(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1517) M. Ansiau fait l'appel nominal à 2 heures et 1/4.
La séance est ouverte.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Lefebvre, vétérinaire diplômé, prie la chambre de lui faire obtenir un subside pour l'aider à la publication d'un mémoire destiné à propager les moyens d'extirper la pleuro-péripneumonie épizootique qui sévit parmi les bestiaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Quelques habitants d'Anvers demandent une loi qui interdise aux administrations communales de percevoir un impôt sur les vidanges. »
- Même renvoi.
« Les membres d'une société littéraire établie à Nevele demandent l'abolition de la contrefaçon et la libre entrée des livres entre la Belgique et la Hollande. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires étrangères.
Par dépêche du 30 juin, M. le minisire transmet à la chambre deux demandes de naturalisation ordinaire avec les pièces de l'instruction.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. Rousselle, dépose le rapport de la section centrale qui a examine le projet de loi allouant divers crédits supplémentaires au département de la justice.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Il est mis à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture d'une proposition de M. Coomans, ainsi conçue :
« Article unique. A dater du 1er janvier 1852, aucune taxe communale ne pourra plus être perçue sur les viandes de boucherie, les poissons, les céréales, le bois à brûler, les charbons de terre et les engrais. »
M. Coomans veut-il développer immédiatement sa proposition ?
M. Coomans. - Non, M. le président. J'ai déjà occupé hier la chambre longtemps, trop longtemps peut-être. Je suis à ses ordres, mais je préfère ne présenter mes développements que dans sept ou huit jours.
- La présentation de ces développements est remise à huitaine.
M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.
M. Delehaye. - Le premier amendement a été apporté à l'article 3.
M. de Muelenaere. - Je pense que l'article premier doit être considéré comme amendement. Car je ne sais à quel titre il serait venu s'intercaler dans le projet de loi, s'il n'avait pas été proposé comme amendement par M. le ministre des finances. Dès lors, je crois qu'il doit être permis de proposer des modifications à la disposition adoptée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La disposition faisait partie du projet primitif dont la chambre avait été saisie.
Dans la séance du 2 mai, j'ai déclaré que je retirais cette disposition. Dans une séance postérieure, je l'ai reproduite de nouveau. Naturellement ayant été retirée, j'ai usé de mon droit en la reproduisant et il ne me paraît pas que l'on puisse considérer des dispositions ainsi adoptées comme amendements dans le sens du règlement, comme dispositions soumises à un second vote.
Il paraît que le bureau l'a ainsi entendu ; car il n'a souligné que les dispositions additionnelles introduites dans la loi.
Au surplus, en présence de la majorité qui s'est manifestée sur la proposition même, je ne vois pas quelle importance on peut attacher à un second vote. Pour ma part, je n'y attache aucune importance.
M. de Muelenaere. - Le procès-verbal constate, si je ne me trompe, que cette disposition, dans une séance précédente, a été formellement retirée par le gouvernement.
La disposition n'existait donc plus ; elle ne pouvait plus être reproduite qu'en vertu d'un arrêté royal ou sous la forme d'amendement ; or, M. le ministre des finances a reproduit cette proposition sous forme d'amendement ; or, cet amendement, adopté à une premier séance, doit nécessairement passer par une seconde épreuve ; je soumets l'observation à la chambre et je désire qu'elle se prononce à cet égard. Mon intention est de proposer une modification à l'article premier.
M. Delehaye. - M. de Muelenaerc demande que la chambre se prononce sur le caractère de l'article premier, s'il faut le considérer, oui ou non, comme amendement.
M. Dumortier. - Messieurs, en présence de la Constitution et du règlement, cela ne fait pas question. Que porte l'article 27 de la Constitution, paragraphe premier :
« L'initiative appartient à chacune des trois branches du pouvoir législatif. »
L'initiative des lois appartient donc, soit au Roi, soit à la chambre des représentants, soit au sénat ; l'initiative du Roi n'existe plus dans le cas actuel, puisque les articles 1, 2 et 3 ont été retirés et que le procès-verbal en fait mention. (Interruption.) Je ne vois pas là le moins du monde matière à rire. M. le ministre des finances peut bien se persuader qu'il n'est pas encore Roi des Belges.
L'initiative appartient au Roi et non pas aux ministres. Le Roi a usé de sa prérogative, en nous saisissant d'un projet de loi ; je le répète, cette initiative a cessé d'exister du moment que les articles 1, 2 et 3 ont été retirés.
M. le ministre des finances est venu plus tard, sans l'intervention royale, reproduire ces dispositions ; il a dit alors : J'ai toujours le droit de présenter des amendements ; j'ai fait remarquer qu'en dehors de l'intervention royale, le ministre n'avait que le droit qu'ont tous les membres de la chambre, celui de présenter des amendements. Eh bien, le règlement est positif ; les amendements doivent être soumis à un second vote ; les articles 1, 2 et 3 ne sont que des amendements ; M. le ministre des finances les a qualifiés de cette manière avec infiniment de raison dans plusieurs de ses discours ; il faut donc que ces amendements subissent une seconde épreuve, sinon on violerait et la Constitution et le règlement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, si je voulais accueillir la théorie de l'honorable M. Dumortier, j'en tirerais immédiatement sa condamnalion très formelle. En effet, que dit-il ? D'après la Constitution, le Roi a le droit d'initiative, chaque membre de la chambre a ce droit...
M. Dumortier. - La chambre !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais chaque membre a le droit de faire des propositions.
Que les dispositions du projet de loi qui avaient été présentées par le gouvernement n'aient pas été retirées par arrête royal, comme on l'indique, cela n'est pas douteux ; d'après l'honorable membre, les dispositions subsistent donc ; vous l'avez soutenu, lorsque j'ai annoncé que je retirais les dispositions ; vous l'avez soutenu, pour me contester le droit de renoncer à telle ou telle disposition du projet ; dans votre système, les dispositions seraient maintenues, elles n'auraient pas été régulièrement retirées.
Pour moi, je n'adopte pas plus que je n'adoptais l'autre jour le système de l'honorable membre. Les dispositions dont il s'agit faisaient partie du projet de loi ; le gouvernement avait le droit incontestable de l'abandonner ; tous les ministres ont fait usage de ce droit dans les. chambres ; si j'avais le droit d'abandonner une disposition, j'avais aussi le droit de la reproduire ultérieurement.
Les dispositions n'avaient pas changé de nature, parce que j'avais déclaré un jour que je les abandonnais, un autre jour que je les reprenais ; c'étaient toujours les mêmes dispositions présentées dans la forme constitutionnelle. Ces dispositions abandonnées et reprises, ont été votées par la chambre. Doit-on considérer les dispositions votées dans de pareilles conditions comme des amendements qu'il faille soumettre à um second vote ? Il n'y a pas le moindre motif pour le décider ainsi. Car l'argument invoqué quant à l'article premier s'appliquerait à toutes les autres dispositions du projet.
Or, le règlement ne parle que des amendements au projet primitif.. Ce qu'on a voulu prévenir, c'est que des amendements improvisés fussent substitués à des dispositions mûrement réfléchies, examinées en section centrale. Il n'y a donc pas de raison pour soumettre à un second vote les dispositions dont il s'agit. On conçoit qu'on soumette à un second vote tous les amendements introduits pendant le cours de la discussion. C'est ainsi que le bureau l'a entendu en faisant imprimer le projet adopté au premier vote, car il n'a souligné, je le répète, que les dispositions nouvelles.
M. Dumortier. - Ce que dit M. le ministre est une véritable pétition de principe. D'après cela, il aurait le droit de mettre son contreseing sur un projet et de le faire disparaître à volonté.
Lorsque le projet a été présenté, il portait votre contreseing, la prescription constitutionnelle avait été remplie. Quand vous avez déclaré retirer la disposition, votre contreseing a disparu, la chambre n'était plus saisie de rien.
Quand vous avez voulu reproduire cette disposition, vous pouviez le faire de deux manières : en présentant un nouveau projet de loi ou en la proposant à titre d'amendement. Vous avez préféré cette dernière ; par conséquent, vous devez remplir les conditions auxquelles sont soumis tous les membres qui présentent des amendements.
M. Orts. - Il me semble inutile de perdre du temps en discussions purement théorique.Sans préjuger une question de cette nature, il y (page 1518) aurait moyen de tout concilier ; M. le ministre ne s'oppose pas à ce que la disposition soit soumise à un second vote. Je crois que la loi ne peut que gagner en autorité morale, si son principe est soumis une seconde fois au vote de la chambre, cela me paraît désirable, d'autant plus que le vote a une portée politique très importante. Je crois donc que, dans l'intérêt du pays, comme dans l'intérêt de l'opinion à laquelle j'appartiens, de l'opinion de la majorité, une manifestation nouvelle ne peut avoir qu'un effet très favorable.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Orts m'a mal compris. Je n'ai pas dit que je consentais à ce que la disposition fût soumise à un second vote ; j'ai dit qu'en présence de l'imposante majorité qui au premier vote s'est prononcée en faveur de la disposition, je ne concevais pas quelle importance on pouvait attacher à un second vote. J'ai dit qu'on ne pouvait pas espérer de modifier la majorité et qu'en présence du règlement de la chambre on ne pouvait pas remettre cette disposition en délibération.
M. Delfosse. - On ne peut pas dire que l'article premier soit un amendement qui doive être soumis à un second vote ; l'arrêté royal par lequel la chambre en a été saisie n'a pas été retiré. C'est M. le ministre qui a retiré provisoirement, conditionnellement l'article premier du projet. Il a dit : Je retire cette disposition, mais si on ne m'accorde pas d'autres impôts, je la reproduirai.
Je comprendrais la nécessité d'un second vote, s'il n'y avait pas eu d'examen en section centrale, si la chambre avait voté la disposition sans examen à la fin d'une séance ; mais sur la proposition de M. de Theux, l'article premier a été renvoyé à la section centrale, et l'honorable M. Le Hon a fait un rapport dont on a eu le temps de prendre communication ; je ne vois donc pas l'utilité d'un second vote.
