(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)
(Présidence de M. Delehaye.)
(page 265) M. Ansiau procède à l'appel nominal à une heure et un quart.
M. Calmeyn lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est adoptée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« La députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale prie la Chambre de voter le crédit nécessaire pour améliorer la position des employés des gouvernements provinciaux. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.
« Le sieur Bertrand-Stevens demande une loi qui, au moyen d'un reçu obligatoire pour l'administration des postes et d'une pénalité sévère, garantisse aux citoyens l'inviolabilité de leurs lettres, ou bien une loi qui abolisse le monopole de la poste aux lettres. »
M. Julliot. - Messieurs, les faits qui sont signalés dans cette pétition sont très graves. Voilà trois lettres expédiées, à de courts intervalles, de Tongres à Bruxelles, et aucune d'elles n'est parvenue à son adresse.
Je pourrais citer beaucoup d'autres faits de la même nature. Mais le moment ne s'y prête pas. Si le gouvernement a le monopole de la poste, il a la responsabilité morale de l'exactitude de ce service ; on en est venu aujourd'hui au point que si on avait une dépêche importante à faire transporter, on donnerait la préférence à un particulier, même en subissant l'amende qui pourrait en résulter.
Je demande donc un prompt rapport sur cette pétition, afin que le gouvernement et la Chambre veuillent bien s'occuper de cet inconvénient qui devient très grave.
- La proposition de M. Julliot est adoptée.
« Les membres du conseil communal de Waerschoot demandent la suppression des dépôts de mendicité ou du moius que les mendiants ne puissent plus être admis dans ces établissements sans le consentement de l'administration communale du lieu du domicile de secours. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Warocqué, de Quanter et autres exploitants de charbonnages du Centre demandent que leurs produits ne soient plus assujettis à la surtaxe qu'ils payent pour leur transport par le canal de Charleroi à Bruxelles. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Oosthoven, Heyende et Schuerhoven demandent que ces hameaux qui font partie de Oud-Turnhout n'en soient pas séparés. »
- Même renvoi.
« La dame Cautaerts, fille d'un blessé de septembre, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Plusieurs bateliers, patrons et négociants intéressés au service de la navigation, présentent des observations contre le projet de loi relatif au halage des bateaux et demandent qu'il soit pris des mesures propres à mettre un terme aux abus qui existent dans ce service. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Quelques industriels à Bruges demandent que la loi relative à l'entrée des charbons de terre soit prorogée pour un terme de dix années. »
M. Coppieters. - Messieurs, la pétition dont il vient d'étre présenté l'analyse, est signée par plusieurs des plus notables industriels de la ville de Bruges ; ils se plaignent avec raison de la cherté et de la rareté du charbon ; ils font remarquer que la prorogation de la loi du 31 décembre 1853, pour une seule année, comme cela a eu lieu jusqu'à présent, ne produit absolument aucun effet. Nous avons pu remarquer, dans les documents qui ont été publiés, que les importations de charbons ont eu en général peu d'importance et que dans nos Flandres elles ont été complètement nulles cette année. Les pétitionnaires voudraient que la loi fût prorogée pour plusieurs années. Ils ajoutent que si cette certitude était donnée au commerce, il lui serait possible de nouer des relations suivies et qu'alors, malgré le haut fret qui existe aujourd'hui, on parviendrait peut-être à importer du charbon.
Je demande que la pétition soit renvoyée à la section centrale et déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. Sinave. - J'appuie les observations de l’honorable préopinant.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, la section centrale a déjà fait son rapport. Je pense aussi qu'elle a examiné cette question ; elle l'a traitée dans son rapport, par conséquent, le renvoi à la section centrale serait inutile.
M. Vandenpeereboom. - S'il entrait dans les usages de la Chambre d'autoriser le dépôt sur le bureau d'une pétition qui n'a été renvoyée ni à une section centrale ni à une commission, je me bornerais à demander le dépôt immédiat, sur le bureau, de la pétition des industriels de Bruges, le renvoi à la section centrale, dans ce cas, deviendrait inutile.
M. le président. - Messieurs, lorsqu'une pétition se rapporte à un projet de loi sur lequel on a fait un rapport et qui est à l'ordre du jour, la Chambre se borne ordinairement à ordonner le dépôt de la pétition sur le bureau.
C'est la proposition que le bureau fait en ce moment à la Chambre.
M. Coppieters. - Je me rallie à cette proposition.
M. Sinave. - J'ai demandé la parole pour faire observer que la section centrale a été saisie de l'objet dont il s'agit dans la pétition et qu'elle ne l'a pas pris en considération, motif de plus pour adopter la proposition que fait M. le président.
- Le dépôt sur le bureau de la pétition est ordonné.
M. Maertens. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi, ouvrant un crédit provisoire de 1,200,000 francs au département de l'intérieur pour 1856.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Van Hoorebeke. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant demande de crédit supplémentaire au département des travaux publics pour 1855.
- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la mite de l'ordre du jour.
M. Frère-Orban. - Messieurs, j'ai eu l'honneur d'avertir M. le ministre des travaux publics que je me proposais de lui adresser une interpellation à propos de l'augmentation de tarif effectuée par la compagnie du chemin de fer du Nord exploitant la ligne de Liège à Namur. Je désire obtenir quelques explications de M. le ministre et, je l'espère aussi, l'assurance que l'on s'empressera de faire rentrer la compagnie dans la légalité.
La Chambre se souvient peut-être qu'au mois de juin dernier, an moment de nous séparer, l'honorable M. David appela l'attention de M. le ministre des travaux publics sur les intentions de modifier les tarifs, manifestées dès cette époque, par la compagnie du Nord. M. le ministre répondit ce qui suit :
« Il n'était pas nécessaire que mon attention fût appelée sur ce point par l'honorable membre. Il m'avait déjà été signalé. Mais il n'est pas prouvé que le tarif ait été élevé dans le sens que le dit l'honorable membre. J'ai écrit à la Compagnie pour lui demander des explications. Si le fait qui m'a été signalé était exact, des mesures seraient immédiatement prises pour réprimer l'abus.
Les faits que révélait à celle époque l'honorable M. David, bien loin de disparaître, se sont plutôt aggravés. J'écrivis de mon côté au département des travaux publics, au mois d'août suivant, le ministre ne prenant aucune mesure. On me répondit :
« L'affaire des réclamations des établissements industriels de Liège contre la compagnie du Nord, exploitant le chemin de fer de Namur à Liège, n'est pas encore terminée. Cette compagnie n'a pas encore communiqué ses tarifs, on a insisté pour les obtenir ; la compagnie a promis de les faire parvenir très incessamment ; on attend cette communication pour prendre une décision. »
Les mois s'écoulèrent et aucune décision ne fut prise. Un grand nombre d'industriels réclamèrcnt ; l'un d'eux, se faisant l'organe des intérêts de tous, s'adressa au ministre des travaux publics au mois d'octobre 1855 et signala les infractions commises à la loi, au cahier des Charges de la concession.
Le département des travaux publics répondit que l'administration de l'Etat n'avait pas augmenté ses tarifs pour le parcours de Liège à Herbesthal.
La convention qui vient d'être conclue avec la compagnie du Nord porte cette réponse, « annule, il est vrai, la faveur accordée aux minerais de fer et aux fontes brutes par l'arrangement provisoire du 9 mars 1855 par l'administration : mais le nouveau prix qui sera mis en vigueur, à dater du 21 courant, n'est pas supérieur à celui du tarif réglementaire, appliqué pour les transports des services intérieurs ut mixtes. »
L'honorable ministre des travaux publics, en s'expliquant en ces termes, laissait supposer qu'il ne comprenait pas la réclamation des industriels ; il répondait que les tarifs de l'Etat n'étaient pas augmentés. Mais que les tarifs de l'fitat fussent augmentés ou ceux de la (page 266) compagnie, il y avait, en réalité, un changement notable et très préjudiciable dans les prix, et c'était là ce qui constituait le grief, c'est là ce qu'il fallait examiner,
A la vérité, M. le ministre ajoutait « que l'augmentation se rapporte à la ligne de Namur à Liège ; » mais il semblait, malgré les avertissements qui lui avaient été donnés, ne pas croire qu'il eût à se préoccuper de pareilles mesures.
On répondit, de nouveau à M. le ministre : « Vous terminez, écrivait-on, par nous dire que l'augmentation éprouvée dans nos frais de transport se rapporte à la ligne de Namur à Liège, dont l'ancien tarif, en ce qui touche le parcours intérieur, était moins élevé.
« Je crois devoir vous faire remarquer à cet égard, que l'ancien tarif de la ligne de Namur à Liège était établi d'après les maxima du cahier des charges annexé à l'acte de concession de cette ligne et que je ne comprendrais pas comment cette ligne aurait pu dépasser légalement ces limites maxima établies dans la loi de concession, soit pour le parcours intérieur, soit pour un parcours mixte et international.
« Il vous appartient assurément, M. le ministre, de défendre et d'empêcher ces augmentations illégales de tarif et de protéger l'industrie et le commerce du pays contre toute transgression du cahier des charges, qui fait la loi des parties.
« Veuillez, toutefois, avoir la bonté de me faire connaître quelle est la part afférente à la compagnie du Nord,, qui exploite maintenant la ligne de Namur à Liège, dans le prix total du transport fixé par votre arrangement du 24 août dernier, afin que je puisse apprécier aussi par moi-même, si les limites maxima du cahier des charges précitées, s'élevant à quarante centimes par tonne-lieue ou huit centimes par tonne et par kilomètre, ne se trouvent pas, par une inadvertance quelconque, dépassées aujourd'hui. »
Cette lettre est restée sans réponse.
On écrivit encore ; même silence de la part du département des travaux publics.
Le comité des charbonnages liégeois s'adressa au mois de novembre au département des travaux publiec dans le même but, et le même silence obstiné et persévérant fut gardé. Pas de réponse, pas d'explications sur les réclamations.
Enfin, la chambre de commerce de Liège intervint à son tour ; mais pas plus que le comité des charbonnages, pas plus que les industriels qui s'étaient plaints, elle n'a pu vaincre le silence inexplicable de l'administration.
Que se passait-il, messieurs, pendant tout ce temps ? Il nous est permis de soupçonner que l'on tâtonnait, de part et d'autre, pour chercher une combinaison à l'aide de laquelle il serait possible de donner à la compagnie du Nord un tarif plus favorable que celui qui résulte de la loi de concession et de son cahier des charges.
Jusqu'au moment où la ligne de Namur à Liège fut cédée à la compagnie du Nord, les industriels n'avaient à former aucune plainte. La compagnie anglaise qui exploitait, respectait les limites de son tarif ; et comme la compagnie anglaise n'avait pas le bonheur de se trouver en bonnes relations avec l'administration du chemin de fer de l'Etat, elle était maintenue rigoureusement dans les conditions de son contrat.
Mais à partir de la cession à la compagnie du Nord, il en est tout autrement. Les plus grandes facilités sont données ; les questions qui étaient restées indécises sont bientôt résolues : tout se passe de la manière la plus satisfaisante pour la compagnie.
Voici, messieurs, quelques faits qui vont vous en donner la preuve.
Antérieurement au mois de mars 1855, le prix du transport du minerai de la station de Dolhain jusqu'à celle de Seraing, par exemple, était de 3 fr. 75 c. par tonne. Voici comment cette somme se décomposait :
1° 3 fr. 10 à l'Etat formant le prix de transport de 3ème classe suivant le livret réglementaire du 1er juillet 1853 ;
2° 0 fr. 65 au chemin de fer de Namur à Liège, ce qui est parfaitement conforme aux limites maxima de son cahier des charges.
A partir de la mise en vigueur de ce qu'on appelle le tarif mixte, c'est-à-dire le tarif qui doit servir de base aux perceptions relatives à des marchandises qui parcourent en partie le chemin de fer de l'Etal et en partie le chemin de fer concédé, tarif qui devrait uniquement se composer des deux tarifs ; à partir de la mise en vigueur de ce règlement, appelé tarif mixte, voici ce qui s'est passé.
L'administration du chemin de fer a placé dans une classe favorisée les transports de minerais. Ils étaient dans la troisième classe, on les a fait passer dans la quatrième, et le prix total du transport pour la même destination que jeu viens d'indiquer de Dolhain à Seraing, au lieu d'être de 3 fr. 75 c, ne s'est plus trouvé que de 3 fr. 70 c. Mais voici la répartition de la somme de 3 fr. 70 c. :
2 fr. 10 c. àl'Etat, au lieu de 3 fr. 10 c. qu'il prélevait précédemment.
1 fr. 60 c. à la compagnie du Nord, au lieu de 65 centimes.
On s'est aperçu, sans doute, messieurs, qu'un fait de cette nature pourrait bien quelque jour, dans l'intérêt du trésor, soulever des réclamations dans cette Chambre. On avait diminué le prix des transports en ce qui concernait le chemin de fer de l'Etat et on l'avait accru notablement, en ce qui concernait le chemin de fer de la compagnie du Nord.
