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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 mai 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, sessio 1855/1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1357) M. de Perceval procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Perceval présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Isidore Dubois, batelier à Hollain, né à Avelghem, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Baelen prie la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Herenthals par Venloo ou Maeseyck vers Düsseldorf. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemins de fer.


« Des industriels et négociants de la vallée de la Sambre demandent la construction d'un chemin de fer de Tamines à Landen par Fleurus. »

M. Wasseige. - Messieurs, la pétition qui vous est adressée des bords de la Sambre a une importance incontestable. Un chemin de fer a été concédé, dès 1854, de Tamines à Landen ; la société concessionnaire n'a pas, jusqu'à ce jour, exécuté ses engagements, et depuis le 10 février dernier, la déchéance pourrait être prononcée à sa charge, et son cautionnement confisqué ; les pétitionnaires réclament donc avec toute justice ou la construction immédiate du chemin de fer concédé ou la déchéance de la société concessionnaire, afin de permettre à une société nouvelle de se présenter pour exécuter une voie de communication dont l'utilité a déjà été reconnue par la législature, et dont ils ne peuvent être privés plus longtemps sans un véritable déni de justice. Je demande donc le renvoi de la pétition à la section centrale qui a été chargée de l'examen de plusieurs concessions de chemins de fer, en la priant de faire connaître le plus tôt possible son opinion sur cet objet.

M. Lelièvre. - J'appuie les observations de l'honorable M. Wasseige. La compagnie à laquelle la concession avait été accordée a encouru la déchéance. D'un autre côté, il se présente une autre société qui, par la construction d'un chemin de fer partant de Jemeppe-sur-Sambre, est prête à remplir les obligations incombant à la société qui est en défaut de satisfaire au cahier des charges qu'elle avait accepté.

En cet état de choses, il est urgent de prendre une résolution sur cette importante affaire. Je demande que le gouvernement veuille bien sans délai s'en occuper.

- La proposition de M. Wasseige est adoptée.


« Un grand nombre d'habitants de Dinant prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Namur à Dinant et de Dinant à la frontière de France. »

M. Thibaut. - Cette pétition vient confirmer celle du conseil communal de la ville de Dinant qui a été analysée dans une des séances précédentes et sur laquelle l'honorable M. Coomans, rapporteur de la section centrale, qui a examiné le projet de loi portant concession de plusieurs chemins de fer, vous a fait un rapport favorable dans la séance d'hier.

Je demande, outre le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de concession, le renvoi à M. le ministre des travaux publics après la discussion.

M. Lelièvre. - La pétition dont nous nous occupons se rattache à une autre réclamation dont nous nous sommes déjà occupés.

Dans la séance d'hier, la Chambre a renvoyé à M. le ministre des travaux publics, avec demande d'explications, une pétition du conseil communal de Dinant qui tend à faire autoriser le gouvernement à concéder une ligne de chemin de fer de Namur à Dinant.

Cette réclamation est fondée sur des motifs dont il est impossible de méconnaître la justesse.

Je demande que M. le ministre des travaux publics veuille bien donner le plus tôt possible les explications qui lui ont été demandées. Cet objet est urgent, et il est essentiel de connaître sans délai la détermination à laquelle s'est arrêté le gouvernement.

M. de Liedekerke. - Je me joins aux honorables préopinams pour appuyer la pétition des habitants de Dinant, et en demander le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs chemins de fer.

- La proposition de M. Thibaut est adoptée.


« Les sieurs Lonhienne demandent la concession d'un chemin de fer de Liège à Givet par la vallée de l'Ourlhe et rencontrant le chemin de fer du Luxembourg. »

M. Lesoinne. - Une pétition dans ce sens a déjà été renvoyée à la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la concession de plusieurs chemins de fer. Je demande que cette requête lui soit également renvoyée.

- Cette proposition est adoptée.


« Des habitants de Tongerloo demandent que le chemin de fer de Louvain vers Herenthals passe entre Westerloo et Zoerleparwys, ou bien que la ligne de Malines à Heyst-op-den-Berg soit prolongée jusqu'à Gheel. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs chemins de fer.


« Le sieur Noël, cultivateur à Secheval, demande la révision d'un procès civil. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« La députation permanente du conseil provincial d'Anvers présente des observations sur le projet de loi concernant un crédit de 500,000 fr. au département des travaux publics. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen de ce projet de loi.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1856

Second vote

Articles 2, 7 et 60

Les articles 2, 7 et 60, amendés au premier vote, sont définitivement adoptés.

Article 76

M. le président. - « Art. 76. Traitements et indemnités des fonctionnaires et employés (service en général ; chemin de fer et télégraphes) : fr. 28,550.

Le gouvernement avait demandé 69,000 fr.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, je n'ai pas l'intention de demander à la Chambre de revenir sur le vote qu'elle a émis sur cette question.

Le chiffre primitivement demandé comprenait 28,550 francs pour le service tel qu'il se trouvait organisé les années précédentes ; 3,000 fr. qui avaient été votés comme crédit supplémentaire dans le courant de décembre dernier ; 37,450 francs pour l'organisation de la comptabilité matière.

A la suite d'une discussion, la Chambre a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'augmenter de ces 37,450 francs les allocations précédentes, que le gouvernement devait tâcher, au moyen des fonctionnaires actuellement en position de non-activité, d'organiser le service nouveau et qu'il devait se renfermer dans les crédits votés précédemment.

Conformément à cette décision, il me semble qu'il y a lieu pour la Chambre d'accorder au gouvernemen ce qui lui a été accordé pour les exercices précédents, c'est-à-dire non seulement la somme de 28,550 fr., mais encore celle de 5,000 fr. qu'il a obtenue par crédit supplémentaire, de manière que le chiffre total soit de 31,550 francs.

Ceci n'étant qu'une erreur de chiffre, la section centrale n'ayant proposé de réduire le chiffre proposé que de 37,450 francs, j'espère que la Chambre voudra bien faire droit à ma demande et porter le chiffre a 31,550 francs.

- Le chiffre de 31,550 francs est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du budget

Il est procédé au vote par appui nominal sur l'article unique du budget, qui est ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère des travaux publics est fixé, pour l'exercice 1856, a la somme de vingt quatre millions sept cent quarante-quatre mille quatre cent cinquante-sept francs douze centimes (fr. 24,744,457-12), conformément au tableau ci-aunexé.

« Des traitements ou indemnités ne peuvent être prélevés sur les allocations destinées aux salaires ou à des travaux extraordinaires ou spéciaux.

« Dans le cas d’une réorganisation de l'administration des chemins de fer, postes et télégraphes, pendant l’année 1856, les crédits qui figurent aux articles 2, 3, 58, 62, 68, 73, 70, 80 et 82 pourront être transférés de l'un de ces articles à l’autre, selon les besoins du service.

« Il en sera de même des articles 4, 59, 65, 69, 71 et 77. »

- L'article est adopte à l’unanimité des 65 membres présents.

Ce sont : MM. Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, Dechamps, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Liedekerke, Della Faille, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Perceval, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Faignart, Jacques, Julliot, Lambin, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Magherman, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Pierre, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thibaut, Thienpont, TKint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vauder Donckt, Van Renynghe, Verhaegen, Visart, Wasseige et Delehaye.

Rapports sur des pétitions

M. Coppieters (pour une motion d’ordre). - Messieurs, conformément à la proposition qu'avait faite la section centrale, plusieurs pétitions ont été déposées sur le bureau pendant la discussion du budget ues travaux publics auquel elles se rattachaient. Il me semble que la Chambre devrait statuer maintenant sur ce qu'il convient de faire à l'égard de ces pétitions. Parmi ces requêtes, il en est qui sont très importantes et qui méritent (page 1358) certainement toute l’attention de la Chambre et du gouvernement. Je citerai notamment celle qui émane du premier comice agricole de la Flandre occidentale.

Les pétitionnaires signalent à la hambre le grave préjudice que causent à l’agriculure les inondations périodiques qui ravagent une grande partie des terres situées au nord du canal d’Ostende ; depuis longtemps des pétitions ont été adressées à la Chambre et au gouvernement, dans le but d’obtenir un remède à ce fléau.

Tout récemment encore, de nouvelles pétitions relatives au même objet sont arrivées à la Chambre et ont été déposées sur le bureau. Je n’entends pas entamer aujourd’hui un débat à ce sujet ; je demanderai quant à présent que les pétitions de cette nature soient renvoyées à M. le ministre des travaux publics.

J’espère que l’honorable ministre voudra bien les examiner avec toute la bienveillance que méritent les grands intérêts auxquels ces pétitions se rattachent. Je le préviens que je me propose de. lui demander quelques explications, de nature à faire connaître les intentions du gouvernement, lorsque nous discuterons le crédit extraordinaire de 500,000 fr. pour le département des travaux publics.

- La proposition de M. Coppieters est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, les pétitions auxquelles cette proposition s'applique sont renvoyées à M. le ministre des travaux publics.

Projet de loi relatif au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw

Discussion générale

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder plusieurs lignes ferroviaires

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi rebi if à la concession d'un chemin de fer de Lutire à Denderleeuw.

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Il y a une connexité intime entre le projet relatif à la concession d’un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw et celui concernant la concession de plusieurs lignes de chemin de fer. C'est ce que la Chambre a reconnu précédemment, en décidant que ces projets figureraient à l’ordre du jour l'un à la suite de l'autre. Je demande que la discussion s'ouvre simultanément sur les deux projets.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.

M. le président. - En conséquence, la discussion s'ouvrira simultanément sur les deux projets.

M. de Perceval. - Messieurs, le projet de loi portant concession d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw a été adoptè en section centrale par quatre voix contre trois.

Si l'honorable rapporteur de la première section (M. Malou) s'était abstenu, fondant son abstention sur sa posiiton de directeur d’un financier considérable qui a son siège à Bruxelles, établissement directement intéressé dans la question, le projet de loi eût été rejeté.

Malheureusement, il n'en a pas été ainsi.

Quatre voix contre trois ont donc admis le principe nouveau que l'on veut appliquer à cette concession, principe onéreux déjà en lui-même, mais d'autant plus onérux encore, qu'une compagnie étrangère, la compagnie de Dendre-et-Waes, vient, par le fait de l'exploitation par l'Etat de la ligne nouvelle, lui enlever une part notable de ses recettes brutes.

D'après les conditions auxquelles la concession doit se faire, le gouvernement exploitera et entretiendra un chemin de fer qu'une compagnie lui apportera ; il percevra à son profit les recettes de ce chemin, lesquelles équivaudront à l'unité un 8/8.

Mais, en compensation des avantages que lui procurera ce nouveau chemin et des bénéfices qu'il réalisera sur son exploitation, le gouvernement aura à sa charge annuellement et pendant 50 années :

1° Pour frais d'exploitation et d’entretien dudit chemin 1/2 ou 4/8

2e Pour annuité aux concessionnaires 1/2 ou 4/8

3° Pour redevance à la compagnie du chemin de fer de Dendre-et-Waes, en vertu de l'article 10 de son acte de concession, les 3/4 de la recette brute, réduits eu vertu de la récente convention du 19 novembre 1855, à 3/8.

Total des engagements à remplir par l'Etat, 11/8

Déficit ou perte sèche, la recette brute étant l'unité 3/8.

On voit combien l'application de l'article 10 du contrat de Dendre-et-Waes à la ligne dont il s'agit, bien que réduite de moitié pur la convention récente, est onéreuse à l'Etat.

C'est, en effet, cette condition qui vient constituer le gouvernement en perte. Qu'on la supprime dans le calcul que je viens de poser, et alors l'Etat sera peut-être en droit de soutenir que, dépensant précisément ce qu'il reçoit, l'entreprise est réalisable, puisque en compensation de ses peines, il deviendra, en 50 années, possesseur de la ligne concédée.

La question de l'influence onéreuse sur les finances de l'Etat par la remise à la compagnie de Dendre-et-Waes des 3/8 de la recette brute, n'est pas examinée dans le rapport de la section centrale. C'est cependant là le point culminant et capital de la difficulté à résoudre. Ne traiter que des généralités et éviter avec soin toute discussion de détails, ce n'est détruire aucune des objections soulevées au point de vue financier contre le projet de loi.

Je passe à un autre point.

Les évaluations du coût du chemin sont d'une exagération incontestable. Au point de vue des demandeurs en concession, cette exagération était nécessaire, elle constituait une bonne tactique, parce que cette exagération amoindrissait aux yeux des opposants le taux de l'intérêt qui résulte du chiffre de l'annuité demandée.

Les demandeurs et les partisans du projet affirment que le chemin de fer de Lutlre à Denderleeuw coûtera 15 1/2 millions, ou 292,453 fr. par kilomètre, tandis que dans l'opinion d'hommes désintéressés et compétents, la dépense réelle ne sera que de 10,600,000 francs ou 200,000 fr. par kilomèire.

Une question de la plus haute importance à examiner et à résoudre, est donc celle de savoir si le coût de l'établissement du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw sera de 10,600,000 francs, au lieu de 15,500,000 francs.

Dans le rapport de la section centrale on trouve, il est vrai, une note justificative d'une dépense de construction s'élevant à 15,500,000 fr., note faisant partie des documents qui auraient été remis par les demandeurs en concession an département des travaux publics.

Je suis loin de mettre en doute l'existence de documents remis à M. le ministre par les demandeurs, et justifiant une dépense de construction de 15,500,000 fr. ; mais si les plans et profils qui servent de base à cette évaluation existent bien réellement, je demande s'ils seront maintenus pour l'exécution des travaux, s'ils ne seront pas modifiés, et, peut-être, au moment de mettre la main à l'œuvre, complètement transformés, de manière à réduire le coût réel de la ligne à moins de 200,000 fr. par kilomètre.

Dans la note insérée au rapport de la section centrale, M. le ministre ne dit pas que les documents remis par lui et qui servent de base à l'évaluation de 15,500,000 fr., ont été, ainsi que cette évaluation, vérifiés et admis par les ingénieurs et le conseil des ponts et chaussées.

