(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. A. Vandenpeereboom (page 1857) procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre :
« L'administration communale de Contich demande le maintien du tracé primitif du chemin de fer projeté de Lierre à la station de Contich. »
M. de Perceval. - La commission des pétitions fera tout à l'heure un rapport à la chambre. Je demande qu'en attendant la pétition reste déposée sur le bureau.
- Adopté.
« Le conseil communal de Châtelineau demande l'exécution du chemin de fer de Louvain à la Sambre. »
- Même disposition.
« Plusieurs habitants de Coolkerke demandent l'exécution des travaux proposés par M. l'ingénieur en chef de Sermoise, pour l'écoulement des eaux de la Lys. »
« Même demande de plusieurs négociants et propriétaires de cette commune et des environs. »
- Même disposition.
« Le sieur Sornas, maître-bottier à Namur, prie la chambre de statuer sur sa demande de grande naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Deliége, qui vient de perdre un de ses enfants, demande un congé de trois jours. »
- Accordé.
M. de Perceval, rapporteur de la commission des pétitions. - Messieurs, la chambre a renvoyé à la commission des pétitions toutes les requêtes qui se rapportent aux travaux publics ; la commission s'est réunie ce matin ; elle a analysé ces pétitions, et j'ai l'honneur de vous en présenter le rapport.
Les pétitions qui ont été adressées à la législature, depuis que la section centrale a terminé son travail, se divisent en deux catégories bien distinctes. La première comprend les requêtes qui viennent à l'appui du projet de loi présenté par le gouvernement et portant l'exécution de divers travaux d'utilité publique.
La seconde catégorie comprend les requêtes qui réclament l'exécution de nouveaux travaux.
La commission des pétitions a l'honneur, messieurs, de soumettre à votre décision les conclusions suivantes :
Pour les requêtes de la première catégorie, dépôt sur le bureau pendant la discussion ; pour les requêtes de la seconde catégorie, même dépôt et de plus renvoi à M. le ministre des travaux publics.
M. Allard. - Je propose à la chambre de renvoyer à la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi toutes les pétitions qui sont relatives à de nouveaux travaux publics. Comment la chambre pourra-t-elle juger sans rapport ?
M. de Perceval, rapporteur. - Messieurs, je dois faire remarquer que déjà la chambre a décidé que les pétitions de cette nature ne seraient plus renvoyées à la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet de loi concernant les travaux publics. Tous les jours, il nous est adressé une foule de pétitions qui se rapportent les unes au projet de loi proprement dit, les autres à l'exécution de nouveaux travaux. Il est évident que ceux de nos honorables collègues qui représentent les localités d'où les pétitions émanent auront occasion, dans le cours de la discussion qui va s'ouvrir, de faire valoir les réclamations des intéressés.
La commission des pétitions ne saurait se constituer en section centrale, semblable à celle qui a été chargée d'examiner les travaux publics ; quoique ne reculant pas devant un pareil travail, elle laisse cependant à la chambre le soin de décider s'il faut ou s'il ne faut pas que la commission des pétitions fasse un rapport supplémentaire sur les nombreux travaux publics, demandés par les requêtes qui nous ont été adressées et qui peuvent encore nous arriver dans la suite.
M. le président. - La proposition de M. Allard a pour objet de faire renvoyer les pétitions concernant de nouveaux travaux publics à la section centrale qui a été chargé d'examiner le projet de loi sur les travaux publics.
M. Pirmez. - C'est ce que je voulais faire remarquer ; l'honorable rapporteur de la commission des pétitions n'a pas compris la proposition de l'honorable M. Allard. L'honorable M. Allard ne demande pas que la commission des pétitions se constitue en section centrale, il demande que les pétitions qui sollicitent l'exécution de nouveaux travaux publics, soient renvovées à la section centrale quia examiné le projet de loi sur les travaux publics.
Je viens appuyer cette proposition.
Il est impossible que tous les intéressées aux travaux publics aient été mis en mesure de produire leurs observations. Les conclusions de la section centrale étant connues du pays seulement depuis quelques jours, il a été impossible d'y faire des observations, et il faut que celles qui pourront être faites soient soumises à l'attention de la chambre.
J'appuie la proposition de M. Allard.
M. Delfosse. - Les pétitions concernant les travaux publics ont été renvoyées à la commission des pétitions, afin qu'elle examinât quelles sont les pétitions de nature à mériter un examen approfondi de la part de la section centrale ; je serai le premier à demander qu'on nous renvoie celles qui auront ce caractère, mais il serait inutile de réunir la section centrale pour examiner les pétitions qui pourraient être appréciées par la chambre à une première lecture.
M. de Liedekerke. - Il est impossible de faire des pétitions deux catégories, dont les unes seraient examinées avec soin et acceptées, et les autres examinées sommairement et mises à l'écart. Il faut ici, comme en toute chose, un esprit de justice distributive. Comme disait l'honorable M. Pirmez, c'est à peine si le pays connaît les conclusions de la commission. Je demande que les pétitions qui pourront nous arriver relativement à ces conclusions soient d'une manière ou d'autre examinées avec soin. Le droit de pétition est extrêmement sacré ; il faut, quand on nous en adresse, qu'une section centrale ou la commission spéciale présente des conclusions sur leur objet ; mais il faut des conclusions, c'est là le droit en matière de pétitions.
M. de Perceval, rapporteur. - Je ferai observer à l'honorable M. de Liedekerke que la commission présente des conclusions. S'il désire que je présente l'analyse de toutes les pétitions qu'elle a examinées, je le ferai, mais ce sera très long. Voici les conclusions de la commission des pétitions. Le dépôt sur le bureau de toutes les requêtes se rapportant aux travaux mentionnés dans le projet du gouvernement, et pour celles demandant des travaux, le dépôt sur le bureau et le renvoi au ministre des travaux publics.
M. Coomans. - C'est illusoire !
M. de Perceval. - Quelle autre décision voulez-vous qu'on prenne ? C'est à la chambre à décider si elle adopte les conclusions de la commission ou la proposition de M. Allard tendant à renvoyer toutes les pétitions à la section centrale.
M. Dumortier. - Messieurs, ici plus que jamais il faudrait que la chambre eût un feuilleton de toutes les pétitions qui lui sont adressées ; c'est la première chose à faire pour que la chambre puisse connaître les pétitions qu'a provoquées le projet de travaux publics ; car il est impossible que chacun de nous compulse le Moniteur pour voir les pétitions qui nous ont été envoyées.
Pour toutes les pétitions, on nous distribue des feuilletons ; je demande que, pour celles dont il s'agit, il en soit dressé un par les soins de la section centrale. En examinant ce feuilleton, nous pourrons voir toutes les demandes qui nous sont adressées.
Maintenant, ce feuilleton présenté, il sera loisible à chaque député de faire telle ou telle motion d'après les pétitions qui nous seront parvenues, mais il faut, avant d'entamer une discussion de cette importance, savoir ce que chaque localité réclame.
Vous voulez faire un partage des finances en faveur du pays, vous voulez, dites-vous, donner à chacun sa part. Si vous voulez donner à chacun sa part, écoutez les demandes qui vous arrivent de tous côtés, et alors seulement vous pourrez savoir ce que réellement le pays désire.
J'insiste donc pour le renvoi à la section centrale, qui alors en fera l'objet d'un feuilleton d'analyse. Libre à elle de présenter telle ou telle conclusion sur les pétitions qu'elle croira importantes ou utiles ; mais avant tout il faut un feuilleton de pétitions.
M. Delfosse. - Je ne m'oppose pas à ce que l'on fasse et à ce que l'on distribue un feuilleton de pétitions. Ce feuilleton se trouve dans le rapport de la section centrale pour les pétitions dont elle s'est occupée.
Si l'on en veut un pour les autres pétitions, je ne m'y oppose pas. Mais c'est au greffe et non à la section centrale à le rédiger.
Au reste, il y a une distinction à faire. Il y a les pétitions qui concernent les travaux présentés par le gouvernement ; pour ceux-là le dépôt sur le bureau suffit, c'est ce que propose la commission des pétitions.
Il y a des pétitions qui concernent des projets nouveaux, mais sur lesquels l'attention de la section centrale a déjà été appelée : La section centrale s'est prononcée sur ces projets, pour celles-là le dépôt sur le bureau suffit encore.
C'est aussi ce que la commission des pétitions propose. Il n'y aurait donc lieu à renvoyer à la section centrale que les pétitions qui demandent des travaux non compris au projet, et sur lesquels la section centrale ne (page 1858) s'est pas encore expliquée. On pourrait renvoyer cette catégorie de pétitions à la section centrale.
Quant au feuilleton d'analyse demandé par l'honorable M. Damorlier, M. le greffier voudra bien se charger de le faire.
M. Dumortier. - Il faut toujours que ce soit fait au nom de la chambre.
M. Faignart. - J'appuie la proposition faite par M. Delfosse, de renvoyer à la section centrale les pétitions relatives à des travaux dont elle ne s'est pas occupée.
- La chambre consultée adopte la proposition de M. Delfosse ; en conséquence elle renvoie à la section centrale les pétitions relatives à des travaux dont elle ne s'est pas occupée, et ordonne le dépôt des autres pétitions sur le bureau pendant la discussion.
M. de Perceval, rapporteur. - La chambre a renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une pétition du sieur Pierre de Ridder, ancien maréchaussée, qui demande une pension pour infirmités contractées au service.
La commission propose le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications.
M. Thiéfry. - Quand la révolution de 1830 éclata, le sieur de Ridder servait dans la maréchaussée ; il était en garnison en Hollande.
Peu de mois après, le 9 mars 1831, il fut congédié pour surdité complète ; il y avait 17 ans et 5 mois qu'il était sous les drapeaux.
Revenu en Belgique, il voulut continuer son service dans la gendarmerie qui était commandée par le général de Kerchove, sous les ordres duquel il avait toujours été.
Celui-ci, ne pouvant l'admettre à cause de son infirmité, le proposa pour la pension ; la pièce suivante le constate :
« Je soussigné ci-devant colonel de la maréchaussée royale, certifie que Pierre de Ridder a servi sous mes ordres pendant 17 ans, en qualité de maréchaussée, que toujours il s'est conduit et a servi avec distinction, et que c'est avec bien du regret que j'ai été forcé, à cause de sa grande surdité, de demander pour lui sa pension qu'il a bien justement méritée, et dont il a grand besoin, ayant femme et 4 enfants à nourrir.
« Bruxelles, 16 avril 1831.
« Le général de brigade, « (Signé) Frans de Kercuove. »
Voici la réponse du ministre :
« Informe le pétitionnaire en lui renvoyant ses titres, qu'aucune pension ne pouvant désormais être accordée que par une loi, il aura à faire valoir ses droits lorsque le congrès s'occupera des pensions.
« Bruxelles, 2 mai 1831.
« (Signé) comte d'Hane. »
En 1838, une loi sur les pensions a été promulguée, et néanmoins toutes les demandes du sieur de Ridder ont été rejetées.
L'injustice commise à l'égard de ce soldat provient de l'erreur du ministre de la guerre, M. d'Hane.
En etfet, quand cet homme fut proposé pour la pension, l'arrêté du 22 février 1814, sur les pensions militaires, avait encore force de loi, il n'avait pas été révoqué.
L'article 2 donnait au sieur de Ridder des droits incontestables qui ont été méconnus.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 2. La pension ou solde de retraite pour chaque grade est fixée par l'article 16 du présent arrêté ; elle n'est acquise, pour ancienneté, qu'après 40 années de service.
« Cependant les militaires qui, par suite d'indispositions ou d'infirmités dont la cause eut indépendante d'eux, se trouveront dans l'impossibilité de continuer le service actif, même dans une compagnie sédentaire, auront droit, suivant les circonstances et en proportion du temps de service, au moins à la moitié de la pension ou solde de retraite fixée pour 40 années de service ; dans cas il y sera statué par nous par des arrêtés spéciaux. »
Le deuxième paragraphe de l'article 6 de la loi de 1838 lui accorde également des droits à une pension.
Le sieur de Ridder a été blessé, en 1809, à la bataille d'Esling, il a reçu en 1827 la médaille que l'on accordait pour anciens et bons services. 11 a toujours eu une conduite exemplaire, et aujourd'hui, inscrit sur le livre des pauvres, il ne vit que de la charité publique.
Pour prix de ses services il a reçu cinq fois des secours de 15 à 20 fr.
Voilà la récompense d'un vieux soldat qui est devenu complètement sourd, après avoir fidèlement servi son pays pendant dix-sept ans et demi.
J'appuie donc le renvoi de la requête à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explication.
Je suis persuadé que quand M. le général Anoul aura pris, par lui-même, connaissance des faits, il s'empressera de réparer une grande injustice.
M. Dumortier. - Je voulais appuyer les conclusions de la commission. Mais en présence de l'accueil favorable que rencontrent les observations de l'honorable préopinant, cela me paraît inutile.
- Les conclusions de la commission sont adoptées.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oui, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion est ouverte sur le projet de la commission.
M. Lelièvre. - Le projet de loi en discussion a pour objet d'autoriser le gouvernement à régler la taxe et le mode de liquidation des honoraires des notaires.
Le corps des notaires s'en est ému, messieurs : il a cru y voir une mesure compromettante pour ses intérêts et sa dignité, et je vous avoue qu'en ce qui me concerne, je n'aperçois aucun motif plausible de changer la législation existante sur la matière.
Aux termes de la loi du 25 ventôse an XI, article 81, les honoraires des notaires sont réglés à l'amiable entre eux et les parties, sinon par le tribunal civil de la résidence du notaire, sur l'avis de la chambre et sur simples mémoires sans frais.
Voilà qui est juste, rationnel et conforme à la dignité du notariat.
Les notaires règlent leurs honoraires amiablement avec les parties, et ce n'est qu'en cas de contestation que le tribunal intervient.
Le décret du 16 février 1807 s'est occupé, du reste, plus particulièrement de la matière dont il s'agit. Il a déterminé clairement les honoraires de certains actes ; il disposa par son article 173 en ces termes :
« Tous les autres actes du ministère des notaires, notamment les partages et ventes volontaires qui auront lieu par-devant eux, seront taxés par le président du tribunal de première instance de leur arrondissement, suivant leur nature et les difficultés que leur rédaction aura présentées et sur les renseignements qui lui seront fournis par les notaires et les parties. »
Cette disposition est sage, elle sauvegarde tous les intérêts et peut s'appliquer convenablement à tous les actes quelconques, même à ceux qui rentreront dans les attributions des notaires aux termes des lois sur la réforme hypothécaire et l'expropriation forcée.
Le projet de régler par un tarif les honoraires des notaires n'est pasnouveau. Accueilli le 1er floréal an VIII, par une résolution du conseil des Cinq Cents, il fut écarté par le conseil des Anciens.
Voici comment s'exprimait, à cet égard, M. Sedillez :
« Il me semble qu'un tarif ne peut pas régler une pareille matière. L'acte le plus facile en apparence est souvent le fruit de longues et profondes méditations. Les discussions les plus éminentes, des procès qui ont duré des années, se termineront par une transaction de quelques mots. Peut-on tarifer de pareils actes ? Peut-on les soumettre à des vacations ? Prenons garde par un tarif d'obscurcir les actes et d'enfanter un verbiage inutile. »
En 1829 semblable proposition fut soumise à la chambre des députés de France. M. Dupin, aujourd'hui président de l'assemblée législative, la fit éconduire par les considérations suivantes :
« Cela serait à merveille, si tous les actes des notaires avaient le caractère d'uniformité que suppose l'application d'un tarif. Sans doute, il y a des abus dont la valeur peut être ainsi appréciée, par exemple les vacations de telle et telle durée pour dresser un inventaire, un procès-verbal, pour aller au greffe ou en référé ou pour un transport à la distance d'une certaine quantité de myriamètres, le nombre de rôles compris dans les expéditions à tant de syllabes à la ligne, et de tant de lignes à la page. Aussi existe-t-il pour tous les objets un tarif établi par le décret du 16 lévrier 1811.
« Mais les autres actes des notaires, ceux qui ont pour objet d'attester les conventions des parties et qui varient au gré de leurs caprices, de leurs besoins et de leurs spéculations, ne sont pas susceptibles d'un tarif uniforme. Quelle base, en effet, prendriez-vous pour les évaluer ? L'importance des sommes ? Mais l'acte de prêt d'un million n'est pas plus long ni plus difficile à faire que l'acte constatant un prêt de mille écus.
« Classerez-vous les actes selon leur nature ? Tant pour une procuration, tant pour une vente, tant pour une liquidation, tant pour une transaction ? Cela est impossible, vous allez en être convaincus.
« Rien de plus simple, assurément, qu'une procuration pour un objet unique, par exemple, pour paraître au bureau de paix ; on la rédigera, je suppose, pour cinq francs. Mais s'il s'agit d'une procuration pour gérer une usine, pour suivre les opérations d'une société de commerce, pour faire toutes les affaires d'un homme qui va s'absenter pour un voyage de long cours, le même salaire sera-t-il en proportion avec le travail de précision qu'aura exigé cette procuration ?
« Pour les ventes, l'impossibilité d'arriver à une taxe uniforme est encore plus palpable. Si deux paysans viennent chez un notaire lui dira : Moi, Paul, j'ai vendu à Pierre un journal de terre moyennant 200 fr. ; écrivez. Certes voilà un acte fort simple, il sera bientôt dressé, le taux n'en sera pas cher. Mais s'il s'agit d'un domaine ou d'une terre considérable ; mais si le vendeur et l'acheteur ne sont pas d'accord ; s'il faut longuement discuter sur le prix, sur les termes, sur l'établissement de propriété ; si l'acheteur, soupçonnant que le vendeur a de mauvaises affaires, prie son notaire d'étudier minutieusement sa position, de vérifier les titres, de voir s'il a bien acquis, bien payé, lui et ses auteurs, en remontant à plus de trente années, quel prix la loi assignera-t-elle d'avance à une telle suite de travaux ?
« La même observation s'applique aux liquidations, selon qu'une succession (page 1859) sera faible ou considérable, nette ou embrouillée, selon qu'elle pourra finir en peu de jours ou durer plusieurs années.
« Que dirai-je surtout des transactions ? de ces actes qui sont le triomphe du notariat et dans lesquels les hommes qui exercent cette profession se font tant d'honneur quand ils ont été, je ne dis pas seulement les rédacteurs du traité de paix, mais les négociateurs, les plénipotentiaires, les promoteurs de la conciliation ; quand par leurs sages conseils, à force de soins, d'assiduité, de persévérance, ils sont parvenus à rapprocher les esprits, à réunir les volontés, et qu'ils sont venus à bout de terminer un procès existant ou de prévenir un procès prêt à éclater ?
« Faites donc descendre de pareils services à un taux fixé d'avance par un tarif froidement calculé ! »
Ces raisonnements me semblent sans réplique. La législation actuelle suffit pour sauvegarder tous les droits, tous les intérêts. La partie, qui se prétend lésée par la réclamation d'un notaire, peut réclamer la taxe du président du tribunal ; et du reste il est impossible, à mon avis, de tarifer d'une manière uniforme les différents actes qui rentrent dans les attributions des fonctionnaires dont il s'agit.
Il en est à cet égard comme des honoraires des avocats. Tout dépend des circonstances, de la nature des affaires et des difficultés auxquelles les actes ont donné lieu. Je ne vois donc aucune nécessité de porter à cet égard des dispositions nouvelles qui peuvent faire naître des inconvénients sérieux en portant atteinte à la dignité de fonctionnaires qui, pour la plupart, ne cessent de faire preuve d'une probité et d'une délicatesse incontestables.
D'un autre côté, le projet tel qu'il est conçu en termes vagues et généraux, autoriserait le gouvernement à tarifer tous les actes quelconques, et c'est là un résultat qu'il est impossible de sanctionner.
Il faut aussi remarquer que les honoraires d'un notaire dépendent de l'étendue de la responsabilité qui résulte pour lui de l'importance de l'acte dont le dépôt lui est également confié.
Or, à ce point de vue, il me semble encore impossible d'établir un tarif équitable puisque l'objet dont il s'agit ne peut être apprécié que d'après les circonstances particulières essentiellement variables dans chacun des actes.
Ce motif me semble encore repousser la mesure projetée.
