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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 18 août 1851

Séance du 18 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1971) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart. La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre :

« L'administration communale d'Oostnieuwkerke prie la chambre de voter les fonds nécessaires à l'exécution de travaux destinés à prévenir les inondations de la Mandele. »

M. Rodenbach. - Messieurs, déjà une pareille pétition a été adressée à la chambre et renvoyée par elle à la section centrale. Je demanderai que la même décision soit prise pour la requête de l'administration communale d'Oostnieuwkerke.

M. le président. - La section centrale a fait son rapport sur la pétition qui lui a été précédemment renvoyée ; elle a conclu au dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de travaux publics.

M. Rodenbach. - Alors je demanderai que la pétition dont je viens de parler soit également déposée sur le bureau pendant cette discussion.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Warnant déclare adhérer à la pétition des habitants de Dinant relative à la construction du chemin de fer de cette ville. »

« Mêmes adhésions des conseils communaux de Haut-le-Wastia, Martouzin-Neuville, Houyet, Evrehailles, Godinne, Profondeville, Bohan, Bourseigne-Neuve, Alle, Palignies, Gedinne, Laforêt et Clairière. »

- Même décision.


« Les membres du conseil communal d'Ellezelles demandent la construction d'un chemin de fer de jonction directe entre les provinces wallonnes et les Flandres, avec les deux embranchements dont la concession a été demandée. »

M. Jouret. - Je demanderai que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du projet qui est à l'ordre du jour et ensuite renvoyée à M. le ministre des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres du conseil communal de Hotton demandent que le chemin de fer du Luxembourg traverse le territuire de Marche. »

« Même demande des membres du conseil communal de Hampteau. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« Le sieur Colins, géomètre, créancier de la société concessionnaire du chemin de fer de Louvain à Wavre, du chef de confection de plans, expertises et autres travaux, demande que, sur les travaux exécutés et les terrains acquis, on impute la somme qui lui est due, ou que, dans les conditions de la concession nouvelle, on stipule l'obligation pour les concessionnaires de payer son état d'honoraires et de déboursés. »

- Renvoi à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« Le sieur de Laveleye, ingénieur civil, demande que la concession du chemin de fer de Manage à Erquelinnes lui soit accordée ou tout au moins que ses droits d'auteur du tracé de cette ligne soient réservés. »

- Même renvoi.

M. Cools. - Messieurs, je demande que cette pétition soit renvoyée à la section centrale du projet de travaux publics, avec prière de faire un très prompt rapport. La section centrale a proposé ces jours-ci l'adoption d'un amendement déposé par MM. Ansiau et Faignart qui a pour objet d'autoriser le gouvernement à concéder le chemin de fer de Manage à Erquelinnes ; or le pétitionnaire prétend que cette concession ne pourrait être accordée que sous certaines restrictions : il convient que la section centrale examine cette réclamation et fasse un rapport avant que nous arrivions à la discussion de l'amendement de MM. Ansiau et Faignart.

M. le président. - La même décision devrait être prise alors pour la pétition du sieur Colins.

M. Faignart. - L'honorable M. Cools vient de vous dire, messieurs, que le pétitionnaire met certaines restrictions à ce que la chambre accorde la concession du chemin de fer de Manage à la Sambre ; je pense devoir faire observer que le pétitionnaire demande seulement qu'il soit reconnu inventeur du tracé. Il ne s'agit pas d'examiner si telle ou telle ligne mérite la préférence ; l'ingénieur qui nous a adressé cette requête, demande uniquement qu'on lui reconnaisse la priorité.

Du reste, messieurs, j'appuie la proposition de M. Cools qui tend au renvoi à la section centrale avec demande d'un prompt rapport.

- La proposition de M. Coools est adoptée et étendue à la pétition du sieur Colins.


« Le conseil communal de Lens-sur-Geer demande la construction du chemin de fer de Fexhe à Tongres, avec l’établissement d'une station à l'endroit dit : « Maison peu d'homme ». »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Waremme demande que l'embranchement du chemin de fer de Tongres soit raccordé à la station de Waremme. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Assche, présentant des observations sur le tracé du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost, demande que cette ligne soit rapprochée d'Assche. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Cachlem demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour l'écoulement des eaux de la Lys. »

« Même demande des habitants de Woumen, Wulveringhem, Buiscamp, Marckeghem et Moeres. »

M. Sinave. - Je demanderai le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


«. Plusieurs habitants d'Auvelais demandent la construction d'un chemin de fer de Jemeppe sur Sambre à Louvain. »

- Même décision.


Par message, en date du 15 août, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi ouvrant des crédits supplémentaires au département des affaires étrangères.

- Pris pour notification.


Par dépêche, en date du 14 août, M. le ministre de la justice transmet à la chambre deux demandes de naturalisation avec les pièces de l'instruction.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Allard, oblige de s'absenter, demande un congé.

- Accordé.


M. le président. - M. F. de Mérode demande un congé illimité. Voici sa lettre :

« M. le président,

« L'époque actuelle, comme je l'ai dit en ayant l'honneur de parler à la chambre jeudi, ne laissant plus qu'une courte fraction d'été, dont j'ai le pressant besoin de disposer, je viens demander un congé qui m'est nécessaire, après neuf mois de session, interrompus seulement par des temps d'arrêt indéterminés dans leur durée et imprévus.

« Si la chambre, après la discussion générale concernant une longue et vaste série de travaux, dont plusieurs sont improvisés, remettait le débat sur les articles au commencement de la session prochaine, de manière qu'ils pussent être mûrement explorés, selon leur importance particulière, j'essayerais de prendre une part plus ou moins utile à cet examen, selon mes connaissances des lieux ; que si la discussion continue au contraire, malgré la difficulté présente de la rendre sérieuse, je pense que tout effort dans ce but sera sans effet, c'est pourquoi je cède à l'urgence qui m'engage à solliciter un congé.

« Veuillez agréer, M. le président, l’assurance de ma respectueuse considération,

« Comte F. de Mérode. »

- Le congé est acordé.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. Le Hon. - J'avais désiré prendre part, dès le principe, à la discussion générale ; mais j'ai cru devoir, comme membre de la section centrale, écouter, avant tout, des orateurs inscrits pour combattre la loi.

Au point où la discussion est parvenue, je me bornerai, en me renfermant dans les principes, le but et le système de la loi, à fortifier, par le témoignage des faits, les arguments déjà produits en sa faveur.

Et d'abord deux mots à l'opposition. Si des étrangers ont assisté à nos débats la semaine dernière, ils ont dû se former une singulière idée de notre moralité politique, ou bien admirer plus que jamais le calme profond d'un pays qui serait aussi mal administré.

Nous avons entendu, en effet, dénoncer, à cette tribune, avec une véhémence extrême, la coalition honteuse des intérêts les plus égoïstes, la dilapidation des finances publiques, la soumission humiliante de la majorité, le trafic intéressé des votes, enfin l'audace d'un ministère qui, pour acquitter des dettes électorales de 1847 et prolonger son existence, ne craindrait pas d'entraîner le pays au déficit et à la banqueroute.

Voilà le triste tableau de fantaisie qu'on a placé sous nos jeux. Il est vrai que ceux qui criaient le plus haut au pillage du trésor, réclamaient à l'instant même et à l'envi leur part du butin ; il est vrai qu'ils ne se faisaient aucun scrupule de rendre leurs commettants complices de ces coupables énormités.

Aussi la chambre, pas plus que le pays, ne s'en est émue : elle a compris que tout ce bruit n'était que tactique parlementaire.

Cependant, quelle que soit la licence du langage permise à l'opposition, il est des limites qu'elle ne doit pas franchir : c'est le respect de la loyauté et de l'indépendance des opinions qu'elle attaque. Ce respect, je dois le dire, elle ne l'a pas gardé.

(page 1972) Je me propose d’examiner si, dans les arguments qu’elle a produits, il y en a de nature à ébrnler des convictions sincères, des convictions affranchies, comme les miennes, de l’esprit de localité et de l’esprit de parti.

J’approuve le projet de loi au point de vue de son ensemble. Je pense que dans les gouvernements où domine l’élément démocratique, les mots « utilité générale » ont une acception plus étendue que dans les autres, en ce sens qu’ils embrassent un plus grand nombre d’intérêts dont l’administraiton doit tenir compte dans toutes les mesures d’amélioration matérielle et de travaux publics.

Or, je le demande, lequel est préférable : ou que la conception d'un ensemble de travaux émane de la région élevée du pouvoir ou qu'elle parte incidemment d'une assemblée que travaillent et divisent les intérêts de localité.

Dans les deux cas, on voudrait en vain se le dissimuler, il y aura toujours ce « concert » qu'on appelle coalition, et qui n'est autre, apiès tout, qu'une conséquence de la liberté. Mais, dans le premier cas, la coalition sera légitime et conforme aux conditions gouvernementales ; tandis que, dans le second, elle résultera souvent d'alliances formées par l'esprit de localité ou de parti, dans lesquelles la dignité de la chambre n'a rien à gagner.

On a reproduit contre le principe de la loi cette doctrine que le gouvernement n'est pas propre à intervenir dans l'exécution des travaux publics.

Cette thèse favorite de quelques membres de la chambre n'est pas nouvelle. Elle date de plus de trente ans, et elle était soutenue alors par des économistes distingués ; mais, depuis trente ans, les peuples, les institutions politiques et les sciences ont marché en avant. L'industrie et les biens de la paix ont pris une part de plus en plus large dans la vie des individus comme dans celle des nations.

Les travaux publics sont appréciés comme des instruments de prospérité générale, destinés à accroître la puissance productive des sociétés, contribuant à la force et à la grandeur du pays, en même temps qu'à la liberté positive des citoyens. Ils sont au premier rang des affaires d'Etat et appellent, à ce titre, de plus en plus l'action des gouvernements.

Aussi voyons-nous leur action directe dans les travaux publics admise comme règle générale dans tous les Etats du continent, soit en exécutant eux-mêmes, soit en prêtant leur assistance financière à l'industrie privée.

Je sais bien, et d'autres orateurs l'ont rappelé, que l'Angleterre fait exception : mais cela tient à cette cause essentiellement politique que l'aristocratie anglaise, prépondérante dans le pays, depuis la défaite et l'amoindrissement du pouvoir royal, n'a pas voulu que le gouvernement ressaisit, par l'exécution et la possession des grandes voies du communication, une influence qui absorbât la sienne dans les comtés.

Elle a compris néanmoins que des voies de transport perfectionnées, de bonnes routes, de bons canaux importaient à la prospérité du royaume, et elle a su par son immense fortune et son impulsion accomplir cette grande œuvre. L'exemple donné, en 1758, par le due de Bridgewater, premier promoteur des travaux de canalisation, fut suivi par des lords, de riches industriels et des compagnies, et c'est ainsi que l'Angleterre fut magnifiquement dotée de lignes navigables, sans le concours du pouvoir central.

La France, adoptant en cela les doctrines de (erratum, p. 1981) ses économistes, imita longtemps l'inaction du gouvernement anglais, sans posséder, comme la Grande-Bretagne, la double compensation des grandes fortunes privées et de l'esprit pratique d'association, et cependant elle as ait précédé sa rivale, de près d'un siècle, dans l'exécution des grandes voies de navigation ; car c'est en 1762 que Riquet avait présenté à Colbert le projet de canal du Midi dont l'exécution iil la gloire d'un règne.

Aussi, veuillez remarquer la position relative qu'amène, pour chaque nation, dans la suite (erratum, p. 1981) des temps, ce système de travaux publics plus ou moins bien approprié à sa constitution sociale et à ses besoins matériels.

