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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 9 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1895) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs négociants en denrées coloniales et débitants de sel raffiné à Furnes, demandent une loi qui leur accorde la faculté de faire circuler le sel vers l'intérieur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants d'Anvers prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'abolition de quelques taxes communales. »

- Renvoi à la section cen'raie chargée d'examiner la proposition.


« Les chefs de la corporation des pilotes et haleurs, à Tournay, prient la chambre de ne pas décréter la construction du canal de Jemmapes à Alost. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.


« Le conseil communal de Loo demande l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour l'écoulement des eaux de la Lys. »

« Même demande de plusieurs habitants de Mannekensvere et du conseil communal d'Ypres. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Charleroy demandent que la compagnie du Luxembourg soit tenue d'exécuter le chemin de fer de Charleroy à Louvain. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution des travaux publics.


« Le conseil communal de Koningshoyckt demande que l'embranchement du chemin de fer de Lierre soit raccorde à la station de Duffel. »

- Même dépôt.


M. Osy, obligé de partir pour les eaux d'Allemagne, demande un congé de trois semaines.

- Accordé.

Projets de loi de naturalisation

M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu le vote sur un feuilleton de naturalisations.

M. Lelièvre. - Je propose de mettre cet objet à la fin de la séance.

M. Delehaye. - Je ne combattrai pas la proposition de M. Lelièvre s'il est bien entendu que cet objet continuera à figurer en première ligne à l'ordre du jour.

M. Rodenbach. - Il paraît qu'on veut intervertir l'ordre du jour parce qu'on n'est pas en nombre. (Interruption.)

Plusieurs membres le disent. Or, si nous ne sommes pas en nombre, attendons encore quelques minutes, un quart d'heure, mais n'intervertissons pas l'ordre du jour.

M. le président. - Le bureau a constate que 58 membres ont répondu a l'appel et au réappel. M. Lelièvre insiste-t-il sur sa proposition ?

M. Lelièvre. - Oui, M. le président.

- La proposition de M. Lelièvre est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. le président. - Voici un amendement qui a été déposé par M. Faignart :

« Le gouvernement est autorisé à accorder la concession pour construction d’un chemin de fer de Hal à Ath par Enghien, destiné à compléter la ligne directe vers Lille et Calais, moyennant la garantie d’un minimum d’intérêt de 4 p. c., sur un capital n’excédant pas quatre millions de francs, aux clauses et conditions du chemin de fer de Jurbise.

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

M. de Haerne. - Messieurs, j'accepte le principe du projet de loi en discussion ; je l'accepte comme un principe de progrès matériel, progrès qui se lie toujours, dans ma pensée, comme en realité, au progrès moral.

Ce n'est pas à dire que je ne sois disposé à modifier ma pensée, si la suite de la discussion vient à me convaincre de la nécessité d'adopter quelques amendements.

J'ai approuvé les impôts de consommation qui vous ont été proposés par le gouvernement, dans le but, annoncé par celui-ci, de les affecter à la construction de travaux publics. Il est aussi dans mes intentions de compléter cette oeuvre en admettant les travaux publics pour lesquels ces impôts nous ont été proposés.

Je n'entrerai pas en explication relativement à ces impôts. Ce serait revenir sur le passé et s'écarter de la question. Je dirai cependant, messieurs, que si j'ai voté les impôts de consommation, je n'étais pas hostile non plus en principe à tout impôt sur la propriété, puisque j'ai admis la plupart des articles de la loi des successions, relatifs à la ligne collatérale. Cette augmentation de revenus, jointe à des modifications de tarif sur le chemin de fer et à quelques autres améliorations de nos finances devaient, dans ma pensée, combler le déficit qui, selon moi, n'est pas aussi considérable que l'ont cru quelques honorables collègues.

Avant d'aborder les développements dans lesquels je croirai devoir entrer, je dois rencontrer une objection qui vous a été faite hier et qui porte au fond de la question.

Un honorable preopinant dont l'absence, à mon grand regret, nous a été annoncée tout à l'heure à la tribune, nous a dit que les travaux à concéder à des compagnies ne se feront pas ; et il a énoncé cette opinion d'une manière toul à fait générale. S'il en était ainsi, nos efforts seraient inutiles, et nous tomberions dans une espèce de mystification. Mais je ne crois pas qu'il puisse en être ainsi, du moins quant à la généralité des travaux proposés.

Dans tous les cas, messieurs, comme j'ai voté les impôts de consommation, pour en consacrer les revenus à des travaux publics ; que telle paraît avoir été aussi l'intention de la chambre ; que tel est, d'ailleurs, le contrat tacite qui a été fait entre la législature et le pays, je pense qu'après tout, ces impôts seront affectés à leur objet par le gouvernement lui-même et qu'alors même que les compagnies feraient défaut, nous réaliserions, du moins en grande partie, ce qui a été annoncé par le gouvernement. Resterait alors à savoir quels seraient les travaux les plus importants et qu'on devrait placer en première ligne.

D'ailleurs, messieurs, d'après ce que j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure et dans des séances précédentes, d'après les votes que j'ai émis, je crois que le tarif du chemin de fer est susceptible d'amélioration, non pas précisément dans le sens d'une élévation générale, mais dans le sens d'une distinction à établir entre les marchandises de valeur et celles de peu de valeur ; de même que l'on peut améliorer le tarif en empêchant le transport des marchandises sur le railway national au profit des entreprises privées. D'après des calculs qui ont été établis précédemment, cette augmentation pourrait aller jusqu'à un million et demi. Il est tout naturel que si cette augmentation se réalise, et je la crois possible, on la consacre en partie à compléter le reseau du chemin de fer et les autres travaux d'utilité publique qui nous sont proposés. Ainsi, messieurs, dans tous les cas il n'est pas possible, à moins que la chambre ne le veuille ainsi, que nous tombions dans cette cruelle déception qu'on nous a annoncée.

On parle de coalition ! on a l'air de nous croire dupes de ce qu'on appelle une coalition d'intérêts. Ce n'est pas moi qui ferais un appel à la coalition, certes une coalition est regrettable en ce qu'elle force plus ou moins certains députes à accepter des projets de travaux qui leur répugnent ; mais soyons justes et voyons si les coalitions ne se présentent pas toujours en fait de travaux publics, soit dans un sens soit dans un autre.

Je dis que si on proposait un travail public particulier appartenant à l'une ou l'autre localité, sans y ajouter d'autres travaux appartenant à d'autres localités, il se ferait une coalition contre ce projet de travail, coalition louable, si l’on veutn en faveur du trésor public, en faveur (page 1896) la chose de tout le monde, mais contre un projet particulier, qui pourrait être d'utilité générale.

Voilà ce qui arriverait, et, coalition pour coalition, comme il peut y avoir des excès de part et d'autre, la question à examiner est celle de savoir si les travaux proposés sont réellement utiles.

La duperie, la déception est, dit-on, évidente ; mais s'il en est ainsi, je trouve des mystifiés au banc ministériel, car ce sont les concessions qui vont nous mystifier, puisqu'elles nous feront défaut ; alors, je dois le dire, quelle que soit l'habileté que tout le monde reconnaît à l'honorable M. Frère, les honorables MM. Tesch et d'Hoffschmidt ne se laisseraient pas, sans doute, jouer si aisément par leur collègue ; ils seraient cependant mystifiés tous les premiers, car le chemin de fer du Luxembourg ne sera pas un des plus productifs et il n'obtiendrait de la part des compagnies la préférence sur bien d'autres qui, au point de vue matériel, sont évidemment plus avantageux. Ainsi, vous voyez que cette mystification irait un peu trop loin, pour que nous puissions l'imputer au ministère.

On parle d'intérêts locaux et l'on dit que nous sacrifions trop facilement à ces intérêts. Je ne dis pas que je m'affranchis de toute influence locale, ce serait parler à des incrédules, ce serait dire une banalité ; chacun de nous sait à quoi s'en tenir à cet égard ; mais voici ce que j'ose dire ; j'ose soutenir que, me plaçant au point de vue de l'intérêt local qui me concerne, je crois devoir accepter le principe de la loi ; car si je commence par repousser le principe, le fond de la loi, il est évident que j'invite par là, en quelque sorte, les autres membres de la chambre à repousser les travaux qui concernent ma localité et à me traiter comme je les traite

J'agirais donc contre l'intérêt de ma localité. L'intérêt local bien entendu exige par conséquent qu'on accepte le principe de la loi, qu'on ne rejette pas les travaux proposés en général, pour adopter tel travail particulier qui s'accorde avec l'intérêt local. En outre, il y a un principe de justice distributive qui ne nous permet pas de ne penser qu'à notre localité.

On nous a dit avec raison, et c'est une pensée que je trouve déposée dans l'exposé des motifs, qu'un des buts des propositions qui nous sont faites est de prévenir les funestes effets de la crise que tout annonce devoir éclater en 1852.

Je sais bien que l'on répond à cela comme on l'a fait hier, que cette crise ne sera pas une épreuve d'un jour, mais que ce sera peut-être une crise qui se prolongera pendant des années. Eh bien ! je suis bien de cet avis, et je crois que le mal qui travaille la société est trop profond et trop étendu pour que l'on puisse espérer qu'il se bornera à une crise momentanée ; mais il n'en est pas moins vrai que les coïncidences politiques qui se présentent pour 1852, sont d'une nature telle qu'on ne les rencontrera que très rarement.

Ce sont ces coïncidences électorales qui donnent lieu aux sinistres prévisions qui malheureusement prennent de plus en plus de consistance. D'ailleurs les travaux se prolongeront aussi pendant des années.

Ainsi il y a là une raison toute spéciale qui nous appelle à voter, en faveur de la classe ouvrière, des moyens de travail, afin qu'elle ne soit pas prise au dépourvu, lorsque la crise viendra à éclater.

Je redoute pour ma part les effets de ces éventualités, surtout pour la Flandre, déjà si cruellement éprouvée par des crises antérieures.

Outre l'intérêt matériel qui doit être invoqué en faveur de la classe ouvrière pour les événements dont nous sommes menacés, je ne crains pas de dire que je trouve aussi dans les travaux proposés un but moral, qui tend à prévenir ou à atténuer les effets funestes de ces éventualités dans l'esprit des populations.

On dit souvent, je l'ai entendu depuis cette discussion à différentes reprises, que les travaux publics ne sont pas populaires en Belgique. Il faut s'expliquer.

Si l'on consulte l'ensemble du pays sur telle ou telle localité spéciale où doit s'exécuter un travail public d'une nature quelconque, l'on s'opposera presque toujours à ce travail, on dira qu'il est inutile. Mais voici ce que je constate, c'est que dans chaque localité le travail ou les travaux qu'il s'agit d'y exécuter y sont éminemment populaires.

Qui dira que le chemin de fer du Luxembourg n'est pas populaire dans cette province, sans distinction d'opinion ? Qui dira que le chemin de fer de la Flandre occidentale n'est pas populaire dans la partie de cette province où il doit être construit ? Non, ce serait se faire illusion, il faudrait absolument ne pas connaître ce qui se passe dans ces localités, pour croire qu'il y ait à cet égard divergence d'opinions : chaque localité désire vivement les travaux projetés qui la concernent.

Je dis que c'est un vœu général : lorsque dans des localités on s'oppose à des travaux à construire dans d'autres localités, c'est souvent par esprit d'intérêt particulier ou d'opposition locale. Ce sont là des intérêts, des animosités de localité que le législateur ne peut prendre en considération.

Je dis donc que l'annonce des travaux publics a été une bonne nouvelle pour nos populations, qui en seront dotées au moyen de charges votées ad hoc, et presque nulles pour la généralité.

Il convient d'accorder à l'opinion publique la satisfaction qu'elle réclame depuis longtemps.

C'est là un excellent effet moral que nous devons tâcher d'obtenir dans la prévision d'une crise en 1852. Cet effet moral sera tout aussi puissant pour maintenir les populations dans la tranquillité que le sera l'effet matériel que nous devons avoir également en vue.

Dans la discussion générale, il ne m'est guère permis d'entrer dans des particularités touchant des travaux spéciaux. Je demanderai cependant à la chambre la permission de toucher rapidement quelques points, qui déjà ont été traites dans la discussion. Je m'abstiendrais de m'en occuper si ces questions n'avaient pas été soulevées par d'honorables membres, auxquels je crois devoir répondre.

Ainsi, messieurs, à propos de la possibilité de la construction des chemins de fer à concéder, comme je l'ai dit tout à l'heure, on a prétendu d'une manière générale que ces chemins de fer ne s'exécuteront pas. L'on a énuméré le chemin de fer de la Flandre orientale, le chemin de fer de la Flandre occidentale, et particulièrement le canal de jonction de l'Escaut à la Lys.

Je n'entrerai pas, pour le moment, messieurs, dans les détails de ces questions qui doivent être traitées chacune à part. Quant à ce dernier travail, je dois dire que c'est là un ouvrage sur lequel l'attention de la chambre a déjà été fixée depuis bien longtemps.

Depuis que je suis membre de la chambre, dans plusieurs occasions, et notamment dans la session dernière, à propos des budgets et à propos de pétitions qui demandaient la construction du canal de Bossuyt à Courtray, j'ai appelé l'attention de mes honorables collègues sur le triste état de la navigation de la Lys, telle qu'elle existe actuellement, sur les frais énormes et les entraves de tout genre auxquels elle donne lieu.

Messieurs, cet état est tel que la navigation par la France, par les eaux intérieures du département du Nord, s'accroît d'année en année, à tel point que bientôt la navigation par l'Escaut et la Lys, vers l'arrondissement de Courtray, deviendra entièrement nulle, sera complètement absorbée par la navigation française au détriment du pays. Et ceci est d'autant plus incontestable que dans deux années expire la concession de la haute et de la basse Deule, et que le gouvernement français pourra réduire considérablement les droits de péage qui existent sur cette voie navigable. Alors au lieu d'arriver jusqu'à Menin comme aujourd'hui, les bateaux français iront, en descendant la Lys, jusque près de la ville de Gand.

Ainsi, dans tous les cas, la navigation du Hainaut vers la Lys, qui peut être portée à 200 bateaux par an, donnant à la ville de Gand un bénéfice d'environ 20,000 francs, sera enlevée à cette ville. C'est là une chose incontestable ; et elle sera enlevée au détriment du pays et en faveur de la France, si le canal de Bossuyt ne se construit pas.

Que nous reste-t-il à faire, messieurs, dans cet état de choses ? Il nous reste à creuser un canal qui puisse lutter avec la navigation française, et il n'y a que le canal de Bossuyt à Courlray qui puisse remplir ce but.

L'honorable M. Osy nous disait hier, en parlant de ce travail : Il n'y a pas de cautionnement, on ne prendra pas d'actions, ce canal ne se fera pas.

Je répondrai à cette objection que c'est là un des travaux qui devraient être en tout état de cause faits par le gouvernement, parce que c'est un travail national ; en second lieu, je dis que si la navigation française continue à se développer au détriment de la navigation intérieure, le gouvernement sera privé des péages qu'il perçoit aujourd'hui.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il y a déjà une perte considérable.

M. de Haerne. - M. le ministre des travaux publics me fait observer avec raison qu'il y a déjà une perte considérable ; en effet, l'année dernière,92 bateaux sont descendus en passant par Douai et par Lille jusqu'en aval de Comines, et, je le répète, par suite de la cessation de la concession de M. Honorez, sur la Deule, le gouvernement français pourra diminuer les péages d'environ 100 fr. par bateau.

D'ailleurs, d'autres améliorations sont encore possibles sur la voie navigable de France. On peut approfondir le canal de manière à le rendre navigable par des bateaux d'un tirant d'eau de 1 m 80, comme sont les bateaux qui naviguent sur la Lys par Gand ; les bateaux naviguant aujourd'hui par le département du Nord, n'ont que 1 m 30, et cependant ils luttent avec les bateaux allant par Gand.

Plus tard encore disparaîtront les péages sur la Scarpe.

Ainsi, messieurs, lorsque le gouvernement construirait plus tard, comme il devrait nécessairement le faire en 1853, le canal de Bossuyt, alors même qu'il perdrait quelque chose sur ce canal, ce que je n'admets pas, il ferait encore une bonne affaire au point de vue de l'intérêt général. Il conserverait les péages qu'il perçoit aujourd'hui, ainsi que la navigation intérieure et la consommation qui en résulte.

Les péages, tels qu'ils sont établis dans le cahier des charges et sur lesquels la seclion centrale a fixé son attention, sont, en effet, un peu élevés ; mais il est bien certain qu'on pourra les abaisser considérablement, et il vaut mieux les tenir, dans le cahier des charges, à une certaine élévation, que de les fixer trop bas de prime abord.

Je dirai cependant, messieurs, que j'ai été un peu étonné de voir qu'on ne demandait la garantie que pour 30 ans ; je voudrais, s'il était possible, une garantie de 50 ans, non pas que j'envisage ce travail comme n'étant pas aussi bon pour le concessionnaire que les autres, au contraire ; mais parce qu'aux yeux des personnes qui ne sont pas au courant de ces questions, cette inégalité paraît peu rationnelle (interruption) et donne lieu à de fâcheux commentaires.

C'est un vœu que j'exprime, et je désirerais que M. le ministre des travaux publics voulut bien s'expliquer, à l'occasion, sur ce point.

Un mot encore, messieurs, sur la possibilité d'exéculion de certains autres travaux publics, puisque hier on a mis en question tous les travaux à faire par concession.

Je parlerai d'abord de la Flandre occidentale.

(page 1897) Le chemin de fer de Courtray à Poperinghe vous a été proposé d'abord par la compagnie, sans minimum d'intérêt, preuve que cette partie du chemin de fer doit être bonne. Mais, dira-t-on, le chemin de fer de Courtray à Bruges constitue la société en perte, ce chemin de fer ne produit que 2 p. c. J'admets cela, mais s'ensuit-il que les autres chemins de fer qui doivent être construits par la même compagnie, ne seront pas plus avantageux ? En aucune manière, car c'est ici le cas de faire une distinction essentielle entre les frais généraux et les frais particuliers.

