(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 103) M. Crombez procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Tack donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.
M. Crombez présente l'analyse des pétitions qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Heylighen, intendant militaire en chef honoraire pensionné, prie la Chambre de le nommer conseiller à la cour des comptes,. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Plusieurs meuniers dans le Brabant demandent de pouvoir continuer à faire usage de balances romaines. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande de prompt rapport.
« Le sieur Filleul Van Elstraete demande une loi permettant aux veuves de militaires qui ne jouissent d'aucune pension et qui veulent convoler en secondes noces avec des militaires n'ayant pas obtenu l'autorisation de contracter mariage, de recevoir la bénédiction nuptiale sans qu'elle ait été précédée du mariage civil. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Deval, veuve d'un ancien légionnaire, prie la Chambre de lui faire obtenir la pension de 200 francs dont jouissent les autres veuves de légionnaires. »
- Même renvoi.
« Le sieur Verschueren, décoré de la croix de Fer, ancien préposé des douanes, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Poesele prient la Chambre d'augmenter le traitement des desservants. »
- Même renvoi.
« Le sieur Sampain-Collin prie la Chambre de nommer une commission pour faire une enquête sur les griefs dont il se plaint. »
- Même renvoi.
« Un ancien commandant de Bouillon, décoré de la croix de Fer, demande qu'une loi autorise le gouvernement à lui accorder la pension d'officier supérieur. »
- Même renvoi.
« Les administrateurs des wateringues de Blankenberghe et d'Eyensluys Groot Reygarsvliet demandent la reconstruction de l'écluse de Blankenberghe. »
M. Coppieters. - La pétition dont il s'agit présente un très grand intérêt pour plusieurs communes du nord de Bruges. L'objet qu'elle traite a déjà été soumis à la Chambre. Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
M. Sinave. - J'appuie cette proposition. Il s'agit d'une affaire ancienne qui doit enfin recevoir une solution. Il est temps que l'on mette un terme aux inondations désastreuses dont souffrent plusieurs communes.
- La proposition de M. Coppieters est adoptée.
Par dépêches des 17 et 19 novembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre :
Trois exemplaires d'une brochure contenant les discussions auxquelles a donné lieu, au sein de l'Académie de médecine, l'examen du moyen proposé par M. le docteur Willems en vue de prévenir le développement de la pleuropneumonie épizootique des bêtes bovines ;
Deux exemplaires des livraisons 1 à 6 du tome IV des Annales de la commission royale de pomologie.
- Dépôt à ta bibliothèque.
M. Calmeyn, retenu à Liège par un devoir de famille, informe la Chambre qu'il ne peut assister à la séance de ce jour.
M. Dubus demande un congé de quelques jours pour cause d'indisposition.
— Ce congé est accordé.
M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - La Chambre a renvoyé à l'examen, des sections le projet de loi concernant l'organisation judiciaire. A mon avis, il serait préférable de faire examiner le projet par une commission spéciale. Il s'agit, en effet, d'une matière qui exige des connaissances particulières puisqu'il est question de difficultés juridiques qui doivent être l'objet d'un examen sérieux de la part des jurisconsultes de la Chambre. Je propose en conséquence de renvoyer le projet à une commission dont les membres seraient désignés par le bureau. C'est du reste la marche qui a été suivie en ce qui concerne la loi sur le régime hypothécaire, le projet sur l'expropriation forcée et dans toutes les matières analogues à celle dont il s'agit.
M. David. - Messieurs, le projet dont parle l’honorable membre est très important. Il convient que chaque membre de la Chambre le connaisse et l'ait étudié avant qu'il vienne à la discussion publique. Je demande donc que la décision prise samedi soit maintenue et que le projet soit examiné par les sections.
M. Lelièvre. - Que la Chambre ne perde pas de vue qu'il s'agît d'un Code renfermant environ six cents articles soulevant tous des questions de droit très ardues. Je suis convaincu qu'un semblable projet ne peut être discuté convenablement en section. Il s'agit d'une matière spéciale qui a besoin de faire l'objet de l'examen d'hommes spéciaux.
D'ailleurs tous les précédents de la Chambre justifient la marche que je propose.
M. Vander Donckt. - Je conviens avec l'honorable membre qu'il s'agit d'une matière spéciale. Mais le point essentiel dans ce projet, c'est la question financière, et la Chambre doit avoir une connaissance approfondie de toutes les dépenses que l'on propose. Il convient donc que les sections examinent le projet avant que nous nous en occupions en séance publique.
M. Lelièvre. - Puisqu'il y a opposition à ma motion, je pense qu'il serait convenable d'entendre M. le ministre de la justice qui sera en position d'éclairer la Chambre sur l'utilité de ma proposition.
Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Lelièvre. - Puisqu'on ne veut pas entendre M. le ministre de la justice, je persiste purement et simplement dans ma motion que je crois fondée sur les plus justes motifs.
- La proposition de M. Lelièvre n'est pas adoptée. En conséquence le projet sera examiné par les sections.
MpD. - Plusieurs orateurs sont inscrits, si la Chambre n'y fait pas opposition je donnerai alternativement la parole à un orateur pour et à un orateur contre (Adhésion.)
Mi. - Conformément au désir exprimé par la Chambre à la fin de la séance de samedi, j'ai fait imprimer, à l'usage de la Chambre, le tableau des inscriptions des élèves des universités de l'Etat d'abord, et les tableaux des inscriptions aux deux universités libres de Bruxelles et de Louvain, que j'ai obtenus de la complaisance de MM. les administrateurs et recteurs de ces universités. La Chambre a ces tableaux sous les yeux et pourra faire la comparaison entre les situations des divers établissements.
(page 117) M. de Haerne. - Messieurs, la discussion ouverte depuis quelques jours peut se résumes.eu trois points principaux : d'abord la question de fait ; en second lieu la question scientifique ; en troisième lieu la question du droit, principalement du droit politique constitutionnel.
.le ne m'attacherai pas, messieurs, à traiter comme il faudrait le faire, ces trois grandes questions : mais je crois devoir vous donner mon opinion d'après cet ordre d'idées et rencontrer en même temps les objections qui ont été faites en sens contraire.
Je crois, messieurs, que nous pouvons nous féliciter de la discussion actuelle à plusieurs égards. Elle a éclairci plus d'une question et notamment elle a fait voir que nous sommes tous d'accord sur un point ; à savoir la nécessité de limiter la liberté dit professeur enseignant, c’est un progrès car la plupart des journaux de l'opposition s'étaient prononcés en sens contraire.
Mais la difficulté commence lorsqu'il s'agit de décider qu’elle est la limite que l'on doit assigner à cette liberté. Nous disons avec le ministère : cette limite est indiquée par les cultes positifs reconnus par l’État. Nos adversaires s'écartent de cette limite et s'attachent à un système qui consiste à dire que le rationalisme doit servir de base à l'enseignement universitaire. Mais on se divise lorsqu'il s'agit de savoir quel est réellement le point de doctrine que l'on ne peut toucher dans l'enseignement et l'on prétend que c'est surtout la morale qui doit tracer la limite à la liberté du professeur.
Messieurs, je crois qu'en dehors du dogme la limite est impossible à assigner, parce que du moment où l'on s'attache au rationalisme, il est évident que toutes les erreurs, même les plus monstrueuses, peuvent être autorisées. Car, enfin, si la raison individuelle est infaillible, il faut nécessairement accorder ce privilège à tout le monde, et vous n'avez plus le droit d'exclure ici le matérialisme, ni le panthéisme, ni l'athéisme. La logique va jusque-là.
Et qu'est-il arrive en Allemagne ? Lisez les ouvrages très remarquables qui ont parus sur cette matière, particulièrement l'ouvrage de M. Rendu,sur les résultats de l'enseignement dans l'Allemagne du Nord.
Vous verrez que les Kunt, les Fichte, les Schelling ont fait naître les Hegel, les Feuerbach, et que le dernier terme du rationalisme est l'athéisme. Une fois sur cotte pente on ne peut plus s'arrêter.
La morale universelle est la limite, dit-on ; mais on diffère en morale comme on diffère pour les idées philosophiques, et les opinions dominent toujours la morale. Les systèmes de morale sont soumis aux fluctuations de l'opinion comme les systèmes philosophiques. Voudrait-on baser la morale sur la loi ? Mais la loi change, avec l'opinion.
Avant-hier, messieurs, nous avons eu une preuve que l'expression de morale est parfois mal comprise. On a parlé d'embryoctonie. On n'y a vu qu'une question de dogme qui divise l'université catholique d'avec d'autres universités.
Eh bien, messieurs, aux yeux des catholiques il y a là aussi une question de morale, celle de savoir si l'on peut tuer un être humain pour en sauver un autre.
Ainsi vous voyez que pour la morale comme pour le dogme, on est dans un labyrinthe, lorsqu’on n'a pas un point d'appui, à savoir la foi. Les Helvetrus, les Dupuis prétendaient être moraux ; les 96 millions de mahométans répandus dans le monde, les mormons qui se donnent pour chrétiens, prétendent être moraux, et ils admettent la polygamie proscrite par les lois des peuples chrétiens.
Et, messieurs, les dernières conséquences, les conséquences pratiques de ce système savez-vous jusqu'où elles vont ? Je ne citerai pas les auteurs français qui vous ont dépeint les conséquences des systèmes en vogue sous le régime précédent, et ont fait voir que l'explosion du socialisme n'a été que l'effet de l'enseignement ; cela est généralement connu ; mais je dirai qu'en Angleterre même cette opinion a prévalu. Je vous citerai entre autres un auteur anglais, un protestant, M. Colquhonn qui a dit que le socialisme du 1848 est l'œuvre des professeurs et que les jeunes gens leurs élèves, les masses dont ils avaient fait l'éducation, n'ont été que leurs instruments.
Voilà où aboutit la doctrine de indifférentisme en matière de religion ; et voilà pourquoi nous voulons, nous, en arrêter le progrès non seulement dans l’intérêt de notre foi, mais aussi dans l'intérêt social, dans l'intérêt du pays.
Savez-vous, messieurs, quel est au fond la différence qui existe dans la question dont il s'agit, entre le système de vos adversaires et le nôtre ? Je vais vous la faire toucher du doigt. Nos adversaires qui admettent le rationalisme dans l'enseignement, doivent reconnaître que d'après leur système on peut froisser tous les dogmes ; nous, au contraire, nous voulons, non pas faire enseigner les dogmes, mais, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, les faire respecter tous.
On dit : c'est l'enseignement du dogme catholique que vous proposez d'une manière déguisée et dans la pratique, ajoute-t-on, vous y arriverez.
On vous a démontré, messieurs, que cette observation n'a rien de fondé ; mais en définitive, si elle était exacte, quelle serait la différence entre votre système et le nôtre ? C'est que nous ne froisserions qu'une petite minorité, tandis que vous devez reconnaître que vous froissez et la majorité et la minorité, c'est-à-dire à peu près tout le monde.
Messieurs, le respect envers les cultes est possible dans la pratique lorsqu'on procède avec bonne foi, et outre les témoignages puisés dans les faits, qui vous ont déjà été allégués, je me permettrai de vous citer cet article d'un journal anglais le Times. La question qui nous occupe, a été, comme vous le savez, discutée bien des fois en Angleterre, et récemment encore, au mois d'avril ainsi qu'au mois de juin derniers.
Je parlerai des derniers débats où il a été question de l'enseignement en Irlande ; dans cette discussion ont figuré une foule de grands orateurs ; tous, sans exception, ont proclamé la nécessité d'appuyer l’enseignement à tous les degrés sur une base franchement religieuse. Prétendrez-vous que l'Angleterre ne reconnaît pas sa liberté ? Prenez-y garde, vous serez bientôt les seuls à soutenir votre système. En pratique, l'Angleterre protège l’enseignement religieux par les subsides qu'elle lui confère. La question pratique s'était présentée pour l'Irlande comme elle se présente ici ; elle y a été résolue dans notre sens. On a fait voir que l'Angleterre peut soutenir l'enseignement religieux. La solution de la difficulté dont nous nous occupons se trouve dans le résumé du Times. Elle consiste à distinguer entre l'esprit de prosélytisme, qui se fait remarquer d'un côté, et l'esprit dogmatique simple, et sincère qui se manifeste de l'autre.
