(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1591) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« La société de rhétorique l'Espérance, demande l'abolition de la contrefaçon et la libre entrée des livres entre la Belgique et la Hollande. »
« Même demande d'une société de rhétorique de Louvain. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le bureau de bienfaisance de la ville de Louvain rappelant sa pétition, en date du 10 mars dernier, prie la chambre de décider le plus tôt possible la question de savoir si l'entretien des jeunes sourds-muels et aveugles dans des établissements destinés à recevoir ces malheureux est à la charge de la commune ou du bureau de bienfaisance. »
- Même renvoi.
M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, une pétition de même nature a été déposée il y a deux mois environ ; la chambre a demandé un prompt rapport. Maintenant l'administration des hospices de Louvain se plaint de ce que ce rapport n'ait pas encore été fait. Je me joins à elle pour demander que la commission veuille bien faire le rapport qn'elle a été invitée à faire par décision de la chambre.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Lebrenier, conducteur de travaux, réclame l’intervention de la chambre, pour que le gouvernement applique aux voitures des chemins de fer, le système de plaques de garde pour lequel il a été breveté le 2 août 1847. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hauquet, brasseur, demande qu'il soit facultatif aux brasseurs de faire plusieurs jours à l'avance la déclaration prescrite par l'article 13 de la loi du 2 août 1822 concernant l'accise sur les bières. »
- Renvoi à la seclion centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant l'accise sur les bières et les vinaigres.
« Le sieur Ludig, ne à Montfort, province de Luxembourg, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs propriétaires et habitants de la ville d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les vidantes. »
« Même demande de plusieurs propriétaires et locataires de Brecht et de Saint Léonard. »
- Renvoi a la commission des pétitions.
M. le ministre des finances adresse à la chambre le compte spécial des opérations relatives à la négociation des bons du trésor pendant l'année 1850.
- Impression et distribution.
M. David. - J'ai l'honneur de déposer un rapport de la commission permanente d'industrie, sur une pétition des raffineurs de sucre d'Anvers, demandant des modifications au mode de perception des droits sur le sucre indigène.
La commission propose le renvoi au ministre des finances.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - A la fin de la dernière séance, il nous restait à prononcer sur le renvoi de la proposition de M. Jacques, qui venait d'être prise en considération. Plusieurs propositions étaient faites.
M. Jacques demandait le renvoi aux sections.
M. Thiéfry proposait le renvoi à une commission spéciale.
M. Allard demandait le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de la guerre.
M. Jacques. - Je ferai remarquer que les sections n'ont pas encore examiné le budget de la guerre, et qu'au lieu de renvoyer le projet que j'ai présente à la section centrale, à nommer, il serait préférable de renvoyer aux sections quand elles s'occuperont du budget de la guerre et que le gouvernement leur aura transmis le travail de la commission qu'il a chargée de l'examen de cette question.
M. de Perceval. - Il me semble que la proposition de M. Allard est assez rationnelle. Le travail de M. Jacques peut être envoyé à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget de la guerre. Il serait difficile pour les sections de s'occuper d un travail aussi compliqué, elles pourraient s'égarer à la suite de M. Jacques dans les détails de son organisation militaire. C'est là une chose qui est plutôt de la compétence d'une section centrale.
Je demande donc qu'on adopte la proposition de M. Allard.
- Cette proposition est adoptée.
M. Coomans. - Messieurs, les études approfondies et les publications intéressantes dont le système des douanes locales a été l'objet en Belgique et dans des pays voisins, me permettent d'abréger les développements du projet dont j'ai eu l'honneur de prendre l'initiative. Je serai d'autant plus concis qu'il ne s'agit pas à cette heure d'engager le débat sur les détails et les moyens d'exécution de la réforme demandée. Il me suffira d'établir qu'elle mérite d'être prise en considération par mes honorables collègues, parce que le principe en est juste, conforme à nos institutions fondamentales, et en harmonie avec les vœux, les besoins et les droits de toutes les classes de la population.
D'ailleurs les antécédents et les déclarations formelles de plusieurs honorables membres de cette assemblée, m'assurent leur concours efficace dans cette discussion. Ils ont depuis longtemps soutenu, avec moi, la nécessité de faire disparaître de notre régime communal les entraves fiscales et vexatoires que l'octroi apporte au développement de presque toutes les branches du travail national. Ces honorables membres ont élevé à ce sujet des réclamations raisonnées, dont je leur ferais injure de ne pas me servir contre les partisans du régime en vigueur. Ils ne m'abandonneront pas dans la poursuite d'un but commun que le pays s'étonne de ne pas voir déjà atteint.
Leur loyauté me garantit qu'ils ne voudront pas mériter le reproche d'avoir professé des opinions plus séduisantes que réalisables, et d'avoir voulu conquérir par des illusions habilement semées au sein du peuple, une popularité qu'ils n'avaient pas l'intention de justifier par des actes.
En politique et en économie politique (l'une est aujourd'hui la base de l'autre, et elles tendent sans cesse à se confondre), il est aussi dangereux que déloyal de réclamer des réformes impossibles. Tout homme qui se respecte, qui a foi dans ses principes, qui ne se joue pas de l'opinion publique et qui ne la surexcite pas pour s'en faire un instrument de parti, tout homme consciencieux doit se garder de solliciter des réformes qu'il n'est pas prêt à pratiquer.
C'est abuser cruellement le peuple que de combattre avec chaleur et de maintenir avec force des institutions dont il se plaint ; c'est ajouter à sa souffrance la déception qui en double l'amertume, c'est lui témoigner moins d'intérêt pour ses maux que de dédain pour son intelligence.
Pour ma part, je croirais manquer à des devoirs élémentaires, non seulement à mes devoirs de député et de publiciste, mais à mes devoirs d'homme et de citoyen, si, après avoir demandé pendant 17 ans la suppression graduelle des octrois, je ne venais pas proposer l'application de ma doctrine, quand la confiance de mes concitoyens m'a enlevé l'excuse de l'impuissance.
Il ne sera pas dit, espérons-le, de la chambre belge qu'elle renferme des hommes intelligents et habiles qui, après avoir attaqué les principes et l’application de nos lois économiques, notamment de nos douanes nationales et urbaines, refusent de conformer leurs actes à leur langage, alors que le temps est venu de remplir leurs promesses, alors surtout qu'ayant le pouvoir en mains, ils sont libres de choisir et de diriger les moyens d'exécution.
Rien ne déconsidère les hommes publics et les pouvoirs dont ils sont l'incarnation comme ces oscillations de volonté et ces capitulations de conscience qui sont considérées plutôt comme un manque de franchise que de fermeté.
M'opposera-t-on, au nom de la prudence, la fin de non-recevoir de l'inopportunité ? Certaines indiscrétions me le font assez craindre pour que j'essaye de repousser d'avance ce lâche et hypocrite argument.
Si la prudence conseillait de ne pas modifier en 1852 le régime des octrois, elle exigeait à plus forte raison qu'on ne sollicilât pas bruyamment cette réforme en 1851, en 1851, ni même en 1847 et 1848. Si une prudence tardive dépeignait ma proposition comme dangereuse en ce qu'elle agiterait nos populations, de quel nom faudrait-il qualifier les efforts faits depuis de longues années pour rendre l'octroi odieux et ridicule ?
Quoi ! ma proposition, d'une portée si modeste, serait condamnée comme prématurée et quasi-révolutionnaire, et par qui, je vous prie ? Par des hommes, m'assure-t-on, qui ont éloquemment combattu les octrois, avec moi, avant moi : qui ont contribué à m'inspirer la conviction que j'apporte à cette tribune ; par des hommes enfin aux yeux de qui je ne puis pas même avoir le tort de pécher par excès de courage !
Quoi ! ma proposition leur semblerait inopportune, à eux qui professent les doctrines du libre échange, sans exiger le tempérament de la réciprocité ! A eux qui ont proclamé qu'il est inique, inhumain et ruineux d'imposer les denrées alimentaires venues de l'étranger ! A eux qui, l'autre jour encore, déclaraient que tout impôt de consommation est une diminution de salaire, que l’argent perçu sur les vivres sent mauvais et porte malheur ! A eux qui m'ont appelé affameur public, ennemi des bonnes récoltes et partisan de la disette, parce que je proposais de (page 1592) prélever sur le blé étranger une taxe beaucoup moins forte que celle dont plusieurs de nos villes frappent le blé belge !
