(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1731) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs membres de la société littéraire flamande dite : « Voor tael en kunst », à Anvers, demandent l'abolition de la contrefaçon et la libre entrée des livres entre la Hollande et la Belgique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Westerloo demande que le gouvernement fasse exécuter les travaux d'amélioration nécessaires à la grande Nèthe. »
« Même demande du conseil communal de Zoerleparwys. »
- Renvoi à la section centrale chargé d'examiner le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics.
« Un grand nombre d'habitants des communes de Quaregnon, Blargnies et Aulnois demandent l'exécution du canal de Jemmapes à Alost. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Diest demande la construction d'un canal d'embranchement de Diest à celui de Hasselt. »
— Même renvoi.
« Le conseil provincial du Hainaut prie la chambre de modifier le projet de loi concernant un ensemble de travaux publics et appelle surtout sa sollicitude sur la nécessité d'améliorer le système des voies navigables et des autres voies de communication de cette province. »
- Même renvoi.
« Plusieurs négociants et propriétaires, à Oudenbourg, prient la chambre de voter les fonds nécessaires pour l'exécution du système de M. l'ingénieur en chef de Sermoise, qui embrasse tout le système des eaux de la Flandre occidentale. »
« Même demande de plusieurs habitants de Moere, de Weslkerke, de Saint-André, de Damme et d'un grand nombre d'habitants de Bruges. »
M. Sinave. - Permettez-moi quelques mois sur les quatre pétitions de Bruges, sur celles de Damme, de Saint-André, Oudenbourg, Moere et Westkerke.
Les pétitionnaires, au nombre de plus de douze cents, exposent avec modération et convenance leurs plaintes sur la proposition de loi de travaux publics que le gouvernement vient de soumettre à la chambre et qui porte une allocation d'une somme de trois millions cinq cent mille francs sans qu'on en ait déterminé l'emploi spécial.
Ils croient avec raison qu'un tel procédé n'a pas d'antécédent, qu'il est injuste et inadmissible. Ils disent que l'allocation de trois millions et demi est suffisante pour l'approfondissement du canal de Gand à Bruges qui fait l'objet de leur réclamation, mais qu'elle serait insuffisante si le gouvernement admettait le projet de l'ingénieur en chef de la Flandre orientale qui veut construire un nouveau canal d'une longueur de douze lieues de Schipdonck à la mer avec une écluse nouvelle servant uniquement à l'évacuation.
De là ils concluent que les chambres se verraient obligées de voter successivement de nouveaux crédits jusqu'à la concurrence de sept à huit millions, et de dix millions si les ingénieurs voulaient imiter l'exemple si encourageant de ce qui se passe dans une autre localité. (Interruption.)
Je ne comprends pas ces interruptions de la part des satisfaits qui sont en possession de la part du lion. Il me semble qu'on ferait mieux d'écouter sans impatience les réclamations de ceux qui se trouvent exclus de la répartition.
Les pétitionnaires exposent encore d'autres motifs que je développerai plus tard. Je me bornerai à signaler à la section centrale ce seul fait qu'il est impossible d'admettre la position que le gouvernement fait à la chambre, de voter une somme de trois millions et demi, et de l'engager ainsi à l'avenir à des dépenses considérables et inconnues jusqu'ici.
Je propose à la chambre de renvoyer cette pétition à la section centrale qui, je l'espère, voudra bien demander au ministre des travaux publics une solution sur la réclamation des pétitionnaires.
M. Van Iseghem. - Je viens appuyer les observations présentées par l'honorable M. Sinave. Je propose, comme pour les autres pétitions, le renvoi à la section centrale avec prière de faire un rapport sur toutes celles qui ont rapport à l'écoulement des eaux de la Lys et du creusement du canal de Bruges.
M. Manilius. - J'appuie aussi le renvoi de la pétition à la section centrale. Mais je ne puis laisser passer sans observations le discours de l’honorable M. Sinave.
Je crois qu'il est inutile d'y répondre ; mais il me paraît nécessaire de vous faire connaître brièvement pourquoi je n'y réponds pas : c'est que ce n'est pas le moment de s'occuper de la sagacité, de l'aptitude, de l'adresse, des bons soins des ingénieurs. Nous réserverons cela pour le moment de la discussion. Si je dis ce peu de mots, c'est pour qu'on ne considère pas notre silence comme une approbation de ces réclamations. Nous ne les approuvons ni ne les désapprouvons ; mais nous les pèserons, nous les examinerons, lorsque le moment sera venu.
M. Sinave. - Libre à vous de le faire.
- Les pétitions sont renvoyées à la section centrale.
M. de Liedekerke, forcé de s'absenter pour affaires de famille urgentes, demande un congé de quelques jours.
- Ce congé est accordé.
M. de Man d'Attenrode demande un congé de deux jours.
- Ce congé est accordé.
M. Dumon. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau divers rapports de la commission sur des demandes de naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. Deliége. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux distilleries.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion ?
- Quelques membres. - A lundi.
- D'autres membres- . - A mardi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - S'il y a quelque objet à l'ordre du jour, si l'on peut traiter de quelque autre affaire lundi, je ne vois pas grand inconvénient à fixera mardi la discussion du projet de loisur les distilleries ; mais s'il n'y a rien à l'ordre du jour, c'est comme si l'on, proposait de s'ajourner. Il est parfaitement inutile de perdre une séance. Que l'on fixe la discussion à mardi s'il y a quelque chose à faire ; mais s'il n'y a rien à faire, que l'on fixe cette discussion à lundi.
- La chambre, consultée, fixe la discussion à mardi.
M. le président. - M. le ministre se rallie-t-il aux modifications proposées par la seclion centrale ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'en expliquerai dans la discussion.
M. David. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que dans le but de motiver brièvement mon vote. A mes yeux, le projet de loi en discussion est entaché des mêmes vices que celui sur lequel nous avons eu à délibérer dans la séance d'avant-hier. Une augmentation d'impôt sur le débit des tabacs et des cigares est un impôt de consommation tout aussi inutile que l'aggravation imposée aux brasseries.
Mais, messieurs, ce qu'a de plus le nouveau droit de débit des tabacs et cigares, c'est de compromettre, dans une certaine mesure, l'une des branches essentielles de la prospérité commerciale et industrielle du pays ; le droit sollicité restreindra la consommation du tabac, il sape donc dans une de ses bases importantes notre commerce maritime.
Je puis dire, sans risquer d'être démenti, que ce que d'une main vous cherchez péniblement et à grands frais à édifier, vous le démolissez de l'autre, sans y avoir pensé peut-être.
Je n'ai pas l'espoir, messieurs, de faire rejeter la loi ; permettez-moi néanmoins de vous en signaler très succinctement les inconséquences, les contradictions flagrantes avec ce qui a été fait en faveur de l'industrie nationale.
Tous les hommes sérieux, le gouvernement, les chambres représentatives et celles de commerce, sont à la recherche des moyens de donner une activité et une prospérité croissantes à nos diverses industries ; tous à l'unisson sont d'accord que, pour arriver à un pareil but, rien ne doit être négligé afin d'étendre l'exportation de nos produits dans les contrées transatlantiques ; tous disent : Il nous faut une navigation directe avec les pays d'outre-mer.
Chaque année, messieurs, vous votez, dans l'intérêt de nos relations commerciales avec les pays lointains, des sommes considérables ; en voici quelques-unes que j'extrais du budget des affaires étrangères pour 1852.
Pour traitements d'agents consulaires, fr. 75,000
Pour leurs frais de voyages, correspondances, échantillons, rapports, etc., au-delà de fr. 80,000
Pour négociations de traités de commerce (agents extraordinaires), environ fr. 20,000
Pour l'école de navigation fr. 19,000
Pour encouragements au commerce (bourses à des jeunes gens qui se rendent en pays étrangers, je pense) fr. 19,900
Pour encouragements à la navigation fr. 114,400
Pour primes de construction de navires fr. 20,000
Pour le pilotage, personnel et remises aux pilotes fr. 336,920
Pour la police maritime fr. 27,900
Ensemble fr. 733,20.
Dans cette somme votée annuellement, je ne comprends pas diverses allocations qui ont été accordées depuis plusieurs années pour encouragements au commerce par des crédits spéciaux.
Dans le but de faire connaître les produits manufacturés de notre pays aux consommateurs de toutes les parties du monde, une somme de 75,000 fr. a été votée, il y a peu de mois, pour couvrir les frais de l'exposition belge au grand tournoi industriel du palais de Cristal à Londres.
Afin de faciliter nos moyens d'exportation, nous construisons des chemins de fer, des canaux, des routes, et nous faisons d'immenses dépenses pour les ports et côtes maritimes.
Pour que notre marine se développe et concoure à nos exportations lointaines, nous maintenons notre législation sur les droits différentiels, malgré tout le mal qu'elle fait à tous les consommateurs du pays.
Poussées par la bien louable intention de développer de plus en plus notre industrie, beaucoup de personnes, entre autres plusieurs de nos estimables collègues, voudraient voir établir une société d'exportation subsidiée par le gouvernement.
Déjà, messieurs, des comptoirs de commerce sont établis à l'étranger, sous les auspices du gouvernement, et des sommes ont été avancées à certaines maisons, à condition d'exporter des produits de nos diverses industries.
Eh bien, messieurs, après avoir employé tous les moyens que je viens d’énumérer, afin de développer l'industrie par des exportations, que vient nous demander le projet de loi en discussion ?
Tout bonnement de décréter une diminution de consommation des tabacs, d'enlever en partie à notre commerce un de ses principaux objets d'échange et à notre navigation une marchandise de retour des plus importantes.
Dorénavant le fret de sortie devra être augmenté, car nos navires auront moins de chances d'obtenir des cargaisons de retour, et, en définitive, nos rares moyens d'exportation directe d'un port belge vers les pays d'outre-mer seront rendus plus difficiles et plus onéreux encore. Je ne puis souscrire à une loi qui doit avoir de pareils effets.
M. A. Vandenpeereboom. - Mon intention n'est pas de combattre le projet de loi en discussion, bien qu'il soit loin d'être parfait dans tous ses détails.
Je le voterai, car le nouvel impôt me paraît juste, le tabac et surtout le tabac de luxe étant une matière très imposable.
L'expérience permettra, je l'espère, d'améliorer plus tard, la loi qui, dans mon opinion, n'est qu'un essai.
Mais j'ai demandé la parole pour attirer l'attention du gouvernement sur diverses pétitions déposées par ordre de la chambre sur le bureau pendant la discussion.
Ces pétitions sont celles qui demandent une augmentation de droits d'entrée sur les tabacs importés par les frontières de terre, ces pétitions vous ont été adressées par des habitants des communes de Comines, Houthem et Warneton, communes limitrophes de la France.
L'importation des tabacs français, même au droit de fr. 12 50 c. les 100 k., cause aux planteurs belges un préjudice notable.