Je prends une date à laquelle je puis comparer les canaux et les chemins de fer exécutés en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, c'est celle de 1845 : (tableau non repris dans la présente version numérisée)

C'est, en faveur des Etats-Unis, par million d'habitants, quatre fois autant de canaux que la France et 3 1/2 fois autant que l'Angleterre.

C'est 17 fois autant de chemins de fer que la France et 6 fois autant que l'Angleterre.

« Si l'on évalue les ouvrages terminés à cet époque aux Etats-Unis, à 14,000 kilomètres seulement, les chiffres réunis de l'Angleterre et de la France ne s'élevant qu'à 14,000, il en résultera que les communications perfectionnées dont l'Union américaine jouissait et qu'elle avait achevés en 25 ans, était à peu près égale à toutes les voies de la même espèce que l'Angleterre et la France avaient non seulement terminées, mais ébauchées depuis l'origine, c'est-à-dire depuis un siècle, pour la Grande-Bretagne, et depuis deux siècles, pour la France.

« Les gouvernements des Etats de l'Amérique ont contribué à la dépense de l’œuvre générale pour les trois quarts, soit en exécutant eux-mêmes, soit en assistant pécuniairement les compagnies.

Je place ces faits sous l’autorité respectable de M. Michel Chevalier.

Quand je vous cite comme exemple la supériorité de l'Amérique du Nord, mon but est de démontrer que plus la liberté domine dans les institutions politiques d'un pays, plus les intérêts généraux prennent d'empire et plus l'action gouvernementale est directe et incessante dans les travaux d'utilité publique.

Aussi, remarquez-le bien, il n'est pas un gouvernement, quelque absolu qu'il soit, qui ait échappé, en Europe, à l’influence de ce principe. L'Autriche, la Russie, la Prusse et la Bavière sont entrées dans cette voie. Elles ont compris, comme les Etats plus avancés dans la liberté, que le bien-être d'une nation est une des meilleures garanties d'ordre intérieur, et que la prospérité est un élément essentiel de grandeur et de force.

Ces réflexions et les faits répondent aux honorables membres qui combattent le plus vivement toute intervention de l'Etat dans les travaux publics.

D'après certaine école qui compte pour adepte persévérant, dans cette enceinte, un homme à l'indépendance et aux lumières duquel je rends justice, les gouvernements, tels qu'elle les conçoit, n'auraient d'autres attributions que celles de garde champêtre, de sergent de ville ou de gendarme, c'est-à-dire, n'auraient qu'une mission de sûreté publique et rien de plus.

Cette école ne reconnaît point d'existence sociale, ni d'unité nationale, point de communauté ni de solidarité : Il n'y a pour elle, que des individus et des communes ! et encore, des communes ; c'est une concession que je lui fais ; car si le gouvernement et les chambres ne peuvent pas disposer du trésor public pour des œuvres de prévoyance et d'avenir, l'administration communale qui est aux citoyens ce que le pouvoir central est aux communes doit se renfermer aussi dans les simples attributions de police, tout autre emploi des deniers communaux (erratum, p. 1981) appartenant, suivant la doctrine des honorables membres, au libre arbitre des administrés.

Je ne veux pas, messieurs, discuter en ce moment une théorie combattue par les faits et abandonnée aujourd'hui par la science. Je me borne à résumer ainsi le principe qui doit prévaloir dans notre pays.

L'exécution des travaux publics réclame la puissance des capitaux.

L'industrie privée ne la possède que par les grandes fortunes ou par l'esprit d'association.

Ces deux moyens manquent chez nous.

Celui qui est riche en Belgique, mais qui l'est seul, c'est tout le monde, c'est l'Etat.

L'Etat seul peut donc exécuter, appuyer ou encourager les grandes entreprises dont le but est d'étendre le bien-être à toutes les classes de la population.

Quel est le meilleur mode d'intervention de l'Etat ? il y a, me semble t-il, des règles généralement admises.

L'Etat exécute les travaux d'une utilité générale qui ne sont pas de nature à donner des produits directs et immédiats. Je place dans cette catégorie la canalisation des rivières.

Il concède ceux dont les produits directs offrent un caractère de certitude qui les fait rechercher par l'industrie privée sans condition de concours.

Il est des travaux qui, bien que d'intérêt public, n'offrent pas à l'entreprise particulière des avantages assez certains ou assez immédiats pour être sollicités par elle sans une sorte d'appui moral ou financier. C'est alors le cas de l'assistance du gouvernement, je veux dire, de la garantie d'un minimum d'iniérêt.

Un honorable membre a dit que cette garantie était appliquée dans le projet de loi de manière à en tuer le principe. Je ne partage pas cette crainte. Si le chemin de fer de Dendre-et-Waes est une excellente ligne, elle appartient à la catégorie des concessions pures et simples. C'est la règle la plus rationnelle.

L'honorable membre aurait voulu que le gouvernement, pour n'avoir rien à payer, pour n'accorder qu'un simple appui moral, choisît celui là et ne garantît pas les autres. Ce serait enlever à ce mode d'intervention son caractère sérieux.

Au surplus, le système de garantie, tel que je le conçois, a prévalu dans tous les pays, excepté en Amérique. Là les gouvernements tantôt prêtent le crédit de l'Etat, tantôt font des avances ou des prises d'actions. Quelques-uns s'associent aux chances des concessionnaires.

On cite même un Etat qui a posé ce principe que le gouvernement est engagé d'avance à s'intéresser pour les deux cinquièmes à toutes les entreprises sérieuses de travaux publics. Mais en Europe, et chez nous en particulier, je pense que la garantie d'un minimum d'intérêt présente un avantage spécial, c'est d'abord (erratum, p. 1981) que l’engagement de l’Etat ne commence qu’au moment où l’intérêt public jouit d’une communication nouvelle ; ensute qu'il est favorable à la spéculation honnête par l'alliance du positif et de l'aléatoire.

Cette combinaison a obtenu en France un succès instructif dans une circonstance dont l'analogie est frappante : Peu de mois après la révolution de 1830, la ville de Paris voulut emprunter 40 millions ; elle émit l'emprunt à 4 p. c, mais en attachant des primes de remboursement à certains titres à désigner par la voie du sort. Cet emprunt a merveilleusement réussi. Il offre l'équivalent de la garantie d'un minimum d'intérêt en matière de travaux ; car une part est faite au positif, c'est l'intérêt de 4 p. c. et une part aux chances aléatoires ; c'est la prime de remboursement, qui représenle le produit éventuel des travaux à exécuter.

Mais on craint que la garantie d'intérêt appliquée, dit-on, trop (page 1973) légèrement, n'entraîne l'Etat dans des pertes énormes. Messieurs, quel que soit le choix des ouvrages garantis, l'expérience prouve que les travaux publics faits dans un pays ajoutent à sa richesse et même augmentent les recettes du trésor. Savez vous ce qu'en France on a obtenu d'accroissement de recettes depuis la loi dite de 100 millions votée en 1833 et de laquelle date l'élan donné aux travaux publics ?

La France a vu dès 1840 les impôts existants, sans aggravation de taxes, produire 25 millions de plus que les prévisions, et dans les années suivantes cette augmentation est montée à 77 millions. Des administrateurs, à même d'être bien informés, affirment que chaque fois que la ville de Paris a fait exécuter pour 5 millions de travaux, ses perceptions augmentent d'un million dans l'année.

La garantie d'un minimum d'intérêt est également appliquée en Prusse, en Autriche et en Russie.

Mais comme on a beaucoup parlé des ménagements à garder envers le trésor, il n'est pas sans à-propos de vous soumettre une comparaison établie entre le système administratif de la Restauration, en France, et le régime introduit par le gouvernement de Louis-Philippe. Voici ce que je trouve dans un recueil économique très estimé :

« Sous la Restauration, le budget extraordinaire a été à peu près nul. Et pendant les dernières années, le budget ordinaire avait été à peu près fixe. Le gouvernement alors se contentait d'entretenir et d'améliorer ses routes, en portant lentement à l'état d'entretien ce qui n'y était pas (…)

« Il paraît avoir été constamment dominé par le désir d'avoir des finances dans un ordre parfait, et il y avait réussi (…)

« On eut sans cesse, pendant ces quinze années, une extrême répugnance à ajouter quoi que ce fût aux dépenses de l'Etat.

« Mais on exagéra cette bonne pensée. On ne comprit pas suffisamment que le gouvernement le plus économe n'est pas nécessairement celui qui dépense le moins, et qu'il y a de certaines natures de dépenses qui enrichissent les Etats, de même que les particuliers. Les travaux publics sont dans ce cas.

« Le gouvernement de 1830, une fois qu'il put se croire affermi, adopta, au contraire, le système qu'il faut dépenser sans crainte lorsqu'on dépense utilement.

« Nulle part l'accroissement des dépenses n'a été aussi visible que dans le budget des travaux publics.

« Malheureusement, il s'est manifesté sur d'autres budgets dont l'augmentation n'est pas, à beaucoup près, aussi utile à l'intérêt général (la guerre, la marine).

« Travaux exécutés en France depuis 1831 jusqu'en août 1847, pendant 16 ans, par l'Etat, sur le trésor public : routes 233,243,000 fr. ; canaux : 223,600,000 fr. ; rivières : 151,640,000 fr. ; chemins de fer 725,694,650 fr. Total 1,334,177,650 fr.

« Ainsi le gouvernement de 1830 trouva la dépense de l'Etat pour travaux publics à 45,000,000 environ.

« Il la porta successivement à 185 ou 190 millions. D'après ce qui était voté pour 1848, c'eût été de plus de 200 millions. Il l'a donc au moins quadruplée. En supposant la somme bien employée, c'est fort remarquable et fort louable : c'était de la sage politique, de celle que l'économie publique avoue hautement. »

Eh bien, messieurs, en 16 années, la France a dépensé cet énorme capital au-delà des budgets ordinaires, indépendamment de prêts faits aux compagnies et évalués à 317 millions.

Mais, nous dit-on, l'état de nos finances permet-il de si importants travaux ? Je suppose que l'on veut parler ici de l'état de notre dette publique ; eh bien, il nous est permis d'apprécier ce que peut la Belgique comparativement à ce que font d'autres Etais avec des dettes incomparablement plus fortes.

Vous admettrez sans doute que le trésor ne peut être assimilé, ainsi qu'ont paru le faire quelques orateurs, soit à une sorte de « casauba » dans laquelle il faudrait laisser entasser des capitaux stériles, soit à une caisse publique où chaque contribuable aurait, pour ainsi dire, à revendiquer sa part, ou bien à en déterminer l'emploi. Le trésor, comme je le comprends, est le fonds commun destiné à toutes les dépenses de véritable intérêt général, sous l'autorité du gouvernement et des chambres.

Eh bien, quelle est à ce point de vue la situation financière de la Belgique qui a dû se constituer, s'organiser, faire, en un mot, les frais de son premier établissement ? Elle a 611 millions de dettes ; mais, sur cette somme, la dette payée à la Hollande et les dépenses d'organisation du pays, ont absorbé 397 millions. C'est le prix, en quelque sorte, de notre entrée dans la grande famille européenne. Depuis lors qu'avez-vous fait ? Vous avez dépensé, intérêt compris, 240 à 250 millions pour des travaux publics qui vous donnent net 10,400,000 fr. de revenus directs. Vous avez utilement placé des capitaux. Et je ne parle pas de ce que ces travaux ont ajouté aux ressources ordinaires de l'Etat.

