(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1706) M. Dumon procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.
« Les sieurs Lebon et Verbist, délégués par la typographie, prient la Chambre d'adopter le projet de loi concernant un crédit de 100,000 francs et demandent que cette somme soit employée à la création de nouvelles publications ou partagée entre les éditeurs qui ont subi des pertes par suite de la convention littéraire et les associations typographiques de la Belgique. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Flaisner, maréchal des logis honoraire de la gendarmerie, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve du sieur Debatice réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Théodore, milicien de la levée de 18553 soit libéré du service militaire ou envoyé en congé illimité en attendant son licenciement. »
- Même disposition.
« Le sieur Mausta, ancien gendarme, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension. »
- Même disposition.
« Les membres du conseil communal et d'autres habitants de Leefdael appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité de réserver la loi concernant le domicile de secours. »
- Même disposition.
« Par message du 11 mai 1854, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté dans la séance du même jour le budget du département des finances pour 1855. »
- Pris pour notification.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, quatre demandes de naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« La commission centrale de statistique adresse à la Chambre 120 exemplaires du tome V et de la première partie du tome VI du Bulletin de la commission. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à ouvrir aux budgets du ministère des finances, des exercices 1853 et 1854, des crédits supplémentaires jusqu'à concurrence de 75,100 fr. 46 cent.
Comme ces crédits ont un caractère d'urgence, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de les mettre à l'ordre du jour de demain.
- Ce rapport est mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Delehaye. - Messieurs, la section centrale chargée d'examiner le budget de la justice m'a confié la mission de faire le rapport sur une modification proposée par le gouvernement à la loi sur les monts-de-piété. La section centrale donne son adhésion à ce projet et n'y a introduit qu'un léger changement.
- Ce rapport est mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Vermeire. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale, sur le projet de loi concernant les brevets d’invention et qui a été amendé par le Sénat. Comme ce projet est vivement attendu par l'industrie, je proposerai de le mettre à la suite de l'ordre du jour.
- Adopté.
M. David. - Messieurs, le but essentiel des chemins de fer en Belgique est de développer toutes nos industries et toutes nos relations en général. Lorsque nous avons discuté le projet de loi concernant le tarif du transport des voyageurs et bagages, à propos de la régularisation des convois express-trains, nous avons tous entendu que ces express-trains ne viendraient en aucune façon supprimer les convois qui desservent les petits parcours.
Dans l'exposé des motifs, M. le ministre des travaux publics nous donnait déjà l'assurance que rien ne serait modifié à ce qui existait sous ce rapport. Voici comment étaient rédigés quelques courts passages de cet exposé des motifs du projet de loi déposé de 7 décembre 1853 sous le n°50 ; à la page 2, je lis :
« Mais il est essentiel de ne pas perdre de vue qu'en organisant les express-trains pour les grandes relations, il est presque toujours nécessaire de créer des convois nouveaux ; car l'exploitation a un intérêt majeur à ne point restreindre les relations secondaires, si multipliées, si productives sur les lignes belges. »
Un peu plus loin, M. le ministre des travaux publics disait encore :
« L'organisation des trains-express est destinée à améliorer le service des relations internationales et des grandes relations à l'intérieur, et ne pourra, en aucun cas, nuire aux relations secondaires que l'administration se propose au contraire d'étendre et de faciliter, soit par l'organisation de convois de marché et de banlieue, soit en utilisant davantage les trains dits de transbordement. »
Plus loin, on trouve encore ce passage :
« Or, l'usage et, par conséquent, la taxe des express seront facultatifs pour les voyageurs à l'intérieur, puisque en tout cas et dans toutes les directions, des convois à trois classes de voitures et aux prix ordinaires, seront toujours à leur disposition. »
Je m'arrête à ces quelques ciltations afin de ne pas prolonger nos discussions.
En section centrale, M. le ministre des travaux publics, sur les observations faites par plusieurs sections, est venu corroborer ce qui était consigné dans l'exposé des motifs. Or, voici comment la loi a été mise à exécution :
Je parlerai de la voie vers Anvers. Pour Anvers, il y avait par jour sept départs de Bruxelles ; de ces sept départs, avec toute espèce de voitures, il n'en reste plus que quatre ; trois ont été transformés en express-trains
Voilà une singulière entrave pour une certaine classe de la société qui ne peut payer des voitures de première classe, surtout aux prix élevés fixés pour les express-trains ; au lieu de favoriser le développement du commerce et de l'industrie et les relations intérieures, par le fait du trop grand nombre de trains express, vous les restreignez forcément.
Pour Verviers nous avions cinq départs par jour ; on en a transformé trois en trains express, et, entre autres, le convoi partant de Bruxelles à 10 heures 15 minutes du matin.
Mais, chose extraordinaire, par ce convoi partant de Bruxelles à 10 heures et un quart, bien qu'il soit resté le même qu'auparavant et qu'il desserve toutes les stations intermédiaires, nous payons comme si nous faisions la route en trois heures et quelques minutes, tandis que nous n'arrivons à Verviers que comme si nous voyagions avec les convois ordinaires, c'est-à-dire en 4 1/2 heures.
Une autre anomalie se présente pour le convoi partant de Verviers à onze heures du matin. Par ce convoi vous pouvez vous rendre à Anvers ou à Bruxelles ; mais quand vous prenez votre place pour Anvers, on vous fait payer comme si vous voyagiez en train express, tandis que quand vous prenez votre bulletin pour Bruxelles, vous payez le prix d'un train ordinaire.
Quant à moi, je pense que pour Verviers deux express-trains suffisent, un le matin et un de nuit ; c'est tout ce qu'il faut, si vous ne voulez pas restreindre l'usage que l'on fait du chemin de fer pour les relations intérieures et amoindrir considérablement les recettes.
Dans cette même loi nous autorisions le gouvernement à arrondir les prix. On l'a fait en augmentant les prix des voitures de première et de seconde classe ; mais la loi ordonnait aussi d'arrondir, mais par voie de réduction de 5 centimes là où cette fraction se rencontrait, les prix des voitures de troisième classe.
Pourquoi avait-on demandé cette autorisation d'arrondir les prix ? C’était pour donner plus de facilité à ceux qui distribuent les bulletins dans les stations et qui jamais ne pouvaient avoir assez de petite monnaie pour rendre les appoints aux voyageurs. Notez que c'est la troisième classe qui fournit les trois quarts des voyageurs qui circulent sur les railways. Pour cette classe, qui produit presque seule le véritable embarras des distributeurs de coupons, on a laissé les choses dans le statu quo ; partout figurent encore ces fractions de 5 centimes, si gênantes pour les distributeurs de coupons dans les stations. On n'a donc pas remédié aux inconvénients qui avaient obligé le gouvernement à proposer le projet de loi. Je demande qu'on exécute la loi que nous avons votée, tant sous le rapport des express-trains que sous celui de l'arrondissement des prix pour les voitures de troisième classe en procédant par voie de réduction.
(page 1707) M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, quand on a voté la loi qui a introduit pour les trains express une élévation de prix de 25 p. c., le gouvernement a fait une double déclaration, d'abord que cette surtaxe atteindrait principalement les convois de vitesse destinés à desservir les relations internationales ; la seconde, que les convois desservant les localités ne seraient pas diminués en nombre.
Je demande si les exemples que l'honorable M. David vient de citer, contredisent à aucun égard les déclarations du gouvernement.
Il a cité le convoi parlant de Bruxelles à 10 h. 15 m. pour Verviers et y arrivant à 2 h. 20 m., c'est bien un convoi international puisqu'il est destiné à transporter les voyageurs de France et d’Angleterre à Cologne ; l'honorable membre dit que ce convoi s'arrête à toutes les localités intermédiaires.
Ce convoi, dis-je, transporte les voyageurs de France et d'Angleterre à Cologne, il ne s'arrête ni à Vilvorde, ni à Haecht, ni à Waremme, ni à Fexhe, ni à aucune des stations de la ligne de la Vesdre, j'en excepte Pépinster et Chênée, parce que les relations de ces localités avec l'Allemagne sont très nombreuses.
Si le gouvernement voulait rester dans la rigueur des principes, il devrait même supprimer les arrêts à ces deux stations intermédiaires. Mais il est évident qu'au point de vue de la destination de ce convoi, son caractère international n'est pas douteux.
Maintenant, peut-on dire que les convois qui ont pour objet de desservir les relations de localité à localité ont été abandonnés ou diminués ? Consultons le tableau.
Il y a de Bruxelles à Verviers un convoi qui part à 7 h. 15 m. du matin et qui dessert toutes les localités, et un convoi partant à 5 heures et desservant également toutes les localités.
M. David. - Et pour Anvers ?
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pour Anvers le nombre des convois est très considérable, il y en a sept par jour indépendamment des convois de Malines pour Anvers.
Pour Verviers il y a aussi des convois parlant de Liège. Les relations de Liège avec Verviers sont beaucoup plus nombreuses, beaucoup plus fréquentes que les relations de Bruxelles vers Verviers. Il y a eu ce moment quatre convois de Bruxelles pour Verviers.
En créer un cinquième, ce serait indubitablement s'exposer à avoir des convois qui ne produiraient pas les dépenses d'exploitation.
Du reste, je dois faire remarquer à l’honorable M. David, que la période actuelle est une période de transition. La loi sur le tarif des voyageurs a obligé le gouvernement à mettre ces nouveaux tarifs en application à partir du 1er mai. La période d'été ne commençant qu'au 1er juin, on examinera jusqu'à quel point il sera possible de satisfaire aux réclamations de l'honorable député de Verviers.
Je finirai, messieurs, par une observation relativement à l'arrondissement des prix de troisième classe. Il a été convenu que cet arrondissement serait facultatif pour les voitures de troisième classe. Mais il a été entendu également que si le gouvernement opérait cet arrondissement, il ne pourrait l'opérer que par voie de réduclion. Cet arrondissement n'a pas été opéré. Je ne suis donc pas en contravention avec la loi puisque encore une fois cet arrondissement était facultatif.
Pourquoi l'arrondissement par voie de réduction n'a-t-il pas été opéré ? Parce qu'il aurait coïncidé avec une mesure qui tend à opérer un déclassement dans les voyageurs. L'honorable M. David a recommandé au gouvernement de fermer les voitures de troisième classe par des rideaux ou par des glaces ; cette mesure a été prise ; mais on ne doit pas se dissimuler qu'elle sera l'occasion d'un déclassement qui sera beaucoup plus considérable en été. Fallait-il faire coïncider une réduction dans le prix avec cette amélioration qu'on introduit dans les voitures de troisième classe ? Je ne l'ai pas pensé et je crois que la Chambre partagera mon avis.
La discussion générale est ouverte.
M. Lelièvre. - A l'occasion de la discussion de ce projet, je remercie le gouvernement de ce qu'il n'a pas perdu de vue les besoins de l'arrondissement de Namur et de ce qu'il a fait droit aux réclamations que j'ai souvent élevées dans cette enceinte en ce qui concerne les stations d'Auvelais, de Moustier et de Namur ; mais ce qu'il a omis dans l'énumération des travaux, c'est une double voie ferrée entre Namur et Charleroi, construction indispensable dans l'intérêt de la sûreté publique ; déjà des accidents se sont produits, et il faut nécessairement en prévenir le retour.
Je demanderai donc au gouvernement si le chiffre du crédit permettra l’établissement de la voie d’évitement dont la nécessité ne peut être contestée en présence des faits calamiteux auxquels l'état actuel des choses a donné lieu.
Quant au projet même qui nous est soumis, il est pénible, en présence de notre situation financière, de voir augmenter les dépenses et de rendre ainsi nécessaire l'établissement de nouveaux impôts, mais il s'agit de savoir si la dépense nouvelle est indispensable. Or, malheureusement il n'est pas permis d'en douter en présence du rapport de la commission chargée par le gouvernement d'examiner tout ce qui concerne l'administration da chemin de fer de l'Etat.
Cette commission composée des homme les plus capables d'apprécier sainement l’état réel des choses, commission dont font partie nos honorables collègues qui ont fait une étude spéciale de tout ce qui se rattache au chemin de fer, cette commission, dis-je, n’hésite pas à considérer la dépense comme indispensable, et elle ajoute même qu'il y a péril en la demeure, c'est-à-dire qu'il y aura aggravation de la situation et par conséquent, accroissement de la dépense, si on tarde à employer les moyens nécessaires pour mettre le chemin de fer en bon état, notamment en ce qui concerne le matériel qui se détériore chaque jour.
En présence d'une nécessité constatée par des hommes impartiaux dont la compétence en cette matière ne peut être révoquée en doute, il n'y a pas lieu à hésiter. Nous devons voter le crédit ou bien abandonner immédiatement à une compagnie l'exploitation des chemins de 1er.
Tout autre moyen dilatoire aura pour conséquence d'aggraver la situation actuelle et d'augmenter la dépense.
Ce sont ces considérations qui me portent à croire que la mesure énoncée au projet qui a reçu l’assentiment de la section centrale est une triste nécessité à laquelle il est impossible de se soustraire. Je puis du reste assurer que les constructions et changements projetés aux stations d'Auvelais, Moustier et Namur, sont d'une extrême urgence et que depuis longtemps ils sont réclamés avec instance. Mais la sûreté publique exige une double voie ferrée entre Charleroi et Namur, et je suis convaincu que le gouvernement ne laissera pas subsister un état de choses qui peut donner lieu aux accidents les plus déplorables.
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'admets la plupart des crédits qui nous sont demandés, au moins un certain nombre d’entre eux, parce que je crois qu'ils sont destinés à couvrir des dépenses nécessaires et reproductives. J'aurais voulu que l’on eût indiqué les voies et moyens pour les couvrir.
Mais ce n'est pas pour les appuyer que j'ai pris la parole. Je crois devoir parler à l’occasion du discours de l’honorable ministre des travaux publics qui a dit dans une de nos dernières séances :
« Il y a, dit-on, une question de principe. Il s'agit de savoir si on organisera au département des travaux publics un conseil supérieur permanent derrière lequel s'abriterait le ministre.
« Mais cette question n'est pas en discussion. Le ministre prendra, le cas échéant, cette mesure sous sa responsabilité personnelle ; et la Chambre, si elle désavoue la résolution prise, si elle pense que la mesure est contraire à l'intérêt public, a le droit de censure et de contrôle. Au reste, il ne s'agit pas de cela en ce moment ; il ne s'agit pas même dans l'opinion de la section centrale, dont le rapport est encore à l'impression, de décréter le principe. Laissons donc au gouvernement, sous sa responsabilité, toute liberté d'appréciation et d'action. »
Cependant dans le rapport on lit ce qui suit :
« A I unanimité, la section centrale émet le vœu de voir adopter sans retard les mesures indiquées par la commission consultative comme indispensables pour la bonne exploitation du chemin de fer international. Et parmi ces mesures, elle place en première ligne l'institution du conseil supérieur des chemins de fer. »
Ensuite la section centrale ajoute :
« Votre section centrale ne vous propose pas de transformer en une obligation, par un article de la loi, les vœux qu'elle vient d'émettre ; elle est persuadée qu'en présence de l'uniformité des vues exprimées par la commission consultative, par les sections et par la section centrale, M. le ministre n'hésitera pas à prendre devant la Chambre l'engagement d'adopter des mesures qui lui sont si unanimement recommandées. »
Vous le voyez, M. le ministre nous dit : Ne parlez pas de cet objet, parce que quand j'aurai pris une résolution, vous pourrez critiquer. Mais je n'aime pas beaucoup à critiquer une chose faite. J'aime mieux dire au ministre : « Voilà un danger, voilà une mauvaise chose, ne faites pas cette mauvaise chose », que de venir dire plus tard : Vous avez mal fait de prendre cette mesure. En attendant ainsi, je devrais alors blesser des personnes, tandis que, dans ce moment, je ne combats qu'un projet.
Messieurs, l'honorable M. Frère vous a déjà dit combien une institution de ce genre est mauvaise. Mais je voudrais la voir attaquer à un point de vue différent, à un point de vue spécial.
Je dis, messieurs, que je ne crois pas que le ministre puisse nommer dans une commission des membres de cette Chambre ; qu'il ne peut pas le faire sans froisser les garanties que trouve l'intérêt public dans la responsabilité des ministres, de tous les fonctionnaires ; qu'il ne peut pas le faire sans blesser l'esprit de la loi des incompatibilités ; qu'il ne peut pas le faire, enfin, sans porter une atteinte grave à la liberté et à l'initialtive de notre régime parlementaire.
Je vais, messieurs, tâcher de vous prouver le fondement de ces trois griefs ; et je le ferai avec une entière franchise. Car je ne sais pas si M. le ministre veut nommer dans la commission des membres de cette Chambre ; je ne sais pas si des membres de cette Chambre voudraient ajouter à leur mandat parlementaire un brevet de capacité gouvernementale. Je ne le sais pas et je ne veux pas le savoir. Je traite une question de principe.
Je suis prêt à reconnaître que la commission provisoire a rendu des services, qu'on peut utilement suivre ses indications. Mais ce que je combats en ce moment, c'est une commission permanente, prise dans le sein de la Chambre et nommée par un ministre.
Aujourd'hui, messieurs, et principalement au ministère des travaux publics, il existe un enchaînement de responsabilité qui va du bas jusqu'au haut de l'échelle administrative :le plus petit fonctionnaire est (page 1708) responsable vis-à-vis de son chef immédiat : celui-ci vis-à-vis de son chef supérieur ; ce dernier vis-à-vis du chef du département. Le ministre lui-même est responsable envers la Chambre, puisque aux termes de l'article 90 de la Constitution, nous pouvons le mettre en accusation. Nommez une commission parlementaire, et toutes ces garanties disparaissent, du moins une très grande partie d'elles disparaissent.
On dit : Il ne s'agira que d'une commission consultative Mais, messieurs, le mot de « permanente » seul dit que cette commission ne sera pas seulement consultative, elle sera exécutive. Ne le perdez pas de vue, messieurs ; il ne s'agirait pas seulement d'un comité que l'on consulterait en passant sur un plan d'organisation, sur une direction à donner ; ce serait une commission permanente, intervenant, à la suite d'inspections et de visites, dans tous les détails de l'administration, de l'exploitation, de la construction peut-être. Et si ce n'était pas pour tout cela, pourquoi donc une commission permanente ?
Pourquoi faut-il qu'a côté du ministre responsable il y ait à perpétuité des personnes irresponsables ? Je suppose qu'un accident arrive. Je suppose qu'un tunnel s'affaisse, qu'un pont se rompe, que deux convois se rencontrent ; qu'il y ait une de ces tristes catastrophes comme, heureusement, il s'en présente peu dans notre pays ; que feront les fonctionnaires ? Ils diront : Nous avions pris telle et telle mesure, la commission a changé ces mesures. Et la commission serait composée de personnes irresponsables, de membres de cette Chambre ! Le ministre lui-même pourrait dire : Il est possible qu'il y ait un peu de la faute de l'administration, mais c'est le comité permanent qui a conseillé telle disposition et j'ai cru, comme lui, que je ferais bien en prenant cette mesure. Les accusateurs constitutionnels du ministre pourraient ainsi devenir ses complices.
Il serait impossible qu'une telle commission existât sans que, directement ou indirectement, elle en vînt aussi à se mêler des nominations, des révocations, de l'avancement, et dès lors, encore une fois, vous n'aurez plus, dans l'administration, la confiance des inférieurs dans les supérieurs ; on irait directement à la commission ; on dirait : Je ne dois pas bien faire pour mon chef, je dois bien faire pour le comité permanent ; et alors toute justice, toute émulation, tout respect hiérarchique disparaissent.
On dira peut-être : Cela ne peut pas être ; mais je dis que, indirectement, cette influence s'exercera sur le ministre. Quand le comité aura indiqué une personne, le ministre dira : J'ai la liberté de nommer ou de ne pas nommer, mais il y aura une influence énorme qui pèsera sur lui.
Je crois, aussi, messieurs, que la formation d'un comité parlementaire permanent serait une atteinte grave à la loi des incompatibilités. Qu'est-ce que cette loi ? C'est une loi de défiance ; c'est une porte fermée à toutes les ambitions et à toutes les cupidités ; eh bien, cette porte, il faut la laisser fermée ; l'esprit de nos lois l'a voulu ainsi : nous ne pouvons rien faire qui y soit opposé.
Comment ! on ne peut entrer dans cette Chambre qu'en renonçant à ses fonctions salariées : on ne peut obtenir le plus mince emploi qu'une année après être sorti de la Chambre et on pourrait être conseiller d'Etat au petit pied à la nomination du ministre ! Je dis que cela est directement contraire à la loi des incompatibilités. Le législateur a voulu par cette loi élever une barrière entre l'influence du ministre et l'indépendance des députés.
Si le ministre nomme les membres de ce comité, il doit pouvoir les révoquer. Or, je vous le demande, messieurs, un ministre serait-il bien pressé de révoquer un membre de la commission qui pourrait venir ensuite le combattre dans la Chambre ? On nomme souvent des membres dans une semblable commission, pour être débarrassé, dans les Chambres, de leur opposition, et celui qui serait dans ce cas, s'il était révoqué, viendrait faire au ministre une guerre implacable dans le sein du parlement.
Quels seront les membres choisis ? Les plus vifs dans l'attaque ? Ce serait habile peut-être, mais peu courageux. Ceux qui parlent le plus ? Mais ce ne sont pas toujours ceux-là qui connaissent le mieux. Moitié adversaires, moitié partisans ? Mais c'est là un système bascule.
Vous les nommez, d'ailleurs, parce que députés, et que ferez-vous lorsqu'ils ne seront plus députés ? Ferez-vous suivre le verdict populaire d'une destitution ministérielle ?
Je dis, messieurs, que cette mesure serait mauvaise pour le régime parlementaire. L'essence de ce régime c'est un ministère fort vis-à-vis d'une Chambre indépendante et sévère. Il faut qu'il y ait une séparation entre le ministère, marchant dans sa liberté et la Chambre, marchant aussi dans sa liberté.
Messieurs, si quelque chose pouvait compenser les ennuis du ministère, mais n'est-ce pas le plaisir de gagner une de ces belles victoires., comme en a déjà remporté l'honorable ministre des travaux publics ; quand, après des luttes vives, ardentes, seul contre tous, on finit par remporter, pour ainsi dire, à la pointe de son éloquence un grand, un brillant succès ?
Et vous iriez renoncer à ces beaux triomphes et pourquoi ? Pour changer vos adversaires en auxiliaires, pour vous abriter derrière une commission parlementaire. S'il convient à un ministre d'introduire dans son département ce que j'appellerai volontiers des maires du palais, qu'arrivera-t-il, si un autre ministre ne veut pas se laisser conduire en lisière par ces tuteurs irresponsables ?
Messieurs, je dis qu'une commission parlementaire permanente prendrait une telle importance vis-à-vis de cette Chambre qu'il n'y aurait plus de discussion possible. Nous avons déjà eu une preuve de cette funeste influence, je veux parler de la commission d'organisation de l'armée. Ou ne s'occupait plus à discuter du moment qu'on disait : Le comité d'organisation a décidé ; la question est jugée. Et vous seriez venus avec les meilleures raisons du monde, on vous répondait : « Le comité l'a voulu ainsi. »
Eh bien, mettez le comité parlementaire permanent à l'œuvre, que va-t-il arriver ? Plus de discussion à la Chambre. A quoi bon disculer ? Le comité aura prononcé, et tout sera dit.
Comment ! La Chambre peut changer les résolutions de toutes ses sections et de sa section centrale, et on vient vous présenter ici comme maxime d'Evangile : « Le comité l'a décidé ainsi. » Mais, messieurs, ce serait là une détestable application de cette maxime catholique :« Rome a parlé, la cause est jugée. » Devant cette maxime les plus grands génies se sont inclinés et ils ont bien fait, parce qu'il s'agissait de matières de foi et que la foi repose sur l'autorité. Mais le régime parlementaire repose sur la libre discussion : il n'y a pas ici matière de foi. Nous discutons tous librement, hardiment, ouvertement ; et quand on vient nous dire : « Le comité a décidé, » cela ne signifie absolument rien dans le langage parlementaire.
La discussion serait impossible, non pas seulement lorsqu'on vous opposerait cette fin de non-recevoir, mais parce que réellement on n'oserait plus s'inscrire comme adversaire.
Un membre de la Chambre qui ne serait pas de l'opinion du comité parlementaire, viendrait, je suppose, discuter les propositions de ce comité et du gouvernement, et aussitôt dans le public et peut-être même dans cette enceinte on dirait : « Voilà un candidat qui voudrait entrer dans le comité ; quand il y aura une vacature, ce sera son tour. » Parlez donc sous une telle impression ! Parlez, au risque de faire passer votre opposition pour une aspiration ambitieuse !
Messieurs, est-ce à dire que je sois opposé à toute intervention des membres de la Chambre dans l'administration du chemin de fer ? Point du tout.
Il n'est personne qui ait plus que nous l'occasion de signaler les griefs, d'indiquer les remèdes, de déterminer la marche à suivre. N'avons-nous pas la libre tribune ? N'avons-nous pas la presse à notre disposition ? Si nous venons soutenir, dans cette enceinte, ce qui est utile et ce qui est vrai, soyez-en sûrs, l'opinion publique se prononcera pour nous, et sous cette puissante pression, la vérité finira par triompher, et le ministre sera bien forcé de se ranger de son côté.
Mais, s'il était des membres de cette assemblée qui crussent pouvoir rendre de plus grands services encore, qui crussent pouvoir, par leur intervention directe, faire produire au chemin de fer un ou deux millions de plus chaque année ; eh bien, que ces membres poursuivent cette utile mission : qu'ils quittent cette Chambre ; après une année, ils pourront être nommés inspecteurs généraux du chemin de fer. Nous nous consolerons de leur départ, en songeant qu'ils vont faire gagner à l'Etat un ou deux millions par an, et eux-mêmes ils se consoleront de nous quitter, en pensant qu'ils laissent ici des collègues, qui ne peuvent pas sur ces bancs atteindre à d'aussi fructueux résultats.
Messieurs, je me résume. Je dis que nommer une commission permanente, prise dans le sein de la Chambre, et forcément directrice, quoi qu'on en dise, que nommer une telle commission, ce serait diminuer la responsabilité ministérielle et celle des fonctionnaires ; que ce serait froisser l'esprit de la loi sur les incompatibilités et que ce serait surtout et très fâcheusement nuire à la liberté du régime parlementaire.
Ne l'oublions pas, messieurs, ce bon régime peut souffrir par les fautes de ceux qui l'exercent : il peut périr par le suicide. En France, il a succombé parce que les députés ne pouvaient se contenter de n'être que les représentants du pays. Fortifions-le, chez nous, par notre prudence et notre désintéressement.
Messieurs, j'ai parlé très librement de ce projet, car ce n'est qu'un projet. J'ai donc pu dire toute ma pensée et je ne crois pas avoir pu blesser un seul membre de cette assemblée. Telle n'a pas été mon intention ; j'en fais la déclaration formelle, en reconnaissant les services que des membres de cette Chambre ont pu rendre dans la commission provisoire.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, l'honorable préopinant déclare lui-même qu'il vient de parler d'un objet qui n'est qu'en projet. Mais, messieurs, nous nous trouvons en présence d'un projet autrement important. Le gouvernement a soumis à la Chambre une demande de crédit de 9 millions ; il estime que cette dépense est nécessaire et il le démontrera dans le cours de la discussion. On pourrait donc très bien commencer par aborder ce qui est actuel…
- Un membre. - Le projet de loi n'est pas adopté.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - On traite une question spéciale, c'est de savoir s'il convient, oui ou non, d'instituer au département des travaux publics une commission consultative. Je demande qu'on s'occupe avant tout de la question de savoir s'il convient, oui ou non, de faire, dans l'intérêt du chemin de fer belge, une dépense extraordinaire de 9 millions.
M. Moncheur. - Messieurs, j'engage la Chambre à voter le crédit de 9 millions demandé pour le service du chemin de fer, et en conseillant ce vote à la Chambre, je suis complètement d'accord avec mes antécédents. Chaque fois que j'ai eu à m'expliquer sur le chemin de fer, qu'ai-je dit ? J'ai dit que le chemin de fer traînait sa pénible existence dans un cercle vicieux ; c'est-à-dire qu'il ne rapportait pas ce (page 1709) qu'il devrait rapporter, parce qu'il n'était pas suffisamment outillé, et que d'un autre côté, il n'était pas suffisamment outillé parce qu'il ne rapportait pas assez. On ne sortait pas de ce cercle-ci, on disait au chemin de fer : « Vous ne rapportez pas d'argent, donc nous ne votons pas de fonds pour vous. » Le chemin de fer, par ses représentants, disait : « Si je ne rapporte pas, c'est parce que je ne suis pas convenablement organisé et que mon matériel est insuffisant. » Et cela était vrai.
En partant de ce fait, j'ai toujours dit, messiurs, que le chemin de fer serait beaucoup mieux dans les mains d'une compagnie ; et pourquoi ? Parce qu'une compagnie se serait placée, elle, uniquement au point de vue du négoce, de l'affaire commerciale qu'elle devait gérer, et qu'elle n'aurait pas eu à compter avec mille considérations financières, politiques ou autres qui ont pu engager la législature à restreindre les dépenses et à limiter les crédits à accorder au chemin de fer.
