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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 28 février 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 775) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Les membres du bureau de bienfaisance de Thielt demandent des modifications aux lois sur l'admission et l'entretien des indigents dans les établissements de charité. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach, qui appelle l'attention de M. le ministre de la justice sur les nombreuses pétitions de même nature qui lui ont été renvoyées, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Betecom prie la chambre de voter les fonds nécessaires à la construction d'un pont-barrage sur le Demer, entre Aerschot et Werchter. »

- Même renvoi.

« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent le maintien de l'organisation actuelle de la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de lot qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.


« Les gardes civiques de la commune de Schaerbaek prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »

- Même renvoi.


« Des propriétaires, négociants et fabricants à Contich prient la chambre d'adopter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout. »

« Même demande de l'administration communale d'Edegem. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des distillateurs agricoles dans le Hainaut présentent des observations sur le projet de loi concernant les distilleries. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Des distillateurs dans le Hainaut présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur les distilleries qui réduit à 26 fr. le taux de la décharge. »

- Même renvoi.


« Plusieurs propriétaires et locataires à Verviers demandent que certains actes relatifs à l'expulsion des locataires soient exempts des droits de timbre, de greffe et d'enregistrement, et que les délais entre la notification du congé et la cessation du bail soient abrégés et uniformes dans tout le royaume. »

- Dépôt sur le bureau pendant fa discussion de la proposition de loi concernant l'expulsion des locataires.


« L'administration communale d'Hoogstraeten déclare protester contre toute assertion qui tendrait à faire croire que les habitants de cette commune ont eu l'intention de renoncer à l'exécution du canal de Turnhout à Saint-Job in 't Goor et demandent l'achèvement immédiat de ce canal. »

« Même déclaration de l'administration communale de Westmalle et de Saint-Job in 't Goor. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout.


« Des électeurs à Boisschot demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des habitants de Reyem demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune, et qu'une partie des contributions foncières payées par le fermier à la décharge du propriétaire lui soit comptée pour former le cens électoral. »

« Même demande des habitants de Zuyenkerke. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Florennes demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que les districts électoraux soient composés de 40 mille âmes. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Gembloux demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

« Même demande des électeurs à Lierneux, Hulshout, Zolder et Blevens. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Bruxelles demandent qu'il ne soit apporté aucun changement à la loi électorale. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Borlier demandent que les élections aux chimbres se fassent su chef-lieu du canton et que les districts électoraux «oicul composés de 40,000 âme* ayant chacun un représentant à nommer.

- Même renvoi.


« Des électeurs à Helchteren demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40.000 âmes, que l'élection se fasse dans la commune ou par fraction de canton et que le cns électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Wolverlhem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton ou par fraction de canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Renaix demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté.

« Même demande des électeurs à Caloo, Verrebroek, Sainte-Marguerite, Viane. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Bois de Lessinnes demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou du moins au chef-lieu du canton, et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Lubbeek. »

- Même renvoi.


« M. Stephens fait hommage à la chambre de 3 exemplaires d'un mémoire sur un projet de chemin de fer de Huy à Landen par Hannut. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Il est donné lecture de la lettre suivante :

« Bruxelles, 25 février 1853,

« Monsieur le président,

« Obligé, pour des raisons de famille, de m'absenter dans un moment où j'aurais surtout désiré de prendre part aux travaux de la chambre, je viens vous prier de m'obtenir d'elle un congé dont je ne suis point le maître de fixer exactement la limite. Veuillez donner à la chambre lecture de la présente lettre et recevoir, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

« Comte de Mérode-Westerloo,

« Représentant de l'arrondissement de Turnhout. »

- Le congé est accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Dépôt

1° Crédit au département de l'intérieur de 971,551 fr. dont 217,243 fr. ne constituent que des transferts ;

Projet de loi prorogeant les lois du 31 janvier et 15 avril 1852 sur les droits différentiels

Dépôt

2° Prorogation des lois des 31 janvier et 15 avril 1852 relatives aux droits différentiels ;

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

Crédit de 16,921 fr. 34 c. au département de la guerre (créances arriérées à liquider sur des exercices clos) ;

Projet de loi portant les budgets de la dette publique, des voies et moyens, et des ministères des affaires étrangères, de l'intérieur et des travaux publics, de l'exercice 1854

4° Budgets, pour l’exercice 1854, des travaux publics, des affaires étrangères, de la dette publique, de l'intérieur et des voies et moyens.

(Ce dernier budget est accompagné de deux rapports, relatifs l'un à la révision du cadastre, l'autre à l'encaisse des provinces.)

- La chambre donne acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l'impression, la distribution et le renvoi aux sections.

Proposition de loi relative à la mise à la retraite des officiers d’origine étrangère

Développements et prise en considération

M. de Perceval. - Messieurs, en vous demandant d'appliquer aux officiers d'origine étrangère qui servent dans les rangs de l'armée belge, la même mesure que le gouvernement vous a proposée récemment et que vous avez adoptée à l'égard des officiers d'origine polonaise, j'ai cédé non seulement aux conseils da mes propres convictions, mais j'ai voulu aussi donner satisfaction aux vœux manifestes de l'opinion publique, au sentiment national que nous ne saurions assez respecter lorsqu'il s'agit des questions qui touchent d'une manière si directe à la défense du pays.

Ce dernier motif me permettra d'être bref dans les développements de ma proposition de loi, car je ne veux ofîenser ni votre patriotisme, ni la connaissance que vous possédez de l'état drs esprits dans la capitale, dans les provinces, dans l'armée elle-même.

Vous le savez, messieurs, l'Europe est loin d'être dans une situation normale ; elle n'est calms qu'à la surface ; au fond, elle est agitée, inquiète sur l'avenir.

De là, pour la représentation nationale belge des devoirs impérieux. Les précieux intérêts qui lui sont confiés lui ordonnent de prendre en (page 776) temps opportun toutes les précautions possibles contre des événements à prévoir, de quelque côté qu'ils viennent.

A moins que vingt-deux années d'existence comme nation ne nous aient fait complètement déchoir, nous devons être prêts, mieux encore qu'en 1830, à immoler nos désirs personnels, nos aspirations individuelles, nos affections privées au salut de la même grande cause ; j'entends : la conservation de nos institutions, le maintien de nos libertés, l'intégrité du territoire.

Jusqu'à ce que la politique générale perde ce caractère vacillant, si susceptible de brusques revirements, les pouvoirs publics, dans notre pays, ont à leur ordre du jour, d'une manière permanente, la solution du problème que voici :

« Chercher et réaliser les moyens de conserver, en tout cas, l'honneur et la nationalité de la Belgique. »

J'ai l'intime conviction que nous sommes d'accord sur ces deux points essentiels ; nous voulons tous qu'au milieu des événements qui pourraient surgir de l'état actuel des choses, l'honneur de la Belgique, dans le sens le plus large du mot, reste aussi intact que son indépendance, que sa nationalité. Je dirai plus ; à ce sujet, l'unanimité ne se borne pas à cette chambre, elle s'étend à tous les pouvoirs, à tous les citoyens du pays.

Ces prémisses étant posées et admises, je vais prendre à tâche de vous démontrer :

En premier lieu, qu'en face des éventualités possibles, éventualités dans la prévision desquelles nous nous sommes déjà imposé des sacrifices considérables d'argent, il y a, pour la Belgique, une obligation d'honneur à dégager du serment qu'ils ont prêté, les 161 officiers d'origine étrangère, en activité dans les rangs d'une armée qui devra, le cas échéant, défendre énergiquement la nationalité contre tous ceux qui vaudraient y porter atteinte.

En second lieu, qu'indépendamment des devoirs de la Belgique à l'égard de ces officiers qui ne sauraient être forcés de se battre contre leur pays natal quel qu'il soit, la force morale nécessaire à nos soldats, c'est à-dire l'intérêt de notre propre défense, nous dicte encore cette même règle de conduite.

De sorte que, dans l'ordre de mes convictions, l'honneur et la nationalité plaident à la fois en faveur de l'adoption de ma proposition de loi.

J'entre en matière.

J'ai dit qu'en présence de l'incertitude de l'avenir, la mise à la retraite des officiers d'origine étrangère est pour le peuple belge une question d'honneur, un devoir auquel il ne saurait se soustraire sans faillir à ses propres sentiments et sans s'amoindrir aux yeux des autres nations civilisées.

Je vais essayer de le prouver.

Messieurs, si, d'une manière générale, je vous posais cette question :

Est-il permis de se défendre, au besoin, par la force des armes, lorsque le droit est méconnu en nous par autrui et violemment ? Votre réponse serait affirmative, j'en suis certain. Mais si, spécifiant le cas, je vous demandais :

Peut-on tenir cette conduite quand les actes d'iniquité ou de violence dont il s'agit sont posés par un père ou par une mère ?

La réponse, quoique toujours unanime, serait alors bien différente.

