(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)
(Présidence de M. Verhaegen.)
(page 1268) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
La séance est ouverte.
M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Les membres du conseil communal de Bevel demandent que le gouvernement prenne à sa charge les dépenses nécessitées par la célébration d'une deuxième messe dans les communes qui sont privées d'un vicaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Roulers demande que la compagnie concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit autorisée à remplacer la section concédée de Courtray à Ypres par celle de Deynze à Ypres, traversant Thielt et Roulers. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal d'Oostvleteren demandent l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq.
« Même demande des membres des conseils communaux de Comines, Dickebusch, Wytschaele, Reninghelst ; des habitants d'Ypres, Wervicq, Crombeke, Poperinghe ; des commerçants, industriels et agriculteurs de Haringhe et de Beveren. »
- Même renvoi.
« Le sieur Moreau demande une loi qui rende saisissable partiellement la pension des officiers retraités, alors que cette pension dépasse un certain chiffre. »
- Même renvoi.
« Le sieur Deham, ancien chef de bureau au ministère de l'intérieur, directeur de la colonie de Nouvelle-Flandre en Pensylvanie, adresse à la chambre 110 exemplaires d'une brochure ayant pour titre : Conseils à l'émigrant belge aux Etats-Unis. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.
M. Vilain XIIII. - Messieurs, dans la séance de samedi dernier, l'honorable M. Vanden Branden de Reeth a signalé à l'attention de l'assemblée ce fait extraordinaire, qu'une loi, promulguée en 1843, n'est pas encore mise à exécution, à l'heure qu'il est. En effet, c'est presque un scandale qu'une loi d'impôt, qui date de huit ans, ne soit pas mise à exécution. Il faut que, pour cela, il y ait un motif tout à fait extraordinaire. Ce motif, c'est que la loi est inexécutable et impossible. Mais la plupart des membres de la chambre qui ne connaissent pas les localités, ne peuvent pas être éclairés parfaitement sur cette impossibilité, et je désirerais que la lumière pût se faire pour eux comme pour nous dans l'intervalle des sessions.
Il y a déjà cependant ce fait très remarquable, c'est que M. le ministre des finances actuel pas plus que ses prédécesseurs, et il faut le dire, à la louange de l'honorable M. Frère, il fait tous ses efforts pour faire produire aux lois d'impôt tout ce qu'elles peuvent produire ; il le fait avec une fermeté que nous ne pouvons qu'approuver ; eh bien, l'honorable M. Frère, pas plus que ses prédécesseurs, n'a mis la loi de 1843 à exécution ; n'est-ce pas déjà une présomption très grave de l'impossibilité de le faire ?
Je demande à MM. les ministres de l'intérieur et des finances qu'ils veuillent bien adresser à la chambre un rapport de nature à éclairer les membres de cette assemblée, et à leur faire comprendre pourquoi cette loi n'est pas mise à exécution.
Je n'entends nullement faire un reproche à ces deux ministres, en provoquant un rapport de leur part ; je n'ai d'autre but, en faisant ma demande, que de les prier de faire partager par la chambre la conviction où ils sont de l'impossibilité de mettre la loi à exécution ; et après cela d'acquérir de nouveaux droits à la reconnaissance de la Campine, en proposant l'abrogation de l'article 2 de la loi de 1843, qui sera, je n'en doute pas, le résultat du travail que je réclame.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, nous ferons volontiers à la chambre le rapport qu'on nous demande. Nous démontrerons que nous n'avons pas épargné les démarches pour arriver à l'exécution de la loi ; mais jusqu'à présent ces démarches n'ont pas atteint le but que nous désirions. Nous joindrons à ce rapport ceux de la commission qui a été nommée, dans le but d'arriver à l'exécution de la loi. Il est probable que la question se représentera, lorsqu'on discutera les divers travaux publics à exécuter dans le pays, et notamment les travaux de canalisation qui doivent encore être exécutés dans la Campine.
M. David. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de présenter un amendement, qui a un but diamétralement opposé à la proposition que vient de faire l'honorable M. Vilain XIIII. Je demanderai que mon amendement soit discuté ; peut-être jaillira-t-il de cette discussion quelques lumières sur la question. Je désire que la chambre ne prenne pas de décision sur le rapport que promet M. le ministre de l'intérieur.
M. Vilain XIIII. - Je ferai observer qu'il n'y a pas de résolution à prendre. J'ai demandé à M. le ministre de présenter un rapport dans l'intervalle qui s'écoulera entre la session actuelle et la session prochaine. M. le ministre consent à faire ce rapport, la chambre n'a pas à voter sur ma motion. Je ferai au surplus observer que la partie de la loi de 1843 dont nous poursuivons l'abrogation a été tuée moralement par le gouvernement. M. le ministre de l'intérieur l'a criblée de blessures mortelles lors de la discussion de la prise en considération de la proposition de M. Perceval. Elle est morte moralement ; il est impossible de la mettre à exécution. Je demande seulement qu'on l'enterre officiellement.
M. de Perceval. - Je suis d'avis, au contraire, que la loi du 10 février 1843 doit être appliquée. Je comptais prendre la parole dans la discussion pour prouver à l'assemblée que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth avait tort, dans mon opinion, de demander l'abrogation de cette loi. La législature qui a voté la loi dont il s'agit, n'a voulu la création du canal de la Campine qu'à condition que les propriétaires payassent une redevance. L'Etat a créé cette voie de communication, il s'est acquitté de ses devoirs ; il faut que les propriétaires remplissent aussi les obligations qu'ils ont contractées vis-à-vis du gouvernement.
L'article 2 de la loi du 10 février 1843 doit être appliqué ; et, selon moi, le ministère a eu le tort grave de ne pas mettre à exécution les prescriptions formelles que cette loi renferme.
M. Vilain XIIII. - Il faut mettre le ministre des finances en accusation.
M. Coomans. - Je ne redoute pas l'article additionnel proposé par M. David, et j'ai des raisons suffisantes de ne pas reculer devant l'examen de cette seconde édition du projet de loi présenté et retiré par M. de Perceval. Mais je ferai remarquer qu'il n'a pas trait au projet qui nous occupe, car il a pour objet de percevoir un impôt sur les bruyères défrichées, tandis que le projet de loi des 300,000 francs a pour but d'accorder des avantages aux défricheurs. D'autre part, la proposition de l'honorable député de Verviers est une aggravation des dispositions de la loi du 10 février 1843 dont nous demandons l'abrogation. Peut-être y aurait-il lieu de proposer la question préalable. (Interruption.) Nous ne le ferons pas. Nous sommes très convaincus que la chambre ne voudra pas accabler l'agriculture campinoise en étendant encore des dispositions exorbitantes du droit commun, et qu'elle reconnaîtra qu'il n'y a pas eu le moins du monde de la faute des divers ministères qui se sont succédé si cette loi inexécutable n'a pas été exécutée. C'est ce que nous démontrerons plus tard. (Interruption.) C'est ce que nous sommes prêts à démontrer aujourd'hui si on le désire ; mais la discussion pourrait se prolonger et se compliquer.
Il serait plus naturel que M. David attendît le rapport promis par M. le ministre de l'intérieur, tant pour éclairer la chambre que pour s'éclairer lui-même.
- Un membre. - M. David n'en a pas besoin.
M. Coomans. - Je m'engage à démontrer que l'honorable M. David ne connaît pas la situation des choses en Campine. Au reste, je répète que je ne m'oppose pas à ce qu'on joigne cet objet à celui qui est en discussion. Mais la chambre voudra bien reconnaître que je ne suis pas responsable du développement que pourra prendre le débat.
M. Veydt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la juridiction des consuls.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. David. - Avant d'entretenir la chambre de mon amendement, je commencerai par répondre un mot à l'honorable M. Coomans. Je dirai que la loi que nous discutons en ce moment imposant de nouveaux sacrifices au trésor dans l'intérêt de la Campine, je suis dans mon droit en faisant une proposition qui a pour but de faire entrer une minime indemnité dans la caisse de l'Etat.
Vous avez, messieurs, présents à la mémoire les développements clairs, précis et consciencieux qu'a donnés mon honorable collègue et ami M. de Perceval, en déposant sa proposition du 22 mars dernier sur le bureau de la chambre.
Les assertions et les chiffres si éloquents, contenus dans ce travail, étaient extraits des rapports des ingénieurs du gouvernement et de l'expose des motifs de la loi qui nous occupe en ce moment ; on ne saurait ainsi (page 1269) en contester l'exactitude et prétendre que M. de Perceval ait puisé ses renseignements à une source peu digne de foi ou intéressés à controuver des faits. Je me permettrai de vous citer quelques-uns des passages les plus concluants de ces rapports et exposé des motifs qui, suivant moi, étaient de nature à faire adopler, si pas le chiffre de la redevance proposée, au moins le principe d'une redevance quelconque.
« (page 133) Résultats de 1849. Le gazon s'est si prodigieusement développé par l'action de l'irrigation de l'automne 1848 et de celle du printemps de cette année, que la deuxième récolle a été de 60 p. c. supérieure à la précédente. Il est des parties où l'herbe a atteint la hauteur extraordinaire de 1 mètre 50 centimètres, et qui ont produit de 16,000 à 18,000 livres de foin par hectare (8,000 à 9,000 kilogrammes).
« Les faits que nous venons de relater ne présentent point la moindre exagération. On peut en vérifier l'exactitude en visitant les localités et en compulsant les actes du notaire Missotten, d'Overpelt. On pourra y constater ce qui suit :
« Que la vente des foins sur la superficie des 30 hectares précités, en 1848, a produit 2,600 fr. et la vente du regain 569 fr. 50. Total 3,169 fr. 50.
« Que la vente des foins des 50 hectares précités a produit cette année 3,560 fr. et la vente du regain 1,580 fr. Total 5,140 fr. »
« Ces résultats prouvent plus que tous les raisonnements possibles, et ils établissent d'une manière incontestable, que non seulement l'irrigation rend avec usure, au sol les engrais que les herbes y puisent, mais encore que les parties fertilisantes que l'eau amène améliorent d'une manière sensible le gazon qu'elle arrose...
« Du moment où le premier gazon a été formé, l'irrigation devient le seul stimulant nécessaire pour le maintien en parfait état de production, et à plus forte raison, s'il est fait usage des eaux de la Meuse…
« (page 138) Il suffira, pour créer le premier gazon d'une surface quelconque de prairie irrigable, de faire emploi, une seule fois, de l'engrais dont il doit être fait usage toutes les années pour entretenir une même surface de prairies naturelles ou non irrigables.
« (page 138) Il est possible de se dispenser de l'adjonction d'engrais à l'emploi des irrigations, si l'on veut ou si l'on peut étendre le laps de temps endéans lequel la prairie irrigable doit être créée. » Ce laps de temps est de quatre ans.
