(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1549) M. Ansiau procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Bevierre, éclusier au canal de Charleroy, prie la chambre de lui accorder remise du droit d'enregistrement qui lui a été réclamé pour son acte de naturalisation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pierette appelle l'attention de la chambre sur la nécessité de réviser l'article 18 du titre 27 de l'ordonnance de 1669 sur les eaux et forêts. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de Code forestier.
« Les membres d'une société littéraire flamande de Wetteren demandent l'abolition de la contrefaçon et la libre entrée des livres entre la Belgique et la Hollande. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Ciney présente des observations contre le projet de changer la direction du chemin de fer de Luxembourg qui a été arrêtée par la loi du 18 juin 1846. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'ensemble des travaux publics.
« Le sieur de Ridder demande la suppression des exercices de la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le gouverneur du Hainaut adresse à la chambre 109 exemplaires de l'exposé administratif de cette province pendant l'année 1850. »
- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque..
« M. le capitaine Stiennon fait hommage à la chambre de 108 exemplaires de son Essai sur l'organisation de la force publique en Belgique. »
- Distribution aux membres de la chambre.
M. Deliége prie la chambre de lui accorder un congé, pour cause d'indispotition. »
- Accordé.
M. Lebeau. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le budget de l'intérieur pour l'exercice 1852.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
La chambre en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.
M. Jacques. - Messieurs, les sections ont bien voulu autoriser la lecture de la proposition de loi que j'avais déposée sur le bureau à la séance du 25 juin. D'après le règlement, je devrais maintenant en exposer les motifs. Je viens annoncer à la chambre que je suis à sa disposition, si elle veut m'entendre maintenant ; mais je ne m'oppose pas à ce qu'elle fixe un autre ordre du jour.
M. Delfosse. - Si le budget des voies et moyens était mis en discussion, on ne pourrait pas l'interrompre.
- Un membre. - A la suite du budget des voies et moyens.
M. Rousselle. - Je demanderai qu'après le budget des voies et moyens, on mette à l'ordre du jour les crédits supplémentaires au département de la justice. C'est une affaire de comptabilité, cela presse.
M. Delfosse. - n pourrait mettre les développements à la suite des objets qui sont à l'ordre du jour.
- Cette proposition est adoptée.
M. Coomans. - Je rappelle, M. le président, qu'on avait fixé la séance de mardi pour entendre la lecture des développements de ma proposition.
MpV. - Cette décision est maintenue.
- - Un membre. - Pour le cas seulement où il y aurait séance publique ; car mardi on examine les projets d'impôts dans les sections.
M. le président. - M. Dumortier devait aussi présenter les développements de la proposition qu'il a déposée.
M. Dumortier. - M. le président, je les présenterai ultérieurement.
M. le président. - La section centrale n'a introduit qu'un seul amendement dans le budget. M. le ministre des finances déclare se rallier à cet amendement introduit dans le budget des recettes pour ordre. En conséquence, la discussion s'établit sur le projet de la section centrale.
La parole est à M. De Pouhon.
M. de Pouhon. - Les observations que nous pouvons avoir à faire sur les opérations de la caisse d'amortissement et de la caisse des consignations trouvent naturellement leur place dans la discussion du budget des voies et moyens. C'est pourquoi je vous demande la permission de revenir aujourd'hui sur des critiques que j'ai déjà faites au sujet de la marche suivie par l'administration des deux caisses que je viens de citer.
Je ne cède pas, je vous prie de le croire, messieurs, à une impulsion d'amour-propre en me mettant en contradiction avec M. le ministre des finances et avec l'honorable président des caisses d'amortissement et des consignations.
Je l'ai appris à mes dépens lorsque, dans la séance du 10 décembre dernier, je critiquais quelques-uns des actes financiers de M. le ministre, et nous sommes assez souvent témoins de ses ripostes plus que vives à des contradicteurs qui ont infiniment plus que moi le talent de se défendre.
L'honorable baron Osy, avec qui je suis tout étonne de me trouver en dissidence d'opinion sur des questions de crédit public, écoutera mes observations critiques avec indulgence parce qu'il lui arrive aussi et souvent de remplir avec conscience des devoirs désagréables.
Je me tairais s’il ne s’agissait que d’un intérêt d’une médiocre importance, mais il y va d’une lésion de plusieurs millions dans l’avenir, il y va de l’existence d’un système de crédit qui a coûté, aux prédécesseurs de M. le ministre des finances, tant de peine à établir.
M. le ministre et la commission de la caisse des consignations ne voient la valeur d'un fonds public que dans le rapport de la rente. A leurs yeux le 5 p. c. étant au pair, le 4 1/2 ne vaut que 90 p. c., le 4 p. c., 80p. c, le 5 p. c. 60 p. c ; et dès que cette proportion n'existe plus, il y a avantage à vendre le fonds qui la dépasse pour racheter celui qui ne l'atteint pas.
Je comprends que raisonne ainsi le petit rentier d'un esprit très positif, qui placerait son argent à la caisse d'épargne s'il n'achetait des fonds publics. Mais je doute que l'on trouvât un capitaliste intelligent qui, plaçant de l'argent pour quelques années en fonds publics, ne tînt pas compte des probabilités d'augmentation de capital qui résultent de la constitution même de tel ou tel effet.
Et, si ce calcul tout simple doit être fait par le capitaliste particulier, peut-il ne pas être adopté par la caisse des consignations gerce et garantie par l'Etat, l'Etat débiteur des fonds de placement et qui devra inévitablement en rembourser un jour au pair ?
Qui d'entre vous, messieurs, ayant à contracter une dette perpétuelle établie sur le pied de 2 1/2 p. c., soit au denier 40, ne consentirait pas un avantage au profit du créancier pour constituer la rente sur le pied de 5 p. c, afin de ne reconnaître que la moitié du capital qui affecterait la propriété hypothéquée ?
C'est la position de l'Etat belge par rapport à sa dette en 2 1/2 p. c. Cette dette, il a dû la prendre telle qu'elle existait au grand-livre des Pays-Bas, telle que la Conférence de Londres en avait décidé le transfert au grand-livre de Belgique.
Dans l'idée de M. le ministre des finances et de la commission de la caisse des consignations, il est presque indifférent que l'Etat doive 200 millions à 2 1/2 ou 100 millions à 5 p. c, puisque la somme des intérêts est la même.
Je dois cependant bien, messieurs, pour remplir ma tâche, vous citer un fait accablant pour cette opinion, un fait qui la confond. Fort heureusement, le gouvernement a été dirigé par des hommes qui, avaient des idées autres en matières d'emprunts et de crédit publics. Lorsqu'il fut arrêté que le gouvernement de Belgique devait admettre le transfert d'un capital de 100 millions de florins à 2 1/2 p. c, il négocia à la Haye, afin de pouvoir racheter ce capital à 50 p. c. ; il obtint cette faculté pour la moitié du capital.
Pour payer le prix des 80 millions de florins 2 1 /2 à 50 p. c., il émit l'emprunt de 85 millions de francs en 4 1/2 p. c. au cours de 104 p.c, et obtint ainsi une prime de 14 p. c. sur le capital effectif de la dette rachetée ; il réserva de plus l'avenir pour de nouvelles réductions sur les intérêts.
Vous le voyez, messieurs, la simple transformation de ces 80 millions de florins de dette perpétuelle permit de réaliser immédiatement une réduction de plus d'un dixième de la rente en réservant des éventualités de réductions nouvelles.
Sans doute, l'occurrence actuelle ne permettrait pas une pareille conversion, mais les circonstances changent et ramènent l'opportunité. Un an, quelques années même sont peu de chose devant la perpétuité.
Vous reconnaissez, messieurs, cela ne peut pas être autrement, qu'un 2 1/2 à 50 p. c. a plus de valeur qu'un 5 p. c. au pair.
Dès lors comment ne désapprouveriez-vous pas que les titres de 3 p. c. appartenant à une caisse de l'Etat soient réalisés avec une perte considérable sur les prix d'achat, et à une prime de 3 à 3 1/2 p. c. sur le pair de 5 p. c, quand vous considérerez que cet effet sera inévitablement racheté par l'Etat endéans une vingtaine d'années et que cet amortissement ne se complétera point sans porter le prix au pair ?
Et voyez la contradiction ! Le dernier rapport sur les opérations des caisses d'amortissement et des consignations, établit à 75 p. c. le prix mojen des rachats qui restent à faire jusqu'à l'extinction totale de l'emprunt en 1873. Et la caisse des consignations vend à 65 1/4 p. c. ! Elle réduit ainsi la moyenne et admet donc des prix d’autant plus élevés pour les rachats quand les 8,760,000 fr. 3 p. c qui lui restaient au 31 décembre dernier seront épuisés.
(page 1550) La raison avouée des conversions qui se font par les caisses, c'est d'obtenir plus d'intérêts. Le dernier rapport sur leurs opérations fait mention d'un échange de titres au capital de 1,110,000 fr. qui a donné un accroissement de revenu de 716 fr. 20 c, puis une augmentation de capital de 57,424 fr. Voilà au moins une augmentation de capital considérée orame un avantage. Mais le principal bénéfice figure dans l'accroissement de revenu, et 716 fr. 20 c. peuvent bien être un motif déterminant.
Les ventes de 3 p. c. pour rachats de 5 p. c. donnent-elles des augmentations de revenus bien certains et bien durables ? Les 5 p. c. ne sont-ils pas susceptibles de réduction à 4 1/2 et, plus tard, à 4 p. c., à 3 p. c. ? Je me plais à en admettre la probabilité, et alors la spéculation sur le revenu échouerait, en présence de l'augmentation de capital des fonds à bas intérêt.
Si la caisse des consignations a besoin de revenus, elle éprouve aussi le besoin de capitaux pour représenter les dépôts. Aux cours actuels, les titres qu'elle possède ne représentent pas le montant de ses dettes en valeur effective.
On invoque les devoirs du tuteur. Un tuteur oserait-il se permettre de consommer sans retour une grande réduction dans la fortune de son pupille ?
J'ai à citer des autorités importantes contre les idées que je combats : ce sont les faits, les financiers et le public qui ont concouru à l'accomplissement des faits.
Je l'ai déjà dit, au printemps de 1835, alors que le 5 p. c. belge de 1831 venait seulement d'atteindre le pair pour la première fois, et qu'il ne l'atteignit que par des achats faits en vue d'une opération qui n'eut pas lieu, une compagnie, composée de douze premières maisons de banque de Paris, fit l'offre de convertir les 100 millions de 5 p. c. belge au pair en 3 p. c. au cours de 75 p. c. Ils présentaient ainsi au gouvernement belge une réduction immédiate de 20 p. c. sur les intérêts en faveur de l'augmentation éventuelle du capital.
L'honorable M. Osy connaît ces maisons de banque ; il ne niera pas qu'elles présentaient les plus hautes capacités financières.
Notre emprunt en 3 p. c. fut contracté en juin 1838 à 73 1/2 p. c. quand le banquier qui le prenait n'aurait probablement pas accepté un 5 p. c. au pair. La caisse des consignations réalise aujourd'hui ce 3 p. c. à 63 1/2 en présence du 5 p. c. très vivement recherché au pair.
Dirait-on peut-être que le 5 p. c. ne vaut que 63 1/2, puisque le public ne le paye pas plus cher ? Je répondrais que le 3 p. c. belge ne se traite pas sur les marchés étrangers qui soutiennent nos autres fonds depuis la révolution de février, et que les rentiers belges, dominés par l'appréhension des dangers que recèle la situation de la France, se montrent très réservés et font tout juste ce que fait le gouvernement : ils attachent peu de prix à la chance incertaine, quant à présent, d'une augmentation de capital. Personne dans le pays n'achète de fonds belges par spéculation.
Le gouvernement agit donc comme le petit rentier ; il fait plus même, car il vend, lui, les titres de sa dette propre, tandis que le petit rentier achète des détenteurs que la peur ou le besoin porte à réaliser. C'est cette conduite de terre à terre, c'est la méfiance dans l'avenir du pays qu'elle révèle, qui soulèvent ma désapprobation, indépendamment du préjudice qui en résulte pour la situation financière et le crédit de l'Etat. Le gouvernement doit, car il le peut en conscience, témoigner par tous ses actes une profonde sécurité dans l'issue pour la Belgique des événements qui semblent se préparer au-dehors.
Dans la discussion du 10 décembre dernier, comme dans les rapports sur les opérations des caisses, on voit fréquemment le blâme exprimé sur les achats de 3 p. c. belge, opérés par la caisse des consignations. Je n'ai aucune obligation personnelle de justifier ces achats, je les ai exécutés en qualité d'agent de change du trésor, mais passivement
La loyauté m'oblige toutefois à rappeler les circonstances sous lesquelles ces achats ont été effectués, circonstances que M. le ministre des finances n'a pas dû connaître dans l'éloignement où je suppose qu'il était alors des affaires du trésor et de la bourse, mais que l'honorable baron Osy peut se rappeler. Il n'est pas impartial de juger de faits anciens sans se reporter aux circonstances qui les ont entourés. Je n'ai pas vu encore qu'en France on ait reproché aux caisses dépendantes du gouvernement, aux compagnies d'assurances et autres que des actionnaires ont le droit de scruter, je n'ai pas encore vu, dis-je, que l'on ait blâmé les achats faits par elles en 3 p c. à 85 p. c, quoi que le cours de ces effets fût encore il y a quelques jours, à 55 p. c. soit à 30 p. c. plus bas.
Je me rappelle, messieurs, qu'après la conclusion du dernier traité politique avec la Hollande, le trésor fut mis en possession d'une somme très considérable pour le transfert des cautionnements belges effectués sous le gouvernement des Pays-Bas. Il s'agissait, je crois, d'une dizaine de millions de francs, dont le gouvernement belge devait faiie emploi. Quel fallait-il acheter ? Il y avait alors un 3 p. c, un 4 et un 5 p. c. Le gouvernement avait un emprunt à faire, il cherchait, comme de juste, à lui ménager de bonnes voies. Prendre du 5 p. c. au-dessus du pair et qui ne pouvait guère s'élever davantage, ce n'était pas bien utile au point de vue de l'emprunt à émettre, c’eût été faire revenir des titres de Paris où il y avait considérablement de 5 p. c. belge.
Acheter des 4 p. c, je crois que c'eût été difficile. Une grande partie de cet emprunt reposait dans un établissement financier comme représentant de l'ancien encaisse de l'Etat. Beaucoup de ces titres étaient en possession d'autres caisses publiques. Je suppose que la caisse des consignations eu avait aussi sa bonne part. Et d'ailleurs, le placement de 4 p. c belge aurait donné lieu aux mêmes critiques, puisque la baisse a été égale à celle du 3 p. c. Si vous admettez ces raisons, vous reconnaîtrez avec bonne foi, messieurs, que l'achat de 3 p. c. n'était pas si mal vu qu'il le paraît maintenant.
La caisse des consignations n'a d'ailleurs pas acheté les 3 p. c. à des cours exagérés. Il est arrivé que longtemps après ses achats, le trésor ayant éprouvé le besoin de faire argent, a revendu des 3 p. c. à des cours supérieurs aux cours les plus élevés de ses achats.
M. Osy. - Messieurs, je regrette beaucoup de ne pas pouvoir être d'accord avec mon honorable ami M. De Pouhon dans la question qu'il a traitée l'année dernière. Ceux qui ont lu avec attention le rapport de M. le ministre des finances sur les opérations de la caisse d'amortissement en 1850 ont pu, je crois, se convaincre, que ces opérations que M. le ministre a approuvées, sont tout à fait dans l'intérêt du trésor.
L'honorable M. De Pouhon vous parle d'une seule opération qui n'a donné qu'un excédant de revenu de 700 francs : c'est l'opération de l'échange de 5 p. c. contre les quatre p. c. que le gouvernement avait réalisés ; mais la caisse d'amortissement n'a pas seulement fait un bénéfice de 700 francs, mais elle a également obtenu une augmentation de capital de fr. 57,424.
Mais, messieurs, l'honorable M. De Pouhon n'a pas parlé des résultats de l'opération de l'échange de 3 p.c. contre du 5 p. c. de l'emprunt forcé. Voilà les critiques que faisait l'année dernière l'honorable membre ; cette année elles ne sont pas produites directement, mais elles sont au fond de ses paroles. Permettez-moi de vous lire une seule phrase du rapport de M. le ministre des finances et vous aurez l'explication de l'affaire.
Voici ce que j'y lis :
(Voir le rapport de M. le ministre des finances de 1851.)
Messieurs, je pourrais dire que certainement le gouvernement est en droit comme tout particulier de réaliser les fonds qui sont dans sa caisse s'il peut, de cette manière, se procurer une augmentation de revenu. Mais le gouvernement a très sagement fait de ne pas réaliser plus que la caisse d'amortissement n'avait à sa disposition, de manière qu'il n'y a eu aucune secousse. Comme on l'a dit l'année dernière, quand la commission de la caisse de surveillance a été instituée, sur un capital de 16 millions la caisse des dépôts et consignations possédait 10 millions en 3 p.c.
Ils ont coûté en moyenne 75 pour cent ; comme le 3 était plus élevé que le 5, nous avons proposé de réaliser à la caisse d'amortissement ces fonds au fur et à mesure de son action, par là il augmentait le revenu de l'Etat qui doit payer 4 p. c. aux fonctionnaires qui ont des cautionnements et aux particuliers qui ont des consignations Cette mesure avait un double but, d'abord d'augmenter le revenu de l'Etat, en second lieu de ne pas passer par les exigences des bourses du pays et de l'étranger.
Le fonds 3 p. c. s'élève au capital de 50 millions, sur ces 50 millions la caisse des consignations en possède 10 ; il s'en trouve également dans les caisses des pensions, de sorte qu'on trouve difficilement du 5 p. c. sur les bourses et si on avait continué à en acheter, on aurait porté le cours au-delà de 70 fr., c'est-à-dire 10 p. c. plus cher que les autres fonds, en prenant les 5 p. c. au pair.
Je pense que les personnes qui voudront lire attentivement le rapport verront que nous avons agi dans l'intérêt du trésor et dans l'intérêt du public.
Il y avait grand avantage pour l'Etat de vendre du 3 p. c. et d'acheter du 5 de l'emprunt forcé quand il était avili. Nous avons rendu grand service au public en soutenant l'emprunt forcé. C'est à contre-cœur que le gouvernement avait eu recours à cet emprunt forcé, mais c'était le seul moyen de sauver la Belgique ; nous avons dù prendre toutes les mesures propres à soulager les petits rentiers qui ont contribué à cet emprunt.
Cet emprunt forcé est toujours resté à grande distance de l'ancien 5 p. c. parce que l'emprunt est resté dans le pays, tandis que nos autres fonds vont sur les bourses étrangères.
Ce qui faisait surtout beaucoup de tort, c'étaient les petites coupures, et entre autres celles de 20 fr. Nous les avons rachetées pour soulager les petits contribuables. Nous avons favorisé, autant que possible, tout le monde, en donnant des facilités pour l'échange des petites coupures. Nous avons fait tout ce qu'il était possible de faire pour soulager d'une mesure qui était une nécessité dans les circonstances calamiteuses où l'on se trouvait.
Je crois que M. le ministre des finances a, lui, sagement fait en approuvant les propositions de la caisse d'amortissement.
Je crois que tous ceux qui voudront lire impartialement le rapport du 31 mars, y donneront leur approbation.
Je regrette d'être en désaccord avec l'honorable M. De Pouhon sur cette question. Comme ses observations ont précédé notre rapport de cette année, nous avons insisté pour donner toutes les explications possibles au sujet de nos opérations. Maintenant qu'elles sont sous les yeux de la chambre, j'eogage tous nos honorables collègues à les lire.
Je pense que nous devons continuer la marche que nous avons suivie.
Ainsi nous avons pu éviter une différence trop sensible entre les divers fonds publics. Si la caisse d'amortissement n'avait pas procédé ainsi, le cours du 5 p. c. de l'emprunt forcé aurait été à 10 p. c. au-dessus du cours des 3 p. c. S'il était survenu un événement, ceux qui auraient acheté à ce taux élevé auraient été exposés à de grandes pertes. Nous avons voulu niveler le cours des fonds publics. Je crois que nous y avons réussi.
