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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 novembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 133) M. Crombez procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« La veuve Branckaer demande qu'on lui accorde, pour l'exercice 1857, le secours qu'elle a reçu annuellement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La dame Wilmotte réclame l'intervention de la Chambre pour faire annuler ou résilier un contrat de remplacement militaire signé par son mari. »

- Même renvoi.


« Plusieurs bateliers domiciliés à Thuin et aux environs prient la Chambre de diminuer le droit de patente dont ils sont frappés. »

M. de Paul. - Messieurs, cette pétition présente un caractère d'urgence tout à fait incontestable ; Elle signale une véritable iniquité que tout le monde doit désirer de voir disparaître. L'urgence est d'autant plus grande, que cette iniquité n'atteint pas toute une catégorie d'industriels mais qu'elle lèse indirectement l'industrie et le commerce en général et tout spécialement l'industrie houillère et la métallurgie. Je propose donc le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un très prompt rapport.

M. Lelièvre. - J'appuie les observations du préopinant et j'ajoute que les abus signalés par les pétitionnaires sont également commis dans l’arrondissement de Namur. J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement.

- La proposition de M. de Paul est adoptée.


« Des meuniers à Schoorisse demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines. »

M. Thienpont. - Les plaintes des meuniers sont générales, messieurs, contre l'usage des balances à bras égaux que le gouvernement vient de prescrire. Le manque d'espace tout autant que les continuelles oscillations imprimées par le vent aux moulins sur piliers, rend, à ce qu'il paraît, l'usage de ces balances complètement impossible.

Cette question mérite d'être sérieusement examinée et il est à désirer qu'une décision prochaine vienne tranquilliser les industriels qui nous adressent leurs plaintes. Je demanderai donc à la Chambre de vouloir ordonner un prompt rapport sur la pétition qui vient d'être analysée.

- Cette proposition est adoptée.


M. Lelièvre demande un congé pour la séance du 27 novembre.

- Accordé.


M. de Brouckere demande un congé de plusieurs jours pour cause d'indisposition.

- Accordé.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 5 et 6

La discussion continue sur les paragraphes 5 et 6.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). Messieurs, dans une séance précédente, la Chambre m'avait demandé de lui fournir des renseignements officiels sur les bourses conférées aux élèves des diverses universités du pays.

En ce qui concerne les universités de l'Etat et l'université de Bruxelles, je suis en mesure de donner dès à présent des renseignements complets. Pour les universités de l'Etat, voici la situation exacte. Il y a d'abord des bourses accordées sur le budget de l'Etat, sur les fonds provinciaux et sur les fonds communaux ; il y a ensuite les bourses de fondation dont la collation est abandonnée à l'Etat.

L'université de Liège jouit de la moitié des soixante bourses de 400 francs, réservées par la loi du 15 juillet 1849 aux élèves des universités de l'Etat ; il y a ensuite douze bourses de fondation dont la collation est laissée au gouvernement ; soit ensemble quarante-deux bourses et aussi quarante-deux boursiers, parce que l'université de Liège n'a pas d'élèves qui jouissent de plus d'une bourse. A Liège, il n'y a pas non plus de bourses provinciales ou communales.

Voici le relevé des bourses pour l'université de Gand : Il y a d'abord les trente bourses de 400 francs sur le budget de l'Etat ; il y a ensuite trente bourses de la province et cinquante-trois bourses de la commune, chacune de 200 francs ; ensemble cent treize bourses ; mais il n'y a pas autant de boursiers qu'il y a de bourses ; car 61 élèves jouissent d'une seule bourse et 26 cumulent deux bourses, ce qui fait ensemble 87 boursiers.

Pour l'université de Bruxelles il y a aussi des bourses conférées par l'Etat et voici de quelle manière. Lorsque par la loi de 1849 la Chambre a décidé que les 60 bourses primitivement distribuées entre toutes les universités de l'Etat seraient réparties entre les seuls élèves des universités de l'Etat, des élèves des universités libres étaient encore en jouissance de bourses du gouvernement, on ne crut pas devoir les leur enlever et empêcher ainsi ces jeunes gens de continuer leurs études.

Quand on a décidé que les soixante bourses ne seraient plus réparties qu'entre les universités de l'Etat, on a mis 4,800 fr. à la disposition du gouvernement pour être répartis par moitié entre les élèves boursiers des universités libres. Les 2,400 fr. alloués de ce chef à l'université de Bruxelles sont répartis en treize bourses ; les jeunes gens fréquentant l’université de Bruxelles ne jouissent que d'une seule bourse de fondation conférée par l'Etat.

Il faut remarquer qu'à côté des bourses de fondation dont la collation est laissée au gouvernement, il y a un grand nombre de bourses dont la collation est abandonnée à des collateurs spéciaux appartenant à toutes les provinces.

De ces bourses que l'Etat ne confère pas, dont la collation est abandonnée à des particuliers, l'université de Bruxelles a trois bourses de fondation et dix bourses volantes, c'est-à-dire que ces bourses ne sont pas assurées à l'université de Bruxelles ou à une université quelconque, les jeunes gens qui les obtiennent pouvant fréquenter l'université qu'il leur plaît et fréquentant l'université de Bruxelles.

Pour l'université de Louvain, il y a d'abord les 2,400 fr. dont je parlais tout à l'heure qui ont été mis à la disposition de l'université de Louvain. Ces 2,400 fr. ont été répartis en douze bourses, il y a ensuite 6 bourses de fondation dont la collation est laissée au gouvernement, ce qui fait 18 bourses que le gouvernement confère.

Il y a en outre un grand nombre de bourses de fondation dont la collation n'est pas abandonnée au gouvernement. Dans le rapport de la section centrale présenté par M. de Theux, se trouve un tableau des bourses de fondation, dont la collation est abandonnée à des collateurs spéciaux ; mais ce tableau n'est pas exact, n'est pas complet, car pour certaines provinces, le tableau donne les bourses de 1844, et pour les autres, celles de 1852 et 1854. Un travail officiel est presque impossible à faire, car on connaît bien la province à laquelle appartiennent les collateurs, mais on ne sait pas quelle est l'université que fréquentent les jeunes gens qui ont obtenu ces bourses.

Il y a donc là un travail spécial à faire. J'ai donné des ordres en conséquence ; j'ai demandé aux gouverneurs de bien vouloir me fournir le nombre exact des bourses de fondation dont la collation est laissée à des collateurs spéciaux dans leur province et de rechercher aussi quelle est l'université fréquentée dans l'exercice 1855-1856 par les jeunes gens à qui ces bourses ont été données, jeunes gens qui sont libres d'aller avec ces bourses où bon leur semble.

Pour l'université de Louvain pas plus que pour les autres universités en ce qui concerne les bourses de fondation dont la collation est abandonnée à des collateurs spéciaux, je ne puis donc fournir des renseignements officiels, mais j'espère les obtenir d'ici à quelque temps. Je crois que la Chambre, si elle désire s'occuper de ces questions, pourrait le faire plus utilement à l'occasion de la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur où la question se présentera naturellement. Mais j'ai cru faire plaisir à la Chambre en lui donnant immédiatement les renseignements que j'avais à ma disposition.

M. Vervoort. - Je viens, à mon tour, vous demander, vous conjurer même, de ne pas laisser dans le projet de réponse au discours du Trône le paragraphe qui fait l'objet de nos débats. Dans mon opinion, il n'est pas digne de la Chambre de s'exprimer ainsi dans les circonstances actuelles.

Le discours du Trône nous demande d'approuver la circulaire ministérielle. Nous sommes tous d'avis d'abord, qu'il ne faut pas laisser à l’enseignement une liberté illimitée, mais aussi qu'il n'est pas possible de lui assigner des limites dans une réponse au discours du Trône ; et, en présence de cette opinion unanime, la commission ne propose pas d'approuver franchement la circulaire et les commentaires qui y ont été ajoutés par M. le ministre de l'intérieur ; mais elle soumet à notre approbation une phrase embarrassée, inintelligente et incomplète.

Je ne connais à la Chambre qu'un seul membre qui puisse sérieusement tenir à ce que cette phrase soit dans l'adresse ; c'est l'honorable M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier aurait pour excuse l'aveuglement de l'amour paternel. Cette phrase est empruntée à son discours prononcé ici le 22 janvier 1856. L’honorable M. Dumortier a dit alors : « La liberté du professeur doit avoir pour limite le respect de la liberté de conscience de ceux qui l'écoutent. » Seulement ces expressions rendent la même pensée avec un peu moins d'obscurité.

Je ne comprends pas que M. le ministre de l'intérieur se rallie à la rédaction de la commission.

Au Sénat, M. le ministre de l'intérieur a voulu entourer le vote de précautions que lui inspiraient ses scrupules constitutionnels. Ici il est d'avis que la phrase est incomplète et malgré cela il consent à son adoption. Voici comment s'est exprimé ici M. le ministre de l'intérieur : « Le projet d'adresse ne dit rien des publications ; c'est une lacune que j'ai signalées la commission et à l'honorable rapporteur ; mais je n'ai pas insisté à cause de la difficulté de renfermer le tout dans un seul paragraphe. »

Il est certain, messieurs, que le projet d'adresse ne renferme rien qui ait rapport à la publication d'ouvrages étrangers à l'enseignement de leur auteur. Car que signifie, en présence d'un ouvrage de ce genre, la (page 134) limite puisée dans la liberté de conscience de l'élève Le professeur ne s'adresse pas à l'élève dans un livre de cette nature ; il s'adresse au publie, il s'adresse au monde savant, et dès lors la limite de la liberté du professeur ne peut se trouver dans celle de la conscience de son élève, qui n'est pas même appelé à lire le livre pendant le cours de ses études.

Le paragraphe de la commission en donc insuffisant : ou il faut en compléter la pensée ou il faut renoncer à tracer une limite. Il n'y a pas de milieu.

Oui, il faut changer cette rédaction. Dans ma conviction ce n'est pas là le langage que nous devons tenir dans les circonstances actuelles. La nation nous regarde ; elle a fixé son attention sur nous et nous devons tenir un langage mâle, énergique, digne d'elle, et qui soit en rapport avec la situation.

Chose étrange, messieurs, et la droite et la gauche invoquent la Constitution. Les uns l'appellent à leur secours pour attaquer la rédaction de la commission d’adresse, et les autres pour la défendre. D'après la droite, la boussole que l'esprit constitutionnel indique au professeur serait la liberté de conscience de ses élèves. Mais cette boussole a plusieurs pôles ; quelle sera donc la direction à prendre par le professeur, lorsqu'il se livrera aux investigations scientifiques de, son enseignement ? On l'a démontré, il n'est pas possible que l'enseignement laïque ne froisse point dans ses développements les dogmes catholiques ; et, dès lors, que devient, en présence du système de la droite, l'article 14 qui assure au professeur la libre expression de son opinion en toute matière ?

Vous invoquez la Constitution ! La Constitution ne donne pas exclusivement la liberté de conscience ; elle accorde d’autres libertés. La Constitution s'est bien gardée de dire que l'on ne peut pas librement exercer ses droits lorsque l'exercice du droit peut froisser des consciences. La Constitution ne pouvait s'exprimer ainsi. On peut librement user de son droit et froisser les consciences sans sortir de la Constitution. Ainsi l'homme qui, voyant passer une procession, restera couvert, froissera la conscience de tous ceux qui approuvent cette cérémonie du culte catholique. Cependant il use d’un droit constitutionnel que personne ne peut lui contester.

Vous le voyez donc, vous avez une fausse limite, vous avez une mauvaise boussole, et cependant il n'est pas possible d’accorder au professeur un droit illimité. Quelles seront donc ici les limites ?

Les limites, messieurs, ce sont les convenances, car le droit constitutionnel garantit à tous la liberté la plus étendue. Ce sont les convenances sociales que l’Etat doit observer comme le moindre particulier.

La question de savoir si les convenances sont froissées ne peut être traitée dans un projet de réponse au discours du Trône. Il faut laisser la pins grande latitude au gouvernement ; c'est à lui d'apprécier toutes les circonstances qui se rattachent à l'acte posé par le professeur et de prendre, sous sa responsabilité, une décision dont il puisse répondre devant nous.

Il faut aussi laisser aux auteurs la plus entière liberté, sauf la répression de la licence.

La responsabilité ministérielle et notre contrôle parlementaire servent encore ici de garanties.

Votre paragraphe devrait exprimer ces pensées, rien de plus. Il faut enfin et encore une fois, y exprimer des idées larges de liberté, et la volonté de les appliquer sans esprit de parti et sans condescendance.

Il n’est pas possible, messieurs, que nous fassions, dans l'appréciation politique du projet de la commission, abstraction de certains événements ; et malgré les vœux exprimés à cet égard par M. Dechamps, il faut bien tenir compte de certains faits qui ont donné à nos jours d’allégresse patriotique un bien triste lendemain.

L'honorable M. Dechamps citait hier quelques fragments des beaux discours prononcés lors de la cérémonie du 21 juillet ; je vais y ajouter, messieurs, un seul extrait. Il prouvera à l’honorable M. Dechamps qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec le clergé sur la position prise dans le pays par le parti libéral à l’égard du culte catholique. Voici ce que disait le primat de la Belgique, représentant tous nos prélats, voici ce qu'il disait au Roi le 21 juillet :

« Sire, grâce à vos soins notre belle patrie a prospéré sous le rapport temporel, elle a également progressé sous le rapport religieux. L'instruction chrétienne est plus répandue, le sentiment religieux a jeté des racines plus profondes, les devoirs que la religion impose sont mieux remplis, la piété et le zèle pour les œuvres de Dieu se sont considérablement accrus.

« Espérons que la divine providence continuera à nous bénir et que l’avenir sera plus heureux encore.»