Il s'agit ici, non d'un amendement, mais d'une proposition du gouvernement, d'abord retirée puis reproduite. C'était le droit du gouvernement de la retirer, c'était son droit de la reproduire, le gouvernement a usé de ce double droit, la disposition était dans le principe, elle est redevenue une proposition du gouvernement.
M. Malou. - Depuis l'origine de la discussion, la proposition nouvelle de M. le ministre des finances a toujours été présentée par lui, développée par lui, comme amendement. L'article a été imprimé sous l'intitulé d'amendement. Enfin, la disposition a toujours été considérée comme telle.
Je désire qu'on ne pose pas ce précédent. M. le ministre des finances consent à ce qu'il y ait un second vote.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai répété deux fois que je n'y consens pas.
M. Malou. - Alors nous devons invoquer le règlement ; il me paraît très clair. Le règlement veut que les propositions du gouvernement seules, lorsqu'elles n'ont pas été amendées, ne soient pas soumises à un second vote.
Eh bien, messieurs, je vous le demande, est-ce la proposition du gouvernement, dans le sens du règlement ? Où est l'arrêté royal en vertu duquel cette disposition a été présentée ? Il a disparu le jour où M. le ministre des finances a retiré l'article premier. M. le ministre l'a reproduit ensuite, mais il ne l'a pas fait en vertu d'un arrêté royal ; l'article premier n'est donc autre chose qu'un amendement dû à l'initiative de M. le ministre des finances.
M. Cools. - Je ne comprends pas vraiment la discussion. Je ne sais quel motif on a de s'opposer à un second vote : la majorité est si forte que la loi ne peut que gagnera une manifestation nouvelle. Ainsi quand même il y aurait doute, il faudrait encore procédera un second vote puisque cela ne préjuge rien, tandis que le refus de procéder à un vote nouveau après que la demande en est faite, constituerait une interprétation du règlement.
On invoque le droit d'initiative du gouvernement ; mais comment ce droit s'exerce-t-il ? Il ne s'exerce pas seulement par le ministre, il s'exerce par le pouvoir royal avec l'intervention du ministre. Le ministre fait une proposition au nom du Roi ; il a le droit de la retirer en déclarant formellement, au nom du gouvernement, qu'il y renonce. C'est ce qui a eu lieu. Mais, une fois la proposition ainsi retirée, le ministre n'a plus le droit de la reproduire sans qu'il y ait preuve évidente de l'assentiment du pouvoir royal. C'est ce qui n'existe pas ici.
Ainsi, messieurs, je n'affirme pas, mais je crois qu'il y a des motifs très fondés pour soutenir que la proposition ne pouvait être reproduite qu'en vertu d'un arrêté royal. Evidemment la question n'est pas claire, et je ne sais pas pourquoi l'on s'oppose à ce qu'il y ait un second vote : la majorité est très forte et le résultat sera exactement le même qu'au premier vote.
M. Delfosse. - Il y a eu effectivement un amendement dans les dernières propositions de M. le ministre des finances, et c'est pour cela qu'on a parlé d'amendement, mais cet amendement se trouve dans l'article 4. C'est l'article 4 qui forme amendement et il sera soumis à un second vote, l'article premier n'est pas un amendement, c'est la proposition primitive du gouvernement.
On dit : « Mais la majorité est si forte, pourquoi ne pas accepter un second vote ? » Mais si, au second vote, la majorité était forte on pourrait par la même raison demander un troisième vote. En suivant cette marche on pourrait demander un troisième ou un quatrième vote et on ne finirait jamais.
On invoque la disposition du règlement qui soumet à un second vote les articles rejetés et les amendements adoptés ; mais ceci n'est pas un article rejeté ; c'est un article qui a été retiré et reproduit volontairement par le gouvernement, ce n'est pas non plus un amendement, on l'a démontré.
M. Lebeau. - A entendre quelques-uns de nos honorables collègues, il semble que la résistance du cabinet à laisser mettre la question aux voix soit en quelque sorte une puérilité ; qu'il ne s'agisse en effet que de mettre aux voix l'article qui est en question, que nous allons le voter immédiatement. Ce n'est pas du tout la portée de la décision qu'on demande à la chambre. Cette décision aurait cette portée qu'il y aurait non seulement un second vote, mais une deuxième discussion. (Non ! non !)
On dit non. Mais alors à quoi bon un second vote ? La conséquence nécessaire (j'en appelle à tous nos antécédents) de la mise aux voix de l'article en discussion est d'amener pour chaque membre de la chambre le droit de le discuter, de proposer un contre-amendement ou un sous-amendement. Est-ce là ce que l'on veut ? Si c'est cela qu'on veut, ce n'est nullement en rapport avec ce que vient de dire l'honorable M. Cools, car il suppose qu'il s'agit tout simplement d'un nouvel appel nominal. Or, cela est impossible, cela, je le répète, serait contraire à tous vos précédents, car s'il y a vote, il peut y avoir discussion.
Mais, ce qui est plus contraire encore à tous vos précédents, c'est qu'une proposition du gouvernement, que même la proposition d'un membre de la chambre lorsqu'elle a été renvoyée devant une section centrale et lorsque le gouvernement s'y est rallié avant la discussion publique, soit mise une seconde fois aux voix. On peut consulter les antécédents. Je crois pas qu'il y en ait un seul, et ils sont nombreux, qui soit contraire au système que je soutiens.
Quel est au fond le but du second vote ? On nous l'a déjà dit, c'est d'éviter une surprise, c'est d'éviter qu'on n'introduise dans une loi des amendements improvisés qui ne seraient pas en harmonie avec le système de la loi. Or, ici une surprise est impossible. Il y a eu trois discussions sur la proposition ; il y a une proposition déjà ancienne du gouvernement, il n'y a pas eu retrait de cette proposition par le gouvernement, puisque l’initiative royale n'est pas intervenue, ne s'est pas exercée officiellement. C'est ce que MM. Dumortier et Osy ont établi avec beaucoup d'insistance dans une discussion précédente.
M. le ministre des finances s'est borné à prier la chambre de suspendre provisoirement et conditionnellement son vote sur cette disposition, se réservant très expressément la faculté de la représenter à la chambre, si les autres dispositions étaient rejetées.
Qu'est-il arrivé ? Que la condition du retrait ne s'étant pas réalisée, que la loi sur les droits de succession, déjà profondément modifiée par l'initiative du ministère, ayant été complètement bouleversée par le rejet du serment, le gouvernement faisant ce qu'il avait, pour ainsi dire, annoncé, est venu demander que l'on vote sur l'article premier. On renvoie cette proposition à la section centrale : celle-ci fait son rapport ; tout le monde est d'accord sur ces faits. On discute la proposition pendant plusieurs jours ; et l'on viendrait dire qu'il y a eu un vote de surprise. Ce, n'est pas soutenable.
Je demande qu'on passe au vote des autres dispositions sans s'arrêter davantage à l'incident.
M. Malou. - Cette question est très grave. Il s'agit des droits de la minorité, nous les défendrons. Le règlement est formel, et nous avons droit au maintien du règlement. Voilà pourquoi nous demandons qu'il y ait un second vote.
L'honorable M. Lebeau vient de dire que, s'il y a un second vote, on doit rouvrir toute la discussion. Ne craignez rien. La clôture a été prononcée très brusquement (interruption}, très brusquement ; je ne retire pas le mot.
Je sais que lorsqu'il y a un second vote, on a le droit de rouvrir la discussion. Mais il est dans les usages de la chambre d'abréger la discussion au second vote et de se borner à une discussion pratique sur le vote des articles.
C'est dans ce sens que nous demandons qu'il y ait un second vote sur l'article premier.
Nous le demandons, parce que l'article premier est réellement un amendement, qu'il n'est pas une proposition du gouvernement. Le procès-verbal constate, contrairement à l'opinion de M. Lebeau, que la disposition a été, non pas suspendue, mais provisoirement retirée.
Messieurs, je trouve une étrange contradiction dans ce que vous dites. Si la proposition du gouvernement n'était pas un amendement, pourquoi la section centrale a-t-elle fait un rapport par l'organe de l'honorable M. Le Hon ? Si c'était la proposition primitive qui ne pouvait être soumise à un second vote, pourquoi l'honorable M. Le Hon a-t-il été appelé, comme organe de la section centrale, à en faire l'objet d'un rapport (Interruption.)
On dit : Il y avait un amendement. Mais alors il ne fallait renvoyer à la section centrale que l'amendement, et c'est le contraire qui a eu lieu. Donc si vous décidez aujourd'hui que l'article premier n'est pas un amendement, vous aurez, d'après une expression dont on s'est servi dernièrement, décidé par vos actes, à deux jours de distance, le blanc et le noir, et le noir et le blanc.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est assez étrange de voir les honorables membres qui, lorsque j'ai annoncé la condition sous laquelle je retirais les trois premiers articles du projet de loi, ont prétendu contre moi que ces dispositions ne pouvaient être retirées que par arrêté royal, qu'elles existaient, qu'elles continuaient à exister, (page 1519) venir soutenir aujourd'hui que ces dispositions ont été bien et dûment retirées, valablement retirées, constitutionnellement retirées, qu'apportées ici par arrêté royal, elles ont pu disparaître sans arrêté royal.
Voilà, messieurs, la logique des passions, la logique des partis, mais ce n'est pas la logique de la vérité.
Ces dispositions, j'avais le droit de les abandonner, voilà ce que j'ai soutenu contre vous ; de les abandonner purement et simplement dans la discussion, comme j'avais le droit de les reprendre encore dans la discussion, la chambre restant toujours saisie du projet de loi suivant les formes constitutionnelles. Voilà ce qui a eu lieu.
Ces dispositions abandonnées par moi sous la condition que j'avais indiquées, c'est-à-dire sous la condition du vote de ce qui restait du projet de loi, ont été représentées par moi ; elles n'ont pas changé de nature ; elles ont été le lendemain ce qu'elles étaient la veille : une proposition du gouvernement, mot à mot la même, sans qu'on y ait changé un iota.