(page 1551) M. De Pouhon. - Je n'ai pas voulu dire, comme le suppose l'honorable M. Osy, que l'amortissement dût, par des achats de 3 p. c. belge à la Bourse, élever exorbitamment le cours de cet effet. Dans la séance du 10 décembre, j'eus l'honneur de dire, au contraire, que si le gouvernement était décidé à réaliser les titres de 3 p.c. appartenant à la caisse des consignations, il devrait faire demander et coter cet effet à la bourse au cours qu'il fixerait, que l'on n'en trouverait que peu, et qu'à la fin du semestre, il pourrait faire transférer le complément de la caisse des dépôts et consignations â la caisse d'amortissement ; qu'ainsi il atteindrait un double but : écouler des titres de 3 p. c. et maintenir la valeur morale de l'amortissement. Le même mode pouvait s'appliquer encore plus efficacement au 4 p. c, beaucoup plus rare que le 3 p. c.
J'ajoutais toutefois une considération en faveur d'une certaine élévation du cours des 3 et 4 p. c. belges.
La place d'Amsterdam est devenue un marché important pour le 2 1/2 p. c. belge. En 1849, il le prenait avec un écart de 4 à 5 p. c. sur le cours du 2 1/2 p. c. hollandais. A présent il exige un écart de 7 à 8 p. c. N'était-il pas important de rapprocher l'écart de prix de nos 4 et 5 p. c. avec les 4 et 5 p. c. hollandais pour habituer les capitalistes de ce pays voisin à une meilleure valeur relative des fonds belges ? N'eût-ce pas été un moyen de faciliter l'écoulement de nos 2 1/2 p. c. et d'influer sur le cours de tous les titres de la dette belge ?
L'honorable baron Osy allègue un autre motif à l'appui des échanges qui se font à la caisse des consignations de 3 en 5 p. c. de l'emprunt forcé. Cet argument a peu de valeur en réalité. Les petits contribuables sont probablement désintéressés dans la question, car ils se sont défaits de leurs titres, la plupart dans les bas prix, ils les vendaient à des spéculateurs qui les faisaient revendre avee profit aux bourses de Bruxelles et d'Anvers.
Depuis l'émission des titres définitifs de l'emprunt forcé, on a pu toujours échanger à Bruxelles les petites coupures contre celles de mille francs, moyennant 1/8 p. c. de différence en faveur de ces dernières. Ce n'est donc pas un grand avantage que la caisse des consignations procure aux détenteurs.
Dans les moments où la caisse achète des 5 p. c. de 1S48, l'écart de prix de ce fonds avec les anciens 5 p. c, diminue ; mais, une fois ces achats terminés, la différence se rétablit bientôt de 1 1/2 à 2 p. c.
M. Osy. - L'honorable M. De Pouhon regrette beaucoup que les fonds belges ne soient pas à la hauteur des fonds étrangers. Il y a pour cela de bonnes raisons ; je ne les dirai pas aujourd'hui ; car cela viendra tout à fait à point lorsque nous discuterons l'emprunt demandé par M. le ministre des finances pour exécution de travaux publics.
Maintenant l'honorable M. De Pouhon n'est pas satisfait de la réponse que je lui ai faite au sujet des opérations de la caisse des consignations. Cependant il doit reconnaître que le gouvernement a le droit de réaliser les 10 millions 3 p. c. qu'il a à la caisse d'amortissement ; car ces 3 p. c. ne rapportent que 4 p. c. et il y a 4 p. c. à payer pour cautionnements et consignations. Le gouvernement n'a jamais pensé à faire une opération pareille pour ne pas bouleverser la bourse.
Nous avons pensé que quand le 3 p. c. est à 63 il est à un taux assez élevé pour qu'il ne puisse être nuisible au crédit de l'Etat de le maintenir à ce taux.
Si M. le ministre des finances n'avait pas fait l'opération, il aurait dù, tous les ans, racheter, peut-être à 10 p. c. au-delà de la valeur pour l'amortissement, tandis que l'opération se faisant, la perte qu'il y a d'un côté est compensée par le bénéfice qu'il y a de l'autre. En operant au contraire comme le propose l'honorable M. De Pouhon, il y aurait perte certaine.
Je crois donc que l'opération faite par M. le ministre des finances est tout à fait dans l'intérêt du trésor.
M. Mercier. - Messieurs, la section centrale s'est attachée à déterminer le découvert du trésor à la date du 10 mai, époque à laquelle elle examinait le budget du département des finances. Après avoir déduit de l'ancien découvert qui avait été indiqué par M. le ministre des finances dans l'exposé de la situation générale du trésor au 1ee septembre dernier, la section centrale, après avoir, dis-je, déduit de ce chiffre le produit de la vente des obligations à 2 1/2 et 4 p. c. qui se trouvaient dans la caisse de l'Etat, y a ajouté le montant de tous les crédits supplémentaires votés ou présentes depuis le 1er septembre 1850.
Par cette opération, elle a constaté un découvert de 24,925,351 fr. 76 c., dont elle a déduit le montant des sommes réservées à l'amortissement, s'élevant à 5,788,156 fr. 42 c, de manière que le découvert serait en fait de 19,137,205 fr. 34 c.
Dans cette appréciation, la section centrale a négligé un élément nécessaire : elle a bien ajouté à l'ancien découvert, après la déduction dont je viens de parler, toutes les nouvelles dépenses, mais elle ne s'est pas enquis auprès de M. le ministre des finances des changements qui pouvaient être survenus dans la situation des exercices 1848, 1849 et 1850, abstraction faite de ces crédits supplémentaires.
L'insuffisance présumée de 1848, serait-elle encore comme, au 1er septembre 1850, de 7,577,964 fr. 68 c, ou, ce chiffre, aurait-il, comme je le pense, subi une réduction ? Celle de l'exercice 1850, serait-elle définitivement de 3,627,461 fr. 15 c ; enfin, l'excédant de l'exercice 1849, n'est-il que de 112,902 fr. 55 c ?
Il serait indispensable de posséder ces renseignements pour établir la situation véritable.
Il est si vrai qu'il y a des changements que je pourrais, à l'instant même, en constater plusieurs. Ainsi, pour le produit du chemin de fer de l’exercice 1850, les prévisions étaient au 1er septembre de 433,000 fr. au-dessous des recettes réalisées.
Pour les bières, les prévisions étaient inférieures de 156,000 fr. aa produit constaté. Pour le droit de succession, la différence en plus a été de 448,000 fr. D'un autre côté, il est probable que plusieurs crédits n'ont pas été épuisés et laissent un boni qui compense en partie les crédits supplémentaires.
Pour compléter les résultats présentés par l'honorable rapporteur, il est donc nécessaire de faire connaître les changements survenus dans la situation des trois exercices dont je viens de parler, depuis le 1er septembre, époque où l'honorable ministre a arrêté la situation du trésor. Puisque la question est soulevée par le rapport de la section centrale, je voudrais que M. le ministre des finances voulût bien nous éclairer sur cet objet soit dans la séance d'aujourd'hui, soit dans la séance de demain.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La question traitée par l'honorable M. De Pouhon a été épuisée par les deux réponses que l'honorable M. Osy lui a adressées. D'ailleurs, cette affaire a déjà été examinée l'année dernière, d'une manière un peu vive, dit l'honorable M. De Pouhon ; mais je répondais à des attaques qui avaient été également un peu trop vives. Je pense que tous ceux qui liront le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à la chambre, le 24 mars dernier, tous ceux qui liront le rapport de la commission de surveillance de la caisse d'amortissement, et des dépôts et consignations, seront parfaitement convaincus que les opérations faites par le département des finances, d'accord avec la commission de surveillance, sont tout à fait dans l’intérêt du trésor.
On peut lui adresser le reproche que lui adresse l'honorable M. De Pouhon, en ce sens que nous n'avons pas fait servir les fonds dont nous avions l'emploi, à accroître la valeur du 3 p. c. ; mais nous n'avons pas cru qu'il y eût intérêt, soit pour la caisse, soit pour le crédit public, soit surtout pour le trésor, à faire monter ce fonds à un taux extrêmement élevé. Pourquoi le rachat de ce fonds devrait-il se faire nécessairement, dans le système de l'honorable M. De Pouhon à un taux très élevé ? C'est que ce fonds n'est pas considérable, et que les établissements publics en possèdent une partie assez notable. La caisse des dépôts et consignations, qui contient 16 millions en dépôt, a 10 millions de 3 p. c. Le 3 p. c. se trouve, en outre, pour une semaine assez considérable dans les caisses des pensions des veuves et orphelins, etc. ; il en reste donc peu sur le marché. Si le trésor faisait encore servir les fonds dont il a l'emploi à acheter le fonds 3 p. c, il le ferait nécessairement monter hors de toute proportion avec nos autres fonds.
Je ne pense pas que cette opération puisse être conseillée d'une manière absolue.
La caisse des dépôts et consignations est débitrice d'une certaine somme de capitaux qui ont été versés dans cette caisse ; elle doit posséder des valeurs en fonds publics qui représentent à la fois en capital et en intérêts de quoi faire face à ses obligations ; elle ne peut pas se préoccuper exclusivement de la rente ; elle se préoccupe aussi et doit se préoccuper du capital.
Quel résultat ont donné à la caisse les opérations qui ont été faites ? C'est d'avoir augmenté le capital et la rente ; donc ces opérations sont nécessairement bonnes au point de vue de la caisse.
Je n'en dirai pas davantage à cet égard. Si, dans cette matière, je n'avais que mon opinion personnelle à opposer à celle de l’honorable M. De Pouhon, elle serait, sans doute, de peu d'autorité, je le comprends ; il a beaucoup plus d'expérience que moi ; mais j'ai marché d'accord avec la commission de surveillance ; vous êtes représentés dans cette commission par l'honorable M. Osy, et le sénat l'est par M. Dindal ; M. Mettenius a été remplacé par M. Verreyt ; M. le président de la cour des comptes et M. T’Kint en font également partie ; il y a eu unanimité de la part de la commission pour approuver les opérations qui ont été proposées.
L'honorable M. Mercier a demandé quelques renseignements relativement à la situation financière. Lorsqu'il s'agit de traiter de la situation financière dans cette assemblée, il faut accepter un point de départ. Jusqu'à présent, ce point de départ a été la situation au 1er septembre 1850 ; d'autres chiffres, produits dans la discussion, n'auraient eu d'autre résultat que d'y jeter de la confusion sans aucune utilité.
La situation, telle que l'indique l'honorable M. Osy dans le rapport de la section centrale, est la situation qui a été publiée sous la date du 1er septembre 1850. On a ajouté à cette situation les crédits supplémentaires qui ont été votés ou présentés ; il en résulte, déduction faite des réserves de l'amortissement, une insuffisance de 19,137,000 francs Cela est exact. Mais l'honorable M. Mercier dit que, depuis la situation du 1er septembre, il y a eu nécessairement un changement dans les chiffres : que les prévisions de recette sur lesquelles les chiffres ont été établis, ont pu s'élever ou diminuer ; que les prévisions de dépenses ont pu être inférieures aux estimations primitives ; qu'on peut donc avoir plus ou moins que 19 militons.
Cela est exact ; mais je ne puis donner aucune indication à cet égard ; il faudrait faire le relevé dans les livres de la comptabilité de ces diverses variations. La situation au 1er septembre 1851 donnera de nouveau les chiffres exacts pour les exercices clos et les chiffres probables pour les exercices en cours d'exécution. Les recettes ayant été satisfaisantes sur un grand nombre de points, et s'il n'arrive pas d'événements fâcheux, il se peut que nous ayons, en définitive, un chiffre intérieur à 10 millions. Peut-être y aura-t-il encore quelques excédants favorables sur les dépenses ; si les dépenses présumées n'ont pas été aussi considérables pour certains exercices que celles qui ont été renseignées, la situation au (page 1552) 1er septembre 1851 donnerait un chiffre inférieur à 19 millions ; mais comme ce sont là des éventualités que les circonstances peuvent modifier, il faut attendre, pour en juger, que les faits soient accomplis. La situation au ler septembre 1851 sera, comme de coutume, communiquée à la chambre et fera connaître les faits avec exactitude.
M. Mercier. - Messieurs, le but que je me proposais est à peu prés atteint par suite de la réponse que vient de faire M. le ministre des finances. Il est du plus grand intérêt pour le crédit public de faire connaître les renseignements favorables à la situation et de ne pas la présenter plus obérée qu'elle n'est réellement. Or, on peut présumer que l'insuffisance de 19 millions sera diminuée de plusieurs millions.
J'ai entendu M. le ministre des finances, en répondant à l'honorable M. De Pouhon, déclarer qu'on ne devait pas avoir de système absolu dans le choix des fonds publics qui sont achetés pour les caisses de consignation et de cautionnements ; je partage cette opinion qui ne me paraît pas celle qui a été exprimée dans la dernière discussion sur le même objet. On semblait ériger alors en principe qu'il n'y avait pas lieu d'acquérir pour ces caisses un fonds qui ne donnait que 4 p. c. d'intérêts. Mon opinion est que les circonstances doivent exercer de l'influence sur la détermination à prendre, il faut d'abord satisfaire aux exigences de la caisse qui elle-même a des intérêts à payer ; mais, en outre, le ministre doit agir dans l'intérêt du crédit de l'Etat et du succès d'opérations financières qu'il pourrait avoir en vue.
M. Osy. - Messieurs, la commission n'a pas eu de principe absolu, et la preuve, ce sont les opérations différentes qu'elle a faites. Nous avons vendu du 3 p. c, et nous l'avons vendu, en prenant le 4 p. c. que M. le ministre des finances avait à vendre, en vertu d'une loi qui avait été votée il y a deux ans. Qu'a fait la caisse ?
Elle a acheté à 80 et vendu des 5. Vous le voyez, de même qu'on avait trouvé convenable de vendre des fonds à bas intérêt, on a fait l'opération inverse quand on y trouvait avantage pour l'Etat.
Il n'y a pas de principe absolu, on consulte l'intérêt général. J'en viens à la situation financière.
Pour me rendre compte de la situation actuelle, je devais prendre un point de départ ; le seul officiel, c'était le compte rendu de septembre 1850.
Quand nous connaîtrons les comptes des exercices 1848, 1849 et 1850, il pourra y avoir un changement à la situation que j'ai présentée dans mon rapport, mais aujourd'hui nous devons prendre le chiffre officiel de la situation de1850 ; quand nous ferons le rapport sur le budget des voies et moyens de 1853, nous prendrons le compte rendu du 1er septembre de cette année. Si on continue à suivre cette marche tous les ans on connaîtra la situation du trésor et les arriérés quand on discutera le budget des voies et moyens. J'engage à l'avenir mes collègues qui seront chargés du rapport sur cet objet, à suivre la même marche qui éclairera complètement l'assemblée sur la situation.
M. De Pouhon. - M. le ministre nous fait connaîtra la nature de l'opération à laquelle il est fait allusion dans son rapport. Si elle consiste en un échange de titres par suite duquel la caisse des consignations a accru ses intérêts et son capital, je ne la comprends pas trop, mais je l'approuve. Ce que je blâme, c'est l'échange de 3 p. c. contre des 5 p. c. de l'emprunt forcé, échange qui paraît être érigé en système permanent.
La caisse des dépôts et consignations n'a pas trop à se préoccuper du besoin d'accroître ses revenus, puisqu'elle a un excédant de 114,511 fr. Elle doit viser plutôt à rétablir son capital, et le plus sûr moyen c'est.de garder ses titres de 3 et de 4 p. c. belges.
- La discussion générale est close.
« Foncier : fr. 18,359,750. »
- Adopté.
« Personnel : fr. 9,240,000. »
- Adopté.
« Patente : fr. 3,201,900. »
- Adopté.
« Redevance sur les mines : fr. 207,900. »
M. Osy. - M. le ministre des finances a communiqué au ministre des travaux publics le vœu émis par plusieurs sections que le gouvernement examine la question de savoir s'il ne serait pas convenable d'augmenter la redevance sur les mines.
La section centrale, s'étant occupé de faire son rapport pendant la crise, n'a pas pu s'adresser au gouvernement pour connaître son intention à ce sujet. Mais aujourd'hui le gouvernement pourrait s'expliquer et faite connaître s'il ne veut pas chercher là une augmentation de revenu.
Je dois maintenant toucher à une affaire assez délicate. Je suis obligé de dire tout ce que je pense. Je connais M. Ic ministre pour un homme très évère dans la défense des intérêts du trésor ; certainement il en a donné des preuves en faisant payer des sommes qui depuis nombre d'années étaient dues au trésor, de manière qu'il veut être juste envers tout le monde.
A cette occasion, je dois parler d'une affaire assez considérable sur laquelle je désire avoir un renseignement. Je prie M. le ministre d'être assure qu'il n'y a rien de personnel dans mes paroles. J'ai vu dans les jugements rendus en Belgique qu'on avait plaidé sur un procès-verbal de contravention d'une importance de 480,000 francs.
En 1845, le tribunal a débouté la société concessionnaire de la demande d’incompétence mise en avant. Vous le voyez, en 1845, ce n’est pas le ministère actuel qui était au pouvoir, de sorte que s’il y avait faite, elle porterait sur l’ancienne comme sur la nouvelle administration.
Le tribunal ayant décidé qu'on devait plaider au fond, je désire savoir pourquoi l'ancienne administration et la nouvelle n'ont pas donné suite à une affaire aussi importante.
Sous l'ancien gouvernement, avant 1830, cette société a eu un procès-verbal pour une somme considérable, 1,200,000 francs, si je suis bien informé. En 1834 un autre procès verbal également considérable fut dressé à sa charge ; toutes ces affaires sont tombées à néant ; mais en 1841 un nouveau procès-verbal intervint auquel on a donné suite et sur lequel on plaida en 1845.
Je demande pourquoi deux poids et deux mesures, pourquoi on ne donne pas suite aux procès-verbaux à l'égard de tout le monde. Je demanderai pourquoi on n'a pas donné suite à cette affaire sur laquelle on a déjà plaidé en 1848 et qui doit procurer 480 mille francs au trésor.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je remercie l'honorable M. Osy de l'interpellation qu'il vient de m'adresser. Bien loin de m'en plaindre, j'en suis très satisfait ; car j'aime beaucoup que l'on parle avec franchise et qu'on me donne l'occasion de m'expliquer. C'est le meilleur moyen de faire cesser ces petits bruits, ces insinuations, ces attaques injurieuses, que l'on colporte d'abord sourdement, que l'on se dit à l'oreille et qui finissent par prendre bientôt le caractère le plus fâcheux. On a essayé de faire entendre que l’Etat a une créance importante à charge d'une société charbonnière ; qu'il s'agit là d'une affaire immense et de droits clairement établis en faveur du trésor public ; mais que, me trouvant directement ou indirectement intéressé dans cette affaire, la prétendue créance se trouve négligée, si ce n'est perdue, au grand détriment du trésor de l'Etat.
C'est là le fond de la pensée de l'honorable M. Osy ; je la dégage de l'obscurité qui l'entoure, vous voyez que j'accepte parfaitement le débat.
Je regrette seulement que l'honorable membre ne m'ait pas averti de son interpellation. J'aurais pu recueillir des renseignements et mes souvenirs, et mieux préciser ainsi les dates et les faits. Je crois cependant que je pourrai m'expliquer d'une manière assez complète.