M. le ministre devrait bien, s'il était possible, donner des explications claires et précises sur ce point important de la question ; car, soit qu'on compare ces localités traversées par la ligne nouvelle avec celles traversées par la ligne de l'Etat, de Charleroi à Bruxelles ; soit qu'on compare le devis de Luttre à Denderleeuw avec le devis de lignes projetées dans les mêmes conditions ; soit enfin qu'on suive sur le terrain un tracé donnant un développement de 53 kilomètres entre les points de Luttre et de Denderleeuw, et qu'on évalue largement les travaux probables à établir pour son exécution, on reste convaincu de l'impossibilité d affirmer que la dépense de construction de ces 53 kilomètres s'élèvera à fr. 15,500,000, ou fr. 292,453 par kilomètre.

Ici, messieurs, je veux terminer ma tâche. Je laisse à d'honorables collègues, plus compétents que moi pour traiter des questions de cette nature, le soin d'entrer dans de plus amples détails. Il me suffit d'avoir signalé sommairement quelques-uns des vices principaux de cette concession insolite.

Je repousse le projet de loi parce que les conditions auxquelles se fera la concession de ce chemin de fer sont des plus onéreuses pour l'Etat ; parce qu'on peut hardiment attribuer au système de concession proposé une influence désastreuse sur le trésor public au point de vue des relations du chemin de fer de Luttre avec celui de Dendre-et-Waes ; parce que, en un mot, la combinaison qui nous est soumise constituera l'Etat en perte.

Et si, contrairement à toutes les prévisions, le projet de loi trouvait, dans cette enceinte, une majorité pour l'approuver, j'exprime, en finissant, un double vœu :

Le premier, c'est de ne rencontrer, parmi les membres de cette majorité, aucun représentant intéressé à un titre quelconque dans l'une des compagnies de chemins de fer déjà concédés et auxquelles l'octroi de la ligne de Luttre à Denderleeuw doit procurer de notables avantages ;

Le second, c'est qu'aucun membre de la législature ne devienne directeur, administrateur ou commissaire dudit chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.

M. Matthieu. - Messieurs, je tiens à motiver le vote négatif que je suis forcé de donnerau projet du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw ; je tiens surtout à prouver que ce vote négatif m'est dicté par le sentiment impérieux de mon devoir envers mes commettants.

Je crois devoir dire tout d'abord, qu'en principe je ne suis opposé à aucun projet de chemin de fer, pourvu qu'il réponde à des besoins bien constatés d'utilité publique, qu'il soit appuyé de garanties suffisantes pour en assurer l'exécution, et qu'il n'en résulte aucune charge pour l'Etat.

Si je m'écarte aujourd'hui de ce principe pour combattre le projet en discussion, c'est que je ne lui reconnais pas ce caractère d'utilité publique, c'est qu'au contraire il est démontré, pour moi, que la réalisation de ce projet serait la négation à tout jamais de la construction de certaines votes ferrées dont l'adoption ou le rejet par la Chambre renferme une question de, vie ou de mort industrielle pour une très grande partie de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette Chambre.

Deux considérations très graves ent déterminé mon opposition.

(page 1359) Je placerai en première ligne, comme présentant une importance incontestable au point de vue de l'intérêt général, et dominant toute autre considération, la nécessité d'établir l'équilibre entre les trois bassins houillers du Hainaut ; cette pondération, pour être équitable, doit avoir pour règle de ménager à chacun de ces trois centres de production l'accès direct vers le centre principal de la consommation, vers Gand, tout en conservant à chaque bassin les avantages naturels de sa position géographique.

En second lieu, j'invoquerai des droits fondés sur les règles de la justice distributive en faveur des groupes nombreux et compactes de population qui jusqu'ici sont demeurés dans l'isolement et attendent depuis longtemps d'être reliés à des voies ferrées ; c'est un droit acquis pour ces populations en échange des sacrifices qu'elles ont dû supporter et qu'elles supportent encore comme contribuables pour l'établissement et l'entretien des chemins de fer de l'Etat, dont les avantages sont exclusivement réservés à certaines parties du pays, et à leur détriment ; car les routes pavées ont désormais perdu toute leur utilité au point de vue des relations commerciales et industrielles ; toute concurrence étant devenue impossible avec le système des voies accélérées et économiques. Sous ce rapport encore, l'adoption du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw viendrait anéantir le dernier espoir, la dernière planche de salut de ces populations sacrifiées à des intérêts privilégiés.

Cette préférence injustifiable donnée à un projet qui a surgi tout à coup, s'explique d'autant moins que de nombreuses demandes de concessions, faites dans le double but de satisfaire à la grande question de l'équilibre entre les bassins houillers et de rattacher au réseau des chemins de fer les populations dont j'ai parlé, ont été successivement écartées.

Messieurs, un système qui aurait pour effet de satisfaire à la fois à ces deux natures de besoins de l'intérêt public, tout eu sauvegardant les intérêts de l'industrie et les droits de la justice distributive sans imposer aucune charge nouvelle à l'Etat, au contraire en procurant même des affluents à ses voies ferrées, ne mériterait-il pas toutes les sympathies de la Chambre et l'accueil le plus favorable du gouvernement ?

Ce système, qu'il me soit permis de vous l'exposer'afin de vous démontrer combien sont légitimes et impérieux les motifs de mon opposition au projet en discussion.

Il se compose de trois projets ele concession qui ont été accueillis avec certaine faveur dans les discussions des deux sections centrales, savoir :

1° Le chemin de fer de Braine-le-Comte à Gand par Enghien, Grammont et Sotteghem ;

2° Le chemin de fer de Braine-le Comte à Courtrai se dirigeant par Enghien, les Deux-Acren et Renaix.

Ces deux voies ferrées pourraient avoir un tronçon commun sur un parcours de 4 à 5 lieues et de là bifurquer pour se diriger chacune vers le point extrême de sa ligne ;

3° Le chemin de fer, projet de MM. de Ilaussy et Rasquin, reliant le bassin du centre à Charleroi par Fontaine-l'Evêque avec prolongement vers Jurbise passant par la Louvière, le Rœulx et aboutissant au chemin de Jurbise à Masnuy-Saint-Pierre.

Il suffit d'examiner la carte pour se convaincre de la haute préférence qui est due à ce système à quelque point de vue que l'on veuille se placer, et pour reconnaître que le projet du chemin de Luttre est inutile et constitue une injustice au point de vue des intérêts généraux.

Je repousse ce projet, parce qu'il consacre au profit du bassin de Charleroi un privilège ou plutôt un monopole ; en effet, le bassin de Charleroi est déjà si généreusement doté sous le rapport des voies ferrées et navigables, que le nouveau projet est une superfétation pour ce bassin au détriment du bassin du Centre ; je dis une superfétation, parce qu'il est facile de démontrer, la carte à la main, qu'une ligne directe du Centre vers Gand desservirait au moins aussi utilement les intérêts du bassin de Charleroi que la ligne de Luttre à Denderleeuw, tandis que cette dernière ligne enlève au Centre les avantages de la position que la nature lui a faite.

Toutefois, admettons pour un instant, contre toute évidence, que les deux projets de ligne directe vers Gand se présentent avec des avantages égaux ; le tracé du chemin de fer du Centre parlant de Braine-le-Comte devrait encore, et incontestablement, obtenir la préférence, parce que, indépendamment de la satisfaction qu'il donne à un grand intérêt industriel, il répond davantage aux besoins généraux de première nécessité publique, en reliant à une grande voie ferrée des populations denses éloignées des chemins de fer, et qui, depuis trop longtemps déjà, ont attendu leur part de justice distributive et le développement de leurs ressources industrielles.

Pour me restreindre à un cadre plus resserré, je me bornerai à envisager la question au point de vue d'un objet de première nécessité aussi indispensable aux pauvres que le pain. Je veux parler de la houille.

Nul ne peut contester que les chemins de fer ont surtout pour objet de rapprocher les distances et de produire une économie considérable pour le transport des matières pondéreuses, d'où il suit que la multiplicité des chemins de fer combinés et coordonnés avec l'intelligence des besoins et des droits de la grande famille nationale produisant sur une grande échelle la diffusion des moyens d'approvisionnement, devient plus qu'une question industrielle et commerciale ; elle embrasse une question d'humanité ; en effet, dans la plupart des localités privées de voies économiques le prix du transport excède de beaucoup le prix de la matière.

Le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw côtoie, en quelque sorte, dans une grande partie de son parcours des lignes concédées, et ne satisfait que dans une très minime proportion à des besoins de cette nature, tandis que les trois projets que j'ai préconisés comblent d'immenses lacunes qui font tache d'injustice, si l'on compare ces vides à l'agglomération exagérée des chemins de fer sur certains points privilégiés du pays.

Indépendamment des reproches si graves qu'on est en droit de faire au projet de Luttre, au point de vue de l'équilibre entre les trois bassins du Hainaut et des droits méconnus de la justice distributive, il en est un autre qu'il est impossible de justifier, c'est le mode de concession qui vient jeter une nouvelle bigarrure dans l'exécution de nos travaux publics, une nouvelle complication avec la voie de Dendre-et-Waes, un pas hardi dans les régions de l'inconnu.

Ce qui paraît évident, c'est que ce mode aura pour conséquence d'être onéreux à l'Etat, tout en favorisant outre mesure les intérêts du concessionnaire. En effet, les produits de la ligne construite se résumant au profit du constructeur en une moyenne kilométrique des chemins de fer de l'Etat. Ce mode le dispense de toute inquiétude et de tout souci à l'égard de la résultante des produits propres à la ligne qu'il a établie. C'est le gouvernement qui encourt tous les risques.

De deux choses l'une, ou ce genre de concession est avantageux à l'Eiat, et, dans ce cas, je demanderai pourquoi ne pas accorder les mêmes conditions à l'industrie privée ? Ou il est onéreux à l'Etat, et, dans ce cas, pourquoi sortir des règles ordinaires imposées aux autres concessionnaires à leurs risques et périls ?

Pourquoi ne pas permettre la concurrence des deux lignes à conditions égales d'un même mode de concession ?

Je ne sais si je suis bien informé, mais on prétend que MM. Waring et Cie se seraient désistés de leur projet plutôt que de souscrire à cette concurrence.

Cet état de choses me paraît prouver d'une manière péremptoire que la ligne de Braine-le-Comte à Gand a, sous le rapport des produits probables, une supériorité incontestable et, par conséquent, une utilité publique mieux constatée pour desservir les deux bassins du Centre et de Charleroi.

Si je voulais corroborer cette opinion, je puiserais mes arguments dans le rapport même de la section centrale et dans les réponses du gouvernement.

Il est reconnu, en effet, dans ces documents que le tracé Dupont-Houdin présente plus que tout autre des avantages d'utilité publique et de justice distributive ; mais on fait à une section de ce projet le reproche d'être parallèle au chemin de fer de l'Etat, dans son parcours de Marchienne à Soignies, et de lui enlever une grande partie de son trafic. Ce reproche, assez sérieux, j'en conviens, l'a fait rejeter par la section centrale.

Ce même rapport de la section centrale, continuant son appréciation des divers projets et parlant de celui de M. Boucquéau, reconnaît qu'il est en quelque sorte la reproduction de la seconde section du projet fusionné de MM. Dupont-Houdin, qu'il en a tous les avantages sans en avoir les désavantages, attendu que par la suppression de la première section du projet de MM. Dupont-Houdin, celui de M. Boucquiau, au lieu de faire concurrence au railway de l'Etat, le féconde au contraire en le prolongeant ; le seul tort que lui fait le rapport, c'est de laisser indécise la question du raccourcissement du trajet entre Charleroi et Bruxelles.

La conclusion immédiate à tirer de ces rapprochements, c'est que de toutes les lignes passées en revue dans le rapport si lumineux de la section centrale, aucune ne réunit à un aussi haut degré les avantages d'intérêt public que le projet Boucquéau ; et je suis intimement convaincu que s'il eût été présenté avant la demande en concession de MM. Waring et comp., il eût été indubitablement préféré, car l'objection qu'on fait valoir, qu'il donne satisfaction à quelques besoins locaux en négligeant un grand intérêt public, ne peut être sérieuse lorsque d'une part on voit que les intérêts locaux auxquels il donne satisfaction concernent de nombreuses populations qui sont complètement dépourvues de toute communication par voies ferrées et végètent dans l'isolement, tandis que Charleroi, déjà relié à Bruxelles par différents chemins de fer et par des voies navigables, est relié encore à des voies ferrées, ouvertes dans toutes les directions à son commerce et à son industrie, tant pour l'intérienr que pour l'exportation.

Messieurs, une chose me frappe dans toutes les combinaisons d'intérêt général, c'est qu'on fait bon marché des règles de la justice distributive, c'est que presque toujours le gouvernement se place au point de vue de l'intérêt du trésor public et qu'il en dispense les faveurs avec une inégalité choquante. Qu'est-ce après tout que cet être moral qu'on appelle trésor public, si ce n'est le tribut de tous les contribuables ? C'est une masse commune qui doit se répandre sur tout le pays de manière à procurer à chacun la plus grande somme de bien-être possible.

Toutes ces anomalies proviennent du décousu et du mauvais agencement de l'établissement de nos premières lignes de chemin de fer. Pour éviter cette disparate il aurait fallu avant toute exécution combiner sur la carte un réseau complet bien coordonné par groupes et se rattachant à de grandes lignes internationales, c'était le seul moyen de (page 1360) sauvegarder les droits et les intérêts de tous en général et du trésor public en particulier.

Que voyons-nous au contraire en interrogeant la carte ? Des groupes de chemins de fer serrés autour de certains points, puis des vides immenses où des populations délaissées, excepté par les receveurs de contributions, se demandant si elles peuvent encore se considérer comme Belges ou si elles sont réduites à l'état d'ilotes.

Si les droits de la justice distributive comptent encore pour quelque chose dans la balance de nos grands intérêts matériels, la Chambre ne pourrait, sans manquer à ces droits et aux exigences de l'intérêt général, adopter un projet qui constitue un privilège onéreux au trésor et désastreux dans ses conséquences en se plaçant comme obstacle à la création des lignes sollicitées en vain depuis si longtemps.

Par ces motifs, je voterai contre le projet de Luttre à Denderleeuw, je laisserai à des membres plus compétents que moi le soin de prouver par des calculs raisonnes à quel point il serait onéreux au trésor.