Cela est incontestable. Quand on exerce une industrie, on fait une affaire, il faut la faire pour elle-même, il faut y appliquer les moyens nécessaires, et n'être pas arrêté par des considérations qui y sont étrangères. Aujourd'hui on veut enfin sortir de ce cercle vicieux. On demande à la législature l'argent nécessaire pour que le chemin de fer soit pourvu du matériel qui lui est indispensable pour répondre à ces exigences.
Or quelle est la somme nécessaire à cet effet ? La commission consultative, d'accord avec le ministre des travaux publics, estime qu'elle devrait être d'environ 23 millions de francs.
L'honorable M. Frère, il y a six ans, l'avait estimée lui, à 25 millions. La différence entre ces évaluations n'est pas grande en elle-même, mais elle est grande en ce sens que les besoins doivent être infiniment plus grands aujourd'hui qu'ils n'étaient il y a six ans.
Supposons donc que 25 millions de francs seraieut nécessaires aujourd'hui ; mais dans ces dépenses jugées indispensables la commission a fait un triage ; elle a pris, parmi elles, les plus urgentes et elle a fixé le chiffre de la dépense actuelle à 12 millions. Mais le ministre nous demande-t-il ces 12 millions ? Non, il réduit la demande à 9 millions. Et sur quoi se fonde M. le ministre pour ne demander que 9 millions ? Sur de futurs contingents, sur l'espoir que les matières premières pourront baisser de prix.
Vous voyez, messieurs, que nous serons encore de beaucoup en dessous des besoins réels et des plus urgents. Quel est notamment un de ces besoins les plus urgents ? C'est l'établissement des doubles voies partout. Eh bien, le complément du chemin de fer par l’établissement des doubles voies n'est pas même considéré par le gouvernement qui a déposé le projet qui nous occupe comme un objet d'urgente nécessité. Or, c'est là rester en deçà des véritables besoins du railway.
La première condition qu|on impose à toutes les compagnies particulières, à l'exception peut-être de celle du Luxembourg, c'est l'établissement de doubles voies ; et, en effet, elles sont d'une nécessité absolue en général, mais elles le sont surtout sur nos lignes qui toutes se trouvent dans des contrées populeuses et relient les chefs-lieux de province à la capitale.
Messieurs, dans diverses sections, et notamment dans la sixième, on a émis le vœu qu'on s'occupât de l'établissement de la double voie, et j'avoue que nous devons être un peu honteux d'avoir un chemin de fer établi depuis 18 ans et de ne pas avoir encore eu le courage de faire ceque toutes les compagnies particulières ont fait et ce que nous les forçons toutes à faire. Ainsi un honorable préopinant a parlé d'une lacune importante qui existe entre Tamines et Châtelineau. Il n'y a sur cette section qu'une seule voie ; c'est là un grand danger et une cause de retards ; et ce danger, cette cause de retards, s'augmenteront encore bientôt dans une très grande proportion, quand le chemin d'Erquelinnes, de Saint-Quentin sera ouvert, car ce chemin de fer viendra déverser sur la ligne de Charleroi à Namur un transport très considérable de voyageurs et de marchandises.
On sait, en effet, que cette ligne, avec celle de Namur à Liège, sera la plus courte de Paris vers l'Allemagne ; et vous n'aurez là qu'une seule voie ! C'est impossible. Qu'arrive-t-il souvent ? Vous partez à grande vitesse de Namur vers Charleroi, Bruxelles ou Paris, mais arrivé à Tamines, vous y restez un quart d'heure, une demi-heure, trois quarts d'heure, enfin tant que le convoi de marchandises, qui vient de Charleroi, soit passé, car comme il n'y a qu'une voie, les convois ne peuvent pas se croiser.
L'indigène qui connaît la misère de notre chemin de fer, prend patience ; mais l'étranger se récrie et demande ce qui est survenu, s'il y a un accident d'arrivé ? Force est alors au voyageur belge d'avouer qu'il n'existe qu'une voie sur cette partie du chemin de fer de l'Etat. Mais, dit l'étranger, c'est donc un chemin de fer en construction ?
Hélas ! nous n'avons pas cette excuse à alléguer, et il faut bien dire qu'il y a 18 ans que le chemin est en exploitation, et que nous n'avons pas encore eu les moyens de construire la deuxième voie.
M. de Mérode. - On a d'autant moins dépensé.
M. Moncheur. - On a d'autant moins dépensé, dit-on, mais il faut savoir dépenser quand la dépense est productive. Croyez-vous que si la dépense de neuf millions qu'on sollicite, était une dépense stérile, improductive, je vous engagerais à la voter ? Non, messieurs, au contraire je vous dirais : Abstenez-vous -en.
Cette dépense doit avoir pour effet de vous épargner une perte de plus de 20 millions, et même de perdre votre chemin de fer lui-même.
Lorsque tout votre matériel sera complètement usé, n'ayant jamais le temps d'être réparé, lorsqu'il n'aura plus que la valeur de la vieille ferraille, ne regretterez-vous pas de n'avoir pas eu la prévoyance de mettre l'Etat à même de pourvoir à son entretien, et lorsque vous subirez des accidents qui vous auront soumis à des dommages-intérêts considérables, ne regretterez-vous pas de n'avoir pas fait les dépenses indispensables pour les éviter ?
Tout à l'heure je signalais une lacune notable dans les doubles voies sur la section de Namur vers Charleroi. Déjà cette lacune a été la cause d'un accident grave, d'un choc qui a jeté une locomotive hors voie, et cet accident aurait pu avoir les suites les plus graves.
Je regarde donc comme d'une urgente nécessité l’établissement de la double voie sur toutes les lignes du chemin de fer de l'Etat, et je ne conçois pas que le gouvernement puisse rester sous le poids de ce grave reproche de ne pas faire ce qui est l'abc de la construction des chemins de fer. Sous ce rapport je recommande à M. le ministre te vœu exprimé par la section centrale et par plusieurs sections.
M. Van Cromphaut. - Messieurs, le projet de loi qui nous occupe est le résultat d'un examen minutieux par la commission d'enquête, instituée par le gouvernement. Cette commission a examiné consciencieusement et en détail tout ce qui se rattache à l'utilité du crédit spécial de 9,000,000 de francs, et elle a reconnu la nécessité, l'urgence de l'allocation de cette dépense, non seulement dans l'intérêt de la régularité du service du chemin de fer et dans celui du commerce, mais aussi dans l'intérêt du trésor et de la sécurité publique.
L'honorable M. de Brouwer, l'un des membres les plus actifs de la commission, s'est donné tant de peine dans cette enquête, et il a poursuivi avec tant de dévouement un travail si utile, que pour ma part je lui en témoigne toute ma reconnaissance.
Oui, messieurs, le matériel en général est dans un état défectueux, et la voie laisse beaucoup à désirer. Sur la ligne de Malines à Gand il existe encore 22,000 rails de l'ancien modèle, trop faibles pour résister au trafic des convois à grande vitesse. Le bris d'un de ces rails laisserait des conséquences déplorables, désastreuses même pour les voyageurs. J'ai appris qu'il en est de même sur d'autres lignes, le rapport à cet égard est concluant, et j'y ai une entière confiance. Hâtons-nous d'y porter remède.
Il ne suffit pas que nous ayons une administration tout à fait à la hauteur de son importance et de sa mission, si nous ne lui fournissons pas les moyens d'exploiter le chemin de fer en toute sécurité et avec tous les avantages dont il est susceptible.
Il faut voter les fonds pour compléter le matériel, pour pourvoir à toutes les réparations indispensables, pour achever les bâtiments qui sont en souffrance ; en un mot, il faut compléter tout ce qui est nécessaire pour tirer le plus grand parti possible de l'exploitation. Cet là un placement de fonds avantageux pour le trésor qui en retirera un intérêt considérable, intérêt que des hommes compétents évaluent au quart de la dépense.
En effet, messieurs, par l'amélioration du matériel, vous offrez une plus grande somme de sécurité aux voyageurs, vous prévenez des catastrophes ruineuses pour le trésor, et vous introduisez des économies dans le chauffage ; par le complément du matériel, vous évitez l'encombrement des marchandises qui affluent au chemin de fer pendant l’interruption de la navigation, et vous profitez de tous les avantages qui se présentent pour faire rapporter davantage au gouvernement.
Par l'achèvement des stations, vous attirez un plus grand nombre de voyageurs.
Par la construction de remises, vous préservez les voitures et locomotives de toutes les intempéries si nuisibles à leur conservation.
Par la construction de magasins, vous provoquez une plus grande aflluence de marchandises pour le transport.
Par toutes ces considérations, messieurs, je donnerai un vote affirmatif pour le crédit demandé.
Maintenant, j'appellerai l'attention de M. le ministre des travaux publics sur certains bâtiments récemment construits dans les petites stations et les haltes, le long du chemin de fer de l'Etat. Ces bâtiments, destinés au logement des employés qui desservent ces petites stations, sont d'un aspect disgracieux et n’offrent pas le confortable que l'on pourrait désirer pour les employés, sans augmentation de dépense. Je dis sans augmentation de dépense, parce qu'il serait facile d'établir sur ces bâtiments un étage convenable, au lieu d'un demi-étage qui force les habitants à se loger en quelque sorte sous le toit dans des mansardes malsaines.
J'ai remarqué dans plusieurs localités une prodigalité extraordinaire de matériaux inutiles. C'est ainsi que l'on a donné des largeurs exagérées aux fondations, complètement inutiles pour le poids qu'elles ont à supporter, puisque en général ces bâtiments n'ont que le rez-de-chaussée et un demi-étage. Si au lieu de faire des fondations dans un terrain solide d'une largeur de 0,80 à 1 mètre, on se bornait à en faire de 50 à 60 centimètres au plus, le bâtiment serait tout aussi solide, et l'économie de matériaux qui en résulterait suffirait pour parfaire l'étage. Ainsi, sans augmentation de dépense, on ferait des demeures plus en rapport avec les besoins des employés, et l'aspect disgracieux disparaîtrait. On m'objectera en vain qu'il est nécessaire de donner une largeur si forte aux fondations des bâtiments aussi près de la voie ferrée, parce que le mouvement du sol au passage des convois serait de nature à les lésarder. Les oscillations produites par le passage des convois ne sont pas telles (page 1710) qu'elles puissent produire cet effet quand on a eu soin d'employer de bons matériaux.
Je livre ces réflexions à M. le ministre des travaux publics et j'appelle son attention sur un examen plus spécial des plans des bâtiments à construire, de manière à y introduire plus d'économie, de convenance et d'élégance.
M. Frère-Orban. - Messieurs, j'ai déjà eu occasion, dans la discussion du crédit supplémentaire, que vous avez voté il y a deux jours, d'exprimer mon opinion sur le système qu'on veut appliquer à l'administration du département des travaux publics, en ce qui concerne les chemins de fer. Les principes qu'on a mis en avant à ce sujet peuvent avoir des conséquences tellement graves à mes yeux, ils peuvent compromettre à ce point les principes les plus essentiels du gouvernement que j'ai cru devoir les combattre, avec la conviction que, s'ils venaient à prévaloir, il n'y aurait qu'un seul moyen d'échapper à la situation déplorable où l'on se trouverait : ce serait d'aliéner immédiatement le chemin de fer de l'Etat. Ces principes sont, à mes yeux, plus graves que le fond même du projet ; que la question de savoir si l'on allouera ou si l'on n'allouera pas immédiatement 9 millions au département des travaux publics.
Il y a une tentative d'envahissement de la part d'une fraction de la Chambre sur le pouvoir exécutif. Cette commission parlementaire qui a été instituée tend, en effet, à absorber complètement le ministre. Il est inutile de faire des conjectures, de se livrer à des suppositions sur ce qui arrivera dans l'avenir, il suffit de citer les faits pour se convaincre que, dès ce moment, il n'y a plus de ministre des travaux publics ; il y a une commission qui dirige, une commission prétendue consultative qui fait de l'organisation aux travaux publics ; qui prend l'initiative des dépenses au département des travaux publics ; qui les impose au ministre des travaux publics.
C'est la situation actuelle.
L'honorable M. E. Vandenpecreboom a fait ressortir tout à l'heure, avec autant d'esprit que de raison, les inconvénients, les dangers même de cette situation ; et M. le ministre des travaux publics, en présence des observations de l'honorable membre, s'est empressé de décliner la discussion, en conviant la Chambre à débattre seulement le chiffre du crédit qui est réclamé.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai pensé qu'il fallait commencer par le plus urgent. Cette discussion n'empêchera pas l'autre. La discussion n'est pas close.
M. Frère-Orban. - Quand donc voulez-vous qu'on s'en occupe ? Après le vote du crédit ? Si ce n'était pas là le sens de vos paroles, que pouvaient-elles signifier ? Qu'importe, en effet, si vous ne refusez pas le débat, que l'on traite d'abord la question de principe qui est soulevée ? N'est-il pas naturel et logique que l'on connaisse avant tout l'opinion du gouvernement sur la condition que la section centrale veut imposer à l'allocation du crédit ?
La section centrale déclare au ministre, qu'elle ne votera le crédit qu'à la condition expresse qu'il prendra, devant la Chambre, l'engagement d'adopter les résolutions qu'elle a décrétées, les propositions qu'elle a formulées. Le ministre est-il disposé à prendre cet engagement ? Et je n'exagère rien. La section centrale s'exprime en ces termes :
« La section centrale vous propose donc de voter, sans modification, le projet du gouvernement, tout en se ralliant à l'opinion d'une section que les travaux doivent réunir toutes les conditions d'utilité et être exempts de tout luxe.
« Mais à l'unanimité elle émet le vœu de voir adopter sans retard les mesures indiquées par la commission consultative comme indispensables pour la bonne exploitation du chemin de fer national. Et parmi ces mesures, elle place en première ligne l'institution du conseil supérieur des chemins de fer, qui serait consulté sur l'emploi des fonds actuellement alloués, et la réorganisation de l'administration et des services d'exécution d'après des bases plus pratiques et plus commerciales.
« Elle insiste également de toutes ses forces auprès du département des travaux publics pour qu'il soit annuellement présenté aux Chambres un compte spécial et détaillé de l'emploi des fonds alloués par le projet en discussion.
« Votre section centrale ne vous propose pas de transformer en une obligation, par un article de la loi, les vœux qu'elle vient d'émettre : elle est persuadée qu'en présence de l'uniformité des vues exprimées par la commission consultative, par les sections et par la section centrale, M. le ministre n'hésitera pas à prendre devant la Chambre l’engagement d'adopter des mesures qui lui sont si unanimement recommandées. »
Voilà la condition du vote. C'est par faveur insigne, c'est par grâce spéciale pour le ministre, c'est apparemment pour ne pas trop l'humilier, que vous consentez à ne pas insérer dans le projet de loi une disposition qui déclare impérieusement que le ministre doit adopter les mesures proposées par une commission prétendue consultative !
Je ne comprends pas que le gouvernement n'ait pas encore protesté contre une pareille prétention. Je dis que le sentiment de ses devoirs et de sa propre dignité lui faisait une obligation de protester immédiatement.
Au lieu d'agir ainsi, il tente d'ajourner toute explication, et ce qui rend son attitude d'autant plus étrange, c'est que le rapport de la section centrale est un acte d'accusation contre le ministre des travaux publics.
« On avait bien pu (dit le rapport), pendant quelques années, s'endormir dans une douce quiétude, se bercer de l'illusion que tout était pour le mieux au chemin de fer de l'Etat et traiter d'exagérations les reproches adressés à notre adminhtralion. On avait pu croire de bonne foi qu'il n'y avait aucune modification à apporter aux tarifs pour les rendre plus productifs, ni à l'administration'pour la rendre plus responsable et plus commerciale. On avait pu se figurer même que l'entretien était bon, que les renouvellements étaient suffisants et que les crédits offerts pour l'augmentation du matériel et pour l'amélioration des voies étaient inutiles. »
El à qui s'adresse ce langage ? Au ministre des travaux publics qui, depuis tantôt quatre années, est an banc ministériel.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Et à ses prédécesseurs !
M. Frère-Orban. - Nous y viendrons tout à l'heure. Oh ! je saisis très bien le sens de ia pensée de la section centrale. Mais il ne faut pas que vous en preniez prétexte pour vous affranchir de la responsabilité que ces imputations feraient, peser sur vous si elles étaient fondées.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je n'ai pas encore parlé.
M. Frère-Orban. - Vous venez de m'interrompre en disant que cela s'adressait à vos prédécesseurs.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai dit que cela s'adresse aussi à mes prédécesseurs.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Il y a « et ».
M. Frère-Orban. - Il y a « et », oui ; mais on voudrait bien que ce fût « ou » ; il serait si agréable de faire entendre que c'est aux prédécesseurs, et surtout à l'un d'eux, que les reproches sont adressés !
L'honorable ministre des travaux publics trouve ces reproches formulés par qui ? Ils ne sont en réalité que l'expression des critiques adressées fréquemment au département des travaux publics, par l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp. C'est l'expression de sa propre opinion ; c'est sa pensée tout entière qui se trouve ici. Et qui a combattu avec le plus d'énergie, et je dois le dire, avec le plus de succès, l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp ? M. le ministre des travaux publics ! C'est M. le ministre des travaux publics qui lui a dit vingt fois, dans cette enceinte, notamment à l'occasion de la discussion du budget du département des travaux publics de l'exercice 1851 : « Les reproches que vous adressez à l'administration sont exagérés. Les erreurs dans lesquelles vous tombez sont matérielles. Les frais d'exploitation que vous prétendez être plus considérables au chemin de fer de l'Etat qu'au chemin de fer des compagnies, vous les jugez en prenant des chiffres dans les comptes simulés des compagnies » C'est ce que disait M. le ministre des travaux publics à l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp. Aujourd'hui M. de Brouwer de Hogendorp impose son opinion, impose son système à M. le ministre des travaux publics.
M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est l'opinion unnnime des sections et de la section centrale ; ce n'est pas la mienne.
M. Frère-Orban. - Oui, messieurs, c'est l'opinion unanime de la commission consultative, dit-on, c'est l'opinion unanime des sections ; c'est encore l'opinion de la section centrale, et, comme pour justifier ce que nous disait tout à l'heure l'honorable M. Vandenpeereboom, de ce singulier système d'intervention des membres des Chambres dans ces commissions permanentes, nous trouvons à la commission permanente, M. de Brouwer de Hogendorp, M. de Man, M. Vermeire, M. Osy ; dans les sections, M. de Brouwer de Hogendorp, M. de Man, M. Vermeire, M. Osy, et à la section centrale M. de Brouwer de Hogendorp, M. de Man, M. Vermeire et M. Osy.
M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est l'affaire de la Chambre, si les sections ont eu confiance en nous.
M. Frère-Orban. - Est-il donc bien extraordinaire que ces messieurs, après avoir énoncé certains faits, certaines propositions dans la commission consultative, trouvent dans les sections que leur opinion est excellente, et qu'arrivés en section centrale ils la déclarent parfaite ? Assurément il n'y a là rien d'étonnant. Mais cela affaiblit beaucoup l'autorité de l'opinion de la commission qui se trouve formulée dans le rapport.
On disait tout à l'heure que ces reproches ne s'adressent pas seulement à M. le ministre des travaux publics, mais aussi à ses prédécesseurs. Remontons un peu à ses prédécesseurs.
Depuis quand le chemin de fer est-il achevé ? Le réseau a été complété dès 1845. C'est, j'imagine, depuis cette époque, si ce n'est encore à partir d'une époque antérieure, que nous manquons de stations, que nous manquons de hangars, que nous manquons de doubles voies. Votre accusation veut-elle dire qu'il faut faire remonter à 1845, si ce n'est au-delà, les vices, l'incurie, la négligence dont vous vous plaignez ? Ou bien, pour exprimer enfin ce que vous n'avez pas écrit, faut-il dire que c'est à partir de 1848 que cette situation a existé et que je suis coupable de tous les méfaits que vous avez imaginés ? Oh ! certes, ce serait une grande joie pour vous qu'il en fût aibsi ; mais décidément n'est-ce pas un peu trop ridicule ?
El, en effet, loin d'avoir fermé les yeux et de m'ètre endormi, j'ai constaté, au contraire, les besoins du chemin de fer en 1848, et j'ai incontinent exécuté à peu près le tiers de la dépense alors estimée nécessaire pour faire face à ces besoins.
Voilà ce que j'ai fait en quelques mois de passage au département des travaux publics. J'ai employé, en crédits extraordinaires seulement, sept millions au chemin de fer de l'Etat !
(page 1711) Est-ce depuis lors, qu'on s'est endormi dans cette douce quiétude dont parle la section centrale ? Mais l'honorable ministre des travaux publics actuels et son prédécesseur ont fait, à leur tour, également des dépenses considérables au chemin de fer de l'Etat.
Les crédits qu'ils ont obtenus réunis à ceux que j'ai fait voter s'élèvent à plus de 12,500,000 fr.
A-t-on tout fait ? Ne reste-t-il rien à faire ? Personne ne le prétend. Que l'on puisse dépenser utilement beaucoup d'argent encore au chemin de fer de l'Etat, c'est ce que tout le monde avoue. Mais que signifient vos accusations ? Que signifient vos reproches adressés à M. le ministre des travaux publics ?
La commission, la grande commission, a, cependant, constaté une situation qu'elle a trouvée très mauvaise sous tous les rapports ; mais cette constatation, on l'a faite d'une manière vague et générale ; c'est une espèce d'enquête après promenade ; c'est une situation qui n'a pu être vérifiée par aucun membre de la commission. L'administration a produit des documents à la commission ; celle-ci les a adoptés et tout a été dit. Comment les a-t-elle examinés ? C'est la commission elle-même qui va nous l'apprendre :
« Nous n'avons pas pu discuter, avec l'administration, chaque point de ces devis ; notre mission ne comportait pas un pareil travail qui nous aurait obligés à un examen minutieux de tous les projets et de tous les détails estimatifs. C'est un devoir qui devra être rempli plus tard, par le conseil supérieur dont vous avez voté l'institution. »
Ainsi, vous l'entendez : on affirme que cette commission a examiné, scruté avec le plus grand soin les besoins du chemin de fer de l'Etat ; et elle avoue, au contraire, qu'elle s'en remet à la commission future du soin d'examiner.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Je demande la parole.
M. Frère-Orban. - Et ce n'est pas tout ; écoutez-la encore. « Cependant l'examen superficiel que nous avons fait de ce devis, nous permet de déclarer que nous avons la certitude morale que les sommes indiquées par l'administration seront suffisantes pour couvrir les dépenses des travaux et fournitures auxquelles elles s'appliquent. »
Voilà, messieurs, les conclusions du rapport. Et c'est en présence d'un pareil travail que l'on dit résolument à la Chambre et au pays : Nous avons vu, nous avons examiné, nous avons constaté, nous savons qu'il y a des sommes énormes à dépenser ; nous pouvons affirmer, nous avons la certitude morale que les sommes qui sont sollicitées seront utilement, seront bien employées !
Est-ce qu'une commission était nécessaire pour aboutir à ce résultat ? Ne suffisait-il pas de se faire représenter les propositions de l'administration même ?
Cette commission, messieurs, qui n'a pas examiné, si ce n'est superficiellement, les devis de l'administration ; cette commission a proposé des augmentations de dépenses sur les travaux mêmes proposés par l'administration. Cela est à peine croyable après la déclaration que vous venez d'entendre. Eh bien ! voyez à l'annexe n 2. En regard des travaux proposés par l'administraïion se trouvent les travaux admis par la commission.
L'administration dit, par exemple, pour la station de l'Allée verte : Une somme de 143,000 fr. est nécessaire, et elle donne, sommairement, l'indication de la dépense. La commission, qui n'a pas examiné, porte en compte 263,000 francs ! Elle ajoute aux propositions de 143,000 francs de l'administration 120,000 francs pour acquisition de terrains. Qu'en sait-elle ? Ou elle a accepté, de nouveau, ce chiffre qui n'était pas même proposé, qu'on est venu ultérieurement lui indiquer, ou c'est une pure invention de sa part.
On s'occupe ultérieurement de la station de Malines. L'administration est d'avis qu'à la station de Malines il faut pour voies, plaies-formes et excentriques 118,400 fr. Mais il y a dans la commission permanente quelqu'un qui connaît mieux les besoins de la station de Malines que l'administration même, et qui trouve qu'il faut ajouter aux propositions de la commission, 29,000 fr. pour agrandir le bâtiment des recettes, et pour fermer des galeries couvertes.
Je ne veux pas, messieurs, énumérer tout ce qui se trouve de pareil dans le rapport. Il me faudrait énumérer plus de vingt articles à l'égard desquels la commission qui n'a pas examiné, a proposé d'augmenter les dépenses indiquées par l'administraïion. Mais ce serait trop long....
M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est cependant très inléressant.
M. Frère-Orban. - Il est, en effet, très intéressant d'entendre déclarera la Chambre qu'on n'a fait qu'un examen superficiel des devis de l'administration, et de voir placer en regard de ces devis des propositions supérieures à celles de l'administration elle-même.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Vous parlez seul.
M. Frère-Orban. - Nous ne pouvons pas parler deux à la fois ; mais vous me répondrez, et j'espère que je retrouverai ensuite aux Annales la réponse telle que vous l'aurez faite, et non, comme la dernière fois, un discours qui diffère beaucoup de celui que vous avez prononcé devant la Chambre.
Messieurs, la commission ne parle, n'examine, n'écrit que pour éclairer la Chambre. Or, voici un exemple de ses procédés.
Il s'agit de constater l'insuffisance du matériel de l'Etat. On établit une comparaison entre le chemin de fer de l'Etat, les chemins de fer étrangers et les chemins de fer appartenant à des compagnies. « Nous avous, dit-on, 180 machines locomotives, pour exploiter 637 kilomètres, pour transporter 4,700,000 voyageurs et 1,850,000 tonnes de marchandises...
« Pour un réseau ayant un développement de 710 kilomètres, le chemin de fer du Nord a 275 locomotives, et ce chiffre sera porté, dans le courant de l'année 1855, à 354.
« En tenant compte des commandes faites, le chemin de fer d'Orléans, qui a une longueur exploitée de 1,116 kilomètres, a 446 machines. »
Ainsi que vous le remarquez, messieurs, pour le chemin de fer du Nord, pour le chemin de fer d'Orléans, on ne s'occupe pas seulement des locomotives qui existent, mais des locomotives qui sont commandées.
On accroît le chiffre pour le mettre en regard du chiffre des locomotives que nous avons, et on oublie de dire à la Chambre, comme on devrait le faire pour ne pas l'induire en erreur, que, indépendamment des 180 locomotives que nous avons, il y en a 18 qui vont être livrées ; de telle sorte que le terme de comparaison doit s'établir, non pas sur 180, mais sur 198.
Je pourrais, messieurs, relever beaucoup de choses du même genre, dans le rapport, mais je sais qu'à l'époque de la session où nous sommes arrivés, il faut essayer d'être bref.
Ce matériel, dil-on, est complètement insuffisant. C'était l'opinion de l'honorable M. de Brouwer de Hogendorp, mais ce n'était pas l'opinion de M. le ministre des travaux publics. L'honorable ministre des travaux publics en 1851, établissait une comparaison entre l'état de notre matériel et celui du chemin de fer du Nord. Le chemin de fer du Nord avait 199 locomotives, 482 voitures de voyageurs, 218 fourgons et trucs, 2,507 waggons à marchandises.
Nous avions à la même époque 170 locomotives, 1,022 voitures pour voyageurs, 3,344 waggons à marchandises et 349 waggons de service ; ainsi de ces derniers chefs, beaucoup plus que ce que possédait le chemin de fer du Nord.
Voilà, messieurs, quelle était la situation au 1er janvier 1851. Mais au 1er janvier 1854 on a porté le nombre des locomotives à 198.
- Un membre. - Elles ne sont pas faites.
M. Frère-Orban. - Elles sont commandées depuis une année, et elles seront livrées dans quelques mois, dit M. le ministre des travaux publics ; je dois en tenir compte, comme on tient compte des locomotives commandées, lorsqu'on parle du chemin de fer d'Orléans et du chemin de fer du Nord. Il y a 198 locomotives qui seront avant peu de temps à la disposition du gouvernement.
On a porté le nombre des waggons de 3,344 à 4,027, indépendamment de 390 waggons de service, et le nombre des voitures a été porté de 1,022 à 1,098. Peut-on dire que l'on se soit reposé dans une douce quiétude ? que rien n'ait été fait ? qu'on n'ait pas pourvu dans une certaine mesure aux besoins du chemin de fer de l'Etat ? On a porté le nombre des locomotives de 154 qu'il était, si je ne me trompe, en 1848, à 198 qu'il est en 1854 ; 154 à 198 ! On a augmenté dans une proportion très considérable le nombre des waggons ; ne faul-il pas, pour être juste, reconnaître que, même dans cet espace de temps, on a fait beaucoup ?
Est-ce à dire qu'il n'y ait rien à faire au chemin de fer de l'Etat ? qu'il ne serait pas utile d'y dépenser dix ou vingt millions ? Mais je ne viens pas même le prétendre !