Il y a quelque chose de touchant et de grand dans ce langage. On ne lit pas sans émotion cet hommage des prélats catholiques au Roi protestant ? Vous le voyez, messieurs, le clergé n'est point d'accord ici avec l'honorable M. Dechamps, et il n'aurait pu tenir ce langage si le parti puissant, qui, ayant pendant huit ans occupé honorablement le pouvoir, avait eu à cœur de déraciner le catholicisme eu Belgique.

M. Dechamps. - Je n'ai pas dit : « une fraction puissante. »

M. Vervoort. Vous avez dit que le parti libéral, imitant le roi Guillaume, voulait nuire aux catholiques et détruire leur culte.

Et certes, messieurs, sous les préoccupations de cette opinion, l'honorable M. Dechamps, s'il avait dû faire le discours du prélat, n'aurait pas tenu son véridique et impartial langage.

Le 8 septembre, Mgr l'évêque de Tournai parlait au Roi, mais avec plus de concision, dans des termes à peu près semblables à ceux du cardinal de Malines. Et, le même jour, pendant que le Roi achevait sa marche triomphale à travers nos populations, et recevait les dernières assurances de notre union et de notre prospère tranquillité, le même jour paraissait à Gand cette philippique ardente, agressive, offensante, qui a jeté le trouble dans le pays et l'émotion dans tous les esprits. Elle fut suivie bientôt d'un autre mandement non moins regrettable.

Et cependant, messieurs, n'avions-nous pas été saisis du grief soulevé par les lettres pastorales ? Les pouvoirs publics ne s'étaient-ils pas prononcés ?

L'honorable M. Dumortier avait porté à la tribune les plaintes du clergé.

L'honorable ministre de l'intérieur s'était expliqué.

Il nous avait dit : Mes principes, les voici ; et voici comment je les ai appliqués ; j'ai mandé M. Brasseur ; je l'ai interpellé sur les trois points d'enseignement qui avaient soulevé du mécontentement chez quelques auditeurs. M. Brasseur m'a donné des explications, il m'a déclaré qu'il avait traité ces questions au point de vue historique et au point de vue du droit naturel, et si ses doctrines n'ont pas eu mes sympathies d'enfant soumis à l'Eglise, j'ai dut reconnaître en ma qualité de ministre constitutionnel que traiter avec décence et gravité ces questions était du domaine d'une discussion qui devait être tolérée.

Voilà ce que disait M. le ministre de l'intérieur.

Et après ces explications, aucun de nous n'a élevé la voix et la droite a gardé aussi un silence approbatif. La même chose s'est passée au Sénat. Or, dès que nous avions statué, nous, les tuteurs suprêmes de l’enseignement supérieur donné aux frais de l'Etat, nous à qui le gouvernement doit rendre compte tous les trois ans de la situation de cet enseignement, il n'appartenait plus à aucune autorité de critiquer la direction des études des universités de l'Etat.

Cependant, non content de cette solution, Mgrs les évêques s'adressent à Sa Sainteté, obtiennent le bref du 28 juillet sur des rapports non contrôles et lancent leurs mandements. Ils affirment que l'université de Gand est devenue « une source de maux incalculables, que le poison remplace la nourriture d’une saine instruction, que c'est un abîme dont les patents doivent craindre de précipiter leurs enfants ».

Et, opposant à l'autorité du pouvoir et des Chambres la souveraine infaillibilité d'une autorité étrangère, ils ajoutent :

« Le danger doit être bien grand pour avoir éveillé la sollicitude des quatre évêques belges dont les diocèses sont exposés aux funestes influences de l'enseignement anticatholique de cette université et pour avoir provoqué la déclaration si positive, du saint-siège apostolique, que nous venons de publier. La pères de famille catholiques s'en rapporteront sans doute très volontiers, dans cette matière évidemment religieuse, à des. juges aussi compétents. »

Vous le voyez, la direction et la surveillance du gouvernement sont indirectement critiquées, et notre appréciation est reléguée à l'arrière-plan.

Or, la loi interdit aux évêques de critiquer ou de censurer, dans des lettres épiscopales, le gouvernement ou les actes de l'autorité.

Lorsqu'on voit cette intervention des princes de l'Eglise, ne doit-on pas s'étonner de leur langage ? Est-ce là la bienveillance de la charité ? est-ce là la parole persuasive de l'évangile ? est-ce là le ton de la vérité ? S'ils avaient agi sous les inspirations du sentiment religieux, il me semble que MM. les évêques auraient suivi une autre voie. S'il s'était agi de l'université de Louvain, ne doit-on pas penser que les deux auteurs des mandements contre l'université de Gand auraient agi différemment ? Les universités de l'Etat n'ont-elles pas un recteur, un conseil académique ? N aurait-on pas pu leur adresser, dans un langage convenable, les doléances du clergé ?

Mais au lieu de cela on s'adresse au public, et au lieu de ce langage persuasif et évangélique, on couvre d'ignominie les universités respectables de l'Etat, un établissement rival, des associations d'honnêtes gens et on prêche dans les mandements des doctrines ouvertement inconstitutionnelles.

En examinant les propositions de M. Brasseur, Mgr l'évêque de Gand rappelle tous les principes constitutionnels et les condamne.

Il condamne, par application de l'encyclique, la liberté absolue de manifester ses pensées, la liberté de la presse, la liberté absolue de réunion et d'association. Les termes de l'encyclique méritent d'être rappelés. « De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, disait S, S. Grégoire XVI, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt extravagante ; qu'on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions, qui, pour la ruine de l'Eglise et de l'Etat... »

Et plus loin :

« Là se rapporte cette liberté funeste, et dont on ne peut jamais avoir assez d'horreur, la liberté de la presse pour publier quelque écrit que ce soit, liberté que quelques-uns osent solliciter et étendre avec tant de bruit et d'ardeur. »

Ces critiques ont été accueillies avec une émotion profonde et (page 135) je n'hésite pas à le dire, dans mon opinion, les lettres pastorales ont fait plus de tort au culte que le livre de M. Laurent.

L'honorable M. Dechamps disait dans la dernière séance : « Vous attaquez la droite catholique comme si elle n'était pas sincèrement attachée à la Constitution. Vous attaquez ses opinions religieuses. »

Personne n'a attaqué la droite catholique ni ses opinions religieuses, les attaques ont été dirigées contre les doctrines politiques des mandements et contre une partie de la presse catholique, puissance imposante qui se livre chaque jour aux commentaires les plus dangereux et à laquelle vient se joindre la publicité de la lecture au prône qui fait passer ces doctrines chez tous les catholiques du diocèse.

La droite ne peut considérer nos attaques comme s'appliquant à elle que si elle s'approprie ces doctrines et si, se posant entre nous et ceux auxquels nous nous sommes adressés, elle consent à leur faire un rempart de son corps ; notre blâme ne s'adresse pas à la droite si elle répudie ces doctrines comme les a répudiées M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l’intérieur disait dans une séance précédente :

« Mais il y a une autre protestation que je sens le besoin de faire, c'est une protestation contre une partie de la presse catholique, qui a pris une position à tous égards regrettable. Contre ces tendances intolérantes et exclusives, qu'on vous a signalées hier, je viens protester à mon tour.

« Je viens protester contre ces tendances, au nom du dévouement que j'ai consacré à la défense de la cause catholique constitutionnelle. Je proteste contre ces tendances, au nom de l'intérêt même de la cause catholique si gravement compromise par ces exagérations.

« Je proteste contre ces tendances, parce que je veux être conséquent avec moi-même, et que, ayant lutté courageusement contre les exagérations de l'esprit exclusif au point de vue libéral, j'aurai le courage de les signaler et de les combattre aussi dans une fraction de l'opinion catholique. Je proteste contre ces tendances, parce que, pour moi, il est évident qu'elles conduisent à un abîme où ira s'engloutir, avec la religion compromise, notre nationalité elle-même.

« Oui, messieurs, à voir les tendances de la presse catholique des Flandres surtout, provinces qui me touchent de plus près, à voir les tendances de cette presse, on est autorisé à dire qu'un souffle d'intolérance a passé sur la Belgique. Mais heureusement, hâtons-nous de le dire, ce souffle encore vient de l'étranger. »

Encore une fois ce n'est pas la droite que nous attaquons, mais les tendances de la fraction du parti si énergiquement flagellée par les paroles de M. Dedecker.

Si l'esprit de ces tendances venait à prévaloir, il y aurait antagonisme entre les dogmes du culte catholique et les principes de notre pacte constitutionnel, mais il ne saurait en être ainsi ; les principes du culte catholique basés sur la charité chrétienne ne sauraient être inconciliables avec les principes de notre pacte constitutionnel. Ce qui crée l'antagonisme c'est l'intolérance.

L'intolérance qui voudrait en vain arrêter la marche de l'humanité et lui faire remonter le courant des âges.

L'intolérance qui, en irritant les consciences et en froissant les convictions politiques engendre l'irréligion.

Pour faire disparaître les luttes qui se produisent ici, il faudrait l'autorité du prélat et du prêtre s'exercent à l'exemple de l'autorité paternelle, la persuasion substituée au commandement, la charité bannissant les offenses, la pratique du respect qu'on exige des autres, l'exercice loyal et modéré d'une généreuse émulation.

La tolérance enfin permettant à tous les hommes de marcher sans recueillir de malédictions, de marcher parallèlement vers leurs destinées respectives.

C'est ce qu'a compris M. le ministre de l'intérieur lorsque se trouvant en présence des mandements, il a posé cet acte de résistance dont je le félicite.

Il avait, par des raisons de convenance qu'il a expliquées, songé à changer le cours de M. Brasseur. Après l'apparition des lettres pastorales, il y a renoncé.

Certes cette résistance de la part de l'honorable ministre de l'intérieur est honorable pour lui.

En ce point un cabinet libéral n’eût certes pas mieux fait. Il fallait montrer à ceux qui préconisent la politique des mandements et jettent l'interdit sur nos établissements d'enseignement public, que le gouvernement n'entend pas subir de pression ni donner la main à des envahissements qui doivent en définitive tourner contre la religion.

Je ne comprends pas comment, après cet acte de fermeté, l'honorable ministre ne demande point à la commission du projet d'adresse une rédaction plus franche, plus complète, plus énergique.

L'honorable M. Dechamps nous a dit : Vous professez une doctrine qui est l'antithèse de la foi catholique ; le roi Guillaume a voulu enlever son culte à la nation belge, vous voulez imiter le roi Guillaume. M. Dumortier, de son côté, a reproché à l'opposition d'attaquer les fondements de la foi catholique. Des journaux de la presse catholique ont prétendu aussi que le libéralisme menace la religion ; on tentera vainement, messieurs, d'attribuer à notre résistance un caractère antireligieux.

On n'y réussira pas. Le public jugera avec son bon sens habituel et condamnera ces imputation que je repousse avec indignation. Notre opposition a un caractère purement politique, elle n'a aucun caractère religieux. Le culte ne compte pas d'adversaires dans les rangs des libéraux belges. Les libéraux ne veulent pas affaiblir, encore moins étouffer l'esprit religieux ; ils veulent le développement du sentiment religieux, mais dans ce qu'il a de bon, de charitable, d'élevé, de vraiment divin, non point dans ce qu'il peut renfermer de dangereuse intolérance.

Si la religion a eu à souffrir à la suite de nos luttes, à qui faudra-t-il s'en prendre, si ce n'est à ces fâcheuses et exorbitantes précautions, à ces attaques passionnées qui ont soulevé les mécontentement de la généralité des Belges.

Nous voulons laisser au catholicisme toute sa puissance, mais au catholicisme dégagé de cet esprit de domination et d'étroite intolérante en opposition avec les libres mouvements de la conscience qui viennent de Dieu et avec la loi humaine sous la protection de laquelle vit grande et honorée, notre libre pairie.

« Tous les débats, a dit l'honorable M. Dechamps, tous les débats sur les droits politiques ont eu lieu sur le terrain des libertés, qui nous- ont les pins chères. Alors nous défendions la liberté, et vous défendiez le pouvoir. »

L'honorable M. Dechamps fait une distinction entre les libertés catholiques et les libertés religieuses. Elle est certainement plus ingénieuse que juste. Si la gauche a défendu le pouvoir, c'était probablement contre des envahissements. C'est qu'apparemment il lui échoit d'être parfois contre vous l'opinion conservatrice.

Je laisserai à d'honorables membres plus initiés que moi dans la vie politique, et qui ont déjà demandé la parole, le soin de répondre, s'ils le trouvent convenable, à la distinction de M. Dechamps et de la suivre dans les détails de sa démonstration.

Pour moi, je me bornerai à rappeler un seul fait, L'honorable M. Dumortier disait dans son dernier discours : La première de nos libertés, la plus importante est celle qui concerne nos franchises communales. Eh bien, je le demande, sous quel ministère a-t-on donné au pouvoir royal la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, sous quel ministère a-t-on enfanté cette loi ? Et quelle a été l'opinion de certains membres de la droite sur le caractère de cette loi ?

Voici ce que disait l'honorable M. Dedecker, le 16 septembre 1847 ;

« Le ministère propose une autre réforme à la loi communale, celle de soumettre à quelques garanties nouvelles le choix du bourgmestre en dehors du conseil. Messieurs, dans cette question si importante, je vais bien plus loin que le cabinet : je suis heureux de pouvoir rappeler à la Chambre que, lorsque l'honorable M. Nothomb a proposé, il y cinq ans, de nommer les bourgmestres en dehors du conseil, j'ai été l'un de ceux qui ont le plus énergiquement protesté contre cette proposition. A cette époque j'ai voté contre, comme désormais encore, si la question se représente je voterai contre cette violation de nos libertés communales. Je reste fidèle à mes convictions, et je ne veux pas plus aujourd'hui qu'alors accorder au Roi le droit de nommer les bourgmestres en dehors du conseil. »

Voilà une de ces libertés qui se trouvent sur le terrain mixte de M. Dechamps. Elle est à la fois catholique et libérale, c'est la liberté fondamentale, de tout temps chère aux Belges. Lorsqu'on y a porté atteinte, elle a compté l’honorable M. Dedecker au nombre de ses défenseurs.