Je me réserve d'appuyer de toute l'énergie de mes convictions les trois lignes dont j'ai parlé et dont l'établissement tout en apportant de nouveaux affluents aux chemins de fer de l'Etat, relierait au réseau national quatre villes : Fontaine-l'Evêque, le Rœulx, Enghieu et Renaix.

M. de Portemont. - Messieurs, quoique le chemin de fer en discussion vienne aboutir à celui de Dendre-et-Waes sur le territoire d'une commune de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, il m'est impossible de donner au projet de loi un vote approbatif. Permettez-moi de vous exposer brièvement les motifs qui m'empêchent de me rallier à la proposition du gouvernement.

J'examinerai d'abord la question du tracé.

On convient généralement que pour se trouver dans des conditions de prospérité, les chemins de fer doivent être directs et traverser les populations les plus denses, les plus actives, les plus commerçantes.

En acceptant ces prémisses, la majorité de la section centrale conclut à l'adoption du trace Waring-Daudelin. Je vous avoue, messieurs, que cette conclusion me semble au moins étrange.

En effet, la ligne Waring n'est pas la plus directe, car en suivant son tracé la distance de Charleroi à Gand est de 102 kilomètres, tandis qu'elle n'est que de 99 kilomètres par les tracés Dupont-Houdin et Boucquéeu.

Du reste, messieurs, je ne comprends pas comment, alors que le besoin de faire des rectifications aux chemins de fer existants se fait sentir, alors même qu'on vient demander à la Chambre l'autorisation de concéder une nouvelle ligne n'ayant d'autre but que de raccourcir la distance entre deux villes desservies depuis longtemps par le railway national, je ne comprends pas, dis-je, comment on ose vous proposer de commettre encore la même faute.

Mais voyons si, en compensation de ce désavantage, le projet Waring-Dandelin dessert les populations les plus denses, les plus actives, les plus commerçantes ?

Je ferai observer en premier lieu que le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw s'écarte bien peu des lignes existantes et leur est souvent parallèle ; qu'il ne traverse et ne peut desservir aucune localité de quelque importance qui ne soit déjà reliée ai railway.

Nivelles est la seule ville qu'il rencontre, tandis que les projets rivaux traversent réellement des populations très nombreuses, très actives, très commerçantes. Pour le démontrer, il suffira de citer en faveur du projet Dupont-Houdin, Fouiaine-l'Evêque, le Rœulx, Soignies, Enghien, Grammont, Sottegem, etc., et en faveur du projet Boucquéau, Braine-le-Comte, Enghien, Grammont, Sottegem, eic. Il est donc évident que sous tous les rapports le projet Waring-Dandelin se trouve dans une condition d'infériorité réelle relativement aux deux autres. Cela est si vrai que dans une note adressée à la section centrale, M. le ministre des travaux publics a reconnu la supériorité du tracé Boucquéau dans les termes suivants :

« Sans vouloir discuter ces tergiversations, on fera remarquer que le gouvernement vient de soumettre à la sanction des chambres une convention pour l'exécution d un triple chemin de fer de Saint-Ghislain vers Tournai, vers Leuze, Renaix, Audenarde et Gand et enfin vers Ath.

« Que cette direction du second par Renaix et Audenarde l'a emporté sur celle plus courte qui avait été proposée de Saint-Ghislain à Gand, par cette considération qu'il était désirable de rattacher au réseau des. voies ferrées deux localités aussi importantes que Renaix et Audenarde.

« Que la partie du projet Boucquéau comprise entre Grammont et Gand combinée avec la section de Saint-Ghislain à Ath et celle d'Ath à Gramuiont de la société de Dendre-et-Waes, représenterait une ligne de Saint-Ghislain a Gand plus courte que celle par Leuze, Renaix et Audenarde, dont l'allongement a été motivé par une considération d'intérêt public.

« Qu'ainsi le gouvernement ne saurait patronner ce projet, puisque sa réalisation aurait pour résultat d'enlever à une ligne, pour laquelle il vient d'accorder une concession provisoire, soumise à la sanction des Chambres, la plus grande partie des produits sur lesquels elle était en droit de compter. »

Ne ressort-il pas à toute évidence du passage que nous venons de citer que, dans l'opinion de M. le ministre, la ligne Bouqueau présente plus de ressources que la ligne Waring-Dandelin et qu'il est convaincu que si on concédait simultanément les deux lignes à conditions égales, ce ne serait pas celle appuyée par le gouvernement qui aurait le plus de chances de réussite ?

Une autre conséquence toute naturelle des remarques qui précèdent c'est que la meilleure combinaison de nouvelles voies ferrées entre les divers bassins houillers, la ville de Gand et les Flandres, est celle du projet Boucquéau avec la section de Saint-Ghislain à Ath. De cette manière on obtient, à des frais beaucoup moindres, un résultat tellement avantageux, que M. le ministre n'hésite pas à avouer que cette combinaison empêcherait la réalisation des projets patronnés par le gouvernement, ou entraînerait la ruine de l'entreprise.

Mais, dit M. le ministre, « le tracé le plus long a été approuvé, parce qu'il est désirable de voir relier au réseau des voies ferrées des localités aussi importantes que Renaix et Audenarde. »

D'abord, je ne sais si cette considération est assez puissante pour priver à tout jamais de chemin de fer d'autres localités non moins considérables. Toutefois, je ne pense pas qu'on veuille soutenir que lorsque le gouvernement doit opter entre deux projets de railway destinés à relier au réseau national des populations également importantes, il pose un acte de bonne administration en se prononçant pour le moins avantageux et en empêchant la réalisation du projet rival, de crainte qu'il ne nuise à celui qu'il préfère.

Ensuite, je ferai remarquer qu'Audenarde sera bientôt relié à Gand ; son chemin de fer est en construction et ne tardera pas à être achevé.

Reste la ville de Renaix qu'autant que personne, je désire voir relier au réseau de nos voies ferrées, mais pour y parvenir faut-il compromettre des lignes de l'importance de celles dont il s'agit ? Certes, personne ne le prétendra. Or, c'est ce qui aurait lieu par l'octroi de la concession Waring-Dandeiin, car elle est exclusive de toutes autres.

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les projets Dupont-Houdin et Boucquéau laissent les bassins de Charleroi et du Centre dans leur position géographique respective, tandis que le projet Waring-Dandeiin avantage Charleroi au détriment du Centre.

Messieurs, de ce que je viens d'avoir l'honneur de vous exposer, il résulte pour moi, à la dernière évidence, que le tracé Boucquéau est incontestablement préférable au tracé Waring-Dandelin. J'ajoute avec le gouvernement que ce tracé « n'a pas le défaut de nuire à la section du chemin de fer de l'Etat de Charleroi à Braine-le-Comte, qu'au contraire il viendrait le féconder ; que sous ce rapport il est plus acceptable que le tracé Dupont-Houdin. »

Me dira-t-on peut-être que par cela seul qu'il laisse indécise la question du raccourcissement du trajet entre Charleroi et Bruxelles, les avantages que nous venons d'énumérer ne peuvent être pris en considération. Messieurs, cela serait tout bonnement absurde.

Le caractère d'utilité publique que présente le projet en discussion est d'opérer une jonction directe des bassins houillers de Charleroi et du Centre avec les Flandres et la ville de Gand. C'est pour satisfaire à ce besoin que ce projet de concession vous est présenté ; or, je vous le demande, serait-il raisonnable de négliger le but principal, pour ne s'occuper que de considérations secondaires ?

D'ailleurs, il n'est pas démontré que pour les relations entre Charleroi et Bruxelles le résultat du projet Waring serait celui que le gouvernement en attend, car ces deux villes sont déjà reliées par des lignes concédées qui n'ont que 59 à 61 kilomètres de développement, tandis que par le tracé Waring la distance serait au moins de 63 kilomètres.

Passons maintenant au mode de concession qui, comme le dit très bien un honorable membre de la section centrale, « n'est autre chose qu'un emprunt déguisé, dont le remboursement doit se faire par annuités assignées sur le produit brut de notre railway et susceptibles de croître dans la même proportion que ce produits. »

D'après les calculs de la section centrale et du gouvernement, le coût total de la ligne serait de 15,500,000 fr. La longueur à construire étant de 53 kilomètres, on dépenserait par kilomètre 292,453 fr. Quoique, de l'avis de personnes compétentes, ce chiffre soit quelque peu exagéré, je veux bien l'admettre ; les résultats désastreux pour le trésor public, qui doivent résulter de la concession Waring, seront d'autant plus incontestables.

La société Waring-Dandeiin propose de construire la ligne et de la livrer à l'Etat moyennant l'abandon, pendant cinquante années, de 48 p. c. du produit kilométrique moyen de toutes les lignes qui composent le réseau national. Or, ce produit kilométrique moyen est aujourd'hui de 38,024 fr., ce qui donnerait à MM. Waring-Dandeiin cinquante annuités de 18,251 fr. par kilomètre de railway construit, c'est-à-dire annuellement 967,303 fr. pour les 53 kilomètres. On voit que, pour peu que les recettes des chemins de fer continuent à progresser, MM. Waring-Dandeiin recevraient un million par an, soit, en cinquante ans, 50 millions. N'est-ce pas exorbitant ?

Je devrais m'étendre ici, messieurs, sur l'influence trop favorable qu'aurait nécessairement l'exécution dans les conditions proposées de la ligne de Luttre à Denderleeuw, sur les recettes de la compagnie de Dendre-et-Waes. Mais comme l'honorable M. de Perceval a déjà traité et que d'autres orateurs traiteront encore cette grave question, je me bornerai à faire remarquer que, puisque la nouvelle ligne serait exploitée par l'Etat, l'article 10 de la concession de Dendre-et-Waes lui serait applicable, toutefois avec la modification mentionnée dans la convention du 19 novembre 1855, conclue entre M. le ministre des travaux publics et l'administration de cette compagnie.

(page 1361) Du reste, il paraît que les demandeurs en concession ont compris l'exagération de leur première demande, car ils ont fait avec M. le ministre des travaux publics une nouvelle convention, aux termes de laquelle « si le produit kilométrique représente un bénéfice excédant environ 8 p. c. des sommés dépensées, la moitié de l'excédant restera attribuée à l'Etat ».

Je ne puis, messieurs, prendre au sérieux les calculs qui nous ont été soumis et suivant lesquels les bénéfices des concessionnaires ne seraient que de 5 ou 6 p. c. ; je dois déclarer au contraire qu'en votant la concession qui nous est proposée, je croirais causer un grand préjudice au trésor public. Je le croirais d'autant plus que le projet Boucquéau qui, comme nous pensons l'avoir démontré, est préférable au projet Waring-Dandélin, pourrait se réaliser sans charge aucune pour l'Etat. M. Boucquéau ne demande pas de privilège, il admet la libre concurrence et est prêt à exécuter sa ligne quand même MM. Waring-Dandelin exécuteraient la leur, pourvu que ce soit aux mêmes conditions.

Dans cet état de choses et puisque M. le ministre a pris des engagements vis-à-vis de MM. Waring-Dandelin, ne conviendrait-il pas de concéder purement et simplement les deux lignes ? Ce serait, il me semble, un excellent moyen de sortir d'embarras qui aurait le double avantage de maintenir pour tout le monde le droit commun et d'assurer l'exécution de la meilleure ligne. Je soumets cette proposiiion à l'examen de la Chambre et de M. le ministre des travaux publics.

M. Verhaegen. - Messieurs, fidèle au système que j'ai développé dans la discussion du budget des travaux publics, je viens combattre le projet de loi.

La nouvelle ligne de Luttre à Denderleeuw est inutile et même elle présente de graves inconvénients.

Dans tous les cas voulût-on absolument la décréter, il faudrait au moins la faire dans des conditions raisonnables, ne pas la payer plus qu'elle ne vaut.

Ce sont les deux questions que je me propose de traiter.

1° La nouvelle ligne est inutile ; elle présente même de graves inconvénients au point de vue des intérêts généraux.

Aujourd’hui, le chemin de fer de Charleroi à Bruxelles a un parcours de 72 kilomètres ; mais on ne paye que pour 62 ; on fait grâce de 10, vous savez le pourquoi.

La nouvelle ligne va abréger pour Bruxelles le parcours de 9 kilomètres ; ce parcours ne sera donc plus que 63 kilomètres.

Ainsi, par la nouvelle ligne, on payera à raison de 63 kilomètres, tandis que par l'ancienne, on ne paye qu'à raison de 62. On payera donc plus, ou si vous le voulez, on payera la même chose.

La nouvelle ligne ne présente, d'après cela, aucun avantage pour Bruxelles, L'économie de temps pour des matières pondéreuses est insignifiante.

La nouvelle ligne constituera une ligne parallèle : 1° Avec la ligne actuelle ; 2° Avec le canal de Charleroi ; 3° Avec la ligne du Luxembourg, eu égard à l'embranchement d'Ottignies sur Charleroi.

La consommation de Bruxelles est, comme toute autre, nécessairement limitée ; la nouvelle ligne n'y amènera pas un waggon de charbon de plus.

L'Etat se crée donc à lui-même une double, une triple concurrence, et de cette concurrence il abandonne les profits à d'autres.

Ainsi, pour Bruxelles il n'y a pas la moindre utilité, et il y a désavantage pour l'Etat, puisque au lieu de n'exploiter qu'une seule et même ligne, il en exploitera plusieurs, sans augmenter la somm ede son revenu.

Examinons maintenant la question au point de vue de l'intérêt des Flandres.

Le Centre est évidemment plus rapproché des Flandres en général et de Gand en particulier, que Charleroi.

Il y aura donc peu de transports de Charleroi vers les Flandres, à moins qu'on ne gratifie Charleroi d'une ligne directe et qu'on ne refuse la même faveur au Centre, ce qui constituerait une souveraine injuste.

Le prolongement de Braine-le-Comte vers Gand ne pourra certes pas être refusé.

Eh bien, ce prolongement aura pour résultat que les transports du Centre vers Gand se feront nécessairement à meilleur compte que les transports de Charleroi vers la même destination.

Gand consomme environ 170 mille tonnes de charbon par an. Cette consommation est également limitée.