« Que fait le gouvernement dans cette dernière contrée ? Après y avoir creusé des canaux, qui coûtent des sommes considérables, il distribue gratuitement aux entrepreneurs des irrigations l'eau qu'à grands frais il a amenée près de leurs terres et qui ailleurs se vend à un prix élevé dans de semblables conditions. L'eau est le véritable amendement des sables campinaires. C'est celui qui a le plus d'efficacité sur ces terrains légers et arides. En le cédant gratuitement, après l'avoir lui-même payé fort cher, le gouvernement fait sans doute un sacrifice considérable en faveur de cette contrée. »
Le discours qu'a fait samedi l'honorable ministre de l'intérieur est venu de nouveau confirmer ce qui précède, lorsqu'il nous a dit que les irrigations en Campine avaient produit des résultats merveilleux, constatés même par des ingénieurs étrangers.
L'honorable M. de Perceval s'est trop hâté de retirer sa proposition ; amendée dans le sens de celle que j'ai l'honneur de soumettre à votre appréciation, elle eût été admise par vous, sans aucun doute.
Le premier argument, celui qui paraît le plus péremptoire, consiste à dire : Si l'on doit payer une redevance au bord du canal de la Campine pour l'augmentation de valeur des propriétés à la suite de la construction de ce canal, il faut, partout où des routes, canaux et chemins de fer ont été établis, faire payer une certaine plus-value aux propriétaires riverains de ces voies de communication.
Mais, et je vous prie de vouloir y faire une sérieuse attention, il faudrait, pour que cette prétention fût justifiable, que les avantages procurés aux propriétés riveraines, et par la canalisation de la Campine, et par les routes, canaux et chemins de fer dans d'autres localités, fussent de même nature. Personne daus le pays ne soutiendra qu'il en soit ainsi ; en effet, le canal de la Campine se borne-t-il à traverser les terres, les bruyères, les villages et à fournir seulement quelques facilités d'embarquement, de débarquement et de transport ? Non, messieurs ; ce canal, ou ces canaux plutôt font infiniment davantage : leurs eaux sont conduites à force d'argent puisé dans la caisse du trésor, et cela d'une manière permanente jusqu'à un bouleversement du globe terrestre, sur les prairies irrigables des particuliers, des associations et des communes, et ces eaux représentent au moins une somme annuelle de 60 fr. par hectare en faveur des propriétaires qui se trouvent dispensés de l'obligation d'y répandre chaque année de l'engrais pour une pareille valeur.
Pour qu'on pût assimiler les autres voies de communication du pays au canal de la Campine, il est évident pour moi, qu'il faudrait, après les avoir construites, assurer et fournir à jamais aux riverains les avantages particuliers à l'état de chacun, au laboureur le fumier nécessaire à sa culture, à l'ouvrier, à l'artisan et à l'industriel les outils, le combustible et l'éclairage indispensables à leur profession, et au rentier une augmentation de revenus.
De plus, messieurs, si vous autorisez les riverains du canal de la Campine à y faire gratuitement des prises d'eau pour leurs irrigations, vous ne pourrez interdire aux riverains des routes de les dépaver et aux voisins des chemins de fer d'en arracher les rails pour sa construire des chemins particuliers.
Une seconde objection est faite ; on prétend qu'en vendant les terrains préparés à l'irrigation ou irrigués déjà, le gouvernement comprend dans le prix de vente les dépenses faites pour amener les eaux sur les lieux ; c'est là une profonde erreur, il ne peut même en être ainsi. Comment, je vous le demande, le gouvernement aurait-il pu connaître tous les frais généraux faits et à faire pour la canalisation de la Campine ?
Quelle est d'abord la part dans les frais de construction de l'artère principale à supporter par l'agriculture ? Car cette artère, d'après la loi de février 1843, est agricole et commerciale. Quels ont été et quels seront encore les frais de personnel ? Enfin, quelles ont été et seront à l'avenir les dépenses pour dérivations et redressement de rivières et ruisseaux, pour canaux de recolement, pour augmentation de prises d'eau à la Meuse et autres rivières et ruisseaux, quelles ont été et seront les dépenses d'études et de nivellement et celles pour chemins empierrés, etc. ?
Ces calculs sont impossibles, messieurs ; le gouvernement n'est pas en mesure, surtout qu'il ne saurait prévoir le nombre d'hectares qui seront irrigués dans l'avenir, de supputer à chaque hectare irrigué en le vendant sa quote part dans tous les frais que je viens d'énumérer. Il ne peut s'en rembourser approximativement que par une redevance annuelle.
Une dernière considération sera objectée à ma proposition ; car on l'a déjà fait valoir contre celle de mon honorable ami M. de Perceval ; on dira : La mesure, si elle est adoptée, aura un effet rétroactif, elle est même en contradiction avec l'article 17 du cahier des charges des ventes de terrains irrigués, article qui assure l'eau gratuitement aux acquéreurs ; je ne répondrai qu'un mot à cette objection, et je dirai que cette clause du cahier des charges est nulle, radicalement nulle, parce qu'elle est contraire à la loi du 10 février 1843, dont voici les articles 2, 3 et 4. (L'orateur donne lecture de ces articles.)
Ainsi la clause 17 du cahier des charges n'étant pas valable, ma proposition ne consacre aucune espèce de rétroactivité.
Au reste, messieurs, si ma proposition était admise, je voterai sans répugnance l'abrogation de la loi du 10 février 1843 ; cette loi diffère dut tout au tout de ma proposition, elle n'a d'autre but et n'aura d'autre effet que de faire payer par les propriétaires de terrains irrigués une minime compensalion au trésor public, pour l'engrais leur fourni gratuitement maintenant chaque année par l'Etat ; ce sera la rémunération d'un service onéreux rendu.
Je demande que la redevance soit payée à partir de la troisième année de culture seulement, en voici les raisons :
Pendant ces trois années, les propriétaires des prairies irrigués jouiront gratuitement des bienfaits de l'eau d'arrosage fournie aux frais de l'Etat ; cette faveur de trois années, appréciée et réduite en argent, représentera une valeur bien supérieure à celle de la chaux distribuée à prix réduit dans le Luxembourg et la province de Namur, une fois, deux fois tout au plus, au même individu, pour le même terrain nouvellement défriché.
Ainsi posée, ma motion ne peut pas être taxée de partialité.
Plus les terrains irrigués se trouvent éloignés du canal principal de la Meuse à l'Escaut, et plus les facilités de transport et la valeur des terres diminueront ; j'ai donc pensé que la redevance devait être d'autant plus élevée que la situation des terrains était plus rapprochée du canal. Ce principe a été admis dans la loi du 10 février 1843.
J'ai l'espoir fondé, messieurs, que vous adopterez ma proposition, elle est loin d'imposer une redevance injuste aux irrigateurs de la Campine, elle ne met à leur charge qu'une modique indemnité pour un immense service rendu.
D'un autre côté, les besoins du trésor viennent de nouveau de vous être révélés, des lois d'impôts nous menacent, et certes, vous donnerez la préférence à des moyens de procurer des ressources à l'Etat, qui, comme celui que je présente, ne peuvent indisposer, que des personnes déraisonnables.
M. Osy. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour combattre la proposition que vient de développer l'honorable M. David ; mais d'après la proposition de l'honorable M. Vilain XIIII, à laquelle le gouvernement s'est rallié, il serait plus efficace pour la chambre d'attendre le rapport qui a été promis, et d'engager l'honorable M. David à attendre jusqu'à cette époque pour voir ce qu'il y aura à faire.
Pour ma part, je suis persuadé qu'on finira par rapporter l'article 2 de la loi du 10 février 1843. Si l'honorable M. David insiste, je prendrai la parole pour combattre sa proposition. Comme il y a très peu de chance qu'on s'en occupe dans cette occurrence, je préfère attendre que cette discussion soit introduite.
Déjà, il n'y a pas eu moyen de percevoir un droit minime de 2 francs ; l'honorable M. de Perceval avait demandé un droit de 30 fr. ; vous avez vu l'accueil que le gouvernement a fait à cette proposition.
M. de Perceval. - Elle n'a pas été disculée ; je l'ai retirée ; je voulais seulement le principe de la redevance.
M. Osy. - Je ne le conteste pas.
Aujourd'hui, il est vrai que l'honorable M. David veut un chiffre bien (page 1270) plus bas ; mais ce chiffre est beaucoup plus éléve que celui que nous avons décrété en 1843.
Je dis donc que j'attendrai la proposition de l'honorable M. David pour la combattre.
M. le président. - La proposition de M. David, ayant été appuyée, fait partie de la discussion.
M. Osy. - Après la clôture de la discussion générale, quand nous arriverons à la discussion de ce point séparé, je l'examinerai.
Je voulais également répondre aux deux discours prononcés samedi et hier par M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre nous a tracé un très beau tableau de ce que doit faire le gouvernement pour ne pas être un gouvernement inerte, réduit au rôle d'une gendarmerie qui doit assurer le maintien delà tranquillité dans le pays Je suis loin de vouloir que le gouvernement s'abaisse au point de borner à cela sa mission. Mais je crois qu'il lui reste une assez belle tâche en faisant des lois générales pour le pays, et qu'autant que possible il doit laisser les particuliers développer le commerce, l'industrie, l'agriculture, et qu'il doit s'en mêler le moins possible.,
En thèse générale, je suis hostile à l'intervention du gouvernement partout où peut suffire l'action des particuliers.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Moi aussi.
M. Osy. - Je ne suis pas aussi ridicule... j'emploie cette expression, parce que c'est celle dont M. le ministre de l'intérieur s'est servi à mon égard. (Dénégations de la part de M. le ministre de l'intérieur), M. le ministre l'a dit : le Moniteur en fait foi.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me suis servi de cette expression ; mais ce n'est pas celle que je vous ai appliquée.
M. Osy. - Soit, je ne suis pas aussi outré que de vouloir condamner le gouvernement à ne rien faire. Je reconnais qu'il lui appartient de faire les routes, les canaux et les chemins de fer qui sont encore nécessaires.
Je sais que, pour de tels travaux, on ne pourrait pas compter sur l'industrie particulière. Je reconnais que ce point présente des difficultés réelles.
Mais il y a une très grande différence entre l'exécution par le gouvernement des travaux qui sont dans ses attributions par la nature des choses et l'allocation, comme nous l'avons admise depuis cinq ans, de crédits in globo, et laissés à la disposition du gouvernement pendant un temps considérable sans aucune règle fixe.
M. le ministre de l'intérieur nous disait samedi qu'il ne savait pas où j'avais trouvé qu'il avait eu, depuis son entrée au ministère, une somme de 5 millions à dépenser. J'ai voulu examiner de nouveau si ce chiffre que je croyais exact l'était véritablement.,
Eh bien, j'ai trouvé que le crédit voté au mois d'avril 1847 était intact à la retraite de l'honorable M. de Theux ; c'est le ministère actuel qui a commencé à employer ce crédit.
En outre, nous avons voté, le 29 décembre 1847, un crédit de 500,000 francs.
Le 18 avril 1848, nous avons voté un crédit de 2 millions, et enfin par la loi du 20 juin nous avons voté un quatrième crédit d'un million. Voilà, messieurs, quatre millions.