Je sais que cette opinion consciencieusement émise par l'honorable ministre de l’intérieur lui a valu un portrait peu flatteur tracé par l’honorable comte de Mérode. Mais heureusement il y avait dans ce portrait plus de fantaisie que de vérité, et l'honorable comte a prouvé que la photographie ne lui avait pas servi de guide dans cette circonstance.

L'honorable M. Dechamps s'est écrié : « Nous portons l'avenir dans les plis de notre manteau. Nous sauverons l'avenir de l'anarchie et du despotisme, où vos doctrines tendent à l'entraîner »

À Dieu ne plaise que je veuille prétendre que le parti catholique n’aura pas une large part dans l’œuvre intellectuelle et morale de l’avenir.

Ce sont les oscillations éternelles du progrès et de la résistance. Oui, vous avez rendu de grands services, vous en rendrez encore. Mais si vous possédez la puissance que vous vous attribuez, vous avez contracté aussi une dette immense.

Si vous portez l'avenir dans les plis de votre manteau, si telle est votre influence, vous devez répondre de l'avenir ! Alors prenez garde à vos auxiliaires ; ils pourraient un jour devenir vos maîtres et vous précipiter dans l'anarchie dont vous prétendez nous préserver ! Surveillez vos alliés, car leur concours ne saurait être salutaire qu'aux conditions que je viens de tracer.

Vous vous attribuez le monopole de la sagesse, messieurs, et vous vous drapez majestueusement dans les plis de votre manteau conservateur. Mais votre mémoire était infidèle lorsque vous vous êtes laissé entraîner sur la pente de ces exagérations qui flattent votre orgueil. Quand dans un pays voisin la royauté était renversée, quand le sol y était jonché de ruines, quand l'anarchie menaçait l'Europe, qui donc a sauvé le pays ? Aux jours de grand danger se font les grandes épreuves. Le parti libéral portail alors les destinées du pays dans les plis de son manteau. Dites, répondez. Est-ce l'anarchie qu'il leur a donnée ?

A-t-il produit alors une religion nouvelle ?

Souvenez-vous-en, vous étiez heureux de vous abriter sous son étendard. (page 136) Vous étiez heureux de l'aider, en le suivant, à sauver l'ordre, le culte et la liberté ! Vous avez pu oublier ces services ; mais le pays et l’histoire ne l'oublieront jamais.

Et le lendemain de la victoire remportée contre les dangers de l'anarchie, quelle fut la conduite du parti libéral ? Il avait reçu une grave offense de la cour de Rome agissant sous des inspirations venues d'ici. Il était en droit de s'en prendre à l'opinion catholique. Le parti libéral comprenait parfaitement que le refus d'accueillir l'ambassadeur belge passait au-dessus de la couronne du souverain et atteignait les libéraux. Quelle fut en cette circonstance sa conduite ? Il a oublié l'offense pour ne se souvenir que des bienfaits de l'union !

Un mot encore, messieurs.

La réponse au discours du Trône renferme deux parties distinctes. Quatre paragraphes sont consacrés à rappeler des événements magnifiques, pleins de grands enseignements et des faits qui ont excité l'admiration du monde et auxquels est réservée une page glorieuse dans l'histoire. Ils rappellent aussi la part qui appartient à la sagesse du Roi dans les paisibles conquêtes de vingt-cinq armées de paix et de soumission à nos lois : la prospérité et la renommée !

Si je suis contraint à la suite de ces débats à refuser mon adhésion à l'adresse, je veux ne pas oublier cette partie qu'elle renferme et je déclare ici que de toute mon âme je m'associe (et je crois pouvoir me faire aussi l'organe de tous mes amis de la gauche) à cette expression nouvelle et solennelle de la reconnaissance nationale.

M. F. de Mérode. - Je propose de modifier une phrase du paragraphe en discussion, afin de la simplifier comme suit :

« La liberté relative du professeur a pour limite le respect loyal et constitutionnel pour la foi religieuse des familles, dont le gouvernement n'est que le délégué responsable. »

Je supprime les mots la liberté de conscience de l'élève, parce qu'ils n'ajoutent rien à la valeur des expressions suivantes « le respect loyal et constitutionnel pour la foi religieuse des familles, dont le gouvernement n'est que le délégué responsable. »

Messieurs, la liberté religieuse de l'élève, mise en opposition avec la liberté relative du professeur, a été critiquée comme imparfaitement compréhensible, tandis que « le respect loyal et constitutionnel pour la foi religieuse des familles, dont le gouvernement n'est que le délégué responsable » ne présente aucune ambiguïté.

En effet, messieurs, les élèves sont ordinairement formés dans leur éducation par l'influence et selon les intentions de ceux qui leur ont donné le jour.

C'est donc aux familles, aux parents qu'il est convenable de ne pas porter d'inquiétude sur une direction finale qui pourrait démolir ce qu'ils ont voulu léguer à leurs enfants comme le plus précieux des héritages.

Je n'ajouterai rien au motif sur lequel je viens d'appuyer mon amendement, parce qu'il suffit, et que les longs discours ne servent pas beaucoup à éclaircir les choses simples.

M. Dechamps, rapporteur. - Je demande à donner un mot d'explication sur cet amendement. Je ne dirai que quatre mots.

J'ai expliqué déjà plusieurs fois les motifs pour lesquels cette phrase, que l'on a beaucoup critiquée, a été insérée dans le paragraphe de l'adresse. Le but de la commission était de reproduire textuellement, complètement les principes de la circulaire ministérielle, de ne pas en dévier. Je m'étais donc attaché à prendre autant que possible les mots mêmes de la circulaire. Cette phrase a été empruntée à ce document.

Cependant, je conviens, comme l'a dit l'honorable M. de Mérode, que ces mots : « la liberté de conscience de l'élève » forment plus ou moins pléonasme avec la phrase suivante : « la foi religieuse des familles ». Mais je n'accepte pas les critiques qui ont été faites. Je ne veux pas rentrer dans le débat, je déclare seulement que je ne trouve aucune espèce d'inconvénient à la suppression proposée. Elle aura un avantage ; c'est de faire supprimer les longs passages des discours que l'on pourrait encore prononcer pour combattre ce passage du projet d'adresse.

M. Orts. - Messieurs, arrivé dans cette enceinte comme représentant de l'opinion libérale, après avoir pratiqué ses principes pendant huit années, les ayant défendus, je puis le rappeler, alors même que je les croyais abandonnés par ceux avec qui je les pratiquais d'habitude, je sens aujourd'hui le besoin de répondre aux accusations formulées hier contre ces principes et contre ceux qui les défendent. Enfant de Bruxelles, député de la capitale, appelé à siéger au sein du conseil communal de Bruxelles, un autre motif, un autre intérêt encore me commandent de répondre à ces attaques. Il ne m'est plus permis de garder le silence. N'ai-je point entendu hier dans un discours auquel, sous le rapport de la forme, je rends le plus éclatant des hommages ; n'ai-je point entendu traduire à la barre de la Chambre le parti libéral accusé dans ses hommes, dans ses actes, dans ses principes depuis le Congrès national jusqu'en 1856.

M. Dechamps, rapporteur. - La minorité de la gauche parlementaire.

M. Orts. - Nous verrons tout à l'heure si cette distinction, fort habile aujourd'hui, se produisait hier avec le même caractère. Je regrette infiniment qu'à l'appui de la distinction ne se trouvent pas aujourd'hui insérées aux Annales parlementaires vos paroles textuelles.

Parmi les attaques adressées aux institutions, aux hommes et aux doctrines libérales, il en est une qui devait m'être sensible entre toutes.

J'y répondrai de suite, et je passerai plus tard à l'examen des généralités. J'y répondrai de suite, parce qu'au début d'une improvisation on est plus calme ; par conséquent mieux à même de répondre aux accusations qui touchent presque personnellement.

Le libéralisme, imitant l'exemple de ses adversaires, a mis en pratique dans la capitale la liberté de l'enseignement. Il y a créé une grande institution. Cette institution fonctionne aux yeux du pays sous le contrôle de votre opinion comme sous le contrôle de la nôtre depuis vingt- trois années.

Et qu'en avez-vous dit ? Vous avez appelé cette institution un temple élevé à l'irréligion, une chaire destinée à prêcher quelques vagues doctrines nouvelles, que vous êtes dans l'impuissance de définir : vous l'avez avoué. Cette institution, vous l'avez affirmé, a pour but, pour mission, pour devoir, pour mandat d'affaiblir graduellement l'esprit religieux, de ruiner toute religion positive, de ruiner l'idée chrétienne, que dis-je ! de ruiner l'idée religieuse tout entière ; et pour le prouver, vous avez affirmé encore que cette institution était le produit de quelques ténébreuses sociétés dont le mot d'ordre serait de saper dans sa base toute croyance ! Sociétés dont vous ignorez, je pense, et les doctrines et le programme.

Ces doctrines et ce programme, je ne chercherai pas à les défendre parce que je ne les connais pas, et je ne veux pas m'exposer au reproche que vous nous adressiez hier, reproche, cependant, quelque peu mérité par vous, de juger des choses en allant écouter aux portes.

Et qu'avez-vous apporté à l'appui de ces accusations ? Vous avez apporté des paroles et vous avez refusé d'ouvrir les yeux devant les faits ! Vous avez apporté des paroles incomplètes, comme le sont toujours les paroles que l'on détache et que l'on choisit ; des paroles séparées d'autres paroles qui complètent la pensée de l'orateur ; des paroles que vous avez citées en supprimant les qualificatifs que l'orateur proclamait essentiels et sans lesquels il disait que sa pensée ne serait pas comprise.

Laissons-là les paroles ; ne jugeons pas sur les paroles : les jugements ainsi portés sont périlleux ; car il est trop facile à qui joint l'habileté au talent oratoire de faire abus de la parole des autres comme de faire abus de sa propre parole. Ne tenons compte que des actes, des faits, ce sont les actes, les faits que le bon sens belge consulte lorsqu'il juge ce que vous avez je ne dirai pas jugé, car je vous refuse l'impartialité et le sang-froid qui conviennent au juge, mais ce que vous avez attaqué et condamné ! Vous dites que l'institution que vous accusez subit le joug de quelques mystérieuses sociétés auxquelles vous faites trop souvent allusion ? Et les trois quarts de ceux qui enseignent à l'université de Bruxelles sont étrangers aux sociétés que vous voulez designer.

Vous dites que ces hommes se sont réunis dans la pensée de détruire les idées religieuses quelles qu'elles soient, les idées religieuses en général, de saper, de battre en brèche l'idée chrétienne. Et dans ce personnel enseignant que rencontrez-vous ? Des hommes appartenant à tous les cultes officiellement reconnus par la loi belge ! Je vous le disais ; c'est sur les faits et sur les actes que juge le bon sens belge. Quel a été son verdict ? De jour en jour la confiance dans l'institution que vous attaquez grandit. D'irrécusables sympathies le prouvent dans un pays où vous n'oseriez dire que ceux qui manifestent ces sympathies ont complètement rompu avec le sentiment chrétien. Nos élèves augmentent chaque jour ; ils nous arrivent appelés par la seule bonté de l'enseignement, conduits par la main des pères de famille. Nous ne les attirons pas, vous l'avez entendu par les renseignements précieux qu'a fournis M. le ministre de l'intérieur, nous ne les attirons point par l'appât des bourses ; nous sommes pauvres, je le dis avec fierté, nous n'offrons à nos élèves que la science. Nous ne les attirons pas sur nos bancs en distribuant comme ailleurs, à plus de deux cent cinquante boursiers sur six cents élèves, une prime annuelle de 45,000 francs. Ces marques directes, immédiates de sympathie ne sont pas isolées.

Les corps qui représentent les pères de famille plus directement même que nous, ces corps, depuis 23 ans, n'ont pas manqué de saisir chaque occasion pour venir apporter le concours dont ils disposent, à l'université de Bruxelles ; croyez-vous donc que la pensée de détruire l'idée chrétienne domine depuis 23 ans et la majorité du conseil provincial du Brabant et l'unanimité du conseil communal de Bruxelles ? Oh ! vous ne le croyez pas, car si vous le croyiez, vous n'oseriez pas le dire.

Je sais bien qu'à ces subsides, qu'à ces marques de sympathie on a adressé un singulier reproche. On vous a dit : Ces subsides sont injustes, ils sont pris dans la poche des contribuables, qui tous ne partagent pas les doctrines que ces subsides servent à alimenter (c'est l’honorable M. de Mérode qui a présenté l'argument)...

M. F. de Mérode.- J'ai dit qu'ils ne viennent pas aux élections.

M. Orts. - Patience, M. le comte ! Je viendrai à tous vos arguments ; ils sont trop beaux pour que je les néglige.

L'honorable M. de Mérode vous disait : Le subside est injuste, parce qu'il est partiellement payé par des gens qui n'ont pas de sympathie pour l'enseignement de l'université de Bruxelles ; et c'est l'honorable M. de Mérode qui m'objecte cela ? lui qui professe la religion que la volonté de la majorité des pères de famille doit être seule suivie en matière (page 137) d'enseignement ! et l'honorable M. de Mérode trouve juste et oublie que dans la poche des contribuables excommuniés se prend l'argent avec lequel on paye les évêques. (Interruption.)

Si l'honorable M. de Mérode veut discuter incidemment la question du traitement du clergé et la légitimité de la nationalisation de ses biens, je suis prêt à lui répondre. Je le préviens seulement que ce sera un peu long.

L'honorable comte de Mérode m interrompant et rappelant un argument que, du reste, je n'avais pas oublié, me dit : Mais le mandat de ceux qui passent pour être les représentants des pères de famille dans la province de Brabant et dans la ville de Bruxelles, ce mandat est irrégulier ; ils ne représentent pas légalement... (Interruption.) Je dirai : légitimement...