Nos charges publiques réparties, à raison de la population, sont de 27 fr. par tête.

En France,où la dette s'élève à 5,200,000.000 de fr., chaque habitant paye 42 fr. 50 c. par tête, et la dépense extraordinaire pour les travaux publics est de 200 millions par an.

En Angleterre, la dette est de 19,500,000,000 de fr., dont 16 milliards ont été donnés au crédit brîtannique au temps de ses longues guerres avec la France, et là, on paye par tête 50 fr. d'impôt général, sans tenir compte des énormes taxes particulières.

En Hollande, où la dette est de fr. 2,600,000,000, on supporte aussi par tête 40 fr. d'impôt.

L'état de nos finances n'est donc pas un obstacle à l'exécution d'importants travaux publics.

On dit encore que l'ensemble proposé par le projet de loi est moins impartial, moins juste, moins complet que celui de 1845 : Examinons.

A cette époque les circonstances étaient plus favorables, le ministère avait à choisir. Les offres arrivaient de toutes parts ; l'engouement était général. Aujourd'hui, aucun empressement ne se manifeste, et les capitaux sont timides et rares. Je me demande si le projet de loi que nous discutons ne tend pas à remettre en cours d'exécution, avec l'appui de l'E'at, une partie des concessions paralysées par les événements.

Et à cet égard, comme il faut être juste envers tout le monde, je dirai, après avoir examiné avec attention les deux systèmes de 1845 et de 1851, qu'à chacune de ces époques un membre du cabinet s'est trouvé placé au milieu de circonstances qui exposent aux soupçons d'entraînement ou de partialité, qu'on n'a pas épargnés, dans cette discussion, à l'honorable M. Frère.

Si ce dernier appartient à une province qui est largement dotée dans le projet de loi, l'honorable M. Dechamps était, en 1845, dans une situation analogue à l'égard d'un arrondissement dont le chef-lieu, Charleroy, semble avoir été le centre autour duquel rayonnait un nombre assez notable de concessions décrétées.

Je déclare d'avance que je repousse toute pensée qui serait blessante envers l'un comme envers l'autre de ces honorables membres. Je compare des faits tels qu'ils sont et je ne m'étonne pas qu'un ministre propose des mesures, d'ailleurs sollicitées par l'industrie privée, en faveur d'intérêts qu'il est à même de connaître et d'apprécier mieux.

Je n'aborde cette comparaison que par suite de l'assertion de l'honorable M. Dechamps, que le projet de loi serait moins juste, moins complet que les siens.

Charleroy possédait un canal qui lui assurait un accès facile et à Bruxelles et en Hollande ; la Sambre canalisée, se reliant au canal de jonction de la Sambre à l'Oise, transportait ses produits dans le bassin de la Seine.

C'était là une position acquise en 1845. A cette époque, on lui donne le chemin de fer de Marchienne à Erquelinnes, en prévision du chemin de fer projeté de St-Quentin à Maubeuge, et le chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse qui lui ouvre le marché des Ardennes ; il obtient aussi un embranchement sur Gembloux, qui, par le chemin de fer de Louvain à la Sambre, le met en rapport avec cette ville. Il profite en outre du chemin de fer de Manage à Mons, particulièrement affecté, il est vrai, aux intérêts du Centre, mais qui abrégeait le parcours des houilles de Charleroy vers les Flandres.

M. Pirmez. - En 1845, cela ne coûtait rien à l'Etat.

M. Le Hon. - L'honorable M. Pirmez me fait une objection dont je le remercie, parce qu'elle me rappelle que j'ai oublié quelque chose. (Interruption.)

Oui, indépendamment des avantages que je viens d'énumérer, Charleroy a obtenu des réductions de péage en 1849. Quoi qu'en dise l'honorable M. Pirmez, les capitaux du syndicat fournis à l'entrepreneur du canal étaient bien réellement des fonds du trésor public, des deniers des contribuables, et de ce qu'un arrondissement jouit de travaux concédés, ce n'est pas un motif pour qu'il ait droit de contester l'intervention financière de l'Etat dans d'autres localités où les travaux utiles ne seraient pas de nature à être mis en concession.

Au point de vue de la justice distributive et même de la bonne administration, le système de 1845 méritait bien quelque reproche pour une lacune assez grave ; le gouvernement accordait, pour compensation, au Couchant de Mons, le chemin de fer de la Dendre et le canal de Jemmapes à Alost ; c'est-à-dire une navigation artificielle, directe sur Anvers : mais l'honorable ministre des travaux publics de 1845 était-il équitable alors envers cette autre voie fluviale, qu'un de nos ingénieurs les plus distingués appelait le roi des fleuves ; envers l'Escaut, qui de tous temps a transporté les produits du Couchant de Mons dans les Flandres et à Anvers ?

Avant d'enlever à ce fleuve le principal aliment de son activité, ne fallait-il pas équitablement améliorer sa navigation, dévaser son lit, redresser ses courbes, construire des écluses, en un mot, exécuter, sans délai, les travaux indiqués, je crois, dès 1842 ?

C'était là ce que devait obtenir d'abord le Couchant de Mons. et si cette navigation, rendue plus régulière et moins lente, n'offrait pas aux producteurs des conditions satisfaisantes d'économie et de sûreté, alors seulement se manifestait la nécessité d'une voie nouvelle.

Qu'en est-il résulté ? C'est que les exploitations du Couchant de Mons n'ont eu aucune des compensations promises, ni canal, ni chemin de fer vers la Dendre, tandis que l'Escaut amélioré leur eût donné, au moins provisoirement, une satisfaction certaine.

Je regrette que le Hainaut ne soit point partagé dans le projet de loi actuel, comme le méritaient son importance et ses besoins ; mais je suis obligé de reconnaître qu'il a été moins oublié que ne le fut l'Escaut en 1845, et si quelque appel à l'équité devait être fait, je ne m'attendais pas qu'il le fût au nom du bassin de Charleroy.

Au surplus, cela ne m'empêchera pas d'être juste, même envers (page 1974) la Meuse. Les travaux qui tendent à prévenir ses désastreuses inondations ont un caractère de nécessité publique incontestable, et les ouvrages de canalisation sont une partie des améliorations fluviales, dont M. l'inspecteur Vifquain embrassait l'ensemble et expliquait les utiles réactions dans son grand rapport de 1842 ; il s'y exprime en ces termes :

« Les bienfaits à résulter de l'exécution des navigations nouvelles, devant s'étendre et se répartir autant que possible sur tout le pays, et présenter le caractère de généralité le plus large, l'étude des besoins et de leurs éléments d'appréciation devraétendre également à tout le royaume.

« Non pas qu'il entre dans notre pensée que des canaux véritablement utiles y soient partout exécutables et que toutes les rivières soient susceptibles d'être améliorées avec un avantage marqué : mais bien dans l'intention de montrer que l'utilité résultant de ces constructions ne doit pas seulement être envisagée comme restreinte uniquement à favoriser les intérêts des localités rencontrées ; mais aussi et le plus souvent comme réagissant sur une très grande partie du pays.

« C'est ainsi par exemple, que le canal de Selzaele intéresse à la fois les provinces des Flandres et de Hainaut, parce qu'il affranchira les canaux de Gand à Bruges, de Bruges à Ostende et à Nieuport de l'écoulement des eaux du Nord des Flandres et qu'il permettra de déverser de nouveau sur Ostende par le canal de Bruges une partie des grandes eaux de l'Escaut et de la Lys.

« Que la canalisation de la Meuse intéresse au plus haut degré les provinces de Limbourg, de Liége, de Luxembourg et de Namur ;

« et que le canal de la Campine qui joindra la Meuse à l'Escaut inférieur, aura une influence très favorablc sur le commerce et l'industrie des provinces d'Anvers, de Limbourg, de Liége, de Brabant, de Namur, etc. »

Je ne puis blâmer que l'on fasse exécuter par l'Etat des travaux qui, de leur nature et selon les principes que j'ai rappelés tout à l'heure, ne.sont pas concessibles.

Je termine par quelques courtes considérations favorables à l'opportunité de la loi.

La chambre, dans le cours de cette session, a résolu de graves questions politiques, voté des institutions utiles à la classe des travailleurs, rétabli, autant qu'il dépend d'elle, l'équilibre financier et affecté un fonds spécial à l'exécution de travaux publics. En adoptant, sauf les modifications de détail, l'ensemble de ces travaux, elle aura fait au pays la meilleure situation dans laquelle il puisse attendre, avec sécurité, la crise éventuelle de 1852. Là, sont pour moi des motifs réels et sérieux d'opportunité.

Un honorable membre de la droite nous a conviés à la conciliation : je partage son désir.

Le terrain sur lequel nous place le projet de loi est commun à toutes les administrations qui ont exercé le pouvoir depuis 1830.

Des deux côtés se trouvent ceux qui ont commencé, poursuivi et développé la canalisation et le défrichement de la Campine, et je saisis cette occasion de rendre hautement justice à M. l'ingénieur Kummer, qui, sous les différents ministères, a dirigé l'exécution de cette grande œuvre avec un talent et un succès qui honorent notre pays et obtiennent les suffrages unanimes des juges les plus compétents.

Que la cause de la prospérité publique et du travail fécond réunisse tous les bons esprits.

Que l'étranger puisse estimer l'accord patriotique des résolutions comme il admire la beauté des rsultats.

Quoi qu'il arrive, ce sera un nouveau titre d'honneur pour l'opinion libérale, après avoir sauvé le pays par son avènement au pouvoir en 1847, de le rassurer et le protéger par sa prévoyance en 1852.

M. de La Coste. - Au point où en est venue la discussion, je ne chercherai pas à y faire rentrer la chambre, comme si elle n'avait pas entendu les brillants discours qui ont été échangés et dans lesquels il ne m'a point élt donné de rencontrer je ne sais quel retentissement d'une agitation factice, mais plutôt ce qu'à différents points de vue la conscience dicte au talent.

Ne m’étant proposé que de parcourir un cercle très restreint, je ne m'engagerai pas, avec l'honorable préopînant, dans la question politique, ni dans celle de l'exécution des travaux publics par l'Etat.

Cette question si souvent débattue m'entraînerait trop loin. Peut-être n'est-elle pas susceptible d'une solution générale et absolue ; mais je félicite les pays où l'intervention du gouvernement peut se borner à un sage contrôle et à des encouragements dans des cas très spéciaux.

Un tel état des choses suppose du moins beaucoup de respect pour la propriété, beaucoup de liberté véritable, beaucoup d'intelligence, de courage et d'énergie.

Tout en me renfermant dans le cercle que je me suis tracé, je rencontrerai, en passant, un reproche que l'honorable comte Le Hon adresse à quelques adversaires de la loi.

Il est un point, j'en conviens, sur lequel il règne ici un merveilleux accord.

Un des honorables défenseurs de la loi, sur une interpellation qui lui a été adressée, a déclaré franchement que si le projet du ministère n'avait point fait une part satisfaisante aux intérêts qu'il a plus spécialement la mission de défendre, il aurait voté contre la loi, parce qu'il la considérerait comme injuste. D'autres membres, ainsi qu'on vient de le dire, en se prononçant contre la loi, ont dit qu'ils acceptaient la part de faveur qu'elle fait aux localités qu'ils connaissent le mieux et pour lesquelles ils ont le plus de sympathie. On aperçoit là une contradiction ; l’histoire est plus indulgenle : elle cite avec éloge l'exemple de ce Romain qui, après s'être opposé à une distribution proposée par l'un des Gracques, au jour marqué pour l'exécution de cette mesure, parut, comme les autres, sur le marché armé de son panier.