Mais je vois dans le Moniteur que trois jours avant la retraite de l'honorable M. de Theux, il a été inséré un rapport sur un crédit de 2 millions mis à la disposition de cet honorable ministre, et qu'il a laissé sur crédit une somme de 1,194,000 fr. à rembourser. Ce rapport figure au Moniteur du 9 août 1847, trois jours avant la retraite de l'honorable M. de Theux.
Vous voyez, messieurs, qu'avec ces 1,200,000 francs le ministère a eu à sa disposition, depuis son entrée aux affaires, une somme de 5,200,000 francs.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'est pas rentré un liard de ces 1,200,000 fr.
- Un membre. - Ce n'est pas un fonds roulant.
M. Osy. - Le crédit de 2 millions était un fonds roulant dont le gouvernement pouvait également disposer pendant cinq ans. Le délai n'expire qu'à la fin de 1851 ; car le crédit a été mis à sa disposition à la fin de décembre 1846.
Le crédit, si je ne me trompe, était de 2 millions ; il devait être remboursé. Si depuis cette époque le gouvernement n'est pas parvenu à faire rembourser par les communes, c'est un fait qui vient fortifier mes arguments contre l'intervention de l'Etat. Car ce n'est pas seulement ces 1,200,000 fr. qui, comme vient de le dire M. le ministre en m'interrompant, n'ont pas été remboursés ; des sommes plus considérables encore, qui auraient dû rentrer au trésor, n'ont pas été remboursées.
Messieurs, je regrette, et je répète ce que j'ai dit samedi, la manière dont on a distribué ces 4 millions sur les crédits que nous avons ouverts au ministère.
L'honorable ministre de l'intérieur lui-même me faisait, samedi, un aveu que je dois vous rappeler. M. le ministre, en me répondant, disait : « Sans doute, messieurs, au milieu de circonstances difficiles, pressé de toutes parts par les sollicitations des communes, des individus, de nombreux collègues dans cette enceinte, il a pu arriver au gouvernement de faire quelques essais malheureux. »
Vovs voyez, messieurs, que c'est grâce aux sollicitations, comme je le disais samedi, que souvent on a fait des essais fâcheux.
Pour ma part, messieurs, depuis bien des années, j'ai été également sollicité de m’adresser au gouvernement ; voyant que le gouvernement, tant le ministère actuel que les autres, était si prodigue de subsides, on s’est souvent adressé à moi pour que je sollicite une part du gâteau. Eh bien, je m'y suis toujours refusé. Je n'ai jamais demandé à quelque ministère que ce soit une somme p»ur l'industrie privée. J'ai toujours répondu à mes amis : Je vais au parlement pour faire des lois générales et non pas pour y faire des affaires particulières.
C'est à tel point qu'ayant une part dans un navire qui devait aller en Australie, et pour l'affrètement duquel on voulait demander un subside au gouvernement, je me suis refusé à m'adresser au gouvernement. J'ai dit : Messieurs, je ne me mêle pas de ces affaires.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le subside a été donné et dans le temps on a subsidié aussi la navigation à vapeur sur Londres.
M. Osy. - Je ne suis pour rien dans ces affaires. J'avais une part dans le navire et j'ai refusé d'intervenir. Personne, ni sur les bancs ministériels ni ailleurs, ne peut dire que j'aie jamais demandé un subside quelconque ni pour mes amis ni pour moi.
M. le ministre me dit :Vous avez demandé un subside pour la navigation à vapeur. Naturellement, je suis président d'une société, et si cette société décide que le navire belge ne peut plus soutenir l'extrême concurrence que lui font les navires anglais ; si, par suite de cet état de choses, elle demande un subside, il faut bien qu'en ma qualité de président je signe la requête ; il est possible que cela ait eu lieu, mais jamais je ne me suis adressé personnellement au gouvernement pour demander quoi que ce soit. Je viens ici pour faire des lois générales dans l'intérêt de tous, et non pas pour soigner des intérêts particuliers. (Interruption.)
Vous pouvez m'interrompre, messieurs, tant que vous voulez ; ma conscience est parfaitement tranquille. Je ne suis pas de ceux qui, depuis 1848, ont, comme l'a dit M. le ministre de l'intérieur, sollicité le gouvernement pour avoir des subsides.
Je crois, messieurs, que le gouvernement doit cesser le plus tôt possible tous ces subsides, tous ces encouragements inutiles qu'il accorde sur tous les crédits encore ouverts. Il est plus que temps de rentrer dans la légalité et de ne plus faire de dépenses que sur les sommes portées au budget.
Messieurs, je n'insisterai pas davantage aujourd'hui sur ces divers objets ; j'attendrai le rapport de la commission des finances, et alors je m'expliquerai comme je l'ai fait sous tous les ministères. Je crois que j'ai rendu des services au pays en l'éclairant, sans voir la couleur politique à laquelle j'appartiens. Je continuerai à critiquer les dépenses mal faites, comme je l'ai fait sous les prédécesseurs de MM. les ministres actuels.
J'ai voté le crédit de 500,000 fr.pour les chemins vicinaux, et je crois que ce crédit, qui fait faire une dépense de 1,500,000 fr., avec les sommes accordées par les provinces et les particuliers, a procuré de très bons résultats et que nous pouvons nous dispenser d'intervenir dans les affaires particulières.
Je parlerai ultérieurement de dépenses qui ont été faites par le gouvernement et qui ne se trouvaient pas dans la loi de 1847.
L'honorable ministre de l'intérieur a dit hier que jamais, sous aucune administration, il n'y a eu moins de crédits extraordinaires, supplémentaires, etc., que sous le ministère actuel.
Dans la dernière session, nous en avons voté pour des sommes très importanles ; dans la session actuelle, il y a au moins cela de bon, c'est qu'au lieu de présenter les crédits à la fin de la session, on les présente dans le cours de la session, de manière que nous puissions les examiner avec attention. Cependant, les sommes qu'on nous demande sont encore très importantes cette année. Je ne parle pas du crédit pétitionné pour le département des travaux publics ; ce crédit est la conséquence des inondations. Nous avons déjà voté dans cette session pour 620,000 fr. de crédits supplémentaires, et nous en avons en sections pour une somme de 1,800,000 fr., dont 900,000 fr. pour le ministère de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur nous a signalé hier comme un fait remarquable que depuis vingt ans la chambre n'a jamais fait d'observations sur les comptes présentés par le gouvernement ; que, sur 2 milliards, 1,500 millions ont été apurés, et que cet apurement n'a donné lieu à aucune observation critique.
Je ferai remarquer que jusqu'à présent les comptes présentés par le gouvernement ont été des comptes purement sommaires. Ce n'est qu'en vertu de l'article 26 de la loi de comptabilité que le gouvernement est obligé de nous fournir des comptes spécifiés ; c'est à partir de l'année 1849 que nous devons voir tous les comptes à l'appui des dépenses et des recettes, et c'est alors seulement que nous pourrons examiner les comptes avec attention.
Mais il y a encore une grande raison pour laquelle les comptes rendus jusqu'à présent ont été rapportés si laconiquement. Jusqu'en 1842, c'était un honorable collègue, que nous avons malheureusement perdu, un député d'Ypres, qui était chargé de la vérification des comptes du gouvernement. Eh bien, jusqu'en 1842, on n'avait arrêté aucun compte depuis 1830 ; connaissant l'activité de mon honorable ami, M. de Man, j'ai engagé des membres de la chambre de le nommer membre de la commission des finances ; c'est grâce à lui qu'en très peu d'années la chambre a pu statuer sur les comptes des exercices arriérés, jusqu'à celui de 1843, je pense. Le gouvernement est en retard de nous présenter les comptes de 1845 et de 1846.
Je reviens à la loi en discussion.
(page 1371) La loi de 1847 avait pour but de faire entrer dans le domaine public la masse de bruyères qui ne produisent rien tant pour le fisc que pour les propriétaires. Comme l’honorable M. Rogier, j’appelle cette loi une belle loi ; mais j’aurais voulu que l’on eût continué de l’exécuter dans le sens que la législature y avait attaché. Le but était de contraindre les communes à vendre leurs bruyères, leurs terres incultes, pour les faire rentrer dans le domaine public : et, en cas de refus, d’autoriser le gouvernement à exproprier et à mettre ces bruyères en vente publique, on donnait des subsides aux communes pour irriguer et fdéfricher leurs terres incultes.
Or, M. le ministre ele l'intérieur l'a dit, il n'y a jusqu'à présent qu'une seule commune du Limbourg qui se soit refusée à l'expropriation et à la vente de ses bruyères ; de manière que je ne vois pas pourquoi le gouvernement a dû tant se préoccuper des irrigations.
Je trouve dans un rapport de M. Kummer du mois d'avril 150, que le gouvernement avait déjà, à cette époque, irrigué 1,300 hectares, que depuis le gouvernement a déjà revendu 958 hectares, et qu'il lui en restait 362. Je conçois que dans différentes localités de la Campine le gouvernement pouvait utilement montrer comment devaient se faire les irrigations ; mais depuis que des sociétés se sont formées pour acheter les bruyères des communes, je ne vois pas pourquoi le gouvernement devrait continuer à faire ces irrigations.
Je crois que le gouvernement doit se borner à faire des prises d'eau pour que chacun puisse irriguer. Vous me direz que le gouvernement n'est pas tenu à cela ; mais je répondrai tout de suite que le gouvernement force les communes de mettre dans les conditions de vente cette clause qu'on doit, après un certain temps, irriguer ; il faut donc bien que le gouvernement donne de l'eau, pour que les irrigations puissent se faire.
Je pense que maintenant qu'on a fait tant d'expériences dans la Campine, il est plus que temps que le gouvernement s'arrête et laisse aux particuliers, autant que possible, le soin d'irriguer et de défricher les bruyères. C'est pour cela, qu'à mon avis, la somme de 224,000 francs, restant à rentrer sur le crédit de 1847, est suffisante, comme l'a très bien développé l'honorable M. David, pour tous les travaux que nous désirons dans la Campine.
Il me reste à entretenir la chambre des dépenses qui ont été faites, du chef de la chaux. J'ai relu avec attention la discussion de 1847, et je n'y ai pas trouvé un mot qui tendît à engager le gouvernement à distribuer de la chaux dans le Luxembourg, dans la province de Namur et dans d'autres provinces qui ont encore des terres incultes.
Je ne désapprouve pas en lui-même l'emploi de la chaux pour les terres ; mais comme cela n'était pas compris dans la loi, c'était au gouvernement à nous présenter un projet de loi spécial, pour s'enquérir si c'était l'opinion de la chambre, qu'il y eût lieu de vendre, avec une aussi grande perte, la chaux à fournir aux particuliers.
J'ai recherché à combien se montait cette perte. J'ai trouvé qu'en 1849 on a délivré 100,000 hectolitres de chaux dans la province de Luxembourg, à une perte de 50 p. c., à prendre soit dans les dépôts, soit dans les fours que désignait le gouvernement.