M. F. de Mérode. - J'ai dit qu'on ne vient pas aux élections.

M. Orts. - Rien n'est plus loin de moi que de prêter à mes adversaires des idées qu'ils n'ont pas, et je remercie l'honorable comte de Mérode de son explication.

L'honorable membre conteste donc aux représentants, qui accordent des subsides à l'université de Bruxelles, le caractère de véritables représentants des pères de famille.

Eh bien, l'honorable comte de Mérode qui gourmande les pères de famille n'allant pas aux élections, à Bruxelles et ailleurs, a mieux à faire que de se borner à prêcher ici du geste et de la parole. Qu'il prêche d'exemple ! L'honorable comte de Mérode, dans la réalité du fait, est plus habitant de Bruxelles que moi ; pour corriger le mal qu'il signale, qu'il se fasse inscrire sur les listes électorales de la ville qu'il habite au lieu de se faire inscrire à Rixensart ; qu'il rallie au scrutin ces pères de famille peu diligents ; qu'à leur tête il monte à l'assaut de nos sièges à l'hôtel de ville, usurpés, prétend-il, à la faveur de leur négligence. Qu'il vienne ! Voilà, M. le comte, le remède pour vous et pour vos amis. Vous n'essayerez pas. Au nom du corps électoral qui m'a investi de mon mandat, en mon nom, monsieur, je vous en défie.

Continuant ses attaques, l'honorable comte de Mérode, loin de nuire à la défense que j'ai entreprise, a émis un principe que je veux lui rappeler ; l'honorable comte de Mérode disait hier : « On juge la semence par ses fruits. »

On juge la semence par son fruit ! Je veux bien accepter cette règle, et pourtant elle peut être dangereuse, mener aux jugements téméraires ; jugez-en. Au nombre des adversaires du parti auquel l'honorable M. de Mérode appartient consciencieusement et qu'il honore par la constance de ses principes ; au nombre des adversaires de ce parti, figure notoirement aujourd'hui un des écrivains les plus spirituels que nous ayons en Belgique, mais en même temps un des moins orthodoxes, un pamphlétaire que l'opinion littéraire place bien près de Paul-Louis Courier, son maître, que ses adversaires assimilent si bien à Paul-Louis Courier que dans un journal très religieux, on a été jusqu'à regretter en quelque sorte qu'à l'exemple de Courier il n'eut point encore été tué au coin d'un bois comme une bête malfaisante.

Cet écrivain, Boniface, puisqu'il faut l'appeler par son nom, n'a-t-il pas été apprendre à écrire et à penser sur les bancs de la pieuse université de Louvain ? Ah ! M. le comte comme nous jugerions quelquefois mal, si nous jugions toujours la semence par son fruit !

Je pourrais à bon droit récuser cet adage et pourtant je l'accepte. Appliquons à l'université de Bruxelles la règle de l'honorable M. de Mérode. Nous sommes une fabrique de mécréants ; il faut nous juger par les fruits de nos doctrines ! Mais, M. de Mérode, regardez donc autour de vous, sur les bancs de votre majorité, vous trouverez de nos élèves votant consciencieusement avec vous ; vous y trouverez, non pas quelques pécheurs endurcis, enlevés à nos bancs par l'une de ces conversions inexplicables, mystérieuses qui font tache dans l'histoire des partis. Non, non ! ce sont des purs entre les purs, des agneaux sans tache, des hommes immaculés. Je demande à l'honorable M. Van Overloop si ce n'est pas vrai ?

On me permettra de donner un dernier mot de réponse à l'honorable M. Dechamps.

L'honorable M. Dechamps ne voit dans l'université de Bruxelles qu'une institution dont les doctrines sont une négation perpétuelle de l'idée religieuse en général, de l'idée chrétienne en particulier ; l'honorable M. Dechamps, pour le mieux prouver, nous dit : « Quelle est votre formule, quel est votre principe, quelle est affirmation ? Je n'en puis pas découvrir dans ce programme où j'ai découvert tant de choses ? »

Eh bien, je ne trouve aucune peine à expliquer à l'honorable M. Dechamps quel est le temple élevé à la science dans la capitale, quel est le but de ceux qui l'ont édifié, comme je n'éprouverais aucun scrupule à lui en nommer tous les ministres, s'il le désire.

L'université de Bruxelles est un asile ouvert par la tolérance à la libre discussion, à la libre exposition de toutes les doctrines, de tous les principes sans distinction, consciencieusement professés. Tout le monde y peut professer sa foi ouvertement, à la condition toutefois qu'il permettra qu'on la discute, qu'il ne prétendra pas l'imposer.

L'université de Bruxelles pratique la libre recherche et le libre examen ; sa foi est la foi dans le triomphe de la vérité. Elle n'écarte aucune doctrine ; la révélation peut s'y produire en toute liberté ; car pour ma part, je ne crois pas qu'il y ait un divorce permanent et perpétuel entre la révélation et la raison. Je ne le pense pas ; et pour ne pas le penser, je suis d'accord avec un des plus grands noms de la philosophie, avec un génie que l'honorable M. Dechamps, au début de cette discussion, déclarait orthodoxe, qui, d'après lui, pourrait enseigner librement dans les universités de l'État où il trouverait encore des horizons assez larges, alors que dans votre adresse, vous en auriez déterminé la limite ; je suis d'accord avec Leibnitz qui disait :

« Vouloir proscrire la raison pour faire place à la révélation ce serait s'arracher les yeux pour mieux voir les satellites de Jupiter à travers un télescope. »

On a dit que la raison et la discussion étaient incompatibles avec les idées catholiques…

M. Dechamps. - Pas du tout.

M. Orts. - Vous avez dit qu'il était impossible d'admettre la libre discussion sans être rationaliste, et que le rationalisme est la négation de tous les cultes positifs...

Mais laissons là ces controverses puisque vous contestez. Au seuil de l'université de Bruxelles, nous avons inscrit de belles et nobles paroles empruntées à une autorité que vous ne récuserez pas', des paroles que M. le ministre des affaires étrangères appliquait, il y a 23 ans, à la liberté de la presse et que nous avons appliquées à la liberté de l'enseignement. Ces paroles, les voici :

« Dans l'état actuel de la société il faut laisser toutes les opinions, toutes les doctrines librement se produire.

« Il faut les laisser se débattre et s'entrechoquer entre elles ; celles qui sont de verre se briseront, celles qui sont de fer persisteront et la vérité finira par l'emporter par sa propre force. Sa victoire sera glorieuse alors ; elle sera légitime car elle aura été conquise sur le champ de bataille ». (Interruption.)

Vous le voulez aussi ; vous le voulez encore, dites-vous ? Et vous demandez que le gouvernement sévisse contre les doctrines d'un professeur, alors même qu'elles se produiraient en dehors de son enseignement ! (Interruption.)

L'honorable abbé de Haerne me dit : Aux frais de l'Etat. Je demanderai si M. Laurent a obtenu un subside de M. le ministre de l'intérieur pour l'impression de son ouvrage : je demanderai si l'ouvrage n'est pas publié aux risques et périls de l’auteur ou de son éditeur ?

Je laisse ici la question du débat que j'aurais pu appeler une question personnelle. J'aborde la question générale.

J'ai dit que de 1830 à 1856, du Congrès national jusqu'à la Chambre où nous siégeons, le parti libéral dans ses doctrines, dans ses actes et dans ses hommes, a été accusé. En 1830, disait M. Dechamps, une grande transaction s'est faite ; dans un pacte social conclu en commun, toutes les libertés ont été inscrites pour pouvoir être plus tard complètement pratiquées en Belgique. Nous avons consenti à y inscrire les libertés plus particulièrement chères à nos adversaires pour qu'à leur tour ils consentissent à y insérer les libertés qui ont notre prédilection ; chaque parti avait ses libertés de préférence, les vôtres étaient la liberté de la presse, la liberté d'association politique, les libertés politiques, en un mot, les nôtres c'étaient la liberté religieuse, la liberté d'association religieuse, la liberté de l'enseignement, la liberté de la charité.

Depuis lors, que s'est-il passé ? Chaque fois que dans cette Chambre, ou dans les assemblées parlementaires qui l'ont précédée, il s'est établi une lutte sur le terrain des libertés qui nous sont chères, vous libéraux, vous avez défendu la cause du pouvoir contre la liberté. Chaque fois qu'une discussion s'est ouverte sur le terrain des libertés qui ont votre prédilection, des libertés politiques, nous les avons laissées intactes ; jamais nous n'avons cherché à vous troubler dans leur jouissance, tout a été large de notre pari. »

Quelque artifice de langage, quelque talent uni à l'habileté qu'on ait employé pour formuler ce reproche, il est injuste. Aussi, le reproche a dit nous émouvoir ; il nous a émus.

Vos libertés de choix, avez-vous dit ! C'est là une idée dangereuse que vous avez lancée dans nos débats.

Il est dangereux de laisser croire qu'il y a, dans les libertés constitutionnelles, des degrés de préférence, pour tout un grand parti politique.

Des degrés de préférence impliquent des degrés de sincérité dans l'attachement qu'on professe. Pour l’opinion libérale, je repousse cette idée de préférence.

Nous aimons au même titre toutes les libertés constitutionnelles parce qu'elles ont le même titre à notre attachement, leur inscription dans notre charte.

Parmi ces libertés qui ont votre préférence, vous avez cité la liberté d'association religieuse, quand y avons-nous porté atteinte ? quand avons-nous été forcés de défendre sur ce terrain la cause du pouvoir ? Votre liberté d'association ne s'est-elle pas développée à un degré qui effraye certains esprits, peut-être jusque dans vos rangs, qui ne m'effraye pas, moi, parce qu'accoutumé à regarder la liberté en face, je ne m'effrayerai jamais des conséquences de la liberté. Le nombre de ces associations venues la plupart de l'étranger sur notre sol ne s'est pas accru au point de dépasser ce qui existait sous le règne que vous aimez tant à rappeler, sous le règne de Marie-Thérèse.

La liberté de la charité ! ne l'avez-vous pas exercée en toute plénitude ? Quand avons-nous défendu de donner ? Montrez donc le pauvre auquel nous aurions retiré vos aumônes ! Avons-nous conteste^ votre droit, que nous fussions minorité ou que nous fussions du pouvoir ? (page 138) Jamais. Je sais bien que sous prétexte de charité, vous voulez toucher à autre chose qu'à la liberté ! mais n'anticipons pas sur cette grande discussion.

Vous avez encore cité comme liberté de prédilection, la liberté religieuse de l'enseignement ?

Est-ce nous par hasard, qui, dans le but de faire prévaloir votre opinion, aurions retardé systématiquement l'organisation de l'enseignement par l'Etat ? N'avons-nous pas permis, ce qui était l'exercice d'un droit sacré, l'érection partout d'établissements d'enseignement libre depuis l'école primaire jusqu'au plus haut degré de l'instruction ? Votre droit, ici encore, n'a-t-il pas été respecté par l'opinion libérale qu'elle fût opposition ou qu'elle fût au pouvoir ; n'avez-vous pas toujours trouvé dans le libéralisme opposition la justice : dans le libéralisme au pouvoir : protection ?

Un jour on vous a contesté non pas un droit, mais une faveur et je me suis levé pour la défendre avec vous.

Oui, nous avons défendu la cause du pouvoir contre vous. Mais quand ? Mais pourquoi ?

Nous vous avons combattu et nous vous combattrons toujours, lorsque sous prétexte de liberté vous voulez tourner la liberté contre elle-même.

Sur le terrain de la liberté d'enseignement, avons-nous combattu pour amoindrir l'usage que vous faisiez de la liberté ? Nous l'avons fait pour défendre l'indépendance du pouvoir civil, parce que l'indépendance du pouvoir civil dans l'enseignement est nécessaire, indispensable, là comme ailleurs, parce que sans indépendance du pouvoir civil, il n'y a plus de liberté qui ne soit un vain mot, que dis-je ? un mensonge.

Nous avons défendu l'indépendance du pouvoir civil à propos d'enseignement, nous la défendrons toujours, nous ne voulons pas que sous prétexte de liberté on abuse de la liberté pour la renverser ou pour relever ces vieilles bastilles du passé que le premier acte de la liberté émancipée en 1789, a été de glorieusement balayer, je l'espère, pour toujours.

Si vous fûtes injustes dans l'accusation dirigée contre notre opinion, ayez-vous été plus justes quand vous avez fait votre propre éloge ?

Réglons rapidement notre compte, s'il vous plaît. De votre aveu, parmi les libertés inscrites dans notre Constitution, il y en aurait qui vous sont plus particulièrement chères. Nous, nous le chérissons toutes dans une même mesure. Je l'ai déjà dit, elles sont inscrites au même titre dans notre Constitution, le même prix doit être attaché à l'usage de toutes, libertés politiques ou libertés religieuses.

Et pourtant, quand vous étiez au pouvoir, qu'avez-vous fait de la plus grande, de la plus importante des libertés politiques ? Oh ! je le sais, vous n'avez pas perdu votre temps à vous occuper des menus détails, vous êtes allés droit à la clef de la voûte. Pendant les sept années que vous avez tenu le pouvoir de 1840 à 1847, je ne parleras des années antérieures, vous avez tort de les invoquer pour prouver votre modération ou votre respect de nos droits. Ce pays, vous comme nous, le pays subissait jusqu'en 1840, l'impression d'un sentiment qui dominait tous les autres, le besoin de l'union vis-à-vis de l'étranger.

M. Dumortier. - Cela valait mieux.

M. Orts. - Je suis de l'avis de M. Dumortier sur ce point.

Mais si je ne craignais de dire quelques mots trop peu modestes, je lui dirais que nous sommes plus près du sentiment dominant alors que ne le sont ceux qui vous ont loués ou attaqués.