La commission, assimilant les notaires aux avoués, propose d'obliger les premiers à obtenir la taxe de leurs vacations avant de pouvoir assigner les parties en cause. Mais l'assimilation des notaires aux avoués, sous ce rapport, ne me paraît pas rationnelle, parce que les honoraires des notaires peuvent avoir été réglés par convention avec les parties, hypothèse dans laquelle il ne peut être question de taxe. On ne peut donc admetlre une disposition qui soumette en tout cas les notaires à une prescription rigoureuse qui ne saurait être établie d'une manière générale.
Le projet, surtout tel qu'il est formulé, ne peut recevoir mon assentiment, d'autant plus que la nécessité ne s'est nullement fait sentir dans notre pays où il n'existe que très rarement des difficultés enlre les parties et les notaires qui, d'ordinaire, tiennent à cœur de terminer aimablement des différends de ce genre.
Du reste, je ne vois aucune raison de confier au pouvoir exécutif le soin de régler un objet aussi important et une matière qui n'exige pas un grand nombre de dispositions. Sous ce rapport encore, je ne saurais approuver le projet en discussion, qui confère au gouvernement des pouvoirs exorbitants, mesure à laquelle il m'est impossible de m'associer.
Ce n'est pas lorsqu'il s'agit de la position de fonctionnaires aussi élevés que les notaires que l'on peut sanctionner des dispositions qui prêtent à l'arbitaire.
En conséquence, je ne puis donner mon assentiment au projet de loi.
M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, j'ai indiqué dans le rapport de votre commission, d'une manière succincte, quels étaient les motifs qui rendaient, selon moi, nécessaire la révision du tarif de 1807, concernant le salaire des actes notariés.
D'abord, messieurs, puisque dans peu aucun acte sous seing privé ne pourra plus être transcrit, qu'aucune cession de créance hypothéquée ne pourra se faire sous signature privée, quelque minime que soit la valeur de l'objet transmis, il est juste que les frais de ces actes soient proportionnés à leur importance et qu'ils n'absorbent pas en quelque sorte la valeur des choses cédées.
De ce chef donc, le gouvernement aura à régler les honoraires des notaires de manière à leur donner une juste rémunération de leurs labeurs sans léser les intérêts de leurs clients.
D'un autre côté, les notaires seront appelés à procéder aux ventes qui auront lieu sur surenchère et sur saisie immobilière, l'article 172 du tarif actuel leur accorde la même remise que celle allouée aux avoués par l'article 113 sur les prix de ventes d'immeubles faites devant les tribunaux.
Or, cet article 113, quoi qu'en dise l'honorable M. Lelièvre, a donné lieu à des difficultés ; il y a même plus, c'est que vous avez déjà autorisé le gouvernement à le modifier, en votant la loi concernant la révision du tarif des dépens en matière civile ; puisque donc l'on a introduit un système nouveau dans notre législation quant aux ventes d'immeubles faites en justice, il est nécessaire que le gouvernement mette le tarif en rapport avec ce nouveau mode de procéder.
Enfin, messieurs, le tarif de 1807 est incomplet. Déjà le gouvernement, lors de l'examen de la loi sur le notariat, disait à la section centrale :
« Il est difficile que la loi prévoie tous les cas ; du reste, beaucoup de lacunes pourront être comblées lors de la révision du tarif civil sur lequel un projet de loi est soumis aux chambres. »
Et quelque temps après, dans la séance du 4 février 1848, il présentait un amendement conçu en ces termes :
« Un arrêté royal déterminera le taux des honoraires et vacations, ainsi que les déboursés qui pourront être portés en compte aux parties. Le mode de taxation sera établi par le même arrêté. »
Sans doute, messieurs, comme je l'ai dit dans mon rapport, le gouvernement ne pourra fixer les honoraires de tous les actes. Chacun comprend que mille circonstances imprévues doivent nécessairement exercer une grande influence sur le taux du salaire dû pour des actes de même nature. Tout ce qu'il pourra faire, ce sera de tâcher de faire cesser le vague de la disposition de l'article 173 du tarif de 1807, qui prête beaucoup à l'arbitraire, comme l'a reconnu également la section centrale qui a examiné le projet de loi sur le notariat.
Car, il faut bien le reconnaître, le juge qui doit taxer n'a aucune base certaine pour apprécier le taux du salaire. Aussi je doute que dans la pratique deux présidents de tribunaux taxent de la même manière le prix du même acte.
Maintenant je répondrai en peu de mots aux observations que l'honorable M. Lelièvre vient de présenter contre l'article 2 nouveau introduit dans la loi par la commission.
Vous savez ce qui se passe quelquefois dans la pratique : des contestations s'élèvent entre les parties et les notaires, parce qu'on trouve leurs honoraires exorbitants, et cela même souvent à tort.
De là proviennent des refus de les payer, de là naissent des présomptions qui compromettent la dignité même du notariat.
Eh bien, la commission a pensé qu'il convenait, dans l'intérêt des notaires eux-mêmes et dans celui des contractants, de soumettre les états d'honoraires à la taxe avant toute poursuite, et nous avons donné pour sanction à cette obligation imposée aux notaires, le refus de recourir à la justice avant d'avoir rempli cette formalité.
Ainsi, d'un côté, les notaires sauront que le montant de ce qu'ils exigeront pour honoraires pourra toujours être contrôlé par celui qui sera chargé de faire cette vérification ; de l'autre, les parties auront un moyen facile de s'éclairer et de reconnaître qu'on ne leur demande pas plus qu'ils ne doivent payer.
Du reste, l'article 2 ne change pas ce qui se pratique aujourd'hui, aux termes de l'article 173 du tarif, en cas de contestation entre les parties et les notaires. Ceux-ci, pour les partages volontaires et les ventes, doivent faire taxer leur état par le président du tribunal.
Nous ne demandons pas autre chose ; sinon que nous ajoutons que le notaire ne peut recourir aux tribunaux avant d'avoir fait faire cette taxe ; nous comblons seulement la lacune du décret de 1807, qui laissait sans sanction la mesure prescrite par l'article 173. Telle est, messieurs, la portée de l'article 3 nouveau.
Quant à la question soulevée par l'honorable M. Lelièvre, celle de savoir si, lorsque les honoraires ont été réglés à l'amiable entre un notaire et ses clients, ceux-ci sont recevables à en requérir la taxe, nous la laissons intacte.
Cette question se présente également sous l'empire de l'article 173 du tarif, comme elle se présentera encore après la promulgation du nouveau tarif.
Et vous comprenez, messieurs, qu'il serait bien difficile de lui donner une solution générale, puisqu'elle doit dépendre de faits, de circonstances imprévus.
Du reste, la jurisprudence paraît aujourd'hui fixée, en ce sens que les arrangements pris entre les parties et les notaires ne dispensent pas ces derniers de faire taxer leurs honoraires lorsqu'ils en sont requis.
En résumé, je crois avoir établi la nécessité de réviser le tarif des honoraires des notaires et avoir justifié la disposition nouvelle que votre commission vous propose de voter.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, lorsque nous avons discuté la loi sur les hypothèques, plusieurs membres ont demandé que le gouvernement prévînt par un tarif les inconvénients de certaines de ses dispositions.
La chambre n'ignore pas que la loi hypothécaire exige que la transmission des droits réels, le transport des créances, ait lieu dorénavant par acte notarié ou par acte reconnu par devant notaire ou en justice.
Ces dispositions constituent une charge assez onéreuse lorsqu'il s'agit de la transmission des propriétés ou des créances hypothécaires d'une valeur peu élevée.
Ainsi des immeubles d'une valeur de 10, de 15, de 20, de 100, de 200 francs, font l'objet de ventes, d'échanges ; jusqu'à présent ces actes étaient le plus souvent faits sous seing privé, pour éviter des honoraires de notaires qui étaient exagérés, par cela seul que l'objet du contrat était de si minime importance.
C'est pour faire droit aux réclamations, parties des bancs de cette chambre, que le projet a été présente, et les premières mesures qui seront prises auront pour objet les actes de mutation d'immeubles, les actes de cession de créances, dent la valeur est peu élevée.
Je sais parfaitement, messieurs, quelles sont les difficultés qui se présentent lorsqu'il s'agit de la tarification générale des actes de notaire.
Dernièrement une proposition, pour arriver à cette tarification, a été (page 1860) par M. Rouher, actuellement garde des sceaux en France. Elle a fait l’objet d’un rapport présenté dans la séance du 30 juin par M. Boinvilliers, rapport qui reproduit les arguements employés et les autorités citées par M. Lelièvre.
Aussi mon intention n’est-elle pas de débuter par la publication d’u tarif qui comprendrait la tarification de tous les actes que peuvent faire les notaires.
Je ne suis pas même encore convaincu que tous les actes peuvent être tarifés. Des contrats de mariage, des transactions, des liquidations, des partages doivent être payés d'après l'importance de ces actes, d'après les difficultés qu'ils présentent, d'après le temps qu'ils exigent, et l'on ne saurait admettre que chaque catégorie d'actes soit indistinctement payée au même prix. Il y a donc là une question à examiner avant tout, et sur laquelle je ne suis pas encore fixé.
L'assemblée législative de France l'a renvoyée à l'examen du conseil d'Etat. Mais ce qu'il est indispensable de faire, c'est de prendre dès maintenant des mesures relatives aux honoraires de notaires qui concernent des mutations d'objets n'excédant pas une valeur déterminée.
Quant à l'article 3 nouveau, comme l'a dit l'honorable M. Moreau, l'article 3 nouveau ne touche en rien à la question de savoir si, quand une convention est intervenue entre le notaire et une partie, le président, appelé à tarifer l'acte du notaire, peut, nonobstant cette convention, réduire la taxe.
Cet article est conçu à peu près dans les mêmes termes que l'article 173 ; et nonobstant l'article 3, cette question pourra se représenter.
L'article 3 exige qu'avant d'intenter une action en justice, le notaire demande la taxe. C'est là une mesure utile ; le notaire, avant de poursuivre son débiteur, devra faire taxer ; et la partie, qui verra la taxe du président, préférera souvent payer, puisque déjà les exigences du notaire, son état a reçu la sanction du magistrat.
Sous ce rapport, l'utilité de la mesure est incontestable.
« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à régler la taxe et le mode de liquidation des honoraires des notaires. »
- Adopté.
« Art. 2. L'arrêté sur cet objet sera pris avant l'expiration de la troisième année de la publication de la présente loi ; à partir de cette époque, il sera considéré comme définitif et ne pourra plus être modifié qu'en vertu d'une loi. »
- Adopté.
M. le président. - La commission propose un article 3 nouveau qui serait ainsi conçu :
« Les notaires doivent, s'ils en sont requis, demander la taxation de leurs honoraires, à charge des parties tenues de les payer.
« Ils doivent, de plus, l'obtenir avant d'intenter de ce chef une action en justice, sinon ils sont déclarés non-recevables. »
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je pense, M. le président, qu'il serait mieux de faire de cette disposition l'article 2 ; l'article 2 deviendrait l'article 3.
- L'article est adopté, ainsi que la proposition de M. le ministre de la justice.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
72 membres répondent à l'appel nominal.
65 répondent oui.
6 répondent non.
1 membre (M. Dumortier) s'abstient.
En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : ME. Pierre, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Rousselle, (Charles), Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Renynghe, Veydt, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, de Baillet (Hyacinthe), Debourdeaud'huy, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, Delfosse, de Meester, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, Destriveaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, d'Hont, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Liefmans, Malou, Manilius, Mascart, Mercier, Moreau, Orban, Osy, Peers et Verhaegen.
Ont répondu non : MM. Thibaut, Vermeire, Coomans, Debroux, de La Coste et Lelièvre.
M. le président. - M. Dumortier, qui s'est abstenu, est prié, aux termes du règlement, de faire connailre les motifs de son abstention.
M. Dumortier. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce que je reconnais qu'il est nécessaire de régler les honoraires des notaires, qui, dans certaines occasions, sont devenus exorbitants ; mais je n'ai pas pu voter pour la loi, en premier lieu, parce que je n'aime pas à faire régler cet objet par arrête royal, et à déléguer ainsi le pouvoir législatif ; en second lieu, parce que s'il est nécessaire de déterminer les honoraires des notaires, il est encore beaucoup plus nécessaire de régler les honoraires des avocats, dont il n'est pas du tout parlé dans le projet de loi.
M. le président. - Messieurs, il y a 81 orateurs inscrits dont 36 pour la discussion générale, et 45 pour les articles. Dans l’intérêt de la discussion, il me paraît convenable de faire un appel au règlement. L’article 40 du règlement est ainsi conçu :
« La discussion générale portera sur le principe et sur l'ensemble de la proposition. Outre la discussion générale et la discussion des articles, la chambre pourra ordonner une discussion sur l'ensemble de chacune des divisions d'une proposition. »
Ainsi, d'après cet article, la discussion générale doit porter exclusivement sur le primipe et sur l’ensemble de la proposition, et une discussion pourra avoir lieu plus tard sur chacune des divisions de la proposition.
Maintenant d'après l'artcle 18, paragraphe du règlement, la parole est accordée aux orateurs, suivant l'ordre des inscriptions, et d'après le paragraphe 3, il n'est dérogé à cet ordre que pour accorder la parole alternativement « pour », « sur » et « contre » les propositions en discussion.
Mais la parole « sur » est exclusivement réservée aux orateurs qui auaraient des amendements à proposer, lesquels amendements ils devront déposer sur le bureau, en quittant la tribune. Je tiendrai la main à ce qu'il soit satisfait à cette obligation ; car en se faisant inscrire « sur », sans avoir d'amendement à déposer, on obtiendrait un tour de faveur au détriment d'autres orateurs précédemment inscrits.
La discussion générale est ouverte.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Dumortier. - Messieurs, vous venez de l'entendre de la bouche de M. le président, il y a 81 votants inscrits. Il est évident que si vous voulez aboutir, il n'y a que deux moyens : ou bien, écourter la discussion : ce qui n'est guère possible, en présence des grands intérêts qui sont en jeu ; ou bien, siéger encore pendant un mois ou six semaines (interruption) ; il ne faut pas se faire illusion : il n'y a pas d'autre alternalive.
Maintenant, j'ai compté avec soin combien il existait de projets de loi, c'est-à-dire d'objets différents dans le projet de loi dont nous entamons aujourd'hui la discussion.
Il ne s'agit plus de dix-neuf projets de loi ; par suite des amendements proposés par la section centrale, il y a vingt-neuf projets de loi compris dans un seul.
C'est à propos d'une agglomération semblable, que l'honorable M. Rogier s'élevait d'une manière si vive contre mon honorable ami, M. Dechamps et moi, en 1844, et qu'il qualifiait le projet, bien qu'il ne comprît que trois ou quatre travaux, de coalition contre le trésor public. Je crois qu'au point où nous en sommes arrivés et à l'époque où nous sommes, il serait plus sage de remettre cette discussion à la session prochaine. (Interruption.)
Dans un pareil projet, il y a des parties prenantes et des parties payantes. Les parties prenantes, je le conçois, ne doivent pas être enchantées de ma proposition.
Mais il me semble qu'il y a lieu de réfléchir. La chambre doit se demander si elle veut faire une session perpétuelle. Nous sommes réunis depuis le deuxième mardi de novembre. Ce n'est pas notre faute si le projet de loi n'a pas été présenté plus tôt ; la chambre ne peut pas être tenue perpétuellement en séance. Il est impossible de prolonger la session de telle façon qu'elle arrive à rejoindre l'autre.
Je demande s'il ne serait pas bien d'ajourner cette discussion. Le pays aurait le temps, de son côté, d'examiner ces 29 projets, et nous, nous pourrions prendre un peu de vacances.
Il me semble que c'est là une motion excessivement juste et sage. Si la chambre n'admet pas cette motion, je fais dès maintenant toute espèce de réserve pour, quand nous en viendrons à la discussion des articles, demander la disjonction et la séparation en autant de projets de loi séparés, qu'il y a de travaux spéciaux.
Je fais toute réserve afin qu'on ne m'objecte pas que ma proposition vient tardivement. Si la chambre veut continuer ses travaux, je ne veux pas m'opposer à ce qu'on aborde la discussion générale. Mais je fais remarquer qu'avec un nombre aussi considérable d'orateurs nous serons encore ici dans un mois ou six semaines. Indépendamment des oraleurs inscrits vous en aurez qui prendront la parole.
Je ne suis inscrit sur aucun littera et cependant j'ai des observations à présenter. (Interruption.)
Pour empêcher la dilapidation du trésor public, je prendrai certainement la parole, je ne faillirai pas à ce devoir. Si vous voulez rester ici six semaines, vous me verrez sur la brèche pour empêcher la dilapidation du trésor public. Vous aurez en outre toutes les localités déshéritées qui viendront présenter leurs amendements.
Vous en aurez beaucoup, vous pouvez en juger déjà par la masse de pétitions déposées sur le bureau. Pouvcz-vous prévoir combien d'amendements vont sortir de là ? Nous sommes fatalement en séance encore pour six semaines, ou vous arrivez à ce résultat, ce qui serait un scandale, d'écourter la discussion et de faire passer à coups de votes et au moyen d'une coalition, une loi décrétant pour 130 millions de dépenses.
Je demande l'ajournement à la session prochaine. Après être restés ici neuf mois, nous avons rempli notre tâche. L'an prochain, nous pourrons o us occuper de cet objet. Je sais qu'on va m'objecter la nécessité de ne (page 1861) pas ajourner l'emprunt, Je consens a ce qu'on disjoigne la partie qui concerne l'emprunt ; mais quant aux travaux publics, je demande formellement le renvoi à la session prochaine.
M. Delfosse. - Si, comme le dit l'honorable M. Dumorticr, la discussion du projet de loi doit durer six semaines, c'est une raison de plus pour ne pas l'ajourner à la session prochaine, qui sera nécessairement très courte, puisqu'il doit y avoir des élections au mois de juin 1852. Nous aurons, dans cette session très courte, à voter les budgets et d'autres projets importants.
La raison donnée par M. Dumortier pour faire ajourner la discusison milite au contraire contre l’ajournement. Il y avait deux catégories de projets ; les nouveaux impôts et les travaux publics qu’ils sont destinés à couvrir ; nous avons voté les impôts, nous avons rempli la partie la moins agréable de notre tâche, et l’on voudrait faire ajourner l’autre. Nous devons, au contraire, nous hâter de la remplir. (Aux voix ! aux voix ! La clôture !)
- La discussion est close.
L'ajournement est mis aux voix. Il n'est pas adopté.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. E. Vandenpeereboom. - Que la chambre me permette de lui exposer sommairement les considérations qui motiveront mon vote favorable au projet de loi soumis en ce moment à ses délibérations.
Dans son ensemble, ce vaste plan de travaux d'utilité publique me paraît bien conçu, au double point de vue de ses moyens d'exécution et de ses résultats.
Une entreprise aussi hardie eût été impossible si le gouvernement, appuyé par la majorité de cette chambre, n'était parvenu à améliorer notre situation financière. C'est en introduisant des économies notables dans le plus grand nombre de nos budgets des dépenses, c'est aussi en demandant de nouvelles ressources à plusieurs bases d'impôts que l'on aura travaillé efficacement à sortir de cette position embarrassée, dont les moindres inconvénients étaient l'inaction et l'impuissance.
En effet, depuis les lois votées en 1834, 1842 et 1843, séduits par les éloges qui nous venaient de toute part et comme énervés par nos premiers travaux, nous n'avions plus rien entrepris que des ouvrages de détail. En 1848, un énergique effort fut tenté, mais il fut aussitôt paralysé par les circonstances. Nous avions été les premiers dans cette marche du progrès entreprise par toutes les nations du continent et nous voilà sur le point d'être devancés par chacune d'elles : par l'Espagne plus accablée sous sa dette que nous le sommes nous-mêmes : par les Etats d'Italie dont la tranquilité est moins assurée que la nôtre : par la Suisse, qui rencontre dans la configuration de son sol des obstacles que nous ne trouvons pas ici.
Je ne pense pas que le gouvernement puisse être démenti ni par le sentiment public, ni par la majorité de cette chambre, au moment où il vient proclamer par le projet de loi en discussion qu'une plus longue inaction serait indigne de notre passé, dangereuse pour notre avenir, injuste à l'égard d'une partie notable de nos populations.
Il eût été désirable, à mon sens, qu'une grande partie des travaux projetés eût pu être entreprise directement par l'Etat. Mais alors se présentaient les difficultés d'un emprunt considérable, les dangers d'une dette flottante exagérée, la nécessité d'autres impôts plus lourds que ceux que nous avons votés.