Le gouvernement faisait donc un sacrifice de 50 p. c. Celle prime a coûté 58 mille francs. Le gouvernement a réduit cette prime de 50 p.c. il a vu que l'appétit venait en mangeant, parce que non seulement toutes les communes du Luxembourg, mais du Limbourg, de la province de Liège qui avaient des bruyères, allaient demander des dépôts de chaux au même prix. Le gouvernement, voyant que les demandes s'étaient élevées à 300,000 hectolitres de 104,000 qu'elles avaient été la première année, a réduit la perte qu'il faisait à 30 p. c. au lieu de 50, de manière que le gouvernement, de ce chef, a encore sacrifié 30 p. c.
Il faudrait une loi et non un simple crédit global pour pouvoir faire des dépenses pareielles. Vous remarqurez que le gouvernement, après les événements de 1848, sans loi spéciale, a trouvé convenable de donner des primes de sortie aux toiles, aux cotons. Moi j'ai dit à plusieurs reprises que c'était un mauvais système.
Cependant j'aimerais mieux donner des primes de sortie en vertu d'une loi, parce qu'alors tout le monde se trouve sur la même ligne, tandis que quand elles sont données au moyen d'un subside, il y a des favorisés.
Pendant deux ans et demi, le gouvernement a donné des primes pour les toiles et les cotons, et tout à coup il change de système, et déclare qu'il ne donnera plus de primes ; en présence de cette déclaration, j'ai cru que le gouvernement aurait un système unique pour toutes les industries.
Or, les toiles et les cotons ne reçoivent plus de prime, et on continue à en donner à des cultivateurs au moyen de la chaux. C'est une chose sur laquelle on devrait consulter la chambre, si l'on veut continuer ce système.
A l'occasion d'une pétition, la chambre entière, à 14 membres près qui ne se sont pas levés, a déclaré qu'on n'accorderait plus de primes à l'industrie. Pour pouvoir continuer les primes que vous donnez en distributions de chaux à prix réduit, il faut que vous consultiez la chambre ; vous verrez si elle y consent. En donnant des primes sur des crédits globaux, nous ne pouvons en faire la critique qu'après la dépense ; moi je préfère la faire avant la dépense.
Je dirai aussi quelques mots sur le drainage. Le gouvernement a parfaiteent fait de stimuler les propriétaires pour que les terres humides puissent être drainées comme en Angleterre ; mais le gouvernement aurait du se borner à faire venir d'Angleterre des modèles de tuyaux et de machines, et à y envoyer un ingénieur qui aurait expliqué comment la chose se pratique. Au lieu de cela, on a donné des subsides à des potiers ; on a subsidié douze poteries qui font des tuyaux pour le drainage. Si vous donnez des subsides à l'un, vous mettez son voisin dans l'impossibilité de lutter avec lui. Dans le crédit que nous discutons actuellement, on demande encore 12,000 fr. pour subsidier des poteries. Je demande si c'est là de l'argent bien employé, s'il n'est pas plus que temps de mettre un terme à ces subsides.
Si le gouvernement s'était borné à faire venir des modèles, tous les industriels eussent été sur la même ligne. Je trouve mauvais qu'on ait fixé un maximum de prix pour la vente de ces tuyaux.
Il me reste quelques mots à dire sur une dépense faite dans la province d'Anvers. M. le ministre a eu l'air de me dire : Désapprouvez-vous les dépenses faites pour Lillo ? C'est un polder qui a souffert pour tout le monde, en 1840. Certainement, c'est dans ce sens que la chambre a décrété en 1843 et 1844 une somme de 7,000 francs pour venir en aide aux personnes qui avaient souffert des inondations ; tous les habitants ont dû se réfugier sur les digues.
Le gouvernement a bien fait de leur venir en aide ; j'ajouterai qu'en votant la loi de 1847 qui contient une allocation de 150 mille francs pour la colonisation, la chambre a engagé le gouvernement à faire en sorte que ces malheureux, qui occupent de misérables réduits sur les digues, puisssent rentrer dans le polder. J'approuve le travail fait sur ce point par le gouvernement, mais, je trouve qu'il aurait mieux fait de terminer la réparation de cette calamité avant d'entreprendre autre chose.
Il me reste à parler d'une dépense relative aux terres de Calmpthout. Le gouvernement a dit que pour un travail qui avait duré trois ans il n'avait dépensé que 14 mille francs ; mais on ne compte pas le traitement des ingénieurs, piqueurs, surveillants, de manière que la somme serait beaucoup l'us considérable. Vous direz qu'il fallait également les employer. Mais si vous les employez à cet objet, il faut prendre d'autres ingénieuis pour les services publics. Je connais cette affaire. Une société a rêvé, il y a eu beaucoup de rêves semblables dans les sociétés, une société a rêvé de faire un canal pour amener l'eau de l'Escaut sur le plateau de Calmpthout qui est à une distance de 4 lieues.
Au lieu de faire des plans et de les soumettre au gouvernement en demandant la concession, cette société ne fait rien ; c'est le gouvernement qui se charge de faire les travaux de nivellement pour savoir s'il est possible de faire un canal ele l'Escaut jusqu'aux bruyères de la Campine du côté d'Anvers.
Il n'était pas nécessaire de faire tant de travaux pour cela ; tout le monde savait bien que c'était une chimère.
Ce sont des dépenses que le gouvernement a faites inutilement. Quand on demande la concession d'un canal ou d'un chemin de fer, c'est au demandeur de concession à faire le travail. Le gouvernement l'examine et voit s'il doit accorder la concession.
Comme on l'a vu, le canal n'a pas pu se faire. La société voulait survivre ; elle a demandé le transport du limon de l'Escaut sur les bruyères, au moyen d'un chemin de fer. Nouveau travail du gouvernement pour voir s'il y a moyen de faire ce chemin de fer.
Si, avant de commencer les travaux, le gouvernement avait fait une enquête, il aurait appris que la chambre de commerce d'Anvers et tous les propriétaires intéressés ont protesté contre la spoliation dont on voulait les rendre victimes ; car le limon, qui est auprès de la digue, appartient aux propriétaires. On devait donc les exproprier, pour avoir le limon, et réaliser ainsi un bénéfice de 15 p. c. ; car j'ai les pièces où l'on dit que le bénéfice sera de 15 p. c. par an.
Vous voyez que le gouvernement, avant de faire des dépenses, devait connaître les prospectus des sociétés et les examiner.
Je maintiens qu’un arpenteur qui pourrait en apprendre beaucoup aux ingénieurs du gouvernement m’a dit qu’il aurait fait, moyennant 500 fr., l’ouvrage nécessaire pour connaître le niveau de l’Escaut à Calmpthout, ouvrage auquel le gouvernement a employé 3 années.
Je persiste à penser que le gouvernement ne devrait pas faire de dépenses, avant qu’une société concessionnaire n’eût fait le travail. Il devrait avant tout faire une enquête de commode et incommodo, et s’assurer ainsi qu’il n’y a pas d’opposition, qu’il n'y a pas d'impossibilité. Je ne puis approuver la dépense qui a été faite.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, ayant déjà parlé deux fois, très longuement, j'auriis voulu me dispenser de prendre de nouveau la parole ; cependant devant les assertions de l'honorable préopinant, assertions presentées sérieusement, je pense, il m'est impossible de garder le silence. Je m'arrêterai à quelques faits seulement.
L'honorable préopinant avait anuoncé que le gouvernement avait à sa disposition une somme de cinq millions. Je lui ai demandé quels étaient les éléments de cette somme. Je ne les aurais pas devinés.
L'honorable préopinant m'altribue d'abord une somme de 500,000 qui ne m'a pas été votée, qui a été votée à l'honorable M. de Theux, en 1847, pour l'exécution de la loi des défrichements. Il pretend que cette somme ne se trouvait nullement entamée quand je suis arrivé à l'administration ; l'honorable M. de Theux aura à répoudre sur ce point. Il est impossible que la sommesoit restée intacte depuis le mois de mars (page 1272) qu’au mois d’août. En second lieu, dans les prétendus cinq millions qui se trouvent à ma disposition, l’honorable M. Osy fait figurer une somme de 1,200,000 fr. qui devait rentrer sur les deux millions mis à la disposition de mes prédécesseurs. Je ferai un appel à mes prédécesseurs pour savoir si jamais ils ont compté comme ressources probables, devant rentrer prochainement au trésor les sommes qu'il ont distribuées à cette époque. L'honorable M. Osy s'est donc gravement trompé, il le reconnaîtra lui-même, en déclarant que le gouvernement était en possession d'une somme de cinq millions.
Il s'est trompé seulement de 1,500,000 francs. Les sommes mises à ma disposition sont : 500,000 au mois de décembre 1847 :2,000,000 au mois de mars de l'année 1848, et 1 million de francs au mois de juin 1849, c'est donc 3,500,000 francs. A entendre l'honorable préopinant, cette somme aurait reçu une destination fâcheuse, aurait été distribuée en quelque sorte en gratifications personnelles ; son premier discours et celui qu'il vient de prononcer se résument en reproches adressés à l'administration sur le mauvais usage qu'elle aurait fait des fonds mis à sa disposition. J'ai rendu compte du fonds de 500,000 fr., du fonds de 2,000,000, et du fonds de 1,000,000 mis à ma disposition.
Je ne veux pas anticiper sur la discussion à laquelle donnera lieu le compte rendu par la commission des finances des rapports que j'ai soumis à la chambre ; mais je prie la chambre de se prémunir contre ces sortes d'accusations dont l'honorable M. Osy se montre beaucoup trop prodigue. Il n'est pas exact que ces fonds ont été distribués en espèces de gratifications, de rémunérations personnelles.
Les rétributions à titre personnel, les sommes affectées à des individus comme individus sont nulles. Les sommes dépensées l'ont été en général par l'intermédiaire des provinces et des communes, ainsi que je l'avais annoncé, ou dans un but d'utilité publique ; quant à une seule rétribution, à titre de rémunération personnelle, je défie que l'honorable préopinant qui examine d'ordinaire avec grand soin les pièces qui passent sous ses yeux, de rencontrer une seule somme à laquelle il puisse attribuer ce caractère de faveur personnelle.
Des individus ont reçu des subsides, mais chaque fois il y avait des motifs d'utilité publique.
J'ai parlé de sollicitations personnelles ; mais par là je n'ai pas voulu accuser mes honorables collègues de solliciter en faveur d'intérêts particuliers. Mes honorables collègues lorsqu'ils ont engagé le gouvernement à accorder certains subsides à des industriels l'ont fait dans des vues d'utilité publique, ils ne l'ont pas engagé à donner à titre de gratifications personnelles, des subsides, des sommes quelconques.
D'ailleurs, les sommes ont été en majeure partie absorbées par des travaux de voirie vicinale, par des travaux d'hygiène publique. Ces subsides ont été distribués par l'intermédiaire des communes. Certains subsides non pas considérables ont été accordés à des industriels, à des commerçants qui ont fait des entreprises utiles. Plusieurs des sommes accordées l'ont été à condition de remboursement. Plusieurs ont été remboursées.