La liberté mère, la liberté électorale, car c'est elle qui doit permettre à l'opinion vraie du pays de régner, cette liberté à dater de 1840, qu'en avez-vous fait ? Le flot populaire montait ; il vous menaçait : vous l’aviez comprimé et irrité.

Pour retarder votre ruine politique, vous avez porté atteinte à la liberté des élections par la loi du fractionnement.

Ce n'est pas tout encore sur ce terrain et ici, vous, l'honorable rapporteur de la commission d'adresse, vous êtes bien personnellement compromis dans cette affaire. N'avez-vous pas absolument, systématiquement combattu la réforme électorale, c'est-à-dire la réparation d'une grande, d'une immense injustice ?

Et cette réparation obtenue aujourd'hui, nous la conserveriez-vous ?

La liberté d'enseignement vous est si chère : êtes-vous cependant sans reproche, à sou égard ? Qu'est la liberté d'enseignement pour vous comme pour nous sans l’impartialité des jurys d'examen ! Rien.

A qui avez-vous, pendant votre passage au pouvoir, toujours et systématiquement livré la composition des jurys d'examen ? Au caprice, à l'arbitraire d'une majorité irresponsable. Nous, pour la liberté de l'enseignement dans vos universités comme dans les nôtres, du jour où nous sommes arrivés à faire nos conditions avec le pouvoir, nous avons demandé et obtenu des garanties d'impartialité.

Vous avez parlé de la liberté de la presse, et vous n'en avez pas parlé avec générosité plus qu'avec exactitude ; vous avez rappelé qu'une loi, dont vous avez répudié la paternité comme une sorte d'injure, ne portait pas le nom d'un des vôtres.

Votre insinuation n'était ni juste, ni généreuse. Cette loi que j'ai combattue, non dans son principe mais dans ses exagérations, vous avez oublié que votre opinion presque tout entière l'a réclamée, appuyée, votée, avec sympathie ; taudis que, dans la nôtre, les uns l'ont combattue, les autres l'ont subie comme une triste nécessité.

La presse, vous ne l'avez jamais attaquée ! vous n'avez jamais contesté ses droits ! et dans cette Chambre, on vous l'a rappelé hier en vous interrompant, une fois une tentative a été faite pour diminuer le régime de liberté qui, chez nous, protège la presse depuis l'origine de notre émancipation politique.

Cette tentative, dirai-je en vous renvoyant l'une de vos phrases, cette tentative porte un nom qui n'est pas des nôtres.

Et lorsqu'on est venu l'apporter dans cette enceinte, lorsque, écrasée sous la réprobation de l'opinion publique, elle a été abandonnée, reniée, par ses parrains, peut-être même par ses pères, c'est moi qui l'ai relevée pour qu'elle fût solennellement et exemplairement exécutée dans cette Chambre.

- Plusieurs membres. - De quoi s'agit-il ?

M. Orts. - Il s'agit de la proposition de M. Orban, puisqu'il faut aussi l'appeler par son nom.

Est-ce de nos bancs que partent des attaques contre la presse belge, lorsqu'on la représente comme à l'état sauvage dans ce pays ? Est-ce dans nos journaux que ces attaquas ont trouvé de l'écho ? J'ai le droit de vous le demander ; un parti ne répond pas de ses hommes : il répond aussi de sa presse. Voix isolées, sans influence et sans écho, dites-tous. Voilà un compliment que je renvoie à l'auteur des attaques dont je viens de parler.

Je ne reviendrai pas sur une autre partie de la discussion, déjà traitée par les précédents orateurs. Mais votre conscience n'est pas bien nette non plus au point de vue du respect pour la liberté communale.

Cette discussion est longue, messieurs, je m'arrête. Mais elle aura produit, au moins en ce qui me concerne, un effet que n'avaient probablement pas prévu ceux qui se sont attaqués à notre opinion, qu'assurément ils ne désirent pas. L'honorable M. Dechamps s'adressant à la gauche dans son premier discours s'écriait au nom de la droite : Vous ne nous désunirez pas ! Les développements de l'honorable membre hier m'ont surtout démontré que c'est pour nous une indispensable nécessité de resserrer nos rangs.

Je joindrai l'exemple au précepte.

Quelle que soit la phrase, dirai-je à l'honorable organe de la droite, quelle que soit la formule que vous introduisiez dans le paragraphe de l’adresse, désormais je la repousserai comme je repousserai la question de confiance qui terminera le vote.

D'anciennes sympathies personnelles m'eussent pourtant facilement porté à voter tout ce qui peut être favorable personnellement à l'honorable ministre de l'intérieur. Je repousserai l'adresse, non pour l'honorable ministre, mais parce que j'ai retrouvé dans les développements de l'honorable rapporteur qui l'a proposée la vieille majorité de 1847 que je croyais transformée après qu'elle avait été vaincue. Je l'ai retrouvée tout entière avec ses vieux préjugés, ses vieilles tendances, ses vieilles et injustes accusations contre nous qui cependant, depuis 1847, avons fait nos preuves.

Grande était mon erreur, je le confesse ! Je vous croyais corrigés par les dix années pendant lesquelles l'honorable M. Malou avait annoncé que vous alliez vous retremper en dehors du pouvoir. Aujourd’hui que vous êtes restaurés, et comme toutes les restaurations, éloignés du pouvoir, vous n'avez rien oublié, vous n'avez rien appris.

L'honorable ministre de l'intérieur nous annonçait une politique de transaction, sa politique personnelle, qui n'a jamais été celle de cette ancienne majorité dont si souvent il se détachait. Cette majorité vient l'annoncer avec lui, à elle je réponds. Vous voulez une transaction et lorsque vous vous adressez à nous, le premier soin de votre organe officiel est de contester notre sincérité à transiger, vous contestez notre sincérité jusque dans cette grande transaction de 1842 sur l’instruction primaire.

Vous voulez que nous transigions et les transactions anciennes ne s'exécutent pas. Pour l’enseignement moyen, il a été transigé aussi, ceux au nom de qui vous avez stipulé refusent d’exécuter la transaction ; on refuse la convention d'Anvers, offerte au nom de l'opinion libérale, on la refuse, mais je ne dirai plus par quels mesquins mobiles.

Et vous voudriez que M. ministre de l'intérieur gouverne en transigeant. Mais avec qui ? Pas avec nous sans doute ; dont vous suspectez, dont les vôtres n'exécutent pas les transactions. Pas avec vous ? Vous ne transigez jamais. Il ne reste vraiment plus qu'une ressource à M. le ministre de l'intérieur pour rester fidèle à ses principes : c'est de transiger avec lui-même pour n'en pas perdre l'habitude.

Est-ce là que vous voulez le conduire ?

Je repousse le paragraphe de l'adresse parce que c'est le trait d'union entre les idées annoncées par M. le ministre de l'intérieur comme devant constituer son programme et l'appui que sa majorité lui prête ; parce que pour appuyer ce programme il ne s'est levé jusqu'ici que deux membres considérables de la droite, l'honorable rapporteur de la commission et l'honorable M. de Theux, dont l'honorable M. Dedecker a dit, il y a dix ans déjà, que leur prépondérance dans la discussion des affaires du pays était un anachronisme ou un défi.

Je voterai donc contre l'adresse. Je voterai contre l'adresse, quoique moi aussi j'aie pour but, pour croyance, pour ferme espoir que l'on peut, ainsi que l'annonçait M. le ministre de l'intérieur, que l'on doit en Belgique, si l'on veut consolider le bien de la patrie, sceller l'alliance de la religion et de la liberté. C'est ma croyance et mon espoir. Mais (page 139) pour la réalisation de cet avenir, je suis convaincu, depuis hier, qu'il faut, si on veut l'alliance sincère, si on la veut solide, qu'elle soit désormais scellée par la main du libéralisme triomphant. Ce triomphe, je l'attends. Et ne croyez pas que je doive l'attendre bien longtemps. Le pays est éclairé. Le pays a vu disparaître les circonstances extérieures qui pouvaient momentanément fausser son jugement et dont on a habilement profité.

Le triomphe de l'opinion libérale vient ; il arrive ; je le vois et vous le verrez avant peu, comme moi. Que ce triomphe n'effraye personne ; que ce triomphe ne vous effraye pas, n'effraye pas le pays. On aura beau dire que l'opinion libérale porte dans les plis de son manteau le choix fatal entre l'anarchie et le despotisme. On aura beau dire que le libéralisme est condamné, comme une sorte de vaisseau sans boussole et sans pilote, à errer perpétuellement entre deux écueils. On aura beau ajouter aux phrases sonores les grands noms, on aura beau nous dire que le libéralisme porte dans son manteau Catilina ou César, le pays ne le croira pas.

Le libéralisme est jugé : le pays se souvient.

Il y a huit ans, Catilina était aux portes, Catilina nous menaçait, Catilina régnait sans partage dans un pays voisin. On vous disait tout à l’heure : Qui donc a sauvé le pays ? Qui donc a empêché Catilina de pénétrer, de prendre racine sur notre sol belge. Je ne referai pas l'histoire, le pays la sait ; il n'a pas besoin qu'on la lui rappelle. Mais il sait aussi qu'alors que Catalina trônait sur les places publiques, on ne vit pas de nos rangs sortir (erratum, p. 160) ceux qui bénissaient les arbres de la liberté que plantait Catilina.

Le pays sait encore que ce n'est pas non plus dans les rangs de nos coreligionnaires politiques qu'il faut aller chercher les courtisans de César. Je vois ces courtisans grossir des cortèges, plusieurs marchent la mitre en tête et la crosse en main, et ce n'est pour y appeler nos frères en doctrine que César rétablit dans son conseil le banc des cardinaux.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Que la Chambre me permette d'interrompre la discussion par quelques mots.

Messieurs, nous traitons ici une question exclusivement belge, je désire qu'on ne lui fasse pas franchir la limite nationale. Si des orateurs, pour étayer leur argumentation, éprouvent le besoin de rappeler quelques traits d'histoire, je demande qu'ils cherchent leurs exemples dans le vaste champ de l'histoire ancienne, et que, dans l'intérêt du pays, ils ne s'occupent pas de l'histoire contemporaine. Nous n'aimons pas que les étrangers se mêlent de nos affaires : ne nous mêlons pas des leurs.

Déjà, au commencement de cette discussion, j'ai entendu avec un vif regret un honorable orateur parler. en m'adressant des éloges, des prétentions de l'étranger. Puisque, a l'occasion du discours de M. Orts, discours qui a pu être provoqué par quelques paroles prononcées hier par M. Dechamps, j'ai cru devoir prendre la parole, je suis heureux de saisir l'occasion qui m'est offerte pour dire à l'honorable M. Lelièvre que le souvenir qu'il rappelle est inopportun. Aucune puissance étrangère n'élève la moindre exigence vis-à-vis du gouvernement belge, aucune, d'aucune espèce.

- De tous les côtés de la Chambre. - Très bien ! très bien !

MpD. - M. Devaux a fait parvenir au bureau l'amendement suivant :

« La Chambre des représentants s'associe à l'intérêt que Votre Majesté porte au progrès de toutes les branches de l'enseignement. La prospérité des universités de l'Etat mérite notre sollicitude. Les services signalés qu'eu tout pays les écrits des professeurs de l'instruction supérieure rendent à la science réclament pour ce genre de travaux une indépendance qui soit en rapport avec la gravité de leur caractère scientifique. L'enseignement universitaire, quelque larges qu'en soient les voies, a des limites qui ne doivent pas être franchies et dans lesquelles la sagesse des professeurs saura, nous n'en doutons pas, maintenir leurs leçons et leurs publications qui s'y rapportent. »

M. Devaux. - Je demande à donner quelques explications sur cet amendement avant la fin de la séance.

M. Lelièvre (pour un fait personnel). - Je dois déclarer qu'on a donné, au discours que j'ai prononcé dans la discussion de l'adresse, une portée qu'on ne saurait sérieusement attribuer à mes paroles. J'ai dit que M. le ministre avait promis de défendre notre Constitution contre les prétentions de l'étranger, mais je n'ai nullement affirmé que quelque gouvernement étranger ait élevé semblable prétention. J'ai parlé d'une manière générale de toute prétention possible ou éventuelle et sans la moindre allusion à un gouvernement déterminé.

M. Malou. - Nous discutons librement deux grandes questions : l'enseignement, la politique générale, les tendances, les aspirations, le passe, l'avenir des partis qui divisent la Belgique.

Cette discussion est longue, sans doute, mais j'espère qu'elle produira des résultats bons et durables. Il est de l'essence de nos institutions que nous agitions ici ces grands problèmes du présent et de l'avenir, parce que notre pays est libre, parce que c'est de l'élection que procèdent tous ces pouvoirs, parce que les partis dans le pays et surtout dans le parlement, luttent honorablement au grand jour pour la prépondérance politique, pour ce que chacun de nous, dans sa conscience, considère comme les intérêts l'avenir de la patrie.

Si je puis parler ainsi, la partie des destinées de la patrie qui est engagée dans ce débat, est son avenir moral, beaucoup plus considérables que les questions d'intérêt matériel. Une erreur matérielle se répare, les traces en disparaissent vite ; une erreur morale, ce n'est pas la perte d'une génération ; plusieurs générations en portent la peine.

Voyez, messieurs, dans les pays où la législature et le gouvernement n'ont pas eu assez d'attention à l'intérêt moral de l'enseignement, combien il faut de temps, je dirai même combien il faut parfois subir de despotisme avant d'avoir remonté cette pente fatale et réparé cette grande faute.

L'honorable M. Verhaegen se plaignait de devoir nous répéter si souvent le même discours. La question de l'enseignement a été agitée longtemps avant nous ; elle le sera longtemps après nous. C'est la lutte éternelle des deux influences qui se disputent la société, l'influence religieuse et celle qui ne l'est pas.

