Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 17 février 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 752) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et un quart.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des fermiers, cultivateurs, engraisseurs et marchands de bestiaux à Heule, demandent que les artistes vétérinaires non-diplômés puissent continuer leur profession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des propriétaires à Lillo prient la Chambre de statuer sur la pétition du sieur Mertens, concernant un crédit foncier pour le défrichement des bruyères. »

« Même demande d'habitants de Santvliet. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, echevins et conseillers communaux d'Auden-Love-Saint-Géry prient la Chambre d'accorder aux sieurs Delaveleyc et Moucheron la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand par Villerot, Nederbrakel et Sottegem, avec embranchement sur Grammont. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Verviers transmet une délibération du conseil communal ayant pour objet de rectifier des erreurs commises dans un rapport de M. Schmidt sur les engrais des villes, et demande que cette délibération et les pièces qui l'accompagnent soient insérées aux Annales parlementaires, où le rapport a été imprimé. »

M. David. - Je prie la Chambre d'ordonner un prompt rapport sur cette pétition. La ville de Verviers ne peut rester plus longtemps sous le coup de l'accusation que M. Schmidt a formulée. Il dit, entre autres, dans son rapport sur les engrais des villes que la ville de Verviers est la ville de la Belgique qui laisse le plus à désirer sous le rapport du nettoyage et de l'enlèvement des boues, que le matériel d'enlèvement et celui des vidanges y est tout à fait barbare, etc.

Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec invitation de faire uu prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Poelcapelle demandent que ce village dépendant de Langemarcq soit érigé en commune séparée. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Tongerloo demandent que le bourgmestre de cette commune soit nommé au plus tôt. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Gaurain-Ramecroix demandent que ces deux villages réunis soient érigés en communes séparées. »

-Même renvoi.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 110 exemplaires de la seconde partie du Bulletin du conseil supérieur d'agriculture. »

-Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.

Projet de loi sur l'enseignement agricole

Discussion générale

(page 778) M. de Steenhault. - Il est toujours fâcheux dans une discussion aussi importante que celle-ci, d'avoir à se défendre d'arguments énoncés en quelque sorte sous la forme d'accusations personnelles.

L'intérêt de la cause en paraît presque toujours relégué au second plan.

Je ne m'y résigne donc qu'avec répugnance, et pour autant seulement que ces arguments aient une portée telle qu'ils puissent amoindrir ceux que l'on a soi-même énoncés.

L'honorable M. de Naeycr m'accusait dans son dernier discours d'avoir parlé de l'agriculture anglaise en termes beaucoup trop pompeux pour l'Angleterre et beaucoup trop humiliants pour nous.

Il ajoutait qu'il regrettait de voir pousser l'engouement en cette nature jusqu'à amoindrir notre agriculture qui n'a cessé d'être une de nos gloires nationales.

Cette accusation me paraît si singulière, que je crois en vérité que l'honorable membre ne m'a fait ni l'honneur de m'écouter ni l'honneur de me lire.

Qu'ai-je dit en effet ?

Que les Anglais nous avaient devancés. Es- ce là un fait contestable ? Avouer loyalement cette vérité, ne pas se laisser bercer par une trompeuse illusion, est-ce donc humilier l'agriculture belge ?

Ne lui ai-je, au contraire, pas rendu pleine justice, en disant que nous étions allés aussi loin que la pratique et l'esprit d'observation avait pu nous pousser.

N'est-ce pas reconnaître une aptitude toute spéciale des Belges que de proclamer que l'esprit d'observation seul avait fait naguère encore de notre agriculture la première agriculture du monde ?

Je concevrais que l'honorable membre formulât cette accusation contre un autre membre de cette assemblée qui, allant bien plus loin que moi, disait que « l'agriculture belge n'était qu'abandonnée à l'aveugle routine, qu'une routine opiniâtre lui faisait encore repousser les découvertes et les inventions les plus utiles. »

Qui se demandait comment on parviendrait à extirper de nos campagnes cet esprit de routine, ces préjugés, cette ignorance qui sont les plus grands obstacles au progrès de l'agriculture ?

Qui ajoutait « qu'on trouvait encore en Belgique des contrées ou l'agriculture est encore dans l'enfance, où l’on semble ignorer dans la pratique que les engrais sont la nourriture des plantes, comme les fourrages sont la nourriture des animaux domestiques, ou la stabulation, le régime alimentaire, sont tellement vicieux et défectueux qu'un séjour de moins de dix ans suffirait pour y faire dégénérer complètement les plus belles races du monde » ?