J'ai dit que dans le nombre des subsides qui ont été accordés, le gouvernement n'a pas toujours réussi. Mais l'honorable M. Osy, qui a fait beaucoup d'affaires dans sa vie, voudra bien reconnaître qu'il à traité certaines affaires d'une manière moins heureuse que d'autres, qu'il n'a pas toujours parfaitement réussi dans tout ce qu'il a entrepris.
On a parlé de « gaspillages » : on s'est servi de cette expression qu'on a ramassée, je ne sais où. Eh bien, j'engage l'honorable M. Osy à vouloir bien préciser les faits, à déterminer l'emploi de ces sommes qu'il présente comme ayant été gaspillées. De pareilles accusations, laissées dans le vague, ne sont pas dignes de la franchise de l'honorable préopinant.
L'honorable M. Osy a dit que c'est contrairement à l'esprit de la loi sur les défrichements que des dépôts de chaux ont été faits dans les Ardennes, qu'il n'en a pas été dit un mot dans la discussion. J'ai le compte rendu de la discussion sous les yeux : plusieurs membres ont parlé de la nécessité, de la convenance, de la justice de faire pour les Ardennes l'équivalent de ce qu'on faisait pour la Campine, et d'y distribuer de la chaux.
Mon honorable collègue et ami M. d’Hoffschmidt a fait deux discours sur cette question. L'honorable député de Dinant d'alors, M. Pirson, a fortement insisté pour la distribution de cet engrais dans la province de Namur. Il a donc été question de la distribution de chaux dans la discussion. A diverses reprises, plusieurs orateurs en ont parlé très longuement. Et l'on vient dire qu'il n'en a pas été question dans la discussion ! Du reste, n'en eût-il été dit aucun mot, cela n'aurait pas dû empêcher le gouvernement, s'étant convaincu de l'utilité, de l'efficacité de cet engrais, de procéder à la distribution de ce moyen de fertilisation reconnu aussi utile pour les terres ardennaises que la distribution de l'eau est reconnue utile pour les terres de la Campine.
Je ne sais pas, messieurs, par quels motifs l'on voudrait aujourd'hui établir cette distinction entre les terres schisteuses et les terres sablonneuses. Les unes et les autres ont également droit à notre sollicitude, et pour ma part je ne vois pas plus de raison de fertiliser la Campine que de fertiliser les Ardennes. Ces deux pavs sont également dignes de notre sollicitude.
On a été jusqu'à supposer que nous distribuions par faveur personnelle et spéciale la chaux aux cultivateurs. Eh bien, toute la faveur consiste en ceci. C'est que les cultivateurs se font inscrire dans la commune et que tous sont admis à venir chercher la chaux à prix réduit au dépôt qui leur est indiqué. Voilà ce qui se passe. On accepte également tout le monde, on suit l'ordre des inscriptions faites à la commune,
Faisant descendre cette discussion dans les détails les plus minimes, l'on vient me reprocher un subside que j'aurais accordé à un potier. Eh bien, je crois me rappeler qu'une avance a été faite à un industriel. Cette avance a été faite dans une vue d'intérêt public. L'industrie du drainage, l'art de faire des drains, des tuyaux destinés au drainage était une industrie nouvelle dans le pays.
Je me suis adressé à un industriel capable, en le chargeant de faire les premiers tuyaux qui serviraient de modèle pour les autres. Une avance lui a été faite, le gouvernement rentrera probablement dans cette avance. Voilà, messieurs, ce que le gouvernement a fait.
Le gouvernement a cherché à faire connaître aux autres fabricants du pays une industrie qui n'était pas encore connue, et c'est ce qui l'a engagé à faire une avance à un potier des environs de Bruxelles. Depuis lors l'art de faire des drains s'est répandu dans le pays. Il s'est répandu par imitation et grâce à un certain nombre de machines que le gouvernement, suivant le conseil que vient de nous donner l'honorable M. Osy, a fait venir d'Angleterre. Ces machines sont maintenant construites dans le pays, et quand l'industrie privée, à la suite des stimulants que lui a donnés le gouvernement, fera ce qu'elle s'est abstenue de faire jusque-là, je le répète le gouvernement s'abstiendra, il laissera l'industrie faire les machines à fabriquer les drains, et il ne s'en occupeca plus.
Je croirais abuser des moments de la chambre, si je m'étendais plus longtemps sur de pareils détails. Je me réserve de prendre la parole encore sur l'amendement de l'honorable M. David que je ne saurais admettre en aucune manière. Il est la reproduction de la pensée de l'honorable M. de Perceval. Les raisons que j'ai fait valoir il y a quelque temps contre la proposition de l'honorable M. de Perceval, j'aurai à les reproduire contre celle de l'honorable M. David.
M. Mascart. - Messieurs, décidé à voter contre le projet de loi s'il n'est pas modifié, je m'occuperai du drainage d'abord, de la chaux ensuite, afin de justifier la résolution que j'ai prise.
L'exposé des motifs est sobre de renseignements. Il faut les chercher dans les pièces qui nous ont été distribuées précédemment, si on veut se faire une idée bien claire des besoins auxquels le gouvernement veut satisfaire et des dépenses dans lesquelles il s'engage.
Dans les rapports adressés à M. le ministre de l'intérieur par l'ingénieur Leclerc on lit : « que le pays a accueilli avec bienveillance les mesures prises par le gouvernement, pour importer en Belgique et répandre dans les campagnes la pratique de l'assainissement des terrains humides par les méthodes anglaises, qu'il n'y a pas assez de machines pour suffire aux besoins des nombreux cultivateurs qui attendent impatiemment des tuyaux pour appliquer le drainage à leurs terres. »
A la suite de ces déclarations se trouve le relevé du drainage exécuté avec le concours de l'Etat.
Au 31 août 1850, 45 agriculteurs avaient consenti à laisser drainer leurs propriétés, à la condition que le gouvernement ferait les frais des drains.
Cet exemple en a décidé six autres, toujours aux mêmes conditions, c'est-à-dire aux frais des contribuables.
Depuis le mois d'août 1850 jusqu'à la fin de l'année, le même rapport nous indique d'autres travaux exécutés à la demande des comices sur une étendue de 12 hectares 34 ares et pour lesquels l'Etat a contribué dans la dépense, dans la proportion de 50 p. c.
Mais cette proportion n'est pas la même pour tous. Ainsi dans le Brabant, dans deux localités voisines, l'Etat intervient, d'un côté pour 30 et de l'autre pour 70 p. c, alors que ces deux localités sont situées à la même distance de la capitale et que les moyens de communication sont également faciles.
Je concevrais parfaitement que le gouvernement intervînt pour la plus forte part s'il s'agissait de faire connaître, dans une contrée écartée, le système qu'il a à cœur d'introduire dans le pays. Je concevrais alors qu'il intervînt pour 70 p. c. surtout si l'état de fortune du propriétaire ne lui permettait pas de faire un sacrifice. Mais aux portes de Bruxelles, je ne le comprends pas, puisque le pays a fait un accueil si favorable au drainage, et que les fabriques ne suffisent pas aux commandes qui leur sont adressées.
En 1849 et en 1850 on a drainé en 56 opérations une étendue de plus de 82 hectares. Il me semble donc qu'on pourrait se borner, maintenant que les bonnes méthodes ont été pratiquées sur un grand nombre de points, à mettre les employés du gouvernement à la disposition des amateurs et à fournir des machines à fabriquer des drains, si les 12 fournées ne suffirent pas aux commandes, comme on le prétend.
Mais si je désire que l'intervention du gouvernement soit limitée dans les opérations qui ont pour objet l'assèchement des terres des particuliers, je n'en veux pas pour l'établissement des dépôts de chaux, parce que cette intervention constitue une faveur particulière, qu'elle est dangereuse par les conséquences qu'elle peut avoir et qu'elle doit nécessairement donner lieu à de nombreux abus. Je n'en veux pas surtout parce qu'elle compromettrait le mouvement imprimé à la Campine sans obtenir ailleurs de résultat permanent et fructueux.
Il esl évident, messieurs, si le projet du gouvernement était adopté sans un amendement, spécialisant la quotité de chaque nature de dépenses, il est évident, dis-je, que les dépôts de chaux absorberaient pendant la période de cinq ans la presque totalité du crédit, sinon le tout.
(page 1275) L'exposé des motifs, page 4, porte à 15 fr. par hectare le sacrifice fait par l'Etat.
Mais dans un autre document, dans le compte rendu en exécution de la loi du 25 mars 1847, la dépense indiquée est bien autrement considérable.
En 1849, pour 1,400 hectares, à raison de 100 hectolitres par hectare, la province de Luxembourg a réclamé 140,000 hectolitre de chaux fusée. Or l'Etat, faisant en moyenne un sacrifice de 56 centimes par hectolitre ou de 56 fr. par hectare, la dépense a dû s'élever à 78,400 fr.
Ajoutez-y les quantités réclamées par les provinces d'Anvers et de Namur et vous arrivez à une dépense de 100,000 fr.
L'action de la chaux dans les terres froides et indolentes de l'Ardenne se fera sentir pendant 8 ans au plus. L'Etat fera donc un sacrifice de 7 francs par hectare annuellement. A l'expiration de la huitième année, si le même sacrifice n'est pas renouvelé, la terre redeviendra ce qu'elle était précédemment, lande ou bruyère, la cause devant cesser avec l'effet.
Il est vrai qu'un arrêté du 26 août 1850 a réduit la remise à 25 centimes par hectolitre de chaux en pierres à l'égard de certaines localités, mais cette réduction ne paraît pas devoir diminuer sensiblement les charges du trésor puisqu'une somme de 77,000 francs est encore jugée nécessaire en 1851.
Elle ne le sera pas longtemps, parce que l'utilité de la chaux en agriculture étant reconnue, de nouvelles demandes seront faites qui élèveront la dépense à 150,000 francs et plus. Alors que reste-t-il du crédit pour continuer l'admirable système d'irrigation appliqué à la Campine ? Rien, si vous n'en accordez pas un nouveau. De nouvelles charges pour les contribuables ne pourront être évitées.
Aujourd'hui, l'Etal fournit de la chaux au Luxembourg et à Namur, du plâtre dans les Flandres. Demain on lui demandera des cendres dans le Limbourg, de la suie ailleurs. Où s'arrêtera-t-il pour qu'il n'y ait pas de partialité, et dans quelle dépense ne serons-nous pas entraînés ?
Le moyen employé pour fertiliser les terres de la Campine est d'une nature tout autre.
En créant le canal, on a mis à la disposition des propriétaires du sol un moyen permanent d'améliorations. Il suffit d'ouvrir une écluse pour convertir des bruyères arides en prairies fertiles, sans que l'Etat soit perpétuellement obligé àfaire des frais de toute espèce.
Que le gouvernement exécute de grands travaux d'utilité publique qui facilitent la production, rien de mieux. Mais quand, au lieu de créer des routes, des canaux, des chemins de fer, il descend dans les détails de la production, quand il multiplie ses agents pour obtenir des résultats peu importants, il se compromet inévitablement. C'est une voie dans laquelle je regrette de ne pouvoir le suivre.