Remarquez, messieurs, que la compagnie de la Flandre occidentale a déjà couvert ses frais généraux : elle a son administration, ses magasins, le matériel qui doit être d'un usage général. Eh bien, savez-vous dans quelle proportion ces frais généraux entrent dans la totalité de la dépense ? A peu près pour moitié. Ainsi la ligne qui ira de Courtray sur Poperinghe, qui doit passer par la contrée la plus riche, par la riche vallée de la Lys, et toucher la frontière française, où les populations se doublent presque partout, pour aboutir à Ypres et à Poperinghe, pays important par son agriculture, ses grains à semer, ses houblons, sa population et qui ne manque pas de commerce ; cette ligne, dis-je, pourra s'exploiter beaucoup plus avantageusement que celle qui existe actuellement.

J'ajouterai, messieurs, que la ligne de Bruges à Poperinghe est une très grande ligne ; elle a 80 kilomètres. Il est reconnu qu'il est toujours plus avantageux d'exploiter une grande ligne que d'en exploiter une petite.

La continuité des convois est un avantage constaté par l'expérience.

Qu'on ne dise donc pas que les travaux publics n'ont pas de chances de succès. Cela n'est pas admissible, au moins en général.

Mais, messieurs, il y a plus : je soutiens que la compagnie de la Flandre occidentale est intéressée à exécuter de nouvelles lignes, puisque les actions de la ligne qui existe déjà doivent se bonifier considérablement par l'adjonction des lignes nouvelles.

Remarquez qu'avant la construction du chemin de fer de Courtray vers Bruges, les transports entre ces deux villes devaient se faire par Gand ; et savez vous quel a été l'accroissement du mouvement depuis l'exécution de la ligne directe ? Le mouvement s'est accru dans la proportion de 1 à 4 et les recettes se sont accrues dans la proportion de 1 à 5 sans que le railway national ait eu à en souffrir.

Eh bien, messieurs, je dis que la construction de la seule ligne nouvelle sur Poperinghe produira une augmentation au moins aussi forte, puisque maintenant les transports de Poperinghe et d'Ypres sur Bruges doivent se faire par diligence et par roulage. L'augmentation de mouvement résultant de la ligne de Thielt et de celle de Furnes sur la voie ferrée de Bruges à Courtray donnera un nouvel accroissement de produits, qui améliorera les actions actuelles de la compagnie. Celle-ci est donc intéressée à accepter le minimum d'intérêt qui lui est offert pour étendre la ligne existante.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Et les frais généraux sont couverts.

M. de Haerne. - J'ai indiqué cette circonstance tout à l'heure.

Quant aux frais généraux, le même principe s'applique à d'autres chemins de fer, dont je ne dirai qu'un mot, en passant, sauf à y revenir, au besoin, dans la discussion des articles.

Il s'applique au chemin de fer de la Flandre orientale, de Bruxelles à Gand et d'Ath à Lokeren ; car ces lignes doivent être exploitées par le gouvernement qui a déjà couvert également ses frais généraux. C'est donc là une chance de plus pour la construction de ce chemin de fer.

Quant au chemin de fer du Luxembourg, il y a un cautionnement, il y a des travaux déjà faits et, par conséquent, ici encore une fois nous rencontrons un intérêt sérieux qui doit engager les actionnaires à achever (erratum, page 1908) avec la garantie du minimum d'intérêt, ce qui est commencé, outre que ce chemin de fer qui, de l'aveu de tout le monde, est éminemment national, doit devenir l'artère commerciale de la Belgique vers le haut Rhin, la Suisse et l'Allemagne méridionale.

Je n'ai fait, messieurs, qu'effleurer ces points particuliers qui n'appartenaient pas tout à fait à la discussion générale ; j'ai cru devoir répondre à des objections qui ont été faites dans la séance d'hier.

Maintenant, messieurs, il me reste encore quelques observations générales à ajouter à celles que j'ai déjà eu l'honneur de vous présenter.

Disons encore un mot du minimum d'intérêt. Hier un honorable orateur, au talent duquel je rends hommage, nous disait, à propos de ce principe, qu'il le concevait dans un pays tel que la Prusse, tel que la France, où il n'y a pas de railway national proprement dit, que là il était tout naturel que le gouvernement vînt au secours de l'industrie privée, fît alliance avec elle pour l'encourager à marcher hardiment dans la voie des perfectionnements.

Mais, messieurs, il me semble que c'est tout le contraire qui est la vérité ; car enfin là où il n'y a pas de railway national, l'Etat n'est pas intéressé à seconder les particuliers comme il l'est dans les pays tels que le nôtre, où il y a un chemin de fer construit par l'Etat ; il n'y est intéressé qu'au point de vue des progrès de la société en général, des progrès de l'industrie et de l'agricullure, tandis que quand il y a un railway national, le gouvernement est financièrement intéressé à venir en aide aux compagnies pour augmenter les lignes, parce que toutes les lignes nouvelles doivent nécessairement réagir sur les anciennes et particulièrement sur le grand réseau national.

C'est ainsi que le gouvernement ne procure pas seulement un bienfait indirect au pays par l'intermédiaire des compagnies auxquelles il accorde son appui ; mais qu'il rentre aussi, en grande partie, dans les dépenses qu'il fait pour encourager les compagnies par un minimum d'intérêt. Tel est l'effet de la réaction des lignes concédées sur celles de l'Etat. C'est ce qu'on n'a pas assez considéré dans la question qui nous occupe. C'est faute de faire cette réflexion qu'on exagère les pertes éventuelles de l'Etat.

Ainsi, messieurs, cette considération est tout à fait en faveur des pays où il y a un railway national, et s'il y a un pays où il faille adopter le principe du minimum d'intérêt, c'est évidemment la Belgique.

Du reste, à cet égard, je suis d'accord pour le principe avec un de mes honorables amis qui a occupé dans le temps le département des travaux publics.

Quant à ce qui regarde la réaction qui s'opère par toutes les nouvelles voies sur le chemin de fer de l'Etat, vous n'avez qu'à consulter les tableaux statistiques de la station de Bruxelles d'année en année, à mesure que des adjonctions nouvelles sont faites ; et vous verrez le mouvement vers la station de Bruxelles qui est le cœur du pays, vous verrez ce mouvement s'accroître dans une proportion presque incroyable.

Cela explique, pour le dire en passant, comment certaines lignes qui sont abandonnées par les compagnies, parre que ces compagnies ne peuvent les exploiter avantageusement, comment ces lignes deviennent cependant acceptables par le gouvernement.

Messieurs, quant au bien-être matériel qui doit résulter de la construction des travaux publics projetés, j'envisage ce bien-être comme une large application du principe de la protection à accorder à toutes les industries. Nous ferons sur une grande échelle ce que nous avons fait depuis longtemps sur une échelle bien moindre, en ce qui concerne les chemins vicinaux. Les chemins vicinaux sont une protection pour l'agriculture, l'industrie et le petit commerce, comme les chemins de fer sont une protection sur une grande échelle pour toutes les industries du pays. C'est une prime, mais c'est la meilleure de toutes les primes, parce qu'elle se fait au profit de lout le monde et qu'elle se partage de la manière la plus naturelle.

On a parlé de la fièvre qui entraine la société vers les intérêts matériels. Je ne conteste pas les dangers que cette fièvre peut offrir quelquefois, mais je dirai qu'il est quelquefois dangereux de couper brusquement la fièvre. Cet entraînement peut avoir ses dangers, je l'avoue, mais il y a aussi danger quelquefois à employer des remèdes violents pour arrêter le mal.

A mes yeux, le développement des intérêts matériels, pris en général, d'après les tendances du siècle, garantit la paix et l'ordre public. Eh bien, la paix et l'ordre public sont, à leur tour, des conditions de progrès moral et de progrès religieux. C'est à ce point de vue que j'envisage la marche progressive de la société en général.

La révolution qui s'est faite par l'application de la vapeur à la locomotion doit pousser la société dans des voies nouvelles, dont les conséquences sont encore incalculables. La jeune Belgique s'est lancée dans cette voie la première sur le continent, elle doit, plus qu'aucune autre nation, poursuivre cette carrière, placée qu'elle est au milieu de grandes nations pour lesquelles la capitale de la Belgique est pour ainsi dire la station centrale. Un des travaux proposés tend à améliorer encore la position de Bruxelles à cet égard.

J'admets qu'il y a des bornes qu'on ne peut pas franchir. Nous devons être sages dans l'emploi des deniers publics ; nous devons être sages, en ne poussant pas la nation au-delà des limites de l'utilité publique. Mais s'il est vrai qu'on ne peut pas dépasser certaines limites, je crois que dans l'occurrence nous ne les dépassons pas ; et pourquoi ? Parce que nous avons créé d'avance les ressources nécessaires pour faire face aux frais d'exécution des travaux publics.

En résumé, je donne en général mon assentiment au projet de loi qui vous a été présenté, sauf cependant à examiner dans les détails quelles seraient les améliorations qu'on pourrait y introduire. J'ai dit.

M. Lelièvre. - Tout ce qui touche à la prospérité matérielle d'une nation a une importance non moins incontestable que ce qui concerne ses intérêts moraux. Le commerce et l'industrie sont les conditions essentielles du bien-être d'un peuple libre. En conséquence, toutes les mesures qui sont de nature à imprimer un nouvel essor aux relations commerciales méritent au plus haut degré la sollicitude des législateurs et des gouvernants. Au nombre de ces mesures figurent sans contredit les travaux d'utilité publique ayant pour objet d'établir de nouvelles voies de communication qui, d'ailleurs, influent si puissamment sur la civilisation.

A ce titre je dois applaudir au principe du projet en discussion. La question d'argent me paraît même tout à fait secondaire en présence des résultats importants que l'exécution des travaux doit réaliser, et de l'ère nouvelle qu'elle assure au pays, si le gouvernement sait la diriger avec sagesse et intelligence en stipulant convenablement les intérêts du trésor.

Certes, messieurs, l'on ne peut méconnaître que la construction des chemins de fer n'ait fait peser sur la Belgique une dette énorme ; quel est toutefois l'homme intelligent qui n'applaudisse aux grands travaux dont le pays a été doté et sans lesquels nous ne mériterions pas le nom de nation civilisée ?

Il est certain que l'exécution des nouveaux travaux publics annancés par le projet, tout en procurant des ressources aux classes laborieuses, présentera des avantages immenses qui compenseront largement les sacrifices auxquels il faut savoir se résigner, lorsqu'on a réellement à cœur la prospérité sociale. Des mesures qui doivent imprimer aux affaires une (page 1898) activité nouvelle, augmenter les moyens de production et assurer au pays des éléments certains de progrès, ne peuvent rencontrer aucune opposition sérieuse.

Je regrette toutefois que, pour réaliser ses projets, le ministère n'ait proposé que des impôts qui, en définitive, atteindront presque exclusivement les classes inférieures de la société, tandis que, indépendamment des économies sur le budget de la guerre, il aurait pu frapper les revenus des rentes et créances portant intérêts, sans que pareille proposition soulevât la moindre réclamation. Quoi qu'il en soit, il reste au gouvernement un grand devoir à remplir ; il est indispensable qu'il suive une ligne de conduite de nature à démentir l'opinion généralement répandue qu'il n'a en vue que les intérêts d'une province pour laquelle ses sympathies ne sont pas douteuses. S'il était vrai que dans l'exécution de la loi la Belgique entière fût sacrifiée aux intérêts liégeois, il n'est pas de réprobation que ne mériterait semblable procédé.

Pour moi, messieurs, j'aime à croire qu'il n'en sera pas ainsi, et c'est dans cette confiance que je donnerai mon approbation au projet de loi qui vous est soumis.

Je m'occuperai spécialement des travaux qui intéressent la province à laquelle j'appartiens.

L'utilité du chemin de fer de Bruxelles à Arlon n'est pas contestable. Elle a été reconnue par les ministères précédents et par la législature elle-même. Cette voie ferrée non seulement doit régénérer une province entière, réduite aujourd'hui à un état d'isolement déplorable ; mais elle ouvre à notre industrie de nouveaux débouchés et assure à la Belgique entière d'immenses avantages sous le rapport commercial.

Elle rapprochera, comme le dit M. le rapporteur, toutes les parties de notre territoire et contribuera ainsi à resserrer les liens de l'unité nationale. L'entreprise dont il s'agit est, du reste, l'une de celles qui ont été le plus favorablement accueillies par les sections de la chambre ; et au sein même de la section centrale, elle n'a donné lieu à aucune objection sérieuse.

Mais, messieurs, dans les circonstances où nous nous trouvons, il est impossible de songer aux travaux dont il s'agit sans le concours de l'Etat. Cette intervention est donc indispensable, et dès lors force est bien d'accepter le mode de concours qui soit le plus avantageux aux intérêts du trésor, c'est-à-dire la garantie d'un minimum d'intérêt. Sous ce rapport, et sauf quelques observations de détail, j'estime que le projet du gouvernement renferme les garanties convenables.

C'est le moment de faire remarquer que la proposition de loi présente une lacune importante. Comme l'on sait, la construction du chemin de fer de Louvain à la Sambre est depuis longtemps décrétée, la société qui s'en était chargée a même été déchue de la concession. Au gouvernement incombe désormais le devoir de conduire à fin cette entreprise importante. L'utilité de cette voie ferrée étant indubitable, j'espère que le gouvernement ne perdra pas de vue que, s'étant substitué à la société dont il a fait prononcer la déchéance, il est tenu d'exécuter sans délai des travaux dont l'utilité a été reconnue par une disposition législative.

La ligne donl il s'agit est éminemment industrielle, c'est celle au moyen de laquelle Anvers expédiera si facilement ses produits vers le Luxembourg et l'Allemagne. Je prends acte des déclarations faites, sur ce point, par M. le ministre des travaux publics, au sein de la section centrale.

A cette occasion, je dois appeler l'attention du gouvernement sur une pétition lui adressée récemment par la chambre de commerce de Namur, qui réclame un embranchement de Gembloux vers Jemeppe-sur-Sambre, par la vallée de l'Ornoz. L'utilité de cette mesure est démontrée à l'évidence dans cette pétition, donl j'aurai l'honneur de donner lecture à la chambre.

« A M. le minisire des travaux publics, à Bruxelles.

« Monsieur,

« Nous avons vu avec le plus vif intérêt que les arrangements pris avec la compagnie concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg nous permettaient d'espérer de voir cette grande entreprise apporter bientôt une nouvelle vie dans cette intéressante partie de notre pays et rendre à Namur son ancienne activité commerciale.

« Toutefois, nous avons remarqué avec peine, et nous croyons devoir le dire, que dans les arrangements intervenus, il n'était nullement question de l'achèvement du chemin de fer de Louvain à la Sambre, dont la concession est déchue.

« Nous venons, en conséquence, M. le ministre, vous présenter nos observations à cet égard, en sollicitant vivement pour que l'achèvement, du chemin de fer de Louvain à la Sambre soit mis à charge des concessionnaires du chemin de fer de Bruxelles à Arlon, ou qu'il y soit pourvu de toute autre manière qui paraîtrait plus convenable.

« Le tracé du chemin de fer de Louvain à la Sambre passe à Wavre et à Gembloux et se dirige par deux embranchements sur Jemeppe et Charleroy.

« Le tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur et Arlon passe également à Wavre et à Gembloux et arrive à Namur par Saint-Denis et Rhisnes ; ce dernier parcours offre les plus grandes difficultés d'exécution, exige des dépenses considérables et sera toujours d'une locomotion plus difficile, plus coûteuse et plus lente à cause des fortes rampes qu'il rencontre.

« Il y a une autre direction qui aurait le mérite d'éviter ces difficultés : ce serait celle qui, partant de Gembloux, se dirige sur Jemeppe par la vallée de l'Ornoz, pour, parvenue là, emprunter le chenin de fer de l'Etat jusqu'à Namur.

« En adoptant cette direction pour le chemin de fer de Bruxelles à Namur, celui de Louvain à la Sambre se trouve pour ainsi dire créé, car le parcours de Wavre à Jemeppe devenant commun pour les deux lignes de Bruxelles à Namur et de Louvain à la Sambre, il ne resterait, pour obtenir ce dernier railway, que l'achèvement de la section de Louvain à Wavre, pour laquelle les concessionnaires déchus ont déjà dépensé plusieurs millions en achat de terrains, travaux d'art et terrassements, lesquels appartiennent aujourd'hui à l'Etat, resteraient improductifs et se détérioreraient en partie, si oi ne les utilisait bientôt.

« Il ne sera pas difficile de vous démontrer, M. le ministre, l'importance de cette combinaison et de l'exécution de ce chemin de fer.

« 1° Avec le même capital ou à peu près, on obtiendrait non seulement le chemin de fer de Bruxelles à Namur, mais en même temps celui de Louvain à la Sambre et à Namur ;

« 2° Anvers, point principal de départ pour les marchandises à expédier par Namur pour le Luxembourg et l'Allemagne, serait environ deux lieues plus rapproché de Namur, par Gembloux et Jemeppe, que par Bruxelles, Gembloux, Saint-Denis, Rhisnes, etc. ;

« 3° La situation de Jemeppe est des plus importantes ; elle réunit toutes les conditions nécessaires pour y faire une grande station.

« En effet, placée à mi-chemin de Namur à Charleroy, au centre de communes très populeuses et des charbonnages de la basse Sambre, ceux-ci trouveraient des débouchés pour leurs produits sur les marchés de Louvain, Anvers et la Campine, où ils ne peuvent expédier aujourd'hui qu'à grands frais. En un mot, tous les établissements industriels situés entre Charleroy et Namur, dont le nombre semble devoir encore augmenter sensiblement, y trouveraient des moyens de transport plus directs, plus faciles et moins coûteux.

« L'importance du chemin qu'il s'agit de créer est déjà incontestable. Cette importance augmenterait donc d'une manière incalculable, s'il suivait le tracé par Jemeppe, puisqu'il rétablirait les relations directes enlre Namur et Louvain, anéantis en quelque sorte au profit d'autres localités depuis l'établissement du chemin de fer de l'Etat, ferait droit aux incessantes réclamations quisc sontproduiles à cet égard et satisferait aux intérêts du plus grand nombre.