Non, messieurs, ma proposition est opportune parce qu'elle est juste, parce qu'elle est populaire, dans le bon sens du mot, parce qu'elle est la conséquence logique, forcée de la libre importation des grains et du bétail exotiques ; parce que, au moment même où l'on expose l'agriculture nationale aux hasards de la concurrence étrangère, on ne peut la charger d'impôts locaux très élevés, dont le producteur acquitte toujours une certaine part ; enfin, ma proposition est opportune, parce qu'elle tend à affranchir de taxes odieuses, un demi-million de modestes travailleurs à peine pourvus des moyens nécessaires à leur existence physique.
Bien que l'octroi pèse sur toutes les classes de la population et qu'il les gêne toutes, il grève particulièrement la petite bourgeoisie et les ouvriers en ce qu'il frappe de préférence les objets de consommation forcée, tels que les denrées alimentaires et les combustibles. Il n'est pas moins odieux aux classes agricoles qu'il met vexatoirement à contribution. Les unes et les autres en supportent la charge, dans des proportions inégales, mais sensibles.
Le cultivateur qui va approvisionner le marché, est obligé à faire des avances qui ne lui laissent plus toute liberté de traiter avec le consommateur. Leur intermédiaire, qu'il soit industriel ou commerçant, profite quelquefois de la perception de la taxe pour élever outre mesure le prix de la marchandise. Ce dernier abus n'est pas rare dans les faubourgs populeux où la vente des produits étant réglée par les prix de la ville, les marchands réalisent généralement plus de bénéfices que leurs rivaux intra muros.
Les millions que nos douanes communales prélèvent annuellement sur les objets de grande consommation, sont un impôt agricole et industriel à la fois, un impôt onéreux et injuste, un impôt vicieux au point de vue financier à cause des difficultés de la perception, et un impôt réprouvé par la morale, en ce que chaque centre urbain est constamment assiégé par une armée de fraudeurs.
Prétendra-t-on que ces millions sont indispensables aux villes qui les perçoivent, et qu'il est impossible de les remplacer par des ressources équivalentes ?
Je ne rechercherai pas si nos grandes villes ont fait un usage irréprochable des énormes revenus que leur a donnés l'impôt sur les denrées alimentaires ; je n'examinerai point s'il est convenable de consacrer à des dépenses de luxe dont les classes laborieuses ne profitent point ou guère les contributions prélevées sur leur nécessaire. Je dirai seulement que, dans l'hypothèse où nos villes ne sauraient se passer des ressources dont elles disposent aujourd'hui, il y aurait lieu de substituer aux taxes que je blâme d'autres taxes à prélever, soit sur des objets de consommation volontaire, soit sur des produits industriels, soit sur le revenu présumé des habitants.
Ce dernier moyen, qu'on pourrait combiner avec d'autres, ne serait pas une innovation. Il est employé, sans beaucoup d'opposition, dans les faubourgs de quelques-unes de nos principales cités, Gand et Anvers, par exemple, el dans une foule de communes rurales, auxquelles il fournit le plus clair de leurs ressources.
L'impossibilité de l'abolition des taxes sur les denrées alimentaires ne sera soutenue par personne, je pense ; elle ne saurait l'être en aucun cas par une foule de membres de cette assemblée qui ont en vue la suppression du système des octrois. Or, si une réforme partielle est praticable, pourquoi l'ajourner indéfiniment ? Elle ne sera jamais plus facile qu'aujourd'hui ; toujours elle rencontrera les mêmes obstacles et de plus grands peut-être.
A quoi bon temporiser, et que nous servirait-il de reculer devant une amélioration conforme à nos vœux, à nos promesses, à notre devoir, à notre dignité ? En ajournant, par paresse, par peur ou par jalousie de parti, une mesure d'utilité générale que nous avons tous préconisée, que nous avons tous contribué à rendre populaire, que plusieurs d'entre nous ont inscrite sur leur programme politique, nous manquerions à nous-mêmes encore plus qu'au pays.
Pour démontrer qu'un impôt doit être aboli, il suffit, ce semble, de prouver qu'il est injuste, odieux, et qu'il entrave la prospérité de l'agriculture et de l'industrie. Or, cette démonstration a été faite avec une telle surabondance d'arguments que je serais embarrassé de les reproduire, même en substance. Dès lors, peut-on subordonner l'acceptation du principe de mon projet de loi, à l'indication de ressources nouvelles compensant la perte de celles dont les villes seraient dépouillées ? Non, car les questions de justice et d'intérêt social dominent toutes les autres. Dès qu'on les pose, il faut les résoudre à ce double point de vue, et aucune fin de non-recevoir n'est admissible.
Si l'on me sommait ici de formuler mes vues relativement aux moyens d'indemniser les trésors municipaux de la perte que leur causerait la suppression des taxes sur les denrées alimentaires de grande consommation, je ferais la double réponse que voici :
D'abord, je constalerais que le gouvernement et sa majorité ont supprime ou diminue plusieurs impôts au moment même où le trésor national était en déficit, sans se préoccuper de la question que l'on me pose. Ainsi ils ont aboli le timbre des journaux, et réduit sensiblement la taxe postale et les péages des chemins de fer et des canaux. Se seraient-ils abstenus de prendre ces mesures devant la réclamation de ceux qui auraient exigé l'indication préalable de ressources nouvelles ? Non, le gouvernement et la chambre ont consenti à cet abandon de recettes, parce que, dans leur opinion, l'intérêt des commerçants, des industriels et des consommateurs le leur commandait.
Dès que j'établis que les mêmes considérations, renforcées encore par un devoir d'humanité, militent pour l'abrogation partielle des octrois, on ne peut me refuser cette réforme sans se montrer inconséquent et partial.
Ensuite, je demanderais pourquoi l'on perçoit sur les vivres et les combustibles, objets de consommation forcée, un impôt qu'on épargne aux manufactures et aux fabriques ? Si l'on tient absolument à conserver des barrières communales, que ne taxent-on, au profit de nos villes, les fabricats frappés à la frontière ? Est il plus difficile d'imposer les vêtements, les cuirs, les meubles que les boissons alcooliques ? Et la surveillance que le fisc urbain exerce sur la consommation des liquides, comprime-t-elle mieux la fraude que si elle s'appliquait à des objets manufacturés ?
A la frontière on impose fortement tous les produits industriels, et l'on affranchit les denrées alimenlaires. On assure que cela est équitable, et que les adversaires de cette combinaison sont des ennemis du peuple. A l'entrée de nos villes, c'est un régime tout contraire qu'on établit. On ne prélève aucune taxe sur les produits des fabriques et des manufactures, mais on charge lourdement les produits agricoles. On aggrave ainsi l'iniquité dont l'agriculture est victime, et l'on met à contribution la faim des classes laborieuses !
Ici la contradiction est aussi manifeste que l'injustice, en vain essayerait-on de le nier.
M'objectera-t-on que la douane nationale n'atteint que les fabricats étrangers, et que la douane urbaine atteindrait les fabricats belges, dans l'hypothèse où je viens de raisonner pour maintenir l'équilibre entre les recettes et les dépenses des villes ?
L'objection serait sans valeur, car d'une part on admet en franchise de droits, ou à peu près, le blé et le bétail exotiques, et d'autre part l'on taxe durement le bétail et le blé de notre sol. Ceux qui ne voient pas dans la douane un moyen de protéger le travail national, et qui ne la conservent qu'à titre d'institution fiscale, devraient, pour se montrer conséquents, établir les droits d'octroi sur les vêtements plutôt que sur les vivres. Je les défie de ne pas arriver fatalement à cette conclusion.
On voudra bien remarquer que je ne propose pas formellement de substituer la taxe sur les fabricats à la taxe sur la viande et le pain. Je voudrais voir disparaître toutes les taxes d'octroi ; et, en ce point, je suis parfaitement d'accord avec les libre-échangistes. Tout ce que j'entends dire c'est que, l'octroi étant reconnu nécessaire, il serait moins injuste, moins fâcheux et moins impolitique de l'établir sur la base des produits industriels que sur celle des denrées alimentaires.
On me dira peut-être : De quel droit sollicitez-vous l'abolition des impôts communaux sur les denrées alimentaires, après avoir proposé des droits d'importation sur les mêmes objets ? Est-ce une contradiction ou une rétractation ?