M. Faignart. - Messieurs, de nombreux subsides ayant été accordés à différentes industries, je crois devoir, à mon tour, donner mon faible appui à la demande de crédit pétitionné par M. le ministre de l'intérieur, en faveur de l'agriculture.
Bien qu'en général je ne sois point partisan des entreprises par l'Etat, je pense qu'il est du devoir du gouvernement de faire pour l'industrie agricole ce qu'il a fait pour les autres industries.
On ne peut se dissimuler que l'intervention de l'Etat a fait faire un grand pas aux perfectionnements agricoles. Je l'engage à continuer son œuvre, en propageant, autant qu'il est en son pouvoir, les améliorations reconnues utiles.
Je ne parlerai pas des défrichements et des irrigations de la Campine que je connais peu ; mais il y a un objet qui mérite toute la sollicitude du gouvernement ; je veux parler du drainage. Il est incontestable que si le gouvernement n'en eût encouragé l'application, il eût fallu aux particuliers au moins dix ans pour l'amener au point où il est arrivé aujourd'hui.
Je crois inutile de démontrer l'immense avantage de ce système d'assèchement appliqué aux terres arables et aux prairies.
Si dans cette enceinte il se trouvait encore des incrédules, je pourrais leur donner tous les renseignements désirables à ce sujet.
Messieurs, j'ai entendu hier critiquer les dépôts de chaux dans le Luxembourg, l'honorable orateur a dit de plus que l'on ne devrait en faciliter l'emploi que pour les terrains à défricher.
C'est là, à mon avis, une grande erreur ; il est reconnu que les terres à labour des Ardennes ne produisent point de plantes fourragères si elles n'ont été préalablement amendées au moyen de la chaux ; or, si vous employez cette chaux uniquement sur une terre que vous voulez défricher, ce défrichement prive votre bétail d'un pâturage que vous ne sauriez remplacer, puisque vos terres cultivées ne peuvent produire de fourrages avant d'y avoir employé la chaux ; il se trouve donc qu'au lieu d'augmenter le nombre de vos bestiaux, vous êtes forcés de le restreindre, et par conséquent, vous diminuez vos engrais.
Je suis d'avis, au contraire, qu'avant de procéder aux défrichements, l'on doit s'attacher à faire produire aux terres incultes la plus grande quantité possible de plantes fourragères et de racines ; c'est l'unique moyen de défricher avec succès,car plus vous avez de terrains en culture, plus il faut d'engrais.
Je demande donc que le gouvernement continue à faciliter l'emploi de la chaux sur toutes les terres indistinctement.
Ceci m'amène à faire une remarque à M. le ministre de l'intérieur. Si je suis bien informé, tout cultivateur peut obtenir, à prix réduit, cent hectolitres de chaux, soit qu'il cultive dix, vingt, cent ou deux cents hectares. Le cultivateur de dix hectares n'a certainement pas besoin de 100 hectolitres de chaux et celui qui en cultive cent n'en a pas assez ; il me paraît que l'on devrait fixer un nombre d'hectolitres par dix hectares ; de cette manière, celui qui cultive cent hectares pourrait disposer d'une quantité proportionnée à ses besoins.
Je termine, messieurs, en vous faisant remarquer que l’industrie agricole est en ce moment dans un état de malaise difficile à dépeindre ; vous savez tous que le bas prix auquel sont tombées les céréales est loin d'être rémunérateur, tous les produits sont à vil prix, et si le gouvernement est venu au secours d'autres industries dans des moments de crise, ne paralysez pas son action en ce qui concerne l'agriculture ; car elle se trouve dans un état déplorable,
M. Malou. - Messieurs, je tiens simplement à rétablir un fait.
Le fonds roulant à la disposition du gouvernement, est actuellement, selon moi, si le crédit en discussion est accordé, de 4,300,000 fr. Voiei comment je l'établis ; je prends ces chiffres dans le rapport de la section centrale.
Il y a d'abord le crédit accorde par la loi du 20 décembre 1846 ; il est de 450,000 fr.
Il y a ensuite 350,000 fr. accordes par la loi du 25 mars 1847 ; le crédit de 2 millions accordé par la loi du 18 avril 1848 ; le crédit de un million accordé par la loi du 21 juin 1849 ; ensemble 3,800,000 fr. ; plus les 500,000 fr. qui nous sont demandés.
Je crois, messieurs, qu'il y a de graves inconvénients à maintenir d'une manière permanente des fonds roulants aussi considérables. La situation financière ne peut évidemment pas être définie. Ce sont des fonds roulants sur lesquels on opère des payements définitifs, et dont on remploie une partie lorsqu'ils rentrent. Mais je crois que si ces fonds continuent à rouler pendant quelques années encore, il n'en rentrera plus grand'chose. Je crois que nous pourrions, pour bien établir la situation financière, considérer qu'en définitif ces fonds roulants seront dépensés. Nous en trouvons une preuve dans les développements qui ont déjà été donnés.
Messieurs, l'honorable M. Osy et l'honorable ministre de l'intérieur m'ont paru être tombés, en ce qui concerne les crédits accordés pendant la crise des subsistances, dans deux erreurs contradictoires.
M. le ministre de l'intérieur suppose ou paraît supposer que ces prêts remboursables faits à concurrence de 1,200,000 fr. en vertu de la seconde loi, et de 1,500,000 fr. en vertu de la première loi, ne devraient jamais être remboursés. Je crois le contraire ; je crois que, non dès aujourd'hui, mais dans d'autres circonstances, le gouvernement devra, au fur et à mesure que la situation des communes, des provinces et des établissements subsidiés, viendra à s'améliorer, s'attacher à faire rentrer ces sommes. Elles ne rentreront peut-être que très lentement, que successivement. Mais, messieurs, nous avons une analogie. Pendant plusieurs années nous avons eu à nos budgets, depuis 1830, des rentrées, des recouvrements faits à raison de subsides qui avaient été accordés sous l'empire, dans la crise alimentaire de 1812, et tous le gouvernement des Pays-Bas en 1816 et en 1817.
Je me rappelle parfaitement qu'en 1846 et 1847 des rentrées ont été effectuées du chef de prêts qui dataient de 1817, entre autres à la ville de Gand, et, si je ne me trompe, à la ville de Namur ; mais mes souvenirs peuvent être inexacts sur les détails.
La pensée qui nous a dirigés en n'accordant que des prêts remboursables, était, d'une part, de nous assurer de la nécessité des besoins qui se seraient produits avec une plus grande intensité, s'il n'avait fallu que recevoir, et, en deuxième lieu, messieurs, nous avons voulu que, dans l'avenir, lorsque les circonstances seraient meilleures, l'Etat pût rentrer, au moins en grande partie, dans les avances faites pendant cette crise de deux années.
L'honorable M. Osy a paru supposer que ces sommes feraient dès à présent partie du fonds roulant dont le cabinet dispose, et c'est là son erreur : lorsque ces fonds rentreront, ils seront acquis au trésor public ; il n'y a aucune loi qui autorise le gouvernement à en disposer. (Interruption.) Aucune loi n'autorise le gouvernement à rentrer dans les crédits de 2 millions et de 1,500,000 fr.
Je me borne, messieurs, à ces simples explications.
Cependant, messieurs, je dois ajouter un mot sur une partie de l'article 3 du projet du gouvernement, où il est dit que les rentrées à opérer ou déjà opérées sur les crédits ouverts au chapitre XXIII, article 3 du budget de l'exercice de 1846, pourront être employées de nouveau par le gouvernement. Je crois qu'il doit y avoir là une erreur : il me paraît impossible que si des rentrées étaient effectuées sur un crédit ouvert au budget, ces fonds sortent du trésor, en vertu d'une loi subséquente ; cela me paraît impossible, parce qu'on en a fait une recette définitive au profit du trésor. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, lorsque nous serons arrivés à l'article 3, de vouloir bien s'expliquer spécialement sur ce point. Je n'ai pas voulu attendre la discussion des articles, afin que M. le ministre puisse se concerter, au besoin, avec son honorable collègue M. le ministre des finances.
M. de Theux. - M. le ministre de l'intérieur a demandé si, effectivement, je n'avais point disposé du crédit de 500,000 francs, pendant la durée de mon administration. Je dirai, messieurs, que si j'ai disposé de quelques fonds sur ce crédit, ces fonds étaient peu considérables. J'ajouterai cependant que mon intention, fort serieuse ; était d'en disposer largement, et, sans cela, je n'aurais pas fait tant d'instances auprès des chambres pour obtenir le crédit.
(page 1274) Voici, messieurs, la circonstance qui m'a empêché d'employer le crédit. Il fallait un accord préalable avec les communes. La loi sur les défrichements ne fut votée que le 31 mars 1847, et nous avons quitté le ministère le 12 août de la même année. Immédiatement après le vote de la loi, je me suis mis en rapport avec un grand nombre de communes, soit par l'intermédiaire des gouverneurs, soit par l'intermédiaire des agents des ponts et chaussées chargés du service des irrigations.
Des négociations ont été suivies ; il y en a eu d'assez difficiles relativement à un terrain vague de la Flandre occidentale : le Vry Geweyd. A cet égard les arrangements étaient à peu près terminés, les bases en étaient posées lorsque l'honorable M. Rogier est arrivé au ministère. Beaucoup d'autres arrangements étaient en voie de se conclure avec différentes communes des provinces de Limbjurg et d'Anvers, et la conclusion de ces arrangements devait nécessiter l'emploi de fonds. D'autre part, des propositions étaient également faites à diverses communes des provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg pour arriver au reboisement d'une certaine étendue de terrains vagues.
Je dirai, messieurs, que le crédit de 500,000 fr. a été demandé à titre de fonds roulant pour deux motifs : d'abord pour indiquer que le gouvernement n'entendait point accorder purement et simplement des subsides, qu'il entendait que les sommes allouées fissent retour au trésor, ensuite parce que demander une somme de 500,000 fr. pour arriver à un grand résultat, eût été une dérision si cette somme n'avait pas eu le caractère d'un fonds roulant, c'est-à-dire si le gouvernement n'avait pas eu le droit d'en faire remploi aux mêmes fins.
Messieurs, l'utilité de ce crédit, à mon avis, ne peut point être contestée ; je l'ai démontré à suffisance dans la discussion de la loi sur les défrichements ; et alors même que le crédit n'aurait pas fait obtenir de bons résultais dans les Ardennes et dans le Condroz, il serait largement justifié par l'emploi qui en a été fait quant aux irrigations. Il est évident que c'est au moyen de ce crédit qu'on a pu introduire dans la partie des provinces de Limbourg et d'Anvers, où les pâturages manquaient complètement, qu'on a pu y introduire la création de prairies.
Pour apprécier l'utilité des mesures prises par le gouvernement, il faut bien se rendre compte de l'état des terrains qu'il s'agissait de défricher, c'étaient des montagnes de sable accumulé par le vent et d'autre part des vallons couverts d'eau ou tellement humides que la culture en était impossible, et qui ne servaient à d'autre usage qu'à la vaine pâture ou à couper de temps en temps un peu de gazon, c'est-à-dire à un usage pour ainsi dire insignifiant. Quand l'administration des ponts et chaussées a mis la main à l'oeuvre, on croyait généralement que c'était une dérision, que c'était une chose impossible de vouloir faire croître de l'herbe dans de semblables terrains, et ce qui prouve que telle était l'opinion générale, c'est le peu d'empressement des cultivateurs à s'associer aux efforts du gouvernement.
