sera pour cette fois-ci déchu de sa collation, et le commissaire visiteur du quartier de celui qui sera privé de la fondation ne recevant pendant lesdits huit jours aucune connaissance de la nouvelle collation en informera incontinent la (page 1430) chambre des pauvres pour que dans délai la portion vacante soit conférée par les aumôniers ; et toutes les fois que pour les raisons mentionnées en cet article et dans le 5e ci-dessus, la collation sera échue à la chambre des pauvres, le distributeur sera tenu de faire la distribution à celui à qui les aumôniers en auront donné la collation par écrit, à peine d'une amende du double du montant de la distribution au profit des pauvres et de six florins pour chaque distribution faite au contraire.

« Art. 12. Celui qui participe à l'aumône générale soit ordinaire, soit casuelle, sera tenu de déclarer au commissaire visiteur de son quartier, de quelle fondation, soit d'une ou de plusieurs, il jouit, fût-ce même à raison de parenté ou autrement, à peine d'être privé de la fondation qu'il aura recelée ou d'être mis en prison au pain et à l'eau pour le terme de huit jours ; peine qu'encourront aussi ceux qui par tromperie, fausseté, maladies feintes ou par de pareils moyens illicites, tâcheront de recevoir les aumônes qui sont dues uniquement aux pauvres. »

Voilà ce qui se trouvait dans le règlement d'Anvers ; voilà ce qui était une véritable garantie contre les doubles emplois et contre les distributions faites sans intelligence à des individus qui n'étaient pas pauvres.

Voilà une législation qui date, non pas de la république, mais de Marie-Thérèse, qui n'était certes pas hostile à la religion ; vous voyez toutes les précautions que l'on prend dans l'intérêt social et dans celui des pauvres.

Maintenant, il y avait une troisième précaution à prendre, je veux parler de la précaution contre les détournements.

Or, cette précaution n'est pas prise ; on fait apparaître le bureau de bienfaisance comme un propriétaire ; mais à l'article 90 on a soin de disposer qu'il remettra immédiatement toutes les valeurs à la fondation ; voilà un propriétaire qui n'a pas de possession, qui n'a du propriétaire que le nom.

Quant aux administrateurs particuliers, les premiers qui succéderont à ceux qui auront été désignés par le fondateur seront choisis par le hasard.

Ces administrateurs seront-ils solvables ou insolvables ? Seront-ils probes ou seront-ce de malhonnêtes gens ? C'est ce que nous ne savons pas. Le hasard le dira.

Où est dans le projet la garantie sérieuse que les fonds ne seront pas détournés ? Je la cherche en vain.

On a si peu voulu faire une loi véritable sur la charité, que toutes les précautions qu'indiquait l'expérience, l'histoire, qu'exigent les intérêts de la famille, de la société et des pauvres ont été complètement négligées.

C'est une loi sur la charité qui n'a aucun des caractères que devrait avoir une loi de ce genre, qu'on nous propose. Entre la charité, telle qu'elle a été proclamée par le Christ, et celle que le projet tend à organiser, il y a tout la différence de l'amour du prochain a l'amour du pouvoir, du dévouement à la domination, de la religion à la politique. Je voterai contre la loi.

M. Malou. - Je demande la parole, uniquement pour rectifier un fait en quelques mots. Je ne ferai pas un discours.

M. Thiéfry. - Les hospices ont été aussi attaqués de la manière la plus violente par l'honorable M. Malou ; je n'ai pas demandé la parole pour répondre immédiatement ; j'ai attendu que mon tour fût venu pour rectifier les faits.

M. Malou. - Eh bien, j'attendrai aussi mon tour.

-La suite de la discussion est remise à demain.

La séance est levée à 4 heures et un quart.