Je ne viens pas dire que ce serait une dépense improductive, une dépense stérile, que celle qui serait faite, et pour achever les stations, et pour compléter les doubles voies, et pour établir des hangars de marchandises, et pour étendre le matériel, et pour augmenter le nombre des locomotives ! Mais je demande s'il est raisonnable de prétendre que cette situation, quant aux stations, quant aux doubles voies, quant aux hangars de marchandises, qui existe depuis quinze ans, si cette situation doit être changée incontinent, sur l'heure même, aujourd'hui, à la veille de la clôture de la session ? Je demande si dans les circonstances actuelles, vu l'état du trésor, vu l'impossibilité d'indiquer aucun moyen de couvrir les dépenses dans lesquelles on veut s'engager, il est prudent de décréter, dès maintenant, une dépense de neuf millions de francs ?
Je demande si, alors que les matériaux, et en général, tous les objets destinés à la consommation du chemin de fer, ont augmenté dans une proportion qui varie de 30 à 40 p. c, il est raisonnable de vouloir s'engager, contracter des marchés, pour des objets qui ne pourront être livrés que dans plusieurs années, et à une époque où, selon toutes les probabilités, il y aura une réduction notable dans les prix, en d'autres termes, où vous pourrez, avec la même somme, obtenir un tiers ou un quart de plus que ce qu'on veut acquérir aujourd'hui avec la somme de 9 millions de francs ?
Il est certain qu'en décrétant, aujourd'hui, l'achat d'un nombre extraordinaire de locomotives, d'un nombre extraordinaire de waggons, d'une quantité extraordinaire de rails, vous obligez l'Etat à contracter des engagements onéreux, et il est très vraisemblable que dans quelques mois on pourrait contracter à des prix infiniment plus bas.
Il y a une partie de la dépense qui peut être considérée cependant comme plus urgente que toutes les autres ; c'est celle qui touche à la sécurité de la voie. M. le ministre des travaux publics nous a expliqué parfaitement, dans une des dernières séances, comment il se fait que le renouvellement, quant aux rails, n'avait pas pu s'opérer dans la même proportion que l'année précédente, et surtout dans la proportion des prévisions.
(page 1712) Le crédit avait été calculé à raison d'un prix de 176 fr. ; le prix s'est élevé à 226 francs.
M. le ministre avait compté et dû compter sur la possibilité de placer 5,000 tonnes de rails ; il n'a pu en placer que 3,000 avec la même somme.
Il est juste qu'une somme soit allouée au département des travaux publics pour faire cette dépense qui a un caractère d'urgence. Mais en allouant dès à présent une certaine somme qui serait indiquée par M. le ministre des travaux publics, celle d'un million, par exemple, en y ajoutant même quelque chose pour l'extension du matériel, et en se réservant de statuer sur le surplus du crédit, je crois que la Chambre ferait chose sage et prudente ; je crois qu'il n'y a aucune raison pour s'engager, sans un examen approfondi, à la veille de la clôture de la session, dans une dépense aussi considérable que celle de 9 millions. Si donc M. le ministre des travaux publics n'indique pas lui-même un chiffre, je ferai la proposition formelle à la Chambre d'allouer, quant à présent, un million ou un million cinq cent mille francs au département des travaux publics.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je commence par déclarer qu'en prenant la parole tout à l'heure, mon intention n'était nullement d'éviter la discussion sur la question qui a été agitée par l'honorable M. Vandenpeereboom, mais de mettre la Chambre en garde contre des incidents qui auraient pu lui faire perdre de vue l'objet principal du débat.
L'honorable M. Frère vient d'incriminer les travaux de la commission qui a été instituée, et il m'a mis personnellement en jeu, pour me faire des reproches que je n'accepte en aucune façon et dont je vais avoir l'honneur de vous démontrer le peu de fondement.
M. Frère-Orban. - Je vous ai défendu.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je vous demande pardon ; vous avez déclaré, de la manière la plus formelle, que j'acceptais ici un rôle indigne, car ce serait un rôle indigne d'un ministre, que celui qui consisterait à défendre des opinions qui seraient contraires à ses convictions. C'est un reproche auquel je suis très sensible.
Messieurs, je dois aussi défendre les actes de la commission contre les préventions passionnées dont elle a été l'objet ici de la part de l'honorable M. Frère.
Cette commission a été instituée à la suite d'un engagement formel pris par le gouvernement et à la suite des sollicitations réitérées de beaucoup de membres très influents de cette assemblée. Je ne citerai que les paroles de l'honorable président, de M. Delfosse qui, déjà lors de la discussion du budget de 1851, m'engageait à prendre, à l'égard du chemin de fer, la mesure qui avait été adoptée à l'égard de l'armée. Voici dans quels termes s'exprimait l'honorable M. Delfosse :
« Si M. le ministre des travaux publics veut prendre pour le chemin de fer la résolution qui a été prise pour l'armée, js serai le premier à le féliciter. »
A la suile de cette déclaration, j'ai pris l'engagement moral d'instituer une commission.
Lors de la discussion du budget de 1852, les débats avaient pris une tournure extrêmement irritante ; l'administration était en jeu. Ce n'était plus seulement une question de budget, de tarif, qui faisait l'objet principal du débat. Celait une question d'organisation, de détails dans laquelle l'assemblée elle-même devait se déclarer incompétente. L'idée d'une commission fit de nouveaux progrès ; on en était même venu à déclarer, et c'étaient ceux-là qui avaient le plus à coeur l'exploitation par l'Etat, que le projet d'établir une commission parlementaire finirait par prévaloir.
C'est à la suite de cette discussion que, d'accord sur ce point avec l'honorable M. Rogier, qui m'a même engagé à faire siéger parmi les membres de la commission les honorables représentants qui faisaient ici l'opposition la plus vive au budget des travaux publics ; c'est, d'accord, dis-je, avec l'honorable M. Rogier, que j'instituai cette commission. Et je dois le dire, c'est avec un sentiment de peine profonde que j'ai entendu l'honorable M. Frère mettre en quelque sorte en doute le dévouement et les intentions qui ont guidé ces honorables représentants.
M. Frère-Orban. - Je ne me suis pas occupé des intentions.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Eh bien, la commission, après s'être livrée pendant plusieurs mois à un examen consciencieux de toutes les questions qui intéressent l'administration du chemin de fer, a pensé qu'il fallait pourvoir au plus tôt à une dépense extraordinaire de plusieurs millions. Elle se trouvait là d'accord, non plus seulement avec le gouvernement d'aujourd'hui, mais avec le gouvernement dans la personne de l'honorable M. Frère en 1848 ; elle se trouvait d'accord avec l'unanimité des agents supérieurs de l'administration qui, elle, n'a pas cessé de réclamer, dans l'intérêt d'une bonne exploitation du chemin de fer, les dépenses extraordinaires que je sollicite aujourd'hui en partie ; elle se trouvait d'accord avec l'opinion de tous les hommes qui ont vu les choses de près ; pouvais-je dès lors hésiter à ratifier les propositions qui m'étaient faites ?
« Mais, dit l'honorable M. Frère, le ministre des travaux publics accepte aujourd'hui les allégations qui se trouvent dans le rapport de M. de Brouwer et dans celui de M. Dumon, il accepte ce qu'il combattait il y a quelques années. On lui dit : La voie est dans un état déplorable, l'organisation est défectueuse, le matériel est détraqué, et le ministre ne répond pas. »
Messieurs, si l'honorable M. Frère avait voulu se rappeler la discussion qui a eu lieu il y a deux jours à l’occasion du crédit supplémentaire de 1,500,000 fr., il aurait été convaincu que j'avais répondu d'avance à ce reproche.
En effet, qu'ai-je dit pour justifier le crédit ? Ai-je dit que c'est parce que les voies sont dans un état déplorable, parce que l'organisation est défectueuse, parce que le matériel est délabré, que je venais demander le crédit ? En aucune façon ; j'ai indiqué les causes principales qui avaient grevé outre mesure l'exercice 1853, et l'honorable M. Frère a déclaré que j'avais raison. J'ai dit que c'était à cause du renchérissement du prix des matières premières et des objets de consommation, à cause des réparations extraordinaires qu'il avait fallu effectuer, à cause des circonstances calamiteuses que nous avions traversées, à cause du développement inouï des transports, que je venais solliciter uu crédit extraordinaire.
Mais j'ai ajouté, ce qui est très vrai et ce qui n'est pas en contradiction avec les paroles que j'ai prononcées en d'autres temps, j'ai ajouté que l'état de la voie, que l'extrême fatigue, l'emploi à outrance qu'on doit faire du matériel, était une cause de dépenses nouvelles ; que c'était pour échapper à ces dépenses extraordinaires et pour suffire aux besoins nouveaux que je demandais le crédit de 9 millions.
Messieurs, on a parlé d'une commission consultative comme d'une chose inouïe ; le ministre des travaux publics va disparaître derrière la commission consultalive ; il n'y aura plus de ministre des travaux publics.
Il y aura une commission consultative.
Il y a, messieurs, une observation préalable à faire, c'est que l'idée d'une commission consultalive, - je n'en examine pas en ce moment la composition, je n'en discute pas les éléments, - l'idée d'une commission consultative est une idée très vieille, qui a surgi depuis 1845, qui s'est reproduite à chaque discussion du budget, qui n'a jamais été écartée formellement par le ministre des travaux publics, qu'il se nommât Desmaisières, Deschamps, d'Hoffschmidt.
Cette idée, on a cherché à lui donner un corps en 1845 ; quand M. Deschamps a institué une commission consultative, elle n'a rien produit parce que les éléments en étaient, selon moi, vicieux, la composition mauvaise ; et ce que je puis affirmer en second lieu, c'est que des membres connus par leur caractère essentiellement gouvernemental, l'honorable M. Devaux entre autres a dit à quelles conditions il aurait voulu qu'une pareille commission fût constituée ; il en a déterminé les caractères avec beaucoup denellelé. Il disait :
« Il ne faut pas que cette commission soit politique ; il ne faut pas non plus que les éléments en soient pris exclusivement dans le corps des ponts et chaussées. Il ne faut pas en troisième lieu qu'elle ait une responsabilité positive, parce que cette responsabilité étant collective elle pourrait détruire ou amoindrir celle du ministre. Ce sont ces trois conditions que je voudrais réunir si une commission consultative quelconque était instituée. »
La situation dans laquelle se trouvait l'administration du chemin de fer représentée par le ministre et qui menaçait de se reproduire, était une situation qui ne pouvait se prolonger sans danger pour le principe de l'exploitation par l'Etat ; si elle s'était prolongée, peu d'années nous séparaient de l'abandon par l'Etat de l'exploitation du chemin de fer, nous marchions rapidement vers la concession de notre railway national. Le fait est qu'une situation analogue ne se retrouve nulle part, ni chez les compagnies qui exploitent, ni chez les gouvernements qui exploitent ; cette situation est celle-ci : Le ministre défend le budget devant la Chambre où chaque article peut et doit être mis en question.
Mais, administrativement, il est dépourvu de force ; il n'a point le rouage qui existe partout ailleurs et, parlementairement, il était affaibli par des luttes incessantes qui touchaient à tous les intérêts administratifs se rattachant à ce grand service.
Dans les compagnies il y a un conseil d'administration, ce conseil résume tous les pouvoirs dont dispose le ministre des travaux publics dans ses rapports avec les chemins de fer. Il a un directeur-gérant, il institue les agents et les révoque, il ne soumet pas à l'assemblée des actionnaires un budget discuté article par article.
Si le conseil d'administration composé de 20 ou 26 membres se trouvait vis-à-vis des actionnaires se réunissant journellement et discutant toutes les mesures, toutes les allocations, il serait obligé d'avoir recours lui-même à un rouage intermédiaire.
Dans le Wurtemberg et dans le Hanovre où l'Etat exploite les chemins de fer, un conseil supérieur existe ; je ne connais aucun chemin de fer exploité par l'Etat qui ne soit doté d'un conseil supérieur, je dirai même que dans le Wurtemberg et le Hanovre, plusieurs membres du parlement font partie du conseil d'administration.
Dans le Hanovre le chemin de fer est administré, sous l'autorité du ministre des finances, par une commission portant le titre de commission des chemins de fer.
Elle se compose d'un président, de deux membres administratifs, quatre membres techniques, un jurisconsulte et un négociant. Des membres de la Chambre des représentants en font partie.
Pour les chemins de fer du Hanovre, à côté de la direction, il y a quatre commissaires, dont deux nommés par la première chambre dans son sein, et deux par la seconde, en vertu de la loi du 4 mai 1843.
Ainsi l'idée de l'institution d'une commission consultative, quand on veut se renfermer dans les attributions qu'elle doit avoir, quand on ne veut pas en faire une espèce d'épouvautail comme vient de le faire l'honorable préopinant, cette idée n'a rien qui doive on puisse surprendre.
L'honorable M. Frère trouve une contradiction dans les déclarations du gouvernement, qui vient affirmer aujourd'hui que le matériel est (page 1713) insuffisant ; c'est, dit-il, l'opinion de M. de Brouwer, ce n'est pas l'opinion de M. le ministre des travaux publics.
M. Frère-Orban. - Je citais vos paroles de 1851.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ferai l'honorable membre juge de la valeur de ce reproche. Supposons un instant que j'aie parlé ainsi en 1851, qu'y aurait-il d'extraordinaire qu'en 1853 je vinsse demander un matériel supplémentaire ? Je serais, au contraire, inconséquent si, en présence des exigences du service, je ne venais pas solliciter un semblable crédit aujourd'hui.
En effet, en 1851, pouvait-on prévoir que les vingt lieues du chemin de Dendre-et-Waes seraient mises en exploitation cette année ?
La valeur de notre matériel est de 37,000 fr. par kilomètre, je ne prendrai que 20,000 fr. L'honorable membre reconnaîtra que si une adjonction de 20 lieues doit être faite à notre réseau, il est rationnel de mettre notre matériel en rapport avec les exigences de cette exploitation nouvelle pour laquelle les transports seront énormes ; car il est démontré qu'il y aura un trafic considérable sur la ligne de Dendre-et-Waes.
Des déclarations que le gouvernement a faites en 1851 il ressort qu'on se réservait de demander de nouveaux fonds quand les compagnies auraient exécuté les travaux qu'on vient de décréter. Voici ce que je lis dans l'exposé des motifs :
« L'utilité de ces travaux est reconnue ; ils auraient pour effet d'améliorer la situation de nos chemins de fer ; mais dans les circonstances actuelles et en présence de la nécessité d'achever ou d’entreprendre d'autres grands ouvrages réclamés par l'intérêt général, le gouvernement n'a pu penser à proposer un emprunt de plusieurs millions de francs applicable exclusivement au chemin de fer de l'Etat. Il limite sa demande de crédit à une somme de 1,000,000 de francs destinée à l'extension du matériel de l'exploitation et au doublement des voies.
« Il eût été sans doute désirable qu'on pût affecter au chemin de fer une somme plus élevée, pour faire cesser la gêne que l'absence de beaucoup d'ouvrages fait éprouver à l'exploitation du railway ; mais on a l'espoir qu'au moins cette gêne du moment n'arrêtera pas le service.
« Dans un autre temps, et alors peut-être que l'adjonction de plusieurs nouvelles lignes de chemins de fer aura eu pour effet de réagir d'une manière favorable sur le mouvement et la prospérité de notre railway, il faudra probablement aviser aux moyens de pourvoir aux exigences du service en ayant égard à l'importance que les stations auront acquise.
« L'opportunité de ces nouveaux travaux se produira surtout, lorsque les ouvrages que les compagnies et le gouvernement ont en vue arriveront à leur terme. On pourra ainsi continuer à la classe ouvrière un aliment qui va lui être assuré pour plusieurs années. »
Or, messieurs, c'est en présence de cette situation que nous nous trouvons. Ainsi, l'on va bientôt exploiter la ligne de Dendre et Waes, la ligne de Charleroi à Louvain, la ligne de Namur à Arlon ert la ligne de St-Quentin.
Puisque tout le monde est d'accord qu'il faut un matériel d'exploitation en rapport avec l'extension du service, n'est-il pas naturel que le gouvernement demande à la Chambre les moyens de faire face à cet accroissement de transports ?
Mais hier plusieurs honorables membres conseillaient au gouvernement de prendre des mesures dans l'intérêt de l'agriculture. Il s'est formé, à Bruxelles, une société d'agronomes et d'agriculteurs qui a mis en tête de son programme la réduction du tarif du chemin de fer pour le transport de tout ce qui intéresse l'agriculture : les engrais, la chaux, le plâtre, etc. Comment voulez-vous que le gouvernement songe à diminuer le prix de ces transports dans l'intérêt de l'agriculture, s'il ne dispose pas d'un matériel plus considérable que celui dont il dispose aujourd'hui ?
Quelle est du reste la situation du chemin de fer, en ce qui concerne cette partie du service ? Elle est telle qu'on peut affirmer que si une compagnie exploitait le chemin de fer belge, la première dépense qu'elle ferait, ce serait de consacrer plusieurs millions à la construction de hangars et à l'extension du matériel roulant.
Ce serait là une dépense qu'elle ferait. Il n'y a pas le moindre doute sur ce point. N'est-il pas encore rationnel que l'Etat, s'il veut conserver à son compte l'exploitation du chemin de fer, fasse immédiatement au moins ce que feraient également toutes les compagnies ?
Je comprendrais que, dans un moment de crise, les compagnies fussent extrêmement réservées dans les dépenses relatives à la construction du matériel soit roulant, soit de traction. Mais n'est-il pas plutôt du devoir du gouvernement de profiter de ce moment de crise pour commander le matériel dont il aura besoin dans un court espace de temps ?
L'honorable M. Frère a parlé du matériel des compagnies, et il a reproché à la commission, dans la comparaison qu'elle a faite entre le matériel du chemin de fer de l'Etat et le matériel des compagnies d'avoir fait abstraction du matériel commandé pour le chemin de fer de l'Etat, tandis qu'elle a porté en ligne de compte le matériel que les compagnies ont commandé.
Je vais à cet égard répondre par des faits.
Le chemin de fer du Nord a bien commandé 100 locomotives, ce qui est un peu plus que ce que le gouvernement demande aujourd'hui. Mais le chemin de fer du Nord qui transporte 800,000 tonnes de moins que nous, qui a une exploitation beaucoup plus facile, puisque les parcours moyens sont bien plus considérables, puisque la formation des convois est bien plus facile qu'elle ne l'est chez nous, a aujourd'hui 254 machines, pas commandées, mais 254 machines en service, c'est-à-dire que le chemin de fer du Nord, à l'heure qu'il est, a plus de machines que n'en aura le gouvernement dans cinq ans, si la Chambre vote le crédit que l'on demande aujourd'hui.
Dans la situation actuelle, en présence d'un trafic de 1,800,000 tonnes, d'une exploitation des plus compliquées, nous avons un matériel bien inférieur à celui du chemin de fer du Nord, pour un trafic bien moindre.
Le chemin de fer de Paris à Strasbourg est dans une situation aussi favorable ; il a à peu près la même longueur que le nôtre, une longueur de 625 kilomètres. Il a en ce moment 242 locomotives. Or, il a transporté, en 1853, 2 millions de voyageurs de moins que nous. Il a transporté 800,000 tonnes, c'est-à-dire moins de la moitié du trafic que nous avons sur notre chemin de fer ; et le matériel est quasi neuf ; il date de quelques années ; la moyenne des parcours pour les grosses marchandises sur ce chemin de fer est de 33 lieues, tandis que sur le nôtre il est de 10 lieues.
Et c'est une considération de la plus haute importance ; car on comprend parfaitement que, quand le parcours est étendu, l'exploitation est moins gênante, tandis que quand le parcours est peu étendu, il y a une perte de temps considérable pour le chargement et le déchargement des marchandises.
Les waggons ne peuvent être utilisés, sur un chemin de fer où la moyenne de parcours est de 10 lieues, comme sur un chemin de fer où cette moyenne est de plus de 30 lieues.
Enfin, je pourrais citer beaucoup d'autres exemples.
Je tiens à la main l'état officiel du matériel existant chez les compagnies en France et en Allemagne et du matériel commandé, et je puis affirmer de la manière la plus positive qu'il n'y a pas un chemin de fer qui, sous le rapport du matériel et eu égard au trafic relatif, soit aussi mal partagé que le chemin de fer belge.
La nécessité d'un matériel supplémentaire considérable est reconnue par les hommes spéciaux de l'administration du chemin de fer. Pour ma part, je déclare n'en connaître aucun qui ne considère la dépense comme indispensable et urgente. Elle est reconnue telle par tous les membres de la commission qui a été instituée par le gouvernement, par tous les hommes appartenant à des exploitations étrangères, qui ont visité le chemin de fer.
Comment, à moins de vouloir comprimer le développement des transport, à moins de vouloir que le matériel roule jusqu'à ce qu'il tombe en pièces, peut-on laisser l’administration avec un matériel aussi faible, aussi insuffisant que celui dont elle dispose ?
On s'est étonné souvent dans cette enceinte, on s'étonne encore journellement de l'ignorance où l'on s'est trouvé aux diverses époques ou il s'est agi de crédits de la nature de celui-ci, de l'ignorance où l'on était du chiffre exact nécessaire à l'achèvement du chemin de fer et au complètement du matériel.
Cette situation pour moi n'a rien d'alarmant ; au contraire, elle est à mon avis l'indice le plus certain de la prospérité toujours croissante d» chemin de fer ; elle est commune à toutes les exploitations de chemins de fer. On peut dire qu'il n'y a pas de compagnie pour laquelle le compte capital soit fermé.
Et quant aux personnes qui ont examiné les faits, et qui se reportent à d'autres temps, cette situation pour le chemin de fer tient à trois causes :
1° Aux votes successifs de la législature, qui a complété le réseau, qui l'a complété dans une pensée à laquelle tous nous donnons notre approbation.
2° Au développement des transports, hors de toutes les prévisions.
3° A l'imprévu qui en cette matière, comme en toute matière de travaux publics, a aussi joue son rôle.
Si l'on remonte au chiffre qui avait été primitivement indiqué, il est seulement de 22 millions ; c'est-à-dire qu'en 1834 on pensait que le chemin de fer belge n'aurait coûté que 22 millions. On ne songeait qu'à établir une ligne d'Anvers à la frontière de Prusse.
Dans la discussion on y adjoignit une nouvelle section ; on joignit une ligne vers le midi, vers la France. En second lieu il a été démontré que rien que sur les emprises il y avait eu des mécomptes pour plusieurs millions.
En 1837 le gouvernement avait soumis aux Chambres un projet de loi qui n'avait d'autre objet que d'établir aux frais de l'Etat un chemin de fer de Gand à la frontière de France par Courtrai avec un embranchement sur Tournai.
En 1834 on avait réalisé, dans une pensée de politique extérieure, une partie du projet.
En 1837, afin de mieux consolider l'unité nationale, on crut devoir rattacher toutes les provinces à un centre commun. La section centrale introduisit un amendement ainsi conçu :
« La ville de Namur, les provinces de Limbourg et de Luxembourg seront également rattachées par un chemin de fer construit, aux frais de l'Etat, au système décrété par la loi du 1er janvier 1834. »
Les prévisions s'élevaient alors à 126 millions de francs. En 1842, les prévisions allaient déjà à 154 millions de francs. Et pourquoi, messieurs ? Parce qu'on avait encore, dans une pensée d'utilité publique, complété l'œuvre qui avait été décrétée en 1840, c'est-à-dire qu'on fit la double voie sur la section de Liège à la frontière de Prusse sur une (page 1714) longueur de neuf à dix lieues ; et ainsi la dépense fut augmentée de plusieurs millions.
En 1847, on se préoccupait de la dépense à faire pour compléter le chemin de fer. Déjà, à cette époque, on évaluait la dépense à 183 millions, et le gouvernement, dans les explications qu'il fournit à cette section centrale, eut bien soin de déclarer que c'étaient là des prévisions et rien de plus, qu'il ne pouvait que fixer d'une manière tout à fait approximative la dépense qu'il aurait encore fallu faire dans l'intérêt du chemin de ter.
C'était en 1847, à l'occasion du projet de loi relatif à l'extension du matériel du chemin de fer.
L'honorable M. de Man fit un rapport à la date du 23 mars 1847 et on y lit : « que l'on ne pouvait connaître à cette époque, d'une manière absolue et définitive, les sommes nécessaires pour le complet achèvement du railway 1° parce que la question de savoir si la double voie sera établie sur toute l'étendue des lignes en fer n'est pas décidée ; 2° parce que l'extension du matériel, jugé suffisante aujourd'hui, peut devenir prochainement insuffisante par suite de l'augmentation des transports. »
Messieurs, l'idée de la Chambre à cette époque, en ce qui concerne l'extension que pouvaient recevoir les transports, cette idée était que l'on aurait pu avoir par le chemin de fer des transports d'une importance de 600,000 tonnes.
Dans un projet présenté par l'honorable M. Mercier et l'honorable M. Dcchamps, ce dernier comme ministre des travaux publics, en 1844, on évaluait que dans quelques années le chemin de fer aurait pu suffire à un transport de 600,000 tonnes. On calculait déjà à cette époque la dépense totale à 180 millions.
Vint 1848. L'honorable M. Frère soumit aux Chambres un projet d'après lequel le chemin de fer, pour être complété, devait absorber une somme de 25 millions.
L'honorable M. Frère a fait l'autre jour, en parlant sur un autre projet, le détail que voici.
Il a dit : Mais sur les 25 millions, on a obtenu :
Par la loi du 21 avril 1848, 5 millions ;
Par la loi du 24 mai 1848, 2 millions ;
Par la loi de 1851, 1 million ;
Et par la loi de 1853, 4,800,000 fr.
Total, 12,800,000 fr.
Reste 12,200,000 fr.
Il est évident, messieurs, qu'en se retranchant ainsi derrière une simple opération arithmétique, on trouve très logique qu'il ne faille plus, pour compléter le chemin de fer, que 12,200,000 fr. Mais je ferai remarquer à l’honorable membre qu'alors même qu'il ne faudrait plus que 12,200,000 fr., il serait assez rationnel qu'on les demandât. Et aujourd'hui l'honorable membre s'oppose même au crédit de 9 millions qui est sollicité et qui est encore loin des 12,200,000 fr. reconnus nécessaires en 1848.
Mais il y a plusieurs raisons, des raisons de fait pour lesquelles la somme de 25 millions indiquée en 1848 ne peut plus suffire aujourd'hui. Ces raisons ont été indiquées par la commission ; elles sont très vraies, elles sont incontestables.
La première, c'est qu'en 1848, l'honorable M. Frère ne pouvait prévoir qu'en 1851 on aurait allongé le réseau de 20 lieues. Voilà une raison, elle est péremptoire.
Une seconde, c'est qu'en 1848 il était impossible de prévoir l'importance extraordinaire qu'ont prise certaines stations intermédiaires, telles que Chênée, Gosselies et d'autres qui sont rappelées dans l'exposé des motifs, et qui aujourd'hui deviennent des stations extrêmement importantes. J'en ai cité plusieurs exemples. La station de Chênée n'expédiait en 1844 que 15,000 tonnes ; elle en donne aujourd hui près de 80,000. La station d'Herbesthal ne fournissait en 1844 que 12,000 tonnes, elle en expédie aujourd'hui 50,000. N'est-il donc pas rationnel que des prévisions qui ont été établies en 1848 ne soient plus vraies aujourd'hui que ces stations ont acquis une pareille importance ?
Messieurs, veut-on encore une preuve qu'il est impossible de nier raisonnablement la nécessité où l'on se trouve de compléter le matériel, de faire de nouvelles dépenses pour attirer au chemin de fer de nouveaux transports et pour lui faire produire davantage ? Mais elle est dans ce simple fait : Dans l'estimation de 1848, le matériel figure pour 5,700,000 fr., et il a été alloué pour le matériel 5,500,000 fr., chiffres ronds. Il en résulterait, si l'on voulait imiter le procédé de l'honorable M. Frère, se borner à une simple opération mathématique, qu'il ne faudrait aujourd hui que 200,000 fr. de matériel. Or, il tombe sous le sens qu'une pareille conclusion serait tout simplement absurde.
Je tiens ici à la main le résumé des diverses demandes qui ont été successivement adressées au département des travaux publics par l'administration depuis le 5 avril 1846 jusqu'en 1847.
L'administration n'a pas cessé de réclamer auprès du département des travaux publics, à l'effet de voir compléter le matériel roulant. Elle avait demandé par ses diverses propositions 18 locomotives, 2,000 waggons, et il a été fourni 16 locomotives et 885 waggons. J’en excepte le crédit d’un million sur lequel je pense, il a été fait une commande de 80 à 85 voitures.
Messieurs, j'ai ici sous les yeux la déclaration d’un homme extrêmement compétente en ces matières, c'est un ingénieur dont le nom est populaire, c'est l'ingénieur Stephenson. En 1852, le parlement anglais fit une enquête. On se plaignait beaucoup de la pénurie du matériel ; des particuliers s'étaient adressés au parlement, et le parlement avait institué une commission d'enquête devant laquelle fut entendu Stephenson. Voici, messieurs, son opinion en ce qui concerne le matériel : (M. le ministre cite cette opinion.)