Le tribun triomphait de cette inconséquence apparente ; mais l’homme au panier, par quelques mots pleins de bon sens et de simplicité, fit voir que si, au point de vue de l'intérêt public, il avait dû combattre une prodigalité, lorsqu'on distribuait ce qui appartenait à tout le monde, il n'en avait pas moins droit à en réclamer sa part. Les rieurs furent pour lui.

C'est là une idée qu'il ne faut blâmer chez personne ; car elle est au fond de tous les esprits. Elle s'ennoblit quand on défend les droits d'autrui. Elle est surtout vraie en matière de travaux entrepris par l'Etat ; car si les canaux, les chemins de fer tendent à développer la richesse publique, ils ont aussi pour effet de la déplacer.

Si lorsque l'industrie privée est livrée à elle-même, il arrive qu'elle change d'équilibre, qu'elle détourne les relations commerciales, on peut soutenir que l'Etat doit y rester indifférent ; mais quand c'est l'Etat lui-même qui cause le mal, il doit, s'il est possible, chercher à l'atténuer.

Toujours, en Belgique, les grands travaux ont réagi les uns sur les autres. Ceux qui ont été adoptes, même isolément, en ont fait surgir d'autres, et combien cet effet ne doit-il pas être plus sensible, lorsque nous discutons une loi qui cumule un si grand nombre de travaux et des travaux si dispendieux !

Ce n'est point à dire qu'il faille une part égale pour chaque province, pour chaque arrondissement et peut-être pour chaque commune ; car ces divisions du territoire sont plus ou moins arbitraires, et ne représentent ni la même étendue, ni la même population, ni des intérêts aussi importants ; mais ce que l'on peut demander, c'est que les mêmes principes, les principes une fois adoptés, soient appliqués partout équitablement.

Aussi, messieurs, les ministres ont dit qu'ils voulaient acquitter la dette de 1845 et de 1846.

Ils ont dit : Il y a des travaux commencés, des ouvrages d'art qui dépérissent, de terrains enlevés à tout usage utile. C'est là, je l'avoue, une considération puissante ; c'est là pour moi une raison, sinon de faire tout ce qui est demandé, au moins de faire quelque chose.

On a encore invoqué les droits que donnent des votes législatifs.

Mes collègues louvanistes et moi, nous avons donc dû être péniblement surpris à l'apparition de ce projet de loi, de ce que l'arrondissement de Louvain, qui a 175,000 âmes, quatre villes dont une de 30,000 âmes, une de 10,000 âmes, une de 8,000 âmes, une de plus de 4,000 âmes, fût entièrement passé sous silence, de ce que la ligne concédée de Louvain à la Sambre n'ait pas été comprise dans les propositions du gouvernement ; tandis que tous ces motifs d'intervention y sont applicables.

Je remercie la section centrale d'avoir, d'accord avec le gouvernement, fait droit aux réclamations que mes collègues de l'arrondissement et moi avions formulées en ce sens ; j'espère aussi que la chambre sanctionnera cette proposition.

En ce qui concerne le point qui nous touche le plus directement, c'est-à-dire le tronçon de Louvain à Wavre, c'est un cas où ceux qui soutiennent que la garantie d'intérêt ne doit être qu'une garantie morale, peuvent facilement s'associer à ceux qui admettent la garantie dans un sens plus étendu.

En effet, ce tronçon était évalué précédemment (et vous savez que les ingénieurs ne font jamais d'évaluations trop élevées) à 4,900,000 fr. Ce n'est pas exagérer, c'est rester en dessous de la vérité, que de calculer que les capitaux utilement engagés dans cette partie de route seront au moins de cinq millions. C'est les calculer extrêmement bas.

Ce n'est pas trop de supposer, sur une ligne qui est bonne, que l'industrie privée a voulu entreprendre en 1837, qu'il y aura un intérêt de 2 p. c. Or, 2 p. c. sur cinq millions, c'est 4 p. c. sur deux millions et demi. De sorte que, tout en déclarant que c'est une garantie utile que j'accepte pour cette ligne, je dois dire que l'Etat ne s'engage dans la réalité à rien.

On n'a fait jusqu'ici à la ligne de Louvain à la Sambre qu'une seule objection.

On a dit que la concession avait été frappée de déchéance. Mais elle a éprouvé à peu près les mêmes vicissitudes que toutes les autres. Elle n'était pas encore déchue à la fin de 1847 ; mais elle avait ressenti les effets de la crise commerciale, qui a précédé la crise politique. Elle a ensuite été atteinte par la crise politique de 1848. Je ne fais pas au gouvernement un reproche d'avoir provoqué cette déchéance.

Cependant il me semble que dans les circonstances données il devrait en résulter une certaine faveur pour cette ligne plutôt qu'une défaveur, et cela à un double point de vue : d'abord pourquoi l'Etat intervient-il à l'égard des lignes concédées, qui ont besoin d'une garantie pour être terminées ? Ce n'est pas en vertu d'une obligation formelle ; c'est parce que l'Etat doit agir en bon père de famille ; il ne veut pas que les travaux commencés demeurent inutiles et dépérissent. Mais cette considération est bien plus puissante lorsque le gouvernement est devenu propriétaire d'une ligne ; car c'est sa propriété qu'il améliore et conserve.

D'un autre côté, il est pour moi évident que la déchéance a été prononcée principalement dans l'intérêt de la ligne du Luxembourg. Le gouvernement désirait être délié envers la compagnie du chemin de fer de Louvain à la Sambre, pour pouvoir exécuter plus facilement la ligne du Luxembourg, car la compagnie du Luxembourg devait emprunter la la ligne de Louvain à la Sambre, depuis Wavre jusqu'à Namur. Or il (page 1975) n'est pas juste que les intérêts engagés dans la ligne de Louvain à la Sambre soient sacrifiés sans compensation à ceux qui favorise une autre ligne.

On a dit : C'est l'administration communale de Louvain qui a provoqué cette déchéance. Mais pourquoi ? D'abord, parce qu'en 1849 la société du Luxembourg, pour être débarrassée de ses autres engagements, consentait à exécuter le canal de l’Ourthe et la ligne de Bruxelles à Namur. Avec les embranchements de Charleroy et de Louvain. Il y avait pour Louvain intérêt à ce que cette proposition fût admise, mais pour qu'elle le fût, il fallait d'abord que la société de Louvain à la Sambre fût déchue. Mais en second lieu, le gouvernement lui-même, et cela résulte des discussions du conseil provincial du Brabant, avait fait entendre qu'une fois que cette déchéance aurait eu lieu, il aviserait aux moyens de satisfaire aux désirs de l'administration communale de Louvain et des autres communes intéressées.

Messieurs, en obtenant la ligne de Louvain à Wavre, et dans la supposition que la société du Luxembourg exécute sa concession, nous obtenons, en effet, une partie de ce que la loi de concession nous avait fait espérer ; nous voyons également avec satisfaction revivre la ligne concédée de Wavre à Manage, et, à cet égard, nous donnons cordialement la main à nos collègues de l'arrondissement de Nivelles. Mais il n'en est pas moins vrai que plusieurs embranchements restent en souffrance et que nous demeurons encore ainsi dans une position d'infériorité. Nous avons surtout à regretter l'embranchement de Diest, qui était obligatoire pour les sociétés déchues.

Cette ville reste dans un complet isolement. Voilà un tort réel que nous éprouvons, et que nous éprouvons, je crois, en faveur de la ligne du Luxembourg. L'on reconnaîtra donc que ce n'est pas sans raison que nous demandons une compensation.

Messieurs, j'ai remarqué que lorsque l'honorable M. Landeloos et moi nous avons proposé à cet effet un amendement, il y a eu dans la chambre un certain mouvement que l'on désigne dans les journaux par le mot de « sensation ».

On a pensé que nous proposions un nouvel article et une nouvelle somme, tandis que nous proposons simplement un nouveau libellé et une légère augmentation de dépense.

On a cru que nous demandions au-delà de trois millions. Mais il n'en est rien. Nous demandons qu'on ajoute aux millions proposés pour le canal de Hasselt, de quoi relier Diest à ce canal, et c'est une chose extrêmement simple, extrêmement peu coûteuse.

Il semble, messieurs, que telle était l'intention primitive du gouvernement, car l'intitulé de l'article indique que le canal de la Campine sera relié à Hasselt et au Demer. Or, messieurs, si l'on s'arrête à Hasselt, c'est là une erreur de géographie.

Le Demer, à Hasselt, n'est qu'un courant d'eau ; pour trouver le Demer véritable, le Demer qui commence à devenir rivière, il faut aller un peu plus loin, il faut aller sur le territoire deLummen. Là le Demer a un tirant d'eau suffisant ; il est endigué, et, au moyen de raccordements peu coûteux, l'un pour franchir le moulin de Diest, l'autre pour relier ensuite le Demer au canal de Louvain, on organiserait une navigation modeste, mais utile, qui serait dans l'intérêt de tous les charbonnages que nous voyons ici se livrer bataille.

Ce serait celui qui fournirait les meilleurs produits et au meilleur marché qui l'emporterait sur ses rivaux. Les uns arriveraient par le canal de la Campine, les autres par le canal de Louvain, et il n'en résulterait qu'un avantage pour le commerce et pour le consommateur.

Ainsi, messieurs, il s'agit simplement d'un changement de libellé et d'une somme très faible. Et, en vérité, il me semble que, dans une circonstance comme celle-ci, il serait dur de refuser une semblable proposition. J'engage le gouvernement à vouloir bien y réfléchir. Par les millions qui courent, 700,000 à 800,000 fr. ne me paraissent pas devoir arrêter la chambre.

Messieurs, ce ne sont pas les petits et les faibles qui dévoreront de grandes sommes. Il faut les laisser approcher. Il y a des parts assez grosses pour que celles qu'on leur accorde n'effraient pas.

De deux choses l'une : ou cette loi sera ce qui a été souvent demandé dans cette chambre, un travail d'ensemble tendant à constater les lacunes de nos voies de communication, pour aviser à compléter celles-ci, soit immédiatement comme le gouvernement semble le désirer, soit par des mesures successives et partielles, mais portant sur la généralité et non sur quelques grands intérêts privilégiés ; ou bien, ce sera ce qu'on a reproché au projet primitif d'être ; ce sera ou cela paraîtra toujours à la nation l'œuvre d'une combinaison d'intérêts puissants que veulent lui imposer la loi. Ce serait là, messieurs, pour les circonstances qu'on nous présage dans l'avenir, une mauvaise préparation. C'est par l'union qu'il faut en conjurer les dangers.

Je ne pense point pourtant, messieurs, que les honorables collègues qui ont attaque quelques dispositions de la loi, puissent être accusés de vouloir troubler cette union. Ce n'est pas aux provinces qu'ils s'attaquent ; ce n'est pas aux localités ; ce n'est pas aux hommes ni aux intérêts. Messieurs, ils exercent une censure qui est une partie essentielle de notre mandat ; si cela ne pouvait avoir lieu, sans semer l'irritation, notre présence ici serait inutile.

Pour moi, messieurs, plus ou moins lié par mes antécédents et par mes sympathies en faveur de plusieurs des travaux proposés, je ne blesserai aucun de mes collègues en attaquant ceux qu'ils affectionnent particulièrement, et j'espère aussi, par une juste réciprocité, qu'ils envisageront avec un esprit non prévenu ceux auxquels j'attache de l'importance au point de vue local où je suis placé.