La hauteur du prix de transport déterminant la hauteur du prix de revient de la marchandise, il est évident que ceux qui sont plus rapprochés et pour lesquels les prix de transport sont moindres, auront la préférence sur leurs concurrents plus éloignés. J'excepte toutefois certaines spécialités de charbon dont on ne peut pas se passer.

Maintenant le prolongement de Braine-le-Comte aura pour résultat de permettre aux charbons du Centre, en passant par Manage et Braine-le-Conue, d'aller à Enghien, d'Enghien à Grammont, de Grammont à Sottegem et de Sottegem à Gand.

On voit que de cette manière on ne parcourt aucune partie quelconque de la ligne de Dendre-et-Waes.

En vain dira-t-on que le prolongement de Braine-le-Comte ne se fera pas ; c'est impossible, car ce serait forcer les exploitants du Centre d'abord à envoyer leurs charbons à Manage, ensuite à les faire rétrograder jusqu'à Luttre et à les confier enfin à la nouvelle ligne de Luttre à Denderleeuw.

Quelles seront, en définitive, les charbons qui seront transportés par la ligne nouvelle ? Evidemment ceux qui auront pour destination des localités en deçà de la ville de Gand, en d'autres termes, ceux qui seront déchargés dans des stations dépendantes de la ligne de Dendre--et-Waes.

Il y a plus : on a fait à Alost des quais immenses, des magasins considérables, une station monstre et tout cela pour recevoir les charbons qui viendront de Charleroi et d'ailleurs et pour les transporter alors par eau vers Gand et sur toutes les rives de l'Escaut et de la Lys, de sorte que la compagnie de Dendre-et-Waes profitera non seulement des transports vers ses stations, mais de tous les transports dans toutes les directions à raison des trois quarts de la recette brute totale.

On dira peut-être que le prix de la navigation d'Alost à Gand ajouté au prix du transport par chemin de fer de Charleroi à Alost sera supérieur au prix du transport de Charleroi à Gand par Alost au moyen du chemin de fer dans tout le parcours.

Mais pourquoi alors les énormes dépenses faites à la station d'Alost par la compagnie de Dendre et Waes ?

Cette compagnie ne pourra-t-elle pas par son influence amener un abaissement sur le fret de la navigation ? et alors on retombera dans le système de primes déguisées, proscrit par la législature et condamné par le pouvoir judiciaire.

La compagnie de Dendre-et-Waes a appelé du jugement de première instance, elle continue à considérer comme légitime tout moyen qui aboutit aux primes déguisées.

La nouvelle ligne de Luttre à Denderleeuw va donc procurer des avantages considérables à la compagnie de Dendre-et-Waes.

On sait qu'aux termes de l'article 10 du contrat du 1er mal 1852, l'Etat abandonne à la société de Dendre-et-Waes les trois quarts des recettes brutes qu'il aura perçues du chef des transports de toute nature ayant, soit pour lieu de départ, soit pour lieu de destination, l'une ou l'autre des stations ou haltes concédées, conformément à ce qui est dit à l'article 8.

A en croire le gouvernement et M. le rapporteur de la section centrale, l'Etat aurait, d'après cet article 10, dû payer à la société de Dendre-et-Waes les 3/4 de toute la recette brute quant aux transports y mentionnés et de plus il aurait dû payer aux concessionnaires de Denderleeuw les 48/100, soit, pour prendre un chiffre rond, la moitié de cette même recette brute ; ce qui veut dire que l'Etat aurait dû abandonner aux deux sociétés la recelle tout entière et prendre sur le trésor public plus des 3/4 du montant de cette même recette, puisque d'abord il fallait ajouter 1/4 pour compléter la part des deux sociétés concessionnaires et ensuite pourvoir aux frais de matériel, entretien, etc., évalués au minimun, de l'aveu de tous, à 51 1/2 p. c.

Aussi la position faite à l'Etat dans cette hypothèse a-t-elle été considérée comme trop exorbitante et s'est-on empressé d'ajouter que par une convention nouvelle du 19 novembre 1855 la société de Dendre-et-Waes a bien voulu réduire ses droits à 3/8.

Cette convention porte :

« A l'égard de la société concessionnaire du chemin de fer de Dendre-et-Waes, le décompte mensuel des transports qui auront emprunté, en tout ou en partie, la ligne de Luttre à Denderleeuw, et qui auront, soit pour point de départ, soit pour destination, l'une des stations ou haltes concédées à la société de Dendre-et-Waes par la convention du 1er mai 1852, sera fait pendant toute la durée de la convention de Luttre à Denderleeuw de la même manière et aux condions « actuellement » en vigueur pour les transports qui empruntent les lignes de Tournai, de Jurbise et de Landen à Hasselt. »

Or, à la compagnie des chemins de fer de Tournai à Jurbise et de Landen à Hasselt, le gouvernement abandonne la moitié de la recette brute, et si le transport s'arrête à l'une des stations de Dendre-et-Waes, ou a pour point de départ une de ces stations, d'après les conditions actuellement en vigueur, il donne à ladite société de Dendre-et-Waes, les 3/4 de ce qui lui reste, c'est-à dire les 3/8 du tout, le gouvernement ne conserve done que 1/8 de la recette et il a à sa charge toutes les dépenses dont le chiffre excède la moitié de cette même recette et par conséquent il est à découvert de plus des 3/8.

Et voila la grande faveur que la compagnie de Dendre-et-Waes veut bien faire au gouvernement dans l'occurrence, alors que les transports sur la ligne de Luttre à Denderleeuw s'arrêteront presque tous, comme nous l'avons démontré, dans des stations intermédiaires de la ligne de Dendre-et-Waes.

Il semble vraiment que le chemin de fer de Denderleeuw ne soit destiné qu'à enrichir la société de Dendre-et-Waes, et encore pour obtenir ce brillant résultat, la société de Dendre-et-Waes semble poser un acte de générosité en réduisant prétendument ses prétentions, de 3/4 à 3/8, alors que d'après l'article 10 de l'acte du 1er mai 1852, elle ne pouvait jamais et dans aucun cas avoir droit qu'aux 3/8 ; en effet, après avoir dit que la société concessionnaire aurait droit aux 3/4 de la recette brute dans l'hypothèse prévue, l'article 10 ajoute « lesdites recettes perçues par l'Etat n'étant nécessairement comptées que déduction faites des sommes revenant aux diverses sociétés concessionnaires dont les railways auraient été empruntés pour l'exécution des transports dont il s'agit. »

Or cette clause s’appliquant au futur comme au passé, il est de la (page 1362) dernière évidence que, dans l'espèce, il faudrait déduire d'abord ce qui serait payé à la société de Denderleeuw, soit la moitié environ, et que les trois quarts pour la société de Dendre-et-Waes ne pourront être pris que sur la moitié restante, ce qui réduit ses droits à 3/8,

Pourquoi maintenant cette convention nouvelle du 19 novembre 1855 ? Ce n'est, comme nous l'avons dit, qu'un acte de fausse générosité.

Ensuite cette convention est dangereuse, en ce qu'elle suppose à la convention du 1er mai 1852 une portée qu'elle n'a pas et qu'à l'avenir la société de Dendre-et-Waes pourrait fort bien invoquer la prétendue dérogation à laquelle elle consent aujourd'hui, pour soutenir alors son droit aux trois quarts de la recette brute tout entière.

J'ai donc démontré :

1° Que la ligne de Luttre à Denderleeuw est inutile ; 2° Qu'elle présente de graves inconvénients.

Et à cet égard j'ajouterai encore un mot : la discussion seule que nous venons d'entamer est de nature à mettre en présence des intérêts opposés et spécialement à ameuter les charbonnages de Charleroi contre les charbonnages du Centre, ce qui amènera, d'un côté, des demandes d'abaissement de péages sur certaines voies de communication et, de l'autre côté, des demandes de protection contre l'introduction des charbons étrangers.

Le gouvernement, comment pourra-t-il répondre à toutes ces exigences ?

Il me reste, messieurs, à vous développer ma seconde proposition.

Le chemin de fer de Lultre à Denderleeuw, comme je l'ai dit, ne présente aucune utilité, si ce n'est pour la société de Dendre-et-Waes dont il va considérablement augmenter les recettes ; il présente même de graves inconvénients au point de vue des intérêts généraux, mai enfin quels que soient ces inconvénients et si l'on veut absolument ajouter une ligne nouvelle aux lignes existantes, qu'au moins on le fasse dans des conditions raisonnables.

Quelle est la nature de l'opération ?

Ce n'est pas une concession c'est un emprunt.

L'Etat transforme son revenu en capital de chemin de fer au bout d'un certain nombre d'années.

Pareille opération, je ne veux pas le dissimuler, est bonne en elle-même ; mais il ne faut pas qu'elle soit bonne, excellente uniquement pour la société avec laquelle le gouvernement va traiter, elle doit êtte bonne avant tout pour l’Etat.

Que la société retire de sa coopération certains avantages, ce n'est que juste ; mais il faut qu'elle traite au grand jour, loyalement et dans des conditions avouables.

L'Etat supporte des éventualités que la société n'a pas à craindre ; il fournit, si je puis m'exprimer ainsi, la matière première ; il est donc juste qu'il retire de l'opération la plus grande somme d'avantages.

La société se borne, en définitive, à faire à l'Etat un prêt remboursable en bons du trésor ; faut-il en définitive que ce prêt soit usuraire ?

Pour mieux nous fixer sur le caractère de l'opération, occupons-nous tout d'abord de l'importance du chemin à construire.

1° Quelle est la longueur du chemin ?

Lorsqu'il s'agit de montrer les avantages de la route, la préférence qu'elle doit avoir sur toute autre, MM. Waring, et Dandehn, ingénieurs, lui donnent une longueur de 47 kilomètres.

S'agit-il de l'entreprendre à forfait, oh ! alors c'est différent. D'un côté il faut ostensiblement exagérer la dépense en grossissant le chiffre multiplicateur ; d’un autre côté il faut éviter les difficultés de construction, diminuer les ouvrages d'art en ne se bornant pas à des lignes droites. MM. Waring et Dandelin, constructeurs à forfait, portent la longueur à 53 kilomètres. Admettons donc 53 kilomètres.

2° Quel doit être, d'après MM. Waring et Dandelin, le coût de la dépense ?

Ils le portent à 15,500,000 fr. (Rapport de la section centrale, page 21.)

C'est une somme in globo ; on ne trouve aucun, détail pour la route à double voie, pour l'achat des terrains, pour les travaux et fournitures.

Aux termes de l'arrêté du 29 novembre 1836 sur les demandes en concession, les demandeurs auraient dû joindre à leur requête un plan longitudinal et des profils, un devis estimatif et un aperçu de revenu.

Cette formalité préalable n'a pas été remplie ; il est vrai que depuis ils ont envoyé à M. le ministre certains plans, certains devis ; mais ces devis, ces plans n'ont été vérifiés, contrôlés par aucune autorité.

Il n'y a pas eu d'enquête.

Des demandes de même nature, appuyées de pièces justificatives, ont été successivement remises à M. le ministre.

Celles de MM. Dupont, du Fayt, Rondin, Lambert, Boucquéau, Laveleye, Moucheron et beaucoup d'autres encore, ayant pour but de joindre le Hainaut aux Flandres, ont été en instruction depuis deux ans ; des enquêtes ont eu lieu, toutes ont été chaudement appuyées par toutes les autorités locales et provinciales, par les commissions d'enquête nommées ad hoc, et toutes ont été écartées.

Viennent depuis quelques mois ; MM. Waring et Dandelin, et ceux-là sans plan, sans profils, sans instructions préalables, sans enquêtes, eu un mot sans aucune des formalités exigées par l'arrêté de 1836, obtiennent immédiatement la faveur ministérielle, à l'exclusion de tous autres, et on admet comme point de départ leur évaluation de 15,500,000 francs, sans aucune vérification, sans aucun contrôle.

Celle évaluation de 15,500,000 francs est évidemment exagérée ; divisée par 53, elle porte le coût de construction par kilomètre à environ 300,000 francs.

Comparons ce coût avec le coût des chemins de fer actuellement en construction et l'exagération sautera aux yeux.

A. Le chemin de fer de Saint-Rambert à Grenoble (pays très accidenté) a été entrepris et par contrat et à forfait à 193,000 fr. par kilomètre. (Annuaire Dupont, p. 157.)

Il y a de Saint-Rambert à Grenoble 94 kilomètres. Ces 94 kilomètres ont été adjugés, y compris l'acquisition des terrains, la construction des stations, la voie et la fourniture des rails au prix de fr. 15,300,000 et 53 kilomètres de Luttre à Denderleeuw coûteraient, 15,500,000.

A la vérité, dans les 15,500,000 sont portés les intérêts des capitaux pendant la construction ; mais la disproportion esi tellement grande qu'il n'y a aucune comparaison possible.

B. Le chemin de fer de Lyon à Genève n'a coûté en moyenne que 203,000 francs par kilomètre. (Annuaire Chaux, pages 90 et 91.)

Cependant |les terrains étaient beaucoup plus difficiles à traverser ; il s'agissait de couper le Jura par un tunnel de 4 kil. de longueur entrepris à forfait pour sept millions deux cent cinquante-deux mille francs et en France la tonne de fer a été adjugée par marché à 535 fr. tandis qu’en Belgique elle ne coûte au gouvernement que 240 fr. et aux sociétés concessionnaires 220.

Comment donc le chemin de Lultre à Denderleeuw fait dans des monticules sablonneux et pour lequel, quoi qu'on en dise, un tunnel quelque petit qu'il soit est inutile, peut-il coûter 300,000 fr. le kilomètre, près de moitié en sus de celui qui se rend de France en Suisse, en traversant les montagnes qui séparent ces deux pays ?

Cela est inadmissible par quiconque raisonne.

D'ailleurs, il n'est pas nécessaire d'établir nos comparaisons sur la construction des chemins de fer à l'étranger, nous pouvons les établir même sur la construction des chemins de fer belges, et à ce sujet le travail d'un homme spécial nous viendra en aide.