Aussi, à dater du mois d'août 1855, on adoptait un troisième système qui a eu pour résultat de porter le prix des transports, non plus à 3 fr. 75 c., non plus à 3 fr. 70 c., mais à 4 fr. 70 c. et la répartition s'est ainsi opérée : 3 fr. 10 à l'Etat ; 1 fr. 60 c. à la compagnie au lieu de 65 c. qui est le maximum de son tarif.
Ces faits signalés à M. le ministre des travaux publics ne lui ont pas paru sans doute devoir motiver une intervention quelconque de sa part.
Indépendamment de cette aggravation de tarifs qui est, comme vous le voyez, très significative, la compagnie du Nord a élevé une seconde prétention, c'est celle de grever les transports d'une taxe de 50 c. par tonne pour frais accessoires de chargement et de déchargement, et enfin elle a assimilé les gares d'établissements particuliers à certaines stations qu'elle possède, de manière à ajouter un certain nombre de kilomètres aux distances réellement parcourues.
Ces trois combinaisons sont très favorables à la compagnie, il faut le reconnaître ; mais de ces trois combinaisons, il n'en est pas une seule qui ne constitue une violation flagrante de son cahier des charges.
Aux termes du cahier des charges, le maximum du prix de transport par la compagnie est de 40 centimes par tonne et par lieue de 5,000 mètres, pour les marchandises dont je m'occupe spécialement, les houilles, la fonte, le minerai, etc. (Interruption.) Mais le cahier des charges stipule expressément que la perception se fera par kilomètre, de telle sorte que l'on comptera comme kilomètre accompli le kilomètre entamé. C'est donc huit centimes par tonne et par kilomètre.
Ainsi la compagnie perçoit le double ou le triple de ce qui lui est dû. En vertu de que droit ? On l'ignore. En vertu de quel pouvoir ? On n'en sait rien. Elle ne peut pas changer ses tarifs sans autorisation du gouvernement, et on n'invoque aucune autorisation de ce genre. D'ailleurs le gouvernement n'a, pas plus que la compagnie, le pouvoir de modifier la loi.
La perception d'une taxe supérieure au maximum du cahier des charges de la concession est donc souverainement illégale.
Quant aux frais de chargement et de déchargement, la compagnie forme également, à cet égard, une prétention inadmissible. Les industriels ne s'opposent pas assurément à ce que, dans ses stations, la compagnie fasse opérer les chargements et les déchargements, et qu'elle perçoive une taxe pour prix de ce service rendu. Mais elle veut percevoir 50 c. par tonne, même lorsqu'elle ne charge pas ou ne décharge pas les marchandises, même lorsque ces opérations ne sont faites et ne peuvent être faites que par les industriels ! Conçoit-on une pareille prétention ? La compagnie exige la taxe même là où elle ne pourrait n charger, ni décharger.
Ainsi, des minerais sont pris à Dolhain ou des fontes dans une usine reliée au chemin de fer ; la compagnie du Nord n'a rien à y voir ; elle n'a pas le droit de venir dans ces localités et cependant elle exige une taxe de 50 centimes par tonne pour frais de chargement ou de déchargement !
En vertu de la loi de concession, les divers établissements industriels, et vous savez qu'ils sont nombreux sur les rives de la Meuse, ont été autorisés à établir des raccordements avec la voie principale. C’est donc dans les établissements mêmes, par les soins et aux frais des industriels que se font les chargements et les déchargements ; la compagnie n'y vient et n'y pourrait venir, elle n'en aurait pas le droit, et cependant elle veut percevoir une taxe de ce chef !
L'acte de concession autorise bien la compagnie à percevoir, en vertu d'un tarif qui serait approuvé par le gouvernement, des frais de chargement et de déchargement ; mais, évidemment, c'est lorsque ces travaux lui incombent et non lorsqu'il s'agit de waggons chargés ou déchargés par les industriels, soit dans leurs usines, soit dans les stations de l'Etat, voire même des stations situées en pays étranger. Ce n'est plus alors qu'un prétexte pour se soustraire au tarif de la concession.
Maintenant, quant aux assimilations, n'est-ce pas aussi une violation du cahier des charges ? Il veut que l’on compte la taxe par kilomètre, et la loi de concession autorise les particuliers à raccorder leurs établissements à la voie ferrée ; c'est donc manifestement depuis le raccordement jusqu'au point où se rendent les transports que la taxe doit être perçue ; et la compagnie n'a pas le droit d'ajouter deux, trois ou quatre kilomètres, selon sa fantaisie, aux transports réellement effectués.
Comme vous avez pu le voir, messieurs, d'après l'exposé des faits que je viens de vous soumettre, les industriels intéressés ont montré un calme, une patience, une modération remarquables. Il y a des mois que l'on attend et que l’on écrit successivement à M. le ministre des travaux publics sans recevoir aucune solution. Mais la patience, la modération commencent à se lasser. J'avertis M. le ministre des travaux publics qu'i est gravement menacé d'une agitation très sérieuse et très fondée : ei ce moment une pétition, qui parviendra dans quelques instants à M. le ministre des travaux publics, est signée par toutes les sommités industrielles de Verviers, des rives de la Meuse, de Huy, de Namur, etc. protestant contre l'état de choses que je viens de signaler.
Je demande donc que M. le ministre des travaux publics veuille bien faire cesser le plus tôt possible une situation qui constitue la violation le plus flagrante du cahier des charges de la concession.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, les observations que vient de présenter l'honorable préopinant ne m'avaient (page 267) pas échappé, et je le prie de croire que ce n'est ni par indifférence, ni par négligence, que des mesures n'ont pas été prises pour faire cesser les abus qui pourraient exister dans les faits qu'il vient de signaler à la Chambre.
La première chose à examiner dans la question, est le règlement du tarif intérieur de la compagnie, tarif qui est la base de toutes les transactions qui doivent avoir lieu. Ce tarif est obligatoire pour le public, obligatoire pour la compagnie, et par conséquent, il doit servir de base à toutes les conventions mixtes ou autres.
Or, malgré les prescriptions du cahier des charges de 1845, qui règle la concession dont il s'agit, prescriptions d'après lesquelles le tarif et les conditions doivent être homologués par le département des travaux publics, à l'époque de mon arrivé à la tête de ce département, ces mesures n'avaient pas été prises ; tout restait à faire à ce point de vue.
J'ai donc exigé la production d'un projet de tarif ; l'examen de ce tarif, examen qui touche à son terme, a empêché de donner jusqu'ici une solution de principe à la question qu'a traitée l'honorable préopinant.
Cette question peut être appréciée à deux points de vue, celui du tarif intérieur et celui du tarif mixte.
Quant au tarif mixte, il a été admis de tout temps par le département des travaux publics et par les compagnies concessionnaires ; il a été reçu en principe par toutes les compagnies et par le public, que le tarif mixte serait appliqué à la distance totale parcourue, suivant le tarif en vigueur sur le chemin de fer de l'Etat au moment de la convention du service mixte.
La Chambre comprendra facilement qu'il est prcsque impossible qu'il en soit autrement. Il n'y a pas deux compagnies de chemins de fer concédés qui, par la loi de concession, aient la même classification de marchandises ou le même taux de transport à l'unité de distance.
Il s'ensuit donc qu'une marchandise devant emprunter le chemin de l'Etat ainsi qu'une ou deux lignes concédées, serait d’une tarification presque impossible au point de départ et au point d'arrivée par suite de la confusion qui existerait dans la classification de la marchandise et dans les bases de la perception de la taxe. Donc, en règle générale, le tarif mixte a été proportionné à la distance et au prix perçu sur le chemin de l'Etat.
En général, le tarif combiné de cette manière a été favorable à l'expéditeur, parce que presque partout c'est l'Etat qui a le tarif le plus libéral ; les compagnies, en signant les conventions, ont adhéré à ce tarif, et le public y a trouvé son avantage.
Le point où cela cesse d'être vrai c'est quand le tarif mixima, autorisé par l'acte de concession, renferme des prix moindres que le tarif de l'Etat. Or, il est clair qu'il y a alors désavantage pour le commerce. Cependant, dans presque tous les cas, cette légère aggravation de taxe est compensée par ce fait, qu'on exemple le public des frais de réinscription, des frais fixes et des frais des commissionnaires qui se chargent d'assurer la réexpédition.
Maintenant, pour le cas où ce tarif est plus élevé que le tarif appliqué aux chemins concédés, il est de principe et il est logique que ce tarif ne soit pas obligatoire pour le public ; le public en est tellement convaincu que, sous le régime de ces concessions, un grand nombre d'expéditions se font encore avec réinscription et rupture de charge ; par conséquent, ces marchandises se soustraient à l'empire du tarif mixte, en supportant l'addition des deux taxes. Les choses se passent aujourd'hui de cette manière à Liège ; là les marchandises destinées à la ligne concédée, à laquelle l'honorable M. Frère a fait allusion, subissent encore le transbordement et les frais de réinscription. Par conséquent, le tarif mixte n'est imposé à personne ; on peut l'adopter ou le rejeter à son gré, selon qu'on y trouve son avantage.
Ainsi, ce tarif mixte uc peut pas être pris pour base d'une accusation de perception illégale, parce qu il peut être éludé par le public.
C'est en vertu de ce tarif mixte qu'ont eu lieu jusqu'au mois de mars 1855 les transports de minerai auxquels l'honorable M. Frère vient de faire allusion ; après le mois de mars 1855, ces produits ont été mis dans une catégorie spécialement favorisée, en dessous du maximum de ce qui pouvait être perçu sur les deux lignes, de sorte que ces transports étaient effectués à un prix plus avantageux qu ils ne pouvaient l'être sur le chemin de fer de l'Etat.
A l'époque du mois d'août, les minerais et la fonte ont été remis dans la classe à laquelle ils appartiennent, au tarif ordinaire, et de là est résulté l'accroissement de la taxe à laquelle l’honorable membre vient de faire allusion, et comme il le dit, à cette aggravation de taxe est venue s'ajouter la perception des frais fixes. Cette question des frais fixes sera examinée tout à l'heure. Quant à la classification des minerais en dehors du tarif spécial, je pense que c'est à cela que sont dues particulièrement les nombreuses réclamations qui ont été élevées dans la vallée de la Meuse qui en général s'approvisionne de minerai aux environs de la ligne de Pépinster à Spa.
D'autre part, l'élévation du tarif, en ne laissant plus les minerais dans la classe privilégiée, vient encore frapper la fonte. Voilà les deux espèces de transports qui ont souffert du déclassement qui a eu lieu au mois d'août 1855.
Le département des travaux publics a examiné avec une attention sérieuse s'il n'y avait pas moyen de faire droit aux réclamations auxquelles l'honorable membre vient de faire allusion en rendant à ces produits pondéreux les faveurs dont ils jouissaient précédemment.
Sous ce rapport, je crois pouvoir donner aux exploitants de la vallée de la Meuse l'assurance que l'examen que j'ai fait de la question permettra probablement sous très peu de temps de revenir au régime plus favorable auquel ces marchandises ont été soumises et qu'il sera possible de leur rendre le transport à l'ancien taux privilégié.
Ainsi, de ce côté, la première partie du grief aura disparu ; l'autre partie est relative à la perception des frais fixés par la compagnie.
L'article 32 du cahier des charges qui règle les conditions des transports spécifie d'une manière positive que ies chargement et déchargement des marchandises pondéreuses se font exclusivement par les concessionnaires aux frais de l'expéditeur et au prix auquel cette opération se fait par l'Etat. Donc, les concessionnaires ont uniquement à faire droit à l'opération du chargement et du déchargement à un taux fixé d'avance.
Ils ont, à l'exclusion de tous autres, le droit de faire l'opération et d'en percevoir le prix.
Maintenait, il arrive que cette opération n'est pas faite, mais comme le cahier des charges assure aux concessionnaires le droit de la faire, la compagnie dit à tout expéditeur : J'ai le droit de faire l'opération, je suis prêt à la faire...
M. Frère-Orban. - La compagnie ne saurait pas la faire ; comment voulez-vous qu'elle aille faire un chargement à Dolhain ?
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - L’honorable membre voudra bien remarquer qu’il s’agit du tarif intérieur. Nous examinerons ensuite le cas où la marchandise parcourra plusieurs lignes concédées.
Voici comment le cahier des charges règle le service intérieur ; le concessionnaire a le droit de faire le chargement et le déchargement ; il est prêt à faire cette opération, il offre de la faire et de percevoir le franc auquel cette opération est taxée par le tarif de l'Etat. Presque toujours cette opération ne se fait pas par le concessionnaire, il est presque toujours avantageux pour l'expéditeur de la faire lui-même.
Mais comme le chargement ne consiste pas seulement dans la mise en waggon, qu'il y a encore d'autres frais, comme des frais de locomotion, de manoeuvres d'excentriques qui sont compris dans les frais fixes, la compagnie qui a ces frais à si charge quoiqu'elle ne fasse pas l'opération du chargement proprement dit, consent à transiger : elle offre de faire toute l'opération à ses frais et d'en percevoir le prix fixé par le tarif, ou d'en laisser faire une partie, la mise en waggon par industriel, et dans ce cas de ne plus percevoir que la moitié des frais qui lui sont dus.
L'honorable membre a raison quand les deux opérations ne se font pas sur la ligne, la compagnie n'a aucuns frais, par conséquent aucune rétribution à percevoir ; mais si l’une des deux opérations s'opère sur la ligne, la compagnie a encore le droit de percevoir la moitié du prix de l'opération.