L'honorable M. Osy a parlé de deux faits. Je n'en connais qu'un seul ; je présume qu'il y aura eu quelque confusion dans les renseignements qui lui auront été donnés. Voici de quoi il s'agit :
Une concession de mine de houille, comprise dans un certain périmètre, avait été accordée à une compagnie. Le cahier des charges stipulait que la compagnie concessionnaire ne pourrait entamer ce qu'on nomme en termes de houillère son « esponte », c'esl-à-dire la limite de la concession, sous peine d'une amende de 100 fl. par chaque mètre cube de terre, pierre ou charbon extrait hors de la limite de la concession. L'acte portait que la concession était limitée par « le pied du glacis de la citadelle de Liège ». Aux termes des règlements sur la matière, les concessions doivent être délimitées en ligne droite. Or, vous savez parfaitement qu'une citadelle présente des angles rentrants et des angles sortants ; elle est en zigzag. Avait-on entendu que la limite suivît toutes les sinuosités du glacis ? Lorsque la compagnie dut tracer son esponte, elle avait à faire des opérations à la surface afin de reconnaître les travaux qu'elle devait opérer dans l'intérieur de la mine. A ce moment éclatait la révolution de 1830 et il fut interdit à la compagnie, malgré sa demande, d'envoyer ses agents dans la citadelle de Liège afin de se livrer aux opérations qui étaient indispensables pour déterminer sa limite.
Dans cette situation, elle traça son esponte aussi exactement que possible, et comme elle ne pouvait faire son esponte en zigzag, c'est ce que tous les exploitants savent parfaitement, elle la détermina en laissant certaines parties des angles rentrants et en prenant certaines parties des angles sortants, de telle sorte qu'en supposant qu'elle devait suivre les sinuosités du glacis, ce qu'elle prenait d'un côté, elle le perdait de l'autre.
Elle soumit régulièrement, conformément à la loi et aux règlements en matière de mines, ses plans d'avancement des travaux aux ingénieurs chargés de la surveillance. On ne fit aucune observation sur le modo adopté, sur le sens donné à l'acte de concession ; ii n'y eut aucune contestation sur ce point. Quelques années après, en 1834, je pense, l'administration des mines soutint que la société concessionnaire n'avait pas observé le cahier des charges, qu'elle avait empiété sur la limite de la concession. La société répondit par les faits que je viens de rappeler. Procès-verbal de contravention fut cependant dressé. Il fut envoyé au procureur du roi chargé de poursuivre en vertu d'une disposition de la loi de 1810. Mais celui-ci trouva que la prescription, applicable à ces contraventions, était acquise, car elles se prescrivent par six mois aux termes d'une disposition de la loi de 1791, à laquelle se réfère la loi de 1810.
L'affaire resta dans cette situation pendant je ne sais combien d'années.
En 1845, l'administration qui n'avait pas poursuivi devant le tribunal de répression pour obtenir une amende de 100 fr, se pourvut par la vote civile, soutenant qu'elle était en droit de réclamer des dommages-intérêts, aux termes du cahier des charges.
Je plaidais alors pour la compagnie concessionnaire. Je soutins que les tribunaux civils étaient incompétents en cette matière ; que s'il y avait contravention elle était prescrite ; que l'administration n'avait pas le (page 1553) droit, à titre de la police des mines, d'intenter une action en dommages-intérêts, pas plus qu'une administration communale n'aurait le droit d'intenter une action en dommages-intérêts parce qu'on aurait contrevenu à un règlement sur la police des bâtisses.
J'ajoutai que la contravention n'existait pas ; qu'au fond le procès était sans intérêt pour l'Etat, par la raison fort simple que la mine qu'on accusait la société d'avoir prise était sa propriété en vertu d'actes authentiques. Le tribunal rejeta les diverses exceptions d'incompétence et autres et ne statua pas sur le fond de l'affaire.
Appel fut interjeté devant la cour de Liège.
Dans l'intervalle la société poursuivit régulièrement près du gouvernement et du conseil des mines la demande en concession de la mine qu'on lui reprochait d'avoir prise, c'est-à-dire de son propre bien.
Le conseil des mines, ayant examiné longuement et minutieusement cette affaire, déclara que la société concessionnaire était propriétaire de cette mine et qu'on ne pouvait la concéder qu'à elle. En conséquence, le gouvernement en octroya la concession à la société.
Que fit alors et que pouvait faire le gouvernement ? Remarquez que je défends ici les actes de l'administration précédente ; car les faits que je présente ne me regardent en aucune façon ; ils sont tous antérieurs à mon entrée au pouvoir. Le gouvernement fit ce qu'il devait faire : il déclara qu'il fallait se désister de la poursuite.
En 1846, le gouvernement a fait signifier un désistement de ces poursuites à la compagnie concessionnaire ; de sorte qu'il n'est rien dû à l'Etat ; que tout ce qui a été raconté à ce sujet est de pure invention, et qu'il est surtout, je ne dirai pas odieux, mais ridicule d'avoir mêlé mon nom à une affaire qui a été entreprise, poursuivie et abandonnée par l'administration précédente. L'honorable M. Osy a été trompé par des renseignements inexacts ; il n'y a rien à faire rentrer au trésor, ni les 450,000 fr. qu'il a mentionnés, ni des sommes plus considérables, car on a même parlé de millions.
Les ruptures d'esponte ou l'enlèvement des massifs réservés, arrivent parfois dans les exploitations. Souvent la contravention n'existe que pour avoir négligé de demander les autorisations requises. La société John Cockerill, pour ses charbonnages de Seraing, avait encouru vers le même temps, pour avoir entamé son esponte, une amende considérable, calculée à raison de je ne sais combien de mètres cubes de pierre extraite. Mais commes ces amendes sont purement comminatoires, hormis, lorsqu'il s'agit de la sûreté de la mine, ou des droits des tiers, l'administration n'use pas de rigueur envers les exploitants.
Aussi la société John Cockerill a obtenu la remise des amendes encourues. Dans cette situation, je m'estime heureux d'avoir pu donner ces explications.
M. Osy. - Je remercie M. le ministre des finances d'avoir donné ces renseignements. Effectivement j'avais vu le jugement du tribunal de Liège, qui avait ordonné de plaider au fond. Comme, depuis 1845, il n'avait plus été donné aucune suite à cette affaire, j'ai pensé qu'il fallait donner à M. le ministre des finances l'occasion de s'expliquer. Il a donné tous les renseignements désirables. Pour ma part, je suis satisfait.
Maintenant, je demanderai à M. le ministre des travaux publics de donner les renseignements que réclame la section centrale pour voir s'il n'y aurait pas moyen d'augmenter les redevances des mines
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La question de la redevance des mines continue de faire l'objet d'un examen appiofondi de la part de l'autorité supérieure.
Comme l'honorable M. Osy le sait sans doule, cette question a donné lieu à divers projets nouveaux. Le conseil des mines a soumis au gouvernement un travail qui s'éloigne considérablement des modifications proposées par M. l'inspecteur général des mines. Le gouvernement a cru devoir renvoyer ces divers projets à l'avis des députations permanentes des provinces dans le ressort desquelles sont situés les districts miniers et qui, elles à leur tour, ont recueilli les avis des chambres de commerce.
La question de la redevance des mines a sans doute son importance, mais il est à remarquer que si l'on adoptait même le système proposé par le conseil des mines, on n'améliorerait pas considérablement les ressources que le trésor perçoit du chef des redevances, puisqu'il ne s'agirait, je pense, que d'une augmentation d'environ 75,000 francs. Il est à remarquer en outre qu'il y a quelques années cette redevance ne s'élevait qu'à environ 145,000 francs.
La difficulté dans cette matière est moins d'élever le taux de l'impôt que d'assurer la perception. C'est vers ce point que doivent se diriger tous les efforts du gouvernement.
Il y a quelque temps que la députation permanente de la province de Liège a envoyé au gouvernement ses observations sur la proposition du conseil des mines. C'est seulement lorsque ces divers documents auront fait l'objet d'un examen nouveau qua le gouvernement pourra prendre une résolution définitive.
M. Le Hon. - J'avais remarqué, dans le rapport de la section centrale, la recommandation faite au gouvernement d'étudier la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu d'augmenter les redevances sur les mines.
J'ai dû me demander à mon tour si la section centrale avait bien compris la portée de son voeu, et j'aurais besoin de savoir, même avant d'aborder cette discussion, si le projet de la section centrale tend à augmenter la redevance actuelle en lui conservant le caractère d’un fonds spécial affecté aux dépenses de cette administration, ou si elle entend réclamer cette augmentation à titre d'impôt destiné à figurer parmi les ressources du trésor. Je suppose, d'après un signe d'assentiment de l'honorable M. Osy, qu'on veut créer un revenu nouveau. Eh bien ! il s'agit alors, non d'une simple question de surtaxe, mais d'un changement complet de législation.
On semble ignorer que, sous l'empire, il s'est accompli une véritable révolution dans les lois en matière de mines ; qu'autrefois, sous les gouvernements précédents, avant la loi de 1791, comme sous l'empire de cette loi, on frappait les concessionnaires de redevances par les actes mêmes de concession. Ces redevances étaient considérées aussi par les gouvernements de cette époque comme des revenus bons à percevoir. Ils s'inquiétaient peu de savoir s'ils ne détournaient pas ainsi les capitaux de la recherche et de l'exploitation des mines, et s'ils ne perdaient pas le centuple à laisser enfouies dans les entrailles de la terre toutes les richesses minérales qu'on n'en extrairait pas.
Ces résultais désastreux d'une longue expérience frappèrent vivement le gouvernement français, dès l'année 1807, sous l'empire.
C'est après plusieurs années de discussions approfondies, discussions auxquelles l'empereur assista en personne, dans le conseil d'Etat, qu'est intervenue la loi du 21 avril 1810, qui, abolissant les principes des lois antérieures, a fondé et organisé un système tout nouveau, au nom de l'intérêt de la richesse publique.
Cette loi, en effet, a supprimé toutes les redevances anciennes dues à l'Etat (article 40). Elle a déclaré propriétés incommutables toutes les concessions de mines, même celles qui avaient été octroyées précédemment à titre temporaire (article 51).
Elle a substitué aux redevances onéreuses et souvent inégales, imposées aux exploitants sous le régime aboli, deux redevances générales (articles 33 et 35), l'une fixe, l'autre proportionnelle, établies à un taux modéré, de manière à ne pas peser sur l'exploitation des mines, et à encourager, au contraire, les capitaux à s'y porter.
La loi de 1810 a, en outre, statué (article 39) que ces redevances seraient affectées exclusivement aux dépenses de l'administration des mines ; destination spéciale en vertu de laquelle leurs produits ne sont pas considérés comme faisant partie des finances de l'Etat.
Napoléon et son gouvernement avaient compris que ce qui importait avant tout à la richesse publique comme aux revenus de l'Etat, c'était d'attirer et d'appeler les capitaux privés vers la recherche des mines partout où il y a quelque espoir de les découvrir.
Ils savaient que ces entreprises libéralement encouragées étaient une source plus abondante, plus assurée de recettes pour le trésor que l'impôt prélevé sur leurs produits.
Un honorable orateur comparaît hier les dix-huit millions de contributions que paye la propriété foncière aux deux cent quarante mille francs inscrits au budget des voies et moyens, comme produit de la redevance des mines et il s'en indignait.
Veuillez, messieurs, entendre et méditer ce qu'ont dit à cet égard les hommes d'Etat qui ont prêté le concours d'un talent si remarquable et d'une science si profonde aux grands actes de législation de l'Empire.
Je ne puis mieux vous expliquer l'esprit et le but de la loi de 1810, et la différence essentielle qui distingue, au point de vue de la loi fiscale, la propriété immobilière et l'exploitation des mines, qu'en empruntant le langage de M. le comte Stanislas de Girardin, rapporteur de la loi au corps législatif de France. Voici un extrait de son rapport :
« Il faut commencer, avant d'entreprendre une exploitation régulière de mine, par y consacrer d'immenses capitaux. Les propriétaires fonciers en ont bien rarement de disponibles et s'ils en avaient, ils aimeraient bien mieux, sans doute, en faire usage pour améliorer leur sol par des engrais ou une culture plus soignée, que de les employer à rechercher des richesses toujours douteuses et toujours très coûteuses à extraire.
« Les capitalistes peuvent seuls se livrer à des opérations hasardeuses et courir les chances toujours inséparables des grandes entreprises.
« Ce qu'il faut réunir de capitaux pour établir des travaux réguliers esl considérable, ce qu'il faut en dépenser avant d'obtenir un produit, est immense. L'on assure que la compagnie qui exploite les mines d'Anzin a travaille pendant vingt-deux ans avant de parvenir à extraire du charbon et a dépensé plus de seize millions pour établir toutes les machines nécessaires à leur exploitation.
Cette somme, toute forte qu'elle est, cessera peut-être de vous paraître exagérée, lorsque vous parcourrez la série des travaux à faire pour exploiter une couche en un filon dans toute son étendue Non seulement il faut creuser des puits à une profondeur de plus de trois ou quatre cents mètres, il faut pratiquer des galeries qui partent du fond des puits, se dirigent horizontalement dans les couches ou les filons de la mine, percer à travers les rochers et employer toujours, pour parvenir à les étayer, les plus beaux arbres des forêts ; il faut encore les préserver d'être inondées ; épuiser les eaux par des pompes à feu, dont la moindre coûte près de cent mille francs, les faire écouler par des canaux toujours très dispendieux à construire, entretenir par des ventilateurs, dans toute l’étendue des travaux, une circulation vive et continuelle de l'air atmosphérique ; il faut enfin se préserver du méphitisme de l'air qui asphyxie tout à coup les ouvriers, qui incendie et détruit si souvent, par (page 1554) des explosions comparables à la foudre, les établissement les plus.
« La dépense de ces travaux qui exigent tous les genres de connaissances et dans les sciences et dens les arts est encore augmentée lorsqu'il s'agit d'exploiter des mines métalliques ; et cette dépense, on est forcé d'en convenir, ne peut être faite par les propriétaires de la surface. »
Eh bien, messieurs, ce sont là les travaux et les sacrifices préliminaires de l'exploitation des mines, c'est-à dire que celui qui a obtenu une concession de mines doit commencer par arriver avec des millions pour les livrer à tous les hasards des recherches souterraines. Au contraire, celui qui veut acheter une propriété va consulter la matrice cadastrale, qui lui fait connaître la valeur moyenne et le produit régulier de la terre ; puis, s'il se rend acquéreur, il possède et jouit sûrement ; son capital, solidement placé, est représenté par une valeur que ses produits n'altèrent et n'épuisent jamais.
Cette vérité a été si bien comprise en France, qu'après avoir décrit les nombreux travaux préliminaires, qui ne sont encore qu'un acheminement à la découverte incertaine d'une mine, l'honorable rapporteur expliquant les articles 33 et 35 de la loi du 21 avril 1810, qui ont déterminé le taux des redevances nouvelles, expliquait, dans les termes suivants, la nature et la destination spéciale de la redevance proportionnelle.
« La redevance proportionnelle est déterminée chaque année par le budget de l'Etat.
« Les produits de ces deux redevances ne sont pas considérés comme faisant partie des finances de l'Etat ; ils en sont séparés par l'article 39, qui leur assigne une destination spéciale, en les affectant aux dépenses de l'administration des mines exclusivement. C'est une garantie qui doit rassurer pleinement les exploitants actuels, et tous ceux qui se livreront à l'avenir à ce genre d'industrie.
« Qu'il nous soit permis, messieurs, d'arrêter encore quelques moments votre attention sur ce point important.
« S'il est juste que les propriétaires des mines payent une redevance, à titre de propriétaires, il est nécessaire, pour l'intérêt général, qu'elle soit extrêmement modique ; car si elle était considérable, elle paralyserait ou anéantirait bientôt les anciennes exploitations, et serait un obstacle à ce qu'il puisse s'en établir de nouvelles.
« L'exploitant d'une mine n'a d'autre propriété que le fruit de son travail. Lorsque la mine est abondante, il en tire, il est vrai, un profit qui le dédommage de l'intérêt de ses avances, mais ce profit est toujours balancé par des risques au moins proportionnés à l'étendue des bénéfices.
« L'exploitation des mines doit être encouragée, car leur production est incontestablement une richesse de plus pour la nation, et une dépense de moins, puisqu'il faudrait acheter de l'étranger de quoi subvenir aux besoins de la société et des manufactures. (…)
« La loi favorise cette exploitation, en garantissant qu'elle ne sera jamais assujettie aux contributions ordinaires, et que les taxes levées seulement pour couvrir les dépenses de l'administration, seront si peu considérables, qu'elles ne détourneront personne de continuer ou d'entreprendre l'extraclion de la houille. (…)
« Une autre considération d'un grand poids exige encore que la taxe sur les charbons soit légère, afin que les étrangers ne trouvent aucun avantage à nous les fournir et que nous puissions soutenir la concurrence au-dehors. Depuis l'instant où l'Escaut et la Meuse débouchent dans la mer du Nord, les charbons de terre des départements de l’Ourthe, de Sambre-et-Meuse et de Jemmapes, peuvent être livrés dans tous les ports de l'Ouest à un prix sinon inférieur, au moins égal à celui des charbons étrangers.
« La somme fixée chaque année par le budget, sera répartie entre les déparlements où il y a des mines d'exploitation ; elle sera imposée et perçue, comme la contribution foncière, sans pouvoir néanmoins lui être assimilée, ni pour la quotité, ni par l'emploi de ses produits. »
Après un exposé si clair de l'esprit et de la portée de la loi de 1810, qui est en vigueur en Belgique comme en France, je viens demander à la section centrale si elle s'est bien rendue compte de cette circonstance que sa proposition ou plutôt son vœu tend non seulement à abroger l'article 39 de cette loi, mais, encore à détruire toute l'économie de son système ; à repousser toutes les considérations si hautes et si graves qui ont déterminé le gouvernement de l'empire à décréter la réforme la plus radicale de la législation antérieure en matière de mines. Je lui demande si elle a mesuré les conséquences de la profonde altération d'une loi, sous l'influence de laquelle s'est accompli cet immense développement imprimé à l'exploitation de nos richesses minérales et qui a produit pour le travail national de si grands résultats.
D'ailleurs, messieurs, songez-y bien, l'exploitation des mines livrée non seulement à toutes les vicissitudes de l'imprévu, mais encore à toutes les chances du commerce, à toutes les crises de l'industrie, est aussi un genre de richesse des plus délicats, des plus fragiles dans son contact avec les événements extérieurs. On n'entretient l'activité des exploitations minérales et des établissements métallurgiques qu'à force de recherches nouvelles et de nouveaux sacrifices. Par conséquent lorsque vous trouvez si simple de traiter, en matière imposable, ses produits si chèrement obtenus, rappelez-vous les maximes libérales, les vues élevées de l'homme qui fut aussi grand législateur que grand guerrier ; rappelez-vous la garantie donnée sous son inspiration, que la redevance des mines ne serait jamais transformée en revenu de l’Etat et craignez, par un étroit esprit de fiscalité, de tuer la poule aux oeufs d'or.
Faites donc attention que du moment que les capitaux ne sont pas protégés ou encouragés, ils se cachent ou se retirent. La loi du 21 avril 1810 a été, quant aux mines, la base de leur confiance.
Aussi, en Belgique, a-t-elle puissamment contribué à tourner vers l'exploitation des mines toutes les forces de l'esprit d'association. Et je saisis cette occasion de rendre justice aux sociétés financières qui ont secondé ce mouvement par une active et large impulsion. On a dit que cette impulsion avait peut-être été trop loin : des individus lésés peuvent s'en plaindre ; mais l'intérêt général de notre Belgique en a recueilli d'immenses avantages.
On ne peut le méconnaître, l'accroissement considérable de nos richesses minérales a eu lieu au milieu de bien des mécomptes, des ébranlements de fortunes et des ruines.
Malgré cet enseignement de l'expérience qui a éclairé et guidé le législateur français, on demande au gouvernement de décider que les mines sont une matière imposable comme la surface du sol : on le demande à chaque session, comme si l'impôt ne devait avoir aucune influence funeste sur la source où l'on veut puiser. Ce qui paraît si simple à la section centrale est, à mes yeux, excessivement grave.
J'ai cru, pour un moment, que la section centrale demandait d'augmenter les redevances des mines, en tant qu'insuffisantes dans leurs produits, pour couvrir les frais de l'administration spéciale qui leur est donnée par la loi ; mais l'honorable M. Osy m'a tiré d'erreur ; l'honorable membre a dit : « Nous demandons que les mines soient frappées d'un impôt » C'est-à-dire que vous demandez le retour à 1750. Vous demandez l'abrogation des articles 33, 35 et 39 de la loi de 1810 ; vous demandez un système complètement contraire à celui qui a prévalu en France après de longues délibérations et qui a été regardé comme le seul libéral, intelligent et politique, le seul favorable aux véritables intérêts du trésor et du pays.