Quant à l'ensemble de la loi, dont je ne vous entretiendrai pas longtemps, j'éprouve à peu près la même perplexité qu'a si bien décrite l'honorable M. Manilius. Mais il se présente pmr moi un obstacle de plus, c'est la liaison, selon moi, étrangère à la réalité des choses, compromettante même pour les travaux proposés, qu'on prétend établir entre cette loi et une loi que j'ai combattue. C'est une discussion que je ne veux pas renouveler, d'autant plus qu'elle va s'ouvrir ailleurs. Je respecte l'opinion de mes collègues ; mais j'ai conservé la mienne et je ne voudrais point qu'on s'armât contre elle de mon vote, quoiqu'il n'eût point cette portée dans ma pensée.

Il y a encore un point qui, pour moi, n'est pas assez éclairé. Il me semble que l'on passe à coté de cette question. On n'explique pas, on ne démontre pas que les travaux concédés, et ici je ne parle pas des objets auxquels, comme je l'ai dit, je prends un intérêt plus particulier ; mais en général, on ne prouve pas que les travaux concédés avec garantie d'intérêt se trouveront dans une position aussi assurée que ceux qui s'exécuteront aux frais de l'Etat, et si cela n'est pas bien établi, il y a là un grand danger pour nos finances.

On viendra nous demander un nouveau concours, un concours plus efficace ; d'autres intérêts, qu'on aura cru satisfaits, profiteront encore de cette occasion pour demander de nouveaux sacrifices. Je pense, messieurs, que jusqu'à ce que ce point soit éclairci, notre adhésion à la loi ne serait qu'une immense duperie. Conformément au règlement, j'ai un amendement à déposer ; il est tellement simple que je ne crois pas nécessaire de le développer en ce moment.

Si quelques explications sont encore nécessaires, je les donnerai dans la discussion de l'article premier. Voici cet amendement :

«N éanmoins, le gouvernement se réserve de prendre au besoin les mesures nécessaires pour mettre en rapport le service de ces lignes et celui des embranchements qui seraient concédés à d'autres sociétés. »

M. Van Cleemputte. - Messieurs, j'avais été inscrit un des premiers pour prendre part à citte discussion ; une indisposition assez grave m'a forcé de quitter la séance dans laquelle mon tour de parole est venu. Si j'avais été appelé à parler alors, je n'aurais pu me dispenser d'entrer dans des considérations générales qui se rattachent au projet de loi eu discussion ; mais après que des orateurs si considérables ont touché toutes les questions importantes, je crois pouvoir me borner à dire quelques-mots sur l'ensemble du projet.

Je dirai, messieurs, que le projet de loi me paraît répondre complètement à tout ce que l'Etat pouvait faire à deux points de vue essentiels : Au point de vue tant de l'économie politique, qu'à celui de la politique.

Le gouvernement propose de doter une partie du pays des communications promptes et économiques qui lui faisaient encore défaut. De cette manière, messieurs, la Belgique entière à peu près sera placée dans les conditions requises pour pouvoir soutenir la concurrence de l'industrie étrangère, concurrence qu'il ne lui est pas possible d'éviter. Je suis de l'avis de M. le ministre des finances que la question de l'industrie est désormais en grande partie une question de transports ; doter toutes nos localilés de la matière première à bon compte, c'est faire en sorte que notre industrie, notre agriculture, et tous nos intérêts manufacturiers puissent lutter avee avantage.

Au point de vue politique, messieurs, le projet de loi ne me paraît pas moins heureux : nous avons devant nous un très grand danger ; 1852 peut s'écouler très pacifiquement, mais 1852 peut être aussi très menaçant ; si les événements se compliquaient, il est évident que le travail viendrait à manquer dans le pays ; beaucoup de nos industries chômeraient forcément. Or, que faut-il pour maintenir la tranquillité dans ce pays où la disposition des esprits est si heureuse ? Il ne faut qu'une chose, c'est le travail. Eh bien, en entreprenant des travaux considérables, les travaux qui sont projetés, nous nous assurons contre cette éventualité.

Nous avons, messieurs, dans le projet deux espèces de travaux ; les uns seront exécutés par l'Etat, les autres par des sociétés ; eh bien, il y aura toujours une partie de ces travaux qui recevront leur exécution ; si, par exemple, le pays avait besoin de tous ces moyens je ne crains pas que les travaux à exécuter par l'Etat soient un embarras pour le gouvernement : il suspendrait les travaux momentanément, et nous aurions, devant le danger, l'intégralité de nos ressources. Une autre partie des travaux est dévolue aux sociétés. On dit que s'il y a une crise, les sociétés n'exécuteront pas, que les actionnaires ne verseront pas. Je dis, moi, que les actionnaires verseront : ils auront déjà versé une partie et ils continueront à verser.

Dans tous les cas, les sociétés auront déposé un cautionnement important et en appliquant, au besoin, les cautionnements aux travaux à faire, nous traverserions très heureusement et très pacifiquement une crise même assez longue.

Messieurs, aux deux points de vue que je viens d'indiquer et qui, dans mon opinion, sont essentiels, je ne puis qu'approuver complètement le projet.

Quant aux détails, messieurs, j'avais demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Malou en ce qui concerne l'opposition qu'il a faite (page 1976) non pas à la ligne de Dendre-et-Waes et à la ligne directe, maïs à la combinaison proposée pour leur exécution. Mais je ne veux pas anticiper sur la discussion des articles. Du reste, messieurs, quant aux combinaisons autres que celle présentée par le projet de loi, et qui pourraient nous être soumises, je me réserve de les examiner. Je puis admettre toutes celles quelles qu'elles soient qui, sans léser les intérêts de l'Etat, satisferaient aux besoins et aux voeux de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter. En attendant, messieurs, je regarde la combinaison du projet de loi comme bonne, et j'ai la conviction que quand l'honorable M..Malou l'aura examinée plus mûrement, lui-même finira par l'accepter. J'ose, messieurs, en appeler de M.Malou à M. Malou lui-même.

Messieurs, pour le moment, je ne m'étendrai pas davantage. Je me réserve de prendre la parole lors de la discussion des articles qui nous concernent plus particulièrement, et j'ai la certitude que s'il existe encore des doutes sur la convention projeée pour le chemin de fer direct et pour celui de Dendre-et-Waes, ces doutes se dissiperont devant les explications qui leur seront données. Je compte à cet effet sur le concours de mes honorables collègues d'Alost, et surtout sur les lumières spéciales de mon collègue et ami M. Bruneau.

Je termine, messieurs, en me félicitant d'une chose, c'est que, à part les moyens d'y parvenir, tout le monde ici est d'accord pour reconnaître que la ville d'Alost et son arrondissement doivent être pourvus des voies de communication qui leur ont fait défaut jusqu'à ce jour et qui leur étaient dues depuis longtemps.

M. Rousselle. - Messieurs, je ne viens pas, au point où la discussion générale est parvenue, attaquer le projet de loi par des considérations politiques, dont la série me semble avoir été épuisée par les orateurs que vous avez déjà entendus. Me renfermant dans un cadre plus étroit, je me placerai au point de vue des intérêts matériels et je me bornerai à traiter plus particulièrement la question administrative et financière.

L'honorable représentant de Courtray qui a ouvert la discussion et qui a donné l'appui de sa parole au projet de loi, vous disait toutefois qu'il devait être bien entendu que si l'action des compagnies devenait insuffisante pour assurer l'exécution des travaux qu'elles consentent à entreprendre, l'intervention de l'Etat pourrait alors être invoquée à bon droit, car le classement des travaux dans l'une ou l'autre combinaison ne détermine pas leur degré d'urgence et ne doit pas leur donner une préférence sous le rapport de leur utilité.

Je partage cette manière de voir, et comme j'ai des doutes sérieux sur la réunion des capitaux nécessaires à l'exécution, si pas de la totalité, au moins de la plus grande partie des travaux confiés aux compagnies, je crois que la prudence réclame que la législature ne donne pas une affectation immédiate à la somme de 26 millions qui doit provenir de l'emprunt à contracter.

En effet, pour me servir du langage de l'honorable ministre de l'intérieur, il ne convient pas que des travaux commencés puissent rester inachevés ; il ne faut pas laisser des tronçons de travaux, des tranchées ouvertes sur une partie du territoire. Or pour éviter ces inconvénients, pour être à même de pourvoir aux nécessités éventuelles, il faut ménager les ressources que l'on veut se procurer aujourd'hui par des moyens extraordinaires.

Sommes-nous bien, d'ailleurs, en position de juger en pleine connaissance de cause toutes les questions qui se rattachent au projet de loi et surtout aux travaux compris dans le paragraphe 3, qui doivent être exécutés au compte de l'Etat ? Peut-on dire que le projet a été suffisamment étudié après cette avalanche de réclamations qui se précipite de tous les coins du pays ? Je ne le pense pas.

Ne croyez pas, messieurs, que je. veuille me placer au nombre de ceux qui repoussent systématiquement les travaux projetés dans la vallée de la Meuse ; au contraire, je trouve que le gouvernement a bien fait de se préoccuper de l'état de ce fleuve, tant en vue de prévenir les inondations, qu'en vue d'améliorer le service de la navigation ; mais pour citer ce qui m'est plus particulièrement connu, comme se rattachant à la province à laquelle j'appartiens, la vallée de l'Escaut, la vallée de la Dendre sont-elles moins dignes de sollicitude ? Cette question s'est présentée tout naturellement à mon esprit en voyant l'abandon où le gouvernement laissait la vallée de la Dendre dans le projet qu'il nous a soumis, et l'insuffisance des sommes qu'il demandait pour l'Escaut. Il ne pouvait cependant ignorer que non seulement la navigation de l'Escaut et celle de la Dendie réclament d'importantes et urgentes améliorations (et par là j'entends que les améliorations soient aussi efficaces que le permet le degré de perfection auquel est parvenu l'art de l'ingénieur), mais qu'il y a aussi dans ces deux vallées, à empêcher les désastres des inondations qui viennent si souvent les affliger.

Je regarde comme une nécessité de premier ordre, comme un devoir pressant de l'Etat, de garantir la propriété et la sûreté de nos concitoyens, non pas seulement dans la vallée de la Meuse, mais sur tous les points du pays traversés par des rivières navigables, et même par des rivières non navigables, lorsque l'Etat, par des ouvrages quelconques, a apporté des modifications au cours de l'eau. J'accorde à ce grand intérêt la priorité sur l'utilité qu'il peut y avoir d'améliorer la navigation, et même de développer la prospérité industrielle.

Quand les deux choses peuvent s'obtenir à la fois en combinant les ouvrages à exécuter, rien de mieux sans doute ; mais pourquoi cela ne se ferait-il pas pour l'Escaut et pour la Dendre, comme on le propose pour la Meuse ? Pourquoi le Hainaut et d'autres provinces auraient-ils moins de droit que Liége à la sollicitude gouvernementale ?

Ce qui me paraît d'ailleurs ne devoir jamais être sanctionné par une législature belge, c'est que l'on fasse un emprunt considérable sur lequel un seul centre producteur prendrait immédiatement tout ce qu'il lui faut pour commencer et parachever l'ouvrage qui l'intéresse, tandis que pour tous les autres, on ébaucherait à peine les améliorations dont ils ont également besoin, en en abandonnant l'exécution à toutes les incertitudes de l'avenir.