Un autre objet sur lequel l'honorable députe de Liège a appelé l'attention du gouvernement, c'est la base de l'application du tarif.
Je suis d'accord avec l'honorable membre sur ce point que le cahier des charges prescrit la perception par kilomètre ; le règlement du service intérieur soumis à mon approbation maintient la perception du prix du tarif par kilomètre, toute fraction de kilomètre commencé devant être comptée comme un kilomètre entier. Mais en appliquant la perception par kilomètre au cas spécial dont il s'agit, reste la question de savoir où il faut reporter le point de départ ; est-ce à un endroit quelconque où manque tout ce qui constitue une station, ou bien à un endroit où l'administration a un siège régulier ?
Il y a en faveur du principe contraire des considérations assez importantes. Les frais de la compagnie ne commencent pas à la gare où elle n'a ni remise, ni le matériel, ni les employés nécessaires pour le contrôle et pour le pesage. A ce point de vue, je ne saurais donner une solution immédiate et complètement dans le sens des paroles prononcées par l'honorable membre.
Quant au minerai de fer, je pense qu'il y a moyen de faire droit aux observations de l'honorable membre en le replaçant dans une catégorie favorisée, toutes les fois qu'il s'agit d'une station appartenant à la compagnie ; mais quant aux gares particulières je ne sais jusqu'à quel point elle ne pourrait pas percevoir un prix différent quand la gare particulière est très rapprochée du point d'arrivée, car il y a des embranchements qui sont tellement rapprochés du point extrême de la ligne, qu'on n'aurait que 16 centimes à percevoir.
M. Frère-Orban. - C'est la loi de concession.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Est-il juste d’exiger que toute la dépense soit supportée par la compagnie, pour un transport qui ne parcourt que quelques kilomètres de sa ligne ?
Je continue à donner l'attention la plus sérieuse à cette question ; les tarifs me sont soumis ; ils ne sont pas encore approuvés ; si j'y trouve quelque disposition contraire à l'acte de concession ou qui puisse nuire à l'intérêt public, je ne les sanctionnerai pas.
M. Frère-Orban. - M. le ministre vient de l'avouer, les tarifs mixtes sont illégaux ; les particuliers peuvent ne pas s'y soumettre. Mais ce dont je me plains, c'est que le gouvernement prête les mains à des actes faites en vue d'éluder la loi.
Vous avez réglé les tarifs mixtes et vous avez fait en sorte de contraindre les particuliers à se soumettre à l'illégalité. Ils sont libres, dites-vous, de ne point respecter ces tarifs ; mais, s'ils ne le font pas, vous leur infligez une pénalité, c'est-à-dire que vous les obligez à payer des frais d'inscription et de réinscription.
(page 268) Or, comme l'administration a la faculté de fixer ces frais comme bon lui semble, il pourrait lui prendre fantaisie de les établir à un taux tel, que des deux systèmes on ne saurait lequel préférer. Ce n'est pas ainsi que doit agir le gouvernement. Le gouvernement doit se maintenir dans la légalité.
Or, la loi de concession est formelle.
Toute mesure qui, directement ou indirectement, a pour but de se soustraire au cahier des charges de la concession, ne peut être autorisée ou maintenue par le gouvernement. Quel motif le gouvernement a-t-il de prendre des dispositions dont il proclame lui-même l'illégalité ? Est-ce l'intérêt public qui l'y engage, est-ce pour favoriser les intérêts du trésor ? Non ; il se ferait ici le complaisant de la compagnie au préjudice des intérêts du commerce et de l'industrie et en violation des engagements qui résultent de la concession. Si l'on venait nous déclarer que le cahier des charges est susceptible d’interprétation ; que celle qu'on adopte est favorable au trésor ou à l'intérêt public bien qu'elle lèse certains intérêts privés, je concevrais que l'on fît des efforts pour la maintenir.
Mais on avoue que la mesure est illégale, qu'elle n'est pas avantageuse au trésor, qu'elle n'est pas en faveur des intérêts généraux du pays, qu'elle blesse les intérêts d'un grand nombre d'industriels au profit de la compagnie concessionnaire, et l'on cherche pourtant à la défendre ou à l'excuser ! J'engage le gouvernement, s'il ne veut pas provoquer de vives réclamations, à faire cesser sans retard les justes griefs dont on se plaint.
Il n'y a rien autre chose à faire que d'appliquer les deux tarifs : tarif de la compagnie et tarif de l'Etat.
Ce n'est pas par amour de l'uniformité que l'administration doit chercher à substituer aux tarifs des compagnies concessionnaires de chemins de fer, les tarifs de l'Etat.
Les compagnies les accepteront quand elles les trouveront favorables, elles les rejetteront quand ils leur paraîtront contraires à leurs intérêts.
La compagnie du chemin de fer de Namur à Liège est dans des conditions toutes spéciales : elle est établie sur les rives de la Meuse, et elle dessert un grand nombre d'établissements industriels de la plus haute importance, mais qui n'ont, je le reconnais, malheureusement pour la compagnie, qu'un petit parcours sur cette ligne.
Mais elle a accepté les stipulations que l'acte de concession contient en faveur de ces établissements. Elle a accepté la condition formelle qui donne le droit à tout particulier de se raccorder à la ligne principale, et l'obligation de prendre à chacun des raccordements tous les transports que présenteront les établissements industriels ; la compagnie ne peut pas violer cette obligation, ne tenir aucun compte de ces raccordements, en comptant les transports à partir des stations, grever les établissements industriels de frais fictifs de transport qu'elle n'a pas faits.
Elle ne peut assimiler les gares de l'Etat à ses stations, quant à la taxe à payer pour frais de chargement et de déchargement.
M. le ministre des travaux publies commet ici une erreur manifeste. Distinguons, dit-il, si le service de transport est mixte, ou s'il s'opère exclusivement sur la ligne. S'il s'agit d'un transport mixte, la compagnie n'a pas droit à ces 50 c. pour une opération faite dans une station qui ne lui appartient pas. Mais pour les transports faits sur sa propre ligne, il se demande si cette perception ne peut avoir lieu.
Et je réponds que s'il s'agit de chargements ou de déchargements opérés sur les voies de raccordement, propriété des particuliers ou dans leurs propres établissements, aucune taxe ne peut être réclamée par la compagnie. L'article 43 du cahier des charges ne laisse aucun doute a cet égard.
Je conviens que si la compagnie offrait de faire dans ses stations le chargement et le déchargement, elle aurait droit à la perception qu'elle réclame. Ce serait parfaitement légitime.
Mais si, en vertu de la loi de concession, les industriels opèrent le chargement dans leurs propres établissements, dans leurs gares, à l'aide des machines, engins ou attirails que le cahier des charges les autorise à établir à leurs frais dans leurs magasins ou abordages, il est certain que la compagnie n'a pas le droit de percevoir une taxe de ce chef. Lorsque, en vertu de la convention, on amène à la gare de raccordement les waggons tout chargés, comment la compagnie pourrait-elle percevoir des frais de chargement ?
Si de ces établissements on amenait la houille, la fonte dans les stations de la compagnie, et que le chargement se fît dans ces stations, je comprendrais qu'elle réclamât des frais de chargement. Mais je ne conçois pas qu'elle y prétende quand le chargement se fait dans des établissements industriels où elle n'a pas le droit de pénétrer. Si l'on admet ce système, il n'y a pas de raison pourqu'elle ne réclame aussi des frais de chargeaient pour les waggons chargés ou déchargés dans les stations de la Prusse ! Et de fait, elle pousse en réalité la prétention jusque-là.
Je prie de nouveau M. le ministre des travaux publics d'accorder à cette affaire la plus sérieuse attention, et de prendre une prompte décision. Elle est attendue avec impatience et je compte qu'elle fera cesser les griefs dont on se plaint, L'intérêt qui nous occupe est grave, car il s'agit, pour certains établissements industriels d'une différence de 15 à 20 mille francs dans les frais de transports. Aujourd'hui les questions industrielles se résument souvent en questions de transport. Une augmentation qui semble insignifiante constitue une somme notable par la masse à laquelle elle s'applique. Il faut donc que M. le ministre y prenne garde, car les intérêts de l'industrie sont ici sérieusement engagés.
M. Van Hoorebeke. - Dans l'intérêt des pétitionnaires et de l'industrie, je viens demander au gouvernement qu'il veuille traiter la compagnie du Nord, dans ses relations avec le chemin de fer de l'Etat, d'après le droit commun ; qu'il lui applique les mêmes principes qui ont été adoptés dans les conventions mixtes qui ont déjà été conclues avec les compagnies concessionnaires de chemins de fer.
Je suis persuadé que si le gouvernement veut introduire dans la convention du 25 août dernier, les modifications reconnues nécessaires, s'il veut appliquer à cette convention les mêmes règles qui ont été appliquées aux autres conventions, l'industrie au moins en ce qui concerne les tarifs mixtes, n'élèvera plus de réclamations.
En effet, la Chambre se rappellera dans quelle situation se trouvait la compagnie du chemin de fer de Namur à Liège et de Mons à Managc dans ses rapports avec l'administration du chemin de fer de l'Etal ; la Chambre se rappellera les nombreuses réclamations du commerce et de l'industrie.
Le gouvernement en 1852, avait offert à la compagnie de chemin de fer de Namur à Liège et de Manage à Mons, un règlement en tous points favorable aux intérêts du commerce et de l'industrie.
Il disait à la compagnie : nous vous donnerons tous les transports qui doivent naturellement revenir à votre ligne.
Ainsi quant aux transports ds la section de Charleroi à Namur, en destination de Liège et au-delà, ils transiteront par votre ligne et vice-versa. Ce règlement était de nature à concilier les divers intérêts en présence. Il résolvait la difficulté, il tranchait le conflit ; la compagnie ne crut point devoir accepter les bases de cette transaction ; elle maintint ses propositions primitives et l'affaire en resta là.
La compagnie du Nord, en reprenant le service de la ligne de Namur à Liège, se montra plus accommodante : elle reprit les conditions qu avaient été offertes à ses prédécesseurs, et de là naquît l'arrangement provisoire du 8 mars, qui ne fit que consacrer, dans l'intérêt de tous, les principes suivis jusqu'alors dans le règlement des rapports des compagnies concessionnaires avec les chemins de fer de l'Etat.
A la date du 8 mars 1855 est intervenu un arrangement provisoire entre l'administration du chemin de fer et la compagnie du Nord, arrangement que j'ai signé, étant ministre des travaux publics.
Si cet arrangement avait été suivi, bien loin d'avoir la moindre réclamation, ni le moindre grief, le commerce et l'industrie auraient profité d'abord du bénéfice des transports mixtes directs par le chemin de fer de l'Etat, bénéfice dont elle avait été privée jusqu'alors, ce qui avait soulevé les plus vives réclamations. Le commerce et l'industrie auraient ensuite profité d'un dégrèvement de taxe sur plusieurs produits et des plus importants.
Ainsi, messieurs, aux termes de l'arrangement provisoire, pour le minerai, la fonte brute, la castine, la houille et le coke, il y avait un tarif spécial, lequel était calqué sur tous les tarifs spéciaux qui figurent dans les conventions mixtes faites avec les autres compagnies concessionnaires ; c'est-à-dire que toujours dans ces conventions, le gouvernement a admis le partage des frais fixes d'un franc. Cela n'est pas spécial à la compagnie du Nord. Cela s'est fait dans le contrat avec la société de la Flandre occidentale, dans la convention avec la compagnie d'Entre-Sambre-et-Meuse, avec la compagnie de Pepinster à Spa, etc. Toujours il a été admis que traitant avec une compagnie concessionnaire, on appliquerait comme base de la convention mixte les doubles frais fixes, lorsqu'il s'agit de transports qui peuvent les supporter, et quant aux transports qui ne peuvent pas supporter le double droit fixe d'un franc, il est convenu qu'on ne le perçoit qu'une fois, qu'on ne perçoit qu'un franc et on le partage : la compagnie concessionnaire prend 50 c. et l'Etat en prend 50.
Mais il y a plus : ce même régime avait été offert à la compagnie de Namur à Liège, par une convention qui porte la date du 8 août 1855 et dans laquelle je lis : « les prix des tarifs se composeront, en ce qui concerne les marchandises, d'une seule application des frais fixes ». Cette convention n'a pas reçu d'exécution, parce que la compagnie de Namur à Liège a prétendu toujours appliquer le principe de la courte distance et sur ce principe la transaction n'a pas été admise.
Voilà donc un premier point établi ; convention du 8 mars 1855, favorable au commerce et à l'industrie sous un double rapport ; relations directes avec le chemin de fer de l'Etat ; en second lieu pour les transports pondéreux, prélèvement seulement de 50 centimes au lieu d'un franc. Ainsi de ce côté pas de réclamation possible.
Mais la convention définitive qui est intervenue entre le département des travaux publics et la compagnie du Nord, à la date du 24 août 1855 est venue rompre les avantages résultant de l'arrangement provisoire du 8 mars 1855.
On a retiré précisément aux fontes et aux minerais le bénéfice de ce tarif spécial ; et le gouvernement prenant un franc, par suite la compagnie a pris un franc pour elle. Il en est résulté une double aggravation pour les expéditeurs de fonte et de minerai.