Cette proposition était donc la proposition du gouvernement, elle est restée la proposition du gouvernement. J'entends du gouvernement et non pas du ministre des finances comme député ayant usé de son droit de présenter des amendements.
J'ai formellement contesté que je fusse obligé de présenter des amendements comme député, j'ai soutenu que j'avais le droit de reproduire les dispositions primitives du projet de loi.
J'ai proposé un amendement qualifié d'amendement, reconnu comme amendement par cette chambre, et renvoyé à la section centrale avec la disposition primitive pour avoir un nouveau rapport. Pourquoi ? Parce que cet amendement influait sur la disposition principale, qu'il faisait corps avec elle. Cet amendement a été considéré comme tel par la chambre. Le bureau l'a aussi considéré comme tel, mais il n'a appelé la chambre à soumettre à un second vote que cette seule et unique disposition.
Cet amendement est devenu l'article 4.
M. Malou. - Donc l'article premier est amendé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez, l'article premier a été amendé. Mais vous savez parfaitement bien que, pour échapper à un autre moyen que l'on invoquait afin d'obtenir au moment du vote une division, j'ai dit, en répondant à l'honorable M. Dumortier, je vais faire disparaître votre objection ; je vais comprendre les deux paragraphes dans l'article premier, et je demanderai ultérieurement qu'ils soient séparés. C'est ce qui a eu lieu. La chambre a réuni les deux dispositions dans un même vote pour échapper ainsi aux subtilités que l'on invoquait ; et immédiatement j'ai demandé qu'on détachât le second paragraphe de l'article et qu'on en fît l'article 4. C'est dans ce sens que la chambre a voté et c'est dans ce sens qu'elle doit continuer à voter.
- La clôture est demandée.
M. de Theux (contre la clôture). - Je désirerais démontrer à la chambre que ce que l'on vous demande est littéralement, textuellement la violation du règlement. Je demande donc que la chambre veuille bien ne pas clôturer sur cette question.
Messieurs, il s'agit ici d'une question de principe. Ce qui aura été décidé dans cette occasion, on voudra le maintenir comme précédent dans une autre occasion. Sans doute, les opinions sont faites ; elles se sont manifestées. Mais ce que nous demandons, c'est le principe du maintien du règlement. Nous ne voulons pas qu'on vienne nous dire : « Vous avez reconnu dans telle circonstance que le règlement pouvait être interprété ainsi ; nous continuerons à l'interpréter de la même manière dans l'avenir. »
Messieurs, le règlement est le droit de la chambre et particulièrement de la minorité. Car pour la majorité, il n'y a pas besoin de règlement.
M. Dumortier ( contre la clôture). - Je ne pense pas qu'il convienne que la chambre clôture une discussion de cette importance. M. le ministre des finances vient de dire des faits qui sont entièrement opposés au procès-verbal même de la chambre. Je demande que la chambre me permette de faire appel au procès-verbal de la séance du 15 mai, et quand la chambre en aura entendu la lecture, on verra que la vérité tout entière est de notre côté.
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.
M. Delehaye. - Je mets aux voix la proposition de M. de Muelenaere.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
M. Dumortier (sur la position de la question). - Il faut que l'on s'entende. L'honorable M. Cumont avait présente un amendement au premier vote. Cet amendement a été renvoyé au second vote. Comment cet amendement pourrait-il être reproduit ?
M. Delehaye. - La chambre a décidé que cet amendement ne pouvait être mis aux voix, parce qu'il n'avait pas été développé et appuyé.
L'appel nominal ayant été demandé, ceux qui sont d'avis que les trois premiers articles doivent être considérés comme amendements répondront oui.
M. Malou. - Il me semble qu'il y a seulement lieu de poser cette question : « Soumettra-t-on l'article premier à un second vote ? »
M. Delfosse. - Je ferai remarquer qu'il y a à l’article 3 un paragraphe nouveau qui doit être considère comme amendement.
M. Delehaye. - C'est ainsi entendu. La question à mettre aux voix est donc celle-ci : « Soumettra-t-on à un second vote les articles premier, 2 et le premier paragraphe de l'article 3 ? »
Cette question est mise aux voix par appel nominal.
En voici le résultat :
93 membres ont pris part au vote.
24 ont voté l'adoption.
69 ont volé le rejet.
En conséquence, la chambre décide qu'il n'y a pas lieu de procéder k un second vole sur l'article premier.
Ont voté l'adoption : MM. de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumortier, Jacques, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vermeire, Boulez, Clep, Cools, Coomans, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere.
Ont voté le rejet : MM. Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumon (Auguste), Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lange, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Peers, Pierre, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Rolin, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, Debourdeaud'hui, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, de Royer, Desoer, de Steenhault et Verhaegen.
M. Delehaye. - Le premier article qui ait été amendé est l'article 3. Il est ainsi conçu :
« Art. 3. Les exemptions du droit de succession, dans les cas prévus par les n°2 et 3 de l'article 24 de la loi du 27 décembre 1817, en faveur de l'époux survivant, ne sont applicables qu'autant que toute la succession de l'époux prédécédé, recueillie en ligne directe, soit elle-même exempte du droit, conformément à l'article précédent. »
« Si, dans les mêmes cas, la succession donne ouverture à l'impôt, le droit à charge de l'époux survivant sera liquidé au taux fixé pour ce qui est recueilli ab intestat en ligne directe. »
C'est le dernier paragraphe qui forme amendement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'intention de la chambre est d'appliquer à l'époux survivant la même disposition qu'à l'enfant. Les termes dans lesquels l'article 3 se trouve rédigé pourraient donner lieu à une fausse interprétation : il dit que l'exemption n'est applicable qu'autant que toute la succession est elle-même exempte du droit. Je proposerai la rédaction suivante :
« Les exemptions du droit de succession, dans les cas prévus par les n°2 et 3 de l'article 24 de la loi du 27 décembre 1817, ne sont applicables qu'autant que la part recueillie par l'époux snrvivant ne s'élève pas à la somme de mille francs, déduction faite des dettes.
« Si, dans les mêmes cas, la succession donne ouverture à l'impôt, le droit à charge de l'époux survivant sera liquidé au taux fixé pour ce qui est recueilli ab intestat en ligne directe. »
D'après la rédaction adoptée au premier vote, l'époux survivant n'aurait été exempt du droit qu'autant que toute la succession en fût exempte. Cela ne doit pas être ; il faut que l'époux survivant jouisse du bénéfice de l'exemption, alors même que toute la succession ne donne pas lieu à l'exemption, lorsque sa part à lui n'excède pas mille francs.
M. Dumortier. - Je ferai d'abord observer que tout à l'heure on a déclaré que les articles 1, 2 et 3 ne seraient pas soumis à un second vote et que maintenant on propose de modifier l'article 3.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'article 3 a été amendé.
M. Dumortier. - Je demanderai ensuite ce que devient l'amendement adopté au premier vote sur la proposition de M. Dolez ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est à l'article 5.
M. Dumortier ; - Il n'est reproduit ni à l'article 3 ni à l'article 5 ; je l'ai cherché partout, je ne l'ai pas trouvé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est un retranchement et non pas un amendement. Il se trouve indiqué en note au bas de la page.
M. Dumortier. - Mais le bas de la page et les notes ne sont pas votés par la chambre. J'ai bien vu le bas de la page, mais je n'ai pas compris ce que cela voulait dire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas eu d'amendement. Une disposition du projet a été combattue et a été rejetée. Cette disposition se trouve indiquée en note au bas de la page. C'est ce qui se fait toujours et l'on ne peut pas faire autrement.
- L'article 3 est mis aux voix et définitivement adopté avec la rédaction proposée par M. le ministre des finances.
M. Delehaye. - L'article 4 forme amendement. Il est ainsi conçu :
« Art. 4. Le droit de succession sera réduit d'un quart, si les descendants du défunt et l'époux survivant, dont le conjoint a laissé des enfants, s'abstiennent de comprendre dans la déclaralion les dettes composant le passif de la succession. »
- Cet article est définitivement adopté sans discussion.
M. Delehaye. - L'article 5 a été adopté dans les termes suivants :
« Art. 5. Le droit de succession et celui de mutation par décès seront respectivement perçus, d'après les bases établies par la loi du 27 décembre 1817 et par la présente, sur la valeur :
« 1° Des biens d'un absent dont les héritiers présomptifs, donataires ou légataires, autres que les successives en ligne directe, auront été envoyés en possession provisoire ou définitive, ou dont, à défaut de jugement, la prise de possession par eux sera constatée par des actes ;
« 2° De tout ce qui est recueilli ou acquis par l'adopté ou ses descendants dans la succession de l'adoptant ;
« 3° De la portion des biens existant à la dissolution de communauté, dont le mari ou ses héritiers profitent par la renonciation de la femme ou de ses héritiers. «
Les mots : « autres que les successibles en ligne directe », au n°1° forment amendement.
Ensuite le n°3° du projet primitif a été supprimé. Il était ainsi conçu : « De tout ce qui, par suite de conventions matrimoniales, est attribué à l'époux survivant, dans la communauté, au-delà de la moitié. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, au premier vote, la disposition dont nous nous occupons a été retranchée par suite des observations de l'honorable M. Dolez, fondées sur ce que la loi fiscale se trouverait en opposition avec la loi civile. L'article 1525 ne réputé pas donation les avantages constitués entre époux dans le cas que cet article prescrit.