Partager équitablement les fonds de l'emprunt entre tous les ouvrages d'utilité publique, afin d'en assurer, dans un temps le plus rapproché possible, une exécution bien échelonnée, voilà, selon moi, le moyen de donner une satisfaction légitime à tous les in'érêls ; voilà ce que la justice distributive réclame. Est-ce là ce que l'on propose ? En vain on objecterait que les études sont faites pour l'un, et qu'elles manquent pour les autres ; car s'il reste des études à faire, ce dont il m'est permis de douter, soit pour l'Escaut, soit pour la Dendre, ce serait au gouvernement que l'on devrait en demander la raison. Dans tous les cas, il ne serait pas juste que la Meuse eût le prix de la course ; on peut très aisément attendre que les études soient terminées pour les autres voies fluviales, si tant est qu'il en reste à faire.

Un mot d'ailleurs sur les études faites pour la vallée de la Meuse. Le projet qu'il s'agirait d'exécuter est celui arrêté par M. l'ingénieur en chef Kummer, approuvé par le conseil des ponts et chaussées, le 23 février 1848.

Ce projet, comme vous le savez, a deux buts :

1° Prévenir les inondations périodiques, ou au moins en atténuer les effets ;

2° Améliorer la navigation depuis le bassin de Chokier jusqu'à l'origine du canal de Liége à Maestricht, donner à cette partie du fleuve le même tirant d'eau qu'au canal.

En ce qui concerne le premier but, peut-on être complètement rassuré sur l'efficacité des moyens proposés, lorsque l'on pense que, appelé à répondre à une dépêche ministérielle du 12 janvier 1848, qui lui posait cette question : « Le projet présenté par M. l'ingénieur en chef Kummer aura-t-il pour résultat d'atténuer les désastres de crues identiques à celles de 1571, 1643, 1740 et 1784, » le conseil des ponts et chaussées s'exprimait ainsi :

« A ce sujet, nous devons d'abord vous faire observer, M. le ministre, que comme il n'a pu nous être fourni par les auteurs des projets soumis à notre examen, aucun renseignement authentique par rapport aux crues d'eau de 1571, 1645 et 1784, il nous est impossible de répondre à la question qui précède en ce qui concerne ces crues d'eau.

« Quant à celle de 1740, par rapport à laquelle on nous a fourni le profil figuré en vert sur le nivellement suivant le cours de la Meuse, qui est annexé au présent rapport, nous avons déjà fait observer plus haut que ce profil ayant été dressé d'après des renseignements recueillis il y a un grand nombre d'années et peut-être pas avec les soins, l'exactitude et l'ensemble désirable, et correspondant d'ailleurs à un état de choses essentiellement différent de celui qui existe actuellement, d'où il résulte que la même crue d'eau donnerait lieu selon toute apparence, dans l'état actuel des choses, à un profil tout à fait différent, nous ne pouvions avoir que fort peu de confiance dans le résultat de calculs basés sur des données aussi incertaines.

« En conséquence, comme nous ne voulons vous donner, monsieur le ministre, qu'un avis sérieux, et qui soit le résultat d'une conviction réfléchie, nous devons déclarer qu'il nous est impossible de répondre d'une manière catégorique à celle des questions que vous nous avez posées et dont nous nous occupons en ce moment. »

La réponse que le conseil des ponts et chaussées n'a pu faire en 1848, il la pourrait donner aujourd'hui, puisque toutes les cotes des crues qui lui manquaient ont été recueillies par feu M. l'ingénieur en chef Guillery et publiées avec d'autres encore dans un mémoire daté du 15 janvier 1849 (Annales des travaux publics, tome IX, 1er cahier) ; et il y a cela de remarquable, qu'il serait d'autant plus à même de donner un avis sérieux,que la crue de 1850 fournit un complément de lumière, capable d'amener la plus entière conviction sur les meilleurs moyens à employer, afin de prévenir les inondations ou d'en atténuer les désastres.

Je me demande, avec une vive préoccupation, ce que l'on pourrait objecter dans l'avenir à la ville de Liége, si elle venait à réclamer de l'Etat de nouveaux travaux et de nouvelles dépenses, parce que l'on n'aurait pas pris en considération les crues d'eau connues, pour combiner le système d'ouvrages destiné à combattre les inondations.

Une nouvelle étude, un nouvel avis du conseil des ponls et chaussées est donc déjà nécessaire sur ce premier point, afin qu'il ne reste à la législature aucun doute sur la nature et les dimensions de ces ouvrages et sur leur efficacité.

En ce qui concerne le travail relatif à l'amélioration de la navigation, on ne nie pas qu'il s'agit de prolonger jusqu'au bassin de Chokier, à travers la ville de Liége, le canal de Liége à Maestricht, et qu'il est question, pour nous servir des expressions de M. l'ingénieur en chef Kummer, de faire un vaste bassin de la traverse de la ville de Liége. Aussi, et tout d'abord, trouve-t-on, dans l'estimation des travaux, une somme de près de deux millions, pour la construction de murs de quais. Mais les murs de quais ne sont pas ordinairement considérés comme des travaux nécessaires à l'amélioration de la navigation ; ils facilitent le (page 1977) chargement et le déchargement des bateaux qui peuvent aborder immédiatement au port, mais à ce point de vue ils intéressent directement le commerce local qui toujours doit être appelé à en faire la dépense ou au moins à y concourir pour une grande part.

Ensuite, toujours dans cette estimation, on porte la somme de 180,000 fr. pour l'acquisition d'une usine et celle de 50,000 fr. pour prolongement du bief d'alimentation de plusieurs autres usines ; mais on ne voit rappelées nulle part les conditions sous lesquelles ces usines ont été construites, et si l'octroi de leur établissement ne les soumet pas à souffrir, sans indemnité, l'exécution des travaux d'utilité publique.

En troisième lieu, par le projet on sublève entièrement au compte de l'Etat les exploitants du centre houiller de Liége, des dépenses que devrait leur occasionner le transport des houilles, depuis le carreau des fosses jusqu'à l'origine du canal. Dans la province de Hainaut, qui a déjà été citée bien des fois dans cette discussion, cela ne se fait point ainsi ; les exploitants doivent supporter tous les frais de transport, depuis la fosse jusqu'à la voie navigable, ou le chemin de fer, qui doit livrer leurs produits à la consommation. Les embranchements, par eau ou par voie ferrée, ont été construits par eux ou bien par concession, et ils sont assujettis à un péage spécial qui vient s'ajouter au péage de la voie publique ; ce péage n'est pas de mince importance ; l'honorable M. Malou vous a fait connaître qu'il s'élève par tonne : pour le couchant de Mons, à 1 fr. 57 c. ; pour le Centre, jusqu'à Manage, à 80 c., et jusqu'à Mons, à 1 fr. 72 c ; pour Charleroy, de 1 à 2 francs.

Mais, dit-on, pour le bassin houiller de Chokier, la distance est beaucoup plus longue ; je ne viens pas le contester, les éléments d'appréciation comparative me manquent. Je me borne à dire que, pour que les choses fussent parfaitement égales, il faudrait toujours demander aux exploitants de Liége, soit une part quelconque de concours dans la dépense, soit un droit de quai ou de passage à travers cette espèce de bassin unissant leurs charbonnages au canal de Liége à Maestricht.

Sur ce point encore, les études manquent complètement ; la question n'a pas même été effleurée.

J'ose espérer, messieurs, que ces motifs paraîtront assez sérieux, assez puissants à la chambre, pour réclamer de nouvelles études et pour ne pas décider dès maintenant l'emploi du produit de l'emprunt, et cela même indépendamment des considérations politiques qui ont été développées pendant la discussion, et qni, à elles seules, étaient déjà suffisantes pour ajourner cette décision.

L'honorable député de Gand qui siège à mes côtés, M. Rolin, l'a dit avec la haute raison qui le distingue, les questions de travaux publics sont avant tout des questions de temps et de mesure. Il faut marcher, marcher toujours, mais avec précaution, avec prudence. Un parlement qui a des travaux publics à faire exécuter dans l'intérêt des diverses parties du pays, doit en saisir tout l'ensemble, en décréter le principe et se borner à ouvrir, pour chacun des ouvrages, un crédit proportionné à la dépense qui peut se faire dans la première campagne, sans déranger l'économie générale du système, sans porter atteinte à la balance du prix des matériaux et de la main-d'œuvre. Mais quant aux ouvrages à faire dans les années suivantes, c'est lorsque la représentation nationale s'occupe de régler toutes les dépenses de l'Etat, qu'il y a lieu d'ouvrir les nouveaux crédits nécessaires pour leur continuation, parce qu'alors la législature est à même de les déterminer suivant la marche des travaux, d'après leur importance et leur urgence relatives, eu égard aux charges accidentelles de l'Etat, et surtout aux moyens de payement dont les circonstances lui permettent alors de disposer. A ce point de vue encore, il serait impossible aujourd'hui de prendre aucune détermination, les choses n'étant pas en état de recevoir une solution.

Je demande maintenant la permission de faire une courte réponse au sujet des calculs statistiques et comparatifs qu'un honorable député de Liége a présentés à la chambre, daus la séance du 12 de ce mois.

Et d'abord, comme envoyé dans cette enceinte par un arrondissement de la province de Hainaut, qui se plaint de n'avoir point sa juste part dans la grande distribution préparée par le gouvernement, je déclare que lorsque l'on voudra sérieusement faire une liquidation complète, sincère de ce que chaque centre producteur du pays avait droit d'obtenir et a, en effet, obtenu de la caisse générale de l'Etat pour ses voies de communication, afin de développer ses moyens de transport et d'en diminuer les frais, je suis tout prêt à examiner et à discuter les éléments de cette liquidation ; bien plus, je suis prêt à voter ce qui manquerait à l'un ou à l'autre des centres producteurs, pour lui compléter sa part proportionnelle dans la juste balance des choses.

Mais gardons-nous d'anticiper sur cette liquidation, et ne nous laissons pas surprendre par quelques chiffres choisis çà et là et combinés pour les besoins uniques de la cause que l'on s'est préparé à défendre.

Pour faire cette liquidation, que j'appelle de tous mes vœux, car elle aurait pour résultat de faire cesser des inégalités choquantes, il faut des renseignements très détaillés que le gouvernement seul possède ; il faut que ces renseignements soient mis à la disposition de tous les membres de la chambre, et qu'ils puissent les méditer et les comparer avec maturité. La section centrale, sur ma proposition amendée par l'honorable M. Delfosse, les avait réclamés ; mais ceux qui lui ont été fournis (voir le rapport de la section centrale, annexes I à VI) ne me semblent pas suffisants pour faire un travail d'ensemble complet et a l'abri de toute controverse. Toutefois, ces documents constatent deja quelques faits qu'il importe de noter.

Quant aux voies de communication pavées ou empierrées, l'on trouve :

1° Que sur une longueur de 1,533,264 mètres de routes construites directement par l'Etat depuis 1830, la province de Liége a obtenu 227,942 mètres (14 7/10 p. c.) tandis que la province de Hainaut n'en a eu que 40,439» mètres (2 6/10 p. c.) ;

2° Que sur une somme de 22,607,828 francs 39 centimes dépensée à cet effet, la province de Liége a obtenu 3,461,874 francs 34 centimes (13 3/10 p. c.) et la province de Hainaut 1,139,739 francs 53 centimes (3 1/10 p. c.) ;

3° Que si l'on combine ensemble les routes de l'Etat avec les routes provinciales et les routes concédées, la province de Liége, sur une dépense de 7,521,723 francs 82 centimes, a obtenu la somme de 3,913,494 francs 34 centimes (soit 52 p. c), tandis que la province de Hainaut, sur une dépense de 9,982,242 francs 86 centimes, n'a obtenu que 2,910,280 francs 9 centimes (29 2/10 p. c).