Eh bien, messieurs, je viens demander au gouvernement de faire pour la compagnie du Nord ce qu'il a fait pour toutes les autres compagnies ; que pour son tarif mixte, il applique les principes consignés dans la (page 269) convention du 8 mars, et ceci étant, il n'y aura plus d'autre réclamation que celle qui pourrait surgir à l'occasion du tarif intérieur.
Restent donc les modifications qu'a subies ce tarif, c'est la seconde question.
Eh bien, je viens me joindre à l'honorable M. Frère, pour attirer l'attention de M. le ministre sur ce point.
Les questions sont complexes : il y a la question des chargements et déchargements. Je ferai ici une observation. L'honorable M. Frère ne peut contester que la compagnie du Nord pourrait faire elle-même les chargements et les déchargements.
M. Frère-Orban. - Dans ses stations.
M. Van Hoorebeke. - Il y a les stations de la compagnie et il y a les gares dépendantes. Mais il faut prendre les cas spécialement, à mesure qu'ils se présentent. Je dis qu'en principe il n'y a pas de contestation à élever sur le point que voici.
« Les chargements et les déchargements de marchandises pondéreuses se feront aux frais de l'expéditeur et par les soins des concessionnaires aux prix actuellement fixés par les tarifs de l'Etat. »
C'est le droit des concessionnaires, il est incontestable, il est écrit en toutes lettres dans la loi. Ils peuvent faire les chargements, et les déchargements par leurs pauvres ouvriers et ils peuvent les faire aux prix fixés par le tarif de l'Etat.
Or, quel était ce prix en 1845 ? C'était 50 cent, pour frais de chargement et 50 centimes pour frais de déchargement ; c'était un franc.
Si donc la compagnie du Nord voulait établir dans les stations principales des brigades d'ouvriers pour opérer, aux frais de l'expéditeur, Ise chargements et les déchargements, elle pourrait prendre un franc. Aujourd’hui elle prend cinquante centimes, n'est-ce pas une sorte de forfait avec l'expéditeur ? Elle dit aux expéditeurs : Je puis vous prendre un franc, sauf à faire moi-même le chargement et le déchargement, voulez-vous les faire vous-même pour 50 centimes ? Je crois que dans ces conditions on n'aurait pas la moindre observation à faire à la compagnie.
Quant à la question des gares dépendantes, je la signale également à M. le ministre des travaux publics, ainsi que le point qui concerne la perception par lieue.
Je pense avec l'honorable M. Frère que, la perception devant se faire par kilomètre, l'on pourrait admettre le kilomètre comme unité de taxe ; mais quant à la question des tarifs mixtes, je prie le gouvernement de soumettre à une prompte révision la convention du mois d'août, en ce qui concerne les fontes et les minerais.
Il y a deux motifs pour que le gouvernement en agisse ainsi. Il y a d'abord un motif de justice et d'équité ; il y a ensuite un motif d'intérêt bien entendu ; en elfet, c'est au prix d'un dégrèvement, résultat du déclassement, qu'il pourra conserver les transports de minerais de Dolhain qui lui échappent, je pense, sous le régime actuel.
M. David. - Je n'ai que quelques mots à dire.
Pour que la Chambre puisse se prononcer en connaissance de cause, il est nécessaire que M. le ministre des travaux publics dépose sur le bureau la convention du 1er août 1855 et une autre convention qui doit avoir été passée vers le 24 août de cette année.
Je demande à M. le ministre que si des conventions sont intervenues avec d'autres sociétés, il veuille également les déposer sur le bureau.
M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, je ne vois aucun inconvénient à communiquer à la Chambre les conventions qui ont été conclues avec la compagnie du Nord le 8 mars et le 24 août 1855. Au reste, la Chambre ne doit pas perdre de vue que ces conventions ne contiennent aucun principe spécial, et l'honorable M. Frère s'est trompé quand il a pensé qu'il y avait accord entre le gouvernement et la compagnie, pour imposer au public des tarifs illégaux. Les conventions consacrent un tarif mixte ; mais ces tarifs n'offrent rien de nouveau ; ils ne sont pas une innovation dans l'administration du département des travaux publics ; les conventions de 1850 à 1851 ont toutes consacré un tarif mixte basé sur les mêmes principes.
L'honorable M. Frère croit que le gouvernement insiste vivement pour que le public se soumette à ces tarifs mixtes et que des pénalités très graves sont établies, à l'effet de forcer le public à les adopter. Mais le gouvernement n'a pas du tout l'intention d'imposer ce tarif, et la preuve qu'il ne l'a pas, c'est que dès qu'il y a avantage, le public préfère les frais de réinscription qui sont assez minimes, et le transbordement.
M. Lesoinne. - Messieurs, je crois qu'il est nécessaire de s'entendre sur les conventions à passer avec les compagnies. Peut-on, en vertu de ces conventions, augmenter le prix que le cahier des charges a imposé aux compagnies pour le transport des marchandises ? Voilà ce qu'à mon avis le gouvernement ne peut pas faire et c'est cependant ce qu'il a fait.
Ainsi, par exemple, pour le chemin de fer de la Flandre occidentale :
« La convention conclue le 7 juillet 1852, entre l'Escaut et la société, prescrit un péage variable de fr. 0-50 par tonne-lieue pour cette même classe, plus les frais fixes de 1 franc par 1,000 kilogrammes à percevoir en totalité pour tout transport mixte, non seulement pour le parcours sur la ligne de la société, mais encore pour le parcours sur la ligne de l'Etat.
« Voîci des conséquences démontrées par des exemples :
« Ostende à Thourout.
« Parcours sur la ligne de l'Etat, 22 kilom.
« Parcoirs sur la ligne de la société, 17 kilom.
« La société n'étant autorisée par sa loi de concession à percevoir que 9 centimes par kilomètre, ne peut demander au commerce, pour le parcours depuis Bruges jusqu'à Thourout, que fr. 1-55 par 1,000 kilogrammes. L'Etat, d'après son tarif actuel, prend fr. 2-20 depuis Ostende jusqu'à Bruges, c'est-à-dire quatre lieues à 30 centimes, plus 1 franc de frais fixes. Le total réuni fr. 3-75. Cependant, d'après la dernière convention, le prix est fixé à fr. 4-40 depuis Ostende jusqu'à Thourout. La société perçoit donc fr. 2-20 au lieu de fr. 1-55 autorisé par la loi de concession.
« Zedelghem à Gand.
« Parcours sur la ligne de l'Etat, 45 kil., fr. 3 70
« Parcoirs sur la ligne de la société, 9 kil., fr. 0 80
« Le total de la somme qui devrait être perçue est de fr. 4 50.
« D'après la nouvelle convention on perçoit fr. 5 30.
« Donc la société perçoit fr. 1-60, ou le double de la taxe fixée par la loi ! »
Je pourrais citer beaucoup d'autres conventions où les maxima des prix de transport fixés par les cahiers des charges ont été outre-passés d'une manière bien plus considérable encore. Mon but est de faire voir que, d'après ces conventions, les compagnies perçoivent plus que le cahier des charges ne leur alloue. Voilà pourquoi j'appelle l'attention de la Chambre et de M. le ministre des travaux publics sur ce point, c'est que le gouvernement, dans les conventions qu'il fera, ne puisse pas augmenter le maximum établi par les actes de concession. Beaucoup de ces actes ont été annihilés par les conventions. Or, c'est ce que le gouvernement, selon moi, n'a pas le droit de faire.
M. Frère-Orban. - Messieurs, il résulte de la discussion, et d'une manière irrécusable, de ce qu'ont dit l'honorable M. Van Hoorebeke et M. le ministre des travaux publics que le tarif qualifié de mixte est un tarif illégal ; il viole la loi de concession ; il augmente dans une proportion énorme les prix auxquels ils ont été fixés au profit de la compagnie. Voilà sur quoi nous sommes d'accord. Eh bien, cela reconnu, le gouvernement ne doit-il pas au plus tôt faire disparaître cette illégalité ?
En faisant une convention avec la compagnie du Nord, pour les transports qui empruntent les deux voies, il doit, d'une part, appliquer son tarif, et de l'autre, appliquer tel qu'il est celui de la compagnie. Il ne doit chercher ni directement, ni indirectement par des frais inutiles de réinscription, à éluder la loi de concession.
L'honorable M. Van Hoorebeke énonce que la convention qui avait été faite au mois de mars 1855 avec la compagnie du Nord, n'avait pas soulevé de réclamations. J'ai déclaré moi-même en commençant qu'il en avait été ainsi, et j'en ai dit les raisons. J'ai cité le tarif résultant de la convention du mois de mars 1855 ; j'ai fait remarquer qu'il avait eu pour conséquence de faire percevoir par la compagnie une somme supérieure à celle qui lui est due, à l'aide d'une réduction du tarif portant en totalité sur la part de l'Etat. Je ne pense pas que le gouvernement soit disposé à faire encore ce don tout à fait gratuit à la Compagnie. Il faut donc en revenir pour les transports mixtes à l'application loyale des tarifs.
Quant au second point, c'est-à-dire pour la perception de la taxe relative au chargement et au déchargement, j'ai reconnu que si la compagnie du Nord faisait ou offrait de faire dans ses stations les opérations du chargement et du déchargement, elle était fondée, aux termes de l'acte de concession, à percevoir le prix de ce service rendu. Mais la question n'est pas là ; la question est de savoir si la Compagnie a droit de percevoir, sous prétexte de frais de chargement et de déchargement, une taxe quelconque pour des travaux qu'elle n'opère pas et qu'elle ne peut pas opérer. Voilà où est toute la difficulté et elle n'est pas où l'honorable M. Van Hoorebeke a inutilement cherché à la trouver.
Il ne s'agit pas de savoir si dans ses propres stations elle exécutera ou non le chargement et le déchargement des marchandises.
La question est de savoir si pour des chargements ou des déchargements effectués, soit dans les stations de l'Etat, dans les propres établissements des particuliers, où la compagnie ne peut pénétrer, elle a le droit de réclamer une somme quelconque ; et la question ainsi posée n'est pas susceptible de deux solutions différentes.
L'obligation de percevoir la taxe par kilomètre n'est pas contestée ; on ne peut donc arbitrairement supposer des distances pour accroître les prix à payer.
Cette illégalité, reconnue par M. le ministre des travaux publics et par M. Van Hoorebeke lui-même, continue cependant à se commettre. La société a consenti à y renoncer à l'égard de certains industriels ; elle n'y a pas consenti, à l'égard d'autres ; c'est ce que signale la chambre de commerce dans la réclamation qu'elle a adressée à M. le ministre des travaux publics.
Sur ce point encore on est obligé de reconnaître que les réclamations sont fondées. Il est indispensable qu'on y fasse droit le plus tôt possible.
- L'incident est clos.
(page 270) M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux changements proposés par la section centrale ?
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je ferai observer que la suppression que propose la section centrale à l'article premier du projet entraînerait une augmentation de dépense, car celle qui ne sera pas comprise dans ce crédit devra être faite sur le budget des travaux publics et nécessitera la demande d'une augmentation de crédit par mon honorable collègue.
Je laisse à la Chambre à apprécier s'il y a lieu d'augmenter d'une manière indirecte le crédit que nous demandons ; sans doute, le crédit de 800,000 fr. est insuffisant pour porter un remède tout à fait efficace à la position des employés inférieurs, mais nous avons dû nous restreindre à ce chiffre en raison de l'état de nos finances.
M. Lelièvre. - Le projet en discussion me donne l'occasion de signaler au gouvernement la nécessité d'augmenter les traitements de tous les fonctionnaires subalternes, au nombre desquels je comprends ceux des provinces et des communes. Il n'est plus possible de maintenir l'état de choses actuel en présence de la cherté des objets de consommation indispensable Si l'on veut que les fonctionnaires se conduisent avec honneur et probité, il est nécessaire qu'où ne les laisse pas exposés aux tentations de la misère.
D'un autre côté, ceux qui consacrent leurs soins et leurs veilles au service de l’Etat ont droit d'exiger que celui-ci leur fournisse le strict nécessaire pour vivre. C'est donc là une dette sacrée, que le gouvernement doit acquitter sans retard.
Je regrette vivement que la section centrale n'ait pas émis positivement un avis favorable aux fonctionnaires dont je parle et qui méritent toute la sollicitude des pouvoirs publics.
Le projet en discussion me paraît donc insuffisant sous tous les rapports. Des considérations d'un ordre supérieur doivent, engager le gouvernement à accorder une rémunération convenable aux fonctionnaires, et certes ce n'est pas former une prétention exagérée que de demander que le traitement soit en rapport avec les nécessités de la vie. Du reste j'appelle l'attention du gouvernement sur la juste répartition du crédit qui sera voté par la Chambre. J’espère que l'expérience qui a eu lieu l'année dernière sera utile pour prévenir le retour des abus qui ont été commis dans la répartition faite précédemment.
M. de Moor. - Dans la dernière session, lors de la discussion du crédit de 400,000 fr., j’ai eu l’honneur d'appeler l'attention du gouvernement et de la Chambre sur l'exiguïté des traitements des petits employés.