« Les résultats que donnerait le chemin de fer de Bruxelles à Namur, dans son parcours de Gembloux par Saint-Denis et Rhisnes, ne sont pas à comparer à ceux que produirait le tracé par Jemeppe ; car par le premier on ne rencontre presque rien à transporter, tandis que le dernier offre, ainsi qu'il vient d'être démontré, incontestablement plus de ressources et d'utilité.

« On objectera peut-être qu'il y aurait un détour d'environ sept kilomètres pour arriver de Namur à Bruxelles par Jemeppe ; que la compagnie concessionnaire devrait emprunter le chemin de fer de l'Etat sur un parcours d'environ dix-huit kilomètres pour aller de Jemeppe à Namur.

« Nous répondrons à cela que l'économie à résulter dans la construction du tracé par la vallée de l'Ornoz et les avantages qu'il offre par la grande quantité de transports qu'il procurerait et les nombreux intérêts auxquels il satisferait, compenseraient largement les frais du détour de sept kilomètres, détour qui serait insensible, parce qu'il faudra autant de temps par l'un comme par l'autre tracé, à cause des nombreuses rampes qu'il faut franchir en suivant celui par Saint-Denis et Rhisnes.

« Nous vous ferons aussi remarquer qu'il n'y aurait pas d'inconvénient sérieux à ce que l'on empruntât le chemin de fer de l'Etat à Jemeppe pour arriver à Namur, dès l'instant qu'il y aurait double voie, et la dépense de cette double voie pourrait être mise à charge de la compagnie du chemin de fer de Namur à Bruxelles.

« En tout cas, on pourrait encore vaincre cette difficulté en dirigeant le tracé du chemin de fer, à partir du débouché de la vallée de l'Ornoz sur Moustier, Jodion, Floriffoux, etc., ce qui aurait le mérite de racheter à peu près la moitié du détour de sept kilomètres, de rendre le chemin de fer tout à fait indépendant de celui de l'Etat, tout en ne s'éloignant pas sensiblement de Jemeppe.

« Il pourrait même servir au besoin d'auxiliaire au chemin de fer de l'Etat dans des cas d'inlerruption comme celle que nous avons subie en août dernier par le débordement de la Sambre, ce dont le tracé par Moustier, etc., serait à l'abri, puisqu'il ne traverse nulle part cette rivière.

« Nous vous prions instamment, M. le ministre, de vouloir bien prendre en considération et faire étudier les avantages qui résulteraient à adopter notre demande, qui, nous l'espérons, rencontrera votre bienveillant appui.

« Nous vous présentons, M. le ministre, l'hommage de notre respect.

« Les membres, etc. »

Je pense qu'il est impossible de résister aux motifs déduits dans cette requête, sur laquelle j'appelle la sollicitude particulière de M. le ministre des travaux publics.

Le ministère demande aussi une allocation pour travaux publics destinés à améliorer l'écoulement des eaux de la Sambre dans la province de Namur. Il est impossible de méconnaître la nécessité de procéder à ces travaux pour prévenir le renouvellement des désastres qui se sont produits à Namur et aux environs dans le courant d'août 1850. Du système vicieux des écluses et de l'état actuel de la Sambre canalisée sont résultées des inondations qui ont occasionné des dommages incalculables aux propriétés riveraines, dommages qui en définitive devraient rester (page 1899) à charge du gouvernement, puisqu’ils sont la conséquence des travaux de la canalisation.

Dans l’intérêt des particuliers, et même celui du trésor, à qui en justice incombe la réparation, il est essentiiel de construire à Namur un canal de dérivation vers la Meuse, seul moyen de prévenir les événements calamiteux dont Florenville a été victime l’année dernière. Il n’est donc pas possible de méconnaître, sous ce rapport, le mérite de l’allocation énoncée au projet. Du reste, toutes les sections l’ont votée unanimement, et la section centrale, à qui j'avais transmis une note exiplicative sur la nécessité des travaux dont il d’agit, l’a reconnue à l’unanimité.

Depuis longtemps, les hommes de l'art les plus éminents se sont prononcés sur la question dont il s'agit. Impossible de mettre Namur et les environs à l'abri des conséquences des inondations et de dégager sous ce rapport la responsabilité de l'Etat sans le canal de dérivation dont j'ai parlé.

I.e projet en discussion prouve que cette opinion est partagée par le ministère ; je pense toutefois que, pour atteindre le résultat désiré, il est indispensable de majorer le chiffre du projet, et tel est le but de l'amendement que je déposerai.

Il est un autre objet que je recommande au gouvernement et qui a depuis longtemps donné lieu aux vives réclamations de la ville de Namur. C'est le besoin qu'éprouve notre cité d'un entrepôt de douanes qui est d'une nécessité urgente, et que le commerce namurois demande avec instance depuis plusieurs années. J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement, et je suis convaincu qu'il pomra s'entendre facilement avec le conseil communal de notre ville pour l'établissement dont il s'agit, qui est indispensable en présence de la position faite à la ville de Namur par l'exécution des travaux d'utilité publique dont il s'agit au projet.

D'un autre côté, la station du chemin de fer de Namur est entièrement dépourvue des locaux convenables pour les besoins du commerce et, sous ce rapport, notre ville est traitée bien défavorablement, respectivement à d'autres localités déjà si avantagées d'ailleurs.

En résumé, messieurs, j'espère que le gouvernement, auquel la chambre, en votant la loi, accorde une confiance presque sans réserve, prendra à cœur de la justifier, en exécutant les travaux avec justice et impartialité pour tous. C'est dans cet espoir que j'appuierai le projet en discussion.

Je dépose l'amendement suivant :

« Le chiffre énoncé à l'article 8, littera 9, travaux destinés à améliorer l'écoulement des eaux de la Sambre dans les provinces de Namur et de Hainaut, est porté à 750,000 francs. »

M. le président. - L'amendement de M. Lelièvre sera imprimé et distribué, ainsi que celui que M. Delescluse vient de déposer sur le bureau.

M. Cools. - Messieurs, dans les discussions importantes qui intéressent la prospérité et l'avenir du pays, j'aime les positions franches et nettes. Je trouve beaucoup à louer dans le plan qui nous est soumis ; mais comme j'y trouve plus encore à blâmer, je me suis fait inscrire pour parler contre.

Seulement je me réserve de dire à la chambre dans quel sens et jusqu'à quel point je suis hostile au projet.

De même, qu'un orateur qui a parlé dans la séance d'hier, je ferai un appel à la bienveillance de la chambre, en considération des difficultés qui attendent tous les membres qui se proposent de critiquer un projet de nature à procurer des avantages, à tant de localités différentes, d'où émanent la plupart des mandats qui nous ont envoyés dans cette enceinte.

Ces difficultés sont grandes surtout pour les opposants qui font partie de la majorité. Je sais ce qui se dira et ce qui se dit déjà dès à présent à l'adresse de ces derniers, avec plus ou moins de bonne foi, dans des intentions plus ou moins désintéressées ; on dira que la minorité a intérêt à laisser supposer que quelques ministres s'intéressent tout spécialement, par des motifs qui seraient peu honorables s'ils étaient réels, à quelques-uns des travaux proposés, on ne manquera pas de faire remonter jusqu'à ces ministres les critiques qui seront dirigées contre ces travaux et contre le projet dans son ensemble. Voulez-vous donc, ajoutera-t-on, faire les affaires de vos adversaires politiques ?

Messieurs, des observations de cette nature ne sont pas à dédaigner. Je les ai prises en sérieuse considération, avant de me faire inscrire ; mais elles ne m'ont pas fait changer de résolution. Je crois que dans des grandes questions la majorité, tout autant que la minorité, doit s'exprimer librement, abstraction faite des personnes ; elle doit le faire parce qu'elle est assez forte ; parce qu'elle a des raisons assez profondes dans le pays pour se mettre au-dessus des petits calculs de la minorité.

D'ailleurs, je crois que dans les questions importantes, lorsque la discussion ne présente aucun danger pour les principes sur lesquels la majorité s'appuie, elle a un intérêt tout spécial à dire jusqu'à quel point son opinion se rapproche ou s'éloigne de celle du ministère auquel elle a accordé sa confiance ; car en agissant de la sorte, elle ne peut que fortifier l'ascendant moral qu'elle doit aspirer à exercer sur les populations. J'ai mis cette doctrine en pratique, il y a quelques mois, à l'occasion de la discussion du budget de la guerre ; je compte encore le faire aujourd’hui.

D'ailleurs, ce silence ne m'était pas permis lorsqu'à mon avis, le ministère a commis, je ne dirai pas une faute, parce que je ne veux pas exagérer, mais une grande, une très fâcheuse erreur en donnant au projet les proportions dans lesquelles il le présente. Il s'est trompé quant au fond et quant à la forme. Il s'est trompé quant au fond en rendant le projet trop vaste, il s'est trompé quant à la forme en s'opposant à ce qu’on le divise ; en tenant à avoir un vote d'ensemble quand il n'y a aucune liaison entre les catégories de travaux qu'il a réunies.

Je tiens les travaux portés dans le plan pour utiles, quoique à des degrés différents. C'est parce que le gouvernement les considère comme utiles et jusqu'à certain point comme urgents, qu'il les propse ; mais il ne peut empêcher que, par la nature des choses, il n’y en ait dont l’importance dépasse celle de tous les autres. La chambre comprend que j’entends parler de la dérivation de la Meuse et du chemin de fer du Luxembourg.

Eh bien, je crois que l'erreur dans laquelle le ministère est tombé a pour cause première la fausse appréciation qu'il a faite de l'un et de l'autre de ces travaux. Mes paroles ne peuvent avoir un sens désobligeant pour personne. Je vais m'expliquer. La ville de Liége a de justes prétentions à faire valoir ; on conçoit qu'on leur donne satisfaction, parce qu'elles sont justes d'abord, et puis aussi parce qu'il faut se rappeler la manifestation faite en sa faveur, il y a trois ans, par l'opinion aujourd'hui en majorité.

Aussi, si le ministère s'était borné à demander une somme très importante, fût-ce trois ou quatre millions, pour faire, dans le parcours de la ville de Liége, des travaux sur lesquels tout le monde est d'accord ; qui figurent dans tous les projets, je les aurais votés avec plaisir ; mais ce n'est pas là que le ministère s'est arrêté ; et c'est ici que commence ce que j'appelle une faute ; le ministère a cru qu'il fallait se prononcer sur la grave question de la dérivation de la Meuse, que ce projet était assez étudié pour provoquer, de la part de la législature, un vote par oui et par non, alors qu'il aurait dû se contenter d'un ajournement qui ne préjugeait rien dans un sens ou dans l'autre. Quant au chemin de fer du Luxembourg, l'erreur, d'après moi, a été d'une nature différente. Je crois que le ministère n'a pas eu assez de confiance dans la chambre, qu'il n'a pas pu se persuader que la chambre aurait compris qu'il y avait quelque chose d'anormal à voir toute une province complètement séparée du chemin de fer de l'Etat, que la majorité aurait été prête à voter franchement, ostensiblement un subside considérable pour assurer à cette province les bénéfices du chemin de fer.

C'est ainsi qu'il a été amené à chercher une combinaison qui masquât ou rendît moins apparente l'importance des sacrifices à faire, et il s'est arrêté à la garantie d'un minimum d'intérêt. Il a dû cependant se dire que ce principe tout nouveau, applicable non à une entreprise entière, mais à une seule ligne et la plus mauvaise, qu'on veut introduire dans l'intérêt d'une compagnie qui avait pris d'autres engagement, était de nature à soulever de nombreuses objections.

Aussi n'est-il pas étonnant que pour diminuer la résistance, il ait songé à créer des analogies ; c'est ainsi qu'on a étendu ce principe de la garantie en faveur d'une ligne spéciale à d'autres entreprises, qu'on l'a appliqué à une certaine catégorie de travaux qui tous pouvaient s'exécuter d'une autre manière avec ou sans l'intervention de l'Etat, mais au moyen de combinaisons présentant, d'après moi, des chances moins défavorables pour le pays.

Messieurs, je viens de faire l'historique du projet, non tel qu'il sera accepté et ratifié par le ministère, mais tel qu'il résulte de l'examen attentif du projet et des détails parvenus à la connaissance du public concernant les négociations entamées avec les sociétés.

Je ne me prononcerai pas pour le moment sur les différents travaux. Je réserve cela pour la discussion des articles. Je dirai seulement dès a présent que je ne me fais aucune illusion sur le résultat de cette discussion ; le projet sera adopté. C'est parce que ce résultat est inévitable que j'y trouve un motif de plus pour faire un grief au gouvernement d'avoir si mal choisi son terrain, il est des questions qu'on ne soulève pas impunément. Dans notre époque, on demande partout des voies de communication à cor et à cri. Si l'on prenait l'avis des localités qui n'en ont pas encore, on n'en ferait jamais assez.

C'est au gouvernement à voir la somme dont il peut disposer. Toutes les chambres seront toujours disposées à croire sous ce rapport les ministres sur parole. Du moment que le ministère indique son chiffre, les chambres le votent. Je vais plus loin, Une fois que le ministère a dit son mot, on ne lui permettrait pas de se rétracter. Je suis tellement convaincu de ceci que si le projet actuel devait échouer, le ministère devrait à l'instant même songer à y substituer un autre dans un bref délai.

Quelques travaux peut-être disparaîtraient, mais ils seraient remplacés par d'autres, pour lesquels les éléments ne manquent pas, et nous aurions un projet aussi vaste que celui qui nous est soumis.

J'applaudis à l'idée d'avoir voulu terminer cette session, par le vote d'une série de travaux publics Je suis d'accord sur le principe, je ne diffère que sur l'extension inconsidérée qu'on lui donne.

C'est un fait remarquable que tel a toujours été le caractère des critiques que la majorité a été dans le cas de devoir diriger vers le ministère depuis qu'il est au pouvoir ; chaque fois que le cas s'est présenté, la majorité a dû constater qu'il veut aller trop loin, qu'il exagère parfois les principes libéraux, du moins dans les questions matérielles, et il en a eté ainsi dans les petites choses comme dans les grandes ! Son énergie a souvent et' de la roideur, l'audace chez lui cède par moments la place à la témérité. Les exemples abondent. Je n'en citerai que deux ou trois, et je les choisirai dans les discutions qui ont eu une certaine importance. Il (page 1900) y a quelques mois, nous discutions le tarif du chemin de fer pour le transport des voyageurs ; différentes propositions avaient été faites, elles avaient pour but d'établir des péages médiocres, inférieurs à ceux qui existent dans d'autres pays ; le ministère trouvait que ce n'était pas assez. Ce n'étaient pas des bas tarifs qu'il voulait, c'étaient des tarifs minimes. (Interruption.)

Vous vouliez descendre au-dessous de toutes les propositions présentées dans la chambre.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai proposé d'abord de régulariser les tarifs existants, de faire disparaître des anomalies choquantes et de profiter de cette régularisation pour faire une double expérience.

M. Cools. - Mais comme le tarif existant était trop bas et que les propositions qui ont été faites avaient pour but de l'élever légèrement, je suis admis à dire que vous allez plus loin que la chambre. La chambre voulait des tarifs plus élevés que le gouvernement. Qu'ont dit souvent messieurs les ministres de leur banc ? Attendez les résultats ; ils sont là ; ils commencent à se produire ; nous avons, dès aujourd'hui dans le Moniteur les résultats du premier mois de l'application du tarif. Qu'y voyons-nous ? Que conformément à nos prévisions (quoiqu'il y ait en juin un jour de moins qu'en mai) il y a pour les voyageurs une augmentation de recettes s'élevant à 13 p. c.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il y a des relations où les prix ont été diminués et où le mouvement ainsi que la recette a augmenté.

M. Dumortier. - Il y a 13 p. c. de plus. C'est l'essentiel.

M. Cools. - N'entrons pas dans les détails : constatons ceci, c'est qu'il y a une augmentation sur le tout de 13 p. c, exactement la même que celle qui avait été obtenue par l'application d'un tarif établi sur des bases identiques au chemin de fer du pays de Waes.

Je sais que pour l'ensemble l'augmentation n'est pas tout à fait aussi forte, parce qu'il y a une certaine diminution, très légère, sur les marchandises. Mais il n'en est pas moins vrai que le mois de juin a rapporté 125 mille francs de plus que le mois de mai, et l'augmentation, comme je le disais à l'instant, est uniquement pour les voyageurs, les seuls pour lesquels nous avons changé le tarif. Peut-on avoir une preuve plus convaincante qu'ici le ministère était encore dans un système d'exagération ? (Interruption.)

M. Coomans. - On avait prédit un déficit.

M. Cools. - C'est évident. J'ai d'autres exemples.

L'année dernière quelque chose d'analogue a eu lieu. Nous voulions modifier le taux du transport des lettres par la poste. Tout le monde voulait un abaissement. Le gouvernement s'était arrêté à une proposition modérée et raisonnable, celle d'établir une taxe à raison de 20 centimes, quoiqu'il avouât lui-même que de ce chef il y avait certains sacrifices à faire. La discussion arrive, une autre proposition surgit, on veut une réduction plus forte, ce n'est pas 20 centimes qu'on veut, c'est à 10 centimes qu'il faut taxer.

Que fait le ministère ? Il commence par combattre la nouvelle proposition assez mollement, puis après, il laisse entrevoir qu'à son avis les auteurs de cette proposition pourraient bien avoir raison, et en dernier résultat, il lève son camp à la sourdine, le plante plus loin et laisse le malheureux rapporteur de la section centrale défendre tout seul (et j'avais ce triste privilège) la position que le gouvernement avait d'abord choisie lui-même. Heureusement que plus tard la chambre est revenue à d'autres sentiments, et qu'à une forte majorité, elle a déclaré que les quelques membres qui n'avaient pas désespéré de la position avaient eu raison, et on est revenu à la taxe de vingt centimes. Preuve nouvelle qu'alors aussi la majorité a eu à lutter contre l'exagération de la part du ministère.