Je ne me contredis pas et je ne me rétracte point.
J'ai demandé que l'agriculture ne fût pas sacrifiée au travail industriel, et qu'on ne la mît pas hors du droit commun, qui, dans notre pays, est la protection douanière. Si nos fabriques, nos manufactures et nos usines n'avaient pas joui d'énormes droits protecteurs, je me serais gardé d'en réclamer en faveur de l'agriculture. En un mot, je revendiquais justice.
C'est encore justice que je demande quand je propose d'exempter l'agriculture des taxes municipales, qui n'atteignent pas les produits industriels. Ceux-ci pourraient d'autant mieux supporter une taxe communale qu'ils sont puissamment protégés à la frontière, tandis que les autres y rencontrent la concurrence effrénée de l'étranger.
Dira-t-on que ce déplacement de l'impôt communal (que je ne propose d'ailleurs qu'au point de vue de la justice distributive et seulement à titre de mesure transitoire) serait une chose inouïe et une innovation dangereuse ? Pour le prétendre, il faudrait s'inscrire en faux contre l'histoire nationale. En effet, elle nous apprend que, dans la première moitié du XVIème siècle et antérieurement, nos grandes villes percevaient un impôt assez lourd sur les objets manufacturés et fabriqués en même temps que sur certaines denrées alimentaires.
A ce propos, messieurs, je vous demanderai la permission de vous rappeler quelques faits officiels qui offrent un vif intérêt d'actualité, bien qu'ils se rapportent à des temps et à des hommes qualifiés de rétrogrades.
Il y a trois siècles, des taxes locales assez|gênantes, mais moins élevées qu'aujourd'hui, étaient perçues à Bruxelles au nom de l'empereur-duc, sur la viande, le poisson, le foin, ainsi que sur des produits industriels, par exemple, les draps, les laines, le cuivre, les lits, les plumes et les cuirs. Les articles frappés étaient au nombre de dix-sept ; on en compte 65 à présent dans la même ville, et le revenu de.ce chef a centuplé trois fois et demi, quoique la population n'ait que doublé. En d'autres termes les dix-sept taxes locales donnaient, année moyenne, 6,000 fr. pour une population de 60,000 âmes, tandis que nos 65 taxes fournissent 2,500,000 fr. pour 125,000 habitants.
Les bourgmestre et échevins de Bruxelles, défenseurs zélés du libre échange de ce temps-là, s'élevèrent avec force contre les taxes communales, s'adressèrent itérativement à l'empereur, lui écrivirent en Espagne, et profitèrent, en 1541, de sa présence dans la capitale du Brabant, pour obtenir l'abolition de cet impôt. Charles-Quint consulta la reine (page 1593) régente, ses ministres, ses conseillers et plusieurs économistes de l'époque, et rendit un remarquable décret, dont voici la sommaire analyse.
Les taxes communales, y dit-il, font que toutes les denrées alimentaires sont plus chères à Bruxelles qu'ailleurs, au grand détriment des bons habitants. Les formalités vexatoires de l'octroi tendent à dépeupler la ville. Nos chers et bien aimés bourgmestre et échevins se sont fortement plaints auprès de nous du dommage qui en résulte. Nous les avons écoutés volontiers, et nous cédons à leurs vœux réitérés. Ces taxes (continue ce monarque sage qui fit cette douce loi), ces taxes sont odieuses et difficiles à recouvrer. Elles donnent lieu à de grands abus, à des fraudes, à des injustices, à des exécutions, à des « fouleries » ; elles sont une charge ruineuse pour le simple peuple et les honnêtes travailleurs, dont le bien-être est la base de la prospérité générale.
Faisons savoir, dit-il encore, que pour soustraire nos bons sujets à la « torture » des taxes communales, et pour les laisser désormais en repos et en paix, nous avons aboli et anéanti à perpétuité lesdites 17 taxes ou toutes autres, et qu'il sera défendu de les percevoir à dater du 13 juillet 1541 ! Le décret est du 8 juillet.
Messieurs, veuillez remarquer cette date qui est de bon augure pour ma proposition ! (Interruption.) C'est aussi le 8 juillet que j'ai l'honneur de soutenir devant vous que la thèse Charles-Quint et le bourgmestre de Bruxelles ont généreusement résolue dans le sens où je vous supplie de la résoudre à votre tour.
A titre d'indemnité, l'empereur-duc accepta une somme de onze mille florins une fois donnée, et un subside annuel de 700 florins.
L'indemnité était fort modeste, l'empereur le constata, mais, bien que l'économie politique, le libre échange et les doctrines humanitaires ne fussent pas encore inventées, il voulait faire quelque chose pour le simple peuple et les honnêtes travailleurs dont le bien-être est la base de la prospérité générale !
Par ce mémorable décret du 8 juillet 1541, Charles-Quint déclare que le sacrifice de 11,000 florins fait par la ville de Bruxelles en faveur du trésor impérial, affranchit à perpétuité sa bonne cité de tout impôt communal quelconque, et que ses successeurs, quels qu'ils soient, manqueraient à la justice et à la loyauté s'ils essayaient de le rétablir sous n'importe quelle dénomination.
L'empereur a été désobéi, le contrat synallagmatique a été violé, et ce n'est pas au profit de la science, de l'humanité et du simple peuple.
Ne vous semble-t-il pas, messieurs, que les despotes de ce temps-là étaient d'assez bonne composition, et que les ministres et les bourgmestres rétrogrades de 1541 marchaient d'un pas assez ferme dans la voie du progrès ?
Ai-je tort de proposer comme opportune, en 1851, le 8 juillet, une réforme partielle et très incomplète, alors qu'une réforme radicale fut décrétée aux applaudissements unanimes des contribuables, le 8 juillet 1541, par des « aristocrates féodaux », comme on appelle quelquefois les gouvernants du XVIème siècle.
Messieurs, je ne pousserai pas plus loin la justification du principe de ma proposition. Je me réserve de l'examiner dans ses détails et dans ses moyens d'application, quand viendra le jour du débat.
- La proposition est successivement prise en considération et renvoyée à l'examen des sections.
M. le président. - Nous pourrions passer maintenant au projet de loi concernant la suppression des droits sur quelques matières.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Vermeire m'a communiqué un amendement qu'il désire proposer, et qui est relatif aux déchets de coton ; je fais examiner en ce moment-ci cet amendement par l'administration, et je demande, par conséquent, que la discussion du projet n'ait pas lieu aujourd'hui.
- La proposition de M. le ministre des finances est mise aux voix et adoptée.
M. de La Coste. - La chambre a renvoyé aux départements des travaux publics, de l'intérieur et des finances les réclamations de plusieurs villes, relativement aux routes dont elles ont été dépossédées par suite de mesures prises par le gouvernement français ; la chambre a ordonné ce triple renvoi en demandant des explications aux trois départements dont il s'agit. M. le ministre des finances a donné des explications, qui ont été imprimées et distribuées, mais M. le minisire des travaux publics et M. le minisire de l'intérieur n'en ont point encore fourni.
Je désirerais qu'ils voulussent bien nous faire connaître s'il y a quelque obstacle à ce qu'ils donnent également des explications, il a été dans la pensée de la chambre d'avoir, non pas la pensée d'un département seul, mais la pensée du gouvernement, d'autant plus que M. le ministre de l'intérieur est dans cette circonstance le défenseur-né des intérêts des communes, comme M. le ministre des finances est le défenseur-né des intérêts du trésor.
Je crois, messieurs, que pour compléter l'instruction de cette affaire, il serait urgent que MM. le ministre de l'intérieur et des travaux publics voulussent bien également satisfaire à la demande d'explications qui leur a été adressées par la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne pouvons que nous référer aux explications qui ont été données par M. le ministre des finances.
M. de La Coste. - Il paraît résulter de la réponse de M. le ministre de l'intérieur que c'est la pensée du gouvernement qui a été exprimée par M. le ministre des finances. Je ne sais pas cependant si c'est bien là ce qu'a voulu la chambre. La chambre a voulu tout au moins qu'il y eût concert entre les trois départements ; or, nous ignorons si ce concert a eu lieu ; il me semble au contraire que l'avis donné par M. le ministre des finances a été exprimé uniquement en son nom.