Nous sommes loin de mettre en doute l'existence de documents remis à M. le ministre, par les demandeurs en concession et justifiant une dépense de 15,500,000 francs ; mais si les plans et profils qui servent de base à cette évaluation existent bien réellement, nous demandons s'ils seront maintenus pour l'exécution des travaux, s'ils ne seront pas modifiés et peut-être, au moment de mettre la main à l'œuvre, complètement transformés de manière à réduire le coût réel de la ligne à moins de 200,000 francs par kilomètre. Dans la note insérée au rapport de M. de Brouwer de Hogendorp, M. le ministre ne dit pas que les documents remis par lui et qui servent de base à l'élévation du coût de l'établissement du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, ont été, ainsi que cette évaluation, vérifiés, examinés et admis par les ingénieurs et le conseil des ponts et chaussées.

M. le ministre devrait bien donner des explications claires, nettes et précises sur ce point important de la question ; car, soit qu'on compare les localités traversées par la ligne nouvelle, avec celles traversées par la ligne de l’Etat de Charleroi à Bruxelles, soit qu'on compare le devis de Luttre à Denderleeuw avec les devis des lignes projetées dans les mêmes conditions, soit enfin qu'on suive sur le terrain un tracé donnant un développement de 53 kilomètres, et qu'on évalue largement les travaux à établir pour son exécution, on reste convaincu de l’impossibilité de justifier que la dépense de construction de ces 53 kilomètres s'élèvera à 15,500,000 francs, ou 300,000 francs environ par kilomètre.

Rappelons ici que dans leur mémoire en date du 30 avril 1855, les demandeurs accusaient entre Luttre et Denderleeuw une distance de 47 kilomètres ; il est évident que pour établir la route en fer sur cette longueur, il faudrait aller à vol d'oiseau, de Luttre à Nivelles, de Nivelles à Tubise, Hal ou Lembecq et de là à Denderleeuw.

Le chemin tracé et exécuté dans de pareilles conditions pourrait coûter 15,500,000 francs et au-delà, sa construction pourrait même dans ces conditions être rendue à peu près impossible. Depuis cette époque les 47 kilomètres ont pris de l'extension et ont atteint le nombre de 53 kilomètres, cet allongement de 6 kilomètres est suffisant pour réduire considérablement la dépense primitivement établie (si toutefois des devis sérieux ont existé) pour un chemin de fer à vol d'oiseau, parce que le tracé sinueux qu'il peut suivre pour atteindre ce développement, permet dans les contrées les plus accidentées d'éviter des travaux coûteux et d'établir des tracés d'une exécution peu dispendieuse.

Un homme de l'art, parfaitement au courant de la partie et guidé par des cartes à l'échelle de 1 à 20,000, avec cotes de nivellement, a examiné les terrains traversés par le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, il a également examiné la contrée de Charleroi à Bruxelles, par Manage et Braine-le-Comte et de la comparaison entre ces localités, il ressort à l'évidence que, en dehors des travaux des stations et abstraction faite d'une réduction de plus de 20 p. c. sur les prix des fers, la construction du chemin de Luttre à Denderleeuw doit, ayant égard à la longueur, coûter beaucoup moins que celle du chemin exécute par l’Etat de Bruxelles à Charleroi par Braine et Manage.

La réduction dans les dépenses doit nécessairement provenir d’ouvrages d'art et de terrassements moins importants et moins nombreux (page 1363) dans le projet par Nivelles. En effet, partant du nouvel emplacement indiqué pour la station de Luttre, la ligne jusqu'à Nivelles et à une lieue au-delà, ne peut présenter que des travaux d'art et de terrassements de minime importance ; il en de même de la partie comprise entre Tubize, Lembecq et Denderleeuw ; il n'y a que la partie intermédiaire aux précédentes, c'est-à-dire, 1/5 à 1/4 environ de la totalité du trajet qui pourra constituer les concessionnaires dans des dépenses tout au plus comparables à celles du chemin de ferde l'Etat à Hal à Hennuyères.

En fait d'ouvrages de quelque importance, nous ne voyons que ceux désignés ci-après : '

Un pont sur le ruisseau de Luttre coûtant au minimum, 20,000

Un pont sur le ruisseau de Thyne coûtant au minimum, 20,000

Deux ponts sur le ruisseau d'Yttre coûtant au minimum 80,000

Deux points sur le ruisseau de Braine-le-Château, coûtant au minimum 80,000

1 pont sur la Senne à Hal ou Tubize, coûtant au minimum 60,000

1 pont sur le canal de Bruxelles à Charleroi, coûtant au minimum 40,000

1 tunnel de 300 mètres pour 2 voies (douteux), coûtant au minimum 360,000

1 pont sur la Zwinne, coûtant au minimum, 20,000

Pour 53 kilomètres ou environ 13,000 fr. par kilomètre, ligne construite par l'Etat de Bruxelles à Charleroi par Manage, a exigé la construction des ouvrages suivants :

4 ponts sur la Senne pour une somme de 210,000

4 ponts sur le canal de Charleroi à Bruxelles, 135,000

2 tunnels à une voie, environ 1,100 mètres, 850,000

1 grand viaduc au-delà de la station Ecaussinnes, 60,000

1 grand pont au-delà, 80,000

1 grand pont à Bascoup, 25,000

8 ponts sur le Piéton, 120,000

1 pont sur la Sambre, 100,000

1 pont sur l'Heure, 40,000

6 ponts à Charleroi, 100,000.

Total : fr. 1,720,000, pour une longueur de 72 kilomètres, soit 24,000 fr. par kilom.

Comparant ces indications entre elles, on voit que la ligne projetée donnera, sur la ligne de l'Etat, une réduction notable dans la dépense de construction des ouvrages d'art.

Il en sera de même pour les terrassements.

Quant aux terrains à acquérir, s'il est vrai de dire que la valeur s'est accrue depuis 15 ans, on sait que cet accroissement ne s'est fait sentir que dans les contrées industrielles, et pour des emplacements exceptionnels, mais de Luttre à Nivelles, Tubise et Denderleeuw, l'augmentation dans le prix des terrains ne peut avoir l'importance qu'on voudrait lui donner.

D'après ce qui précède nous croyons, d'après les renseignements fournis, pouvoir établir de la manière suivante le devis estimatif du chemin de fer projeté de Luttre à Denderleeuw, sur un développement de 53 kilomètres.

1° Travaux d'art.

Ouvrages principaux évalués comme il est dit, fr. 680,000

Aqueducs ponceaux de 80 cent, à 3 mètres de largeur, prenant pour ces mêmes ouvrages la proportion du coût pour la ligne de Bruxelles à Charleroi ou 3,000 francs par kilomètre, fr. 159,000

Viaducs au-dessous du chemin de fer, 30 centièmes de viaduc par kilomètre et pour 53 kilomètres ; 16 viaducs à francs 12,000, fr. 192,000.

Viaducs au-dessus du chemin de fer, 26 centièmes de viaduc par kilomètre soit pour 53 kilomètres 14 viaducs à 20,000 francs : fr. 280,000.

Total, fr. 1,311,000.

2° Terrassements.

Les travaux de terrassement de Charleroi à Bruxelles atteignent à peine 40,000 mètres cubes par kilomètre. Leur prix moyen, résultant d'adjudications publiques, est inférieur à 80 centimes. Admettant les mêmes chiffres, on aura 40,000 mètres x 55 x 80 c, fr. 1,686,000 »

3° Acquisitions de terrains.

Admettant moitié déblais et moitié remblais et supposant que les déblais seront utilisés à la formation des remblais, le cube de 40,000 mètres par kilomètre correspondra à une tranchée d'une longueur moyenne de 500 mètres, ayant plus de 4 mètres de hauteur et 26 mètres de largeur en gueule, y compris les francs bords ; admettant pour les remblais une assiette de 26 mètres (ce qui est évidemment forcé), on aura par kilomètre une emprise de 2 hectares 60a res qui au taux de 12,000 francs l'hectare, fr. 31,200.

Frais d'expropriation et bâtisses, 4,800.

Ensemble, fr. 36,000 par kilomètre, soit pourles 53 kilomètres, 1,908,000 »

4° Traverses à niveau.

Les 53 kilomètres comptés au taux de la ligne de Charleroi à Bruxelles comprendront 78 traverses à 600 fr. 46,800

Nous admettons la construction de 50 maisons pour gardes à 2,000, fr. 100,000.

Idem 28 loges pour gardes, à 500, fr. 14,000.

Ensemble, fr. 160,800. »

5° Railway.

Deux voies ou 106 mètres de longueur, y compris coffre, billes, ballast, rails du poids de 34 kil., coussinets en fonte, chevilles, pose avec gargouilles et banquettes à 30,000 fr. par kilomètre, soit pour 53 kilomètres (de double voie), fr. 3,180,000.

6° Frais d'administration.

Plans, projets, etc., etc., fr. 412,900

7° Intérêts.

Intérêts des capitaux pendant la construction qui durera trois ans ou une année et demie des sommes qui précèdent à 5 p. c. l'an, fr. 649,357

8° Sommes réservées pour l'Etat pour la construction des stations, fr. 900,000.

9° Imprévus et dépenses extraordinaires, fr. 392,553.

Pour 53 kil., total, fr. 10,600,000.

Ainsi par kilomètre 200,000 fr.

D'après ce qui précède, il est évident que l'évaluation de la dépense des travaux à 15,500,000 fr. donnera aux concessionnaires un premier bénéfice à faire sur l'exécution d'environ cinq millions, indépendamment des autres bénéfices que je signalerai tantôt.

Voyons maintenant quelles sont les obligations que s'impose le gouvernement.

Par contrat, le gouvernement payerait à MM. Waring-Dandelin et comp., 50 annuités dont chacune serait par kilomètre les 48/100 du produit brut moyen des chemins de fer de l'Etat.

Quel est la valeur de ces annuités ?

Je réponds qu'elle sera de plus d'un million.

Prenons pour base le produit kilométrique pendant l'année 1855. Il est de fr. 38,725

A multiplier par 53, soit fr. 2,052,425, dont les 48/100 font 985,164.

Si l'on prend, comme le rapporteur de la section centrale, la moyenne kilométrique pour 1854, soit 55,789 (c'est aussi ce que fait M. le ministre, exposé des motifs, p. 5), on trouve une annuité de 910,472 francs.

Mais il faut nécessairement tenir compte des augmentations annuelles des recettes des chemins de fer : depuis leur création les recettes ont toujours augmenté, jamais elles n'ont diminué, jamais même elles ne sont restées stationnaires.

Voici le tableau du produit kilométrique des lignes françaises pour une période de 5 années par jour kilomètre. (Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée), et ainsi de suite pour tous les chemins de fer sans exception aucune.

Moyenne générale de toutes les lignes françaises :

1851 : 89 ; 1852 : 98 ; 1853 : 114 ; 1854 : 125 ; 1855 : 146

Lignes belges :

1851 : 70 ; 1852 : 77 ; 1853 : 85 ; 1854 : 97 ; 1855 : 106

Si l'on veut parler de l'origine des chemins de fer belges on trouve :

De 1835 à 1839, 44 fr. par jour kilom.

De 1840 à 1844, 51 fr.

De 1845 à 1849, 62 fr.

De 1850, 66 fr.

De 1851, voir la progression ci-dessus.

(page 1364) Les mêmes faits se reproduisent en Allemagne, en Angleterre et pour toutes les lignes américaines. Dire que cette série va s'interrompre brusquement pour la Belgique toute seule, c'est aller à rencontre de toutes les données statistiques.

Ainsi en portant les annuités au chiffre rond de 1 million, nous restons dans les bornes d'une juste modération.

Car si les lignes belges obtenaient un jour le même produit brut que les lignes françaises, et pourquoi ne l'espérerions-nous pas, grâce aux soins et aux conseils des honorables MM. de Brouwer et de Man ? l'annuité s'élèverait à près de 2 millions.

El quelle est la valeur de 50 annuités de 1 million chacune, véritables bons du trésor garantis par VEtat et par le chemin de fer lui-même ?

En escomptant ces annuités à 5 p. c. et en tenant compte des intérêts et des intérêts désintérêts, elles vaudraient comptant 18,255,000.

Cette somme départie sur 53 kil. fait 345,000 fr. par kilomètre payés par anticipation.

40 annuités escomptées de la même manière donneraient, comptant, un capital de 17,331,000 fr.

On peut se demander encore : si l'Etat créait un emprunt à 5 p. c. remboursable par annuités successives de un million chacune, combien d'années devra-t-il servir cette rente pour acquitter 15,500,000 fr. supposés dus comptant ?

Les tables d'annuités répondent 30 ans,t oujours en tenant]compte des intérêts et même des intérêts composés.

Ainsi donc, au moyen d'une annuité d'un million pendant 30 ans, l’Etat payerait le coût de toute la dépense du chemin de fer, calculé à raison de 300,000 francs par kilomètre, et le kilomètre, comme nous l'avons établi, ne doit coûter qne 200,000 francs.

Et on veut accorder à MM. Waring-Dandelin et compagnie une annuité d'un million pendant cinquante ans ! Quelle énormité ! nous pourrions dire : Quel scandale !

Des offres très sérieuscs ont été faites dans le temps pour 50 annuités et aujourd'hui, certes pour moins de 40, on trouverait des amateurs pour tous les chemins de fer, bons et mauvais, à construire en Belgique, et ce avec toutes les garanties de cautionnement désirables.

Ici se terminent mes observations.

J'ai établi 1° que la nouvelle ligne de Luttre à Denderleeuw est inutile et même qu'elle présente de graves dangers au point de vue des intérêts généraux.

2° Que le coût des dépenses de construction est exagéré de plusieur millions et que dans tous les cas voulût-on contre l'évidence admettre ce coût comme réel, le terme de 50 ans pour le payement de l'annuité devrait être réduit à 30.

Si je suis entré dans quelques détails, c'est que j'ai voulu mettre la Chambre à même d'apprécier la question et de connaître exactement l’etendue des sacrifices auxquels l'Etat s'engage.

Mais je ne veux pas me borner à une discussion stérile, je veux conclure.

De tout ce que j'ai dit, il résulte clairement que l'affaire n'est pas suffisamment instruite, qu'il faut s'éclairer par des devis estimatifs dûment contrôlés, par des enquêtes, par des avis des autorités locales et provinciales et par tous les moyens prescrits par l'arrêté de 1836 ; par conséquent, je propose l'ajournement du projet de loi.