L'ingénieur Stephenson était tellement convaincu de la nécessité de satisfaire sous ce rapport à la loi naturelle des chemins de fer, le développement progressif des transports, qu'il pensait qu'il fallait avoir à toutes les époques uu matériel suffisant pour répondre aux exigences du service.
Or, messieurs, dans le crédit demandé à la Chambre, c'est le matériel qui figure pour la plus grosse part ; dans les 9 millions, le matériel figure pour 5,700,000. J'ai établi que la nécessité de le compléter existait en 1848, ne doit-elle pas exister aujourd'hui que l’importance des transports s'est accrue dans une proportion tout à fait extraordinaire, aujourd'hui que les sections se complètent et que de nouvelles lignes vont être mises en exploitation ?
Pour ce qui est de la route, l'honorable M. Frère a dit : Je comprends le raisonnement de M. le ministre des travaux publics ; il a déclaré lui même qu'avec les allocations il n'aurait pas été possible de fournir aux besoins d'un bon entretien et d'un renouvellement convenable des fers et des rails. Eh bien, messieurs, pour cette dépense qui a pour objet de préserver la voie contre une détérioration rapide, il est demandé 1,300,000 fr.
Ce crédit pourra servir à appliquer aux rails de nos voies le procédé qui est adopté en Angleterre et en Allemagne, et qui tend à se généraliser en France ; je veux parler du système des éclisses dont les effets, quant à la consolidation dé la voie, sont aujourd'hui hors de toute contestation.
Une autre dépense figure à l'état simplement indicatif, imprimé à la fin de l'exposé des motifs, c'est celle qui se rapporte à l'achèvement, sur quelques sections isolées, de la double voie. Ainsi, l'on demande 1,400,000 fr. pour finir sur la section d'Ostende la double voie, et pour en établir une sur une partie de la ligne entre Gand et Mouscron.
Si l'on veut que le gouvernement continue le système des trains de vitesse entre Ostende et l'Allemagne, entre Ostende et la France, il faut de toute nécessité que la double voie soit achevée sur une partie plus considérable de nos lignes.
Dans cet ordre de dépenses, et si le gouvernement l'adoptait sans réserve, il resterait, sur les 9 millions, à peine un million pour faire des hangars et les constructions qui sont destinées à abriter le matériel. Je le demande, y a-t-il de quoi crier si fort à l'exagération ?
Je demande en outre si l'on est admis à dire que le crédit demandé par le gouvernement ne présente pas un caractère d'urgence ? Je ne puis assez le déclarer à la Chambre ; refuser le crédit, ce serait renoncer à une bonne exploitation du chemin de fer, et cet acte conduirait inévitablement à l'abandon complet du railway national.
M. Dumortier. - Pour moi, messieurs, il y a quelque chose qu conduit inévitablement à l'abandon du chemin de fer, c'est de constituer de plus en plus cette grande administration en déficit vis-à- vis du trésor public.
On vous propose aujourd'hui une augmentation de 9 millions pour le complément du chemin de fer, c'est-à-dire pour le complément des frais de premier établissement. Cette somme de 9 millions représente une rente de 500,000 fr. qu'il faudra ajouter à la somme que le chemin de fer doit rapporter pour couvrir ses dépenses. Or, comme j'avais l'honneur de le dire dans la séance d'hier, la première de toutes les questions c'est celle de savoir si l'entreprise couvre ou ne couvre pas ses frais.
Quand nous avons décrété le chemin de fer, nous avons imposé à cette entreprise l'obligation de couvrir ses dépenses et de couvrir l'intérêt et l'amortissement des emprunts contractés pour son exécution ; cela se trouve textuellement dans la loi.
Eh bien, messieurs, avant de nous livrer à de nouvelles dépenses, nous devons nous demander si la loi est exécutée oui ou non.
L'honorable M. Vermeire, qui a parlé hier, présente le chemin de fer comme étant dans une situation financière parfaite « Depuis un grand nombre d'années, dit-il, le chemin de fer est dans une situation de recettes et de dépenses très bonne ; il rapporte 4 p. c. » Il y a longtemps que l’honorable membre dit la même chose. Eh bien, je suppose que l'assertion de l'honorable membre fût exacte, je suppose que le chemin de fer rapporte 4 p. c, le chemin de fer serait encore un déficit de 2 p. c.
En effet, les emprunts ont été contractés à 5 p. c. et souvent nous avons perdu sur le capital, et vous portez au budget 1 p. c. pour l'amortissement ; c'est donc au moins 6 p. c. que devrait rembourser le chemin de fer, et alors même qu'il aurait rapporte 4 p. c., comme le soutient l'honorable membre, il serait toujours en déficit de 2 p. c. Ce sont ces déficits qui se traduisent en crédits supplémentaires que l'on couvre au moyen de bons du trésor, et ces bons du trésor finissent toujours par amener de nouveaux emprunts.
Je ne suis pas d'accord, messieurs, avec l’honorable membre sur le coût du chemin de fer : je n'examine pas, moi, quelles sont les sommes dépensées pour le chemin de fer, j'examine quelles sont les sommes dont nous nous sommes endettés pour cette entreprise. Du reste, le (page 1715) chiffre donné par l'honorable membre comme représentant la dépense, ce chiffre lui-même est complètement inexact. Il y a deux ans, je pense, l'honorable membre a prétendu que le chemin de fer n'avait coûté à l'Etat que 189 millions, et c'est en se basant sur cette donnée qu'il vient nous présenter aujourd'hui l'entreprise comme rapportant 4 p. c.
Mais malheureusement les calculs de l'honorable membre n'ont pas été trouvés exacts par la cour des comptes. La cour des comptes ,dans le rapport qu'elle vous a adressé sur cette entreprise, a déclaré que le chemin de fer, sans compter les intérêts payés par le trésor, avait coûté 212 millions (ce qui fait une modeste différence de 23 millions), et qu'en tenant compte des intérêts payés par le trésor, le chemin de fer avait coûté, au 31 décembre 1848, 221 millions ; différence, 32 millions, avec le calcul de l'honorable membre.
Ainsi, l'honorable membre pourra soutenir son chiffre autant qu'il voudra. Quant à moi, j'ai en ma faveur l'appui de la Cour des comptes qui a prouvé que la dépense de construction du chemin de fer excédait même de 10 millions de francs le chiffre que j'avais indiqué et qu'on avait qualifié d'exagéré.
Maintenant à ce chiffre de 221 millions il faut ajouter deux choses : d'abord l'amortissement des capitaux, que nous payons et qui n'est pas entré en compte ; en seconde ligne, l'user du chemin de fer : ce qui doit être encore une source de demandes considérables de fonds ; le projet de loi en discussion en est une preuve ; en effet, le crédit extraordinaire de 9 millions est destiné à remplacer en grande partie l'user du chemin de fer.
Maintenant que prouve cette erreur de calcul de l'honorable membre ? Elle prouve qu'il n'est pas exact de dire que la situation est favorable ; or, si la situation n'est pas favorable, il en résulte qu'avant de voter des crédits de 9 millions, il faudrait commencer par faire rapporter l'entreprise.
J'ai dit souvent, et je le répète, que je voterai des fonds quand l'entreprise nous aura convenablement indemnisés ; mais je ne veux pas voter des fonds pour combler le déficit que crée l'exploitation du chemin de fer.
Maintenant, l'entreprise, au taux indiqué par la cour des comptes, représente donc une somme de 11 millions et demi qui est nécessaire pour le service annuel des intérêts. Nous avons voté l'an dernier un budget des travaux publics qu'il est très difficile de contrôler, car autrefois on séparaît dans le budget ce qui était relatif au chemin de fer, du service des postes et télégraphes ; aujourd'hui il semble qu'on se soit entendu pour nous empêcher de voir clair dans le budget. (Interruption de M. le ministre des travaux publics.) Vous l'avez préparé.
Il est donc très difficile de se retrouver dans le budget ; cependant je crois être arrivé aussi près que possible de la vérité ; je trouve que le crédit global demandé l'année dernière a été de 9,919,805 fr., dont il faut déduire pour postes et télégraphes 1,766,950 fr. ; reste donc pour l'entretien du chemin de fer 8,152,855 fr.
Il faut ajouter à cette dernière somme le crédit supplémentaire de 1,365,871 fr.voté hier ; ce qui porte l'entretien en 1853 à 9,518,726 fr. En ajoutant cette somme aux 11,500,000 fr. que l'entreprise coûte au trésor, ou verra qu'elle doit rapporter 21,018,000 francs pour couvrir sa dépense annuelle. Or, qu'a-t-elle rapporté l'an dernier ? 19 millions ; donc déficit 2 millions.
Je vous le demande, messieurs, est-ce le moment de faire de nouvelles dépenses pour cette entreprise, alors qu'elle est déjà en déficit vis-à-vis du trésor public ? (Interruption.)
J'entends un membre qui me dit que c'est précisément parce que le chemin de fer est en déficit qu'il faut faire de nouvelles dépenses ; je ne partage pas du tout cet avis ; ce n'est pas pour cela qu'il faut voter des fonds ; il faut commencer par sortir du déficit, et quand vous serez sortis du déficit en établissant des tarifs vraiment rémunérateurs, vous ferez alors les dépenses nécessaires.
Maintenant je veux croire que parmi les dépenses auxquelles le crédit extraordinaire de 9 millions est destiné, il en est qui ont un caractère utile ; mais je déclare avec l'honorable M. Frère que je ne reconnais à aucune de ces dépenses l'urgence si grande qu'on a signalée. (Interruption.) La commission est toujours très bien disposée quand il s'agit de dépenses nouvelles ; mais je ne vois pas qu'elle soit également bien disposée, quand il s'agit de tarifs rémunérateurs. La commission est alors dans le plus grand embarras : je dis cela, quoique je fasse partie de la commission ou plutôt parce que j'en fais partie. (Interruption.)
Je n'ai pas assisté aux dernières séances de la commission, parce qu'on écoutait peu dans la commission les observations que je faisais et qui avaient pour but de faire rapporter plus à l'entreprise. J'ai vu dès lors que ma présence était inutile. Mais vous reconnaîtrez que lorsqu'on a discuté la question des tarifs, je n'ai manqué à aucune des séances, et que j’ai tâché de démontrer qu'il fallait établir des tarifs rémunérateurs.
Mais c'est précisément parce que je ne suis pas venu aux dernières séances, que je puis m'expliquer ici avec plus de franchise sur la question. Il m'est aujourd'hui démontré que la commission est excellente pour ce qui concerne les améliorations de détail ; qu'elle est excellente pour faire voir ce qu'il y a à dépenser ; mais je crois que la commission est mauvaise lorsqu'il s'agit de faire rapporter au chemin de fer.
C'est très naturel. S'agit-il, par exemple, d'examiner le tarif des grosses marchandises ? Eh bien, on se demandera s'il faut prendre pour base exclusive de tout le tarif, le taux auquel on fait circuler les marchandises les plus pondéreuses. « Oui, disent alors les députes d'Anvers, le chemin de fer doit rapporter ; mais le transit doit être exempté. » Puis viennent les représentants du Hainaut : « Oui, le chemin de fer doit rapporter ; mais les houilles doivent être exemptées. »
Puis viennent les industriels de Gand : « Oui, il faut faire rapporter au chemin de fer, mais il faut exempter les marchandises que nous fabriquons. »
Maintenant, je suis, comme je le disais hier, tout à fait d'avis qu'il existe des conditions dans lesquelles il doit y avoir un abaissement considérable dans les prix du transport du chemin de fer.
Si en France, - on nous cite toujours l'exemple de la France, - si en France, dis-je, on transporte à des prix très bas, comment fait-on ? De Lille à Paris, il est vrai, on transporte à meilleur marché que nous, mais c'est dans des conditions exceptionnelles. La houille, par exemple, est transportée à raison de 2 1/2 centimes, mais à deux conditions : la première que ce soit à une très grande distance, la seconde que le train soit complet ; quand vous avez un train complet, il est évident que vous pouvez faire des réductions considérables. Qu'on fasse d'Anvers un train complet de marchandises coloniales pour Cologne ou un train complet de houille de Liège sur Anvers, je concevrais facilement qu'on accorde une grande réduction sur le prix du transport, parce que, quand un train est complet, deux ouvriers suffisent pour un parcours considérable ; mais faire du prix de ces trains exceptionnels la base de votre tarif, c'est ce qu'on n'a jamais fait en France, et c'est ce qu'on fait chez nous.
Pour les trains complets et à longue distance vous pouvez faire de grandes réductions et trouver encore du bénéfice, mais vous ne pouvez pas prendre cela pour base de votre tarif sans vous constituer en perte.
L'honorable ministre des travaux publics a cité l'autorité d'un grand ingénieur anglais, Stephenson, dont l'opinion serait qu'on doit avoir tout le matériel nécessaire pour le maximum de tous les transports possibles. Je crois que ce serait un système déplorable au point de vue financier.
Voyons ce qui s'est passé l'hiver dernier. Les consommateurs de houille n'avaient pas fait d'approvisionnement, la houille avait éprouvé une hausse ; les grands industriels, les marchands s'étaient dit : Cette hausse n'est que momentanée, il y aura une baisse, attendons.
La Providence vint déranger leurs calculs, la gelée ferma les canaux et les rivières ; la navigation étant interrompue, il fallait bien se servir du chemin de fer.
Allez-vous adopter le système de Stephenson et organiser un matériel suffisant pour le maximum des transports possibles, pour des éventualités qui peuvent se présenter une fois tous les dix ans peut-être ? Cela n'est pas possible. Vous bâtissez une maison, vous la faites pour votre usage quotidien ; un cas extraordinaire se présente, vous dites : C'est dommage que ma maison ne soit pas plus grande ; et vous vous contentez de ce qui est.
Le matériel qui a suffi pour faire le service jusqu'à présent doit être suffisant pour le service actuel.
Tout ce qu'on veut faire peut être très utile ; mais avant de voter des dépenses, je voudrais voir entrer dans le système de la rémunération, du chemin de fer ; je voudrais que le chemin de fer fût un moyen de ressource au lieu de peser sur les finances de l'Etat. Je n'admets pas qu'en refusant les crédits demandés, on marche vers l'abandon de l'exploitation du chemin de fer par l'Etat. Le chemin a marché jusqu'ici et continuera à marcher d'une manière convenable, que vous admettiez ou non le projet qui vous est présenté. Le moyen de faire abandonner le chemin de fer de l'Etat, c'est d'augmenter les sacrifices qu'il nous impose ; on finira par se dégoûter d'une entreprise que, pour mon compte, je désire conserver à l'Etat, et par dire qu'il faut la vendre parce qu'elle est trop onéreuse.
Comme nous sommes arrivés à un point où nous commençons à nous rapprocher d'un produitrémunérateur,et où nous pouvons même espérer, moyennant quelques améliorations, de voir le chemin de fer devenir une bonne opération nous rapportant quelques millions, je verrais avec peine qu'on poussât à des dépenses de nature à en faire désirer l'abandon par le pays.
Des améliorations ont déjà été introduites, dont une partie peut être revendiquée sans doute par l'administration, mais dont la plus grande part doit être attribuée à l'attitude de la Chambre. C'est à elle surtout qu'on doit en faire revenir l'honneur.
Pour peu qu'on fasse quelques efforts nouveaux, qu'on remette les tarifs dans la situation que je viens d indiquer ; qu'on ne confonde pas les trains à petites distances et à chargement fractionné avec les trains à chargement complet et à longs parcours, qu'on améliore le tarif des petites marchandises, il est incontestable que nous allons arriver à une ère de rémunération. Quand cette entreprise peut rester entre nos mains et par la tendance progressive de ses produits nous donner des résultats lucratifs, ce serait une faute de l'abandonner ; mais il ne faut pas entrer dans le système de tarification qui serait un obstacle a la réalisation du produit rémunérateur que nous pouvons espérer.
M. David (pour une motion d’ordre). - La Chambre paraît décidée à se séparer demain ; (page 1716) notre ordre du jour est très chargé ; nous ne pourrons jamais finir demain, si nous n'avons pas aujourd'hui une séance du soir.
- La Chambre, consultée, décide qu'il y aura une séance du soir et la fixe à 8 heures.
M. Vermeire. - Je n'abuserai pas des moments de la Chambre.
Je commencerai par répondre à l'orateur qui vient de se rasseoir, à mon honorable ami M. Dumortier.
Je lui dirai que jamais je n'ai calculé les intérêts que produisait le chemin de fer que d'après les sommes effectivement dépensées pour sa construction. Quand j'ai produit devant la Chambre le coût du chemin de fer, mes chiffres, alors comme aujourd'hui, ont été taxés d'inexactitude par l'honorable membre ; mais sur la proposition de l'honorable comte Vilain XIIII, la cour des comptes a été priée de fournir le compte exact.
Dans ce compte, la cour s'est placée à quatre points de vue différents : le premier est celuiquej'avais indiqué, il résulte de son mémoire, que j'ai sous les yeux, que le chemin de fer avait coûté, non 189 millions, comme vient de me l'attribuer l'honorable M. Dumortier, mais 169 millions seulement.
Où est donc cette grande erreur dans laquelle mon honorable ami me dit avoir versé ? J'ai soutenu que si le chemin de fer avait été concédé à une compagnie particulière, les actionnaires auraient reçu 3 p. c. des sommes versées.
Depuis lors, la situation s'est encore améliorée, et il résulte de l'ensemble des opérations que jusques et y compris l'exercice 1853 l'intérêt sur le capital monte annuellement à 4 p. c, taux qui dénote une situation très satisfaisante.
M. Dumortier. - Vos calculs pèchent par la base.
M. Vermeire. - Il n'y a pas d'autre base positive, car à votre point de vue vous ne pouvez connaître dès aujourd'hui combien ont coûté les capitaux affectés au chemin de fer puisqu'ils sont le produit de différents emprunts et qu'aussi longtemps que ces emprunts n'auront pas été amortis au moyen du rachat dont le taux pour le moment reste inconnu, vous ne pouvez établir de compte effectif.
Voici ce que je lis à cet effet dans le cahier de la cour des comptes :
« Dépenses effectives de construction couvertes par le produit des emprunts et des bons du trésor, suivant détail donné dans la première situation et états de développement n°1 et 2, fr. 169,000,000.
« Pertes éventuelles résultant de la différence entre le produit net des emprunts affectés à la construction du chemin de fer et le montant brut de la dette contractée envers les préteurs, suivant détail donné dans la première situation et états de décompte et de développement 1 et 2, chiffres ronds, fr. 20,000,000.
Or, s'il y a des dépenses éventuelles inappréciables, peut-on avoir des comptes réels ?
En 1853 le produit net, c'est-à-dire dépenses d'exploitations déduites, a été de plus de 5 p. c, ce qui dénote une nouvelle amélioration très sensible et augmente l'intérêt moyen annuel total dans une certaine proportion.
Mais si la manière de compter de l'honorable membre était exacte, où arriverait-on si, au lieu d'être une bonne, les chemins de fer eussent constitué une entreprise malheureuse ? Si, au lieu de 4 à 5 p. c. ils n'en eussent produit que 1 ou 2 p. c. ? Est-ce qu'en capitalisant annuellement les intérêts, on n'arriverait pas bientôt à des sommes fabuleuses, à des milliards ?
Le législateur de 1831 avait beau inscrire dans la loi que le chemin de fer doit se suffire à lui-même ; pouvait-il, même en se berçant des plus beaux rêves, pénétrer l'avenir ? Donc cette prescription formelle de faire produire au chemin de fer son coût et ses dépenses, doit tomber devant la réalité des faits qui se produiraient ultérieurement.
Maintenant, je désire dire quelques mots, en réponse au discours prononcé au commencement de la séance.
L'honorable ministre des travaux publics a déjà rappelé les circonstances dans lesquelles la commission du chemin de fer a été nommée : c'est qu'effectivement il y a deux ans, la section centrale qui a examiné le budget du département des travaux publics avait conclu à la nomination d'une commission d'enquête peur examiner toutes les questions qui se rapportent au chemin de fer, et ce n'est que sur les observations qui ont été faites à la Chambre, que la nomination de cette commission d'enquête pourrait jeter un certain blâme sur l'administration du chemin de fer, que la Chambre a engagé M. le ministre des travaux publics à user de sa propre initiative pour nommer cette commission.
J'ai l'honneur d'en faire partie, et, je crois pouvoir dire qu'en acceptant cette position, je n'ai, en aucune manière, entendu aliéner en quoi que ce soit mon indépendance parlementaire. La commission ne veut pas peser sur les décisions du gouvernement. Elle désire examiner les questions relatives au chemin de fer, et j'aime à croire qu'elle l'a fait et qu'elle le fera encore avec la plus grande indépendance et avec la meilleure volonté de produire le bien. C'est là le seul but qu'elle poursuit et celui-là est très avouable.
Je crois que la nomination d'une commission consultative peut avoir de bons résultats.
C'est au gouvernement à juger si la commission peut présenter certaine utilité. A lui toute la responsabilité de la mesure tant pour ce qui concerne sa composition que pour ce qui regarde les attributions qu'il entend lui conférer.
Je ne crois pas que ceux qui feront partie d'une pareille commission deviendront pour cela des maires du palais.
Un dernier mol sur l'abandon que ferait le gouvernement de l'exploitation du chemin de fer à une société particulière. Du reste, je m'en suis assez souvent expliqué. Je crois que le gouvernement ne peut abandonner l'exploitation du chemin de fer à des compagnies particulières. Je partage, sous ce rapport, l'opinion qui a été émise l'année dernière par notre honorable collègue M. Devaux, et je partage son avis qu'abandonner, dans les circonstances actuelles, l'exploitation du chemin de fer à l'intérêt privé serait une véritable calamité publique.
Je n'en dirai pas davantage pour le moment, d'autres orateurs et surtout M. le ministre des travaux publics ayant répondu aux principales objections qui se sont produites.
M. Dumon, rapporteur. - Messieurs, quelques attaques ont été dirigées contre la section centrale et contre le rapport que j'ai eu l'honneur de vous présenter en son nom. Je crois devoir dire quelques mots pour justifier la section centrale de ces reproches.
On a reproché à la section centrale ou à son rapporteur d'avoir dit qu'on s'était bercé de la douce illusion qu'il n'y avait rien à faire au chemin de fer, qu'on avait cru qu'il n'y avait aucune modification à apporter aux tarifs pour les rendre productifs, ni à l'administration pour la rendre plus commerciale ; qu'on s'était figuré que l'entretien était bon, que les renouvellements étaient suffisants et que les crédits offerts pour l'augmentation du matériel et pour l'amélioration des voies étaient inutiles.
On s'est d'abord demandé à qui s'adressent les reproches de la section centrale : Est-ce au ministre actuel des travaux publics, est-ce à ses prédécesseurs ? Est-ce à telle ou telle administration ? Rien n'a été exprimé à cet égard en section centrale ; et la mention faite dans le rapport est conforme à ses délibérations. On s'est occupé du chemin de fer pour lui-même et sans s'inquiéter des questions de personnes. Le reproche a été général ; il ne s'adresse pas à tel ministre plutôt qu'à ici autre.
Il y a eu de longues discussions dans cette Chambre, et des opinions très consciencieuses ont été émises et discutées sur l'exploitation du chemin de fer, sur l'état de la voie et sur les moyens d'améliorer les recettes. Le reproche s'adresse à ceux qui dans la Chambre ou dans l'administration centrale se sont prononcés contre les propositions de modifier les tarifs pour les rendre plus productifs, d'améliorer l'administration pour la rendre plus responsable, plus commerciale, d'intéresser le personnel à l'exploitation pour la rendre plus économique ; enfin à ceux qui se sont opposés aux crédits proposés pour augmenter le matériel, pour améliorer la voie, pour compléter les stations.
Du reste, je dois ajouter, et le rapport en fait foi, que dans mon opinion ceux qui ont commis la faute ont agi de bonne foi. Dans des questions aussi délicates que la situation du matériel du chemin de fer, l'entretien et l'amélioration de la voie et l'organisation de l'administration, il est possible de se tromper de très bonne foi ; et la preuve, c'est que l'administration elle-même n'a pas toujours été invariable sur le meilleur système à suivre.
Personne, d'ailleurs, n'entend tout louer au chemin de fer, puisque l'on reconnaît que 25 millions de dépense y sont nécessaires, et qu'une dépense de 9 millions est de la dernière urgence.
J'aborde maintenant la discussion du crédit demandé ; si j'établis que ce crédit est indispensable, j'aurai démontré que les reproches contenus dans le rapport n'ont rien d'exagéré.
Si le mal n'est que trop réel, on doit se hâter d'y porter remède. C'est ce que propose le gouvernement ; je dirai donc aussi brièvement que possible ce qui a déterminé les sections et la section centrale à accueillir ses propositions.
La section centrale a dit : La voie est trop faible ; elle est dangereuse. Peut-il en être autrement ? Dès le principe on a employé des rails dits ondulés. Depuis 1839 on a abandonné ce modèle qui pesait 19 kilog. au mètre courant.
On croyait alors que des waggons de peu de poids et des locomotives pesant 13 tonnes au plus pouvaient sans danger circuler sur ces rails. Or, on a introduit depuis des locomotives ayant une vitesse double et un poids bien plus considérable (25 tonnes) qui ne peuvent circuler sans danger sur des rails aussi faibles.
De plus ces rails ont été abandonnés en 1839, ne sont-ils pas usés depuis cette époque ? Ils ont été, dira-l-on, entretenus et réparés. Mais cela suffit-il. Ne faut-il pas les renouveler ? Or, vous admettrez qu'on ne l'a pas fait puisque après 15 ans, il en reste encore un si grand nombre en service dans nos voies.
Les mêmes observations s'adressent aux rails dit parallèles de 25 kil. au mètre courant qui leur ont succédé, que l'on a abandonnés en 1845, à la suite d'expériences qui ont fait donner la préférence aux rails à doubles bourrelets de 34 kilog. par mètre courant.
(page 1717) Voici ce qu'a fait à l'égard des rails la compagnie du chemin de fer du Nord, que vous n'accuserez pas de méconnaître ses véritables intérêts.
Je lis dans l'un des derniers comptes rendus de cette administration :
« Vous savez, messieurs, que la ligne principale du chemin de fer du Nord qui nous a été livrée par l'Etat a été exécutée avec des rails pesant 30 kilogrammes par mètre linéaire ; nous aurions préféré que le poids fût plus fort, car pour les embranchements de Lille à Calais et de Creil à St-Quentin, que nous avons été chargés de construire nous-mêmes, nous avons fait choix de rails pesant 37 kilogrammes par mètre. Assurément nous aurions pu, en restant dans les conditions prévues de nos transports, conserver longtemps sur notre ligne les rails de 30 kilogrammes, surtout que depuis, par l'addition de nouvelles traverses, nous avons augmenté d'un quart le nombre de points d'appui. Mais, en entrant dans le système des lourds convois pour le transport économique des marchandises, il nous fallait devancer l'époque où notre voie devait être mise en harmonie avec notre matériel, afin d'éviter une détérioration qui aurait pu être rapide, et qui, dans tous les cas, aurait entraîné des frais d'entretien annuel bien supérieurs à l'intérêt du capital nouveau dont une reconstruction complète rendra l'emploi nécessaire.
« Pour fixer, tout d'abord, vos idées sur cette question, nous vous dirons que la reconstruction entière de la voie, soit avec des rails ordinaires de 40 kilogrammes, soit avec des rails de tout autre système présentant autant de résistance, exigerait, en cinq ans, la dépense d'un capital de 12,800,000 francs, tout compris. »
Et ces millions, je crois qu'on n'a pas hésité à les voter.
Maintenant, messieurs, une autre partie du crédit est destinée à compléter le matériel, parce qu'il est insuffisant en nombre, et parce qu'il n'est pas dans un état convenable d'entretien.
Quant à son insuffisance, vous en êtes juges vous-mêmes. Il ne se présente pas la plus petite interruption dans le service de la navigation, la plus petite modification de tarif dans les Etats voisins auxquels nous faisons des livraisons, il ne se présente pas même de fêtes publiques, que l'on ne se trouve embarrassé. Vous avez vu ce qui est arrivé l'hiver dernier. Le service des voyageurs a dû être interrompu pour consacrer une plus grande partie du matériel aux convois de marchandises, et l'on n'est parvenu à satisfaire aux besoins qu'en marchant jour et nuit à grande vitesse au grand détriment du matériel et de l'économie des transports.
J'ai dit que le matériel était délabré, comment pourrait-il en être autrement ? n'est-il pas exposé continuellement à toutes les intempéries, soit lorsqu'il est en chargement, soit dans les transports, soit dans les stations ? Les abris pour les remises manquent d'une manière évidente, et la commission spéciale a constaté qu'une des plus grandes causes de détérioration du matériel était l'emploi exagéré qui en avait été fait.
Je dois encore signaler la faiblesse des rails, dont la flexion sous la charge occasionne au matériel des secousses très préjudiciables.