Messieurs, je me borne à ces observations, je les ai présentées pour expliquer au gouvernement qui s'occupe de la question et, l'honorable rapporteur de la section centrale, comment je me réserve d'envisager la proposition si elle vient à être soumise à la chambre.
M. Cools. - Messieurs, la question de la redevance des mines attire depuis longtemps l'attention de la chambre. La section centrale de 1849 s'en était occupée d'une manière spéciale. Cette section centrale, dont j'ai eu l'honneur d'être nommé rapporteur, était frappée d'un fait. Ce fait, c’est celui-ci : c’est qu’il y a une différence inexplicable entre la législation de la Belgique et celle des pays qui nous entourent. Ici, par exemple, la redevance est presque insignifiante ; elle est, je crois, de 2 1/2 p. c., tandis qu’en Prusse, elle est de 10 p. c., si mes souvenirs ne me trompent pas.
Mais voici la raison de la législation de 1810 ; elle est facile à comprendre : c'est qu'à cette époque l'industrie des mines, telle que nous la concevons maintenant, était presque à son origine ; c'est qu'alors seulement on commençait à exploiter les mines avec une certaine intelligence ; et toujours, dans tous les pays, on a favorisé les industries naissantes.
Mais la question n'est plus la même ; nous avons fait du chemin depuis lors. Il s'agit aujourd'hui de savoir s'il faut encore conserver la redevance des mines simplement à titre de redevance pour couvrir les frais d'exploitalion et les frais de surveillance, ou s'il faut envisager les mines comme une source d'impôt, comme une grande richesse nationale, ayant une grande valeur, et devant par conséquent payer son tribut à l'Etat, tout comme les propriétés foncières, tout comme les autres usines qui payent des droits d'accises ou d'autres.
C'est là le point principal de la discussion ; car les orateurs qui ont parlé, depuis le rapport de la section centrale de 1849, ont soutenu que les mines devaient être frappées à titre d'impôt.
Le gouvernement s'est quelquefois expliqué à ce sujet. Il a toujours dit qu'il examinerait la question. Nous apprenons aujourd'hui, par M. le ministre des travaux publics, à quel résultat on est arrivé. Une commission a été nommée. Le conseil des mines a fait des propositions. Ces propositions modifient la situation actuelle. Le gouvernement n'a pas cru pouvoir accueillir de prime abord les propositions qui lui ont éte faites ; mais le gouvernement a cru devoir renvoyer le projet du conseil des mines, à l'avis des chambres de commerce des districts miniers, ainsi que des députations permanentes des provinces où se trouvent des mines. Cette marchie seule suffirait pour prouver que le gouvernement se refuse à envisager la question du point de vue où la chambre s'est toujours placée, à savoir s'il faut frapper les mines d'un impôt. Jamais, en effot, on n'a demandé à des corps constitués, s'il convient de créer un nouvel impôt qu'on indique, et jamais surtout, lorsqu'il s'agit de frapper une industrie, on ne s'en est rapporté à l'avis des autorités représentant les localités où ces industries sont établies.
Je ne sache pas, en effet, que M. le ministre des finances qui nous a présenté, ces jours-ci, un projet d'impôt sur les distilleries, ait commencé par envoyer ce projet à l'avis de la chambre de commerce de Hasselt ; je ne sache pas que lorsqu'ila proposé un impôt sur les bières, il ait commencé par consulter la chambre de commerce de Louvain.
Puisque l'intention du gouvernement ne saurait plus être (page 1555) douteuse, j'aurais voulu que le gouvernement eût saisi l’occasion de s’en expliquer, lorsque les chambres travaillaient dans les sessions à l’examen des budgets, alors les sessions auraient pu rechercher s’il convient de maintenir le statu quo, quant aux mines, ou s’il faut persister dans le désir, exprimé précédemment par les sections centrales, de frapper les mines à titre d’impôt.
Aujourd'hui, chaque membre peut bien émettre son avis isolément, mais cet avis n'a guère d'autorité. Je dirai cependant à M. Le Hon que je ne partage pas l'opinion qu'il vient d'émettre. Je suis loin de croire, et personne n'a cette idée, qu'il faille frapper les mines outre mesure ; seulement, je pense qu'il faut leur faire payer une juste part dans les impôts.
Les mines constituent une richesse, elles ont une valeur par elles-mêmes ; celui qui acquiert une mine ne fait pas une dépense telle qu'il doive être privilégié à tout jamais, qu'il ne doive pas payer une part quelconque dans les impôts, comme une terre paye à titre d'impôt foncier.
Je ne vois pas que les chances que les concessionnaires ont à courir soient une raison pour les dispenser de payer quoi que ce soit. On dit : Les exploitations sont très chanceuses ! Mais est-ce que toutes les entreprises ne sont pas chanceuses ? Est-ce que l'industrie du sucre de betterave, que je citerai pour exemple, n'a pas été soumise à une foule de mauvaises chances ? Est-ce qu'elle n'a pas nécessité un grand nombre d'essais dispendieux, des changements d'ustensiles qui ont entraîné de grandes dépenses ? N'est-elle pas exposée à des pertes ?
Et cependant l'industrie du sucre paye l'impôt comme toute autre industrie. Aujourd'hui que les mines sont dans un état, je ne veux pas dire précisément brillant, mais au moins très satisfaisant, elles pourraient supporter une partie de l'impôt comme toute autre source de richesse. Je bornerai là mes observations. On connaît l'opinion du gouvernement : quand les sections auront encore à s'occuper du budget des voies et moyens, elles verront si elles veulent se rallier à l'opinion du ministère.
M. Rousselle. - Toute l'argumentation de l'honorable préopinant a roulé sur cette proposition, que les mines doivent être taxées à titre d'impôt et de manière à procurer une ressource nouvelle au trésor public. Ce serait là un renversement total de la législation qui nous régit. Tant qu'on ne propose pas de changer cette législation, la discussion sur cette question me paraît inopportune. L'honorable M. Le Hon est entré dans des détails suffisants pour faire au moins hésiter la chambre ; et comme il n'y a pas de proposition faite pour le moment, nous devons nous borner à voter le chiffre présenté. Ultérieurement s'il se fait une proposition, nous aurons à l'examiner, et nous le ferons d'une manière approfondie.
Le gouvernement annonce qu'il s'occupe de la question ; attendons donc qu'il fasse connaître sa résolution, et s'il ne fait pas de proposition, qu'un membre use de son droit d'initiative, s'il le trouve bon, et a'ors seulement notre discussion pourra avoir un résultat.
M. Dumortier. - Il y a quelque chose qui me frappe toujours, c'est le privilège établi au profit des uns et au détriment des autres. Je n'en ai jamais voulu, je n'en voudrai jamais. Nous venons de voter l'impôt foncier qui verse au trésor 18,359,750 fr. Que payent les mines ? 207, 900 francs.
Cependant dans un pays aussi favorablement doté par la nature que la Belgique, il est évident que dans une certaine limite, dans une échelle donnée, on doit leur demander de contribuer aux impôts, en raison de leurs revenus comme on le fait pour la terre.
Or, il résulte de la statistique du gouvernement que les mines de houille à elles seules donnent actuellement un produit brut de 40 millions de francs en moyenne ; cela résulte du tableau que nous a communiqué le gouvernement et qui est déposé à la bibliothèque.
Voilà pour les houilles. Quel est le produit brut des autres mines ? La statistique du gouvernement nous fait défaut. Je n'ai rien trouvé à cet égard. Nous savons qu'il existe des mines de zinc excessivement riches qui rapportent beaucoup ; nous avons des mines de fer considérables qui rapportent également beaucoup, des mines de plomb, de cuivre de toute espèce, à l'exception de métaux précieux.
M. Coomans. - Il y en a dans le Luxembourg !
M. Dumortier. - Du moins, il n'y en a pas, je sais qu'on veut y en porter beaucoup. Je dis donc que dans mon appréciation, il est incontestable que le produit des mines de zinc, de fer et de toute espèce doit être égal, à celui des mines de houille. Elles représentent, il est vrai, un capital immense. Vous savez ce que rapportent les mines de zinc, nous avons vu les actions de la Vieille-Montagne émises au taux de mille francs s'élever à 8 mille, ce qui indique un produit considérable.
Je demande comment il se fait qu'un produit brut de 68 millions de francs ne rapporte pas un sou au trésor, alors que toutes les industries, sans en excepter une seule, payent au trésor des sommes considérables. Je demande s'il est juste de frapper les enfants d'un droit de succession en ligne directe, quand vous avez sous la main une matière à impôt aussi saisissable, quand la houille qui se consomme presque en totalité dans le pays, est protégée par un droit d'entrée presque prohibitif contre la concurrence des houilles étrangères.
Examinez l'article que vous avez à voter, un produit de 207,000 fr., voyez au budget des dépenses ce que coûtent les mines, 246,267 fr., non compris le bureau général des mines, aux travaux publics, dont je n'ai pas le détail, car il se trouve compris dans les frais d'administration générale de ce département. Ainsi il est certain que la dépense qu'occasionnent les mines n'est pas couverte par le produit des mines.
On me dira que dans la somme portée au budget des dépenses se trouve compris ce que vous donnez aux caisses de prévoyance.
Mais si nous donnons quelque chose aux caisses de prévoyance, c'est parce qu'il y a des mines. Si vous dites que le revenu des mines ne doit servir qu'à couvrir les dépenses qu'elles occasionnent, elles devraient couvrir les dépenses faites pour les caisses de prévoyance, comme les autres ; mais les dépenses de ces caisses sont couvertes par les recettes générales du trésor.
Voilà donc un fait. D'abord c'est que les recettes des mines ne couvrent pas les dépenses qu'elles engendrent.
En second lieu, voyez les privilèges que vous avez par l'impôt : n'est-ce pas dans l'intérêt des mines de houille que vous avez abaissé les péages du chemin de fer pour le transport ele la houille, et ce au grand préjudice du trésor public ? N'est-ce pas dans le même intérêt que vous avez abaissé les péages du canal de Charleroy, et diminué ainsi de 5 à 6 cent mille francs les revenus du trésor public ? Enfin n'est-ce pas dans le même intérêt que vous proposez aujourd'hui d'abaisser les péages du canal de Pommerœul ? En même temps que vous frappez toutes les propriétés de nouveaux impôts, vous dites : « Non seulement, celle-ci ne payera pas d'impôts, mais elle prélèvera des impôts ! » Est-ce là l'égalité que veut la Constitution ? Je vous le demande. C'est un système de primes permanentes ! C'est un système de primes organisé sur une vaste échelle.
Je conçois le système des primes, lorsqu'une industrie est souffrante, ou dans l'enfance. Je ne le conçois pas, lorsqu'une industrie peut voler de ses propres ailes ; et c'est le cas de l'industrie qui nous occupe ; c'est le cas de l'industrie minière.
Avant de Lapper d'impôts les successions, les matières premières, une foule de choses, il est juste qu'une industrie aussi importante rapporte quelque chose au trésor public.
Ce qui fait que je présente ces observations, c'est ce que j'ai entendu tout à l'heure dans la bouche de M. le ministre des travaux publics, lorsqu'il a dit que le point le plus difficile était moins d'élever l'impôt que d'en assuier la perception.
Pour moi, je crois que non seulement il faut assurer la perception de l'impôt, mais qu'il faut l'augmenter ; bien entendu si vous avez besoin d'argent ; car si vous n'en avez pas besoin, il ne faut augmenter aucun impôt. Si, au contraire, vous devez augmenter les impôts, il faut faire payer le bénéfice, le capital là où il se trouve.
Vous avez encore un autre point de comparaison : si vous achetez une propriété, vous avez des droits à payer. Si vous avez des actions, vous ne payez rien. Dans le même moment où l'on accorde des avantages immenses à une industrie spéciale, un malheureux ouvre un petit débit de boissons distillées et vous le frappez d'un impôt énorme. Si un malheureux ouvre un débit de tabac, vous allez le frapper d'un impôt énorme. Et en même temps à l'industrie la plus importante vous ne demandez rien. Puis vous osez parler de vos sentiments démocratiques, de vos sympalhies pour les classes soufflantes ! Je dis que ce langage n'est pas sincère, qu'il n'est pas vrai !
S'il est des capitaux que l'impôt doit atteindre, ce sont assurément ceux qui sont placés dans des entreprises donnant des bénéfices si considérables que les actions produisent aujourd'hui plusieurs fois le capital qu'elles représentent.
Il y a, je le sais, des sociétés dont le capital est exagéré (j'ai moi-même un intérêt dans des sociétés de cette nature) ; mais l'exagération de la valeur nominale du capital social n'empêche pas que les actions rapportent des bénéfices considérables.
Je dis qu'il y aurait de l'iniquité à vouloir établir des impôts sur le tabac, sur les bières, sur les distilleries et sur les successions en ligne directe, lorsque le gouvernement a sous la main une matière aussi imposable que celle-là.
Avant même de la frapper d'impôts, on doit faire cesser l'immense avantage qu'elle retire des transports à vil prix et qui ont amené un préjudice de 45 millions au trésor public, ainsi que l'a démontré la cour des comptes.
Mais, dit M. le ministre des travaux publics, j'ai renvoyé tous les projets de changements dans l'impôt aux conseils d'industrie dans les districts miniers. En vérité c'est (qu'il me permette cette expression triviale) aller à confesse au diable. Evidemment ils vous diront : « Je ne veux pas payer ! » Pouiquoi n'avez-vous pas, dans le même ordre d'idées, demandé, au sujet de l’impôt sur les successions en ligne directe, l'avis de tous les pères de famille. Vous l'aviez fait sans doute puisque vous aviez reconnu que cet impôt n'avait pas obtenu la sanction de l'opinion. Mais depuis !
- Un membre. - Les ministres sont pères de famille.
M. Dumortier. - Pas tous ! il y a des célibataires dans le ministère.
Je pense que quand le gouvernement veut avoir un avis éclairé sur un impôt qu'il veut établir, il ne doit pas le demander à ceux qui doivent le payer, car il est impossible qu'ils le trouvent bon.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Alors qu'on supprime la chambre.
M. Dumortier. - Je crois en effet que, dans votre système, on pourrait la supprimer, lorsque vous dites que vous délibérez dans vos (page 1556) conseils de guerre, et que ce qui a été décidé dans ces conseils de guerre doit être accepté par tous. Il y aurait un moyen très simple, ce serait de réunir les électeurs pour savoir si sont les libéraux ou les conservateurs qui ont la majorité, Ceux qui auraient la majorité seraient chargés de faire les affaires du pays jusqu'aux élections suivantes. Il est certain qu'avec le système de libre examen de M. le ministre des finances, on pourrait très bien supprimer la chambre.
Quant à moi, je regarde le gouvernement constitutionnel comme le meilleur, mais c'est à la condition qu'il sera sincère, qu'on acceptera les convictions des membres du parlement, qu'on ne les forcera pas.
M. de Perceval. - On n'a forcé personne.
M. Dumortier. - Nous sommes d'accord : vous avez fait comme vous avez voulu, et moi aussi.
Je demande donc qu'avant de s'occuper d'établir des impôts sur les malheureux, sur les petits, il est juste d'imposer un élément considérable de fortune qui, aujourd'hui, échappe à l'impôt.
L'honorable M. Le Hon me dira : Mais il y a une loi sur la matière. Sans doute. Mais nous ne sommes pas ici pour maintenir une loi en permanence. Si la loi n'est pas bonne, nous la changerons, nous en ferons une autre. Je ne conçois pas pourquoi cette loi, dont les conséquences sont iniques, aurait le privilège d'être permanente.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne de ce que l'honorable M. Coomans ne prenne pas la parole pour répondre à l'honorable M. Dumorlier. Cela aurait pu servir en partie de développements à la proposition qu'il a déposée et qui tend à supprimer toute espèce de taxe sur les houilles.
M. Coomans. - Sur les denrées alimentaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et sur les houilles.
M. Coomans. - Egalement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Coomans aurait donc pu se lever, selon moi, pour combattre les idées qui viennent d'être émises par l'honorable M. Dumorlier. Il aurait pu ajouter aux raisons qu'il nous donnera pour démontrer que les houilles ne doivent pas être grevées d'impôt, que l'honorable M. Dumortier tombe dans une erreur fort étrange lorsqu'il suppose que lorsqu'il aura grevé les houilles, il aura atteint le propriétaire de mines, il aura atteint le consommateur. Je ne discute pas le point de savoir si c'est un bon moyen de procurer des revenus au trésor ; je constate une vérité : c'est que l'impôt, s'il n'est pas modéré surtout, sera acquitté par le consommateur.
M. de La Coste. - Supprimez les droits d'entrée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'oppose pas personnellement à ce qu'on supprime les droits d'entrée. Je vous déclare dès ce moment que si l'opposition vient, ce ne sera pas de mon côté.
M. Delfosse. - Ni de notre province.
M. Dumortier. - Vous êtes trop loin de la mer.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lorsque vous nous dites « supprimez les droits », votre pensée, si je ne me trompe, est d'essayer contre moi d'un argument personnel.
M. de La Coste. - Pardon. Voulez-vous me permettre de vous interrompre ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est inutile : l'interruplion ne peut avoir d'autre signification.
M. de La Coste. - Je le nie.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tant mieux. Toutefois, pour que des objections de cette nature ne se reproduisent pas, nous vous ferons remarquer que la province à laquelle nous appartenons est absolument sans intérêt dans cette affaire, parce qu'il est impossible que la houille anglaise vienne faire concurrence à nos houilles dans l'intérieur du pays. Si cette mesure pouvait produire quelque effet, ce ne serait que sur le littoral, ce serait relativement au Hainaut.
M. Delfosse. - C'est le Hainaut qui est intéressé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est évident.
L'honorable M. Dumortier se trompe encore très gravement, quand il vient vous dire : Vous avez proposé d'établir un droit sur les successions en ligne directe, vous allez atteindre la terre, le peuple, et vous laissez en dehors les exploitations charbonnières. L'erreur de l'honorable membre est manifeste. C'est précisément un impôt qui les atteindra ; car ceux qui dans les successions trouveront des exploitations charbonnières auront à les déclarer et à payer en raison de la valeur de ces exploitations.
M. Coomans. - Les actions se cacheront.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce que les houillères se cachent ?
Si l'on hérite de son père une houillère au soleil comme un bien foncier, ne payera-t-on pas en raison de cette exploitation ? Cela est évident.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pourquoi n'avez-vous pas voulu du serment ?
M. de La Coste. - Parce que le moyen était mauvais.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les propriétaires de la mine sont connus...
Vous parlez des exploitations qui peuvent exister en sociétés particulières. Non seulement, il y a les actions nominatives, mais, en outre, pour les autres actions, cela rentre dans la situation qne vous avez voulu faire à ceux qui pourraient dissimuler de telles valeurs. Je voulais les atteindre. Vous n'avez pas voulu.
Il est incontestable que si un impôt peut atteindre ces sortes d'exploitations, sans nuire au consommateur, c'est précisément celui-là. Il y aura des particuliers qui ne payeront pas, me dites-vous. C'est possible, comme d'autres valeurs échapperont aussi à l'impôt ; mais nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour que toutes ces valeurs contribuassent à accroître les ressources du trésor ; et le moyen que nous proposons, celui de les atteindre par les successions en ligne directe, est un excellent moyen.
L'honorable M. Dumortier tombe dans une autre erreur. L'honorable membre nous dit : « D'après la statistique, les mines donnent un produit brut de 40 millions, et nous avons de ce chef au budget des voies et moyens à titre d'impôt une misérable somme de 200,000 fr. » Que signifie, et que peut jamais signifier le produit brut ? C'est le produit net qu'il faut voir.
Or, ces 40 millions de produit brut donnent, en définitive, un produit net qui, en raison de 2 1/2 p. c, procure 207 mille francs.