Vous parlerai-je maintenant des péages sur les canaux ? Je ne le ferai pas, parce qu'il faudrait y rattacher la question des tarifs pour le transport des marchandises sur le chemin de fer, et que sur cette question-là la chambre ne s'est pas encore prononcée. Seulement je suis en droit de faire remarquer que le tarif de septembre 1847, qu'on peut dès à présent qualifier de malencontreux, nous a valu l'abaissement des péages sur le canal de Charleroy, qui a eu pour résultat une perte de 600,000 francs, et qu'il va nous valoir l'abaissement des péages sur le canal de Pommerœul qui, de l'aveu du gouvernement, produira une autre perte de 2 ou 3 cent mille francs, si tant est qu'on s'arrête à un abaissement à raison 50 de p. c. ; ce qui ne m'est pas encore démontré.

Et en même temps que l'on fait cette proposition, on demande que, par une autre partie de projets, la chambre autorise des prélèvements iiir les produits du chemin de fer du pajs, au profit d'une société ; c'est-à-dire qu'on attaque les finances de l'Etat de tous les côtés à la fois, et l'on trouve étonnant que ces projets soulèvent dans nos âmes une émotion que nous ne cherchons pas à déguiser !

Les discussions de cette nature sont fàcheuses : lorsque tantôt sur une question, tantôt sur une autre, la majorité elle-même doit lutter contre le ministère parce qu'il veut aller trop loin, le débat ne se termine jamais sans laisser des traces dans les esprits ; les difficultés s'accumulent, et le ministère en est réduit à devoir avoir recours à des moyens plus ou moins violents pour faire passer ses projets. Ne pouvant plus se borner à faire appel aux convictions des membres, il doit employer d'autres moyens.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler ce qui s'est passé, il y a quelques jours, relativement à la loi d s successions ; je ne veux pas insister sur ce point. Mais ce qui se produit en ce moment n'aboutira t-il pas également à une espèce de contrainte morale ? Pourquoi le gouvernement insiste-t-il tant pour que le projet ne soit pas divisé, pour obtenir un vote sur l'ensemble ? Evidemment pour rendre le rejet en quelque sorte impossible. Ce qui va arriver est facile à prévoir : dans la discussion, chacun s'exprimera librement. Je suppose que de tous les bancs de la chambre partiront des critiques, quand on jugera qu'il y a quelque chose à critiquer. Mais quand on viendra au vote final, les colères tomberont, chacun se dira : « Il y a peut-être dans le projet de loi deux ou trois travaux publics qui ne me plaisent pas ; mais, comme il y en a un excellent, qui doit apporter un grand bien-être à la localité à laquelle je m'intéresse, je vote pour le projet de loi, pour obtenir soit le canal, soit le chemin de fer que je préfère. »

Dès lors, vous aurez évidemment une majorité énorme.

Cette majorité, bien que ce ne soit qu'une première épreuve, qui doit êlre suivie d'une seconde dans une autre enceinte, sera présentée comme indiquant l'opinion du pays. Tout changement au vote de la chambre sera indiqué comme une calamité publique. (La presse est toute prête à s'acquitter de cette partie de la tâche).

Je n'hésite pas à dire qu'une pareille position est trop tendue. Elle ne saurait se prolonger, car elle ne va ni aux mœurs, ni aux sentiments du pays.

Le ministère le reconnaîtra bientôt lui-même, et, j'en ai l'espoir, il reviendra sur ses pas.

Je ne me bornerai pas à indiquer d'une manière vague que le projet est trop vaste ; je veux indiquer nettement dans quelles limites j'aurais désiré qu'on se renfermât.

J'approuve l'idée d'avoir voulu se procurer pour 2 millions ou 2 millions et demi de ressources au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour rétablir l'équilibre financier.

Je trouve également très bonne la pensée de consacrer une très forte partie de ces ressources (quand ce serait même jusqu'à concurrence des trois quarts) pour exécuter des travaux d'utilité publique.

Enfin, je n'ai qu'à applaudir au projet de profiter de l'état du crédit public pour contracter un emprunt. Vous voyez donc bien, messieurs, ainsi que je le disais en commençant, que je trouve beaucoup de choses à louer dans le plan qui nous est soumis. Mais ce que je critique, c'est la destination qu'on veut donner au dernier quart des ressources que l'on a obtenues.

J'aurais désiré (je ne veux formuler ici aucun projet, ce n'est pas mon affaire), mais j'aurais désiré qu'on eût réservé au moins dix ou douze millions sur le produit de l'emprunt pour amortir d'abord une partie de notre dette flottante, non pour l'amortir momentanément, mais pour l'amortir définitivement ; car évidemment elle est trop forte ; et que le le surplus eût été consacré à poursuivre d'une manière sérieuse l'achèvement du chemin de fer de l'Etat.

Le ministère ne l'a pas entendu ainsi. Ayant mal choisi son point de départ, il a été amené à prendre une position complètement fausse.

Au lieu de se préparer à lutter contre un entraînement qui est dans la nature des choses, au lieu de se borner à faire décréter les travaux strictement nécessaires, à faire plutôt moins que plus, il a commencé par proclamer, avec une sorte d'ostentation, que l'exécution de travaux publics constitue le premier besoin de l'époque, le premier devoir du gouvernement ; qu'à ce besoin-là il faut donner satisfaction jusqu'à concurrence de toutes les ressources disponibles. En d'autres termes, il s'est placé lui-même et dès l'abord à la tête du mouvement.

Et voyez à quelles conséquences cela l'a conduit.

La première, c'est d'être débordé, de charger l'avenir plus qu'il ne l'aurait voulu, et vous en avez la preuve sous les yeux, par les propositions de la section centrale, auxquelles, je le prédis d'avance, le gouvernement se ralliera comme il se ralliera à beaucoup d'autres choses encore.

La seconde conséquence que le gouvernement doit subir, c'est de se préparer dès à présent à créer de nouveaux impôts. Quelles que soient les peines que le ministère se soit données, il n'a pas pu faire en sorte de comprendre dans son projet toutes les dépenses extraordinaires qui sont cependant inévitables et assez prochaines.

Je citerai entre autres l'acquisition du matériel nécessaire pour le chemin de fer de la Dendre, celui qui est nécessaire pour l'exploitation de notre propre chemin de fer, car il est reconnu depuis longtemps que ce matériel est insuffisant ; ce qu'il faudra pour achever les stations ; quelque chose en réserve pour les erreurs de calculs dans les devis des travaux que l'on va entreprendre, erreurs qui sont inévitables.

Enfin, messieurs, les calculs auxquels je me suis livré démontrent qu'on arrive ainsi au chiffre de 35 millions de francs.

Et ici cependant je dois encore faire mention d'une dépense spéciale, quoique le gouvernement n'aime pas qu'on transporte la question sur ce point, qui, de son propre aveu, est cependant des plus probables. Je veux parler de ce qu'il y a à dépenser pour mettre en bon état le matériel de l'armée.

Je dis, messieurs, que c'est une question sur laquelle le ministère n'aime pas qu'on l'interroge. Car dès qu'on l'interpelle, il n'a rien de plus pressé que de chercher à déplacer la question.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Comment cela ?

M. Cools. - Je m'en vais le dire. Il nous parle des forteresses, du (page 1901) choix à faire entre les forteresses à conserver et les forteresses à démolir. Il faut, dit-il, à cet égard prendre d'abord l'avis d'une commission qui n'est pas encore nommée.

Mais le ministère sait très bien qu'il ne s'agit ici ni de remparts, ni de bastions, ni de lunettes, mais qu'il s'agit des armes de guerre qui sont renfermées dans les arsenaux de l'Etat, et pour les engins de guerre, pour les munitions de guerre, il doit savoir dans quel état ils se trouvent, il doit le savoir jour par jour, tout aussi bien qu'il connaît l'état dans lequel se trouvent les waggons et les locomotives que renferme le dépôt du chemin de fer de Malines. Il pourrait nous dire dès à présent ce qu'il faudra dépenser pour mettre le matériel dans l'état où il doit se trouver. A cet égard il devrait avoir une opinion formée, mais il ne veut pas la faire connaître.

Nous devons bien accepter le silence du ministère, mais je dis qu'il y a encore quelque chose à ajouter aux dépenses indiquées du chef du matériel de l'armée, parce que c'est là une dépense des plus probables. J'arrive ainsi à un chiffre beaucoup plus élevé, j'arrive à 40, à 45.'millions peut-être ; nous n'en savons rien, puisque le chiffre du matériel de l'armée ne nous est pas indiqué.

A cause même de cette dernière catégorie de dépenses sur laquelle on ne s'explique pas, je dois laisser une certaine latitude dans mes appréciations. Je suis toujours en droit de dire dès à présent qu'il est suffisamment établi qu'en dehors des dépenses qu'on nous indique, il y a encore 30 ou 40 millions au moins, auxquels il faudra pouvoir dans un délai assez rapproché.

Or, messieurs, 30 ou 40 millions en capital, cela répond, si je sais compter, à 2,000,000 ou 2,500,000 francs de ressources nouvelles, et ces ressources, comment le ministère se les procurera-t- il, si ce n'est en recourant au contribuable ? Ce sera la troisième série d'impôts, car il paraît qu'en fait d'impôts, ce chiffré de 2 millions à 2,500,000 francs devient invariable, que c'est là une progression arithmétique constante qui s'arrêtera nous ne savons où.

Mais je comprends la réponse qu'on pourra me faire. Le ministère nous dira : N'ayez pas d'inquiétude ; les travaux que nous allons entreprendre demanderont quelque temps. En attendant, la fortune publique se développera ; la prospérité augmentera et fera progresser les ressources, nos impôts rapporteront davantage et nous trouverons, quand nous serons un peu plus avancés, de quoi faire tout ce que vous indiquez.

Ainsi le ministère compterait sur le bénéfice du temps.

Mais n'est-il pas évident que dans le nombre des dépenses que je viens d'indiquer, il y eu a quelques-unes, et c'est même le plus grand nombre, pour lesquelles on ne peut pas attendre ? On peut attendre un, deux, trois, quatre ou cinq ans, mais enfin on ne pourra pas différer au-delà des travaux qu'on va commencer.

Je citerai tout d'abord l'acquisition du matériel nécessaire pour le chemin de fer de la Dendre, puisqu'il faudra exploiter la ligne à mesure qu'elle sera construite. Je vous indique encore le complément du matériel nécessaire pour notre propre railway.

Savez- vous quel délai je vous accorde pour cela ? Quelques mois ; jusqu'à la session prochaine.

L'année prochaine, quand nous discuterons le tarif pour le transport des marchandises, le ministère viendra nous prouver, et rien ne lui sera plus facile, que si nous voulons avoir des produits plus abondants, il faut compléter le matériel, il faut voter de nouveaux crédits, et même assez considérables, pour augmenter le nombre de locomotives, de waggons, et en général tout le matériel de l'exploitation.

Et l'espoir que le ministère voudrait placer dans l'amélioration des produits de l'Etat est tout aussi illusoire. Le ministère l'a reconnu lui-même. On est en ce moment strictement à flot. On n'a rien pour l'imprévu, et, comme un ministre le disait avec beaucoup de raison, en fait de dépense, il n'y a rien de plus prévu que l'imprévu.

Qu'il survienne la moindre crise, à l'instant même elle absorbe toute l'amélioration de produits qu'on aura obtenue.

Je viens de parler, messieurs, de la pression qu'on aura à subir à l'occasion des dépenses restées en dehors du plan ; mais je ne sais pas si le ministère a seulement bien calculé le temps qui lui sera laissé pour exécuter les travaux que nous allons entreprendre. Je ne sais pas si d'autres membres ont voulu se rendre compte de ce qui a été dépensé jusqu'ici pour les travaux publics ; eh bien, je suis parvenu à constater que dans les dix dernières années on a dépensé, terme moyen, 2,200,000 fr. par an, non compris ce qui a été appliqué au chemin de fer de l'Etat. A ce compte nous en aurions pour dix ans au moins.

Mais il y a une rectification à faire, et je vais rencontrer une objection que je prévois. On me dira : Si dans le passé on n'a pas pu dépenser plus de 2,200,000 fr. pour les travaux spéciaux, c'est précisément à cause des charges que notre propre chemin de fer faisait peser sur nous. En ajoutant les dépenses du chemin de fer aux travaux spéciaux, on a dépensé en moyenne non pas 2,200,000 fr., mais 6,000,000 tous les ans. Messieurs, j'accepte l'objection, mais j'ai une petite réflexion à présenter.

S'il est vrai que le chemin de fer ne pèse plus autant sur la situation qu'il l'a fait jusqu'à présent, il n'en est pas moins vrai que nous n'avons pas fini avec lui. Nous avons encore à dépenser 17 millions, c'est le chiffre ndiqué par le gouvernement ; nous avons le matériel à compléter, les stations à achever et quoi qu'on fasse, on ne pourra pas reculer ces dépenses au-delà de l'exécution des travaux que nous allons commencer ; car, évidemment, on le dit déjà aujourd'hui, la ville de Liége nous demande d'amener le chemin de fer à l'intérieur de la ville ; demain d'autres localités importantes feront observer qu'elles manquent de stations, que c'est une honte pour le pays ; et le gouvernement serait maître de ses actions, il ne serait pas pressé de tous côtés ! C'est impossible à admettre.

Ainsi, messieurs, indépendamment des 27 millions que nous allons voter, il faut encore, pour la période dans laquelle nous allons entrer, 17 millions qui ne figurent pas au bilan du ministère. Nous arrivons ainsi au chiffre de 43 millions. 43 millions à dépenser dans une période plus ou moins longue, cela fait bien, à raison de six millions annuellement, un travail de sept ou huit ans.

Et on croira, de bonne foi, qu'on va attendre sept ou huit ans pour terminer les travaux qu'on va commencer sur tous les points du pays !

Mais, messieurs, dès l'année prochaine, on va faire observer qu'il faut tâcher que les travaux rapportent, qu'ils n'auront produit leur utilité que lorsqu'ils seront achevés ; vous serez harcelés de tous côtés ; le gouvernement ne pourra pas résister, et au lieu de finir les travaux en sept ou huit ans, en marchant comme on a marché jusqu'à ce jour, il devra les finir en quatre ou cinq ans.

Ainsi les travaux publics, qui ont été l'unique cause du déficit dans le passé, vont être une cause d'embarras plus grands encore dans l'avenir.

Et ne dites pas qu'il y a cette différence entre la situation qui va se produire et celle qui existait auparavant, c'est que maintenant on ne met pas la main à l'œuvre avant d'avoir les fonds devant soi, car à l'instant même je serais forcé de vous faire remarquer que si vous avez les fonds devant vous, ce que je reconnais, pour les 20 millions que vous demandez, vous n'avez aucune ressource pour les 17 millions qu'exigent les besoins du chemin de fer et qui ne figurent pas dans votre bilan.

Ainsi, ce que vous gagnez d'un côté, mais seulement en partie, par les ressources que vous avez réunies, vous le perdez de l'autre et au-delà par la rapidité que vous devrez mettre dans l'exécution. J'ai donc raison de dire que le déficit nouveau se creusera plus vite que le déficit ancien et que plus vite aussi il faudra avoir recours à la bourse des contribuables.

Messieurs, il est si agréable d'entreprendre de grands travaux d'utilité publique. On est tout enclin alors à se laisser aller à des rêves de bonheur, on voit une prospérité nouvelle s'ouvrir devant soi. Le ministère va travailler sur une plus vaste échelle que jamais, il va conduire le pays à des destinées nouvelles.

Il se peut qu'elles soient glorieuses, mais, en attendant que mon opinion soit formée sur ce point, je ne saurais m'empêcher de regarder par moments le revers de la médaille : à côté des travaux je vois les impôts ; les travaux et les impôts sont deux termes corrélatifs, l'un ne va pas sans l'autre, on nous le prouve assez dans ce moment. Dès lors l'enthousiasme qu'on veut exciter et j'ai pu partager un moment, se refroidit considérablement. Mes préoccupations se reportent sur le contribuable, je songe au sort qui lui est réservé, et dès lors je ne saurais m'empêcher de concevoir pour lui des craintes réelles et sérieuses.

Messieurs, j'ai raisonné jusqu'à présent dans la supposition que les années à venir ressembleront à celles que nous avons traversées ; mais qu'adviendra-t-il si cette époque de 1852, qui est à nos portes, qui tient tous les esprits en suspens, nous amène non pas seulement de l'agitation, ce qui est inévitable, mais des complications plus graves, que sais-je, des mouvements populaires, la guerre peut-être ? Que ferez-vous alors ? N'est-il pas évident qu'à l'instant même vous vous trouverez pris au dépourvu ?

Je ne veux pas demander au ministère l'impossible ; je sais bien que si les événements prenaient une gravité extrême, quoi qu'il eût fait, il faudrait encore recourir aux mesures qu'on réserve pour le dernier moment, encore une fois songer à l'emprunt forcé ; mais je demanderai seulement au ministère ce qu'il a préparé pour les premiers besoins : est-ce qu'à l'instant même il ne faudrait pas mettre l'armée sur un pied respectable ? Ne faudrait-il pas à l'instant même songer à ce matériel de l'armée dont la situation nous est enfin révélée ? ne faudrait-il pas réunir, pour cet objet seul, au moins une dizaine de millions ?

Il faudrait aussi retirer de la circulation les bons du trésor : nous savons ce qu'il a fallu faire en 1848 ; toute proportion gardée, ne faudrait-il pas, encore une fois, pour cet objet, une autre dizaine de millions ? C'est-à-dire que voilà déjà de quoi exiger une somme tout aussi importante que presque toute la valeur de l'emprunt dont, cependant, une partie notable se trouvera engagée dans les travaux publics.

Eh bien, relativement à tout cela, qu'est-ce qui a été fait ? Rien. Je ne vois rien. C'est là... je cherche un terme qui n'aille pas au-delà de ma pensée ; mais il faut bien appeler les choses par leur nom, c'est là de la politique aventureuse, ce n'est pas autre chose que cela.

Messieurs, l'épreuve que nous allons traverser est redoutable.

J'espère qu'elle se terminera bien, je l'espère dans l'intérêt du pays d'abord, je l'espère aussi dans l'intérêt du ministère.

Le cabinet du 12 août, il ne saurait le cacher, va jouer gros jeu ; il laisse à la fatalité le soin de remplir la page qui lui est ouverte dans les fastes du pays ; je ne sais ce que nous y lirons plus tard ; pour le moment je ne puis dire qu'un chose : c'est qu'il a une confiance bien grande dans son étoile.