Je demande pardon de le dire, mais cela ne me paraît pas respectueux pour la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Des explications ayant été fournies par M. le ministre des finances, nous croyons parfaitement inutile d'y ajouter des explications personnelles ; nous nous référons entièrement à celles qui ont été données par M. le ministre des finances.
Je ne comprendrais pas que la chambre pût exiger de chaque ministre l'expression de son opinion personnelle sur une question quelconque. Il y aurait une sorte d'inconvenance vis-à-vis des ministres à agir de cette façon, et la chambre ne partagera pas sans doute sous ce rapport l'opinion de l'honorable M. de La Coste.
M. de La Coste. - Je ne pense pas qu'il y ait de l'inconvenance de la part de la chambre à demander l'avis commun de trois départements ; je crois que l'inconvenance n'est pas du côté de mes observations. Du reste je n'insiste pas puisque M. le ministre de l'intérieur déclare que l'opinion exprimée par M. le ministre des finances est celle du gouvernement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me suis servi du mot « inconvenance » que parce que j'ai supposé que l'honorable membre exigeait de chaque ministre une opinion individuelle.
- L'incident est clos.
Discussion des conclusions
M. Cools, rapporteur. - Comme rapporteur de la commission des finances, j'ai une explication à donner à la chambre pour faire connaître la pensée que la commission attache à la proposition qui vous est soumise.
La commission propose à la chambre de décider que le gouvernement, dans le terme de deux années, aura à présenter aux chambres un rapport complémentaire en ce qui concerne les subsides distribués sous forme de prêts ou d'avances.
Messieurs, la plupart des subsides imputés sur le crédit de 2 millions voté en 1845, l'ont été à titre de prêts remboursables. D'après les formules qui ont été adoptées à cette époque par le gouvernement, il était entendu qu'une partie de ces subsides pouvait être accordée à titre de subside définitif ; mais que pour l'autre le gouvernement se réservait de fixer ultérieurement les époques de restitution.
Jusqu'à présent, non seulement aucun subside n'a été remboursé, mais le gouvernement ne s'est pas encore entendu avec les communes pour fixer les époques auxquelles elles auraient à restituer les avances qui leur ont été faites. La commission des finances a pensé qu'il n'avait pas été rendu un compte complet de l'emploi des fonds ; que tant que les chambres ne sauront pas comment on a réglé les conditions de remboursement, elle ne pourra pas juger si la même pensée a présidé jusqu'à la fin à l'exécution de la loi. Elle propose, pour donner un nouveau délai, de décider que le gouvernement rendra un compte complémentaire dans le terme de deux ans.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les conclusions de la commission ont rapport à des dépenses faites par une administration antérieure. Le délai qu'on accorde au gouvernement pour rendre de nouveaux comptés relativement à la rentrée des fonds prêtés aux communes, ce délai pourra être mis à profit par le gouvernement ; il adressera de nouvelles circulaires, mais je dois prévenir la chambre que probablement ces circulaires n'amèneront pas de résultat. Déjà je me suis adressé aux administrations provinciales, pour rappeler aux communes les obligations qu'elles ont contractées.
J'ai déjà eu l'honneur de dire à la chambre qu'il résultait de la correspondance engagée en 1845 à l'occasion des prêts faits aux communes, que l'administration supérieure se montrait très peu rigoureuse pour rentrer dans les fonds dont elle faisait l'avance ; à cette époque un assez grand nombre de communes auraient refusé l'avance qui leur était offerte, si elles avaient dû contracter l'obligation de restituer les sommes reçues. Le gouvernement a déclaré qu'il userait d'une grande tolérance à cet égard. Depuis lors une enquête a eu lieu pour constater la situation financière des communes. Il en résulte que le gouvernement a peu de chose à attendre. Il faut que la chambre en soit prévenue dès maintenant.
M. Malou. - Je remercierai d'abord la commission des finances, au nom des deux ministères dont j'ai fait partie, de l'appréciation qu'elle a faite de la conduite du gouvernement dans ces temps difficiles. A cette époque, il eût été facile de dépenser beaucoup d'argent. Mais notre but a été de faire beaucoup de bien en engageant l'Etat dans une dépense relativement peu considérable. Le premier principe posé, sauf de rares exceptions, était de n'accorder des subsides qu'aux communes qui accepteraient la clause du remboursement, sauf la remise partielle par l'Etat, la clause acceptée c'est celle du remboursement. Sans doute dans la (page 1594) correspondance on a déclaré, pour vaincre certaines répugnances, que le gouvernement ne se montrerait pas rigoureux pour le remboursement ; qu'on aurait égard à la situation financière des communes pour échelonner les remboursements. Une grande partie de la somme a été ainsi prêtée.
Evidemment, messieurs, si M. le ministre de l'intérieur adresse quelques circulaires aux députations, aux communes, pour demander si celles-ci sont d’avis de payer, la réponse sera négative : cela est de toute évidence Mais je crois que lorsque M. le ministre de l'intérieur aura pu se faire rendre compte de la situation des communes qui ont reçu ces subsides, il pourra s'y prendre d'une autre manière ; ainsi, par exemple, il pourra dire : « D'après le budget de telle commune, elle peut régler la dette qu'elle a envers l'Etat et s'engager à la payer en tels et tels termes ; » de cette façon, sans exercer les droits de l'Etat d'une manière trop rigoureuse, il pourra cependant, dans l'espace de quelques années, procurer au trésor des recettes qui ne seront pas sans importance.
Je me borne, messieurs, à ces observations, dans lesquelles je crois avoir bien défini qu’elle était la pensée du gouvernement lorsqu'il a stipulé un mode de remboursement et quel était aussi le mode d'exéculion qu'il avait en vue. Ce mode d'exécution, quoique fort doux, peut cependant amener le remboursement. Cela s'est déjà fait : des sommes avancées en 1812 et 1817 ont élé recouvrées même en 1844 et en 1845 ; le gouvernement a toujours examiné quelles étaient les circonstances et il a profilé de celles où il pouvait exercer ses droits sans trop de rigueur.
M. Cools, rapporteur. - Comme vous avez pu le voir, messieurs, par l'examen du rapport, la commission des finances a eu quelque doute sur le point de savoir si réellement il y avait divergence entre sa manière de voir et celle du ministère ; les explicalionsque vient de donner M. le ministre de l'intérieur prouvent que cette divergence existe. M. le ministre croit qu'il n'y a qu'une chose à décider par la chambre, c'est le point de savoir s'il conviendrait que le gouvernement écrivît encore des circulaires, il ajoute en même temps qu'il n'y a qu'un très faible résultat à attendre de cette mesure.
Eh bien, la commission vous propose tout le contraire de ce que M. le ministre suppose. Les conclusions que je suis chargé de défendre tendent à ce que la chambre décide, non pas qu'il y a lieu d'envoyer des circulaires, mais qu'il y a lieu de passer outre à l'exécution des contrats, que le gouvernement doit maintenir intacte sa position envers les communes, telle qu'elle a été prise par le ministère qui a accordé les avances.
L'honorable membre qui a parlé avant moi et qui faisait partie du ministère lorsque les fonds ont été distribués, vient de dire dans quel sens la distribution a eu lieu ; c'est également ainsi que la commission des finances l'a compris. Elle a pris connaissance de toutes les circulaires qui ont été écrites aux communes, par M. Van de Weyer, alors minisire de l'intérieur, et elle a reconnu que les communes avaient toujours montré une grande répugnance à accepter les avances aux conditions offertes, mais elle a pu constater aussi qu'avant d'accorder ces avances le gouvernerment a eu bien soin de faire connaître aux communes que le remboursement serait exigé non pas avec une rigueur excessive ni en faisant abstraction des moyens financiers des communes, mais avec ménagement, sauf toujours à maintenir le principe de la restitution ; cela est tellement vrai qu'on a été jusqu'à dire à une province que, si les conditions ne convenaient point, on n'avait qu'à le dire et qu'on n'accorderait pas le subside. C'est à la suite de cela que les conditions du gouvernement ont été acceptées.
Le principe du remboursement est donc positivement consacré.
La commission a examiné s'il ne serait pas contraire à la dignité du gouvernement de renoncer aujourd'hui au remboursement, de dire en quelque sorte aux communes : « A une époque antérieure, il vous a été en effet imposé des conditions, mais aujourd'hui il n'en est plus question. »
La commission a pensé qu'il y aurait là quelque chose de contraire à la bonne administration, que, dans notre pays où le pouvoir est très divisé, où le pouvoir central est très faible, il y aurait des inconvénienls très graves à ce que le gouvernement se laissât aller à prendre cette position.