On dira peut-être : Que nos planteurs améliorent leur culture ! ils feront sans peine concurrence aux cultivateurs français, gênés d'ailleurs par la régie.
Cette objection serait très fondée, si le planteur belge se trouvait dans la même position que le planteur français qui reçoit, indirectement, il est vrai, une espèce de prime pour les tabacs qu'il exporte.
Voici ce qui se passe en France :
L'administration des droits réunis autorise les cultivateurs français qui plantent du tabac destiné à la régie, à planter en outre une certaine quantité de tabac pour l'exportation.
Le tabac de l'une et de l'autre catégorie récolté par le même cultivateur, séché et préparé par lui, est ensuite trié, les qualités qui conviennent le mieux à la régie sont fournies à l'administration, le prix en est payé comptant, et le cultivateur reçoit ainsi le maximum du prix fixé, sans courir aucune chance ; le reste est importé en Belgique, et comme le cultivateur français a reçu le prix maximum pour une partie de sa récolte, la partie exportée peut être vendue en Belgique à un prix réduit et de manière à faire à nos planteurs une concurrence facile.
Je concevrais l'admission des tabacs français en Belgique à un droit modique et même sans droits, s'il y avait réciprocité entre les deux pays.
Mais tandis que les importateurs français, convoyés d'abord par les agents des droits réunis, sont admis sans peine par nos bureaux de douanes, les Belges qui veulent mettre illégalement et prématurément, je l'avoue, le système du libre échange en pratique sont traqués par les douaniers français et vont souvent réfléchir en prison, aux inconvénients qu'il y a de pratiquer un système avant qu'il ne soit admis par la loi.
Il n'y a donc, messieurs, aucune réciprocité entre les deux pays.
Les quantités de tabacs plantées cette année en France pour l'exportation ne sont pas sans importance.
Si les renseignements que j'ai reçus sont exacts, et j'ai lieu de le croire, dans deux départements français, ceux du Nord et du Pas-de-Calais, les quantités plantées pour l'exportation peuvent produire cette année de 150,000 à 200,000 kilog. environ.
Or, les 666 hectares de tabac plantés, d'après la statistique agricole qui nous a été fournie, produiront, en prenant pour base le chiffre admis par la commission permanente d'industrie, 1,226,000 kilog. de tabac ; mais il est à remarquer qu'une grande partie de ce tabac est destinée à la consommation du planteur et de sa famille, et que le reste seulement est livré à l'industrie, de sorte que le tabac importé de France forme à peu près le quart et même le tiers du tabac que l'industrie prépare. Cette quantité serait infailliblement fournie par notre agriculture, si les cultivateurs français ne recevaient la prime indirecte dont je viens de parler.
La culture du tabac est une de celles qui méritent avant tout, je pense, la sollicitude du gouvernement, elle doit être encouragée surtout dans un moment où les grains sont à bas prix et où les cultivateurs ne peuvent réaliser quelques bénéfices que par la culture des plantes industrielles.
En appuyant ici la demande faite par les habitants de quelques communes frontières, je ne suis que l'écho du conseil provincial de la Flandre occidentale, qui, sur la proposition de M. Aug.Van Elslande, à deux reprises, en 1850 et cette année encore, a émis le vœu de voir prohiber l'entrée des tabacs par les frontières de terre.
La commission supérieure d'agriculture, dans sa session de 1847, avait déjà émis le même vœu. Cette mesure, disait M. Demade, rapporteur, ne peut préjudicier à aucune branche d'industrie, ni indiposer nos voisins ; elle aurait l'avantage d'augmenter nos plantations.
La loi du 27 juin 1844 autorise d'ailleurs le gouvernement à interdire l'entrée des tabacs par les frontières de terre, et par conséquent à majorer le droit d'entrée, et lors de la discussion de la loi de 1844, le gouvernement se réserva même expressément ce droit.
Je propose donc de renvoyer à M. le ministre des finances les pétitions des habitans de Comines, Warneton et Houthem demandant la prohibition à l'entrée des tabacs par les frontières de France, ou tout au moins une majoration de droits équivalente à l'espèce de prime que reçoivent indirectement les planteurs français qui exportent en Belgique.
J'appelle toute l'attention de M. le ministre des finances sur cette question qui intéresse très vivement une des branches importantes de notre industrie agricole.
M. Van Grootven. - Je regrette de ne pouvoir donner mon assentiment au projet de loi en discussion. J'aurais voulu qu'un article de luxe aussi éminemment imposable comme celui des cigares eût fait l'objet d'une loi spéciale plus complète, et qui eût produit peut-être au trésor une somme plus importante que celle que l'honorable ministre des finances croit réaliser par le projet qui est soumis à nos délibérations.
D'après l'exposé des motifs, on évalue à 18,000 le nombre des détaillants qui vont être atteints d'un droit de débilt plus ou moins élevé. Je vous le demande, messieurs, est-il juste, est-il prudent de mécontenter un aussi grand nombre de contribuables, sur qui pèsent déjà tant de charges, pour obtenir en définitive un résultat problématique d'environ 200,000 à 300,000 francs ? Je ne le pense pas.
Le droit sur les tabacs peut sans contredit être augmenté, il n'y a pas d'objet de consommation que l'impôt puisse plus légitimement frapper. Aussi aurais-je compris M. le ministre s'il nous avait demandé une aggravation des droits qui pèsent sur la consommation des cigares ; mais il n'en est rien, messieurs ; le projet de loi se borne à appliquer à la vente des tabacs cet impôt bâtard qui n'est ni un impôt de consommation, ni un droit de patente et qu'on appelle un droit de débit.
Savez-vous ce que c'est que cet impôt ? C'est un impôt contre les débitants de tabac. Je me trompe, c'est un impôt contre les petits détaillants au profit des grands. En effet, messieurs, l'impôt aura pour résultat d'écraser les petits alors qu'il sera dérisoire pour les grands, qu'il touche à peine et auxquels il donne en compensation la ruine de leurs concurrents les plus nombreux.
Je ne dirai qu'un mot du droit de débit dont la loi frappe les communes. Si le projet est adopté tel qu'il nous est soumis, il y détruit complètement ou à très peu d'exceptions près, tous les débits de tabac et y rend impossible la vente des cigares déjà si restreinte. Quel est en effet le détaillant dans une commune qui saura payer le droit de débit de cigares de 24 francs ? Et c'est le moins élevé ! Il n'y en a pas, que je sache. J'irai plus loin, et je crois rester dans le vrai en vous disant que dans bien des communes les bénéfices réalisés par tous los détaillants de cigares ne s'élève pas à 24 francs, et vous iriez frapper le moindre d'entre eux d'une patente aussi élevée !
Cel impôt n'est pas un impôt de consommation, il est assis sur des bénéfices supposés, c'est-à-dire sur le hasard ou l'arbitraire des agents du fisc. Si le marchand vend beaucoup, il sentira à peine l'impôt ; et pour lui le droit de débit ne sera nullement en proportion avec ses bénéfices ; mais il n'en sera pas de même du boutiquier qui vend peu ; pour celui-là l'impôt sera écrasant, il devra cesser son petit commerce. Cet impôt n'est pas un droit de patente, quoiqu'il ait le même caractère ; mais est-il bien juste, bien raisonnable de le cumuler avec ce droit ? On me dira peut-être que le droit de débit n'est pas nouveau, il existe pour les boissons distillées. Je le sais ; mais outre que je n'admire pas le droit de débit établi pour les boissons distillées, là au moins l'impôt a une excuse qui manque complètement quant aux tabacs. Je comprends que la loi ne favorise pas la multiplicité des débits de boissons, elle a pour excuse la moralité publique. Mais a-t-elle le même intérêt à diminuer les petits débits de tabac, comme le fera infailliblement votre projet de (page 1733) loi ? Non, sans doute. Ici on froisse des intérêts, d'autant plus respectables qu'ils sont plus nombreux.
L'adoption du projet en discussion aura donc pour résultat infaillible de faire disparaître tous les petits débits de tabac au profit des grands, parce que la loi rend la concurrence impossible en modifiant d'une manière inégale les positions des débitants. Il me sera facile de vous prouver que le droit de débit des cigares dans les villes est injuste par ses résultats, en prenant pour base la patente la plus élevée de 96 francs et la moins élevée de 24 francs. Je suppose un grand débitant auquel vous appliquiez le droit le plus élevé de 96 fr., il augmentera, comme le moins imposé, le prix de ses cigares, et sur une vente de détail immense il réalisera infailliblement des bénéfices très importants, à tel point que le droit de 96 fr. rentrera plus d'une fois par mois dans sa caisse. Mais il n'en sera pas de même du petit débitant ; et c'est la catégorie la plus nombreuse et qui mérite toute notre sollicitude, celui-là payera un droit de débit de 24 fr. Sa vente, déjà peu importante, peu lucrative, sera réduite encore par l'augmentation forcée de sa marchandise et le forcera à cesser complètement un commerce accessoire qui lui donnait annuellement un léger bénéfice.
Il n'y a pas de justice dans l'établissement d'un droit de débit tel qu'il nous est proposé. Le moins imposé en souffrira si tant est qu'il ne doive pas cesser son commerce de détail au profit du grand débitant.
Je pense, messieurs, que le gouvernement aurait pu nous soumettre un système plus rationnel que le projet actuel auquel je ne puis donner mon assentiment.
M. Vilain XIIII. - Il m'est impossible de partager l'opinion de l'honorable préopinant. Il a dit que c'est un impôt bâtard : pour moi, quand un impôt a pour père les besoins du trésor et pour mère une consommation de luxe, le mariage me semble très légitime et l'enfant peut être reconnu par la chambre.
J'adopterai donc en principe le projet de loi. Je ne m'efforcerai pas de le justifier ; M. le ministre des finances saura bien s'acquitter de cette tâche. Mais il me semble que les catégories ne sont pas établies selon les règles de l'équité ; pour la vente du tabac, il y a 5 classes ; la première classe est de la 15 fr. ; la troisième de 6 fr. ; il n'y a qu'une différence de 9 fr. entre le débitant de la capitale, par exemple, et le débitant du plus petit de nos villages, il me semble que cette différence est véritablement trop minime.
En second lieu, pour les débitants de cigares, la septième classe est imposée à 24 fr. ; il est impossible, dans les villages des bords de la Meuse et de la Campine, que je connais particulièrement, il est impossible d'avoir des débitants de cigares dans ces contrées ; il n'y en a pas actuellement. Voici comment les choses se passent : la plupart de ces villages sont de 300 âmes, 600 âmes ; 1,000 âmes c'est l'exception ; il n'y a là ni débitants de cigares, ni débitants de tabacs ; il y a ordinairement une seule boutique qui vend de tout au monde, et entre autres choses quelques caisses de cigares, quelques kilogrammes de tabac. En second lieu, les cabarets ont aussi quelques caisses de cigares pour engager les chalands à boire. C'est le but des cabaretiers en achetant des cigares.