Quant à moi, qui n'ai pas les mêmes motifs de sécurité, je ne saurais adopter un projet qui absorbe à ce point toutes les ressources disponibles du pays, je voterai contre la loi, à moins, ce qui n'est pas probable, qu'on ne lui fasse subir de notables réductions.

Prise en considération de demandes en naturalisation

(page 1902) M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la chambre a décidé tantôt que le feuilleton de naturalisations qui était en première ligne à l'ordre du jeur, viendrait à la fin de la séance, et qu'en attendant on reprendrait la discussion du projet de loi sur les travaux publics. Comme il est possible que plus tard nous ne soyons plus en nombre, j'ai l'honneur de proposer à la chambre de s'occuper actuellement du feuilleton de naturalisations.

M. Delfosse. - On pourrait s'occuper du feuilleton des pétitions lundi, au commencement de la séance ; continuons aujourd'hui la discussion générale du projet de loi sur les travaux publics.

M. de Haerne. - Il me semble cependant que la chambre ne peut pas toujours se déjuger ainsi ; elle a décidé qu'elle s'occuperait de ce feuilleton de naturalisations à la fin de la séance ; il est donc tout naturel qu'on s'en occupe maintenant, puisque plus tard nous ne serons plus en nombre.

- La proposition de M. Lelièvre est mise aux voix et adoptée.

Le scrutin est ouvert ; 61 membres y prennent part.

Sur la proposition de M. de Liedekerke, la chambre décide qu'elle reprendra la discussion du projet de loi sur les travaux publics ; que les scrutateurs procéderont dans l'intervalle au dépouillement des bulletins, et que le résultat du scrutin sera proclamé à la fin de la séance.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion générale

M. le président. - D'après l'ordre des inscriptions, la parole devait être donnée à un orateur « sur » ; mais les orateurs inscrits sur n'étant pas présents, la parole est accordée à M. de Man d'Attenrode inscrit contre.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, à aucune époque de ma carrière je n'ai éprouvé autant qu'aujourd'hui la nécessité de parler avec toute la franchise dont je suis capable.

Mais aussi, il ne m'est jamais arrivé de voir les consciences, de voir les convictions exposées à une épreuve aussi délicate, soumises à une compression aussi impérieuse et aussi dure.

Cette franchise, je la dois au pays dont je suis le mandataire ; je la dois au collège électoral de mon arrondissement, qui, en faisant choix d'hommes indépendants pour le représenter, a donné l'exemple du désintéressement, puisque le pouvoir ne se montre prodigue des faveurs du budget qu'envers ceux qui subissent ses exigences.

S'il faut en croire ses organes, le but du vaste plan de dépenses qui tous est soumis, n'est autre que d'assurer l'ordre par le travail pendant la crise qui se prépare en 1852 dans un Etat voisin.

Si ces dépenses trouvent leur justification dans cette circonstance, pourquoi donc tous ces efforts, toutes ces intrigues pour leur assurer l'adhésion de la chambre ? Pourquoi cette croisade organisée contre la liberté d'action de la représentation nationale ?

Je dis donc sans détour, que 26 projets confondus dans un seul ont un autre but : ce but, c'est en grande partie d'acquitter de vieilles dettes, des engagements contractés en 1847, pour faire prévaloir la politique qui nous dirige et pour prolonger aussi autant que possible son existence.

Ce but est de gouverner les hommes par les intérêts, tandis qu'il faudrait les gouverner par les principes.

Ce but est de régner par la dépense, et jamais pouvoir n'a aussi bien compris la puissance de ce moyen, et ne l'a aussi bien pratiqué pour tenir le pays sous sa dépendance !

Ces dépenses qu'on nous propose ont donc une cause politique, et pour le démontrer clairement, il me suffira de faire rétrograder vos souvenirs de quelques années.

Avant 1847, quand il s'agissait de discuter des propositions concernant les travaux publics, ce n'était pas sous les deux drapeaux qui partagent le pays à son grand préjudice, que se formaient les majorités, qui les accueillaient, et les minorités, qui les combattaient.

Les suffrages de la majorité se répartissaient sur tous les bancs.

C'est ainsi que, membre de la majorité qui appuyait le cabinet, je combattis en toute circonstance cet entraînement excessif pour les travaux publics, entraînement qui amena ces embarras financiers qui furent reprochés avec tant d'amertume et d'exagération à l'ancienne majorité politique, par la minorité depuis son avènement au pouvoir.

C'est ainsi que je combattais par mes paroles et par mes votes les projels de concession qui en 1845 menaçaient de leur concurrence les chemins de l'Etat, et qui tendaient à céder petit à petit à l'industrie privée leur rectification ; car leur point central a été, vous le savez, malencontreusement fixé à Malincs.

Et c'était avec l'honorable M. Rogier, qui siégeait sur d'autres bancs que moi, que je combattais ces projets, qui tendaient à altérer par la concurrence le système qui devait réserver les grandes lignes nationales à l'Etat.

Je m'opposais avec cet honorable membre, au mois d'avril 1845, à ce qu'il qualifiait d'entraînement irréfléchi et général vers la construction des chemins de fer.

Mais depuis il n'en a plus été de même ; en 1847 les dépenses des travaux publics devinrent l'enjeu des luttes politiques.

C'est ainsi que surgirent des propositions pour arrêter en principe la construction d'un chemin direct de Bruxelles à Gand, et l'exécution des travaux appelés improprement la dérivation de la Meuse.

Le cabinet parvint à écarter cet embarras ; le trésor était vide, et il aurait fallu pourvoir à ces dépenses peu urgentes par des impôts nouveaux ; et ceux qui menaient à cette époque les affaires du pays, cherchaient à lui épargner des charges nouvelles.

Mais son succès même fut pour lui une cause de ruine ; car il perdit l'adhésion d'un collège électoral qui lui avait toujours été dévoué.

Ainsi ces propositions devaient, quoi qu'il avdînt, être pour leurs auteurs un élément de succès.

Ces deux projets de dépenses furent dès lors inscrits sur le programme de la politique régnante.

Des engagements avaient été contractés entre ceux qui voulaient satisfaire leur ambition, je dis entre ceux qui voulaient faire prévaloir leurs opinions, pour être plus bienveillant, et ceux qui demandaient à satisfaire leur goût pour les richesses.

Aussi l'avènement du cabinet fut-il suivi bientôt d'une proposition d'emprunt de 76 millions destiné à satisfaire aux engagements qui avaient amené le succès.

Les événemenls du mois de février 1848 le firent heureusement échouer. L'état du crédit ne permit pas de le renouer.

La proposition qui nous est faite est destinée à le remplacer partiellement, beaucoup d'engagements ont été déjà remplis au moyen de l'emprunt forcé de 1848. Cette proposition est faite surtout pour satisfaire aux promesses qui ont été faites au capital industriel qui exploite les usines en amont de Liége.

Le succès de cette entreprise était difficile après les mécomptes et les dépenses exorbitantes et imprévues amenées par le canal latéral à la Meuse, dépenses faites pour favoriser le même capital, et qui sont loin de l'avoir satisfait, à ce qu'il paraît.

Qu'a-t-on fait pour assurer une majorité à ce projet onéreux pour le trésor, et à quelques autres, qui, comme le chemin de la Dendre-Waes, grèveront nos chemins de fer de déficits nouveaux ?

On a organisé une vaste coalition d'intérêts locaux ; on a distribué çà et là quelques fragments du grand gâteau exigé par le capital industriel du bassin de la Meuse. Car, il importe de le remarquer, ces charbonnages obtiennent la part du lion ; leur part à eux est garantie par des dépenses qui se feront directement aux dépens du trésor ; tandis que ceux qui obtiennent en échange des garanties de minimum, pourraient fort bien être dupes de leur marché, être déçus dans leurs espérances de voir arriver à leur aide les capitaux étrangers. L'honorable M. Osy vous a démontré hier que cette prévision pourrait bien se réaliser, et les charges écrasantes qui s'ensuivraient pour le trésor.

Ainsi les parts sont loin d'être également réparties. La Meuse a revendiqué et obtiendra les bénéfices de l'ancien droit d'aînesse ou plutôt la part du plus fort, car ses tuteurs dominent dans les conseils du ministère, et ce que le cabinet veut, la majorité le subit. Au reste, la répartition a été faite avec une prévoyance remarquable, afin de faire réussir la combinaison.

C'est ainsi que la part destinée aux canaux de la Flandre est tenue en suspens entre ses deux grandes subdivisions administratives.

Le ministère a planté un mât de Cocagne entre Bruges et Gand. Ce sont ceux qui déploieront le plus d'adresse à y monter qui remporteront le prix.

Louvain et Charleroy avaient des droits incontestables à ce que l'on achevât le chemin destiné à les mettre en communication. Des travaux considérables ont été exécutés ; l'Etat a mis un empressement si extraordinaire à faire prononcer la déchéance de la compagnie concessionnaire, que je ne puis m'expliquer cet empressement que par le motif de les achever lui-même !

Eh bien, le chemin de Louvain à la Sambre, malgré l'état avancé de ses travaux, malgré sa situation qui promet des produits, a été exclu du projet monstre.

Par un article tout spécial, on le tient en réserve pour la compagnie du Luxembourg pendant deux ans.

Et tandis qu'on n'impose pas à cette compagnie un chemin utile, productif, qu'elle ne demande pas mieux que d'exécuter, paraît-il, on lui impose la charge, onéreuse pour elle et pour le pays, de la construction du chemin ministériel de Bastogne.

Pourquoi cette préférence ? La presse ministérielle le dit tout haut : c'est que Louvain se permet de se faire représenter par des hommes qui croient, dans l'intérêt du pays, devoir envisager autrement que le cabinet la question de l'odieux impôt des successions, celles qui concernent la protection à l'agriculture, l'organisation de l'armée, la liberté d'instruction, l'exercice de la charité, etc., etc., etc.

C'est que Liége entend conserver pour ses charbons le marché de Louvain, que le tarif du 1er septembre lui a assuré, et ne veut pas le partage avec le Hainaut.

Je vous avouerai, messieurs, que tout en déplorant ce déni de justice, je me glorifiais en quelque sorte d'avoir été jugé incorruptible, lorsque la section centrale est venue réparer cette omission, par suite des réclamations qui ont été faites dans les sections.

Mais pourquoi n'a t-elle pas fait droit aussi à l'adresse du conseil du Brabant, qui se plaint de ce que sa province n'a pas sa part légitime dans les grands travaux proposés, en comprenant dans les 16 millions de garantie qu'elle a ajoutés au grand projet, le canal qui est destiné à mettre Diest en communication avec Liége et Anvers ? Ce canal n'eût été (page 1903) qu'une légitime indemnité pour le chemin de fer qui avait été assuré à Diest par une concession.

Mais, dans les gouvernements constitutionnels, ce n'est pas toujours la justice qui prévaut, ce sont surtout les influences puissantes et utiles à ceux qui gouvernent.

Ainsi, messieurs, l'intérêt du chef-lieu de l'arrondissement qui m'a envoyé siéger sur ces bancs, l'intérêt du renouvellement de mon mandat, tout semble me convier à oublier mes antécédents, mes convictions, à aliéner mon indépendance en entrant dans la coalition pour assurer à mes commettants une part dans la distribution des faveurs qui se prépare.

Mais, avant de me prononcer, je tiens à examiner devant vous le caractère de ces coalitions d'intérêt que j'ai entendu qualifier, à mon grand étonnent, de légitimes et d'irréprochables.

Nous allons voir.

Posons d'abord le principe suivant, qui ne peut être contesté : Le trésor public, dû aux sacrifices des contribuables, ne peut être employé qu'à des services qui intéressent la communauté.

Or, c’est lorsque l’on entend s’écarter de ce principe équitable, que les intérêts qui ne représentant pas l’intérêt général passent des traités entre eux à l’effet de se prêter un appui mutuel, afin d’imposer au trésor public des dépenses qui les favorisent.

La coalition grossit jusqu'à ce qu'elle soit de force à imposer à la minorité des charges sans compensation ; cela prend le caractère d'une guerre où le plus fort opprime le plus faible.

On ne peut disconvenir que ces coalitions ne soient condamnables, même quand elles surgissent spontanément entre les membres d'une assemblée.

Mais elles le sont bien davantage, quand c'est le pouvoir lui-même, qui est chargé du maintien de l'unité nationale, de la conservation de l'intérêt général qui prépare ces coalitions de longue main, dans le but de faire triompher un projet de dépense qui, sans cet expédient, n'eût pas trouvé d'adhésion suffisante.

Voilà cependant le spectacle pénible qu'on nous offre aujourd'hui ; le gouvernement, profitant de ce que le mandat représentatif est dû au scrutin de liste par arrondissement, soulève, contre ceux qui en sont investis, la pression de l'intérêt local.

Il n'hésiste pas à mettre le représentant entre son devoir, qui est de représenter l'intérêt du pays tout entier, et l'intérêt de son existence politique, et cela afin d'obtenir une adhésion nécessaire au succès de ses plans.

Peu lui importe, semble-t-il, la déconsidération que ces traités déversent sur la représentation nationale en enchaînant ses convictions.

Peu lui importe le soulèvement général des intérêts de localité, qu'il surexcite sans prévoyance, sans prévoir qu'ils pourront bien un jour le renverser lui-même.

Il semble oublier que c'est cette puissance des intérêts locaux qui constitue le danger le plus réel pour l'unité des Etats d'une étendue restreinte, et où la richesse abonde.

Il oublie que ces intérêts ne pèsent en Belgique que trop puissamment sur la liberté et sur l'impartialité de son action.

Ce qui se passe d'ailleurs ne le prouve qu'avec trop d'évidence, car s'il y a des vainqueurs, il y aura des vaincus.

La balance des intérêts sera rompue ; quelques-uns obtiendront des faveurs incompatibles avec la justice distributive à laquelle tous ont des droits égaux.

Les uns seront sacrifiés au profit des autres.

Mais l'intérêt le plus gravement atteint, ce sera le grand intérêt de la liberté, dont nos institutions constitutionnelles sont l'expression.

L'indépendance du pouvoir législatif est annulée et sacrifiée au profit du pouvoir ministériel ! Or je dis que ce n'est pas par des procédés de l'espèce que l'on prépare le maintien de l'ordre dans l'avenir.

Aussi n'oublierai-je pas dans cette circonstance que mon devoir est de me préoccuper avant tout de l'intérêt général du pays : je saurai maintenir mon indépendance, mon libre arbitre, qui sont l'honneur du député, et si je succombe à la suite de ce pénible épisode de ma vie parlementaire, je déposerai mon mandat avec la conscience de ne l'avoir exercé que dans l'intérêt de ma patrie !

Maintenant, messieurs, que j'ai acquis ma liberté d'action tout entière, j'examinerai de plus près pourquoi cette violence s'exerce sur nous au moyen d'une coalition.

La cause de cette pression, la voici : c'est une dépense de plusieurs millions, inutile pour l'intérêt général, inutile même pour ceux qui la réclament si impérieusement.

Cette dépense, c'est celle que l'on se propose pour un travail appelé improprement : « dérivation de la Meuse », et que l'on indique ainsi, afin de la mettre sous le couvert d'une question d'humanité.

C'est une dépense qu'il serait plus convenable de désigner sous le nom de canalisation de la Meuse.

Je répète que, sans la pression exercée sur la chambre, cette dépense aurait eu peu de chances d'être adoptée, à moins qu'on ne la réduisît des deux tiers, et cela parce que, je persiste à le dire, il est évident qu'elle est inutile pour ceux mêmes qui la réclament.

Et elle me paraît si inutile, que la persistance que l'on met à vous la faire voter me fait en quelque sorte l'effet d'un défi destiné à bien établir la prédominance d'une grande ville sur le pays tout entier.

L'intérêt qui réclame le travail gigantesque, difficile de la canalisation de la Meuse, c'est celui de son bassin houiller.

Cet intérêt demande ce travail, afin d'obtenir la réduction du prix des transports vers Anvers, vers la Hollande, afin d'y lutter avec les charbons anglais et prussiens.

Je vous prie, messieurs, de vouloir bien le remarquer ; je ne m'oppose pas à ce qu'on cherche à arriver à ce résultat, pourvu que l'on veuille bien tenir aussi un peu compte des intérêts du trésor public ; je vais m'expliquer.

Nous avons déjà dépensé, en faveur de cet intérêt, huit millions environ pour la construction du canal latéral à la Meuse de Liége à Maestricht.

L'année dernière, nous avons avancé 1,800,000 fr. à la compagnie du chemin de fer de Namur, afin de doter les deux rives de la Meuse d'une ligne en fer de Chokier à Liége, et de relier avec cette ville les établissements industriels situés sur ses bords.

Le but de cette dépense, car cette dépense devait avoir un but utile, c'était de mettre les charbonnages en communication avec le bassin du canal latéral à Coronmeuse.

Il ne reste donc plus que quelques nouvelles dépenses à faire pour achever cette œuvre.

Eh bien, le pouvoir dominant a dit : Je ne veux pas de ce moyen de transport ; c'est la canalisation de la Meuse qu'il me faut ; et l'on a dicté ces conditions à la coalition !

Pourquoi préfère-t-on la canalisation en faisant de larges saignées an trésor public, au système beaucoup moins dispendieux du transport par chemin de fer ?

Je m'en vais vous le dire : c'est parce que le transport des charbons depuis les sièges d'exploitation jusqu'au bassin de Coronmeuse coûterait 50 c. par tonne pour un parcours de 10 kilomètres ! Voilà le motif véritable.

Tandis que l'on compte faire écouler ses charbons en quelque sorte gratuitement par la Meuse canalisée ; car on sait que les traités internationaux interdisent les péages sur la Meuse.

Or, savez-vous ce que le transport des charbons du bassin de Mons coûte depuis leurs sièges d'exploitation jusqu'au rivage ? Au-delà de (erratum, p. 1932) 1 fr. 50 centimes.