Nous avons donc dit : La chambre doit décider que l'esprit dans lequel les contrais ont été faits, doit être maintenu.
Maintenant on laisse au gouvernement une latitude assez grande en lui donnant un délai de deux ans. Il pourra accorder aux communes des termes plus ou moins longs, mais il faut que le remboursement soit un principe dont on ne se départisse pas.
Voilà ce que la commission vous propose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon intention n'est nullement de négliger les intérêts du trésor. J'ai fait des démarches pour obtenir la rentrée des sommes prêtées aux communes et qui s'élèvent à 2,649,000 francs.
Les sommes mises à la disposition du ministère, en 1845 et en 1846, pour traverser la crise alimentaire s'élevaient à 3,747,000 francs. Sur cette somme, on a avancé aux communes 2,649,000 francs. J'ai dil à quelles conditions cette somme a été avancée aux communes. J'ai cité un extrait de la correspondance du ministre qui a fait les avances.
Pour agir loyalement, d'une manière digne du gouvernement, il faut qu'il reste conséquent avec les déclarations qui ont été faites alors, qu’il ne se montre pas aujourd’hui plus rigoureux qu’à cette époque.
Voilà ce qu il y a à recommander au gouvernement.
Dans le but de faire rentrer les sommes très libéralement avancées aux communes et s'élevant à 2,649,000 francs, j'ai adressé des circulaires aux gouverneurs. J'ai communiqué à la commission le résumé des réponses qui me sont parvenues de six provinces. La chambre a pu en prendre connaissance dans le rapport de la commission. Voici ce résumé :
« Anvers. Le gouverneur fait connaître que la députation a pu s'assurer récemment, à l'occasion de la vérification des budgets de l'exercice 1851, qu'aucune amélioration n'est survenue dans la situation financière des communes ; ce collège a tout lieu de craindre que cet état de choses ne se perpétue pour une période à laquelle on ne saurait assigner un terme ; les ressources sont généralement si peu proportionnées avec les dépenses que les budgets n'ont pu être que difficilement réglés ; c'est à peine si l'augmentation graduelle des octrois et les emprunts suffisent à prévenir un déficit.
« La succession des crises survenues depuis 1845 explique cet état de choses, en présence duquel l'avis du gouverneur, conforme à celui de la députation, est que le moment actuel serait mal choisi pour exiger des communes le remboursement des avances reçues de l'Etat et qu'il leur serait de toute impossibilité de rendre, et il espère qu'aucune suite ne sera donnée à la circulaire prémentionnée.
« Brabant. L'avis unanime de la députalion est qu'il y a lieu d'ajourner le remboursement. Le grand nombre des communes est obligé, pour faire face aux dépenses obligatoires, de recourir à des taxes personnelles qui pèsent lourdement sur la classe laborieuse. Il est à remarquer que la condition de remboursement n'a pas été imposée uniformément à toutes les communes. Ces avances n'ont pas servi à améliorer la situation des caisses communales, mais à soulager la misère de l'ouvrier et du petit cultivateur. Ce ne serait que dans un avenir plus ou moins éloigné et, il faut le dire, plus ou moins incertain qu'on pourra s'occuper de la restitution des subsides.
« Flandre orientale. Le gouverneur est convaincu que le moment n'est pas venu de songer au remboursement des avances faites aux communes ; l'examen de leurs budgets pour l'année courante démontre que si la position des classes pauvres s'est améliorée, la situation financière des communes n'en est pas moins plus déplorable que jamais ; elles sont obérées sous le poids de leurs dettes vis-à-vis des bureaux de bienfaisance et par les frais d'entretien réclamés par les dépôts de mendicité et les hôpitaux : les dépenses de l'espèce qui ont été réclamées pendant 1850 et qui devraient être portées en rappel dans les budgets de 1851, atteignent le total énorme de 248,838 fr. 83 c. Aussi la députalion a-t-elle régie beaucoup de budgets où les dépenses obligatoires excèdent tous les sacrifices que pourraient matériellement supporter les habitants.
« Liège. Le gouverneur ne croit pas que le moment soit opportun pour donner suite à la proposition. Les communes qui ont participé aux crédits se sont épuisées et ont même dû grever leur avenir : elles ne sont pas en position de rembourser les subsides.
« Le gouverneur, en rappelant la circulaire du 8 janvier 1847, qui laisse prévoir que les avances affectées à l'amélioration de la voirie vicinale ne devront pas être remboursées par les communes qui justifieront d'avoir concouru dans la dépense, dit que cette justification a été faite par un grand nombre de communes de la province qui ont exclusivement affecté les subsides à l'amélioration des chemins vicinaux : celles qui les ont consacrés à des distributions de secours forment l'exception.
« Le gouverneur propose formellement de décharger les communes qui ont satisfait aux vues du gouvernement de l'obligation de remboursement. Ce serait là un acte de justice et d'équité.
« Luxembourg. Le gouverneur demande qu'il ne soit donné aucune suite à la circulaire qui ne pourrait s'appliquer qu'aux avances distribuées à titre de secours aux habitants. Or ces distributions ont eu lieu dans les communes les plus pauvres.
« Quant à celles qui ont employé les subsides à l'amélioration de la voirie vicinale, il n'en peut être question en présence de la circulaire du 8 janvier 1847.
« Namur. Le gouverneur et la députation, en suite des rapports des commissaires d'arrondissement, ne voient rien qui empêche de s'occuper immédiatement du remboursement, sauf à accorder des remises totales ou partielles aux communes qui feraient exécuter des travaux d'utilité publique. Il serait plus utile d'encourager ces travaux que d'exiger un remboursement qui ne peut procurer au trésor qu'une recette peu importante, tandis qu'il faudra l'obtenir à grand-peine de quelques communes pauvres qui, dès le lendemain peut-être, auraient droit a de nouveaux subsides de l’Etat. »
Voilà l'avis des gouverneurs et des députations plus spécialement chargées du contrôle et de l'administration des finances des communes.
Je n'abandonnerai certes pas les droits du trésor. Nous ferons nos efforts pour tâcher d'obtenir la rentrée des sommes prêtées à cette époque difficile. Mais ce serait se livrer à des illusions que de compter sur des rentrées considérables.
Les circonstances où les avances ont été faites étaient désastreuses. Cependant les communes ne voulaient pas les recevoir en s'engageant à les rembourser. Que leur a-t-on fait savoir ? Que le gouvernement ne se montrerait pas rigoureux pour le remboursement. Dès lors les communes ont accepté.
Je le répète, le gouvernement continuera ce qui a été commencé.
Si l'administration financière de certaines communes le permet, le gouvernement montrera vis-à-vis d'elle une sévérité dont il se départira vis-à-vis des communes dont la situation ne serait pas aussi favorable.
M. Malou. - Je ne demande pas à M. le minisire de l'intérieur qu'il (page 1595) mette de la rigueur envers l’une ou l'autre commune : mais qu'il se pénètre bien de l'esprit qui a dicté les résolutions prises en 1845 et en 1846. Alors il veillera à ce que les remboursements se fassent quand les communes pourront les faire. Si elles ne peuvent rembourser immédiatement, il leur accordera des délais. C'est à quoi se bornent mes observations.
Tontes ces sommes ont été inscrites sur les sommiers de l'administration de l'enregistrement. Je demande qu'on les y maintienne, et que les fonctionnaires du département des finances fassent connaître au gouvernement, quand ils croiront, d'après la connaissance qu'ils ont des localités qu'ils habitent, qu'il y a lieu de réclamer le remboursement partiel, échelonné, selon la convenance des communes, des sommes qui leur ont été prêtées.
M. Cools, rapporteur. - Il ne faut pas que la chambre se méprenne sur la portée du vote que nous lui demandons.
M. le ministre dit qu'il ne peut que continuer ce qu'il a fait, écrire des circulaires. Comme je l'ai dit, la commission croit au contraire qu'il ne faut plus écrire de circulaires ; elle pense que quand un ministre demande aux députations s'il convient d'exiger le remboursement de la part des communes, les députations ne peuvent manquer de répondre négativement. C'est évident, puisque les députations auraient l'embarras de régler avec les communes, et qu'elles y échappent en répondant ainsi.