Je crois avoir démontré que ces traitements ne sont plus en rapport avec le prix des choses nécessaires à la vie.
J’ai cité, et permettez-moi de le reproduire sans entrer dans des considérations générales, l'exemple frappant de ce qui s'est passe depuis plus de trente ans dans l'administration des douanes.
Brigadiers. Depuis 1846 : 1,100 fr. ; en 1835 : 1,100 fr., en 1823 : 1,140 fr. ; antérieurement : 1,270 fr.
Sous-brigadiers. Depuis 1846 : 900 fr. ; en 1835 : 940 fr., en 1823 : 1,020 fr. ; antérieurement : 1,165 fr.
Préposés de première classe. Depuis 1846 : 700 fr. ; en 1835 : 740 fr., en 1823 : 760 fr. ; antérieurement : 1,060 fr.
Préposés de deuxième classe. Depuis 1846 : 700 fr. ; en 1835 : 640 fr., en 1823 : 655 fr. ; antérieurement : 1,060 fr.
Ces chiffres n'ont pas besoin de commentaires, ils parlent assez haut.
Le renchérissement des denrées alimentaires pèse plus cruellement que jamais sur les petits fonctionnaires, et cependant les appointements restent les mêmes. Je vous le demande : cela est-il juste, cela est-il digne ? Devons-nous laisser subsister un pareil état de choses ? Non, messieurs, il faut que le gouvernement songe sérieusement, pour l'honneur des administrations du pays, à faiw sortir de cette position si précaire, si désastreuse, de braves et loyaux serviteurs, qui donnent à l'Etat leurs forces, leur intelligence et leur temps.
Dans un avenir prochain, nous serons appelés, je l’espère du moins, à le faire autrement, qu'en accordant à cette classe si intéressante de nos concitoyens, un secours qui ressemble singulièrement, permettez-rnoi de vous le diie, à une aumône : l'aumône n'encourage pas le fonctionnaire, elle le démoralise.
Dans la séance du 5 février dernier, le prédécesseur de M. le ministre des finances trouvait, avec mon honorable ami, M. de Bronckart et moi, que le crédit de 400,000 fr. ne pouvait être considéré que comme un palliatif.
M. Liedts ajoutait dans un discours remarquable :
« Le temps n'est pas éloigné où. il faudra faire d'une manière définitive ce que nous faisons aujourd'hui à titre provisoire. »
M. Lelièvre a, sans doute, dans le discours qu'il vient de prononcer, fait allusion aux secrétaires communaux ; moi aussi je crois devoir recommander ces fonctionnaires à la bienveillance de M. le ministre de l'intérieur.
Le crédit que nous allons voter n'est encore qu'un palliatif. C'est une nouvelle aumône ; je la voterai tout en regrettant le système du gouvernement.
Je désirerais que le ministère voulût bien nous dire s'il compte tenir la promesse faite par ses prédécesseurs, de réviser et d'augmenter le plus tôt possible les traitements des fonctionnaires.
M. Coomans, rapporteur. - Pour me conformer aux désirs de la section centrale et du gouvernement, j'ai rédigé mon rapport un peu à la hâte ; aussi me semble-t-il utile, messieurs, de vous présenter encore quelques explications supplémentaires sur le travail de la section centrale.
Nous avons reconnu à l'unanimité que le sort des employés subalternes devait être amélioré, surtout dans les circonstances où nous nous trouvons, mais nous avons cru aussi que le mode de secours indiqué dans l'exposé des motifs de la loi offrait des inconvénients'sérieux. A cet égard il y a eu au sein de la section centrale des discussions qui ont démontré qu'on était loin d'être d'accord. Les inconvénients que présentaient et le principe de la loi et le mode de distribution du crédit ont paru tels, qu'il est vrai de dire que la section centrale n'aurait peut-être pas adhéré au projet si les circonstances ne lui avaient semblé urgentes.
Nous avons exclu du bénéfice du projet de loi les ouvriers journaliers du chemin de fer, par les motifs que voici : d'abord, parce que les ouvriers journaliers de l'Etat ne sont pas des fonctionnaires ; secondement, parce qu'ils restent toujours libres d'abandonner le service de l'Etat pour se mettre au service de l'industrie privée, et en troisième lieu, parce que nous voulons élever d'autant la part des fonctionnaires proprement dits.
Je réponds à une observation faite par un honorable député de Malines, et je déclare que l'intention de la section centrale n'a pas été de nuire aux ouvriers journaliers. Il a été entendu, au contraire, qu'elle verrait avec plaisir augmenter leur salaire, si le gouvernement juge qu'il est insuffisant, et que de ce chef il y a lieu d'imputer les fonds sur le budget ordinaire des travaux publics.
Ainsi la section centrale ne s'oppose pas à ce qu'on fasse pour les ouvriers de l’Etat quelque chose d'analogue à ce qui se fait pour les fonctionnaires proprement dits. Mais il est à désirer que les secours destinés aux ouvriers ne soient pas compris dans le projet de loi qui nous occupe, où il ne faut faire entrer que des fonctionnaires de l'Etat ; nous ajoutons ainsi quelque chose à la part déjà bien faible dévolue à ces derniers Ceci répond à l'observation que vient de présenter M. le ministre des finances. Libre au gouvernement d'élever le salaire de ses ouvriers, de ceux surtout qu'il occupe d'une manière permanente, tels que les gardes-freins, les ajusteurs, etc. ; j'applaudirai, pour ma part, à une pareille mesure ; je tiens à m'expliquer nettement sur ce point, pour qu'il demeure établi que le but de la section centrale a été de servir les intérêts des ouvriers en les écartant du subside de 800,000 fr.
La section centrale est donc d'accord avec M. le ministre, en ce sens que si ses conclusions sont adoptées, il faudra prélever sur le budget des travaux publics une somme d'environ 70,000 fr. pour les ouvriers, somme que nous reversons sur les petits fonctionnaires.
L'honorable M. Lelièvre aurait voulu que la section centrale fît une proposition en faveur des employés provinciaux. Elle n'a pas eu à s'en préoccuper, puisque le projet de loi ne concernait que les employés de l'Etat. Aussi s'est-elle bornée à émettre des vœux en faveur des employés provinciaux, des secrétaires et des instituteurs communaux dont le sort mérite toute notre sollicitude.
La section centrale s'est occupée aussi de la gendarmerie qui, de l’aveu de tout le monde, est bien mal rétribuée ; mais elle s'est bornée à recommander ces utiles fonctionnaires à l'honorable ministre de la guerre, en prenant acte de la déclaration faite par le gouvernement, qu'un supplément de solde sera demandé à la Chambre, cette année, pour la gendarmerie. Le bruit court que M. le ministre de la guerre a l'intention de ne donner que 10 centimes de plus par jour à la gendarmerie. Il me semble que ce secours est bien faible. Je ne pense pas m’engager trop, en disant que s'il doublait ce léger secours, le ministre obtiendrait un vote unanime dans cette enceinte.
Messieurs, les douaniers, les distributeurs, les facteurs de la poste et les employés des accises sont, aux yeux de la section centrale, des fonctionnaires qui ont des titres tout particuliers à notre bienveillance à cause des services laborieux qu'ils rendent et à cause aussi de la faiblesse de leur traitement.
C'est à eux surtout que la section centrale a fait allusion en exprimant, à l'unanimité, le désir que le gouvernement achève le travail de révision qu'il a promis, en vue d’élever les appointements d'une manière definitive, et d'éviter désormais le vote de sommes destinées à être distribuées à titre de secours, de subsides ou d'aumônes, ce qui offre des inconvénients réels à différents points de vue, et même pour la dignité des citoyens intéressants que nous voulons secourir.
Je dois déclarer enfin que le vœu de la section centrale est que les les augmentations de traitements de tous les fonctionnaires inférieurs de l'Etat ne coulent rieu aux contribuables ; la majorité de la section centrale est d'avis que ce but peut être atteint si l'on veut enfin réaliser les économies qui ont été promises depuis nombre d'années.
M. Rodenbach. - Je pense que nous sommes tous d'avis qu'il faut rétribuer les employés de l'Etat convenablement et en proportion des services qu'ils rendent au pays. C'est là surtout ce qui doil être le motif de notre vote.
Car lorsqu'on parle de misère, la pensée se reporte aussitôt sur cinq cent mille familles que la cherté des vivres plonge dans une affreuse détresse et au secours desquelles l'Etat ne peut venir directement.
(page 271) M. le ministre des finances ne désire pas augmenter le chiffre du crédit de 800,000 francs.
Je crois aussi qu'il ne faut pas outrer la mesure qu'il s'agit de prendre, et que nous devons nous borner à donner une indemnité aux employés subalternes d'après les services qu'ils rendent.
Toutefois, il est des fonctionnaires de l'Etat qui ne sont pas compris dans ce projet et dont la situation est digne de toute la sollicitude du gouvernement. Je veux parler du corps de la gendarmerie.
Bien qu'il ressortisse au département de la guerre, le service de ce corps est essentiellement civil. Il est chargé notamment de la police rurale, car on ne doit pas beaucoup compter sur le concours des gardes champêtres dont le nombre, qui n'a pas été augmenté depuis un demi-siècle, est aujourd'hui notoirement insuffisant pour faire convenablement ce service.
Je recommande donc les gendarmes à la bienveillante sollicitude du gouvernement. En France, le traitement des gendarmes a été augmenté de 150 fr. Je crois qu'il sera nécessaire de prendre en Belgique une mesure du même genre.
Dans l'ordre civil, j'appellerai surtout l'attention de M. le ministre des finances sur la situation des employés des postes, particulièrement des facteurs et plus particulièrement encore des facteurs ruraux dont les fonctions sont extrêmement pénibles et dont le traitement est très faible.
Je sais que l'on a beaucoup parlé de soustractions faites à la poste, je ne m'y arrête pas ; car, je le sais, les plaintes sont plutôt dues à des négligences, à des erreurs des particuliers qu'à l'infidélité des agents de l'administration des postes, et chaque mois le Moniteur publie le relevé des lettres qui, faute d'indications suffisantes sur les adresses, n'ont pu être remises à destination, et ces lettres contiennent souvent des valeurs ; assurément les expéditeurs et les destinataires accusent l'administration des postes qui u'y est cependant pour rien.
On sait qu'il a été fait des perquisitions chez des employés honnêtes et au-dessus du soupçon.
Quoi qu'il en soit, je trouve qu'il ne faut jamais placer l'homme entre la misère et l'accomplissement d'un devoir de conscience. Le fonctionnaire modeste qui est constamment charge de transporter des valeurs considérables doitavoir un traitement qui le mette au-dessus du besoin.
D'ailleurs, la responsabilité comme le travail mérite un salaire convenable. J'insiste donc pour que, en présence de l'accroissement toujours continu du produit des postes on améliore la position des facteurs et spécialement des facteurs ruraux.
M. Verhaegen. - Je viens appuyer les observations très judicieuses qui vous ont été soumises par mon honorable ami M. de Moor. Si l'une des sections s'est abstenue, sur le vote de l’ensemble, c'est qu'elle a pensé, non pas qu'il n'y avait rien à faire en faveur des petits employés, mais qu'il fallait faire beaucoup plus ; c'est qu'elle a considéré que les 800,000 francs qu'on met à la disposition du gouvernement ne doivent pas atteindre le but qu'on se propose, que c'est de l'argent jeté sans obtenir aucun résultat. Je crois, messieurs, que le moment est arrivé d'engager le gouvernement à songer sérieusement à améliorer le sort des petits employés.
Moi aussi, je fixerai spécialement l'attention de la Chambre sur ces employés dont s'est occupé l’honorable M. Coomans, à savoir les facteurs de la poste rurale qui n'ont qu'un traitement de 600 fr. et les préposés de la douane qui ont en moyenne un traitement, de 700 fr. et quelquefois moins.
Il faut certainement que les traitements soient en rapport avec les services que rendent les employés et avec leur position respective. La crise que nous subissons met ces employés dans une position telle, qu'ils ne peuvent subvenir à leurs besoins, au strict nécessaire, alors même qu'ils n'auraient pas de famille à entretenir. Et cette position n'existe pas d'hier ; elle existe depuis longtemps ; elle existera longtemps encore.
Plusieurs de ces malheureux ont, par suite de la crise alimentaire, qui date déjà de loin, contracté des dettes qu'ils ont à rembourser. En venant à leur secours, on ne les enlèvera pas encore à la misère qui les accable. Il y a là, messieurs, un véritable danger. Ce n'est pas que les faits, qui ont été signalés tantôt par l'honorable M. Rodenbach, aient la gravité que l'on pourrait supposer. Mais il y a réellement du danger à confier à des employés que la misère accable, des correspondances qui tous les jours renferment des valeurs considérables et des secrets de famille.
Quant aux préposés de la douane, n'est-ce pas les pousser fatalement à la démoralisation que de les charger, dans cette position déplorable, de la surveillance et de la répression de la fraude alors qu'ils ont aussi femme et enfants à nourrir et qu'il serait difficile de résister longtemps aux séductions de ceux qui ont intérêt à les corrompre ? C'est probablement, messieurs, à raison de cette position qu'on juge à propos de maintenir ce luxe d'inspection, de surveillance, de vérification en manière de douanes.