Je vous demande ensuite, dans l'intérêt du trésor, si nous serons encore bien fondés à réclamer le remboursement de l'avance de nos 1,800,000 francs faite à la compagnie de Namur à Liége, si vous rendez improductif le travail auquel cette avance est destinée ? Je suis disposé à croire que non ; il importe que M. le ministre des travaux publics se prononce à ce sujet.

Et qu'on ne vienne pas prétendre que le transport par chemin de fer nécessitera un transbordement de plus ; cela n'est pas soutenable.

Toute la différence qu'il y aura, c'est qu'en cédant aux exigences de MM. les exploitants, leurs charbons ne rouleront que sur une superficie de quelques mètres en waggons, qu'ils atteindront plus promptement le rivage, tandis que dans le système qu ,nous dispense de faire de si énormes dépenses, système développé par des plans détaillés, les produits rouleront pendant quelques minutes de plus, pour être déposés ensuite sur les bateaux ou sur le rivage du canal à Coronmeuse.

Mais voici un autre avantage, une autre économie, qui résulte du transport des charbons par chemin de fer, c'est qu'il dispense le pays de la dépense énorme qui résultera de la démolition de l'antique pont des Arches.

Je comprends que cette démolition combinée avec une reconstruction moderne, entre dans les combinaisons nécessaires pour embellir la ville de Liége, mais le trésor public n'a rien à voir dans des dépenses de cette nature.

Au reste, je ne m'oppose pas à ce qu'on fasse quelques travaux de rectification pour diminuer l'intensité des inondations. ; mais je ferai seulement remarquer que la confiance dans les projets est si limitée, que le conseil communal de Liége a eu la prudence de poser des réserves fort sages en n'engageant pas la ville à contribuer par des subsides si les travaux projetés avaient pour conséquence d'aggraver les inondations.

Maintenant voulez-vous savoir la valeur de l'intérêt pour lequel vous êtes appelés à voter de si fortes sommes ?

Le bassin de la Meuse exporte environ 70,000 tonnes. Il ne peut avoir, à ce qu'il paraît, la prétention d'en exporter plus de 100,000, et voici pourquoi :

Le but de l'amélioration des voies de transport est d'exploiter davantage en faisant des bénéfices.

Or, si l'extension de l'exploitation fait élever les salaires, il n'y aura pas de bénéfice à étendre l'exploitation ; et les dépenses faites pour les voies navigables l'auront été en pure perte, ou au moins, pour un intérêt peu important ; c'est ce qui arrivera.

Une exploitation plus étendue exigera une demande de bras plus considérable ; or, cette demande dépassant l'ordre, augmentera les frais d'exploitation ; car les salaires se règlent d'après l'offre combinée avee la demande.

Or, voici la situation, d'après des renseignements que je tiens pour exacts :

Les diverses industries qui existent dans cette florissante et riche contrée disposent de 40,000 ouvriers, et ils sont occupés.

(page 1904) Ce n'est donc que par l'appât de salaires plus élevés que l'on déterminera un plus grand nombre d'ouvriers à donner la préférence aux travaux pénibles des mines.

Si l'on veut éviter ce surcroît de dépense, il faudra avoir recours aux bras étrangers, aux ouvriers allemands ; eh bien, si on a recours à ce moyen, l'on prépare au pays des charges nouvelles, inévitables : pour prévenir le desordre, si une crise, si une simple mesure douanière prise par une puissance étrangère venait à faire ralentir l'exploitation, et vous savez la manière impérieuse avec laquelle on réclame alors des prêts, des subsides en faisant entrevoir le désordre.

Ce qui précède prouve à l'évidence que c'est pour augmenter tout au plus l'exportation de 30,000 tonnes, et on n'y arrivera qu'en appelant les étrangers, qu'on exige que le pays fasse des sacrifices aussi considérables.

Or, vous devez concevoir que cela est absurde, que cela est contraire à l'intérêt général.

Il est donc bien démontré que ces réclamations ne sont pas motivées par la détresse des classes ouvrières, mais qu'elles sont amenées en partie par la prospérité même de l'industrie liégeoise.

Je tiens ici à vous communiquer un passage d'une brochure que je ne puis assez recommander à vos méditations.

Ce travail remarquable est intitulé : « L'impôt et ses privilégiés ».

J'y trouve le passage suivant :

« L'exploitation minérale livre annuellement à la consommation des produits pour 55 à 60 millions de fr., dont elle exporte 25 millions, à l’aide du concours de 50,000 ourviers et de 24,802 chevaux-vapeur. En 1838 l’industrie des mines occupait 37,000 mineurs et mettait en mouvement 15,698 chevaux-vapeur.

« La valeur des concessions de mines peut s'estimer au moins à 250 millions ; et les propriétaires de cette immense richesse daignent faire à l'Etat une aumône de 200,000 fr. par an !

« ... Pour dix hectolitres de houille, l'exploitant paye à l'Etat à peu près 3 centimes ou moins de trois millièmes de la valeur. »

Messieurs, il faut en convenir, l'auteur de cette brochure n'est pas mal fondé à ranger l'industrie minérale parmi les privilégiés de l'impôt.

C'est à cause de ce privilège, que les réclamations destinées à engager le pays dans des dépenses considérables sont si vives.

Aussi je soutiens que, tant que des valeurs aussi considérables ne contribueront pas d'une manière sérieuse à alimenter le trésor, ceux qui les possèdent ne sont pas fondés à réclamer des dépenses dont ils ne supportent pas les charges.

Et ces charges, qui est-ce qui est chargé d'y pourvoir ?

C'est le capital de la superficie du sol. Ainsi le projet de loi des successions en ligne directe frappera surtout les valeurs immobilières.

Les projets qui tendent à procurer au trésor des ressources nouvelles en modifiant le régime des distilleries et des brasseries, frapperont encore indirectement les produits de la terre.

Et cependant la totalité des impôts qui grèvent la propriété foncière s'élèvent à 47 p. c. de la somme totale des impôts payés à l'Etat, saus compter les centimes additionnels payés à la province et à la commune.

Et cependant le revenu net de la propriété foncière, estimé, pour être large, à 200 millions, puisque le cadastre ne l'estime qu'à 157 millions, paye (erratum, p. 1932) 20 p. c.

Veuillez noter ce qui suit :

712,906 propriétaires fonciers possédant un revenu en-dessous de 1,000 fr. (et parmi eux il en est 517,492 qui ont un revenu inférieur à 100 fr.), acquittent 7 millions au trésor ; peu importent les épidémies les mauvaises récoltes, le bas prix des blés ; il faut qu'ils acquittent 7 millions.

C'est un prélèvement obligé sur le revenu. Si le revenu s'abaisse, le prélèvement n'en devient que plus lourd.

Aussi, l'avilissement des prix est-il bien plus onéreux que quelques nouveaux centimes additionnels.

C'est cependant là le but des efforts du cabinet en supprimant toute protection douanière, en obligeant le cultivateur et le propriétaire de bois à lutter avec les blés et avec les bois du Nord.

Et pourquoi ces deux poids et ces deux mesures, puisqu'on maintient la protection douanière pour les houilles, pour les produits du capital industriel, et qu'on oblige le capital agricole à payer les surtaxes qui en dérivent ?

C'est parce qu'on veut privilégier le capital industriel, en lui donnant les moyens d'abaisser les salaires de ses ouvriers, car les salaires sont toujours en raison des prix des denrées alimentaires.

C'est là encore un privilège de plus pour ceux qui ont le privilège de n'acquitter que des taxes insignifiantes.

Quand ensuite la crise politique arrive, c'est encore le capital foncier qui est appelé à conjurer l'orage, les dangers qui dérivent des excès de la production.

On lui impose des charges destinées à augmenter la production ; plus cette production a grandi, plus la crise est intense, et plus aussi les charges qui en dérivent sont lourdes pour lui.

De sorte que les charges qui lui sont imposées quand le travail prospère, sont destinées à lui en créer de plus lourdes encore quand le travail s'arrête.

Enfin, le capital agricole est encore chargé d'acquitter en grande partie les déficits amenés par l'exploitation onéreuse du chemin de fer par l'Etat, et cela parce que cela est utile au capital industriel.

Ya-t-il alors lieu de s'étonner de ce que les capitaux se retirent de l'agriculture ?

Voici comment l'honorable M. Tesch, ministre de la justice, s'exprimait à ce propos dans la séance du 30 janvier dernier :

« Il est un fait qui doit avoir frappé tous ceux qui se sont occupés d'économie sociale, c'est que lorsque le commerce et l'industrie se développent dans de colossales proportions, lorsque l'argent affluait vers ces deux branches de l'activité humaine au point d'engendrer l'agiotage, les capitaux se retiraient de l'agriculture. Cependant la propriété offre de plus fortes garanties. »

On frappe toujours le sol, au profit du capital industriel, qu'on épargne à cause d'une idée qui n'est plus juste et qui a fait son temps.

On frappe le sol parce que sa propriété est censée représenter l'aristocratie et la richesse.

On épargne les entreprises industrielles, parce qu'elles sont censées représenter exclusivement le travail et la démocratie.

Cette idée est surannée, et des plus fausses de nos jours.

En effet, le capital agricole se subdivise, se fractionne de plus ; et pourquoi cela ?

Parce que les petites économies n'ont pas de confiance dans les placements industriels.

Ces placements exigent en effet un choix, une surveillance, dont elles sont incapables.

Ainsi, la richesse agricole se morcèle, se démocratise de plus en plus.

Et c'est la concurrence des petites économies, qui n'ont qu'un choix restreint pour se caser, qui explique l'élévation successive du prix de la terre, bien que le capital nécessaire au perfectionnement de sa culture fasse défaut.

Les grands capitaux, au contraire, se dirigent vers les entreprises industrielles, à cause du privilège dont elles jouissent, d'être affranchies en quelque sorte des charges publiques et à cause des bénéfices considérables qu'on en retire.

C'est ainsi que le capital industriel, concentré dans un moins grand nombre de mains, s'aristocratise tous les jours de plus en plus. Il y a tout profit : l'on paye peu d'impôts ; l'on représente le progrès, et l'on se dévoue pour les classes ouvrières.

L'aristocratie, c'est la puissance. Eh bien, qui est-ce qui domine aujourd'hui ? Ne sont-ce pas ceux qui parviennent à faire faire législativement des dépenses destinées à les enrichir de plus en plus, tout en laissant aux autres le soin de les couvrir ?

Un dernier mot sur cette question importante.

L'expédient dont le travail industriel se sert pour conserver ses privilèges, c'est de faire un grand étalage des crises auxquelles il est sujet.

Voyons quelle est la cause de ce malaise périodique.

Ce malaise a pour cause l'excès de la production, et c'est le désir immodéré des richesses qui l'amène, car les moyens de production sont infinis, et les moyens de consommation sont limités.

L'industrie ne peut prospérer d'une manière constante qu'en proportionnant sa production à la consommation.

Mais dès qu'une industrie prospère, la concurrence multiplie immodérément les produits.

La crise commence, et l'on met ses concitoyens en demeure de se cotiser pour faire les frais de débouchés nouveaux et moins dispendieux.

Tant que la concurrence existera, l'industrie sera sujette aux crises dues aux excès de ses forces productives ; et il n'y a pas de trésor capable de suffire aux exigences qui lui sont inspirées par la soif des richesses.

L'Angleterre elle-même, malgré ses flottes qui ouvrent les deux mondes à son activité, finira par périr sous le poids de ses forces productives.

Je conclus de ce qui précède, que je ne refuse pas à l'industrie une protection légitime, modérée, réglée d'après les intérêts du pays ; mais c'est en tenant compte des circonstances et à la condition qu'elle viendra prendre une part suffisante aux charges publiques.

Ainsi, dans les circonstances présentes, je vois avec un sentiment pénible, que l'on dispose de toutes les forces du pays pour des dépenses facultatives, tandis qu'il en est d'indispensables, d'urgentes, qu'on laisse à l'écart.

Ces dépenses, ce sont celles qui sont nécessaires à la réalisation d'un système défensif approprié aux besoins du pays, et au renouvellement du matériel de la guerre ; ce sont celles nécessaires à l'achèvement des chemins de fer de l'Etat.

Ces dépenses sont cependant inévitables, et puisqu'on veut disposer du produit des impôts nouveaux pour des dépenses facultatives, il adviendra qu'on réclamera encore du pays d'autres sacrifices pour les dépenses indispensables.

On est poussé à faire les dépenses facultatives avant les dépenses obligatoires, voici pourquoi :

L'on craint que si le produit des derniers impôts était absorbé par les dépenses obligatoires, l'on ne se refuse à en voter encore de nouveaux pour les dépenses facultatives.

Or, ce sont les dépenses facultatives qui intéressent le plus la conservation des portefeuilles ; c'esi aussi par celles de ce genre que l'on commence.

(page 1905) Ces dépenses facultatives réunies en un seul projet forment l'ensemble la plus bizarre.

Il y en a pour tous les goûts ; il y en a pour chacun ; construction de chemins de fer et de canaux ; travaux pour prévenir les inondations, amélioration des ports et côtes ; extension du matériel des chemins de fer de l’Etat ; subsides pour l'assainissement ; construction de prisons ; construction d'écoles ; réduction de péages.

Quelques-unes de ces dépenses me suggèrent les observations suivantes :

D'abord, plusieurs appartiennent à la catégorie des dépenses ordinaires ; c'est aux produits de l'impôt à y pourvoir, les emprunts ne peuvent se justifier pour des dépenses de l'espèce : jamais les cabinets précédents n'eussent osé demander ainsi des extensions de budget par la voie de l'emprunt.

L'article 115 de la Constitution, je me permets de le rappeler encore une fois à MM. les ministres, exige que toutes les dépenses soient comprises au budget ; il est donc inconstitutionnel de venir les rattacher a des projets concernant l'extension des voies de communication. Ensuite les libellés sont fort vagues ; nos lois de finances veulent cependant que les libellés déterminent clairement l'usage à faire des crédits.

Je dis que ces procédés ne peuvent avoir mon approbation, parce qu'ils n'ont d'autre but que d'augmenter indirectement les budgets, et de mettre à la dispositien des ministres des crédits qui échappent aux contrôles que la loi de comptabilité exige.

Dans la position agressive que j'ai cru devoir prendre contre les puissances de l'époque, j'ai besoin de quelque appui ; je vais m'en procurer en rappelant quelques phrases d'un collègue, avec lequel je combattis en 1845 contre des projets beaucoup moins vastes, mais dont plusieurs ne sont que la reproduction de ceux que nous discutons en y ajoutant des minimuns d'intérêt toutefois.

Voici comment il s'exprimait :

« Il y a aujourd'hui un entraînement tel, disait cet honorable député, une telle fureur pour cette utopie (les chemins de fer), que ceux mêmes qui, dans le principe, s'en proclamaient les promoteurs, s'en trouvent en quelque sorte effrayés, et qu'ils viennent se poser, comme une borne, contre ce qu'un pareil élan pourrait avoir d'irréfléchi dans son principe, et de dangereux peut-être dans ses résultats.

« … Je vous conjure, au nom du pays, ne vous laissez pas aller trop facilement à ces entraînements.

« On s'écrie, disait-il, pour stimuler les chambres, et on le fait, je veux le reconnaître, dans des intentions droites ; on s'écrie : Quelle magnifique perspective ! vous allez, en couvrant le pays de chemins de fer, donner du travail à de nombreux ouvriers ! »

Voilà le premier motif, il doit nous toucher tous ; c'est celui-là que j'aborde.

Oui, nous allons donner du travail à nos ouvriers ; mais en donnant du travail, il faut encore y procéder avec précaution, avec mesure : il ne faut pas que l'ouvrier, pendant 2, 3 ou 4 ans que dureront les travaux, reçoive tout à coup un salaire élevé, et puis qu'au bout de quatre années, il se retrouve sans salaire et sans travail.

Ne serait-il pas préférable d'assurer, à l'ouvrier pendant 15 ou 20 ans, un travail continu, avec un salaire modéré, que de le livrer à une fougue de travail, qui viendrait à lui manquer brusquementau bout de quelques années ?

« L'empressement des localités, ajoutait-il, à solliciter des chemins de fer est aussi pour beaucoup de membres un puissant motif de détermination. »

Il est vrai que les localités privées de chemins de fer réclament ardemment cette faveur ; on ne peut s'en passer.

Ce chemin de fer si désastreux, si immoral aux yeux de quelques-uns, cette invention moderne qui excitait d'abord tant de répugnance, tout le monde en veut, il y a un engouement général.

Chaque député est sommé, sous des peines sévères, sous peine de destitution, de provoquer, de voter des chemins de fer. Au milieu de toutes ces exigences d'intérêt local, qu'arrive-t-il ? Le gouvernement, qui devrait être le gardien de la chose publique, de l'unité administrative et politique, qui devrait, au besoin, mettre un frein à tous ces appélils locaux, vient les exciter à plaisir ; et par un système que je ne puis qualifier que de manège indigne de lui, il cherche à coaliser les intérêts à jes rendre solidaires l'un de l'autre...

De cette façon on fait envisager à chaque député chaque chemin de fer non d'après les vrais besoins du pays, non d'après son utilité réelle, mais comme un acte de complaisance envers cette localité, qui reconnaîtra à son tour ce service par une complaisance réciproque.

Le système nouveau qu'on propose, le voici : la société particulière construit ; l'Etat exploite. On concevrait le principe contraire qui existe en d'autres pays : l'Etat construit ; l'intérêt particulier exploite. C'est le renversement de ce principe qu'on nous demande. L'Etat exploite, mais à quelles conditions ? A la condition de faire toutes les locomotives nationales avec les employés de l'Etat pour compte de propriétaires étrangers, et à la condition de ne pas recueillir de bénéfices sur les routes ?

Avec de pareilles opérations, je le conçois, on aura bientôt dégoûté la Belgique du système de l'intervention de l'Etat dans les travaux publics !

Voici ce que je disais comme membre de l'administration de 1840 et 1841 :

« Tant que nous aurons la direction des travaux publics, nous veillerons avec soin, à ce que le pays ne soit pas entraîné dans des dépenses au-dessus de ses ressources, non pas que nous considérions les dépenses en travaux publics comme perdue, nous croyons, au contraire, que ce sont des dépenses utiles et reproductives, contribuant largement à la richesse et à la prospérité publiques ; mais nous ne pensons pas qu'il faut tout faire en un jour. Il ne faut pas à la vérité s'arrêter, mais il ne faut pas non plus toujours courir. Avancer lentement : améliorer en conservant, voilà le système dont nous ne nous départirons pas.