Vous jugeriez qu'il vaut mieux s'incliner respectueusement devant d'aussi regrettables écarts, et qu'il est toujours honorable de s'y soustraire sans résistance.

Or, messieurs, ce qui, en pareil cas, est un devoir d'un ordre élevé vis-à-vis de l'auteur de nos jours, ne constitue-t-il pas dans un cas analogue un devoir d'un ordre tout aussi élevé envers le pays natal auquel l’on se trouve de même rattaché, malgré soi, par d'impérissables souvenirs, par des obligations imprescriptibles ?

Oui, sans aucun doute.

Et à l'appui de mon affirmation, j'invoque la conscience des peuples, laquelle a toujours stigmatisé comme très coupables ceux qui, dans les rangs d'une armée étrangère, ont tiré l'épée contre leur patrie.

Si vous maintenez dans l'armée belge les officiers d'origine étrangère, l'histoire, qui demande compte aux peuples des actes posés dans la plénitude de leur volonté et qui les juge en conséquence, l'histoire aurait peut-être à constater qu'à peine la constance héroïque de nos pères nous avait-elle dotés d'une patrie, qu'en fils dégénérés, trahissant leur mémoire, nous avons sans motifs manqué de foi dans notre propre valeur au point d'exiger de quelques-uns de ceux qui sont venus à nous dans des circonstances exceptionnelles, de tirer l'épée contre leur pays natal, et cela sous prétexte d'un serment prêté dans un moment de généreuse illusion.

Nous déciderions donc indirectement qu'il est désormais honorable de porter les armes contre sa patrie dans les rangs d'une armée étrangère !....

Mais, m'a-t-on dit hors de cette enceinte, les officiers auxquels vous proposez d'accorder une retraite aussi honorable pour eux que pour la Belgique, ces officiers ont été la plupart naturalisés. Aux yeux du législateur, ils ne peuvent plus avoir envers leur ancienne patrie, les sentiments d'amour, de vénération, de dévouement que vous leur attribuez. C’est librement qu'ils ont demandé à devenir Belges, c'est librement que le pouvoir législatif les a admis, comme tels, à jouir des droits civils et politiques au même titre que les citoyens nés dans le pays.

L'objection que je viens de rapporter n'est, en réalité, qu'une vaine illusion, une subtilité contre laquelle proteste le sentiment intime de chacun ; un instant de réflexion suffit pour la faire disparaître. Je le démontrerai dans ma deuxième partie.

J'ai eu soin de dire, messieurs, que cette objection m'a été faite hors de cette enceinte. Je ne veux pas croire qu'il puisse se trouver quelqu'un parmi les ministres qui ont proposé, et parmi mes honorables collègues qui ont voté le projet de loi sur la mise à la retraite des officiers d'origine polonaise, tous naturalisés Belges, qui viendrait, après cela, donner au pays l'étrange spectacle d'une semblable argumentation.

En posant l'acte récent que je viens de rappeler, le gouvernement et la chambre, à la majorité de 79 voix contre 3, ont déclaré que lorsqu'il s'agit d'acquérir la moindre garantie nouvelle en faveur de notre nationalité, l'objection qu'on pourrrait essayer de tirer de la naturalisation des officiers au service belge, doit être considérée comme n'ayant pas la moindre valeur à l'égard du principe même d'une mesure reconnue utile, mais que cette objection mérite d'être prise en considération lorsqu'il s'agit de fixer la position ultérieure des personnes qui en sont l'objet. Ma proposition de loi a été conçue et rédigée dans ce double sens.

Me résumant sur cette première partie, je crois avoir prouvé qu'un sentiment intime, inné, impérissable dans l'homme, sentiment qui existe chez tous les peuples d'autant plus vivement que l'intelligence des droits et des devoirs y est plus développée, a, de tout temps, proclamé l'honneur, la dignité de ceux qui dans les rangs d'une armée étrangère ont refusé de combattre contre l'armée de leur pays natal, leur véritable patrie.

J'ajoute, qu'en ne mettant pas les officiers étrangers dans la position honorable qu'indique ma proposition, vous les garderez dans une situation anormale, équivoque, qui doit les humilier comme elle ne peut ausii que froisser le sentiment national.

D'où je conclus, conformément à ce que j'ai affirmé tout d'abord, qu'en présence des diverses éventualités possibles et des conditions opposées qui en peuvent résulter pour la défense de notre nationalité, il y a pour la Belgique nécessité d'appliquer aux officiers étrangers, à tous indistinctement, la même mesure que la chambre a prise, sur l'initiative du cabinet, contre les officiers d'origine polonaise.

Cela posé, je passe à la seconde partie de mes développements.

Elle consiste à faire voir que la force morale de notre armée et notre propre conservation exigent l'adoption du projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous soumettre.

Ce qui constitue la valeur, la puissance d'action d'une armée aux prises avec l'ennemi, ce n'est pas seulement l'esprit de discipline, une excellente instruction militaire, le profond sentiment de la bonté, de la justice de sa cause, c'est encore, c'est au-dessus de tout, sa confiance absolue, illimitée, aveugle même dans ses chefs, dans tous ceux qui exercent un commandement.

On ne me contestera point cette vérité admise comme un axiome par tous les hommes de guerre.

Dès lors, le premier devoir du gouvernement belge, le devoir surtout de la représentation nationale, n'est-ce pas d'aviser aux moyens de donner à nos soldats la plus grande force morale possible sur le champ de bataille ?

A ce sujet, nous sommes bien d'accord, j'en suis certain. Sans force morale point de ténacité dans le courage, point de ferme espoir dans le triomphe, aucune énergie patriotique.

Pénétré de ces idées, je me suis demandé si, dans l'hypothèse d'une tentative de conquête de la Belgique par l'une ou l'autre des nations avoisinantes, nos soldats, nos concitoyens ne se battraient pas mieux s'ils étaient commandés pour la totalité par des nationaux, que s'ils étaient commandés en partie par des officiers appartenant originairement an pays envahisseur ?

Le projet de loi que j'ai déposé me dispense de vous expliquer le sens de ma réponse.

Lorsqu'un intérêt aussi grave se trouve en jeu, j'ai voulu, quoi qu'il arrive, n'avoir rien à me reprocher.

Quant à vous, messieurs, vous ne serez pas de ceux qui avouent le danger (danger d'ailleurs trop évident, trop palpable pourqu'il soit possible de le méconnaître), mais qui pensent qu'il sera toujours assez temps de prendre des mesurée salutaires. Car, ceux-là se bercent d'une illusion bien dangereuse, qui s'imaginent qu'on avertira la Belgique de l'heure à laquelle on tentera de l'envahir pour détruire ses libertés, ses institutions, sa nationalité.

La carte politique européenne a subi des changements notables depuis l'époque où la plupart des officiers compris dans ma proposition de loi sont entrés au service de la Belgique.

La révolution de juillet et celle de septembre 1853 avaient mis la France et la Belgique dans la même position touchant les monarchies dn continent.

De part et d'autre une royauté constitutionnelle comme pivot de l'Etat, comme gage de stabilité, avec des institutions représentatives comme moyens de gouvernement. Les deux pays, chacun suivant le génie qui lui est propre, avaient inauguré une ère presque entièrement nouvelle. Un intérêt de conservation, leurs affinités politiques leur commandaient de s'unir étroitement, et, au besoin, de se prêter un mutuel appui.

i.'occasion ne se fit pas attendre. A deux reprises différentes, l'armée française vint servir les intérêts de son pays en défendant ceux de notre (page 777) nationalité, et chaque fois, son devoir accompli, je le dis pour la gloire de la royauté de juillet, elle s'était retirée spontanément de notre territoire.

A cette époque, aux yeux des officiers français, qui ont prit du service en Belgique, se trouver dans les rangs de l'armée belge, c'était, en réalité, servir dans une avant-garde de l'armée française.

Je vous le demande, messieurs, la main sur la conscience, ces officiers seraient-ils venus nous offrir l'appui de leur épée, le serment de leur dévouement, s'ils avaient pu prévoir une autre situation de la Belgique envers leur patrie ?

Non, sans doute.

Toutefois leurs illusions d'alors, illusions partagées d'ailleurs pendant longtemps par la nation belge elle-même, toutes ces illusions, dis-je, n'ôtent rien, absolument rien aux réalités actuelles.

Depuis l'admission de ces officiers, la dynastie de juillet si étroitement unie à la nôtre, est allée en exil, la république a été proclamée, et l'empire est venu réveiller chez les peuples d'anciennes idées de conquête territoriale.

Un pareil état de choses leur crèe d'autres devoirs tout aussi bien qu'à nous. Dégageons-le s messieurs, d'un serment prêté, je le répèle, dans un moment de généreuse illusion et ne nous montrons pas ingrats pour les services qu'ils ont rendus.