Quelle est la conclusion qu'il faut en tirer ? C'est que ce produit net n'est pas très élevé, car la taxe est de 2 1/2 p. c.
Quand vous opposez les 40 millions de produit brut et les 200,000 fr. qu'ils donnent à l'Etat aux 18 millions que donne l'impôt foncier, vous devez comprendre que votre argumentation n'a rien de sérieux.
Le produit net cadastral de la terre en Belgique est de 158 millions. Que donne ce produit net cadastral ? Un impôt qui représente moins de 10 p. c. de revenu cadastral.
Qu'est-ce que le revenu cadastral relativement au revenu réel ? Le revenu cadastral déterminé par les baux de 1816 à 1826, est environ aujourd'hui de la moitié de son revenu réel.
- Plusieurs membres. - Non ! non !
M. de Theux. - Cela n'est pas exact.
M. de La Coste. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les non, non, ne signifieront absolument rien du tout. Et en voici le motif, c'est qu'il y a quinze jours, j'ai fait faire un relevé dans toutes les provinces des baux qui ont été enregistrés, en négligeant ceux d'un revenu minime, en ne prenant, par conséquent, que de certaines étendues de terre pour que l'on ne puisse pas objecter que ces petits lopins auraient acquis par la concurrence une valeur trop considérable. Qu'en est-il résulté ? C'est que généralement les revenus accusés par les baux enregistrés, représentent un revenu double du revenu cadastral.
J'ai fait faire le même travail pour connaître à cette époque la valeur des terres dans nos diverses provinces et j'ai trouvé que les prix étaient, selon les provinces, de 40, 50, 00 et jusqu'à 80 fois le revenu cadastral. Dans les provinces où l'agriculture a reçu un grand développement, où peu de progrès sont à faire, comme dans les Flandres par exemple, le multiple du revenu cadastral reste le même ou à peu près depuis très longtemps ; mais dans les provinces où l'agriculture a fait ou continue de faire de grands progrès, la valeur de la terre s'est notablement accrue depuis que le revenu cadastral a été arrêté.
Ainsi dans les provinces de Namur, de Limbourg, de Luxembourg et dans une partie de la province de Liège, la valeur de la terre s'est considérablement accrue sans que l'impôt ait varié. Là l'impôt opère comme prime à l'amélioration de la terre puisqu'il reste invariable.
Aussi l'on est arrivé dans ces localités à vendre jusqu'à 80 fois le revenu cadastral ; on continuera à y vendre même dans une proportion supérieure jusqu'à la révision du cadastre, et le revenu réel tendra de plus en plus à s'éloigner du revenu cadastral.
Il n'est pas raisonnable de comparer ces sortes de revenus aux produits des mines. Vous ne le pouvez pas pour les motifs que je viens d'indiquer, mais vous ne le pouvez pas sous un autre rapport encore.
Qu'est-ce qu'un capital engagé dans une exploitation houillère, et qu'est-ce qu'un capital engagé dans l'exploitation de la terre ? On achète la terre en raison de sa valeur, on reçoit le revenu d'une manière fixe, certaine et à perpétuité ; ce revenu est soumis à certaines chances, à certaines fluctuations, cela est incontestable ; mais ces chances, ces fluctuations ne sont rien en comparaison des chances, des fluctuations qui affectent le revenu des mines.
Tout revenu ne vaut pas tout autre revenu d'une somme égale ; ce n'est pas parce que des terres donnent tant de revenu et payent tant d'impôt, que tel autre revenu équivalent doit payer le même impôt. Je suppose un particulier possédant 10 mille francs de revenu en biens-fonds et un particulier possédant également 10,000 fr. de revenu, mais 10,000 fr. qui résultent d'une exploitation charbonnière. Je suppose que vous les fiappiez l'un et l'autre d'un impôt de 5 p. c. ; ils payeront chacun cinq cents francs ; croyez-vous que ce sera l'égalité ? Mais ce sera une monstrueuse inégalité, car, indépendrmment des risques, celui qui retirera dix mille francs d'une exploitation houillère mangera son capital avec son revenu : une mine n'est pas inépuisable, et à mesure qu'on l'exploite, le propriétaire perd une partie de son capital ; il faut donc qu'il trouve, dans son revenu, une quotité quelconque destinée à reformer le capital ; le propriétaire foncier, au contraire, ne voit jamais diminuer son capital, mais il le voit presque toujours augmenter ! De là vient notamment qu'une taxe sur le revenu, envisagée comme juste par certains esprits est, en effet, une taxe extrêmement inique, il faut considérer quel est le capital qui donne le revenu. Ainsi, par (page 1557) exemple, il y a une énorme différence entre celui qui tire un revenu de 20,00 francs d'un capital argent, d'un fonds de terre, et celui qui tire le même revenu d'une industrie ou de l’exercice d'une profession : le premier transmet son capital et son reveau à ses enfants ; si l'autre meurt, il ne leur transmet rien ; son revenu périt avec lui.
Maintenant 2 1/2 p c. sur le revenu des mines, est-ce une quotité suffisante pour le trésor ? Dans divers pays on paye plus : on France la redevance est de 5 p. c. ; en Allemagne, où elle est évidemment exagérée et où elle sera abolie ou considérablement réduite avant peu, dans certaines parties de l'Allemagne, cette redevance va jusqu'à 10 p. c. Eh bien, messieurs, supposez que vous doubliez la taxe, ce serait certes beaucoup et probablement on ne proposerait pas tout d'abord d'aller jusque-là. Je n'examine pas la question de savoir s'il faut revenir sur la législation de 1810 qui a fait de la redevance sur les mines une taxe spéciale ; non, je suppose que l'on ne tienne aucun compte des motifs qui ont alors déterminé le législateur Eh bien, si nous doublions la taxe et si la taxe double donnait un produit double, vous auriez 400,000 fr. au lieu de 200,000 fr. Voilà donc le motif de tout ce fracas : 200,000 fr. de plus, à la condition de doubler l'impôt ! Le débat n'a pas d'autre importance que cela. Or, au point de vue du public, au point de vue des consommateurs et de l'industrie en général, une telle mesure ne présenterait-elle pas des inconvénients qui ne seraient point compensés par le bénéfice peu important que le trésor en retirerait ?
Que l'honorable M. Dumortier veuille bien remarquer que les capitaux engagés dans les exploitations houillères ne produisent en moyenne que 2 1/2 p. c, alors qu'ils sont exposés à tant de chances et qu'une voie d'eau ou un coup de feu peut les détruire ; voilà ce qui est constaté par l'administration des mines depuis plusieurs années.
Ensuite l'honorable préopinant suppose que quand on donne une concession de mines, on donne véritablement une richesse, comme si l'on donnait une terre ; que concéder une mine, c'est absolument la même chose que de faire cadeau à quelqu'un d'une ferme.
Mais pour qu'une concession puisse avoir une certaine valeur, il faut des capitaux considérables. Nous savons bien qu'à certaines époques d'exagération, lotsque la spéculation s'en mêle, on vend des concessions de mines comme on vend des concessions de chemins de fer, etc., nous savons qu'il se fait quelquefois beaucoup de folies, mais hors de là une concession de mines n'a de valeur que par les capitaux qui y sont successivement engagés. Je dirai qu'ici, puisque vous voulez comparer les mines à la terre, qu'ici il faut créer la terre ; c'est grâce aux capitaux qu'on enfouit dans les mines et qu'on expose à des chances de toute espèce, c'est grâce à ces capitaux que l'on obtient quelque chose. Il ne faut donc pas considérer une concession de mines comme constituant une richesse pour celui qui l'obtient.
Si l'honorable M. Dumortier y tenait le moins du monde, je ne serais pas tant embarrassé de lui procurer une mine, sauf à lui de l'exploiter. Il verrait s'il y trouverait de grands profits.
L'honorable M. Dumortier a supposé que la taxe représentait en définitive peu de chose pour les exploitations charbonnières. Ceci est encore une erreur : si M. le ministre des travaux publics veut communiquer à l'honorable M. Dumortier le tableau indiquant quelles sont les exploitations qui acquittent l'impôt, il constatera que ces exploitations payent une redevance énorme, et il sera tout étonnéé de voir que tel individu ou tel établissement se trouve grevé de 3, 4, 6, et jusqu'à 10,000 fr. C'est que cette taxe pèse en définitive sur un petit nombre de personnes.
On a parlé d'autres mines ; eh bien, l'on va ici contre le but que l'on poursuit. Prenons les mines de fer ; dans l'état actuel des choses, les mines de fer ne sont pas concessibles. On a donné une certaine latitude pour l'exploitation de ces mines : celles-là seules qui sont à ciel ouvert auraient pu régulièrement être exploitées.
Mais enfin, on exploite la mine de fer. A qui cela profite-t-il ? Aux propriétaires fonciers. Ce ne sont pas ceux-là que vous voulez atteindre.
Quant aux autres mines, vous avez cité une mine de zinc, qui a donné de beaux bénéfices ; mais, exploitée en société anonyme, elle paye tribut à l'Etat à raison de ces bénéfices. Et puis, il ne faut pas prendre l'exception pour la règle. Si un homme fait fortune, il ne faut pas en conclure que tous font de magnifiques affaires.
Il y a des exploitants de mines de calamine qui sont dans une fâcheuse position ; parmi les exploitants des mines de plomb, il en est qui ne peuvent pas continuer leur exploitation.
Si vous établissiez un impôt, vous n'arriveriez qu'à un résultat minime. Mais, je le répète, si l'on pouvait tirer de la redevance sur les mines de houille un produit plus élevé, sans nuire trop fortement aux autres intérêts engagés dans la question, c'est-à-dire à l'intérêt du consommateur, à l'intérêt de l'industrie en général, car c'est là la base de toutes les industries, je n'y verrais pas, pour ma part, un grand inconvénient.
M. de La Coste. - Messieurs, si c'était à moi de décider la question, et si j'étais infiniment plus jeune que je ne suis, j'accepterais à l'instant la proposition de M. le ministre des finances de supprimer le droit d'entrée sur les houilles. Je dis, si j'étais infiniment plus jeune, parce qu'ordinairement alors on est partisan, quand on a fait des études, de ce qu’on appelle aujourd’hui le libre échange et de ce qu’on appelait autrefois la liberté de commerce. Mais lorsque l’expérience est venue, quand on a longuement observé et réfléchi, on est forcé d’admettre tant d’exceptions à ce principe, qu’on est peu disposé à en faire l’application d’une manière aussi aventurée.
Je ne suis pas hostile à l'exploitation des mines ; an contraire, je fais très grand cas de cette partie de notre prospérité nationale, et j'hésiterais à admettre sur-le-champ la suppression du droit d'entrée sur les houilles que proposait M. le ministre des finances, d'autant plus que cela se rattache à des questions très délicates, entre autres à nos relations avec la France.
Mais quand j'ai interrompu M. le ministre des finances, et je désirais sur-le-champ lui donner une explication, voici quel était le sens de mon interruption :
M. le ministre des finances disait : « Vous aurez beau augmenter la redevance des mines de houille, ce seraient les consommateurs qui payeraient cette augmentation. »
Mais si le consommateur payerait tout ou partie du droit, comme le prétend M. le ministre, ce serait donc parce que la houille est protégée par un droit d'entrée contre la concurrence des houilles étrangères : si donc vous vouliez empêcher un tel résultat, il faudrait supprimer le droit d'entrée.
Ce serait donc dans le système de M. le ministre des finances que je regarderais la suppression du droit d'entrée comme un corollaire de son raisonnement.
J'en viens à l'assertion qu'a émise M. le ministre des finances, quant à la propriété foncière, à savoir que le revenu cadastral n'est que la moitié du revenu réel.
Messieurs, lorsque des membres de cette assemblée qui ont des connaissances pratiques dans l'industrie, dans les mines, prennent la parole, nous les écoutons avec beaucoup d'attention, nous avons beaucoup de confiance dans ce qu'ils nous expliquent des industries qu'ils connaissent. Mais celui qui passe une partie de sa vie à la campagne, qui ayant des relations avec la campagne, en connaît la situation, du moment qu'il ouvre la bouche, il semble qu'il ait toujours quelque intérêt particulier qui le fasse agir.
Quant à moi, je ne suis point personnellement un grand propriétaire ; maîs j'ai, je l'avoue, des intérêts en rapport avec la propriété, et par là je suis au fait de ce qui la concerne ; je dois dire que les faits qui me sont connus contredisent formellement l'allégation de M. le ministre des finances.
Il est très vrai que les provinces qui sont précisément les plus favorisées par la prospérité des mines, sont peut-être également les plus favorisées par les résultats cadastraux ; pourquoi cela ? Parce que dans ces provinces il y avait de très grandes exploitations. La division des propriétés, l'amélioration des communications, le voisinage même des mines, ont augmenté dans une très forte proportion la valeur et les produits des propriétés dans ces provinces.
Mais il n'en est pas de même dans les autres provinces. M. le ministre des finances a déjà fait une exception pour la Flandre, et en cela je suis d'accord avec lui ; mais M. le ministre adopte une base qui ne peut conduire qu'à une erreur : il prend pour base les baux enregistrés des propriétés au-dessus de 50 fr. Les baux enregistrés sont soit des baux qui sont donnés en adjudication publique, soit en général des baux qui se font à un taux très élevé ; alors on va à l'enregistrement pour avoir une garantie vis-à-vis des locataires ; mais les baux qui se font à un taux raisonnable, qui se font à l'amiable avec les fermiers sont le plus souvent dépourvus de cette formalité.
Quant à moi, je dirai d'abord que dans les provinces éloignées des mines, le revenu net de la propriété des bois est très peu différent du revenu cadastral qui est très élevé pour les bois ; et la raison en est bien simple : c'est qu'en général les personnes qui donnaient leur avis sur les estimations, prenaient l'intérêt des bois peu à cœur.
Pour les terres en location, je pourrais citer plusieurs fermes d'une étendue de 15 à 20 hectares, qui sont louées à un taux très approchant du revenu cadastral. Je connais d'autres terres qui ne sont pas louées au taux du cadastre. Voilà des faits qui me sont parfaitement connus et qui contrarient complètement l'assertion de M. le ministre des finances.
En comparant la propriété des mines et celle des terres, M. le ministre des finances semble croire que la propriété des terres n'a pas également besoin du concours des capitaux. Mais, messieurs, les terres les plus fertiles de notre pays ne sont quelque chose que par les capitaux, et ne demeurent quelque chose que par les capitaux ; sans les capitaux et le travail elles redeviendraient stériles.
Si vous voulez faire une comparaison raisonnable, comparez celui qui achète une terre et n'a que la peine de recevoir les revenus avec celui qui achète une action et n'a que la peine de recevoir les intérêts ; la différence sera que l'un ne touche que 2 p. c. de ses capitaux, tandis que l'autre en obtient peut-être 10.
Une autre différence encore, c'est que l'on payera 4 p. c. de droit de mutation, plus les additionnels et d'autres frais, tandis que l'autre ne payera rien au trésor. Voilà ce qui blesse l'égalité, voilà ce qui justifie en grande partie les observations de l'honorable M. Dumorlier.
M. de Theux. - Je voulais aussi, comme l'honorable préopinant, contredire l'opinion émise par M. le ministre des finances, que les baux excédaient de 50 p. c. les évaluations cadastrales pour les propriétés. C'est une erreur complète. Cela peut être vrai pour certains établissements publics dont les propriétés sont louées avec publicité et concurrence, cela peut être vrai encore pour quelques localités où il y a une grande agglomération de population et d’argent, mais c’est inexact pour la généralité.
Puisque M. le ministre des finances nous annonce qu’il n’a aucune répugnace à admettre le libre échange pour le produit des mines, puisque (page 1558) c'est son opinion» nous l'invitons à soumettre cette question à l'avis des chambres de commerce et des commissions d'agriculture ; et si son opinion est partagée par ces corps, à la formuler en loi, nous suivrons M. le ministre dans cette voie.
Quant à l'exploitation des mines qui a fait l'objet principal du débat, il faut distinguer ; il y a une grande partie de nos mines qui s'exploitent avec peu de fruit quelquefois, avec perte et en absorbant des capitaux considérables ; mais d'autres s'exploitent avec des bénéfices immenses.
C'est à tel point qu'on peut citer des actions émises au taux de mille francs, dont la valeur s'est élevée à 3, 4 et 5 mille francs, et qui ont encore donné de gros bénéfices à ceux qui les acquéraient. On voit que dans l'exploitation des mines il se fait d'immenses fortunes, ce qui prouve que certaines exploitations sont très fructueuses, en même temps que d'autres sont improductives et même onéreuses.
M. Le Hon. - Je n'ai pas l'habitude de demander aux défenseurs de la propriété foncière combien d'hectares de terre figurent dans leur fortune, ni aux partisans des hauts tarifs de douanes, s'ils ont quelque intérêt dans les industries qu'ils veulent protéger. Je croyais donc qu'il ne pouvait entrer dans la pensée de personne d'attribuer à l'influence d'une considération d'intérêt personnel les observations que j'ai opposées tout à l'heure à la motion de la section centrale. Cependant j'ai trouvé dans le discours d'un honorable préopinant quelque chose qui ressemblait trop à une allusion directe pour que je pusse me dispenser de commencer ma réplique par cette réflexion.
Je n'ai pas besoin de dire que, en cas d'allusion sérieuse de cette nature, je n'aurais pas assez de dédain pour l'injure d'un pareil soupçon.
Dans les quelques lignes du rapport, sous forme d'une simple augmentation de chiffre dont le vœu se reproduit à chaque session, il y a une question très grave.
On veut que les mines rapportent davantage ; c'est là une matière imposable, dit-on ; frappez. On semble même s'étonner de la lenteur du ministère.
Je crois pouvoir m'étonner à mon tour de cette persistance, quand j'ai, pour moi, l'opinion, les rapports, les discours des hommes les plus éminents de la France, auteurs principaux d'une des lois les plus importantes de l'Empire.
Que l'honorable préopinant vienne mettre en regard les dix-huit millions de la contribution foncière et les deux cent et quelques mille francs de la redevance des mines ; qu'il s'écrie qu'il y a là iniquité, injustice, inégalité révoltante, grands mots qui ne frappent fort que lorsqu'ils frappent juste ; qu'est-ce que cela prouve ? Mais, en France, la contribution foncière n'excédait-elle pas 100 millions de francs, en 1810, et l'administration impériale qui a laissé une réputation si méritée d'avidité fiscale, eût-elle été disposée, sans les plus puissantes raisons, à ne pas toucher aux produits des mines, alors qu'elle puisait des revenus partout avec tant de rigueur ?
Vous avez vu pourtant cette administration sacrifier son esprit de calcul et ses exigences habituelles à un grand principe d'intérêt général, aux conditions nécessaires à la prospérité d'une des branches les plus importantes de la richesse publique : Vous l'avez vu abolir toutes les anciennes redevances dues à l'Etat à titre de concession ou autre cause semblable ; transformer des titres précaires en titres de propriété incommentable et substituer une redevance proportionnelle qui ne peut excéder 5 p. c. du produit net à toutes les redevances préexistantes.
Le législateur français a pensé que plus on arrachait aux entrailles de la terre de richesses qui y restaient perdues pour tout le monde, plus on alimentait, plus on multipliait les perceptions du fisc par les nombreux usages et les diverses transformations que le minerai livré à l'industrie reçoit.
Cette opinion est parfaitement conforme à la saine économie politique et tout législateur chez les peuples éclairés, peut, avec confiance, le prendre pour règle et pour autorité.
Les considérations secondaires et les petits calculs d'intérêts dont on se prévalait tout à l'heure, m'autorisent à croire et à dire que l'appel fait aux grands principes consacrés par la législation de France, a passé par-dessus la tête de ceux qui me répondent.
Mon but, en ce moment, n'est pas de combattre l'établissement d'un impôt sur les mines : J'ai voulu veus faire remarquer que la redevance des mines peut être augmentée, sans déroger à l'article 39 de la loi de 1810, c'est-à-dire, au système de (erratum, page 1584) l'affectation spéciale.