Quel est l'esprit des conventions ? D'abord qu'il y a lieu à remboursement. Si l'on en doutait, je pourrais donner lecture des circulaires qui ont été écrites et qui le prouvent. Mais il y a des ménagements à garder, personne ne le conteste, en ce qui concerne la fixation des termes, des délais. Ainsi, l'on n'exigera pas le remboursement en 3 ou 5 ans ; on accordera des délais. Mais il a été entendu que les sommes rentreront au trésor, sauf quelques exceptions, et c'est là le point le plus important. Après le vote de la chambre (car vous serez appuyé par la chambre comme vous l'avez demandé il y a quelques jours), le gouvernement sera en droit de faire valoir les droits de l'Etat vis-à-vis des communes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais pas trop ce qui est an fond l'objet du débat ; la discussion est assez vague ; on ne sait pas trop ce que veulent les honorables MM. Cools et Malou ; il n'y a rien de précis dans leurs observations.
M. le président. - Il y a les conclusions de la commission.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, elles sont ainsi conçues :
« Pour atteindre ce but, votre commission vous propose de décider que le gouvernement, dans le terme de deux années, aura à présenter aux chambres un rapport complémentaire, en ce qui concerne les subsides distribués, sous forme de prêts ou d'avances remboursables. »
Or, personne ne conteste ces conclusions.
M. Cools, rapporteur. - Il y a aussi le rapport de la commission.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute ; mais je ne vois pas sur quel point il diffère de l'opinion qui vient d'être exprimée par M. le ministre de l'intérieur. Ecoutez les termes du rapport :
« Ce n'est pas que nous allions jusqu'à prétendre qu'il faille agir avec une rigueur déplacée. (M. le ministre de l'intérieur vient d'en faire l'observation.) Il y a sans contredit des ménagements à observer. (C'est ce que nous disons encore.) Heureusement les conventions laissent sous ce rapport une grande latitude. (C'est ce que nous disons également) Votre commission admet qu'il faudra souvent en faire usage, car le remboursement sera difficile pour la plupart des communes, c'est à prévoir. (C'est aussi ce que vient de déclarer mon honorable collègue.) Généralement il faudra le répartir sur une série d'années, et cette série, pour quelques communes, devra être assez longue. (Nous ne prétendons pas le contraire.)
« Votre commission, continue le rapport, concevrait que, dans certains cas, on allât même jusqu'à une période de dix années. Bien plus, il a été convenu qu'on pourra accorder dispense du remboursement, non seulement pour une partie de l'avance (c'est le principe posé en termes généraux), mais même quelquefois pour la totalité. Seulement, pourqu'on s'écarte à ce point de la règle tracée, il faudra qu'il se présente des circonstances tout exceptionnelles, comme le ministère de 1846 a eu soin de le dire dans ses circulaires. »
Eh bien, nous restons dans ces termes. Avec des conclusions de ce genre-là, tout le monde sera parfaitement à l'aise.
Cela satisfait les administrations précédentes, puisque l'on rend de la sorte l'esprit dans lequel les prêts ont été faits ; nous consentons à conserver le même esprit, et tous nos actes seront empreints de la même pensée.
Il résulte, d'ailleurs, des engagements qui ont été pris, tels qu'ils sont relatés dans le rapport, que les communes ne devaient pas éprouver de grandes difficultés à les contracter.
On disait : « Art. 1er. Une somme de … est accordée à l'administration communale de … à titre d'avance et sans intérêts.
« Art. 2. Nous nous réservons de faire ultérieurement remise à ladite administration d'une part de cette avance, et pour l'autre, d'échelonner les époques de remboursement d'après la situation financière de la commune et sur le rapport de la députation permanente, à qui l'autorité communale devra rendre compte de l'emploi de ces fonds. »
C'est probablement toujours dans l'esprit de cet arrêté qu'on devra agir.
La correspondance dévoile encore davantage l'esprit de ces arrêtés ; elle fait encore mieux connaître aux communes qu'elles ne seraient pas trop engagées, qu'elles pouvaient toujours prendre l'argent, qu'ensuite on aviserait.
On a avisé ; et de qui a-t-on pris l’avis ? Des députations permanentes. L’honorable M. Cools dit : Si vous consultez les députalions permanentes en contact journalier avec les communes, elles vous répondront que les communes ne sont pas en position d'opérer le remboursement.
Mais l'arrêté porte que les remises et les délais ne seront accordés que sur le rapport des députations permanentes. Et quand l'arrêté ne le dirait pas, que voulez-vous que fasse le gouvernement ? Peut-il envoyer un commissaire spécial dans les communes, pour constater leur situation ? Quand il le ferait, il serait bien avancé !
Si les communes résistent, faut-il qu'il envoie des garnisaires, qu'il impose d'office les habitants des communes ?
Prenez donc les choses dans leur vérité, et vous acquerrez bientôt la conviction qu'il est fort difficile d'opérer ta rentrée des sommes prêtées dans de telles conditions aux communes.
Il est possible qu'on obtienne des remboursements lorsque l'occasion se présentera d'en faire une condition aux communes qui réclameraient le concours de l'autorité supérieure. Mais nous avons moins que jamais l'espoir d'arriver aune bonne solution. D'après la proposition de l'honorable M. Coomans, il s'agit, en effet, d'enlever aux communes une bonne partie de leurs revenus, ce n'est pas le moyen d'améliorer leur position financière.
M. Malou. - Après tant d'esprit, je ne parlerai plus de l'esprit, mais de la lettre des conventions de 18i6.
Je regrette la position que prend le gouvernement dans cette affaire. Il pouvait obtenir la rentrée de quelques sommes avancées aux communes, et il le pouvait beaucoup mieux avant le débat. Mais lorsqu'il vient atténuer, détruire en quelque sorte les stipulations dont le but était d'assurer le remboursement, il est clair que le remboursement ne peut plus s'opérer. C'est de toute évidence.
Je regrette donc le débat qui vient d'avoir lieu.
Je demande seulement que M. le ministre veuille bien veiller à l'exécution des conventions, telles qu'elles ont été faites ; les termes en sont parfaitement clairs.
On dit que, d'après la proposition de l'honorable M. Coomans, il s'agit d'enlever aux communes une partie de leurs revenus, ce qui augmentera la difficulté de ces remboursements ; mais M. le ministre des finances n'a donc pas lu les pièces ; car il aurait vu que les prêts ont été faits aux communes rurales qui n'ont pas d'octrois, que c'est par exception que des prêts ont été faits à quelques communes qui ont des octrois.
M. Mercier. - J'ai entendu M. le ministre des finances dire qu'on n'obtiendrait le remboursement de certaines communes qu'en leur accordant d'autres faveurs. On suppose donc que des communes possédant les moyens de rembourser les sommes prêtées ont le droit de s'y refuser ; si l'on admet cette hypothèse, il n'y a plus aucune commune qui puisse se croire liée vis-à-vis du gouvernement.
Je ne sais si j'ai bien compris la pensée de M. le ministre des finances, je lui demanderai une explication à ce sujet ; car après de telles paroles, on ne peut plus s'attendre à aucun recouvrement.
Il me semble qu'on fait trop bon marché des intérêts du trésor.
En présence de déclarations de cette nature, je ne sais dans quelle position l'on serait, si des circonstances semblables à celles qui ont nécessité ces avances venaient à se renouveler. Toutes les communes se prétendraient dans la détresse, tandis qu'avec l'obligation d'opérer le remboursement, elles se montrent moins empressées d'accepter des avances.
Les paroles de M. le ministre des finances sont très dangereuse à ce point de vue.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Dès le principe, on a abandonné les droits du trésor.
M. Mercier. - Je ne le crois pas ; mais si on les a abandonnés, qu'on le déclare clairement.
Il ne faut pas que telle commune scrupuleuse opère le remboursement des avances qui lui ont été faites, tandis que telle autre qui dissimulera des ressources s'en dispense. Toutes les communes doivent être mises sur un pied d'égalité ; l'exemption totale ou partielle ne doit être accordée que lorsque le défaut de ressources aura été parfaitement constaté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si des engagements avaient été pris par des communes, il faudrait poursuivre le remboursement à des termes déterminés. Il n'y aurait pas l'ombre de difficulté ; le gouvernement devrait faire exécuter les conventions, faire rentrer les sommes prêtées. Mais de quoi s'agil-il ? De sommes prêtées en apparence, de sommes prêtées (passez-nous l'expression) pour la frime, mais qui, d'après les termes des arrêtés, peuvent être abandonnées en tout ou en partie aux communes.