Or savez-vous à quelle opinion religieuse le Times reproche le prosélytisme. Est-ce à l'opinion catholique ? En aucune manière, c'est à l'Eglise établie par la loi ; tandis que chez les catholiques, dit-il, on remarque une absence complète de prosélytisme dans les écoles quoique tout y respire le catholicisme. Le prosélytisme est inhérent à toute : conviction forte ; mais la vraie religion n'a recours à cette fin qu'à des moyens convenables el le prosélytisme n'est pas un moyen à employer dans les écoles. Voilà comment la difficulté peut se résoudre dans la pratique ; c'est une question de prudence et de tact.
On a cité contre nous l'exemple du clergé d'autres pays ; l’honorable M. Rogier a fait valoir la modération, la tolérance du clergé des États-Unis, en opposition avec l'esprit du clergé belge.
C'est une erreur.
Vous rappellerai-je, messieurs, ce qui s'est passé, il n'y a pas bien longtemps, aux États-Unis au sujet de l'enseignement ? Un concile national a été tenu à Baltimore ; dans ce concile, on a traité la question de l'instruction publique. C'était peu de temps après l'érection de l'université catholique de Dublin, an sujet de laquelle le primai d'Irlande, Mgr Cullen, avait adressé une lettre au concile de Baltimore.
Il fut répondu par le président du concile, Mgr Patrice Kenrick, à l’archevêque de Dublin, et cette réponse fait voir quel est le système du clergé américain, système qu'on a voulu opposer au nôtre.
Permettez-moi, messieurs, de vous citer quelques passages de cette lettre :
« Les pères du concile, m'ont chargé d'exprimer à Votre Grâce leur profonde sympathie pour la hiérarchie irlandaise dans la grande lutte qu'elle soutient pour préserver la jeunesse de l'indifférence el des erreurs.
« Notre propre expérience d'un système d'éducation mixte. séparé des influences religieuses, nous donne la conviction qu'il favorise l'esprit, de latitude (latitudinarian spirit), et laisse la jeunesse exposée sans frein moral à la violence de ses passions.
« Les enfants de parents catholiques, qui fréquentent les écoles publiques de cette contrée, dans lesquelles ce système prévaut, s'imbibent insensiblement des erreurs de leurs instituteurs, qui, en affectant d'éviter des doctrines distinctes, sapent les fondements de la foi et disposent leurs élèves à se jeter dans l’indifférence religieuse. Puisque cela se rencontre dans un État où toute pression exercée sur les convictions religieuses des enfants est désavouée et même prohibée par la loi, le danger est manifestement plus grand là où les garanties n'existent pas. Ajoutez à cette considération que le frein et les influences qui sont nécessaires pour sauvegarder la moralité de la jeunesse, font défaut là où la religion ne développe et ne renforce pas les principes des actions humaines, et où par ses instructions, elle ne vient pas au secours de la fragilité de notre nature. Nous n'hésitons pas à attribuer à ce système d'éducation mixte (promiscuous éducation) la perte de la foi et des mœurs de plusieurs milliers d'individus de ce pays, qui eussent pu être la consolation de leurs parents et les ornements de l'Eglise, s'ils avaient été religieusement élevés.
« Nous nous réjouissons donc de ce que les évêques irlandais, sous la direction de Votre Grâce et la protection encourageante du saint-siège, sont décidés à préserver la jeunesse de leur pays des dangers inhérents, au système de l'éducation mixte ; et malgré les difficultés sans nombre que vous rencontrerez, nous espérons que, par la protection de la divine Providence, vous mènerez à bonne fin l'établissement de l'université catholique. Nous adressons nos prières au Père des lumières, pour qu'il daigne couronner vos efforts et ceux de vos collègues et vous donner les moyens de préserver la jeunesse et le peuple, confiés à votre charge, des séductions d'une fausse philosophie et de la contagion des erreurs pernicieuses de nos jours. »
Cette lettre est datée du jour de l'Ascension 1852. Elle encourage le clergé irlandais dans la lutte qu'il avait entreprise contre le gouvernement au sujet de l'enseignement mixte basé sur l'indifférence religieuse.
L'archevêque de Baltimore parlait au nom du concile qui était composé de six archevêques et de vingt-six évêques. Voilà l'opinion du clergé américain. Vous voyez quelle est tout à fait (page 118) conforme à la nôtre. Parmi les cent quatre-vingts millions de catholiques répandus sur le globe, je ne crois pas qu'on puisse citer un prélat qui professe l'opinion contraire.
J'ai fait allusion tout à l'heure à la discussion qui a eu lieu en Angleterre et à laquelle ont pris part plusieurs orateurs du parlement. Tous ont été d'accord pour proclamer que l'enseignement religieux ne peut être séparé de l'enseignement profane, et la motion de lord John Russell a été rejetée par une majorité de plus d'un tiers, parce qu'elle avait une forte tendance à un système mixte, quoique le noble lord voulut aussi donner à l'enseignement une base chrétienne.
M. Frère-Orban. - L'enseignement mixte existe en Irlande.
M. de Haerne. - Une discussion a eu lieu postérieurement. C'est à ce propos que j'ai cité le Times qui, d'accord avec la plupart des orateurs, reconnaît que les écoles fréquentées par les catholiques en Irlande ont un caractère catholique, même aux yeux des protestants.
Une motion avait été faite par M. Walpole à propos de l'instruction en Irlande et elle a été rejetée dans le sens du maintien du statu quo. Si vous en votiez la preuve, vous la trouverez dans les paroles de lord Palmerston même.
M. Frère-Orban. - Tout enseignement dogmatique a été exclu des écoles.
MpD. - Je demande que l'on n'interrompe pas l'orateur. Ceux qui désirent parler n'ont qu'à se faire inscrire.
M. de Haerne. - Je parle de la dernière discussion qui s'est terminée le 24 juin de cette année. Elle confirme ce que j'ai démontré dans une récente publication, à savoir que l’enseignement en Irlande n'est pas mixte en pratique. Du reste, je n'ai eu qu'à invoquer ici les orateurs qui se sont fait entendre dans cette discussion et qui tous se sont prononcés en faveur de l'enseignement basé sur la religion, sans distinction de degrés.
Après les autorités que je viens de citer, autorités imposantes dans la chrétienté, autorités choisies parmi les hommes d'État les plus éminents de l'Angleterre, et auxquelles je pourrais en ajouter d'autres de tous les pays, on viendrait dire que le clergé belge ne peut se prononcer dans le même sens ? Avouons que ce serait le comble de l'injustice et de l'absurdité.
Nous sommes d'accord qu'il faut une limite à l'enseignement du professeur. Un professeur est un fonctionnaire. Si l'intérêt général exige qu'il y ait une limite à sa liberté, il faut lui appliquer la règle qui existe à l'égard des autres fonctionnaires.
La liberté de faire le commerce, par exemple, existe pour les Belges. Cependant bien des fonctionnaires sont privés de cette liberté dans l'intérêt général.
Mais, dit-on, la limite que vous assignez est en dehors de la Constitution. On prétend même qu'elle est contraire à la Constitution. Cependant vous avez dit que vous ne voulez pas, pour le professeur, une liberté entière. Comment concilier cela avec la liberté des opinions consacrée par la Constitution ?
Je vous demanderai si le professeur pourrait, s'autorisant de l’article 131 de la Constitution qui prévoit la possibilité de la révision de cette Constitution, préconiser comme mesures éventuelles l'impôt progressif, le suffrage universel, la république. Non sans doute, me direz-vous. Vous admettez donc, pour le professeur, une limite autre que celle qui est tracée par la Constitution. On ne me contrariera pas à cet égard.
Permettrez-vous à un professeur d'écrire des articles signés dans certains journaux démocratiques ?
Cependant c'est un droit qu'ont les citoyens, en vertu de la Constitution. Ce droit, un professeur ne l'aura pas. Il y a encore ici une limite en dehors de la Constitution, et la morale universelle ne peut être invoquée en thèse générale dans cette matière.
Vous défendez donc aux professeurs des choses parfaitement morales et permises par la Constitution. Prouvez-nous pourquoi l’on ne pourrait pas, d'après les principes constitutionnels, pousser les restrictions plus loin, jusqu'au dogme par exemple.
Dans la pratique on ne peut donc admettre la liberté du professeur que pour autant qu’elle soit limitée conformément au système indique dans l'adresse.
C'est assez vous dire, messieurs, que j'admets l'adresse qui vous est proposée et qui indique la règle qu'on aurait dû suivre toujours.
Des reproches ont été adresses avant-hier par M. le ministre de l'intérieur a une partie de la presse, qui l'avait critiqué pour ne pas avoir suivi cette rège. Je suis le premier à blâmer les excès dans lesquels on s'est laissé entraîné à cet égard ; cependant je dois dire que je suis moi-même un peu coupable, ayant dans des écrits signés par moi, mais non dans d'autres, critiqué la conduite de M. le ministre de l'intérieur. J'ose déclarer néanmoins que, si j’avais su ce qu'il nous a appris dans la discussion, je me serais abstenu, et j'aurais fait l'éloge de M. le ministre. Il s'agit de savoir s'il n'en eût pas été de même pour une partie de la presse qui, je l’avoue, s'est écartée parfois des bornes de la modération.
Voilà ce que j'avais à dire par rapport à la question de fait.
J'arrive à la deuxième question : celle de l'intérêt de la science. Moi aussi, messieurs, je veux de larges horizons à la science. J'abonde à cet égard dans le sens de M. le ministre de l'intérieur, et je dis que lorsque la science s'appuie sur l'autorité de la foi, la raison s'élance dans des sphères d'autant plus élevés.
On a dit : vous ne toléreriez pas dans l'enseignement comme professeurs des Guizot, des Cousin, des Humboldt. Mais je répondrai en demandant si vous admettriez des Volney, des Helvelius, des d'Holbach, des Hume, pour la science, pour le droit, pour l'histoire.
C'étaient cependant les illustrations de leur époque ; aujourd'hui il y a encore des célébrités semblables ; allez en Allemagne, vous verrez ce qui se passe dans les universités. Donc cet argument n'en est pas un. Puisqu'il faut dire sa pensée toute entière quant aux Cousin et aux Guizot, ces hommes célèbres ont été éclairés par l'expérience de 1848, et dans leurs derniers écrits ils se sont prononcés plus que jamais pour la religion comme base de l'enseignement ; leur autorité a été invoquée dans ce sens au parlement anglais, entre autres par sir J. Craham.
M. de Humbold, cette célébrité des temps modernes, et selon l'expression de Mme de Stael, la première capacité de l'Europe, savez-vous quelle opinion il émet dans son ouvrage intitulé la sphère et les devoirs de l'État, sur l'enseignement et sur les rapports qui doivent exister entre le système d'instruction et les forces individuelles de la nation Il repousse absolument l'intervention de l'Etat dans l'enseignement public.
Il soutient ce système dans l'intérêt du développement de l'enseignement et de la science.
Il abandonne tout dans cette matière à l'action individuelle ; par conséquent il consacre notre système qui donne à la religion une légitime influence.
Voilà l'opinion de ce grand homme. Comme professeur, il suivrait ce système ou il s'érigerait une chaire privée, et ne se ferait pas payer par ceux dont il voudrait ruiner la foi.
Puisque vous parlez d'admettre des professeurs, je vous citerai une célébrité : c'est M. Troplong. Dans un ouvrage très connu traitant de l’influence du christianisme sur le droit romain,, il fait voir tous les excès immoraux qui sont résultés du divorcé. On a soutenu avant-hier qu'on ne pouvait pas attaquer le divorce dans les chaires universitaires. Vous n'admettriez donc pas M. Troplong parmi les professeurs de vos universités. Vous seriez plus difficiles que nous ! Vous nous reprochez donc à tort de vouloir rétrécir le cercle de la science, de vouloir l'entraver dans son essor, de vouloir étouffer le génie.
Vous nous dites : Philosophie, droit, médecine, histoire, mathématiques même, tout est rétréci chez vous, tout est libre chez nous. Je soutiens que dans toutes ces sciences vous posez vous-mêmes des limites d'après vos propres aveux.
Pour ne parler que de la médecine, y a-t-il une science qui ait donné naissance à de plus graves erreurs, à des erreurs que vous aussi, vous condamnez et que vous ne toléreriez pas dans l'enseignement ?
Y a-t-il une science qui ait donné lieu, plus que la médecine, à l'enseignement du matérialisme ?
L'honorable M. Verhaegen a cité Broussais et a demandé si nous répudierions un tel professeur ? Je ne sais pas s'il a lu les ouvrages d Broussais, entre autres son Traité de l'irritation et de la folie.