Or, comme nous ne sommes pas riches et que nous sommes moraux dans le Limbourg, nous n'allons au cabaret que le dimanche et l'on débite peut-être 50 cigares par dimanche, soit 3,000 cigares par an. Eh bien, je demande s'il est possible qu'un débitant qui vend 3,000 cigares par an, paye 24 francs au trésor pour cet objet ? Il faudra donc que l'on renonce complètement à vendre des cigares dans ces villages ; je ne crois pas'que ce soit là le but du projet de loi. Je demanderai à M. le ministre des finances si celui qui vend du tabac ou des cigares par exception et qui est en même temps patentable soit comme débitant de boissons, soit comme mercier, soit comme épicier, soit comme débitant de tel autre objet dont les habitants des campagnes ont besoin, s'il ne pourrait pas être mis dans la catégorie de ceux qui ne vendent que du tabac ; alors peut-être pourraient-ils payer ces six francs par an. Nos petits cabaretiers et boutiquiers se résigneraient à payer 50 centimes par mois, si on ne les faisait pas entrer dans cette catégorie, un très grand nombre d'habitants seraient privés de l'usage du cigare, et ce résultat de la loi me semblerait injuste.
M. Osy. - Messieurs, le gouvernement a proposé trois bases d'impôt, pour pourvoir aux travaux publics qu'il a proposés ; j'ai voté l'impôt sur les bières ; je voterai également celui sur les cigares ; je réserve mon vote à l'égard de celui sur les distilleries. Il est bien entendu qu'en votant ces impôls, je ne m'engage nullement à voter les travaux publics ; nous devons tous conserver la liberté complète de notre appréciation, en ce qui concerne ces travaux. Le gouvernement ne pourra donc venir nous dire, lorsque nous serons arrives à la discussion des travaux, qu'on a voté les impôls et que maintenant il faut voter les dépenses.
Messieurs, en 1845, j'ai combattu la loi qu'on proposait pour établir un impôt sur les tabacs, parce que j'étais persuadé qu'en quadruplant le droit de douane sur les tabacs, vous auriez nui au commerce et a la fabrication des tabacs.
Nos prévisions se sont réalisées ; la recette n'a guère atteint que le double de la recette qu'on obtenait antérieurement à l'augmentation ; et nos importations ont diminué de plus de moitié. Nous importions près de 10 mille bocaux, et nos importations sont tombées à 4 mille. Vous voyez qu'en finances, et surtout en matière d'impôt, 2 et 2 ne font pas toujours 4.
Je crois donc que M. le ministre des finances a parfaitement bien fait d'abandonner son projet primitif, tendant à doubler le droit de douane sur les tabacs, et dès lors à imposer le tabac indigène. Certainement, si le gouvernement avais mis un impôt de 20 francs sur les tabacs étrangers, on aurait dû finir par imposer le tabac indigène, parce que sans cela la culture indigène aurait joui d'une véritable prime, et l'impôt aurait considérablement diminué. Je félicite donc le gouvernement d'avoir abandonné son projet primitif.
Pour ce qui est de la régie, dont M. le ministre des finances a parlé, je crois que dans ce pays on est tellement contraire à tous ces monopoles, que si même on avait pu obtenir quelques millions à l’aide de la régie, M. le ministre des finances aurait eu de la peine à faire adopter ce système par le parlement et l'opinion publique. Je félicite également le gouvernement de n'avoir pas songé à nous proposer ce système.
Maintenant je conviens que le tabac est une matière imposable. Mais si le gouvernement avait mis un impôt sur le tabac, la fabrication aurait considérablement diminué, et l'on aurait nui à une grande industrie, tandis qu'en établissant un impôt sur les débitants, on ne fera tort, ni au commerce, ni à la fabrication ; et la consommation ne diminuera pas.
Toutefois, sous ce rapport, je ne puis pas approuver la classification qui a été proposée par M. le ministre des finances. L'honorable M. Vilain XIIII vient d'exposer les motifs qui rendent une modification du projet de loi nécessaire, eu égard à ce qui concerne les campagnes. Il faudrait faire d'autres classes, et abaisser le droit de débit du tabac.
Ce sont les débitants des grandes villes qui gagnent sur les débitants dss campagnes, car les débitants des campagnes ne peuvent pas aller s'approvisionner chez le fabricant ; ils sont obligés de s'adresser aux grands détaillants des villes qui, eux, se fournissent chez le fabricant ou à l'étranger. Par conséquent ce sont les grandes villes qui gagnent encore sur les campagnes. Dans les petits villages, comme l'a dit mon honorable collègue M. Vilain XIIII, le débit du tabac n'est qu'accessoire.
On ne peut pas se dispenser de tenir le tabac avec les autres objets dont les habitants des campagnes ont besoin, parce que le chaland achète, en même temps que son tabac, les épiceries et tout ce qu'il lui faut pour son ménage. Si vous établissiez une patente trop élevée pour le débit du tabac, vous mettriez la plupart des petits boutiquiers dans la nécessité de renoncer à la vente du tabac et vous en favoriseriez un seul au détriment des autres, qui, se décidant à prendre une patente de débitant de tabac, vendrait en même temps tous les autres objets d'épiceries.
Il faut que le gouvernement consente à créer une classe de plus, pour le débit du tabac et pour celui des cigares.
Six francs, c'est énorme pour le débit du tabac dans les campagnes, qui donne très peu de bénéfice ; je reconnais que la vente des cigares donne plus de bénéfice et qu'on peut faire payer davantage, quoique le taux de 24 francs soit trop élevé pour les campagnes.
Je proposerai de créer une quatrième classe pour le débit des tabacs, à 4 francs, et une huitième classe à 12 francs pour le débit des cigares, spécialement dans les campagnes.
Il faut considérer que dans les campagnes ce n''est pas seulement dans les boutiques, mais dans les cabarets qu'on débite des cigares. Si un employé du fisc demandait un cigare dans un cabaret, le cabaretier serait mis à l'amende, s'il n'avait pas de patente. Vous ne pouvez pas lui demander un droit de débit de 24 fr.
Si l'on établissait une classification d'après la population des communes, on pourrait faire une répartition plus juste de l'impôt.
Je propose donc d'établir pour la vente du tabac une quatrième classe à 4 francs et pour le débit des cigares une huitième classe à 12 francs.
M. le président. - M. Coomans propose de supprimer les 6 premières lignes de l'article 1er du projet et de commencer l'article de la manière suivante :
« Tout débitant de cigares est soumis à un droit de débit annuel de, etc. »
M. Coomans. - Messieurs, je ne dirai que deux mois à l'appui de cet amendement que la section centrale n'a pas cru devoir adopter, et sur lequel je prie la chambre de se prononcer en dernier ressort. J'ai proposé d'exempter du droit de débit tous les petits marchands qui ne vendent pas de cigares.
La section centrale a demandé à l'honorable ministre des finances quelle influence l'adoption de cet amendement pourrait exercer sur la recette. L'honorable ministre des finances a répondu qu'il en résulterait une différence en moins de 81 mille francs, attendu qu'il y a dix mille débitants de tabac qui ne vendent pas de cigares :
6,000 à 6 fr. : fr. 36,000
5,000 à 10 fr. : fr. 30,000
1,000 à 15 fr. : fr. 15,000
Total : fr. 81,000.
D'abord, quand même il serait vrai que de l'adoption de cette mesure libérale devrait résulter un deficit de 81,000 fr., ce ne serait pas, ce me semble, un motif pour ne pas l'adopter, alors qu'on pourrait en démontrer la justice.
Mais l'honorable ministre des finances est évidemment dans l'erreur : ii raisonne dans l'hypothèse toute gratuite où les 10,000 débitants actuels, qui ne vendent pas de cigares, se soumettraient à la taxe. Or nous prévoyons tous qu'il n'en sera pas ainsi. De ces 10,000 débitants, il y (page 1734) en a 5 ou 6 mille, sinon 8 mille, qui ne payeront rien au fisc, attendu que, vendant annuellement pour 20 fr., pour 50 fr. tout au plus, ils ne pourront gagner là-dessus de quoi acquitter même la taxe minimum de 6 fr. Ces débitants, pour la plupart, renonceront à une industrie qui n'est qu'un accessoire pour beaucoup d'entre eux ; et le gouvernement ne fera pas la recette qu'il espère ; cela me paraît évident.
Maintenant, ainsi que l'ont dit d'autres honorables membres, il n'y a pas, pour cette loi, les mêmes motifs d'utilité publique que pour la loi des distilleries : il n'est pas immoral de fumer ; il est dangereux, je l'avoue, d'habituer le peuple aune consommation trop facile de liqueurs fortes. Mais il ne l'est pas de leur faciliter la consommation du tabac, surtout du tabac commun dont les classes ouvrières sont obligées de se contenter, et dont leurs médiocres ressources ne leur permettent pas d'abuser.
Le Dbt du gouvernement ne peut être de priver un certain nombre d'industriels d'un gagne-pain supplémentaire, et de gêner un grand nombre de petits consommateurs ruraux.
Tel n'est pas le but du gouvernement, son but unique est de faire une certaine recette.
Ce but est légitime, mais au-delà du strict nécessaire, nous ne pouvons pas décréter des mesures vexatoires.
Veuillez remarquer, messieurs, que par suite du droit de débit imposé aux petits boutiquiers ruraux, le consommateur sera plus gêné que le débitant. Dans les hameaux éloignés du centre du village, il y a quelquefois un ou deux débitants de tabac qui, ne pouvant acquiter la taxe, supprimeront cet article de vente. Ainsi des consommateurs, la plupart pauvres, seront obligés de se pourvoir beaucoup plus loin et de se déplacer sans profit pour le trésor. Beaucoup de ces consommateurs ne peuvent acheter, le dimanche, au centre du village, la provision de la semaine entière ; ils se bornent à acheter pour quelques centimes à la fois. Or, comme nous supprimons ces petits débits, nous gênons les consommateurs.
Je supplie donc le gouvernement de renoncer, non pas à 81 mille francs de recette, je crois que c'est là une erreur de M. le ministre, mais à une vingtaine de mille francs tout au plus. S'il accepte mon amendement, la loi sera tolérable, la loi sera certes moins impopulaire qu'elle ne le serait, si elle passait sans être modifiée dans le sens que je viens d'expliquer.
M. Jacques. - messieurs, l'exposé des motifs du projet de loi et le rapport de la section centrale contiennent trois passages sur lesquels je crois devoir présenter de très courtes observations.
Dans l'exposé des motifs, on dit que la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et moyens de 1852 a exprimé le désir, dans son rapport, de voir établir en Belgique un droit sur les débits de tabac, analogue à celui qui existe sur la vente des boissons alcooliques.