Or, quelle est la situation que l'on veut nous faire ? On veut que nous disions aux communes : Le cabinet précédent a disposé généreusement envers vous des fonds du trésor ; il vous a fait des prêts en termes fort élastiques ; vous avez pu croire qu'il vous en faisait l'abandon ; remerciez-le ; mais voici un autre cabinet, il ne doit pas entendre les choses de la même manière ; il est chargé de faire rentrer les sommes et de vous exécuter sommairement.
Que disait-on aux communes qui objectaient qu'elles ne pouvaient pas prendre l'engagement de rembourser ? On leur disait :
(page 1596) « Bruxelles, le 31 décembre 1845.
« A M. le gouverneur de....
« M. le gouverneur,
« Par votre lettre du …, vous me faites part de l'impossibilité où se trouvent la plupart des communes de votre province de s'engager à rembourser les subsides qui pourraient leur être accordés par l'Etat, en raison des circonstances.
« J'ai l'honneur de vous informer, M. le gouverneur, que le gouvernement s'est réservé la plus grande latitude en ce qui concerne la condition de ce remboursement. La lecturc de l'article 2 du projet d'arrêté dont vous trouverez ci-jointe une formule imprimée, vous convaincra que les communes intéressées ne doivent concevoir aucune inquiétude à cet égard, et quelles peuvent accepter, sans inconvénient et sans crainte, des subsides accordés en pareils termes. »
Et après avoir engagé les communes qui refusaient de contracter l'obligation de rembourser, après les avoir engagées à accepter, parce que les termes dans lesquels le subside était donné offrait toute latitude, qu'elles ne devaient avoir aucune espèce de crainte, on veut, aujourd'hui interpréter la convention en ce sens que le gouvernement est tenu sur l'heure d'exécuter les communes de les faire rembourser ?
Restons, messieurs, dans les termes de la convention. C'est bien assez qu'elles aient été faites dans ces termes-là ; n'allons pas plus loin. Nous exécuterons les conventions conformément à leur esprit, et au bout de deux ans le gouvernement rendra compte des démarches qui auront été faites pour obtenir le remboursement.
Il pourrait se présenter telle ou telle circonstance où il deviendrait possible de faire faire ce remboursement. Ainsi lorsqu'une commune aurait quelque chose à demander au gouvernement, nous pourrions très bien lui dire : Nous accueillerons votre demande, si vous stipulez des termes pour le remboursement des sommes qui vous ont été avancées. Voilà ce que j'ai énoncé tout à l'heure.
On peut user de ce moyen par la raison toute simple qu'il y a fort peu de moyens d'action contre les communes. Que peut faire le gouvernement, que pourrait faire la députalion permanente, si une commune n'a pas des ressources suffisantes pour rembourser les sommes qui lui ont été prêtées ? Quoi ? Je le demande ici à tout le monde. Vous ne pourriez rien faire, absolument rien. La dépulation aurait beau porter d'office au budget de la commune, car c'est son droit en vertu de la loi communale, elle aurait beau porter d'office la somme au budget communal, il manquerait précisément la sanction, c'est-à-dire les ressources que la députation permanente, pas plus que le gouvernement, n'a le droit d'imposer d'office aux communes.
Il n'y a donc pas de moyen d'action. Est-ce un procès ? Quel en sera le résultat ? Une condamnation ? Je le veux bien, quoique ce soit au moins douteux en présence des conventions faites. Eh bien, le gouvernement aura un nouveau titre à côté du titre ancien, mais il n'aura pas pour cela le remboursement.
M. Mercier. - Il y a longtemps qu'il a été constaté qu'il existe à cet égard une lacune dans la loi communale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je constate ce qui est en réalité pour montrer combien sont peu énergiques les droits de l'autorité supérieure, et combien, par conséquent, l'on est mal venu à demander que l'Etat soit exigeant dans une pareille situation, pour des prêts ainsi faits, puisque toute l'exigence qu'il pourrait montrer n'aboutirait, en définitive, à aucun résultat.
M. Cools, rapporteur. - La discussion à laquelle nous nous livrons n'a pas, sans doute, une très grande importance ; mais, à coup sûr, elle est curieuse. Le gouvernement est à la recherche de la position qu'il doit prendre. MM. les minisires prennent souvent la parole. A peine un membre a-t-il parlé qu'un ministre se lève pour lui répondre. Mais je ferai remarquer que lorsque M. le ministre des finances fait un pas en avant, immédiatement après il fait un pas en arrière.
Que disait l'honorable M. Frère, à l'instant où il venait de lire avec complaisance certain passage du rapport ? Il disait : Nous sommes parfaitement d'accord. Ce que vous demandez aux communes est extrêmement simple ; c'est dans ces termes que nous l'expliquons. Mais maintenant M. le ministre en répondant à l'honorable M. Mercier, prend un tout autre langage. D'après lui nous n'avons pas compris le sens des conventions qui ont été faites ; il n'y a pas d'engagements pris ; les communes ne sont pas liées. Peut-on dire avec plus d'assurance le blanc et le noir à quelques minutes d'intervalle ?
Cependant l'honorable ministre qui a fait l'emploi des fonds, l'honorable M. Malou, déclare formellement qu'on a entendu lier les communes ; et la commission qui a fait le rapport, a compris les conventions comme cet honorable ministre.
L'observation qu'a faite l'honorable M. Mercier est fort juste, l'explication qu'a donnée M. le minisire des finances est telle qu'il n'y a plus de moyen d'action contre les communes. Du moment où un ministre ne veut exiger de remboursements qu'à titre de compensation pour d'autres faveurs qu'il accorderait, il reconnaît implicitement que les communes ne sont pas débitrices.
Eh bien, je dois le dire après d'autres honorables membles qui ont pris la parole avant moi, c'est là un langage que nous devons regretter. La position du gouvernement était certainement plus belle avant cette discussion. Nous devons d'autant plus regretter les paroles de M. le ministre des finances qu'elles sont en contradiction avec le langage que tenait M. le ministre de l'intérieur, lorsqu'il y a deux jours l'honorable M. Osy a soulevé un incident que j'ai regardé comme regrettable, et qui avait précisément trait aux faits dont nous nous occupons en ce moment.
Que disait alors l'honorable ministre de l’intérieur répondant à l'honorable M. Osy ?
Il disait ; Il ne faut pas engager le gouvernement à se montrer trop facile ; il faut, au contraire, le soutenir lorsqu'il a des droits vis-à-vis des communes ; donnez-lui de la force ; il a des devoirs assez dificiles à remplir ; donnez-lui donc votre appui lorsqu'il doit agir contre les communes.
Et maintenant c'est le ministre lui-même qui abandonne la partie ! Le gouvernement nous dit : Les communes ne doivent pas payer, il n'y a pas d'engagement pris, il n'y a que des conventions qui ne disent rien ; nous n'avons rien à réclamer des communes.
Vous aurez, messieurs, à juger de ce langage, vous le mettrez en regard de celui qui vous est tenu par la commission. Je vous ai fait connaître la portée du vote qu'elle vous invite à émettre. Nous croyons que la chambre doit décider qu'il y aura un rapport supplémentaire à faire et que le gouvernement doit exiger le remboursement des sommes prêtées, sauf à régler, comme il l'entend, le terme de ces remboursements.
Lisez d'ailleurs le texte des conventions. M. le ministre a parlé des députations permanentes. Il a été entendu dès l'origine, vous a-t-il dit, qu'il fallait s'entendre avec les députalions permanentes ; c'est ce que le gouvernement fait aujourd'hui.
Oui, messieurs, il a été convenu dès l'origine qu'il fallait s'entendre avec les députations permanentes, mais pourquoi ? Ce n'est pas pour savoir s’il y a lieu à remboursement ; mais c’est uniquement pour fixer les époques de remboursement. Voici, en effet, ce que portent les conventions : « Nous nous réservons d’échelonner les époques de remboursement d’après la situation financière de la commune et sur le rapport de la députation permanente, à qui l’autorité communale devra rendre compte de l’emploir de ces fonds.
Le gouvernement n'a donc plus à s'entendre avec les députations que pour la fixation des époques de remboursement et pas pour autre chose.