Après avoir lu plusieurs de ces ouvrages, je dois dire avec Migne dans son discours à l'Académie des sciences, que je trouve le matérialisme au fond du système de cet auteur.
Ou sait jusqu'à quel point Broussais s'est rapproché de Gall, et les rapports qui existent entre Gall et Cabanis.
On ne peut nier que le matérialisme ne soit au fond du système soutenu par ces auteurs.
Nous les répudierions ; mais vous les répudieriez aussi. Tous ces auteurs soutiennent néanmoins que c'est restreindre, paralyser, tuer la science que de ne pas permettre qu'on l'examine à leur point de vue.
Le rationalisme, d'après l'expérience de tous les pays, est impuissant pour arrêter le dévergondage des opinions et autorise toutes les erreurs. La raison appuyée sur l'autorité et sur la tradition réfute seule victorieusement les erreurs, et en écartant les erreurs permet l'esprit humain de se développer avec plus de facilité, et de pénétrer ainsi sans embarras dans les profondeurs de la science. L'horizon se découvre et s'étend, lorsque la vue n'est pas troublée, ni obscurcie par l'atmosphère du scepticisme.
D'autres questions moins sérieuses pour la Chambre ont été traitées dans la séance d'avant-hier. J'avoue que quand j'ai entendu quelques honorables collègues entrer, dans l'examen de quelques-unes de ces questions, j'ai cru un moment que j'étais replacé sur mon banc de séminaire et que j'assistais à un cours de théologie dogmatique de morale.
Ou aurait dit qu'on se trouvait dans la vieille Sorbonne ou dans l’alma mater de Louvain.
On nous a parlé de la dîme, du prêt à intérêt, du contrat mohata, et à cette occasion on a insinué que mon orthodoxie était opposée, parce qu'en interrompant l'orateur, je disais que la dîme n'est pas de droit divin. C'était sans doute une plaisanterie de sa part.
Je soutiens ce que j'ai dit. On a cité le Lévitique, chapitre XXVIII pour prouver que la dîme est de droit divin. Par malheur, il n'y a pas de chapitre XXVIH dans le Lévitique. Il est vrai qu'il est question de la dîme dans ce livre. Il est dit à la fin du Lévitique que les commandements qu'il contient sont donnés par Dieu à Moïse pour le peuple juif.
Vous savez que chez les hébreux la loi était théocratique, que la loi dérivait de Dieu. Voilà comment la dîme était de droit divin. J'ajouterai (page 119) que dans le chapitre du Lévitique où il est question de la dîme, on voit comment elle peut être rachetée ; par conséquent cela devient une contribution ordinaire, non pas basée sur le cadastre, qui n'était pas connu à cette époque, mais sur la valeur annuelle de la terre, ou sur la récolte.
Les abus de la dîme sont grands et le clergé serait le premier à la repousser, à cause des difficultés vexatoires qui se rattachent à la perception.
Mais autre temps, autres mœurs. Lorsque la science financière était inconnue, la dîme était le véritable mode de perception des contributions foncières. Elle existe encore en Hollande et en Angleterre, et elle n'existe pas dans les Etats Romains.
Mais, la dîme a-t-elle jamais été de droit divin chez les chrétiens ? Je soutiens que non ; et la preuve, c'est qu'on n'a commencé à parler de la dîme, qu'à partir du IXème siècle, et que dans le principe le prêtre était payé par les oblations faites à l'autel, qui altari inserviunt de altari participant, dit Saint-Paul.
Le concile de Trente que l'on a invoqué mal à propos à ce sujet, ne dit pas que la dîme est de droit divin, mais qu'elle est due à Dieu, ce qui est tout autre chose. La rétribution du clergé est de droit divin, mais non la forme de cette rétribution.
A l'époque du concile de Trente la dîme existait partout : Plus tard cette forme de contribution ayant donné lieu à des abus, le progrès de la science en ayant révélé les inconvénients, on a adopté un autre système.
Messieurs, permettez-moi de lire le décret de la Constituante française de 1789, qu'on invoque si souvent en cette matière, décret qui abolit la dîme. Vous verrez que cette abolition est basée sur le système du rachat.
Vous y verrez en même temps quelle était la destination de la dîme ; on abuse souvent de ce mot.
« Décret du 21 septembre-5 novembre 1789.
« Art. 5. Les dîmes de toute nature, et les redevances qui en tiennent lieu, sous quelque dénomination qu'elles soient connues et perçues, même par abonnement, possédées par les corps séculiers, par les bénéficiaires, les fabriques, et tous les gens de mainmorte.....sont abolies, sauf à aviser aux moyens de subvenir d'une autre manière à la dépense du cuite divin, à l'entretien des ministres, des autels, au soulagement des pauvres, aux réparations et reconstructions des églises et presbytères, et à tous les établissements, séminaires, écoles, collèges, hôpitaux, communautés et autres, à l'entretien desquels elles sont actuellement affectées. »
Voilà quelle était la destination de la dîme et comment elle a été convertie en contribution ordinaire, sous forme de rachat ou d'indemnité.
Quant au prêt à intérêt, dont on a également parlé pour faire croire qu'il ne serait pas permis, selon nous, de le défendre dans l'enseignement, il faut distinguer le prêt à intérêt de l'usure. Je crois que personne ici n'admettra l'usure qui est l'abus de la chose.
Mais le prêt à intérêt proprement dit a toujours été permis dans l'Eglise, pourvu qu'il y eût un des titres connus, c'est à-dire le titre d'une stipulation spéciale, le titre du dommage qui résulte du prêt, celui du bénéfice qu'on peut retirer de l'argent prêté et celui du danger de perdre le capital. Lorsqu'un de ces titres existe, le prêt est licite et l'a toujours été. Il a été défendu chez les hébreux, c'est vrai, mais pour les hébreux seuls encore une fois, par une législation propre à ce peuple et comme loi de charité.
Il y a eu, tout le monde le sait, l'histoire l'atteste, de grandes controverses sur le prêt à intérêt, au point de vue de la charité et de l'existence des titres, dont je viens de parler et qui autrefois n'existaient pas toujours. Aujourd'hui, à cause du prodigieux développement donne à l'industrie et au commerce, il est presque impossible que l'un de ces titres ne se présente pas.
Voilà ce qui domine toute la question.
Une bulle de Benoît XIV a traité la question d'une manière qui a paru rigoureuse, et plusieurs auteurs en ont conclu que le prêt était défendu par l'autorité supérieure de l'Eglise. Mais à peine la bulle fût-elle publiée, comme vous pouvez le voir dans un savant ouvrage écrit sur la matière, le Traité du prêt à intérêt, par Mastrofini, à peine la bulle fût-elle portée, que le comte Maffei, à Rome même, écrivit en faveur du prêt à intérêt dans le sens que j'ai indiqué, et la même doctrine fut enseignée à Rome. Preuve que la question n'était pas tranchée dans le sens contraire à la licéité du prêt, comme quelques théologiens l'avaient cru.
Mais, nous a dit, l'honorable M. Frère, le saint-siège a pris à cet égard quelques décisions récentes qui méritent de fixer l'attention.
Je n'en parlerais pas, dans la crainte d'abuser de votre patience, si toutes ces questions n'avaient été mal présentées. (Parlez ! parlez !)
Oui, messieurs, par suite de controverses qui existaient, des questions avaient été proposées à Rome et l'on demandait une décision. L'évêque de Rennes, entre autres, et un théologien de Lyon s'étaient adressés à Rome pour avoir des éclaircissements sur cette matière.
Les questions posées par l'évêque de Rennes étaient dans le sens du titre de commerce ou du bénéfice commercial à retirer du prêt à intérêt.
Il fut répondu par la congrégation romaine approuvé plus tard par le saint siège : non sunt inquietandi. « Il ne faut pas les inquiéter. »
Mais une seconde question a été posée, à savoir si le titre légal est suffisant pour autoriser le prêt à intérêt, si l'autorisation du prince, en d'autres termes si l'autorisation légale du prêt à intérêt suffit, pour qu'il soit permis au point de vue de la conscience et si ceux qui soutiennent cette opinion peuvent être absous
On demande donc si, en vertu du titre légal et en l'absence des autres titres, il est permis de toucher l'intérêt légal. Voici la réponse :
« Non sunt inquietandi quousqne sancta sedes definitivam decisionem tulerit, cui parati sint se subjicere. »
On ne doit, pas inquiéter ceux qui suivent cette opinion dans la pratique, jusqu’à ce qu'une décision définitive intervienne, décision à laquelle ils soient prêts à se soumettre.
On a abusé de cette réponse, et l'on a fait accroire que probablement une décision allait être prise en sens contraire. Mais notez bien, messieurs, qu'il ne s'agit pour ce second cas que du titre légal, et pourquoi n'a-t-on pas voulu définitivement légitimer l'intérêt en l'absence des autres titres ? D'abord, cela aurait pu susciter de grandes divisions dans l'Eglise. Ensuite je vous demande si le titre légal est toujours fondé en justice ? Est-ce que la loi est toujours juste ? Mais dans l'Inde l'intérêt s'élève jusqu'à 12 p. c, même jusqu’à 20 p. c. La loi qui admettrait ce taux serait-elle toujours juste, ne serait-elle pas usuraire ? Voilà pourquoi l'on a répondu : « On ne doit pas les inquiéter jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été prise. »
Messieurs, cette déclaration de Rome dont, au point de vue philosophique, on doit reconnaître la sagesse, n'est donc nullement contraire au prêt à intérêt, elle n'est contraire qu'à l'usure que nous condamnons tous.
La doctrine catholique ne pose donc pas de limite à la science quant au prêt à intérêt, comme il se pratique généralement aujourd'hui.
Le contrat mohatra, a-t-on dit, a été inventé pour déguiser le prêt à intérêt. Messieurs, je sais que ce contrat a été l'objet des plaisanteries d'un grand homme, dans un ouvrage qu'on peut appeler une débauche d'esprit.
Mais ce que l'on a oublié de dire, c'est que le contrat mohatra a été condamné formellement. Il a été condamné d'abord par un concile de Milan, ensuite par deux conciles de France. Il a été condamné par Innocent XI.
Ceci est beaucoup plus sérieux que les Provinciales.
Messieurs, on ne doit donc pas craindre que ce qui se rapporte au prêt à intérêt et à certains contrats plus ou moins usuraires dont on fait grand bruit puisse embarrasser les professeurs de l’enseignement supérieur ou entraver le développement de la science. C'est un épouvantait, de même que la dîme.
Il reste, messieurs, un troisième point à examiner, c'est celui du droit et particulièrement du droit constitutionnel. Nos adversaires repoussent la distinction, admise toujours et partout par les catholiques, entre le droit absolu ou naturel, et le droit relatif ou national.
Mais, messieurs, je demanderai si un homme sensé peut approuvée tout à la fois, je suppose, le rationalisme, le judaïsme, le protestantisme et le catholicisme ; évidemment ce serait le comble de l'absurde. Et cependant, ces quatre opinions sont autorisées par la Constitution belge ; on est libre de les professer en Belgique.
Il y a donc ici deux points de vue différents : le point de vue de la Constitution et le point de vue personnel, ou le point de vue de la conscience, de l'homme devant Dieu. Ce point de vue est celui de l'Eglise, parce que l'Eglise parle pour le for intérieur, qui ne concerne que la conscience de l'homme vis-à-vis de Dieu.
Ainsi, messieurs, ce que les catholiques proclament à cet égard n'est au fond qu'un axiome de bon sens, admis par tout le monde.
La Constitution dit, par exemple : Nul ne peut être contraint de concourir à l'exercice d'un culte quelconque, ni d'en observer les jours de repos. S'ensuit-il que les Israélites, les protestants, les catholiques ne puissent pas faire du l'observation des jours de repos une obligation de conscience et employer à cet égard une contrainte morale. Evidemment ou ne peut pas s'opposer à cela. Et cependant, d'après la théorie de quelques-uns de nos honorables collègues, ceci serait contraire à la Constitution.
Il s'agit toujours évidemment ici, de distinguer entre le droit absolu ou divin et lu droit constitutionnel. Sans cela tout devient confusion et vous ne pouvez plus rien établir.
Cette distinction, messieurs, s'applique à bien des cas : le titre 2 de la Constitution, comme l'a très bien dit un ancien ministre de l'intérieur, M. Nothomb, consacre la non- intervention de l'État en matière d'opinions. Par conséquent, tous les systèmes sont libres, mais il ne s'ensuit pas qu'on puisse les professer tous sans tomber dans l'absurde.