En effet ; vous n'avez pris que 2 1 /2 p. c. de ce droit : la limite du maximum étant fixée à 5 p. c. par l'article 35, vous pouvez accroître la redevance autant qu'il est nécessaire pour couvrir toute la dépense de l'administration des mines.
Mais ce n'est pas ce qu'on veut. L'intention avouée, c'est de frapper les mines d'un impôt au profit du trésor et, dans ce cas on renverse l'article 39 de la loi de 1810 et tout le système d'une législation longuement et profondément élaborée ; et c'est sur ce point que j'appelle le sérieux examen du gouvernement et de la chambre.
Remarquez bien, d'ailleurs, que lorsqu'on réduit le prix du transport des houilles sur les canaux et sur le chemin de fer, c'est bien à tort qu'on en attribue le bénéfice à l'exploitant des mines ; car, M. le ministre des finances vous l'a dit dans l'exposé des motifs du projet de loi ; le but de la réduction est de faire arriver les houilles dans les Flandres à meilleur marché. Par conséquent, c'est l'intérêt du consommateur que le gouvernement place et considère en première ligne.
J’ajoute que, quant à présent, la discussion n'est pas ouverte sur les changements à introduire dans la loi de 1810 ; mais je ne saurais trop recommander au ministère ainsi qu'a l'administration de se bien pénétrer, avant de rien résoudre, des motifs et des principes sur lesquels repose la législation actuelle.
Il me répugne, toujours, de relever ce qui peut être directement ou indirectement personnel à un membre de l'assemblée, dans une discussion comme celle-ci. Je dois cependant saisir cette occasion de vous faire remarquer que si dans un genre d'industrie métallurgique qu'on a cité, une société a eu plus de succès que les autres, elle les a dus à l'énormité des capitaux qu'elle y a apportés.
Il m'est permis de l'affirmer, puisque je suis par position mieux informé qu'aucun membre de cette chambre ; depuis 1837, la société dont on a parlé a appliqué à ses exploitations la puissance de dix millions de capitaux réalisés par voie d'emprunt. Ah ! vous croyez que l'industrie des mines se féconde d'elle-même, en achetant des actions, en les mettant dans son portefeuille, en touchant des dividendes à l'abri de l'impôt ! Vous croyez que ce sont là les immunités, les privilèges de cette industrie ! Vous croyez aussi que ces actions ne représentent pas un capital versé et souvent compromis ; qu'elles ne sont pas grevées des emprunts faits dans leur intérêt !
Quand on a rendu l'étranger tributaire d'une industrie belge jusque dans les deux mondes ; quand le capital qu'on y a mis fait vivre 4,000 à 5,000 ouvriers et fournit 60,000 tonnes de transport au chemin de fer de l'Etat, dans un moment où l'on vous demande des millions pour alimenter le travail des classes nécessiteuses, est-on bien venu à se prévaloir d'un succès exceptionnel si fécond en résultats généraux pour soulever la question d'un impôt sur les mines ? Je laisse à votre prudence le soin de prononcer.
M. Destriveaux. - Cette discussion me semble être une espèce de hors-d'œuvre relativement au sujet politique qui nous occupe.
J'ai eu l'occasion de remarquer bien souvent combien on se trompe au sujet de l'industrie des mines, dont on fait bien à tort une espèce d'Eldorado.
Il n'est rien qui conduise plus infailliblement à l'erreur que cette confusion entre les caractères de la propriété foncière et de la propriété minière. Le principe de la propriété est le même ; mais les résultats sont complètement différents.
J'ai entendu tout à l'heure qu'on trouvait extraordinaire que l'on accordât des concessions gratuites. Quoi ! celui qui demande une concession, qui ignore le programme qu'il doit suivre, qui doit faire des avances considérables devrait payer une mine, sans savoir si elle sera ou non productive. Le gouvernement, qui est dans la même ignorance, se ferait marchand de mines.
Qu'on y prenne garde, celui qui achète une propriété foncière éclairée par le soleil, la connaît parfaitement, il en proportionne le prix au revenu qu'elle produit. Mais celui qui a la concession d'un charbonnage ne sait pas ce qu'il renferme ; quelquefois la concession, loin d'être une source de fortune, est pour lui un élément de ruine complète.
Dans les exploitations les plus favorables, qui peut répondre du lendemain ? Il y a une expression bien positive en usage chez ceux qui sont en position d'apprécier le danger de ces exploitations, c'est que « dans les charbonnages on ne voit pas plus loin que la lampe n'éclaire. »
Le produit d'une propriété ordinaire va toujours croissant si elle est bien aménagée ; mais les charbonnages, mais les mines, qu'est-ce qu'ils deviennent ? A mesure, ainsi qu'on l'a fait observer avec raison, qu'on avance dans les travaux ; à mesure on diminue le capital ; et cependant, n'a-t-on pas ajouté, on augmente les dépenses d'extraction, à mesure on augmente les tristes chances de dangers.
Grâce aux progrès que les lumières ont faits, et grâce aux progrès du sentiment humain bien entendu, on a appliqué le système des caisses de secours à l'exploitation des mines. C'est une bonne chose. Mais je crois avoir encore entendu dire que c'était une charge pour le gouvernement.
Cela n'est pas exact. Si le gouvernement intervient par des subsides, c'est qu'il le veut bien.
Mais de quoi donc est composée la caisse de secours ? Elle est composée des retenues assez légères qu'on fait sur le salaire des ouvriers, retenues qui sont de convention avec eux, et de ce que payent les propriétaires de mines. Le tout réuni forme le véritable capital de secours.
Le gouvernement n'intervient que s'il le veut bien, et on ne peut pas dire certainement que le gouvernement a tort d'encourager par cette intervention un acte permanent d'humanité.
Messieurs, c'est une chose pénible que de voir présenter une propriété comme une source de richesses immenses, tandis qu'elle est entourée de dangers ; que de voir présenter ceux qui se livrent à ces pénibles travaux, comme s'enrichissant sans aucune espèce de souci, sans aucune espèce d'incertitude.
Qu'on y prenne garde ; il ne faut pas, messieurs, envier les fortunes, plus rares qu'on ne croit, qui si font dans de pareils travaux. Il faut, au contraire, y applaudir.
Il faut avoir du courage pour pénétrer dans les entrailles de la terre et pour mettre au jour les richesses que personne n'y soupçonnait. Arrière donc, toutes ces velléités de recriminations ! Arrière toutes ces velléités de faire intervenir la amin du fisc pour augmenter encore les dangers, les pertes et les sacrifices que l'on doit subir quand on se livre à cette espèce d'industrie !
(page 1559) M. de Mérode. - Messieurs, je ne comparerai pas la propriété des mines à la propriété foncière. Il est certaîn que l'une est beaucoup plus chanceuse que l'autre. Mais lorsqu'on nous reporte au temps de l’empire, on oublie qu'à cette époque il y avait très peu de mines exploitées. Il y en avait à Saint-Etienne et dans les environs et en Belgique.
- Un membre. - Et à Anzin.
M. de Mérode. - Je parle du temps de l'empire, et alors Anzin et Valenciennes étaient considérés comme appartenant à la Belgique. C'était le même bassin houîller.
Alors aussi par suite du progrès faible encore des connaissances industrielles, l'exploitation était difficile et coûteuse ; elle marchait péniblement. Aujourd'hui cette exploitation ne coûte plus aussi cher ; elle a acquis d'immenses perfectionnements.
Dès lors les circonstances ne sont plus les mêmes. Les exploitants ont des facilités qu'ils n'avaient pas alors.
On a fait ensuite la découverte de la fusion du minerai de fer par la houille. Du temps de l'empire, tout le fer consommé en France était fabriqué au bois. C'était un immense avantage pour les forêts qui trouvaient toujours un placement assuré. Aujourd'hui le charbon de terre a dépossédé le bois. Une quantité de bois écartés ne trouvent plus leur emploi. Nous en avons ici une preuve, puisque dans les Ardennes toutes les petites forges ont cessé de marcher, les grandes usines au coke telles que Seraing, Ougrée, leur ôtant toute possibilité de concurrence.
Ces circonstances font qu'on ne doit pas traiter aujourd'hui la propriété des mines aussi généreusement qu'on la traitait sous l'Empire.
J'ai dernièrement appris, dans les environs de Charleroy, que les bois qui ne pouvaient qu'être transformés en charbon ne se vendaient qu'à 3 fr. la corde.
Cependant l'impôt les atteint comme auparavant ; et tandis que la cause de leur dépréciation provient des exploitations charbonnières fossiles, ces mêmes exploitations ne payent rien à l'Etat.
Il me semble que cet état de choses mérite l'attention du gouvernement.
Sans doute, si l'on veut imposer toutes les houillères de la même manière, celles qui ne produisent rien comme celles qui produisent de gros bénéfices, il est évident qu'on commettra une très grande iniquité.
Mais on peut estimer les houillères comme on estime autre chose. Avec un peu de bonne volonté, on pourra découvrir celles qui produisent largement. J'en connais qui donnent de très beaux rapports, comme j'en connais d'autres qui ne rapportent rien. Autant je suis d'avis de ne rien faire payer à celles-ci, autant je crois convenable que les premières concourent à alimenter le budget des recettes.
Je puis me tromper, mais je pense que les mines de la Belgique pourraient produire un million au trésor sans grand dommage pour les exploitants. Mais il ne faudrait demander de contribution qu'à ceux qui recueillent des bénéfices notables.
Ainsi celui qui obtient 100,000 fr. d'une houillère pourrait très bien payer 5,000 fr. au trésor. Sans doute, l'exploitant de mines court des chances ; mais lorsque ces chances sont heureuses, il peut solder quelque chose à l'Etat ; lorsqu'elles sont malheureuses, qu'il soit affranchi complètement, rien de mieux ; le moyen à prendre, c'est l'expertise bien faite et raisonnable ; avec de sages mesures, je me persuade qu'on retirerait des mines un revenu assez notable pour l'Etat.
M. Dumortier. - Je tiens à faire remarquer à la chambre que je n'ai pas demandé au gouvernement d'établir un impôt sur les mines. Mais j'ai dit que lorsque le gouvernement établissait des impôts sur des masses de petits contribuables, lorsque le foncier rapportait au trésor une somme de 18,300,000 comme impôt et une somme de 10 millions et demi comme enregistrement, ce qui fait 28 millions et demi, je ne comprenais pas que les mines ne rapportassent que 200,000 fr.
Voilà ce que j'ai dit et ce que je répète. Libre maintenant à certaines personnes de voir dans mes paroles des allusions personnelles. Cela m'est absolument indifférent. Je crois que je suis ici pour défendre les intérêts du pays ; si dans une discussion je suis obligé de citer des exploitations qui font de gros bénéfices, et si l'on veut voir là une question personnelle (ce serait du reste une question personnelle fort agréable), je ne puis m'arrêter devant cette considération ; on ne pourrait plus alors parler dans cette enceinte.
Je crois avoir le droit de faire les observations que je vous ai présentées ; et lorsque je vois l'impôt foncier en Belgique payer à l'Etat une somme de près de 29 millions du chef des droits d'impôt et d'enregistrement, lorsqu'au contraire je vois les mines ne rapporter que 200,000 fr. alors qu'elles coûtent au budget 246,000 fr., je dis qu'en définitive les mines ne rapportent pas ce qu'elles coûtent.
Je conçois, messieurs, qu'on vienne me dire : les mines sont des propriétés chanceuses dans lesquelles on doit verser de grands capitaux. Mais, mon Dieu ! toutes les industries sont dans le même cas. Quand on établit une manufacture,c'est aussi une entreprise chanceuse ; quand on place des millions dans l'industrie, on s'expose aussi à les perdre ; d'un autre côté, les machines et les bâtiments ne durent pas toujours non plus. Ainsi, tout ce qu'on dit en faveur des mines, on peut le dire en faveur de l'industrie manufacturière, et si vous ne voulez pas que les mines contribuent aux charges publiques, il faut supprimer aussi les impôts qui pèsent sur les autres industries.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Que payent les autres industries ?
M. Dumortier. - Toutes les autres industries payent beaucoup ; les mines ne payent rien.
M. de Theux. - Les autres industries payent patente. (Interruption.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les mines payent 2 1/2 p.c. du produit net ; c'est proportionnellement beaucoup plus que toutes les autres grandes industries.
M. Dumortier. - Il est certain, mersieurs, que les mines ont une valeur naturelle, tandis que les manufactures n'ont absolument qu'une valeur créée ; ainsi les arguments qu'on fait valoir pour les mines s'appliquent à beaucoup plus forte raison aux autres industries.
Je dis, messieurs, que je ne conçois pas que la redevance sur les mines ne s'élève qu'à 200,000 francs, lorsque vous percevez 9 à 10 millions du chef de l'impôt personnel, 3 à 4 millions du chef des patentes et 18 millions du chef de la propriété foncière.
Non seulement, messieurs, les mines ne payent rien au trésor, mais elles jouissent d'un autre avantage, qui est considérable, c'est la réduction des prix de transports. Il y a donc deux espèces de propriétés en Belgique, les unes qui supportent des charges considérables, les autres qui ne payent absolument rien.
Encore une fois, si vous ne proposiez pas de nouveaux impôts, je ne parlerais pas des mines ; mais vous demandez à établir des impôts sur les débitants de boissons distillées, sur les débitants de cigares, sur les distilleries ; vous établissez un impôt sur les succession en ligne directe, et vous voulez affranchir les mines de toute espèce d'impôt ! On a dit que M. le ministre des finances n'a pas le génie de l'impôt ; il vient de nous prouver le contraire, mais son génie de l'impôt ne s'attaque jamais qu'aux petits, et quand il s'agit d'une industrie considérable, il veut qu'elle ne paye absolument rien au trésor public.
- Le chiffre de 207,900 fr. est mis aux voix et aelopté.
« Droit de débit des boissons alcooliques : fr. 900,000. »
M. Dumortier. - Messieurs, le droit de débit des boissons alcooliques est certainement un de ceux qui ont soulevé le plus de réclamations dans le pays. C'est un droit extrêmement irrégulier, très injuste, et qui pèse considérablement sur une foule de petits contribuables.
J'ai entendu moi-même plusieurs fois les plaintes de ces petits contribuables, qui me disaient :
« Je suis forcé d'avoir un débit de boissons alcooliques, et je ne vends pas dans mon année pour une somme égale au chiffre de l'impôt que je dois payer. »
C'est réellement là une charge extrêmement lourde, et je prie la chambre de vouloir bien examiner s'il ne serait pas possible de remplacer cet impôt par une augmentation d'accise. L'occasion ne tardera pas à se présenter puisque nous sommes saisis d'un projet de loi relatif à l'accise sur les boissons alcooliques.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suppose que l'honorable M. Dumortier parle de plaintes qu'il aurait reçues avant la nouvelle loi ; alors ces plaintes étaient fondées parce qu'il y avait une taxe uniforme. Cette loi avait été faite ainsi principalement dans le but de réduire la consommation ; sous ce rapport, elle avait manqué son but ; mais elle a élé réformée et aujourd'hui l'impôt est proportionné au débit du contribuable. Le produit de la taxe se trouve être le même quoique l'impôt ait été notablement réduit.
Je crois, messieurs, que ce n'est pas le moment de songer à supprimer le droit de débit des boissons distillées ; je crois que ce débit est très justement imposé ; c'est une consommation qui n'a pas besoin d'être étendue outre mesure.
M. Rodenbach. - Il est très vrai, messieurs, qu'il s'élève des plaintes, notamment dans les Flandres, contre l'impôt sur le débit des boissons alcooliques. M. le ministre vient de dire que ces plaintes n'existaient qu'avant la nouvelle loi ; eh bien, messieurs, maintenant on se plaint de la répartition qui est très mal faite, qui est tout à fait arbitraire.
Je sais que ce mal résulte de l'application de la loi et non pas de la loi elle-même ; je reconnais que la loi a été amélioré, mais si l'on pouvait percevoir les 900,000 fr. d'une autre manière, ce serait un très grand avantage. Il y a beaucoup de petits cabaretiers qui sont forcés de vendre des boissons distillées pour pouvoir vendre de la bière et qui, se trouvant dans l'impossibilité de payer l'impôt, sont obligés de cesser tout leur commerce. Si on pouvait le faire sans donner lieu à l'introduction des alcools étrangers, il vaudrait beaucoup mieux atteindre les distilleries que d'atteindre les personnes qui vivent du débit des boissons.
Je sais qu'on a voulu prévenir l'abus des boissons spiritueuses ; mais le but n'a pas été atteint ; et l'abonnement est devenu entre les mains des contrôleurs extrêmement arbitraire, notamment dans les Flandres.
- Le chiffre est adopté.
« Droits d'entrée (10 centimes additionnels) : fr. 11,500,000.
« Droits de sortie (id.) : fr. 300.000.
« Droits de transit (id.) : fr. 40,000.
« Droits de tonnage (id.) : fr. 400,000.
« Timbres : fr. 33,000.
« Ensemble : fr. 12,275,000. »
- Adopté.
(page 1560) « Sel (sans additionnels) : fr. 4,400,000.
« Vins étrangers (26 centimes additionnels et timbres collectifs) : fr. 2,200,000.
« Eaux-de-vie étrangères (sans additionnels) : fr. 270,000.
« Eaux-de-vie indigènes (id.) : fr. 3,800,000.
« Bières et vinaigres (26 centimes additionnels et timbres collectifs) : fr. 6,300,000.
« Sucres : fr. 3,500,000.
« Timbres sur les quittances : fr. 5,000.
« Timbres sur les permis de circulation : fr. 1,000. »
« Ensemble : fr. 20,476,000. »
- Adopté.
« Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 145,000. »
- Adopté.
« Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit de l'Etat : fr. 225,000.
« Recettes extraordinaires et accidentelles : fr. 30,000.
« Ensemble : fr. 255,000. »
- Adopté.
« Enregistrement (principal et 50 centimes additionnels) : fr. 10,500,000.
« Greffe (id.) : fr. 300,000.
« Hypothèques (principal et 26 centimes additionnels) : fr. 1,680,000.
« Successions (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 6,000,000.
« Timbre (principal sans additionnels) : fr. 2,850,000.
« Naturalisations : fr. 5,000.
« Amendes en matière d'impôts : fr. 140,000.
« Amendes de condamnation en matières diverses : fr. 220,000.
« Ensemble : fr. 21,695,000. »
M. de Theux. - J'appelle l'attention de M. le ministre des finances sur l'élévation des droits de mutation.
Les mutations sont souvent d'une très grande utilité, mais elles sont arrêtées par l'élévation des droits d'enregistrement.
Mon intention n'est pas de diminuer les revenus du trésor au moment où l'on veut les augmenter. Mais je demande à M. le ministre des finances s'il ne serait pas possible d'obtenir le même revenu, tout en diminuant le droit el en facilitant la multiplicité des transactions.
Divers motifs amènent les mutations. Quelquefois c'est un motif de crédit, un motif de nécessité ; d'autres fois c'est un motif de bonne exploitation. Ainsi le petit propriétaire cultive par lui-même, il possède quelquefois des propriétés dans une autre commune, propriétés qu'il ne peut convenablement exploiter.
Ou me dira qu'en pareil cas il doit recourir à l'échange ; mais ces échanges se font avec difficulté, parce que les convenances s'y rencontrent rarement.
Si le petit propriétaire, qui cultive par lui-même, pouvait sans s'exposer à perdre sur sa propriété 7 à 8 p. c. en acheter une autre à sa convenance, il en résuterait pour lui un très grand soulagement.
Ce droit d'enregistrement esl donc nuisible aux intérêts de l'agriculture dans une infinité de cas ; dans beaucoup d'autres cas, il grève essentiellement le malheur, c'est le débiteur obéré, c'est le contribuable qui ne peut satisfaire le fisc, qui est le plus souvent obligé de vendre.
Je voudrais donc que le gouvernement examinât si, en réduisant le droit, on ne multiplierait pas le nombre des transactions et s'il en résulterait une part notable pour le trésor.