Il ne me coûte pas de le dire, c'est d'abord la fâcheuse position des officiers français, ainsi que les dangers qui pourraient en résulter pour la Belgique, qui m'a suggéré ma proposition de loi. Des réflexions ultérieures m'en ont fait étendre l'application à tous les officiers d'origine étrangère indistinctement.

J'ai pensé que les brusques revirements auxquels nous venons d'assister doivent nous servir d'enseignement. Il y aurait de la présomption à dire : Telle chose sera, telle autre ne sera pas. Qui peut prévoir ce que l'avenir nous réserve ? Dans ces conjonctures, il faut procéder avec prudence, avec circonspection. Aurons-nous la guerre ? ou bien conserverons-nous la paix si féconde, si nécessaire, pour toutes les nations ?

Les événements seuls nous l'apprendront.

Ai-je besoin de vous dire que mon vœu le plus cher est que toutes les questions posées actuellement en Europe par le développement de l'histoire, questions de politique intérieure, questions sociales, questions de nationalités, que toutes se résolvent d'après la justice, selon la vérité, conformément aux principes chrétiens ? Mais, qui oserait m'assurer qu'il en sera ainsi, et que tôt ou tard la guerre n'éclatera pas comme moyen suprême ?

De quel côté serons-nous alors envahir, si nous le sommes un jour ? Où seront nos principes politiques ? Quelles destinées, quels intérêts s'allieront aux nôtres ? Vers quelle frontière seront nos alliés et où seront nos ennemis ?

Nous ne le savons pas.

Agissons donc avec sagesse et n'attendons pas l'heure de la crise. La tâche sera encore suffisamment lourde.

Qu'au jour du danger notre armée se trouve en face de l'ennemi, quel qu'il soit, sans aucune arrière-pensée, avec la conviction que petits et grands, officiers, généraux, soldats, tous, sont animés des mêmes sentiments patriotiques ; cette idée exaltera, multipliera leurs forces sur le champ de bataille. Ne les exposez pas, n'exposez pas le pays à ce que des doutes, des appréhensions qui vous n'empêcherez point, viennent ébranler les rangs au moment décisif.

Les sacrifices que nous impose la force morale, si nécessaire à l'armée quand le pays est menacé, peuvent-ils nous trouver moins empressés que ceux nécessaires à sa force matérielle ?

En douter serait offenser vos intentions.

C'est sous l'empire de ces sentiments que j'ai rédigé ma proposition de loi. Elle garde, à l'égard de tous les gouvernements, un caractère de parfaite neutralité, elle ne peut blesser aucune susceptibilité, elle est éminemment nationale.

Les officiers polonais envers qui vous avez déjà pris, sur l'initiative du cabinet, une semblable décision, pouvaient-ils se trouver, comme ceux dont il s'agit aujourd'hui, dans l'éventualité d'avoir à tirer l'épée contre leur patrie ?

Non, messieurs. Jusqu'à la résurrection de la Pologne comme nation, il n'y a plus de patrie pour eux, et la Belgique aurait pu jusque-là compter de leur part sur un dévouement sans bornes. Aucune défiance ne pouvait naître contre eux dans les rangs de notre armée.

Quant à supposer qu'en cas d'invasion de la Belgique par la France, le gouvernement russe aurait refusé de nous prêter son appui, parce que notre armée comptait quatorze officiers polonais, il suffit d'énoncer cette idée pour en faire justice.

Ainsi, ni la force morale de notre armée, ni les intérêts de notre nationalité n'étaient sérieusement en cause pour justifier la décision que nous avons prise à leur égard.

Peut-on en dire autant des 161 officiers de tous grades, nés dans les pays qui entourent la Belgique, et qui figurent, encore dans nos régiments, sans compter 75 autres officiers nés en Belgique d'un père étranger ?

Je livre ces chiffres, et les réflexions qui les accompagnent aux méditations de la législature.

Permettez-moi, messieurs, de placer ici une dernière considération.

Pour arriver à posséder ce bien précieux, si longtemps ambitionné par nos pères, d'être un peuple libre, je l'ai déjà dit et je le répète, rien ne vous a coûté : ni sacrifices d'argent, ni sacrifices de sang, ni sacrifices d'affection.

Pour achever votre œuvre, pour avoir un nom et un rang parmi les nations, n'avez-vous pas. en 1839, pris à votre charge une grande partie de l'ancienne dette, n'avez-vous pas mutilé votre territoire, enfin ne vous êtes-vous pas séparés de 300,000 de vos concitoyens ?....

Sont-ce de semblables sacrifices que je vous demande aujourd'hui, aujourd'hui qu'il importe de défendre, par tous les moyens d'honneur, cette nationalité si laborieusement, si durement obtenue ?

Non, messieurs. Il s'agit d'une mesure qui doit honorer les pouvoirs publics, qui relèvera le peuple belge aux yeux des autres nations, comme elle est un hommage rendu aux sentiments intimes de ceux qui en sont l'objet.

J'ai dit.

- Cette proposition est appuyée.

Prise en considération

La discussion est ouverte sur la prise en considération.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, lorsque dans une de vos dernières séances, lecture vous a été donnée de la proposition qui nous occupe en ce moment, j'ai déclaré, au nom du gouvernement, que je m'opposeraisàh sa prise en considération.

Cet avertissement n'a étonné aucun de vous, et je ne crains pas d'avancer que si la proposition devait obtenir de votre part un accueil quelque peu favorable...

M. Moxhon. - Je demande la parole !

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - ... que si la proposition devait obtenir de votre part un accueil quelque peu favorable, le moins surpris d'entre vous ne serait pas son honorable auteur. En effet, messieurs, plus qu'aucun de vous, il a dû, par la position qu'il a prise, examiner les différentes questions que soulève sa proposition, il a dû comprendre les difficultés qu'elle fait surgir, il a dû sentir l'impossibilité de leur donner une solution affirmative.

Qu'a voulu, je le suppose du moins, l'honorable auteur de la proposition ? Il a voulu appeler l'attention du gouvernement sur une question grave, qui engage à un haut degré sa responsabilité. Mais je n'hésite pas à le lui dire, son but était atteint avant même qu'il eût déposé sa proposition.

Nous devons commencer, messieurs, par mettre hors de cause, par placer entièrement en dehors de la discusson la mesure récemment prise par le gouvernement. (Interruption à l'entrée des tribunes réservées.)

Qu'on m'interrompe dans la chambre, j'y consens, mais qu'on m'interrompe dans les tribunes, je trouve que la permission est un peu grande.

M. le président. - Les tribunes doivent rester silencieuses. Je les préviens que celui qui se permettra la moindre manifestation sera immédiatement expulsé.

- Plusieurs membres. - C’est à l'entrée des tribunes qu'on a fait du bruit.

M. Thiéfry. - Il n'y a pas eu d'interruption. C'est pour entrer dans les tribunes que l'on a fait du bruit.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - La chose s'explique parfaitement, et je retire l'observation que j'ai faite.

Je repète donc, messieurs, qu'il faut mettre hors de cause, en dehors de la discussion, la mesure prise récemment par le gouvernement à l'égard de quelques officiers qui se trouvaient dans une position exceptionnelle. Cette mesure, remarquez-le bien, n'émane pas de la chambre ; elle émane de la résolution spontanée du gouvernement ; seulement la chambre, sur la proposition qui lui en a été faits par nous, a sanctionné la mesure et l'a sanctionnée d'une manière digne d'elle.

Il n'y avait, messieurs, dans cette mesure rien de personnel, rien de fâcheux pour ceux qu'elle atteignait : aussi a-t-elle été approuvée par tout le monde et dans cette chambre et dans ie pays. Vous n'avez entendu ni blâme, ni plainte d'aucune part, et je le dis avec une véritable satisfaction, la mesure n'a même pas été mal accueillie par ceux qu'elle concernait, parce qu'ils en avaient compris et l'opportunité et la nécessité.

Existe-t-il, messieurs, pour que vous approuviez la mesure que l'on vous présente aujourd'hui, des raisons du même genre ? Peut-on faire valoir, avec une apparence de fondement, des motifs politiques, des motifs pris dans des considérations de sûreté de l'Etat ?

Mais s'il en était ainsi, messieurs, le gouvernement comprend trop bien ses devoirs, il sait trop bien la responsabilité qui pesé sur lui pour avoir attendu l'initiative de l'honorable M. de Perceval.

Il n'y a, messieurs, pour prendre cette mesure ni demande du dedans ni demande du dehors. Quand je dis qu'il n'y en point qui parte du pays, je me trompe. Quelues voix isolées ont, je le reconnais, réclame la mesure ; mais je n’hésite pas à dire qu'elle n'est réclamée par aucun homme d'Etat, par aucun homme qui se soit donné la peine de réfléchir sérieusement sur l'importance de la question.