Mais l'honorable membre s'est bien gardé de rappeler ces gracieusetés à l'endroit de l'agriculture belge.

L'honorable M. de Naeyer de 1855 eût dû prendre à parti son collègue l'honorable M. de Naeyer de 1845.

Il s'agit ici non pas d'une simple appréciation, d'une opinion dont on aurait pu revenir, mais bien de la constatation d'un fait.

L'honorable M. de Naeyer de 1855 me répondra peut-être que son collègue de 1845 n'avait pas tort, mais que l'agriculture belge a bien progressé depuis cette époque.

Mais qu'il y prenne garde, car ces progrès marquants, impossibles à réaliser au point d'arriver à ne plus rien avoir à envier à l'Angleterre, correspondent précisément à une époque où l'intervention de l'Etat s'est le plus fait sentir, et il y a là pour l'honorable membre un danger que je prends la liberté de lui signaler.

Pour en finir une bonne fois de cette intervention, « quand les communes ne font rien, n'est-il pas du devoir du gouvernement de donner l'impulsion ? Si nous n'avons un gouvernement que pour laisser faire, pourquoi avons-nous dépensé des sommes si énormes pour organiser une administration dont la mission est de ne rien faire ? Nous avons, je pense, un gouvernement pour suppléer à l'inaction des particuliers, des sociétés, des communes, pour faire le bien qu'on ne pourrait obtenir autrement ».

C'est bien là mon système, mais cette fois ce n'est pas moi qui parle ; c'est encore l'honorable M. de Naeyer qui dit cela et avec qui je suis tout heureux de me trouver une fois d'accord, car ceci est une question de principe qui, vraie en 1845, doit encore l'être aujourd'hui.

Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à cette heureuse rencontre, et pour vous, messieurs, vous ne vous attendiez probablement pas davantage à trouver dans l'honorable membre un apôtre aussi déterminé de l'intervention de l'Etat.

J'ai du reste écouté et lu avec la plus scrupuleuse attention le discours de l'honorable membre, à qui je reconnais une aptitude toute spéciale et une supériorité réelle dans toutes les questions qui touchent à l'agriculture, mais je dois dire que je n'ai pas su me rendre compte de l'opinion qu'il a émise.

Tout son discours peut se résumer en trois points. Je ne veux ni d'enseignement théorique ni pratique. Je ne veux pas que le gouvernement intervienne, et cependant reconnaissant l'utilité d'instruire le cultivateur, je veux un enseignement quelconque.

L'honorable membre ne veut pas d'enseignement théorique, mais il trace lui-même le cadre de l'enseignement qu'il désire et qui me fait l'effet de le rapprocher singulièrement de la théorie du programme du gouvernement.

Voici ce cadre qui, selon lui, ne renferme aucune théorie proprement dite :

1° La comptabilité agricole ;

2° Des principes de géométrie, d'arpettage, de nivellement, de mécanique ;

3° Des notions sur le rôle de plusieurs agents naturels, tels que l'eau, l'atmosphère, la chaleur, fa lumière remplissent dans les phénomènes de la production agricole, en d'autres termes, si je ne me trompe, des éléments de physique ;

4° La connaissance des éléments constitutifs du sol, soit la géologie ;

5° La connaissance des substances qui peuvent servir à la nutrition des plantes, qui, comme amendement, peuvent servir à approprier le sol à l'habitation des plantes, connaissances qu'on ne peut obtenir qu'à l'aide de la chimie ;

6° La connaissance des différentes phases de la vie végétative, des éléments constitutifs des plantes, en d'autres termes la botanique ;

7° L'organisme des animaux, comment cet organisme fonctionne et contribue à la production des matières animales servant à l'alimentation de l'homme ou propres à être utilisés dans l'industrie. Donc la zoologie.

Je ne m'y comprends plus, messieurs, ou ce cadre se rapproche singulièrement de celui du projet de loi où l'on retrouve la comptabilité, la géométrie, l'arpentage, le nivellement, les notions de physique, de chimie, de géologie, dans leur application à l'agriculture, les éléments de botanique, la zoologie, exactement et sans rien de plus que dans le cadre de l'honorable membre; car toutes ces sciences ne seraient enseignées, d'après le gouvernement, que dans leurs rapports avec l'agriculture.