Ce motif ne m'avait pas paru péremptoire. Il existe, dans une foule de dispositions de nos lois fiscales, des différences essentielles dans la manière d'envisager les principes autrement que ne le fait la loi civile. Cependant, comme le but que je voulais atteindre était de faire disparaître des anomalies, de soumettre indistinctement au droit tout ce qui constituait ici des avantages, soit qu'ils fussent recueillis dans le cas de l'article 1525, soit qu'ils arrivassent à l'époux survivant, par suite d'une donation postérieure au mariage, ou par suite d'un testament, je me suis concerté avec l'honorable M. Dolez, pour rédiger une disposition, qui est de nature à faire disparaître tous les doutes ; cette disposition se confondrait avec le n° 3° de l'article 5 ; elle formerait un article nouveau ainsi conçu :
« L'époux survivant auquel une convention de mariage non sujette aux règles relatives aux donations attribue aléatoirement plus que la moitié de la communauté, sera assimilé pour la perception des droits de succession et de mutation par décès à l'époux survivant qui, en l'absence d'une dérogation au partage égal de la communauté, recueille, en tout ou en partie, la portion de l'autre époux, en vertu d'une donation ou d'une disposition testamentaire.
La disposition est bien claire ; quel que soit le titre auquel un avantage est recueilli par l'époux survivant, le droit devra être perçu ; on assimile l'époux qui recueille un avantage aléatoire stipulé par le contrat, â celui qui reçoit un avantage par donation ou par testament.
Je pense que tout le monde comprendra qu'il est jusle d'agir ainsi. La disposition ne permet pas de soulever la question qui a été indiquée par l'honorable M. d'Hont ; il a dit, lors de la première discussion : Dans quelles circonstances ces clauses figurent-elles dans le contrat de mariage ? C'est le plus souvent entre conjoints dont les fortunes sont inégales. L'honorable membre en a cité des exemples ; la section centrale en a cité d'autres ; mais la disposition que nous soumettons à la chambre n'est pas du tout applicable au cas qu'on prévoit ; il s'agit uniquement ici des avantages attribués à l'époux survivant, au-delà de la moitié de la communauté ; et comme la condition de survie peut s'accomplir en faveur de celui des époux qui a contribué le moins à la communauté ou qui a contribué le moins à sa prospérité, cette condition exclut sans contredit l'hypothèse à laquelle s'est attachée la section centrale, celle d'une espèce de dédommagement au profil de l'époux qui a apporté le plus à la communauté ou qui a contribué le plus à sa prospérité.
En effet, le préciput n'est pas stipulé au profit du survivant dans le cas qu'on suppose, mais au profit de l'un des époux nommément. Or, la disposition ne s'applique qu'à la convention aléatoire, soumise à la condition de survie, et non à la stipulation qui serait faite dans le contrat de mariage et qui, à raison des apports inégaux faits par les conjoinls, attribuerait à l'un d'eux des reprises plus importantes dans la communauté.
Il ne peut donc plus y avoir maintenant le moindre doute sur la disposition, et je pense que vous serez tous d'accord pour l'approuver.
M. Malou. - Messieurs, j'ai écouté très attentivement les explications de M. le ministre des finances, et je n'hésite pas à le dire, je ne suis pas certain d'avoir bien compris l'amendement ; dans une question si compliquée où la rédaction elle-même paraît assez embarrassée, on peut sans doute se tromper. Voici, ce me semble, le sens de l'article : le rejet ou le rétablissement en d'autres termes du n°3° qui avait été supprime au premier vote. Pour ne pas rétablir directement le paragraphe, on l'a, permettez-moi cette expression, on l'a délayé, étendu dans une autre rédaction, pour que la chambre n'ait pas l'air de revenir sur son vote. Telle me paraît être la vérité ; si la nouvelle rédaction du n°3° est meilleure, admettez-la.
Mais, messieurs, à côté de la question fiscale, il y en avait une autre qui a été moins directement abordée, la question de la famille, de la société la plus intéressante de toutes celles qui peuvent se former, de la société conjugale, la question de droit est celle-ci : faut-il, sans une nécessité absolue, établir entre les principes essentiels de notre législation sur la famille et nos lois fiscales une opposition de principe, de sorte qu'entre le droit financier et le droit civil il y ait une contradiction presque flagrante ?
Je dis que la législation fiscale doit s'adapter à votre législation civile, et que vous ne pouvez pas modifier les principes qui régissent la famille, car la famille et la société, c'est tout un ; il ne faut pas les modifier dans un but fiscal, parce qu'autrement votre droit civil disparaît tout entier.
D'après la rédaction nouvelle, comme d'après la rédaction primitive, vous altérez la nature du contrat ; l'honorable M. Dolez l'a démontré, selon moi, avec une supériorité incontestable lors du premier vote ; vous altérez, vous dénaturez complètement la nature du contrat défini par nos lois civiles.
Maintenant, un mot encore sur l'autre côté de la question qui a été moins directement abordé dans la première discussion. Cette disposition de notre droit civil ne se lie-t-elle pas à l'intérêt de la famille ? ne faut-il pas donner toute latitude à ces conventions aléatoires, auxquelles on ne peut pas reprocher d'être d'importation étrangère, qui ont toujours été permises par notre droit public et qui sont dans nos mœurs depuis des siècles, ? Elles ont été prévues par le Code civil, parce qu'on a reconnu qu'elles se liaient à l'intérêt de la famille.
S'il en est ainsi, une haute considération sociale doit vous détourner d'altérer la loi civile dans un intérêt fiscal, en vue d'une recette de 100 ou 150 mille fr. au plus.
M. Dumortier. - Il est impossible de saisir à la lecture une disposition aussi compliquée et qui a nécessité des développements aussi longs que ceux que vous venez d'entendre. Je demanderai le renvoi à la section centrale. Il n'est pas possible de voter un article semblable sans un mûr examen. J'y ai vu quelque chose d'étrange, si j'ai bien compris ; car l'article est tellement long et compliqué que je puis m'être trompé ; mais il semblerait qu'il suffit qu'un des époux fasse le plus léger avantage à l'autre pour que le droit soit perçu sur l'ensemble de la moitié de la communauté.
- Plusieurs voix. - C'est seulement sur les avantages.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cela va de soi.
M. Dumortier. - Avec le fisc, cela ne va pas de soi.
- Un membre. - Les tribunaux sont là.
M. Dumortier. - C'est ce que le fisc dit toujours aux petits bourgeois : Vous plaiderez si vous ne payez pas.
Nous savons ce que cela signifie. Nous avons vu des réclamations de nos collègues contre les exigences du fisc qui disait aux petits bourgeois : Les tribunaux sont là ; nous voulons faire des lois qui appellent le moins souvent possible les contribuables devant les tribunaux. Le fisc plaide avec l'argent de l'Etat, tandis que les particuliers plaident à leurs frais. C'est parce que je ne veux pas qu'on dise : les tribunaux sont là, que je demande que la disposition soit renvoyée à la section centrale pour qu'elle l'examine.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais tâcher de faire comprendre à l'honorable M. Dumortier la disposition qui est soumise à la chambre. Pendant quarante ans le principe de cette disposition a été appliqué ; de sorte que si M. Malou aime ce qui est dans les mœurs du pays, il doit trouver là une longue prescription, car pendant 40 ans on a considéré les dispositions faites en vertu de l'article 1525 comme constituant, au point de vue fiscal, un avantage donnant lieu à la perception du droit, comme l'avantage stipulé par contrat de mariage, par donation postérieure ou par testament.
J'espère que M. Dumortier comprendra cela. Voilà le point de départ. Dans ces derniers temps, la jurisprudence a contesté à l'administration le droit de réclamer l'impôt dans le cas de l'article 1525. Sur quoi les tribunaux se sont-ils fondés ? Sur ce que le droit de percevoir l'impôt n'était pas formellement écrit dans la loi, et que pour être perçu par l'administration, un impôt devait être expressément autorisé. C'est pourquoi, faisant une révision de cette législation, nous introduisions une disposition qui fait disparaître tous les doutes.
Au premier vote, lorsque mon honorable ami M. Dolez a combattu cette disposition, c'est plutôt la rédaction qu'il a attaquée, car il a dit : Votre rédaction met en opposition la loi fiscale et la loi civile. C'est là l'objection que l'honorable membre faisait valoir. J'ai défendu ma proposition, mais mon honorable ami s'est bien gardé de dire, comme l'honorable M. Malou, que nous allions porter atteinte à la famille, que nous allions bouleverser la famille et par suite la société.
Il a compris ce que n'a pas compris M. Malou, qu'on ne touchait en aucune façon à la famille, en considérant ce qui est recueilli au-delà de la moitié de la communauté, par l'époux survivant comme constituant un avantage donnant lieu au droit de 1 p. c.. s'il a des enfants, de 4 pour cent s'il n'a pas d'enfants, impôt que l'époux serait tenu d'acquitter si par événement il n'avait pas fait la convention prévue par l'article 1525, ce qui est le cas le plus ordinaire.
La plupart du temps, lorsqu'on ne possède pas de fortune on se marie sans contrat de mariage, c'est par la collaboration commune qu'on amasse un pécule ; aucun contrat n'étant intervenu pour garantir quelque chose à l'un des époux, l'un fait un avantage à l'autre par testament, il donne tout ce que, s'il y avait pensé, il lui aurait donné en vertu de l'article 1525. On acquitte alors le droit.
(page 1521) Y a-t-il quelque motif pour établir une différence au point de vue fiscal ? Evidemment aucun. Pour faire disparaître ce qui dans les termes pouvait autoriser l'opinion défendue par l'honorable M. Dolez, j'ai rédigé la disposition nouvelle de commun accord avec lui. J'ai fait disparaître un doute qui existait sur l'interprétation de la loi existante, L'honorable M. Dolez est d'accord avec moi ; il reconnaît qu'il n'y a aucun inconvénient à insérer dans la loi la disposition telle qu'elle est formulée ; on a eu soin de ne pas établir d'opposition entre la loi fiscale et la loi civile.
J'espère que cela suffira pour expliquer à l'honorable M. Dumortier la disposition que j'ai présentée et qu'il n'insistera pas sur le renvoi d'une disposition aussi claire à la section centrale.