De quoi s'agit il, eu effet, messieurs ? D'une loi de défiance, d'une loi de proscription, d'un véritable ostracisme contre une certaine classe de Belges. Contre une certaine classe de Belges, je me sers à dessein de cette expression, parce que la plupart des officiers étrangers qui sont à notre service ont été naturalises Or, messieurs, quel est le résultat de la naturalisation ? C'est d'assimiler ceux qui en ont été l'objet aux Belges. Voici comment est conçu l'article 5 de la Constitution :

(page 778) « La naturalisation est accordée par le pouvoir législatif.

« La grande naturalisation seule assimile l'étranger au Belge pour l'exercice des droits politiques. »

D'où il résulte que tous ceux qui ont obtenu la simple naturalisation sont assimilés aux Belges quant à leurs droits, quant à leurs devoirs, en tous points, sauf en ce qui concerne l'exercice des droits politiques.

Les officiers contre lesquels on veut que vous lanciez un arrêt de proscription en masse, ces officiers appartiennent à des nationalités et à des catégories diverses. A des nationalités diverses : il y en a parmi eux qui sont Français, il y a des Prussiens, il y a des Saxons, il y a des Hollandais, il y a des Hanovriens, il y a des Suisses, il y a même un Américain.

Je puis, messieurs, déclarer que dans le chiffre total de ces officiers, ceux qui appartiennent à la France n'y sont pas dans une proportion plus forte que les deux tiers ; plus de 50 officiers appartiennent à d'autres nations, ils appartiennent à différentes catégories : les uns sont nés à l'étranger d'un père belge, les autres sont nés dans le duché de Limbourg ou dans le grand-duché de Luxembourg, et ont fait la déclaration exigée par la loi pour être Belges. D'autres, messieurs, habitaient la Belgique avant 1830 et même avant 1814 ; ils ont été élevés au milieu de nous ; ils n'ont respiré que l'air de la Belgique ; ils sont attachés au pays qu'ils servent, comme nous le sommes nous-mêmes ; presque tous, je le repète, sont naturalisés et quelques-uns ont même obtenu de la législature la grande naturalisation.

Ici, messieurs, s'élève une question de contitutionnalité que pour le moment je ne fais qu’indiquer ; mais si la discussion se prolonge, je déclare que nous sommes tout prêts à la discuter à fond et à démontrer jusqu'à la dernière évidente que la proposition, prise dans sa généralité, est inconstitutionnelle.

D'ailleurs, ne serait-il pas curieux de voir expulser en quelque sorte comme indignes ou au moins comme atteints de suspicion ; de voir expulser sans motifs personnels des hommes qui demain, malgré cette expulsion, pourraient être appelés à siéger dans les conseils du Roi ou à siéger dans cette enceinte ?

Mais pouiquoi donc cette mesure exorbitante ? Pourquoi plutôt aujourd'hui qu'hier ? Pourquoi plutôt aujourd'hui qu'il y a trois mois ? Pourquoi plutôt aujourd'hui surtout qu'en 1848 ?

L'honorable préopinant vous a parlé de chances de guerre. Mais ce n'est pas d'hier que la guerre est possible. Elle l'est depuis longtemps. Quant à moi, je ne la vois pas poindre aujourd'hui plus que je ne la voyais il y a un mois, il y a un an. La guerre est possible sans doute, mais elle l'était depuis plusieurs années, comme elle l'est aujourd'hui.

A entendre les développements dans lesquels on est entré, on dirait que c'est une chose tout à fait insolide pour un pays d'avoir à son service quelques officiers étrangers. Eh bien, l'honcrable préopinanl qui a appelé l'histoire à son secours, s'il veut la consulter, reconnaîtra que de tout temps et dans tous les pays, il y a eu des officiers étrangers dans les armées.

Cela état vrai autrefois, cela est encore vrai aujourd'hui.

Nous-mêmes nous avons plusieurs de nos honorables compatriotes, je dis honorables, parce qu'ils méritent cette qualification, nous avons plusieurs de nos honorables compatriotes qui servent à l'étranger, les uns dans les Pays-Bas, les autres en Autriche, d'autres en France. Est-ce que l'honorable auteur de la proposition entend provoquer de tous ces pays une mesure de représailles tontre nos compatriotes ? Mais si cette mesure était prise et en France et en Autriche et dans les Pays-Bas, dans tous les pays, en un mot, où se trouvent des Belges figurant dans l'armée, si cette mesure était prise, je ne sais comment nous pourrions nous permettre d'adresser des réclamations aux gouvernements de ces pays, dans l'intérêt de nos compatriotes.

Messieurs, je borne là pour le moment les raisons pour lesquelles je m'oppose, au nom du gouvernement, à la prise en considération de la proposition de l'honorable M. de Perceval.

Cette proposition, je la regarde comme inconstitutionnelle, je me charge de le démontrer, et M. le ministre de la justice le fera mieux que je ne pourrais le faire. La mesure est inconstitutionnelle, elle est inique, et elle est, à mes yeux, souverainement impolitique.

Est-ce à dire qu'il n'y a rien à faire relativement aux officiers étrangers qui sont à notre service ?

Nous ne prétendons pas cela, messieurs ; mais nous disons que jusqu'ici la loi de 1836 nous a semblé nous donner des moyens d'action suffisants ; que si nous croyions qu'il nous faut d'autres moyens en dehors des dispositions de cette loi, nous n'hésiterions pas à venir les solliciter du patriotisme de la chambre.

Nous nous occupons activement depuis quelque temps de tout ce qui concerne les officiers étrangers. Mais nous avons l'habitude de ne prendre nos résolutions qu'après un mûr examen et après nous être entourés de tous les renseignements désirables.

Dans peu, nous serons probablement en mesure de prendre une première résolution ; d'autres suivront ; nous ferons tout ce que réclamera notre patriotisme que nous n'avons donné à personne le droit de suspecter. Mais nous le ferons sans nous écarter des règles de la justice et de la prudence qu'un gouvernement sage ne doit jamais perdre de vue.

Maintenant, j'ignore quelles sont les intentions de la chambre ; je ne me reconnais pas le droit de lui donner un conseil, mais eile me permettra d'émettre un vœu.

Eh bien, je désire vivement dans l'intérêt général, dans l'intérêt de l'armée, je désire que la discussion soulevée par la proposition de M. de Perceval ne se prolonge pas ; ou si elle doit se prolonger, je désire qu'elle soit marquée au coin de la plus grande réserve. La proposition elle-même a déjà produit une certaine sensation, une sensation fâcheuse à mon point de vue ; n'augmentons pas le mal qu'elle a fait ; or, le mauvais effet que j'ai signalé ne sera détruit que si la chambre émet un vote prompt et surtout si elle l'émet à une grande majorité de voix.

M. Moxhon. - Messieurs, lorsque le gouvernement vous a proposé une loi exceptionnelle, tendant à mettre à la retraite quelques officiers étrangers, je me suis demandé si c'était une faveur que vous alliez accorder, ou bien un blâme qui serait infligé à ces officiers.

Mon doute augmenta, lorsque je m'assurai que tous ces officiera étaient Belges, c'est-à dire naturalisés.

Cependant je crus utile de ne pas sortir de la prudente réserve que gardait le ministère sur cette question délicate, et il doit m'en savoir gré.

Néanmoins, il fut dès lors évident pour moi, qu'une mesure du genre de celle qu'on vous proposait, étendue à tous les officiers étrangers incorporés dans l'armée belge, devenait indispensable.

J'obéissais à une conviction profonde, lorsque à cette occasion, je disais qu'il était dangereux pour un pays d'avoir dans les rangs de son armée des chefs étrangers par le sang ou la naissance. L'intérêt de mon pays, comme la dignité de ces honorables officiers, me faisaient un devoir de vous tenir ce langage.

M. le ministre des affaires étrangèies aura beau dire ; à tort ou à raison, l'Europe est inquiète sur l'avenir ; il y a dans l'atmosphère politique un imprévu qui préoccupe les esprits. Si une guerre éclate en Europe, l'armée belge est nécessairement aux avant-postes : la position géographique de la Belgique lui en fait une nécessité.

Dans cette situation, nous ne devons pas nous laisser tomber dans un excès de crainte, ni nous endormir dans une sécurité compromettante ; mais il faut que l'armée ait une confiance entière daus ses chefs, comme les chefs daus leurs soldats.

Le devoir de tout le monde, c'est d'écarter de notre armée, de cette force permanente qui veille au maintien de nos belles institutions, tous les éléments qui pourraient l'affaiblir.

Quant à moi, je regarde le maintien dans les rangs de notre armée d'officiers étrangers, comme une cause constante de faiblesse et d'inquiétude.

Lorsque j'engageai le ministère à prendre une mesure générale, j'espérais qu'il en reconnaîtrait la nécessité, qu'il n'aurait pas attendu que la pensée que j'émettais, eût en quelque sorte pris un corps au sein du pays. M. le ministre des affaires étrangères vient de faire assez peu de cas de l'opinion publique, en vous disant qu'aucun homme d'Etat ne s'occupait de cette question ; je souhaite qu'il se trompe longtemps sur ce point ; quoi qu'il en soit, j'aurais voulu, dans une question de cette gravité, voir le gouvernement prendre l'initiative d'une loi qui se lie intimement à la prérogative du pouvoir royal.