Je crois devoir faire observer à la chambre que la section centrale du budget des voies et moyens, dont j'avais l'honneur de faire partie, n'a nullement émis un vœu semblable.
Voici ce que porte le rapport de la section centrale :
« La première et la sixième sections pensent qu'on pourrait établir sur le tabac un droit de débit analogue à celui des boissons. M. le ministre des finances ayant fait allusion à un pareil impôt, lors de la récente discussion de la situation financière, votre section centrale pense que, pour le moment, il faut attendre l'ensemble des projets du gouvernement. »
La section centrale du budget des voies et moyens ne s'est donc nullement prononcée sur ce point.
Le rapport de la section centrale du projet de loi sur le débit de tabac débute comme suit : « Quand il s'agit d'établir ou de modifier une loi d'impôt, il faut s'attendre à de nombreuses critiques et souvent à une vive opposition. C'est la règle commune, à laquelle le projet de loi, dont la chambre va aborder l'examen, semble destiné à faire une de ces rares exceptions. »
Messieurs, quand une majorité a résolu eu quelque sorte d'avance les moyens qu'elle emploiera pour percevoir 2,100,000 francs de plus par an sur les contribuables, et qu'elle s'est mise également d accord sur l'emploi à donner a ces fonds, je ne pense pas que l'on puisse décemment faire valoir, comme argument à l'appui du projet de loi, cette circonstance qu'il n'a rencontré que de rares critiques, que peu d'oppositions.
En troisième lieu je trouve dans la réponse que l'honorable ministre des finances a faite à une observation de la deuxième section, quelque chose que je ne crois pas devoir laisser passer sans critique.
Voici cette réponse :
« Etablir une seule catégorie de débitants, ce serait encore s'exposer à des mécomptes, parce qu'un certain nombre de débitants de cigares seraient rangés dans la dernière classe et qu'il serait peu prudent de fixer la contribution de celle-ci à un chiffre supérieur à six francs.
« Les redevables consulteront leurs intérêts. Si aujourd'hui ils ne vendent pas de cigares en assez grande quantité pour couvrir en un an la taxe de 24 fr. ils n'en vendront plus ; mais en ce cas aussi il est inutile de s’y arrêter. Dans le cas contraire, il est évident que la taxe sera payée par le consommateur. »
Ainsi l’honorable M. Frère reconnaît que le tarif qu’il propose d’ériger en loine maintient pas du tout l’égalité proportionnelle entre les divers débitants de tabac. Il reconnaît que pour les débitants de cigares, le droit est tel qu’il interdira à un grand nombre d’entre eux de continuer leur commerce. Ce commerce n’a cependant rien d’immoral. Et je ne vois pas pourquoi on vient le frapper d'interdiction par une mesure fiscale.
Messieurs, il me reste à présenter quelques courtes observations sur le projet de loi.
Je me suis demandé pourquoi on voulait assujettir les débits de tabac à un droit spécial plutôt que les débits de vin, de bière, de café, de chocolat, plutôt que les débits de sucre, de sucreries, de pâtisseries et autres objets semblables. Je me suis demandé aussi pourquoi on se laissait aller à vouloir, par un droit trop élevé, supprimer les petits débits de cigares plutôt que les petits débits de merceries, que les petites boutiques d'épiceries, que les petits cabarets, que les petits estaminets à bière.
Je crois qu'il n'y a pas de raison pour traiter l'une de ces industries plus défavorablement que les autres. Comme je n'ai pas trouvé de réponse raisonnable à ces questions, je crois que le projet en discussion blesse tout à la fois les principes d'équité et de liberté.
Il serait cependant facile de mettre le projet à l'abri de ces deux reproches. Il suffirait de percevoir un droit de patente spécial réglé d'après l'importance du débit annuel ; on pourrait par exemple prendre le taux de 2 p. c. sur le débit. D'après le tableau du commerce extérieur, la Belgique consomme annuellement pour plus de 4 millions de tabacs étrangers. Pour évaluer le montant des débits annuels dans tout le pays, il faut ajouter à cette valeur du tabac étranger à l'entrée, la valeur du tabac indigène après la récolte, les frais de fabrication, les frais de transport, les bénéfices du fabricant, du commerçant et du débitant. On arrive ainsi, je pense, à un chiffre d'environ 15 millions par an.
Ainsi en percevant 2 p. c.sur le montant des débits annuels de tabac, on aurait la somme de 300,000 francs que le gouvernement veut faire rapporter au droit qu'il propose, et de cette manière le droit serait établi dans une juste proportion sur tous ceux qui se livrent à cette industrie, et personne ne serait obligé de renoncer à sa profession.
Je n'en dirai pas davantage. Comme je vous l'ai fait observer dans la séance d'avant-hier, je crois qu'il y a d'autres ressources plus convenables à employer pour l'exécution des travaux publics : j'en ai même indiqué jusqu'à concurrence de 110 millions de travaux.
Je voterai contre le projet de loi.
M. Rodenbach. - Messieurs, je ne voterai pas le projet sur le tabac que nous propose le ministère, parce que je crois que la classification qu'il établit est mal faite. Si dans le cours de nos débats, il surgissait des amendements, si par exemple, pour les débitants de tabacs on créait 5 classes au lieu de 3, si pour les débitants de cigares on en établissait 10 au lieu de 7, et si pour les grandes villes on augmentait le chiffre du droit, je pourrais peut-être donner mon assentiment au projet.
Ainsi pour des débits comme ceux que l'on trouve à Bruxelles, à Liège et dans d'autres grandes villes, où l’on vend pour 30, 40 et 50,000 fr. par an, je trouve qu'un droit de 96 fr. n'est qu'une bagatelle. J'ai questionné de ces débitants, et ils m'ont dit que, malgré le droit, ils n'augmenteraient pas le prix du cigare d'un demi-centime, une dépense de 96 fr. étant pour ainsi dire sans influence sur un détail aussi considérable.
Je crois que pour ces débitants il faudrait au moins une classe payant 150 fr.
Pour le débit des cigares la dernière classe payera 24 fr., c'est supprimer de fait la vente des cigares dans les campagnes. Je vous le demande, quel est le petit boutiquier de campagne qui pourra supporter un tel impôt ?
Il en est de même pour le tabac en feuilles. Croyez-vous que dans nos villages, quoique plus populeux que ceux du Limbourg dont on a parlé, les petits boutiquiers qui vendent accessoirement quelques kilog. de tabac, prendront un abonnement ? Evidemment non. Ils renonceront plutôt au débit du tabac.
La loi donnera ensuite lieu à l'arbitraire. Dans la section centrale on a dit que l'abonnement pour le débit des boissons distillées donnait lieu à un peu d'arbitraire ; on a cru devoir employer cet adverbe de quantité. Cet arbitraire se fera également remarquer pour le débit de tabac.
En effet, les répartiteurs établissent bien la classification ; mais qu'arrive-t-il ? C'est que les contrôleurs changent le travail des répartiteurs. Cela est tellement vrai, que des répartiteurs ont dit, d'un commun accord : « Nous allons donner notre démission ; nos contrôleurs n'écoutent pas notre avis ; nous faisons une besogne inutile. » Eh bien, messieurs, il en sera de même des débits de tabac et des débits de cigares.
J'attendrai donc qu'il y ait d'autres amendements tendant, par exemple, à établir cinq classes et dix classes, ou bien que l'on propose un système quelconque, où il y ait justice distributive et où les boutiquiers des petites villes et des villages ne soient pas forcés de cesser leur commerce. Il m'est impossible d'adopter le projet actuel, qui est souverainement injuste et qui, en outre, donnera lieu à des fraudes de toute espèce.
M. Vilain XIIII. - Je désirerais demander un renseignement à M. le ministre des finances. Je lis dans la pièce qu'il a envoyée à la section centrale, et qui se trouve annexée au rapport :
« Les tableaux des patentes accusent en Belgique 15,000 débitants de tabac. »
Je désire que M. le ministre veuille bien nous dire si ces 15,000 patentes sont prises véritablement par des débitants de tabac. S'il en était ainsi, la réflexion que j'ai faite au commencement de la séance serait de (page 1735) nature à procurer au trésor un produit très considérable, car certainement les boutiquiers et les cabaretiers dont j'ai parlé n'ont pas pris une patente de débitant de tabac; or j'ai proposé de les imposer à raison de 6 fr.; ce seraient donc autant de fois 6 fr. qui entreraient au trésor. Ma proposition, tout en permettant la continuation de la vente des cigares dans les villages, augmentera le produit de la loi.
M. Mercier. - Je persiste à penser, comme je l'ai toujours fait, que le tabac est une matière imposable et susceptible d'accroître les ressources du trésor ; mais je ne puis adopter le mode de cotisation établi par le projet de loi ; il prête à l'arbitraire, est incompatible avec une juste répartition de l'impôt.
Chaque fois que des impôts ont frappé directement le commerce ou l'industrie, le législateur s'est attaché à les asseoir sur des bases fixes ou, à défaut de telles bases, à trouver d'autres combinaisons tendant à établir l'égalité proportionnelle entre les contribuables.
Ainsi, les brasseurs et les distillateurs sont imposés au droit de patente d'après les quantités de matières premières employées à la fabrication ; les sociétés anonymes, d'après les dividendes distribués anx actionnaires; les marchands en détail d'après le montant de leur débit...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Présumé.
M. Mercier. - De leur débit déclaré, et si le débit déclaré se trouve insuffisant, les répartiteurs et les agents de l'administration ont le droit de proposer une augmentation. A cette fin, le débit est divisé en plusieurs catégories à chacune desquelles un droit spécial est appliqué.
Les droits qui atteignent les fabricants sont en général établis d'après le nombre de leurs ouvriers.
Mais comme certaines industries fournissent de plus grands bénéfices avec un même nombre d'ouvriers, lorsqu'elles s'exercent dans de grands centres de populations, le droit leur est appliqué sur la double base du nombre des ouvriers et de l'importance des villes ou communes ; à cette catégorie appartiennent, par exemple, les forgerons, les ébénistes, les menuisiers, etc.
Il existe un assez grand nombre de professions qui n'offrent pas de base déterminée pour la fixation de l'impôt, mais dont l'exercice est, en général, plus lucratif dans les villes ou communes populeuses que dans les autres; à cette catégorie appartiennent les négociants, armateurs, banquiers, cabaretiers, etc.; ils sont imposés d'après l'importance que la notoriété publique attribue à leurs affaires; pour rendre la répartition de l'impôt plus facile et plus équitable, les communes dans lesquelles s'exercent ces professions, sont divisées en plusieurs classes, pour chacune desquelles des droits différentiels sont établis.