M. Dolez. - J'aurais préféré que la disposition ne fût pas reproduite. Cependant, je n'insisterai pas pour qu'elle soit rejetée ; je suis même disposé à la voter ; voici en quelques mots pourquoi : en présence des circonstances qui ont précédé et accompagné le retour à la proposition d'un droit de succession en ligne directe, je considère comme un devoir de placer la raison politique au-dessus de mon sentiment personnel sur le mérite d'une disposition du projet. Il est impossible de méconnaître que, par suite de ces circonstances, le vote de toutes les dispositions importantes du projet a nécessairement un caractère politique, et celle que nous examinons en ce moment ne fait pas exception à cet égard.
A part ces considérations, il en est d'autres qui me déterminent à ne pas insister pour que la chambre la repousse. La rédaction telle qu'elle est présentée maintenant, est un hommage rendu au droit commun qui était directement offensé par la rédaction primitive. Cette première rédaction était la critique, le renversement du droit commun ; celle que M. le ministre nous soumet aujourd'hui ne constitue plus qu'une dérogation au droit commun, uniquement au point de vue de la loi fiscale.
Une seconde considération, c'est que le droit qui est maintenant proposé est différent de celui que l'on semblait avoir en vue lors du premier vote. En effet, on demandait alors d'une manière générale de frapper des droits de succession établis uniquement par la loi de 1817 sur les donations réciproques entre époux tout ce qui par suite des conventions matrimoniales aurait été assuré à l'époux survivant dans la communauté au-delà de la moitié.
Deux conséquences résultent de cette rédaction ; la première, c'est que toute espèce de convention matrimoniale qui donnait à l'un des époux au-delà de la moitié de la communauté, était soumise à l'impôt.
Aujourd'hui, au contraire, d'après la proposition qui nous est soumise par le gouvernement, il n'y aura de soumises à l'impôt que les dispositions aléatoires ; et, comme le chef du département des finances l'expliquait tout à l'heure, si, au moment du contrat de mariage, l'un des époux par cela même qu'il apporte une fortune plus importante dans la communauté, ou que, par ses talenls ou son éducation, il a la chance d'enrichir plus particulièrement la communauté, stipulait qu'il prendra une part plus grande dans la communauté, il n'y aurait pas de droits sur cette stipulation.
Je crois que nous sommes parfaitement d'accord M. le ministre des finances et moi à cet égard. La seconde conséquence qui résultait du projet primitif concernait le quantum du droit. D'après la loi de 1817, les donations ou legs faits à l'époux survivant étaient soumis à un droit de 4 p. c, mais seulement quand il n'y avait pas d'enfants issus du mariage. La disposition qui nous était proposée étant générale et ne faisant aucune espèce de distinction entre l'époux qui avait des enfants et celui qui n'en avait pas, il en résultait que l'époux, pour toute stipulation qui lui aurait attribué une part de la communauté excédant la moitié, aurait dû payer A p. c. sur cet excédant, sans distinction entre l'époux qui avait des enfants issus du mariage et celui qui n'en avait pas.
Aujourd'hui, au contraire, les dispositions adoptées n'assujettissent qu'au droit de 1 p. c. ce qui peut être attribué à l'époux survivant au-delà de la moitié de la communauté, s'il existe des enfants issus du mariage, et même de 3/4 p. c, s'il veut payer sur la valeur brute. C'est par ces différentes considérations, et guidé d'ailleurs par des sentiments auxquels je cède toujours volontiers, que je me résigne (j'insiste sur cette expression) à voter la disposition ; mais, je le répète encore, je crois qu'il eût été préférable qu'elle n'eût pas été présentée.
M. Malou. - J'ai eu l'honneur de présenter à la chambre diverses considérations de droit et de législation civile et des considéralions morales qui se rattachent aux intérêts de la famille. Je me suis heurté involontairement contre une question politique. Je n'avais pas été averti qu'il y avait là une question de cabinet sous-entendue. Je prie la chambre de me pardonner mon erreur.
D'après l'aveu fait par l'honorable M.Dolez, je n'ai pas le courage d'insister. La question me paraît résolue d'avance.
Je tiens seulement à expliquer pourquoi je n'ai pas aussi bien compris que l'honorable M. Dolez, le reproche que m'a fait M. le ministre des finances. Ce reproche est injuste. Il est très naturel que, n'ayant pas été averti, je n'aie pu comprendre.
La question est politique, je ne discuterai donc plus sur les principes de notre droit civil. Mais je constate qu'il s'agit ici d'une disposition tout à fait secondaire, qui ne se rattache pas à la politique du cabinet, dont il pouvait se passer et au sujet de laquelle la chambre, se déjuge gratuitement.
M. Orts. - Sans doute, les principes de droit civil sont extrêmement respectables. Mais il n'y a pas de principe de droit civil qui ait pour lui l'inviolabilité, qui soit au-dessus du pouvoir législatif, alors qu'il juge utile de modifier la législation.
Je voterai aujourd'hui ce que je n'ai pas voté dernièrement, non par résignation, mais parce que je le veux, parce que quand on a frappé d'un droit les successions en ligne directe, il me paraît raisonnable équitable de frapper également d'un droit les avantages conventionnels faits à l'époux survivant, même dans les termes de l'article 1525 du Cole civil. L'enfant est aussi respectable vis-à-vis du père que l'époux vis-à-vis de son conjoint. Là ou l'enfant paye, l'époux peut et doit payer.
C'est parce que l'enfant et l'époux survivant sont sur la même ligne aujourd'hui, parce que l'époux, jadis, payait lorsque l'enfant ne payait pas de droit, la ligne directe ayant été retirée, c'est pour ce seul motif que j'ai voté contre la disposition alors et que je vote pour aujourd'hui.
M. d'Hondt. - Quoique dans la première discussion je me suis aussi opposé à l'adoption de l'article tel qu'il était alors rédigé, je me déclare également prêt à voter la nouvelle rédaction présentée par l'honorable ministre des finances.
D'abord parce que ce nouveau texte ne se trouve plus offrir une opposition manifeste avec les principes de notre droit civil, que le texte primitif heurtait de front. En second lieu, parce que les conséquences injustes, iniques, que j'ai eu l'honneur de signaler à la chambre, lors du premier vote, viennent à tomber devant le caractère aléatoire qu'exige la rédaction actuelle.
- La discussion est close.
L'amendement présenté par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.
L'article 5 est définitivement adopté avec cet amendement.
Les articles 9 et 10 sont définitivement adoptés sans discussion, le premier avec un amendement consistant à ajouter les mois : « à l'exception des hospices et des bureaux de bienfaisance, » après les mots : « établissements de mainmorte ». Le deuxième, avec un paragraphe nouveau ainsi conçu :
« 4° Les termes échus, depuis plus d'un an avant le décès, des dettes remboursables par annuités. »
Les articles 11 et 12 sont définitivement adoptés.
« Art. 16. Pendant six semaines, à partir du jour de la déclaration, les parties déclarantes seront admises à la rectifier en plus ou en moins, par une déclaration supplémentaire, sans qu'il puisse être exigé aucune amende.
« Les héritiers, donataires ou légataires qui auront omis ou célé des immeubles ou des créances inscrites dans les registres et comptes, énoncés à l'article 18, ou qui n'auront pas estimé à la valeur déterminée par la loi les possessions à l'étranger, acquitteront, outre le droit de succession, une somme égale à titre d'amende.
« Ceux qui auront omis d'autres biens meubles ou qui n'auront pas porté à leur véritable valeur les biens désignés sub. Littéras F, G et H de l'article 11 de la loi du 27 décembre 1817, et ceux qui auront déclaré des dettes qui ne font pas partie du passif de la succession, encourront une amende égale à trois fois le droit.
« Néanmoins les parties sont libérées de l'amende et de celles prononcées par l'article 15 de la loi du 27 décembre 1817, si elles prouvent qu'il n'y a pas de leur faute.
« En cas de rectification avant toute poursuite, il ne sera pas exigé d'amende. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'abord, messieurs, je demande l'insertion au second paragraphe du mot « rentes » avant le mot « créances ».
Bien que, dans le langage juridique, les mots « créances inscrites » comprennent, d'après la jurisprudence, les rentes, il convient d'insérer ce mot dans l'article pour qu'il soit en harmonie avec l'article 18.
Ainsi on dirait : « Les héritiers, donataires ou légataires qui auront omis ou celé des immeubles ou des rentes et créances inscrites dans les registres et comptes, énoncés à l'article 18... »
C'est uniquement pour mettre ce dernier paragraphe en harmonie avec l'article 18 auquel il renvoie.
La seconde observation que j'ais présenter est relative à l'amendement proposé par l'honorable M. Lelièvre : « En cas de rectification avant toute poursuite, il ne sera pas exigé d'amende. »
L'honorable M. Lelièvre a supposé que le principe général était en cette matière qu'il n'y avait pas lieu à amende lorsque la rectification a eu lieu avant toute poursuite. C'est le contraire qui est vrai. D'après les dispositions de la loi du 22 frimaire an VII, il y a lieu à amende même lorsqu’il y a rectification.
La loi de 1817 avait modifié ce principe parce qu'elle avait exigé le serment. Aujourd'hui que le serment n'est pas exigé, je crois qu'il ne faut pas introduire la disposition.
De deux choses l'une : ou il y aura fraude, ou simplement omission sans intention mauvaise. S'il y a fraude, il faut que l'amende soit prononcée ; tout le monde le reconnaîtra. S'il y a simple omission, erreur, on continuera à faire ce qui s'est fait constamment, c'est-à-dire que dans ce cas l'administration fait remise de tout ou partie de l'amende selon les circonstances.
Je crois qu'il est dans l'intérêt du trésor de ne pas introduire l'amendement de l'honorable M. Lelièvre et de maintenir les principes généraux en cette matière.
Je propose donc la suppression du dernier paragraphe.
- L'article, amendé comme le propose M. le ministre des finances, est adopté.
(page 1522) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au moment de voter sur l'article 17, l'honorable M. Lelièvre a fait une observation. Il a fait remarquer qu'une loi de 1850, dont il avait fait le rapport, avait réduit les amendes dont nous nous occupons à 5 francs.