Messieurs, je crois que si le gouvernement voulait prendre la chose à coeur, il y aurait moyen de venir définitivement en aide aux petits employés en se débarrassant des rouages inutiles. Ainsi pour la douane il y a une foule d'inspecteurs, de vérificateurs, etc.
Or, tout le monde doit admettre qu'un inspecteur qu'on appelle aujourd'hui inspecteur d'arrondissement, pourrait bien faire la besogne d'une province entière, qu'un inspecteur qui est aujourd'hui inspectent provincial, pourrait facilement s'occuper de deux ou trois provinces qu'on pourrait diminuer d'un quart les lieutenants et les sous-lieutenants, alors que souvent ces employés supérieurs n'ont sous leurs ordres que 12 à 20 préposés.
Messieurs, on a fait à ce sujet un calcul dont les résultats sont très curieux : un préposé de la douane a, terme moyen, 700 fr. d'appointements. Et savez-vous combien chacun de ces préposés qui touche 700 francs d’appointements coûte pour être inspecté et vérifié ?
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Et dirigé !
M. Verhaegen. - Et dirigé ; le mot n'y fait rien.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - C'est beaucoup.
M. Verhaegen. - Eh bien, il coûte 111 fr. 35 c. Messieurs, qu'on prenne la résolution de supprimer tous ces rouages inutiles, - car, nous devons bien le dire, il y a encore, nonobstant les réformes précédentes, luxe d'employés supérieurs, -et qu'on améliore la position des petits employés. Que chacun travaille autant que ses forces le lui permettent et qu'on mette l'employé au-dessus du besoin.
On parlait tantôt d'uniforme et à cet égard je citerai un fait réellement singulier. D'après des renseignements qui me sont parvenus, précisément dans le moment où nous sommes occupés, il faut bien lâcher le mot, à voter une aumône aux petits employés, on est allé déterrer d'anciens arrêtés pour forcer même les receveurs de douane à 1,200 fr. d'appointements, à prendre leur uniforme au complet ; ainsi, porte la circulaire, ils doivent avoir une capote en drap marengo avec douze boutons en argent, une petite veste de même avec autant de boutons du même métal ; fourragères, glands en or, etc. Calcul fait, il s'agit d'un uniforme qui, sans exagération, doit coûter 200 francs, et le malheureux employé qui doit se le procurer, va recevoir, à titre d'aumône, 60 à 70 francs. Il sera cousu d'or et d'argent, et aux yeux du public, ce sera encore une insulte à la misère du peuple quoique ce soit le pauvre employé qui payera. Il sera bien habillé, et il mourra de faim et de froid.
J'appelle l'attention de M. le ministre sur ce point. Dans d'autres temps, moins difficiles que ceux que nous avons à traverser, on dispensait, en vertu d'instructions ministérielles, ces mêmes employés de l'uniforme.
J'engage d'autant plus le gouvernement à penser sérieusement à améliorer le sort des petits employés, qu'un pays voisin vient de nous donner l'exemple.
En Prusse, les deux chambres déjà, si je ne me trompe, sont tombées d'accord à cet égard : les traitements de tous les petits employés sont augmentés, en raison de leur position. Mais, je me hâte de le dire, là on a pris une mesure inverse de celle qui a servi de base à la répartition des 400,000 fr. votés l'année dernière.
Ainsi, il est arrivé, et je crois devoir fixer sur ce point l'attention du gouvernement et de la Chambre, que dans la répartition des 400,000 fr. ce sont précisément ceux des employés qui avaient le moins de charges qui ont reçu le plus. Je prendrai pour exemple les employés de la poste. On avait admis en principe que chaque employé de la poste toucherait pour lui personnellement 25 fr. et pour chacun de ses enfants 10 fr. Un employé, ayant femme et deux petits enfants, touchait donc 25 fr. pour lui, plus 20 fr. pour ses deux enfants ; en somme, 45 francs.
Mais un autre employé avait 9 enfants ; 4 étaient mariés ; trois étaient en âge de travailler et apportaient dans le ménage des secours journaliers. Il ne lui restait que deux enfants en bas âge.
Celui-là touchait 25 francs pour lui et 10 fr. pour chacun des neuf enfants, c'est-à-dire 115 francs ; et cependant, non seulement il n'avait pas plus de charges que celui qui n'avait que deux enfants en bas-âge, mais, en outre, il avait un soutien dans les trois enfants qui l'aidaient à subvenir aux besoins de la famille en travaillant avec lui.
M. Mascart. - Cela est arrivé dans ma commune.
M. Verhaegen. - Un honorable membre me fait observer que le fait est arrivé dans la commune qu'il habile.
C’était précisément la mesure inverse qu'il fallait adopter, et j'ai l'honneur d'appeler sur ce point toute l'attention de M. le ministre des finances.
Je n'en dirai prs davantage. Mon intention, en prenant la parole, a a été de démontrer que ce n'est pas avec des sommes telles que celle que l'on réclame que l'on viendra réellement en aide aux employés. Ce ne sont pas des aumônes qu'il faut ; les aumônes ne peuvent avoir pour résultat que de démoraliser les employés ; ce sont des positions fixes. Il faut donc arrêter définitivement la position des petits employés, il faut trancher dans le vif en se débarrassant de tout ce qui est inutile, et en faisant payer par ce qui constitue le luxe des employés ce qui manque aux petits, le trésor n'en souffrira pas.
J'ose espérer que ces considérations ne seront pas perdues de vue et qu'elles produiront les résultats que j'en attends.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, la section centrale propose d'exclure les ouvriers de toute participation au crédit que nous discutons et émet en même temps le voeu qui leur salaire soit augmenté. Si cette mesure pouvait se réaliser immédiatement, je partagerais l'avis de la section centrale. Je vais brièvement en exposer le motif.
(page 272) Pour plusieurs catégories de travaux, le salaire est moins élevé dans les ateliers de l'Etat que dans les grandes usines de l'industrie privée. Cet état de choses présente, selon moi, de grands inconvénients et je n'hésite pas à lui attribuer en grande partie la cherté excessive de la production par l'Etat. Peu de mots sont nécessaires pour expliquer cette conséquence, le taux du salaire est déterminé par deux circonstances : la demande du travail et l'aptitude du travailleur ! Heureusement des besoins extraordinaires ont amené dans les grandes usines de construction du pays, une demande plus forte de la main-d'œuvre ; le prix du service des ouvriers s'en est trouvé favorablement affecté. Mais l'Etat, au lieu de se soumettre à la loi générale, a voulu maintenir l'immutabilité de son tarif ; la moyenne du prix de la journée dans nos ateliers de locomotives est aujourd'hui pour les ajusteurs et les tourneurs de fr. 2 60 ; elle n'est que de fr. 1 90 dans les ateliers de voitures. Dans les ateliers de l'industrie privée du Hainaut, au contraire, cette moyenne est de fr. 3 50.
Cette différence énorme détermine dans les ateliers de l'Etat cette désertion dont parle le rapport de la section centrale, et j'ajouterai que cette désertion a lieu précisément parmi les meilleurs ouvriers, parce que leur habileté leur permet de vendre leurs services à des prix plus élevés.
Il ne reste, j'ai regret à le dire, dans les ateliers de l'Etat que ceux qui ont trop de difficulté à transporter leur établissement ailleurs et ceux qui ont peu d'habileté.
Telle est, selon moi, la cause pour laquelle les agents de la production de l'Etat sont inférieurs à ceux de l'industrie privée, et c'est cette infériorité qui exerce une influence si fâcheuse sur le coût de la fabrication dans les ateliers de l'Etat.
En demandant donc que l'Etat augmente le salaire de ses ouvriers, on ne lui demande pas un sacrifice, mais une chose utile à lui-même ; nous lui demandons qu'il se procure par une soumission à la loi commune des salaires, sinon l'élite des ouvriers, au moins des ouvriers aussi habiles et aussi laborieux que ceux des grands ateliers du pays.
Mais quelque urgente que soit la mesure, comporte-t-elle une exécution immédiate ? Je ne le pense pas. Une pareille mesure doit être introduite avec prudence ; il ne peut pas s'agir d'augmenter d'un seul coup et sans distinction le salaire de tous les ouvriers. Ce salaire doit être réglé d'après l'aptitude et l'application du travailleur.
Il y a, je l'ai déjà dit, des catégories d'ouvriers qui ne sont pas assez bien payés, mais l'infériorité du prix de la journée a fait entrer dans les ateliers de l'Etat des agents ayant peu d'habileté, et je ne veux pas dire que ceux-là ne reçoivent pas une rétribution suffisante de leurs services. Une augmentation aveugle du salaire ne produirait donc pas l'effet que, suivant moi, l'Etat doit rechercher. La mesure doit être étudiée et introduite de longue main ; appliquée immédiatement comme le propose la section centrale, elle n'aurait pas le résultat utile que j'en attends. Je suis donc obligé, pour ma part, quoique j'aime bien mieux pour le travailleur un salaire qui n'est que la juste rétribution des services industriels qu'il rend, qu'une sorte de don charitable servant à rétablir l'équilibre entre le prix des subsistances et celui de sa journée ; je suis donc obligé d'insister pour que la Chambre maintienne la disposition du projei du gouvernement qui fait participer les ouvriers au crédit.
Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ? J'ai des doutes à cet égard ; mais s'il s'y rallie, je demanderai à M. le ministre des finances, si on entend exclure également de toute participation au crédit les trois cent et quelques commis, facteurs, magasiniers, chefs de balle, etc., qui sont payés sur états de salaire, les surveillants qui, quoiqu'ils aient une nomination, sont payés à la journée, tous les petits fonctionnaires, enfin, qu'on désigne sous le nom d'irréguliers, et qui sont portés comme ouvriers sur les listes de paye.
Je réclame en faveur de ces agents qui ont le plus grand besoin que l'on vienne à leur assistance, car beaucoup d'entre eux sont réellement misérables.
M. Vandenpeereboom. - Messieurs, on a signalé dans cette discussion plusieurs abus qui ont eu lieu dans la répartition du crédit de 400,000 fr. alloué, l'année dernière, pour le même objet que le crédit en discussion. Bien qu'il y ait eu des abus, je voterai volontiers pour le crédit qui nous est demandé, car je crois qu'en pareille matière ils sont plus ou moins excusables, je dirai qu'ils sont presque inévitables. Il est impossible que le gouvernement ne soit pas trompé quelquefois, les petits fonctionnaires ayant intérêt à déguiser plus ou moins leur position, pour être compris dans la répartition du crédit.
J'ai demandé la parole pour appeler toute l'attention du gouvernement sur une catégorie de fonctionnaires dont on n'a rien dit jusqu'ici, je veux parler des régents et des instituteurs attachés aux écoles moyennes de l'Etat. Lorsque la Chambre a discuté la loi du 1er juin 1850, les objections qu'on faisait à la loi étaient principalement des objections financières. Pour y parer, le gouvernement chercha à réduire, autant que possible, les dépenses qui résulteraient de la mise à exécution de la loi ; et ce sont les régents et les instituteurs des écoles moyennes qui ont été les victimes de cette parcimonie. Il y a des instituteurs qui n'ont que 600 francs ; d'autres en ont 700, 800 ou 900 ; mais ce traitement est d'une insuffisance absolue ; ces fonctionnaires sont mariés, ils sont dans une position qui exige de leur part une tenue convenable ; ils doivent même assister, en leur qualité, à certaines cérémonies publiques. Je crois que dans la répartition du crédit de 800,000 fr., le gouvernement doit prendre en considération la position toute particulière de cette classe intéressante des fonctionnaires de l'Etat. Je les recommande donc à l'attention toute spéciale du gouvernement ; je le prie aussi de ne pas oublier les instituteurs et les régents des écoles moyennes, ainsi que tous les membres du corps enseignant, lorsqu'il s'agira d'améliorer la situation financière des fonctionnaires en général.
M. Wasseige. - Messieurs, comme membre de la section centrale, je crois devoir ajouter quelques observations à celles qu'a présentées l'honorrble M. Coomans, sur la proposition faite par la section centrale, d'exclure les ouvriers journaliers de la répartition du crédit de 800,000 fr. Cette proposition n'a pas eu pour motif un manque d'intérêt pour les ouvriers journaliers ; au contraire, la section centrale, à l'unanimité, s'est vivement intéressée à cette classe d'individus ; mais elle a pensé néanmoins qu'ils ne devaient pas avoir leur part du crédit, parce que, l'ouvrier restant libre de porter ailleurs son travail, il y a obligation, pour le gouvernement, de suivre, dans la fixation de son salaire, le taux qui est donné par l'industrie privée.
Cette position, différente de celle des fonctionnaires, a été la raison principale qui a porté la section centrale à exclure l'ouvrier du bénéfice du projette loi en discussion. En effet, messieurs, le fonctionnaire qui a un traitement invariable ne peut supporter la crise que nous traversons, si son traitement est insuffisant, qu'à l'aide d'une indemnité qu'il reçoit de l'Etat. L'ouvrier, lui, est dans une position complètement libre ; il peut abandonner le service de l'Etat, si l'Etat ne lui paye pas un salaire suffisant et aller offrir ses services à l'industrie privée. L'Etat est donc obligé de payer l'ouvrier convenablement, et de suivre l'augmentation qui se manifeste dans l'industrie privée ; il y est obligé sous peine de voir les ouvriers déserter son service.