D'ailleurs, messieurs, non seulement ces circonstances rendent le matériel insuffisant, mais l'augmentation considérable du trafic y est pour beaucoup. En moins de 5 à 6 ans, les transports se sont élevés de 1 million de tonnes à près de 2 millions de tonnes ; en un nombre d'années très restreint le trafic a été doublé. Le matériel l'a-t-il été ? Non, car le nombre des locomotives qui était de 153 en 1847, est aujourd'hui de 180 seulement ; vous voyez qu'il y a une grande différence entre l'augmentation du trafic et l'augmentation du matériel ; et si vous appliquez le calcul aux waggons à marchandises, aux waggons pour le transport du bétail, vous trouverez que la même disproportion existe.
Ensuite, messieurs, ces locomotives ne datent pas d'hier. Les plus grandes commandes de locomotives, les plus grandes livraisons datent de 1844. Depuis lors ce qui est entré en service est très peu de chose. Car en 1847, il y en avait déjà 147 en service. Il est évident que des locomotives qui depuis cette époque ont fait un service considérable, qui marchent continuellement et auxquelles on a à peine laissé le repos nécessaire pour un entretien journalier, ont dû s'user considérablement. Et depuis lors la science de la construction a fait des progrès considérables. Les locomotives de cette époque ne pourraient plus suffire à la vitesse que l'on exige dans les convois de voyageurs, à la remorque des convois de marchandises tels qu'on les compose maintenant.
Il faut mettre deux machines par convoi au grand détriment de l'économie du combustible et de la main-d'œuvre. Quant à l'économie du combustible, l'inconvénient est surtout frappant. Ces machines exigent d'être toujours portées au plus haut point de tension ; elles doivent toujours employer le maximum de leur force, on ne peut donc faire emploi de la détente qui procure une si grande économie de combustible.
On a dit : Ces locomotives, quoique vieilles, peuvent faire encore un très bon service. On y fait des réparations importantes, quelquefois même des transformations et alors elles valent presque les neuves. C'est l'histoire du couteau de Janot. Mais ces transformations ne peuvent jamais faire d'une vieille machine, une machine aussi bonne qu'une neuve.
Sans doute vous pouvez renouveler le cylindre d'une machine ; mais qu'avez-vous ? Vous avez une machine qui n'a plus de proportions ; la surface de chauffe n'est plus en proportion avec le cylindre. Vous pouvez allonger la chaudière. Mais vous avez un autre inconvénient plus grave ; l'écartement des essieux n'est plus en rapport convenable pour la bonne répartition de la charge et il y a des porte-à-faux dangereux.
Rien de plus facile, messieurs, que de faire une locomotive ; un cylindre, une chaudière, et quatre roues et vous avez une locomotive. Mais vous avez une machine déplorable. Sans doute cette machine peut rouler. Mais il ne suffît pas qu'une machine roule ; il faut qu'elle marche avec la vitesse voulue, et il faut qu'elle transporte économiquement des poids suffisants. On n'obtient qu'une locomotive médiocre en allongeant d'une feuille de tôle une vieille chaudière, en augmentant d'un demi-pouce le diamètre d'un cylindre.
Or, c'est l'état de la plus grande partie de nos locomotives, parce qu'elles ont été achetées à une époque où on les construisait médiocrement. Depuis lors, par suite du service, des réparations, des modifications, elles sont arrivées à un état d'usure, de faiblesse, d'exagération de consommation tel, que leur entretien coûtera plus que l'intérêt du capital nécessaire pour les remplacer.
En résumé, messieurs, il faut remplacer les rails ondulés qui sont dangereux, raffermir la partie de la voie où se trouvent encore les rails parallèles, soit en y mettant une bille de plus par rail, comme on l'a fait sur le chemin de fer français, soit en adoptant le système des éclisses. qui a donné de si bons résultats en Angleterre.
Si j'insiste pour qu'on remplace tous les rails de faible poids, c'est parce qu'un rail d'apparence'intact est souvent un mauvais rail, s'il est vieux.
Un rail ne doit pas être rebuté, parce que le bourrelet est écrasé, parce que le frottement des roues a déterminé des flaces on enlevé des éclats. Le plus grand danger est l'altération moléculaire de la matière. Le passage continuel des convois fait sur les rails l'effet d'un écrouissage à froid, et peut, en un certain temps, transformer le meileur fer, le fer le plus nerveux en un fer cassant, sans résistance, à grande cristaux, à grandes facettes presque comme de la fonte blanche. L'effet est d'autant plus rapide, que la quantité de matière est moindre, et c'est là surtout le danger des rails faibles.
Vous passerez mille fois sur ces rails à grande vitesse, et un beau jour, avec un convoi médiocre, sans que rien vous prévienne, vous aurez une rupture. Vous imaginez sans peine les conséquences.
Ainsi, messieurs, il faut des fonds pour mettre hors de service les rails ondulés. Je crois qu'il n'y a pas à reculer ; il faut fortifier la partie de la voie qui a conservé les rails parallèles ; il faut, autant que possible, compléter le matériel pour que les réparations journalières puissent se faire en temps utile.
Quant aux locomotives, messieurs, vous savez vous-mêmes par le peu de vitesse de nos convois, par la difficulté, malgré le zèle de l'administration, d'obtenir de l'exactitude dans la marche des convois, qu'il n'y a pas à reculer.
Un autre motif pour lequel il n'y a pas à différer le vote du projet, c'est la nécessité de faire les commandes assez longtemps à l'avance. L'état actuel exige des améliorations immédiates ; or, avec les commandes faites aujourd'hui, vous aurez de la peine à arriver assez tôt avec le remède que voulez appliquer, parce que les établissements industriels sont surchargés ; nous avons eu une époque de prospérité très grande qui a permis à nos établissements de se procurer à l'avance des commandes pour un temps considérable.
Ainsi, je crois que M. le ministre a besoin du crédit demandé pour faire les commandes ; mais on dit : Il y a un inconvénient à cela, c'est l'élévation des prix des matières. Mais je crois qu'à cela il y a un remède qui ne sera pas employé pour la première fois.
Je crois que lorsqu'une commande se fait pour des époques éloignées, certaines réserves peuvent être faites quant aux prix courants de matières à l'époque de la livraison ; cela surtout peut se faire pour la livraison des rails. Cette observation a été consignée par la section centrale, et je crois que M. le ministre peut en faire son profit.
Un autre motif d'urgence ; c'est que les compagnies n'hésiteraient pas à faire ce que le gouvernement vous propose aujourd'hui. Je mets en fait, et cette opinion a été plusieurs fois soutenue, qu'une compagnie achetant le chemin de fer, consacrerait immédiatement un capital considérable à se débarrasser des rails trop faibles, à se procurer un matériel roulant suffisant, des locomotives puissantes, économiques, des engins pour le chargement et le déchargement et, de plus, des abris pour le matériel.
C'est pour ces motifs, messieurs, que la section ceutrale a proposé l'adoption du projet de loi. Elle en a proposé l'adoption d'une manière pure et simple, bien que certaines sections eussent subordonné leur vote à l'engagement à prendre par M. le ministre des travaux publics, de nommer une commission permanente des chemins de fer. En section centrale cette opinion n'a point prévalu, et le crédit a été adopté purement et simplement. Seulement la section centrale a émis le vœu que M. le ministre procédât sous sa responsabilité personnelle à la nomination d'une telle commission. On avait discuté aussi le point de savoir si l'on discuterait la composition de la commission : mais ici encore il a été admis que toute liberté serait laissée au gouvernement, et que si le ministre restait libre de nommer ou de ne pas nommer la commission, il resterait libre également de la composer comme il l'entendrait.
M. de Mérode. - De tout ce que j'ai entendu dire dans cette discussion tant par d'autres orateurs que par M. le ministre des travaux publics, il résulte pour moi que le chemin de fer a grand besoin d'un matériel meilleur, mais non pas d'un matériel suffisant pour parer (page 1718) à toutes les exigences d'un moment de gelée qui paralyse l'exploitation des canaux ; car c'est aux particuliers à prévoir ces circonstances et à s'approvisionner en conséquence avant qu'elles se présentent ; qu'il a besoin de rails plus forts, parce que les anciens fléchissent tant par l'usure que par leur calibre primitif, et d'autre part, nous payons aujourd'hui l'honneur d'avoir accéléré à outrance les créations des chemins de fer, de sorte que les expériences se sont faites à nos dépens par les voisins moins pressés, de sorte que du premier rang nous passons au dernier, par trop d'ambition, comme il arrive assez souvent aux ambitieux trop ardents.
Mais si l'on veut ici maintenir l'exploitation à la hauteur de celle qui se fait par les compagnies, il faut suivre, comme l'a dit M. Dumortier, les tarifs rémunérateurs les plus profitables au trésor public, et ne pas adopter toute espèce de concessions aux intérêts privés par des réductions de prix de transport d'objets de diverse nature tels que houille, chaux ou autres ; car si les agriculteurs gagnent quelques francs à ces remises, ils finiront par payer l'ensemble de celles qui se feront aux spéculations commerciales et industrielles et on leur reprendra, par de lourds impôts, plusieurs fois la valeur de ce qu'on leur aura donné.
Quant à la nomination d'une commission, j'ai été étonné d'entendre attaquer cette idée. Comme l'a dit M. le ministre des travaux publics, on a bien institué une commission pour examiner la question militaire et on nous a même laissé longtemps sans ministre de la guerre en attendant que la commission eût décidé ce qui devait se faire. Or, la défense du pays est encore plus importante que la traction de telle ou telle quantité de marchandises, et si l'on a pu confier à une commission la sécurité nationale, on peut bien introduire aussi une commission dans l'administration du chemin de fer.
D'ailleurs, tout ministre qui aura un peu de caractère se servira de cette commission en la consultant avec sincérité, en profitant des lumières qu'elle lui donnera, mais ne suivra pas aveuglément ses inspirations. Si des difficultés se présentent entre le ministre et la commission, ces difficultés se produiront devant la Chambre, et il sera facile à celui qui aura la bonne raison de son côté, de la faire prévaloir ; un vote mettra fin au conflit.
Je suis disposé, messieurs, à voter les sommes demandées, parce que je crois que nous ne pouvons pas éviter de les payer : il est impossible de faire bien marcher le chemin de fer si l'on ne donne pas au ministre les fonds nécessaires pour mettre les voies en bon état, et pour compléter le matériel. Je l'engage cependant à ne pas exagérer le matériel, à ne pas aller au-delà de ce qu'exigent les besoins ordinaires.
.Discours prononcé dans la séance du 12 mai, aprèz M. le comte deMérode* (V. page 1717.)
M. de Brouwer de Hogendorp. - (page 1731) Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Frère. Le dirai-je, cependant ? Je trouve un grand embarras à lui répondre. L'honorable membre manie l'ironie, le sarcasme avec une dextérité incroyable ; il y a de l'amertume, du fiel dans chacune de ses paroles. Oh ! sur ce terrain je dois me déclarer vaincu ; je dois avouer mon impuissance devant cette parole acerbe et mordante. Pourquoi, quand on croit avoir la vérité pour soi, parler ainsi ? J'aime à discuter les intérêts de l'Etat ; mais ces intérêts ne comportent pas, ce me semble, ce langage hautain et passionné. Lorsque l'honorable membre voudra discuter les questions d'affaires comme elles le méritent, mon embarras sera moins grand ; j'aurai à opposer alors, j'en ai la confiance, malgré la simplicité de ma parole, aux raisons da l'honorable membre des considérations dignes de cette assemblée. Dans la lutte actuelle, je dois avouer mon infériorité, car nos armes ne sont pas égales.
J'éprouve de l'embarras, messieurs ; car, mettant de côté tout ce qui ne tient pas aux mots, à l'intonation et au geste, je ne trouve rien dans son discours, absolument rien ; je cherche vainement une idée saisissante, une critique solide ; rien ne me vient sous la main. De l'ironie, du sarcasme, de l'amertume, voilà tout ; et puis quelques figures : un ministre qui s'efface, qui abdique, une commission ambitieuse qui impose ses volontés au ministre, qui absorbe tous les pouvoirs et qui se met humblement au service d'ambitions inférieures.
Eh bien, puisqu'il a encore été parlé de cette commission dont on trouve l'institution si dangereuse, qu'il faudrait incontinent aliéner les lignes de l'Etat, je vais en dire quelques mots.
M. de Brouwer est le grand coupable, M. de Brouwer est l'auteur du mal ; mais gardez-vous de croire qu'il est le père de ce projet abominable qui consiste à placer un conseil consultatif à côté du ministre. Cette organisation déplorable n'est pas l'œuvre de M. de Brouwer ; M. de Brouwer n'en est que l'éditeur responsable, et seulement responsable ! Vous comprenez, messieurs !
Ici l'honorable M. Frère a raison. Je ne réclame par la paternité de l'idée de placer un conseil consultatif à côté de M. le ministre des travaux publics ; cette idée ne m'appartient pas ; elle a été émise ici longtemps avant que j'eusse l'honneur de siéger dans cette enceinte. Non, elle ne m'appartient pas, mais je m'en suis fait le rééditeur responsable.
Messieurs, deux idées dominent le projet de réorganisation de l'administration des chemins de fer, postes et télégraphes que j'ai eu l'honneur de soumettre à la commission et que j'ai eu la joie de voir accepter, avec de légères modifications, par la commission et par M. le ministre d'une commune voix.
La première de ces idées, c'est l'institution d'un conseil supérieur ;
La seconde, c'est l'unité de direction et de commandement dans l'exécution des décisions du ministre.
J'ai adopté ces idées, parce que je les crois fécondes en résultats sérieux et pratiques ; je les ai adoptées, parce que l'étude du passé m'a convaincu qu'une entreprise qui touche de si près les intérêts les plus considérables du pays est impossible, si on ne lui donne pour censeurs et au besoin pour soutiens des hommes choisis dans l'élite de la nation, si on n'introduit pas dans ce vaste service, dont le caractère éminemment commercial et industriel ne peut être méconnu, un élément de stabilité qui le mette à l'abri des secousses résultant des fluctuations politiques.
Cette pensée, je le sais, devait être éminemment contraire à celle qui domine dans l'esprit de l'honorable M. Frère.
J'ai adopté ces idées enfin, parce qu'à mon avis il doit en résulter, pour le pays, une garantie de bonne gestion, pour le ministre responsable, un contrôle éclairé et impartial, pour l'administration, une impulsion qui sera énergique, parce qu'elle sera dégagée des tiraillements qui l'énervent.
Messieurs, l'histoire des transformations administratives du chemin de fer vient à l'appui de mon projet.
On y retrouve une tendance constante vers ces deux grands principes. Unité dans le commandement ; garantie pour la Chambre et pour le ministre.
Dans l'origine de l'exploitation, à mesure que des nécessités surgirent, des services indépendants les uns des autres furent créés. La nécessité d'un chef pour en concentrer les mouvements ne tarda pas à se révéler.
L'arrêté royal du 1er septembre 1838 vint y pourvoir et mettre fin à une situation devenue intolérable.
Ce document, qui résume en quelques lignes toute une organisation qui a fonctionné avec honneur pendant près de dix ans, est trop important pour que je puisse me disposer de vous le faire connaître.
« Léopold, etc.
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Art. 1er. Il y aura un seul directeur sous les ordres immédiats de notre ministre des travaux publics, pour les chemins de fer en exploitation, considérés indépendamment des lignes en cours d'exécution ou à l'étude. »
Quelques employés, réunis plus tard en division au ministère, étaient charges de formuler une sorte de sanction administrative aux actes posés et aux projets présentés par le directeur de l'exploitation.
C'était le régime de la confiance absolue.
Mais ce régime, indispensable peut-être à une époque où tout était à créer et à organiser, où les principes disparaissaient devant des nécessités impérieuses, souleva des critiques et excita des défiances.
On lui reprocha de laisser le ministre isolé, sans action ni contrôle sur une administration omnipotente dont il était cependant responsable, obligé d'accepter ou de rejeter aveuglément les propositions. La défiance s'empara des esprits à l'égard d'un service dans lequel la lumière ne semblait pas pénétrer bien qu'il l'appelât, lui-même, à toute occasion.
Les ministres s'adressèrent à leurs bureaux pour s'éclairer, pour s'assurer des moyens de contrôle.
Mais à moins de doubler l'administration, que pouvaient des bureaux sans moyens d'action, sans expérience d'un service aussi compliqué et se livrant à des appréciations purement spéculatives ?
Il n'y avait d'autre alternative que l'antagonisme ou la complicité.
L'antagonisme prévalut et ne produisit que des luttes et des discussions irritantes et stériles, dans lesquelles s'épuisaient l'énergie et la capacité des fonctionnaires et qui mettaient le ministre dans une position fausse et sans cesse perplexe.
Divers essais d'organisation furent tentés successivement et sans fruit dans cet ordre d'idées. Tous échouèrent devant l'impossibilité morale et matérielle d'une double administration ou devant l'inanité des moyens, parce qu'aucun d’eux ne satisfaisait, dans une mesure assez large, à ces deux grandes nécessités d'existence d'une exploitation gouvernementale, que j'ai indiquées en commençant : garanties pour le pays et pour le ministre responsable ; exécution énergique et dégagée de toute entrave inutile.
Mais on ne peut méconnaître que ces faits révélaient une pensée sérieuse. Ils indiquaient la nécessité que tout le monde reconnaît aujourd'hui, nécessité que le gouvernement a reconnue lui-même, en instituant une commission consultative, d'entourer la gestion des grands intérêts confiés à l'administration des chemins de fer, d'un contrôle indépendant, éclairé et respecté.
Que convenait-il de faire pour atteindre ce but d'une manière stable et définitive ?
Pouvait-on, méconnaissant les leçons du passé, songer à doubler l'administration dans tous ses rouages essentiels : direction, inspection, vérification et contrôle ? C'eût été organiser la lenteur, les conflits et l'incertitude. Car s'il y avait désaccord entre les deux directions, à laquelle faudrait-il donner raison ? Pouvait-on confier cette haute mission à un simple service de bureau, à une modeste division administrative, qui eût été appelée à se prononcer sur les projets élaborés avec tous les éléments de la science et de l'expérience par l'administration des chemins de fer ? C'eût été, je le répète, décréter l'antagonisme ou la complicité ; c'eût été, qu'on me permette cette comparaison, en appeler des arrêts de cassation à la justice de paix.
J'ai pensé qu'il était plus logique, et la commission a partagé à l'unanimité mon avis, d'instituer auprès du ministre un conseil permanent composé d'hommes capables et impartiaux, entourés de la confiance et de l'estime publiques, indépendants de l'administration et du ministre lui-même, n'attendant aucun avantage ni d'une faiblesse complaisante, ni d'une critique aveugle.
J'ai la conviction, messieurs, que, si ce conseil est institué, il achèvera de réhabiliter le chemin de fer dans l'estime publique et sera pour cette grande œuvre nationale un puissant élément de progrès.
Je le dirai sans détour, messieurs, s'il s’était agi d'introduire dans l'administration des innovations, de la soumettre à l'expérience de théories ou de systèmes nouveaux, j'aurais reculé devant la tâche que je me suis imposée. Mais l’organisation que j'ai proposée est, au fond, celle non seulement de toutes les grandes compagnies de chemins de fer, mais même de toutes les grandes exploitations industrielles. C'est exactement celle qui est en vigueur dans les exploitations de l'Etat.
En effel, quels sont, en général, les rouages d'une grande exploitation ?
L'assemblée générale des actionnaires ;
Un conseil d administration responsable devant cette assemblée ;
Des commissaires chargés de veiller à l'observation des statuts et à la régularité des opérations financières ;
Un gérant recevant et, au besoin, provoquant l’impulsion et les ordres généraux du conseil d'administration, en les faisant exécuter par des sous-gérants responsables chacun en ce qui concerne sa spécialité.
Dans l’organisation que j'ai proposée :
(page 1732) Les actionnaires, c'est le pays représenté par ses mandataires :
Le conseil d'administration : c'est le ministre, secondé par le conseil supérieur et responsable devant les Chambres ;
Les commissaires : c'est la cour des comptes, c'est le département des finances, ce sont les sections des chambres chargées d'examiner le budget et les chambres tout entières.
Le gérant, c'est le directeur général qui reçoit et au besoin provoque l'impulsion et les ordres généraux du ministre et les fait exécuter par des chefs de service.
Voilà, décrite d'une manière rapide, cette organisation qui soulève l'indignation de l'honorable M. Frère, qu'il dépeint comme si dangereuse, si abominable et que sanctionnent cependant la logique et l'expérience ; car M. le ministre vous l'a déjà dit tout à l'heure ; cette organisation est adoptée par tous les gouvernements qui exploitent les chemins de fer avec succès. M. le ministre vous a cité l'exemple de la Prusse, de la Saxe, du Hanovre, du Wurtemberg, de la Bavière ; il aurait pu y ajouter la France.
Un seul chemin de fer, eu France, a été exploité par l'Etat, c'est la ligne de Paris à Lyon, et pour l'exploitation de cette ligne on avait adopté, dans toute son étendue, sans réserve, le mode d'administration des compagnies : entre le ministre et le directeur il y avait un conseil dont la mission était de veiller aux intérêts de l'entreprise, de surveiller et de contrôler l'exploitation, J'aurais hésité, pour ma part, à donner des pouvoirs aussi exorbitants à une commission que l'avait celle dont M. Dufaure, je pense, était le président et dans laquelle siégeaient plusieurs autres membres de la législature. Aujourd'hui encore il y a en France un conseil permanent des chemins de fer qui est appelé à se prononcer sur toutes les questions qui concernent ces voies de communication.
Mais je cite ici ce qui s'est fait sous la république, ce qui se passe sous l'empire ; la similitude des cas n'est donc pas complète à certains égards, me dira t-on.
Eh bien, je prendrai un exemple dans l'histoire de la monarchie constitutionnelle.
Depui le 22 juin 1842, il y a eu, en France, une commission supérieure et une commission administrative des chemins de fer. Comme je ne parle que des choses que je connais, je' ne dirai pas comment ces commissions étaient composés ; je n'ai pas consulté l'almanach royal à cet égard ; mais, le 6 avril 1847, le roi Louis-Philippe rendit une ordonnance portant organisation d'une commission générale des chemins de fer près le ministère des travaux publics. Cette commission était divisée en quatre sections : l° la section des tracés ; 2° la section de l'exploitation sous le point de vue technique ; 3° la section de l'exploitation sous le point de vue commercial et 4° la section des règlements. Les attributions de cette commission étaient donc bien aussi étendues que possible. Voyons maintenant comment elle était composée ; voyons si le gouvernement du roi Louis-Philippe a craint d'effacer le ministre, d'annihiler sa responsabilité et celle des fonctionnaires, de détruire le contrôle des Chambres en appelant des membres de la législature à siéger dans ce conseil. J'aime à croire que les ministres de Louis-Philippe n'étaient pas moins jaloux que l'honorable M. Frère de la dignité du gouvernement du roi et comprenaient non moins bien que lui la nécessité de la séparation des pouvoirs.
Eh bien, comment cette commission était-elle composée ? Il y avait MM. d'Argout, Cordier, Daru, Legentil, Laplagne-Barris, Gabriel Belessert, tous pairs de France ; il y avait MM. Langer, Dufaure, Muret de Bort, Félix Real, de Chasseloup-Laubat, Boulay de la Meurthe, tous députés. Je ne sache pas que jamais une plainte ait été soulevée contre cette invasion du parlement dans le conseil du ministre, qu'on soit venu dire en pleine Chambre que le ministre n'existait plus dorénavant que pour la forme et en guise de mannequin ou même qu'une atteinte était portée au contrôle du ministre ou de la Chambre.
Messieurs, je disais tout à l'heure que je n'ai rien trouvé de saisissant dans le discours de l'honorable M. Frère.L'honorable membre s'est attaqué aux petites choses. Il est vrai qu'il a commencé par déclarer que la commission n'avait rien examiné, rien vu par elle-même. Il a voulu dire, sans doute, que la commission avait été la complice de l'administration. Eh bien, que l'honorable membre me permette de lui dire qu’il se tromple complètement sur ce point : la commission a examiné sérieusement, elle a examiné tous les points auxquels s’applique le rapport. Elle a fait plus, elle ne s’est pas bornée à examiner elle-même, elle a fait examiner par des ingénieurs étrangers. J’ai parcouru, messieurs, toutes les ligne sbelges, j’ai visité tout le matériel avec deux ingénieurs distingués de l’Angleterre, qui nous ont donné leur avis. La commission est entrée dans tous les détails. Lorsqu’il est dit dans le rapport (et c’est là un point qui a été critiqué par l’honorable membre) que la commission n’a pas pu discuter avec l’administration chaque point des devis, l’honorable membre aurait dû cmprendre qu’il s’agisait ici des devis estimatifs de chaque travail particulier ; il tombe sous le sens que les membres de la commission ne pouvaient pas discuter avec l’administration le point de savoir combien il fallait de plates-formes, combien il fallait d’excentriques, combien il fallait de mètres de voies de garafe dans une station.
La commission ne pouvait pas examiner si le hangar à établir devait avoir 20 ou 30 mètres de longueur, combien il devait entrer de chaux, de pierre, de briques, de bois, de fer dans un bâtiment de recettes ; elle ne pouvait pas établir un calcul des terrasses, dire combien il faudrait de mètres cubes en remblai ou en déblai pour tel ou tel ouvrage, mais la commission avait à examiner ce point sur lequel les devis devaient être établis, le point de savoir si dans telle ou telle station il fallait, pour la facilité du service, des voies d'évitement, s'il fallait un hangar à marchandises, un bâtiment de recettes, des terrassements, etc. C'est là ce que la commission a fait, et elle ne pouvait pas aller plus loin. Nous avons accepté les devis fournis par l'administration. Lorsque plus tard les travaux devront être exécutés, on les débattra, on examinera si les devis sont exacts, si les travaux ne pourront pas être exécutés d'une manière plus économique. C'est là la signification de la phrase incriminée par M. Frère. Lui seul a pu s'y méprendre.
Est-ce que l'honorable membre aurait voulu, par exemple, lorsque la commission parle de l'état du matériel, qu'elle donnât son avis sur chaque locomotive ? Eh bien, la chose aurait pu être faite, car locomotive par locomotive, waggon par waggon ont pour ainsi dire été examinés. J'ai ici les numéros de tous les waggons qui sont en mauvais état. J'ai ici la liste des locomotives indiquant l'état des foyers, des tubes, l'épaisseur des bandages. Je crois qu'il est impossible de pousser les détails plus loin. Mais c'eût été une niaiserie d'exposer cela dans un rapport à la Chambre. Il est certain que, dans ce cas, l'honorable M. Frère aurait dit que la commission était la complice de l'administration ; qu'il était impossible que des membres de la commission, des amateurs se fussent livrés à un pareil travail, et ce sont eux cependant qui l'ont entrepris.
L'honorable M. Frère, pour démontrer ma partialité, je m'étonne qu'il n'ait pas dit ma complicité, l'honorable membre a beaucoup critiqué un passage du rapport qui concerne le nombre des locomotives en service au chemin de fer. Il a dit qu'il y a en service au chemin de fer belge 180 machines pour exploiter 637 kilomètres, et dans la phrase suivante, j'ai déclaré que le chemin de fer du Nord, qui a un développement de 710 kil., a 275 locomotives en service et que ce nombre serait porté à 354.
L'honorable membre me fait un grand grief de ce que je n'ai pas dit dans la même phrase que l'administration belge a commandé 18 locomotives sur le crédit alloué par la loi du 25 avril 1853.
Si l'honorable membre qui a scruté avec tant de soin mon rapport, avait examiné la page 16, il y aurait trouvé ce qui suit :
« En suite de ces considérations votre sous-commission a pensé qu'il est impossible de reculer devant la nécessité de faire construire, dans le plus bref délai, outre les 18 machines commandais sur le crédit alloué par la loi du 25 avril 1855, 52 locomotives d'après le type le plus perfectionné. »
Il n'est pas entré dans l'idée de la commission d'exagérer la situation du chemin de fer, j'en puis donner l'assurance à l'honorable membre ; elle a parlé avec la plus grande franchise et sans arrière pensée.
L'honorable membre a cité encore comme une grande légèreté de la part de la commission d'avoir aussi proposé des augmentations sur les dépenses qu'avait indiquées l'administration.
L'honorable membre se trompe : l'administration n'a pas proposé d'augmentation : un état général des travaux à exécuter pour parachèvement du chemin de fer, a été fourni à la commission, la commission l'a examiné, mais considérant que l'exécution de tous ces travaux était impossible dans les circonstances présentes, elle a demandé à l'administration une liste des travaux qui ont un caractère d'urgence. Eh bien, certains travaux qui, aux yeux de la commission, ont paru urgents n'avaient pas été portés sur cet état spécial. Il y avait, entre autres une dépense à faire à la station de l'Allée-Verte ; la commission à l'unanimité a accueilli cette dépense sur la proposition d'un de ses membres. Il en a été de même de celle à faire à la station de Malines, l'honorable membre a cité Malines pour faire croire sans doute à la Chambre que j'étais loin d'être impartial.
Quant à cette dépense, c'est le résultat de la visite faile par la commission, dans la station et les ateliers de Malines ; la commission a trouvé qu'il était convenable d'y établir un bureau de poste, et la commission a ajouté cette dépense à la liste dressée par l'administration ; elle y a porté également l'établissement de certaines voies dans la station de Malines, parce qu'elle a trouvé que l'interruption du mois de janvier avait eu surtout pour cause la difficulté des manœuvres dans cette station et que dès lors il était convenable d'y augmenter le nombre des voies.