Messieurs, dans toutes les questions qui intéressent la sécurité nationale, toute sensiblerie, toute considération de personnes ou de positions acquises doit disparaître devant un plus grand intérêt ; c'est par cette seule considération que je voterai pour la mise en discussion du projet qui vous est présenté.

M. de Perceval. - Quel que soit mon désir de ne pas prolonger ce débat, des plus graves, j'en conviens, il m'est cependant impossible de ne pas relever quelques qualifications étranges que M. le ministre des affaires étrangères a cru devoir donner à ma proposition de loi. Il nous a dit que la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre n'etait rien moins qu'un acte de défiance et de proscription à l’égard des officiers d'origine étrangère. Je repousse de toutes mes forces une semblable appréciation.

Je tiens en mains un grand nombre de lettres émanant d'officiers français qui servent dans les rangs de notre armée. Elles tendent toutes au même but, celui de m'engager à maintenir, à défendre le principe salutaire qui se trouve déposé dans mon projet de loi, comme étant le seul qui puisse les faire sortir de la position critique dans laquelle ili se trouvent.

M. de Mérode. - Qu'ils donnent leur démission !

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je demande la parole.

- Un membre. - Les noms !

M. de Perceval. - Je ne les citerai jamais !

- Un membre. - Bien.

M. de Perceval. - Je vais cependant donner communication à la chambre d'une de ces lettres, parce que j'y trouve développée une idée que la chambre pourra examiner si elle prend en considération ma proposition. Cette lettre est conçue en ces termes :

« Depuis longtemps nous attendons la solution de la question qui, grâce à l'initiative prise par vous, va enfin être résolue.

« Comme il pourrait arriver que votre proposition ne passât point, ce qui serait un grand malheur pour nous, nous vous prions de nous rendre l'immense service d'y ajouter un article conçu dans le sens suivant :

(page 779) « Les étrangers servant dans l'armée seront admis au bénéfice de la loi s'ils en font la demande dans le délai de......»

Voilà, messieurs, ce que pensent de ma proposition de loi les officiers d'origine étrangère. Elle n'a donc pas le caractère blessant, injurieux même que M. le ministre des affaires étrangères lui attribue très gratuitement.

Peur combattre ma proposition, le gouvernement en a exagéré l'application d'une manière vraiment extraordinaire. Il y a trouvé, à ma grande surprise, qu'elle s'étendait aux officiers nés dans les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg, aux officiers nés en Belgique de parents étrangers.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Non, elle ne s'applique point à ces derniers.

M. de Perceval. - Et aux premiers non plus.

Evidemment les Limbourgeois et les Luxembourgeois ne peuvent être rangés dans la catégorie des officiers d'origine étrangère, puisque lors de la cesssion à la Hollande d'une partie du Limbourg et du Luxembourg, vous avez inscrit dans le traité une clause par laquelle vous laissiez aux Limbourgeois et aux Luxembourgeois un terme de quatre années pour leur option.

Ma proposition de loi ne flétrit personne, pour reprendre l'expression dont s'est servi M. le ministre des affaires étrangères, puisqu'elle ne fait aucune distinction au sujet de l'origine des officiers. Ah ! sans doute, si elle désignait les officiers d'origine française, j'avoue qu'elle pourrait avoir un côté blessant pour la France. Mais cela est-il ? Non. Je respecte toutes les susceptibilités étrangères, car je lui ai donné un caractère général.

J'adjure la chambre de prendre ma proposition en considération.

Qu'est-ce que la prise en considération ? Est-ce accepter la proposition de loi telle qu'elle vous est soumise, avec les termes dans lesquels elle est rédigée ?

Non, messieurs, la prise en considération signifie uniquement qu'il y a lieu d'examiner le principe que cette proposition renferme. Je fais donc un appel à votre patriotisme ; vous voterez cette prise en considération, parce que le sentiment national le demande, et que votre sagesse dictera votre conduite.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je n'ai pas donné à la proposition de l'honorable M. de Perceval des proportions qu'elle ne comporte pas. Dans la généralité des termes dont il s'est servi, toutes les catégories que j'ai indiquées sont comprises.

Je vois bien que l'honorable M. de Perceval est tout disposé à faire des exceptions.

Si nous discutions sa proposition au fond, il ferait même, j'en suis sûr, tant d'exceptions qu'il arriverait à annuler sa proposition. Mais je maintiens mon opposition à la prise en considération, parce que je tiens la loi pour inconstitutionnelle, impolitique et contraire à l'intérêt général.

Mais l'honorable M. de Perceval s'est étayé de l'opinion de quelques officiers étrangers ; il vous a même cité une lettre qu'il a reçue de l'un d'entre eux. Il résulte de cette lettre que plusieurs de ces officiers font une spéculation basée sur la manière généreuse dont vous avez traité des officiers que le gouvernement avait dû mettre en non-activité, mais qu'il n'avait mis dans cette position qu'avec un véritable regret. Eh bien, je vais donner à l'honorable M. de Perceval l'occasion de poser un acte de patriotisme auquel tout le monde applaudira. Que l'honorable M. de Perceval nous communique les noms. (Interruption.)

M. de Perceval. - Jamais !

M. Pierre. - C'est trop fort.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Comment ! c'est trop fort !

M. Pierre. - Ce serait une indiscrétion sans excuse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Quoi 1 Il y a dans l'armée des officiers étrangers qui ne croient pas pouvoir y rester avec honneur, et qui attendent, pour faire ce que l'honneur leur commande, qu'on leur donne une somme d'argent plus forte, et vous êtes étonnés que je demande leurs noms !

M. de Perceval. - Vous leur prêtez des sentiments et des intentions qu'ils n'ont point.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je persiste à faire cette demande : je dis que ces officiers sont indignes de rester dans l'armée. Que je connaisse leurs noms, et demain ils auront cessé de figurer sur les cadres ; nous n'y conserverons que des gens d'honneur, et je ne considère pas comme tels des hommes qui ne songent qu'à extorquer une pension plus forte que celle à laquelle ont droit les officiers belges.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Verhaegen. - J'avais demandé la parole pour pouvoir faire connaître les motifs de mon vote. Je voulais dire que, sans vouloir donner mon assentiment à la proposition, loin de là, je voterais pour la prise en considération. Je désirerais dire pourquoi. La question est assez importante pour qu'on ne ferme pas brusquement la discussion.

M. Dumortier. - Je suis du même avis. En pareille matière il ne faut pas rteitre de précipitation. Je demande que la chambre laisse la délibération suivre son cours. La lumière ne peut que gagner à la discussion. Je désire être entendu.

- La clôture est mise aux voix, l'épreuve est douteuse ; en conséquence la discussion continue.

M. de Mérode. - Messieurs, la proposition de M. de Perceval doit avoir l'appui de deux passions différentes : la paresse et l'envie. Récemment une mesure insolite a été prise à l'égard des officiers belges, originaires de l'ancienne Pologne, pour obtenir des liaisons diplomatiques complètes avec un grand empire dont le rôle dans le monde est considérable et pourrait être décisif en certaines circonstances.

Cette mesure extraordinaire, et très regrettable, a été adoptée par nécessité d'une manière favorable à ceux qu'elle concernait. On a cherché à les dédommager conformément à leurs propres demandes, et on le devait en conscience.

D'autres officiers peuvent trouver ces conditions de retraite séduisantes et préférer en jouir plutôt que de continuer un service assujettissant ; nul doute qu'au point de vue commode la liberté avec une pension militaire élevée ne soit plus tentante que les obligations d'une stricte discipline et de fonctions qui exposent la vie même.

Je viens d'indiquer une des causes qui peuvent attirer de la sympathie à la proposition de M. de Perceval de la part des officiers les moins actifs, les moins affectionnés à leur état.

J'en viens au second péché capital qui inspire encore cette sympathie, à savoir l'envie.

Si tous les officiers belges qui ne sont pas nés en Belgique sont mis à la retraite, une chance assez notable d'avancement se présente pour d'autres, et certains journaux, qui ne se distinguent point par la sagesse de leurs articles, ne manquent pas d'exploiter des sentiments peu dignes d'estime, puisque la convoitise est loin d'être une vertu.

On vous a présenté la naturalisation sous un point de vue très faux, en supposant que l'officier naturalisé ne pouvait combattre les armées de son pays d'origine sans faillir à une sorte de devoir moral. Messieurs, la naturalisation est admise dans les Etats voisins du nôtre, et là comme ici le militaire naturalisé a pour obligation morale de défendre son pays d'adoption contre toute attaque ; elle est d'autant plus facile à remplir en Belgique que sa situation politique est celle d'Etat neutre, d'Etat qui ne porte point la guerre hors de ses frontières, mais qui est appelé à les défendre contre d'injustes agressions. Le militaire belge par adoption n'est exposé à aucun scrupule à l'égard du devoir qui lui incombe. La délicatesse bien entendue lui commande de soutenir l'indépendance de la patrie qui l'a reçu dans son sein ; et tel est le sentiment que j'ai entendu exprimer par les officiers naturalisés les plus distingués, faits pour être l'exemple des autres, lesquels, j'en suis persuadé, partagent le même sentiment.