Il n'y a d'exception qu'à l'égard des établissements qui, ne présentant pas de base fixe à l'impôt, s'exercent habituellement dans les communes rurales, ou n'ont pas plus d'importance dans les grands centres de population qu'ailleurs, tels, par exemple, que les hauts fourneaux, les fonderies ou laminoirs de fer, les moulins à l'huile, à écorces, à chicorée, et les diverses professions énumérées aux tableaux n°4 et 5 de la loi du 21 mars 1819, toutes ces règles ont été méconnues dans le projet de loi qui est soumis à nos délibérations.
Une seule classification est établie pour toutes les communes du royaume.
Aucune base n'est donnée à l'impôt.
C'est en quelque sorte un blanc seing qui est demandé pour imposer les débitants selon le bon plaisir de l'administration dans les limites d'un maximum et d'un minimum de droit.
Il est vrai qu'on fait intervenir les répartiteurs, mais, je le demande, comment les répartiteurs pourront-ils procéder en présence d'une pareille classification? Comment les répartiteurs d'une commune de 600, de 1,000 habitants, pourront-ils déterminer à quelle classe appartient tel ou tel débitant de tabac ou de cigares ? Comment pourront-ils comparer son débit à celui des marchands d'une grande ville ? Il est évident qu'en l'absence de toute base d'appréciation, le droit qu'ils appliqueront sera ou trop fort ou trop faible.
Si les communes étaient divisées en différentes catégories d'après leur population, les répartiteurs connaissant en général l'état des choses dans des localités semblables à celles qu'ils habitent, pourraient, à défaut d'une base déterminée, classer chacun de manière à ne pas trop s'écarter des règles de la justice distributive. Mais ils ne le peuvent avec une classification uniforme pour les villes les plus populeuses et le plus infime village.
On a objecté que certains débitants pourraient s'établir dans de petites localités et se trouver ainsi dans une catégorie inférieure à celle à laquelle ils devraient équitablement appartenir ; mais en supposant que ce cas exceptionnel fût un motif suffisant pour écarter la base dont je viens de parler, n'y en avait-il pas une autre bien préférable encore, celle du débit, d'après laquelle on impose maintenant tous les marchands détaillants ? Pourquoi ne pas l'adopter également pour les débitants de tabac et de cigares dans le sens indiqué par un membre de la section centrale ? On a objecté que le département des finances ne serait peut-être pas en mesure de calculer le produit d'un droit ainsi établi, à défaut de documents statistiques suffisants. Si cette raison est véritablement l'obstacle qui a empêché M. le ministre des finances de s'arrêter à ce système, je suis d’avis qu’il faudrait adopter la proposition qui a été adoptee de la section centrale et qui est ainsi conçue:
« Le gouvernement communiquera aux chambres législatives, dans l'année qui suivra l'exécution de la loi, un tableau indiquant le classement des débitants de tabac et la moyenne de débit, qui aura été adoptée pour chaque base. »
Quand le département des finances aurait fait un semblable travail, il serait à même d'appliquer la classification à des débits déterminés.
Si M. le ministre des finances reconnaissait qu'un droit établi d'après le débit de chacun est beaucoup plus juste que le système proposé à défaut de renseignements suffisants, et que dans l'année il recueillera les données nécessaires pour modifier la loi dans ce sens, comme je ne fais d'opposition au projet que dans l'intérêt d'une meilleure répartition, je ne lui refuserais pas mon vote, et je le considérerais en ce cas comme transitoire. Mais si une pareille déclaration n'est point faite, il me sera impossible de lui donner mon approbation.
Le mode que j'indique satisferait les honorables membres qui préfèrent un plus grand nombre de classes, car on éviterait également le danger que signale le gouvernement, de n'obtenir qu'un produit beaucoup plus faible que celui que l'on a en vue ; en effet, si l'on connaissait le nombre de débitants des différentes catégories que l'on établirait selon leur importance, la classification pourrait s'adapter aux débits de manière à assurer un produit déterminé. Mais pour cela il faut un travail qui probablement n'a pas été fait. Je conçois parfaitement que ce travail fasse défaut, puisque M. le ministre des finances avait d'abord conçu un tout autre projet qu'il a abandonné, et que celui-ci a dû nécessairement être formé avec beaucoup de précipitation.
Je désire que M. le ministre des finances veuille bien me donner quelques explications à cet égard ; mon vote est subordonné à sa réponse.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable membre que vous avez entendu en premier lieu dans cette discussion, et qui, jusqu'à présent, s'était opposé à la création de nouveaux impôts, par le motif que, selon lui, le trésor n'avait pas besoin de nouvelles ressources ; cet honorable membre a découvert un argument d'un autre genre, et il soutient que le projet de loi aura pour effet de porter une grande atteinte à notre commerce de tabac...
M. David. - Je n'ai pas abandonné mon premier argument, je l'ai déclaré en commençant mon discours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne prétends pas que vous ayez abandonné votre éternel argument qui consiste à dire que le gouvernement n'a pas besoin de ressources nouvelles ; mais vous avez donné une autre raison à l'appui de votre opposition à l'établissement de tout impôt nouveau ; vous nous avez dit que nous allions porter une perturbation grave dans le commerce du tabac, alors que nous construisons des chemins de fer, des canaux, des routes, pour favoriser le commerce d'exportation.
Heureusement que les représentants naturels du commerce des tabacs se trouvent dans cette enceinte ; ils ont pu prendre la parole par l'organe de l'honorable M. Osy, et ils auront probablement réussi à convaincre l'honorable M. David de l'erreur profonde dans laquelle il est tombé. Sur la place d'Anvers, on est très convaincu que le droit de débit sur le tabac que nous proposons, n'apportera absolument aucune perturbation dans ce commerce.
L'honorable M. Van Grootven me paraît avoir adressé au gouvernement des reproches contradictoires. Il a vivement attaqué la loi, parce qu'elle doit soumettre à un impôt le commerce du tabac en détail, et il nous a reproché de n'avoir pas présenté un projet de loi plus complet, de nature à procurer de plus grandes ressources au trésor. (Interruption de M. Van Grootven.)
Vous avez dit bien formellement que vous regrettiez que le gouvernement n'ait pas présenté un projet qui fût de nature à procurer au trésor de plus grandes ressources...
M. Van Grootven. - Un projet quelconque, mais plus productif peut-être.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais je crois qu'alors j'aurais à plus juste titre mérité les reproches de l'honorable member ; il eût été impossible de procurer au trésor de plus grandes ressources, sans atteindre un plus grand nombre de personnes, sans froisser de plus nombreux intérêts, sans soulever, par conséquent, un plus grand nombre de plaintes et peut-être, plus fondées que celles qui pourront surgir à l'occasion de l'application du projet actuel.
Que l'honorable membre veuille bien se souvenir de ce que j'ai déjà eu l'honneur d'énoncer dans cette enceinte au sujet du tabac. Dès qu'on parle d'impôt, chacun déclare bien haut que le tabac est une matière éminemment imposable.
Mais lorsqu'on examine par quel moyen on peut procurer au trésor des ressources importantes à l'aide du tabac, que rencontre-t-on? Le système de l'honorable M. Mercier, dit l'honorable M. Van Grootven, Mais ce système a été très vivement attaqué, et n'a réuni que quelques voix dans la chambre. Je crois que si on le proposait de nouveau, il subirait le même sort. (Interruption.) L'honorable M. Malou nous déclare qu'il le croit aussi.
En effet, ce projet de loi qu'approuve l'honorable M. Van Grootven, avait pour but de procurer au trésor 6,000,000 à 2,800,1$000 fr. Il fallait créer un droit d'accise sur le tabac, suivre la fabrication, soumettre les magasins à un recensement, établir, en d'autres termes, les droits réunis ; il fallait, pour les plantations, suivre exactement les quantités produites par les cultivateurs, soumettre toutes les opérations de la culture à la surveillance des agents de l'administration ; il y avait, en outre, un droit de débit analogue à celui qui est actuelement proposé, de sorte que des différents maux que renfermait le projet de l'honorable (page 1736) M. Mercier, j'ai pris assurément le moindre. Et l'honorable M. Van Grootven qui me critique, fait appel au projet de M. Mercier !
J'avais songé à proposer à la chambre un autre système exempt des inconvénients graves que je viens de signaler ; il aurait consisté d'abord à doubler le droit de douane sur le tabac. On ne pouvait que doubler le droit de douane sur le tabac, parce que le droit de douane sur les cigares est arrivé à l'extrême limite. Il ne produit que 80,000 fr. environ. S'il avait encore été un peu aggravé, il n'aurait plus rien produit du tout, par une double raison, en premier lieu, à cause de la fraude qui se serait pratiquée sur les cigares exotiques, et ensuite, à cause de l'extension qu'aurait prise la fabrication des cigares dans le pays.
Si on avait atteint seulement le tabac en feuilles, le droit de douane aurait pu être doublé, sans grands inconvénients, quant à la fraude ; mais si on avait augmenté ce droit et surtout dans une proportion aussi forte, il est évident qu'il fallait atteindre la culture du tabac indigène ; sans quoi l'on aurait donné une prime très considérable à la culture du tabac indigène ; en peu d'années, le droit de douane aurait complètement disparu, et la consommation aurait été presque exclusivement alimentée par le tabac indigène. Il aurait donc fallu établir un droit sur la culture. Or, ce droit aurait lui-même présenté certains inconvénients. Le recouvrement en eût été peut-être difficile, car en Belgique la position n'aurait pas été la même que celle qui est faite en France au cultivateur.
En France, la régie du tabac existe ; le gouvernement en a le monopole ; il autorise la culture du tabac ; les cultivateurs de tabac livrent à la régie, à un prix favorable, le tabac qu'ils ont cultivé. Là donc, les cultivateurs se trouvent dans une position assez bonne pour la culture du tabac : ils ont un acheteur certain ; ils peuvent immédiatement après qu'ils ont fait la récolte, livrer leur tabac, et ils en reçoivent le prix comptant. Ici, le droit qui aurait été établi à la culture, aurait obligé le cultivateur à faire l'avance de l'impôt ; il aurait dû nécessairement payer, même alors qu'il n'aurait pas vendu sa marchandise. Cela eût été assez difficile à recouvrer ; car cet impôt, pour équivaloir seulement à l'augmentation du droit de douane, aurait représenté environ 10 centimes par kilogramme, et comme la production aurait pu être estimée à 3,000 kilogr. par hectare, l'impôt à payer par le cultivateur indigène aurait été de 300 francs par hectare. Ce n'eût pas été la même condition que celle du cultivateur de betteraves.
La terre cultivée en betteraves supporte à la vérité indirectement par le droit établi sur le sucre un impôt supérieur à 300 fr. par hectare. Mais qui fait l'avance de cet impôt ? Ce n'est pas le cultivateur ; c'est le producteur de sucre, celui qui livre le sucre à la consommation.