« Le système que je défends est celui-ci :

« Intervention de l'Etat dans la construction et l'exploitation des chemins qui ont un caractère d'utilité nationale et générale.

« Abandon à l'intérêt privé, sous des garanties suffisantes, des communications secondaires.

« Ceux qui abandonnent ce système, ajoutait cet honorable député, après l'avoir appuyé de leurs discours et de leurs votes, ceux-là sont en contradiction avec eux-mêmes.

« J'ai dit qu'il fallait laisser à l'Etat les grandes lignes nationales et que je combattrais les propositions qui peuvent altérer ce système. Mais je ne me suis jamais montré l'adversaire absolu des concessions.

« En présence de l'entraînement qui semble général vers la construction des chemins de fer, en présence de cette pluie de demandes de concessions dont nous sommes inondés, j'ai dit à la chambre : Ne repoussez pas tout ; mais avant d'accepter, examinez, réfléchissez mûrement.

« Je me suis opposé à des entraînements irréfléchis. Ce n'est pas à dire que j'aie voulu repousser toute proposition, quelle qu'elle fût ; et ce langage que je tiens sur les bancs de l'opposition, je le tenais déjà alors que, placé sur d'autres bancs, j'aurais pu aussi être entraîné (et la résistance était difficile) vers des travaux exagérés ou mal conçus.

« Je dis au gouvernement : Ne courez pas ; avancez ; avancez lentement ; améliorez en conservant. »

Plus loin l'honorable M. Rogier reprochait au gouvernement, car c'est lui qui parlait ainsi, d'abandonner les principes caractéristiques de la politique belge ; il lui reprochait une espèce d'étourderie donnant tète baissée dans la fièvre de l'industrialisme, sans prendre la précaution de laisser mûrir les projets que celui-ci improvise.

Tel est, messieurs, le langage que tenait l'honorable M. Rogier, quand, d'accord avec lui, nous combattions des projets beaucoup moins vastes que ceux que l'on nous propose aujourd'hui.

Ce langage, je persiste à le trouver basé sur les principes d'une politique sage et prévoyante.

Aussi je n'entends pas m'en départir, et voilà pourquoi je combats sans hésiter, en 1851, les projets conçus par le cabinet dont l'honorable député d'Anvers fait partie.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, en répondant à l'honorable préopinant, je rencontrerai le thème qui paraît adopté dans cette discussion par l'opposition. Je savais déjà, plusieurs orateurs me l'avaient fait pressentir, que l'on invoquerait dans cette discussion une opinion que j'avais exprimée en 1845, quand on venait présenter à l'improviste, coup sur coup, une masse de projets concédés. A cette époque, je n'hésite pas à le reconnaître, je fis une opposition opiniâtre à ce que je considérais comme un entraînement irréfléchi.

Je crois que le langage que je tenais alors je puis le reconnaître et l'avouer aujourd'hui. Je m'opposais à ce système de concessions irréfléchies parce que j'y voyais moins une satisfaction aux intérêts matériels du pays que des opérations de bourse, moins des travaux publics que de l'agiotage. A peine les concessions étaient-elles accordées qu'elles étaient vendues, cédées et cotées.

Je ne rappellerai pas les faits qui se sont passés à cette époque, ils sont encore présents à l'esprit d'un grand nombre de membres de cette assemblée. Je disais que tôt ou tard le pays aurait à en supporter les conséquences, que les travaux concédés ne s'exécuteraient pas, qu'ils seraient une source de procès et qu'en fin de compte le gouvernement serait obligé de venir en aide aux sociétés concessionnaires pour achever ce qu'elles auraient commencé. Ce que j'ai dit alors s'est réalisé ; les travaux concédés n'ont pas été achevés, ils ont donné lieu à des procès que le gouvernement a dû soutenir, qu'il a gagnés ou perdus. Je ne parle pas de l'agiotage auquel ces projets ont donné lieu et qui ne peut être niée par personne. Enfin le gouvernement s'est vu obligé de venir en aide aux sociétés et de proposer aux chambres d'achever ce qu'elles ont laissé inachevé. C'est là la position où nous nous trouvons aujourd'hui.

On nous accuse, on incrimine nos intentions quand nous venons achever des travaux dont la responsabilité revient en partie à nos prédécesseurs. Ce ne sont pas des travaux nouveaux que nous venons proposer ; la position n'est pas entière ; nous sommes liés par des actes antérieurement posés, par des travaux commencés, qu'on ne peut laisser inachevés.

Tel est l'état du chemin de fer du Luxembourg. Qu'on veuille bien le reconnaître : peut-on laisser des tronçons de travaux, des tranchées ouvertes sur une partie du territoire ?

M. de Man d'Attenrode. - Il n'y a pas de travaux exécutés dans le Luxembourg.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les travaux sont commencés de Bruxelles à Namur. Peut-on laisser ces travaux inutiles et pernicieux pour tout le monde en l'état où ils se trouvent ?

(page 1906) Le chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse qui a ouvert cette série de travaux concédés n'est pas terminé ; nous vous demandons de l'achever non dans l'intérêt des concessionnaires, mais dans l'intérêt du public, dans l'intérêt général. Le chemin de fer de la Flandre occidentale est également resté inachevé. Nous sommes obligés de venir en aide aux compagniee concessionnaires pour compléter les travaux, dans l'intérêt des populations qui ne peuvent pas souffrir davantage de cet état de choses intolérable. Voilà ce que nous venons proposer ; vous voyez que ce ne sont pas des travaux nouveaux, mais d'anciens travaux décrétés antérieurement par la chambre contre mon opinion.

M. de Man d'Attenrode. - Et la mienne !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En partie ; car à cette époque vous n'étiez pas arrivé à ce haut degré d'indépendance dont vous vous glorifiez aujourd'hui ; vous ne votiez pas contre votre arrondissement. Au reste, quand nous viendrons au chemin de fer qui vous concerne, nous verrons si vous voterez contre.

Le canal de la Campine, qui est un des travaux principaux dont nous proposons l'achèvement, a été commencé par l'administration antérieure. Je ne lui en fais pas un crime, je l'en félicite, au contraire, mais dans l'état actuel des choses, c'est une charge presque sans compensation, sans utilité eu égard au capital dépensé, sans utilité pour les intérêts généraux du pays.

Le canal de la Campine ou plutôt le canal de jonction de l'Escaut à la Meuse, est un héritage laissé par les administrations, par les majorités précédentes. Ce n'est pas ce qu'elles ont fait de plus mal. Mais à ce travail vient se joindre la fameuse dérivation de la Meuse !

Nous venons d'apprendre une chose merveilleuse, une grande nouvelle : L'opinion libérale avait combattu pendant un grand nombre d'années pour enlever à l'opinion contraire le pouvoir qu'elle ne paraissait pas exercer dans de bonnes conditions. De grands efforts furent faits sur beaucoup de points du pays ; le signal donné par les grandes villes fut entendu et suivi dans toutes les localités.

Eh bien, l'opposition d’alors ne soupçonnait pas pour qui et pourquoi elle travaillait. Ce grand mouvement libéral que nous pensions excité par le sentiment des besoins du pays, par le sentiment des besoins de l'époque, ce grand mouvement n'avait qu'un but, il ne devait avoir qu'un résultat : la dérivation de la Meuse. L'opinion libérale poussait ses amis au pouvoir, pourquoi ? Pour obtenir la dérivation de la Meuse !

Messieurs, il faut le dire, les Liégeois ont plus d'un titre à l'estime publique. Mais il faudrait accorder à cette ville un certificat d'un esprit tout à fait transcendant et hors ligne, si par son adresse, si par ses expédients impénétrables pour le reste du pays elle était parvenue à donner à l'opinion libérale cette grande impulsion, afin d'arriver à ce grand but pour elle, la dérivation de la Meuse.

Je crois sincèrement que l'opinion libérale poursuivait encore d'autres buts, que celui-là.

Eh bien, messieurs, cette dérivation de la Meuse, il faut rendre justice à tout le monde, il faut rendre à chacun ce qui lui est dû ; mais l'opinion libérale ne peut pas même en revendiquer l'idée. La dérivation de la Meuse a été étudiée, arrêtée en principe par les administrations précédentes ; elle a été votée sous l'ancienne administration, par l'ancienne majorité. Ainsi, c'est bien à tort que vous faites de ce travail l'apanage exclusif de l'opinion libérale.

M. de Man d'Attenrode. - J'ai voté contre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous étiez, je le reconnais, dans la minorité.

Mais enfin je vous rappelle que la dérivation de la Meuse a été étudiée, arrêtée sous des administrations précédentes, que, si elle n'a pas été exécutée alors, c'est, comme vous le rappeliez tout à l'heure, à cause de la pénurie du trésor.

M. Orban. - Il s'agissait du travail destiné à mettre Liége à l'abri des inondations, et nullement d'un canal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ignore si l'honorable M. Orban faisait alors partie de la chambre.

M. Orban. - J'en faisais partie,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il se rappellera, dans ce cas, qu'il s'agissait de l'un et de l'autre projet.

M. Dumortier. - Il ne s'agissait pas du canal.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici comment s'expliquait M. le ministre des travaux publics au sénat.

M. Dumortier. - Ce n'est pas à la chambre cela. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici ses paroles (séance du... 184.) : « Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire, les travaux à faire pour l'Escaut et la Lys s'élèveraient à 6 millions.

« Quant à la Meuse, le projet existe. Il a un double but. Celui d'obvier aux inondations et celui d'améliorer la navigation du fleuve, de manière à le rendre praticable à des bateaux d'un grand tirant d'eau, jusqu'à la limite du bassin houiller. Ces travaux à faire à la Meuse coûteraient de 6 à 8 millions.

« Il faudrait donc déjà 14 millions pour porter remède aux inondations de nos deux principales vallées. Ce chiffre fait assez comprendre que le gouvernement ne peut actuellement soumettre à la législature un projet d'exécution pour des travaux considérables. Ainsi que je l'ai déjà dit (c'était probablement à la chambre des représentants qu'il l'avait dit), un emprunt serait indispensable, et c'est cette nécessité d'emprunt qui domine en quelque sorte la situation. »

M. Orban. - Il y a bien de là à un vote de la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Orban, qui faisait alors partie de la chambre, voudra bien se rappeler que la dérivation a été votée en principe par la chambre ; mais la majorité d'alors, qui ne cédait jamais à la pression du ministère, qui était indépendante, inflexible, cette majorité a changé du jour au lendemain, et le premier vote a été retiré.

M. Orban. - On n'avait voté qu'une somme de 400,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi, messieurs, l'opinion libérale n'a pas inventé la dérivation de la Meuse. Le ministère actuel n'est pas coupable, ou ne peut revendiquer la gloire de cette œuvre.

Cette œuvre n'est que le complément du canal commencé sous l'administration de nos prédécesseurs. Je veux parler du canal de Liége à Maestricht. Ce canal, pour signifier quelque chose, pour justifier les honneurs et les hommages qui furent accordés à cette époque à l'auteur même du canal, devait aboutir d'une part à l'Escaut et d'autre part à la limite du bassin houiller de Liége. Tant qu'il n'aura pas atteint ces deux points extrêmes, ce canal sera improductif, il faut nécessairement l'achever par les deux bouts, ou vous aurez fait un travail à peu près inutile. C'est, messieurs, ce qu'il s'agit de faire aujourd'hui. Il faut que le canal arrive d'une part à l'Escaut, d'autre part à la limite du bassin houiller.

Il est vrai qu'en même temps que vous achèverez la voie commerciale, vous obtiendrez une amélioration au cours de la rivière, vous préserverez une ville importante de désastres qui peuvent amener des pertes incalculables pour les habitants et pour le pays. Vous faites ici un travail doublement utile : utile au point de vue de la navigation, utile au point de vue des inondations.

Voilà le caractère que ce travail a toujours eu et qu'il a conservé, sous tous les ministères. On s'est servi du terme de dérivation de la Meuse. Mais c'est la continuation du canal de l'Escaut à la Meuse qu'on aurait pu dire. Je pense, messieurs, en avoir assez dit pour justifier et défendre, s'il en était besoin, mon honorable collègue et ami, M. le ministre des finances, des absurdes accusations...

M. de Man d'Attenrode. - Je ne l'ai pas accusé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Des absurdes accusations, des malveillantes accusations dont il a été si longtemps l'objet à l'occasion de ce travail.

Nous voulons dit-on exercer une pression sur la chambre, et nous l'effrayons des événements de 1852.

Nous ne sommes pas effrayés de l'année 1852, mais nous sommes des hommes sages, doués de quelque prévoyance, et nous tenons compte des événements qui peuvent surgir en 1852. Nous ne venons pas en effrayer la chambre, mais nous croyons que les membres de la chambre agiront sagement en préparant le pays à pouvoir traverser tranquillement, comme nous avons traversé 1848, la crise qui pourrait se présenter en 1852.

En 1848, quels ont été nos moyens ? Maintenir le repos public pat le travail ; procurer du travail à nos classes ouvrières. Voilà quel était le cri général, et, en effet, la crise a été traversée tranquillement ; nous avons pu tenir les bras occupés, et le pays n'a été témoin, sur aucun point de son territoire, d'aucune espèce de troubles.

Les travaux qu'il s'agit d'exécuter, très utiles en eux-mêmes, pourront nous aider à traverser des crises nouvelles ; mais le moyen le plus assuré, le plus efficace de les traverser, celui que nous avons voulu faire prévaloir sur tous les autres ; c'est la situation financière du pays, fortifiée et améliorée. C'était là la première condition à remplir, et si nous avons un regret à exprimer, c'est que le sentiment de la situation financière n'ait pas été également compris par tous les membres de cette assemblée. Pour améliorer la situation financière, pour mettre le pays en position de faire face à toutes les éventualités, tous les membres de cette chambre auraient dû comprendre qu'il fallait s'associer aux propositions du gouvernement. Loin de là, bien que votées, elles sont encore l'objet de récriminations injustes et malveillantes.

M. Dumortier. - Vous avez dit vous-même que c'était impopulaire, nous ne pouvions pas le voter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà, messieurs, notre principale et grande ressource en présence des événements qui peuvent surgir.

Je n'hésite pas à le dire, si les besoins de la défense militaire du pays l'exigeaient, notre premier soin serait de faire application des ressources nouvelles, aux besoins de la défense du pays.

Qu'on ne se figure pas que les emprunts qui devront être faits, que les sommes qui devront être mises à la disposition des compagnies concessionnaires, vont être dépensées en deux ou trois ans. Quant à. moi, je considère qu'il y a des travaux pour un long temps.

Ici je répondrai à l'objection qu'on a tirée de mes anciens discours. Je disais alors qu'il ne serait pas bon d'exécuter en trois ou quatre ans les travaux qu'on vous proposait, que j'aimais mieux les voir échelonner sur un plus grand nombre d'années. Il est évident que les travaux qu'on vous propose ne seront pas exécutés en deux ou trois ans. Je tiens qu’il faudra 8 ou 10 ans pour les achever complètement.

Je vais plus loin : Tout ne sera pas fini par ce projet. On dit que nous proposons aux chambres une immense quantité de travaux dont on n'a aucun exemple, à aucune époque, dans aucun pays. Mais, en dehors de ces travaux, il nous restera encore beaucoup à faire. Quel meilleur (page 1907) emploi voulez-vous faire des ressources du pays, des impôts, que leur transformation en travaux d’utilité publique ?

On accuse la diversité des travaux que nous proposons. On se plaît à présenter ces travaux comme un malheur pour le pays, ce sont des chemins de fer, s'écrie-t-on, ce sont des canaux, ce sont des écoles, ce sont des prisons, des travaux d'assainissement.

On trouve mauvais que le gouvernement approprie ces divers travaux aux divers besoins du pays. Est-il rien de plus condamnable ? C'est précisément dans cette variété de travaux qu'on perd de vue que ce grand nombre de travaux répondra à une grande variété d'occupations, et procurera, pendant un certain nombre d'années, du travail là où il viendra à manquer.

Un autre reproche a été fait au gouvernement à l'occasion de ces propositions, qui, je ne saurais trop le répéter, ne sont que la conséquence, en très grande partie, des mesures prises avant notre arrivée au pouvoir, et restées inachevées.

L'opposition aime à reprocher à l'opinion libérale de n'occuper le pays que des questions politiques ; tout récemment encore l'on a accueilli sur certains bancs, avec une certaine faveur, cette opinion que le parti libéral ne savait s'occuper que de questions cléricales, négligeant, dédaignant les questions d'intérêt matériel. Voici que le gouvernement vient présenter aux chambres des projets d'intérêt matériel. A bas les intérêts matériels ! Vivent les intérêts politiques ! Vos projets d'intérêts matériels dégradent, avilissent, corrompent le pays et le parlement.

M. de Liedekerke. - La manière de les présenter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La manière de les présenter, dites-vous. Je ne sais pas de quelle manière l'honorable M. de Liedekerke les présenterait. Nous attendons son système. De quelle manière les présentera-t-il ?

M. de Liedekerke. - Je ne suis pas dans le cas d'en présenter.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. de Liedekerke ne veut pas que le gouvernement travaillle par lui-même. Le gouvernement n'offre pas de faire les travaux par lui-même, il propose de les concéder pour la majeure partie ? L'honorable M. de Liedekerke ne veut pas que le gouvernement les concède, il veut encore une autre manière. Je demande quelle est cette troisième manière. Il faut bien qu'ils soient faits ou par le gouvernement ou par les particuliers.

M. de Liedekerke. - Il ne fallait pas les présenter tous à l -fois.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ainsi ce n'est pas à la manière, c'est, à moins de vouloir que les travaux se fassent d'eux-mêmes, à la quantité que s'adressent les reproches. Eh bien ! l'honorable M. de Liedekerke me permettra de lui faire remarquer qu'il trouve sans doute que la quantité n'est pas assez grande, car si je ne me trompe, l'honorable membre est signataire d'un amendement ayant pour but d'ajouter un nouveau chemin de fer à tout ce que le gouvernement propose ; donc, le gouvernement ne fait pas encore assez.