M. Pierre. - La proposition qui nous occupe est de la plus grande importance. Elle intéresse, directement et au plus haut degré, la défense du pays. Il ne suffit pas de dépenser de nombreux millions, d'imposer à l'Etat les plus lourdes charges, de faire en un mot les sacrifices les plus onéreux pour nous préparer à la résistance, en cas d'attaque. Tout cela serait en vain, tout cela serait en pure perte et manquerait complètement son but si notre armée continuait à être composées d'éléments hétérogènes. Il est temps enfin qu'elle soit éminemment, essentiellement et surtout exclusivement nationale.

Il serait inutile, il serait même dangereux de chercher à nous faire illusion sur la situation ; sa gravité est devenue menaçante : le pays en a la conviction intime, Aussi, la Belgique entière applaudit-elle à la mesure qui nous est proposée ; on voit rarement se produire dans les populations une unanimité plus imposante et plus prompte. Une voix spontanée et générale s'élève de toutes parts pour réclamer une mesure que le pays désire depuis longtemps. La conscience d'un danger, éventuel il est vrai, mais malheureusement peut-être trop prochain, contribue puissamment à tenir l'esprit public en éveil. L'opportunité de la mesure ne peut être contestée. Jamais il ne pourrait s'offrir à nous ua moment mieux choisi, plus favorable.

Chacun ne se dit-il pas : Que feraient, en cas de guerre, les officiers étrangers, au service de notre pays. Je ne vous rappellerai pas les diverses réponses que reçoit cette question. Vous les connaissez parfaitement, et, certes, aucune d'elles n'est rassurante. Quelle que soit l'opinion que l'on ait sur ce point, n'est-il pas incontestable que poser seulement cette question, c'est proclamer l'impossibilité du maintien des officiers étrangers dans notre armée ?

Quelle est, messieurs, la première force d'une armée ? N'est-ce pas la confiance dans ses chefs, jointe à un sentiment profondément national ?

Eh bien, l'incertitude que je viens de signaler n'est-elle pas le coup de mort donné à cette force morale indispensable ? Evidemment.

Puisque nous n'avons à traiter que de la prise en considération, je n'ajouterai que quelques mots.

S'il ne s'agissait que d'un objet d'importance secondaire, qu'il soit permis d'accueillir avec une certaine indifférence, le pays porterait un médiocre intérêt à la résolution que nous avons à prendre ; mais, messieurs, quand il s'agit de sauvegarder notre nationalité, notre indépendance, affecter une espèce de dédain serait, à mon avis, poser un fait excessivement regrettable. N'éteignons pas, n'amoindrissons pas le sentiment national, qui, je le constate avec la plus sincère satisfaction, va chaque jour grandissant ei devient de plus en plus vivace. N'oublions pas que l’indifférentisme national est le plus fatal écueil où puisse heurter un peuple.

(page 780) C'est assez vous dire que je voterai la prise en considération. Je terminerai, messieurs, en vous faisant part d'un espoir que j'ai conçu et dont la réalisation me paraît inévitatre.

J'ose compter que les officiers étrangers, en hommes d'honneur, comprendront que leur position n'est plus tenable dans l'armée. Mus par une honorable délicatesse, ils ne voudront pas demeurer exposés à un état continuel de suspicion vis-à-vis de leurs frères d'armes et de leur patrie adoptive.

Je ne doute donc nullement qu'en présence de la manifestation de l'opinion publique, quelle que soit la décision de la chambre, les officiers étrangers ne prennent eux-mêmes l'initiative et ne demandent au gouvernement leur mise à la retraite.

Les lettres adressées, dans le même but, à l'honorable auteur de la proposition, et dont une vient de nous être lue par lui, prouvent que mon espoir ne sera pas déçu.

M. Verhaegen. - Messieurs, je n'entends prendre aucun engagement quant à la proposition en elle-même, telle qu'elle a été conçue par son auteur. Mais je désire que l'on examine et qu'on ne s'écarte pas des antécédents en matière de prise en considération des propositions qui émanent de l'initiative des membres. Je demande que l'on fasse aujourd'hui, pour la proportion de loi de l'honorable M. de Perceval, ce que l'on a toujours fait, ce que l'on a fait encore samedi dernier pour la proposition de l'honorable M. de Man, appuyée par la presque unanimité de la chambre, quoiqu'elle soit de nature à rencomrer sur le fond une vive opposition.

L'honorable ministre des affaires étrangères vous a dit, messieurs, en terminant son second discours, que « la proposition de loi de l'honorable M. de Perceval avait produit une certaine sensation dans le pays, une sensation fâcheuse, et que le mauvais effet de cette proposition serait détruit si la chambre émettait un vote prompt et surtout un vote a une grande majorité. »

Oui, messieurs, cette proposition de loi a produit une sensation, et, si vous le voulez, une sensation fâcheuse. Mais ne vous y trompez pas, l'effet n'en sera pas amorti parce que vous parviendrez à empêcher toute discussion. L'effet n'en sera amorti que pour autant qu'après un examen sérieux, un examen en sections, elle aura été écartée, comme le ministère en énonce l'espoir, par une grande majorité dans cette enceinte.

Pourquoi donc, messieurs, en agir autrement ? Pourquoi dans l'occurrence, faire une exception à nos habitudes, à nos antécédents ? La proposition soulève beaucoup de questions, vous a-t-on dit, des questions très difficiles ; prise même dans sa généralité, la proposition serait inconstitutionnelle. Mais il ne suffit pas d'énoncer qu'une proposition est inconstitutionnelle, pour que le pays la considère comme telle. Il faut qu'après une discussion mûre et approfondie, la preuve de cette assertion soit faite aux yeux de tous. Il faut que l'examen en sections donne à toutes les opinions leurs apaisements. Il faut que la chambre placée devant le gouvernement, en sections d'abord, en section centrale ensuite, en famille, si je puis m'exprimer ainsi, puisse tout dire, tout entendre, ne rien laisser de côté, s'instruire de tous les précédents et de toutes les circonstances, et prendre alors, après mûre réflexion, une décision qui soit de nature à tranquilliser toutes les consciences.

Il y a d'ailleurs quelque chose à faire, vous a dit M. le ministre des affaires étrangères.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Par le gouvernement.

M. Verhaegen. - S’il y a quelque chose à faire, pourquoi donc ne pas examiner ? L'auteur même de la proposition ne prétend pas qu'elle doive être accueillie telle qu'il l'a formulée. Il consent lui-même à ce qu'elle subisse des modifications. Mais il s'agit de s'entendre sur ces modifications, et l'on pourra se mettre d'accord sur ce point avec le gouvernement.

Il est d'ailleurs, messieurs, un point essentiel. On a parlé de la responsabilité qu'il fallait laisser au gouvernement sur de semblables questions. Mais si une proposition telle que celle qui vous est soumise venait à être écartée sans même être prise en consideration, le gouvernement n'aurait plus à cet égard la moindre responsabilité. Vous vous seriez attiré à vous seuls toute la responsabilité, et c'est pour mon compte ce que je veux éviter.

Je ne prétends pas que la proposition doive être accueillie. Je suis loin, remarquez-le bien, de vouloir engager mon vote sur ce point. Tout ce que je demande, c'est que cette question grave, importante, hérissée de difficultés, comme l'a soutenu M. le ministre des affaires étrangères, soit examinée comme toutes Les questions sont examinées dans cette enceinte.

M. Devaux. - Je demande la parole.

M. Verhaegen. - Quand on est pris à l'improviste, on dit, messieurs, bien des choses que l'on ne dirait pas, si l'on y avait mûrement réfléchi ; c'est là l'inconvénient de ces discussions, permettez-moi l'expression, que l'on veut étrangler.

Ainsi l'honorable comte de Mérode nous disait tantôt que la proposition de l'honorable M. de Perceval était due à deux passions : à la paresse et à l'envie.

Qu'il me soit permis de vous le faire remarquer, M. le comte, ce n'est pas là un bien beau compliment que vous adressez à cette armée que vous vous targuez de soutenir avec tant d'ardeur et de sympathie.

L'honorable ministre des affaires étrangères a ajouté, que quelques officiers pouvaient bien de cette question faire une spéculation ; que la correspondance dont l'honorable M. de Perceval avait fait emploi, en était une preuve, et que c'était là une spéculation honteuse. Messieurs, je n'hésite pas à déclarer que s'il y a des officiers (et je ne fais ici aucune application personnelle) qui font des spéculations de cette nature, des spéculations qualifiées par M. le ministre, quelle garantie peuvent donc nous offrir ceux qui se conduisent de cette manière ? Quelle confiance peuvent-ils nous inspirer ? (Interruption : Il n'y en a qu'un.) Celui-là ou ceux-là, je ne sais pas quel en est le nombre.