Il y a d'ailleurs sur cet objet une remarque très importante à faire, c'est que les routes de l'Etat laissent seules une charge permanente sur le trésor public, tandis que les routes provinciales et les routes concédées n'en laissent aucune. Les barrières sur les routes de l'Etat dans la province de Hainaut, après les charges d'entretien déduites, ont laissé depuis 1830 un excédant de 5,418,988 francs 11 centimes, tandis que dans la province de Liége cet excédant n'a été que de 1,240,283 francs 84 centimes.

Et en ce moment les routes de l'Etat, dans la province de Hainaut, fournissent encore un excédant de 192,896 fr., frais d'entretien déduits (57 3/10 p. c. de tout l'excédant du royaume) ; tandis que, dans la province de Liége, il y a un déficit annuel de 15,600 fr. 90 c. Ce déficit ira chaque jour en s'accroissant, si l'on continue le système vicieux, selon moi, dans lequel on est engagé.

Relativement aux voies navigables, on constate les faits suivants :

La rétrocession de la concession de la Sambre est portée (annexe IV) pour un coût de f6,289,361 fr. 28

L'entrelien de cette rivière, depuis 1830, a occasionné une dépense (annexe V) de 1,939,657 fr. 31.

Ensemble, 8,249,018 fr. 59

M. Delfosse. - Ce n'est pas pour six millions, c'est pour plus de douze millions que la Sambre canalisée a été reprise par l'Etat.

M. Rousselle. - Mais les recettes opérées (annexe VI) s'élèvent à la somme de 7,352,679 fr. 47, d'où ressort que l'Etat, pour être entièrement remboursé, n'est plus en avance que de 896,339 fr. 12

Mais comme le revenu, défalcation faite des charges, est d'au moins 450,000 fr., dans deux ans l'Etat sera remboursé de son découvert, et il lui restera une ressource annuelle, importante, à titre purement gratuit.

Le rachat de la concession du canal de Charleroy à Bruxelles est porté (annexe IV) pour 4,760,067 fr. 53. Son entretien depuis 1830 (annexe V) pour 3,649,104 fr. 53. Ensemble, 8,409,172 fr. 06

1M. Delfosse. - Voulez-vous me permettre une observation ?

Le gouvernement n'a tenu compte, dans cet état, que des sommes sorties du trésor public à partir de 1830 ; il faut y ajouter celles dont les concessionnaires étaient débiteurs et dont il leur a été fait remise.

M. Rousselle. - Je reconnais que le travail remis à la section centrale peut offrir des lacunes ; mais je demande une liquidation générale faite sur des documents certains.

Mais les recettes s'élèvent (annexe VI) à 20,091,475 fr. 95, d'où résulte un bénéfice de 11,682,303 fr. 89.

Le revenu net annuel peut être évalué à un million de francs.

Le canal de Pommerœul à Antoing n'est porté pour aucune mise de fonds de la part de l'Etat. Il figure (annexe VI) pour une recette à partir de 1839 seulement, de 5,277,762 fr. 79, et pour une dépense, à partir de 1830 (annexe V), de 2,033,129 34, d'où un bénéfice de 3,244,633 fr. 45.

Le revenu net annuel peut être évalué à 370,309 fr. 59.

Ainsi, quant à ces trois voies de transport qui avaient été concédées et que l'Etat a reprises pour faire une bonne affaire, il est couvert de ses avances et il possède un revenu net de 1,820,000 francs en somme ronde, et je ne compte pas encore le revenu du canal de Mons à Condé qu'il a retiré à la province de Ilainaut et réuni au domaine public, sans autre indemnité qu'une participation à la recette pendant dix ans décroissant chaque année et qui, si le législateur ne la prolonge, doit cesser en 1853.

Il est inutile de mettre en regard les voies navigables de la province de Liége, les recettes étant loin de couvrir les dépenses. Elles constituent une charge nouvelle pour le trésor public.

Ces détails ne sont pas conformes, il s'en faut, à ceux présentés par l'honorable député de Liége ; mais ils sont puisés dans les documenta officiels. M. Delfosse n'a pas indiqué la source des siens.

(page 1978) M. Delfosse. - J'ai puisé mes renseignements dans les contrats passés entre le gouvernement et les concessionnaires. Ce sont des pièces officielles qui se trouvent au Moniteur.

M. Rousselle. - Mais l'honorable membre qui ne peut contester le revenu considérable que les canaux du Hainaut donnent à l'Etat, prétend que s'ils ont produit beaucoup, c'est que le Hainaut, depuis 1830, a obtenu, grâce à eux, de nouveaux marchés, que c'est, qui le croirait ? parce qu'il s'est emparé des marchés de Liége !

J'avoue que j'ai été fort surpris en entendant ces paroles, et je serais vraiment curieux de connaître quels sont les marchés que le Hainaut a enlevés au bassin houiller de Liége. Les marches du Hainaut que Liége convoite et dont il s'emparerait à l'aide des travaux projetés, je les connais très bien, et c'est parce que je les connais comme servant puissamment à maintenir l'activité et le travail parmi notre population charbonnière, que je réclame avec les plus vives instances de sérieuses et efficaces garanties pour que le Hainaut et en particulier le couchant de Mons ne soit pas dépouillé.

Mais le couchant de Mons, dit l'honorable membre, a un magnifique marché en France ! Qui le conteste ? Mais ce marché, auquel Charleroy et le centre viennent, de jour en jour, prendre une part de plus en plus large, il ne lui a été ouvert, ni par le canal de Pommerœul, ni par aucun des canaux exécutés ou rachetés depuis 1830 ; il l'a été par les seuls efforts que cette contrée charbonnière a faits et fait encore pour soutenir en France la concurrence contre les charbons anglais et les charbons français ; il l'a été par les travaux d'amélioration exécutés au canal de Saint-Quentin, en suite d'une concession qui a pris fin en juillet 1849, et dont nous avons remboursé les frais par un péage. D'ailleurs, faut-il exposer le couchant de Mons à n'avoir plus que ce marché étranger et à voir ainsi son existence attachée à la mobilité politique et à la législation de la France ? Personne ici ne le voudrait, au moins j'en ai la confiance.

Personne, en effet, n'oserait assumer la responsabilité de la situation qui serait faile au couchant de Mons, si, ce qu'à Dieu ne plaise, l'extraction de la houille devait y être restreinte, même temporairement. Cette situation serait telle, que le pays tout entier, je puis le dire, est intéressé à la prévenir. Ne croyez pas, messieurs, qu'il y ait quelque exagération dans mon langage. Je fais ici un appel loyal, consciencieux, à ceux de mes honorables collègues qui connaissent le Borinage ; je les adjure de se joindre à moi pour éclairer le gouvernement et la chambre sur la position toute spéciale, tout exceptionnelle de cette partie de la province de Hainaut, où un chômage quelconque résultant d'une cause fortuite occasionne une perturbation dont les localités voisines mêmes se ressentent sensiblement.

Cette position est la conséquence de ce que le bassin houiller de Mons n'a pour seule ressource, pour unique moyen de procurer du travail à sa nombreuse population ouvrière que l'extraction de la houille. Là point de minerais de fer, de hauts fourneaux, de fonderies, d'usines à travailler ce métal ; point de fabriques d'armes, de draps ; point de clouteries, de verreries, de fabriques de glaces et tant d'autres usines qui abondent dans d'autres bassins houillers et fournissent à la classe des travailleurs des moyens d'existence sûrs et multipliés.

Au Borinage, sauf une ou deux usines à fer, l'extraction de la houille, rien que l'extraction de la houille, et je proclame bien haut qu'on n'ose songer à ce qui adviendrait, si cette ressource venait à lui faire défaut.

A cette occasion, et me plaçant sur le terrain choisi par l'auteur de l'exposé des motifs du projet de loi, qu'il me soit permis de faire ressortir combien il a été peu conséquent avec lui-même. Eh quoi ! vous annoncez que l'exécution de grands travaux doit avoir en partie pour but de procurer de l'ouvrage à la classe ouvrière dans notre pays, en vue d'éventualités politiques dans un pays voisin, et où placez-vous le siège principal de ces grands travaux ? Précisément dans des contrées situées a l'intérieur, n'ayant aucun contact avec la France, et où la variété et la multiplicité des branches d'industrie peuvent, au besoin, apporter quelque allégement au mal ? et vous ne songez pas à réserver un mètre cube seulement de terrassement pour des populations placées aux portes de la France, en relation journalière avec elle, et où l'extraction de la houille, leur seule et unique ressource, doit recevoir les premiers coups, une grave et funeste atteinte des événements eu vue desquels vous présentez la loi aussi précipitamment !

Je le dis dans toute la sincérité de mon âme, la prévoyance du gouvernement est évidemment en défaut, sans parler de la justice distributive.

L'honorable M. Delfosse a rappelé qu'avant 1830, Liége expédiait en Hollande 240,000 tonnes de houille, et qu'aujourd'hui elle n'expédie plus que 91,000 tonnes, un peu plus du tiers (38 p. c).

Mais avant 1830, l'approvisionnement de la Hollande se partageait entre le bassin de Liége et les bassins du Hainaut ; il se faisait par la Meuse pour Liége, par l'Escaut pour le Hainaut. Je ne possède pas le chiffre de toutes les expéditions de cette province, mais j'ai celui du Couchant de Mons. Il était alors de 200,000 tonnes ; il est tombé aujourd'hui à moins de 8,000, un vingt-cinquième (4 p.c), c'est-à-dire que la perte est d'environ dix fois plus grande que celle du bassin de Liége, La perte du marché de la Hollande, suite des évenements publiques, frappe donc bien plus fortement le bassin du Couchant de Mons que le bassin de Liége, et s'il faut faire des travaux au compte de l'Etat pour reconquérir ce marche, on doit en faire dans les deux sens, et non point d'un seul côté.

L'honorable députe de Liége a enfin terminé sa revue en nous présentant le résultat d'und statistique qu'il dit avoir été faite par l'administration des mines. Il est à regretter que l'on ait cessé de publier la statistique des mines, comme en le faisait il y a quelques années ; nous y aurions puisé les éclaircissements qui nous manquent. Mais voyons les chiffres que l'honorable membre nous a cités.

Le couchant de Mons, en y comprenant cinq charbonnages du centre, aurait produit avant 1830, 1,500,000 tonnes ; en 1850, 2,500,000 tonnes. Augmentation de 70 p.c.

Charleroy aussi en y comprenant cinq charbonnages du centre aurait produit avant 1830, 400,000 tonnes ; en 1850 1,850,000 tonnes. Augmentation de 362 p. c.

Liége aurait produit avant 1830 522,400 tonnes ; en 1830 1,186,000 tonnes. Augmentation de 114 p. c.

Je ne m'explique pas pourquoi cette statistique confond les charbonnages du Centre, partie avec le Couchant de Mons, partie avec Charleroy ; mais dans tous les cas elle prouve que le charbonnage de Liége a pris un accroissemeut déjà plus considérable que celui du Couchant de Mons, même uni avec certains charbonnages du Centre. Que serait-ce donc si on retranchait ceux-ci ? Car on sait que le Centre se développe rapidement.

Je laisse de côté les calculs relatifs au bénéfice net et au rapport du gain à la dépense, car ils ne peuvent être que fort hypothétiques, rien n'étant plus difficile que de connaître le prix de revient des produits d'une industrie, et d'ailleurs ils sont indifférents à la question dont la législature s'occupe.