On a parlé aussi du mariage, mais on a négligé de citer d'une manière exacte l'article de la Constitution qui s'y rapporte.
Il est dit à l'article 16 de la Constitution que « le mariage civil doit toujours précéder le mariage religieux, sauf les cas d'exceptions, à établir par la loi s'il y a lieu. »
On ne décide pas la question de savoir s'il y aura lieu plus tard à établir ces exceptions.
Cette question me paraît aujourd'hui résolue par ce qui se passe en pratique. Mais la Constitution n'en fait pas moins la distinction dont (page 120) je parle. J’ai pris part à la discussion de cet article et j'ai été d'accord sur ce point avec des libéraux avancés, avec l'honorable M. de Robaulx, entre autres, qui réclamait la liberté absolue du mariage religieux. Il envisageait la disposition qui a été adoptée comme une infraction au système libéral.
Je ne dis pas qu'il faille aller jusque-là : nous sommes entrés alors dans un système de conciliation et c'est ce système qui a donné lieu à la rédaction de l’article 16 de la Constitution. Donc si les droits de la conscience étaient ici en jeu, si des difficultés surgissaient à cet égard, n'est-il pas évident que la Chambre, sur la proposition de l’un ou l’autre de ses membres ou di gouvernement, pourrait faire droit aux réclamations qui se seraient produites, quant à la priorité du mariage civil sur le mariage religieux, qui est ici en question ?
Permettez-moi, messieurs, de vous citer les paroles d’un homme éminent en France qui a traité la question du mariage civil dans ses rapports avec la religion. Voici comment s'exprime Mgr Gousset :
« Si on nous dit que notre législation ne reconnaît plus de sacrements, qu’elle ne voit plus dans le mariage que l’union naturelle de l’homme et de la femme, n’aurait-on pas une raison de plus d’être étonné que le législateur s’occupe de la bénédiction nuptiale ? Que lui importe alors qu’un ministre de la religion accorde ou refuse ses prières et ses bénédictions à ceux qui les réclament ? Cependant, comme on peut suivre la loi civile dont il s’agit sans aller contre l’esprit de l’Eglise, plus tolérante que ceux qui l’accusent d’intolérantisme, il est prudent pour un curé de s’y conformer. »
Voilà les paroles de monseigneur Gousset.
A cette même occasion, l’honorable M. Verhaegen a traité la question du divorce. Je citerai à cet égard un écrivain protestant. Voici ce que dit l’auteur de l’Histoire de la terre et de l’homme :
« On nous dit que c'est à la législation civile d'y pourvoir (au mariage) ; mais cette législation n’est-elle pas entre les mains des hommes, dont les idées, les vues, les principes changent ou se croisent ?
« Etudiez chez les différentes nations et dans les différents siècles les variations, les bizarreries, les abus qui s’y sont introduits ; vous sentirez à quoi tiendraient le repos des familles et celui de la société, si les législateurs humains en étaient les maîtres absolus.
« Il est donc fort heureux que sur ce point essentiel, nous ayons une loi divine supérieure au pouvoir des hommes. » (Lettres sur l’Histoire de la terre et de l’homme, tome I, page 48).
C’est un auteur protestant qui tient ce langage.
Remarquez que dans la plupart des pays, il y a une religion d’État, et qu’alors le point de vue politique se lie étroitement au point de vue religieux.
Le parlement anglais, à plusieurs reprises, dans des discussions solennelles, a reconnu que la faculté du divorce a été pour l’Angleterre une cause de grande démoralisation.
Si l’Eglise interdit le divorce, elle a été inspirée, sous ce rapport, par la sagesse qui l’a guidée en toute autre chose. Il suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la statistique.
Dans notre pays où l’Eglise catholique exerce son influence
À cause de l’absence de cette salutaire influence.
Cependant l’Eglise admet la séparation des époux pour des causes graves, mais elle repousse le divorce dans l’intérêt des enfants et de la société. Il en est de cette question comme de celles que j’ai traitées précédemment ; il faut faire une distinction entre le droit religieux et le droit politique ou civil.
Les mêmes principes doivent s’appliquer à une autre question qui, je l’avoue, est beaucoup plus importante, au point de vue de la discussion et au point de vue de certaines opinions qui se sont produites depuis quelques temps chez nous ; c’est la question de savoir dans quel sens il fait entendre l’encyclique de 1832 de S.S. Grégoire XVI.
Il faut, sous ce rapport, admettre nécessairement la distinction que j’ai établi en thèse générale ; ce n’est pas une subtilité, mais une distinction, un axiome de bon sens, comme je l’ai prouvé, et qu’on ne peut abandonner sans tomber dans l’absurdité. Il y a des principes de droit naturel dans toutes les constitutions ; mais ce n’est pas parce qu’ils sont inscrits dans les lois qu’ils sont de droit naturel. Donc il faut examiner ces principes en eux-mêmes, et non comme constitutionnels, pour savoir s’ils sont de droit naturel, absolus et généraux.
Messieurs, pour que vous ne doutiez pas de notre sincérité, et pour que vous sachiez quelle a toujours été l’opinion des catholiques belges à cet égard, ainsi que des catholiques étrangers qui se trouvent à peu près dans la même position que nous, je vous citerai les paroles d’un des plus grands écrivains de nos jours, je veux parler du célèbre Baldès. Voici comment il s’est exprimé sur l’encyclique de 1832.
« M. de Lamennais soutenait que la tolérance universelle, la liberté absolue des cultes est l’état normal, légitime des sociétés, état dont on ne saurait s’écarter sans porter atteinte au droit de l’homme et du citoyen. Combattant l’encyclique, M. de Lamennais s’attacha à démontrer qu’elle établissait des doctrines nouvelles et attaquait la liberté des peuples. Non, le pape dans l’encyclique n’établit point d’autres doctrines que celles qui ont été professées jusqu’ici par l’Eglise, on pourrait dire par tout gouvernement en matière de tolérance. Nul gouvernement ne pourra se soutenir si on lui refuse le droit de réprimer les doctrines dangereuses pour l’ordre social, que ces doctrines se couvrent du manteau de la philosophie ou se déguisent sous le voile de la religion.
« On n'attaque point pour cela la liberté de l'homme ; car la liberté unique, la seule digne de ce nom, est la liberté conforme à la raison.
« Le pape n'a point dit que les gouvernements ne pussent, dans certains cas, tolérer des religions différentes, mais il a défendu d'établir en principe que la tolérance absolue soit une obligation de tous les gouvernements. Cette proposition est contraire aux saines doctrines religieuses, à la raison, à la pratique de tous les gouvernements, dans tous les temps, dans tous les pays ; elle est contraire au bon sens de l’humanité. »
Ces paroles sont tirées de l'ouvrage : le Protestantisme comparé avec le catholicisme.
Vous voyez donc que ce n'est pas seulement eu Belgique que les catholiques professent cette opinion.
En Belgique, où il n'y a pas de religion d'État, les principes de l'encyclique ne peuvent avoir qu'un sens religieux.
Dans les États du pape et dans d'autres où la religion catholique a d'étroits rapports avec l’ordre politique, il est évident que les lois civiles doivent avoir aussi le caractère religieux et appliquer à un certain degré les principes de l'encyclique à l'ordre politique ; ce serait troubler ces États, qui sont le plus grand nombre, que d'établir une distinction entre les divers régimes politiques, entre le droit absolu et relatif.
Quant à la presse, quelle serait la vraie liberté, celle de Louis-Philippe, celle de l'Espagne, du Piémont ou de la Belgique, avant ou depuis l'abolition du timbre, avant ou depuis la loi Faider ? Cependant M. Rogier a dit que la liberté de la presse est un droit absolu. Il faudrait presque autant de distinctions qu'il y a de pays où il existe une presse, presque autant de distinctions qu'il y a de lois sur la presse. Ce qui est liberté pour les uns, ne l'est pas du tout pour les autres. Voilà pourquoi Rome et les évêques se bornent à dire qu'aux yeux de la religion, la vérité est une, et qu'on ne peut pas approuver à la fois le pour et le contre.
Tel est le sens de l'encyclique, tel est le sens des mandements épiscopaux.
Si vous voulez me le permettre, je raconterai un fait qui s'est passé en 1832, lors de l'apparition de l'encyclique.
J'avais alors comme aujourd'hui l'homieur de faire partie de cette assemblée. Lorsque l'encyclique parut, elle répandit dans le public une certaine inquiétude, une certaine émotion. Quelques membres de cette Chambre en furent ébranlés. Je n'étais pas du nombre. Un seul de ces membres, qui est mort, crut devoir consulter l’autorité religieuse ; il s'adressa à l'évêque de Gand qui était alors Mgr. Vande Velde ; il crut en conscience qu'il ne lui était pas permis de continuer à faire partie du parlement belge. Mgr. Vande Velde, il me l'a dit lui-même, lui répondit qu'il s'agissait de principe religieux dans l'encyclique, et qu'elle ne s'appliquait pas à notre droit constitutionnel, que, dès lors il n'y avait aucune raison pour les membres catholiques du parlement belge de donner leur démission. Telle fut ta réponse de l’évêque de Gand qui me fut communiquée, à moi ainsi qu'à d'autres membres des Chambres.
Personne de nous ne donna sa démission, excepté l'ancien collègue dont je viens de parler ; il avait à cet égard une opinion particulière et c'est le cas de dire que l'exception confirme la règle.
Messieurs, on nous a dit que les prêtres qui vont à Rome y entendent condamner la distinction que j'ai établie tout à l'heure, et qu'on les oblige à la repousser.
Je suis un de ces prêtres qui se sont rendus à Rome et j'ai eu l'honneur d'avoir une audience du saint-père.
Je n'ai pas craint d'entretenir, avec tout le respect qui lui est dû, Sa Sainteté de nos affaires politiques et j'ai pu connaître par là son sentiment sur la Constitution belge. Cette révélation je pouvais me dispenser de la faire et je ne la ferais pas, si je n'y étais en quelque sorte forcé par la position où l'on m'a placé.
J'étais en présence de deux témoins que je nommerai, l'un était le fils de notre honorable collègue M. Desmaisières, et l'autre, M. le chanoine Labis, le neveu de Mgr l'évêque de Tournai.
Le pape, pour mieux préciser sa pensée, voulut bien nous demander avec cette bonté et cette affabilité qui le distinguent, à s'expliquer en italien. Il nous fit l'éloge le plus complet des institutions belges ; je me rappellerai toujours ses belles paroles, il nous dit : En Belgique, vous avez d'admirables institutions, vous avez une véritable liberté, non une liberté de nom, comme cela se voit ailleurs, mais une liberté de fait, une liberté réelle qui se traduit dans des résultats positifs.
On en a la preuve, ajouta-t-il, dans ces innombrables établissements qu'on a vus surgir comme par enchantement depuis 1830 en Belgique.
Ce sont les paroles de Sa Sainteté, je ne viens pas faire une révélation avec coup, ces paroles ont figuré en 1846 dans le Journal de Bruxelles.
Ce journal a donné la relation de l'audience dont je viens de parler. Il a rapporté la réponse de Sa Sainteté à peu près dans les termes que je viens de répéter. Je dois dire que la lettre adressée au journal n'était pas de moi
Il ne suffit pas, nous dit-on, de faire ces déclarations. Il faut protester contre les opinions contraires. Mais contre qui faut-il protester ! Est-ce contre l'Angleterre qui a les majorats, contre l'Angleterre qui n'accorde pas la liberté de conscience entière aux Israélites, car la proposition relative à cette question vient d'être rejetée de nouveau par la chambre des lords ?
(page 121) Faut-il protester contre l'Angleterre à cause de son banc des évêques à vie institué à la chambre haute ou à cause de son église officielle ? Faut-il protester contre les États-Unis, où l'on admet l'esclavage ; contre les Etats-Unis qui se disent plus avancés que nous parce qu’ils ont la république et protestent, eux, contre la monarchie ? Faut-il protester contre la Suisse qui a des opinions politiques semblables à celles des États-Unis ? Contre qui faut-il protester ? Ah, je crois qu'il s'agit d'un journal. C'est contre l'Univers qu'il faut protester. Eh bien, j'ai protesté contre ce journal ; mais je l'ai fait avec certaines formes. Quand on veut protester, il faut le faire de manière à ce que vos paroles aillent où elles doivent arriver.