C'est sous l'empire de cette situation, que l'on a eu recours à l'association de l'Etat et des compagnies et que l'on nous a présenté une triple combinaison :
L'exécution directe par l'Etat ;
L'exécution, par voie de concession, sans garantie d'intérêt ;
L'exécution, par voie de concession, avec garantie d'un minimum d'intérêt.
La première combinaison, l'exécution directe par l'Etat, la plus juste et la meilleure quand elle s'applique d'une manière générale, constitue, personne ne le niera, une position de faveur ; quand elle devient l'exception. Les travaux qu'elle comprend seront exécutés quoi qu'il arrive : ils seront achevés avec des crédits supplémentaires, si les premiers fonds sont insuffisants ; les péages qui les grèvent pourront être abaissés, et cette éventualité se réalisera tot ou tard. Au contraire, les travaux concédés sont exposés à bien des hasards : leurs péages ne sont réductibles que par la volonté des concessionnaires, dont l'intérêt est la seule loi.
Je signale cette différence de position, non pour combattre les travaux utiles ainsi favorisés, mais pour appeler la haute impartialité du gouvernement et de la chambre sur les compensations qu'un aussi gnnd privilège commande. C'est-à-dire qu'il doit être entendu, ce me semble, que l'intervention de l'Etat pourrait être invoqué à bon droit, si l’action des compagnies venait à faillir à l'égard de cert ains travaux compris dans ce projet. Car de ce que les travaux soient portés dans l’une ou l’autre combinaison, il ne résulte pas que l’un soit reconnu plus utile que l’autre. Ce classement a eu lieu pour d’autres causes. Ainsi, quelques-uns de ces travaux sont concessibles, d'autres ne le sont pas, soit à cause des revenus que les premiers pourront produire et que les seconds ne produiront pas, soit parce que l'Etat ou des compagnies ont déjà commencé une partie de ces travaux.
La seconde combinaison a reçu des améliorations par le travail de la section centrale. Malgré ces précautions, je crois que l'action du gouvernement devra être sévère et incessante pour garantir le trésor public contre l'éventualité de certaines pertes.
La troisième combinaison, celle des concessions avec garantie d'un minimum d'intérêt, appliquée comme elle l'est sur une grande échelle, constitue pour nous un fait nouveau. Elle devrait être acceptée avec empressement par ceux de nos collègues qui prétendent que l'Etat exploite moins bien que les compagnies.
Je dirai quelques mots, à présent, des résultats que nous obtiendrons par l'adoption de ces trois combinaisons.
Pour les bien apprécier, en ce qui concerne les chemins de fer, j'ai recherché quelle était, quant à leur nombre et à leur population, la position des 85 villes que renferme notre pays. Les deux tableaux suivants indiquent les détails de ce travail. (Ces deux tableaux, intitulés « Etat numérique, par province, des villes, au point de vue de leur relation avec le réseau du chemins de fer » et « état numérique de la population des villes, au point de vue de leur relation avec le réseau des chemins de fer », ne sont pas repris dans la présente version numérisée.
(page 1862) Il résulte de l’examen de ces tableaux que :
35 villes d’une population totale de 800,000 âmes sont déjà directement reliées à un chemin de fer du gouvernement ou des compagnies. Ce sont les 2/5 du nombre total des villes, c’est 1/5 de la population totale du pays.
17 villes d'une population de 124,000 âmes seront directement reliées aux chemins de fer compris dans le projet que nous discutons. C'est 1/5 du nombre total de nos villes que. par cette seule loi, nous appelons au bienfait des communications rapides.
6 villes d'une population globale de 35,000 âmes sont comprises dans les propositions de la section centrale.
27 villes, dont l'ensemble de population s'élève à 116,000 âmes, sont seules en dehors de toute proposition.
Vous le voyez, messieurs, nous ferons, en adoptant toutes ces propositions, un grand pas vers la solution de ce problème que nous devons poursuivre, à savoir que toute ville de quelque importance, chaque chef-lieu d'arrondissement tout au moins, doit être relié au chemin de fer, comme toute commune rurale doit avoir sa route pavée ou empierrée.
Les résultats de l'exécution des divers projets, qui concernent les travaux hydrauliques, me paraissent devoir être non moins importants.
Plusieurs grands canaux seront construits, presque toutes nos voies navigables seront améliorées, dans diverses provinces les causes du fléau des inondations seront ou totalement enlevées, ou notablement amoindries.
Je ne dirai qu'un mot de ce dernier bienfait. Les non-valeurs sur la contribution foncière s'élèvent annuellement à 310,000 francs. On peut compter un chiffre de 150,000 francs pour pertes causées par les inondations. Quand on songe que ce chiffre représente la seule remise des contributions, faite uniquement pour perte totale et aux personnes se trouvant dans une position peu aisée, on aura une idée des énormes désastres subis par la fortune privée du chef des inondations que de nombreux travaux doivent combattre.
Qu'il me soit permis de citer ici l'opinion d'un publiciste célèbre. M. Michel Chevalier dit, dans son remarquable ouvrage ayant pour titre « Des intérêts matériels » :
« S'il y a aujourd'hui une idée qui ait acquis force de chose jugée, c'est que les communications les plus immédiatement profitables à l'industrie, les plus lucratives pour les particuliers et pour l'Etat, sont celles qui ont pour objet spécial d'amener au consommateur le charbon et le fer. Le gouvernement lui-même en est si bien convaincu, qu'il encourage magnifiquement, lorsqu'il ne les exécute pas à ses propres frais, les voies de transport destinées au fer et au charbon. »
« Les canaux ont enrichi l'Angleterre non seulement en provoquant la création d'exploitations métallurgiques, en donnant un débouché illimité aux mines de charbon, en facilitant le transport des matières premières et des produits de toutes les fabriques et usines, mais aussi en offrant à l'agriculture un écoulement aisé pour toutes les denrées et en lui amenant à peu de frais les engrais et les amendements propres aux diverses natures du sol. On a vu en Angleterre construire des canaux pour le seul approvisionnement d'engrais. »
Je termine, messieurs, en résumant les avantages de l'application de cent vingt millions de francs à des travaux publics de toute nature, répartis sur tous les points du pays et dont l'exécution se prolongera pendant plusieurs années.
Je dirai que ces résultats me semblent devoir être les suivants :
Pour l'Etat, accroissement notable des revenus publics, gage de sécurité à l'intérieur, nouvelle force donnée à notre nationalité.
Pour le commerce et l'industrie, surcroît d'activité pendant l'exécution des travaux, avantages permanents acquis au moyen du transport rapide et économique des personnes et des choses, c'est-à-dire des seules chances de triomphe laissées aux peuples qui veulent entrer dans la lutte des intérêts matériels.
Pour l'agriculture, production plus abondante et à moindre frais, à cause de l'abaissement du prix des engrais et des amendements ; placement plus facile et plus rémunérateur de ses denrées et de son bétail à l'intérieur comme à l'étranger.
Pour la classe ouvrière, abondance et continuité de travail, seuls moyens efficaces d'élever le taux des salaires.
Pour nos grandes sociétés financières, accélération de la liquidation de leurs créances sur des établissements industriels, c'est-à-dire plus grande disponibilité de leurs capitaux et aussi garantie plus forte contre le retour des embarras de 1848.
C'est pour aider à obtenir tous ces résultats que je voterai la loi et les amendements qui pourraient la rendre meilleure.
M. de Royer. - Messieurs, lorsque le 2 juillet, le cabinet vint déposer à la chambre des représentants les projets de lois concernant les impôts et les grands travaux d'utilité publique, en peu d'heures tous les arrondissements en eurent connaissance; chacun des intéressés s'assurait avec anxiété si la localité qu'il habite, où sont ses intérêts, était dotée en raison des besoins qui s'y font sentir ; d'autres s'empressaient pour s'enquérir si ce qu'ils réclamaient pour leur industrie ou leur commerce était prévu par le projet ; d'autres enfin, et c'était peut-être le plus grand nombre, dévoraient la loi, si je puis m'exprimer ainsi, pour y lire si les travaux, dont l'exécution paraît plus ou moins proebaine, étaient ou non avantageux à leurs intérêts personnels.
Toute la Belgique, en un mot, s'émut à l'apparition presque subite de ce projet de loi. Chaque province, chaque arrondissement se croyaient (page 1863) en droit d'obtenir quelque chose, c'est-à-dire une part au partage du gâteau. L’on s'imagina que les nouveaux impôts promettant au trésor un accroissement de recettes assez considérable, il ne fallait que désirer pour que des travaux plus ou moins importants, nécessaires et coûteux s'exécutassent partout, et au compte de l'Etat...
L'on pensa enfin que le trésor allait devenir inépuisable, et chacun se tourmenta l'imagination pour savoir tout ce qu'il allait demander au gouvernement, et où s'arrêteraient ses modestes prétentions. Aussi, des pétitions surgirent de tous les points du pays : elles arrivèrent en si grand nombre qu'il serait impossible que l'on fît droit à toutes les exigences, fussent-elles même fondées.
Parmi-celles-ci, messieurs, se trouve une requête du conseil provincial du Hainaut, tendant à ce que le système des voies navigables dans la province soit amélioré et complété de manière telle que tous les bassins houillers du pays soient placés sur une même ligne de justice ou reçussent des compensations équitables.
Pour arriver, ou tout au moins pour commencer à faire quelque chose qui mène vers cette perfectibilité, et qui soit tout à la fois vivement réclamé dans une partie du Hainaut, plusieurs projets de travaux existent, tels que : celui du canal de Mons à Erquelines, destiné à rattacher le canal de Mons avec laSambre ; celui du canal de Jemmapes à Alost ; et enfin, un projet de canal de Blaton à Ath, avec canalisation de la Dendre jusqu'à Alost. Il est toutefois à remarquer que ces deux derniers projets s'excluent l'un l'autre, parce que tous deux atteignent le même but, qui est de mettre le bassin houiller du couchant de Mons en communication directe, par une voie d'eau, avec le bas Escaut ; mais l'un ni l'autre n'excluent en aucune manière l'exécution du chemin de fer projeté, d'Ath à Termonde ou à Lokeren.
Lorsque apparut le projet de loi des travaux à entreprendre, dans un nombre d'années plus ou moins rapproché, soit directement par l'Etat, soit par des sociétés concessionnaires, avec garantie d'un minimum d'intérêt, soit par l'industrie privée, sans garantie d'intérêt, les exploitants houillers du couchant de Mons furent étrangement surpris en acquérant la certitude que le département des travaux publics avait étendu sa sollicitude sur un rayon immense, mais avait oublié les besoins du bassin de Mons, besoins reconnus depuis si longtemps, et qui n'étaient plus douteux pour personne.
L'industrie de Mons a fortement regretté, sans toutefois que cela dût l'étonner, de voir abandonner le projet si précieux du canal de Jemmapes à Alost, pour plusieurs motifs, entre autres à cause du coût élevé de la dépense de construction. C'était une malheureuse nécessité, car ce travail était bien celui qu'il fallait pour Mons : il aurait eu une importance immense dans ses résultats pour l'écoulement vers le bas Escaut, par la ligne la plus courte et la plus droite, des produits des riches couches de mines que renferment ses environs, qui, par leur situation topographique désavantageuse, sont si dignes de l'intérêt et de la sollicitude du gouvernement, mais pour lesquels le gouvernement a fait peu de chose.
Comme je le disais, il n'y a qu'un instant, messieurs, les industriels du couchant n'ont guère d'espoir de voir un jour s'ouvrir un canal direct partant du bassin de Mons vers Alost ; mais il y a un autre projet beaucoup moins coûteux et qui remplirait presque toutes les mêmes conditions : c'est le canal de Blaton à Ath, dont M. l'ingénieur Vander Elst est l'auteur, et je crois, demandeur en concession, moyennant garantie d'un minimum d'intérèt. C'était cette voie navigable que les représentants de Mons se proposaient de venir solliciter de la législature en faveur de l'arrondissement qu'ils représentent dans cette assemblée, comme une juste et équitable compensation revenant à leurs commettants, eu égard aux concessions accordées à d'autres contrées industrielles, où je reconnais du reste, sans en être jaloux, l'urgence de certains travaux ; mais ce projet n'étant point suffisamment étudié par son auteur, force nous est de l'abandonner, sauf à y revenir plus tard, s'il y a lieu.
Le bassin houiller de Mons, messieurs, n'est pas aussi heureusement placé que les autres : il est à 85 kilomètres de notre frontière du Nord ; pour y arriver, nous sommes obligés de parcourir un trajet de deux cents kilomètres. Voilà une des principales causes désavantageuses pour l'industrie charbonnière de ce district.
Les exploitants ne pourraient faire parvenir leurs produits sur les grands marchés du pays et de l'étranger à des prix assez bas pour soutenir la concurrence avec les charbons venant soit de l'Angleterre, soit de la Prusse, ni même avec ceux du pays, parce que le projet du 2 juillet accorde à ces contrées de productions des moyens de transports courts et faciles qu'il refuse au bassin de Mons. Le projet de M. Vander Elst avait pour but de remédier à ce grave inconvénient, en abrégeant considérablement les distances.
M. le ministre des travaux publics a si bien compris la position presque désespérée qu'il faisait aux exploitants de l'arrondissement de Mons, qu'il a recours dans son projet, comme fiche de consolation en leur faveur, à une réduction du droit de péage sur le canal d'Antoing jusqu'à concurrence de 50 p. c. Mais cela ne suffit pas : une réduction plus grande pouvait apporter un léger dégrèvement au coût du fret ; mais l'abaissement proposé est si minime que l'allégement sera insignifiant.
Cependant, messieurs, lorsque vous concédez de grandes facilités de transport à quelques bassins houillers, vous ne pouvez, sans vous écarter des règles d'une bonne justice distributive, refuser des compensations aux arrondissements qui ne sont pas favorisés par les projets de lois.
Les bassins de Charleroy et du Centre obtinrent des avantages considérables par rabaissement, en 1849, du péage sur le canal de Charleroy qui leur permit de fournir leurs produits à prix réduits au-dessous des nôtres, sur les marchés de Gand, d'Anvers et sur ceux de la Hollande. A cette époque, Mons a déjà été oublié. Le bassin de Liége, par les avantages immenses que lui crée la loi des travaux, pourra livrer ses charbons sur les marchés hollandais à des prix inférieurs à celui de Mons et à ceux des charbons de Ruhrort (Prusse). Le bassin houillier de Mons a perdu en partie les marchés de Gand et Bruxelles et Anvers depuis l’année dernière, et il est à la veille de perdre aussi le marché hollandais, faute d’une voie pour y arriver directement, et sans être obligé de faire un détour de cent quinze kilomètres.
Que lui reste-t-il donc, messieurs, si vous ne lui accordez quelques compensations par des réductions de péages et des améliorations de navigation ? Rien, ou presque rien ; car il est de la plus frappante évidence, et personne ne le conteste, qu'en perdant les marchés étrangers, il perdra en même temps les marchés de l'intérieur, si l'on ne se hâte de venir à son secours par des moyens puissants. C'est-à-dire que si la législature n'accorde le juste dédommagement que sollicite avec tant d'instance, comme dernière planche de salut, l'industrie montoise, elle est perdue sans espoir de pouvoir jamais se relever.
L'ouverture d'un canal de Blaton vers le bas Escaut, ou l'exécution du projet de canal de Jemmapes à Alost, l'aurait sauvée d'une position périlleuse ; mais forcés pour le moment de renoncer à ces importants travaux, nous demanderons à la chambre de lui accorder des compensations.
Il est à remarquer, messieurs, que la voie ferrée est très nuisible au transport de la houille. La traction détruit la qualité de la marchandise, elle perd de sa valeur et de son prix, la quantité se réduit par le transbordement qui est très coûteux, et occasionne une perte de temps que la célérité de la marche ne pourrait racheter.
Il ne sera pas dit, messieurs, que lorsque vous faites droit à toutes les doléances de l'industrie et du commerce, qu'alors que vous vous attachez avant tout à faire une bonne loi que le pays considérera comme une œuvre de compensation, de conciliation entre tous les arrondissements industriels, que lorsque vous ordonnez des travaux nombreux et très coûteux sur divers points du royaume, vous ne ferez rien ou presque rien pour l'un de ces arrondissements, qui, par son éloignement des grands centres de consommation, n'a qu'une vente difficile, lente, et réclame toute la bienveillance paternelle du gouvernement et des chambres législatives, pour obtenir en temps opportun des moyens de transport plus directs, moins coûteux et sûrs, qui lui laissent la faculté de pouvoir aller livrer aux consommateurs étrangers les houilles aux mêmes conditions que ses concurrents.
L'adresse votée le 19 juillet de cette année par le conseil provincial du Hainaut sollicite des mesures d'occurrence pour équilibrer d'une manière équitable, la position respective de tous les bassins houillers.
Trois mémoires des exploitants de Mons, des 30 avril dernier, 24 juin et 17 juillet suivants, dont chacun de vous a reçu des exemplaires, viennent prouver à l'évidence le délaissement, l'oubli dans lesquels le gouvernement abandonne une des contrées les plus productives, les plus progressives du royaume, et l'une de celles qui versent le plus au trésor.
Des débouchés précieux, messieurs, vont être ouverts à tous les bassins houillers, à l'exception de celui de Mons. Vous donnerez à Liége les moyens d'arriver directement en Hollande, dans le Limbourg, dans la Campine, dans Anvers, dans le Luxembourg ; le canal de Liége à Maestricht, avec un tirant d'eau de 4 mètres 10 cent. ; la canalisation de l'Outlhe, l'achèvement du chemin de fer de Walcourt et d'autres travaux encore, sont autant de bienfaits dont la ville de Liége tirera parti.
Charleroy a obtenu en 1849, la réduction du droit de péage sur son canal ; Charleroy aura sous peu de temps les chemins de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, de Louvain à la Sambre, de Charleroy à Erquelines, l'élargissement de son canal, etc., etc. La vallée du Piéton qui, avec Charleroy, a conquis, depuis la réduction du fret sur le canal de ce nom, les marchés de Gand, Anvers et Bruxelles, va être mise en position d'aborder aussi le marché de Paris.
Ce sont autant de compensations, mais qui sont à la vérité loin de balancer les avantages considérables que l'on concède à une autre contrée-productive et concurrente.
Quant au bassin du Centre : par le chemin de fer de Manage, il arrivera sur le marché français et fournira l'arrondissement de Mons, ce qui est une concurrence de plus pour nos exploitants. Mais il est juste de dire pourtant que le charbonnage du Centre est aussi très mal partagé.
Qu'est-ce que Mons peut mettre en regard d'aussi riches avantages ?... Les très minimes résultats de la réduction du droit sur le canal d'Antoing et l'exécution du canal de Bossuyt à Courtray.
Tout ce qui précède, messieurs, prouve d'une manière irréfutable l'impérieuse nécessité pour l'avenir de l'ouverture d'une voie d'eau pour les exploitants de Mons. Cet arrondissement est, sous le triple rapport de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, l'un des plus considérables de la Belgique, et il vaut certes bien la peine que le gouvernement s'en occupe.
il ne demande pas de faveur injuste qui lui donne une position supérieure à tout autre ; mais il réclame, parce qu'il est dans son droit, et veut occuper la place quee son importance lui donne le droit de conserver, pour se trouver sur la même ligne que les autres contrées industrielles, commerçantes et agricoles.
(page 1864) L'arrondissement de Mons a toujours fait abnégation de lui-même, et prouvé sa sympathie pour l'industrie en général, même lorsque ses intérêts les plus chers étaient vivement menacés : naguère encore, Mons ne s'est pas élevé contre la réduction de péage sur le canal de Charleroy, ses représentants la votèrent, parce qu'ils sont avant tout les représentants de la Belgique, et ils virent dans la mesure proposée un acte de justice utile à tous les intérêts, hors Mons. Cette circonstance leur donne lieu d’espérre que leurs honorables collègues agiront aujourd'hui à leur égard comme ils l'ont fait en plus d'une occasion ; alors surtout qu'en vue d'une conciliation désirable et désirée par tous, ils sont disposés à réduire leurs prétentions à quelques concessions bien insignifiantes qu'ils demanderont lors de la discussion des articles.
Je conserve, messieurs, la pensée intime que les douleurs de l'arrondissement qui m'a honoré de son mandat, parvenues jusqu'à vous, dans trois mémoires successifs, trouveront dans cette enceinte des paroles sympathiques, et que le gouvernement, reconnaissant la justesse de ses réclamations, ne fera point obstacle à ce que la chambre, appelée par sa haute et indépendante position, à établir un juste équilibre entre toutes les localités productives, n'accueille favorablement les demandes et propositions qui lui seront adressées dans le cours de la discussion, afin d'obtenir de plus grandes facilités pour transporter à moins de frais les houilles du Couchant vers le bas Escaut. Seule compensation possible en ce moment.