Voilà la raison qui nous a portés à exclure les ouvriers de la participation au crédit demandé ; nous avons dit que quand le gouvernement les y aurait fait participer, il n'en serait pas moins dans l'obligation de subir le taux des salaires de l'industrie privée et que si on portait le salaire des ouvriers de l'Etat à un taux supérieur à celui des ouvriers employés par l'industrie privée on commettrait une injustice.
C'est avec la plus vive répugnance que la section centrale s'est décidée à voter le projet, attendu que le travail devrait être suffisamment rétribué pour satisfaire aux besoins de la vie et que cette espèce d'aumône que le projet de loi fait aux employés est un très mauvais moyen d'y subvenir.
C'est dans l'intérêt des ouvriers que la section centrale a proposé le système qu'elle indique. L'ouvrier ne brille pas par la prévoyance ; il est exposé à faire des dépenses, habitué qu'il est à vivre au jour le jour ; il en est bien peu qui fassent des épargnes, et si vous le faisiez participer au crédit dont il s'agit et que vous leur donniez leur part en une seule fois, cette somme disparaîtrait sans laisser un grand soulagement dans la famille de l'ouvrier, tandis que la somme qu'il recevrait par 12ème à chaque payement qu'on lui fait, qui mettrait son salaire en rapport avec celui que donne l'industrie privée apporterait une amélioration sensible au sein de son ménage.
Quant à la catégorie qui n'a d'ouvriers que le nom, dont a parlé l'honorable M. de Brouvver, la section centrale n'a pas eu la pensée de l'exclure ; cette catégorie n'a, en effet, d'ouvriers que le nom.
Ce sont des employés inférieurs qui reçoivent une nomination et qui sont tenus de rester à leur poste sous peine de perdre tout droit à l'avancement ; ils n'ont que le nom d'ouvrier, et cela parce qu'ils sont payés sur état, ce sont tout simplement des ouvriers d'un ordre inférieur.
L'intention de la section centrale, je le répète, n'a pas été de les exclure du bénéfice de la présente loi.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je ne puis qu'adresser des remerciements sincères aux honorables membres qui ont témoigné une vive sympathie pour les employés inférieurs de l'Etat. C'est mû par le même sentiment que le gouvernement a demandé, pour leur venir en aide, un crédit double de celui qui avait été accordé par les Chambres l'année dernière ; c'est encore sous l'influence du même sentiment que le gouvernement cherchera toujours à améliorer le sort de ces employés dans les limites du possible. Mais je ne sais pas le même gré à ces honorables membres quand ils ont qualifié d'aumône un subside ou supplément de traitement que l'Etat peut accorder à ceux qui le servent et que ceux-ci peuvent recevoir honorablement.
Les témoignages de sympathie donnés aux employés inférieurs paraissent, dans l'esprit de quelques honorables membres, être subordonnés, quant à leurs effets, à la condition que les charges publiques ne soient pas augmentées. C'est messieurs, vouloir l'impossible, c'est se créer des chimères, il est facile de le faire comprendre : la moyenne des traitements de tous les fonctionnaires et agents du gouvernement, n'est que de 1,473 francs ; le nombre des employés dont le traitement est au-dessous de 2,000 francs est trop considérable pour qu'il ne faille pas faire une très forte dépense pour atteindre le but indiqué par les honorables préopinants. Les traitements de cette catégorie d'employés s'élèvent à une somme totale de 13,500,000 fr., ceux de tous les autres fonctionnaires publics à 7,760,000 fr.
On conçoit quel accroissement de ressources cette mesure nécessiterait, on ne pourrait les trouver qu'en augmentant les impôts, existant ou en en créant de nouveaux.
(page 273) On croit trouver dans la suppression de quelques emplois le moyen de faire des économies d'une certaine importance.
Ce moyen n'est pas praticable, ou du moins n'aurait aucun effet sensible. Un honorable membre a cité quelques emplois comme pouvant être supprimés ou réduits ; il a parlé des inspecteurs d'arrondissement ; mais le nombre en a été diminué il y a peu d'années, sous l'administration de l'honorable M. Frère ; aller plus loin ce serait désorganiser l'administration.
Un rapport très étendu a été présenté récemment par le gouvernement sur la question de la suppression de ces emplois.
Après l'avoir examiné attentivement, la section centrale chargée de l'examen du budget du département des finances a reconnu la nécessité de ce rouage administratif.
Les vérificateurs ne sont pas trop nombreux en ce moment ; dans plusieurs bureaux ils suffisent à peine au service qui leur incombe ; et l'on en réclame de nouveaux. C'est ce qui est arrivé plusieurs fois.
Quant aux inspecteurs en chef, il y en a un par province. Ces fonctionnaires ont des attributions nombreuses et utiles ; il serait impossible d'augmenter leur ressort, sans que le service administratif en souffrît beaucoup.
Quant à l'uniforme, dans tous les pays les employés de la douane le portent. ; il est à remarquer que l'uniforme ne se paye pas à l'instant où on le renouvelle ; c'est au moyen de retenues faibles et successives sur ie traitement de l'employé, que toutes les fournitures à son usage sont acquittées.
L'employé a besoin d'une mise décente, on peut affirmer que l'uniforme ne lui coûte pas autant que tout autre costume quelque peu convenable. C'est une économie pour lui, car les différents objets dont il a besoin sont achetés en fortes quantités et l'on obtient ainsi des conditions plus favorables que si chacun devait se pourvoir directement chez, le détaillant.
Quoi qu'il en soit, je suis loin de décliner le devoir d'apporter des économies dans les diverses administrations, chaque fois que la possibilité en sera reconnue ; j'espère même pouvoir supprimer encore à une époque rapprochée quelques emplois subalternes de l'administration des douanes.
Comme je l'ai dit dans ma réponse à la section centrale, M. le ministre des travaux publics examine de son côté quelles sont celles qu'il peut y avoir lieu d'introduire dans son département. Pour que la Chambre puisse apprécier quelques-unes des observations qui ont été faites, je citerai le nombre des traitements supérieurs à 6 mille francs.
Il ne dépasse pas quatre cents dans tout le pays, il comprend les magistrats, les membres de la cour des comptes, les commissaires d'arrondissement. Le traitement est déterminé par la loi ; si l'on fait abstraction des fonctionnaires de cette catégorie, à l'égard desquels les Chambres se sont prononcées d'une manière expresse et d'autres dont les traitements ont été réduits et déterminés avec leur concours, il n'en restera plus qu'un nombre infime qui, eu tous cas, ne pourrait donner lieu qu'a une faible réduction de dépense.
Aussi, messieurs, si nous voulons améliorer le sort des employés inférieurs, il faut qu'on le sache bien, ce ne peut être qu'en augmentant les charges des contribuables ; avancer le contraire serait tromper les Chambres et le pays, quand on connaît les faits comme je les connais.
On a critiqué la répartition qui a été faite par nos honorable prédécesseurs du crédit voté l'année dernière ; l'urgence des circonstances ne leur a pas permis de recueillir les éléments nécessaires pour que la répartition fût en tous points juste, équitable.
Il est de mon devoir de faire observer que des erreurs ont pu se glisser dans ce travail, mais qu'aucun abus n'a été commis sciemment.
Cette fois, j'ai eu soin d'indiquer à la section centrale quelles sont les bases que nous avons adoptées. La section centrale ne les a pas critiquées, elles seront strictement observées. Le ministère ayant eu le temps de recueillir les renseignements nécessaires, ces erreurs ne se renouvelleront plus.
Je dirai à cette occasion à l’honorable M. de Brouwer de Hogendorp que tous les agents, à quelque titre que ce soit, qui se trouvent dans les conditions voulues au point de vue de leur traitement, prendront part à la répartition du subside, de 800,000 francs.
Je ne me suis pas rallié à la proposition que fait la section centrale de retrancher les ouvriers journaliers.
Mais on conçoit que la position d'un ministre est fort embarrassante, lorsqu'il vient demander un crédit déjà très élevé, et qu'il s'agit pour lui de refuser une certaine augmentation en faveur d'agents auxquels il s'intéresse vivement.
Je laisse donc à la Chambre à décider si elle juge convenable de retrancher les ouvriers journaliers. Elle ne peut ignorer qu'il en résulterait nécessairement une augmentation de dépende pour le département des travaux publics.
M. Thibaut. - Messieurs, tous les honorables membres qui ont pris la parole dans cette discussion ont témoigné beaucoup de sympathie pour les employés inférieurs du gouvernement. Cependant, tout en promettant un vote favorable au projet de loi, ils ont été loin d'approuver le principe qui lui sert de base. En effet, plusieurs ont proféré le mot qui caractérise la mesure qu'il s'agit de prendre ; ils ont dit que c'était une aumône.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Ce n'est pas une aumône.
M. Thibault. - Je conçois que ce mot ne sonne pas bien aux oreilles de M. le ministre des finances, mais il exprime malheureusement la vérité.
Quel est donc le motif pour lequel on a demandé le crédit qui a été volé dans la dernière session et pour lequel on demande aujourd'hui, un nouveau crédit de 800,000 fr. si ce n'est la position malheureuse des fonctionnaires ?
Qu'a-t-on pu leur donner l'année dernière avec le crédit de 400,000 francs ? En moyenne :
Aux employés inférieurs, par semaine, 1 fr. 40 c. ; par jour 20 c.
Aux ouvriers journaliers, par semaine, 40 c. ; par jour 6 c. 1/2.
Et vous direz que ce n'est pas une aumône !
Je pense qu'il aurait été possible de venir en aide aux fonctionnaires inférieurs de l'Etat sans employer ce mode qui est en quelque sorte dégradant pour eux.
La section centrale nous fait connaître par son rapport que, dans son sein, il a été fait une autre proposition. C'était de répartir le crédit proportionnellement au taux des traitements. Il s'agissait, par cette proposition, d'augmenter les traitements, et le caractère de la mesure était complètement changé.
L'augmentation de traitement ne devrait pas être motivée sur l'état de détresse où se trouvent certains employés, mais sur ce que le prix de toutes choses est plus élevé que les années précédentes. Je crois donc que, si la proposition était reproduite, la Chambre ferait bien de l'adopter.
Ce serait d'ailleurs un moyen d'éviter les erreurs et les injustices qui ont été commises dans la répartition du crédit de 400,000 fr. et qui seront inévitables dans la répartition nouvelle. On vous en a cité différents exemples, il en est d'autres qui sont parvenus à la connaissancs de chacun des membres de la Chambre et vraiment il est impossible qu'on évite ces erreurs, parce que l'administration centrale est elle-même induite en erreur par des fonctionnaires inférieurs.
Il peut arriver pis encore, c'est que la faveur, le caprice violent les intentions de la Chambre et détournent une partie du crédit de sa destination réelle pour favoriser certains employés qui n'ont pas besoin de secours.
Si donc la proposition que je viens d'indiquer était faite, je pense qu'il serait sage de l'introduire dans la loi.
M. de Mérode. - Lorsque les subsistances sont à plus haut prix que dans les temps de moyenne récolte, les contribuables ne sont pas moins gênés dans leur ménage que les employés de l’Etat ; et comme celui-ci ne possède aucune ressource qui lui permette de donner sans prendre, il résulterait de sa générosité, s'il la poussait loin, que prenant davantage aux payants, il aggraverait leur position, afin d'améliorer celle des payés. Je sais bien que les premiers ne sont pas en évidence comme les seconds ; mais il n'en est pas moins vrai que leur sort est si peu favorable, quand on les considère dans leur ensemble, que chaque place inférieure vacante est demandée par une foule de concurrents qui désirent sortir de la classe des particuliers non pourvus de fonctions publiques pour être admis dans la catégorie des agents de l'Etat.
Sachons bien que le grand nombre est contraint de vivre avec la plus rigoureuse parcimonie et en n'oubliant pas cette vérité, malheureusement trop évidente aux yeux qui veulen tse donner la peine de regarder autour d'eux, on s'abstiendra de se servir de qualifications mal choisies lorsqu'on peut en employer de très simples et plus convenablement appliquées à la mesure proposée par le gouvernement. Ce que vient de dire l'honorable préopinant est tout à fait singulier, à mon avis. Il veut la répartition du subside au prorata des traitements. Il en résulterait que pour éviter des erreurs ou en commettrait une in globo de la plus forte dimension.
Ce serait vraiment agir au rebours du but bienfaisant que nous voulons atteindre ; aussi je ne pense pas que la Chambre veuille admettre ce système.
M. T'Kint de Naeyer. - La section centrale pense que la réforme des rouages administratifs pourrait fournir les moyens d'améliorer la situation des fonctionnaires subalternes. Il conviendrait de préciser, afin de ne pas entretenir d'illusions à cet égard.
Si des économies restent à faire, ce n'est pas, à coup sûr, au département des finances, le plus important de tous, qui a été cité dans la discussion.
Aux observations que l'honorable ministre vient de présenter, j'ajouterai que la réforme due à l'initiative de l'honorable M. Frère a procuré une économie d'un million au trésor. Il serait impossible d'aller plus loin, c'est ma conviction, sans compromettre le service. Il se peut qu'ailleurs il reste quelque chose à faire, mais il faut se garder des exagérations.