Mais ce que l'honorable M. de Naeyer ne veut pas, dit-il, c'est la science agronomique.

C'est-à-dire qu'il ne veut pas la partie expérimentale, la partie d'application du programme.

En d'autres termes, il indique à l'élève les termes du problème, mais lui refuse la méthode pour le résoudre.

Il nie le lien qui rattache la science à ce qui prouve son utilité.

Il ne donne qu'un enseignement incomplet, étriqué, bâtard dont l'élève ne saura que faire et qui ne servira qu'à faire naître de nouvelles erreurs et de nouveaux mécomptes.

Et encore faut-il penser que cet enseignement n'est pas destiné à former des élèves, des agriculteurs, mais des professeurs qui doivent répandre dans la campagne la science agricole apprise à l'école normale.

La distinction que l'honorable membre cherche, à établir entre ce que nous entendons par théorie et sa théorie à lui, est bien subtile, bien peu nette, bien peu justifiée.

Il ne veut rien de ce qui pourrait ressembler à de l'application, mais, en définitive, ce qu'il enseignera n'a-t-il pas l'application pour but. A quoi cela servirait-il si ce n'était à être traduit eu pratiques agricoles ?

La différence la plus saillante qui existe entre son programme et le nôtre, c'est que d'après le sien l'élève sachant, du reste, fort peu, sera complètement abandonné à lui-même, quant à l'application de son mince bagage scientifique, et Dieu sait, messieurs, à quelles applications il servira, car le jugement, quelque sain qu'il soit, ne suffit pas toujours en pareille matière.

Je dis qu'à mes jeux cet enseignement est le plus mauvais, le plus dangereux de tous.

Je pourrais comprendre cela avec un enseignement complet, étendu, perfectionné, mais jamais avec un enseignement aussi imparfait que le sera celui qu'il demande dans des écoles normales.

C'est pour moi se livrer pieds et points liés à toutes les aberrations de la demi-science, à tous les dangers de l'empirisme, car croyez-le bien moins sauront ceux qui sortiront de nos écoles normales et plus ils s'imagineront savoir, plus ils pousseront à de sottes tentatives, à de folles applications.

L'esprit humain est ainsi fait, les prétentions sont en raison inverse des connaissances.

A quoi servirait d'ailleurs à l'élève de savoir quels sont les éléments constitutifs du sol, si vous ne lui apprenez pas à les reconnaître, à les modifier en se rendant compte des influences qu'ils exercent sur la végétation ?

A quoi servirait à l'élève de connaître les différentes phases de la végétation, quels sont les éléments constitutifs des plantes, si vous ne lui apprenez pas à approprier le sol à leur existence, et à leur plus grand développement ?

Pourquoi lui parler d'engrais, d'amendements, si vous ne lui apprenez seulement pas à les reconnaître et à apprécier leurs différents effets ?

Tous sur les bancs de l'école nous avons reçu des notions de physique, de chimie ; nous avons étudié les mathématiques, eh bien, je demande de bonne foi à ceux d'entre vous pour qui ces différentes branches n'ont pas fait l'objet d'application ultérieure, étiez-vous capable de tirer le moindre parti de la pure théorie que l'on vous avait enseignée ?

Cela est bien plus vrai pour l'agriculture qui n'est après tout qu'une science d'application.

Peut-on, d'ailleurs, raisonnablement espérer que des instituteurs qui n'auront reçu que quelques notions superficielles de physique, de chimie, de botanique ou de géologie, puissent faire progresser l'agriculture, (page 779) aider les agriculteurs de leurs conseils, quand eux-mêmes n'auront jamais appliqué ce qu'ils auront appris et que, par conséquent, ils en ignorent la valeur.

Pour tirer un parti quelconque du système de M. de Naeyer, il faudrait que les sciences fussent au moins suffisamment enseignées dans les écoles normales, non pas à de simples notions; et je lui demande alors s'il croit sérieusement que les programmes actuels permettent d'intercaler tout ce nouveau bagage ?

A ce point de vue seul ce projet est irréalisable.

Quant aux pensionnats, dont il a parlé, j'ai voulu m'éclairer, et je me suis adressé à un inspecteur de l'enseignement primaire ayant été lui-même à la tête d'un de ces pensionnats ; et qui par ses connaissances agronomiques, pouvait me donner d'utiles renseignements.