Je terminerai, messieurs, par une dernière considération.
L'arrondissement de Mons tout entier est couvert d'établissements industriels et agricoles qui donnent, pendant toute l'année, du travail à une population ouvrière de plus de 80,000 habitants ; lorsque les propriétaires de ces exploitations regorgeront de produits, sans pouvoir exporter ; lorsque, faute d'un canal de quelques lieues seulement, ils ne pourront arriver sur les grands marchés aux mêmes conditions que leurs concurrents, que feront-ils ?... Ne les exposez pas, messieurs, à renvoyer forcément leurs ouvriers, à fermer leurs établissements ; non, messieurs, vous ne les forcerez point à recourir à ce moyen extrême ; vous leur accorderez les concessions que nous sollicitons, et vous rendrez la confiance, l'espoir et le courage à nos populations.
Je réserve mon vote, et je présenterai des amendements lorsque nous arriverons à la discussion des articles.
M. le président. - L'amendement proposé par M. de Royer consiste à porter à 2 millions, au lieu de 1,500,000 francs, le crédit porté au paragraphe 3 de l'article 7 du projet de la section centrale pour l'amélioration de l'écoulement des eaux de l'Escaut et du chemin de halage.
Cet amendement, comme tous ceux qui seront présentés seront imprimés. On verra plus tard s'ils sont appuyés.
M. Osy. - Le gouvernement nous a dit à plusieurs reprises qu'il présentait le projet de loi pour être à même d'entreprendre de grands travaux sur plusieurs points du pays, si les événements de 1852 tant redouté amenaient des complications telles, que le meilleur moyen serait de pouvoir donner de l'occupation à la classe ouvrière.
Je partage assez cette opinion, et il est certainement nécessaire de combler par un emprunt le découvert du trésor et de pouvoir faire plus tard un second emprunt pour combler les dépenses des travaux publics, que se trouveront échelonnées sur plusieurs exercices.
Mais avant d'examiner le projet de loi, il faut bien se rendre compte des besoins de tous les services, et si on est si occupé des événements de 1852, il faut avant tout s'assurer si le ministère de la guerre n'aura pas de grands besoins et si effectivement il ne faut pas une somme de 18 millions, pour notre matériel, le génie et nos places fortes. La sixième section s'est avant tout fortement préoccupée de cette question importantes et à l'unanimité elle m'avait chargé de demander en section centrale d'engager le gouvernement à vouloir s'expliquer sur les besoins de ce service.
J'ai rempli ma tâche et j'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour engager la section centrale à demander des renseignements au gouvernement ; mais tous mes efforts ont échoué et ma proposition a été écartée par 4 voix contre 3.
Cependant je la reproduis aujourd'hui et j'engage le gouvernement à vouloir s'expliquer ; car si effectivement le ministère de la guerre avait besoin d'une aussi forte somme, il serait peut-être trop tard de la demander la session prochaine, lorsque tous les fonds que nous allons mettre à la disposition du gouvernement seront engagés par des adjudications ou par des engagements avec des compagnies concessionnaires.
En s'occupant des besoins de la guerre, on donnerait également beaucoup de travail sur plusieurs points du pays, et au moins on serait certain de pouvoir affronter les événements avec beaucoup plus de tranquillité.
Je commence par déclarer que je suis, comme en 1845, grand partisan de travaux publics, et je voudrais pouvoir me joindre au gouvernement pour en entreprendre plusieurs ; mais l'excès des entreprises est peut-être aussi dangereux que de ne rien faire, et avec les propositions de la section centrale on vient vous convier de décréter des travaux pour 140 millions, qui devront se faire d'ici à 4 ou 5 ans, si vous trouvez des concessionnaires pour tous les projets mis en avant.
Relisons ce que disait l'honorable M. Rogier en 1845 et 1840 ; lui, grand partisan des travaux publics, il trouvait qu'on voulait aller beaucoup trop vite et soutenait que tout ce qu'on proposait devait être échelonné sur 10 ou 20 ans, parce qu'en faisant trop à la fois, on devait craindre les renchérissements des journées de travail ; qu'une fois les ouvrages achevés, le point d'arrêt après un grand bien-être pouvait devenir funeste et qu'il valait mieux fairr en sorte que les travaux pussent se continuer sans interruption et ne pas avoir des secousses rapides dans les prix des journées.
Je partage cette manière de voir et je regrette qu'on nous propose beaucoup trop de travaux à la fois et qu'on ne se borne pas à achever, entre autres, le chemin de fer de l'Etat et les ouvrages commencés et qui sont improductifs aujourd'hui.
Pourquoi ne pas se borner à achever le canal de la Campine et faire le canal de Hasselt qui est le même travail et qui donneraient un grand avantage au bassin houiller de Liége ? Il faut encore employer le tiers du capital demandé pour faire des ouvrages à Liége, qui sont très contestables et dont je parlerai plus tard. Je voudrais employer quelques fonds à l'amélioration d'autres rivières, mais avant que le gouvernement puisse nous dire de quelle manière il veut faire écouler les eaux de la Lys vers la mer, je ne voudrais pas mettre des fonds à sa disposition ; et vous voyez clairement, par les propositions du gouvernement et le rapport de la section centrale, que les études à ce sujet ne sont pas faites.
Je suis donc partisan des travaux publics, mais je ne veux pas les entreprendre de tous à la fois ; nous sommes tous assez amis du pays, pour vouloir faire un choix judicieux et choisir ce qui est le plus nécessaire ; aussi je ne suis jamais entré dans une coalition, comme celle qui a existé en 1847 pour la dérivation de la Meuse et le chemin de fer direct de Gand vers Bruxelles.
Aujourd'hui la coalition est bien plus monstrueuse, et avec les propositions de la section centrale, on dirait qu'on a cherché à rendre tous les représentants sans exception favorables au projet, car maintenant toutes les localités ont la promesse d'un chemin de fer ou d'un canal, et l'un est obligé de voter pour l'autre, pour ne pas rencontrer d'opposition et pour que dans sa localité on ne puisse pas lui faire des reproches si l'on échouait.
Il y avait une vingtaine de députés qui, en ne considérant que leurs clochers n'avaient aucun intérêt au projet de loi. Aussi, la section centrale, en vous proposant le nouvel articles, a autorisé le gouvernement à garantir 4 p. c. d'intérêt sur une somme de 16,800,000 fr. pour six nouveaux chemins de fer (et le gouvernement s'est rallié à cette proposition) ; vous les rendez ainsi favorables, et on votera tout.
En examinant la carte, il ne reste plus que l'arrondissement de Turn-out qui n'aura rien dans la répartition des écus du trésor, tous les autres sont satisfaits et la coalition est complète. Le gouvernement avait déjà été très adroit par son projet de loi, mais il faut convenir que la majorité de la section centrale a achevé d'une manière bien plus efficace le but qu'on se proposait.
Pour moi, messieurs, comme député d'Anvers, j'avoue que notre lot n'est pas à dédaigner ; nous aurons l'achèvement du canal de la Campine, un petit chemin de fer de cinq quarts de lieue, un petit subside pour une de nos rivières appartenant à la province, et l'espoir de voir achever le chemin de fer du Luxembourg qui devrait relier l'Escaut au haut Rhin.
Ainsi,si je ne me considérais que comme député d'Anvers, je n'aurais pas pris la parole, et je me serais borné à voter les travaux réclamés par nos collègues, persuadé qu'ils auraient voté pour moi, et de cette manière tout le monde aurait été content et satisfait.
Mais, messieurs, je ne suis pas député d'Anvers, mais de toute la Belgique ; je considère l'ensemble de ce qui nous est proposé, je vois encore plus l'avenir que le présent, et c'est ainsi que nous devons envisager les propositions.
Pour moi, il est évident, et je vous le prouverai plus tard, que de tout ce qu'on nous propose, il ne se fera pas d'autres travaux que ceux du gouvernement aux frais du trésor public, et si on vous parle d'autres travaux par concession, le but principal c'est la dérivation de la Meuse qu'on n'a pas osé vous proposer isolément parce qu'elle n'aurait pas obtenu vingt voix dans la chambre, mais on la fera passer parce qu'on croit qu'il y a des compensations pour tout le monde.
Soyez persuadés, messieurs, qu'il y aura bien des mécomptes pour beaucoup d'arrondissements, surtout pour ceux qui dépendent des sociétés concessionnaires. Et c'est sous ce rapport, que je tiens à éclairer la chambre et tous nos collègues.
On votera par entraînement les crédits demandés pour les travaux à exécuter par le gouvernement, persuadés que tous, par réciprocité, voteront pour les travaux à faire par les sociétés, espérant pouvoir ainsi apporter à leurs commettants un chemin de fer ou un canal. Mais les une seront certains d'avoir réussi, tandis que les autres n'ont aucune garantie d'exécution.
Je commencerai par examiner l'article premier du projet de loi, qui accordé un minimum d'intérêt pour trois chemins de fer concédés en 1845 et 1846.
Je suis en général très contraire à accorder des minimums d’intérêt à des entreprises concédées et qui ont échoué ; parce que ce principe dangereux vous amènera forcément à suivre la même marche, lorsque des entrepreneurs aux abois vous menaceront de devoir cesser leurs travaux, et alors les sacrifices du trésor peuvent devenir très considerables et nous entrons dans une voie très dangereuse.
Cependant si j'avais aujourd'hui la quasi-certitude de voir achever les chemins de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse, du Luxembourg et de la Flandre occidentale, avec le nouveau sacrifice qu'on nous demande, je me relâcherais de mes principes, pour voir achever ces trois entreprises ; mais je suis convaincu du contraire. Je ne puis me rallier aux propositions (page 1865) du gouvernement, qui vous forceront dans quelques années de faire un second pas en avant.
En 1845 et 1846, on vous disait, nonobstant les observations de l'honorable M. Verhaegen, que par ces concessions, vous attiriez dans le pays des capitaux étrangers ; que le trésor n'avait aucun sacrifice à faire, et que vous seriez dotés de belles lignes de communication.
Voila cinq ans qu'on nous tenait ce langage, et déjà il s'agit de garantir 4 p. c. sur un capital de près de 60 millions, et coaime je suis persuadé que, nonobstant cette générosité de notre part, rien ne se fera, je prévois que d'ici à quelques années, toutes les localités à qui on fait des promesses aujourd'hui forceront la main au gouvernement pour achever avec les fonds de l'Etat tous ces chemins de fer.
Aujourd'hui vous ne garantissez que l'intérêt pendant 50 ans sans amortissement, mais dans quelques années, il se formera une nouvelle coalition, et vous serez obligé de donner des capitaux.
Pour l'achèvement des trois chemins de fer, il faut 67 millions ; ajoutez-y les 17 millions proposés par la section centrale, et le pays aura à dépenser alors 84 millions, et, pour faire un emprunt pour cette somme, il faudra créer 5 millions de nouveaux impôts. Voilà où nous marchons. Vous voyez les difficultés de créer de nouveaux impôts, qu'imposerez-vous encore pour obtenir cette nouvelle somme de 5 millions ? La matière imposable vous manquera bientôt.
La section centrale, sur ma demande, avait prié le gouvernement de remettre les comptes des diverses sociétés concessionnaires, pour pouvoir juger de leur situation financière.
Le gouvernement nous a remis quelques comptes, mais n'a pu nous fournir celui du Luxembourg, qui est cependant le plus important, parce qu'il disait que cette société n'avait pas rendu ses comptes publiquement.
Le gouvernement, avant toute négociation, aurait dû connaître la situation financière de toutes les compagnies. Comme je suis décidé à ne rien avancer que je ne puisse prouver, j'ai fait venir de Londres les comptes de la société du Luxembourg, arrêtés au 31 décembre 1850 et je le déposerai sur le bureau pendant la discussion, pour que chacun puisse me contrôler.
Cette société s'est formée au capital de 75,000,000 de francs divisé en 150,000 actions de liv. 20 ou 500 fr. Mais je vois aujourd'hui dans le dernier compte rendu, qu'il n'y a plus que 32,000 actions qui ont payé 10 liv. et que 22,000 actions n'ont payé que 8 liv. et comme les actions qui ont payé liv. 8 ne valent à la bourse de Londres que liv. 1, et celles de liv. 10 seulement 2 1/4 liv., il est à craindre que, quand il faudra faire des appels de fonds, on abandonnera aussi ces 22 mille actions, et qu'il ne restera plus que les 32 mille qui ont répondu jusqu'à présent à tous les appels ; mais continueront-elles, lorsqu'il faudra appeler les autres 10 liv. ?
J'en doute beaucoup d'après le cours des actions et le peu d'empressement qu'il y a (nonobstant la grande abondance d'argent), pour des placements en actions de chemin de fer à la bourse de Londres.
Mais je veux bien admettre que les 32,000 actions verseront les 10 liv., ce qui produira 8 millions de francs, ajoutez-y le cautionnement de liv. 100,000, la société aura à sa disposition 10,500,000 fr. et elle doit faire des travaux pour 47 millions de francs.
Vous me direz qu'avec la garantie de 4 p. c. de l'Etat, la société trouvera à emprunter, et à cette occasion, je vous dirai ce qui s'est passé en 1849, pour le chemin de fer de Namur à Liége, avec celui de Mons à Manage, et vous verrez si depuis 1849, la situation financière des chemins de fer s'est améliorée.
Le chemin de fer de Namur avait déjà dépensé au moins 21 millions en 1849 et avait besoins de 12 millions pour remplir tous ses engagements.
A cette époque, les 5 p. c. belges étaient à 84, et la société annonça, par l'entremise des deux banques de Bruxelles, une souscription publique pour ces 12 millions, donnant 5 p. c, remboursable en 1854 et qu'elle émettait à 83 p. c. C'était donc pour les bailleurs de fonds un placement d'argent à 9 p. c. Cependant le public ne souscrivit que pour 300 mille francs et les actionnaires anglais prirent 2 millions.
Depuis, nos 5 p. c. ont dépassé le pair, il faudrait croire qu'aujourd'hui le placement serait devenu plus facile. Et c'est juste le contraire.
Dans le courant du mois de juillet, les actionnaires anglais ont voulu réaliser ce qu'ils avaient pris à leur corps défendant et ils ont réalisé à un taux qui donne aux nouveaux bailleurs de fonds un intérêt non pas de 9 p. c. mais de 11 p. c. Ce fait pourra vous être confirmé par un de nos collègues, qui connaît mieux que moi ce qui se passe à la bourse de Bruxelles.
Croyez-vous maintenant sérieusement que les sociétés trouveront de l'argent avec votre garantie de minimum d'intérêt de 4 p. c., et ne trouvez-vous pas que le gouvernement ne s'est pas entouré des lumières nécessaires pour ne pas vous proposer une lettre morte. Mais je conçois que, n'ayant en vue que la dérivation de la Meuse, il s'est très peu inquiété de la réussite de ses nouvelles propositions. Il devait seulement se préoccuper d'obtenir les votes de tout le pays. Nous voyons depuis quelques jours dans les journaux que ce n'est que le 22 août que les actionnaires de la société du Luxembourg auront à se prononcer sur la convention faite avec le gouvernement. Cette approbation aurait dû précéder la nôtre.
Pour moi qui, comme Anversois, suis fortement intéressé à voir achever le chemin de fer vers le haut Rhin, je ne puis donner mon assentiment aux combinaisons mal étudiées et mal informées, et je ne puis me décider à être complice d'une pareille manière d'agir.
D'après le compte rendu de la société du Luxembourg, elle n’a dépensé que 125,000 liv. en travaux et achats de terrains (3,100,000 fr.), son encaisse, après avoir reçu 500,000 liv. des actionnaires, n'est plus que 580 liv. Ainsi moins de 15,000 fr. Il est vrai qu'il y a le cautionnement et la dépense de plus de 6 millions aux anciens actionnaires de la société de Meuse-et-Moselle.
La société d'Entre-Sambre et Meuse a dépensé 15 millions ; les actionnaires ont répondu exactement à tous les appels de fonds et les 20 l. ont été versées ; les actions ne valent guère plus de 3 liv. Comment voulez-vous que cette société puisse se procurer les dix millions, dont nous ne devons garantir que la moitié ?
Je trouve que le gouvernement, qui veut faire des doubles voies sur le chemin de fer de l'Etat, a commis une faute en dispensant la société du Luxembourg de faire sa route à double voie, et cela pour une route de près de 30 lieues qui doit devenir européenne ; on pouvait la dispenser, comme en 1846, de mettre de doubles rails, dès le début, mais au moins elle devait être tenue à faire ses ouvrages d'art à double voie et acheter du terrain pour pouvoir l'établir.
Je n'ai pas de données assez certaines pour entrer dans des détails sur la société de la Flandre occidentale, mais d'après ce qu'on m'assure, elle ne sera pas plus heureuse que les autres et ne trouvera pas les dix millions. Le temps nous l'apprendra ; mais soyez sûrs qu'il y aura mécompte de ce côté également. Mais en attendant, on obtiendra les votes favorables de ces localités.
Je voterais le canal vers Courtray si je croyais que c'était une affaire aussi sérieuse qu'elle est utile à la navigation par la Lys.
En 1845 et 1846 le gouvernement avant de nous présenter des projets de loi de concessions, avait fait déposer dans les caisses de l'Etat les cautionnements ; ainsi la société d'Entre-Sambre-et-Meuse avait fourni 1,500,000 fr., le Luxembourg 5 millions, la Flandre 1 million et la société de Namur 2 millions. Nous faisions alors du sérieux et après nos votes, nous étions assurés que si les sociétés ne s'exécutaient pas, nous pouvions confisquer les cautionnemenls ; mais aujourd'hui vous n'avez aucune garantie ; et le lendemain des votes, les entrepreneurs pourront vous dire : Nous sommes obligés de nous retirer, n'ayant pas trouvé d'actionnaires ; mais en attendant les représentants des localités intéressées auront voté l'ensemble du projet ce qui seul préoccupe le gouvernement, tandis qu'il aurait dû ne contracter avee les fondateurs qu'après versement préalable du cautionnement et dans la certitude que les fondateurs ont derrière eux des actionnaires sérieux.
J'ai la même observation à faire pour la société de Dendre-et-Waes, vous n'avez aucune certitude qu'on trouvera des actionnaires.
J'ai vu dans le Moniteur qu'à la réunion du 31 pour le chemin de fer de la Dendre l'assemblée n'a pu avoir lieu faute d'actionnaires suffisants et qu'on est obligé de faire un nouvel appel pour le 21 août. Ains nous voterons avant de savoir si la société aura des actionnaires.
Cette affaire me paraît la plus avantageuse pour les bailleurs de fonds, mais très onéreuse pour le gouvernement, et je maintiens tous les calculs que j'ai fait insérer dans le rapport et que vous trouverez à la page 26. Je ne puis croire quand le gouvernement, après déduction des frais généraux, dépense 67 mille francs par lieue exploitée, qu'il pourra exploiter ce chemin de fer à 36 mille francs. Vous êtes donc bien coupables de ne pas appliquer au chemin de fer de l'Etat une exploitation aussi économique.
Je laisse à d'autres honorables collègues à soutenir ou à détruire mes calculs, mais je ne puis me rallier à ceux du gouvernement qui paraissent être faits pour la circonstance.
En 1847 j'ai voté contre la ligne droite de Gand à Bruxelles et toutes les mêmes raisons existent, mais j'aurais voté une concession d'Ath à Lockeren, même avec minimum d'intérêt, mais pourvu qu'il se présentât une société sérieuse et qu'elle eût préalablement déposé son cautionnement.
J'arrive à la dérivation de la Meuse qui, d'après moi, est le véritable enjeu de toute la loi. Je conviens que quoique je ne fasse pas en 1847 de la coalition (ayant voté contre le chemin direct de Gand), j'ai voté le crédit de 400,000 fr. demandé par l'honorable M. Delfosse, mais seulement par le tableau qu'on nous faisait, et par humanité, ce qui n'est plus aujourd'hui qu'accessoire. Mais depuis, nous avons eu le temps de nous éclairer, et après avoir lu les deux rapports de M. Noël de 1847 et 1848, nous n'avons aucune garantie, si les inondations de 1846 revenaient, que la ville de Liége serait garantie. Je laisse à d'autres collègues le soin de vous faire les citations.