Quand la réclamation doit se produire à l'étranger, on ne doit pas vouloir trancher la question de savoir jusqu'à quel point les institutions constitutionnelles lui sont applicables, comme elles le sont à la Belgique.
C'est ce que j'appelle les formes nécessaires pour que la protestation arrive à son adresse. Sans cela on parle dans le désert, et on se rend tout simplement ridicule.
J'ai eu l'honneur d'adresser une pareille protestation à l'Univers, j'ai obtenu l'insertion dans ce journal, j'ai atteint mon but.
Tout cela est bon pour le moment, dit-on, mais vous voulez changer la Constitution plus tard. Qu'y a-t-il à répondre à cela ? En vérité je ne le sais pas ; car enfin, si nous affirmons que telle n'est pas notre intention, nos adversaires ne nous croiront pas. Heureusement qu'il y en a d'autres qui nous écoutent. C'est à ceux-là, c'est au pays que nous nous adressons. La Constitution, disons-nous, est l'expression des besoins de la société belge, il ne peut pas être question d'y apporter le moindre changement.
À quoi servirait-il de décréter que la Constitution est de droit naturel, qu'elle est immuable, qu'elle appartient à ce droit absolu qui doit régir toutes les nations du monde ? On a dit la même chose à la première constituante française, ce qui n'a pas empêché la France de passer par dix révolutions qui ont enterré toutes ses constitutions les unes sur les autres. Restons dans les bornes de la vérité, disons que la Constitution est pour nous une arche sainte que nous y louons par le fond de nos entrailles, parce qu'elle est l'expression la plus vraie des besoins actuels et futurs de la nation belge, disons que ce serait un crime de lèse-patrie que d'y porter atteinte, que ce serait un parricide.
(page 103) M. Tesch. - A la séance de samedi dernier, M. le ministre de l'intérieur a cru devoir comprendre l'opinion libérale dans les reproches qu'il a adressés aux évêques de Gand et de Bruges et aux journaux qui les représentent. Je crois devoir répondre quelques mots en ce quî concerne l'opinion à laquelle j'appartiens.
M. le ministre de l'intérieur vous a dit que son programme était liberté et religion. Ce programme a un très grand avantage ; il séduit par ; l'éclat, la redondance des mots, mais il a le grand inconvénient d'être un non-sens s'il est employé comme une antithèse de la politique de l'opinion libérale.
Messieurs, l'opinion libérale siège depuis très longtemps comme opinion, comme parti, dans cette Chambre ; elle a été au pouvoir, quand elle en est sortie, ni nos libertés, ni la religion n'avaient reçu la moindre atteinte. Les libertés que la Constitution garantit à la Belgique étaient, après la sortie des libéraux du pouvoir, parfaitement intactes». El la religion, quelle est l'atteinte qu'elle a jamais reçue de notre part ? Il me semble que quand on accuse, on devrait au moins préciser ; c'est ce qu'on s'abstient de faire. On sait que si on devait citer un fait de cette nature à la charge de l'opinion libérale, on se trouverait dans l'impuissance la plus complète.
La Chambre, du reste, a déjà eu l'occasion de manifester sa manière de voir, et à différentes reprises sur ce point. Lorsque l'accusation de persécutions contre la religion a été lancée par le souverain pontife, la Chambre a été saisie de la question. Je demande si à cette époque l'opinion catholique, mise en demeure de s'expliquer, a pu citer une seule occasion où la moindre atteinte a été portée à la religion.
Je sais qu'à propos de la loi sur l'enseignement moyen, lorsqu'il s'est agi d'exécuter l'article 8 de cette loi, l'on nous a accusé d'être hostiles à la religion, mais la Chambre, par l'organe de la section centrale, a manifesté quelle était sa manière de voir ; la section centrale après avoir examiné toutes les pièces est venue déclarer que le gouvernement avait fait pour obtenir le concours du clergé dans l'enseignement moyen tout ce que sa dignité lui permettait de faire. C'est ce qu'on ne peut contester.
Mais un fait sur lequel l'attention du pays et de la Chambre doit se fixer nous a été révélé récemment. Il est de nature à éclairer ce qui s'est passé à cette époque.
Dans les négociations du gouvernerait avec l’épiscopat pour obtenir (page 104) le concours du clergé, dans l'enseignement moyen, jamais à cette époque l’épiscopat ne voulut faire connaître à quelles conditions ce concours serait prêté. Et cependant on continuait à accuser le gouvernement d'alors de ne pas vouloir de ce concours.
Aujourd'hui un fait analogue se révèle. On n'accuse plus le gouvernement, mais on accuse les conseils communaux, qui n'ont pas même été consultés, de soustraire volontairement à l'enseignement religieux les établissements qu'ils sont appelés à gouverner. La même accusation qu'on lançait autrefois contre le ministère libéral, on la reproduit contre les administrations communales, et la vérité est que ce ne sont pas ces administrations qui refusent l'accès du prêtre dans les établissements d'instruction moyenne, mais que c'est l'épiscopat qui refuse d'y envoyer le prêtre. Mais M. le ministre de l'intérieur parle la langue des poètes.
Liberté et religion. C'est la poésie des choses, j'allais dire de la politique. Mais à côté de la poésie, il y a la pratique, et je pense que M. le ministre de l'intérieur viendra bientôt à s'en convaincre. Et dans la pratique, il faut tenir compte des hommes, des faits, des institutions, de notre organisation politique. Et, dans la pratique, à quoi correspondent les mots de liberté et de religion ? A la société civile, à son indépendance, au pouvoir temporel, au corps du clergé constituant le pouvoir spirituel, mais notre Constitution a proclamé la séparation des pouvoirs ; elle a mis tous les cultes sur la même ligne. Je crois donc que le programme pratique, constitutionnel n'est pas précisément liberté et religion, mais que ce programme doit être : indépendance du pouvoir civil et bienveillance, appui pour tous les cultes sans distinction.
Or, ce programme a toujours été celui de l'opinion libérale. Il l'est encore et il le sera toujours. Ainsi, au fond, nos idées ne sont pas éloignées de celles de M. le ministre de l'intérieur. Mais notre programme est plus en harmonie avec la Constitution et indique beaucoup mieux les difficultés pratiques de son exécution.
Cependant nous sommes accusés d'intolérance, à quoi cela tient-il ?
Les institutions ne se meuvent pas par elles-mêmes, il faut des hommes. Ces hommes ont des prétentions, des ambitions, des passions, et ce sont des choses qu'à moins d'être aveugles l'on ne saurait méconnaître.
Il y a surtout un fait capital dont le ministre ne tient pas suffisamment compte, c'est l'intervention du clergé dans les élections. Voilà un fait, un fait capital et auquel, en présence de nos institutions surtout, il faut donner toute son importance. La Constitution a séparé le pouvoir civil du pouvoir religieux. Elle a voulu que la séparation fût sérieuse. Eh bien, je dis que, par l'intervention du clergé dans les élections, cette séparation n'est plus qu'illusoire. La puissance gouvernementale où prend-elle aujourd'hui sa source ?
Dans les élections. Et quand le clergé parvient, par son influence, à déterminer une majorité, je demande s'il y a encore séparation entre le pouvoir civil et la religion. C'est dans la réalité le clergé qui se saisit ainsi du pouvoir civil, et qui détruit la séparation établie par la Constitution.
Voilà ce dont il faut tenir compte, et surtout quand il se révèle une tendance semblable à celle dont nous sommes témoins, quand nous voyons condamner les libertés consacrées par la Constitution.
M. le chanoine de Haerne nous a parlé de sa conversation avec le saint-père qui témoignait de sa sympathie pour notre Constitution ; il nous a parlé de différents évêques qui étaient dans les mêmes sentiments. Mais il y a un document d'une date très récente, déjà cité dans cette discussion. Pourquoi donc M. de Haerne n'en a-t-il rien dit ? Il y a le mandement de l'évêque de Gand qui condamne de la manière la plus formelle la liberté de conscience cl qui rappelle bien aussi l'encyclique. Oui ou non, y a-t-il là quelque chose de contraire à la Constitution ?
On nous a dit qu'il ne fallait pas protester contre un journal, contre l’Univers. Mais ce journal n'a-t-il pas derrière lui l'épiscopat français, et quand, à Rome, on a eu à se prononcer entre ce journal et ses adversaires, pour qui s'est-on prononcé ?
Je le répète donc, quand de semblables tendances se produisent dans le clergé, c'est alors surtout que son intervention dans les élections est un danger, et cette intervention seule explique, justifie, légitime l'existence d'un parti libéral.
Mais la discussion actuelle, la position faite à M. le ministre de l'intérieur, n'est-ce pas la justification de l'opinion libérale ? M. le ministre de l'intérieur a pour programme liberté et religion ; et aussitôt qu'il veut mettre ce programme à exécution, on l'outrage de la manière la plus honteuse, la plus ignoble, et on lui signifie qu’il doit être exécute. Les journaux, et qui est derrière ces journaux.... (Interruption.)
Un membre. - On n'en sait rien.
M. Tesch. - Permettez. Le pays sait parfaitement bien qui est derrière la Patrie, le pays sait parfaitement bien qui est derrière le Bien public. Je n'ai pas besoin de mêler ici des noms... {Nouvelle interruption.)
Je n'entends pas les interruptions. Mais il me semble que tout le monde doit comprendre ; j'ai été assez clair, et je pense que M. le ministre de l'intérieur ne s'est pas mépris plus que moi sur la source des attaques dont il était l’objet. Eh bien, je dis que ce fait qu'alors que M. le ministre de l'intérieur veut mettre son programme a exécution, il trouve de redoutables adversaires là où il croyait ne compter que des amis ; ce fait justifie complètement la position que toujours l'opinion libérale, a eue dans cette chambre, justifie, confirme toutes ses méfiances ! Messieurs, on dit ici à côté de moi que M. le ministre a parlé de trois révolutions qui étaient le résultat de l'intolérance. Je ne sais pas si c'est à l'opinion libérale que M. le ministre a voulu faire allusion. Mais dans ce cas les exemples seraient très mal choisis en ce qui nous concerne.
Sous Philippe II, la révolution, que je sache, a été faite contre les libéraux de l'époque et ce sont bien les catholiques qui ont imposé leur joug aux libéraux.
Sous Joseph II, qu'est-il arrivé ? Sont-ce les libéraux qui ont tyrannisé les catholiques ?
M. Coomans. - Les libéraux ont violé les neuf Constitutions.
M. Tesch. - Mais si je ne me trompe, les libéraux de cette époque étaient vos auxiliaires ; et quand le lendemain de la victoire les libéraux sous le nom de Vonckistes, sont venus vous demander leur part de conquête, quand ils sont venus demander des institutions, qu'avez-vous dit ? Vous avez dit que si l'on en rencontrait un dans la rue, il ne fallait pas se donner la peine d'armer son fusil, qu'il fallait le tuer à coups de baïonnettes. Les Veuillot du temps, les abbés de Feller que disaient-ils ? Que la forme était de trop pour de semblables scélérats.
Voilà comment à cette époque les libéraux, que vous aviez eus pour auxiliaires la veille, étaient traités par vous.
M. Coomans. - Les libéraux étaient les keyserlics.
M. Tesch. - Les libéraux n'étaient pas des keyserlics, c'est des vonckistes qu'il s'agit.
M. Coomans. - C'est moi qui suis vonckiste.
M. Tesch. - Vous avez du bonheur d'être vonckiste en 1856, et vous ne l'auriez probablement pas dit en 1788.
M. Coomans.- Je l'ai dit il y a quinze ans.
M. Tesch. - C'est possible ; il n'y avait plus de danger alors.
Et la révolution de 1830, serait-ce à cette époque peut-être que les libéraux auraient tyrannisé les catholiques ? Mais encore une fois ils étaient vos auxiliaires. Une Constitution est intervenue depuis. Mais qui donc aujourd'hui la met en discussion ? Est-ce nous ? Evidemment pas. C'est au contraire le clergé qui vient de nouveau discuter les principes de cette Constitution ; c'est le clergé qui vient demander si les libertés qui y sont consacrées sont des libertés absolues ou des libertés relatives. L’opinion libérale, jusqu'à présent, a-t-elle mis jamais un seul de ces principes en discussion ? Jamais.
Que conclure de ce que je viens de dire ? C'est qu'à aucune époque l'opinion libérale du pays n'a opprimé l'opinion catholique ; c'est que toujours l'opinion catholique, au lendemain de la victoire, a opprimé l’opinion libérale, ou mis en discussion les principes qui avaient été admis d'un commun accord.