Je ne pensais pas que la loi de 1850 eût modifié spécialement ces amendes. Il avait été convenu que la vérification en serait faite avant le second vote. Vérification faite, c'est l'honorable M. Lelièvre qui a raison. Le projet actuel ayant été déposé dès 1849, l'attention n'a pas été attirée sur ce point. On pourrait modifier la disposition de la loi de 1850 et fixer l'amende à 10 fr. ou s'en référer purement et simplement à la loi de 1850. Je crois que c'est le plus sage.
A la vérité, cet article n'a pas été modifié. Il n'est pas soumis à un second vote. Mais il a été entendu, et cela est consigné au Moniteur, qu'on vérifierait avant le second vole.
Si on le trouve convenable, on peut retrancher l'article.
- La chambre décide que l'article 17 sera supprimé.
« Art. 19. Si des immeubles situés dans le royaume et des créances hypothécaires y inscrites paraissent ne pas avoir été portés à leur véritable valeur, d'après les bases établies par l'article 11, littéras A et B de la loi du 27 décembre 1817, et que l'insuffisance ne puisse être autrement constatée, le préposé pourra en requérir l'expertise.
« La demande en sera faite par exploit d'huissier à signifier à la partie déclarante, avec énonciation de la somme présumée duc pour droit de succession ou de mutation et amende.
« Cet exploit contiendra nomination de l'expert de l'administration, avec sommation à la partie de nommer le sien dans la huitaine, sous peine de forclusion.
« Le délai de huitaine expiré, la partie demanderesse présentera au tribunal de première instance du lieu de l'ouverture de la succession, une requête énonçant les faits avec désignation des experts nommés.
« Ce tribunal connaîtra, tant pour la forme que pour le fond, de tout ce qui concerne l'expertise.
« Il nommera, dans la quinzaine, un troisième expert, et d'office, s'il y a lieu, un expert pour la partie défaillante.
« En matière de mutation par décès, la connaissance du fond et de la forme de l'expertise est réservée au tribunal de l'arrondissement de la situation des biens déclarés.
« Les trois experts procéderont simultanément aux opérations d'expertise et en feront rapport. L'estimation par la majorité déterminera définitivement la valeur des biens.
« Si chacun des trois experts émet un avis différent, l'estimation qui ne sera ni la plus haute ni la plus basse, établira cette valeur.
« Si l'estimation résultant du rapport des experts excède d'un huitième, au moins, l'évaluation totale des biens expertisés, telle qu'elle est énoncée dans la déclaration, les frais d'expertise seront supportés par la partie déclarante, et, dans le cas contraire, par l'Etat.
« Une seule copie de tous les exploits, pièces et jugements concernant l'expertise sera, quel que soit le nombre des personnes intéressées, laissée au domicile élu dans la déclaration.
« En se conformant aux dispositions qui précèdent, les héritiers, donataires et légataires pourront, à leurs frais et avant déclaration, faire procéder, soit en tout, soit en partie, à l'évaluation des biens désignés sous les litt. A, B, F et H de l'article 11 de ladite loi. L'estimation sera définitive et servira de base à la perception de l'impôt. »
M. Moncheur. - Messieurs, l'un des inconvénients de la loi que vous allez voter (ce n'est pas, il est vrai, le plus grave), mais enfin un des inconvénients de cette loi, ce sera de multiplier les expertises des biens sur lesquels l'impôt devra être payé.
En effet, les successions en ligne directe sont à elles seules beaucoup plus nombreuses que toutes les autres successions ensemble ; je suppose que les successions en ligne directe sont, par rapport aux autres, au moins comme 4 est à 1. Par conséquent il y aura un nombre très considérable de déclarations, et par suite d'expertises ; car vous comprenez, messieurs, que dans des cas très nombreux, les héritiers se hâteront pour éviter les molestations, les recherches du fisc, de demander l'expertise volontaire des biens qu'ils recueilleront de leurs parents ; or des frais élevés sont ordinairement la conséquence de ces expertises, et ils deviendront un grand surcroît d'impôts à la charge des contribuables.
Déjà plusieurs fois on a réclamé dans cette enceinte contre l'élévation de ces frais. Il en est, je le sais, qui sont à peu près fixes et qui ne peuvent pas être diminués ; tels sont ceux de la signification à l'administration du nom de l'expert nommé par la partie, de la signification faite à celle-ci de la part de l'administration, de la part du gouvernement ; de la prestation du serment, de la rédaction du procès-verbal, etc. Mais quant aux vacations des experts, ils entraînent des frais très variables, et souvent exorbitants. Il n'existe, quant à eux, aucune uniformité dans les différentes parties du pays. M. le ministre des finances me dira peut-être que lorsque le particulier ne veut pas admettre l'état des experts, « les tribunaux sont là » ; mais si le citoyen s'adresse aux tribunaux, il arrivera que quand il aura payé les frais d'avocat, etc., il en sera précisément au double de ce qu'on lui demandait d'abord ; et, s'il est sage, en général, il s'en gardera bien. Du reste, la jurisprudence des tribunaux n'est pas la même, à cet égard, dans les diverses parties du pays.
C'est là un état de choses, menieurj, contre lequel plusieurs réclamations nous sont parvenues. Je citerai notamment une pétition adressée à la chambre par M. le comte de Gourcy, sur laquelle il a été fait rapport le 25 avril 1849 et qui a été renvoyée à M. le ministre des finances avec demande d’explications. Cet honorable citoyen qui, lui aussi, avait été victime de ce dont je me plains ici, c’est-à-dire qu’il aurait dû payer une somme considérable pour l'expertise de biens situés dans les Flandres, soumettait à la chambre la question de savoir s'il ne serait pas convenable de réviser le tarif des vacations des experts, et surtout de l'exécuter. Or, messieurs, d'après les considérations que je viens de développer, je crois que l'émission de cette idée a plus d'opportunité que jamais et j'attire sur ce point l'attention toute spéciale de M. le ministre des finances. Je le prie donc de bien vouloir se faire représenter la pétition dont j'ai parlée.
Je saisirai cette occasion pour exprimer le vœu que MM. les ministres se fassent remémorer de temps en temps les pétitions sur lesquelles la chambre a demandé des explications. Ces demandes d'explications doivent être une chose sérieuse, et il ne faut pas que les pétitions renvoyées à un département quelconque avec demande d'explications restent enfouies d'une manière indéfinie dans les cartons du ministère.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant se plaint que des pétitions renvoyées au gouvernement avec demande d'explications restent enfouies dans les départements ministériels. L'honorable membre se trompe.
M. Moncheur. - Non, il y a de cela plus de deux ans.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre s'est-il adressé au greffe ? Je serais bien étonné s'il n'avait pas été répondu à la pétition dont il a parlé.
M. Moncheur. - Je demande la parole.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si ma mémoire est fidèle, on a répondu à cette pétition. C'est du reste un usage constant ; chaque fois que la chambre renvoie une pétition au gouvernement avec demande d'explications, on s'empresse de donner ces explications. Il y a très peu de temps encore que la chambre a ordonné l'impression de mes explications parce qu'il s'agissait là d'une pétition plus importante que celles qui nous arrivent d'ordinaire.
Je dois faire observer, messieurs, que les contestations dont on parle sont bien moins nombreuses qu'on n'a l'air de le supposer ; le nombre en est infiniment petit, relativement au nombre de déclarations. Il est inévitable qu'il y en ait un certain nombre, car il s'agit de constater la valeur de biens. Comment le faire ? Les parties peuvent demander volontairement l'expertise, et c'est ce qu'elles font lorsqu'il s'agit de choses importantes. L'expertise entraîne des frais, c'est un mal sans doute, mais quel est le remède ? Le remède serait-il de laisser aux parties la faculté de déclarer la valeur des objets soumis à l'impôt sans que l'administration puisse contester la vérité de cette déclaration ? Autant vaudrait abandonner le trésor public aux contribuables ; ce serait plus tôt fait.
Quelques personnes ont imaginé de prendre pour tout le royaume un multiple unique de la valeur cadastrale. Cela est impraticable : le rapport entre le prix des immeubles et la valeur cadastrale varie de canton à canton et varie dans une proportion considérable : dans telle localité les propriétés valent trente fois le revenu cadastral ; dans d'autres, elles valent jusqu'à quatre-vingts fois ce revenu. Quel serait le multiple qu'on adopterait ? Si l'on prenait une moyenne, on commettrait une grande injustice envers les habitants des localités où il serait impossible d'obtenir des propriétés au prix représenté par le multiple moyen, et l'on accorderait un privilège aux habitants d'autres localités, où les immeubles se vendent en raison d'un multiple plus élevé que la moyenne. Cela est donc inadmissible.
Je me suis demandé s'il ne serait pas possible d'autoriser l'administration à publier le tableau des prix de vente avec indication, pour chaque canton, du multiple résultant de ces prix de vente. Ce serait peut-être un moyen d'éviter des difficultés. Peut-être aussi produirait-il des inconvénients. Je ne l'indique que pour prouver que je me suis préoccupé de la question.
Si l'on pouvait trouver un moyen d'éviter les contestations dans la perception des impôts, ce serait un très grand bien et pour les contribuables et pour l'administration elle-même, qui n'a d'autre intérêt que l'intérêt de tous, l'intérêt du trésor. Elle ne désire qu'une chose, c'est que les biens soumis à l'impôt soient évalués à leur véritable valeur et si elle pouvait s'affranchir de tous ces embarras, de toutes ces oppositions soulevées contre elle, elle s'empresserait assurément de le faire.
J'ai une observation à présenter, messieurs, sur le fond de la disposition.
Le dernier paragraphe donne aux parties le droit de faire évaluer les biens désignés sous les littera A, B, F et H de l'article 11 de la loi du 27 décembre 1817, mais le premier paragraphe qui donne à l'administration le droit de requérir l'expertise, ne concerne pas les objets compris sous le littera F ; or, il importe que l'administration puisse faire évaluer ces objets comme les autres ; il ne faut pas que l'administration soit placée dans cette position que le propriétaire puisse déclarer pour 100 fr. en objet qui en vaudrait 50,000 fr., l'administration étant impuissante d'après la loi, à faire opérer l'expertise.