Je suis honteux, messieurs, de devoir me défendre et défendre la commission sur des faits d'aussi peu d'importance ; mais qu'en puis-je ? Il n'y a rien d'un intérêt plus considérable dans le discours de l'honorable M. Frère : il s'est attaché aux petites choses ; je dois le suivre ; je ne puis pas porter le débat plus haut.
Mais je me demande pourquoi ces critiques si petites et cependant si acrimonieuses de la part de l'honorable M. Frère ? J'ai peine à le comprendre, puisque l'honorable membre a fini par déclarer qu'il y a beaucoup à faire pour le chemin de fer. L'honorable membre vent donner un million et il n'y met pas la réserve qu'il ne sera rien fait après cela ; au contraire, il désire, lui aussi, que le chemin de fer soit parachevé. Pourquoi, je le demande de nouveau, cette critique si acerbe pour arriver à la même conclusion où nous sommes arrivés.
Messieurs, la commission n'aurait pas assumé ia responsabilité de conseiller au gouvernement de vous demander, en ce moment, l'ouverture d'un crédit aussi considérable si elle n'avait eu la conviction la (page 1733) plus profonde de l'utilité, de la nécessité de ces dépenses. Elle a cru que pour que le chemin de fer puisse être exploité d'une manière économique, ces dépenses sont indispensables.
La commission a placé en première ligne le raffermissement des voies au moyen d'éclisses et le renouvellement des voies. Quant au système des éclisses, nous avons trouvé qu'il fallait l'adopter, parce qu'il en résultera une économie considérable, en ce qui concerne la main-d'œuvre et les matériaux. L'expérience prouve qu'il résulte de l'emploi des éclisses une économie de 50 p. c. sur les frais d'entretien de la voie. Il y a des chemins de fer qui ont traité avec des entrepreneurs pour l'entretien à forfait de leurs lignes et qui ont stipulé dans leurs contrats que partout où le système des éclisses serait adopté, il y aurait une diminution de 50 p. c. sur le prix à forfait.
La commission demande que le nombre des locomotives soit augmenté et qu'on fournisse au chemin de fer des locomotives plus puissantes ; eh bien, c'est encore dans des vues d'économie qu'elle fait cette proposition.
Je vais citer un seul exemple pour vous prouver quelle est l'influence que peut avoir sur un chemin de fer un matériel de traction perfectionné. Un chemin de fer anglais, sous beaucoup de rapports comparable au nôtre, celui de l’Eastern counties, dépensait, pendant le premier semestre de 1850, pour la traction de ses convois, 2,125,000 francs ; ses convois parcouraient 1,185,628 milles anglais, et en 1853, pendant la même période, pour un parcours de 1,625.274 milles, ses dépenses ne s'élevèrent plus qu'à 1,546,000 francs. Donc, le parcours était augmenté, en 1853, de 439,646 milles, de 1,609 mètres et les dépenses étaient diminuées, pendant un seul semestre, de 579,000 francs.
Je pourrais vous citer des faits analogues pour les autres branches de l’exploitaiton.
Messieurs, toutes les propositions que vous fait la commission dans le but de compléter l’outillage, n'ont d'autre but que d'arriver à une diminution des dépenses en même temps qu'à une augmentation des recettes. Pour ma part, je suis profondément convaincu que si la Chambre vote le crédit de 9 millions, elle ne fera qu'une avance au chemin de fer ; le budget, je ne dis pas de cette année, car pour 1854 la chose serait impossible, l'exercice est trop avancé ; il est impossible de faire tous les travaux d'amélioration dans le courant de cette année ; mais en 1855 le chemin de fer se ressentira considérablement, dans ses frais d'exploitation, des économies que l'emploi intelligent du crédit qu'on vous propose permettra de réaliser.
(page 1718) - Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !
M. Devaux. - Je demande la parole contre la clôture. M. le ministre a prononcé mon nom dans la discussion ; comme il pourrait résulter quelque erreur de la citation qu'il a faite de mes paroles, je voudrais les expliquer et dire en même temps quelques mots sur le fond de la question.
- La clôture est mise aux voix, elle n'est pas prononcée.
(page 1726) M. Loos. - Messieurs, je serai fort court. Mon intention n'est pas d'entrer dans l'examen de la situation actuelle de notre chemin de fer, je n'ai demandé la parole que pour dire quelques mots de la commission consultative, dont on déjà beaucoup parlé d'une façon fort spirituelle peut-être, mais, à coup sûr, de manière à dégoûter chacun d'en faire partie. Mais aussi, messieurs, je suis peu partisan en général des commissions, je me suis trouvé plus d'une fois dans le cas de m'opposer à la formation de celles que l'on composait de membres pris dans cette enceinte ; mais, quant au chemin de fer, j'ai dû finir par reconnaître que le seul moyen de le mettre à l'abri de l'abandon à une compagnie, c'était la nomination d'une commission.
Vous devez en être convaincus vous-mêmes, messieurs, par ce qui se passe en ce moment dans cette enceinte : jusqu'à présent, tous les ministres qui se sont succédé ont été impuissants à obtenir de la Chambre les crédits nécessaires aux besoins du chemin de fer. Pour la première fois qu'une commission est nommée et intervient dans la question, la Chambre paraît disposée à voter 12 millions plutôt que 9, parce qu'on lui a démontré clairement que les 9 millions demandés seront insuffisants pour pourvoir aux besoins très urgents reconnus.
Si nous reconnaissons maintenant ce que l'on a vainement cherché à nous démontrer jusqu'ici, ne faut-il pas l'attribuer au défaut de confiance de la Chambre dans l'expérience et les connaissances spéciales des ministres qui se succèdent au département des travaux publics ? Ces hommes, chargés de diriger une industrie, car un chemin de fer, malgré qu'il soit exploité par le gouvernement n'est en définitive qu'une opération industrielle ; peuvent être et en général sont, en effet, des fonctionnaires habiles ou des hommes politiques distingués, mais jamais des hommes spéciaux pour la direction d'un chemin de fer, fussent-ils ingénieurs des ponts et chaussées.
Si une commission a été nécessaire pour démontrer les besoins du chemin de fer, une commission consultative composée d'hommes spéciaux est nécessaire encore pour imprimer à l'exploitation une direction pins commerciale, plus industrielle qu'elle n'a eue jusqu'à présent.
Je le répète, il ne suffît pas d'être un homme politique éminent, un bon administrateur pour diriger des opérations industrielles pour lesquelles il faut des connaissances spéciales.
On a dit : Mais la commission dominera, fera disparaître la responsabilité, du ministre ; ce sera une commission administrative au lieu d'une commission consultative, elle annihilera l'action ministérielle ; mais il faut supposer que le ministre s'il rencontre de pareilles tendances dissoudra la commission. Si les prévisions du ministre ne se réalisent pas quant aux bons effets que peut produire la commission il cessera d'avoir recours à ses conseils. Si la Chambre de son côté reconnaît que cette commission sur laquelle on aurait fondé quelque espoir ne répond pas à son attente, la Chambre supprimera la commission. Je ne vois pas, en un mot, que cette commission doive exister plus longtemps qu'on ne la juge utile ; si on reconnaît qu'elle est inutile on la supprimera ; mais on n'en a jamais fait l'essai chez nous, taudis que partout ailleurs ces commissions fonctionnent avantageusement.
Comme on l'a dit, les chemins de fer exploités par les compagnies aussi bien que ceux qui sont exploités par l'Etat dans d'autres pays ont un conseil supérieur qui donne son avis qu'on est libre de suivre ou de ne pas suivre. Pourquoi vouloir faire autrement que partout ailleurs ? Avons-nous été tellement heureux dans notre exploitation, qu'il faille dédaigner ce qui se pratique dans d'autres pays. Mais il ne s'est pas passé de session sans avoir cinq ou six-discussions où l'on attaquait les actes de l'administration présente ou précédente ; ces attaques et ces tiraillements sans cesse renouvelés, à quoi faut-il les attribuer ?
Moi, je ne puis les attribuer qu'à cette circonstance que la Chambre n'admettant pas que l'homme placé à la tête du département des travaux publics, quelque émiinent qu'il puisse être d'ailleurs comme homme politique, ait les connaissances spéciales nécessaires qu'on exige dans les compagnies chef d'exploitation.
Il est bien vrai que le ministre a sous lui un homme spécial dont il est sensé recevoir les avis et qu'il couvre de sa responsabilité. Mais l'expérience de cet homme spécial, placé à la tête du chemin de fer depuis plus de 20 ans et qui doit nous avoir coûté cher, puisque l'expérience, en cette matière surtout, ne s'acquiert qu'à grands frais, nous a-t-elle réellement profité ?
Qu'avons-nous vu, en réalité ? A chaque ministre qui se succède au département des travaux publics, il se trouve que des employés, encouragés par l'opposition que rencontre dans cette Chambre l'exploitation du chemin de fer, se prétendent plus malins que le directeur, cherchent à circonvenir le ministre et que celui-ci voyant constamment critiquer les actes de son administration, écoute volontiers les conseils qui lui viennent d'ailleurs que du chef de l'administration dont ainsi l'expérience est mise de côté en même temps que sa responsabilité.
C'est ainsi que nous avons vu des employés inférieurs (et j'invoque à cet égard les souvenirs de plusieurs d'entre vous) tenter avec succès à substituer auprès du ministre leur influence à celle du directeur du chemin de fer, et réussir à faire adopter un système d'exploitation à l'égard duquel celui-ci n'avait pas même été consulté.
Les ministres inexpérimentés trouvent ainsi à se consoler des critiques dirigées par la Chambre contre l'administration du chemin de fer.
Un tel état de choses viendrait, je crois, à cesser si l'on avait un conseil supérieur ou une commission composée d'hommes spéciaux et dévoués, et je ne vois pas qu'il soit impossible de les trouver, dût-on la composer d'amateurs, puisqu'on a qualifié ainsi et autrement encore les hommes qui consentiraient à en faire partie. Car enfin, hier encore, nous nous sommes occupés d'une certaine commission, elle aussi composée d'amateurs, qui, en se vouant consciencieusement à la direction d'une affaire, est parvenue à procurer à l'Etat un bénéfice considérable et à faire obtenir à la société des résultats moraux inappréciables.
Ce sont là des amateurs, en effet, mais des amateurs consciencieux, qui rendent des services au pays, sans s'inquiéter de ce qui peut leur advenir.
Je crois pour ma part qu'il ne faut pas désespérer de rencontrer dans le pays et surtout dans la Chambre des hommes expérimentés et dévoués qui se trouveront suffisamment payés de leur peine par la conscience d'avoir rendu un service au pays.
(page 1718) M. le président. - M. Frère-Orban vient de déposer un amendement par lequel il propose de réduire à 1,500,000 fr. le crédit de 9 millions compris dans l'article premier.
M. Devaux. - L'honorable ministre des travaux publics a cité toul à l'heure mon nom, et a paru me faire approuver la création d'un conseil supérieur permanent. Si c'est là le sens de ses paroles, c'est une erreur.
Le discours auquel a fait allusion M. le ministre date de 1845. Bien loin de m'être prononcé à cette époque pour un conseil permanent, j'y disais de la manière la plus expresse qu’il fallait se garder de créer une commission permanente.
Quant à une commission temporaire, je disais que je ne voulais pas me prononcer d'une manière absolue ; mais que si on y avait recours, il ne fallait ni en faire une commission politique, ni la composer de fonctionnaires du chemin de fer ou du corps des ponts et chaussées qui se contrôleraient eux-mêmes.
Voilà l’opinion que j'ai émise. Mais je n'ai nullement réclamé dans ce discours la création d'une commission permanente, d'une commission pareille à celle qu'a créée M. le ministre des travaux publics. Je dois dire que, lorsque j'ai vu la nomination de cette commission, j'ai été fort loin de l'approuver. Je l'ai trouvée beaucoup trop nombreuse d'abord, ensuite j'y ai trouvé un caractère beaucoup trop parlementaire.
On dit qu il existe des commissions administratives dans les compagnies, et qu'elles peuvent être utiles. C'est possible. Mais ce qui a été combattu tout à l’heure avec beaucoup de sens et de logique par l'honorable M. E. Vandenpeereboom, c'est une commission d'un caractère parlementaire.
Il me paraît incontestable qu'une pareille institution aura ce double effet. En premier lieu, elle absorbera la responsabilité des subalternes, du ministre. La commission, et c'est, je pense, ce qui arrive déjà, travaillera directement avec les subalternes qui, passant par dessus la tête du ministre, s'adresseront directement à la commission pour lui faire adopter leurs idées sans que le ministre les contrôle. Jusqu'à présent le ministre, quand il présente des crédits, les débattait avec ses subalternes. Si leurs demandes paraissaient excessives, il les forçait à les réduire, et en était toujours maître, puisque c’était lui qui soutenait les crédits devant la Chambre.
Mais comment pourra-t-il réduire les demandes faites par une commission composée des hommes qui s'occupent le plus spécialement de la matière dans les Chambres ? Ces hommes, il faut qu'il subisse leur avis sous peine de les rencontrer comme adversaires dans les Chambres.
En second lieu la commission paralysera le contrôle de la Chambre, parce qu'elle se composera naturellement des hommes qui s'occupent le plus de ces matières, de ceux qui dans la Chambre y exercent le plus d'influence, y sont naturellement appelés à faire partie des commissions ou de la section centrale, et ainsi ils se contrôleront eux-mêmes ; et le véritable contrôle parlementaire sera annulé.
Messieurs, supposez un instant à côté de chaque ministre une commission composée des hommes parlementaires qui ont le plus d'autorité à la Chambre dans les matières ressortissant à son département, tout le contrôle des chambres sur l'administration devient illusoire. Le prétendu gouvernement parlementaire aboutit ainsi comme le pouvoir absolu à une administration sans contrôle.
Si on veut des abus, si on veut des dépenses excessives, on ne peut rien faire de mieux que d'enlever au ministre et à ses agents leur responsabilité et aux Chambres leur surveillance.
Si la commission parlementaire n'avait qu'un caractère temporaire, très spécial, très limité, elle pourrait n'avoir pas ces dangers ou ne pas les avoir au même degré ; mais si elle devient une institution durable les inconvénients que je signale sont inévitables.
Quant au fond du projet, je ne puis me décider à donner mon vote au crédit de 9 millions. J'en dirai en très peu de mots le motif.
D'abord, si les besoins sont aussi considérables, ils n'ont pas dû éclater subitement dans les quinze derniers jours de la session. On aurait dû présenter le projet à une époque où la dépense aurait pu être examinée avec maturité et où ceux qui la présentent n'auraient pas été réduits à avouer qu'ils n'ont fait des devis qu'un examen superficiel. Je ne puis voter 9 millions, dans les circonstances où nous sommes, avec un projet ainsi improvisé.
Ensuite je ne voterai pas pour le chemin de fer un crédit aussi peu spécialisé.
L'objet de la dépense doit être assez bien connu pour qu'on puisse subdiviser les allocations en sommes inférieures à celles qui figurent dans le projet et qui s'élèvent de 1 à 3 millions chacune.
Dans la situation actuelle du trésor, quand il s'agit de dépense aussi considérables sans autre moyen de les couvrir qu'une nouvelle extension du danger des bons du trésor, notre devoir est de nous borner à ce qui est urgent. Que l'on puisse, avec plus ou moins d'utilité, dépenser encore beaucoup d'argent au chemin de fer, cela est possible, mais la question est de savoir ce qui est indispensable dans ce moment.
Remplacer des rails plus faibles par des rails plus pesants peut être utile, mais assurément on n'est pas obligé de le faire en une fois et cette substitution peut continuer à se faire successivement. La double voie peut faire éviter certains inconvénients, mais là où on l'attend depuis 15 ans, pourquoi faut-il choisir précisément cette année pour la compléter ? Les prix aujourd'hui se sont élevés à des taux inouïs ; est-ce le moment qu'il faut choisir pour faire des dépenses qu'on peut reculer et qu'on a retardées si longtemps ? J'en dirai autant des stations, est-ce précisément aujourd'hui qu'il faut y consacrer cinq millions, et une faible partie de cette somme ne suffirait-elle pas pour y faire le plus urgent ? Lorsqu'on nous apprend que nous n'avons que 180 à 190 locomotives, et qu'elles ont suffi au service jusqu'aujourd'hui, je ne puis, en vérité, me convaincre que ce service sera en péril, si tout à coup, en un seul jour, on ne décrète jusqu'à 70 locomotives nouvelles, qu'il faille encore en ajouter 52 aux 18 qui sont en construction. Dans la prétendue urgence de l'accroissement de plus d'un tiers du nombre actuel des locomotives, il y a à mes yeux une grande et évidente exagération.
Messieurs, dans la dernière ou l'avant-dernière session, je vous disais que notre chemin de fer avait éveillé de grands appétits ; que des spéculateurs en convoitaient l'acquisition ; j'ajoutais que de pareilles influences ne manqueraient pas d'activité pour arriver à leur but, qu'elles assiégeraient probablement et l’administration et les Chambres. Moi, qui regarderais l'aliénation du chemin de fer comme un malheur, je suis très peu disposé à leur rendre le service de voter une nouvelle dépense de 9 millions, alors surtout que les commissions, qui me paraissent se préoccuper de la dépense, sont si stériles en fait d’économie.
Messieurs, vraiment, si les compagnies qui veulent racheter le chemin, avaient un désir à exprimer, ce serait de voir le gouvernement mettre ce chemin de fer en parfait état, de voir dépenser beaucoup d'argent, ne faire aucune économie, élever les prix, et puis on viendrait vous dire que le chemin de fer ne rapporte pas ce qu'il a coûté.
Je ne dis pas que personne ici soit le complice des influences dont je parle, mais sans en être le complice on peut en être dupe, et. pour moi, je ne veux pas l’être.
Je ne voterai pas les 9 millions. Si l'on peut limiter le crédit, j'accorderai tout ce qui sera démontré urgent, mais je n’irai pas au-delà.
M. Lesoinne. - Messieurs, on s'est plaint pendant de longues années que l'exploitation de notre chemin de fer était plus coûteuse qu'aucune autre exploitation faite par des compagnies. On a discuté pendant longtemps sur les moyens d'arriver à une exploitation moins dispendieuse. On en est venu à nommer dans la Chambre une commission chargée d'aviser aux moyens de faire produire au chemin de fer le plus possible. Cette commission s’est mise à l'œuvre et a consciencieusement cherché ce qu’il y avait à faire pour arriver à ce résultat.
(page 1719) On est venu critiquer son travail ; on est venu à reprocher aux membres qui en font partie de vouloir en quelque sorte s'ériger en conseil d'Etat au petit pied et on les a représentés comme ayant sacrifié leur indépendance.
M. E. Vandenpeereboom. - Qui a dit cela ?
M. Lesoinne. - C'est vous-même, mon honorable collègue.
M. E. Vandenpeereboom. - Je n'ai pas parlé de la commission provisoire ; j'ai parlé de la commission permanente qui n'est pas encore nommée.
M. Lesoinne. - Messieurs, dans le cas de nomination d'un conseil supérieur, je laisse de côté la question de responsabilité ministérielle, je ne le crois pas ici en jeu. Je ne vois ici que l'exploitation du chemin de fer. Si l'on peut arriver à une exploitation plus productive, je trouve qu'on aura fort bien fait de nommer un conseil supérieur.
Messieurs, on vient de critiquer la demande de fonds qui vous est faite.
J'ai visité les stations, j'ai visité les ateliers, j'ai visité les voies et je puis assurer qu'il est impossible de voir dans aucun chemin de fer exploité par une compagnie, un matériel en aussi mauvais état, des locomotives en aussi mauvais état, et des voies en aussi mauvais état. Il y a 40 locomotives qui ne gagnent pas le coke qu'elles consomment.
Comment, messieurs, cela est-il arrivé ? C'est qu'on les a fait travailler à outrance, que l'on n'a pu les réparer en temps, et qu'elles sont devenues tout à fait hors d'usage.
Le matériel est tellement insuffisant, qu'on loue à prix élevés celui des compagnies qui n'exploitent pas encore, tel que le matériel de la société de Louvaiu à Charleroi, de la société du Luxembourg, etc.
Nous n'avons donc pas le matériel suffisant ; les plaintes qui ont été faites à tout moment par les industriels en sont une autre preuve.
Messieurs, il est facile de dire : On a marché comme cela jusqu'ici et on peut continuer. Oui, on a marché comme cela ; mais on a eu une exploitation très coûteuse. Si vous voulez que le chemin de fer rapporte, si vous voulez qu'il reste dans les mains du gouvernement, donnez-lui les moyens d'être exploité convenablement.
Le crédit que l'on vous demande permettra au gouvernement de faire les commandes dès aujourd'hui.
L'honorable M. Devaux dit : Vous allez faire ces commandes quand les matières sont encore à un prix très élevé ; attendez que les prix baissent. Mais pendant que vous attendez, l'exploitation souffre. L'exploitation ne peut continuer à marcher de cette manière.
Je ne veux pas prolonger la discussion ; je pense qu'il est indispensable que vous accordiez au gouvernement le crédit demandé.
M. Frère-Orban. - Messieurs, je ne reviendrai pas sur la question qui a été traitée jusqu'à présent dans cette séance ; cela n'a pas trait à mon amendement ; je n'en dirai plus un seul mot. Je veux m'occuper exclusivement de la justification du chiffre que je propose.
A quoi veut-on appliquer les 9 millions qui sont actuellement demandés ?
1° A faire des doubles voies, fr. 1,352,000
2° A commencer l'application du système d'éclisses, fr. 1,300,000
3° A construire des hangars, fr. 1,000,000
4° Pour l'extension du matériel, fr. 5,348,000.
Messieurs, est-il raisonnable de dire qu'il faille aujourd'hui, les fers étant à un prix extraordinaire, à un prix inconnu dans ce pays depuis un très grand nombre d'années, contracter des marchés pour exécuter les doubles voies qu'on attend depuis 15 ans ? Qu'il faille dépenser un tiers ou plus au-delà de la somme qui sera utilement employée pour ce travail ? Peut-on dire qu'il y ait péril en la demeure ? Que l'exploitation du chemin de fer de l'Etat sera compromise si l'on attend trois ou quatre mois pour contracter de pareils marchés ?
Il est à présumer que l'influence des événements politiques aura pour effet d'amener un ralentissement dans les travaux, et que, dans trois ou quatre mois, vous serez en mesure de contracter des marchés à des prix inférieurs aux prix actuels. Et il est inutile d'espérer que si l'on contracte aujourd'hui, les soumissionnaires admettront la condition indiquée, par une section, de subir une réduction dans le cas où les prix viendraient à baisser ; on ne contractera qu'au prix du jour.
Le système d'éclisses, il le faut sur l'heure, il y aurait péril pour l’exploitation du chemin de fer si ou n'appliquait pas ce système immédiatement. Quatre mois de retard, le temps d'examiner et tout sera compromis !
Les hangars ! Depuis 1843 nos stations ne sont pas complétées, nous n'avous pas d'abris suffisants, et pour le matériel, et pour les marchandises ; il faut construire ces hangars et les construire sur l'heure !
Vient maintenant le matériel. La première considération générale, que je viens de faire valoir, celle qui concerne les prix, s'y applique dans toute son étendue. Mais il y en a une autre, c'est que vous ferez en vain des adjudications, vous ne pourrez pas obtenir la livraison. L'administration du chemin de fer a été autorisée par une loi du mois d'avril 1853, à faire construire 18 locomotives ; voici le mois d'avril 1854 écoulé, et elle n'a pas ces locomotives ; il y a encore, en ce moment, des commandes très nombreuses ; ; les ateliers sont en pleine activité.
Oh ! sans doute, vous trouverez beaucoup d'amateurs disposés à contracter immédiatement, et au prix du jour, pour des locomotives et des rails à fournir ultérieurement ; vous en trouverez beaucoup, parce que, d'après les prévisions, il y aura dans 3 ou 4 mois une baisse dans les prix. Dans tous les cas, si vous attendez, vous ne vous exposerez qu'à une seule chose, c'est de contracter aux prix actuels.
il peut y avoir, messieurs, quelques dépenses urgentes, je l'ai dit dans mon premier discours ; eh bien ! allouons 1,500.000 fr. Dans quelques mois nous reviendrons et nous verrons s'il y a lieu de voter des sommes plus considérables. Je dis que cela est suffisant dans les circonstances actuelles, et pour le prouver, je fais un appel aux documents de l'administration elle-même.
Ainsi on vient nous dire que le matériel est dans l'état le plus pitoyable, non entretenu, délabré ! eh bien ! j'ouvre le compte rendu de l’exploitation du chemin de fer au 1er janvier 1853, signé par M. le ministre des travaux publics lui-même, et j'y trouve que sur 3,493 wag-gons, 3,232 sont en bon état (c'est la situation au 1er janvier 1853). Les locomotives, qui sont aujourd’hui représentées comme ne pouvant plus marcher, sont déclarées, à la même date, également en bon état. On n'a rien fait pour le matériel, et de là, la nécessité de tout faire immédiatement, sur-le-champ. Mais M. le ministre nous apprend, dans son compte rendu, que dans le cours de quatre années, de 1849 à 1852, le nombre de locomotives a été augmenté de près de 9 p. c ; les tenders de 10 p. c ; les voitures pour voyageurs de plus de 33 p. c, les waggons de marchandises de plus de 9 p. c.
Voilà ce que porte une pièce officielle, une pièce signée par M. le ministre des travaux publics.
Qu'il y ait quelque chose à faire pour augmenter le matériel, je le veux bien ; mais le moment est-il opportun pour tout faire ? Voilà ce que je conteste, et en proposant de réduire le crédit à 1,500,000 fr. alors qu'on n'indique aucun moyen de couvrir la dépense, je crois faire chose parfaitement légitime, et en rapport avec les véritables besoins du chemin de fer.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - A entendre l'honorable préopinant, on croirait que si la Chambre vote le crédit le ministre des travaux publics va commander immédiatement, sur-le-champ, sur l'heure, pour 5,800,000 fr. de matériel, qu'il va faire confectionner les éclisses, et exécuter les hangars, etc. ; en un mot, qu'il va dépenser les 9 millions sans tarder un seul jour. Or, messieurs, quelle est la disposition de l'article premier du projet de loi ? (Interruption.) Je demande immédiatement les 9 millions parce que l'expérience démontre qu'on doit attendre 8, 10, 12 ans pour avoir les fonds nécessaires. En 1848 on reconnaissait que les besoins du chemin de fer comportaient une dépense de 25 millions ; nous sommes en 1854, et jusqu'à présent on n'a prélevé sur ces 25 millions que 12 millions.
Je dis que pour échapper à la situation désastreuse qui pèse si lourdement sur les dépenses d'exploitation, il est indispensable de mettre le gouvernement à même de faire au moins des dépenses jusqu'à concurrence de 9 millions ; le gouvernement choisira son moment, il choisira son heure.
On dit : Vous avez commandé des locomotives en 1853, et ces locomotives ne sont pas encore livrées. Eh bien, messieurs, c'est précisément parce qu'il s'écoule un temps si long entre l'époque de la commande et l'époque de la livraison que le gouvernement doit être mis à même, dès à présent, de parer aux éventualités. Il ne s'agit pas de dépenser l'argent pour le plaisir de le dépenser. Il ne s'agit pas non plus d un matériel délabré, je ne dis pas que la situation soit désespérée, loin de moi ; mais je dis que si l'on veut éviter les dépenses extraordinaires occasionnées par l'entretien et le renouvellement du matériel en 1853, dépenses qui, je le crains bien, se reproduiront en 1854, que si l'on veut suffire au mouvement énorme des transports qui continuent à affluer au chemin de fer, si l’on veut que les recettes augmentent dans la proportion qu'elles suivent aujourd’hui, il faut compléter au plus tôt le matériel roulant et mettre le gouvernement à même de faire les commandes au moment qu'il jugera le plus convenable. Les prix sont hauts sans doute, ils peuvent baisser ; mais ils peuvent aussi s'élever. Il est donc essentiel que le crédit, tel qu'il est proposé, soit voté par la Chambre.
Je ne sais pas pourquoi l'honorable M. Frère veut limiter le chiffre à 1,500,000 fr. ; il n'y a pas de raison pour prendre ce chiffre plutôt que 2 millions, que 3 millions. Il reconnaît qu'il y a quelque chose à faire et il propose 1,500,000 fr. ; il pourrait tout aussi bien propose 2 millions ou 3 millions, ou ne rien proposer du tout. Il n'y a donc pas de raison pour ne pas accepter le chiffre de 9 millions, qui se justifie par les engagements que le gouvernement a pris il y a dix ans.
- La discussion générale est close.
On passe aux articles.
M. le président. - « Art. 1er. Il est ouvert au ministère des travaux publics un crédis spécial de neuf millions de francs (fr. 9,000,000), affecté à des dépense de parachèvement des chemins de fer de 1’Etat »
M. Frère-Orban propose de n'allouer qu'une somme de 1,500,000 fr. quant à présent.
- Le chiffre le plus élevé est mis d'abord aux voix. On demande l'appel nominal. Il y est procédé.