M. Dumortier. - Quand donc ? Citez un fait !
M. Tesch. - Je vous demande s'il y a des mandements et je vous demande ce que ces mandements disent ?
Un membre. - Sont-ils obligatoires pour ceux qui ne veulent pas s'y soumettre ?
M. Tesch. - Sont-ils obligatoires ? Non, ils ne sont pas obligatoires. Mais quand, au moyen des élections, vous serez parvenus à faire une majorité qui les désirera obligatoires, ce jour-là vous n'êtes pas sûrs que ces mandements ne seront pas rendus obligatoires.
J'aborde, messieurs, la discussion des points qui nous occupent plus spécialement.
Il s’agit des limites à imposer aux professeurs enseignants, des limites à imposer aux professeurs publiant.
Les limites de l'adresse, je ne saurais les accepter. J'avoue même que je ne les comprends pas.
Pour les professeurs enseignant, la liberté relative est limitée par la liberté de conscience des élèves ; je ne comprends pas comment le professeur ayant un rôle actif, ayant sa responsabilité, responsabilité vis-à-vis du gouvernement, vis-à-vis du public, vis-à-vis de l’élève même, vis-à-vis de sa conscience, peut être limité par la liberté d'élèves dont le rôle est tout à fait passif. Les positions sont tout à fait différentes, et vous ne sauriez par conséquent limiter une liberté par l'autre.
Mais dans tous les cas, pour que cette limite fût sérieuse pour le professeur, pour que votre programme fût une règle de conduite pour le professeur, que faudrait-il ? Qu'il connût exactement quelles sont les idées, quelles sont les opinions, quelle est, en un mot, la conscience de tous ses élèves.
Voulez-vous assujettir le professeur à aller scruter la conscience de tous ses élèves, à aller voir à quelle religion ils appartiennent ? Et quand il trouvent qu'ils appartiennent à des religions différentes, comment pourra s'appliquer la limite ? S'il y a dans le même cours des catholiques, des protestants, des juifs, quelle sera la limite pour le professeur ? Quelle sera la conscience qu'il ne froissera pas ? Le professeur ne parlera-t-il pas du christianisme, de crainte de blesser la conscience juive ? Le professeur ne parlera-t-il pas du protestantisme, n'en recherchera-t-il pas la cause, n'en expliquera-t-il pas les effets sur la civilisation moderne, de crainte de blesser la conscience catholique ? Et s'il s'abstient, que devient l'enseignement, que devient la science ? Cette limite, évidemment, n'est donc pas sérieuse.
Est-ce à dire qu'il n'y a pas de limites ? Telle n'est pas notre pensée. Mais ces limites ne peuvent pas être inscrites dans une adresse. Je n'admets point, par exemple, qu'un professeur aille battre les buissons pour en faire surgir des questions de dogme. Je n'admets pas qu'un (page 105) professeur de mathématiques s'occupe de questions de religion ; mais lorsque dans un cours une de ces questions se présente naturellement, d'une manière en quelque sorte inévitable, le professeur doit avoir toute sa liberté, sauf à ne pas aller faire ce que j'appellerai de la propagande contre les dogmes. C'est ensuite au gouvernement à apprécier, mais les règles d'appréciation il est impossible de les tracer dans une adresse.
Quant aux limites tracées au professeur publiant, limites tirées de l'intérêt de l'établissement, je puis les accepter bien moins encore. La théorie de l'intérêt, c'est la plus détestable de toutes, c'est la négation du droit et du devoir. Quand le gouvernement a à sévir, il ne doit pas se demander : « Ai-je intérêt à sévir ? » Mais il doit se demander : «Le professeur a-t-il démérité ou n'a-t-il pas démérité ? » La doctrine de l'intérêt, mais c'est la négation de la morale ; M. le ministre de l'intérieur n'y a pas suffisamment réfléchi, c'est une doctrine qu'il doit être le premier à proscrire. Il ne suffit pas de venir demander si l'Etat, si le gouvernement a intérêt à faire telle ou telle chose, il faut demander si le professeur contre lequel il s'agit d'exercer une répression a commis ou non un acte répréhensible ?
Avec la théorie de l'intérêt, les faits changeraient de nature selon les temps, selon les lieux, selon les individus même qui feraient les publications.
Ainsi, je suppose un professeur d'une capacité très médiocre se livrant à une publication ; mais il est très possible qu'il n'y eût aucune espèce d'inconvénient pour l'Etat, à se débarrasser de ce professeur. Je suppose, au contraire, une de ces lumières de la science, un de ces hommes dont la prospérité d'une université dépend ; il est bien certain que contre celui-là, avec votre théorie de l'intérêt, vous ne séviriez pas, car vous auriez plus d'intérêt à la conserver que vous n'en auriez à le déplacer.
Ainsi donc, messieurs, le même fait, selon les personnes, donnera lieu à des mesures différentes, et on arrivera à ceci, que ce que vous dites être des impiétés, seront le privilège du talent.
Cette théorie a déjà fait commettre à M. le ministre de l'intérieur une très grave inconséquence. Ainsi nous avons vu une décoration accordée à un professeur qui, dans sa chaire, avait émis des idées contre lesquelles nous voyons M. le ministre de l'intérieur s'élever lorsqu'elles sont, non pas professées, mais simplement publiées par un professeur de l'Etat.
Ainsi, M. Altmeyer a pu expliquer dans son cours ses idées sur la révélation d'une manière peu conforme au dogme catholique, d'une façon qui, certainement, n'a pas été acceptée par M. le ministre de l'intérieur ; il a pu déclarer la déchéance du papisme, il a pu insister sur la nécessité d'une révélation religieuse nouvelle, sur l'indispensable nécessité d'une nouvelle religion, et M. Altmeyer a été décoré. Et quand un autre professeur vient à heurter le culte catholique, non pas dans son cours mais dans son livre, on le blâme.
Encore une fois, en vertu de quel principe des mesures aussi contradictoires sont-elles prises ? Cela peut s'expliquer par la théorie de l'intérêt, mais évidemment cela ne s'explique par aucun principe moral.
Ainsi donc, messieurs, cette théorie de limiter la liberté du professeur enseignant par la liberté de l'élève, de limiter la liberté du professeur publiant par l'intérêt de l'établissement, cette théorie est complètement inacceptable. La seule chose admissible, c'est que le gouvernement doit rester libre appréciateur des faits posés par le professeur, comme la Chambre doit rester libre dans son appréciation des actes du gouvernement.
M. Dumortier. - Messieurs, d'où vient cette discussion si vive, si irritante, je dirai presque si passionnée, qui dure depuis quelques jours ? Elle vient d'un fait unique ; quelques professeurs de l'université de Gand se sont permis les attaques les plus violentes contre les principes fondamentaux de la religion catholique, professée par l'immense majorité des Belges, qu'ils prétendent renverser, voilà la cause de ces débats. Si ces professeurs avaient porté de semblables attaques contre la morale, certes, messieurs, il n'y aurait point ici de conflit ; l'honorable M. Frère-Orban vous l'a dit, il serait le premier à demander des mesures contre eux.
Si ces professeurs s'étaient permis des attaques contre les principes de la société, contre notre organisation sociale, s'ils avaient professé des doctrines tendant à bouleverser l'Etat, au point de vue politique, ils ne trouveraient point ici de défenseurs. M. Rogier vous en a donné la preuve lorsqu'il a destitué un professeur de Gand qui se trouvait dans ce cas. Il a renvoyé le professeur Huet pour ce motif.
Mais il s'agit d'attaques violentes contre les principes du christianisme.
Il s'agit de renverser la foi religieuse chez les élèves de l'université de Gand, et dès lors ces hommes indignes de la confiance publique trouvent ici des défenseurs ; on se livre aux accusations les plus graves, à un débordement de langage inouï contre les évêques, pour qui c'était non seulement un droit, mais un devoir, d'éclairer les catholiques sur cet enseignement pervers. Ne semble-t-il pas, d'après cela, qu'aux yeux de quelques membres de cette assemblée, on ne puisse pas, dans les universités de l'Etat, attaquer la morale, et c'est fort juste, qu'on ne puisse pas y attaquer nos institutions constitutionnelles, et c'est encore très juste, mats qu'il est permis de faire de ces universités des écoles destinées à renverser la religion des Belges, et de leurs professeurs salariés par nous, les organes d'une religion nouvelle, qui jetterait, tout au moins au point de vue de la société, une grande perturbation en Belgique ? Voilà pourtant la conséquence à tirer des doctrines professées ici par les organes du libéralisme.
Je vous avoue, messieurs, que je suis renversé, que je suis douloureusement affecté pour mon pays lorsque je vois prendre une pareille position à une partie de cette assemblée, à cette partie surtout qui se vante par la bouche de l'orateur que vous venez d'entendre d'être si favorable aux catholiques dans toutes les circonstances.
Quels débordements de langage ! Vous l'avez entendu, messieurs, un honorable membre, en parlant des mandements des évêques, a dit que c'était un grand et imprudent procès dirigé contre l'enseignement de l'Etat. Un autre a qualifié les mandements des évêques de violence, les a désignés comme des attaques injustes et exagérées, un autre encore après avoir dit que l'épiscopat n'avait point craint de se rendre coupable envers les universités de l'Etat, a eu l'air de demander que la justice fût saisie de l'affaire, comme s'il éprouvait un vif regret que la Constitution ait supprimé les appels comme d'abus.
En présence de ces violences de langage, je me demande qu'ont donc fait les évêques ? Quel est leur grand crime, pour qu'ils soient ainsi indignement traduits à la barre devant cette Chambre ? Leur grand crime c'est, ô scélératesse ! d'avoir, non seulement exercé un droit, mais rempli un devoir. Etablis pour conserver la foi religieuse du pays, pouvaient-ils laisser ainsi saper par sa base le dogme dont ils sont les défenseurs, sans chercher à éclairer ceux qui croient dans ce dogme sur le danger que présente une pareille instruction ?
Voilà le grand crime des évêques à vos yeux, voilà pourquoi vous les traînez ici à votre barre, violant ainsi le principe le plus sacré de la liberté des cultes.
Les professeurs ne sont donc pas libres d'enseigner des doctrines qui peuvent renverser la Constitution ; ils ne pourront prêcher ni la république, ni les principes socialistes ; je le reconnais, et je suis d'accord sur ces points avec mes honorables adversaires ; mais les professeurs pourront-ils impunément sortir du cadre de leurs cours, pour se livrer à un vagabondage d'esprit, et vouloir renverser par sa base la religion, professée par la presque unanimité des habitants du pays ? Telle est la question, placée sur son véritable terrain.
Eh bien, je me demande si la morale religieuse qui, en Belgique surtout, est une des bases essentielles de la société, doit nous être moins chère à nous législateurs, que les autres bases indiquées par nos honorables adversaires et sur lesquelles je suis complètement d'accord avec eux. Je dis que, si vous voulez constituer un Etat qui soit durable,, le passé vous répond de l'avenir, il faut interdire aux professeurs de s'occuper de ces matières qui ne sont pas de leur domaine.
Quand vous avez fondé les universités, avez-vous créé des cours de théologie ? Mais non ; vous ne l'avez pas voulu, et vous avez bien fait, telle n’est point la mission de l'Etat. Comment, après cela, pourriez-vous tolérer que certains professeurs transforment, qui un cours de droit, qui un cours de philosophie, qui peut-être un cours de mathématiques, en un cours d'antithéologie, dans le but de détruire la religion du peuple ? Pouvez-vous admettre que des professeurs, chargés par l'Etat d'une mission sociale, profitent du mandat qu'ils tiennent de la confiance de l'Etat, pour jeter le trouble dans la société ? Pour, mon compte, je ne puis y consentir à aucun point de vue. (Interruption.)
Oui, ces professeurs jettent le trouble dans la société, et c'est ce trouble que tout législateur doit nécessairement empêcher.
On parle de la liberté du professeur, on parle de la science, comme si on avait à soi seul la science, science fort équivoque à mes yeux. Je me suis occupé un peu de science, vous le savez, messieurs, et certes ce n'est pas moi qui viendrai contester aux professeurs le droit de s'adresser librement à la science ; je veux pour le professeur une liberté extrême, mais la liberté dans la science, et non pas en dehors de la science.