Si cet ajournement venait à être rejeté, je proposerais comme amendement une adjudication publique dans des termes qui donneraient à la fois des garanties et au gouvernement et aux amateurs sérieux. Voici cet amendement :

« Le gouvernement est autorisé à mettre en adjudication publique la construction d'un chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, moyennant un certain nombre d'annuités, dont chacune sera égale au nombre de kilomètres, multiplié par les 48/100 de la recette brute moyenne, réalisée sur tous les chemins de fer exploités par l'Etat.

« Le rabais portera sur le nombre d'annuités, qui ne pourra, dans aucun cas, excéder 40.

« Tout soumissionnaire devra préalablement déposer un cautionnement de 100,000 francs, en espèces ou emprunts belges.

« En cas d'adjudication, le cautionnement devra être complété, dans les trois mois, au chiffre de 750,000 francs ; à défaut de remplir cette obligation dans le terme fixé, les 100,000 francs versés, à titre de cautionnement provisoire, seront acquis à l'Etat.

« Le projet de traité entre M. le ministre des travaux publics et MM. Waring, Dandelin et Cie, tel qu'il est présenté à la ratification des Chambres, servira à régler les conventions spéciales non reprises dans le présent amendement. »

Les développements dans lesquels je suis entré ont démontré que les propositions de MM. Waring, Dandelin et comp., par lesquelles ils demandent cinquante annuités, font ressortir le chiffre de la construction du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw à un prix tellement exagéré qu'il est de la dignité du parlement belge de ne point y accéder.

Des propositions ont été faites au gouvernement et aux Chambres de construire ce même travail et aux mêmes conditions, moyennant 30 annuités au lien de 50.

J'ai prouvé qu'à ce taux l'entrepreneur ferait encore une spéculation suffisamment rémunérée pour y appeler les capitaux.

Comme il importe dans l'intérêt des contribuables de payer le moindre nombre possible d'annuités, pourvu toutefois que des garanties d'exécution soient données, il convient d'avoir recours à I'adjudication publique en prenant soin de formuler des garanties financières suffisantes pour en assurer l'exécution, d'où découle naturellement le dépôt préalable d'un cautionnement pour pouvoir prendre part à l'adjudication, et ultérieurement le dépôt d'un cautionnement plus considérable pour celui qui sera déclaré adjudicataire. J'ai fixé le chiffre du cautionnement provisoire à 100,000 francs et celui du cautionnement définitif à 750,000 francs.

La clause de ne point excéder 40 annuités ôte en partie l'extrême exagération qui entachait le contrat provisoire présenté à la ratification des Chambres, mais j'espère bien que la concurrence diminuera considérablement ce chiffre posé comme limite extrême.

M. Lelièvre. - En ce qui concerne le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, j'attendrai, avant d'émettre mon vote, les éclaircissements que la discussion pourra suggérer. J'attendrai la réponse qui sera faite aux observations de l'honorable M. Verhaegen. Mais je dois appuyer en principe les autres projets présentés par le gouvernement.

Les concessions de chemins de fer projetés satisfont à des besoins qu'il est impossible de méconnaître, et imprimeront de plus en plus à l'industrie et au commerce l'essor qui doit en augmenter la prospérité. A mon avis, il est impossible de réaliser des progrès plus efficaces an point de vue des intérêts matériels.

Mais, messieurs, je dois signaler une omission préjudiciable à l'arrondissement que je représente plus particulièrement dans cette enceinte. Il s'agit de la construction d'un chemin de fer de Namur à Dinant, entreprise qui est réclamée depuis longtemps par les motifs les plus sérieux.

Le conseil communal de Dinant s'est adresse récemment à la législature. J'aurai l'honneur de soumettre à la Chambre les considérations décisives énoncées à la réclamation.

Dinant, depuis 1815, a servi, pour ainsi dire, d'entrepôt et de lieu de passage pour les Ardennes, la province de Luxembourg et cette partie de la France partant de Sedan et Charleville et s'étendant jusqu'à Maubeuge. Déplus, il renferme de nombreuses et importantes industries qui déversent leurs produits à l'intérieur du pays et à l'étranger. Enfin, son territoire et celui de son arrondissement contienne de grandes richesses naturelles. Aussi, Dinant a-t-il vu son commerce se développer et grandir chaque année, au point qu'en 1855, et nonobstant le tort qui lui a été causé par le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse, il a atteint des proportions plus élevées que jamais.

« On peut s'en faire une idée par le chiffre des importations et des exportations attesté par le bureau de Heer, dernier village belge vers Givet ; par ceux inscrits dans les registres de l'octroi de la ville de Dinant, enfin par ceux qui résultent des livres des commissionnaires, expéditeurs, voituriers et bateliers.

« On peut affirmer que l'année 1855 a vu dans la seule vallée de la Meuse, de Namur à Givet, un mouvement dépassant l'énorme quantité de trois cents millions de kilogrammes.

« Les choses qui passent par Dinant ou qui y sont déposées et parvenant dans le Luxembourg, dans les Ardennes belges, dans les Ardennes françaises et dans les départements voisins, proviennent pour la plupart de l'intérieur du pays, elles sont généralement amenées à Namur par les trois chemins de fer qui y aboutissent.

« On comprend dès lors la nécessité, tant pour la prospérité de ces trois chemins de fer que pour celle de la ville et de l'arrondissement de Dinant, de continuer ce moyen de transport si facile et si rapide jusqu' aux lieux mêmes où la Belgique verse ses produits et va en chercher.

« Cette nécessité de l’établissement d'un chemin de fer mettant la ville et l'arrondissement de Dinant en rapport direct avec les sources de son commerce et lui permettant en outre de déverser ses produits naturels et industriels dans les lieux auxquels ils manquent, avait déjà frappé l'industrie, le gouvernement et les Chambres. En effet l'article 63 du cahier des charges pour la concession du chemin de fer de Liège à Namur porte :

« Si, endéans les dix premières années de la concession du 20 juin 1845, l'on construisait en France dans la vallée de la Meuse, un chemin de fer de la frontière à Vireux ou à tout point supérieur de cette vallée, les concessionnaires seraient tenus d'y rattacher celui de Liège à Namur, en le prolongeant par Dinant jusqu'à la frontière.

« Le délai accordé à cet effet aux concessionnaires serait de trois ans, à dater de l'acte du gouvernement français qui aurait assuré l'exécution du chemin sur son territoire.

« Pourquoi les concessionnaires du railway de Liège à Namur ne l’ont-ils pas conduit jusqu'aux frontières françaises ?

(page 1365) « Pourquoi ont-ils laissé périmer le délai de faveur qui leur avait été/ accordé ? Ce sont là des points que le conseil n'a point à examiner. Néanmoins il dira que l'intérêt de ces concessionnaires, d'accord avec celui du pays, leur imposait le devoir de prolonger jusqu'à Givet ce chemin de fer qui, partant de Liège pour n'arriver qu'à Namur, n'était qu'un tronçon, un commencement auquel la fin manquait. Toujours est-il que cette concession conditionnelle a été jusqu'à ce jour un obstacle à une demande nouvelle et irrévocable.

« N'est-il pas aussi à regretter que la société du chemin de fer du grand Luxembourg se soit détournée d'un centre commercial si actif et si important, pour traverser une partie de pays où tout est à créer ? »

Il me paraît impossible de méconnaître la valeur de ces arguments.

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Thibaut a annoncé l'intention de déposer un amendement dans le sens de la pétition dont il s'agit.

Je serai heureux de me rallier à cette proposition et de l'appuyer de mon vote.

J'insiste principalement sur la considération que déjà l'utilité du chemin de fer dont il s'agit a été reconnu, par le gouvernement lui-même, dans le cahier des charges relatif au chemin de fer de Namur à Liège.

En effet, on avait imposé à la société concessionnaire, dans le cas énoncé à la convention, l'obligation de construire le chemin de fer allant vers Dinant. Il est donc vrai de dire que l'utilité de cette construction a été solennellement reconnue, et dès lors il ne peut y avoir aucun inconvénient à autoriser le gouvernement à concéder une ligne qui déjà a fait l'objet d'une convention formelle entre l'Etat et une compagnie.

Ne perdons pas de vue que le cahier des charges que j'invoque n'a été adopté par le gouvernement qu'en pleine connaissance de cause et après avoir pris tous les renseignements désirables sur l'objet dont il s'agit. Il y a donc réellement chose jugée sur l'utilité de l'entreprise que je crois devoir soutenir. Je laisserai aux députés de Dinant l'honneur de proposer un amendement qui intéresse au plus haut degré leur arrondissement ; mais je crois devoir dès ce moment lui donner mon entier assentiment, et je demande qu'il soit adopté conformément à ce que réclament les plus graves intérêts.

M. le président. - La Chambre a décidé que les deux projets de loi seraient compris dans la même discussion ; je crois qu'elle ne persistera pas dans cette décision qui aurait pour effet d'introduire une grande confusion dans les débats. On pourrait soumettre chaque projet à une discussion séparée, sauf à prendre une résolution ultérieure quant au fond.

M. Dechamps. - Je conviens, messieurs, qu'il y aura une certaine confusion si l'on discute en même temps toutes les propositions. Je crois qu'on pourrait discuter chacun des projets séparément, sauf à les comprendre tous dans une loi d'ensemble dont le chemin de fer de Lullre à Denderleeuw formerait l'article premier, et ainsi de suite.

M. Prévinaire. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Dechamps ; mais si la Chambre ne revient pas sur la décision qu'elle a prise au début de la séance d'ouvrir une seule discussion sur tous les projets, je demanderai à M. le ministre des travaux publics de vouloir bien fournir à la Chambre, le plus promptement possible, des éclaircissements sur ses intentions en ce qui concerne le chemin de fer de Louvain à Bruxelles.

M. de Perceval. - Et tous les autres.

M. Prévinaire. - Je parle spécialement de celui de Louvain à Bruxelles parce qu'il est indispensable que ce projet soit discuté en présence d'un tracé et d'un cahier des charges connus.

La section centrale nous a révélé que l'intention du gouvernement n'était pas encore arrêtée quand le rapport a été fait ; j'espère que depuis lors il se sera formé une opinion, qu'il pourra nous faire connaître.

M. Frère-Orban. - Messieurs, au début de la séance, un honorable membre a proposé d'ouvrir une discussion générale sur tous les projets. Celle proposition a été admise plutôt par l'absence d'opposition que par un vote formel. Ou en aperçoit immédiatement les inconvénients : il est clair que la confusion va régner dans une pareille discussion ; un membre parlera du projet de Luttre à Denderleeuw, un autre du chemin de fer de Dinant, et aucun orateur ne rencontrera celui qui l'a précédé, si ce n'est peut-être plusieurs jours après.

Maintenant, l'honorable M. Dechamps dit : « Discutons chaque projet séparément, sauf à comprendre ensuite tous les projets dans un seul vote. »

Mais, messieurs, ceci est encore une aggravation de la proposition primitive, non pas quant à la discussion, mais quant au vote. Je suis d'avis que l'on discute chaque projet séparément, mais je m'oppose à ce que toutes les propositions soient réunies dans un seul vote. Veuillez-le remarquer, messieurs, nous sommes saisis de deux projets de loi par le gouvernement, l'un n'a pas été modifié ; l'autre est notablement changé par des additions introduites par la section centrale qui a commis un premier empiétement et paraît disposée à en commettre beaucoup d'autres. On a adressé des pétitions à la Chambre pour d'autres chemins de fer ; elles ont été renvoyées à la section centrale qui ajoute encore de nouvelles concessions à celles qui étaient comprises dans le projet primitif.

Messieurs, nous ne pouvons être saisis que du projet du gouvernement et peut-être des propositions auxquelles il se rallierait, ce point serait à examiner ; mais nous ne pouvons pas admettre que la Chambre soit saisie d'un projet de concession, par la voie d'une pétition admise même par la section centrale et moins encore par une proposition émanant de l'initiative d'un membre isolé de la Chambre, lorsque cette proposition n'aurait pas suivi la filière indiquée par le règlement.

Nous nous exposerions ainsi à de grands inconvénients, nous pourrions faire naître des espérances relatives à des projets plus ou moins étudiés et qui donneraient lieu, en dehors de cette enceinte, à toutes sortes de spéculations.

Nous devons examiner des propositions du gouvernement et on ne peut pas, sous prétexte d'amendements, introduire de nouvelles demandes de concessions.

Une proposition de concession d'un autre chemin de fer ne peut pas être introduite par amendement au projet de loi du gouvernement. Ainsi, dernièrement, on a voulu proposer, par voie d'amendement au projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, de réduire le péage sur le canal de Charleroi ; le gouvernement a dit alors que c'était uns proposition touie différente ; qu'on ne pouvait pas considérer comme amendement à un projet de concession de chemin de fer une réduction de péages sur une voie navigable ; que la proposition devait suivre la filière ordinaire des propositions émanées de l'initiative parlementaire ; c'est ce qui a eu lieu. Il ne faut pas non plus que des projets distincts, présentés séparément, soient confondus en un seul projet sans l'assentiment du gouvernement.

Je demande donc que dans la discussion on maintienne le projet du gouvernement et que le vote ait lieu séparément sur les diverses propositions qu'il nous a soumises.

M. le président. - Je dois faire remarquer que la section centrale qui a examiné le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw ne propose pas d'amendement ; ce n'est que la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à diverses concessions de chemins de fer, laquelle a présenté des amendements.

M. de Renesse. - Messieurs, je ferai remarquer que lors de la grande loi de 1851, sur les travaux publics, on ne s'est pas montré aussi rigide qu'on paraît vouloir l'être aujourd'hui ; à cette époque plusieurs projets de chemins de fer ont été présentés dans le cours de la discussion, et votés par la Chambre. C'est ce qui a eu lieu encore dans d'autres circonstances, et notamment en 1845 ; alors aussi on a introduit divers amendements dans une loi concernant des projets de chemins de fer. On a donc constamment suivi cette marche ; pourquoi s'en écarterait-on aujourd'hui, alors qu'il s'agit de localités qui n'ont pas de chemins de fer ?