Du reste, ceci prouve une chose, comme je le disais tantôt, c'est que les discussions qu'on ne veut pas approfondir, qu'on veut étrangler, présentent toujours de graves inconvénients.

Le sentiment national est en jeu, vous a-t-on dit. Messieurs, si le sentiment national est en jeu, il faut lui donner satisfaction par un examen approfondi, par un examen dont M. le ministre des affaires étrangères, d'après ses prévisions, ne doit attendre que des résultats favorables et à l'armée et à la politique du gouvernement.

Quant à moi, messieurs, je regrette de ne pas être d'accord, dans l'occurrence, avec le ministère ; mais j'ai, sur ce point, des convictions profondes que je ne puis pas abandonner.

J'ai toujours voté le chiffre du budget de la guerre pétitionné par le gouvernement, parce que j'ai voulu laisser au gouvernement la responsabilité dans les questions de cette importance ; je voterai encore le chiffre du budget tel qu'il sera proposé cette année, car je ne marchande pas quand il s'agit de nationalité, comme je ne transige pas quand il est question de sentiment national, quand il s'agit de donner à notre armée confiance et sécurité, et pour arriver à ce dernier rérultat, ce que je demande, ce n'est qu'un examen approfondi qui puisse donner satisfaction à tous les intérêts, à toutes les opinions.

Jusqu'à présent, messieurs, aucune de ces questions si importantes, si difficiles, n'a même été exposée ; on nous a parlé de constitutionnalité, mais vous a-t-on démontré quelque chose ? Non, messieurs, on ne nous a donné aucune espèce de démonstration.

C'est, messieurs, par ces raisons que je voterai la prise en considération.

M. Dumortier. - Messieurs, j'éprouve en commençant un vif regret, c'est qu'une proposition aussi grave que celle qui vient d'être développée à la tribune ait été lancée dans cette chambre sans qu'on ait consulté aucun de nous, sans qu'aucun de nous pût supposer ce qui allait arriver. Il me semble qu'en des moments comme ceux où nous nous trouvons aujourd'hui et pour des propositions qui ont une portée si grande et quant au pays et quant à l'étranger, il est de notre devoir de nous consulter, de nous entendre ; je regrette donc, je le répète, que l'honorable membre, aux sentiments patriotiques duquel je rends d'ailleurs hommage, ait cru devoir présenter une semblable proposition sans consulter aucun membre de la chambre.

Ce qui rend ce regret plus vif, messieurs, c'est que je vois des deux côtés des dangers ; ou dans l'adoption ou dans le rejet de la proposition, c'est que je vois des embarras de toutes parts ; c'est qu'une semblable proposition lancée ici comme elle l'a été, à l'improviste, me semble de nature à jeter la perturbation et dans le pays et dans l'armée.

Je ne me dissimule point qu'il y a de grandes vérités dans ce qu'a dit l'honorable M. de Perceval, mais je crois que d'un autre côté il a parfois tiré de ces vérités des conséquences exagérées, qu'il n'a pas suffisamment distingué, qu'il a confondu, sans le vouloir, à son insu, des faits, des hommes, des choses tout à fait différents.

Ainsi, messieurs, s'il est vrai qu'il existe dans l'armée des officiers qui poussent à un degré que je respecte chez eux, le sentiment de délicatesse que l'honorable M. de Perceval a signalé tout à l'heure, il est vrai aussi qu'il s'y trouve de ces hommes au cœur généreux qui n'ont pas épousé la Belgique à demi, qui lui ont donné des preuves de leur dévouement, qui se trouvaient avec nous sur les champs de bataille en 1830, lorsqu'il s'agissait de constituer notre nationalité. Je vous le demande, messieurs, serait-il juste, par une prise en considération de la proposition, de jeter la perturbation dans le cœur de ces hommes, de les décourager lorsque demain peut-être la Belgique aura besoin de faire un appel à leur cœur généreux et à leur bras, pour défendre son indépendance ?

Eh bien, messieurs, c'est précisément parce que la distinction dont je viens de parler, n'a point été faite, que je ne puis voter la prise en considération qui nous est demandée.

Ne confondons pas, messieurs, la prise en considération d'une proposition semblable avec celle de la proposition de l'honorable M. de Man. Celle-ci concerne un question purement administrative qui ne pouvait, en aucune hypothèse, jeter la perturbation dans le pays.

En est-il de même de la proposition de l'honorable député de Malines ? Mais il reconnaît lui-même, que sa proposition a profondément ému les esprits. Eh bien, messieurs, notre premier devoir est de faire cesser cette émotion, et ce résultat ne serait pas obtenu par une prise en considération qu'on voterait peut-être au détriment de ceux qui ont le mieux défendu la cause nationale.

Maintenant, messieurs, la Constitution porte que le Roi est le chef de l'armée.

Eh bien, c'est au chef de l'armée de prendre les mesures que la dignité nationale, que l'honneur national, que les besoins du pays commandent ; c'est au ministère qui contresigne ses actes, de prendre (page 781) la responsabilité de ce qui peut arriver. Quant à moi, je ne veux point, par la prise en considération, affaiblir la responsabilité qui pèse en ce moment sur le cabinet. Loin que cette prise en considération puisse fortifier la responsabilité ministérielle, comme un honorable préopinant l'a prétendu, il est évident qu'elle l'affaiblirait considérablement, en la reportant sur la chambre.

Eh bien, ce serait là intervertir les rôles, c'est ce que nous ne pouvons faire ; nous devons laisser la responsabilité dans son entier là où elle se trouve naturellement.

J'aurais peut-être voté pour la prise en considération, messieurs, sans les paroles prononcées par M. le ministre des affaires étrangères ; mais il a déclaré tout à l'heure (et j'ai bien noté ses paroles) qu'en vertu de la loi de 1836 et dans peu, une mesure serait prise par une première résolution, et que d'aulres mesures suivraient. Après cette promesse, je crois, messieurs, que la sagesse nous prescrit de laisser au gouvernement le soin des mesures à prendre.

Prendre l'initiative lorsque le gouvernement annonce l'intention d'agir, ce serait, dans les circonstances actuelles, une grande faute politique.

D'ailleurs, messieurs, y a-t-il urgence dans la mesure qu'on propose ?

S'il est vrai que dans ce moment il existe en Europe des chances de guerre qu'aucun de nous ne peut se dissimuler ; s'il est vrai que, dans certains pays, il a été question d'agrandissement de territoire, je pense, pour mon compte, que ces craintes ne sont pas aussi imminente qu'on pourrait le croire. Je puise les motifs de cette opinion dans l'intérêt de l'Europe et dans l'intérêt de celui qui gouverne en ce moment un pays voisin.

D'une part, l'union si remarquable qui existe aujourd'hui entre les grandes puissances de l'Europe est un gage de paix donné à l'Europe elle-même, et je ne pense pas que la paix puisse être troublée aussi longtemps que cette union existera.

D'autre part, qu'est-ce qui fait la force du pays auquel on a fait allusion ? C'est sa cohésion, son unité. La France est forte, parce qu'en France il n'y a que des Français ; la France est forte en présence des autres puissances parce que, chez les autres puissances, il y a autre chose que la nation qui gouverne. En Autriche, il y a des Italiens ; en Russie, des Polonais ; en Angleterre, des Irlandais ; en France, il n'y a que des Français.

Maintenant est-il de l'intérêt de la France d'avoir une Belgique dans son sein ? Non, messieurs, la France ne doit pas désirer d'avoir dans son sein une Italie, une Pologne ou une Irlande. Or, il en serait ainsi, du jour où la Belgique serait réunie à la France.

Ainsi, il est de l'intérêt bien entendu de la France de maintenir la nationalité de la Belgique qui couvre sa frontière du Nord et qui, au contraire, étant réunie à la France, y introduirait un élément où la nationalité est bien autrement vivace que dans aucun des pays que je viens d'indiquer. Les limites de la France ce sont celles actuelles ; d'autres l'affaibliraient au lieu de la fortifier.

Je pense donc que l'urgence de la proposition n'existe pas ; que son danger, tant pour l'intérieur que pour l'extérieur, est incontestable ; je pense que la prise en considération n'aurait d'autre résultat que de jeter une grande perturbation dans le pays, et puisque le cabinet nous a déclaré qu'il prendrait bientôt des mesures pour parer aux inconvénients qui ont été signalés, je laisse au gouvernement toute la responsabilité de ces mesures, et je ne puis pas voter pour la prise en considération de la proposition de loi.

M. Devaux. - Messieurs, puisqu'on n'a pas voulu clore le débat tout à l'heure, je voudrais y ajouter quelques paroles. La chambre voudra bien m'accorder un peu d'indulgence ; je suis encore sous l'influence d'une indisposition qui depuis un mois m'a empêché d'assister à ses travaux.