Que le professeur développe la science autant que le lui permet son intelligence, je serai le premier à y applaudir ; mais je ne veux pas que, sous le manteau de la liberté dans la science, on se fasse le destructeur de la foi des familles, le prédicateur d'une nouvelle religion, qu'on s'en fasse le prédicateur aux dépens des deniers publics. Si un professeur des universités de l’Etat veut se donner la satisfaction de jouer ce rôle, qu'il reprenne sa liberté, qu'il dépose son mandat de fonctionnaire de l'Etat, et qu'il ne demande rien aux deniers publics.
Pour ma part, je ne trouve pas mauvais que l'université de Bruxelles se soit déclarée l'antithèse du catholicisme et qu'elle oppose mandement à mandement ; c'est le régime de la liberté et j'aime les positions franches ; mais aussi les professeurs de l'université de Bruxelles ont le bon esprit de ne rien demander aux deniers publics pour professer leurs doctrines.
Je le répète, si des professeurs des universités de l'Etat veulent se lancer dans la même carrière, rien ne leur est plus facile : ils n'ont qu'à reconquérir leur liberté, à cesser d'être fonctionnaires publics.
En effet, qu'est-ce qu'un professeur ? C'est un fonctionnaire public, chargé par l’Etat d'une mission sociale. A titre de fonctionnaire public, le professeur est responsable comme tous fonctionnaires de l'État ; il est responsable de la mission sociale qui lui est confiée, comme un receveur des deniers publics est responsable de sa recette, et cette responsabilité est d'autant moins contestable, que la mission sociale qui lui est confiée a pour but de concourir à l'agrandissement de la patrie et non d'y jeter le trouble et la perturbation.
(page 106) Je sais bien qu'où viendra m'opposer qu'en 1835, il y a plus de vingt ans, j'ai proposé à la Chambre de rendre les professeurs irrévocables ; on ne manquera pas de dire que je suis en contradiction avec mes précédents. En fût-il ainsi, je n'en serais guère embarrassé. Je n'ai pas, comme certains d'entre vous, des prétentions à l'infaillibilité ; je ne me regarde pas du tout comme infaillible ; je ne crois pas que les hommes politiques doivent être comme des bornes posées le long des routes et qui indiquent à ceux qui les suivent le chemin qu'ils ont parcouru.
Mais la Chambre n'admit pas le système de l'irrévocabilité des professeurs et je m'en félicite, et pourquoi ? C'est qu'à cette époque personne n'eût pu penser que des fonctionnaires de l'État se fussent permis de telles divagations. Je pouvais donc répondre ce que répondit le législateur d'Athènes, quand on lui demanda pourquoi il n'avait pas comminé de peines contre le parricide : « Je ne devais pas prévoir, dit-il, qu'un citoyen se rendrait jamais coupable d'un pareil crime. » Moi, à mon tour, je pouvais répondre que je ne devais pas prévoir, en 1835, qu'un professeur se rendrait jamais coupable des atteintes à la religion qui ont signalé ces dernières années.
Maintenant un professeur, agent responsable, chargé d'une mission sociale, doit-il, oui ou non, remplir la mission qui lui est confiée ?
L'Etat lui donne-t-il le mandat de chercher à renverser la foi des familles pour se faire le créateur d'une religion nouvelle ? Evidemment non ; que le professeur reste dans la science, qu'il n'en sorte pas, qu'il se borne à l'objet de son cours, qu'il laisse de côté les grandes questions politiques. Nous n'avons pas créé des chaires pour lesquelles nous n'avons pas vote des fonds dans le budget de l'Etat.
Je sais que plusieurs honorables membres ont prétendu qu'il était impossible de faire de la science sans contrarier les dogmes religieux. C'est évidemment un système comme un autre ; c'est surtout le système des demi-savants, de ces hommes à qui une demi-science s'allie à un plein orgueil.
Mais il m'est permis de dire que les honorables membres qui ont émis cette opinion ne sont pas fort au courant de ce qui touche à la matière des dogmes catholiques ; n'avez-vous pas entendu un d'entre eux soutenir que la géologie était contraire au dogme chrétien, elle qui en est la confirmation la plus authentique ? N'avons-nous pas entendu dire que l'obligation de payer la dîme est inscrite dans le catéchisme ? Ah ! vous ne l'avez pas lu ce catéchisme que vous invoquez ici ! Voilà l'exactitude des renseignements que ces honorables membres nous donnent en cette matière ! Voilà les grands docteurs en théologie que nous avons entendus !
Maintenant, voici ce que je suis forcé de vous dire, puisque vous l'ignorez, c'est qu'il existe en matière de dogme catholique un grand principe, dont l'Eglise n'a jamais dévié, principe qui ne doit effaroucher personne et qui doit satisfaire tout le monde. Ce principe est celui-ci : In necessariis unitas, in dubiis libertas. Voilà la maxime catholique ; elle répond à toutes vos vaines accusations.
Nous ne demandons qu'une chose, et plusieurs d'entre nos honorables adversaires le demandent avec nous ; nous demandons que dans les questions qui touchent an dogme, le professeur n'ait pas le droit de venir violenter la foi des élèves qui se trouvent vis-à-vis de lui. La liberté est le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits des tiers. Depuis quand donc le professeur, sortant du droit commun, a-t-il acquis le pouvoir de violenter le droit des pères de famille, le droit des élèves qui lui sont confiés ? Une pareille doctrine est la destruction du premier principe de ta liberté.
J'ai entendu un honorable adversaire, qui m'a précédé, dire que le professorat est un sacerdoce, il y a du vrai dans cet axiome.
Mais si le professorat est un sacerdoce, est-ce qu'il lui est permis de souiller son hermine, de donner l'exemple du désordre, de détruire la paix publique en enseignant des doctrines de nature à jeter le trouble et la perturbation dans le pays ? Car tout ce qui s'est passé, tous les désordres dont nous avons été témoins, n'auraient pas eu lieu si les professeurs dont il s'agit ne s'étaient pas jetés dans les excès qui vous ont été dénoncés.
Dans les anciennes universités il y avait des professeurs qui ne le cédaient en rien à ceux d'aujourd'hui ; eh bien, les difficultés qui nous occupent ne se produisaient pas ; c'est qu'on ne déviait pas de la science ; on enseignait la science, mais on n'entrait pas dans toutes ces divagations théologiques.
Voyez l'université de Liège ! Est-ce que vous voyez le dogme catholique attaqué à l'université de Liège ? (Interruption.)
M. de Brouckere. - Elle aura son tour.
M. Dumortier. - Là on respecte le dogme, et l'université grandit. Prenez le tableau qui vient de nous être distribué à l'instant même et vous verrez le résultat des doctrines professées dans les diverses universités.
Ce tableau est lui-même un enseignement pour nous. Dans ce tableau je trouve que le nombre des élèves nouveaux inscrits à l'université de Liège est de 19, tandis qu'à l'université de Gand où l'on se permet de pareils écarts, ce nombre n'est que de 11 ; un seul pour la philosophie, six pour le droit, quatre pour la médecine.
Voilà ce qu'on gagne en voulant violenter les croyances publiques ; on fait déserter un établissement pour soutenir le système de détruire la religion de la majorité au moyeu de l’enseignement des universités de l'Etat.
Ah ! si un pareil système pouvait prévaloir, je ne venais qu'un seul remède à pareil mal, qu'un seul moyen de parer au danger que vous auriez préparé à la société ; ce serait la suppression des universités de l’Etat, en disant aux pères de famille de choisir entre l'université libérale cl l'université catholique.
M. Lesoinne. - Faites-le ; ces choses-là, on ne les dit pas ; on les fait.
M. Dumortier. - Mais nous ne sommes pas réduits à cette extrémité ; la raison, le bon sens prévaudront contre vos doctrines. Les deniers publics ne serviront plus à jeter, dans un intérêt de parti, la perturbation dans le pays et l'enseignement rentrera dans ses limites. On enseignera la science et on n'en sortira plus pour faire de la théologie fausse, pour établir à Gand un collège philosophique chargé de décatholiser les Flandres pour les libéraliser.
L'orateur qui vient de se rasseoir a prétendu argumenter de ce qu'il appelle la séparation des cultes pour arriver à donner aux professeurs salariés par l'Etal le droit de chercher à renverser la foi des familles, et il a condamné l'intervention du clergé dans les élections. Ce sont là des crimes ! Il était naturel que quand on présentait les évêques sous de si odieuses couleurs alors qu'il n'avaient fait que remplir un devoir, on fît au clergé un grief d'intervenir dans les élections. Mais tout ce qui se passe ici n'est qu'un encouragement de plus qu'on leur donne pour entrer dans les luttes électorales.
Quand on voit des membres de cette Chambre professer cette maxime qu'il est permis dans les universités de l'État de chercher à ruiner la religion, en donnant un enseignement destiné à détruire la foi catholique ;, n'est-ce pas encourager le clergé à s'occuper des élections pour faire arriver dans cette enceinte des hommes qui, fidèles à leurs convictions, viennent vous arrêter dans vos écarts ? Ah ! vous aimeriez mieux, sans doute, tuer vos adversaires sans les laisser crier ; vous voudriez réduire notre opinion au silence ; mais cette pensée parricide ne s'accomplira pas ; nous sommes en Belgique. On ne vous permettra pas d'aller jusque-là, jusqu'au point de dénier au clergé l'exercice de ses droits constitutionnels pour d'autant mieux immoler la victime. Séparation de l'Eglise d'avec l'Etat ? Mais est-ce là donc ce qu'a fait la Constitution ?
Le congrès sorti de l'union a-t-il voulu cette séparation haineuse, un divorce entre l'Eglise et l'Etat ? Ah ! ne calomniez pas le congrès ; telle ire fut jamais sa pensée. Ce qu'il a fait le voici : la Constitution a émancipé les cultes ; elle leur a donné plus que les bienfaits du pouvoir, elle leur a donné la liberté pour faire contourner toutes les forces vives de la nation au profit de sa prospérité ; elle n'a pas prononcé une séparation dans le sens juridique du mot, mais une émancipation religieuse ; loin d’interdire aux catholiques de s'occuper des affaires publiques, elle leur a fait appel pour qu'ils s'en occupassent dans les circonstances dangereuses, afin que toutes les forces vives de la société vinssent concourir à sou bien-être.
Faites appel à vos souvenirs ; quand, en 1848, l'Etat s'est trouvé en péril, vous saviez, vous proclamiez que l'opinion conservatrice était le plus ferme appui de la nationalité, et vous avez toujours compté sur la loyauté de cette opinion pour vous venir en aide dans les moments difficiles, dans les moments de danger. N'attaquez donc pas cette grande opinion du pays, elle défie vos injures, elle dédaigne vos attaques. Et pourtant nous avons entendu dans cette discussion des maximes odieuses prononcées contre nous.
J’ai entendu un orateur dire qu'il était impossible à un catholique d'approuver la Constitution. J'ai entendu le même orateur nous dire que le catholicisme était inconciliable avec les institutions nouvelles, que l'esprit qui règne dans les écoles et l'université catholique était hostile à la Constitution, qu'il y a une vaste conspiration dirigée contre nos institutions.
Voilà ce qu'on ose avancer dans le temple des lois, au sein de l'assemblée législative ; c'est à une grande partie de la nation qu'on lance l’épithète de parjure.
Messieurs, il y a 25 ans que, pour la première fois, j'ai mis le pied dans cette enceinte. Le président m'a dit : Vous allez prêter serment à la Constitution. Je me suis levé et j'ai dit : Je jure fidélité à la Constitution. Ah ! je ne m'attendais pas que vingt-cinq ans plus tard un député entré ici d'hier, serait venu me traiter de parjure !
Vous qui parlez, dites-nous, quelles sont les preuves que vous avez faites ? Je vais le dire : vous savez, messieurs, de toutes les libertés publiques, la plus chère à la Belgique, celle qui a jeté les racines les plus profondes dans ce pays, c'est la liberté communale. Il y a quatre ans, je proposai de rendre aux communes la nomination de leurs bourgmestres et échevins.
Que s'est-il passé dans cette circonstance ? Vous, les prétendus amis de la liberté, vous avez étouffé ma proposition.
Vous n'avez pas même voulu qu'elle fût examinée ; vous avez par un vote brutal refusé de la prendre en considération, il ne s'est trouvé sur vos bancs que deux membres, MM de Perceval et Delfosse qui ont voté pour la prise en considération. Voilà votre amour pour la liberté ! Tandis que du côté de ces hommes que vous accusez d'être les ennemis de la liberté, tous mes amis politiques ont voté pour la prise en considération. Où est donc de vous ou de nous, ce parti qui veut la liberté ? Et de quel droit venez-vous nous accuser de ne pas être attaché à la liberté, nous qui la voulons malgré vous, vous qui la repoussez, qui ne voulez même pas qu'elle soit examinée.