Je proposerai en conséquence de rédiger l'article 19 comme suit :
« Si des immeubles situés dans le royaume, des créances hypothécaires y inscrites ou des objets compris sous le littera F de l'article 11 de la loi du 27 décembre 1817, paraissent ne pas avoir été portés à leur véritable valeur d'après les bases établies par l’article 11, littera A, B et F et que l’insuffisance ne puisse être autrement constatée, le préposé pourra en requérir l’expertise.
« « La demande etc. (le reste comme au projet.) »
M. Moncheur. - M. le ministre des finances m'a demandé si je m'étais assuré au greffe que des explications n'avaient pas été fournies sur la (page 1523) pétition que j'ai mentionnée. Je réponds à M. le ministre que je me suis rendu au greffe à cet effet ; l'on m'a répondu que la pétition se trouvait au département des finances ; er, si la pétition se trouve au département des finances, c'est que la chambre n'a pas reçu d'explications sur ce qui en fait l'objet.
Je dois en outre vous faire remarquer que M. le ministre des finances n'a pas bien saisi la portée de l'observation que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre. Je n'ai pas dit que les contestations entre le fisc et les particuliers fussent très nombreuses, mais que ces contestations seraient à l'avenir beaucoup plus nombreuses par suite de la loi que vous allez voter sur les successions en ligne directe. J'ai ajouté que le nombre des demandes d'expertises à l'aimable serait extrêmement considérable, et que les frais des expertises même à l'aimable sont trop élevés.
J'ai demandé à M. le ministre des finances si on ne pouvait pas ramener ces frais à une certaine uniformité, attendu que les experts n'ont pas tous la même délicatesse.
- Un membre. - Il y a un tarif.
M. Moncheur. - Oui, il y a un tarif, mais il semble tombé en désuétude dans beaucoup de localités, et en tous cas, il y a lieu de le réviser. Voilà sur quoi se porte surtout mon observation.
M. Deliége.- Messieurs, moi aussi, j'ai été frappé de la différence des frais des expertises faites dans les diverses localités de la province que j'habite.
Il y a telle occasion où les frais d'une expertisse atteignent un chiffre très élevé ; dans telle autre occasion, ces frais ne s'élèvent qu'à une somme très minime.
C'est ainsi que j'ai vu une expertise faite d'une succession se composant d'une chaumière et de 43 ares de prairie qui prétenduement n'étaient pas évalués à leur valeur, entraîner une dépense de 400 et des francs, c'est-à-dire que la moitié de la valeur nette de la succession avait été absorbée par les frais.
Je crois que, sous ce rapport, il n'y a rien à ajouter à la loi ; que cela dépend des experts nommés. Si les experts sont des gens probes qui font l'expertise comme elle doit se faire, qui ne comptent que les heures de travail réellement employées, alors l'expertise coûte peu. Si ce sont des experts avides qui augmentent à plaisir les vacations, alors l'expertise coûte très cher. Car il a pour les vacations un tarif que l'on ne peut dépasser.
M. Lelièvre. - C'est au président du tribunal civil à réduire le nombre des vacations.
M. Deliége. - Oui, mais on n'éclaire pas la justice sans frais. Je crois donc devoir appeler l'attention de M. le ministre des finances sur ce point : il dépend de l'administration de faire disparaître l'abus qu'on a signalé ; M. le ministre des finances veillera, j'en suis certain, à ce que désormais les experts nommés par l'administration ne portent en compte que les vacations auxquelles ils ont droit, et qui sont strictement nécessaires pour remplir leur mission.
M. Lelièvre. - Je ferai observer que le tarif général des frais concerne aussi les honoraires des experts et que même ce tarif les fixe à un taux extrêmement modéré. S'il y a abus, ce ne peut être que relativement au nombre des vacations. Or, d'après la même disposition législative, c'est le président du tribunal qui est appelé à taxer les honoraires des experts et à cette occasion il peut réduire le nombre des vacations, s'il le juge excessif. Il est donc vrai que la législation actuelle fournit les moyens de prévenir les abus. Le président du tribunal civil ne manquera certes pas à son devoir et on peut avoir confiance en lui avec certitude qu'il appréciera avec impartialité si effectivement la nature de l'expertise a nécessité le nombre de vacations indiqué par les experts, et en cas de négative, il réduira le nombre des vacations ainsi que de justice.
- Le premier paragraphe de l'article 20, tel que M. le ministre des finances propose de le rédiger, est mis aux voix et adopté.
Le deuxième paragraphe, tel qu'il a été voté au premier vote, est définitivement adopté.
« Art. 22. Indépendamment des moyens de preuve spécialement prévus par les articles 18, 19 et 20, l'administration est autorisée à constater, selon les règles et par tous les moyens établis par le droit commun, à l'exception du serment, l'omission ou la fausse estimation des biens de la succession, l'exagération des dettes ou la simulation de dettes qui ne font pas partie du passif. »
M. Malou. - Messieurs, je propose à la chambre d'ajouter, après les mots : « à l'exception du serment », ceux-ci : « et de l'interrogatoire sur faits et articles ».
Messieurs, toutes nos lois fiscales accordent au gouvernement certains moyens de preuve ; je n'en connais aucune qui lui accorde indistinctement tous les moyens de preuve autorisés par le droit commun. Si vous dérogez à ce principe, si vous dites qu'en matière de succession en ligne directe, l'administration aura le droit d'interroger chaque contribuable sur faits et articles, pourquoi ne lui donneriez-vous pas la même faculté pour la perception des droits de douane, des droits d'accise ; et si vous l'admettez, vous altérez profondément la douceur du régime d'impôts qui existe en Belgique. Or, qu'on fasse augmenter la quotité de nos impôts, qu'on en change les bases, qu'on étende même, s'il le faut, certaines bases d'impôts, soit ; mais du moins n'altérons pas le système ; les dispositions de nos lois qui règlent le contact entre les contribuables et le fisc, c'est-à-dire que si vous changez le système, la popularité du gouvernement disparaît ; vous aurez provoqué dans les populations le mécontentement qui existait notamment vers la fin du royaume des Pays-Bas ; il en serait ainsi, si on admettait de pareils moyens de preuve, de contrainte morale.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. Malou se fait une théorie à lui des droits de l'administration ; l'honorable membre dit que nos lois fiscales indiquent quels sont les pouvoirs de l'administration, pour assurer la perception des impôts, et qu'en dehors de ces pouvoirs, l'administration est désarmée.
Où l'honorable membre a-t-il vu cela ?
M. Malou. - Partout.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nulle part ; cela n'existe dansr aucune de nos lois.
En matière d'accise que cite M. Malou, la loi dit qu'un procès-verbal devra être dressé. Mais devant le tribunal on fait la preuve testimoniale de la contravention ; c'est hors de doute, cela n'a jamais donné lieu à contestation, en matière d'accises ou de douane. Maintenant pour les contestations qui ne se vident pas devant les tribunaux correctionnels, mais civils, cela dépend de la nature des lois et des matières ; pour celles-là, les lois ne limitent pas les moyens de preuve de l'administration. Quels sont-ils ? Si vous voulez dire qu'on peut controverser ce point, qu'on peut discuter si l'administration a, comme les particuliers, le droit de faire la preuve testimoniale, de demander l'interrogatoire sur faits et articles, vous serez dans le vrai ; je vous le concéderai ; mais que la règle certaine, indubitable soit que l'administration ne peut pas procéder comme vous le supposez, c'est une erreur, c'est une opinion qui n'est pas soutenable.
Dans une dernière séance, j'ai cité une décision du tribunal de Tournai qui en 1840, à propos d'une déclaration de succession dont un article était contesté, a déféré sans discussion sur ce point, le serment. J'ai cité un arrêt de la cour de cassation de Belgique, rendu en 1837, qui décide formellement que lorsque l'administration, pour établir son droit, doit prouver un fait, elle a le droit de recourir à la preuve testimoniale ; j'ai cité un arrêt de la cour de cassation de France de 1846 bien plus formel encore ; il va - c'est une doctrine discutable si vous voulez - mais il va jusqu'à permettre de faire la preuve par commune renommée, ce qui prouve que la théorie de M. Malou ne peut pas soutenir l'examen et que ses assertions sont entièrement inexactes.
Si les lois fiscales contenaient le principe que M. Malou prétend y être consigné, ces arrêts ne seraient pas intervenus, il n'y aurait pas de controverse judiciaire sur ce point. Ainsi, M. Malou se trompe.
La question est de savoir, en ce qui touche la décision adoptée au premier vote, s'il y a des motifs sérieux, avouables d'empêcher l'administration de faire la preuve déterminée à l'article 22, hormis par la voie du serment. Quelle raison y a-t-il pour que l'administration ne puisse pas prouver par la voie testimoniale les faits de fraude ?
M. Malou. - Je ne conteste pas cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous concédez la preuve testimoniale. Vous voulez bien qu'on appelle un tiers à déposer sous la foi du serment pour établir la valeur d'une déclaration et vous ne voulez pas qu'on appelle l'individu lui-même pour lui demander : Est-ce vrai ? est-ce faux ? Libre à lui de répondre : Cela est vrai, cela est faux et tout sera dit.
Quel motif peut-on avoir pour refuser à l'administration de faire procéder à l'interrogatoire prévu par le Code de procédure ? Le serment n'existait pas sous l'empire du Code de procédure, c'est un arrêté de 1814 qui l'a introduit pour l'interrogatoire sur faits et articles.
Il n'y a pas de motif pour refuser à l'administration les moyens de droit commun pour établir la sincérité des déclarations faites.