Pour ce qui est de l'intérêt houillcr, maintenant que vous avez le chemin de fer de Namur sur les rives droite et gauche de la Meuse, je ne vois aucune nécessité de faire la dérivation pour améliorer la navigation, et comme le chemin de fer vient à Londoz, il n'est pas difficile de le lier avec le canal latéral.
Il me paraît aussi que l'offre d'un million de la ville de Liége n'est que conditionnelle et subordonnée à de grandes dépenses par l'Etat.
J'avais proposé à la section centrale d'exiger, avant de rien entreprendre, une offre de subside sans aucune condition.
Bien des personnes partagent cette opinion à Liége et j'ai été frappé du rapport de feu M. Guillery dont j'ai fait insérer, page 5 du rapport, le passage le plus saillant et qui est la conclusion de ce rapport.
(page 1866) Enfin canaliser la Meuse jusqu'à Chokier, alors que sur les deux rives vous avez construit un chemin de fer, c'est non seulement jeter l'argent des contribuables, mais c'est encore manquer de bonne foi et de loyauté à l'égard de la société concessionnaire ; car lors de la présentation de la loi aux chambres en 1844 (séance de la chambre des représentants du 10 décembre, n° 70 des documents), concernant le canal latéral à la Meuse, que disait le gouvernement ? Lisez le dernier paragraphe de la page 35, vous y verrez qu'indépendamment des travaux du canal, il y aurait à améliorer la traverse de la ville de Liége, partie la plus difficile et la plus périlleuse du cours de la Meuse, depuis l'amont de Liége au pont du Val-Benoît jusqu'à la fonderie de canons. S'il avait été alors le moins du monde question de canaliser la Meuse jusqu'à Chokier, eussiez-vous pensé à faire une ligne de chemin de fer sur chaque rive ? Le gouvernement les aurait-il imposées à la société de Namur ? Certainement l'on doit répondre négativement. Quand un gouvernement s'est ainsi prononcé, peut-il loyalement, aussitôt le chemin de fer exécuté et avant même qu'on ait pu juger du résultat de l'exploitation, venir proposer des travaux de nature à nuire à cette exploitation ? Cela n'est pas digne d'un gouvernement loyal.
Il faudrait donc revenir au plan de M. Kummer, du 1er octobre 1842, rapporté pages 18 et 132 des Annales parlementaires de 1848. Il ne devait coûter qu'environ 3,000,000 au gouvernement. Le gouvernement devrait revoir les études pour préserver la ville des inondations, ce qui est loin d'être assuré par les travaux projetés. Après la dépense de 9,300,000 f. il en restera beaucoup d'autres à faire.
Veuillez voir ce que dit M. Kummer page 24 de son dernier rapport,
« Resteront à exécuter beaucoup d'autres ouvrages qui seront la conséquence de ceux dont il vient d'être question. C'est ainsi que de nouveaux quais pourront être construits de part et d'autre du vaste bassin, que formera, à l'avenir, la traverse de la ville et qui seront commandés par le développement inévitable que prendra le commerce de cette localité ; un chantier de construction maritime deviendra indispensable ; d'autant plus que le tonnage de la marine actuelle deviendra insuffisant, que les dimensions des bateaux devront être augmentés et qu'il faudra, en quelque sorte, créer une nouvelle marine, mise en rapport avec la navigation de création nouvelle. »
Je ne puis donc pas me rallier à la proposition d'un crédit de 8 millions, et vous pourriez mieux employer cette somme en augmentant le crédit pour le chemin de fer de l'Etat, qui a besoin de 18 millions pour être achevé et pour lequel on ne demande qu'un million. J'avais, avec un autre membre de la section centrale, fait la proposition de porter ce crédit à 5 millions. Mais la dérivation l'a emporté.
Je voterai les crédits demandés pour l'Escaut et la Dendre, travaux très urgents ; mais je ne puis consentir à remettre au gouvernement une somme de 3,500,000 fr. pour l'écoulement des eaux de la Lys, sans vouloir nous en dire l'emploi, et j'espère que la chambre acceptera l'amendement de la section centrale, pour réserver à la législature l'emploi de ces fonds, et nous aurons à examiner si nous aurons à approfondir le canal de Gand à Bruges ou s'il faut le canal de Schipdonck à Heyst qui coûtera au moins 6 millions, si ce n'est pas 8.
En laissant la décision au gouvernement, nous sommes peut-être entraîné à une bien plus forte dépense que les 32 millions et demi.
Il est vraiment étonnant que le gouvernement ait pu faire étudier dans huit jours le projet de M. Borguet, et qu'il faille des années pour étudier les plans de MM. les ingénieurs des deux Flandres, afin que le gouvernement puisse se prononcer.
Je vous ai dit que je trouvais tout le projet du gouvernement et de la section centrale admirablement combiné pour réunir tous les suffrages de ceux qui ne voient que leurs localités ; mais pour l'écoulement des eaux de l'Escaut le ministère a été embarrassé et n'a pas trouvé d'autres moyens que de vous proposer une alternative ; il a craint, en se décidant aujourd'hui, de mécontenter les députés de Bruges et de Gand, et il espère leur soumission, en leur laissant à chacun un espoir pour les travaux que ces villes réclament.
Mons est certainement le plus mal partagé dans le grand banquet auquel nous sommes conviés ; mais je demanderai à M. le ministre des travaux publics de nous dire si, depuis le rapport de la section centrale, on n'a pas fait de nouvelles promesses.
On dit qu'on a promis encore 1,500,000 francs pour l'Escaut, mais à porter au budget par tiers.
De manière que l'Escaut obtiendrait trois millions au lieu d'un million primitivement demandé.
On m'assure aussi que le gouvernement consent à réduire le péage du canal de Pommroeul à 60 p. c. au lieu de 50 p. c. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics, si nous aurons à faire ces nouveaux sacrifices.
Tous mes raisonnements pour les chemins de fer concédés depuis 1845 et 1846 s'appliquent aux six nouveaux chemins de fer proposés par la section centrale.
En Belgique, on ne trouvera pas d'actionnaires, et les Anglais sont tellement désillusionnés sur nos entreprises, que vous pouvez être certains qu'il ne se présentera pas de demandes de concessions sérieuses avec cautionnement préalable, et vous pouvez être persuadés que vous ne décrétez ces six chemins de fer, parmi lesquels il peut en avoir d'utiles, que sur papier, et que pas un seul ne se fera d'ici à longtemps ; mais il y aura un droit acquis pour les arrondissements intéressés, et comme je vous le disais, tôt ou tard vous serez obligés de faire ces chemins aux frais du trésor. Moi, je ne veux pas m'engager d'avance.
Nous avons fait une loi qui réserve à la législature l'examen de tout chemin de fer même concédé ayant plus de 10 kilomètres. Chaque concession doit nous être soumise avec la convention et le cahier de charges, je laisse à d'autres collègues le soin d'examiner si nous pouvons ainsi abandonner au gouvernement de contracter sans connaître les conditions de la concession.
Je regrette de devoir donner mon vote désapprobatif au projet de loi, tandis que si on avait fait autant de lois qu'il y a de projets, et comme on l'a fait en 1845 et 1846, nous serions au moins libres de choisir ce qui est le plus utile et le plus urgent ; mais aujourd'hui on veut nous forcer la main, comme on l'a déjà fait pour le droit de succession.
Vous avez déjà entendu l'aveu de l'honorable M. Delehaye, qu'il était contraire à cette loi, mais qu'il l'avait votée par d'autres considérations. On veut de nouveau faire jouer la même comédie au parlement, et par la marche qu'on veut nous faire suivre, on peut hardiment dire que les votes ne sont plus libres au parlement belge, qu'il y a toujours contrainte, Vous êtes habiles, MM. les ministres du 12 août, mais vous nous faites jouer un bien misérable rôle !
Pour moi, je ne me laisse pas contraindre, et je conserve dans toute circonstance mon libre arbitre ; je vote contre l'ensemble de votre projet, et je demande la division de la loi, pour être entièrement libre du choix de l'utilité et de l'urgence des divers projets.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pareille interpellation a déjà été faite au gouvernement qui y a répondu ; il se réfère à cette réponse.
M. Coomans. - Il a répondu qu'il ne répondrait pas.
M. Dumortier. - Je demande la parole sur la motion d'ordre.
L'honorable M. Osy demande au gouvernement une explication sur une question de la dernière importance. Avant de faire les affaires de quelques localités, il importe de faire celles de l'Etat.
L'honorable M. Osy demande quels sont les besoins relativement au matériel de l'armée.
On nous parle beaucoup du spectre rouge de 1852 à l'occasion du projet de loi en discussion ; mais c'est précisément en présence de ce spectre rouge qu'il serait bon d'être armé conformément à l'ancienne devise : « Si vis pacem para bellum ».
Je suis surpris de voir le ministère refuser une explication à l'honorable M. Osy. La chose est d'une telle importance qu'elle mérite une réponse. Il ne faut pas accueillir par un superbe dédain des observations qui n'ont pour objet que la nationalité et les grands intérêts qui s'y rattachent.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La question adressée au ministère par l'honorable M. Osy a fait l'objet d'interpellations en sections. J'ai eu l'honneur d'y répondre dans ma section ; j'ai eu l'honneur d'y répondre en section centrale. Nous nous sommes donc déjà expliqués à cet égard, et nous n'hésitons pas le moins du monde à répondre.
Les besoins de notre matériel militaire ne sont encore que sommairement constatés, ils ne sont pas encore définitivement connus. Une commission spéciale a été chargée d'examiner toutes les questions qui. e rattachent à la défense militaire du pays, notamment celles concernent les forteresses, tant les forteresses à démolir que celles à approvisionner pour le cas éventuel de guerre.
Les travaux préparatoires de cette commission seront soumis, comme les travaux des autres commis.ons spéciales, à un comité général qui sera incessamment institué au département de la guerre. Ce n'est que lorsque les travaux de ce comité général seront terminés, lorsqu'ils auront fait l'objet de l'examen du gouvernement, ce n'est qu'alors que celui-ci pourre faire connaître à la chambre les besoins auxquels il pourrait être nécessaire de pourvoir ; maintenant il est impossible au gouvernement de s'expliquer.
Mais que les honorables membres se rassurent et que la chambre e -soit bien convaincue, le gouvernement ne manquera pas à ses devoirs, pas plus sous ce rapport que sous tous les autres. Si des besoins réels sont reconnus, si des dépenses nouvelles doivent être faites pour améliorer le matériel de la guerre, des propositions seront faites aux chambres.
Nous ne croyons pas que par la loi actuelle nous allons pourvoir pour de longues années à tous les besoins du pays. Il est presque certain que nous aurons encore des dépenses à faire. C'est aussi pour cela, messieurs, que nous avons voulu, avant tout, fortifier et améliorer la situation financière, c'est en vue des besoins présents et en vue des besoins de l'avenir.
Si les travaux militaires présentaient une grande urgence, s'ils étaient reconnus immédiatement indispensables, ils auraient la priorité sur les travaux que nous appellerons travaux civils, pour les distinguer des autres.
Nous reconnaissons qu'avant tout il faut pourvoir à la défense du pays, mais grâce au vote de la chambre, le gouvernement est plus en mesure qu'il y a six mois de faire aux besoins militaires que les circonstances pourraient créer.
Jusqu'à ce que les conclusions de la commission centrale qui va être nommée soient connues et formulées et que le gouvernement en ait délibéré, la chambre reconnaîtra l'impossibilité où nous sommes de faire d'autre déclaration que celle que je viens de faire.
(page 1867) M. le président. - L’ordre des inscriptions appelle M. Van Clemputte, qui n’est pas présent et M. Deliége, absent par congé. Ils sont à la fin de la liste.
La parole est a M. Le Hon.
M. Le Hon. - Comme membre de la section centrale, je m'étais fait inscrire dans la discussion générale le dix-septième ; c'est, par conséquent, dans un rang d'inscription qui me permettait de répondre à un plus grand nombre d'adversaires du projet de loi, et de leur opposer les principes de l'opinion que j'ai déjà exprimée dans la section centrale.
Cette opinion se trouvant résumée dans plusieurs parties du rapport, et se produisant tout entière à l'égard de la question la plus controversée de la loi, je demanderai à attendre qu'un plus grand nombre d'orateurs ait combattu le projet de loi, pour ne pas abuser des moments de la chambre par une discussion trop généralisée.
M. Destriveaux. - Il m'est difficile de parler pour la loi, sans avoir examiné à fond les observations que vient de faire l'honorable M. Osy. Quoi qu'il en soit, je puis dès à présent déclarer que je suis, en thèse générale, partisan des travaux compris dans le projet de loi.
Mais il est une chose que l'on a alléguée, et qu'on n'a pas prouvée sans doute, c'est pour renforcer la nationalité qu'on sème des ressentiments, qu'on dirige des accusations, qui heureusement viennent tomber aux pieds de la moralité des différentes parties de la population.
J'ai entendu parler de coalitions pour la spoliation du trésor public. Qui donc est autorisé à faire de pareils reproches ? Qu'on cite des spoliations ! Que voulons-nous ? Qu'on fasse des travaux, utiles, nombreux, destinés à relier toutes les populations entre elles, à donner au commerce et à l'industrie, sinon une nouvelle vie, tout'au moins l'agrandissement de celle qu'elles avaient. Nous demandons qu'on donne au pays ce qui est nécessaire au progrès de la civilisation, au progrès du patriotisme, s'il en était besoin.
Ce n'est pas en soulevant les populations les unes contre les autres, en divisant les intérêts et le sentiment de ces mêmes intérêts qu'on forme un pays Nous avons beaucoup entendu parler de moralité, depuis quelque temps ? Aujourd'hui, que fait-on ? On cherche à alarmer la moralité des populations, à mettre en garde les populations les unes contre les autres, à soulever dans la fange des hypothèses de faits honteux qui déshonoreraient ceux qui les auraient imaginés.
Comment ! Lorsque c'est un caractère du siècle où nous vivons que la tendance des différents pays à nouer des rapports plus intimes, lorsqu'on reconnaît que c'est le plus puissant moyen de civilisation générale, nous nous soulevons les uns contre les autres, nous méconnaissons les besoins des différentes provinces, la nécessité d'y satisfaire ! Est-ce ainsi qu'on aidera le gouvernement à donner aux intérêts publics une influence à la fois salutaire et morale ?
J'ai été, je l'avoue, surpris d'entendre sortir de la bouche d'orateurs sages, calculant ordinairement parfaitement bien les intérêts, une pareille accusation.
Une coalition, contre le trésor public ! Mais qui donc compose le trésor public ? Ce sont tous les citoyens, ce sont les industriels, ce sont les propriétaires.
Une coalition contre le trésor public serait donc un suicide pour la plupart des populations ? Ainsi il y aurait coalition contre le trésor public, parce qu'on chercherait à vivifier les moyens de communication, il y aurait coalition contre le trésor public parce qu'on donnerait, pendant des années entières, du travail à ceux que l'on veut régénérer, à ceux dont on nous parle tous les jours, à ceux sur lesquels on attire avec raison un intérêt sans cesse renaissant !
C'est donc une coalition contre le trésor public que d'amener une grande partie des populations à une existence certaine, de récompenser le travail, de le récompenser par l'actualité, de l'encourager par l'espérance ?
Messieurs, ce ne serait pas une conspiration, ce serait au contraire un effort commun en faveur de la fortune générale.
Le trésor public, de quoi se compose-t-il ? Il se compose des ressources générales du pays ; il n'est pas borné à ce composé de quelques écus qui s'y trouvent ; mais le trésor public doit être sans cesse, alimenté. Et par quoi ? Par la prospérité de l'industrie, par la prospérité de l'agriculture, par l'emploi de tous les moyens que la nature a placés sous la main de l'homme, et certes, notre pays n'est pas un de ceux que la nature a le moins bien traités.
Le pays ne demande qu'à être exploité, et dans le pays il y a des bras qui ne demandent qu'à être employés.
Une conspiration contre le trésor public ! Ce serait une conspiration plus louable, ce serait un acte bien puissant de patriotisme que poserait un parti qui, en attirant une partie du trésor public, la ferait retomber sur la population tout entière., De cette manière qu'est-ce que l'on ferait ? On léguerait à ceux qui viendraient après nous le fruit de tous nos efforts ; on leur léguerait le fruit de la sagesse avec laquelle on aurait préparé leurs intérêts ; car, que l'on y prenne garde, messieurs, les fonds que l'on emploie à de grandes, à de salutaires constructions, ces fonds sont permanents ; c'est une fortune que l'on lègue, c'est l'avenir que l'on enrichit.
Il est un point, messieurs, dont je ne m'occuperai pas en ce moment. Je suis inscrit pour parler sur les articles. Il en est un qui attirera mon attention et pour lequel j'espère trouver quelque utile parole.
Je suis citoyen belge, je ne suis pas député dans l'intérêt d'une localité. Je connais les devoirs que ma position m'impose ; mais tout en maintenant mes devoirs dans leur cercle, en les accomplissant, je défendrai la localité qui m’a donné mon mandat ; je la défendrai contre de honteuses insinuations ; je la défendrai contre l’injure.
M. Vermeire. - Messieurs, le projet de loi que nous discutons est, incontestablement, dans l'ordre matériel, le plus important qui ait été soumis à la législature, depuis l'époque de notre regénération politique.
Les nombreux travaux qu'il propose d'exécuter, de garantir et de concéder, touchent de près à nos finances et apportent des changements notables dans notre économie par le nouveau droit qu'il consacre : le droit à la garantie d'un minimum d'intérêt. Avant d'entrer dans l'examen superficiel du projet de loi, car on ne peut en embrasser le détail d'un seul trait, je me hâte de dire que je suis partisan des travaux publics, dont l'utilité est constatée et dont les dépenses ne peuvent point engager, outre mesure, le crédit public et privé, ni diriger vers l'immobilisation les capitaux destinés au commerce et à l'industrie. S'il en était autrement, on ne ferait point accroître la richesse, mais on jetterait la perturbation dans les transactions dont la langueur et l'épuisement deviendraient dès lors les inévitables conséquences.
Dans ma manière de voir, l'on ne peut appliquer aux travaux publics que les capitaux qui sont le fruit de l'épargne.
La question des transports, messieurs, devient de plus en plus importante.
De jour en jour on apprécie davantage les bénéfices qui résultent de l'économie du temps et de l'argent ; de la prompte et rapide transmission des personnes et des choses. Les produits s'accroissant constamment, les besoins se multiplient dans la même proportion. Aujourd'hui les chemins de fer ne sont plus un moyen de distraction, ils sont devenus un puissant instrument de travail, dont tout le monde veut se servir, et l'obstination avec laquelle on en poursuit l'obtention dégénère partout en question politique.
En effet, messieurs, l'engouement qui se présente en ce moment pour toute espèce de travaux, dans tous les coins du pays, n'en est-il pas la démonstralion la plus évidente ?
Deux motifs principaux ont été mis en avant en faveur de la prompte exécution de ces travaux. Le premier, l'éventualité d'une crise politique en 1852, et la prudence qui exige qu'on se prépare, afin de procurer dans ces temps calamiteux, de l'ouvrage à la classe ouvrière. Le deuxième, la répartition équitable de ces travaux entre les diverses parties du pays, satisfaisant ainsi les divers intérêts engagés dans la question.
Messieurs, si je n'avais d'autres motifs pour exprimer mes sentiments de faveur envers les travaux publics, si ce n'était leur utilité même qui me guide dans mes appréciations, je craindrais beaucoup de ne les voir jamais arriver.
En effet, la crise politique, si tant est qu'elle dût surgir, serait un obstacle à l'achèvement des travaux publics, parce qu'elle serait suivie immédiatement d'une crise financière qui arrêterait tous les travaux, l'argent manquant pour en acquitter la valeur. L'exemple de 1848 le prouve à la dernière évidence.
Le 23 février, vous présentez un projet de loi pour l'exécution des travaux publics ; le lendemain, la révolution éclate ; tout est arrêté ; et ce n'est que trois ans après que vous reprenez l'œuvre abandonnée.
L'honorable rapporteur de la section centrale dit avec raison, dans son rapport, que les graves événements de 1848 sont venus inopinément mettre obstacle à l'entreprise des travaux publics. Du reste, il est suffisamment prouvé que les crises politiques, autrement dit les révolutions, ne développent point le travail, mais le restreignent s'ils ne l'arrêtent complètement.