M. de Naeyer, rapporteur. - La Chambre a le droit d'amendement.

M. Landeloos. - Messieurs, je viens appuyer la proposition de l'honorable M. de Renesse.

A deux reprises différentes, lorsqu'il s'est agi de projets de loi présentés par le gouvernement et relatifs à des travaux publics, des membres de la Chambre ont déposé des amendements, ces amendements ont été discutés et plusieurs ont été adoptés à une grande majorité. Je crois qu'il y a lieu de se conformer à ce précédent dans l'occurrence.

Quant à la motion de l'honorable M. Frère, je reconnais avec lui qu'il y a impossibilité de continuer simultanément la discussion des deux projets qui sont actuellement soumis à la Chambre. Je sens qu'il y aurait confusion, et je comprends dès lors la nécessité d'avoir une discussion particulière en ce qui concerne le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw et d'avoir ensuite une discussion à l'égard de l'autre projet.

Je ne pense pas qu'il soit absolument nécessaire que cesdeux projets ne fassent qu'une seule loi ; je crois que chacun des projets peut être voté séparément ; ensuite lorsqu'il s'agira de discuter le projet de loi relatif à divers chemins de fer, on pourra examiner les amendements présentés tant par la section centrale que par l'un ou l'autre membre de la Chambre.

L'honorable M. Prévinaire, a demandé ensuite à M. le ministre des travaux publics de vouloir bien communiquer à la Chambre la décision qu'il entend prendre à l'égard du tracé du chemin de fer de Louvain à Bruxelles ; je ne m'oppose pas à cette motion, pour autant qu'elle ne doive pas avoir pour résultat de faire ajourner ce projet. Mais si le gouvernement se trouvait dans l'impossibilité de déclarer actuellement quel est le tracé auquel il accorde la préférence, je suis d'avis que ce ne serait pas un motif pour que la Chambre n'examine pas immédiatement le projet de loi qui a été présenté par le gouvernement.

M. Dechamps. - Messieurs, l'honorable M. Frère-Orban consent à ce que la discussion soit séparée ; mais il se refuse à admettre la proposition que j'avais faite et qui avait été appuyée sur tous les bancs de la Chambre : c'était de comprendre le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw dans le projet de loi relatif à tous les autres chemins de fer et d'en faire l'article premier de ce projet.

L'honorable M. Frère prétend qu'il ne faut considérer comme étant soumis à nos délibérations que le projet de loi primitif ; il refuse ainsi à la section centrale le droit que toute section centrale possède, d'apporter des amendements à un projet de loi dont le gouvernement nous saisit.

(page 1366) Mais, messieurs, je comprends pourquoi le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw a fait l'objet d'un projet de loi séparé. Cette convention a été signée par le gouvernement et les concessionnaires bien avant l'époque où le second projet de loi a été présenté ; mais la Chambre a décidé qu'on attendrait le rapport de l'honorable M. Coo-ans sur le second projet de loi, avant de s'occuper du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.

Il y a, évidemment, connexité entre le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw et ceux, par exemple, qui sont destinés à relier le bassin du couchant de Mons à Gand et à Courtrai.

Maintenant que la Chambre a rendu les deux discussions à peu près simultanées, je demande pourquoi Ton ferait une exception, en séparant du projet d'ensemble le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw. L'honorable M. Frère semble perdre de vue que le second projet de loi comprend six concessions de chemins de fer ; je demande pourquoi l'on n'y comprendrait pas le projet de chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, puisque nous discutons les projets simultanément.

Je rappellerai à l'honorable M. Frère que c'est ainsi qu'on a procédé en 1851 ; le projet de 1851 était un projet d'ensemble ; alors on a fait des objections assez sérieuses contre ce mode de procéder ; mais le gouvernement dont l'honorable M. Frère faisait partie a maintenu son principe et l'a fait triompher.

En 1851, la section centrale, et on ne lui a pas alors dénié ce droit, a apporté des modifications au projet du gouvernement ; elle y a introduit des propositions nouvelles ; la Chambre même a adopté des projets de chemin de fer qui avaient été présentés dans le cours de la discussion et qui n'avaient pas été soumis à l'examen préalable de la section centrale ; la Chambre a même admis, malgré le gouvernement, deux concessions de chemin de fer.

M. Frère-Orban. - Le gouvernement s'y était rallié.,

M. Dechamps. - Je croyais que vous les aviez combattues. Quoi qu'il en soit, il n'y avait pas eu d'examen de la part de la section centrale.

Ainsi, d'après les précédents, la section centrale avait parfaitement le droit de faire des propositions nouvelles, et nous aurons le droit de les discuter, sauf à la Chambre à les admettre ou à les rejeter.

J'insiste encore sur la proposition que j'avais faite ; s'il n'y avait en présence que deux projets de chemin de fer, à savoir le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw ei celui de Saint-Ghislain vers Gand, je comprendrais qu'on ne fît pas une seule loi des deux projets ; mais le deuxième projet de loi du gouvernement comprend six chemins de fer distincts ; pourquoi n'y comprendrait-on pas, pour le vote, le chemin de fer de Luttre à Denderleeuw ?

On me dira : C'est une combinaison différente. Mais je ferai observer que pour le projet de chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, c'est aussi une autre combinaison.

Là, il s'agit d'un projet à exécuter par l'Etat. Je ne comprends pas le motif valable qui puisse faire exclure la ligne de Luttre à Denderleeuw de l'ensemble des lignes qu'il s'agit de concéder.

M. Vander Donckt. - Messieurs, je crois qu'en général la Chambre ne tient pas assez compte du degré d'instruction des différentes catégories des chemins de fer. Il y a d'abord les chemins de fer instruits dont le cautionnement a été versé ; je ne vois pas d'inconvénient à discuter ces chemins ensemble ; mais il y a une seconde catégorie pour laquelle il y a des demandes de concession, catégorie qui a reçu une première instruction ; enfin une troisième catégorie, et c'est celle des pétitionnaires qui nous demandent de concéder un chemin de fer allant de telle localité à telle autre localité, dont l'instruction n'est pas faite, et qui ne le sera que dans un avenir assez éloigné.

Il est impossible que cette dernière catégorie puisse être discutée avec les autres en pleine connaissance de cause ; ce qu'on pourrait faire serait d'autoriser le gouvernement a concéder ces chemins de fer, quand ils seront instruits, et que le cautionnement et les autres exigences que nous y attachons seront satisfaites.

M. de Haerne. - J'ai peu de chose à dire après les observations qui viennent d'être présentées, entre autres par l'honorable M. Dechamps ; cependant comme j'ai fait partie de la section centrale qui a été appelée à examiner la concession de plusieurs lignes nouvelles de chemin de fer, je vous dois, messieurs, un mot d'explication. Nous avons dû parler dans la section centrale par forme de comparaison du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw.

En effet, il était impossible de ne pas jeter un coup d'œil d'ensemble sur les diverses lignes projetées ; comme elles ont plusieurs points de contact, il convient, dans l'intérêt de la discussion, de les comprendre dans un même projet de loi, sauf à faire un article spécial pour chacune de ces entreprises. C'est ce que l'on a fait dans la section centrale. De plus les propositions qui dans le projet du gouvernement ne formaient que des alinéas, nous avons jugé à propos d'en faire des articles séparés ; je crois qu il faut aussi faire un article spécial du chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, mais le comprendre dans le même projet de loi (dont il ferait l'article premier) ; il faut l'y faire entrer à cause de l'analogie et des rapports qui existent entre cette ligne et plusieurs de celles du grand projet.

Pourquoi présente- t-on plusieurs lignes dans un même projet ? Parce qu'il y a un plan général, et qu'il faut de l'harmonie dans l'ensemble.

On nous dit de faire un projet de loi à part du chemin de Luttre à Denderleeuw.

J'y consentirais si ce projet ne s'était pas présenté au moment où l'on allait discuter le projet de loi relatif à la concession de plusieurs autres lignes ; mais dans l'état actuel des choses, au point de vue de l'intérêt du projet et de l'intérêt de la discussion, je pense qu'il convient de comprendre tous les chemins de fer dans un même projet de loi et de faire de chacun d'eux un article séparé, afin de les discuter chacun à part, sans cependant perdre de vue les autres.

C'est ce qu'on fait quand on discute un projet de loi quelconque. Il y a souvent plusieurs articles, parce qu'il y a plusieurs points de vue spéciaux.

Et cependant ces divers objets se rapportent à une idée d'ensemble, qui exige qu'on réunisse les particularités en un seul projet de loi.

Je crois qu'il faut se conformer ici à l'esprit du règlement qui est formel à cet égard.

J'en dirai autant des nouvelles lignes à proposer par voie d'amendement. Ceci nous a paru très simple.

On a proposé des modifications au projet du gouvernement en section centrale. Pourquoi ? Dans l'intérêt du projet même, parce que certaines lignes demandées, pour lesquelles un cautionnement est déposé ou sur le point de l'être, ont paru telles, qu'elles devaient améliorer le projet primitif. La section centrale en avait le droit, la Chambre l'a aussi.

Si dans la discussion elle trouve qu'une modification améliore l'ensemble des lignes projetées, elle sera maîtresse de l'adopter.

J'ai proposé, pour ma part, la ligne de Mariemont à Marchienne. Dans mon opinion, la Chambre fera bien de l'adopter. En tout cela il n'y a qu'à suivre le règlement, si l'amendement est bon, on l'accepte ; s'il ne convient pas, on le rejette.

Il n'y a pas lieu de déroger au règlement en cette occurrence ; ce serait rompre avec nos antécédents ei rendre les discussions plus longues.

Si nous étions engagés dans la discussion du fond, je pourrais parler de certains tracés qui ne sont pas proposés, entre autres de celui que je viens de nommer, qui a été parfaitement étudié depuis 1847, si je ne me trompe, et pour lequel M. Dubois-Nihoul est prêt à déposer le cautionnement. D'autres membres auront peut-être aussi des propositions nouvelles à faire. On ne peut donc pas interdire à la Chambre de faire des amendements et de les discuter, quand les différents articles seront mis en délibération.

M. Julliot. - J'avais demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Frère, quand il a dit que la section centrale n'avait pas le droit de proposer la concession de lignes nouvelles. L'honorable membre n'a pas vu qu'il faisait le procès à des précédents posés sous son ministère, car alors ma proposition d'une ligne de Tongres à Liège a été introduite dans un projet du gouvernement.

M. Frère-Orban. - D'accord avec le gouvernement.

M. Julliot. - La ligne d'Audenarde a subi une modification sur la proposition de la section centrale.

M. Frère-Orban. - D'accord encore avec le gouvernement.

M. Julliot. - Soit, il en résulte donc que là où le gouvernement sera d'accord avec la section centrale, une modification ou une nouvelle ligne pourra être introduite, cela est convenu.

M. Manilius. - J'ai été à peu près cause du fait qu'a cité l'honorable M. Dechamps ; il a cité une résolution qui a été prise sur ma motion ; quand il s'est agi de mettre à l'ordre du jour le projet dont il s'agit, j'ai demandé qu'on attendît jusqu'à ce que nous ayons reçu le rapport sur la concession de plusieurs lignes de chemins de ter.

Dans cette séance, il a été résolu que la discussion aurait lieu successivement sur les divers projets de loi et que celui relatif au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw serait voté en premier lieu.

Mais il a été reconnu qu'il ne serait pas discuté isolément, que nous aurions la faculté, pour obtenir ce que demande M. Dechamps, de raisonner sur les conséquences des differenls projets, leur connexité, enfin sur les moyens à faire valoir pour les adopter ou les modifier. Cette résolution ne doit pas être mise en question. Si j'avais à exprimer ici mon opinion je dirais que mon désir serait que chaque chemin de fer fût l'objet d'un projet de loi séparé, il en résulteraitr que loin de nuire, nous ferions quelque chose d'avantageux pour chaque chemin de fer.

Que pourra-t-il arriver si vous donnez suite à la proposition de M. Dechamps ? Vous aurez une coalition et une confusion dans la discussion. Dans la discussion de 1844, dans une séance qui a commencé à midi et qu'on a suspendue à 5 heures, et reprise de 8 à 11 heures du soir, on a voté plusieurs concessions en un seul projet de loi. Ce n'est pas là un bon précédent à suivre. Si vous voulez agir prudemment, ce sera de rester dans les termes des projets, de maintenir la division.

Pour les amendements, j'ai le regret de devoir combattre l'opinion de 1 honorable M. Frère. Il est certain que la Chambre a le droit d'amendement ; il est impossible de lui dénier ce droit, consacré non seulement par une disposition du règlement, mais par une disposition de la Constitution qui se trouvent par hasard porter le même numéro, le n°42.

Des mesures très utiles ont été admises par amendement. Il serait donc regrettable que la Chambre renonçât au droit que lui donnent le règlement et la Constitution

M. de Mérode. - J'insiste en faveur de l'opinion que vient de soutenir l’honorable préopinant, M. Manilius.

(page 1367) Le réseau des chemins de fer est presque entièrement terminé. Il y a des précautions à prendre pour en empêcher la ruine.

Si l’on réunit dans un seul projet de loi plusieurs lignes de chemins de fer, c'est le moyen de faire passer le bon et le mauvais. Ce n'est pas ainsi que le législateur doit agir ; l'intérêt général est ce qui doit préoccuper surtout le gouvernement.

On vous a rappelé qu'en 1851 on avait soumis à la Chambre un ensemble de projets. On les a fait passer tous à la fois, à peu près sans examen ; mais c'est un système que j'ai combattu alors, sous une administration qui n'était pas conforme à mes sympathies.

Celle qui existe à présent est plus conforme à mes sympathies ; mais je ne m'occupe pas de mes sympathies. Quand il s'agit de la chose publique, je n'ai ni amis, ni adversaires. Quand mes adversaires présentent un projet qui ne me paraît pas inspiré par de bons motifs, je vote contre. Comme j'ai combattu ce tohu-bohu de combinaisons, qui nous lance dans l'inconnu, je le combats encore aujourd'hui.

Il résulte de ces votes d'ensemble que le député appartenant à un arrondissement intéressé à l'un des chemins de fer compris dans le projet se trouve dans, un grand embarras vis-à-vis de ses commettants.

- Un membre. - C'est son affaire.