Je ne sais si l'honorable M. Van Grootven aurait défendu le système que je viens d'indiquer et qui aurait été assurément bien préférable à celui présenté par l'honorable M. Mercier ; quant à moi, malgré les inconvénients qu'il peut offrir, je l'aurais défendu si les autres ressources jugées indispensables n'avaient pas été admises par la chambre ; mais ces ressources ayant été admises, nous pouvons réclamer une somme moindre de cet objet de consommation. De là le projet de loi qui vous est soumis. La somme que nous essayons d'obtenir est de 300 mille francs.
Les bases que nous proposons sont-elles bonnes ? Nous divisons les débitants de tabac en deux catégories : ceux qui ne débitent que du tabac et ceux qui débitent des cigares. Pour ceux qui ne débitent que du tabac, vous avez un tarif de trois classes qui varient de 6 à 15 fr., et pour les débitants de cigares, vous avez un tarif qui comprend sept classes et varie de 24 à 96 fr.
Ces chiffres sont-ils trop élevés ? Nous ne le pensons pas.
Il ne nous paraît pas qu'un droit de débit de 6 fr. par an, ou 50 centimes par mois, dont les débitants ne feront que l'avance, car ils trouveront moyen de le récupérer sur le consommateur, soit trop élevé.
Cette taxe de 50 centimes par mois on veut cependant l'abaisser. L'honorable M. Osy, qui admet avec nous les deux catégories, voudrait augmenter le nombre des classes ; ajouter pour les débitants de tabac une quatrième classe à 3 ou 4 francs ; et pour les débitants de cigares une huitième classe à 12 francs. Alors qu'arriverait-il ? Mais bien certainement la plupart des débitants seront rangés dans la dernière classe, dans la classe à 3 francs. Comme d'après les calculs fournis à la section centrale, on suppose que sur 15,000 débitants, il y a 10,000 débitants de tabac seulement et que six mille sont taxés à 6 francs, si vous créez une quatrième classe, ces 6 mille tomberont dans la dernière classe et ne produiront plus que 18 mille francs au lieu de 36. Le trésor ne percevra plus ce qu'il doit percevoir. Il en sera de même pour les débitants de cigares. Nous supposons qu'il y en aura 1,800 à 24 francs, de la septième classe ; si vous en créez une huitième à 12 francs, ces 1,800 débitants tomberont dans la catégorie de 12 francs ; le nombre des débitants des autres classes deviendra également moindre.
Le trésor n'obtiendra pas la faible somme qu'il espère.
Je pense qu'il est indispensable, si on veut obtenir 300,000 francs de la loi, de maintenir les catégories et le nombre de classes proposés.
Je ne pense pas qu'on puisse adopter la proposition de M. Coomans, de supprimer la catégorie des débitants de tabac seulement ; c'est comme si vous supprimiez 80 mille francs.
M. Coomans. - J'ai contesté cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, vous avez contesté, j'ai bien entendu, mais vous avez omis de prouver votre allégation.
Comment ! vous ne voyez pas que si vous supprimez la catégorie de débitants de tabacs de 6 à 15 fr. et que vous n'imposiez plus que les débits de cigares, vous ne voyez pas que le produit présumé de 81 mille francs, disparaîtra ? Vous supposez qu'ils débiteront des cigares et que ce sera la taxe de 24 fr. que la plupart acquitteront ; c'est une erreur. D'après les tableaux que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, j'ai supposé dix mille débits de tabac exclusivement.
Il faut que vous admettiez que ce ne sont pas par cela même des débitants de cigares et de tabac ; eh bien, si vous exemptez les débitants de tabac, au lieu d'engager les débitants de tabacs à vendre des cigares, vous restreindrez le débit des cigares et vous étendrez le débit du tabac ; par conséquent, vous affaibliriez le produit de plus de 81,000 francs, car vous offririez un moyen d'éluder la loi.
On dira : il y a moyen d'échapper au droit de débit, c'est de ne pas vendre de cigares, mais seulement du tabac. Ecartons le débit accessoire des cigares. Il en est beaucoup qui débitant aujourd'hui en même temps cigares et tabac, useraient de ce moyen pour n'avoir plus de taxe à payer. La vente des cigares se ferait alors frauduleusement.
M. Vilain XIIII a fait une observation qui me paraît plus fondée. Il dit que dans les campagnes il y a des débitants soit de liqueurs, de boissons distillées ou d'autres marchandises, épiceries, merceries qui vendent accessoirement des cigares et du tabac ; que si on veut les atteindre par la taxe de 24 fr., on leur fera payer une somme qui ne sera pas en proportion de l'importance de leur débit. Il demande s'il n'y a pas de combinaison qui permette de les atteindre dans une proportion moindre. On pourrait, je pense, faire droit aux observations de l'honorable membre. Ce serait, par exemple, de déclarer que dans les communes de mille ou 1,500 habitants ceux qui ne vendent qu'accessoirement du tabac et des cigares pourront être rangés dans la première catégorie et payer 6, 10 ou 15. francs.
Je déposerai un amendement dans ce sens.
L'honorable M. Mercier adresse au projet de loi une critique qui paraît plus fondamentale.
L'honorable M. Mercier nous dit que les taxes ne seront pas établies d'après des bases fixes, déterminées, que cela est contraire aux principes admis en cette matière, que toujours le législateur s'est attaché à indiquer les bases d'après lesquelles les taxes doivent être établies, tandis qu'il y a seulement, d'après le projet, et un certain nombre de classes, dans lesquelles les répartiteurs devront placer les débitants, à raison de leur débit présumé.
Je crois que l'honorable membre exagère beaucoup le principe qu'il suppose déposé dans nos lois.
Il est vrai que, suivant la loi sur les patentes, il y a un certain nombre de patentables imposé d'après des bases fixes, déterminées. Mais il est également vrai qu'un très grand nombre de patentés sont taxés d'après des bases tout aussi indéterminées que celles qui sont déposées dans le projet de loi.
Nous voyons dans la loi des patentes de 1819 (première catégorie, tarif A, premier tableau) que les fabricants sont patentés, d'après le nombre de leurs ouvriers :
Première catégorie, 300 ouvriers et au-delà.
Deuxième catégorie, de 200 à 300 ouvriers.
Ainsi de suite.
Les distillateurs, les brasseurs, sont imposés d'après la quantité de matières employées. Ce sont des bases fixes.
Mais pour les moulins, autres que les moulins à farine, voulez-vous me dire quelle est la base ? Il n'eu existe pas.
M. Mercier$. - Je vous ai dit pourquoi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le pourquoi n'y fait rien. Le fait est que pour les moulins autres que les moulins à farine (c'est très considérable) il n'y a que des classes ouvertes pour chaque espèce de moulins. Voilà tout. Les répartiteurs doivent apprécier dans quelle catégorie il faut placer, pour la patente, le possesseur du moulin, comme dans le système du projet ils devront apprécier dans quelle classe ils doivent ranger les débitants, d'après l'importance de leur débit de tabac ou de cigares.
C'esi identiquement le même mode dans les deux cas.
Pour les fabriques et usines est-ce que la base du droit est fixe et invariable ? Tout au contraire, elle est variable, elle repose sur des éléments divers.
Pour tous les boutiquiers, marchands, débitants, négociants, quelle est la base ? Elle n'existe pas. Il est bien vrai que la loi sur les patentes dit, dans un tableau, que ceux qui ont un débit de 125 mille florins et au-dessus seront mis dans la première classe, ceux qui ont un débit de 100 à 125 mille florins dans la deuxième classe ; et ainsi de snile. Mais ce qui manque, ce qui donnerait seul de la fixité à labase, et justifierait à certains points les observations de l'honorable M. Mercier, c'est un moyen de constater ces débits présumés.
La loi ne le donne pas. Les répartiteurs disent : « Nous présumons qu’un tel a un commerce de tant. En conséquence, nous le rangeons dans telle catégorie. » Or, qu'y a-t-il de plus arbitraire que cette présomption ? Ce qu'il faudrait pour que la loi fût exempte de l'arbitraire dont a parlé l'honorable M. Mercier, ce serait le moyen de constater le débit des uns et des autres ; ce qui n'est pas possible.
Pour la loi sur les boissons distillées, on est dans la même position que pour la loi que nous proposons. C'est la même chose, sauf une seule différence qui est à l'avantage de la loi (page 1737) sur les boissons distillées, je le reconnais : c'est qu'il y a diverses classes, en raison de l'importance de la population.
De la sorte on atténue les inconvénients de la taxe. Mais au fond, c'est la même chose quant au principe. On doit toujours s'en rapporter à l'arbitrage (c'est plutôt le mot que le mot arbitraire) des répartiteurs. C'est pour cela qu'ils sont institués.
Je m'étonne que l'honorable M. Mercier dise que les contribuables sont abandonnés à cet égard à l'arbitraire de l'administration. Que sont les répartiteurs ? Un véritable jury, choisi par les délégués des électeurs, choisi par la commune, qui établit, en présence d'un seul agent de l'administration, quelle est la classe dans laquelle il convient de placer d'une manière juste et équitable le patentable. Et si le patentable croit avoir à se plaindre de sa décision, il peut porter sa réclamation devant la députation permanente, autre corps électif, tout à fait indépendant de l'administration, qui fait droit à la réclamation si elle est fondée.
Voilà où sont les garanties : ce sont aussi les garanties que présentera la loi que nous examinons.
Il en sera pour le droit sur le débit du tabac, comme pour le droit sur le débit des boissons alcooliques, comme pour le droit de patente. Dans toutes les hypothèses, les contribuables seront dans la même position : c'est-à-dire que ce sera aux répartiteurs à indiquer la classe dans laquelle devront être placés les débitants.
Il pourra arriver, lors de la première application de la loi, que des individus, ayant un débit à peu près égal dans des communes d'une égale importance seront placés les uns dans une classe, les autres dans une autre. Que fera-t-on alors ? Que se passera-t-il ? L'administration donnera des instructions pour arriver le plus possible à une égale répartition des impôts. Les inconvénients qu'on peut signaler d'une manière théorique ne se feront pas sentir dans la pratique.
Théoriquement, on peut soutenir qu'un individu ayant, à Gand, un débit de 3,000 fr. pourra être taxé à 24 francs, tandis qu'un autre individu, ayant, à Bruxelles, un débit de la même importance sera taxé à 72 francs. Sans doute cela est possible, puisque, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Mercier, les répartiteurs des diverses localités ne sont pas appelés à se concerter entre eux.
Mais pratiquement de pareilles différences ne se rencontrent pas. On veillera à ce que les débitants, ayant un débit analogue, soient placés dans des catégories qui se rapprochent. Des mesures seront prises pour arriver autant que possible à un équitable résultat.
Je le répète, au surplus, ultérieurement l'administration, lorsque tous les faits sont constatés, arrive par les renseignements que lui donnent ses agents à faire disparaître les différences qui peuvent exister dans la taxation, rapproche autant que possible les uns des autres ceux qui ont un débit d'égale importance.