Il reconnaît lui l'absolue nécessité d'une exploitation annexée à l'école.

Voici un extrait de sa lettre que je suis du reste prêt à communiquer à tous mes collègues qui voudraient bien me la demander.

Je suis assez disposé à admettre qu'il y a moyen de remplacer les écoles actuelles par un enseignement à donner dans les pensionnats, mais seulement aux conditions suivantes :

1° Que les cours soient établis dans des pensionnats qui comptent un grand nombre d'élèves appartenant en majeure partie à la classe des laboureurs ;

2" Qu'à ces pensionnats soit annexé non seulement un jardin, mais une ferme convenablement montée, dirigée par un bon fermier capable d'expliquer aux élèves toutes les opérations pratiques qui se font dans le cours de l'année.

Je n'ajouterai du reste plus rien quant au système de l'honorable membre ; personne ne s’étant levé pour le soutenir je ne crois pas qu'il obtienne beaucoup de partisans.

Quant à l'amendement de M. le comte de Liedekerke, je serais assez disposé â l'admettre, si les éclaircissements que nous avons à demander encore, les engagements que croira pouvoir prendre le ministre, la discussion enfin nous prouve que l'on peut concilier ce système avec toutes les garanties que l'expérience nous indique.

Je l'accepte du reste, je l'avoue, non pas tant par amour que parce que je crains bien qu'avec les dispositions de la Chambre, nous ne parviendrions pas à obtenir davantage.

Si la Chambre veut en tenter l'expérience dans ces termes-là, je ne m'y opposerai pas pour ce qui me concerne ; mais, je le répète, le nœud de la situation, ce qui pour moi me fait douter, ce sont les garanties à obtenir par le gouvernement et la possibilité de concilier l'intérêt de l'instruction avec celui du propriétaire ou de l'entrepreneur. Il ne faut pas que la compagnie se borne à recevoir le subside, ce qui, à mes yeux, pourrait bien se réaliser si l'on n'y prenait garde.

Nous allons nous ajourner à jeudi ; afin de ne pas discuter dans le vide, le gouvernement ne pourrait-il pas s'éclairer de ce chef et nous mettre à même d'apprécier les conditions qui selon lui pourraient suppléer aux inconvénients du système.

Ce serait une garantie de plus de voir se terminer promptement une discussion que le partage extrême des opinions peut rendre encore bien longue.

(page 752) M. le président. - Quelqu'un demande-t-il encore la parole dans la discussion générale ?

M. Tesch. - Je ne pense pas que la Chambre puisse voter aujourd'hui sur les questions posées. Je demanderai, si la clôture de la discussion générale est prononcée, qu'il soit bien entendu qu'à l'article premier, la question d'ajournement pourra être discutée en même temps que la proposition de l'honorable comte de Liedekerke, si l'un ou l'autre membre croit encore devoir prendre la parole.

M. le président. - La discussion générale a porté sur la demande d'ajournement comme sur d'autres questions. Si elle est prononcée, je devrai, avant que la Chambre aborde l'examen des articles, mettre aux voix la proposition d'ajournement telle qu'elle a été formulée par la section centrale.

M. Tesch. - Si l'on discute aujourd'hui, on ne pourra, dans tous les cas, voter que jeudi. La discussion générale a porté sur la demande d'ajournement comme sur d'autres questions ; mais à l'occasion de l'article premier abordera l'examen des différents systèmes et je crois qu'il est bon d'avoir une discussion spéciale sur la motion d'ajournement.

M. de Mérode. - Il me paraît que la proposition d'ajournement domine toute la question. Car s'il y a ajournement, cette quantité d'écoles qui existent aujourd'hui et que nous désirons voir supprimer seront maintenues ; l'année prochaine on viendra nous demander un nouvel ajournement, et d'ajournement en ajournement nous dépenserons des sommes énormes sans résultats utiles pour l'agriculture et pour ceux dont on prétend faire d'habiles agriculteurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Si la Chambre est encore en nombre suffisant pour prendre une décision, je lui demanderai si l'on ne pourrait épuiser aujourd'hui la question d'ajournement.

- Plusieurs membres. - La chambre n'est plus en nombre.

- Le bureau constatant que la Chambre n'est plus en nombre, la discussion est continuée à jeudi, à 2 heures.

La séance est levée à une heure et demie.