C'est à tort que l'on croit que le projet de loi satisfait à tous les besoins. Pour détruire cette assertion, j'appelle encore à mon aide l'honorable rapporteur de la section centrale qui dit qu'il s'est manifesté, au sujet de certains travaux, des divergences d'opinions, et que même, dans une ou deux sections, de véritables combats ont été livrés et des sièges ont été soutenus.
Ce touchant accord, que l'on prévoyait jadis, n'existe donc pas, et si la divergence d'opinions s'est produite dans le sein des sections, elle n'est qu'un faible reflet de la même divergence qui existe dans le pays au sujet des mêmes travaux publics.
Les protestations et les réclamations innombrables qui sont adressées journellement à la chambre, par les conseils provinciaux et communaux, par les industriels et les négociants, par les comités charbonniers, par d'autres enfin, en fournissent une preuve irréfragable. Est-ce à dire que les travaux ne sont pas utiles, ne sont pas nécessaires ? Nullement, messieurs ; mais ces réclamations ont pour but d'indiquer que d'autres travaux sont également nécessaires et demandés avec la plus vive insistance.
Cette dernière catégorie de travaux mérite, certes, toute la sollicitude de la législature. Mais d'accord en ceci avec le gouvernement qu'une mauvaise position financière fait encourir les plus graves dangers aux destinées du pays, je ne pourrais donner mon assentiment à des travaux qui constitueraient des dépenses pour lesquelles les voies et moyens n'auraient pas été créés ; car les 2,100,000 fr.de ressources nouvelles constitueront probablement déjà le trésor en quelque déficit.
En effet, l'emprunt, d'après moi, sur un capital de 20,000,000 de fr. à 5 p. c, emporte 1,300,000 fr.
La garantie sur 42,500,000 fr. à 4 p. c, mais que je réduis à 3 p. c, s'élève à 1,275,000 fr.
(page 1868) De manière que, dans cette supposition, le déficit serait déjà de près de 500,000 fr. Je sais bien que le gouvernement ne compte que sur une intervention de 2 p. c ; mais ce calcul n'a pas plus de base que le mien, moins peut-être ; toutefois, nous ne discuterons pas cette différente, et en admettant que les dépenses soient couvertes, puur les travaux présentés, il faudrait d'autres ressources pour ceux que la section centrale a proposés et, à cet égard, je désire connaître l'opinion du gouvernement ; car, je le répète, je regarde une position financière, marchant de déficit en déficit, comme la pire de toutes les positions et, pour ma part, je ne pourrais donner mon assentiment à des mesures tendantes à la faire renaître.
Messieurs, dans les travaux publics que nous discutons actuellement, il y a trois modes différents d'exécution.
D'abord les travaux à exécuter par voie de concession, sous la garantie, par l'Etat, d'un minimum d'intérêt.
2° Ceux à exécuter par la même voie, sans garantie d'intérêt par l'Etat.
3° Ceux à exécuter directement par l'Etat avec le concours des provinces, des communes et des particuliers.
Les économistes, messieurs, reconnaissent que le meilleur système d'exécution des travaux publics consiste dans la concession pure et simple à l'industrie privée. Ils n'admettent l'intervention de l'Etat au moyen de subsides, secours ou garanties, que dans certains cas spéciaux, et alors qu'il s'agit d'un grand intérêt gouvernemental, mais d'une richesse commerciale insuffisante pour assurer leur exécution immédiate. Tel est, par exemple, le chemin de fer du Luxembourg.
La concession directe, messieurs, à l'industrie privée a donné lieu, en Angleterre surtout, à de graves abus ; les compagnies usèrent souvent de leur position monopolisante des transports, pour rançonner le commerce, l'industrie et le public voyageur.
La concession d'un chemin de fer est la délégation faite par le gouvernement à un être collectif d'une portion de l'autorité publique ; c'est la substitution de plusieurs individus à l'Etat, pour des droits immenses et des devoirs étendus à l'égard du public. Aussi la chambre des communes, en Angleterre, a soumis l'examen des concessions à une commission spéciale, et celle-ci a proposé de soumettre les demandes de concession à des formalités nombreuses et rigoureuses.
Comme garantie d'exécution des travaux, on insère le contrat de société dans la loi de concession. Ceux qui l'ont formée s'obligent par un acte extra-parlementaire pour eux et leurs héritiers à payer l'action intégralement. Celle-ci est nominative ; le cas de transfert est prévu, mais l'acheteur substitué est obligé à son tour pour lui et ses héritiers. Quand le propriétaire ne paye pas, on le poursuit par les voies judiciaires. L'action en retard de versement peut être vendue par la compagnie. En cas de refus de versement, le transfert est refusé.
Si le dividende atteint un certain chiffre déterminé, le gouvernement préserve le droit de rachat d'après la moyenne de différentes années d'exploitation ; ou celui de réduire le tarif des transports, mais en ce dernier cas, il garantit le dernier dividende.
La compagnie a beaucoup d'autres obligations à remplir. Elle doit transporter les troupes à prix réduits et les malles-postes à des prix déterminés.
Il en est de même dans d'autres pays, et l'expérience enseigne l'impérieuse nécessité, l'obligation formelle qu'il y a pour les gouvernements de sauvegarder, dans les concessions des travaux publics, les intérêts du public, tant sous le rapport de la célérité et de la commodité dans le voyage, que sous celui de la modération des prix.
En Prusse, l'actionnaire fondateur est toujours responsable de 40 p.c. Passé ce taux, un acheteur peut se substituer, mais il doit être agréé par la compagnie. Le conseil d'administration peut maintenir la responsabilité des premiers souscripteurs et n'admettre que des personnes solvables.
Généralement on impose pour conditions que les actions seront nominatives et non au porteur, parce que leur inaliénabilité donne une garantie de plus pour l'exécution des travaux.
On le voit donc, dans les concessionnaires de chemins de fer, partout, on prend les plus grandes précautions pour assurer l'exécution des travaux.
Si ces précautions sont jugées être si nécessaires, alors qu'il s'agit de simples concessions, à plus forte raison le deviennent-elles quand l'Etat garantit un minimum d'intérêt.
La question de la garantie d'un minimum d'intérêt a été controversée dans plusieurs pays.
Les uns y ont vu un grand danger pour les finances publiques ; les autres, au contraire, n'y ont aperçu qu'un appui moral, un stimulant pour attirer les capitaux privés dans les entreprises des travaux publics. Mais, tous sont d'accord de n'appliquer cette garantie qu'à des travaux dont les bonnes chances de produit sont constatés par des enquêtes préliminaires et par tous autres moyens possibles ; de ne l'appliquer que pour un temps moindre que celui de la durée de la concession, et de ne la rendre exigible que lorsque les travaux sont terminés et mis en exploitation ; enfin de défendre la cote à la bourse des actions garanties avant le complet achèvement des travaux et leur mise en exploitation.
La garantie d'un minimum d'intérêt a donc été successivement accordée dans divers pays, et entre autres en Prusse, en Saxe, en Bavière, en Hanovre, dans les Etats de la Confédération Germanique, en Autriche en Russie et dans l'Italie ; mais partout cette garantie est entourée de mesures de précautions telles qu'elle est pour ainsi dire rendue illusoire. En Prusse le gouvernement se réserve :
1° Tous les moyens de surveillance nécessaires pour constater que la compagnie exploite avec toute l'économie possible.
2° La faculté exploitation au cas que la garantie est due pour plus de 3 ans consécutifs.
3° La nomination des employés, s'il doit intervenir pour la moitié de la garantie.
4° Tous les moyens de contrôle sur les dépenses et les recettes, ainsi que sur la formation du bilan.
En Belgique, messieurs, la question a aussi été étudiée. Mon honorable ami, M. Dechamps, dont l'absence forcée parmi nous a été souvent regrettée, et que je félicite de voir enfin rendu à la santé et à ses travaux habituels, a fait faire un grand pas à cette question dans le remarquable rapport qu'il a présenté à cette chambre, au nom de la section centrale chargée de l'examen d'une proposition de loi due à l'initiative parlementaire des honorables MM. Zoude, Pirson et Seron, dans la séance du 13 juin 1842 ; et dans l'exposé des motifs du projet de loi de crédits et de concessions pour l'exécution de divers travaux publics, présenté par lui, comme ministre des travaux publics, dans la séance du 10 décembre 1844.
Dans ce beau et lucide travail dont l'exposé des motifs n'est pour ainsi dire que la reproduction, la garantie du minimum d'intérêt était entourée de toutes les précautions que je viens d'indiquer et ne pouvait s'obtenir qu'à condition :
« Que la garantie d'un minimum cautionnât, non pas une entreprise, mais un intérêt déterminé sur un capital déterminé.
« Que le capital fût constitué et non à émettre.
« Que l'entreprise fût reconnue officiellement d'une utilité publique générale.
« Que les produits probables fussent établis sur des données, des faits existants, et estimés supérieurs au taux garanti d'après la statistique des dernières années.
« Qu'il y eût un cautionnement préalable pour l'apport du capital constitué.
« Que la garantie ne commencerait qu'après l'exécution complète des travaux et la mise en produit de l'entreprise, celle-ci présentant alors une hypothèque suffisante et assurée.
« Que la garantie cesserait du jour où les bénéfices et le fonds d'amortissement, égaleraient le capital garanti.
« Que les produits au-dessus de l'intérêt appartiendraient à l'Etat, jusqu'au remboursement de ses avances.
« Que les bénéfices de l'entreprise répondraient du remboursement pendant toute la durée de la concession, le terme de la garantie fût-il écoulé.
« Qu'afin de prévenir l'agiotage, les actions ne pourraient être émises qu'après versement du tiers du capital, et n'être cotées à la bourse qu'après l'achèvement des travaux.
« Qu'il n'y avait garantie, que lorsqu'il y avait valeur complète, capital réalisé, produit connu.
« Qu'il y aurait eu contrôle minutieux, journalier des actes de la compagnie de la part du gouvernement.
« Et, enfin, que la législature appliquerait, par une loi, chaque cas spécial de garantie. »
Toutes ces conditions de précaution ont-elles été observées dans les garanties de minimum d'intérêt accordées dans les concessions dont nous nous occupons ?
Evidemment non, et pour n'en citer que quelques-unes, je dirai que, d'après ces conventions :
« La garantie ne cesse point dès que les capitaux seraient remboursés par le bénéfice et le fonds d'amortissement accumulés.
« Que les produits au-dessus de l'intérêt n'appartiennent pas à l'Etat, mais seulement à partir d'un bénéfice de 7 p. c.
« Que la garantie est due dès que des sections sont mises en exp'oita-lion, sur le coût de ces sections, et non après l'entier achèvement des travaux concédés.
« Que le remboursement des avances payées par l'Etat à titre de garant, ne lie point les sociétés durant tout le temps de la concession ;
« Que les actions peuvent être cotées à la bourse dès que 30 p. c. de la valeur auront été versés, et non après la mise en exploitation de l'entreprise.
« Qu'une loi spéciale ne ratifie pas chaque cas de garantie, mais que les travaux les plus divergents sont compris dans un seul article de loi. »
Et ici, messieurs, il est utile de faire observer que la garantie du minimum d'intérêt n'a pas été discutée à la chambre, non parce que les conditions imposées à la garantie étaient trop rigoureuses, mais parce que l'on craignait qu'elles ne fussent de nature à engager encore trop fortement les finances de l'Etat.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a pas discuté le minimum d'intérêt parce que la compagnie y avait renoncé.
M. Vermeire. - D'après les renseignements que j'ai pris et que je crois exacts, parce qu'ils m'ont été confirmés par un ancien ministre des travaux publics, la compagnie n'y aurait renoncé que parce qu'on lui aurait manifesté la crainte que cette garantie n'aurait pas été acceptée par la chambre.
(page 1869) De ce qui précède il résulte donc à la dernière évidence que, si les conditions autrement sévères imposées à la garantie du minimum d’intérêt pouvaient engager trop fortement les finances de l'Etat, celles auxquelles le gouvernement vient de souscrire pourront, à plus forte raison, les compromettre outre mesure.
Je lis dans certaine convention, soumise à nos délibérations (art. 4 Dendre-et-Waes) qu'un cahier de charges, réglant les clauses et conditions d'exécution, ainsi que les obligations diverses afférentes à l'entreprise, devra intervenir entre la compagnie concessionnaire et le gouvernement, et que l'acceptation de ce cahier de charges par les parties contractantes doit être préalable à l'octroi de la concession.
Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si la non-acceptation de ce cahier par l'une ou l'autre partie contractante emporte la condition résolutoire de la concession. Dans quel délai le cahier des charges doit-il être rédigé et accepté ?
Si la concession était annulée par la non-acceptation du cahier des charges, celle-ci serait subordonnée au futile prétexte que, de part ou d'autre, on pourrait faire naître pour ne pas donner son assentiment à l'acte qui doit intervenir postérieurement à l'octroi de la concession. Il me semble que s'il y avait contestation à ce sujet, elle devrait être réglée arbitralement.
Toutes ces raisons me paraissent faire douter de l'exécution des travaux mis en concession.
Je désire ardemment me tromper dans mes appréciations, aussi j'attendrai les explications du gouvernement qui détruisent mes appréhensions ; et quelque partisan que je suis des travaux publics, je ne pourrais cependant y donner un vote approbatif s'il ne m'est point démontré qu'en approuvant je donne mon adhésion à une chose sérieuse qui sera suivie d'effet.
Messieurs, je n'ai pas besoin de m'arrêter longtemps à la deuxième partie. Les travaux concédés sans garantie de minimum d'intérêt.
Une seule concession et octroyée d'après ce mode. Comme elle forme un article spécial dans le projet de loi en discussion, j'en ajournerai l'examen. Toutefois je crois devoir prévenir M. le ministre des travaux publics, qu'à l'égard de cette concession, j'aurai, de concert avec mes honorables amis et collègues de la députation de Termonde, quelques interpellations à lui faire.
Je passe donc à la troisième partie, travaux à exécuter directement par l'Etat.
A l'égard des travaux désignés sous les litteras A, B et C soit :
1° le prolongement jusqu'à Anvers du canal de jonction de la Meuse à l'Escaut pour lequel on demande 4,500,000 fr. ;
2° Les travaux à faire dans la Meuse évalués à. 8,000,000 pour la partie incombant au trésor.
3° Mise en communication de la ville de Hasselt et du Demer avec la ligne de jonction de la Meuse à l'Escaut pour laquelle on sollicite. 2,650,000 fr.,
je demanderai si le gouvernement possède des données certaines, garantissant que les sommes auxquelles on évalue ces trois travaux ne seront point dépassées dans l'exécution ? En d'autres termes si le gouvernement pourrait obtenir des marchés à forfait, présentant toutes les garanties d'exécution, pour la construction de ces travaux. Le littera D concerne les travaux destinés à compléter les moyens d'écoulement des eaux d'inondation de la Lys, soit en prolongeant le canal de Deynze à Schipdonck jusqu'à la mer du Nord, soit en modifiant le régime du canal de Gand à Bruges. La somme pétitionnée est de 3,500,000 fr.
Il ne m'appartient pas, messieurs, d'examiner jusqu'à quel pointl 'un des modes par lequel on propose l'écoulement des eaux de la Lys est préférable à l'autre ; seulement je ferai observer que la destination de la somme n'étant point définitivement arrêtée, l'on ne peut en indiquer l'emploi ni en évaluer l'importance.
Il me semble donc qu'il serait utile de surseoir à la demande de ce crédit jusqu'à ce que la destination en soit précisée et que l'on puisse juger du coût et de l'utilité des travaux.
M. le ministre des travaux publics justifie la demande du crédit de fr, 3,500,000 par la considération que les Flandres ne pouvaient être oubliées dans le projet du gouvernement. Cet argument me semble pécher par la base. Le gouvernement n'ouvre pas ici une immense succession où chaque province, appelée comme héritière, doit avoir sa juste part. Non, messieurs, de pareils soutènements ne sont point admissibles.
Le gouvernement doit administrer les vastes domaines de l'Etat en bon et prévoyant père de famille ; il doit améliorer ses propriétés qui en sont susceptibles, et faire d'abord les travaux les plus urgents et dont l'indispensable nécessité lui est démontrée, sans avoir égard au lieu où elles sont situées ; mais il ne doit pas emprunter pour faire des travaux qui peuvent être utiles, sans doute, mais sur l'exécution desquels il n'est point encore arrêté.
Le vague dans lequel le gouvernement est resté à cet égard a causé un fâcheux antagonisme entre deux provinces de même origine et de mêmes mœurs et parlant la même langue ; de deux provinces qui, en importance agricole, commerciale et industrielle, occupent le premier rang, et dont la population égale le tiers de la population de toute la Belgique.
La demande de ce crédit n'eût-elle fait que provoquer cette fâcheuse division, aurait donné lieu de la part du gouvernaient à un acte impolitique, parce que toute mesure tendant à diviser, et surtout sur des questions matérielles, ceux qui ont tout intérêt à rester uni doit nécessairement avoir de mauvaises suites et amener des conséquences fort regrettables.
Comme je ne puis mettre à la disposition du gouvernement des sommes dont je ne connais point la destination, je dois, en conscience, me réserver mon vote sur cette partie des crédits demandés.
Messieurs, quand on embrasse l'ensemble des travaux que le gouvernement se propose d'exécuter, quand on apprécie leur diversité, et que l'on examine les questions sous un point de vue assez élevé pour écarter tout intérêt personnel, l'on doit regretter que chaque diversité de travaux n'ait point fait l'objet d'un projet de loi spécial.
Je n'examinerai pas l'utilité de cette mesure, elle est palpable à première vue ; d'autres, sans doute, la feront ressortir dans leurs discours ; mais, je le dis d'avance, si la proposition en est faite, mon vote sera acquis à la division en autant de projets de loi qu'il y a de travaux divers à exécuter.
Au point de vue de la régularité, je regrette que, dans les travaux que l'on nous présente, il s'en trouve qui auraient, comme dépense extraordinaire, mieux trouvé leur place dans les budgets dont ils relèvent.
Avant de terminer, messieurs, je crois devoir appeler un moment l'attention de la chambre sur les richesses minières que possède la Belgique, sur les capitaux immenses engagés dans les travaux de cette espèce, sur la position précaire dans laquelle se trouvent plusieurs de ces exploitations, et sur la nécessité, l'impérieuse nécessité qu'il y a de créer de nouveaux débouchés à nos productions houillères et métallurgiques.
Si les chemins de fer rendent de grands services, l'on doit cependant convenir que les voies navigables, en ce qui concerne le transport des produits pondéreux tels que fers, minerais, houilles, etc. sont encore préférées, parce qu'elles amènent plus économiquement les produits sur les lieux de destination. Eh, messieurs, qu'on n'en doute point, les canaux ont toujours été de beaux produits pour le trésor, et, contrairement aux chemins de fer, l'excédant de leurs recettes sur les intérêts du capital, suffit pour amortir, en un temps assez court, les capitaux de première construction. Nous devons, en fait de travaux publics, avoir égard à leur utilité et à la possibilité de leur exécution sans engager les intérêts du trésor, ni amener des déficits dans nos finances. Or, messieurs, je crois qu'une étude sérieuse de l'élargissement des canaux de Charleroy sur Bruxelles et de la construction du canal de Jemmapes sur Alost, pour amener les produits du Hainaut très économiquement à pied d'œuvre dans nos fabriques, ainsi qu'au milieu de nos beaux fleuves d'où, ils seraient réembarqués pour l'étranger, pourrait résoudre les deux termes de cette proposition.
J'engage le gouvernement à faire étudier ces travaux, afin qu'il puisse, dans une prochaine session, nous communiquer le fruit de ses études et nous faire les propositions qu'il croit pouvoir déjà nous soumettre.
Un mot encore, messieurs, sur la question de l'emprunt à contracter par le gouvernement et qui doit servir à couvrir la dépense résultant de l'article 5 du projet de loi.
Je remarque que le taux de l'émission de cet emprunt n'est point fixé par la loi, ni par la section centrale. Dernièrement, lorsque nous avons mis à la disposition du gouvernement des fonds se trouvant dans les caisses de l'Etat, nous en avons fixé le taux de la négociation, comme ne pouvant être inférieur au pair pour le 5 p. c. Je proposerai à cet article un amendement dans le même sens, c'est-à-dire que, pour 5 fr. de rente le gouvernement poit recevoir au moins 100 fr. de capital.