Lorsque nous arriverons à la disposition à laquelle un amendement a été proposé, je crois que c'est l'article 3 ou l'article 4, je dirai quels sont les renseignements que le gouvernement pourra fournir sur l'application de la loi, non pas, cela me paraît fort inutile, d'une manière isolée, d'une manière spéciale, mais à l'occasion du budget des voies et moyens où de tels renseignements se présentent naturellement.
Il se peut, messieurs, comme le faisait pressentir l'honorable M. Mercier, qu'ultérieurement, lorsque la loi aura fonctionné un certain temps, on puisse arriver à établir des bases plus précises que celles qui ont été proposées ; mais quant à présent, je crois que l'honorable M. Mercier lui-même serait impuissant à en indiquer. Si j'avais pu en établir de plus précises, je l'aurais fait. Mais je ne possède pas les éléments propres à établir ces bases. J'ajoute que les inconvénients qu'on a indiqués ne sont pas grands, qu'on les fera facilement disparaître.
Le seul moyen que l'on avait suggéré, c'était d'établir le même principe que celui qui a été consacré pour les boissons alcooliques, c'est-à-dire de prendre pour base l'importance de la population. Ce moyen serait bien insuffisant. Mais nous avons répondu que si l'on prenait en considération l'importance de la population, il arriverait que dans les grands centres de population, le droit étant plus fort que dans les localités voisines, parfois contiguës, les débits de cigares iraient s'établir aux portes des villes au lieu d'exister dans leur enceinte. Cela est de toute évidence. La loi serait éludée.
Dans l'impossibilité d'employer un pareil moyen, nous avons dû nous en tenir aux deux catégories qui se trouvent indiquées dans le projet de loi. Elles nous paraissent répondre au but que l'on s'est proposé, c'est-à-dire atteindre dans une proportion équitable, dans une juste mesure, par un impôt très modéré, un objet de luxe, quelle que soit la qualité des tabacs consommés ; car personne ne prétendra que le tabac soit un objet de première nécessité,
M. Dumortier. - Messieurs, je ne reconnais pas d'abord la nécessité d'impôts nouveaux. Il me semble que, par le vote de la loi sur les successions, vous avez largement comblé le déficit qui pouvait exister entre nos recettes et nos dépenses. Et je ne suis pas disposé à voter d'autres impôts avant de savoir pourquoi on les vote.
En second lieu, la nécessité d'impôts nouveaux me fût-elle démontrée, il me serait impossible de donner mon assentiment à une loi que je regarde comme devant être singulièrement vexatoire pour les citoyens.
Quel est le but de la loi ? Ce but est d'imposer le tabac. Eh bien, je dirai aussi que le tabac est une matière éminemment imposable ; je suis le premier à le déclarer. Mais, de ce que le tabac est une matière éminemment imposable, faut-il admettre un droit de patente immodéré comme celui qu'on vous propose ? Là est toute la question.
Je dis que ce que l'on vous demande n'est autre chose qu'un droit de patente, et que ce droit de patente n'est nullement en rapport avec celles qu'établit notre loi générale.
En effet, comment les choses se passent-elles d'après notre loi générale ? Le grand banquier, celui qui fait le plus d'affaires et qui, souvent, réalise le plus de bénéûces, le premier banquier de la Belgique paye une patente de 600 fr. C'est certainement une forte patente. Or, d'après le projet en discussion, le débitant de cigares de la quatrième classe, c'est-à-dire de la classe moyenne, puisqu'il y en a sept, sera obligé de payer une patente de 60 fr., c'est-à-dire le dixième de l'impôt que vous faites payer au plus grand banquier de la Belgique. Y a-t-il là, je vous le demande, une proportion, une justice distributive ? Il est évident que vous donnez ici tout le désavantage au petit industriel contre le grand ; il est évident que c'est encore une de ces lois dans lesquelles on frappe sur les petites fortunes ; et pour mon compte je repousserai toujours de toutes mes forces la loi qui frappe sur le petit au bénéfice du grand et du riche.
Si l'on veut absolument faire produire davantage au tabac, il y a un moyen bien simple : augmentez le droit d'entrée sur le tabac exotique et vous arrivez nécessairement à avoir un revenu plus fort pour le trésor public. Mais du moins alors vous établiriez une répartition proportionnée au débit ; celui qui vendrait beaucoup de tabac amènerait plus de revenu au trésor public ; celui qui vendrait peu en amènerait moins ; il y aurait une proportionnalité. Mais dans mon opinion rien n'est plus injuste que de vouloir rendre impôt direct ce qui par sa nature est impôt indirect.
L'impôt sur le tabac est, par sa nature, un impôt de consommation. Tout impôt de consommation est un impôt indirect. Vouloir en faire un impôt direct c'est évidemment arriver à l'injustice ; et l'injustice en matière d'impôt, c'est de l'iniquité.
Voyez, messieurs, le résultat de la loi sur les débits de boissons distillées, quelles en sont les conséquences ? C'est qu'on arrive à ce résultat que très souvent ceux qui ont les plus grands débits de spiritueux ne sont imposés qu'à une patente très peu élevée, tandis que les tenant café, les hôteliers, les limonadiers, sont obligés de prendre une patente de débit de boissons distillées du chiffre le plus élevé, et la plupart d'entre eux vous diront qu'ils ne vendent pas annuellement des liqueurs distillées pour une somme égale à l'impôt de la patente qu'ils doivent payer. Cependant ils sont obligés de prendre cette licence ; car lorsque le consommateur se présente, il faut bien qu'ils aient à lui servir.
J'ai toujours entendu dire par les hôteliers, par les restaurateurs, par les limonadiers que la totalité de leur vente annuelle en boissons alcooliques ne s'élève pas au montant de l'impôt qu'ils ont à payer. Messieurs, est-ce là de la justice ? En définitive vous faites payer celui qui ne débite pas, dans une proportion énorme, dans une proportion déraisonnable, et c'est là une iniquité, une violation de tous les principes en matière d'impôt.
Eh bien, il en sera exactement de même pour la taxe nouvelle, parce que d'un impôt qui est de sa nature un impôt de consommation, vous voulez faire un impôt direct, un impôt de patente.
Mais si ce principe est bon, si c'est justice d'établir les droits de consommation pour la patente, pourquoi ne l'appliquez-vous pas à tout ? Pourquoi ne supprimez-vous pas les droits d'accise sur les distilleries, sur les bières ? Pourquoi ne supprimez-vous pas le droit sur le café, sur le sucre et pourquoi n'établissez-vous pas un droit de patente sur le débitant de café, un autre sur le débitant de sucre ?
Ce serait un système infiniment plus commode et plus économique, car vous pourriez alors supprimer tous les employés des accises et ce serait déjà un grand revenu pour le trésor.
Mais vous auriez fait une immense iniquité parce que vous ne pourriez jamais arriver à une justice distributive. Eh bien, il en sera de même pour la loi que vous avez à voter. Vous allez établir l'impôt qui ne sera rien pour le gros débitant de tabac et qui sera une ruine pour le petit, à qui il enlèvera le produit de son commerce.
Messieurs, il existe des débis de tabac qui vendent annuellement pour une somme de 60,000 francs et même davantage. Si ce débit est imposé à une patente de 60 francs, il payera 1 p. mille de sa vente. Mais il existe des débitants de tabac et de cigares même dans la capitale, qui ne gagnent par jour qu'un demi-franc ou un franc au moyen de quoi ils entretiennent leur famille.
Vous les mettrez dans la dernière classe ; leur patente sera de 24 fr. C'est-à-dire que vous allez leur faire payer 15 p. c. sur leur vente. Est-ce là de la justice distributive ?
Un pareil système choque profondément mes sentiments de justice, et je ne comprends pas qu'un gouvernement puisse avoir recours à de semblables mesures. Je ne comprends pas qu'on écrase les petits qui ont besoin de leur commerce pour vivre, pour élever leur famille, alors qu'on est indulgent envers ceux qui font fortune.
Messieurs, c'est un faux système que ce mode de droits de débits sur des objets qui, de leur nature, sont des matières d'accise. C'est un système inique et qui doit nécessairement engendrer d'innombrables réclamations. Si vous voulez le voter, faites-le ; le pays vous en tiendra compte ; quant à moi, je ne lui donnerai pas l'appui de mon vote.
« Mais, dit M. le ministre, mon intention avait été de doubler le droit d'entrée sur les tabacs, mais alors il fallait mettre des droits sur l'agriculture, sur la culture du tabac. » Eh, messieurs, je ne vois pas pourquoi l'on ne pourrait pas mettre des droits sur les tabacs d'Amérique, sans frapper en même temps l'agriculture. Est-ce que l'agriculture doit (page 1738) être frappée parce que déjà le tabac d'Amérique vient lui enlever le marché du pays ? Ceux qui se servent de tabac d'Amérique (et je suis du nombre) payeront volontiers le droit que vous aurez établi.
Mais, dira-t-on, cela nuira au commerce d'Anvers et aux fabricants de tabac de Liège, de Bruxelles, etc. Eh bien, messieurs, j'aime beaucoup mieux n'être pas agréable au commerce d'Anvers et à quelques gros fabricants que d'écraser 15,000 petits débitants qui ont besoin de leur industrie pour élever leur famille. Vous n'avez de considération que pour les grands ; moi j'ai pitié des petits.
On cite la loi des patentes. M. le ministre des finances dit que le débit présumé c'est l'arbitraire. Mais qu'est-ce donc que votre loi ? C'est un impôt sur le débit présumé dont vous avouez vous-même que c'est de de l'arbitraire. Vous présentez une loi d'arbitraire et vous voulez la faire voter par une chambre libérale ; je vous en fais mon sincère compliment. Que le parti ministériel vous suivre, qu'il vote l'arbitraire, le pays lui en saura gré.
Il y a, messieurs, dans notre système de patentes quelque chose d'excessivement injuste ; c'est que plus on enlève au travail des ouvriers, moins on paye au trésor public : Ainsi vous avez une manufacture, vous faites vivre 300 ouvriers, vous payez une très forte patente ; mais s'il vous vient à l'idée d'établir une machine à vapeur au moyen de laquelle vous pouvez congédier 200 ouvriers qui se nourriront ensuite comme ils pourront, à l'instant même votre patente se réduit considérablement. Ainsi, moins vous faites vivre d'ouvriers, moins vous payez au trésor public ; eh bien, ce devrait être le contraire. Je ne veux pas provoquer de nouveaux impôts, mais si vous voulez absolument en établir, pourquoi ne frappez-vous pas 5 francs, 10 francs, par force de cheval sur les machines qui font le travail des ouvriers ? Si un industriel occupe un cheval, il paye l'impôt, et s'il emploie une machine de la force d'un cheval, il ne paye plus rien. Mais c'est toujours le petit que vous voulez frapper, c'est pour les grands que vous réservez toutes vos sympathies.