Messieurs, pour traiter une question si importante, il faut une grande netteté dans les idées, un grande franchise dans les explications, et c'est le cas, plus que jamais, de dire : Mon Dieu, délivrez nous de la métaphore !

On parle toujours dans cette discussion de l'Etat enseignant, de l'Etat ayant tels ou tels droits propres, de l'Etat qui doit faire telle ou telle chose ; disons une bonne fois ce que c'est que l'Etat en Belgique. L'Etat n'est pas une majestueuse abstraction ; dans un pays libre comme le nôtre, où tous participent directement au pouvoir, l'Etat c'est l'ensemble de tous les citoyens actifs ; c'est, en réalité, par délégation, la nation tout entière qui agit.

L'Etat n'est donc pas tel parti politique, n'est pas tantôt l'honorable M. Rogier, tantôt l'honorable M. Dedecker ; mais bien la nation toute entière. Il semblerait, au contraire, à entendre certains orateurs que l'Etat a des droits qui résident en lui-même, qu'il a d'autres droits que la nation !

Si cette prémisse est vraie, que s'ensuit-il ? Il s'ensuit que l'Etat enseignant ne peut pas agir contrairement aux droits ou aux intérêts de tous ; sinon vous consacreriez cette flagrante contradiction de tous agissant contre tous. Il s'ensuit encore qu'en Belgique l'Etat ne peut pas être considéré comme le patrimoine d'un parti, d'une idée, mais que lorsque l'Etat agit il doit agir au point de vue des droits et de l'intérêt de tous.

Or, messieurs, dans cette question de l’enseignement et surtout quand il s'agit de l’enseignement supérieur, nous voyons se produire souvent certaines tendances : il y a en Belgique deux manifestations, en sens contraire, de la liberté, pour les études supérieures, puis il y a l'Etat dirigeant deux universités. Peut-on admettre qu'à côté de ces manifestations de la liberté, l'Etat, comme je viens de le définir, ait un enseignement qui soit hostile au culte, aux sentiments religieux de tous ?

Si quelqu'un a la prétention de faire cela, disons que ce n'est pas l'Etat, mais un système politique qui se donne comme étant l’Etat. Pour l'enseignement à tous les degrés, je n'admettrai jamais qu'il puisse être contraire aux vœux de tous les citoyens, qu'on puisse faire de l'enseignement donné aux frais du budget un moyen de propagande dans l'intérêt de certaines doctrines particulières. Si cela pouvait être, vous-verriez naître une prétention parfaitement légitime, ce serait de partager le budget de l'enseignement selon les cultes, comme on le fait en Amérique et en Angleterre et de ne pas souffrir que l'enseignement payé aux frais de la nation soit dirigé contre le culte de la presque unanimité des Belges.

Messieurs, prenons la question et discutons-la sérieusement, nettement, à un autre point de vue. Jusqu'à présent on a beaucoup parlé de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, ou, si l'on veut, de l'émancipation de l’Eglise, en vertu de la Constitution ; je connais à cet égard trois formes politiques : la théocratie, l'Eglise dominant l'Etat, le joséphisme, l'Etat dominant l'Eglise, et enfin l'indépendance réciproque des pouvoirs telle qu'elle est consacrée par la Constitution de 1831. Nous avons et nous aimons tous la Constitution de 1831, mais nous voulons cette Constitution complète et sincèrement pratiquée.

M. Verhaegen. - Nous aussi.

M. Malou. - Je ne vous accuse pas : je dis tous ; vous êtes du nombre. Je dis que nous voulons tous la Constitution, c'est-à-dire l'indépendance réciproque des pouvoirs. Mais, messieurs, d'après certains faits, d'après certains discours, ce ne serait pas l'indépendance des pouvoirs que nous pratiquerions, ce serait l'hostilité, l'antagonisme des pouvoirs, l'attaque d'un pouvoir par un autre.

Cela n'est pas, cela ne peut pas être sous la Constitution belge et si on l'entendait ainsi ce serait un non-sens, une contradiction, puisque dans la Constitution se trouve à côté de la séparation des pouvoirs, la liberté de conscience, la liberté des cultes. On ne peut pas interpréter la Constitution de manière à donner un sens ridicule à l'une de ses dispositions.

On a séparé les pouvoirs pour qu'ils concourent librement et avec plus de force, plus d'élan à tout ce qui est utile ; on ne les a pas séparés pour qu'ils se tinssent à distance et qu'ils fussent condamnés à l'inaction, à l'inertie.

On les a séparés parce qu'on les a crus intelligents, on ne les a pas séparés parce qu'on les croyait hostiles.

Sommes-nous devenus ici la Chambre des mises en accusation des (page 140) évêques au lieu d'être la Chambre des représentants de Belgique ? Nous discutons les mandements. Est-ce là respecter les droits qui résultent de la séparation des pouvoirs ?

On nous a dit : Les mandements ont été ou peu ou très mal défendus. Mais je ne croyais pas que dans la Chambre belge on pût les discuter légitimement.

Tout le monde a reconnu, l'honorable M. Verhaegen lui-même, dans le manifeste lu à l'ouverture des cours de l'université de Bruxelles, a reconnu que les évêques avaient usé d'un droit, et il y a un axiome qui dit : « Qui use de son droit ne fait tort à personne. »

Mais ces messieurs se sont chargés de faire une deuxième preuve, c'est que les évêques ont eu raison de prévenir les pères de famille catholiques et les mandements n'eussent-ils produit que ce résultat, parfaitement nécessaire dans la situation, je crois qu'on devrait leur en tenir quelque compte. Qu'arrivait-il, en effet ? Nous entendions parler sans cesse ou de notre sainte religion ou de la religion de nos pères, ce qui est peut-être autre chose, du bas clergé qu'on respecte, et un mot qui a été dit à la fondation de l'université libre, la répudiation solennelle des doctrines ancestrales, ce mot se trouve paraphrasé dans le discours prononcé récemment par l'honorable M. Verhaegen qui est, lui aussi (et je reviendrai sur ce point) quelque peu intolérant à l'égard des doctrines.

Ailleurs on s'est déclaré publiquement rationaliste, on a dit que l'enfance des sociétés, comme l'enfance des hommes, est l'âge de la foi, mais qu'ensuite la raison dans les sociétés se substitue naturellement à la foi. Et, pour en revenir à l'idée de tout à l'heure, est-ce que l'Etat, en Belgique peut, aux frais de tous, enseigner ces choses-là et les enseigner sans que les évêques aient le droit de faire remarquer que cela n'est pas conforme aux doctrines catholiques ? Or, ils n'ont pas fait autre chose.

Mon honorable ami, M. Orts, nous a beaucoup parlé d'un asile ouvert par la tolérance à la discussion de toutes les doctrines. « Les vôtres, nous dit-il, nous ne les écartons même pas. » Je l'en remercie beaucoup, pour le dire en passant, car d'après certaines théories qui ont été admises par d'honorables membres dans la discussion, je crois que les professeurs catholiques n'auraient rien de mieux à faire que de s'adresser à l'université de Bruxelles, puisque dans les universités de l'Etat, ils seraient tout à fait déplacés.

Mais, messieurs, si l'honneur de l'université libre est d'avoir élevé une tribune à la libre discussion, les évêques sont Belges, ce me semble ; ils ont aussi le droit d'émettre leur opinion en matière religieuse et, je le répète, ils n'ont pas fait autre chose. Vous avez prouvé, en répudiant les doctrines ancestrales, en attaquant l'Eglise catholique comme ne possédant aucune espèce de vérité dans aucun ordre de faits ; vous avez prouvé que les évêques avaient raison, et je m'en félicite pour ma part ; la situation est parfaitement claire.

Il restait un doute sur un seul point, c'était de savoir si la gauche parlementaire était d'accord pour accepter ces doctrines ; la discussion a parfaitement éclairci ce côté de la question, je m'en félicite encore une fois.

Il est évident, d'après ce qui s'est passé, que la gauche parlementaire n'est pas du tout d'accord.

En effet, chacun des membres de la gauche qui ont pris part à la discussion a posé des limites différentes, a émis une opinion différente sur la question principale qui s'agite par suite de la circulaire de M. le ministre de l'intérieur.

D'après l’honorable M. Frère, la limite est exclusivement négative, tout est permis au professeur qui ne porte pas atteinte à la morale universelle ; qui n'enseigne ni l'athéisme, ni le matérialisme.

M. Frère-Orban. - Je n'ai pas dit cela.

M. Malou. - Voilà ce que j'ai saisi de votre formule.

M. Frère-Orban. - Vous avez très mal saisi.

M. Malou. - C'est sans doute une infirmité de non intelligence ; mais le Moniteur en est un peu cause.

L'honorable M. de Brouckere admet une limite entièrement différente ; les honorables M. Devaux et Orts admettent encore des limites ; et cependant cela n'empêche pas ces messieurs de parler de libéralisme et de se présenter comme parfaitement homogènes.

La discussion, pour le pays qui nous écoute, aura encore un beau résultat, c'est d’avoir éclairci le doute qui existait à l'ouverture de ce débat.

Messieurs, je me demande maintenant quelle est en réalité, d'après la nature des devoirs du gouvernement, la limite à assigner dans cette circonstance. Et cette question, je la traduis encore en d'autres termes : pourquoi les universités existent-elles ? les universités existent-elles pour l'agrément personnel de MM. les professeurs ? ou bien existent-elles pour l’Etat, pour nous, pour tout le monde ?

Si vous me dites qu'elles existent pour l'agrément personnel des professeurs et qu'ils doivent pouvoir y trouver les plus larges horizons, y compris les brouillards empruntés à l'Allemagne dans l'ordre métaphysique, alors nous ne pourrons pas nous entendre.

Si, au contraire, vous admettez que c'est dans l'intérêt de l'Etat, c'est-à-dire dans l'intérêt de tous que nous votons chaque année au budget, 600 et quelques mille francs pour l’enseignement universitaire, donné aux frais de l'Etat, vous devrez reconnaître qu'ici, comme partout ailleurs, l'intérêt a pour limite le devoir.

L’honorable M. Tesch accusait mon honorable ami, M. le ministre de l'intérieur, d'avoir professé une sorte de matérialisme, en disant qu'on aurait égard à l'intérêt, qu'on n'aurait pas égard au devoir. C'est précisément le contraire : le ministre n'a pas dit que le professeur ne devait avoir égard qu'à son intérêt, mais que, pour bien remplir son devoir, il devait avoir égard à l'intérêt de l'Etat dont il est le délégué.

On a beau amonceler mille hypothèses, de manière à embrouiller la question, on reviendra naturellement à cette règle de notre droit civil qui est la raison écrite, comme on l'a dit, à cette règle si simple, que le mandataire doit agir selon l'intérêt de son mandant ; et quand il fait le contraire, quand il agit contrairement ou en fraude, le mandat peut être révoqué.

Il n'y a pas d'autre règle, d'autres limite raisonnable. Le professeur est le délégué du ministre de l'intérieur, comme le ministre de l'intérieur est le délégué de l'Etat. M. le ministre de l'intérieur, parfaitement capable d'enseigner, n'ayant pas le temps de le faire, nomme un professeur, qui représente l'Etat ; il est le mandataire de l'Etat ; il ne peut pas agir en fraude du mandat qu'il a accepté. C'est l'application la plus simple de la raison écrite, du code civil.

Il y a encore un côté de cette question qui n'a pas été abordé. Demandons-nous pourquoi nous avons deux universités de l'Etat, lorsque déjà il existe deux manifestations, de la liberté dans l'enseignement supérieur. Il faut le dire franchement, parce que, dans notre population si homogène au point de vue constitutionnel et national, il y a deux éléments divers, comme origine, comme langue et que chacune a le droit d'avoir chez elle un de ces foyers de lumière qu'on appelle université.

Si, comme on le prétend, nous avions des sentiments hostiles contre tout l'enseignement supérieur de l'État, savez-vous quel vœu nous formerions ? C'est qu'on nommât dans les deux universités des professeurs comme ceux qui ont amené la triste décadence de l'université de la cité flamande. C'est parce que nous voulons qu'elle prospère que nous demandons que l'enseignement en soit mis en harmonie avec les sentiments de cette population ; et après les manifestations si significatives des électeurs de la Flandre orientale, au mois de juin dernier, le gouvernement peut-il maintenir un état de choses aussi contraire aux sentiments des habitants des Flandres.

D'honorables représentants de Liège viennent poser des principes tels que l'université flamande, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, quelle que soit votre théorie, doit prochainement, inévitablement périr, si ces principes viennent à prévaloir.

Nous dirons à ces honorables membres : puisque vous tenez tant à ces doctrines, eh bien, prenez ces professeurs, mettez-les à l'université de Liège, et nous verrons ce que deviendra cette université qui est aujourd’hui prospère, parce qu'elle a le sentiment de ses devoirs envers le pays, parce qu’elle sait être modérée dans l'ordre des intérêts religieux : comme dans l'ordre des intérêts politiques.

Ce n'est donc pas une croisade organisée contre l'enseignement de l'Etat, c'est au contraire une vive et profonde sympathie pour un établissement de l'Etat qui dépérit par les égarements de personnes dont les doctrines sont antipathiques à nos Flandres.

L'on fait une distinction singulière sur la liberté du professeur. L'honorable M. de Brouckere l’a reproduite hier, j'ai de la peine à la comprendre.

L'honorable membre invoque pour le professeur la liberté de publier ses opinions en vertu de l'article 14 de la Constitution un instant après avoir reconnu qu'il n'a pas la même liberté dans son cours. Si, aux termes de la Constitution, son droit est absolu, comment se fait-il qu'il aurait la liberté d'écrire et qu'il n'aurait pas la liberté de parler ?