M. Malou. - Je proteste formellement contre l'interprétation donnée aux arrêtés que nous avons pris en 1846. Ces sommes n'ont pas été prêtées pour la frime et ne constituent pas de véritables dons. Dans les pièces que M. le ministre a lues, se trouve la condamnation de son système. On a dit, et on a eu raison de dire, qu'on laisserait la plus grande latitude ; mais on n'a pas dit que l'on donnait quittance, comme M. le ministre donne aujourd'hui quittance par ses discours.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On se réservait de donner quittance.
M. Malou. - On se réservait de faire remise partielle, suivant les circonstances, et d'échelonner, pour le reste, les termes de payement, selon la situation des communes.
Maintenant je dis que plus M. le ministre des finances avance dans cette discussion, plus il donne explicitement et nettement quittance par ses discours ; c'est ce que je regrette. Je demande seulement qu'il ne donne pas quittance signée, que la quittance soit seulement au Moniteur parce que les ministres qui viendront après lui pourraient être disposés, non pas à faire exécuter rigoureusement les communes (il ne s'agit pas de cela), mais à maintenir comme sérieux des engagements contractés sérieusement envers l'Etat, et à les faire exécuter comme tels en temps opportun.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui délivrons quittance aux communes ; si des quittances ont été délivrées, c'est à l'époque où les prêts ont été faits ; ces quittances se trouvent dans la correspondance même dont nous avons donné des extraits.
On vient de faire allusion aux avances qui ont été faites sous notre administration à certaines communes ; on a trouvé que nous avions fait acte de mauvaise administration, l'honorable M. Malou a bien voulu nous adresser ce compliment.
M. Malou. - Ce n'est pas un compliment, mais bien un reproche.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, messieurs, ici le gouvernement a pris ses précautions ; il a fait des conventions sérieuses par lesquelles ces communes s'engagent à rembourser ; celles qui n'ont pas voulu prendre cet engagement n'ont pas reçu de subside.
On ne leur a pas dit : Prenez toujours ; nous réglerons plus tard ; soyez sans crainte. On a fait avec elles des conventions sérieuses et on les a exécutées sérieusement. Le gouvernement est rentré déjà dans une partie des fonds qui ont été avancés aux communes en 1848 ; et ici il n'a pas hésité à agir avec une certaine rigueur parce qu'il n'avait rien promis aux communes, parce que les communes qui ont contracté avec lui n'avaient pas la promesse de ne pas être le moins du monde gênées pour le remboursement.
Ainsi, messieurs, si la commission des finances exigeait du ministère qu'il poursuivît la rentrée des avances que lui-même à faites, la commission serait dans son droit, parce qu'il y a eu des engagements sérieux, parce que le gouvernement n'a pas promis aux communes de ne pas exiger le remboursement des sommes qu'il leur prêtait.
Nous continuerons donc à agir dans l'esprit qui a préside à la rédaction des conventions ; nous n'y mettrons pas non plus une rigueur excessive parce que nous aurons égard aux circonstances dans lesquelles les avances ont été faites. Mais une partie en rentrera au trésor ; une partie d'ailleurs y est déjà rentrée.
Quant aux avances qui ont été faites à l'occasion de la crise alimentaire nous ne sommes pas dans la même position : les droits du gouvernement (page 1597) ne sont pas aussi bien établis, les réserves qui ont été faites ne l’ont pas été dans l'intérêt du trésor.
Nous ferons ce qui sera possible paur faire rentrer les sommes prêtées aux communes pendant la crise alimentaire, Mais nous déclarons que la position du gouvernement, quant à ces sommes, n'est pas aussi bonne, aussi entière que pour les sommes accordées à l'occasion de la crise politique.
M. Delfosse. - Il faut convenir que l'opposition est bien difficile ; la commission des finances a déposé un rapport et formulé des conclusions. L'honorable M. Malou s'est montré fort satisfait du rapport et des conclusions, et les a chaleureusement appuyées. M. le ministre des finances, répondant à l'honorable membre, a déclaré qu'il ne s'opposait pas aux conclusions, que le gouvernement s'y conformerait. Que voulait-on de plus ? Après cela le débat devait être clos.
J'ai surtout pris la parole pour présenter une observation à M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre des finances disait tantôt avec raison qu'il n'y a pas de moyen coercitif contre les communes qui refusent de payer ce qu'elles doivent ; on peut bien porter d'office la dépense au budget, on ne peut pas y porter la recette. C'est une lacune très regrettable dans la législation.
- Un membre. - M. de Theux avait présenté un projet.
M. Delfosse. - Ce projet est tombé, par suite de la dissolution des chambres.
J'appelle sur ce point l'attention sérieuse de M. le ministre de l'intérieur, je l'engage à présenter un projet de loi pour combler la lacune que je viens de signaler.
Quand un particulier doit à une commune, celle-ci peut le poursuivre et le forcer à payer. Quand c'est la commune qui doit, le créancier ne peut rien contre elle. Je connais quelqu'un qui est créancier d'une commune depuis vingt ans qui a plaidé et obtenu jugement et qui ne peut parvenir à se faire payer. Cela est intolérable. Il est nécessaire d'introduire dans la législation une disposition au moyen de laquelle on pourrait forcer les communes à remplir leurs obligations, à moins qu'il n'y eût impossibilité, par suite de l'extrême pauvreté des habitants.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La loi communale présente diverses lacunes qu'il sera indispensable de combler à une époque plus ou moins rapprochée. Celle-ci a été souvent signalée : le gouvernement a bien le droit d'imposer d'office les dépenses que la loi met à la charge des communes, mais il ne peut pas imposer d'office des recettes.
Il y a d'autres lacunes encore dans la loi communale : ainsi dans certains conseils communaux on voit des conseillers faire acte de présence, se rendre exactement aux séances pour lesquelles ils sont convoqués, mais s'abstenir de prendre part au vote, de telle manière que, quoique présents, aucune délibération ne peut être prise. C'est l'exemple qui a été donné, notamment par le conseil communal de Grammont.
Les conseillers se rendent exactement aux convocations ; mais quand vient le moment de la délibération ils s'abstiennent de voter et aucune décision ne peut être prise ; de telle sorte que les gouverneurs sont aujourd'hui dans la nécessité d'envoyer des commissaires spéciaux pour exécuter ce que le conseil communal se refuse à faire. Le remède à un tel état de choses serait facile : il consisterait à considérer comme absent tout membre qui s'abstient, et à passer outre.
Ce n'est pas tout encore ; il arrive que certains conseillers nommés ne veulent pas prêter serment ; la loi communale n'a pas prévu ce cas. Ils ne sont pas conseillers, et cependant on ne peut pas pourvoir à leur remplacement ; il faudrait donc indiquer un délai dans lequel un conseiller nommé devrait, sous peine de déchéance, prêter serment.
Je donne ces indications parce que si le gouvernement vient proposer certaines modifications à la loi communale, il est bien entendu qu'il ne veut pas modifier essentiellement cette loi, qu'il considère comme bonne ; ce ne sont que des modifications en quelque sorte administratives que nous entendons y apporter.
Un membre de l'opposition a fait une proposition qui aurait pour but d'apporter des modifications profondes dans notre législation communale. Ce n'est pas cette proposition que nous ferons nôtre.
Nous en laisserons toute l'initiative à l'honorable M. Dumortier et nous attendrons qu'il l'ait développée pour nous prononcer plus nettement.
M. le président. - Voici les conclusions de la commission.
« La commission propose de décider que le gouvernement, dans le terme de deux années, aura à présenter aux chambres, un rapport complémentaire en ce qui concerne les subsides distribués sous forme de prêts ou d'avances remboursables. »
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. le président. - Nous avons à l'ordre du jour de demain un feuilleton de naturalisations ordinaires et une grande naturalisation. Le rapport sur le budget de l'intérieur sera distribué demain.
M. Delfosse. - Comme nous avons peu de chose à l'ordre du jour de demain, je demande que la séance publique soit fixée à 3 heures, afin que les sections qui n'ont pas examiné les lois d'impôt puissent terminer leur travail.
M. Moreau. - Le rapport sur la vente des biens domaniaux sera distribué ce soir ; je propose de le mettre à l'ordre du jour de demain. (Oui ! oui !)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On pourrait mettre également à l'ordre du jour le projet de loi relatif à la suppression des droits d'entrée sur certaines matières premières.
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 4 heures et un quart.