Je vois avec regret que la section centrale ne comprend, pas dans la répartition des subsides les ouvriers journaliers. Il y a à l’administration des travaux publics des employés qui sont payes sur les états de (page 274) salaires, comme les ouvriers. Il y en a dans le nombre qui remplissaient des fonctions importantes, voire même celles de chef de halte, d'autres sont gardes-frein. L'administration exige qu'ils fournissent un cautionnement, et vous voudriez, après leur avoir imposé de pareilles obligations, les exclure de toute participation au crédit.
Il s'agit en réalité de parfaire des traitements, des rémunérations que la cherté des vivres a rendus insuffisants. Il s'agit d'améliorer la position des serviteurs de l'Etat qui endurent des privations des souffrances réelles.
Ce n'est pas l'aumône qu'on leur donne, car je proteste hautement contre cette qualification. C'est une élévation de traitement qui doit durer aussi longtemps que la cherté durera. Pour ma part, je crois que le gouvernement ne tardera pas à reconnaître la nécessité de nous soumettre des propositions définitives, afin de mettre les traitements des employés subalternes au niveau des exigences de l'époque.
M. Coomans, rapporteur. - En exprimant le vœu de voir se réaliser des réformes administratives, la section centrale n'a pas voulu faire particulièrement allusion au département des finances ; au moins je ne le crois pas. Je reconnais, quant à moi, que le département des finances est le mieux organisé des six. J'en dirai autant, si l'on veut, du département de la guerre. Je doute qu'il y ait des économies un peu notables à réaliser dans ces départements par une réforme administrative. Cependant, je ne veux jurer de rien ; car avant la réforme qui a été opérée au département des finances, on nous disait annuellement que les économies étaient impossibles ; cependant, sous la pression des événements, on a pu en réaliser pour un million de francs, à quoi j'ai beaucoup applaudi. Dans d'autres ministères, les économies seraient possibles et faciles.
Il me paraît que nous sommes assez d'accord. L'honorable ministre des finances écarte aussi du projet de loi, ou nous en laisse écarter les ouvriers journaliers. Sur ce point il ne peut pas y avoir de difficultés sérieuses, attendu que les ouvriers employés auxquels ont fait allusion l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp et l'honorable M. T'Kint de Naeyer, ne sont pas des ouvriers journaliers, dans le sens du mot qui se trouve en tête du projet de loi. Ils participeront donc à la distribution du crédit, parce qu'ils ont été nommés employés de l'Etat, ainsi que l'a déclaré mon honorable ami M. de Brouwer de Hogendorp. Ceux qui ont obtenu une nomination participeront au crédit ; ceux qui n'ont pas obtenu de nomination, ne sont pas des employés, ce sont des ouvriers ou des journaliers, et ils ne participeront pas au crédit. Un autre genre de secours leur est réservé, secours réguliers ou exceptionnels à obtenir par la voie du budget ! Pour ma part, je ne m'y opposerai aucunement.
L'honorable ministre des finances nous accorde aussi, je pense, que l'on ne tiendra pas rigoureusement compte dans l'appréciation des besoins des fonctionnaires, du nombre des enfants. La section centrale entend que l'on défalque de ce nombre ceux des enfants qui ont cessé d'être à charge du fonctionnaire secouru.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Cela a toujours été entendu ainsi.
M. Coomans. - L'honorable ministre des finances me répond que cela a toujours été entendu ainsi. Mais il résulte des pièces que la section centrale a demandées et que le gouvernement lui a immédiatement remises, que des erreurs très nombreuses ont eu lieu dans un autre sens. Du reste, la déclaration du gouvernement me suffit.
J'avoue, qu'en défalquant, les enfants gagnants, comme on dit, du nombre d'enfants qui fixera le secours, on diminue les inconvénients du système qui est pratiqué. Ces inconvénients pouvaient se renouveler et c'était pour les éviter autant que possible que plusieurs membres de la section centrale avaient proposé le partage du crédit au prorata des appointements ; ces honorables membres ne considéraient pas le nombre des enfants comme étant la mesure exacte des besoins du fonctionnaire. Mais, je le répète, la déclaration de M. le ministre me suffit.
Je crois, messieurs, avoir répondu à la plupart des objections qui ont été présentées.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Je désire répondre un mot à l'honorable M. Coomans.
Des explications qu'il a données il résulterait que les employés seuls qui ont une nomination participeraient au crédit. Or, j'ai fait connaître tout à l'heure à la Chambre qu'il y a un certain nombre d'employés qui sont payés sur états de salaires et qui sont indiqués sur ces états comme ouvriers.
M. Dumortier. - C'est une illégalité.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Ainsi j’ai ici une liste des ouvriers de l’arsenal de Malines. J’y vois que quatre commis et dessinateurs sont portés comme ajusteurs sur les états de salaires. Ces commis n’ont pas de nomination. Je demande s’ils seront exclus de toute participation au crédit. Je trouverais cela souverainement injuste.
J'ai une autre liste sur laquelle se trouve un commis employé à une des gares de Bruxelles. Il est porté sur les états de salaire sous le titre de chargeur, c'est-à-dire de manœuvre. Sera-t-il exclu ?
Je demande, si la Chambre adopte la proposition de la section centrale, je demande, dis-je, que les agents de cette espèce, qui ne font pas un travail manuel, puissent au moins participer au crédit.
M. Dumortier. - Messieurs, on nous signale des faits réellement étranges. A l'occasion d'une loi qui part d'un principe généreux et auquel je donne mon assentiment, on s'appuie sur des faits qui ne sont réellement autre chose que de scandaleuses illégalités.
Que porte la loi du budget des travaux publics ? Elle porte : Des traitements ou indemnités pour le personnel de l'administration du chemin de fer ne peuvent être prélevés sur les allocations destinées aux salaires ou à des travaux extraordinaires et spéciaux. Il y a donc défense absolue au département des travaux publics d'avoir des employés de bureau qualifiés d'ajusteurs ou d'ouvriers. Ce qui se passe est donc une illégalité complète, et quant à moi, quelles que soient mes sympathies pour les personnes dont on parle, je ne sanctionnerai pas par mon vote une illégalité.
Il y a déjà quelques années que la Chambre s'est élevée contre ce système et elle a exigé que la loi du budget mît un terme à ces abus. Si ces abus existent encore, il importe de les faire cesser. Mais nous ne pouvons, à l'occasion d'un projet qui part d'un sentiment de bienfaisance, contribuer à la violation de la loi que nous avons faite et qui a été agréée par les trois branches du pouvoir législatif.
M. le ministre des finances (M. Mercier). - Je répondrai d'abord à l'honorable M. de Brouwer que tout ce qui n'est pas rigoureusement ouvrier prendrait part au crédit, si même on retranchait le mot « ouvriers ». Ainsi, les ajusteurs et autres, auxquels l'honorable membre a fait allusion, recevraient leur indemnité sur le crédit dans l'hypothèse dont il s'agit.
Je me permets de prier l'honorable M. Dumortier de ne pas insister sur les observations qu'il vient de faire, parce qu'elles ne peuvent que nous entraîner dans de longues discussions, et que le temps nous manque en ce moment pour nous livrer à de pareilles digressions. Lors de la discussion du budget du ministère des travaux publics, l'honorable M. Dumortier pourra, s'il le juge convenable, reproduire avec opportunité les observations qu'il vient de présentera la Chambre.
M. Van Hoorebeke. - L'honorable M. Dumortier vient d'avancer une allégation qui n'est pas exacte. Selon l'honorable membre, il n'y aurait que des illégalités dans ce qui s'est pratiqué à l'égard de certains agents subalternes du département des travaux publics. Voici, messieurs, ce qui s'est passé :
Avant 1847, on prélevait sur des crédits votés par la Chambre et qui devaient être affectés à l'exécution de travaux spéciaux, les appointements d'un certain nombre d'agents inférieurs. La Chambre, sous le ministère de l'honorable M. Frère, a voulu faire cesser cet abus. Il a été décidé alors par un article spécial, inséré dans le budget des travaux publics, que le traitement de ces agents ne pourrait pas être prélevé sur les crédits spéciaux. Or, cette prescription doit être respectée aujourd'hui.
Il est vrai que lorsque l'allocation budgétaire des traitements était insuffisante, on faisait un prélèvement sur l'allocation des salaires. C'est pour ce motif que le gouvernement, à plusieurs reprises, a sollicité des transferts, et la Chambre a augmenté de ce chef les allocations destinées au personnel.
M. Dumortier. - Messieurs, le texte de la loi est bien clair. Vous ne pouvez pas imputer des traitements ni des indemnités sur l'allocation des salaires. Qu'a voulu la Chambre ? Elle a voulu qu'à l'avenir on ne prît pas prétexte des salaires pour majorer le nombre des employés ; elle a interdit formellement cette faculté qu'on se donnait fort commodément au département des travaux publics ; elle en a fait l'objet d'une disposition précise dans le budget de l'exercice 1855 ; aux termes de cette disposition, il est interdit au gouvernement d'imputer des traitements ou des indemnités sur l'allocation destinée aux salaires. Maintenant l'honorable M. de Brouwer vient de nous révéler que cet abus n'a pas cessé d'exister. Or, qu'arrive-t-il ? C'est qu'en définitive la Cour des comptes ne peut vérifier ce qui se passe. On lui envoie une feuille émargée dans laquelle se trouvent des ouvriers, des ajusteurs.... des ajusteurs de chiffres. Elle ne le sait pas ; elle ignore que ces ajusteurs sont des employés de bureau. Il y a là une violation manifeste de la loi du budget ; quand une violation se présente, il faut la signaler ; c'est ce que j'ai fait, après avoir entendu l'honorable M. de Brouwer.
- La discussion générale est close. Ou passe aux articles.
« Art. 1er. (projet du gouvernement. Un crédit de huit cent mille francs (800,000 fr.) est ouvert pour venir en aide aux employés inférieurs de l'Etat, dont le traitement annuel est inférieur à quatorze cents francs (1,400 francs), ainsi qu'aux ouvriers-journaliers salariés par le gouvernement. »
M. le président. - La section centrale propose d'abord d'effacer dans cet article les mots : « ainsi qu'aux ouvriers-journaliers salariés par le gouvernement ». D'accord avec M. le ministre des finances, elle ajoute ensuite à l'article un paragraphe ainsi conçu :
« Ce crédit sera couvert par les ressources ordinaires de l'exercice 1855. »
- Le premier amendement de la seciion centrale est mis aux voix et n'est pas adopté. Ainsi les ouvriers journaliers salariés par le gouvernement restent mentionnés dans l'article. La Chambre adopte ensuite l'article premier du projet du gouvernement, avec l'addition proposée par la section centrale.
(page 275) « Art. 2. La répartition de ce crédit entre les différents départements aura lieu par arrêté royal qui déterminera en même temps les conditions et les bases de la sous-répartition ; les allocations qui leur seront assignées respectivement formeront l'objet d'articles spéciaux aux budgets de l'exercice 1855. »
La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.
- Adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi.
80 membres sont présents.
79 membres répondent oui.
1 membre (M. Wasseige) s'abstient.
En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui : MM. Moncheur, Moreau, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thibaut, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Visart, Allard, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coomans, Coppieters ’t Wallant, Dautrebande, David, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Della Faille, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier et Delehaye.
M. le président. - La parole est à M. Wasseige pour motiver son abstention.
M. Wasseige. - Je n'ai pas voté contre le projet, parce que j'étais disposé à accorder une indemnité aux fonctionnaires qui ont un traitement insuffisant. Je n'ai pas pu voter pour, parce que je ne suis pas d'avis que l'on doive comprendre dans la répartition du crédit les ouvriers journaliers, pour lesquels j’aurais voulu une augmentation de salaire qui le mît en rapport avec le salaire accordé par l’industrie privé.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la discussion sur les articles.
« Art. 1er. Le contingent général de l'armée, pour 1856, est fixé à quatre-vingt mille hommes. »
- Adopté.
« Art. 2. Le contingent de la levée de milice de 1856 est fixé au maximum de dix mille hommes, qui sont mis à la disposition du gouvernement. »
- Adopté.
« Art. 3. La présente loi sera obligatoire le 1er janvier 1856. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi qui est adopté à l'unanimité des 74 membres qui prennent part au vote, 2 membres (MM. Coomans et David) s'étant abstenus.
Ont pris part au vote : MM. Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thibaut, T'Kint de Naeyer, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt, Visart, Wasseige, Allard, Boulez, Brixhe, Calmeyn, Closset, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, Dellafaille, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Lambin, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Mascart, Mathieu, Mercier et Delehaye.
M. le président. - J'invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.
M. Coomans. - Je me suis abstenu, parce que, comme j'ai déjà en l'honneur de le dire sept fois dans cette enceinte, je ne voterai pas le contingent de l'armée, tant que les lois sur la milice ne seront pas revisées.
M. David. - N'ayant pas voté le budget de la guerre, je ne pouvais voter pour le projet. Mais comme je veux une armée quelconque, je ne pouvais voter contre.
- La séance est levée à 4 heures et demie.