M. le président. - Voici l'amendement que propose M. Vermeire :
« Amendement à l'article 8 du projet de loi (article 10 de la section centrale) :
« § 2. L'emprunt devra être conclu à la condition que le gouvernement reçoive, pour cinq francs de rente annuelle qu'il accorde, au moins cent francs de capital. »
Il serait désirable que les membres qui ont des amendements à proposer, voulussent bien les faire passer au bureau, pour qu'ils puissent être imprimés et distribués. C'est ce que viennent de faire MM. Thibaut, de Liedekerke et Moncheur qui proposent un amendement relatif au chemin de fer du Luxembourg ; cet amendement est ainsi conçu :
« Le chemin de fer du Luxembourg aura trois embranchements obligés ; le premier sur Dinant, le deuxième, vers l'Ourthe, et le troisième sur Bastogne.
M. de Liedekerke. - Messieurs, l'honorable M. Vermeire disait tout à l'heure que le projet de la qui vous est soumis était l'un des plus importants dont eût été saisie la législature depuis l830. J'espère qu'en raison même de cette importance, quoique me trouvant probablement dans la minorité, la majorité de la chambre voudra bien m'accorder quelque bienveillance, qu'elle ne refusera pas un accueil indulgent à ceux qui défendent des opinions en contradiction peut-être avec celles de la grande majorité de cette assemblée.
Je ne me dissimule pas, messieurs, que c'est une tâche ingrate et difficile que celle qu'entreprennent les honorables membres qui, comme moi, viennent combattre le projet du gouvernement. Il est malheureusement facile, trop facile d'égarer l'opinion publique, et de la (page 1870) rendre insensible aux conséquences fâcheuses, que tôt ou tard amènera le système déplorable du gouvernement.
On a fait appel, messieurs, à toutes les passions, à l’égoïsme de tous les intérêts, afin de restreindre et de borner la vue des membres de cette assemblée, de la restreindre aux intérêts ou plutôt aux fantaisies locales et d'éteindre en nous le sentiment vrai des besoins publics et de l’intérêt général. Mais j'espère que malgré une trame aussi artistement conçue, la chambre, se souvenant de la haute mission qui lui est confiée, se souvenant qu'elle en doit compte et au présent et à l'avenir, saura briser les chaînes dont on veut pour ainsi dire la garrotter, repousser la servitude où on veut la plonger par des calculs prémédités, et que, se rappelant le théâtre élevé sur lequel elle se meut, le grand pouvoir dont elle est investie, elle résistera aux séductions dont on veut la circonvenir et qu'elle persistera dans sa liberté et dans son indépendance qui ne sera que de la prévoyance.
Messieurs, les circonstances dans lesquelles nous abordons la discussion de ce projet, sont-elles bien favorables à son examen ? Comment, après une session extrêmement longue, traversée d'incidents et d'émotions diverses, troublée par deux crises ou plutôt par deux syncopes ministérielles ; au moment où, généralement, tous les membres de cette assemblée sont rendus à leurs foyers, alors qu'il eût été si intéressant de pouvoir consulter les localités sur les projets nouveaux qu'on nous propose, que fait-on ? Le 2 juillet, on présente le projet de loi. On le discute hâtivement en sections. Il y a deux fois 24 heures à peine que nous possédons le rapport de la section centrale, et vous voudriez que nous pussions aborder une discussion aussi gigantesque que celle-là en pleine liberté !
Non, messieurs, cela n'est pas possible ! Nous vous avons demandé avec instance, au sein des sections ; nous vous avons demandé ici qu'on voulût bfen séparer le projet de loi, qu'on voulût bien nous soumettre autant de projets de lois qu'il y a d'articles, afin de pouvoir accepter les uns, ajourner les autres, écarter ceux qui nous sembleraient contraires aux intérêts du pays.
On a repoussé cette demande.
Eh bien, j'ai le droit de dire que nous ne jouissons pas de notre liberté morale, et qu'on veut obtenir le projet de loi de l'insuffisance de nos appréciations comme, il y a quelques mois, vous avez obtenu de l'indulgente faiblesse de la chambre une prolongation d'existence ministérielle dont les restes vous échappent chaque jour.
Messieurs, lorsque le gouvernement neus présenta le projet de loi pour la première fois, c'était le 23 février. On nous disait alors que tout était paisible, que les capitaux affluaient, que la situation présentait les caractères de la prospérité.
Le lendemain, le 24 février éclatait, et le projet de loi disparut. Aujourd'hui on nous demande d'exécuter de grands travaux publics, pourquoi ? Parce que les événements sont menaçants, parce qu'il y a des périls, et de sombres perspectives. Ainsi, il y a trois ans, le projet était abandonné à cause des éventualités et des dangers dont le pays était enveloppé, et aujourd'hui on présente une loi semblable, mais aggravée, à la veille de nouveaux périls, et d'immenses incertitudes ! Ce sera là un autre chapitre à ajouter à l'histoire des variations et des contradictions qui sera l'histoire du ministère, quand on l'écrira.
J'ai compris, messieurs, qu'on ait voulu rétablir l'équilibre financier, qu'on ait voulu dissiper ce qu'il pouvait y avoir d'équivoque et de douteux ; mais, cet équilibre établi, qu'on veuille de nouveau engager le gouvernement et le pays dans une mesure qui échappe à vos appréciations comme aux nôtres, c'est vraiment ce que je ne comprends pas.
On invoque toujours 1852. C'est la date où semblent se concentrer toutes les inquiétudes du ministère. On dirait que ce grand moment une fois franchi, tout sera apaisé dans la société, ou que tout sera bouleversé à jamais. Quelle illusion profonde ! Et combien j'engage les membres de cette chambre à ne point la partager !
Non, messieurs, les redoutables problèmes qui agitent la société ne seront point résolus en 1852 ; le mal est plus profond, ses causes plus générales, l'agitation bien autrement universelle ; ce n'est que lentement, successivement, par le concours d'influences et de causes variées que la société pourra être restaurée, et nul de ceux qui n'ont en partage que la faiblesse des humaines lumières ne saurait prédire si le plus jeune membre de cette assemblée verra, non pas s'éteindre, mais même s'assombrir l'ardent foyer d'anarchie qui depuis trop longtemps dévore le monde. Mais au milieu de ces événements, en présence de ces incertitudes, quelle étrange politique, quelle politique malhabile que celle qui a inauguré dans le pays des impôts impopulaires ; car ils le sont, et lorsqu'ils auront pénétré dans les populations, ce qu'ils n'ont pas fait encore, c'est alors que l'opposition nationale qui n'a que commencé, dans cette chambre, deviendra générale !
Et quant à d'autres impôts, quelque acceptables qu'ils puissent être, soyez persuadés qu'ils produisent toujours une certaine fièvre, de l'effervescence et un regrettable mécontentement dans toutes les classes de la nation. Votre système, je le sais, est de racheter cette agitation par de grands travaux publics ; oui, c'est là votre politique ; mais ces travaux ne seront jamais une compensation suffisante, toujours la partialité présidera à leur répartition et vous n'échapperez pas à de criantes inégalités ! Et d'ailleurs, prenez les projets en eux-mêmes, examinez la nature des travaux, eh ! mon Dieu, d'une part il y en a d'éventuels, d'incertains que rien ne garantit, des travaux qui sont livrés à toutes les incertitudes d'associations pécuniaires qui ne sont pas encore formées ; d'autre part sont les travaux entrepris par l'Etat, soldés par l'impôt et l'emprunt ; ceux-là sont assurés, les autres ne seront peut-être que de chimériques espérances ! Mais au moment de décréter de si vastes dépenses aux dépens du pays, avez-vous au moins fait un inventaire et un catalogue complet, suffisant de tous ses besoins ?
On vous demandait, et avec une haute raision, de vouloir bien nous révéler, nous indiquer seulement d'une manière approximative quels pouvaient être les besoins du matériel de l'armée ; eh bien, cette appréciation est renfermée dans les ténèbres d'une espèce de tribunal secret. On peut faire, paraît-il, l'estimalion de toutes les autres dépenses, mais pour celle-là, c'est un secret profond que nul d'entre nous ne doit connaître.
En 1848, quelles mesures avez-vous dû prendre ? Dès le premier moment, vous avez dû venir nous demander 9 millions pour mettre l'armée sur un pied de guerre respectable ; vous avez dû demander des crédits nouveaux (et c'était là le libellé de tous vos crédits) pour venir surtout en aide à tous les grands centres industriels !
Croyez-vous que vous échapperez davantage à cette nécessité, de graves événements surgissent ? Croyez-vous qu'il ne nous faudra pas de nouveaux efforts pour venir au secours des centres industriels et pour mettre l'armée sur un pied de guerre respectable ?
Eh bien, s'il faut alors avoir recours à de nouveaux impôts, de quel droit viendrez-vous les demander aux populations que vous aurez fatiguées de discussions incessantes d'imipôts, que vous aurez éreintées d'exigences ? Elles ne vous écouteront pas, elles ne vous répondront pas, elles ne seront plus prêtes à renouveler leurs sacrifices, et elles auront jusqu'à un certain point raison, puisque vous les aurez épuisées au moment où vous pouviez si aisément les ménager.
Messieurs, quel est donc, en quelques mots, le système du gouvernement. C'est d'absorber toutes les ressources disponibles du pays afin de s'ériger en dispensateur suprême de tous les bienfaits.
Eh bien, je ne veux faire aucune comparaison ni aucune allusion choquante ; il n'entre pas dans ma pensée de rien dire qui puisse être personnellement désagréable aux hommes qui siègent sur les bancs ministériels, mais il est des rapprochements auxquels on ne saurait se refuser. Car il ne faut pas reculer devant eux, si nous pouvons en faire jaillir des exemples qui nous servent de salutaires enseignements ! Quel est, messieurs, le grand sujet de discussion et d'opposition entre tous les hommes d'ordre en France, entre le grand parti de l'ordre qui siège au pouvoir et sur les bancs de l'assemblée législative, et ses adversaires les plus acharnés ? C'est que, dans l'opinion de ces derniers, toutes choses doivent s'exécuter par l'Etat ; c'est qu'il doit tout absorber et disposer de toutes les ressources.
Ce système a donné lieu dernièrement à un débat dans le sein de l'Assemblée législative. Il s'agissait d'un chemin de fer. Eh bien, la gauche, qu'on est convenu d'appeler la Montagne, voulait l'exécution de ce chemin de fer par l'Etat, voulait qu'il fût exploité par l'Etat ; et que voulaient les hommes d'ordre, les conservateurs ? Ils voulaient que le chemin de fer fût fait, exploité et gouverné par une compagnie.
Dernièrement encore, une discussion des plus importantes et des plus curieuses a eu lieu dans le sein de la même Assemblée législative. Il s'agissait de l'exploitation des bateaux à vapeur sur la Méditerranée. Il y avait seize ans que ce magnifique service existait ; je l'ai connu ; il était admirablement établi. Eh bien, qu'a-t-on fait ? On a dû renoncer à le laisser exploiter par l'Etat ; on a dû revenir au système des compagnies, afin de ne pas être dépassé et écrasé par les compagnies du Lloyd autrichien et par la grande compagnie Anglaise orientale.
Voilà donc la grande question qui se débat en ce moment chez nos voisins : c'est celle d'arriver à faire exécuter le plus possible par l'industrie privée, et à décharger successivement, sans violence, la responsabilité et à diminuer l'étendue des devoirs de l'Etat.
Messieurs, à voir l'espèce de vertige, d'entraînement avec lequel l'Etat met la main à tout, on croirait que jusqu'à présent nous n'avons rien fait, que l'Etat ehez nous ne s'est livré à aucune dépense ; qu'à cet égard enfin il en est à ses premiers débuts ; eh bien, les routes, qui les a faites ? L'Etat ; qui donc les administre et les entretient ? L'Etat. Les canaux, qui lée a établis ou qui du moins les rachète ? L'Etat. Les rivières, qui les canalise ? Qui les rend navigables ? L'Etat. Qui est possesseur et administrateur des chemins de fer ? L'Etat.
Et quelle est la situation financière de toutes ces exploitations diverses dont vous avez investi l'Etat ? Sur les routes et sur les canaux vous perdez ; sur le chemin de fer, vous perdez en moyenne, chaque année, deux millions à deux millions et demi, si pas davantage. A côté de vous cependant, une compagnie célèbre fait de magnifiques affaires, recueille, sur un parcours presque pareil au nôtre, 24 à 25 millions, distribue 6 p. c. à ses actionnaires, qu'elle a dispensé de verser le dernier cinquième et fait malgré cela une reserve considérable pour la sécurité de son avenir.
Il y a, puisque je parle de chemin de fer, quelque chose qui m'a frappé. Dans le premier projet, présenté le 23 février 1848, l'on disait que notre chemin de fer national, pour devenir susceptible de produire toute sa valeur, avait besoin de 25 millions destinés a l'achèvement du doublement des rails, à la construction des stations et d'autres ouvrages. Depuis lors on a alloué des crédits de six à sept millions pour cet objet ; il resterait donc 18 milions à demander pour le chemin de fer. Eh bien, ces 18 millions, par quoi le ministère les remplacera-t-il ? par un (page 1871) million que je nommerai très malheureux en face des bssoins qu'il doit satisfaire.
Et cependant M. le ministre des travaux publics lui-même reconnaît qu'il eût été sans doute désirable qu'on pût affréter au chemin de fer une somme bien plus élevée, pour faire cesser l'état de gêne où notre railway se trouve maintenant ; et c'est bien bénévolement, sans doute, et pro causa qu'il exprime l'espoir que cette gêne momentanée n'arrêtera pas le service.
Eh bien, au lieu de compléter le chemin de fer, qui est votre bien, qui est votre propriété nationale, au lieu de lui donner toute la valeur possible, l'on préfère demander de nouveaux millions pour secourir des compagnies étrangères, pour faire naître des travaux nouveaux. Eh bien, je n'hésite pas à qualifier cette résolution d'acte administratif détestable, aveugle. Avant de songer à des travaux nouveaux, il fallait donner à votre exploitation nationale toute sa valeur, lui faire produire tout ce qu'il est possible de lui faire produire, et diminuer enfin les déficits si considérables, incessants, qui nous viennent de ce côté.
Messieurs, je vous demande de m'arrêter un instant à l'origine de cette situation tout à fait extraordinaire qu'on veut faire à l'Etat en lui imposant sans cesse des devoirs nouveaux, des charges qui semblent ne plus connaître de limites.
Assurément, lorsqu'il fut question pour la première fois de travaux publics dans l'enceinte législative de ce pays, on ne croyait pas imposer un fardeau aussi lourd à nos finances ; on ne voulait pas davantage exagérer ce principe dangereux.
Le chemin de fer devait lui-même suffire à tous ses besoins et racheter ses frais d'établissement.
Mais la pensée saillante, prédominante, était de réunir toutes les provinces, de les rallier par un lien commun.
L'on voulait de plus, au point de vue de l'extérieur, que la Belgique inaugurât pour ainsi dire sa bienvenue dans la grande famille des nations européennes et que le front de sa jeune nationalité fût orné de la couronne radieuse des arts utiles, des œuvres fécondes de la paix.
Eh bien, ce but n'a-t-il pas été atteint ? Ne l'a-t-il pas été d'une manière généreuse et suffisante ? Ne faut-il pas maintenant rendre à l'initiative individuelle, à la concurrence, à la spontanéité industrielle toute sa liberté et toute latitude ? Faut-il donc outrer le principe contraire, parce qu'il a pu être salutaire à son origine ?
Vous vouliez alors réunir toutes les provinces, vous vouliez les rallier en une sorte d'unité. Et aujourd'hui que faites-vous ? Vous détruisez ce que vous vouliez réunir ; vous produisez les germes d'un vif mécontentement, d'une violente concurrence.
Voyez seulement l'immense quantité de pétitions qui inondent à la lettre votre bureau ; voyez l'animosité que vous avez répandue dans tout le pays. C'est le Hainaut qui se plaint des faveurs qu'obtient la province de Liége. C'est Charleroy qui ne veut pas qu'on donne un minimum d'intérêt à la province de Hainaut, pour faire un canal de Jemmipes à Alost.
C'est Mons qui répond ainsi à Charleroy : « Occupez-vous de vos intérêts du côte de Liége, car Liége est votre concurrent le plus redoutable. » Enfin, un antagonisme des plus ardents a pénétré dans toutes les parties du pays, il a pénétré jusque dans les Flandres, et ces deux grandes provinces se disputent aujourd'hui, et avec quelle ardeur ! un travail que chacune d'elles envisage et apprécie différemment !
Il en sera toujours ainsi quand le gouvernement n'abandonnera pas à l'industrie privée le soin de reconnaître à ses propres besoins et d'y suffire. Le mécontentement éclatera ; il s'apaisera aujourd'hui pour renaître le lendemain ; la coalition qui se sera formée une semaine s'éteindra pour ressusciter sur un autre point.
C'est là le plus dangereux de tous les systèmes. Que ferez-vous, que feront vos successeurs ? Quelle sera donc votre situation, si vous persistez dans un tel système ? Il ne peut aboutir qu'a un dénoûment fatal pour vos finances. Si, au contraire, vous voulez sortir de l'ornière dans laquelle vous aurez jeté le char de l'Etat, ce ne sera qu'au prix d'efforts difficiles, douloureux et presque impossibles, en face des espérances que vous aurez éveillées, des cupidités que vous aurez excitées.
Mieux que moi M. le ministre de l'intérieur pouirait vous dire quel est l'odieux de pareilles coalitions, combien il est dangereux de mettre les consciences des membres d'une assemblée législative aux prises avec l'intérêt local précisé et l'intérêt public, combien il est dangereux de confondre ainsi toutes les notions de liberté et d'indépendance, de livrer les hommes publics aux plus déplorables hésitations ! Mais c'étaient là les pensées de jadis de l'honorable M. Rogier, et les citer, c'est dire qu'elles ne sont plus les siennes, tant il aime le changement ! Vous voulez donc augmenter la centralisation et la responsabilité ? Permettez-moi de vous dire quelques mots de la centralisation et de la responsabilité.
Qu'est-ce que la responsabilité en matière de travaux publics ? Elle est nulle jusqu'à un certain point ; elle se retrouve en politique, mais en matière de travaux publics, on la partage avec tant de monde qu'elle est complètement anéantie.
Quant à la centralisation, quel est le mal dont on se plaint, quel est le vice auquel les hommes les plus eminents, les hommes qui ont le plus approfondi les besoins de la société cherchent à porter remède C'est à la centralisation.
Savcz-vous qu'en France le pouvoir dispose d'une armée de fonctionnaires qui compte au-delà de 500 mille employés ? Dans ce pays on en compte au moins 16 à 17 mille, si mes souvenirs sont exacts. Mais je vous signalerai un fait dont je dois la connaissance aux patientes et consciencieuses recherches d'un de nos trop modestes collègues, et qui m'a vivement frappé.
Croiriez-vous que de toutes les contributions publiques 40 millions annuellement sont appliqués aux seuls traitements, salaires et pensions. Et là dedans n'est pas comprise la lise civile. C'est là un chiffre fait pour épouvanter les plus ardents sectateurs, les partisans les plus dévoués de la centralisation.
Est-ce donc tout ? Jetez un coup d'œil sur la puissance dont est investi ; le gouvernement. (Interruption de M. le ministre de la justice.)
On m'interrompt en me disant que ce n'est pas la question ; maïs ; comment ! c'est bien le cœur de la question ; car, plus on met de millions dans les travaux publics, plus la centralisation se développe et s'accroît.
Ce n'est pas, M. le ministre, votre manière d'apprécier le projet qui nous occupe. Soit. Mais c'est la mienne et je demande la permission de la développer. Si la question vous est désagréable, c'est que sans doute elle vous gêne.
Si je sortais de la question, je m'empresserais d'y rentrer, car je tiens à respecter les lois de la chambre dont vous êtes le président, le protecteur, et dont l'exécution n'est confiée qu'à votre juridiction.
M. le président. - M. de Liedekerke est dans la question, la parole lui est continuée.
M. de Liedekerke. - Je reprend donc la suite de mes pensées.
Comment ! le gouvernement exerce une influence souveraine sur toutes les intelligents qu'il attire à lui et qu'il enveloppe dars son vaste réseau d'enseignement, entretenu par plusieurs millions, et qui n'est après tout qu'un formidable instrument politique depuis la racine jusqu'au sommet.
Il pèse par les voies de communication, dont il est l'arbitre et le chef, sur les grands intérêts positifs du pays qu'il flatte et qu'il menace, selon ses préoccupations politiques ; il fait ainsi rayonner en tous sens som influence matérielle, la plus forte de toutes, dans les sociétés actives et industrielles ! A côté de cela il se trouve à la tête des ressources les plus nettes du pays par l'impôt qu'il grossit chaque jour, à l'inverse de la vieille politique, qui pourrait bien ici valoir un peu mieux que la nouvelle.