Cette maxime est pratiquée par le gouvernement, par exemple, en ce qui concerne les péages, la réforme postale, etc. ; à tout moment, ce principe économique est appliqué ; mais en ce qui regarde les propriétés où il y a tant de mutations nécessitées par le malheur, le droit est tout à fait exorbitant.
Je n'en dirai pas davantage. Je ne possède pas d’élémenls d'appréciation pour en juger ; mais au moins la question est digne d'être examinée.
- Le chiffre est adopté.
« Rivières et canaux : fr. 3,000,000.
« Routes appartenant à l’Etat : fr. 1,585,000.
« Ensemble : fr. 4,585,000. »
- Adopté.
« Taxe des lettres et affranchissements : fr. 2,760,000.
« Port des journaux et imprimés : fr. 160,000.
« Droits sur les articles d'argent : fr. 20,000.
« Remboursements d’offices étrangers : fr. 200,000.
« Emoluments perçus en vertu de la loi du 19 juin 1842 : fr. 60,000.
« Ensemble : fr. 3,200,000. »
M. Mercier. - Messieurs, parmi les annexes du rapport de la section centrale, se trouve une note fournie par M. le ministre des travaux publics à la demande de la section centrale, et d'où résulterait que la réforme postale n'aurait amené dans le produit des postes qu'une réduction de 230,000 fr. L'appréciation faite par le département des travaux publics ne me paraît pas pouvoir être admise.
On a comparé les recettes du 1er juillet 1848 au 30 juin 1849 avec celles du 1er juillet 1849 au 30 juin 1850. Il est à remarquer d'abord que l'exercice 1848 a été influencé par des circonstances tout à fait extraordinaires ; ensuite que le produit de la poste a augmenté sans interruption d'année en année depuis 1831 jusqu'en 1847. La progression a été, en moyenne, de 130,000 fr. annuellement el cette progression n'a pas été interrompue, même pendant les exercices 1846 et 1847, bien qu'on fût alors en pleine crise commerciale, industrielle et alimentaire.
Ce n'est pas dans les résultats de l'exercice 1848 que l'on peut véritablement prendre des termes de comparaison, pour résoudre la question de savoir quel est le produit que l'on obtiendrait aujourd'hui, si des changements n'avaient pas été introduits dans notre législation.
La question ayant été traitée dans le rapport de la section centrale, je crois pouvoir l'examiner à mon tour, non précisément pour condamner la réforme postale qui est un fait accompli, mais afin qu'on ne se fasse pas illusion sur les effets des réductions de taxes, auxquels on se laisse facilement entraîner par la pensée que le revenu du trésor n'en subira aucune atteinte.
En 1847, le produit a été de 3,785,000 ; ce produit, comme je viens de le dire, avait pendant les années précédentes, suivi constamment une marche progressive. En 1848, trois circonstances ont concouru à amener un effet contraire : une convention avec la France, un commencement de réforme postale décrétée par la loi du 24 décembre 1847, et surtout les graves événements qui sont survenus en 1848. Néanmoins le produit de cet exercice a été encore égal à celui de 1846, c'est-à-dire inférieur seulement de 111,000 fr. à celui de 1847.
En 1849, la réforme postale était déjà introduite ; pour procéder avec une grande modération, je suppose que cet exercice n'eût fait que rétablir le produit, tel qu'il existait en 1847 ; et pour régler les prévisions de l'exercice 1852 dans l'hypothèse que la réforme postale ne fût pas intervenue, j'ajoute à ce produit la progression ordinaire de 130,000 fr. pour chacun des exercices 1850, 1851 et 1852, c'est-à-dire une somme de 390,000 fr., et comme la 'taxe a fourni en 1847 une somme de 3,704,000 francs, ces prévisions auraient dù êlre portées au chiffre de 4,175,000 francs, au lieu de 3,200,000 fr., la diminution de revenu est donc de 954,000 fr. (Interruption.)
Je ne fais qu'admettre la même progression que précédemment ; je ne tiens compte que de cette progression, qui n'a pas été interrompue depuis 1831.
Elle a été, comme je l'ai dit, de 130,000 fr. en moyenne chaque année. D'un autre côté, il y a eu pour l'exéculion du nouveau système postal une augmentation de dépenses de 200,000 fr, ; la dépense était en 1849 de 1,441,604 fr. 6 c. ; elle est portée pour 1852 à 1,661,850 fr. Ainsi la différence, qui résulte du nouvel état de choses au préjudice du trésor, s'élèverait à 1,174,000 fr. Mais voulant tenir compte de la réduction de 150,000 fr., occasionnée par différentes conventions postales, bien qu'elles soient une conséquence de la nouvelle législation, je réduis la perte au chiffre rond d'un million.
En soumettant ces observations à la chambre, j'ai principalement eu en vue de la prémunir contre une trop forte tendance à l'abaissement de certains péages, mesure toujours sollicitée et assurément bonne en elle-même, mais qui le plus souvent n'entraîne qu'un déplacement de charges et ne produit pas les résultats annoncés par ses promesses.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Quand le gouvernement a soumis à la chambre le projet de reforme postale, il est entré dans ses prévisions que, dans les premières années surtout, il y aurait une réduction de 250 mille francs environ. Il résulte du tableau annexé au rapport de la section centrale, que la réduction qui est résultée de la réforme postale proprement dite ne s'élève qu'a environ 229 mille fr.
Or, on constate depuis l'introduction de la réforme une amélioration presque journalière. Le mouvement des dépêches dans l'exercice 1848-1849 était de 6 millions et, dans l'exercice 1849-1850, il s'est élevé à 7 millions de lettres. Cette progression est constante, de telle sorte que la différence qui aujourd'hui est de 229 mille francs ne sera plus l'année prochaine que d'une somme sensiblement moindre ; les résultats promis seront complètement atteints et les avantages résultant de la réduction seront assez considérables pour compenser la perte éprouvée dans les premières années de l'expérimentation.
M. Mercier. - Dans l'état de la question, je n'ai pas eu à m'occuper des résultats futurs de la nouvelle législation, mais seulement des (page 1560) prévisions de 1852 ; je fais remarquer qui dans l'appréciation qui a été faite, on n'a pas tenu compte de la progression qui a été constante.
M. Cans. - La progression n'avait pas toujours été régulière.
M. Mercier. - Elle a, au contraire, été assez régulière. Sans doute elle n'a pas chaque année été de la même somme ; j'ai déjà fait connaître que j'ai opéré d'après la moyenne des exercices 1831 à 1847 ; je citerai particulièrement les exercices les plus récents : elle a été de 1844 à 1845 de 170,000 francs, de 1845 à 1846 de 183,000 francs, de 1846 à 1847 de 110,000 francs ; on voit que pendant les trois années qui ont précédé 1848, la moyenne est de 154,000 francs au lieu de 130,000, et qu'ainsi la progression ne tendait pas à se réduire.
L'appréciation qui a été faite pèche donc sous trois rapports : on n'a pas tenu compte de la progression continue des recettes, on a pris pour point de comparaison un exercice dont le produit ne s'était pas élevé au taux normal, et enfin on a passé sous silence l'accroissement de dépenses nécessité par la réforme postale.
- L'article est adopté.
« Produit du service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 200,000. »
- Adopté.
« Chemin de fer : fr. 16,000,000.
« Télégraphes électriques : fr. 40,000.
« Ensemble : fr. 16,040,000. ». »
M. Osy. - Je comprends qu'il ne sera pas possible de s'occuper dans cette session du tarif des marchandises ; mais si on pouvait déposer le projet avant la fin de la session, dans l'intervalle des deux sessions nous pourrions l'examiner, entendre l'opinion des intéressés, cela faciliterait la discussion à l'ouverture de la session prochaine. J'engage M. le ministre à nous présenter et le compte rendu de 1850 et le projet de tarif des marchandises le plus tôt possible.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Déjà j'ai eu l'occasion de faire connaître les motifs qui ont empêché d'arrêter définitivement les bases du tarif des marchandises ; il était utile, essentiel pour la discussion, pour l'intelligence de ce travail, de connaître les résultats statistiques de l'exercice 1850.
Je me suis occupé de ce travail qui est terminé et qui sera, s'il ne l’est déjà, distribué ce soir à tous les membres ; c'est le compte rendu de 1850.
Il est indispensable d'avoir ce compte rendu pour apprécier le travail sur les marchandises. Les bases de ce travail sont arrêtées. Je puis prendre l'engagement de déposer ce projet dans le cours de la session. La chambre pourrait discuter à la session prochaine, après l'avoir mûrement examiné, ce projet auquel se rattachent les questions les plus importantes.
M. Dumortier. - Si M. le ministre des travaux publics a arrêté les bases du projet de tarif, il serait plus simple qu'il déposât immédiatement son projet de loi. Vous êtes saisis de diverses lois d'impôts ; avant de les voter, il serait juste de voir si nous ne pouvons pas retirer quelque chose des péages du chemin de fer.
- Un membre. - Cela viendra en sus.
M. Dumortier. - Si le gouvernement entend faire venir cela en sus, c'est différent ; mais moi, qui veux que le pays paye le moins possible, je demande que le gouvernement présente, le plus tôt possible, le tarif des marchandises.
On dit : Nous le présenterons dans le cours de la session. C'est très élastique ; dans le cours de la session, c'est jusqu'au dernier jour de la session.
C'est ainsi que, pour le projet de loi sur la charité qui devait être présenté de manière à pouvoir être discuté dans cette session, on nous dit qu'il sera présenté dans le cours de la session, de manière qu'il ne pourra être examiné qu'à la session prochaine. On sait que beaucoup de personnes seront partisans de l'augmentation du produit du transport des marchandises, on compte là-dessus pour avoir une ressource nouvelle après les impôts demandés cette année, mais ce n'est pas juste. Commencez par voir si vous pouvez réaliser quelque chose sur les transports et peut-être alors vous paraîtra-t-il inutile de demander de nouveaux impôts. Il ne faut pas que la corde des impôts aille toujours s’allongeant ; il faut une limite dans les dépenses.
J'insiste donc, en ce qui me concerne, et j'insiste vivement pour que nous ayons dans le plus bref délai un projet de loi qui aurait dû être présente depuis plus d'un an. Ilme semble qu'avant de recourir à des impôts directs, il faut commencer par faire produire au chemin de fer tout ce qu'il peut produire.
- L'article est adopté.
« Enregistrement et domaines : fr. 2,620,000. »
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a déposé sur le bureau le relevé des sommes à rentrer, tant pour les avances faites avant 1850 que pour celles qui ont été faites depuis 1850 jusqu'au 1er janvier 1851 ; je demande, messieurs, que ce relevé reste, après la discussion, au bureau des renseignements, afin que l'année prochaine nous puissions voir quelles sommes seront rentrées.
Je ne parlerai pas aujourd'hui des avances faites à des particuliers, mais je profiterai de la présence de M. le ministre de l'intérieur pour lui demander un renseignement au sujet de celles qui ont été faites aux communes.
A la suite des événements de 1848, sur les divers crédits mis à la disposition du gouvernement on a fait des avances à des communes, mais ce qui m'étonne c'est qu'aux plus petites communes on a imposé l'obligation de rembourser dans l'année ou dans les deux ans ; ainsi on a avancé à la ville de Menin 6,000 francs à rembourser au bout d'un an, à la ville de Wervicq 12,000 fr. à rembourser au bout d'un an, à Arlon 20,000 francs, également à rembourser au bout d'un an ; mais en tournant la page je vois que la capitale a reçu à la même occasion 200,000 fr. remboursables en 20 années sans intérêt.
Je ne blâme pas le gouvernement d'avoir donné de l'argent à la ville de Bruxelles comme à toutes les autres villes, pour maintenir le travail ; mais je ne comprends pas que quand on force les petites villes à rembourser dans l'année ou dans les deux années, on accorde à la ville de Bruxelles la faculté de rembourser en vingt années, sans intérêt. (Interruption.) La ville de Bruxelles a reçu, le 2 octobre 1848, 200,000 fr. sans intérêt, qu'elle devait rembourser à partir du 1er janvier 1850, au moyen de l'indemnité qui pourra lui être due pour le nombre réel de chevaux logés dans les écuries à construire. L'année dernière la ville de Bruxelles a remboursé de cette manière 9,000 et tant de francs, ce qui fait un peu moins que l'intérêt à 5 p. c. sur 200,000 fr. Vous voyez donc qu'en remboursant en vingt ans, elle ne payera pas le capital ; elle payera seulement les intérêts.
Eh bien, pour toutes les autres localités, on a suivi un système entièrement opposé. C'est ainsi que la ville d'Ypres a reçu 60,000 fr. à rembourser dans le délai d'un an, que la petite ville de Grammont a reçu 20,000 fr. à rembourser aussi en un an, que Bruges a reçu 100,000 fr., dont elle doit payer l'intérêt à 4 p. c.
Je le demande, messieurs, est-ce là de la justice distributive ? On oblige les petites villes à rembourser dans un court délai, on oblige la ville de Bruges, qui a tant de pauvres, à payer l'intérêt et on donne 200,000 fr., payables en vingt ans sans intérêt, à la capitale, qui a déjà reçu précédemment une rente de 300,000 fr. pour des objets de très peu de valeur.
Je ne puis que désapprouver cette marche du gouvernement. Je veux que tout le monde soit mis sur la même ligne. Le gouvernement a bien fait d'avancer 200,000 francs à la capitale pour développer le travail, mais il aurait dû stipuler que cette avance serait remboursée en deux ou trois ans.
Pour moi, messieurs, je regrette beaucoup de voir des choses pareilles, et je prierai la chambre de décider que le relevé dont il s'agit sera déposé au bureau des renseignements pour que nous puissions vérifier si réellement on rembourse les sommes avancées.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les observations de l'honorable M. Osy tendraient à faire croire que dans ces circonstances le gouvernement s'est montré favorable aux grands et dur aux petits. Ce n'est pas d'ordinaire la politique qu'on reproche au gouvernement ; on lui reproche, et l'honorable M. Osy partage cette opinion, on lui reproche surtout des tendances démocratiques. Cette fois nous aurions suivi d'autres inspirations ; nous aurions accordé tous les avantages à la capitale et nous nous serions montrés très sévères pour les pauvres petites villes. Eh bien, messieurs, la vérité est que nous nous sommes montrés très généreux envers les petites villes.
L'honorable membre voudra bien reconnaître qu'à l'époque où le crédit de 2 millions a élétvoté par les chambres, la situation de la capitale attirait plus l'attention du gouvernement et l'attention de la législature, que la situation de Poperinghe ou de Wervicq Je me rappelle qu'à cette époque, en 1848, l'honorable M. Osy était tout le premier à demander que le gouvernement prît toutes les mesures nécessaires pour maintenir l'ordre dans le pays ; il était tout le premier à presser le gouvernement de procurer de l'ouvrage aux ouvriers.
Or, messieurs, comme la capitale figure parmi les villes les plus populeuses du royaume, c'était surtout dans la capitale d'abord que nous devions entretenir l'ordre par le travail, c'est ce que nous avons fait.
Nous avons accordé d'abord des fonds à la capitale, et le relevé de l'honorable M. Osy n'est pas complet : indépendamment des 200,000 francs dont il a parlé, nous avons accordé un subside pour les travaux de l'église de St-Boniface ; elle ne se trouve pas précisément dans la capitale, mais elle se trouve dans un faubourg, et nous avons cru que là aussi nous devions favoriser le travail ; nous avons également accordé un subside pour l'église de St- Jacques sur Caudenberg ; enfin nous avons accordé une somme à l'administration des hospices pour l'aider à terminer un chemin vicinal.
Ces diverses sommes ont été engagées sans que personne y trouvât à redire. Maintenant que la tranquidité règne dans le pays, des membres, facilement oublieux de ce qui a été fait alors, se livrent à des récriminalions contre la manière dont le gouvernement a réparti les fonds du trésor, nous venons encore d'en être témoins. Nous nous attendions à de pareils reproches.
Nous avons, suivant lui, libéralement disposé des fonds du trésor en faveur de la capitale ; nous nous sommes montrés très sévères envers les petites localités. Eh bien, j'en viens maintenant aux petites localités.
(page 1561) Ces petites villes n'avaient pas besoin, je pense, de subsides aussi considérables que la capitale.
Nous avons accordé à des villes des secours en rapport avec leurs besoins ; ce qu'elles nous ont demandé, elles l'ont obtenu. Nous avons eu égard à leur position financière. Elles ont demandé des délais pour restituer les sommes prêtées ; nous leur avens accordé ces délais.
Depuis lors, plusieurs de ces villes, c'est probablement ce qu'ignore l'honorable M. Osy, nous ont demandé des prolongations de délais ; ces prolongations ont été accordées.
D'autres villes ont demandé à ne pas rembourser les sommes entières qu'elles avaient obtenues. On leur a accordé des réductions sur ces sommes. Je ne pense pas qu'une seule de ces villes ait remboursé en totalité la somme qui lui avait été avancée.
Je pense que M. Osy, lui qui est si soigneux des intérêts du trésor, ne devrait pas trop encourager le gouvernement à abandonner les droits du trésor.
Sans doute le gouvernement, en 1848, aurait pu abandonner toutes ces sommes. Un gouvernement moins soigneux, moins prévoyant, les aurait abandonnées aux localités et personne n'aurait rien trouvé à y redire Mais parce que nous nous sommes réservé le retour de ces prêts, je ne pense pas qu'on doive nous en faire le reproche. Il faudrait au contraire nous stimuler à faire rentrer ces sommes. Le gouvernement n'est que trop disposé en général à user d'une grande tolérance en ces matières.
Nous avons accordé une somme de 200,000 fr. à la ville de Bruxelles pour faciliter la construction d'une caserne. Cette somme doit nous rentrer par les recouvrements que fera successivement la capitale sur le budget du département de la guerre. Si en 1848 nous avions consacré une somme de 200,000 fr. pour entretenir un grand travail d'utilité publique au sein de la capitale, chacun eût applaudi à de pareilles dépenses. Au lieu d'abandonner la somme, nous en avons assuré le retour à l'Etat ; et je crois qu'en cela nous avons agi avec prudence et fermeté. D'autres que nous, dans des circonstances aussi difficiles, auraient montré moins de prévoyance, je n'hésite pas à le dire. Beaucoup de sommes ont été accordées à des communes dans des circonstances moins difficiles, et le trésor est encore à recevoir le premier centime de ces sommes.
Autant que nous l'avons pu, tant pour les particuliers que pour les communes, nous avons pris des mesures pour assurer la rentrée des sommes dont nous disposions. Plusieurs de ces sommes, nécessairement, ne rentreront pas au trésor, mais on doit considérer les circonstances dans lesquelles ces dépenses ont été faites. Voilà ce qu'il ne faut pas perdre de vue pour être complètement juste dans l'appréciation des actes remontant à cette époque.
M. Osy. - Véritablement, messieurs, on ne peut plus faire d'observations sans qu'immédiatement l'honorable M. Rogier vous accuse de récrimination. Mais n'est-ce pas notre devoir comme député et comme rapporteur d'éclairer la chambre ? Je laisse tout le monde juge de ce que j'ai dit au sujet de cette affaire.
Je ne désapprouve pas le gouvernement de 1848 d'avoir disposé des sommes qui lui avaient été allouées pour venir en aide au travail et pour donner des subsides aux villes. Mais ce que je désapprouve, et ce que M. le ministre ne peut pas réfuter, c'est qu'il n'ait pas mis tout le monde sur la même ligne, c'est que des villes obérées comme Bruges qui a reçu 100,000 fr., Arlon qui en a reçu 20,000, aient dû s'engager à rembourser dans une année, alors que l'on a accordé à la capitale 200,000 fr. à rembourser en 20 ans. Je dis que ce n'est pas là de la justice distributive et comme rapporteur je crois que je suis obligé d'entretenir la chambre de cette affaire. Je maintiens tout ce que j'ai dit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je suis étonné que l'on me reproche en quelque sorte de me défendre.
D'après l'honorable M. Osy, il ne serait plus même permis à un ministre de se défendre. Les attaques de l'honorable M. Osy ont en général un caractère de malveillance marquée ; et voilà pourquoi nous les repoussons avec vivacité.