M. Malou. - Je ne discuterai pas de question théorique, mais il y a un moyen de fait de décider entre M. le ministre des finances et moi. A la première occasion de fraude, en matière de douane ou d'accise, je l'engage à demander à faire la preuve par serment ; un jugement interviendra, je ne doute pas que la preuve par serment soit rejetée. En matière de douane, l'administration n'a pas d'autres moyens de preuve que ceux qui sont déterminés par la loi spéciale.
La preuve testimoniale, elle est écrite dans la loi de 1822. Pour prouver le délit correctionnel et non la redevabilité du droit, on me demande pourquoi on pourrait interroger un tiers, et pas le contribuable lui-même. Je réponds, vous ne pouvez pas soumettre quelqu'un à la question dans l'intérêt du fisc.
Voilà pourquoi je demande qu'on retranche l'interrogation sur faits et articles.
M. Dumortier. - C'est la plus mauvaise disposition que vous puissiez introduire dans notre législation, vous avez établi le droit de succession en ligne directe, de sorte qu'à la mort de son père chaque individu doit venir déclarer quel est son avoir, quelle est sa fortune, ce qui est pour les Belges une véritable inquisition ; vous voulez aller plus loin, vous voulez que cette inquisition se produise en Belgique de telle manière qu'à la mort de son père un fils puisse être appelé devant un tribunal et mis sur la sellette, soumis à la question, sur sa fortune. C'est une monstruosité ; il n'y a rien de semblable dans aucune des lois belges. Y introduire un principe aussi monstrueux, c'est se mettre en opposition flagrante avec le caractère national.
Ne vous souvient-il pas de la réprobation que rencontrait la seule modification de la loi de succession ? Vous avez reconnu que l'opinion publique la repoussait, et vous allez au-delà ; vous voulez faire venir le fils de famille et l'époux devant un tribunal pour subir un interrogatoire sur sa fortune ! La Belgique entière repousse un pareil système. Si je n'avais à considérer que la loi de parti, je dirais : Faites-la de plus en plus mauvaise, tant mieux ; mais je vois quelque chose au-dessus de l'intérêt de parti, c'est le pays. Les mesures que vous proposez sont répudiées en France. Voyez comment s'y exécute la loi sur les successions. On (page 1524) l'exécute avec beaucoup de douceur. Ainsi, pour établir la valeur des propriétés, on prend le denier 20.
Ici vous allez avoir expertise sur expertise ; vous allez mettre tous les habitants du pays dans la position de devoir faire faire leurs affaires par des agents, de voir une partie de leur fortune mangée par les agents du fisc.
Cela ne suffit pas encore : il faut que vous mettiez le fils 'sur la sellette pour rendre compte devant les tribunaux de la fortune de son père. Il ne manquait plus que cela pour fortifier le sentiment universel de répulsion qu'inspire votre loi.
Le gouvernement hollandais n'a pas poussé la fiscalité jusque-là.
Si de pareilles mesures avaient été proposées lors de nos anciennes franchises, de nos anciennes libertés, les députés de nos villes, les députés de Bruxelles qui se rendaient à Cortenberg auraient répondu : « Cela ne nous plaît pas ! » et ils seraient partis.
Il est impossible que la chambre repousse l'amendement proposé par l'honorable M. Malou.
Voter la loi, telle que le ministère la présente, ce serait la monstruosité de la fiscalité.
M. Lelièvre. - Je ne pensais pas devoir prendre la parole dans la discussion actuelle, mais il m'est impossible de laisser sans réponse les critiques amères dirigées par l'honorable M. Dumortier contre la disposition que nous discutons et qui présente le même sens que l'amendement par moi proposé.
Messieurs, à mon avis, la suppression de l'article 22 aurait pour conséquence d'autoriser l'administration à déférer même le serment décisoire. En effet, une loi spéciale ne déroge au droit commun que lorsqu'il existe dans la loi spéciale une disposition formelle. Le droit commun subsiste du moment qu'il n'y est pas dérogé par une disposition expresse. Or, si nous supprimons l'article, nulle dérogation n'existerait. J'ai donc pensé que la disposition en question, en écartant le serment, restreignait les moyens de preuve de l'administration, loin de les étendre.
Maintenant faut-il maintenir l'interrogatoire sur faits et articles sans serment bien entendu ? L'affirmative me semble évidente.
L'administration est étrangères à la déclaration, elle n'est pas appelée à la contrôler, on lui interdit l'apposition des scellés et toute mesure préventive. Il est donc juste qu'elle soit admise à démontrer l'insuffisance de la déclaration, les omissions de par tous les moyens légaux, et notamment par l'interrogatoire sur faits et articles. Il s'agit ici d'une fraude dont l'existence doit, d'après tous les principes, pouvoir être démontrée par tous moyens autorisés par la loi. Sans doute c'est avec raison qu'on a exclu le serment, parce que dans une matière fiscale et même répressive, on a pensé que le déclarant ne pouvait être tenu à confesser sous serment sa propre turpitude ; mais si vous exceptez le serment, les autres moyens deviennent légitimes.
L'interrogatoire en fait et articles ne présente rien d'exorbitant, il a lieu non pas en séance publique, mais en chambre du conseil en présence d'un juge, et cette mesure est tellement considérée comme inoffensive qu'elle est ordonnée d'après le Code de procédure sans que la partie soit appelée pour en discuter le mérite, et la jurisprudence décide même que l'individu à qui il est ordonné de subir interrogatoire ne peut former opposition au jugement qui l'ordonne.
Mais, messieurs, cet interrogatoire ne présente rien de vexatoire. L'interrogé est simplement convié à répondre à des faits qui lui sont notifiés d'avance, il est appelé à dire ce qu'il prétend à l'égard de la contestation existante, et certes cela est bien moins exorbitant que d'entendre des témoins, etc.
D'autre part, en matière de simple police comme en matière correctionnelle et criminelle, le prévenu est interrogé en audience publique. A quel titre donc n'interrogerait-on pas l'individu qui résiste à une prétention du fisc et ne lui demanderait-on pas de s'expliquer sur les faits de la contestation ? Ce n'est pas le mode de preuve qui peut donner lieu à des inconvénients.
D'un autre côté, il est impossible de ne pas même permettre à l'administration de faire un appel aux propres dires de son adversaire. Il est bien entendu, comme l'a décidé la chambre en votant mon amendement, que jamais l'interrogatoire ne sera accompagné de serment, mais le simple interrogatoire n'est autre chose que le résumé des dires du défendeur sur l'objet contesté, et, certes, il n'y a rien d'inquisitorial à demander qu'un adversaire s'explique sur les faits du procès, sur ceux de sa déclaration.
Un individu qui est prévenu d'avoir commis une contravention en matière de douanes, accises, etc., est interrogé et tenu de s'expliquer sur toutes les demandes qui peuvent lui être faites ; il en est de même de toutes les matières quelconques ; à quel titre établirait-on une exception pour les déclarations de succession ? Mais puisque l'on frappe le mobilier de l'impôt, il est impossible de ne pas permettre au fisc d’établir l'inexactitude de la déclaration par l'aveu et les dires de celui de qui elle émane. Sous ce rapport, je crois devoir maintenir la disposition en discussion, conforme à l'amendement que j'ai présenté. Il serait, du reste, bien insolite, selon moi, d'insérer dans une loi qu'on ne pourra pas même ordonner à un individu de s'expliquer en personne sur les faits d'une contestation qu'il soutient devant la justice.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Malou. - Je voudrais ajouter un seul mot : c'est que si la thèse de M. le ministre est fondée, les impôts peuvent facilement produire 4 ou 5 millions de plus.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Malou est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 22 est adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
En voici le résultat :
90 membres sont présents,
6 (MM. Lelièvre, Moxhon, Pierre, David, de Baillet-Latour et Deliège) s'abstiennent.
84 prennent part au vote,
57 votent pour l'adoption.
27 votent contre. (Note de bas de page : Lorsque ce chiffre a été proclamé par M. le président, plusieurs membres ont déclaré n’avoir entendu que 26 votes négatrifs, ce qui est conforme aux notes tenues par le sténographe).
La chambre adopte.
Ont voté pour : MM. Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Mascart, Moreau, Orts, Peers, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Verhaegen, Vermeire, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Cumont, Dautrebande, Debourdeaud'huy, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dedecker, de Denterghem, Delescluse, Delfosse, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, Desoer, de Steenhault et Delehaye.
Ont voté contre : MM.deTheux, de T'Serclaés, Dumon (Auguste), Dumortier, Jacques, Julliot, Landeloos, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vilain XIIII, Boulez, Clep, Coomans, de Baillet (Hyacinthe), de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere et de Renesse.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Lelièvre. - Je me suis abstenu parce que si la loi qui vient d'être votée contient, sous le rapport de la législation, de notables améliorations, le rejet de tout amendement en ce qui concerne la ligne directe ne me permet pas, ainsi que je l'ai annoncé, de donner un vote favorable au projet.
M. Moxhon. - J'ai fait valoir mes motifs, lors du vote sur le principe. Je les maintiens.
M. Pierre. - N'ayant pu assister à la discussion d'une partie importante de la loi, j'ai cru devoir m'abstenir.
M. David. - Lors du vote de l'article premier, j'ai donné mes motifs d'abstention ils sont les mêmes.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce qu'elle renferme des dispositions que j'approuve, et que j'en trouve le principe juste.
Je n'ai pas voulu voter pour, parce que d'une partie chiffre de la quotité au-dessous de laquelle on est exempté de l'impôt n'est pas assez élevé ; et que d'autre part la disposition relative auserment a été écartée. En fixant à 5,000 francs le chiffre de la quotité, et en adoptant le serment, les ressources que la loi doit procurer au trésor n'eussent pas été diminuées, les petits propriétaires eussent été épargnés, et on aurait fait contribuer les fortunes mobilières qui jusqu'ici échappent à l'impôt.
M. Deliége. - Je me suis abstenu à cause des dispositions sur le droit de succession en ligne directe. Je me suis expliqué à cet égard dans la séance de samedi. J'approuve, du reste, les autres dispositions du projet.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.