Aussi les premiers entrepreneurs de ces défrichements ont été des entrepreneurs de travaux publics qui ont amené de bonnes terres provenant des déblais du canal latéral à la Meuse et les ont éparpillées sur la surface des terrains sablonneux, dépense extrêmement considérable. Successivement on s'est mis à examiner, à approfondir davantage la question, on a vu que l'emploi d'engrais tirés des grandes villes, l'emploi du guano, l'emploi de graines fourragères tirées de l'Angleterre pourraient donner une certaine fertilité au sol. Effectivement, ces différents essais, après quelques tâtonnements qui avaient fait subir une certaine perte aux défricheurs, ont amené des résultats positifs, et aujourd'hui on a reconnu que ce sable, en apparence d'une aridité complète, est cependant susceptible d'être transformé en prés, moyennant un travail bien profond du sol, des nivellements, des défoncements, moyennant l'emploi de grandes quantités d'engrais, l'emploi de graines tirées de l'étranger.
Aujourd'hui les résultats sont tels qu'il n'est plus possible de mettre en doute la conversion en prairies des terrains sablonneux susceptibles d'irrigation. Seulement les irrigations ne peuvent être couronnées de succès qu'au moyen de défoncements, d'engrais et aussi d'une bonne direction des travaux.
Il n'est pas douteux, messieurs, que ce sont les entrepreneurs de travaux publics, et quelques ingénieurs qui ont fait les premiers pas dans la carrière, ensuite des sociétés se sont formées, des étrangers ont acquis des terrains, mais jusqu'à présent, peu d'habitants des communes mêmes ont pris part à ces travaux ; ce sont presque tous étrangers qui ont fait les travaux. C'est une preuve que les capitaux ou la confiance manquaient, mais surtout la confiance.
Aujourd'hui, l'on peut avoir la certitude que tous les terrains irrigables pourront, dans la suite des temps, être convertis en prés, mais à une condition, c'est qu'on n'apporte pas d'entraves à l'élan vers le défrichement, car il est notoire que le gouvernement, quoiqu'il ait fait des travaux préparatoires sur une certaine étendue de terrains, n'a pu jusqu'aujourd'hui trouver d'acheteurs.
On demande s'il est nécessaire que le gouvernement continue son intervention qui n'a consisté, en ce qui concerne les irrigations, que dans l'établissement de deux grandes rigoles, l'une, pour prendre l'eau, l'autre, pour la faire évacuer.
Je crois qu'il y a une distinction à faire. Là où les travaux peuvent être faits par un seul propriétaire, sans s'entendre avec d'autres ; là le concours du gouvernement n'est pas nécessaire. Ainsi l'acquéreur d'une portion de terrain contiguë au canal peut se charger seul de faire tous les travaux ; mais le concours du gouvernement est nécessaire là où il s'agit d'une grande étendue de terrain, où il s'agit de parcourir plusieurs communes, où il faut faire des rigoles d'alimentation et d'évacuation, sur une grande échelle. Toutefois l'intervention du gouvernement n'est pas coûteuse ; car le gouvernement est remboursé de tous ses frais, sauf ceux du personnel des ponts et chaussées.
Cette mesure, loin d'être onéreuse à l'Etat, lui sera peut-être la plus fructueuse dans l'avenir. Je pense, en effet, que si l'on parvenait, selon les données de l'administralion des ponts et chaussées, à créer 25,000 hectares de prairies, les contributions que les propriétés auront à supporter, après le délai d'exemption fixé par la loi de 1847, à vingt ans, les droits de mutation auxquels elles seraient immédiatement sujettes, procureraient au trésor des ressources très considérables.
Aussi, à mon avis, de toutes les entreprises qu'a faites le gouvernement, celle qui est relative aux irrigations est certainement la plus utile au trésor et au public, parce qu'elle donne aux propriétés une valeur considérable, qu'elle permet l'élève du bétail, par suite du défrichement d'autres bruyères converties en sapinières, pourront être cultivées en terres labourables.
A ce propos, je dirai que les irrigatons ne doivent pas se borner à faciliter la création de prairies, mais qu'elles doivent tendre aussi à favoriser la création de terres labourables.
Et je citerai avec plaisir l'essai du village, que l'administration a créé à Lommel. Si les propriétés tombent dans de bonnes mains, cet essai sera un exemple extrêmement utile de l'emploi de l'eau, même pour la culture des céréales et d'autres produits. Je regretterai plutôt que le gouvernement se soit borné au seul essai de Lommel. Dans ma pensée, il aurait fallu établir dans la Campine cinq ou six villages qui eussent certainement servi de modèle.
En ce qui regarde la création des bois dans la Campine, l'intervention du gouvernement n'est pas nécesssaire.
La raison en est que les conseils communaux se montrent assez éclairés, pour ne pas conserver obstinément des propriétés qu'ils peuvent vendre avec avantage ; on voit tous les jours des ventes considérables de bruyères qui sont ensuite converties en sapinières. Cependant, il est possible qu'il y ait quelques semis à faire dans des communes limitrophes du canal ; je ne m'occuperai pas de cela ; mais pour la Campine, en général, l'intervention du gouvernement n'est pas nécessaire, quant à la création des bois.
Je crois que dans les Ardennes il peut en être autrement, car l'usage du sapin n'était guère connu dans cette contrée. Si le gouvernement a cherché à propager cette culture dans cette contrée, je crois que cela a été d'un bon exemple ; mais je pense que dans un temps rapproché le gouvernement n'aura plus besoin non plus d'intervenir dans cette contrée ; des sapinières y étant formées, l'élan s'y donnera, comme il s'est donné dans la Campine.
En ce qui concerne la chaux, certes cet engrais est le plus utile qu'on puisse employer dans les terres froides des Ardennes. Malheureusement il y a sur la chaux une perte trop considérable pour le trésor ; il serait à désirer que des dépôts de chaux existassent, non seulement pour cette contrée, mais pour la Belgique en général, car il y a beaucoup de localités qui voudraient employer de la chaux, si on avait la facilité de s'en procurer.
Il serait à désirer que cet article devînt une branche de commerce qu'il y eût un magasin de chaux dans chaque canton ; c'est dans ce but qu'on a réduit les droits de transport sur la chaux qui serait destinée à l'agriculture...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - S'il y avait un canal dans le Luxembourg, l'on ne distribuerait pas la chaux à prix réduit.
M. de Theux. - Je ne dis point qu'il n'existe pas de motifs spéciaux pour faciliter l'emploi de la chaux dans le Luxembourg, mais je dis qu'on devrait tâcher d'arriver à ce qu'il y eût un dépôt de chaux dans différentes localités, pour qu'on pût s'approvisionner de cet engrais, sans une perte trop considérable pour l'Etat.
Ce n'est pas seulement la chaux qu'on désire avoir avec facilité, c'est encore le plâtre ; si mes souvenirs ne me trompent pas, le conseil provincial du Limbourg a demandé que cette province jouît de cette dernière faveur.
Ma conclusion est très simple ; c'est que l'aide du gouvernement a été très utile, comme impulsion au défrichement. Quant à ce qui concerne l'emploi de la chaux, c'est particulièrement aux députés des contrées où l'on fait usage de cet engrais, à qui il appartient d'en entretenir la chambre et d'en démontrer la nécessite ; pour moi, je me suis attaché spécialement aux irrigations, parce que l'utilité des irrigations est reconnue depuis longtemps. C'est pour cela que j'ai toujours soutenu qu'il était nécessaire de construire un canal dans la Campine ; j'étais persuadé que pour arriver au défrichement des bruyères de ces contrées où manquaient tes capitaux et la population, il fallait y provoquer l'esprit de spéculation des habitants d'autres parties du pays.
M. Coomans. - L'attention de la chambre doit être fatiguée, l'heure est assez avancée et, pour ma part, je préférerais ne parler que demain. Je ne m'attendais pas à prendre la parole aujourd'hui ; je croyais que l'honorable M. David, suivant prudemment l'exemple donné naguère par l'honorable M. de Perceval, aurait retiré sa motion. (Interruption.) Cependant si la chambre est disposée à m'entendre, j'improviserai quelques observations en réponse au discours de M. David.
- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. Coomans. - L'honorable M. David a couronné son discours en (page 1275) disant qu'il n'y avait que des gens déraisonnables qui pussent ne pas approuver sa proposition. Je doute que l'honorable membre maintienne cette épithète après le vote que la chambre émettra. Jusque-là je me range parmi les gens déraisonnables, c'est-à-dire parmi ceux qui n'approuvent pas la proposition de l'honorable membre, et j'espère me trouver en nombreuse et bonne compagnie. (Interruption.)
L'honorable M. David, voulant se montrer parfaitement raisonnable, repousse le crédit de 500 mille francs ; il ne veut pas que l'Etat intervienne dans le défrichement ; mais par le petit article additionnel qu'il propose, il trouve moyen de procurer à l'E'at une recette de 500,000 fr.
Non seulement il repousse le crédit demandé, mais il vient en aide au ministre des finances, et dans cette même loi proposée en faveur de la Campine, il puise une ressource nouvelle de 300,000 francs juste ! L'adoption de l'article additionnel de M. David procurerait à l'Etat une recette annuelle de 25,000 à 30,000 francs, laquelle capitalisée donne au moins 500,000 francs. Un capital de 500,000 francs à perpétuité à charge de la plus pauvre de nos contrées ! Je demanderai à l'honorable membre si c'est là une proposition raisonnable ?
L'honorable membre se figure qu'il y a de l'or à ramasser dans les sables de la Campine. Loin de blâmer la méthode du défrichement par l'irrigation, loin d'en nier les bons résultats, l'honorable membre en fait un éloge tel qu'aucun membre de cette assemblée ne peut y souscrire ; c'est-à-dire que l'irrigation donne une plus-value annuelle de 60 fr. par hectare ; outre la rente du capital, la rémunération du travailleur et l'impôt. Le canal de la Campine verse annuellement et gratis 60 francs sur chaque hectare, Je m'étonne que l'honorable membre ne veuille pas voter 350,000 fr. une fois donnés pour arriver à des résultats si merveilleux. Malheureusement il se trompe. Comme il est si éminemment raisonnable, je soumettrai à sa raison quelques faits qui le frapperont sans doute. 25,000 hectares de bruyères sont irrigables ; deux mille seulement sont irrigués jusqu'à présent ; les 23 mille autres attendent des acheteurs et des défricheurs.
Si l'opération est si bonne et si gratuitement lucrative que le dit l'honorable membre, comment explique-t-il l'abandon où sont restés ces 23 mille hectares ? Suppose-t-il, non-seulement les Campinois, mais tous les agronomes et capitalistes belges assez inintelligents ou assez désintéressés pour ne pas aller s'enrichir dans les bruyères de la Campine ?