Cependant, messieurs, quand on vient évoquer le fantôme rouge, quand on vient vous menacer pour 1852 des plus effroyables malheurs si vous ne votez pas la dérivation de la Meuse, on devrait bien aussi songer un peu aux petits contribuables.
Je dis donc, messieurs, que les impôts de consommation sont des impôts indirects, qu'on les fait sortir de leur voie quand on veut en faire des impôts directs et qu'alors on arrive à l'arbitraire etàune odieuse iniquité.
J'ai combattu en 1834 la loi sur le débit des boissons distillées et si j'avais pu assister à la séance lorsqu'on a modifié cette loi, je l'aurais combattue de nouveau ; je la combattrai chaque fois que l'occasion s'en présentera.
Tous ces droits de patente exceptionnels sur le débit des objets de consommation ne sont nullement proportionnés à la richesse qu'on acquiert dans la profession qu'on exerce. Ainsi cet impôt sur les boissons distillées n'est nullement en harmonie avec la patente des personnes qui font fortune par l'industrie ou le commerce. Vous frappez la misère, vous frappez l'homme qui gagne à peine de quoi entretenir sa famille, vous les frapperez hors de toute proportion et vous ne demandez au riche qu'une très faible patente pour les grands revenus qu'il se procure. C'est une iniquité !!
Je voterai donc contre le système qui vous est proposé, et si le gouvernement a besoin d'argent, je demanderai pourquoi l'on n'établit pas plutôt un droit d'entrée sur les tabacs étrangers.
Ce serait là, messieurs, une chose extrêmement facile puisque M. le ministre des finances a dit tout à l'heure qu'on peut doubler le droit sans avoir à craindre la fraude. Eh bien, s'il ne s'agit pas de doubler le droit, si le droit était augmenté de 50 p. c. on aurait le même revenu que celui qu'on attend du projet en discussion. Ou éviterait ainsi de frapper 15,000 contribuables ou plutôt, très probablement 30,000 contribuables, comme l'a expliqué l'honorable M. Vilain XIIII.
M. Van Grootven. -Je tiens à répondre un mot à l'honorable ministre des finances. Il n'entre pas dans ma pensée de réclamer un projet de loi analogue à celui qu'a présenté dans le temps l'honorable M. Mercier ; ce projet a échoué devant la chambre comme il le méritait du reste, le pays entier s'est élevé à cette époque contre cette malencontreuse conception.
Telle n'a pas été ma pensée, messieurs, ce que j'aurais désiré, c'est que l'honorable ministre des finances nous eût soumis un projet de loi qui eût produit une ressource nouvelle au trésor, mais qui ne consacrât pas le droit du débit, que je persiste à envisager comme arbitraire et frappant inégalement les détaillants.
M. Cools. - J'ai demandé la parole pour appuyer la disposition que la section centrale, après une assez longue discussion, a proposé d'introduire dans le projet ; mais comme je ne veux parler qu'une seule fois, j'en aurai pour quelque temps et je préfère, en conséquence, si la chambre me le permet, ne prendre la parole que demain. Je pourrai parler sur l'article auquel la disposition dont il s'agit se rapporte.
M. Malou. - M. le ministre des finances a omis de répondre à l'interpellation qui lui a été adressée par mon honorable collègue M. Vandenpeereboom. La question qu'il a soulevée est cependant très grave ; elle concerne non seulement M. le ministre des finances, mais aussi M. le ministre de l'intérieur puisqu'elle se rattache à un intérêt agricole très important.
Lors des discussions qu'a amenées la loi de 1844, j'avais proposé une disposition d'après laquelle les tabacs seraient prohibés à l'entrée par notre frontière du Midi. On me fit observer qu'il serait dangereux d'adopter cette disposition parce qu'elle pourrait être considérée comme un acte d'hostilité commerciale par un pays voisin. Je consentis à transformer en une faculté pour le gouvernement la disposition impérative que j'avais d'abord proposée.
Depuis le vote de cette loi, le conseil provincial de la Flandre occidentale et le conseil supérieur d'agriculture se sont également émus de l'accroissement que prennent les importations de tabac par notre frontière du Midi. Je n'ai pas pu vérifier tous les chiffres, mais en 1848, l'importation s'est élevée à 81,000 kilogrammes, tandis que la moyenne indiquée par le gouvernement en 1844 était seulement de 50,000 kilogrammes.
Si la France était un pays de libre culture et si l'importation sur notre marché n'était pas stimulée par la prime d'exportation qui existe, et dont l'importance est beaucoup plus grande qu'on ne le supposerait d'après le calcul que je viens d'indiquer, alors je concevrais qu'on n'insistât point sur l'emploi de la faculté laissée au gouvernement ; mais il n'en est pas ainsi.
De nouveaux renseignements m'autorisent à dire que nous n'avons pas à craindre qu'une semblable mesure pût provoquer quelques réclamations de la part du gouvernement français. Et en effet cette faculté que l’on donne aux planteurs français occasione à la régie des embarras, sans compensation aucune pour elle.
Je prie donc M. le ministre des finances de vouloir bien examiner ces pétitions. J'en propose le renvoi à ce ministre ainsi qu'à M. le minisire de l'intérieur, avec demande d'explication.
La question, je le répète, est très grave, non seulement pour la Flandre occidentale, mais aussi pour une grande partie du Hainaut où la culture du tabac a aussi, comme intérêt agricole, une très grande importance.
M. Loos. - Messieurs, l'honorable M. Malou, et mon honorable ami M. Vandenpeereboom, ont présenté les faits d'une manière tout autre que les pétitionnaires ne les ont présentés eux-mêmes. D'après cet honorable membre, il semblerait que la France accorde une prime considérable à l'exportation des tabacs.
Messieurs, il n'en est rien ; il n'existe pas de prime à l'exportation des tabacs sur les départements frontières vers la Belgique. Aussi ce n'était pas de cela que se plaignaient les pétitionnaires ; ils établissaient les faits de la manière suivante : Les cultivateurs français plantent pour les besoins de la régie et pour l'exportation ; au début de la campagne, ils doivent déclarer ce qu'ils entendent planter et pour la régie et pour l'exportation.
Les prix pour la régie sont établis suivant les qualités ; or, dans les départements frontières, ce prix était pour le moment de 54 fr. par 100 k log., et le prix sur le marché belge était de 67 francs ; les planteurs français avaient donc intérêt à exporter une grande partie de tabacs.
Ainsi, de 54 francs à 67, il y avait une marge de 13 fr. par 100 kilog. dont profitaient les planteurs français, tandis que les cultivateurs belges se plaignaient de leurs importations considérables.
Il est évident que vous aurez toujours ce résultat, que, lorsque dans un pays une production sera à meilleur marché que dans un pays voisin, il s'en fera des importations dans celui-ci. Mais on a eu tort de dire que ces importations étaient le résultat d'une prime considérable accordée aux planteurs français.
Messieurs, les tabacs du pays sont déjà protégés par un droit de 12 fr. 50 c. les 100 kilogrammes : ce qui équivaut au sixième de la valeur à peu près. Il y aurait de l'exagération à porter le droit d'entrée à un taux plus élevé. Ne perdons pas de vue que nous avons à une autre époque, sous l'administration de l'honorable M. Mercier, si je ne me trompe, nous avons quadruplé le droit de douane qui existait alors sur les tabacs. Quel en a été le résultat ? Vous pensez qu'en quadruplant le droit, vous devez nécessairement avoir le quadruplé produit de l'impôt.
Il n'en est rien du tout : au lieu de quadrupler le produit, on n'a obtenu qu'un produit double ; mais par contre, le commerce a diminué de moitié. Vous voyez donc qu'en fait d'impôt, 2 et 2 ne font pas toujours quatre, et qu'en voulant surtaxer un produit, on arrive à tuer le commerce sans profit pour le trésor.
Je ne m'oppose pas au renvoi de la pétition à M. le ministre des finances, mais je combattrai toute élévation d'impôt que cet honorable ministre pourrait proposer.
M. de Haerne. - Messieurs, je suis du nombre de ceux qui pensent qu'une augmentation du droit de douane sur les tabacs serait éminemment préjudiciable à la fabrication. Si une pareille mesure nous était proposée, je devrais m'y opposer ; d'abord, parce que ce droit frapperait d'une manière trop considérable la fabrication et l'industrie ; en second lieu, parce que je suis convaincu que le fisc n'atteindrait pas son but. Le droit lui échapperait, par suite des facilités qu'on offrirait à la fraude, du côté de la Hollande, et ensuite par une augmentation du prix qui en serait le résultat en Belgique. L'infiltration en France serait aussi moins considérable.
Si j'abonde dans le sens de l'honorable M. Loos, en ce qui concerne l'augmentation du droit de douane, je ne puis admettre l'observation qu'il a faite tout à l'heure, quant aux tabacs qui nous viennent de France. C'est un cas spécial ; et lorsque nous demandons que ce tabac soit prohibé à la frontière, c'est pour une cause tout à fait particulière.
Il ne s'agit pas ici de frapper l'industrie ; ce sont ordinairement des tabacs de qualité très inférieure, et que les cultivateurs français doivent nécessairement exporter en Belgique, parce qu'ils doivent s'en débarrasser.
(page 1739) On a dit avec raison que c'est une prime que la France accorde à ces exportations de tabac. L'honorable M. Loos a contesté cette assertion. Mais il faut s'entendre. J'admets que ce n'est pas une prime directe, autorisée par le gouvernement.
Cette prime est le résultat des manœuvres auxquelles se livrent les cultivateurs français ; et ces manœuvres nous autorisent à croire que jamais le gouvernement français ne ferait de réclamation, si le gouvernement belge venait à prohiber l'entrée de ces tabacs.
En France, on plante, et pour la régie, et pour l'exportation.
Eh bien, on prend dans les feuilles du tabac planté pour l'exportation les feuilles les meilleures que l'on mêle frauduleusement à celles qui sont destinées à la régie ; le tabac qui reste, doit nécessairement s'exporter, et comme les planteurs sont toujours sûrs de faire un bon prix de ce qu'ils vendent à la régie, vous comprenez qu'ils jouissent d'une prime réelle.
Ce sont des qualités inférieures qui viennent faire concurrence à nos tabacs ; ces tabacs se vendent à la classe la plus nombreuse et font dès lors un grand tort aux nôtres, qui doivent, comme ceux venant de France, être livrés à la consommation.
J'invoque encore ici l'intérêt du peuple ; car il n'est pas convenable qu'on livre au peuple du tabac d'aussi mauvaise qualité que ceux dont il s'agit.
Il faut aviser aux moyens propres à empêcher cet état de choses. J'ai dit.
M. le président. - La parole est à M. Malou.
M. Malou. - J'y renonce.
- La discussion générale est close.
La discussion des articles est remise à demain.
La séance est levée à 5 heures moins un quart.