Nous les ennemis de la Constitution ! mais nous n'avons pas attendu après vous pour donner des gages à la patrie ! Qui donc a provoqué par (page 107) le pétitionnement la chute du gouvernement despotique de Guillaume ? n'est-ce pas le grand parti catholique ? qui donc, dans le sein du congrès a voté ces libertés, cette Constitution contre laquelle, vous nous accusez de conspirer ? n'est-ce pas le parti catholique qui formait plus des trois quarts du Congrès ? Ah ! il y eut alors des conspirateurs, comme il y en eut en 1848, mais ces conspirateurs n'étaient pas dans nos rangs.
Mais, dit-on, des journaux ont professé des doctrines contraires à nos constitutions, et vous ne les avez pas répudiées. Sans examiner ce qu'il y a de faux et d'odieux dans cette accusation lancée contre la presse catholique, depuis quand sommes-nous ici pour répudier les doctrines de la presse, en supposant, ce que je n'admets pas, que la presse qui représente notre opinion ait professé des doctrines condamnables ?
Je pourrais retourner la question, et vous demander pourquoi depuis dix ans vous n'avez pas protesté contre les abus de la presse libérale.
Des journaux qui vous soutiennent ont professé des doctrines violentes, inconstitutionnelles ; vous ne les avez pas répudiées. Quand un journal a dit qu'il fallait nous abattre révolutionnairement, avez-vous protesté ? Vous ne l'avez pas fait, vous qui nous accusez de ne pas protester aujourd'hui ; et quand, dernièrement encore, des journaux démocratiques qui vous soutiennent, ont dépassé toutes les bornes par la violence de leur langage, avez-vous protesté ? Vous ne l'avez pas fait, et vous appelez nos protestations !
Mais ce n'est pas tout ; il y a une chose plus solennelle. Avez-vous protesté quand M. Bourlard, dans une assemblée célèbre, a fait un appel à la force contre nous ? Admettez-vous ce langage ? Répondez ! Vous ne répondez pas ; vous ne protestez pas, et vous voulez que nous protestions.
Admettez-vous les principes qu'un écrivain, auquel vous avez voté des récompenses, M. Eugène Sue, professe dans un journal ? Les admettez-vous ? (Interruption.)
Vous ne répondez pas ; vous aimez mieux, ce qui est en effet beaucoup plus facile, nous accuser et rire quand on vous renvoie avec succès l'accusation impie que vous nous lancez, quand on arrache le masque qui vous couvre.
Messieurs, toutes ces luttes, pour qui aime la patrie, sont déplorables, sont pénibles au point de vue de notre nationalité. La Belgique, dans sa situation au milieu de l'Europe, n'a réellement de raison d'être que par l'alliance de la foi à la liberté. C'est la foi qui nous a séparés du Nord, c'est la liberté qui nous sépare du Midi.
A quelque époque que ce soit de notre histoire, là a été notre force ; c'est sa raison d'être en Europe, c'est cette alliance qui nous a fait traverser les siècles et vous êtes vraiment les ennemis du pays, quand vous sapez la foi de la Belgique, qui est un des principaux éléments de sa nationalité. Ne tolérez donc pas que dans les établissements d'instruction dirigés par l'Etat on professe des doctrines qui jettent la division dans le pays et qui détruisent ainsi ce qui fait notre force et noire nationalité, cette union à laquelle vous devez recourir toutes les fois qu'il y a du danger.
Un honorable membre nous a dit qu'il ne nous convenait pas d'avoir l'article 16 de la Constitution qui proclame la liberté des cultes, que nous ne voulions pas de la liberté des cultes. Mais qui donc au Congrès ne voulait pas de la liberté des cultes ? Qui s'y est opposé ? Un de vos plus ardents et de vos plus habiles défenseurs, M. Defacqz, qui disait que l'Etat devait primer, absorber le principe religieux. Il ne voulait pas, lui que vous avez mis à votre tête, de la liberté des cultes parce qu'il savait que c'était avant tout la liberté du culte catholique.
Les catholiques la voulaient comme ils la veulent encore ; ce sont eux qui ont fait rejeter la motion de M. Defacqz, qui ont fait inscrire dans la Constitution cette liberté qui, dites-vous, nous gêne aujourd'hui.
Et pourquoi ? La raison en est bien simple. Dans tous les pays, la liberté de faire le mal existe, mais par la liberté des cultes nous avons obtenu celle de faire le bien et nous en avons profité. Voyez toutes les institutions religieuses que nous avons fondées. Ces institutions, objet de votre colère, à qui les devons-nous ? A la liberté, parce qu'à côté de la liberté de faite le mal, qui existe partout, nous avons, nous, la liberté de faire le bien.
C'est là ce qui fait notre force, c'est cela, c'est que nous voulons la liberté pour tous, tandis que vous la voulez pour vous seuls. Vous prendriez volontiers pour devise : Liberté en tout... et pour nous !
Messieurs, la Belgique a passé par assez d'expériences pour ne pas lancer la patrie dans une série d'expériences nouvelles. On a parlé des événements révolutionnaires dont notre pays a été le théâtre. Eh bien, ces révolutions ont eu leur origine et leur dénouement dans les questions religieuses. La révolution du XVIème siècle a eu pour point de départ la question religieuse.
Ce sont les catholiques d'abord qui ne voulaient pas de l'inquisition que le Portugal avait établie comme mesure politique, et malgré les papes et qui fut toujours une arme politique.
Sous Philippe II et le duc d'Albe, il en a été de même. Qui donc a fait tomber le duc d'Albe d'odieuse mémoire, qui donc a amené la chute du tyran ? Ce sont, vous l'ignorez sans doute, les catholiques, ce sont les docteurs de la faculté de théologie de l'université de Louvain. Ce sont eux qui, par leurs réclamations à Philippe II, ont fait tomber cet odieux personnage, dont le nom sera toujours voué à l'exécration du pays. C'est cette université que vous attaquez comme hostile au pays, qui a déclaré à Philippe II, que Dieu punissait dans leurs descendants les rois qui faisaient le malheur des peuples qui leur étaient confiés, menaçant ainsi, dans un noble et énergique langage, la royauté elle-même pour sauver la patrie.
La pacification de Gand, quelle a été sa base ? Le principe de la liberté religieuse.
C'était celui du pays. Mais quand le fanatisme protestant, provoqué par Ambroise Witte et Taffin, les agents du prince d'Orange, menaça de nouveau le pays, quand l'union d’Utrecht a eu lieu, quand les protestants ne voulurent de cette liberté que pour eux seuls, la Belgique s'est révoltée, et le parti des malcontents, qui étaient les catholiques, a conservé la Belgique.
Vous parlez de la révolution brabançonne. Cette révolution est digne de tous nos éloges. C'était un grand effort tenté vers la renaissance de notre nationalité, vers la constitution d'une Belgique indépendante. Maïs je reconnais que dans cette révolution les deux partis ne se sont mis d'accord que pour combattre. Le lendemain de la victoire, comme aujourd'hui, est survenue une division à jamais fatale au pays.
Les uns, les libéraux, voulaient bouleverser les institutions séculaires au nom desquelles la Belgique avait fait une révolution, et chassé l'étranger de son territoire ; car la Belgique avait fait une révolution pour conserver ses institutions que Joseph II avait renversées. Toutes les libertés s'enchaînent ; après avoir établi, comme vous voudriez le faire à Gand, un collège philosophique, Joseph II avait entrepris de détruire nos institutions. Les états de toutes nos provinces résistèrent à ce despotisme. Alors Joseph II avait fait chasser de l'enceinte où nous siégeons, les états de Brabant, il les avait fait expulser par ses soldats.
C'est ici, c'est dans cette enceinte même que les braves Brabançons ont montré cet énergique caractère, cette fierté, cette noblesse qui jamais ne leur ont fait défaut. Les états avaient été expulsés par les soldats de Joseph II. La force et la violence brutale avaient été employées contre la représentation nationale. La révolution éclata ; elle se fit au nom des institutions, et le sol de la patrie fut purgé des pas de l'étranger.
Mais ensuite que s'est-il passé ? Une division fatale eut lieu parmi les hommes qui avaient contribué à défendre la nation, et ce fut le malheur de la Belgique. Un parti voulait ne pas respecter les bases politiques et religieuses au nom desquelles la révolution s'était faite. Ils ne voulaient pas de ces bases comme quelques-uns aujourd'hui ne veulent plus des bases qui ont servi à notre émancipation politique. Ce parti fut vaincu par la majorité du pays.
Je n'examine pas si quelques écrivains ont émis des doctrines que je ne puis approuver. J'examine la marche des événements. Qu'est-il alors avenu ? Ce parti libéral qu'on vient de citer, qui avait fomenté la discorde en Belgique, s'est réfugié en France ; il s'est fait étranger plutôt que de ne pas voir ses idées triompher, et il est venu envahir, à la tête de l'étranger, le sol sacré de la patrie.
M. Orts. - Ce sont les catholiques qui ont ramené les Espagnols.
M. Dumortier. - Oui, les Etats d'Artois ont rappelé les Espagnols. Mais pourquoi ? Parce que les protestants voulaient écraser les catholiques et détruire la religion du pays. Avez-vous donc oublié les odieux désastres de cette époque, les affreux scandales du fanatisme et de la barbarie ; nos temples pillés et dévastés, les documents de notre histoire, les magnifiques tableaux, les admirables sculptures qui ornaient nos basiliques et qui étaient les feuillets de l'histoire des arts, détruits sous le marteau du vandalisme ; nos chartes lacérées et bradées par les huguenots ; nos prêtres martyrisés dans les tourments les plus atroces, et tout cela au nom de la liberté ?
Les Belges ne pouvaient pas supporter d'aussi odieux sacrifices et quand ils se virent exposés au retour d'aussi grands maux, ils furent réduits à cette nécessité terrible de regarder comme un bonheur le malheur de retomber sous le joug des Espagnols. Que ce soit pour vous un grand exemple.
Mais voyons la révolution de 1830. Plusieurs d'entre nous, messieurs, ont pris une part très grande à cette révolution. Quel a été le but que nous nous sommes proposé et que se sont proposé les hommes qui ont figuré d'une manière si remarquable dans ces événements ? L'alliance de la foi et de la liberté. Car l'opinion des catholiques et des libéraux n'était autre que cette alliance ; c'était la raison d'être de l'union. Nous avons réussi ; la Providence nous a servis au-delà de nos vœux. Nous avons constitué trois choses : une Constitution, une nationalité, une monarchie, et nous venons de célébrer la vingt-cinquième année de l'existence de cette monarchie.
Faut-il donc, comme au XVIème siècle, comme sous Joseph If, donner le triste et déplorable exemple d'un pays qui se divise et qui se divise sur les questions les plus palpitantes, sur les questions qui sont du for intérieur de l'homme et qui compromettent au plus haut degré l'existence nationale ? Faut-il retomber dans les fautes qui ont amené de si grands désastres, qui ont fait échouer et la révolution brabançonne et la révolution du XVIème siècle ? Soyons plus sages, messieurs. Unissons-nous tous pour sauver la patrie, condamnons ces professeurs qui viennent jeter le trouble et la perturbation dans le pays, et rappelons-nous toujours que la Belgique n'a qu'une raison d'être en Europe, l'alliance de la fol et de la liberté.
M. Malou. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût bien compléter les renseignements qu'il nous a fournis en nous donnant le nombre des (page 108) élèves qui, dans chaque établissement de l'Etat, jouissent de bourses, soit de l'Etat, soit de la province, soit de la commune.
M. Thiéfry. - Je demande que l’on nous fournisse les mêmes renseignements pour l'université de Louvain.
M. Malou. - Oui, si c'est possible.
M. Orts. - Je compléterai la demande de renseignements qui est faite aujourd'hui comme j'ai complété la demande faite samedi. Je prierai M. le ministre de s'adresser aux universités de Louvain et de Bruxelles pour savoir combien il y a de bourses dans chacun de ces établissements.
Mi. - Je m'engage volontiers à demander ces renseignements. Mais je ne puis forcer aucune administration indépendante du gouvernement à les fournir.
- La séance est levée à cinq heures.