Le professeur dont il s'agit, d'après un honorable membre, n'aurait pas fait un pamphlet ; il a écrit deux mille pages ; c'est un ouvrage d'un caractère excessivement sérieux et grave. Le caractère sérieux, la pagination d'un livre seraient la base d'une distinction à établir dans l'adresse ; si j'ai bien saisi, il y a peu de personnes qui lisent ces ouvrages ; c'est probable, mais beaucoup lisent les extraits que les journaux en donnent et ce sont ces extraits qui donnent à l'ouvrage sa signification, son caractère antireligieux, et constituent la lésion pour l'université. Cela est arrivé pour celui dont il s'agit, et c'est ce qui arrivera probablement dans les cas analogues.

Ce n'est pas aux deux mille pages, c'est à l'influence que le discours ou l'ouvrage doit exercer sur la prospérité de l'établissement, de la prospérité duquel le ministre est en quelque sorte chargé, que nous nous attachons.

Encore une petite contradiction en passant. Cet ouvrage, dit l'honorable membre, est très inoffensif ; et ensuite il ajoute qu'il reproduit à très peu de chose près l'arianisme.

L'arianisme, que je sache, n'est pas orthodoxe ; c'est une des hérésies les plus dangereuses dont l'Eglise ait triomphé. Pour la vaincre, il a fallu trois conciles et le génie de saint Anathase le Grand.

Dans un pays catholique rien de plus simple, selon lui, que de dire quelque chose qui se rapproche de l'arianisme, et les évêques ne pourraient pas faire remarquer que cette doctrine est contraire à celle de l'Eglise catholique.

La rédaction du paragraphe de l'adresse a été beaucoup critiquée. L'honorable M. de Mérode a supprimé quelques mots qui lui ont paru faire double emploi ; cependant malgré cette modification elle ne trouve pas grâce devant la gauche. Un nouvel amendement vient de se produire.

(page 141) Nous ne devons pas perdre de temps à discuter le mérite grammatical de l'adresse, le vote qui va intervenir est un vote politique, la suppression ou le maintien d'un mot n'est pas la grande affaire ; la question grammaticale disparaît devant la question politique. Le sens du paragraphe qui est proposé est celui-ci : nous approuvons la circulaire publiée par le ministre de l'intérieur. Nous disons au ministre : la Constitution est là qui vous autorise à agir quand la prospérité des établissements de l'Etat est menacée ou compromise.

Nous disons : il est des circonstances où vous devez agir, lui laissant du reste la libre appréciation des faits et par conséquent la responsabilité. Telle est la signification du paragraphe, il n'en a pas d'autre ; si nous y introduisions un changement, nous dirions le contraire de ce que nous voulons dire. Je ne puis pas discuter l'amendement de M. Devaux, puisqu'il n'a pas été développé, mais la rédaction qu'il propose fût-elle irréprochable, par suite des commentaires que lui donne l'opposition, il aurait un sens politique, qui, s'il était voté, constituerait une équivoque pour tous.

M. Devaux. - Avant de le combattre vous devriez attendre qu'il fût développé.

M. Malou. - J'ai demandé à conserver mon tour de parole parce qu'en entendant lire cet amendement, j'ai cru qu'il était la péroraison du discours prononcé hier par l'honorable membre et que la levée de la séance ne lui avait pas permis d'achever.

Il me semble que de toute manière je n'attaque pas la rédaction proposée ; ce que je cherche à établir c'est qu'il ne faut pas épiloguer sur des virgules, que nous devons nous prononcer contre l'amendement parce que quel que soit le but qu'on indique, il constituerait une équivoque, un blâme sournois pour le ministère.

En disant cela, je ne porte aucune espèce d'atteinte au droit de l'honorable M. Devaux. Il y a un dissentiment manifeste entre le ministère et l'opposition ; restons dans ces termes-là ; il n'est pas nécessaire de nous occuper si le paragraphe est un emprunt fait aux anciens oracles, comme le dit M. de Brouckere, ou bien à un discours de M. Dumortier, comme le croit M. Vervoort.

A toutes les hypothèses qu'on a faites on peut en opposer une extrême qui fera sentir les conséquences des principes qu'on a proclamés. S'il est vrai, comme le prétend l'honorable M. Frère, que la seule limite est celle que j'ai indiquée tout à l'heure, on peut admettre que des professeurs de tous les cultes pourraient être réunis dans un même corps professoral d'une université de l'Etat, avec pleine liberté de discussion ; mais si l'on veut faire cette expérience, je demande qu'on ne la fasse pas à Gand, qu'on la fasse plutôt à Liège.

Permettez-moi maintenant quelques réflexions sur la seconde partie du débat, sur l'état actuel des partis dans notre pays : je n'y donnerai pas d'aussi longs développements qu'à la première partie.

On a dépensé beaucoup d'éloquence pour nous démontrer qu'il y a incompatibilité entre la Constitution et le catholicisme.

M. Frère-Orban. — Personne n'a dit cela !

M. Malou. - On a dit qu'on ne pouvait être à la fois catholique et constitutionnel.

M. Vervoort. - On a dit qu'il y avait incompatibilité entre les doctrines de l'intolérance et la Constitution.

M. le président. - Veuillez, messieurs, ne pas interrompre.

M. Frère-Orban. - On a toujours le droit de rectifier une assertion.

M. le président. - C'est ce que je ne puis admettre. Je n'ai pas permis qu'on vous interrompît quand vous aviez la parole. Je ne puis vous permettre d'interrompre ceux qui vous répondent.

M. Malou. - Certaines interruptions peuvent m'aider à prouver ma thèse.

S'il est vrai, comme on l'a dit, qu'il y a incompatibilité entre le catholicisme et la Constitution, il en résulte qu'il n'y a en Belgique que 12 mille Belges qui soient attachés à la Constitution. Car il se passe ici quelque chose de très singulier. Quand nous vous disons que cette prétendue unité libérale n'est pas parfaitement catholique orthodoxe vous vous récriez tous.

M. Lebeau. - On aurait bien tort de se récrier. Il n'y a qu'une chose à vous dire -. Cela ne vous regarde pas.

M. Malou. - On s'est cependant récrié hier.

M. Frère-Orban. - On ne s'est pas récrié du tout.

M. Malou. - On s'est récrié quand nous avons dit qu'il y avait antagonisme entre l'opinion libérale et la foi catholique, et vous avez prétendu alors qu'il y avait au contraire antagonisme entre la Constitution et le catholicisme.

Je dis donc que le nombre des Belges dévoués à la Constitution est de 12 mille seulement, puisque dans la seule circonstance où l'on ait demandé aux Belges quelle est leur religion, lors du recensement de 1846, il y a seulement 12 mille personnes qui ont déclaré professer une religion autre que la religion catholique.

L'honorable M. Lebeau nous dit que nous n'avons pas le droit de nous enquérir de cela. Mais que fait-on, sinon s'occuper incessamment de notre conscience lorsqu'on conteste que la foi catholique soit compatible avec la Constitution ?

Et n'aurions-nous pas, nous, le droit de demander qu'on ne s'occupe pas de nos consciences ?

Cette discussion doit avoir, dit-on, pour conséquence la division de l'opinion conservatrice. Il va se former un parti tory, un parti du mauvais esprit d'intolérance. Je voudrais que les honorables membres qui aperçoivent de la division dans nos rangs pussent espérer qu'il n'y en eût pas dans les leurs.

Ainsi, sur la question de l’enseignement, la gauche s'est divisée trois fois, les trois seules fois qu'elle s'en soit occupée : elle s'est divisée sur l'enseignement primaire ; sur l'enseignement moyen, à propos de la convention d'Anvers, et j'ai constaté qu'elle est loin d'être homogène sur la question de l'enseignement supérieur.

Je suis quelque peu embarrassé, lorsque j'emploie le mot de libéralisme ; car lorsqu'on parle du mauvais esprit d'intolérance, je ne puis m'empêcher de me souvenir de quelques discours de l'honorable M. Verhaegen ; d'après lui, pour être libéral, il faut demander la réforme de l'enseignement primaire, l'abrogation de la convention d'Anvers et vouloir l'exclusion complète du clergé, de toutes les écoles, à titre d'autorité si vous voulez.

Si c'est là la définition du libéral, il faut convenir qu'ils ne sont pas nombreux ; car la loi sur l'instruction primaire a été votée à l'unanimité des voix, moins trois, et la convention d'Anvers a été sanctionnée à deux reprises par la grande majorité de la Chambre. Le nombre des opposants a été de 7 la première fois et de 12 la seconde.

En réponse à l'accusation d'intolérance, je demanderai s'il y a une opinion sincère, consciencieuse qui admette le pour et le contre ; car tout ce qui a été dit revient seulement à proclamer l'intolérance dogmatique. Ainsi l'honorable M. Verhaegen est très intolérant à l'égard de l'Eglise catholique ; autant que les évêques sont dogmatiquement très intolérants quand ils déclarent que l'enseignement donné dans les universités de Gand et de Bruges n'est pas conforme au dogme catholique. Il ne peut en être autrement, à moins d'admettre le pour et le contre sur une même question.

Pour moi d'après ce que j'ai lu, notamment dans la Presse des Flandres, je n'ai trouvé, je l'avoue, d'autre esprit d'intolérance que celui-là.

Il est arrivé une période, comme l'a rappelé l'honorable M. Dechamps, où à l'intérieur la presse ne savait pas (passez-moi l'expression un peu triviale) de quel bois faire flèche pour les articles de fonds. On s'est avisé alors d'une querelle entre M. de Montalembert et l'Univers. Je ne sais pas le premier mot de cette discussion. Lorsqu'on a voulu m'en parler, j'ai dit qu'à mon avis la nécessité de l'importation de ces controverses ne se faisait pas sentir ; que nous avions dans le pays assez de sujets de discussion sans aller en chercher à l'étranger.

Messieurs, certaines insinuations tendent à accuser telle ou telle personne, ou ses parents jusqu'au deuxième degré inclusivement, d'être les auteurs de certains articles et l'on a cru démêler dans nos rangs un très grand dissentiment parce que deux journaux des Flandres ont attaqué des actes de M. le ministre de l'intérieur. Il n'y a là rien qui doive surprendre personne. Dans tous les partis il y a des tempéraments différents. La presse a des nuances, elle a des allures différentes, il n'en résulte aucun mal lorsque de ces tempéraments différents résulte une moyenne qui fait qu'une opinion marche sans courir au précipice (ce qui est peut-être arrivé avant nous) et qu'on ne reste pas immobile. Il ne faut pas s'étonner de cette différence de tempérament. Elle se produit dans tous les rangs ; elle se produit chez vous beaucoup plus que dans la presse conservatrice.

On recherche la paternité des articles. Je croyais que cela était interdit, puisque hier l'honorable M. de Perceval et aujourd'hui l'honorable M. Orts nous faisaient un reproche de ce que l'idée de la signature avait seulement surgi, sans même être acceptée. Et aujourd'hui on recherche la paternité des articles pour en faire remonter la responsabilité à des auteurs supposés.

Messieurs, il peut se commettre souvent de très grandes erreurs sous ce rapport. Ainsi j'ai entendu dire vingt fois qu'un de nos honorables collègues, qu'un des membres les plus distingues de la gauche était le protecteur, le parrain, le collaborateur d'un grand journal de Bruxelles. Je l'ai défendu contre cette accusation, parce qu'il m'a paru qu'il était impossible que cet honorable membre, voulût-il se déguiser, pût écrire des articles comme ceux-là.

L'honorable M. Orts nous a donné une nouvelle édition des griefs de son opinion au sujet des actes que l'opinion conservatrice a posés lorsqu'elle exerçait le pouvoir. Nous avons violé la liberté électorale par la loi du fractionnement. Nous avons refusé la réforme électorale.

Messieurs, je me rappelle que l’opposition, lorsque nous avons fait en 1843, la loi dite des fraudes électorales, qui était une véritable loi électorale agissant sur l'ensemble de nos institutions, tenait absolument le même langage qu'aujourd’hui et disait que nous voulions renverser toutes les bases de la Constitution. Je ne croyais pas que la liberté électorale se trouvait ruinée par la loi du fractionnement. Je crois plutôt que l'esprit de parti, que le besoin d'opposition a donné à cette loi une importance qu'elle n’avait pas. Mais si l'ancienne majorité a pris une mesure importante, c'est la loi des fraudes électorales. Cette loi, vous l'avez combattue à outrance. Vous avez été tinq ans au pouvoir et vous avez jugé bon de ne pas y loucher.

Nous avons refusé la r »forme électorale, messieurs ; je crois qu'au congrès libéral de 1846, il a été question de la réforme électorale. Je puis me tromper, je n'y ai pas assisté et il y a longtemps que j'en ai lu (page 142) le compte rendu. Mais je crois que, quoique ne figurant pas au programme, elle a été mise en discussion ; qu'un débat très intéressant a eu lieu et qu'on a été loin d'être unanime sur le caractère de cette réforme. J'ajoute qu'à cette époque il y avait, dans les divers rangs parlementaires un très grand nombre de membres qui repoussaient la réforme électorale.

Faut-il parler encore de la proposition de l'honorable M. Orban, de la proposition sur le timbre des journaux ? Je suis presque tenté de dire : Non, si c'est là tout le bagage des iniquités de l'opinion conservatrice pendant vingt années de pouvoir ; gardons-le, il ne nous gênera pas.

Messieurs, la situation politique est très simple. Qu'a fait le pays depuis 1852 ? Depuis l'époque où cette accusation d'hostilité de l'opinion conservatrice contre nos institutions s'est reproduite dans un grand manifeste de l'honorable M. Verhaegen, signé par lui et quelques autres collègues, qu'a-t-il donc fait ce pays qui a du bon sens, au dire de l'honorable M. Rogier. A chaque élection, sans en excepter la dernière, il a renforcé la majorité conservatrice. Cependant vous le dites, le pays a du bon sens, et je suis tenté, cette fois, d'être d'accord avec vous.