Vingt-trois mille hectares sont encore disponibles ; le gouvernement en a préparé une partie pour le défrichement par irrigation ; les acheteurs ne viennent pas, même dans la supposition de la gratuité de l'eau. Comment se fait-il que ces 23 mille hectares ne se défrichent pas ? Ce fait seul doit démontrer à l'honorable membre qu'il se trompe. Peut-il supposer que quand il aura ajouté une charge nouvelle à celles qui résultent du défrichement, le nombre des acheteurs s'accroîtra ?
Voici un autre fait que je signale à sa haute raison. La société anversoise de défrichement (dont j'ai déjà dit à la chambre que les actions n'ont pas été placées, et dont les actions sont probablement encore disponibles, à moins que depuis lors l'honorable M. David ne se soit empressé de les acheter pour s'enrichir aux dépens de l'Etat), la société anversoise avait acheté, à Arendonck, 600 hectares qu'elle s'était engagée à irriguer, sans frais, bien entendu, du chef de l'eau que le gouvernement lui donnait gratis. M. David doit se figurer que la société était bien heureuse de pouvoir irriguer ainsi 600 hectares. Erreur ! Elle a réclamé contre l'obligation d'irriguer.
Ces sommes énormes que le canal répand sur les sables de la Campine, la société les a dédaignées ; elle a obtenu du gouvernement la permission de n'irriguer que 200 hectares et de labourer les 400 autres.
Ainsi, le défrichement par irrigation n'est pas ce que suppose l'honorable membre, un gaspillage de la propriété de l'Etat, un bénéfice clair pour les particuliers, puisque cette société a obtenu du gouvernement, après des négociations assez longues, qu'elle n'irriguerait qu'une partie de la propriété d'Areudonck.
L'honorable membre est convaincu qu'il n'y a qu'à arroser la terre, à y répandre de l'eau pour récolter immédiatement de l'herbe longue d'un mètre et demi ; il ne faut pas d'engrais pour les prairies sablonneuses ! on fait une trouée au canal, on laisse s'écouler sur le sol les flots de ce nouveau Pactole ! on dort sur les deux oreilles, et six mois après on vient faucher pour 1,500 fr. d'herbes par hectare ! Ce n'est pas plus difficile que cela !
Je suis étonné que cette erreur ait pu prendre place dans l'esprit d'un collègue qui n'est pas étranger aux travaux de l'agriculture. On a imprimé, on a même voulu démontrer que l'engrais n'est pas indispensable pour obtenir des fourrage. On a imprimé bien d'autres choses qui ne se voient que dans les livres ! Mais la vérité est que quand on ne fume pas les futurs près, on attend 10, 11 ou 12 ans pour récolter quelque chose. Veut-on au contraire gagner immédiatement cette herbe longue d'un mètre et demi, que M. David signale dans la Campine, il est indispensable de répandre abondamment sur le sol (en Campine plus qu'ailleurs) toutes sortes d'engrais naturels ou artificiels, surtout du noir animal, du guano et des cendres qui coûtent cher.
Voici la vérité : l'hectare se vend aujourd'hui, en moyenne, de 130 à 150 fr. ; il faut ajouter immédiatement à cette somme, pour travaux de défoncement et autres, 300 fr. ; et si l'on tient à obtenir un résultat immédiat, il faut y enfouir pour 300 ou 400 franes d'engrais. En somme l'hectare bien préparé coûte de 900 à 1000 francs. Alors on arrive à un résultat. Mais ce n'est pas avec de l'eau seule que l'on gagne de l'herbe. Ce fait merveilleux est inconnu, même dans les parties les plus fertiles de la Belgique. A plus forte raison est-il chimérique dans les sables campinois.
Si ce fait a été avancé, il n'a pu l'être que dans des prospectus à titre de réclame, ou dans des ouvrages de pure théorie à titre de paradore agricole. On a imprimé bien des choses dont le bon sens et l'expérience des campagnards ont fait justice. Les campagnards savent que la terre ne donne rien gratis et que sans fumier il n'y a pas de récolte possible.
M. de Perceval. - Ce n'est pas l'opinion de M. l'ingénieur Kummer.
M. Coomans. - L'opinion de cet honorable ingénieur est celle que j'ai eu l'honneur de rapporter dans cette enceinte : c'est qu'au bout d'un certain laps de temps, au bout de plusieurs années en faisant écouler constamment sur le sable une eau fécondante, on peut obtenir de l'herbe sans engrais, non pas cette herbe colossale indiquée par l'honorable M. David, mais d'un pied de hauteur à peu près ; cette herbe, toutefois, n'est pas saine ; elle est maigre et peu nourrissante ; le bétail la dédaigne, parce qu'elle dégénère souvent en ivraie et en plantes marécageuses. Cette opération est longue et stérile. Il n'y a que les pauvres paysans qui puissent attendre aussi longtemps ; ils attendent, par une excellente raison, c'est qu'ils n'ont pas de quoi engraisser le sol.
On a renoncé à ce moyen qui n'est économique qu'en apparence ; on ne cultive plus sans engrais ; on s'est aperçu qu'en matière agricole comme en d'autres un excessif bon marché est ruineux, et qu'il faut semer pour moissonner.
Quelques prétendus agronomes, plus savants et plus inventifs qu'il n'est permis de l'être, avaient cru découvrir, il y a quelques années, qu'on pouvait très bien convertir en terres arables les sables les plus arides, par exemple, ceux de la Sologne, sans engrais quelconque. On a d'abord beaucoup vanté ce progrès, même et surtout dans les académies ; mais on n'a pas tardé à éprouver des mécomptes et l'on en est revenu à la manière rétrograde de nos pères : on a engraissé les terres pour en obtenir quelque chose, et l'on a eu parfaitement raison.
Un mot quant au crédit de 500,000 francs : il ne faut pas que la chambre se laisse tromper par les doléances des adversaires du projet et suppose que le gouvernement a dépensé des sommes énormes pour les irrigations dans la Campine. Les sommes qu'il a réellement dépensées depuis le commencement de cet excellent travail ne montent pas à 120,000 fr. (Interruption.) Je dis 120,000 fr. et rien de plus. Naturellement je ne comprends pas dans cette somme la dépense des fonctionnaires chargés des opérations préparatoires. Mais la perte réelle pour le trésor ne s'élève pas a plus de 120,000 francs.
- Un membre. - Il fallait le dire plus tôt.
M. Coomans. - Tôt ou tard la vérité est bonne à dire. Les irrigations n'ont coûté que cette bagatelle, et je m'aperçois avec satisfaclion que quelques-uns de mes honorables collègues sont charmés de se convaincre que le sacrifice n'a pas été plus considérable. Voilà pour le passé.
Quant à l'avenir, la section centrale, dont j'ai l'honneur de faire partie, d'accord avec le gouvernement, a pris à l'unanimité des précautions qui doivent rassurer la chambre entière : elle a stipulé que désormais le gouvernement ne ferait plus que des avances essentiellement remboursables, et avec la certitude d'être entièrement indemnisé.
Cette précaution n'est pas nouvelle : le gouvernement l'a prise jusqu'à présent, et je suis persuadé qu'il recouvrera presque toutes les avances qu'il a faites. Voilà la précaution capitale qui a été prise par le gouvernement et par la section centrale : l'Etat sera remboursé ; il n'y aura pas un sou de perte de ce chef. Où sont les entreprises encouragées par le trésor public qui offrent une telle garantie ?
Quant à ce qui concerne la direction des travaux, la section centrale, d'accord encore avec le gouvernement, a émis le vœu que l'Etat se bornât à exécuter les grands travaux d'art que des particuliers ne pourraient pas exécuter. Je veux parler des prises d'eau et des rigoles mères. Ce sont les seuls travaux (cela est bien entendu) que le gouvernement exécutera désormais. N'est-il pas à désirer que, pour des sommes aussi minimes, ou plutôt pour des avances aussi faibles, alors que les chances de perte sont improbables, impossibles, on continue une expérience qui a été heureuse jusqu'à présent, expérience qu'aucun membre de cette assemblée ne critique, pas même ceux qui refusent le crédit ? Car le membre de cette assemblée qui a fait le plus grand éloge des irrigations, c'est M. David, le plus grand adversaire du crédit : chose singulière, cet honorable membre ne votera pas la somme nécessaire pour les irrigations ; et cependant ce travail, qui ne fait que commencer , il le trouve tellement merveilleux qu'il le frappe d'un impôt extraordinaire l
Je ne sais si M. David m'a bien compris, lorsque j'ai fait observer qu'au lieu d'avancer une somme en faveur des irrigations, il a trouvé moyen de percevoir sur ce genre de travail une redevance annuelle et très elevée.
Il serait bien étrange que cette façon usuraire de faire des avances à nos compatriotes livrés au travad rural, s'appliquât d'abord à la plus pauvre de toutes nos provinces, à la contrée la plus abandonnée, la plus disgraciée de la nature, à la Campine, à la pauvre et laborieuse Campine, que M. David lui-même (je ne l'ignore pas) voudrait voir transformée en un riche pays.
La proposition de l'honorable membre, relative à nos malheureuses bruyères, se résume simplement en un impôt deux fois plus lourd que celui que payent les meilleures terres de la Belgique. Dans ces termes, elle est inadmissible, et j'espère que la chambre, loin de la voter, reconnaîtra bientôt qu'il est de toute justice et d'une bonne économie politique (page 1276) d'abolir la redevance extraordinaire fixée par les articles 4 et 5 de la loi du 10 février 1843, articles qui ne peuvent être maintenus qu'à la condition d'appliquer a la Belgique entière la loi générale du 20 septembre 1807.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Malou pense qu'il ne faut pas désespérer de la rentrée des fonds qui ont été avancés par son administration à diverses communes. Il croit que dans l'avenir on peut conserver l'espoir de les récupérer en grande partie. Je ne pense pas que, comme M. Osy, il considère comme des ressources actuelles ces fonds qui ont été avancés par son administration.
Pour dessiner notre position respective dans cette question, je dois dire de quelle manière l'administration à laquelle a appartenu M. Malou a envisagé l'éventualité de ces remboursements. Les communes éprouvaient de la répugnance à recevoir de pareilles allocations à titre d'avance à charge de remboursement. Il en fut écrit au département de l'intérieur et voici ce qu'il fut répondu :
« Les communes intéressées ne devaient concevoir aucune inquiétnde à cet égard et pouvaient accepter, sans inconvénient et sans crainte, des subsides accordés en de pareils termes. »
Apres cela, je ne sais pas si l'on peut fonder un grand espoir sur le remboursement des sommes qui ont été avancées alors. Si ces sommes rentraient un jour, ce serait un bénéfice tout à fait inattendu pour le trésor. Mais, quant à les considérer comme des ressources actuellement disponibles, on voudra bien reconnaître que le gouvernement ne peut faire aucune espèce d'emploi de ces sommes ; elles sont aujourd'hui dans d'autres mains, et je ne pense pas que de longtemps elles en sortent.
- La discussion est continuée a demain.
La séance est levée à 4 heures et trois quarts.