Je viens m'opposer à la prise en considération de la proposition qui vous est soumise. C'est déjà beaucoup que des propositions de cette nature soient faites en public et provoquent un premier débat. Quand elles sont faites, il faut couper court à toute incertitude sur leur sort et ne pas laisser se prolonger inutilement l'effet fâcheux qu'elles peuvent déjà avoir produit.

Qu'est-ce, en effet, messieurs, que la mesure qu'on vous propose ? C'est une menace de flétrissure suspendue sur la tête de toute une classe d'officiers de l'armée ; un soupçon de trahison lancé contre des hommes qui, la plupart, sont depuis longues années au service de la Belgique, qui lui ont consacré de loyaux services ; que dis-je ? dont un grand nombre l'ont aidée à fonder sa nationalité. Ces hommes,vous ne pouvez les laisser plus longtemps sous le coup de la mesure qu'on vous propose.

Notre devoir est de nous prononcer immédiatement et de repousser sans plus de retard cette mesure ingrate, irrégulière que nous n'avons pas même le droit de prendre. J'entends dire que nous pouvons faire à l'égard de tous les officiers d'origine étrangère ce que nous avons fait pour les officiers d'origine polonaise. Les officiers d'origine polonaise n'ont point été flétris ; on n'a pas fait planer le moindre soupçon sur leur loyauté, sur la fidélité des services qu'ils pouvaient rendre à la Belgique ; on ne les a pas soupçonnés capables de trahison ; leur honneur militaire n'a pas souffert la plus légère atteinte ; la mesure prise à leur égard par le gouvernement a eu l'intérêt public pour motif, mais elle est complètement étrangère à toute supposition de sentiments peu honorables de la part de ces officiers. Et nous, messieurs, comment y sommes-nous intervenus ? Non pour les flétrir, à coup sûr, mais pour les honorer en leur donnant une position meilleure que celle que le gouvernement aurait pu leur faire d'après la législation existante. Là, le gouvernement était dans son rôle et nous dans le nôtre ; tout a été régulier et constitutionnel. La mesure qu'on nous propose est inconstitutionnelle, nous n'avons pas le droit de l'adopter. Cela est bien clair ; il faudra peu de mots pour le prouver.

Je ne m'occupe, messieurs,que des officiers naturalisés ; quant à ceux qui n'ont pas reçu la naturalisation, leur position est irrégulière ; je n'ai pas à la défendre : il n'y a pas de loi à faire à leur égard, elle est toute faite. Mais les officiers naturalisés, parmi lesquels il en est même qui ont reçu l'indigénat sous le régime des Pays-Bas et la grande naturalisation sous le régime actuel, sont Belges aux yeux de la loi et de la Constitution. Or, aux termes de la Constitution, les emplois publics sont accessibles à tous les Belges. Vous n'avez pas le droit de déclarer de par la loi qu'une classe déterminée de Belges est exclue de l'armée, vous ne pouvez pas plus en exclure législativeraent les Belges d'origine française ou allemande que les Belges d'origine flamande ou brabançonne.

Le gouvernement peut individuellement prendre, à l'égard d'un officier qu'il juge ne pas mériter sa confiance, telle mesure que la loi permet, le faire passer de la position d'activité à une autre position ; mais nous, législateurs, qui ne prenons que des mesures générales, nous ne pouvons pas faire des exclusions par catégories.

Le gouvernement seul, je le répète, si un officier lui inspirait de la défiance, pourrait agir ; et remarquez bien que.pour les officiers d'origine polonaise, la chambre n'a pas fait une loi générale d'exclusion ; le gouvernement ayant fait passer treize officiers d'une position à une autre, la chambre n'est intervenue que pour améliorer leur situation sous le rapport financier.

Messieurs, il semble que des officiers naturalisés, dévoués à la Belgique, qui y ont passé la plus grande partie de leur vie, qui y ont acquis leurs grades, dont les enfants, la femme sont Belges, qui se sont dévoués corps et âme à la Belgique, qui l'ont aidée au péril de leur tête à fonder sa nationalité, ne pourraient la défendre honorablement contre une agression du dehors. Je voudrais bien savoir quelle et la morale qui le leur interdirait !

Pour des hommes d'honneur, le devoir d'une pareille position n'est point douteuse. Les officiers qui ont reçu la qualité de Belge ont le droit et le devoir de défendre la Belgique contre tons les agresseurs ; et après l'avoir défendue, ils pourront porter la tête haute et resteront honorables devant le monde entier.

Voudrait-on aujourd'hui condamner au déshonneur toute coopération d'étrangers à une armée nationale ? L'histoire a-t-elle flétri les Ecossais, les Suisses et nos braves gardes wallonnes ? Qu'est-ce qu'une doctrine qui aurait exclu de l'armée française, en les flétrissant, le maréchal de Saxe, le maréchal de Berwick, le maréchal Massena et tant d'autres ; qui aurait chasse le prince Eugène lui-même des armées de l'empereur d'Allemagne ? Est-ce là ce qu'on veut ? C'est ce qu'on propose.

Messieurs, je veux croire que la proposition a été dictée par le patriotisme le plus pur, qu'elle est étrangère à tout sentiment de rancune ; mais c'est là du patriosisme qui s'égare, c'est de ce patriotisme qu'on a vu trop souvent surgir de la multitude dans les temps de trouble, alors que devant un danger imminent l'opinion populaire ne sait faire autre chose que semer la division etlia défiance, que crier à la trahison. Un gouvernement régulier et prudent a tout autre chose à faire. Les sentiments qu'il doit propager dans l'armée, ce n'est pas la défiance, ce n'est pas la division, c'est la cohésion, la confiance et l'union. Voilà le rôle des chambres législatives si elles veulent intervenir. Favorisons dans l'armée les sentiments qui unissent et non ceux qui divisent ; affermissons par notre exemple la confiance des soldats dans leurs chefs, fortifions le moral de l'armée tout entière. On a dit tout à l'heure que dans ce moment les précautions militaires devaient être à l'ordre du jour de toutes les nations, je ne le conteste pas.

Préoccupons-nous de l'armée ; mais, pour la fortifier, non pour y jeter le trouble ; pour organiser, non pour désorganiser, mettons enfin la main à cette organisation militaire, dont l'examen est retardé depuis si longtemps, tantôt pour un motif, tantôt pour un autre. Ne laissons pas le gouvernement se relâcher ; pressons-le de se préoccuper jour et nuit de la situation du pays et des moyens de garantir son indépendance.

Nous avons là un rôle utile à remplir, car il reste à faire, et dans mon opinion, on ne fait pas assez. Je ne suis pas de ceux qui croient que la guerre va infailliblement éclater demain, je ne pense pas même qu'il y ait aujourd'hui plus de chances de guerre que de paix ; mais il est impossible de se dissimuler qu'il reste plus d'une chance de guerre au fond de la situation de l'Europe.

Le gouvernement belge qui, si la guerre éclate, se trouvera exposé à tant de périls, céderait à un incroyable aveuglement s'il n'avait assez d'énergie et d'activité pour parer à des dangers qui frappent les yeux les moins clairvoyants.

Conseillons au gouvernement cette activité, cette énergie, montrons-lui qu'il peut compter sur le dévouement de tous. De concert avec lui nous agirons ainsi sur l'armée, nous y propagerons l'union, la confiance, nous exalterons les sentiments généfeux qui unissent toute la famille belge et nous ne viendrons pas en aide à d'étroites préventionsqui ne peuvent que la diviser et l'affaiblir

(page 782) - Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets aux voix la prise en considération de la proposition de M. de Perceval.

- Un grand nombre de voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

Nombre des votants, 78

Ont répondu non, 69

Ont répondu oui, 8

Un membre, M. Jacques, s'est abstenu.

En conséquence, la chambre ne prend pas la proposition en considération.

M. Jacques, qui s'est abstenu, est invité à énoncer les motifs de son abstention.

M. Jacques. - J'ai trop de répugnance à voter contre la prise en considération d'une proposition déposée par l'un de nos collègues ; mais je pense qu'en pareille matière il convient de s'en rapporter à la sollicitude du chef de l'Etat et à l'initiative du gouvernement.

Ont répondu oui : MM. de Perceval, de Renesse, Maniiius, Moxhon, Pierre, Thiéfry, Verhaegen et David.

Ont répondu non : MM. de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, Dequesne, de Royer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Devaux, d'Hoffschmidt, Dumon, Dumortier, Faignart, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, Lebeau, Loos, Maertens, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Orban, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (C), Thienpont, T'Kint de Naeyer, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Allard, Ansiau, Anspach, Brixhe, Cans, Clep, Coomans, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Brouckere, Dechamps, de Decker, de La Coste, Delehaye. de Liedekerke, de Man d'Altenrode, de Mérode (F.) et Delfosse.

- La séance est levés à 4 heures et demie.