66 membres répondent à l'appel.
40 répondent oui.
25 répondent non.
3 (MM. de Ruddere de Te Lokeren, Jacques et Delfosse) s'abstiennent.
(page 1720) En conséquence l'article premier, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est adopté.
Ont répondu oui : MM. Landeloos, Lange, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Ch. Roussellc, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Vilain XIIII, Anspach, Brixhe, Cans, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Renesse, de Royer, de Sécus, Desmaisières, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon et Faignart.
Ont répondu non : MM. Lebeau, Mascart, Moreau, Pierre, Prévinaire, Rogier, Thienpont, Vander Donckt, Van Renynghe, Boulez, Clep, Closset, Coppieters, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Breyne, de Bronckart, de Portemont, Dequesne, Devaux, Frère-Orban et Julliot.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. de Ruddere. - Je n'ai pas voté pour, parce que je ne sais pas comment il sera pourvu à la dépense ; je n'ai pas voté contre, parce que les dépenses sont utiles .
M. Jacques. - Je me suis abstenu, parce que je n'étais pas bien convaincu qu'il fût nécessaire d'allouer dès à présent 9 millions.
M. Delfosse. - Je n'ai pas voté contre, parce que je reconnais que les dépenses dont il s'agit sont fort utiles ; je n'ai pas voté pour, parce que je ne puis consentir à augmenter, dans une aussi forte proportion, l'émission déjà si considérable, des bons du trésor.
« Art. 2. Ce crédit sera réparti sur quatre exercices, savoir :
« Exercice 1854, fr. 1,000,000.
« Exercice 1855, fr. 3,500,000.
« Exercice 1856, fr. 3,500,000.
« Exercice 1857, fr. 1,000,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Il sera couvert au moyen de bons du trésor. »
- Le vote par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi, est remis à la séance du soir.
- La séance est suspendue à 5 heures. Elle est reprise à 8 heures et un quart.
(page 1720) 62 membres répondent à l'appel nominal.
38 répondent oui.
21 répondent non.
3 (MM. Coomans, de Ruddere et Delfosse) s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui : MM. Landeloos, Le Hon, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Manilius, Matthieu, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Ch. Rousselle, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Ansiau, Anspach, Roulez, Brixhe, Cans, H. de Baillet, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, Delehaye, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de T'Serclaes, Dumon, Faignart et Jacques.
Ont répondu non : MM. Lebeau, Lejeune, Mascart, Moreau, Moxhon, Pierre, Prévinaire, Thienpont, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Renynghe, Allard, Clep, Closset, Coppieters, David, de Breyne, de Bronckart, de Portemont, Devaux, Frère-Orban.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Coomans. - Je n'ai pas voté contre le projet, parce que d'honorables membres, entre autres M. Van Hoorebeke, de Brouwer et Dumon ont démontré que la dépense était utile, même nécessaire ; je n'ai pas voté pour, parce qu'aucun orateur n'a indiqué les moyens de la couvrir.
M. de Ruddere. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai énoncés tantôt.
M. Delfosse. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que sur l'article premier.
Le gouvernement se rallie à l'amendement de la section centrale.
« Article unique. Les parts ou salaires perdus par les déserteurs, ou qui leur sont retenus en vertu des articles 16, 17, 18, 19, 20 et 21 de la loi du 21 juin 1849, et attribués, par l'article 62 de la même loi, à la caisse de secours et de prévoyance en faveur des marins naviguant sous pavillon belge, ne sont versés à cette caisse que déduction faite, au profit de l'armateur, des frais et dommages occasionnés par la désertion.
« Il sera fourni, dans ce cas, un compte sommaire, comme le prescrit l'article 64 de la loi du 21 juin 1849. »
Il est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :
69 membres prennent part au vote, et votent pour l'adoption. La Chambre adopte.
Ont pris part au vote : MM. Landeloos, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Magherman, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Osy, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Ch. Rousselle, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vilain XIIII, Allard. Ansiau, Anspach, Boulez, Drixhe, Cans, Clep, Closset, Coomans, Coppieters, David, H. de Baillet, de Breyne, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, Delehaye, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere, de Sécus, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Julliot et Delfosse.
Vote des conclusion d’un rapport de la commission d’industrie sur une pétition relative à la concessibilité du minerai de fer
La commission d'industrie, par l'organe de M. David, conclut au renvoi à M. le ministre des travaux publics de la pétition du sieur Dupont, maître de forges à Fayt.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à l'amendement que propose la section centrale au n°20 de l'article premier ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence la discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.
- Personne ne demandant la parole dans la discussion générale la Chambre passe à la discussion sur les articles.
« Art. 1er. Le budget des dépenses du ministère de l'intérieur, pour l'exercice 1854, fixé par la loi du 14 mars 1854, est augmenté d'une somme de soixante et treize mille cinq cent quatre-vingt-dix huit francs, soixante et dix-neuf centimes (73,598 79), répartie comme suit :
« 1° Frais de route et de séjour restant dus à un commissaire d'arrondissement pour l'exercice 1852. Cinq cent quatre-vingt-dix-neuf francs vingt-cinq centimes, pour payer des frais de route et de séjour restant dus à un commissaire d'arrondissement, pour l'exercice 1852 : fr. 592 25.
« Cette somme sera ajoutée à l'article 39 du budget de 1854. »
- Adopté.
« 2° Service des défrichements. Dix-huit mille quatre cent cinquante francs, pour payer des dépenses relatives au défrichement, au boisement et aux irrigations de terrains incultes en 1855 et 1854 : fr. 18,450.
« Cette somme sera ajoutée à l'article 55 du budget de 1854. »
La section centrale propose de réduire ce chiffre à 8,850 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole, pour que la Chambre alloue le crédit entier demandé par le gouvernement.
Désormais, nous ne demanderons plus de crédits supplémentaires à ce titre. Au budget de 1855 et des années suivantes, les fonds nécessaires à l'entretien figureront d'une manière régulière. La Chambre sera appelée à décider si elle veut allouer ces fonds. Mais pour l'année courante, cet entretien ne peut être abandonné au hasard. Il faut que le gouvernement veille à la conservation de ce qui a été fait. C'est pour cela que le crédit a été augmenté de 9,900 fr. que nous demandons.
La section centrale pense qu'il s'agit de travaux qui intéressent les particuliers, et qu'il faut refuser le crédit, jusqu'à ce que l'on ait fixé la redevance que les particuliers auront à payer pour l'eau qu'ils reçoivent. C'est une erreur.
Cette somme ne concerne pas les travaux exécutés pour les particuliers, mais des travaux exécutés par le gouvernement aux propriétés : que l'Etat possède dans différentes communes, pour les travaux relatifs à l'irrigation et au reboisement. Ce sont des avances qui seront en partie remboursées au gouvernement, lorsqu'il jugera a propos d'aliéner les propriétés sur lesquelles les travaux ont été exécutés. Ne pas entretenir de semblables ouvrages, ce serait renoncer au but que l'on s'est proposé en votant les crédits destinés au. défrichement. Ce serait une perte certaine sans aucune compensation.
- Le n°2° est adopté avec le chiffre 18,450 fr. proposé par la gouvernement.
(page 1721) « 3° Commissions médicales provinciales. Quatre mille trois cent trente-cinq francs soixante centimes, pour payer des frais de route et de séjour et des jetons de présence restant dus à des membres des commissions médicales provinciales, pour l'exercice 1852 : fr. .4,335 60.
« Cette somme sera ajoutée à l'article 126 du budget de 1854. »
- Adopté.
« 4° Indemnités pour bestiaux abattus en 1853. Trente-cinq mille francs, pour payer des indemnités dues pour abattage de bestiaux atteints de maladies contagieuses, en 1853 : fr. 35,000.
« Cette somme sera ajoutée à l'article 40 du budget de 1852. »
- Adopté.
« 5° Indemnités pour bestiaux abattus en 1852. Neuf mille deux cent quinze francs quarante-neuf centimes, pour payer des indemnités dues pour abattage de bestiaux atteints de maladies contagieuses, en 1852 : fr. 9,215 49.
« Cette somme formera l'article 134, chapitre XXIV, du budget de l'exercice 1854.
M. le président. - M. Jacques propose de porter le chiffre à 9,500 fr.
M. Jacques. - Je ne dirai que quelques mois pour développer mon amendement.
Au numéro 4, le chiffre de 35,000 francs comprend une somme de 5,129 francs pour les indemnités sur l'exercice 1852, à l'égard desquelles les pièces seront régularisées ultérieurement et transmises au ministère. Je trouve que cette allocation d'une somme à valoir est utile pour que le gouvernement ne doive plus nous demander ultérieurement de nouveaux crédits.
Mais pour 1853 on n'a demandé que la somme rigoureusement exacte pour satisfaire aux demandes à l'égard desquelles les pièces ont été admises jusqu'ici ; ces demandes ne concernent que sepl provinces ; celle de Luxembourg n'y est pas comprise. Or, je suis informé par une correspondance particulière qu'il reste dans la province de Luxembourg une indemnité à payer pour abattage d'un cheval ; cette indemnité n'a pas été régularisée jusqu'ici, et les pièces viennent seulement d'être transmises au ministère après régularisation, ou n'y seront peut-être transmises que prochainement.
C'est pour mettre le gouvernement à même de liquider cette indemnité que je propose d'arrondir le chiffre pour 1853 comme on l'a fait pour 1852. Je propose donc d'ajouter au crédit demandéde 9,215 francs 49 centimes une somme de 200 et quelques francs pour arriver au chiffre rond de 9,500 francs.
- L'amendement de M. Jacques est mis aux voix ; il n'est pas adopté. Le chiffre proposé par le gouvernement est adopté.
« 6° Hôtel de l'administration provinciale à Liège. Quatre mille six cents francs pour payer une partie de l'ameublement des salles du conseil provincial et de la députation permanente de la province de Liège : fr. 4,600. »
« Cette somme formera l'article 135, chapitre XXIV, du budget de l'exercice 1854. »
- Adopté.
« 7° Terrain des courses. Mille trois cent quatre-vingt-dix-huit francs quarante-cinq centimes, pour payer des dépenses dues relativement aux courses de chevaux : fr. 1,398 45.
« Cette somme formera l'article 136, chapitre XXIV, du budget de l'exercice 1854. »
- Adopté.
« 8° Dépemes extraordinaires d'ameublement de quelques hôtels provinciaux. Quatorze mille sept cent trente-cinq francs cinquante-cinq centimes, pour payer des dépenses extraordinaires d'ameublement de quelques hôtels provinciaux : fr. 11,755 55.
« A répartir ainsi qu'il suit, savoir :
« A la province d'Anvers, 2,629 51
« A la province de Flandre occidentale, 5,043 20
« A la province de Flandre orientale, 2,605 18
« Ala province de Liège, 2,950 08
« A la province de Namur, 1,507 58
« Ensemble, fr. 11,735 55.
« Cette somme formera l'article 137, chapitre XXIV, du budget de 1854.
M. Osy. - Messieurs, le crédit dont nous nous occupons n'était pas compris dans la première demande du gouvernement ; il a été réclamé à la section centrale postérieurement à l'examen en section.
Je trouve convenable que le gouvernement nous demande de rembourser à MM. les gouverneurs les frais auxquels ils ont été obligés lors du voyage de Sa Majesté et des princes à l'occasion du mariage de Son Altesse Royale. Mais je ne puis me dispenser de vous faire remarquer que pour Bruges on vous réclame une somme de 5,000 fr., tandis que pour Namur on vous demande seulement 1,500 fr. Je prends ces deux villes pour faire ressortir la différence des déclarations.
Il y a peu de jours nous nous sommes occupés d'une énorme dépense pour Bruges ; nous avons dit que maintenant que tous les bureaux étaient sortis du gouvernement provincial, les salons et les appartements de l'hôtel du gouverneur étaient beaucoup plus vastes à Namur, par contre, l'hôtel du gouvernement a été habité pendant trois ans par une personne qui n'était pas mariée ; il est resté vide pendant deux ans, et vous savez qu'un hôtel non habité se dégrade plus ou moins.
Eh bien ! l'honorable gouverneur de Namur a pu recevoir S. M. et les princes d'une manière très convenable avec une somme de 1,500 fr. et pour Bruges où. l'on a fait tant de dépenses, on nous demande 5,000 fr
Je demande si le gouvernement n'aurait pas dû faire des observations à M. le gouverneur de Bruges, et lui dire qu'on ne pouvait liquider une somme aussi forte ; alors que M. le gouverneur de Namur avait satisfait à tous les besoins avec 1,500 fr. et les autres gouverneurs avec 2,000 fr.
Je ne puis accorder, quant à moi, la somme de 5,000 fr., et je propose de la réduire à 2,500 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je puis assurer à la Chambre que les dépenses dont il s'agit ont été scrutées par le gouvernement avec la plus grande attention.
Si pour Bruges la somme est un peu plus forte que pour Liège et pour Namur, c'est parce qu'à Bruges il n'y avait presque pas d'ameublement, qu'il a fallu se procurer beaucoup d'objets d'une absolue nécessité et que l'hôtel du gouvernement de Bruges, bien qu'on y ait fait de grandes dépenses et qu'on doive encore en faire, était dans un état de dénuement presque complet. Voilà pourquoi il y a eu plus de dépenses à Bruges.
Mais, je le répète, on a donné à cette affaire tous les soins désirables et l'on ne pouvait faire avec moins d'argent.
- Le chiffre proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Les crédits spécifiés à l'article premier seront couverts au moyen des bons du trésor. »
- Adopté.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble du projet de loi.
70 membres sont présents.
63 adoptent.
1 rejette.
6 s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Landeloos, Lebeau, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Loos, Magherman, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Mohxon, Osy, Pierre, Prévinaire, Rogier, Ch. Rousselle, Thiéfry, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Vilain XIIII, Allard, Ansiau, Anspach, Boulez, Brixhe, Cans, Clep, Coomans, Coppieters, David, H. de Baillet, de Breyne, de Bronckart, de Brouwer de Hogendorp, de Decker, de Haerne, Delehaye, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Perceval, de Pitteurs, de Renesse, de Sécus, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, Dumon, Faignart, Frère-Orban, Julliot et Delfosse.
M. Jacques a voté le rejet.
Se sont abstenus : MM. de Naeyer, de Portemont, de Ruddere, Dumortier, A. Vandenpeereboom et Vander Donckt.
M. A. Vandenpeereboom. - Messieurs, il est possible qu'une partie des crédits demandés fût nécessaire pour faire face à des dépenses urgentes ; d'un autre côté, je suis disposé à ne voter ni crédits supplémentaires, ni crédits extraordinaires, ni crédits complémentaires lorsque ces crédits nous seront présentés dans les huit derniers jours de la session. C'est ce qui m'a porté à m'abstenir.
M. Vander Donckt. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que vient de développer l'honorable membre.
M. de Naeyer, rapporteur. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.
M. de Portemont. - Je me suis aussi abstenu pour les mêmes motifs.
M. de Ruddere. - Je me suis également abstenu pour les mêmes motifs.
M. Dumortier. - Indépendamment des motifs d'abstention que j'ai fait connaître l'autre jour, je remarque dans le projet plusieurs dépenses qui sont de véritables dépenses de budget, et qui ne peuvent pas faire l'objet de crédits supplémentaires ; d'un autre côté ces dépenses seront couvertes par des bons du trésor et les dépenses de l'Etat doivent être couvertes par des recettes, mais non pas par des bons du trésor.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot) déclare qu'il ne se rallie pas au projet de la section centrale.
M. Julliot. - Messieurs, selon moi, le projet en discussion fait trop, ou fait trop peu ; il fait trop s'il s'appuie sur le droit, car le droit lui échappe ; il n'en fait pas assez, s'il s'appuie sur le principe d'équité.
Le ministère a apporté un scrupule peut-être trop candide dans la présentation de ce projet.
Pour réussir, le gouvernement au lieu de ne demander que 100,000 francs aurait dû pétitionner un million. Cela lui aurait permis de satisfaire à de nombreux appétits de la même nature.
On dit que le projet sert à restituer dix pour cent de contribution que doivent payer les éditeurs sur leurs produits. Mais, le nom n'y fait rien, c'est une indemnité qu'on propose, due, dit-on, au point de vue de l'équité.
Or, où est le point du pays où il ne s'élève pas de réclamation de cette espèce ?
Si le gouvernement avait joint à la question des éditeurs celle, par exemple, de l'entrepreneur de la viande au camp, celle des propriétaires grands et petits d'Anvers qui éprouvent des contrariétés par la construction des fortifications, celle des gens réunis chaque fois que la loi ouvre une ligne de chemin de fer, notamment les cabaretiers, cette classe intéressante et influente dans la société, que la loi dans d'autres temps ne négligeait pas quand elle pouvait être utile au pouvoir.
Je dis que tous ces intérêts groupés dans le chiffre d'un million auraient émus beaucoup de cœurs, que les cœurs auraient dominé beaucoup de têtes, qui auraient fourni de nombreux votes approbatifs au projet.
Mais dans l'absence de cette habileté stratégique, négligée depuis quelque temps, la loi actuelle ne sera pas votée.
Je crois pouvoir le prédire sans trop de présomption, et pour que mes actes cadrent une fois de plus avec mes paroles, je serai le premier à lui refuser mon assentiment en votant contre le projet.
M. Lebeau. - Comme je suis le seul membre de la section centrale qui y ait soutenu le projet du gouvernement, je demande à la Chambre la permission d'exposer en peu de mots les motifs de mon opinion.
Je crois que la Chambre est avant tout préoccupée d'une crainte qui est très naturelle, que dans des circonstances analogues tout homme prévoyant doit partager, que je partagerais moi-même, si la loi actuelle, en s'écartant de tous les précédents, et en offrant des circonstances toutes spéciales, ne devait pleinement rassurer sur les inductions qu'on en voudrait tirera l'avenir.
La Chambre est certainement moins préocupée de l'importance du projet actuel que de l'importance du vote de ce projet comme précédent. Je crois que c'est là surtout ce qui a arrêté la majorité de la section centrale.
Je tâcherai de dire en peu de mots à la Chambre pour quelles raisons je pense que ces craintes sont exagérées, je dirai même sans fondement.
Je crois, messieurs, qu'un vote approbalif sur le projet actuellement en discussion ne peut pas former précédent, parce que le fait auquel il s'applique est tellement exceptionnel, sort tellement de tous les précédents qui pourraient avoir été posés, soit en matière de douanes soit en matière d'accises, que l'adoption du projet ne pourrait jamais servir d'appui à des prétentions analogues.
C'est un précédent sans analogie dans le passé et qui, je pense, restera complètement isolé, car ici c'est une véritable expropriation sans indemnité, c'est l'embargo mis sur une industrie au profit d'autres industries.
Ce n'est pas seulement un dommage causé à une industrie, comme celui qui résulterait, par exemple, d'un changement dans les droits de douane ou dans les droits d'accise ; c'est l'interdiction absolue d'une industrie nationale au profit d'autres industries nationales, d'une industrie qui a été tolérée depuis plus de 40 ans, qui a été encouragée au nom du gouvernement par des subsides, et quelquefois par des récompenses honorifiques.
Voilà, messieurs, des faits qu'on ne peut nier.
Si, dans cette industrie, qu'on attaque aujourd'hui et sur les opérations de laquelle les plus sévères ont cependant fermé les yeux pendant si longtemps, qui a été si souvent encouragée, il y avait eu eu effet quelque chose d immoral, il faudrait dire qu'en l'encourageant le gouvernement s'est fait son complice et que toute la Belgique en l'encourageant de son coté aurait été complice avec le gouvernement de ces prétendus « pirates », comme il paraît qu'on veut les qualifier aujourd'hui.
Cette qualification de pirates est venue d'une source très suspecte, Car elle émane spécialement des concurrents de cette industrie à l'étranger, elle est surtout venue d'un pays qui, au moment même où il accusait l’industrie belge de se livrer à une sorte de piraterie, ne se faisait pas faute d'exercer cette piraterie aux dépens des libraires de Londres, de Madrid, de Leipzig, de Berlin, de Vienne et même de Bruxelles, quand nous avons eu le bonheur de produire des ouvrages qui ont paru aux éditeurs français mériter chez eux les honneurs de la réimpression.
Messieurs, ce n'est pas une indemnité qui vous est demandée, mais un léger adoucissement qui puisse faciliter la transformation d'une industrie qui vient d'être frappée en une industrie plus stable et, si vous voulez, plus honnête, au point de vue international. Comme l'a dit tout à l'heure l'honorable préopinant, s'il s'agissait d'une indemnité, ce ne seraient pas quelques milliers de francs, mais des millions qu'il faudrait voter. Le gouvernement, du reste, s'en est expliqué de la manière la plus catégorique ; lui-même proclame qu'il n'y a pas ici de droit rigoureux.
Mais est-ce la première fois que le pays, mû par des considérations d'équité et d'humanité, alors que le droit rigoureux n'était plaidé par personne, a consenti à accorder des indemnités ? N'y a-t-il pas des précédents sans nombre à cet égard dans les fastes de nos assemblées délibérantes ? Ainsi, par exemple, esl-ce en vertu d'un droit rigoureux, n'est-ce pas seulement par des considérations d'équité, d'humanité, que les Chambres belges ont voté des sommes considérables pour adoucir les maux qui avaient frappé les propriétaires de maisons et de magasins à Anvers dans les journées de la révolution ? Evidemment le droit à une indemnité n'existait pas, et cependant, par des considérations d'équité et d'humanité la Chambre a voté des sommes considérables pour venir au secours de ceux dont les magasins étaient devenus la proie des flammes pendant la révolution.
On ne me dira pas qu'il y avait là un fait anormal, imprévu, un dommage emportant réparation, car quiconque vient s'établir dans une place forte, aux abords d'une citadelle, sait à quoi il s'expose ; il doit savoir que si la guerre éclate, les maux qui peuvent en résulter pour une ville forte sont toujours prévus et ne donnent jamais un droit formel à des réparations.
Dans une question beaucoup moins grave, dans une question qui a beaucoup plus d'analogie avec celle qui se présente aujourd'hui, lorsqu'il s'est agi de diminuer le droit d'accise sur les vins à la suite d'un trailé de commerce avec la France, on est venu réclamer une réduction de droit au nom des marchands de vins de la ville d'Anvers qui avaient déposé leurs vins aux entrepôts fictifs. Or personne ne s'est prononcé avec plus d'énergie en faveur de ces réclamations que l'honorable M. Osy. Voici dans quels termes s'exprima l'honorable membre :
« Je trouverais une injustice qu'ayant accepté comme contraint et forcé une convention dans le seul but de relever une branche d'industrie si intéressante que les toiles, de faire peser sur une seule branche de commerce la concession que nous avons dû faire à regret à la France, et il serait injuste de faire du bien à une industrie et de faire peser sur une autre la compensation » (Moniteur, du 23 août 1842.)
Remarquez, messieurs, avec quelle force, par quelle puissance d'analogie, l'opinion de l’honorable député d'Anvers s'applique au trailé franco-belge, où le bien fait à d'autres industries est à peu près exclusivement opéré aux frais d'une autre industrie.
L'honorable M. Osy distinguait bien entre les faits provenant des modifications apportées au régime de l'accise de celles qui s'attachent au tarif des douanes ; il se fondait spécialement sur ce que la modification se rattachait à l'accise. Je ne saisis pas bien la distinction ; mais pour être narrateur fidèle, j'ai dû la faire remarquer à la Chambre. Cette circonstance n'empêche point l'opinion de l'honorable M. Osy de s'appliquer par une incontestable analogie à la cause que nous défendons en ce moment.
L'honorable M. Osy proposait une remise égale à la réduction du droit. Cette remise était appuyée par un autre membre de la Chambre, M. Ch. de Brouckere, économiste distingué, que j'oppose avec confiance à M. Julliot.
- Une voix. - C'est M. Henri de Brouckere, M. Ch. de Brouckere n'étai pas alors membre de la Chambre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Si ce n'est lui, c'est donc son frère.
M. Lebeau. - Je crois que ni l'un ni l'autre des deux frères ne décline la qualité d'économiste.
L'honorable M. Mercier appuya la réclamation, il disait : « Je viens appuyer la réclamation des négociants en vins ; c'est mon intime conviction, elle est fondée, en équité, etc., etc. (Séance du 22 août 1842.)
L'honorable M. Coghen, ancien ministre des finances, appuyait également la proposition comme mesure d’équité et de transaction.
Ont voté pour la proposition, quoique vivement combattue par le gouvernement : MM. de Brouckere, Deschamps, de Decker, Delehaye, Delfosse, Liedls, Mercier, Osy, Rodenbach et Verhaegen. (Interruption.)
Oui, je sais bien que le ministère d'alors a conseillé au Roi de ne pas sanctionner la loi qui émanait de l'initiative de la Chambre ; mais j'ai vainement cherché les motifs de ce refus de sanction dms l'arrêté royal. Cet arrêté, fût-il même motivé, je crois qu'il ne ferait pas revenir l'honorable M. Osy sur l'opinion qu'il aurait exprimée. L’honorable M. Osy n'a pas l'habitude de déserter ses opinions, parce que le gouvernement les combat.
Si même des sentiments de simple équité ne suffisaient pas pour engager la Chambre à voter le léger subside qui est demandé par le gouvernement, à verser ainsi un peu de baume sur les plaies qu'on vient à faire à une industrie très ancienne dans le pays, au profit d'autres industries, il y a une raison de justice toute spéciale, puisée dans une disposition empreinte d'un véritable caractère de rétroactivité : ce sont les 10 p. c. qui sont exigés au profit, non des auteurs, mais des éditeurs français. M. est vraiment regrettable que le gouvernement belge ne soit pas parvenu à faire écarter une pareille prétention.
(page 1725) On le sait, ce n'est point par les auteurs qu'elle a été articulée. Peut-être en insistant plus énergiquement, cette clause du traité eût-elle été écartée. Le gouvernement, en présence d'une administration qui désirait vivement et avec raison attacher son nom à l'abolition, très populaire en France, de la réimpression belge, aurait dû obtenir qu'on écartât une clause qui frappe, en réalité, l’industrie belge d'une mesure de rétroactivité. C'est pour alléger les effets de cette clause ruineuse pour quelques éditeurs, que le ministre a réduit de ce chef à la somme de 70 mille francs le chiffre du subside qu'il demande de ce chef ; il était impossible de se montrer plus avare des deniers du trésor.
Au moment où cette industrie est frappée, peut-être plus encore pour le plus grand nombre des intéressés, dans leur imagination qu'en réalité, quand nous venons de voir ceux qui se croient le plus maltraités, de nombreux ouvriers, se conduire avec une louable modération, montrer, au milieu de leurs inquiétudes, de leurs anxiétés, un respect profond pour les pouvoirs légaux prêts à les atteindre, ne devons-nous pas leur tenir aussi quelque compte de ces bons sentiments ?
Cette conduite est toute simple, dit-on. Je l'accorde ; mais doit-elle pour cela n'être nullement prise en considération, quand cet exemple est donné par les soldats d'une industrie qui, dans d'autres pays, ne donnent pas toujours aussi bien l'exemple de leur résignation et de leur respect pour les pouvoirs établis et pour les lois.
- Un membre. - Les ouvriers ne toucheront rien.
M. Lebeau. - J'avoue que l’interruption me surprend. Je ne comprends pas que des hommes sérieux puissent faire une objection pareille : Les ouvriers ne toucheront rien ! Si vous parvenez à entretenir le travail dans quelques établissements typographiques, si vous empêchez des ateliers de se fermer, si vous ne renverser pas des établissements par le refus de toute espèce de secours ; si vous maintenez le travail, si vous permettez de donner suite à des travaux entrepris sous une législation qui les autorisait, n'aurez-vous rien fait pour les ouvriers ? Je ne comprends pas que les chefs d'établissement continuent à faire travailler sans que les ouvriers en profitent tout des premiers ? En accordant un subside, au profit de qui serez-vous intervenus ? Sans doute au profit des chefs de maison pour une part, mais aussi et plus spécialement au profit des travailleurs. C'est en m'arrêtant à cette considération, que je conjure la Chambre de ne pas marquer la fin de sa session par un acte contraire à tous les sentiments d'équité et d'humanité que la législature belge, en l'absence même d'un droit formel, a constamment montrés et spécialement aux classes ouvrières.
M. Osy. - J'aurais pu me borner à combattre par mon vote la disposition dont il s'agit, mais comme on a cité mon nom dans la discussion, je suis obligé de prendre la parole. En 1842, quand par suite du traité conclu avec la France, on a réduit le droit d'accise sur les vins, nous avons trouvé convenable de soumettre les vins en entrepôt fictif au même droit que ceux qui seraient importés sous l'empire de la convention. Comme l'a dit l'honorable préopinant, je n'ai pas l'habitude de déserter mes opinions, mais ici il n'y a pas désertion ; je me rallie à la majorité des Chambres quand elle a décidé.
Les deux Chambres avaient décidé que les vins en entrepôt fictif seraient soumis au nouveau droit établi en vertu du traité. C'est le gouvernement qui n'a pas jugé à propos de sanctionner le vote des deux Chambres. C'est le gouvernement qui a pensé qu'il ne fallait pas adopter le système des deux Chambres, il a fait connaître ses raisons, elles sont consignées au Moniteur.