Et malgré de si puissantes prérogatives, il veut un budget immense, presque infini, tant il enveloppe l'avenir, un budget extraordinaire qui lui permette de distribuer aux diverses localités des faveurs inattendues, qui entraînent son patronage, en l'assurant là où il vacille.
C'est là une sorte de nouvelle féodalité masquée par les traits décomposés de la liberté. C'est agir contrairement àa toutes les tendances, à toutes les dispositions du siècle ; car plus les lumières augmentent, plus elles se répandent, plus on doit développer la liberté, la responsabilité locale. C'est dans la liberté, la responsabilité locale qu'est la garantie de la droiture et de la pureté de la liberté.
C'est des éléments de l'indépendance locale que se compose et fleurie la liberté générale, sociale. Quand elle est mutilée ou corrompue dans les couches inférieures de la société, craignez qu'elle ne s'affaiblisse bientôt !
Messieurs, quelle est la double physionomie de notre époque ? D'une part la liberté et l'égalité. Quelle doit être sa pierre angulaire ? L'association. C'est par l'association que les intérêts se rapprocheront, s'uniront, se fortifieront et vivront sous les lois particulières qui les protégeront et les garantiront sans blesser en rien les grandes lois d'ordre public.
Quel est le grand mal actuel pour tous les intérêts ? C'est que la plupart sont éparpillés, isolés ; et ainsi, faibles et inquiets. Eh bien, associes, ils seront forts et réglés, et l'énergie qu'ils puiseront dans leur concentration, sera en même temps une garantie de leur modération.
Peut-être trouverait-on ainsi un terme à l'agitation fiévreuse qui met en fermentation cette multitude d'intérêts intellectuels, matériels ou d'ambition qui abondent dans nos sociétés et rendent la tâche des gouvernements si difficile et quelquefois insuffisante. Je ne voudrais pas être un prophète de malheur, mais il me semble que, si cette marée montante d'intérêts qui agite et tourmente la société devait s'accroître, elle finirait par submerger le pouvoir lui-même, car il est certaines limites où le génie, le talent, l'activité fléchissent et s'épuisent et où l’on n'a plus le gouvernement que l'on veut, mais le gouvernement que l'on peut.
Messieurs, je vous ai parlé au commencement de ce discours des finances de l'Etat. Eh bien, comment les engage-t-on de nouveau ? De deux manières : par les travaux qu'on fait faire directement par l'Etat, et par le minimum d'intérêt qu'il accorde à certaines entreprises. Quelle est la double cause du déficit qu'on a si longtemps, si vivement reproché à notre situation financière ?
D'une part, les frais qu'il a fallu faire pour notre établissement national. Enfin, les entreprises de travaux publics. Pourquoi ceux-ci ont-ils été une source de dépenses désastreuses pour nos finances ? Parce que les devis ont toujours été faits d'une manière imprudente ou imprévoyante, que 10 fois sur 20 les devis ont été dépasses et dépasses dans la mesure de 1 à 2.
Ainsi, les crédits qu'on votait n'étaient jamais ceux pour lesquels on (page 1872) s’engageait en réalité. On était entraîné à des crédits supplémentaires, ce qui est marcher vers l'inconnu et entamer l'avenir.
Mais ici s’éléve la question trop souvent méconnue de savoir jusqu'à quel point il est permis de charger l'avenir ou du moins à quelles clauses, à quelles conditions l'on peut légitimement le faire ?
Qu’est--ce donc que le crédit ? Le crédit c'est le droit, la faculté, la prérogative de disposer des épargnes du moment. Mais pour que ce crédit soit respecté et respectable, que faut-il ? Faire des épargnes un emploi fécond, intelligent, fructueux.
Si, au contraire, vous les consacrez à des entreprises aveugles, mal habiles, désastreuses, vous nuisez au présent et vous obérez d'une manière illégitime l'avenir financier.
Permettez-moi, messieurs, de vous lire un passage de Michel Chevalier, l'auteur que M. le ministre des travaux publics a cru bon de citer dans l'exposé des motifs de son projet de loi. J'espère qu'à ce titre il sera accueilli favorablement et comme autorité suffisante sur les bancs du ministère.
« Engager l'avenir, c'est toujours une affaire sérieuse. Pour qu'il soit sage à un Etat d'emprunter, hors le cas de force majeure, pour qu'il soit convenable à un gouvernement de demander aux simples citoyens leurs économies afin de les dépenser lui-même, il faut qu'il sache mieux qu'eux en faire usage. A cette condition, l'emprunt n'est pas seulement licite, il est avantageux, il est d'excellente administration : hors de là, il est onéreux à la société et il présente mille périls pour le prêteur ; les économies de îa génération présente, sont la dot de la postérité : combien n'est-il pas grave de l'en dépouiller en lui imposant, par-dessus le dommage, la charge de lourds intérêts.
« Rigoureusement pour que l'engagement soit à jamais réputé valable sans contestation, il faut qu'il ait un but moral ; il faut que l'intérêt du pays l'ait commandé, ou s'en soit accommodé. Pour que la postérité se tienne pour dûment engagée et ne ressente aucune velléité de révision, il faut que l'objet auquel auront été affectés les fonds de l'emprunt n'excite pas sa haine et son mépris, que ce ne soit pas pour satisfaire l'aveugle et presque toujours fatale ambition d'un conquérant ni le faste orgueilleux d'un principe, sur les caprices d'une opinion déréglée. » Messieurs, sur ce dernier mot je m'arrête.
M. le ministre des travaux publics a cité tous les Etats de l'Europe qui s'apprêtaient à faire de grands travaux et qui surtout avaient consenti à un minimum d'intérêt. Mais peu de ces grands Etats en ont entrepris directement d'aussi considérables que nous, et peu d'entre eux sont propriétaires, administrateurs et exploitateurs d'un réseau de chemin de fer aussi étendu. Je parle par comparaison.
Qu'ont fait la plupart de ces gouvernements ? Ils ont pris quelques-unes des lignes les plus fructueuses, les mieux situées, et ils ont garanti un minimum d'intérêt, quelquefois ils ont fait un prêt de fonds publics.
S'il s'agissait de discuter la question pour la première fois dans ce pays-ci, et d'innover, si nous étions à nos débuts, sans doute ce serait là un mode d'intervention comme un aulre. Je comprendrais qu'on discutât cette question, et moi-même, tout adversaire que je suis de toute intervention de l'Etat dans les travaux publics, peut être reconnaîtrais-je que c'est là une des meilleures manières de hâter l'accomplissement des voies ferrés et d'activer la circulation.
Mais que fait-on ? On nous demande d'adopter tous les systèmes et de les appliquer tous réunis au pays, tandis que d'autres peuples les ont admis séparément, et ont choisi l'un ou l'autre. C'est une distinction essentielle à faire et que nous confondons à plaisir ! C'est aggraver toutes vos chances.
L'honorable M. Veydt a donné dans son rapport un extrait de celui de l'honorable M. Dechamps ; mais l'honorable M. Veydt aurait dû en donner quelques autres. Il n'eût pas été trop prodigue en le faisant.
M. Dechamps dit dans son très éloquent, très lumineux rapport, et qui donne une haute idée de ses connaissances et de sa raison sur cette question, en répondant à des esprits chagrins et réactionnaires de cette époque-là, que sans doute nous sommes censés continuer, il leur répond lorsqu'ils exprimaient les mêmes craintes que nous aujourd'hui, que jamais un minimum d'une garantie d'intérêt ne serait donné qa'aux entreprises offrant les plus fortes chances de réussite et réunissant au plus haut degré un caractère d'utilité générale.
Eh bien, messieurs, c'est la phrase renversée ; c'est le contrepoids de ce que disait mon honorable ami, que l'on pratique aujourd'hui.
Ce sont des entreprises qui présentent le moins de chance de réussite ou le moins de caractère d'utilité publique que le gouvernement nous demande d'aider et de soutenir du crédit de l'Etat.
En effet, de quelles lignes parle-t-on ? De celles qui sont tombées dans un état de prostration complète, qui pourraient cependant être alimentées par les capitaux anglais, lesquels ne se refuseront jamais à une entreprise fructueuse et utile.
Eh bien, que produira l'intervention du gouvernement ? Elle ne rendra pas bonnes de telles entreprises, mais elle les empêchera peut-être de devenir détestables.
Mais voici bien autre chose. Sur certaines lignes de chemins de fer, on établit une division, une distinction. Bon, tout appartient en entier et excluseivement à la société, elle seule en prélèvera les produits et les bénéfices ; le mauvaix bout, oh ! celui-là on le partage avec l’Etat, on invoque et sollicite son appui, et dans un marché si heureusement motivé, il fort sûr de perdre.
C'est là l'histoire, messieurs, de la convention conclue pour l'achèvement de la ligne du Luxembourg,
Je conçois très bien que le chemin de fer soit égoïste, rien n'est plus naturel ; mais je trouverais très simple aussi qu'on ne fût pas sa dupe. Est-ce-là le dernier pas qu'on nous fera faire ? S'arrêtera-t-on enfin dans les obligations qu'on imposera à l'Etat ? Ne le croyez point.
En 1845, on nous a demandé de consentir à des concessions qui n'entraînaient aucune charge pour l'Etat. Ces concessions, à cette époque, inspiraient à des esprits très prudents déjà quelques appréhensions ; certains membres de cette assemblée les ont combattues en disant que l'Etat pourrait bien être engagé au-delà de ses prévisions. Eh bien, les lignes n'ont pas été achevées, et ces craintes traitées si légèrement alors, se réalisent.
On vous demande d'accorder un minimum à ces entreprises délaissées et de leur rendre des forces factices. Mais si le capital de ces sociétés est de nouveau insuffisant, si les actions ne sont qu'imparfaitement arrosées, si ces lignes enfin développées de nouveau restent encore inachevées, croyez vous, messieurs, qu'on les abandonnera ? J'en doute beaucoup. On viendra vous dire : De grandes perspectives ont surgi, d'importants intérêts sont mis en jeu, ces voies ferrées l'espérance des populations, mais quelques millions suffisent pour les achever, faites un dernier effort, achevez l'oeuvre entreprise, et qui recevra ainsi pour vous, pour le pays, toute sa valeur ! Ce sera une pression nouvelle, et qui oserait affirmer qu'on y résistera ? C'est là le terme du système, et son naturel développement.
Mais le crédit de l'Etat est donc illimité ? Ses prodigalités ne peuvent-elles enfin devenir dangereuses ? Les extrémités auxquelles il touche, ne sont-elles pas aussi redoutables par moment que celles qui attendent le particulier qui administre sa fortune d'une manière imprudente et imprévoyante ?
Messieurs, les Etats périssent de bien des manières : ils périssent par les conquêtes, par les guerres exagérées, par les mauvaises moeurs, par les désordres politiques, mais aussi par les finances. Que disait M. Passy, dans son dernier rapport sur le budget français ? C'est que la situation financière était alarmante et qu'elle devait être attribuée à deux causes, d'abord aux révolutions (car une révolution se paye toujours), ensuite aux grands travaux publics dont la liquidation retombe sur l'avenir. Nous faisons ce que nous pouvons pour que cette seconde cause produise les mêmes effets et mine notre situation.
Messieurs, on vous a remis une carie géographique, indiquant tous les travaux projetés : canaux, voies ferrées, dérivations de rivières. Mais iï y aurait peut-être une carte plus intéressante à vous soumettre : si j'en avais eu le temps, j'en aurais dressé le tableau exact, c'est la carte de la situation financière de l'Europe entière.
Si, messieurs, elle passait sous vos yeux, si vous pouviez voir quelle est la quotité d'impôts que payent tous les pays, si vous connaissiez l'élévation des budgets et surtout l'énormité des emprunts, vous reculeriez peut-être épouvantés ; car sous ce rapport quelque sage même que l'on puisse être il y a toujours une certaine solidarité entre les nations d'un même continent.
Mais, messieurs, ces pays qui souffrent tant de leur situation financière, ont, eux, des perspectives et des espérances que malheureusement nous n'avons pas.
L'Angleterre a sans doute une dette prodigieuse, de près de 800 millions de livres sterling, je crois. Mais aussi depuis 60 ans quels accroissements n'a-t-elle pas reçus ? Elle a conquis toute la presqu'île de l'Asie centrale. Elle a ouvert à son commerce de nouveaux et d'incessants débouchés, elle a créé un nouveau continent civilisé, l'Australie.
La HolIande, notre voisine, est bien moins engagée que nous ne le sommes dans les travaux publics, mais elle a des colonies qui versent chaque année à la mère patrie de nombreux millions.
La Russie, mais son industrie et son commerce s'étendent au centre de toute l'Asie et jusque sur les confins de la Chine.
Le Zollverein, voyez-le, chaque jour il tâche de se garantir, de se raffermir pour ainsi dire son grand marché intérieur.
L'Autriche a d'immenses débouchés vers le Levant, et de là, dans les vastes contrées soumises à sa domination.
Nous seuls, messieurs, nous si admirablement dotés par la Providence, nous qui plus qu'aucun peuple peut-être de l'Europe possédons au suprême degré le génie, l'activité de l'industrie, la constance du travail, nous qui avons et le principe religieux, la moralité, les sentiments de famille qui ennoblissent et relèvent de si grandes qualités, nous seuls voyons chaque jour l'extension de notre commerce se resserrer. Oui, je le dis avec un sentiment de profonde douleur, nos traités les plus importants tombent et s'ils se relèvent, ne se relèveront que mutilés et informes. On fait passer sous vos yeux quelques minces traités avec de lointains pays, où dominent d'autres et jalouses puissances et qui ne peuvent presque profiter en rien à votre commerce ; mais le gouvernement ou plutôt le ministère qui n'a aucun système, qui n'a aucune idée, aucun principe commercial, qui n'a fait qu'un essai bâtard qui résonnait agréablement peut-être au son au mot de libéralisme, qui avait ainsi certaines apparences de progrès ; mais qui n'a fait cet essai qu'au détriment d'une des classes les plus importantes du pays, le ministère nous a préparé le sort des déshérités, et nous n'avons plus de sérieuses relations internationales. Et pourquoi, messieurs ? Parce que les hommes d'Etat de l'étranger disent, parce que les hommes publics soutiennent : A quoi bon se presser de négocier (page 1873)
Le ministère est libre-échangiste ; eh bien, s'il est libre-échangiste, tôt ou tard il faudra qu'il réalise son système, et toute négociation est inutile. Cessons de négocier ; attendons. Nous pouvons nous passer de la Belgique, et la Belgique ne peut pas se passer de nous.
Voilà le raisonnement que le système du gouvernement fait faire à la plupart des gouvernements étrangers, et l'un de vos amis le disait l'autre jour et s'écriait qu'on démolissait pièce à pièce un système commercial qui n'avait de valeur que par son ensemble.
M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Il n'y en a pas un seul qui tienne ce langage.
M. de Liedekerke. - M. le ministre des affaires étrangères veut bien m'interrompre pour me dire qu'aucun cabinet étranger ne tient ce langage.
Je le conçois, les cabinets étrangers n'ont aucun intérêt à tenir ce langage ; où serait leur diplomatie ? Mais nous au contraire, nous avons un grand intérêt à dire la vérité, à la proclamer, et à ne pas nous contenter des voiles diplomatiques dont des cabinets étrangers peuvent envelopper les relations qu'ils ont avec M. le ministre des affaires étrangères.
Messieurs, il résulte de cette situation douloureuse et regrettable, de cette situation qui est vraie au fond, car examinez vos relations extérieures, elles suffiront pour attester et corroborer la vérité de ce que je dis ; il résulte de cela qu'il ne faut pas surexciter la fièvre et l'agitation industrielle dans le pays. Et si enfin nous sommes parvenus à rétablir l'équilibre financier, il faut le maintenir et le conserver, et ne pas le troubler de nouveau ; constituons enfin une certaine réserve pour parer aux éventualités et aux dangers qui peuvent venir d'une manière imprévue.
Ne cédons pas au vertige qu'on veut nous communiquer, n'y entraînons pas le pays, car à l'excès de vie pourrait succéder une langueur mortelle. Et le jour, le triste jour d'une effrayante liquidation pourrait paraître enfin !
Oui, messieurs, cela dépend de vous, cela dépend de la majorité. Mais assurément la majorité prend sur elle, dans cette circonstance, une grave, une importante responsabilité ; j'adjure chacun de ses membres d'y bien réfléchir.
M. le ministre des finances vous disait dernièrement, il vous disait avec les accents de son impérieuse vivacité que les classes moyennes régnaient et gouvernaient aujourd'hui. Assurément, messieurs, nous n'avions pas besoin des avertissements de M. le ministre des finances pour savoir que toutes les grandeurs et toutes les magnificences du monde passé, frappées d'une caducité séculaire, avaient disparu avec leurs vices et leurs défauts.
Chacun de nous pouvait savoir que le pouvoir n'était plus aux mains où il était et où il a été peut-être trop longtemps pour leur salut, pour la tranquillité et le bien être de la société. Mais souvenez-vous cependant qu'après soixante années de révolution, l'Europe parvenue au milieu de ce siècle orageux et terrible jette encore avec effroi ses regards sur les ténèbres de son avenir.
Vous régnez et vous gouvernez ; mais faites-le au moins avec impartialité, avec justice, avec équité. N'excluez aucune des classes de la nation de vos bienfaits, ni de vos prédilections, n'en excluez pas une des classes la plus paisible, mais la plus considérable, celle qui lient au sol, car c'est là le fondement le plus solide et le plus inattaquable des Etats.
Vous régnez et vous gouvernez ! Ah ! j'y applaudirai toujours de grand cœur et sans aucune arrière-pensée, sans aucun regret, pourvu que vous assuriez la grandeur, la prospérité et la fortune de mon pays ; pourvu que vous n'excluiez aucune des grandes opinions, ni aucun des hommes qui n'eurent jamais dans l'âme d'autre pensée que celle du bien de leur pays ; et j'espère que, lorsque nous tenons ce langage, lorsque nous faisons cet appel à nos collègues, à leurs sentiments les plus élevés, j'espère que, d'aucun côté, de cette assemblée, ne partira plus le triste et regrettable mot de trahison. Car, si quelque voix assez imprudente, assez téméraire le renouvelait encore, je lui dirai que ce ne fut pas par des conseils de guerre, ni par l'antipathie haineuse des partis que la Belgique s'éleva au faîte de son sort.
Je lui rappellerais que lorsqu'après une longue série de régimes et de vicissitudes diverses, le moment assigné par la Providence fut enfin venu où elle prit sa place au sein des royautés européennes, ce fut par l'union et l'accord de toutes les opinions que se réalisa sa glorieuse nationalité.
Je lui dirais encore qu'en 1848 ce ne fut pas la présence d'un parti au pouvoir, mais ce fut l'accord et l'entente de toutes les opinions joignant leurs mains sur l'autel de la patrie qui sauva le pays et écarta de lui le fléau d'un cataclysme étranger. Eh bien, cette union qui a couronné enfin notre destinée, nous préservera de nouveaux dangers, nous en abritera dans l'avenir.
M. le président. - Deux amendements sont parvenus au bureau.
L'un de M. Coomans est un amendement à l'aricle. 4.11 est ainsi conçu :
« D. Pour la construction d'un chemin de fer d'Anvers à Turnhout, moyennant la garantie d'un minimum d'intérêt de 4 p. c. sur un capital n'excédant pas quatre millions de francs aux mêmes clauses et conditions »
L'autre amendement est de M. Moncheur. Il est ainsi conçu :
« Amendement à l'article premier.
« Convention au lilt. B.
« Pour la section du chemin de fer de Gembloux à Namur, le gouvernement, d'accord avec la compagnie du Luxembourg, pourra adopter le tracé par la vallée de l'Ornoz, tel qu'il avait été fixé par la loi du 21 mai 1845. »
- Ces amendements seront imprimés et distribués.
M. Delehaye. - Messieurs, la commission des naturalisations a fait rapport sur la demande d'un homme qui a des titres incontestables à la bienveillance de la chambre ; je vous prierai de bien vouloir consacrer demain dix minutes à cet objet.
Je demanderai que la chambre veuille bien s'occuper demain, à l'ouverture de la séance, du feuilleton de naturalisations qui a été présenté par la commission.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures et 1/2.