M. de Mérode. - Sans doute ; mais nous connaissons la nature humaine ; nous ne vivons pas d'abstractions, et il est certain que cette circonstance influencera le vote de ce représentant en faveur de chemins de fer pour lesquels, sans cela, il n'aurait pas voté. On ne doit pas supposer à un représentant une perfection imaginaire, attachée à sa qualité, et que n'ont pas les autres hommes.

Par ces motifs je pense qu'il convient de discuter et de voter les divers projets indépendamment les uns des autres, parce que c'est la meilleure manière de procéder, et que c'est le seul moyen de voter en parfaite connaissance de cause.

M. Devaux. - Je voulais parler dans le même sens que les honorables MM. Manilius et de Mérode.

Une discussion est ouverte sur un projet de loi. Libre à lous les orateurs de l'examiner dans ses rapports avec les autres projets. Ainsi, si le projet de loi relatif au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw se rattache à d'autres projets de chemins de fer, libre à chaque orateur de s'en occuper dans la discussion générale. Mais quant au vote, je crois que ce qui est sage, ce que la Chambre doit faire, c'est de faire pour chaque ligne un projet spécial. Il est évident que la réunion des diverses lignes en un seul projet n'a aucun but utile, et qu'elle n'aurait qu'un seul résultat, de gêner notre liberté. Il est évident qu'ainsi nous ne sommes pas libres, et que si chacun votait comme il sent sur l'ensemble, presque tout le monde s'abstiendrait, et que le projet serait adopté par 2 ou 3 voix.

Je vous demande ce qu'il y a de commun entre la ligne de Chimai et celle de Blankenberghe, et pourquoi un même vote les réunirait.

Il est certain que nous ne sommes pas libres quand nous devons voter à la fois dix chemins de fer. Pourquoi ces votes d'ensemble ? Pour faire passer des projets dont la majorité ne veut pas, pour faire des coalitions.

Les voles sur des chemins de fer sont les votes d'intérêts matériels les plus importants que la Chambre ait à émettre. Il faut donc adopter le mode le plus prudent, et qui offre le moins de danger. Le mode qui offre le moins de danger, c'est de disjoindre. C'est ainsi seulement que la liberté parlementaire sera réelle. En faisant voter les chemins de fer tous ensemble, prenez garde de discréditer le gouvernement parlementaire ; car de telles fautes retombent toujours sur les institutions.

Je ne fais pas de reproche au gouvernement. Cela s'est déjà fait ; mais on s'éclaire par l'expérience. Ce n'est pas un motif pour ne pas adopter un mode nouveau qui offre moins de danger.

J'abonde dans le sens des honorables préopinants.

M. Frère-Orban. - J'ai insisté tout à l'heure pour qu'on ne confondît pas dans le vote les divers projets qui ont été soumis à la Chambre par le gouvernement et les projets, qui, sous prétexte d'amendements, émaneraient soit de la section centrale, soit de l'initiative des membres de la Chambre. Je me plaçais à un point de vue différent de celui de l'honorable M. Devaux. Je conteste le droit de proposer, sous prétexte d'amendements, de véritables concessions nouvelles. La section centrale a fait des propositions en ce sens. Par qui ont-elles été examinées ? Est-ce par la Chambre ? Et elles seraient adoptées sans avoir été soumises à une instruction qui est indispensable. Voilà ce que je ne puis admettre. Je fais une grande dislinclion entre ce mode de procéder et celui qui consiste de la part du gouvernement à présenter un ensemble de travaux publics.

Le gouvernement, usant de son droit, de son initiative et sous sa responsabilité, soumet à la Chambre un ensemble de projets. Cet ensemble de projets est examiné par la Chambre, par la Chambre tout entière, et il est soumis aux formalités déterminées par le règlement. Il y a là un contrôle sérieux. Il y a la responsabilité du gouvernement qui est aussi, j'espère, quelque chose. Que l'on critique ce mode de procéder, j'y consens. Mais qu'on n'imagine pas que par là on arriverait, s'il y avait une série de projets séparés proposés par le gouvernement, à éviter la coalition dont on se plaint. Elle se formerait dans la pensée lorsqu'elle ne serait pas en apparence dans le vote.

Le danger contre lequel je m'élève, c'est le danger des propositions improvisées sans examen, c'est l'usurpation de l'initiative du gouvernement ou l'abus du droit d'initiative des membres de la Chambre sous prétexte d'amendements.

Voilà ce que je combats, et c'est un point très important. Dans ce moment, le gouvernement se rallie-t-il aux prétendus amendements présentés, c'est-à-dire aux propositions de concessions nouvelles ? Nous ne le savons même pas.

On veut comprendre ces objets dans la discussion et ultérieurement dans le vote. C'est vraiment inadmissible. S'il y a des inconvénients an point de vue dont s'est occupé l'honorable M. Devaux, il y en a de bien plus grands encore au point de vue où je me place, celui de faire disparaître toute espèce de responsabilité, tout examen sérieux de la part de la Chambre.

M. le président. - Je ferai remarquer de nouveau que le premier projet porté à l'ordre du jour, celui de Luttre à Denderleeuw, n'a pas été amendé par la section centrale, elle en propose simplement l'adoption.

M. Frère-Orban. - Mais on propose de le joindre à l'autre projet qui est lui-même amendé. Je ferai remarquer qu'en 1851 on n'a pas procédé ainsi. Un projet a été présenté par le gouvernement sous sa responsabilité ; des modifications y ont été introduites, mais d'accord avec le gouvernement.

M. le président. - M. Lelièvre a proposé, au commencement de la séance, de réunir la discussion des deux projets et personne n'a protesté contre cette propostion.

M. Dechamps. - L'unique but que j'avais en vue, c'était de ne pas donner au projet de Luttire à Denderleeuw une position spéciale. Je reconnais que ce but peut être atteint de deux manières. Comme un autre projet, comprenant diverses concessions, nous a été proposé par le gouvernement, il était naturel qu'il me vînt d'abord à l'esprit de demander que l'on comprît le projet de Luttre à Denderleeuw dans le projet d'ensemble et qu'il en formât l'article premier.

Mais je fais d'autant moins de difficulté de me rallier à la proposition de l'honorable M. de Mérode et de l'honorable M. Devaux, qu'elle est conforme à l'opinion que j'ai toujours professée ici.

En 1845, contrairement à ce que vous a dit l'honorable M. Manilîus, qui a été mal servi par ses souvenirs, j'ai présenté une série de projets de concessions de chemins de fer et de travaux publics, mais par des projets séparés, projets qui ont été discutés séparément et même à certains intervalles.

En 1851, j'ai même critiqué la forme qui avait alors été adoptée par le gouvernement, c'est-à-dire l'idée d'un projet d'ensemble. J'ai été alors de l'avis que viennent d'émettre l'honorable M. Devaux et l'honorable M. de Mérode.

Je le répète donc, je ne fais aucune difficulté de me rallier à leur proposition. Je demande qu'on fasse de chacun des articles du projet un projet séparé. La position sera ainsi la même, pour chaque projet de chemin de fer.

M. de La Coste. - Il me paraît qu'on ne peut opposer d'avance des fins de non-recevoir à la marche qu'il conviendra à la Chambre de suivre. Dans le projet général de travaux publics il y a eu des amendements proposés par la section centrale et qui ont été discutés et adoptés. Ces amendements sont nombreux ; mais, dit l'honorable M. Frère, ces amendements avaient été adoptés par le gouvernement. Je pense, messieurs, que si le gouvernement les avait repoussés la Chambre n'aurait pas, pour cela, refusé de les discuter. La Chambre ne peut pas, ce me semble, investir le ministère d'une espèce de veto non seulement sur l'adoption mais même sur la discussion.

Je connais qu'il serait à désirer de pouvoir écarter des projets qui ne présentent aucune possibilité d'exécution, qui ne sout pas mûris, etc., mais, enfin, on ne peut pas enchaîner la Chambre. On ne peut pas poser en principe que lorsque le ministre se rallierait à un amendement, l'amendement deviendrait discutable et qu'il ne le serait pas si le ministre refusait d'y adhérer.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, c'est une question bien grave que celle de savoir si une nouvelle ligne proposée par une section centrale est un amendement. Pour moi, d'apiès les antécédents posés dans d'autres circonstances, je ne puis pas considérer une telle proposition comme un amendement, à moins, comme le dit l'honorable M. Frère, que le gouvernement ne s'y soit rallié. Je crois que pour pourvoir être discutée sans l'adhésion du gouvernement, une proposition ayant pour objet la création d'une nouvelle ligne, devrait subir les formes prescrites par le règlement.

J'ai cru, messieurs, devoir faire cette observation, parce que la question a une grande importance et que c'est en même temps une question de principe.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, on a soulevé la question de savoir si l'on peut introduire par amendement une nouvelle ligne de chemin de fer qui n'ait pas été proposée par le gouvernement. Je pense que cette question ne peut pas être résolue d'une manière absolue. Il peut y avoir, sous ce rapport, des amendements proprement dits ; il peut y avoir aussi des propositions qui, comme le dit l'honorable M. Frère, ne seraient que des prétextes d'amendements, tout dépend de l'appréciation des faits.

Il peut arriver, par exemple, que deux projets soient en présence (page 1368) depuis longtemps, qu'ils soient instruits tous les deux, mais que le gouvernement ait adopté l'un, qui exclue en quelque sorte l'autre, comme ayant le même but. Alors je dis qu'il doit être permis de reproduire par amendement le projet écarté par le gouvernement, puisqu'il est destiné à remplacer celui auquel le gouvernement a donné la préférence. Qu'est-ce, en effet, qu'un amendement ? Mais c'est une disposition destinée à remplacer une autre disposition qu'on considère comme défectueuse.

Je le repète donc, messieurs, il faut apprécier ces faits et voir si la proposition dont il s'agit est réellement un amendement ou si elle n'est pas un amendement. Je crois que la Chambre ne peut pas se lier d'avance et qu'il faut voir les résultats de la discussion, et prendre une décision spéciale sur chaque proposition qui pourra être présentée comme amendement.

M. de Theux. - Je voulais aussi faire remarquer qu'il ne faut pas en cette matière de théories trop absolues. Dans certains cas une proposition, présentée comme amendement, peut être entièrement nouvelle et de nature à ne pas pouvoir trouver sa place dans la discussion et à devoir faire l'objet d'un projet séparé. Mais aussi, dans d'autres circonstances une proposition nouvelle peut être tellement connexe à la proposition primitive qu'elle constitue un amendement bien réel.

Je suis également assez d'avis, messieurs, qu'en règle générale il convient de discuter séparément chaque intérêt distinct et d'en faire l'objet d'un projet de loi spécial ; mais si l'on veut entrer dans cette voie, il faut suivre la même règle pour toutes les propositions qui nous sont soumises et ne pas accorder à quelques-unes l'avantage d'une coalition, tandis qu'on le refuserait à d'autres. On ne doit réunir alors que les projets tellement connexes qu'ils n'en formeraient en quelque sorte qu'un seul, en ce sens que l'exécution de l'un influerait sur l'exécution de l'autre et réciproquement. Hors de là, je crois qu'il faudrait appliquer la même règle à tous les projets en discussion et que M. le ministre devrait aussi consentir à la séparation des parties de son projet qui ne seraient pas connexes.

M. Julliot. - Quand, comme moi, on a postulé différentes fois un chemin de fer pour son arrondissement, et qu'on n'a pas a bouti, on en a au moins conservé la mémoire ; les succès s'oublient, mais les échecs restent présents à la mémoire, et pour une seconde fois, je vais faire l'office de Moniteur.

Maintenant l'honorable M. Frère-Orban soutient que quand le gouvernement ne se rallie pas à une proposition de l'initiative d'un membre ou de la section centrale, la proposition ne peut être discutée par la Chambre ; eh bien, c'est encore une erreur, et j'ai un précédent pour moi. Souvenez-vous, messieurs, que quand on a discuté le chemin de fer de Hasselt à Maestricht, j'ai proposé une ligne nouvelle de Bilsen à Liège par Tongres, ligne plus importante même que celle qui était en discussion ; on me disait alors que je voulais obliger les concessionnaires à faire deux chemins de fer pour un ; le gouvernement s'opposait de toutes ses forces à ma proposition, - néanmoins la Chambre m'a fait l'honneur de discuter mon projet, il a été écarté par 34 voix contre 24, mais personne ne m'a opposé une fin de non-recevoir. Qu'on veuille me dire maintenant ce qu'il y a de changé à ces précédents, et nous continuerons la discussion de ce principe.

M. Magherman. - Il me paraît aussi, messieurs, qu'il y a une distinction à établir. Quand le gouvernement présente un projet de loi comprenant, par exemple, cinq ou six chemins de fer, en un mot, un projet d'ensemble pour favoriser les différentes parties du pays, une proposition ayant pour objet d'être utile à une contrée qui aurait été négligée par le gouvernement, devrait, ce me semble, être considérée comme un véritable amendement ayant pour but d'améliorer le projet primitif que le gouvernement s'y ralliât ou qu'il ne se ralliât point, et qu'elle émanât, soit de la section centrale, soit d'un membre isolé de la Chambre.

Si, au contraire, le gouvernement présente un projet de loi ne concernant qu'un seul chemin de fer, il est évident qu'on ne peut pas par amendement proposer un chemin de fer pour une autre partie du pays. Une telle proposition n'aurait, en effet, rien de commun avec la proposition du gouvernement.

Messieurs, dans l'occurrence, je crois qu'il serait sage d'adopter la mesure proposée par l'honorable M. de Mérode et par d'autres membres, et de faire un projet de loi séparé pour chaque ligne distincte.

M. le président. - Je crois qu'on rentrerait dans la voie normale en écartant la proposition de M. Lelièvre et en revenant purement et simplement au chemin de fer de Luttre à Denderleeuw, qui figurait le premier à l'ordre du jour et dont la section centrale propose l'adoption sans amendement.

- Cette proposition est adoptée.

M. Thiéfry. - L'honorable M. Prévinaire a adressé une demande à M. le ministre des travaux publics relativement à la direction du chemin de fer de Bruxelles à Louvain ; j'espère que M. le ministre des travaux publics pourra nous donner des renseignements à cet égard dans la séance de demain, avant que la discussion commence.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.