Nous avons, ainsi que les marchands de vin, accepté la décision du gouvernement.
Il est possible que cette décision ait arrêté beaucoup de demandes d'indemnités qui auraient surgi sur la proposition que j'ai eu l'honneur de faire alors. Aujourd'hui c'est l’inverse des principes qu'on a suivis ; en 1842 ; on vient demander une indemnité pour une industrie qui se trouve lésée par un Traité. L'honorable M. Lebeau trouve que c'est une expropriation sans indemnité.
Eh bien, moi, je vais parler d'une autre expropriation sans indemnité.
Si votre loi est votée, vous aurez des réclamations semblables que vous serez obligés d'admettre si vous ne voulez pas commettre d'injustice. Je veux parler d'une industrie qui date de 1843, des bâtisses autour d'Anvers. Le gouvernement les a encouragées ; l'année dernière même, le ministre a sanctionné la construction d'un hôtel au pied d'un fort à Berchem.
M. le ministre de la justice (M. Faider). - La construction du fort est postérieure.
M. Osy. - En 1852, on a fait les fondations du fort, et ce n'est qu'en 1853 que l'hôtel a été commencé.
Il y a autre chose ; je ne parle pas des terrains qui sont dans le rayon de la ville d'Anvers. Le gouvernement a trouvé convenable de faire des forts là où l'on n'aurait jamais songé à en faire ; il se trouvait là des terrains qu'on allait vendre à très haut prix pour bâtir, le gouvernement s'oppose à toute construction ; n'est-ce pas une expropriation sans indemnité, que de défendre de bâtir sur des terrains qu'on était près de couvrir de constructions ? Si vous votez le subside de 70 mille francs, nous aurons bien aussi le droit de venir vous demander des indemnités ; je suis le premier intéressé à ce que vous le votiez parce que je suis la plus grande victime de l'interdiction de bâtir. Oh ! ne riez pas ; j'ai appuyé le gouvernement quand il a fait ce qu'il a jugé convenable pou la défense du pays ; mes voisins voulaient réclamer, je les ai engagés à ne pas le faire ; et vous n'avez jamais entendu une seule plainte.
En ce moment je dis que vous faites trop ou trop lieu.
On voulait faire 4 forts ; j'ai dit qu'il fallait en faire 7, conformément au plan. Ce n'est donc pas de ma part qu'il y aura une demande d'indemnité. Mais si vous votez le crédit de 100,000 fr. qui vous est demandé, tous les riverains de ces forts réclameront des indemnités, et ils auront parfaitement raison. Si vous n'accueillez pas leurs demandes, ou pourra dire que c'est un déni de justice.
On dit que, depuis 1840, cette industrie existe. Mais je vais vous citer un autre fait qui ne me concerne pas. L'année dernière, à une certaine distance d'Anvers, et dans le rayon, on avait demandé de faire des rues pour bâtir. Un de mes amis a vendu un terrain à raison de 36,000 fr. l'hectare. Immédiatement après est venue la défense de bâtir ; de sorte que l'acheteur n'a plus qu'à y planter ses choux. N’a-t-il pas le droit de demander des indemnités ?
Vous allez à la session prochaine modifier le tarif des douanes. Il y a des articles sur lesquels vous allez réduire le droit d’entrée. J’ai payé le droit actuel sur des matières premières qui après le vote de la loi entreront sans droit. N’ai-je droit à la restitution des sommes que j’ai payées ?
Je suis fâché qu'une industrie qu'on dit si intéressante ne puisse pas obtenir une indemnité ; mais je crois que ce serait un précédent des plus dangereux pour le trésor de la Belgique parce que vous seriez amenés à accueillir des demandes saln fin.
L'honorable M. Lebeau dit que ce n'est pas seulement pour les libraires, pour les chefs d'établissements typographiques que l'indemnité est demandée, c'est plutôt pour les ouvriers.
Je lui répondrai que dans le cas que j'ai cité tout à l'heure où des projets de construction ont été arrêtés, c'étaient aussi des ouvriers qui allaient en profiter. Ils ne pourront pas bâtir, l'analogie est donc complète.
Ce sont, je le répète, des précédents extrêmement dangereux. Par ces motifs, il me sera impossible de donner mon assentiment à la loi.
M. le président. - M. Coomans vient de déposer un amendement par lequel il propose de dire à l'article premier « dans l'intérêt des ouvriers typographes » au lieu de « dans l'intérêt de l'industrie typographique ».
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Il s'agit, dans le projet de loi, de la typographie ; il s'agit d'un crédit destiné à venir en aide à l'industrie typographique et, je le dis tout d'abord, de venir en aide particulièrement aux ouvriers.
A l'occasion de ce projet, l'honorable M. Osy vous a parlé des fortifications d'Anvers, des intérêts des propriétaires d'Anvers et du préjudice que leur causent les fortifications. Qu'il me permette de lui dire qu'il n'y a aucune analogie quelconque entre les questions dont il vous a entretenus et celle que la Chambre est invitée à trancher.
Tout ce qui concerne les fortifications est réglé par une législation que le gouvernement applique avec justice et avec fidélité ; niais ici il ne s'agit pas de savoir comment doit être appliquée une législation. Voici la question toute simple.
Le gouvernement a fait plusieurs traités avec la France. Ces traités favorisent éminemment certaines industries du pays, certaines provinces du pays, et il est incontestable qu'en même temps ils portent un préjudice momentané à une industrie qui jouissait d'une certaine prospérité.
L'industrie typographique pourra se relever plus tard, et dans mon opinion, elle se relèvera ; mais il doit s'opérer dans cette industrie une transformation qui sera assez pénible et qui aura pour premier résultat, si le gouvernement ne lui vient en aide, de faire cesser en grande partie le travail auquel se livre la typographie.
Voici comment la question a été portée devant vous : De nombreuses pétitions vous ont été adressées. Elles ont été examinées par la section centrale qui vous a fait le rapport sur le traité franco-belge.
Les pétitionnaires ont trouvé de nombreux protecteurs dans cette assemblée, et le gouvernement a été invité par la Chambre à lui faire un rapport sur ces pétitions. Rien ne nous eût été plus facile que de présenter ce rapport sans conclusion aucune. Mais nous avons cru que c'eût été manquer de franchise vis-à-vis de la Chambre. Nous avons donc présenté un projet de loi sur lequel vous prendrez telle décision que vous voudrez ; je vous déclare seulement que si le vote est favorable, il ne formera pas un précédent que l'on puisse invoquer dans une circonstance quelconque, parce que la position de la typographie est toute spéciale et que jamais ce ne sera celle d'aucune autre industrie.
D'ailleurs, le gouvernement ne pose pas une question de droit ; c'est une question d'équité qu'il vous soumet.
L'honorable M. Coomans a présenté un amendement qui tend à dire : « dans l'intérêt des ouvriers typographes » au lieu de « dans l'intérêt de l'industrie typographique. » C'est dans cette pensée que le projet de loi a été rédigé ; c'est principalement dans l'intérêt des ouvriers qu'il est présenté.
Car, remarquez-le, le crédit ne pourra être dépensé qu'en faveur des chefs d'ateliers qui feront travailler. C'est-à-dire qu'il aura pour résultat un travail qui sans cela ne se ferait pas. L'effet du projet de loi sera donc, que les ouvriers pourront continuer le travail dont ils seraient privés sans secours.
Je pense que ce simple exposé suffira pour déterminer la Chambre à voter le projet de loi. Je dois cependant lui dire en toute franchise que (page 1724) des 100 mille francs demandés, 70 mille seulement sont destinés à rembourser les 10 p. c. que les éditeurs belges seront éventuellement tenus de payer aux éditeurs français.
Je laisse à la Chambre à décider si elle veut réduire le chiffre de 100,000 fr. à 70,000 fr. ; sur ce point le gouvernement ne ferait aucune opposition. Mais je crois qu'il faut dans tous les cas que la Chambre mette le gouvernement à même de rembourser les 10 p. c.
M. Coomans. - M. Lebeau vient de prononcer un discours que j'appellerai l'éloge funèbre de la contrefaçon. Elle ne pouvait être mieux pleurée.
Il s'agit d'indemniser des industriels, arrêtés dans leurs spéculations équivoques. Je refuse le subside parce qu'il n'est pas dû, parce qu'il embarrasserait nos éditeurs, et parce qu'il ne soulagerait pas les souffrances que nous avons réellement causées.
La somme n'est pas due, je n'ai pas besoin de le prouver.
Elle embarrasserait nos éditeurs. En effet, les éditeurs français élèveront leurs prétentions quand ils sauront que l'Etat belge supporte une part des frais. Plusieurs industriels typographes et des plus habiles sont venus me prier de combattre le projet.
Enfin, le sacrifice n'irait pas à son adresse. Puisque nous invoquons les sentiments d'humanité, appliquons les ressources du trésor aux ouvriers que le traité dépouille de leur gagne-pain. A ce titre je le voterai ; sinon, non.
Un dernier mot. Le district que je représente a énormément souffert du rétablissement de la nationalité belge, glorieux événement qui a supprimé net des relations suivies et fructueuses avec le Brabant septentrional. Jamais les provinces d'Anvers et de Luxembourg n'ont obtenu d'indemnité de ce chef ; il est vrai qu'elles n'en ont pas demandé, à ma connaissance ; mais ce n'est pas un motif de faire des exceptions arbitraires et de froisser les règles de la justice distributive.
Je ne veux pas favoriser quelques hommes bien rentés, pour lesquels la Belgique s'est déjà imposé des sacrifices. Nous avons payé cher le plaisir de contrefaire les écrivains français.
M. le ministre prétend me convaincre que le but de mon amendement sera atteint, puisque les subsides ne seront accordés qu'aux contrefacteurs qui continueront de travailler.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est justement ma pensée.
M. Coomans. - Je le sais bien, mais elle n'est pas juste. En effet, vous donnerez de l'argent à ceux qui en ont encore assez pour continuer leurs opérations, et vous ne donnerez rien à ceux qui n'ont plus rien, étant ruinés par le traité. Les ouvriers de ces derniers n'auront rien non plus. C'est à quoi je ne puis souscrire. Les 100,000 francs seront alloués aux ouvriers, directement aux ouvriers ou à personne. J'espère bien que telle sera la décision de la Chambre.
- Plusieurs membres. - Très bien !
- D’autres membres. - Aux voix !
M. Coomans. - J'ai été court, messieurs, pour ne pas abuser de votre bienveillance à l'heure avancée où nous parlons. J'ai fini, mais je désire que le débat continue afin qu'on me réponde.
M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je ne répondrai que deux mots.
En supposant même que l'industrie de la reproduction des ouvrages étrangers eût été une industrie illicite, ce que je n'admets pas, il est incontestable que les opérations que le projet de loi actuel tend à favoriser sont parfaitement licites, puisqu'elles auront lieu en suite d'un traité fait avec le gouvernement du pays que l'ancienne industrie typographique belge lésait. Les opérations typographiques ayant même pour objet la reproduction des ouvrages étrangers, sera à l'avenir très licide, du moment où elles ont lieu conformément aux clauses du traité.
Ceci fait tomber toutes les observations de l'honorable M. Coomans, soit dit en passant.
En terminant, je fais un appel particulier aux représentants des provinces de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale et du Hainaut que le traité avec la France a énormément favorisées, tandis qu'une seule industrie aura énormément à souffrir et aura en quelque sorte servi de compensation pour le bien qui a été fait à ces trois provinces.
- La clôture et demandée.
M. Prévinaire (contre la clôture). - Je désire faire quelques observations pour rectifier un fait, je ne demaude que quelques minutes.
M. Cans. - Je demande aussi que la Chambre m'entende pendant deux minutes, pour que je puisse relever quelques faits qui ont été énoncés très irrégulièrement.
M. Lesoinne. - Je désire aussi dire quelques mots.
- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.
M. Lesoinne. - Lors de la discussion du traité avec la France, j'ai appelé l'attention du gouvernement sur la position malheureuse que ce traité faisait à certains éditeurs qui avaient commencé la publication d'ouvrages au moyeu de clichés et avec planches, et qui seraient dans l'impossibilité de remplir les engagements qu'ils avaient contractés.
J'ai demandé que, pour le cas où le traité serait adopté par les Chambres, le gouvernement voulut bien stipuler pour cette catégorie d'éditeurs, des indemnités, parce que je les considérais comme expropriés pour cause d'utilité publique.
Messieurs, je n'abuserai pas des moments de la Chambre ; je dirai seulement que je connais certains éditeurs, j'en connais un tout particulièrement, que le traité viendra ruiner complètement. Eh bien ! je fais ici un appel à mes honorables collègues des Flandres dont le traité d'après ce que vient de nous dire M. le ministre, avantage la position industrielle. Je leur demanderai d'être compatissant envers de plus malheureux qu'eux, envers ceux qu'on a sacrifiés à l'industrie de leurs provinces, et je les prierai d'adopter le projet du gouvernement.
M. Vermeire. - Messieurs, je ne rentrerai pas dans les considérations générales qui sont développées dans le rapport de la section centrale et auxquelles je me réfère.
Je ferai remarquer à la Chambre que le gouvernement, d'après l'exposé des motifs, croit pouvoir, au moyen des 70,000 à 80,000 francs, se mettre aux lieu et place des éditeurs belges qui seront obligés de payer la redevance de 10 p. c. Je demanderai au gouvernement comment il est parvenu à savoir si les 70,000 à 80,000 francs suffiront à payer ces redevances ? De quelle manière M. le ministre des affaires étrangères peut-il connaître si celles-ci s'élèveront à 70,000 ou 80,000 francs plutôt qu'à 200,000 francs ou même davantage ?
M. Lebeau demande une indemnité pour les pertes essuyées dans le passé ; M. le ministre veut venir au secours des pertes probables de l'avenir ; car, d'après le gouvernement, il ne s'agit pas d'ouvrages qui sont imprimés, mais d'ouvrages qui restent à faire.
Dans tous les cas, dit legouvernement, la somme proposée ne sera pas dépassée ; mais alors il me semble que l'exposé des motifs, comme je l'ai déjà remarqué dans le rapport, renferme une contradiction ou consacre une injustice. Il y a contradiction, si la somme de 70,000 à 80,000 francs n'est pas suffisante pour remplir les engagements que vous prenez, et il y a injustice si, après avoir pris ces engagements, vous ne pouvez les remplir.
Je crois que ces pertes ne seront pas aussi grandes qu'on veut bien nous le faire croire, et j'en trouve les motifs à la page 5 du projet de loi de la convention (Document, n°171). Voici ce que j'y lis :
« Quant à la partie matérielle des dispositions dont il s'agit, elle a été beaucoup modifiée par l'effet même du temps qui s'est écoulé depuis la signature de la convention. A cette époque, les intéressés ont pu, individuellement, obtenir connaissance des stipulations qui la touchaient (Voir avis inséré au Moniteur belge du 25 août 1852), et les mesures qu'ils ont été à même de prendre dans la prévision qu'il serait donné suite ultérieurement à l'arrangement, leur rendront aujourd'hui la transition beaucoup plus facile à supporter. La plupart des ouvrages de réimpression qui étaient eu cours de publication ont été complétés, etc. »
Encore une seule observation et je finis.
La somme qu'on demande est destinée, encore, à faciliter la transformation de la typographie, à accorder des subsides pour maintenir le travail dans les imprimeries pendant l'époque de transition, mais quand cette époque finira-t-elle ? Quand l'industrie sera-t-elle redevenue prospère ? Sera-ce dans un an ou dans dix ans ? Nous n'en savons rien. En votant donc le principe d'intervention nous pourrions nous engager d'une manière indéfinie.
Je dis, messieurs, qu'en votant le projet de loi tel qu'il est présenté nous consacrons un principe qui peut avoir les plus graves conséquences pour le trésor. Si, effectivement, il y a des intérêts si fortement atteints par le fait de la convention que l'équité exige une réparation, il serait préférable, d'après moi, que les intéressés fissent connaître leurs pertes individuelles.
Le gouvernement les apprécierait, et s'il croyait équitable d'accorder une indemnité, il pourrait présenter un projet de loi spécial que la Chambre examinerait.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, mon opinion ne peut pas être suspecte dans la question qui s'agite ici : Avant tout autre, j'ai démontré à la Chambre qu il n'y a pour la typographie aucun droit absolu à une indemnité. J'ai demandé ensuite combien il serait dangereux d'établir un précédent en faveur des industries qui se trouveraient lésés par suite de la conclusion de traités internationaux, un précédent qui leur attribuerait un droit à une indemnité proprement dite. Mais autre chose est une indemnité proprement dite et autre chose un soulagement pour aider à opérer la transformation d'une industrie. Or, ici, messieurs, il ne s'agit pas d'autre chose.
On a surtout fait valoir contre le projet de loi l'objection qui consiste à dire que le vote du crédit engagerait la Chambre pour des cas analogues ; eh bien, messieurs, il est très facile de faire voir en quelques mots qu'il s'agit d'un cas isolé qui ne peut plus se représenter. Supposons, par exemple, que le premier traité avec la France ait diminué la protection dont jouissait l'industrie drapière en Belgique et qui était à cette époque de plus de 100 p. c, supposons qu'il l'ait réduite à 10 p. c, il est évident que l'industrie drapière qui avait monté ses établissements sur une échelle en rapport avec cette protection a été lésée, qu'elle a vu ses bénéfices diminués ; mais ce n'est pas le cas dans lequel se trouve la typographie ; elle a cela de commun avec l'industrie drapière, mais il y a quelque chose de plus, c'est que pour tous les tirages supplémentaires qui sont autorisés par le traité, elle doit faire sortir de sa poche une somme déterminée, 10 p. c. ; c’est en cela que consistait le cas unique que jamais aucun traité n’a présenté et que jamais aucun traité ne présentera. C’est une espèce d’impôt dont on charge l’art du typographe, et c’est ce qu’on propose de faire acquitter en ses lieu et place par le trésor public.
(page 1725) Mais disent les honorables adversaires du projet, où s'engage-t on en allouant la somme demandée ? Eh bien ! messieurs, le gouvernement a eu des calculs très approximatifs sous les yeux et il a pris comme maximum la somme qu'il demande. Remarquez, messieurs, qu'il connaît les ouvrages en cours de publication en Belgique ; il connaît le nombre de clichés que chaque typographe possède ; il connaît aussi très approximativement le nombre des clichés qui peuvent encore servir à des tirages. Une enquête a donné au gouvernement tous les apaisements. C'est d'après ces diverses données qu'on est arrivé à fixer le maximum de 70,000 fr. Les autres 30,000 fr. doivent servir à quelques cas exceptionnels comme celui du sieur Avanzo et d'autres cas plus malheureux.
Il est évident que si, contre toute attente, cette somme de 70,000 fr. ne suffisait pas, on donnerait 7, 8 ou 9 p. c ; le 10 p. c. est un maximum.
Messieurs, ces espèces d'indemnités sont-elles sans exemple ? L'honorable M. Lebeau est allé en chercher bien loin de nous. Mais il y a des exemples que je puis emprunter même à la session actuelle. Dans l'intérêt de la défense nationale, le gouvernement venait de faire démolir des places fortes. Il était bien constant qu'aucune ville n'avait droit à une indemnité, et personne ne s'est avisé de demander une indemnité. Mais qu'a voulu la législature ? Elle a poussé le gouvernement à proposer, en faveur des villes intéressées, un léger sacrifice du trésor public, pour les aider à passer, sans une lésion trop forte pour leurs intérêts communaux, cette espèce d'époque de transition entre une ville ouverte et une ville fermée. C'est, en effet, ce qui a été voté par les Chambres.
- La discussion générale est close. On passe aux articles.
M. le président. - « Art. 1er. Il est ouvert au ministère de l'intérieur un crédit de cent mille francs (fr. 100,000), applicable aux mesures à prendre dans l'intérêt de l'industrie typographique, par suite de la convention littéraire conclue entre la Belgique et la France.
« Le gouvernement rendra compte de l'emploi de ce crédit, qui formera l'article 68bis du chapitre XIII du budget du département de l'intérieur pour l'exercice 1854. »
M. Coomans propose de substituer les mots : « dans l'intérêt des ouvriers typographes », à ceux-ci : « dans l'intérêt de l'industrie typographique ».
M. Mercier. - Il importe de bien se fixer sur la portée de cet amendement ; l'honorable M. Coomans a déclaré, dans ses développements qu'il entendait que l'indemnité fût payée directement aux ouvriers ; mais il n'a pas présenté une rédaction qui rende formellement sa pensée. M. le ministre a d'ailleurs expliqué que l'indemnité tournerait indirectement au profit des ouvriers. En tout cas il faut s'entendre sur la portée de l'amendement avant de voter.
- On demande que la Chambre vote d'abord sur la question de savoir si on allouera les 100,000 fr.
M. Coomans. - Si l'on vote sur cette question de principe, je ne pourrai dire ni oui ni non ; je devrai m'abslenir. Je veux le principe, mais à certaines conditions. Commençons par déterminer les conditions.
- La Chambre décide qu'elle votera d'abord sur la question de principe.
On demande l'appel nominal.
Il y est procédé.
64 membres y prennent part.
27 répondent oui.
35 répondent non.
2 (MM. Coomans et de Haerne) s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui : MM. Laubry, Lebeau, Lesoinne, Loos, Maertens, Mercier, Moreau, Moxhon, Prévinaire, Rogier, Ch. Rousselle, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Verhaegen, Allard, Anspach, Cans, Closset, David, de Decker, Delehaye, de Perceval, Dequesne et Devaux.
Ont répondu non : MM. Lejeune, Magherman, Mascart, Matthieu, Osy, Pirmez, Thienpont, Van Cromphaut, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vermeire, Vilain XIIII, Ansiau, Boulez, Brixhe, Clep, Coppieters 't Wallant, H. de Baillet, de Breyne, de Bronckart, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Pitteurs, de Portemont, de Renessc, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Frère-Orban, Jacques, Julliot et Delfosse.
M. le président. - Les membres qui se sout abstenus, sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Coomans. - J'ai été embarrassé de me prononcer sur un principe auquel je n'adhérais que conditionnellement.
M. de Haerne. - Je me suis abstenu, parce que, tout en approuvant la mesure en principe, je crains les abus dans l'application, d'après tout ce qui a été dit dans la discussion qui vient d'avoir lieu.
« Art. 2. Des crédits affectés à l'exécution de la convention littéraire, conclue avec la France le 22 août 1852, sont ouverts, savoir :
« Paragraphe premier. Au budget du ministère de l'intérieur pour l'exercice 1854.
« Chapitre XIII, article 68 ter. Personnel du bureau de la librairie : fr. 6,000 00.
« Chapitre XIII, article 68qualer. Matériel (frais de confection et d'apposition des timbres ; indemnités aux agents temporaires de ce service ; frais de copie des inventaires des ouvrages français réimprimés en Belgique ; achat de registres pour le dépôt légal ; acquisition d'ouvrages spéciaux de librairie ; impressions diverses) : fr. 18,000 00.
« Paragraphe 2. Au budget dn ministère des affaires étrangères, pour l'exercice 1854.
« Chapitre X, article 50. Personnel: fr. 1,500.
« Chapitre X, article 51. Matériel, loyer d’un local: fr. 500 00.
« Paragraphe 3. Au budget du ministère des finances
« Pour l’exercice 1854.
« Chapitre III, article 17. Service des douanes : fr. 6,666 57.
« Pour l’exercice 1855
« Chapitre III, article 17. Service des douanes : fr. 10,000 00.
« Total : fr. 41,266 67. »
M. le ministre des affaires étrangères a retiré les articles 30 et 31 du chapitre X et proposé, d'accord avec la section centrale, un paragraphe nouveau ainsi conçu :
« Les dépenses de personnel et de matériel à charge du ministère des affaires étrangères seront prélevées sur l'articles 23 du budget de ce département, pour les années 1854 et 1855. »
M. Osy. - Pour l'exécution de la convention, le gouvernement est obligé de créer des fonctionnaires et d'avoir un matériel, je demanderai à MM. les ministres si dans le département de l'intérieur ou les autres départements il ne pourrait pas trouver parmi les employés en disponibilité le personnel dont il a besoin, au lieu de nommer des employés nouveaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'y a pas d'employés en disponibilité au département de l'intérieur, le ministre est réduit aux limites les plus strictes pour l'expédition des affaires.
- L'article 2 est mis aux voix et adopté.
« Art. 3. Ces crédits, s'élevant ensemble à cent quarante-trois mille deux cent soixante-six francs soixante-sept centimes (fr. 143,266-67) seront couverts du moyen de bons du trésor, jusqu'à concurrence de fr. 133,266 67, et au moyen des ressources ordinaires de l'exercice 1855, jusqu'à concurrence de 10,000 francs. »
M. le président. - Il faut substituer au premier chiffre de fr. 143,266-67 celui de fr. 41,266-6'7, et à celui de fr. 133,266 67, le chiffre de 31,266-67.
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le jour de son insertion au Moniteur. »
- Adopté.
M. le président. - Quand la Chambre veut-elle procéder au second vote ?
- Un grand nombre de voix. - Immédiatement.
M. le président. - Le gouvernement persiste-t-il à maintenir l'article 1er ?
M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Oui, M. le président.
M. Rousselle. - Je demande la parole.
La décision que vous venez de prendre est très grave ; la Chambre ferait bien de suivre son règlement et de renvoyer à demain le second vote sur l'article premier.
J'entends dire : Si on veut exécuter le règlement ce n'est pas à demain mais à après-demain qu'il faut remettre le second vote. Je dis qu'avant de continuer un vote de la gravité de celui que nous avons émis on peut bien prendre vingt-quatre heures pour réfléchir.
M. Delehaye. - Si on réclame l'exécution du règlement, c'est à après-demain qu'il faut remettre le second vole. Mais vous ne pouvez pas espérer de changer la décision, car parmi les membres qui ont voté l'adoption de l'article premier, beaucoup, et je suis du nombre, l'on fait dans l'espoir que l'indemnité irait directement aux ouvriers.
Je demande qu'on passe immédiatement au vote.
M. le ministre des finances (M. Liedts). - our satisfaire tout le monde on pourrait remettre le second vote à demain. Ce ne serait pas plus une violation du règlement que quand la Chambre décide qu'il y a urgence et qu'on passera immédiatement au second vote. Si on renvoyait le second vote à lundi, je craindrais que la loi ne fût pas votée et il y a une partie de cette loi qu'il est indispensable de voter, c'est celle relative aux subsides nécessaires pour l'exécution de la convention.
M. Verhaegen. - e règlement doit protéger la minorité ; il suffit qu'une seule voix en réclame l'exécution pour qu'elle soit obligatoire. Il s'agit ici d'une expropriation dans l'intérêt général, l’objet est assez important pour qu'on y songe sérieusement. Ce n'est pas seulement un membre mais plusieurs qui réclament ; je demande qu'on ne passe au second vote qu'après le délai fixé par le règlement.
M. Coomans. - Si on demande l'exécution rigoureuse, judaïque du règlement, je ne m'y oppose pas.
Mais alors ce n'est pas demain qu'on peut voter, par différents motifs, d'abord : parce que le règlement le défend, ensuite, parce qu'il faut que tous nos collègues absents soient avertis. Ce serait donc lundi que nous (page 1726) aurions à voter, ce à quoi je ne m'oppose pas ni M. Verhaegen non plus.
Ensuite je ferai remarquer qu'à chaque fin de session on nous a fait voter au pas de course sur des objets beaucoup plus importants que celui-ci. Il y a eu des projets de loi de chemin de fer, il y a eu le projet de loi sur les bateaux à vapeur.
Nous avons voté tout cela en une soirée. D'honorables membres et moi nous avons donné d'excellentes raisons pour ajourner la discussion et l'on m'a envoyé... dans mon lit.
J'insiste donc pour que le second vote ait lieu après-demain conformément au règlement.
M. de Mérode. - J'appuie fortement l'opinion émise par l'honorable M. Verhaegen que le règlemenl, quand quelqu'un en exige l'exécution, doit être exécuté strictement. Il serait très mal de notre part de quitter, avant d'avoir rempli complètement nos devoirs.
Il ne s'agit pas de savoir s'il nous convient de nous en aller samedi ou lundi, ce n'est pas là ce qui importe au pays. Sans doute, il me serait plus agréable à moi-même de m'en aller le plus tôt possible ; mais je suis prêt à rester aussi longtemps que l'exige la chose publique. La question est très sérieuse. Peut-être s'agit-il de poser un précédent fâcheux qui serait onéreux pour le trésor.
D'autre part, peut-être est-il à propos de voter le crédit demandé par le gouvernement. Dans de telles circonstances, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de se conformer au règlement. On ne peut pas brusquer une décision aussi grave uniquement pour le plaisir de rentrer chez soi.
Le mois de mai n'est pas terminé, l'indemnité est payée pour le mois. Nous devons remplir les devoirs pour lesquels nous avons reçu notre indemnité.
M. le président. - Puisque l'on n'est pas d'accord, le règlement recevra son exécution ; le second vote ne peut avoir lieu avant dimanche.
- La Chambre, consultée, fixe le second vote à dimanche à midi.