L'honorable M. Osy, dans ses attaques, a donné à entendre que le gouvernement s'était montré sévère, inexorable pour les petites villes, et avait prodigué sans précaution l'argent du trésor à la capitale. Eh bien, je dis qu'il y a malveillance et injustice dans cette manière d'apprécier les faits. Lorsque l'on met autant de vivacité et un esprit aussi malveillant dans les attaques que l’on dirige contre le ministère, on lui permettra bien de répondre aussi avec quelque vivacité.
Nous acceptons de grand cœur les critiques qui se produisent avec modération, mais lorsqu'elles portent le caractère ipae leur donne l'honorable M. Osy, nous les repoussons énergiquement.
M. Cools. - Je crois que l'honorable M. Osy, qui est mon collègue à double titre, comme membre de la chambre et comme membre de la commission permanente des finances, s'est trop hâté de présenter ses observations.
Je crois qu'il a anticipé sur une discussion qui doit s'élever dans quelques jours.
L'honorable M. Osy a parlé de l'emploi des crédits votés en 1848 ; mais il sait que demain peut-être nous aurons à examiner un rapport dans lequel beaucoup de questions qu'il a traitées viennent se présenter.
Si je fais cette observation, c'est que je dois ici me séparer complètement de l'honorable M. Osy. Je dois me ranger de l'avis de M. le ministre contre mon collègue de la commission des finances.
Car, qu'a dit M. le ministre ? C'est qu'il ne faut pas encourager le gouvernement à se montrer trop facile, qu'il faut au contraire l'encourager lorsqu'il réclame aux communes la restitution des sommes qui leur ont été avancées.
Eh bien, c'est précisément ce que vous aurez demain à examiner au nom de la commission des finances. Vous aurez demain à examiner s'il faut, oui ou non, engager le gouvernement à faire exécuter par les communes les conventions conclues avec elles. C'est là une proposition qui vous est faite par la commission tout entière, à laquelle, par conséquent, l'honorable M. Osy lui-même s'est parfaitement associé. Aujourd'hui nous ne pouvons prendre de décision sur les questions de cette nature ; je crois qu'on aurait mieux fait de ne pas mêler cette question à la discussion du budget des voies et moyens.
M. Rousselle. - En présence de ce que vient de dire l'honorable M. Cools, je pourrais me dispenser de prendre la parole. Je dirai cependant deux mots.
Lorsque j'ai entendu l'honorable M. Osy appeler l'attention de la chambre sur le point qu'il a tout à l'heure examiné, j'ai regretté qu'il eût pris la parole, parce que l'affaire dont il entretenait la chambre a été renvoyée par elle à la commission permanente des finances, que l'honorable M. Osy préside, et qu'un membre de cette commission est chargé de nous présenter un rapport.
Je crois que la chambre ferait bien de différer toute espèce de discussion sur cet objet, jusqu'à ce qu'elle soit saisie de ce rapport qui lui sera soumis par l'honorable M. Ernest Vandenpeereboom.
M. Cans. - L'honorable M. Osy vient de se plaindre de ce que le gouvernement avait prêté à la ville de Bruxelles une somme de 200,000 francs sans intérêts. S'il avait voulu prendre quelques renseignements, il aurait reconnu que cette affaire est bien simple.
Depuis plusieurs années, des négociations étaient ouvertes entre la ville de Bruxelles et le gouvernement pour la construction d'une caserne. Je n'examine pas si la ville de Bruxelles devait construire une caserne. Cette question est controversée ; je n'entends pas la décider. Mais en supposant que la ville dût en construire une, elle avait à juger du moment où elle le ferait ; les bâtiments existants pouvaient encore servir.
Qu'est-il arrivé ? En 1848, dans le but de donner du travail aux ouvriers, la ville s'est mise d'accord avec le gouvernement, et par une espèce de transaction, elle a consenti à commencer immédiatement la construction en projet, à condition que le gouvernement lui ferait une avance de 200,000 fr.
Si la ville avait attendu 10 ans pour construire cette caserne, elle aurait pu la bâtir tout entière sans le concours du gouvernement, et elle se fût trouvée dans la même position.
Je crois donc que le gouvernement a bien fait d'accorder ce prêt â la ville de Bruxelles, et que la ville, en ler ecevant, n'a pas joui d'une faveur exceptionnelle.
M. de Theux. - Puisqu'il doit y avoir une discussion spéciale, je ne veux pas entrer dans des détails en ce moment. Mais je ferai remarquer qu'il existe dans le pays plusieurs villes qui ont construit des casernes sur l'invitation du gouvernement et qui sont totalement privées de garnison. Cependant ces villes sont tellement obérées par les sacrifices qu'elles ont faits pour la construction de ces casernes, qu'elles n'ont plus les ressources nécessaires pour faire d'autres dépenses.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une autre question.
M. de Theux. - Cela se rattache indirectement à la question.
On a fait à la capitale, qui a l'avantage d'une garnison nombreuse et qui a beaucoup plus de ressources qu'une infinité de petites villes, un prêt gratuit très considérable.
M. le ministre de l'intérieur se plaint constamment de ce qu'on critique tel ou tel acte de son administration ; mais je pense que le devoir des députés n'est pas de louer le ministère, que la liberté grande appartient à la chambre et à chacun de ses membres de critiquer, à son point de vue, les actes de l'administration.
Je crois même que le mot de « malveillance » adressé à l'honorable M. Osy était ici très déplacé. L'honorable M. Osy serait en droit de le dire à M. le ministre de l'intérieur qui, lui, ne manque aucune occasion de faire son propre éloge.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me plains pas de la critique très spirituelle de l'honorable M. de Theux, mais je maintiens l'expression dont je me suis servi à l'égard de la critique de son honorable ami M. Osy.
Loin de moi la pensée de vouloir restreindre en quoi que ce soit le droit qu'a chaque membre de critiquer les actes de l'administration, mais le ministère a aussi le droit de se défendre ; il a aussi le droit d'apprécier les critiques qui lui sont adressées et de les qualifier au besoin. Je conçois, du reste, que l'honorable M. de Theux ne trouve rien de malveillant dans toutes les attaques qui sont adressées au ministère. Il doit les trouver toutes parfaitement fondées.
M. de Theux. - Je ne vous ai pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Non ; mais je conçois que vous les appréciiez avec beaucoup d'indulgence.
M. de Theux. - Soit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Loin de le trouver mauvais, j'engage les honorables membres de la chambre à adresser au gouvernement (page 1563) les critiques que l'examen des actes leur suggère. Ce que je demande, c'est que l'on soit vrai et pas malveillant. Or, l'honorable M. Osy m’a reproché d'avoir favorisé la capitale et d'avoir montré beaucoup de rigueur vis-à-vis des petites localités. Eh bien, cela était complètement inexact, cela était malveillant.
Je demande même si l'honorable M. de Theux s'associe à ce reproche ; je lui demande s'il trouve qu'on a eu tort, après le mois de février 1848, de porter sur les travaux de la capitale une partie des sommes qui avaient été affectées à l'entretien du travail dans nos villes.
Beaucoup d'ouvriers ont afflué à cette époque dans la capitale. Ce n'étaient pas seulement les habitants de Bruxelles, c'étaient aussi beaucoup d'ouvriers des provinces qui venaient au sein de la capitale, et c'était aussi à ceux-ci qu'il fallait procurer du travail. Le gouvernement aurait pu, je le répète, abandonner toute la somme à la ville de Bruxelles. Mais le gouvernement s'est réservé de rentrer dans les fonds dont il faisait momentanément l'abandon.
La capitale rendra à l'Etat la totalité de la somme qu'elle a perçue. Il en est autrement de toutes les autres localités.
Ces localités, je le répète, ont obtenu des délais lorsqu'elles en ont demandé. En outre, elles ont obtenu des réductions sur le montant des sommes qu'elles ont reçues.
Pour peu que la chambre m'y engage, je ferai volontiers l'abandon de ce qu'il reste à recevoir.
Nous avons déjà, messieurs, deux ou trois discussions à propos du compte rendu par le ministre de l'intérieur de l'emploi des diverses sommes mises à sa disposition en 1848. Ce sont des débats que l'on aurait pu réserver pour le moment où le rapport de la commission sera mis en discussion. Mais l'honorable M. Osy dans son ardeur à critiquer les actes du ministre de l'intérieur, a déjà trois fois, depuis mon compte rendu, amené des débats sur la manière imprudente dont j'aurais disposé des fonds du trésor. Je l'ai déjà engagé à bien vouloir attendre les conclusions du rapport de la commission qu'il préside. Alors nous pourrons débattre de part et d'autre les actes qui ont été posés. Quant à moi j'ai déjà dit que j'appelais avec impatience ce moment et j'ai prié la chambre de bien vouloir attendre jusque-là pour porter un jugement définitif.
Je crois que lorsque la chambre aura reçu mes explications, elle reconnaîtra que, dans les circonstances difficiles que nous avons traversées, le gouvernement a usé avec une grande réserve des fonds qui ont été mis à sa disposition.
Je crois que l'honorable M. de Theux lui-même (je ne lui demande pas des éloges) ne s'associera pas à la critique qui a été faite par l'honorable M. Osy de la manière dont le gouvernement a disposé de ces sommes. Je l'engage au surplus à se montrer circonspect à cet égard. Car il a été aussi ministre, ministre dans des circonstances difficiles, et je suis bien convaincu qu'il n'a pas la prétention de croire et de dire qu'il a disposé des fonds du trésor avec plus de prévoyance et de réserve que ses successeurs.
M. Malou. - Messieurs, je m'associe pleinement au blâme - ce mot vient d'être articulé - au blâme que l'honorable M. Osy n'avait qu'indiqué, en quelque sorte, à propos des actes dont il a parlé. Je m'y associe, parce que, selon moi, dans la pensée de la législature qui a accordé au gouvernement deux millions pour parer à la crise, il n'entrait aucunement de donner des sommes aussi considérables, sous prétexte de crise et pour des objets qui n'avaient pas d'utilité dans la crise même. (Interruption.)
Je dis qu'en 1848 on a accordé au gouvernement 2 millions pour la crise, et qu'il ne pouvait pas entrer dans l'esprit de la législature de voter cette somme, pour qu'on en affectât 200,000 fr., soit le dixième de la somme totale, à la construction d'une caserne à Bruxelles et pour qu'on en donnât 60,000 à 70,000 fr. à l'administration des hospices de Bruxelles qui avait déjà obtenu sa complète rémunération, et qui a même servi à donner plus de valeur à des terrains situés aux portes de la ville.
Cette discussion pourra se rattacher à l'examen du rapport sur l'emploi du crédit de deux millions. Cependant je n'ai pu m'abstenir de faire cette réserve, parce que M. le ministre de l'intérieur, se tournant de notre côté, nous demandait tout à l'heure si nous n'approuvions pas l'emploi de cette partie du crédit. Il était de ma franchise de dire que je ne l'approuvais pas ; j'en expliquerai plus tard les motifs avec plus d'étendue ; je me permettrai, dût-on m'accuser par l'organe de M. le ministre des finances, d'être injuste et malveillant, et par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, d'être malveillant et injuste ; je me permettrai, tant que la liberté de la tribune subsistera, d'en user pour dire des actes du ministère ce que j'en pense.
M. Roussel. - Messieurs, indépendamment de la question d'affectation que vient de soulever l'honorable M. Malou, il me semble que l'Etat a fait une belle affaire en obtenant de la ville de Bruxelles la construction d'une caserne magnifique que chacun de vous peut aller voir (interruption)... d'une caserne de la plus haute utilité, non seulement pour la capitale, mais pour le pays tout entier. Le gouvernement n'a contribué dans cette construction qu'au moyen d'un subside de 200 et quelques mille francs. Et cette caserne, achevée complètement, vaudra près d'un million.
A part la question soulevée par l'honorable M. Cans, à savoir si l'Etat n'était point légalement tenu de construire lui-même cette caserne, il y a encore a examiner celle de l'utilité réelle de ce monument ; car il est affecté non seulement à la sécurité de la capitale, mats surtout au bien-être d'une partie de l'armée et à la sûreté même du pays.
Plaçons-nous ici au-dessus d'un esprit mesquin de localité. Notre capitale n'est elle pas le cœur du pays ? Assurément vous ne pouvez faire pour une petite localité située aux confins du territoire ce à quoi vous êtes obligés pour la capitale où viennent se concentrer les administrations publiques, la direction générale de l'industrie et du commerce, où se trouve, en quelque sorte, le centre vital de la nationalité belge.
N'est-il pas évident que, du moment où vous voulez un état militaire d'une certaine importance, vous devez reconnaître la nécessité pour la capitale de casernes suffisamment vastes et propres à contenir les troupes que notre existence nationale force d'y entretenir ? N'est-il pas manifeste aussi qu'une telle caserne, dans certaines circonstances, doit pouvoir servir sous d'autres rapports ? Ce n'est pas en vain que j'ai eu l'honneur de vous convier à visiter cet établissement, il peut être considéré comme un point fortifié. Tels sont les avantages que le gouvernement a procurés à l'Etat au moyen d'un subside de 200,000 francs.
Je ne dirai qu'un mot relativement au subside que les hospices de Bruxelles ont obtenu. J'ai entendu, non sans étonnement, sortir de la bouche de l'honorable M. Malou un reproche contre cet acte. L'honorable M. Malou nous a habitués à le compter parmi les défenseurs de la charité ; quelle charité fut jamais mieux ordonnée, que celle qui s'adressait à l'administration des hospices d'une localité de plus de 200,000 âmes où la misère était grande ? On ne m'accusera pas sans doute d'un ministérialisme outré. Pourtant, bien loin de blâmer l'acte qu'on reproche à M. le ministre de l'intérieur, je n'en puis m'empêcher d'en faire l'éloge. En agissant ainsi, je crois répondre à mes devoirs de mandataire de la nation.
M. Malou. - Messieurs, je réponds volontiers à'l'appel de l'honorable M. Roussel : j'irai voir la caserne. Dans mon opinion, c'est un plaisir qui nous coûte un peu cher. En effet, nous avons en réalité donné à la ville de Bruxelles le subside de 200,000 fr., puisqu'on lui en a fait le prêt pour 20 ans, sans intérêt, et qu'elle se libère au moyen des sommes que l'Etat lui paye pour le casernement ; et pendant tout ce temps-là, M. le ministre des finances émet des bons du trésor à 4 p. c. et devra emprunter peut-être à 5 p. c. Voilà l'opération financière dans toute sa vérité. C'est très cher, pour avoir une belle caserne, fùt-elle même bien fortifiée.
Un mot encore : la ville de Bruxelles est à cet égard dans la même position que les autres localités ; dans d'autres villes, on a bâti des casernes ; comme le disait avec raison l'honorable M. de Theux, il y a même des villes qu'on a engagées dans des dépenses considérables, en leur faisant espérer qu'elles conserveraient une assez forte garnison, et lorsque les dépenses ont été faites, la garnison s'est en grande partie évanouie.
L'honorable représentant de la capitale vient de dire que, défendant le large développement de la charité, je n'aurais pas dû critiquer le subside accordé aux hospices de Bruxelles. Mais, messieurs, il y a charité et charité ; entendons-nous : si, par exemple, on a donné à l'administration des hospices de Bruxelles un subside de 60,000 à 70,000 francs...
M. Cans. - 66,000 francs.
M. Malou. - 66,000 fr., soit ; j'étais donc bien près de la vérité ; si on a donné à cette administration un subside de 66,000 fr. qui a été employé à des travaux de terrassement et de pavage dont le résultat devait être de donner plus de valeur à des terrains considérables, situés aux portes de Bruxelles ; si les hospices, en recevant ce subside, n'ont pas même consacré à ces travaux une somme correspondante au subside de l'Etat, il est loisible à l'honorable député de Bruxelles d'appeler cela de la charité ; je cherche un autre nom, et je pense que cette fois, par exception, la majorité sera avec moi pour donner à cet acte un autre nom.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne sais pas comment l'honorable M. Malou qualifie mentalement l'acte qu'il critique...
M. Malou. - Un mauvais emploi des fonds.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, en 1847, deux mois avant les élections, sous prétexte d'une crise industrielle, sans autorisation de la chambre, sans crédit, on livra en pâture à une ville près d'un million. Voilà un acte qu'on n'a pas besoin de qualifier, il se qualifie lui même.
Un an après arrive une crise politique telle que, depuis 1830, il ne s'en était pas présenté de plus alarmante pour le repos public. Que fait le gouvernement ? Il vient demander des fonds à la législature avec la destination spéciale de maintenir l'ordre dans le pays au moyen du travail. Sur la somme allouée au gouvernement, 200 à 300 mille francs sont consacrés à entretenir le travail au sein de la capitale. Ces sommes pouvaient être livrées, abandonnées à la ville ; le gouvernement s'en réserve le retour, et voilà l'acte qu'on critique ! Oui, le gouvernement est coupable d'avoir dans la capitale assuré du travail à une masse d'ouvriers de tout état pendant la crise de 1848.
Qu'a-t-il consacré à cela ? Tout au plus 250 mille francs, dont plus de 200 mille doivent rentrer au trésor ; il a aide les hospices à achever une chaussée vicinale ; c'est vrai. On dit que cette chaussée a amélioré les biens de hospices ; si cela est, tant mieux ; quand nous pourrons améliorer le bien des paavres, nous le ferons. Si nous comparons ce que nous avons fait à ce qui a été fait dans d'autres pays en de semblables circonstances, nous pouvons dire que nous avons agi avec prudence ?
(page 1564) L'honorable M. Malou a reçu, comme ministre des finances, à l'occasion de la crise alimentaire, non pas deux, mais au-delà de trois millions. Je désire savoir combien de ces sommes, mises à la disposition des communes, feront retour au trésor. Nous verrons à cet égard les conclusions de la commission des finances. Deux millions seulement nous ont été alloués à l’occasion de la crise politique, et je persiste à soutenir que l’emploi de cette somme mise à notre disposition pendant ces circonstances si difficiles où, à tout prix, on voulait assurer le repos public, a été faite avec réserve, avec prudence et un souci particulier des intérêts du trésor.
M. Thiéfry. - Je trouve qu'une discussion anticipée soulevée sans qu'on ait les pièces sous les yeux est cause que l'on commet souvent des erreurs. Nous en avons la preuve dans les allégations de M. Malou. Il semble, à entendre l'honorable membre, que les hospices de Bruxelles ont reçu des sommes considérables dont ils ont seuls profité. Voici les faits : Avant les événements de 1848, les hospices avaient présenté un projet de route. Or, quand une commune veut exécuter une route, elle reçoit des subsides de la province et de l'Etat.
La révolution de 1848 a fait craindre que des ouvriers sans occupation n'occasionnassent des troubles, et le gouvernement a accordé un subside d'environ 66,000 francs aux hospices, à la condition de commencer immédiatement les travaux ; mais les hospices ont supporté plus du tiers de la dépense totale ; par ce moyen on a pu occuper pendant 4 mois 600 ouvriers qui se trouvaient sans ouvrage.
Sous ce rapport, les hospices ont rendu un grand service, non seulement à la ville de Bruxelles, mais au pays tout entier. On ne peut pas reprocher au gouvernement d'avoir accordé 66,00O francs pour une construction d'utilité publique, qui en a coûté plus de 100,000 et dont l'exécution a contribué au maintien de la tranquillité.
M. de Theux. - M. le ministre de l'intérieur a parlé du compte à rendre du crédit mis à la disposition du gouvernement pour la crise des subsistances. Je lui ferai remarquer qu'il y a un rapport de M. Cools dont la chambre est saisie et qui doit être discuté. M. le ministre de l'intérieur a parlé encore une fois de l'industrie cotonnière, je lui rappellerai un axiome qu'il doit avoir appris à l'université. « Non bis in idem ». L'affaire a été jugée par la commission et par la chambre, c'est une chose terminée. Quand les ministres ont cru devoir diriger des attaques contre cet acte de notre administration, nous ne les avons pas accusés d'injustice et de malveillance ; nous leur avons répondu et nous nous sommes abandonnés au jugement du pays.
- L'article est adopté.
La séance est levée à 5 heures.