L'honorable M. Devaux nous dit que les élections de Gand ont été faites contre le ministère. Je ne veux pas préjuger le vote de nos honorables collègues nouvellement élus. Mais je crois que le vote fera perdre à l'honorable M. Devaux ses illusions. Et d'abord je ne comprends pas trop la grande et solennelle manifestation qui a eu lieu à Gand le mois dernier, lorsque je vois le pavé qu'on lance à la tête de l'honorable M. Manilius et de l'honorable M. Van Hoorebeke. S'il est vrai que les élections de Gand ont été faites contre le ministère, l'honorable M. Manilius et l'honorable M. Van Hoorebeke étaient donc ministériels ou sur le point de le devenir.

M. Verhaegen. - On parle des élections communales.

M. Malou.- On ne l'a pas dit hier.

M. Devaux. - C'est des élections du mois de juin que j'ai parlé.

M. Malou. - Je l'ai compris ainsi, mais l'honorable M. Verhaegen n'est pas d'accord avec vous. Du reste je ne veux pas me prévaloir de ce nouveau dissentiment.

Lorsque nous parlons de la liberté électorale, on nous oppose la loi du fractionnement. Lorsque nous parlons de la signification de l’opinion publique, l’honorable M. Verhaegen nous oppose une élection communale. Lorsque nous parlons de la liberté politique constitutionnelle, on nous parle de la liberté communale. C'est trop amoindrir ce débat. Il s'agit de la situation des partis, des manifestations politiques des partis, de leur avenir, de leurs tendances ; et quoi que l'on fasse, que l'on en prenne son parti, l'opinion conservatrice est, elle restera parfaitement unie. Elle a l'expérience de ce que produisent les divisions de parti. Elle a le souvenir surtout de vos cinq années de passage au pouvoir.

M. Devaux. - Messieurs, je n'ai la parole que pour développer mon amendement et je n'empiéterai pas sur le tour d'inscription des membres qui me suivent. Je n'ai que quelques mots à dire.

Seulement comme on a commencé à discuter l'amendement avant qu'il eût été développé, il a été aussi qualifié d'avance. L'honorable M. Malou l'a qualifié, si je l'ai bien entendu, de blâme sournois du ministère.

Messieurs, mon intention n'est pas du tout de demander pour mon amendement l'appui du ministère. Je reconnais très franchement et très peu sournoisement que mon amendement est en désaccord avec le ministère, et qu'il ne pourrait pas être adopte par l'honorable M. Malou, par la raison que je n'approuve pas tous les éléments de la circulaire ministérielle que le projet d'adresse propose d'approuver. Je crois que cela est franc.

Je crois que cela est moins sournois, permettez-moi de le dire, que le silence d'un orateur de la droite qui parle pendant une heure sans s'expliquer sur la place qu'il prend dans le conflit entre le ministère et ses véritables adversaires ; d'un orateur qui s'est borné à dire, sur ce point, que la dissidence entre M. le ministre et une fraction de son opinion est « une affaire de tempérament ! »

Je ne sais si les ministres accepteront l'explication, mais puisqu'il y a des tempéraments si divers en Belgique, M. Malou aurait fait chose intéressante de ne pas oublier de nous confier quel est dans cette affaire son tempérament à lui.

J'ai peu de mots à dite, messieurs, sur mon amendement. J'ai voulu laisser au gouvernement toute sa responsabilité pour chaque fait ; j'ai voulu lui laisser le soin d'examiner dans chaque cas toutes les circonstances qui l'accompagnent ; voilà le but principal.

Lorsque nous nous bornions à demander la suppression d’une partie du paragraphe, on a fait entendre que nous ne voulions aucune limite à la liberté du professeur ; l'amendement dit, au contraire, qu'il y a une limite. Seulement, comme nous ne voulons pas diminuer la responsabilité du gouvernement, nous ne la précisons pas ; c'est à lui à apprécier ce qu'il a à faire ; la Chambre jugera ses actes quand il les aura accomplis.

Ensuite, l’amendement fait une distinction entre l'enseignement et les publications qui lui sont étrangères ; pour celles-là il indique quelle doit être lit considération principale. Dans tous les cas, l'amendement n'a en vue aucun fait passé ni aucun fait particulier dans l'avenir ; il ne pose aucune règle précise ni inflexible, aucune prescription absolue ; de cette manière, la Chambre et le gouvernement, chacun reste dans son rôle et dans ses devoirs.

M. Pierre. - Je ne me propose point, messieurs, d'ajouter un discours aux remarquables discours déjà prononcés, dans la discussion actuelle, par des amis politiques d'un talent incontestablement supérieur. Je me bornerai à motiver brièvement mon vote sur l'adresse. J'ai voté la convention d'Anvers. Je ne viens pas vous exprimer le regret d'avoir émis ce vote ; nous avons pensé, mes amis politiques et moi, personnellement, en l’émettant, faire preuve d'un esprit de sage conciliation. Non content de la manière large et loyale avec laquelle nous voulions exécuter la loi sur l'enseignement moyen,le haut clergé, lui, au contraire, a fait de notre votre que je n'hésite point de qualifier de conciliatoire, une lettre morte pour un grand nombre de nos établissements.

Il m'est impossible de ne pas exprimer le regret sincère que j'en éprouve. Nous avions lieu d'espérer que le haut clergé manifesterait une plus sage tolérance, dans un pays constitutionnel et libre comme l'est le nôtre, dans un pays où nous sommes assez heureux pour ne point avoir la regrettable et toujours fâcheuse étreinte d'une religion d'Etat, dans un pays où lotis les cultes sont égaux devant la loi, dans un pays où la liberté de consciente permet à chacun de penser et d'agir comme bon lui semble.

Les apôtres primitifs de l'Eglise catholique allèrent, souvent au péril de leur vie, prêcher l'évangile, de par le monde, dans les contrées les plus lointaines, les plus inhospitalières, je pourrais dire les plus barbares, puisqu'ils allèrent jusque chez les sauvages eux-mêmes.

N'est-il pas inconcevable que, de nos jours, le haut clergé belge refuse de donner l'instruction religieuse aux enfants du peuple au milieu duquel il vit, du peuple auquel il appartient par les liens du sang et de la nationalité, du peuple qui le salarie de ses deniers publics ?

Je me considère comme obligé de dire qu'une telle conduite me paraît bien peu évangélique.

Sans doute, le clergé est libre, entièrement libre dans son action ; sans doute, il ne nous appartient point de nous ingérer dans la sphère religieuse, mais ce qu'il nous appartient de vouloir, c'est l'exécution des lois que nous faisons. Or, nous avons inscrit, dans l'article 8 de notre loi sur l’enseignement moyen, l'enseignement religieux, en première ligne, comme étant obligatoire.

Voulant exécuter cette loi avec loyauté et franchise, nous avons voté la convention d'Anvers. L'expérience nous prouve qu'avec le mauvais vouloir inattendu du haut clergé, cet article de la loi est inexécutable et inexécuté.

La législature ne peut cependant conserver une loi ou une partie de loi inexécutable et inexécutée. Nous avons donc un devoir à remplir, et ce devoir, c'est, à mon avis, de rayer de l'article 8 l'enseignement religieux comme étant obligatoire. Il faut que je m'explique sur ce point important. On pourrait se méprendre sur la portée de ce que j'avance. Tout d'abord je dirai que je suis loin de penser à écarter l’enseignement religieux de nos établissements. Dieu me garde de concevoir et d'émettre une telle opinion ! Elle ne viendra d'ailleurs jamais à l’esprit d'aucun de nous. Les sentiments profondément religieux de la catholique Belgique constituent, contre un semblable danger, la meilleure de toutes les garanties.

Loin donc, messieurs, de vouloir, pas plus qu'aucun de vous tous, priver nos établissements d'enseignement moyen de l'instruction religieuse, je fais, au contraire, les vœux les plus vifs pour que tous nos établissements de cette catégorie, sans en excepter aucun, reçoivent cette instruction, à l'inverse de ce que veut et fait le haut clergé. Mais ce que je regarde, dès maintenant, comme une impérieuse et urgente nécessité, c'est la suppression la plus prochaine possible d'un article de loi inexécutable et inexécuté. Les faits nous prouvent, à la dernière évidence, qu'il en est ainsi, pour l’enseignement religieux inscrit en tête de l'article 8.

Après la suppression de cet article, comme avant, nous convierons le clergé à donner son concours religieux. Rien ne sera changé à ce sujet ; mais nous aurons réparé une faute, car c'en est une, d'inscrire des obligations religieuses dans une loi quelconque, autres que des obligations d'ordre public et de droit commun.

L'Etat doit se mouvoir en toute liberté d'action, comme chaque culte doit se mouvoir, aussi, en toute la liberté d'action qui lui est propre. Quelques-uns trouveront, peut-être, qu'il y a, de ma part, témérité à aborder de front, aussi résolument, le cœur de la question... Toujours est-il nue j'aurai la satisfaction d'avoir accompli un devoir.

Je n'ai pas, pour le moment, le moindre espoir de voir ma proposition favorablement accueillie ; l'insuccès immédiat, certain à l'avance ne m'empêchera pas de la formuler, c'est un jalon pose pour l'avenir, rien de plus, je le comprends pertinemment.

Comme l'honorable M. Frère l'a dit implicitement vendredi, ces derniers temps ne sont pas favorables au libéralisme. Je ne me fais, assurément, sur ce fait aucune illusion.

Le grand parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir saura attendre avec calme, patience, dignité, des temps meilleurs, que je crois très prochains.

Quoi qu'il arrive, il ne perdra pas de vue que, parfois, le navigateur touche à l'improviste au port, alors que d'épais nuages pouvaient lui faire supposer qu'il était encore éloigné de celui-ci.

(page 143) Quant à l'interdit jeté, imprudemment et de la manière la moins charitable, sur divers établissements de l'Etat et, en particulier, sur l'une de nos universités, je le déplore également de toute l'énergie dont je suis capable.

Ce qui est vrai pour l'Etat et pour chaque culte, n'est pas moins vrai pour la science ; c’est surtout à elle qu'il faut laisser la liberté d'action la plus complète. Certes, il ne peut être permis aux professeurs de toucher aux principes fondamentaux d'aucun culte, quel qu'il soit ; mais en dehors de cette limite, le libre développement de la science ne comporte aucune restriction.

A ce point de vue, j'aurais volontiers donné mon approbation, en principe général, à la circulaire de M. le ministre de l'intérieur. Les explications données par lui, dans cette enceinte, m'ont prouvé que l'exécution de cette circulaire différerait entièrement, radicalement, absolument, des termes dans lesquels elle est conçue. C'est assez vous dire, messieurs, que je voterai contre l'adresse, telle qu'elle nous est proposée.

M. Lelièvre. - J'ai énoncé dans mon premier discours les motifs qui ne me permettent pas de voter les paragraphes de l'adresse qui depuis plusieurs jours sont l'objet de si vifs débats.

Je ne crois pas que nous puissions décréter des principes qui tracent au gouvernement la marche à suivre dans une matière où tout doit être soumis à son appréciation. Je ne puis donc approuver le projet en discussion.

Du reste, ce qui me détermine encore à ne pas donner mon adhésion aux paragraphes dont il s'agit, c'est qu'ils ne reproduisent par les appréciations énoncées à la circulaire ministérielle. De l'aveu de M. le ministre de l'intérieur, le projet d'adresse est muet sur les publications qui pourraient émaner des professeurs des universités, et à ce point de vue le projet ne saurait nous satisfaire. La commission se borne à présenter une formule vague relative à la conscience de l'élève, formule réprouvée aujourd'hui par l'honorable rapporteur lui-même, et on ne reproduit pas la distinction que mentionne mon premier discours.

Du reste, je serais prêt à appuyer un amendement qui, en consacrant en principe l'indépendance et la liberté du professeur, reconnaîtrait des limites dont l'appréciation serait laissée au gouvernement, sauf le contrôle de la représentation nationale.

Cette pensée est reproduite dans l'amendement de l'honorable M. Devaux qui me paraît pouvoir être accepté par tout le monde, surtout depuis les explications données par son auteur. L'amendement ne se réfère à aucun fait passé ou futur.

Il se borne à consacrer un principe incontestable, et il laisse au gouvernement le soin de tracer les limites sous sa responsabilité. On ne peut donc rencontrer dans la proposition le moindre blâme de la conduite ministérielle, puisque l'honorable M. Devaux affirme qu'il n'a voulu faire aucune allusion au passé.

Je ne rentrerai pas dans le débat qui me semble épuisé et sur lequel du reste toutes les convictions sont formées, mais je crois devoir appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité de ne rien négliger pour assurer la prospérité des universités de l'Etat.

Je suis l'un de ceux qui pensent que l'enseignement de l'Etat est une obligation formelle de notre Constitution et qu'il est le contrepoids essentiel de la liberté de l'enseignement. C'est l'existence d'un enseignement public à côté de l’enseignement privé, qui force les établissements libres à élever le niveau de la science. Je suis convaincu que sans l'instruction publique le niveau des études serait bientôt abaissé outre mesure et que cet état de choses donnerait lieu à des abus sérieux. Je ne m'associerai donc pas au vœu émis par le rapporteur de la loi de 1835, qui espérait voir un jour les universités de l'Etat désertes et, par conséquent, supprimées, et j'engagerai le gouvernement à assurer, par tous les moyens dont il dispose, l'avenir d'établissements qui sont dignes de toute la sollicitude des pouvoirs publics.

M. Vandenpeereboom. - Messieurs, je demande que les amendements présentés par MM. de Mérode et Devaux soient imprimés et distribués. Ces amendements ont une grande importance ; il est essentiel qu'on puisse les examiner.

- La proposition de M. Vandenpeereboom est adoptée.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Dépôt

Mi. présente un projet de loi sur les denrées alimentaires.

- La Chambre ordonne l’impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l'examen des sections.

La séance est levée à 4 1/2 heures.