Aux plaintes du Couchant de Mons, sur le délaissement qui l'atteint dans la grande distribution de travaux publics, on répond que le projet de loi lui accorde ;

1° Un abaissement de cinquante pour cent sur les droits du canal de Pommeroeul à Àntoing.

Mais cet abaissement était déjà légitimement dû et acquis au Couchant de Mons, pour rétablir l'égalité de situation et de condition de transport qui existait entre les divers bassins houillers, avant que le gouvernement ne l'eût rompue par les mesures dont Liége encore a surtout profité, et qui, en abaissant les péages sur le transport des houilles par le chemin de fer de l'Etat, ont amené forcément la diminution de 35 p. c. sur les droits du canal de Charleroy.

Il ne peut donc être question de faire entrer cet abaissement en compte dans les nouvelles dispositions qui se préparent.

2° On cite aussi la construction du canal de Bossuyt à Courtray ; mais est-ce que ce canal, tout dans l'intérêt des Flandres, et qui, pour le Hainaut, permettra seulement d'approvisionner de charbon la vallée de la Lys, en descente au lieu d'en remonte, peut tenir lieu de la compensation que le couchant de Mons réclame, afin de n'être point totalement évincé de la partie du marché national qu'il conserve encore ? Ce n'est pas sérieusement qu'on tenterait de le soutenir.

S'il y a un fait bien acquis dans le débat, c'est que les intérêts du Couchant de Mons, pourtant si respectables, sont gravement compromis par le projet de loi et qu'une chose pourrait donner à ces intérêts une première satisfaction, c'est une voie fluviale qui amenât directement ses charbons sur le bas Escaut. Divers moyens se présentent pour nous donner cette voie fluviale ; je ne les discuterai pas en ce moment ; mais mon vote appartiendra en temps opportun à l'ouvrage qui, en procurant le résultat que tous les vœux appellent, offrira les meilleurs moyens d'exécution et d'alimentalion, avec le moins de dépenses pour le trésor public.

Pénétré de cette conviction que le projet de loi est entaché d'un vice radical ; qu'il blesse la justice distributive et la prévoyance administrative, en affectant immédiatement la plus grande partie de l'emprunt de 26 millions aux travaux d'une seule province, comme s'ils avaient un caractère plus prononcé d'utilité publique, tandis qu'il laisse exposés aux incertitudes de la réunion des capitaux et de l'avenir, les ouvrages à exécuter par les compagnies ; persuadé que l'instruction de certains de ces projets n'est pas complète, et vivement affecté de voir que plusieurs parties du pays et plus spécialement le Hainaut, et dans le Hainaut, le couchant de Mons, ont été négligés ou n'ont pas tenu une place suffisante dans la pensée gouvernementale ;

J'ai cherché, avec un désir sincère de concilier tous les intérêts, les moyens de parer à ces graves inconvénients et je n'en ai trouvé qu'un seul acceptable par toutes les opinions, ce serait de disjoindre le paragraphe 3 du projet de loi et d'en renvoyer la discussion

Alors, messieurs, les études nouvelles que la matière commande, seront faites ; alors nous saurons si toutes les compagnies qui offrent de se charger de l'exécution de certains travaux, sont sérieuses et si, les capitaux étant trouvés, elles pourront mener leur entreprise à bonne fin ; alors toutes les réclamations auront été produites et examinées ; alors nous connaîtrons si une certaine partie de l'emprunt ne devrait pas être réservée soit pour achever des travaux commencés, soit pour parer à des besoins plus impérieux qui naîtraient des complications politiques ; et alors aussi nous serions bien plus en mesure de faire acte, de bons et loyaux députés, de vrais représentants de toute la nation belge, et non pas seulement de l'arrondissement qui nous a envoyés dans cette enceinte.

Si cetle proposition de disjonction n'était pas admise, et si des satisfactions justes et équitables que mes amis et moi nous nous réservons de réclamer par voie d'amendement dans le cours de la discussion des articles, (page 1979) n'étaient pas accordées au Hainaut, et surtout au Couchant de Mons, je le déclare franchement, mon vote ne pourrait être favorable au projet de loi, car dans la formule actuelle, et indépendamment des vices dont il est entaché sous le rapport de la justice distributive, il serait dangereux même au point de vue politique par l'inévitable et malheureuse irritation que son adoption sèmerait dans le pays, dans un moment où il a tant besoin de calme et d'union.

M. le président. - Voici l'amendement déposé par M. Ch. Rousselle :

« Disjoindre le paragraphe 5, article 5 du projet de loi, et en renvoyer la discussion à la session prochaine. »

M. Sinave. - Messieurs, l'honorable M. d'Elhoungne, dans l'avant-dernière séance, a porté contre les habitants de Bruges une accusation très grave qu'il ne convient pas de laisser passer sans protestation. Il convient d'autant moins de garder le silence dans cette occasion que l'honorable membre a cherché à induire en erreur la population gantoise en nous faisant, nous Brugeois, les auteurs de soi-disant projets sur lesquels nous gardons le secret.

Vous savez tous, messieurs, que l'honorable membre a déclaré sans détours à la chambre et au gouvernement que si on exécutait le projet de M. de Sermoise concernant l'approfondissement du canal de Gand vers Ostende il éclaterait une formidable révolte dans la ville qu'il représente. « Je ne conseillerai .au gouvernement d'exécuter l'approfondissement, a-t-il dit, qu'avec une armée pour l'appuyer. »

Mais avant d'avoir prononcé ces graves et imprudentes paroles, il a cherché à expliquer pourquoi Gand était opposé au projet de l'approfondissement. Il a donné pour principale raison que les habitants de Bruges auraient l'intention, si le canal de Bruges vers Gand était rendu à la grande navigation, de faire placer le canal de Schipdonck et celui de Bossuyt dans les mêmes conditions. « Dès lors, a ajouté l'honorable membre, on aurait une ligne de grande navigation entre la Flandre occidentale et le Hainaut en dehors ou plutôt à l'écart de laquelle on reléguerait la ville de Gand. » Mais il n'eu est rien. D'abord Bruges n'a pas plus demandé la construction du canal de Schipdonck que celui de Bossuyt ; ces canaux livrés à la petite navigation peuvent, il est vrai, être utiles aux riverains de la Lys et de l'Escaut, mais la ville de Bruges reste complètement étrangère aux avantages que ceux-ci en tireront. Aussi, dans le plan qu'a presenté M. de Sermoise, il n'est nullement question de ces travaux, et il est étrange qu'on ait assuré devaut la chambre que les projets de M. de Sermoise avaient une telle portée ; bien loin de là, j'ose affirmer, au contraire, qu'il n'existe pas d'exemple d'un projet aussi libéral que celui de M. de Sermoise ; loin de nous laisser aveugler par l'intérêt local, nous ne tendons qu'à faire jouir les Gantois des mêmes avantages dont nous jouirons nous-mêmes. Ce que réclament les Brugeois et les pétitionnaires des nombreuses localités environnantes, ils le demandent pour Gand et Ostende aussi bien que pour eux, c'est une véritable communauté d'intérêt entre trois villes qu'ils mettent en avant.

L'honorable membre sait tout cela aussi bien que nous ; du moins il aurait dû s'informer de nos projets avant d'avancer un tel fait ; au lieu de cela, il a créé un fantôme, il a affirmé à la chambre comme vrai un fait qui non seulement n'existe pas dans le projet de M. de Sermoise, mais qui est de toute impossibilité, et ce pour une raison toule simple, c'est que s'il fallait faire du canal de Schipdonck, de la Lys, du canal de Bossuyt, de l'Escaut, du canal d'Antoing, et du canal de Mons, des canaux à grandes sections, cela nécessiterait une dépense de cinquante millions et plus, qui ne serait motivée par aucun besoin réel ; c'est donc pure imagination de la part de ceux qui ont induit l'honorable membre en erreur.

On comprend que s'il y avait une ombre de vérité dans ce que l'honorable membre a dit, il y aurait au moins un motif pour qu'une certaine émotion, illégitime peut-être, agitât la population gantoise ; mais ses assertions sont en tout erronées et il est à espérer que les honorables représentants de Gand, qui sont tous des hommes justes, s'empresseront de revenir sur cette inconcevable accusation en déclarant qu'il y a eu erreur de leur part.

Les projets de M. de Sermoise sont à l'inspection de tout le monde, on peut se convaincre en les examinant qu'il y est uniquement question de donner au canal d'Ostende à Gand, dans la section de Bruges à Gand, une égale profondeur de quatre mètres soixante et dix centimètres, profondeur qui est celle de la section entre Bruges et Ostende. Nous proposons même d'approfondir a Gand celle de ses voies navigables qui se dirige vers ses bassins, et cela pour que les navires ayant un tirant d'eau de quatre mètres soixante et dix centimètres venant d'Ostende puissent y entrer ; il faut donc convenir que nous cherchons à procurera ànos voisins un immense avantage que, du reste, le commerce de Gand a su apprécier. Nous avons vu, en effet, la chambre de commerce de cette ville venir reconnaître toute l'utilité qu'on retirerait d'un travail qui donnerait à Gand une communication directe avec la mer qui dispenserait ses vaisseaux de passer par un territoire étranger ; c'est pourquoi elle est venue joindre sa réclamation à celle de la ville de Bruges pour obtenir l'approfondissement en question. Je ne m'étendrai pas en ce moment sur les nombreux avantages que la navigation en général, et celle de la ville de Gand en particulier en retirera. Je me réserve d'en parler lors de la discussion des articles quand on examinera la question des évacuations des eaux de la Lys.

On nous accuse de nourrir des projets hostiles à la ville de Gand.

Il est vrai, il faut en faire l'aveu, nous avons des projets dont nous désirons vivement l'exécution : c'est une amélioration à la grande voie navigable entre Gand et Anvers par la construction d'un canal entre ces deux villes ; cette mesure est très importante, elle est nécessaire en vue de créer une communication directe entre Anvers et la mer du Nord par Ostende sans emprunter un territoire étranger, et l'exécution en serait non seulement utile aux villes d'Anvers, Gand, Bruges et Ostende, mais on doterait aussi le Hainaut d'une voie sûre avec le bas Escaut.

Voilà comme nous aimons à nous montrer hostiles à nos voisins.

Je termine en disant que nous avons été heureux d'entendre les paroles qu'a prononcées M. le ministre de l'intérieur lorsqu'il a interrompu le discours d'un honorable député de Gand et qu'il est venu déclarer formellement que l'approfondissement du canal de Bruges à Gand aurait lieu. La seule chose que nous regrettions, c'est qu'aux Annales parlementaires, dans le compte rendu de la séance du 15, on ait oublié d'enregistrer cette déclaration de M. le ministre qui a été faite en ces termes :

« Malgré tout ce que vous pourrez dire, le canal sera approfondi. »

Je prie M. le ministre de permettre que je signale cet oubli de la part de la rédaction du Moniteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'avais recommandé que mon interruption fût mentionnée au Moniteur.

M. le président. - La liste des orateurs inscrits dans la discussion générale est épuisée ; en conséquence, la discussion générale est close. Comme on avait donné aux orateurs toute latitude dans cette discussion, il est bien entendu, maintenant que nous allons entamer la discussion des articles, qu'on ne reviendra plus à la discussion générale. (Adhésion.)

Pour que les débats aient lieu dans un ordre régulier et qu'il n’y ait pas confusion, je propose à la chambre de suivre cette marche-ci : on discuterait, à chaque article, chacun des objets spéciaux qui y sont compris ; en entendrait successivement les orateurs sur chaque objet et sur amendements qui s'y rattachent. (Adhésion.)

- La séance est levée à 5 heures.