M. de Liedekerke. - J'aurai l'honneur de m'expliquer et de défendre ma proposition sans aucun embarras.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis bien persuadé que vous vous expliquerez sans aucun embarras.

Ce qu'on voudrait, ce serait de paralyser le gouvernement, de le réduire à l'impuissance pour l'accuser de stérilité ; et c'est pour cela qu'on trouve qu'il fait trop de travaux ou qu'il s'y prend d'une mauvaise manière. Il ne devrait pas proposer des travaux publics à exécuter, ni par lui-même, ni par concessions. Il ne devrait rien faire du tout. Par là il fournirait à tous les orateurs de l'opposition un excellent thème. A chaque session on viendrait constater, ainsi qu'on l'a fait naguère, l'impuissance de l'opinion libérale, son incompétence, sa stérilité dans la question d'intérêts matériels.

Mais il faudra bien que l'opposition s'y résigne. Il faudra qu'elle permette au gouvernement d'occuper le pays et les chambres d'autres choses encore que de questions politiques. Nous ne répudions pas les questions politiques. Nous croyons que la politique doit jouer un grand rôle dans les gouvernements parlementaires, mais nous pensons aussi qu'il faut occuper le pays d'autre chose que de politique et que les choses les plus importantes dont nous puissions nous occuper, ce sont les travaux publics.

On a mêlé à cette question la question commerciale. Eh bien ! nous sommes, nous, pour l'extension et la facilité des relations commerciales, pour la liberté du commerce, sagement, progressivement introduite ; mais nous croyons qu'avant d'en venir là, il faut assurer à la production du pays des moyens économiques, améliorer nos communications intérieures, mettre le producteur en rapport avec la matière première, réduire autant que possible tous les frais de transport et de production. Lorsque nous aurons fait cela, nous croyons que nous pourrons, avec plus de justice, avec plus d'opportunité, mettre nos industriels en concurrence avec les industriels des pays étrangers.

Nous ne voulons pas, messieurs, pour notre part, contribuer à prolonger ces débats. Nous serons aussi sobre que possible de discours ; nous reconnaissons que dans l'état actuel de la chambre, à un moment si avancé de la session, les longs débats ne sont pas opportuns, et ce n'est point par nous que les débats prendront de grandes proportions. Pour ma part, je suis bien décidé à ne reprendre la parole dans la discussion générale que si j'y suis en quelque sorte forcé par des attaques personnelles.

M. Orban. - Je demande la parole pour rectifier un fait.

M. le président. - Je ne puis vous accorder la parole qu'à votre tour.

La parole est à M. de Renesse.

M. Dumortier. - Mais on a épuisé la liste des orateurs contre ; il faudrait aussi entendre des orateurs pour.

M. le président. - Tous les orateurs inscrits pour ont renoncé à la parole.

M. Dumortier. - Ainsi il n'y a plus personne qui parlera pour ?

- Plusieurs membres. - Si ! si !

M. Dumortier. - Il ne faut pas cependant que tous les orateurs qui veulent défendre le projet se réservent de parler à la fin lorsqu'on aura entendu tous ceux qui le combattent.

D'ailleurs on n'est plus en nombre et je demande la remise à lundi.

- Plusiueurs membres. - Nous sommes en nombre.

M. de Renesse. - Si on veut clore, je renoncerai à la parole.

M. le président. - M. Dumortier insiste-t-il ?

M. Dumortier. - Si M. de Renesse désire parler, je n'insiste pas.

M. le président. - La parole est à M. de Renesse.

M. de Renesse. - Messieurs, d'après le projet de loi soumis à nos délibérations, il s'agit de décréter, de echef, de nouveaux travaux publics extraordinaires, d'augmenter par conséquent la dette nationale, d'imposer de nouvelles charges aux contribuables, outre celles qui viennent d'être votées pour rétablir l'équilibre financier ; il s'agit aussi de nous engager dans un principe nouveau, d'accorder la garantie d'un minimum d'intérêt pour des travaux à exécuter par des compagnies : principe qui, jusqu'ici, avait trouvé peu de partisans dans les chambres, que le gouvernement avait cru devoir présenter en 1845, mais qu'il dut ensuite retirer devant l'opposition parlementaire.

Lors de la discussion du projet de loi sur les droits de succession, j'avais présenté à la chambre quelques considérations sur le capital très important de 256,281,718 fr. que l'Etat a affecté depuis 1830 à des travaux publics extraordinaires, outre plusieurs millions dépensés chaque année pour travaux ordinaires, alloués par les budgets. J'ai fait remarquer alors que notre dette publique était encore grevée, de ce chef, d'une dotation annuelle de 12,730,821 fr., et que la Belgique avait dépensé annuellement environ une somme de 11,814,085 fr. pour des travaux extraordinaires, basés sur des ressources extraordinaires en dehors des budgets ; j'en tirais la conclusion qu'il ne fallait pas tout entreprendre à la fois, qu'il fallait laisser quelque chose à faire à nos successeurs ; que nous avions déjà assez grevé notre dette publique par suite de l'exécution de travaux publics extraordinaires.

D'après ma conviction la plus sincère, le moment me paraît peu opportun pour exagérer les dépenses de l'Etat, pour nous entraîner à voter à la hâte une masse de travaux publics, dont plusieurs, quoique utiles, auraient cependant pu être ajournés sans préjudice pour des intérêts généraux du pays, et dont l'exécution aurait pu être répartie successivement sur plusieurs années.

Si je m'oppose à la marche que le gouvernement veut suive/ en provoquant « la coalition de différents intérêts locaux », pour obtenir un vote favorable à son projet de travaux publics, c'est que je suis persuadé qu'une pareille association formée des différents intérêts, ne peut aboutir qu'à augmenter considérablement les charges du trésor, à miner nos finances, à rendre plus tard les contributions publiques intolérables, et au lieu d'avoir obtenu, par notre régénération politique, un gouvernement à bon marché, cherchant à ménager les intérêts des contribuables, nous verrons constamment notre dette publique augmenter par suite de l'exagération des dépenses de travaux publics extraordinaires.

Si je crois devoir combattre le système présenté par le ministère, ce n'est pas dans un but d'opposition quelconque ; cela n'est pas dans mon caractère ; mais une conviction consciencieuse m'oblige à ne pas approuver une pareille marche du gouvernement.

En 1848, l'on n'entendait dans le pays, dans les chambres, que le mot : « économie » ; il fallait pousser le système économique outre mesure ; l'armée, dans ce but, devait être diminuée notablement ; il fallait rogner les traitements et diminuer le nombre des employés des autres administrations du pays ; l'on voulait enfin un gouvernement qui coûtât moins, et il fallait surtout réduire les charges publiques. Maintenant il en est tout autrement, le mot de « dépense » est le mot à l'ordre du jour ; il faut dépenser largement l'argent des contribuables en travaux publics ; ils doivent de nouveau contribuer à des charges extraordinaires ; il faut, en outre, coaliser les intérêts locaux, pour faire admettre les nouveaux sacrifices extraordinaires à imposer au pays.

Pour appuyer mon opposition contre la coalition de ces différents intérêts locaux, je n'ai eu besoin que de parcourir les annales parlementaires ; j'y ai trouvé des arguments forts et logiques.

J'adopte entièrement l'opinion de 1845 de M. le ministre de l'intérieur, qu'il ne faut pas coaliser les intérêts locaux, pour ne pas obliger les membres des Chambres à se faire des concessions mutuelles aux dépens du trésor public ; qu'il vaut mieux procurer un travail continu à la classe ouvrière, avec un salaire modéré, que de la livrer à une fougue de travail extraordinaire qui viendrait à lui manquer au bout de quelques années. Faudra-t-il alors décréter de nouveaux travaux publics extraordinaires, pour maintenir le travail de la classe ouvrière, que vous aurez créé, par les travaux que l'on discute actuellement ? L'on aura ainsi établi, sans y avoir mûrement réfléchi, le droit au travail national ! Je crois que le discours de l’honorable M. Rogier, comme membre de l'opposition en 1845, peut parfaitement s'appliquer à la situation (page 1908) actuelle, d'autant plus qu'il s'agit, dans ce moment, de grever le trésor pour de longues années, tandis qu'en 1845, le gouvernement, avant échoué sur la question de la garantie d'un minimum d'intérêt, ne demandait plus aux chambres que d'accorder les différentes concessions de chemins de fer, sans l'intervention pécuniaire de l'Etat. J'ai conservé ma conviction, je n'ai pas changé d'opinion depuis 1845 ; il me paraît, qu'il ne faut pas coaliser les intérêts locaux, pour forcer les membres de la représentation nationale à se faire des concessions mutuelles, à s'associer à la curée du trésor public, à concourir à la course au clocher pour le partage des travaux publics extraordinaires dont on gratifie quelques districts privilégiés, sans aucun égard à une justice distributive, ainsi que cela paraît, d'après les nombreuses réclamations surgissant de toutes parts ; il en résulte que d'aulres parties du pays sont tout à fait exclues du bénéfice de ces travaux extraordinaires, et devront nécessairement contribuer, sans compensation aucune, aux charges qui en proviendront.

Si le gouvernement avait réellement agi avec équité, s'il a la conviction qu'un système de travaux publics devait être adopté, dans l'intérêt général du pays, il aurait dû comprendre certains travaux à accorder à un arrondissement de la province de Limbourg, sacrifié en 1839 par un fatal traité, et ne pas laisser l'initiative d'une proposition à l'une des sections de la chambre.

Quoique je n'approuve pas le système proposé par le gouvernement, à l'effet de coaliser plusieurs intérêts locaux pour faire passer certains travaux publics qui auraient rencontré probablement une plus forte opposition, je crois cependant pouvoir présenter, lors de la discussion des articles, quelques considérations pour faire ressortir les intérêts d'une partie de la province de Limbourg, qui, jusqu'ici, n'a pas eu à se louer de la bienveillante libéralité du gouvernement.

Je crois d'autant plus pouvoir le faire, que la majorité de la chambre paraît décidée à prendre une assez large à la distribution des travaux publics extraordinaires que le ministère a cru devoir offrir à certaines parties du pays.

Me trouvant en opposition avec le système d'ensemble des travaux publics, présenté à nos délibérations, quoique mon arrondissement électoral soit actuellement intéressé et qu'il réclame avec fondement une certaine compensation pour les sacrifices qui lui ont été imposés dans l'intérêt général, ma conviction consciencieuse ne m'a pas permis de modifier le principe que j'ai toujours soutenu depuis que j'ai l'honneur de siéger à la chambre, de ne pas approuver la coalition des différents intérêts locaux, surtout lorsqu'il s'agissait de travaux publics. Il me semble que cette coalition doit nécessairement aggraver notre situation financière, augmenter les charges des contribuables, que nous avons aussi mission de défendre contre l'exagération des contributions.

Si tel ou tel projet de travaux publics avait une utilité incontestable pour le pays ; s'il y avait péril pour ses intérêts généraux, dans sa non-exécution, il fallait hardiment présenter ce projet, isolé de tout aulre moins utile, et le soumettre à la délibération de la chambre, comme l'ont fait les ministères précédents, en présentant séparément, et dans des sessions différentes, les projels de loi sur les canaux de l'Espierre, de Selzaete, de la Campine, Schipdonck et du canal latéral à la Meuse.

C'esl particulièrement dans l'intérêt de la classe ouvrière, pour lui procurer du travail en 1852, dans la crainte d'une crise politique, que le gouvernement a cru devoir présenter un projet, comprenant un grand nombre de travaux publics ; si le ministère s'était borné à demander des crédits plus limités pour certains travaux publics, dont la grande utilité serait généralement reconnue, que l'intérêt du trésor réclamerait, j'aurais pu donner mon assentiment, quoique je sois d'opinion que le gouvernement doive dorénavant modérer son intervention dans les travaux extraordinaires, qu'il doive laisser une plus grande part à l'esprit d'association : il a déjà assez de charges, pour encore s'en créer de nouvelles ; j'eusse surtout donné mon approbation, si le gouvernement, au moyen d'une demande de crédits plus limités, eût proposé une somme assez marquante pour les travaux de la voirie vicinale ; il eût alors obtenu les ressources pour faire travailler en 1852, dans toutes les communes du pays ; la classe ouvrière aurait en grande partie pu s'occuper utilement dans ses foyers, ce qui est certes préférable, dans des temps de crise, que d'avoir une trop grande agglomération d'ouvriers ; l'on aurait accordé ainsi à toutes les parties du royaume une certaine part dans les fonds destinés à des travaux d'utilité publique, quoique plus modesles, tandis qu'actuellement il y aura des districts privilégiés et d'autres contribuant, sans avantage aucun, dans les charges extraordinaires qui doivent nécessairement résulter du système présenté par le gouvernement.

Je me permettrai, en outre, d'observer que ce n'est pas la classe ouvrière de nos grandes industries qui pourrait travailler avec bénéfice aux nombreux travaux de terrassements, compris dans les projets présentés ; c'est plutôt nos ouvriers des campagnes qui sont tous aptes à ces sortes de travaux ; l'expérience faite, lors de la construction du canal latéral à la Meuse, en y employant des ouvriers tisserands des Flandres, nous prouve à l'évidence que la classe ouvrière de nos grandes industries ne pourraient, utilement, s'adonner aux travaux à décréter.

Si, donc, malheureusement, en 1852, survenait un événement sinistre quelconque, dont différentes industries et le commerce auraient à souffrir, il faudrait que le gouvernement vînt nous demander des subsides considérables pour maintenir le travail industriel, pour assurer l'exportation de nos produits fabriqués et manufacturés. Où trouvera-t-on alors ces ressources extraordinaires, ainsi que celles qui seront nécessaires pour l'armement de nos forces publiques ? Il faudra, malgré les fortes sommes votées pour les travaux publics, encore imposer, comme en 1848, de nouvelles charges extraordinaires et frapper surtout sur la propriété foncière ; car, de l'industrie, du commerce, il n'y a aucune ressource à en tirer en temps de crise, ou il faudra employer une partie de l'emprunt de 26,000,000 de francs à cet effet, et le détourner de sa destination toute spéciale ; dans ce cas, il faudra néanmoins, les travaux ayant été décrétés et peut-être commencés, trouver des ressources extraordinaires pour remplacer les fonds de l'emprunt que l'on aurait employés, soit aux besoins de l'armée, soit pour tout autre nécessité publique ?

Quelle garantie avons-nous, du reste, que les crédits demandés seront suffisants pour l'exécution des travaux proposés, s'il ne faudra pas plus tard accorder de nouveaux crédits supplémentaires pour le complet achèvement de ces mêmes travaux, dont on nous garantit l'exactitude des devis ? L'expérience du passé doit nous rendre assez défiants de ces assurances données presque par tous les ministères qui se sont succédé.

Quant à plusieurs de ces travaux, il paraît que le gouvernement et le conseil des ponts et chaussées n'ont encore pu prendre une résolution définitive sur leur direction, leur exécution, ou sur leur coût réel, et, néanmoins, l'on nous demande des crédits extraordinaires, sans savoir au préalable à quoi le pays va s'engager ; c'est une marche entièrement vicieuse que je dois désapprouver.

Car ce qui s'est passé à l'égard du canal latéral à la Meuse doit nous mettre en garde contre les évaluations fictives, contre l'entraînement de voter surtout à la légère des sommes pour des travaux hydrauliques. En 1845, M. le ministre des travaux publics d'alors nous avait cependant donné l'assurance, d'après la déclaration de M. l'ingénieur en chef chargé de l'exécution, que ce canal ne coûterait, d'après des calculs positifs, que 3,500,000 fr. ; déjà nous avons accordé pour sa construction 7,690,000 fr., et peut-être tout n'est pas encore payé ?

Il faudra nécessairement que des mesures sévères soient prises par le gouvernement, pour que, dans les évaluations surtout des travaux hydrauliques et des chemins de fer, les chambres législatives trouvent plus de garantie et qu'elles ne soient plus exposées, dorénavant, à engager les fonds de l'Etat au-delà de la prévision des devis présentés.

Je crois aussi devoir appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics, puisqu'il s'agit d'entreprendre de grands travaux extraordinaires, pour qu'il fasse observer strictement la loi de comptabilité de l'Etat, qui stipule formellement que les marchés, au nom de l'Etat, soient faits avec concurrence, publicité et à forfait, afin que dorénavant il n'y ait plus de marchés scandaleux à main ferme qui, dans le temps, lors de la construction du chemin de fer et du canal latéral à la Meuse, ont donné lieu à de justes critiques.

Ayant été jusqu'ici partisan des travaux publics à entreprendre par l'Etat, j'ai presque constamment voté les fonds nécessaires à leur exécution ; mais je dois avouer franchement que je ne me sens plus disposé à suivre cette voie, surtout pour des travaux publics extraordinaires, présentés en gros, comme ceux soumis à nos délibérations, lorsque je n'ai surtout aucune garantie que leurs devis ne seront pas considérablement dépassés, au grand détriment du trésor public, de l'équilibre de nos finances, et des contribuables.

Ne pouvant admettre et approuver la coalition des intérêts locaux dans des questions de travaux publics, lorsqu'il s'agit notamment de grever le trésor pour de longues années, je me vois forcé à regret, de donner un vote négatif ou du moins de m'abstenir sur l'ensemble du projet tel qu'il nous a été présenté par le gouvernement et amendé par la section centrale.

Prise en considération de demandes en naturalisation

M. le président. - Voici le résultat du scrutin sur la prise en considération des demandes en naturalisation :

Nombre des votants, 61.

Majorité absolue, 31.

MM. Alexandre Barnard, dessinateur à l'administration des chemins de fer de l'Etat, a obtenu 43 suffrages.

Jean-François-Firmin Cugnière, directeur-inspecteur de l'athénée, 50.

Louis-Florent-Joseph Laurent, maître de pension, 43.

Alphonse Ruhling, chef de musique au 1er régiment de ligne, 43.

Charles-Louis Paulus, musicien, 44.

En conséquence, ces cinq demandes en naturalisation ordinaire sont prises en considération.

- La séance est levée à 4 heures et demie.